MODIGLIANI - Réseau Canopé...MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 3 ÉDITO L’œuvre d’Amedeo...

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ÉCLAIRER EXPOSITION AU LAM AMEDEO MODIGLIANI, L’ŒIL INTÉRIEUR MODIGLIANI REGARDS SUR L’ARTISTE

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  • É C L A I R E R

    EXPOSITION AU LAMAMEDEO MODIGLIANI, L’ŒIL INTÉRIEUR

    M O D I G L I A N IR E G A R D S S U R

    L ’ A R T I S T E

  • Sommaire

    Coordination pédagogique :Patricia MarszalAuteurs :Mylène Bilot, enseignante en arts plastiquesAlexandre Holin, guide-conférencier au LaM

    Directeur de publication : Jean-Marc MerriauxDirectrice de l’édition transmédia et de la pédagogie : Michèle BriziouDirecteur artistique : Samuel BaluretCoordination éditoriale : Renée-Paule CrépelSecrétariat d’édition et mise en pages : Séverine AubréeIconographie : Stéphane LoonisConception graphique :DES SIGNES studio Muchir et Desclouds

    Photographie de couverture : Amedeo Modigliani (1884-1920), Nu assis à la chemise, 1917Huile sur toile, 92 x 67,5 cmVilleneuve-d’Ascq, LaM© Philip Bernard

    ISSN : 2426-0207ISBN : 978-2-240-03814-3© Réseau Canopé, 2016(établissement public à caractère administratif)Téléport 1 – Bât. @ 41, avenue du FuturoscopeCS 8015886961 Futuroscope Cedex

    Achevé d’imprimer en février 2016 sur les presses de Bìalec 95, boulevard d’Austrasie CS 10423 – 54001 Nancy cedexDépôt légal février 2016

    Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris) constitueraient donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

    04 ConceptVOYAGE AU CŒUR D’UNE ŒUVRE

    06 ArticlePORTRAIT DE L’ARTISTE

    12 ArticleUN ART SOUS INFLUENCE ?

    16 ArticleÀ DÉCOUVERT : LES NUS

    20 ArticleÀ LA FRONTIÈRE DES GENRES

    24 ArticleLE CONFLIT DE LA FIGURE

    28 Portfolio : La vérité du regardNU ASSIS À LA CHEMISETÊTE DE FEMMEPETIT GARÇON ROUXMOÏSE KISLING

    Cet ouvrage a été réalisé en collaboration avec le LaM, Villeneuve-d’Ascq.

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 3

    ÉDITOL’œuvre d’Amedeo Modigliani semble à plus d’un titre particulière-ment lié à l’histoire du LaM – Lille Métropole, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut. Outre le fait que le musée conserve l’une des plus belles collections publiques françaises du célèbre artiste de Montparnasse – pas moins de six peintures, sept dessins et une rare sculpture en marbre que Roger Dutilleul et Jean Masurel ont réunis au cours de leurs vies de collectionneurs – l’œuvre de Modigliani reflète les enjeux esthétiques qui occupent les artistes au début du xxe siècle et que l’on retrouve aujourd’hui dans la vision fondatrice du projet du musée : la quête d’une origine qui serait notamment accessible à travers un « autre de l’art », pour reprendre le titre d’une récente exposition du LaM.

    En effet le début du xxe siècle est marqué par un intérêt grandissant des artistes occidentaux pour les arts dits primitifs dont les valeurs et les formes sont considérées comme originelles et régénéra-tives. L’enseignement classique qu’a reçu Modigliani à Florence et Venise va s’en trouver bouleversé lorsqu’il découvre dès 1908, des reliefs de l’Égypte antique ou des statuettes de la Grèce archaïque au Louvre, des masques de Côte d’Ivoire, ou des fragments du temple d’Angkor au musée du Trocadéro.

    Mais l’exposition Amedeo Modigliani, l’œil intérieur (27 février - 5 juin 2015) organisée par le LaM et cet ouvrage édité par Réseau Canopé, proposant le regard croisé d’une enseignante et d’un historien de l’art, sont aussi l’occasion de redécouvrir d’autres aspects de cet œuvre riche et avant-gardiste : le portrait, la figure humaine, l’an-drogynie sont des sujets qui traversent tout l’œuvre de Modigliani. Au-delà du portrait d’une société artistique diverse et cosmopolite, cet ouvrage démontre que les œuvres de Modigliani proposent un style et un vocabulaire radicalement nouveaux qui trouvent aussi leurs sources dans les recherches du cubisme, de la poésie et de la littérature.

    Benoît Villain, Responsable des projets éducatifs et culturels au LaM

    Vue de l’extension du LaM, Villeneuve-d’Ascq© Manuelle Gautrand Architecture. Photo : M. Lerouge / LMCU

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    Article

    Un art sous influence ?Une singularité nourrie

    Si l’œuvre de Modigliani témoigne, d’un point de vue autant esthétique que culturel, d’une grande richesse, c’est qu’il puise aux sources des apports artistiques les plus novateurs du début du xxe siècle. La pratique de la peinture de l’artiste ne saurait en ce sens être dissociée de celle de la sculpture. De l’héritage de Cézanne à l’art nègre, les portraits, les nus, les sculptures, et même le paysage, se répondent dans son œuvre.

    L’héritageCézannien

    La lumière du sud de la France a permis à Paul Cézanne (1839-1906) de mettre en œuvre une conception de l’espace du tableau basée sur un écrasement de la profondeur. Les toiles de Modigliani, portraits et nus confondus, témoignent de cette conception : elles proposent en effet un espace restreint, aux plans horizontaux redres-sés, faisant butter le regard sur le plan du tableau. L’absence de clair-obscur, chez Modigliani, recoupe la rupture que Cézanne a opérée avec la traditionnelle perspective. Les vagues indications spatiales données par l’ébauche, à petits coups de pinceau, d’un drap, d’une chaise, d’un mur (Nu assis à la chemise, 1917), concourent à brouiller notre rapport à l’espace, habité (par un person-nage inerte) mais, paradoxalement, inhabitable.

    La gamme chromatique resserrée du Petit Garçon roux (1919) ou de la Jeune Fille à la chemise rayée (1917), contient en elle l’héritage de Cézanne : l’im-pression de mouvement donnée par la gestualité de la facture, la prédominance du blanc de titane et du gris zinc, ainsi que le traitement non différen-cié de la forme et du fond, sont des leçons tirées du peintre d’Aix-en-Provence. Cette palette froide, dont les couleurs circulent dans la toile, induit une liberté face au personnage, dont seule une ligne noire délimite le contour gracieux. Un cerne

    Amedeo Modigliani (1884-1920), Paysage dans le Midi, 1919Huile sur toile, 60 x 45 cm - Collection particulière © Bridgeman Images

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 13

    noir qui, dans le Petit Garçon roux, a disparu – tout comme Cézanne abandonnera, peu à peu, le noir, à l’instar des impressionnistes pour lesquels l’ombre se compose de multiples nuances colorées.

    Le Paysage dans le midi (1918), rare paysage de la main de l’artiste, réalisé pendant son séjour à Nice, contient d’une part le rideau d’arbres cher à Cézanne, visible dans ses paysages de la Montagne Sainte-Victoire ; et d’autre part une bande de cou-leur rouge vif, brutalement coupée par le bord de la toile, dans une volonté synthétique. Cet espace de l’insaisissable se traduit par les zones de réserves, ce non-fini caractéristique d’une ouverture dans le tableau. L’inachèvement caractérise par ailleurs certaines têtes sculptées de Modigliani. Le travail de taille directe pratiqué également par l’artiste ne permet pas le repentir. La couleur, comme chez Cézanne, modèle les volumes et construit l’espace.

    LE MASQUELe mot « masque », du latin masca, désigne un objet couvrant le visage ou se portant, pour les plus grands, au-dessus de la tête (masques cimiers). Les masques cérémoniels, funéraires, théâtraux ou carnavalesques, ont tous des fonc-tions différentes. Dans les civilisations extra-européennes, le masque peut personnifier un être spirituel pendant une danse : les peuples africains, océaniens et amérindiens lui confèrent des pouvoirs magiques. Ce sont des interces-seurs avec le monde sacré.

    Masque de la société ManjongBois et pigment, 31,5 x 21 x 13 cm Paris, musée du quai Branly © RMN-Grand Palais (musée du quai Branly) / Mathéus

    Amedeo Modigliani (1884-1920), Tête de femme, vers 1913Marbre, 50,8 x 15,5 x 23,5 cm - Dation, 1993 - Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle - En dépôt au LaM de Villeneuve-d’Ascq © Philip Bernard

  • 14 MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE

    Le primitivisme

    En quête de renouveau artistique, les peintres de la fin du xixe siècle, dont la figure de Paul Gauguin (1848-1903) apparaît emblématique, se sont embarqués dans les contrées exotiques, telles la Martinique ou Tahiti. La puissance de la couleur ainsi découverte est réinvestie en France par de grands aplats expressifs ainsi que par une juxtaposition des complémentaires. Les nus aux carnations abricot de Modigliani empruntent à cette dimension exotique du coloris. Le rejet du naturalisme qui caractérise la modernité naissante trouve par ailleurs un écho dans les masques personnifiant un être spirituel, utilisés, entre autres, par les sociétés dites « primi-tives » lors de danses et de rites chamaniques.

    L’art nègre doit sa reconnaissance aux artistes fauves et cubistes. Pablo Picasso et Henri Matisse – ce dernier voyage en Afrique du Nord en 1906 – collectionnent, en effet, des sculptures afri-caines et océaniennes. Désormais, le regard des Occidentaux subit une transformation sur les pro-ductions indigènes : le prisme de l’ethnographie cède la place à celui de la beauté et des qualités plastiques de ces objets. La liberté des formes caractérise, selon Aristide Maillol (1861-1944), l’art nègre, que les artistes modernes apprécient tant. Les similarités formelles – symétrie, répétition, épure – entre la sculpture ouest-africaine (Gabon, Congo, Côte d’Ivoire) et les productions des cercles artistiques parisiens, d’avant comme pendant la Grande Guerre, sont évidentes.

    Cette liberté formelle s’exprime dans les accents de primitivisme que Modigliani, à travers les défor-mations arbitraires, fait subir à ses portraits et à ses nus. Ses ébauches de têtes sculptées, avec leurs puissantes arrêtes de nez et leurs yeux vides en amande, rappellent les masques baoulés de la Côte d’Ivoire, ainsi que les sculptures khmères. L’expressivité de ces masques extra-européens se retrouve également dans les visages stylisés du peintre, dans lesquels le minimum de détails produit le maximum d’expressivité. Les arts premiers appa-raissent en effet, aux yeux des Occidentaux, comme des éléments autonomes plutôt que comme des représentations du réel et, ainsi, à la fois comme une alternative au naturalisme européen et comme un nouveau répertoire de formes.

    Le marchand parisien Paul Guillaume (1893-1934), dont Modigliani réalise deux portraits, utilise quant à lui indifféremment le terme d’« art nègre » pour désigner toute production primitive, qu’elle soit africaine, océanienne, ou même eskimo. Sa galerie sise au 108, faubourg Saint-Honoré, est un organe de soutien aux avant-gardes parisiennes. Paul Guillaume organise en 1919 la première exposition d’art nègre et d’art océanien, sous le terme géné-rique d’« art sauvage », à la galerie Devambez, dans le 8e arrondissement. Les artefacts « primitifs » sont une source de modèles pour la création artistique française du début du xxe siècle, qui voit l’extension des empires coloniaux.

    L’ÉCOLE DE PARISAlors que le début du xxe siècle est dominé, à Paris, par les recherches cubistes et fauves, des personnalités marginales et atypiques fleu-rissent entre 1905 et 1913, dans l’effervescence de ces recherches plastiques. Concentrée entre Montmartre et Montparnasse, cette généra-tion de « peintres maudits » mène une vie misé-rable, conservant son indépendance face aux artistes d’avant-gardes cubistes, fauves, futu-ristes dont elle est pourtant l’amie. Modigliani, à l’instar de ses contemporains émigrés (Chagall, Kisling, Soutine, Pascin ou Foujita) fait de chaque tableau, par ailleurs figuratif, une expérience à part.

    entreindépendanceet imprégnation

    Loin de faire une synthèse des influences qui l’entourent, Modigliani conserve une personnalité indépendante, personnalité qui tire sa richesse de l’articulation des innovations cézanniennes et de l’intérêt de l’époque pour les arts premiers. L’expressivité de la couleur sert ainsi un agence-ment des surfaces annihilant, par leur rabatte-ment au plan du tableau, tout effet de profondeur. Les modèles mélancoliques concourent, eux aussi, à défier les strictes lois de la perspective, par l’impression de basculement qu’ils donnent : positionnés sur un axe légèrement décentré et de

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 15

    guingois, ils déstabilisent en effet notre percep-tion visuelle.

    Si la parenté de l’œuvre de Modigliani avec les arts premiers apparaît évidente, elle ne peut en aucun cas se résumer à de simples emprunts formels. La stylisation extrême des visages aux nez lancéolés relève davantage d’une quête d’épuration, d’une volonté de débarrasser la matière du superflu – n’est-ce pas là la tâche du sculpteur ? – que d’une tentative de s’inscrire dans la suite d’un Picasso ou d’un Braque. Modigliani fréquente par ailleurs l’ar-tiste espagnol, dont il réalise, en 1915, le portrait.

    Après avoir abandonné un temps la peinture, Modigliani s’éloigne de ses contemporains afin de suivre sa propre voie. C’est ainsi qu’il conçoit ses élégantes sculptures de têtes comme des « piliers de la tendresse », qu’il rêve de voir expo-sées dans un « temple de l’humanité », plutôt que comme des points de rupture dans la tradition sculpturale. De même, si Brancusi le conseille et l’épaule, Modigliani conserve du sculpteur son indépendance. Pétri de culture visuelle et artis-tique, l’artiste dépasse toute inscription dans la vie quotidienne, pour donner naissance à une œuvre « hybride » intemporelle.

    Mylène Bilot Enseignante en arts plastiques

    MÉDIAGRAPHIECollectif, « Les masques », Le Petit Léonard, Faton, n° 199, février 2015, p. 24-25.BernarD Edina, L’Art moderne, 1905-1945, Larousse, 2010.Degli Marine, Mauzé Marie, Arts premiers : le temps de la reconnaissance, Gallimard / RMN, 2006.restellini Marc (dir.), Modigliani, l’ange au visage grave. Catalogue d’exposition, Paris, Palais du Luxembourg, 23 octobre 2002 – 2 mars 2003, Seuil, Skira, 2003.

    www.histoire-image.org, rubrique Recherche par index ; Modernisme ; Marchand d’art moderne.

    Pablo Picasso (1881-1976), Homme nu assis, 1908-1909Huile sur toile, 96 x 76 cm Villeneuve-d’Ascq, LaM © Philip Bernard © Succession Picasso 2016

  • 28 MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE

    Portfolio La vérité du regard

    REGARD D’EXPERT : ALEXANDRE HOLIN, GUIDE-CONFÉRENCIER AU LAM

    REGARD DE PÉDAGOGUE : MYLÈNE BILOT, ENSEIGNANTE EN ARTS PLASTIQUES

    Ce portfolio regroupe quatre œuvres emblématiques du parcours artistique de Modigliani. Un portrait d’inconnu, un portrait d’ami, un nu et une tête sculptée sont ainsi tour à tour, dans une double approche pédagogique et experte, analysés. Les folios se présentent tels des outils proposant des pistes de réflexion à destination des enseignants et enseignantes ainsi qu’à tout curieux et curieuse de l’œuvre de cet artiste. Les idées de métissage, d’épure, d’innovation ou encore d’émotion permettent de révéler toute la vérité du regard de Modigliani.

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 29

    42Amedeo Modigliani (1884-1920), Moïse Kisling, 1916

    30Amedeo Modigliani (1884-1920), Nu assis à la chemise, 1917

    38Amedeo Modigliani (1884-1920), Petit Garçon roux, 1919

    34Amedeo Modigliani (1884-1920), Tête de femme, vers 1913

  • Portfolio

    30 MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE

    Nu assis à la chemiseCette toile acquise par Roger Dutilleul s’inscrit dans la tradition du nu, à laquelle elle apporte quelques innovations. Modigliani cultive, en Italie, son regard dans les galeries et musées. Ses acquis italiens sont ici métissés avec ses apports parisiens ultérieurs.

    Dans cette sphère domestique, le modèle nu se tient assis sur un lit. Le lumineux drap blanc qu’elle retient, dans un geste de pudeur, sur son corps abricot, est une posture conventionnelle de la peinture de nu. D’épais cheveux noirs répondent à la noirceur du regard, voilé par cet aplat qui nous empêche de pénétrer ses pensées. Inaccessible, le visage incliné, mélancolique, ressemble curieusement à un masque primitif.

    N’échappant pas à la curiosité de l’époque pour les arts extra-européens, Modigliani métisse en effet le visage du modèle à celui d’un masque primitif stylisé. La ligne serpentine qui anime le corps d’un mouvement fluide permet de penser que Modigliani apporte au nu académique l’héritage maniériste.

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 31

    Amedeo Modigliani (1884-1920), Nu assis à la chemise, 1917Huile sur toile, 92 x 67,5 cm Villeneuve-d’Ascq, LaM © Philip Bernard

  • 32 MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE

    Portfolio

    Un songe éveillé

    regardd’expert

    Nu assis à la chemise présente dans sa partie infé-rieure, à droite, un curieux détail : une petite tache brune qui s’écoule sur le flanc du tableau. Nous ne saurons jamais si Modigliani l’a faite de façon intentionnelle ou s’il s’agit d’un accident. Cet élé-ment informel ouvre toutefois l’œuvre à une lec-ture moderniste à laquelle elle a souvent échappé.

    Dans son analyse du détail en peinture, Daniel Arasse en distingue deux types : le détail « ico-nique » (qui fait image) et le détail « pictural » (où la peinture se revendique dans sa matérialité). La coulure de notre tableau peut prétendre aux deux acceptions : elle dénote aussi bien une tache de saleté sur le rebord d’une cuvette qu’elle ne démontre la peinture elle-même.

    A priori anodine, cette tache glisse vers l’angle inférieur de la composition où se trouve la pre-mière couleur posée par Modigliani sur la toile : un bleu gris qui transparaît également sous la che-mise et sous le corps via des trouées dans l’épais-seur picturale.

    En laissant visibles les différentes étapes de fabri-cation de son tableau, Modigliani fait dévier la dia-lectique du cacher / montrer propre au nu sur le terrain des moyens plastiques. Il attire notre œil vers les coulisses de l’œuvre en nous révélant son processus de maturation à mesure que le nu se camoufle.

    regardde pédagogue

    Le modèle – très certainement Elvira, dite « la Quique » – est très stylisé. L’artiste fait subir à la tradition du nu d’après modèle des déformations, des élongations, qui rappellent celles des manié-ristes italiens. Le cou allongé et les épaules tom-bantes accentuent la grâce des contours sinueux de cette beauté naturelle et sans apprêt.

    Un lumineux drap blanc, au lieu de dissimuler la nudité du modèle, la révèle. La dialectique du montrer et du cacher propre à la peinture de nu et à sa provocation sous-jacente induit une tension dans la représentation. L’intrigante absence de regard – le noir qui envahit les yeux implique une cécité – nous traverse pourtant.

    Difficile à localiser, le modèle est assis sur un siège ou un lit que l’on devine. Nous retrouvons le dis-positif spatial récurrent de Modigliani : une partie de pièce restreinte, un mur du fond qui redouble le plan du tableau, un espace ambivalent (ni profond, ni plat). Le nu sculptural, monumental habite en effet un espace inhabitable.

    La quête de pureté se lit dans l’épure des formes. Réduit à l’essentiel, ce nu mélancolique, saisi dans une suspension temporale propre au rêve, exhibe sa parenté avec l’art nègre. La noblesse des lignes des masques africains, collectionnés par ses contemporains, est évidente dans ce visage dépouillé.

  • MODIGLIANI, REGARDS SUR L’ARTISTE 33

    Masque Fang (Gabon)Bois, 42 x 28,5 x 14,7 cm Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Droits réservés

    QUESTIONS D’ENSEIGNEMENTComment le métissage des cultures peut-il s’exprimer dans les arts visuels ?

    Au début du xxe siècle, en France et en Allemagne d’abord, dans le reste de l’Europe et aux États-Unis ensuite, les œuvres « primitives » apparaissent telle une alternative au refus du naturalisme des avant-gardes artistiques ; elles deviennent des modèles. La fondation, en 1882, du musée d’Ethnographie au palais du Trocadéro, invite à contempler les arts océaniens, africains, orientaux.La peinture et la sculpture modernes subissent l’influence formelle des arts premiers : la stylisation des formes et des volumes simpli-fiés comme l’emploi de couleurs contrastées se répandent dès la fin du xixe siècle.

    En quoi l’étude du nu relève-t-elle d’une confrontation à la nais-sance ou à la mort ?

    Les premiers nus apparaissent dans l’histoire au Paléolithique supé-rieur (entre 26 000 et 9 000 ans avant notre ère). Les Vénus sont des figurines sculptées ou gravées, sans visage ni pieds, aux formes exagérément volumineuses, dans lesquelles s’incarne le pouvoir d’enfanter.Parce que le nu renvoie à un état originel, se confronter au nu, c’est rechercher le dépouillement, tenter d’approcher l’âme dénudée du modèle, qui se révèle dans toute sa fragilité.

  • COMMISSARIAT

    £ Sophie Lévy, directrice-conservatrice du LaM£ Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM£ Marie-Amélie Senot, attachée de conservation pour l’art moderne et l’art contemporain au LaM

    CONTACTS POUR LES ENSEIGNANTS

    £ Violaine Digonnet, chargée des projets pédagogiques au LaMTél : + 33 (0)3 20 19 68 56E-mail : [email protected]

    SERVICE RÉSERVATION

    Tél : +33 (0)3 20 19 68 88E-mail : [email protected]

    LaM-Lille Métropole Musée d’art moderne,d’art contemporain et d’art brut1 allée du Musée 59650 Villeneuve d’Ascqwww.musee-lam.fr

    AMEDEO MODIGLIANI, L’ŒIL INTÉRIEUR

    EXPOSITION-ÉVÉNEMENT AU LAM DU 27 FÉVRIER AU 5 JUIN 2016

    Le LaM présente au printemps 2016,en collaboration avec la Réunion des musées nationaux – Grand Palais,une importante rétrospective consacrée à l’œuvre d’Amedeo Modigliani.

    Le musée conserve l’une des plus belles collections publiques françaises du célèbre artiste de Montparnasse : pas moins de 6 peintures, 7 dessins et une rare sculpture en marbre réunis par Roger Dutilleul et Jean Masurel, fondateurs de la collection du LaM. Collectionneur passionné, Roger Dutilleul croise l’œuvre de Modigliani en 1917, moins de trois ans avant la mort prématurée de l’artiste. Autour de cette rencontre et de ce fonds exceptionnel, le LaM orchestre une exposition événement qui réunit plus de 120 œuvres, parmi lesquelles près d’une centaine de Modigliani (49 peintures, 43 dessins et 5 sculptures) – dont de nombreux prêts inédits en France – mises en dialogue avec une sélection d’œuvres d’art extra-occidental et d’œuvres de certains de ses contemporains et amis : Constantin Brancusi, Moïse Kisling, Jacques Lipchitz, Pablo Picasso ou encore Chaïm Soutine.

    Amedeo Modigliani, Femme assise à la robe bleue, 1918-1919. Moderna Museet, Stockholm. Donation d’Oscar Sterne, 1951. Photo : Moderna Museet, Stockholm. Design graphique : les produits de l’épicerie.

    Exposition organisée par le LaM et la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, en partenariat avec le Musée des Beaux-Arts, Budapest, et l’Ateneum Art Museum / Finnish National Gallery, Helsinki. Avec le soutien exceptionnel du Musée de l’Orangerie et les prêts exceptionnels du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne.

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