Modèles de concurrence imparfaite Cours SEGF - … · Modèle de Cournot: concurrence en...
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Concurrence et marchés
Cours SEGF - ENPC 2003
Modèles de concurrence imparfaite
Bernard Caillaud : [email protected]
1. Motivations empiriques
2. Théorie du monopole¶ Rappel de la théorie de base¶ Monopole multi-produit¶ Discrimination par les prix¶ Stratégies non-tarifaires: choix de produits, qualité
3. Concurrence imparfaite¶ Modèle de Bertrand: concurrence en prix¶ Modèle d’Edgeworth: rendements décroissants¶ Modèle de Cournot: concurrence en quantités¶ Application: mesure de concentration dans l’industrie de la
cigarette aux US.
MOTIVATIONS EMPIRIQUESRetour sur l’hypothèse de concurrence parfaite- notion de marché: un bien physique précis disponible en un lieu àune date donnée,... restrictif !En pratique, ∃ degrés de substituabilité entre les biens marché = ensemble de biens, forte élasticité de substitution entreeux, faible élasticité de substitution avec d’autres biens:• Orangina vs CocaCola: marché des sodas• Aire géographique: marché local (stations services), français
(voitures), EU (pâte à bois, sel)• Autres aspects: qualité, délais, SAV, image,...
- nombre limité d’intervenants dans la plupart des marchés:Validité de l’hypothèse de concurrence parfaite ?!
Mesure pertinente du nombre d’intervenants: concentration
4 entreprises à 25% du marché ≠ 1 dominante à 90% et 3marginales se partageant 10% du marché ! n entreprises, parts de marché s1 ≥ s2. . .>. . . sn, on mesure:• CR i =∑ j=1
i sj = somme des parts des i plus grosses entreprises• H (indice Herfindhal) =∑ j=1
nsj2
• E (indice d’entropie) =∑ j=1n sj.Log1 + sj
Mesures ad-hoc, mais on observe que :• les secteurs concentrés sont identiques d’un pays à l’autre• concentration est stable: 41% des secteurs ont même leader à 25 ans
d’intervalle• concentration change par fusions / acquisitions & faillites
Mesure des profits par entreprise / par secteur
Exercice difficile, qualité des mesures douteuses:•
Profit comptableVentes ou CA
: taux de profit comptable
•prix - coûts variables
prix : taux de marge• valeur boursière
On constate des régularités statistiques fortes:• les profitabilités dans des secteurs différents ne convergent pas sur
longue période (surtout US, F, D, mois au J) incompatible avec laconcurrence parfaite
• la profitabilité peu affectée par les chocs de demande (cycle macro) incompatible avec forte monopolisation
• les taux de marge sont procycliques
Relation économétrique: profitabilité - concentration
Historiquement, l’économie industrielle s’est développée sur la based’une relation économétrique à expliquer:
Profitsecteur i = α + β.concentrationsecteur i + i
En fait, les leçons robustes à tirer sont:• β > 0, significatif surtout avec taux de marge• β ↘ dans les périodes d’inflation• β ↗ si on prend bien en compte des mesures de la mondialisation
Interprétations ?pouvoir de marché, cartélisation ? rôle de la différenciation desproduits ? l’efficacité explique-t-elle seule la part de marché ?... nécessité de modèles structurels pour répondre à ces questions
THEORIE DU MONOPOLETarification: rappels
Monopole = entreprise seule à fournir un marché qui déterminedonc le prix du marché / la quantité servie au marché
Exemples et origines:- Infrastructure: stade, (aéro)port, système de transport en sitepropre (trains,...), réseau de transport électrique, oléo / gazoduc, ...Forts rendements d’échelle (coûts fixes) interdisent la duplication
- Monopole instauré par la loi: détenteur d’un brevet (Dupont deNemours pour le nylon, Bayer pour l’aspirine) ou détenteur d’unsecret industriel (Microsoft pour OS, code source Windows secret)Protection de la propriété intellectuelle pour inciter à la R&D
Un monopole choisit son prix p en tenant compte de la demandedes consommateurs q = Dp :
maxp pDp − CDp.
CPO: prix de monopole pM
pM − C ′qM
pM = 1pM
où qM = DpM et p = −pD′pDp = élasticité de la demande.
A l’optimum, élasticité de la demande est nécessairement >1. (Si lademande est inélastique à p, augmenter p sans causer de grandeperte de clientèle !).
Alternativement: choix de la production q, sachant que le marchésera équilibré pour un prix p = D−1q = Pq.
maxq Pqq − Cq.
CPO: production de monopole qM
C ′qM = R ′qM
= PqM + qMP ′qM < pM.c.a.d, revenu marginal = coût marginal.
Arbitrage: accroissement de la marge / contraction de la demande.
pM > C ′qM: inefficacité dans l’allocation des ressources (maisminimisation du coût), restriction de l’offre. Perte de surplus social
Tarification multi-produit
Plus réaliste: Microsoft: OS + certains types de logiciel, Polaroïd:boitier + pellicule
maxp=p1,...,pn
∑i=1
n
piDip − CD1p, . . . ,Dnp
CPO:
Di + pi∂Di∂pi
+∑j≠i
pj∂Dj
∂pi= ∑
j=1
n∂C∂qj
. ∂Dj
∂pi
• Demandes indépendantes Dipi, coûts séparables: ∑ i=1n Ciqi
n monopoles monoproduit.
• Demandes dépendantes, coûts séparables
pi − Ci′
pi= 1
ii−∑
j≠i
pj − Cj′
pj. pjqj
piqi. ji ii
avec ji = −pjqi
∂Dj
∂piélasticité croisée de j / pi
▪ Correction / cas monoproduit (n monopoles indépts)▪ Substituts: ji < 0, taux de marge plus grand si intégration
→ centres de profit et intéressement croisé entre centres▪ Biens compléments: ji > 0. Possible: pi < Ci
′ !→ Polaroïd. Prix d’appel sur nouveaux marchés
• Demandes indépendantes, coûts liés→ Utilisation d’une infrastructure commune. Effets d’apprentissage
Discrimination par les prix
Discrimination = tarification de 2 unités à prix différents (à 1consommateur ou 2 consommateurs différents)• tarifs non-linéaires: Tq = A + pq, remise sur quantité, abonnement• segmentation du marché et tarifs différenciés
→ part du surplus capturée ↗ grâce à tarifs discriminants:• identification des consommateurs, tarifs personalisés (d°1)• identification de classes de consommateurs, tarifs / classe (d°3): classe
affaires / économique, tarifs étudiants / vermeil• classes de consommateurs non-identifiables mais segmentation (d°2):
abonnements portables- Contrôle de l’arbitrage / intermédiation entre consommateurs- Statut légal (reflet des coûts, USO,...) ?
Discrimination parfaite
Connaissance par le monopole des demandes individuelles +absence d’arbitrage
n consommateurs, demandes dip, coût du monopole: C. • maximisation bien-être social:
p0 = C ′Q0 et Q0 = ∑i=1
ndip0
• tarif: p0 pour consommateur i avec abonnement / droit d’entrée:
Ai = ∫p0
+∞
disds
• ∀ consommateur, abonnement discriminatoire → monopole capturesurplus
Efficacité !
Discrimination par classes
Segmentation sur base de caractéristiques observables: âge,uniforme, sexe, ... n classes + pas d’arbitrage entre classes.
- Discrimination classes / classes n marchés p1, . . . ,pn, dem. indépt, coûts liés:
pi − C ′Qdpi
= 1 ipi
et Qd = ∑i=1
n
Dipi
tarif élevé sur classes captives (faible élasticité), modéré surclasses sensibles (forte élasticité)
- Tarification uniforme (si tous consomment):pu − C ′Qu
pu = 1pu
et p = dLog∑ i Dip/dLogp
Comparaison: Si Qu ≥ Qd, bien-être + grand avec tarif uniforme pu
Preuve: WdQd < WuQd ≤ WuQu
(<: égalité des TMS, ≤: preféré par consommateur, profit + grand)
Péréquation / subventions croisées:min
ipi < pu < max
ipi
• monopole perd si pu
• classes captives gagnent si pu
• classes sensibles au prix perdent si pu:
MAIS, tarification pu peut exclure des classes à élasticité trop forte !(alors possible Qu < Qd)
Choix de produits, qualité,...
Les autres décisions, non tarifaires, du monopole sont sourcesd’inefficacités qui se superposent à l’inefficacité de tarification
- Non appropriabilité du surplus: Monopole prend des décisions:revenu marginal = coût marginal
Optimum social:surplus marginal = coût marginal
→ non concordance en général, sens ambigü !
- Offre de gamme: 2 effets contraires, pas de résultats généraux• trop peu de biens offerts par rapport à l’optimum: appropriabilité
imparfaite du surplus engendré par un bien supplémentaire• mais effet de substitution: hausse des marges sur autres biens, c.a.d.
profit marginal supplémentaire
- Choix de qualité s:• demande inverse Pq, s ↗ en s• coût Cq, s ↗ en s
Optimum social: ∫0
q Pt, sdt − Cq, s
p = Cq et ∫0
qPst, sdt = Cs
Monopole: Pq, sq − Cq, sRq = Cq et qPs = Cs
Comparaison: propension marginale à payer +/- sensible à la qualitépour le consommateur moyen ou le consommateur marginal ?→ ambiguité en général ?
Autres distortions:
• Inefficacité de production: coûts trop élevés
▪ absence de comparaison, référence externe (de benchmarking)▪ moins de menace
• Inefficacités causées par la recherche de la rente de monopole
▪ lobbying▪ barrières à l’entrée (cf plus tard)
CONCURRENCE IMPARFAITE
Situation fondamentale: ni concurrence parfaite, ni monopole =oligopole, petit nombre de firmes en interaction stratégique
court terme (# concurrents et produits fixes): prix, quantités, pub ...moyen terme (chgt # concurrents, barrières à l’entrée): capacités deproduction, choix/gamme de produits, entrée / sortie ...long terme (chgt produits): R&D, innovation ...
On propose dans ce qui suit des outils (des modèles) pourformaliser la concurrence de court/moyen termeOn utilisera ces modèles pour aborder des questions plus riches(barrières à l’entrée, cartels, fusions, politique de la concurrence,...)
Modèle de Bertrand
Un marché, 2 entreprises en concurrence → Quel prix émerge ?
Jeu de Bertrand:• 2 firmes choisissent p1 et p2.• Si pi < pj, consommateurs achètent à i:
π i = piDpi − CiDpi et π j = 0Si p1 = p2, consommateurs sont indifférents:
π i = piDpi
2 − CiDpi
2
Equilibre de Bertrand, simple & symétriqueRendements constants identiques: Ciqi = cqi
Equilibre unique: pi = c, π i = 0Efficacité ! Profits = 0, ∼ concurrence parfaite
Equilibre de Bertrand, simple & asymétrique
Rendements constants mais différents: c1 < c2 ≤ ci≠1,2
Equilibre unique: p1 = infc2;pMc1 et pj ≥ cj
π1 = c2 − c1 Dc2 ou πMc1, et π j = 0
Pas efficacité ! prix = 2ème coût marginal, 1 est monopole de fait
Modèle référence: pertinent dans cas extrême (ex: FranceTelecom -Cegetel - le9, sur les tarifs téléphonie fixe LD)A modifier dans d’autres situations réelles:• rendements d’échelle décroissants
▪ cas particulier: choix de capacités de production• produits différenciés et goûts divers des consommateurs• version dynamique (cf plus tard)
Rendements décroissants
Idée: si C2′ croît en q2, la firme 2 ne sert pas tout le marché quand
p2 < p1. Consommateurs rationnés vont chez 1: profits de 1 > 0 !
Rationnement par file d’attente, par loterie, par enchère,...Ici: rationnement efficace: si p2 < p1 et Q2 servie par 2, demanderésiduelle pour 1:
D1p1;Q2,p2 = Dp1 − Q2 ou bien 0.
Résultat: le prix Walrasien n’est pas un équilibre (de Nash)Preuve: pW = Ci
′qiW avec q1
W + q2W = DpW. Si p2 = pW, et p1 ≥ pW
π1p1;pW = p1Dp1 − q2W − C1Dp1 − q2
W
∂π1∂p1
∣p1=pW = q1W > 0 !!!
Un cas particulier
Contraintes de capacité: Cq = cq si q ≤ Q, et Cq = +∞ sinon.Si les 2 firmes ont installé des capacités Q1 et Q2, telles que:Dc
2 < Qi < Dc, alors pW = c n’est pas prix d’équilibre.
Choix de capacités ? → Jeu en 2 temps:1. construction de capacités, coût γ2. conc. en prix (capacités données)
Résultat: avec rationnement efficace, équilibre :• choix de capacités = jeu Q1,Q2 avec gains:
ΠQi;Qj = PQi + QjQi − γQi
• prix après Qi,Qj: pi = PQi + Qj
Equivalence formelle (Cournot): choix de production q1,q2 sachantmarché équilibré (offre = demande: p = Pq1 + q2)
Modèle de Cournot• modèle de conc. en quantités (capacités)• pertinence sur certains marchés• fondements fragiles• conclusions qualitatives & outil important
Jeu en quantités q1,q2, . . . ,qn, avec Q−i = ∑ j≠i qj et profits:
Π iq1, . . . ,qn = Pqi + Q−iqi − Ciqi.
Existence eqlb: Π i quasi-concave en qi, continu en q1, . . . ,qn
Caractérisation équilibre de Cournot, Q = ∑h=1n qh:
Ci′qi = PQ + P ′Qqi
ou encore p − Ci′
p =qiQ . 1
p
Propriétés de l’équilibre de Cournot:
• prix > coût marginal: inefficacité dans l’allocation
• + inefficacité dans la production
• tarification type monopole, pondérée / part de marché monopolerésiduel: PRqi = Pqi + Q−i
• QC > QM ou pC < pM: pas maximisation profits totaux; externalité deqi sur Π j (via le prix) non internalisée
• multiplicité en général; avec 2 firmes, ∣ ∂2Πi
∂qi2 ∣>∣
∂2Πi
∂qi∂qj∣ unicité
• Courbe de meilleure réponse décroissante: substituabilité stratégiqueRiq−i = arg maxqi
Π iq1, . . . ,qn
• Ci′ ↗ qi ↘ (à q−i donnée) qj ↗
Exemple linéaire:
Demande: Dp = d − p, d grandCoûts unitaires c1,c2
Courbe de meilleure réponse:
Riqj =d − qj − ci
2Equilibre:
qiC =
d − 2ci + cj3 , pC =
d + ci + cj3
Profits d’équilibre:
π i =d − 2ci + cj
2
9 .
Marché de la cigarette aux USA(Sullivan,D, (1986), Journal of Political Economy)Pour estimer la concentration sur ce marché, sans approcheexhaustive (estimation des fonctions de demandes et de coûts).Données disponibles, par an et par état sur 1955-82 pour 45 états:• p, prix (le même pour cigarettes comparables)• qi, quantités de paquets vendus• t, niveau des taxes par paquet
Soit un marché caractérisé par élasticité . , et n entreprises:p − t − Ci
′
p =qiQ . 1
et en sommant:np − t − Σ iCi
′ =p .
n: nombre effectif d’entreprises (comme dans Cournot).
prix et quantités paramétrés par taxes de l’état: pt,Qt.
t = −ptD ′pt
Qt = −ptQ ′tp ′tQt
.
Avec la seule information que Ci′qi ≥ c:
n ≥ n∗t,c = −p ′tQt
Q ′tpt − t − c.
On estime des fonctions quadratiques pt et Qt
coef. fixe coef. t coef. t − t̄2
Lg(quantité) 5.119 -.0245 -.00013
(.016) (.0012) (.00018)
Prix 14.24 1.089 .0090
(.34) (.026) (.0035)
Estimateur de n∗t,c
c (cts 67) estim. 95%: pt bas 95%: pt haut
0 2.88 2.57 3.18
1 3.08 2.75 3.40
2 3.30 2.95 3.65
3 3.57 3.19 3.95
4 3.88 3.47 4.29
5 4.23 3.80 4.70
6 4.70 4.21 5.20
7 5.26 4.70 5.82
8 5.96 5.34 6.59
9 6.89 6.16 7.62
10 8.15 7.29 9.01
11 9.99 8.93 11.04
12 12.88 11.52 14.24
Ces tableaux montrent entre autres:
• p ′t > 0 et Q ′t < 0, les signes sont donc conformes à l’intuition.
• p ′t est différent (plus grand) de 1 de manière statistiquementsignificative: ceci équivaut à rejeter l’hypothèse que ce marché estconcurrentiel.
• n∗t̄, 0 > 2,5 à 95% de confiance, pour t̄ le niveau moyen des taxes:ceci équivaut à rejeter une hypothèse que le marché est monopolisé oucartélisé, d’autant que les coûts marginaux se situent plus auxalentours de 6-10 cents/paquets avec n∗ de l’ordre de 4,7.