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    Fatima Zohra LALAOUI 1

    LA MISE EN ABYME COMMETECHNIQUE ET FIGURE DE LA NARRATION

    ( TRAVERS LANALYSE DU DISCOURS RELAT DANSNEDJMA DE KATEB YACINE)

    FATIMA ZOHRA LALAOUIG.R.E.L.I.S, Universit de Franche-Comt (Besanon)

    Une approche de la mise en abyme dans la perspective du discours relat1se trouve soumise aux problmes

    que posent lnonciation et la narration. Nedjmasuscite une lecture exaltante, mais aussi, en ce qui me concerne du

    moins, une lecture trous, capable seulement dun dchiffrement parcellaire tributaire dune criture, en cercle,

    inacheve, la fois fascinante et repoussante. Or, le sentiment de mener une lecture en de saccompagne dun dsir

    de percevoir, disons au-del, une figure occulte que la mise en abyme dessine et projette.

    Un tel sentiment est li la prsence massive de manifestations du discours relat dans un texte qui installe

    une tension permanente entre le lecteur et lhistoire quil est en train de reconstituer : effets de polyphonie la fois

    externes et internes. La polyphonie, apprhende dans ses aspects internes, dispose sur la scne narrative diffrentes

    relations dialogales au sens bakhtinien- qui sinstaurent entre les voix des personnages et celles des narrateurs. Pour

    dmler ces voix, le recours la syntaxe narrative se rvle ncessaire, lobjectif tant de dcrire les diverses formes

    du discours pris en charge, conjointement ou sparment, par les diffrents narrateurs de lhistoire. Tous ces

    discours, participant notoirement la polyphonie, se trouvent construits partir dune technique quon appellera

    mise en abyme. La notion de mise en abyme telle quelle se trouve ractive dans les travaux de Lucien Dllenbach

    apparat comme un organe de retour de luvre sur elle mme 2. Dans ce sens, la mise en abyme implique une

    duplication intrieure o toute la narration, et travers elle, la digse se voit mise en perptuel rapport. Considre

    comme toute enclave entretenant une relation de similitude avec luvre quelle contient3, la mise en abyme va tre

    classe, selon la typologie de Lucien Dllenbach, en deux ensembles majeurs : la rflexion simple et la rflexion

    linfini. Une donne se dgage de ces deux ensembles : le rapport de similitude quentretient un fragment avec le

    texte qui linclut se donne penser sur le mode du paradoxe tel le titre du texte qui est identique avec le sujet

    identifi dans le texte. Cest ainsi que stablit le rapport entre le roman virtuel et le roman quon lit ; tous deux

    obissent des principes esthtiques communs qui ne cessent de se renverser lun dans lautre, brouiller leurs traces,

    confondre leurs acteurs de manire introduire le lecteur dans un espace ambidextre o le principe didentit est

    soumis dincessants dommages.

    1La notion du discours relat telle quelle se trouve dveloppe dans les travaux de Jean Peytard et de Jacqueline Autier-Revuzremet en cause lunicit du sujet par lant. En sappuyant sur des dfinitions du dialogisme et de la polyphonie, le discours relatpr op os e un jeu valuatif introduit par le processus et le procd de la mise en mots du tiers-parlant. Etsi les mises en mots dutiers -parlant varien t selon les locuteurs , ces variations caractrisen t (par tiellement) l e locuteur. Toute mise en mots du tiers-

    parlant comme acte de discours relat comporte une attitude valuative de la parole relate. Jean Peytard, Syntagmes4, Annaleslittraires de lUniversit de Besanon, Belles Lettres, Paris, 1992.2Lucien Dllenbach, le rcit spculaire, Paris, Seuil, 1977, p.65. Son tude de la mise ne abyme se base sur de clbres passagesgidens tels que les Cahiers ,Narc isse et la Tentative.3Ibid, p. 65.

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    La rflexion que gnre la mise en abyme est un procd de surcharge smantique, autrement dit lnonc

    supportant la rflexivit fonctionne au moins sur deux niveaux : celui du rcit o il continue de signifier comme tout

    autre nonc, et celui de la rflexion o il intervient comme lment dune mta-signification permettant au rcit de

    se prendre pour thme.

    La notion de mise en abyme telle quelle est employe ici correspond, dun point de vue rhtorique, la

    figure du blason dans le blason la Gide. Cette figuration mtaphorique de la mise en abyme fait delle une valeur

    esthtique dont linterprtation smantique est dtermine lavance : miroir intrieur du rcit, mtaphore

    spculaire , etc

    Cependant, cette interprtation smantique de la mise en abyme ne recouvre quen partie la dfinition de celle-ci.

    Dun autre point de vue, la notion de mise en abyme scarte de lacception communment admise, elle se dfinit

    galement comme une technique de la narration qui rend compte des structures embotes du rcit. Et cest justement

    grce ces structures embotes que le rcit se laisse percevoir comme une srie de mta-rcits qui, en se

    rflchissant, se caractrisent par une quadruple proprit : de rflchir le rcit, de le couper, dinterrompre la

    digse, et enfin dintroduire dans le discours un facteur de diversification que cre la multiplicit des points de vue.

    Une narration mis en abyme

    Lucien Dllenbach cite les rcits relats et les rves comme tant les interpolations spculaires les plus

    caractristiques des noncs rflexifs. Sous cet angle, je propose danalyser le discours relat dans la perspective des

    niveaux dialogaux 4: lembotement des niveaux narratifs sorganise et se construit sur le principe mme de la

    technique de mise en abyme ; et le passage dun niveau dialogal un autre sarticule dans un mouvement de va et

    vient incessant, qui rend le reprage de ce passage extrmement difficile. Il est nanmoins possible, en sappuyant

    sur des exemples de discours relats, de reprer, dans les cas les plus complexes de la mise en abyme, des indices qui

    laissent perceptibles le changement du niveau dialogal. On peut citer quelques-uns : la ponctuation (guillemets,

    parenthses et i taliques), lapparition des personnages qui se traduit par lemploi des noms propres et des pronoms

    personnels, les temps verbaux etc.

    Lintrt port la technique de mise en abyme se trouve justifi par les effets de retour spculaire et de miroitement

    quelle produit dansNedjma ; les discours se reproduisent, senchevtrent et circulent dans un mouvement continuel

    4Par dialogal, on donne plus dextension au concept de niveau narratif que G. Genette dfinit : tout vnement racont par unrcit est niveau digtique immdiatement suprieur celui o se situe l'acte narratif producteur de ce rcit. Grard Genette,Fi gu res III, Paris, Seuil, 1972, p.238.Pour Genette, il n y a changement de niveau narratif que lorsque se manifeste le dbut ou la fin dun rcit profr par une instancede niveau diffrent. Je propose au contraire denvisager la lumire de ce concept le nsemble des changes discursifs (oraux oucrits), quelque discours quils appartiennent : pour moi, toute phrase est dote dun niveau dialogal que dterminent les

    instances de la communication (Schma des instances Cf. p )On ne confondra pas dia logal et dialogique : le second terme offre depuis Bakhtine, une signification prcise : Tout nonc estconu e n f onct ion de l'audi teur ; les discours les plus intimes sont, eux aussi, de part en part, dialogiques : ils sont traverss par

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    par lequel la parole exhibe sa propre activit fictionnante dans une mta-figuration de son propre fonctionnement.

    La mise en abyme5selon Butor est la capacit rflchissante du roman face au monde qui se trouve intgre dans le

    miroitement dune uvre dans luvre. Il existe chez Butor6un dispositif qui tend rflchir le monde (symbolisme

    externe) dans le roman (symbolisme interne). Contrairement Butor, Robbe-Grillet refuse lide du roman comme

    rencontre avec le monde. Il discrdite du coup le roman du romancier la manire de Gide que Butor a prolong par

    la suite. Robbe-Grillet veut que le rcit se dgage de toute histoire extrieure et concide essentiellement avec lui-

    mme. Le rcit doit rester aussi clos que possible : plus le roman se rflchit sur lui-mme, moins il risquera de

    reprsenter autre chose. Robbe-Grillet veut crer un effet de miroitement o luvre se rflchira indfiniment.

    Les conceptions de la mise en abyme se multiplieront notamment avec Jean Ricardou et Simon ; toutes laissent

    supposer que la mise en abyme na pas de critres dfinis. Seule la rflexivit du langage semble tre son point

    dpart et darrive. Mais n y a t-il pas de limite la rflexivit? Jusqu quel point peut-on envisager lautorfrence

    dans un texte littraire (notamment le Nouveau Roman), mme si ce dernier se donne comme ultime vocation la

    rflexivit ?

    En acceptant lide selon laquelle le Nouveau Romanrenverrait une certaine poque de la rflexion, il nchappe

    nullement son temps, pas plus que la mise en abyme ne romprait avec les procds littraires des autres pratiques

    signifiantes. Nest-il pas vrai que le texte autorfrent et notamment le Nouveau Romanrfre deux fois : la premire

    lui-mme et la seconde aux autres domaines tout en particulier au monde et la ralit quil reprsente malgr lui.

    Mme si les thoriciens du Nouveau Romanont tent de clore luvre littraire sur elle-mme ; par la ruse de lauto,

    le Nouveau Roman rejoint une problmatique extrieure lui-mme et dbouche par ses effets de mimesissur un

    ralisme dun niveau second, mais certainement pas secondaire.

    La mise en abyme reste, du moins pour ce qui me concerne, une technique narrative qui organise et structure

    lenchevtrement des discours ; au droulement linaire des vnements, elle propose une dmarche circulaire faite

    de renvois et de retours par lesquels la parole est sans cesse reproduite par diffrents nonciateurs (narrateurs). On a

    la vive impression que la circularit se produit par des effets de miroir et quil existe un lien de cause effet tablir

    entre la mise en abyme et la structure circulaire. La mise en abyme faonne, comme un moule gigantesque, toutes les

    units textuelles qui va du simple lexique jusquaux modes de figuration thmatiques et discursives. Et sil est

    question de rflexivit dans Nedjma, cest par lalchimie verbale de cette technique qui provoque inluctablement

    celle de tout le texte.

    les valuations d'un auditeur virtuel, d'un auditeur pote ntiel. Mikhal Bakhtine la structure de l'nonc InTzvetan Todorov,M. Ba kh tine , l e p ri nc ipe d ia lo giqu e. Ecri ts du Ce rc le de Bakh ti ne , Paris, Seuil, (potique), 1981.5Andr Gide, Journal 1889-1939, Paris, Gallimard, Pliade, 1948, p. 41. Cest probablement Andr Gide qui a dfini le premier lamise en abyme en comparaison avec le procd de blason qui consis te, dans le premier, en mettre un second en abyme. 6Michel Butor, le roman comme recherche In Essais sur l e roman , Paris, Ides/Gallimard, 1969.

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    Une nonciation polyphonique

    En recourant la mise en abyme, le rcit par ses effets de clture se rflchit et sauto-rfre. Ces effets de

    clture agissent comme un organe structurel, un principe dordre qui exclut toute centralisation narrative ; un cercle

    muni dune force centrifuge qui carte tous les lments du cercle. Le rcit dans sa circularit russit promouvoir

    une stricte quivalence entre ses units de manire tablir un rapport rsonant entre le contenu (sens) et la forme (le

    cadre dans lequel il se trouve construit). Le rcit se prsente dans sa totalit comme une structure de signification

    faisant de la circularit une esthtique caractrise par le brouillage et par la gradualit des formes. La circularit

    sorganise autour de la notion de discours en tant que parole : le rcit dans la perspective du dialogisme bakhtinien

    est transform en une parole foisonnante et hautement polyphonique.7

    Le schma ci dessus, permet de distinguer lnonciation externe du narrateur anonyme de lnonciation

    interne instaure par linteractivit des instances dialogales. Cette interactivit suggre les possibles combinatoires

    qui peuvent se raliser la seule condition de permettre au jeu de voix multiples de rsonner dans le rcit de manire

    simultane ; cest ce quon nomme habituellement polyphonie 8. Lnonciation externe est prise en charge par le

    narrateur anonyme : seule voix qui mme en se mlant aux narrateurs-personnages nest ni agent ni protagoniste des

    vnements. Cest pourquoi, le schma imbrique dans un sens unique le ple de lnonciation externe : le narrateur

    anonyme va sintroduire dans le ple de lnonciation interne pour encadrer ou relater des vnements ; alors que les

    narrateurs-personnages ne ralisent pas son existence fictionnelle. Et cest justement cette distance provoque par le

    7Tzvetan Todorov,M. Bakh ti ne , l e p ri nc ip e d ia lo gi que. Ec ri ts du Ce rc le de Ba kh tine , Paris, Seuil, (potique), 1981.8Rappelons que la notion de polyphonie est lie la thorie du dialogisme bakhtien ; les travaux de Bakhtine dont Ducrot sinspireet se dmarque poursuivent le mme objectif : mettre en doute lunicit du sujet parlant cest dire lnonciateur.Les deux notions de polyphonie e t dnonciation sont troitement lies depuis les t ravaux de Mikhal Bakhtine. Il est question depolyphonie ds lors quon peut admettre, que dans le mme discours, sexprime une pluralit de voix : celle des nonciateurs. Lapolyphonie se ralise dans le discours relat mais ne sy rduit pas.

    E

    3

    E

    4

    E 1 E 2E 0

    Enonciation externeEnonciation interne

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    narrateur anonyme qui a dfini lnonciation en deux ples : une nonciation interne et une autre externe. Les effets

    de polyphonie sont plus denses lorsquil sagit de lnonciation interne qui met en scne, pour rflchir lintrigue,

    quatre nonciateurs dont les discours sembotent et reproduisent un mme nonc. Les discours relats

    correspondent aux mta-rcits des narrateurs ; la ritration dun mme discours le rend invitablement autre et

    diffrent. Par le jeu daltrit, le sens est la fois un et multiple. Le discours relat cre une pause dans la syntaxe

    narrative permettant le passage de lignorance la connaissance qui selon Aristote dfinit la reconnaissance. Vu sous

    cet angle, le discours relat constitue un retour sur la connais sance puisquil propose une re -connaissance.

    Dans le rcit, ces instances dialogales sidentifiant aux diffrents narrateurs peuvent tre schmatises

    comme suit : Niveau 0 (scripteur lecteur), niveau 1 (narrateur anonyme9 lecteur), niveau 2 (narrateur 1

    narrateur2), niveau 3 (narrateur 2 rapportant les paroles de n1lecteur), niveau 4 (narrateur 3 rapportant les propos

    de n2 qui rapporte les paroles de n1) lecteur, niveau 5 (narrateur 3 rapportant les propos de n2 qui rapporte les

    paroles de n1) narrateur 4 lecteur. Ces niveaux ne sont pas non plus explicitement reprsents quon le laisse

    supposer ; il est pour cela judicieux de considrer des niveaux intermdiaires (1-2), (2-3) (1-3) qui multiplient les

    combinaisons nonciatives et structurent la rflexivit en tant que technique et thmatique de la circularit. Le fait de

    considrer que tout discours est virtuellement dialogal va permettre de poser plus clairement les problmes lis au

    dialogue dans le rcit enchss ; il n y a plus "dialogue" mais rcit niveau 1, 2, 3 o toute lnonciation se trouve

    structure par la technique de mise en abyme que Lucien Dllenbach dfinit comme : tout miroir interne

    rflchissant lensemble du rcit par rduplication simple, rpte ou spculaire. 10Ce rflchisssement quimplique

    la mise en abyme concerne autant lnonc que lnonciation. Mais du point de vue de lnonciation, ses incidences

    ne sont pas uniquement formelles ; elles agissent en se rflchissant sur la thmatique. En proposant ses propres

    stratgies nonciatives, la mise en abyme ncessite une redfinition du statut du personnage-narrateur, agent de

    lnonciation, celui-ci sannonce comme une voix interne auquel auteur ou narrateur cde temporairement la

    place11. Ce segment prend la valeur dun mta-rcit rflexif qui se caractrise par sa quadruple proprit de rflchir

    le rcit, de le couper et dinterrompre la digse. Cette interruption se manifeste par lavnement dun temps et/ou

    dun lieu sans rapport de contigut avec ceux du rcit premier. Le mta-rcit se distingue comme autant dnoncs

    rflexifs mtadigtiques qui ne visent pas smanciper de la seule tutelle narrative du rcit. Ils se contentent, en

    passant un niveau suprieur de la narration [niveau 2 (narrateur 1 narrateur2], de rflchir le rcit et de ne

    suspendre que la seule digse.

    Lnonciation comprise comme lvnement historique que constitue lapparition de lnonc dfinit la polyphonie comme untype dnonciation comportant plusieurs nonciateurs. Lnonciation polyphonique na pas de tutelle mais se ralise dans laplurivoci t des voix.9Le narrateur anonyme est la seule voix qui mme si elle se situe lintrieur de la trame textuelle, est en ralit extrieure auxvnements du rcit. Cette voix a plutt le statut dun "aiguilleur" qui viendrait remettre les pendules lheure.10Lucien Dllenbach, Rcit spculaire, Paris, Seuil, 1977, p. 61.

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    Une technique narrative identifiable dans le discours relat :

    partir des exemples du discours relat, jessaierai de dcoder puis de schmatiser les diffrentes formes de

    la mise en abyme nonciative dont les composantes essentielles sont les narrateurs-nonciateurs et les donnes

    spatio-temporelles. La mise en abyme, considre dans sa valeur structurelle dembotement, peut se dfinir comme

    une chelle qui propose les diffrentes ralisations nonciatives par degrs. Degrs qui correspondent aux diffrents

    niveaux du discours relat. Parmi les formes de la mise en abyme, on distingue entre celles qui agissent sur les

    discours monologus et celles qui concernent les discours dialogus. Dans les premiers, les nonciateurs proposent

    une parole tierce, indicible, quils mlent leur propre monologue ; dans cette perspective, le monologue fait tat

    dune analyse qui intgre un point de vue. La distanciation est moins marque car lnonciateur implique toute sa

    subjectivit. Les discours dialogus, plus frquents, introduisent de manire explicite dautres discours sous la forme

    dun dialogue qui, en renversant lordre des pisodes de la narration, dfinit un parcours d-chronologique 12des

    vnements. Ces discours dialogus, tout en ladoptant, proposent diffrents degrs de la mise en abyme nonciative.

    Ce sont ces degrs que je propose prsent de schmatiser et danalyser.

    Monologues autonomes ou discours monologus

    Le discours monologu, le plus souvent mis en italique ou se revendiquant comme tel, prsente, lintrieur

    dun espace textuel, un discours qui se rflchit. Et si on devait constituer un corpus des monologues dans le texte

    Nedjma, on citera essentiellement ceux de Nedjma, de Mustapha et de Rachid. Ces monologues rsonnent dans le

    texte et tissent entre eux un rseau de signes susceptibles de les rvler la fois autonomes et intimement lis au

    reste du texte. Les discours monologus dans Nedjmaapparaissent sous diffrentes formes ; ils peuvent tre insrs

    dans la squence ou dtachs quand ils remplissent entirement lespace de celle-ci. Ce dernier type de monologue se

    veut autonome et libr de toute tutelle narrative. Ainsi, le monologue de Nedjma est insr ; au contraire ceux de

    Rachid et de Mustapha sidentifient comme des monologues autonomes. 13. Claire Stolz, traitant justement de la

    polyphonie dans des discours relats de nature monologale et dialogale, dfinit le monologue autonome comme :

    un discours libr de lemprise du narrateur. On insiste par-l sur la

    particularit linguistique qui les dfinit bien comme librs de linstance narrative,

    11Ibid. p. 71. Le rcit enchss agit sur deux niveaux : nonc et nonciation. Au niveau de lnonciation, il met en marche lemcanisme du discours relat construit sur le principe de la technique de mise en abyme.12Je pense la notion de d-chr ono log ie dans un rap por t analog iqu e avec la not ion de d-forme telle quelle se trouve dfinie parJean Peytard. Jean Peytard, Syntagmes 2 , Annales littraires de luniversit de Besanon, les Belles Lettres, Paris, 1979, p. 291.Mais alors que la d-forme selon Jean Peytard suppose etsignale le geste et le rsultat du travail accompli sur une forme dj une

    premir e fo is donne , la d-chronologie ne suppose pas de chronologie premire, elle suggre nanmoins son existence sous-tendue par le texte. Une existence qui se ralise par le geste et le rsultat dun travail qui consiste rassembler tous les represchronologiques disposs sur la surface du texte.13Claire Stolz,La po ly ph on ie da ns Be ll e d u S ei gneu r d A lb er t C ohen Pour un e a pp ro che s m iost yl is tiqu e, Paris, HonorChampion, 1998, p. 29.

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    tout en ne ngligeant pas les relations troites- autonomie nest pas indpendance-

    qui lient ces monologues et le reste du texte. 14

    Cette dfinition, Stolz la formule en puisant dans lhritage de Genette qui a substitu la terminologie

    traditionnelle du monologue intrieur celle du discours immdiat ; celui-ci se diffrencie par sa complte

    mancipation de toute instance narrative :puisque lessentiel, comme il na pas chapp Joyce, nest pas quil soit

    intrieur, mais quil soit demble (...) mancip de tout patronage narratif quil occupe dentre de jeu le devant de

    la scne.15

    En fait ces monologues autonomes/immdiats deviennent le foyer de cette polyphonie nouvelle dun texte

    littraire dbarrass du poids dune tradition qui a fait du monologue une rflexion intrieure supporte par la voix du

    narrateur/scripteur. Vritables traces du scripteur dans le texte narratif, les monologues autonomes utilisent la

    polyphonie pour tisser un rseau de liens nonciatifs ne pouvant se lire quen filigrane de la narration. Nedjma

    illustre bien cette polyphonie discursive o monologues insrs, autonomes et discours dialogus rsonnent et se

    caractrisent dans une mme logique narrative : celle du discours relat.

    Constitution et analyse des discours monologus

    Sont rpertoris comme monologues autonomes les discours de personnages prononcs ou non, mais

    nayant dautres destinataires dans le cadre de la fiction que le locuteur lui-mme, et totalement dgags de lemprise

    du narrateur. Il peut arriver que le monologue prononc voix haute soit reu par un destinataire non prvu par le

    locuteur (on pense notamment au monologue de Rachid lorsque Nedjma se baignant sur les terres du Nadhor en

    prsence dun ngre -mi-rel/mi-imaginaire- qui se serait trouv probablement proximit de Rachid).

    Gnralement, les monologues autonomes sont nettement isols du reste du rcit par la typographie : ils

    occupent soit lespace de la squence16dans son intgralit, soit, ils ne partagent quen partie lespace discursif de la

    squence en smancipant de la tutelle du narrateur anonyme. Ils usent, pour marquer leur isolement, de guillemets,

    ditaliques et/ou de parenthses, cest ce que Jacqueline Authier-Revuz nomme les expressions guillemetes ou

    paroles tenues distance17. Mais certains passages, bien que simulant laspect structurel des monologues

    autonomes par leur longueur et/ou libert de propos, ne se dfont pas de la tutelle du narrateur anonyme. Celui-ci se

    charge dintroduire le monologue cit entre guillemets, tout en encadrant par des pauses descriptives, les attitudes de

    celui dont il rapporte le monologue. Le maintien des signes typographiques, dans ce type de monologue fait quils

    fonctionnent comme de vrais repres nonciatifs ; ils soulignent la rupture dans la suite narrative. En fait, ces signes

    typographiques marquent un dcrochage nonciatif, une lecture interactive18dirait Bakhtine qui permet dinterprter

    14

    Ibid. , p. 29.15Grard Genette,Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 193.16La squenc e corresp ond, dans le rcitNed jma , lespace tex tue l du sous-chapitre tel quil se trouve dlimit par lauteur.17Jacquelin e Authier-Revuz, Paroles tenues dista nce InMtarc its d iscurs ives , Presses Universitaire de Lille, pp.127-142.18Tzvetan Todorov,M. Bakh tine , l e p ri nc ipe d ia lo giqu e. Ecri ts du Ce rc le de Bakh ti ne , Paris, Seuil, (potique), 1981.

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    rtroactivement le monologue, en dpit dune structure narrative droutante, puisque le monologue cre des ruptures

    avec le reste de son espace cotextuel. Ainsi, il est juste de rpertorier deux genres de monologues : les premiers sont

    librs de la tutelle du narrateur anonyme et les seconds mmes sils sont plus en moins isols du reste du texte, se

    trouvent insrs, subissant lemprise du narrateur anonyme.

    Celui de Nedjma N21/21 (p. 67)F

    monologue insr.Celui de Mustapha N22/39 (p. 72)Fmonologue insr.N23/107 (p. 79) Fmonologue autonome.N 71/108 (p. 185)Fmonologue autonome.

    Celui de Rachid N 37/23 (p. 105) Fmonologue insr. (ressemblance analogique avec le discoursdu narrateur anonyme dans N 36/22 (p. 104).)

    N51/89 (p. 135) Fmonologue autonome.N52/90 (p. 138) Fmonologue autonome.N 56/85 (p. 155) Fmonologue insr.N100/58 (p. 246) Fmonologue insr.

    chaque narrateur/personnage son moment de discours monologal. Seul le narrateur anonyme ne soffre

    pas le privilge narratif dinscrire son empreinte rflexive dans le rcit, sauvegardant par-l son statut dobservateur

    au regard neutre. Cependant, les monologues rpertoris ne sont pas tous librs de linstance narrative du narrateur

    anonyme ; seuls les carnets de Mustapha et les monologues de Rachid semblent se librer de toute tutelle narrative.

    Aucune marque du narrateur anonyme ne sinsre dans ces deux monologues, ce qui leur octroie une certaine

    autonomie. On relve cependant une lgre ambigut dans le monologue de Rachid la squence N52/90 qui dbute

    par la phrase suivante : Quelle belle journe, quelle magnifique coin de ciel ! Cette phrase, quelque peu dtache du

    reste du texte, laisse en suspens lidentification du locuteur ; le je de Rachid napparat que suite cette phrase

    nominale. Sagit-il dune exclamation de Rachid ? Cest possible mais on peut galement supposer que cest une

    description donne par le narrateur anonyme. Par ailleurs, et sagissant de la mme squence, on relve galement un

    passage du monologue au discours relat : ce glissement se passe la fin du monologue :

    (...)Tant que vous ntes ni le rival ni la victime, faisons donc la conversation, car bien

    que je naie pas la parole facile, il y a longtemps que ma langue remue comme un difice

    infest de dragons ! (Ned p. 141)

    Le dbut du discours relat :

    Mais je comptais sans les mfaits physiques de l'herbe... Mes propos s'effritrent sansplus de rsonance, et quant linterpell, supposer qu'il m'et confusment entendu, il

    n'en continuait pas moins son somme et ses soubresauts, si bien que je quittai ma

    position, honteux d'avoir ainsi gch ma journe. Si Mokhtar, dont le visage tait

    incontestablement roux, me considra en jurant qu'il irait passer ses derniers jours dans

    la solitude, plutt que d'assister l'parpillement de nos cervelles.

    Est-ce ma faute ? dis-je, et faut-il que je m'crase au moindre de mes actes, comme un

    barbare gratifi d'un avion ? Si tu ne m'avais mis en prsence de Nedjma, tu ne

    tremblerais pas chacune de ses disparitions...

    Et toi, je te croyais plus nergique. Si tu n'tais pas

    toujours en train de chanter...(...) (Ned p. 142)

    Lutilisation des monologues autonomes nest pas un fait courant ; en effet, un grand nombre de

    monologues est insr au milieu des squences, lintrieur dun entourage textuel.

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    Fatima Zohra LALAOUI 9

    N21/21: Nedjma s'en prend ensuite un moustique, avec un mouchoir dont elle s'venteen mme temps ; puise, elle s'assoit mme le carrelage ; son regard plonge dans

    l'ombre ; elle entend remuer la broussaille ; ce n'est pas le vent . Les seins se

    dressent. Elle s'tend. Invivable consomption du znith ; elle se tourne, se retourne, les

    jambes replies le long du mur, et donne la folle impression de dormir sur ses seins.. . Remonter la terrasse ? Trop de curieux... Trop de connaissances dans lestramways... Quel maladroit ! Les fru its ont fail li tomber. I l avait les mains blanches,les ongles sales... Agrabl e, sans cette tai l le de chimpanz... Pas d' ici , videmment.

    Chasspar sa fam i ll e ? Cette faon d'conomiser sa barbe... Si Kamel savait que j 'aidonncent fr ancs un commissionnair e ! ...Pourquoi l' ai-je fait au juste ? Pourl'loigner... Je l ' imagin ais dpensant la somme dans un mauvai s li eu... Je ne devrai spas sorti r ... Une ide fol le suff ir ait ... Un voyage... Tout r ecommencer... Sans se conf ier

    un homme, mai s pas seul e comme je le suis... I ls m' ont isole pour mieux mevain cre, isole en me mar iant. .. Pui squ' il s m' aiment, je les garde dans ma pri son... la longue, c'est l a pr isonn ire qui dcide... Nedjma reste tendue, alors que sa mre,

    Lella Fatma, aide par des visiteuses que la jeune femme ne daigne pas recevoir,

    prpare le repas ; Nedjma rpond par des grognements aux questions de Kamel ; elle

    traite ordinairement son homme avec une gentillesse charge d'ironies qu'il prend pour

    des reproches. (Ned p. 64)19

    Le dtachement et lisolement marqus de ces passages nimpliquent pas ncessairement leur autonomie. La

    situation de dpendance du discours du personnage par rapport celle du narrateur est trs nette. Le monologue est

    en fait relat par le narrateur qui cette fois -ci nest plus le personnage lui-mme. Les passages relevs montrent

    lembotement de deux situations dnonciation, celle du discours cit et celle du discours citant. 20Du point de vue

    de lactualisation, les deux discours sont tout fait indpendants ; en revanche, le discours cit reste thmatiquement

    li au discours citant puisque ce st lui qui permet de reconnatre le locuteur du discours cit avant mme quil prenne

    la parole. Telle est la diffrence entre des monologues insrs et des monologues autonomes. Ces derniers se veulent

    librs de toute autorit narrative extrieure ; quant aux monologues insrs, ils acceptent plus facilement la tutelle

    dun autre narrateur qui les introduit.

    Une question me proccupe nanmoins : les monologues autonomes sont-ils vraiment librs de lemprise

    du narrateur anonyme ? Si unjeapparat dans le discours, renvoie-t-il toujours au sujet qui la produit. Ou bien cache

    t-il une autre instance nonciative ? Par exemple, celle du narrateur anonyme, de larchi-narrteur ou tout simplement

    celle du scripteur qui, en pntrant lintriorit du personnage, fait un travail dexorciste et lamne rvler ce quil

    garde en silence. Si on adhre cette dernire explication, toute lnonciation ne serait quune parole tierce. Et mme

    si, lintrieur de la fiction, on accepte les simulations ludiques de la narration, il en est autrement lorsquon pense

    raliser son examen. Pour cela, on prfre - djouer le paradoxe en attribuant lensemble des monologues suscits

    le statut de discours monologus -relats. Mme le monologue dit-autonome de Rachid squence 37/23 sapparente,

    dans une parfaite analogie locutoire, au commentaire du narrateur anonyme situ dans la squence N36/22.

    N36/22 Elle vint Constantine sans que Rachid st comment. Il ne devait jamais lesavoir, ni par elle, ni par Si Mokhtar. La rencontre de Rachid et de l' inconnue avait eu

    lieu dans une clinique ou Si Mokhtar avait ses entres... (Ned p. 105 )

    19Le texte en gras est en italique dans le texte.

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    Fatima Zohra LALAOUI 10

    N37/23 Elle vint Constantine je ne sais comment, je ne devais jamais le savoir. Elletait debout. , sombre et distraite, dans le sa lon d'une clinique o Si Mokhtar avait ses

    entres (ayant t l'ami d'enfance du mdecin qui tait maintenant conseiller gnral),

    (...) (Ned p. 105)

    Par ailleurs, lemplacement "dtach" des monologues dits autonomes la fin du rcit (celui de Mustapha

    N23/107 et N71/108/ et celui de Rachid N51/89 et N52/90) dnote une esthtique de la chutequi introduit dans le

    vertige de la narration une descente de plus en plus profonde dans lunivers psychique du personnage-narrateur. Les

    monologues autonomes rvlent les caractristiques dune criture qui fait rsonner plusieurs moteurs narratifs ; le

    narrateur anonyme nest pas seul tuteur du texte. Il perd peu peu son autorit et sa tutelle sur le texte au point o

    lintrieur de celui-ci, il se voit hors circuit, mis lcart, il entend sans pouvoir intervenir, le discours de ces

    monologues autonomes : de vritables discours sur son propre discours, et cest justement dans ce sens quon

    considre les monologues autonomes de Mustapha comme une rflexion sur le discours. Rflexion qui va se

    rpandre sur lensemble du rcit ; lexemple des carnets de Mustapha qui, par leur criture fragmente (Mustapha

    commente plusieurs vnements et faits dans lespace dune seule squence) correspondent diffrents endroits du

    rcit et font chos avec celui-ci au point o lautonomie des monologues se dissout au service dune polyphonie

    globale :

    Carnet de Mustapha

    Le nombre des ivrognes est grand, en juger par les assiettes d'escargots qui

    jonchent les comptoirs ; qui boit dne ; les Bnois ont le vin mauvais ; ils ont le coup de

    tte empoisonn, mais leur football est en dcadence ; ils sont pleins de contradictions !

    Ils trichent aux cartes, et pleurent au cinma. C'est l'influence raffine de la Tunisie quiest cause de tout cela... J'ai vu Mourad au caf. J'coutais un disque d'Osmahan, la

    Libanaise morte dans une auto... Mourad hochait la tte, prt pleurer. Mourad m'aime

    comme un frre ; il m'offre sa chambre Beausjour... Jamais je n'oserai habiter si prs

    de Nedjma. (...)

    ..

    Mon pre ne se remettra pas de son kyste au poumon. Il agonise l'hpital de

    Constantine. Ma mre a perdu la raison. Elle est rfugie avec mes deux petites surs,

    dans la ferme d'un oncle ; je suis le seul espoir de la smala ; mon seul protecteur Bne

    est un marchand de beignets ami de mon pre. (...)

    Je pense mes surs, entre la folle et le tuberculeux. Il expire Peut-tre cette

    minute prcise. Au fond de la boutique gt un rasoir ; pour un peu, la tte roule mes

    pieds, la tte du marchand... N'y a-t-il que le crime pour assassiner l'injustice ? Mre, je

    me dshumanise et me transforme en lazaret, en abattoir ! Que faire de ton sang, folle,et de qui te venger ? C'est l'ide du sang qui me pousse au vin... Le suicid qui se relve

    ne connatra plus l'illusion de mourir. Toilettes d't...(...) (Ned p. 79 )

    La rdaction de ces monologues fusionne avec le reste du rcit ; on nassiste pas une viction de la

    ponctuation comme le montre lanalyse de Stolz21. La ponctuation dans ce type de monologues assure une

    20La dnomination du discours cit dans un roman est comprise dans le sens d'un discours trait comme une citation.21Lanalyse de Stolz attribue aux monologues dAlbert CohenBe ll e d u s ei gn eu r, la caractristique davoir supprim la syntaxe :lviction de la ponctuation donne le sentiment de continuit interrompue du flux verbal. Alors que dansNedjma, le caractre des

    monologues autonomes respecte la ponctuation : les carnets de Mustapha sont le fait dun monologue pens et transcrit. Quant ceux de Rachid, i ls sont le produit dune rflex ion. Le flux verbal mme sil contient, par rapport aux autres discours, une valeursuprieure d'oralit, ne donne pas limpression dune spontanit locutoire. Ils sont luvre dune longue rflexion, et parconsquent ncessitent plus dorganisation logique de la pense.On na plus affai re des monologues plus intimes, proches de linconscient, mais des discours rflchissant la pense logique.

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    homognit sans faille avec le reste du rcit. Ce qui conduit dire quil nexiste pas vraiment de monologue

    autonome dans Nedjmaselon la dfinition de Stolz car si le monologue en question nest plus celui du narrateur

    anonyme, il sinscrit dans la dynamique nonciative dun nouveau narrateur : celle du personnage-narrateur. En fait,

    on prfre remplacer la terminologie monologues autonomes par discours monologus-relats. Ce qui diffrencie

    cette dnomination de la premire cest le fait de considrer un monologue dit autonome (libr de la tutelle du

    narrateur anonyme) comme un discours en fait sous lemprise dune autre instance narrative (ici les personnages

    Rachid et Mustapha). Car ces derniers se chargent, au mme titre que le narrateur anonyme, de la narration. Ce qui

    les amnent incontestablement exercer une autorit rflexive sur leur propre intriorit. Le mta-rcit du

    narrateur/personnage efface puisquil intgre ses propres paroles. Les monologues de Rachid et de Mustapha

    apparaissent plus comme des rflexions sur des monologues non exprims et dont les traces sont perceptibles la

    surface de leurs discours quils se chargent eux-mmes de relater. En somme, ce qui diffrencie cette nouvelle

    dfinition du monologue de la premire cest particulirement le caractre rflexif (pens puis dit/ pens puis crit),

    organis du monologue. Stolz considre le monologue autonome comme un espace verbal spontan : libration

    inconsciente de la pense (pens et dit/ pens et crit). Dans ce cas ni le narrateur anonyme ni mme le personnage-

    narrateur nont demprise sur le flux verbal. La ralisation des discours monologus autonomes dans Nedjmase

    droule autrement ; mme si on admet une certaine autonomie fictionnelle, ils se ralisent comme une parole

    reproduite.

    la fois personnages et narrateurs, Rachid et Mustapha prennent le relais du narrateur anonyme, ils

    sengagent au mme titre que celui-ci la mise en uvre de la narration. A la fois auteurs et acteurs de la narration,

    leurs monologues sont traverss par deux ancrages nonciatifs :jeparle de je(rflexion sur le discours) et jeparle

    lui-mme (forme lmentaire du monologue). Le schma de ces ancrages nonciatifs propose un monologue deux

    niveaux qui, embots, dessine la premire forme de la mise en abyme :

    Ainsi, le ddoublement identitaire de celui qui parle dans celui dont on parle ou plus simplement

    lembotement de A locuteur dans le A' narrateur propose la premire forme de la mise en abyme quon peut qualifier

    de : mise en abyme monologale embotement simple. Dans cette forme de mise en abyme monologale, les rfrents

    de lactualisation sont obscurcis : on sait que cest un "je" qui parle mais qui ne sent aucune ncessit de se prsenter

    puisquil ne parle personne dautre qu lui-mme ; do la difficult didentifier ce locuteur. Lautorfrence

    A' A'

    A A

    A' : narrateur parle de lui-mme.A : locuteur parle lui mme.

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    centre ce message totalement sur lui-mme, ce qui rend lidentification du locuteur difficile pour le lecteur. Dautant

    plus que le principe mme du monologue est de simuler une situation nonciative non-actualise ; dfinir un schma

    de communication qui nimplique aucun destinataire.

    Dans ce type de discours, le lecteur a besoin de plus dinformations pour identifier le locuteur. Pour cela, il cherchera

    des indices soit par auto-dsignation du locuteur, soit par le cotexte. Lidentification par le biais du cotexte est la plus

    frquente. Elle utilise trois types dindices : la liaison thmatique, les rfrences anecdotiques des passages

    antrieurs du rcit et la reconnaissance de lidiolecte du personnage. Le lien thmatico-narratif constitue la piste la

    plus vidente suivre par le lecteur. Celui deNedjmaa besoin galement dindices chronologiques susceptibles de le

    guider dans son processus didentification puisquune lecture linaire dun rcit circulaire ne rend pas toujours

    compte des agents de la communication interne chaque squence. Les squences ne se suivent pas

    chronologiquement certes, mais elles laissent dfiler de manire perceptible des repres chronologiques qui

    permettent de retracer, de reconstituer les pisodes de la narration. titre dexemple, la squence N52/90 montre que

    lidentit du "je" de Rachid est apprhende par son contexte ; le lecteur a runi travers des squences antrieures

    des informations indiquant que Rachid allait organiser le rapt de Nedjma et la conduire, avec laide de Si Mokhtar,

    sur les terres du Nadhor :

    N52/90 : Quelle belle journe, quel magnifique coin de ciel ! Je me souvins de mon

    aventureuse enfance ; vrai ; j'tais libre, j'tais heureux dans le lit du Rhummel ; une

    enfance de lzard au bord d'un fleuve vanoui. Encore mu des chants briss de monenfance,j ' aurais voul u tradu ire la cratu re que le ngre dvorai t des yeux ce

    monologue des plus f ous : Pourquoi ne pas tr e reste dans l' eau ? Les cor ps desfemmes dsires, comme l es dpou i l les des vipres et l es par fums volati ls, ne sont pasfai ts pou r dprir , pou r r i r et s'vapor er dans not re atmosphre : f ioles, bocaux etbaignoi res : c' est lque doivent du rer les f leurs, scin ti l ler les cail les et les femmess'panouir , loi n de l' ai r et du temps, ain si qu' un cont in ent englout i ou une pavequ' on saborde, pour y dcouvr ir plu s tard, en cas de survie, un ul time trsor. E t quin' a pas enfermson aman te, qui n' a pas rvde la femme capable de l 'attendre dansquelque baignoi re idale, inconsciente et sans atour , af in de la r ecueil li r sansf ltr issur e aprs la tourmente et l ' exi l ? Baigne-toi , Nedjma, je te promets de ne pascder la tr istesse quand ton charme sera dissous, car i l n ' est point d' attr ibuts de tabeautqui ne m' aient r endu l 'eau cent f ois plus chre ; ce n' est pas la f antai sie qui mefait prouver cette immense af fection pour un chaudron. J 'aime aveuglment l ' objetsans mmoi re o se chamai l lent l es dern iers mnes de mes amour s. Plaise au ci el que

    tu sortes lave de l 'encr e gr ise que seul e ma natu re de lzard impr ime in justementdans ta peau ! Jamais amant ne fut ai nsi accu ljusqu'dsirer l a dissoluti on de tescharmes... En vrit, suis-je cet amant ? J' ai hon te d' avouer que ma plu s ardentepassion ne peut survivre hors du chaudr on, (...) Mais je ne pouvais rien dire de celadevant Nedjma, me contentant de l'noncer voix basse, murmurant pour moi-mme le

    peu de mots capables de suggrer le mystre de pareilles penses... (...). (Ned p. 138)22

    Lidentit du locuteur nest pas mentionne, seule la premire personne du singulier sert de

    rfrence : le locuteur ne sauto-dsigne pas, il se contente uniquement de se rflchir en ritrant autant

    quil veut loccurrence du "je". Dans les monologues de Rachid et de Mustapha, le "je" du locuteur

    sefface en faveur de son autre identit : celle du narrateur. En se ddoublant, il se prsente la fois

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    Fatima Zohra LALAOUI 13

    comme personnage et narrateur dans une structure en abyme. En somme, la structure interne de ces

    monologues montre que la polyphonie conue comme technique nonciative dans le rcit rsonne non

    seulement entre les squences mais lintrieur mme dun espace discursif qui se dclare comme

    monologal. En effet, le monologue prsente la double particularit dtre la fois unificateur et

    polyphonique. Unificateur parce que ce jereprsente toujours le mme personnage et polyphonique, parce

    que ce je fait parler les diffrentes voix du mme personnage et les amne rsonner avec dautres voix

    (personnages et/ou narrateurs) du rcit.

    Les discours dialogus

    Le discours dialogu relat se sert dans son criture dun style direct pour produire leffet du dialogue. Le

    nombre lev des pronoms personnels se reconnat aux valeurs quantitatives ; lemploi frquent et prpondrant de

    ces catgories dtermine une valeur rfrentielle dans le rcit :

    pronoms frquence pronoms frquenceil 1135 nous 214son 1015 moi 118se 1001 vous 111

    je 734 tu 103elle 339 ton 68me 329 te 56mon 292 eux 29ils 243 toi 28on 237 elles 17

    Le rfrent "il" dsigne tout locuteur qui ne prend pas la parole directement : "il" se prsente comme un

    sujet relat par une autre instance nonciative. La structure du discours qui lintgre va emboter deux, trois et quatre

    sujets et les amener partager un mme espace discursif. Le premier niveau du discours relat est structur sur une

    forme simple de mise en abyme : un nonciateur parle de deux personnages, il relate les vnements qui leurs sont

    lis sans les mettre en " dialogue". Cette forme de mise en abyme ressemble celle du monologue ; tous les deux

    intgrent les vnements. Alors que le monologue implique une rflexion subjective, le discours dialogu se contentede relater les vnements :

    22Le texte en gras est e n italiq ue dansNedjma .

    rapporte les propos de ...

    arle ...

    A B

    C

    Mise en abyme embotement simple

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    Trop de choses quejene sais pas, trop de choses que Rachid ne m'a pas dites ;i ltait arriv dans notre vil le en compagnie d'un vieillard nomm Si Mokhtar, qu'il traitait

    le plus familirement du monde ; Si Mokhtar aurait volontiers parl n'importe qui, si

    Rachid (on savait seulement qu'il s'appelait Rachid), (...). (Ned p. 91)

    Cette structure correspond la forme simple de la mise en abyme : A= je, B= il (rfrant Rachid) et C=il

    (rfrant Si Mokhtar). Le "je" nonciateur nest pas identifiable lintrieur de cette seule squence ; la

    contextualisation de celle-ci est ncessaire. Ici apparat limpasse qui consiste considrer la squence comme un

    champ clos ; le texte se dfinit comme un tout indissociable.

    Une autre forme de mise en abyme embotement double complexifie la structure du discours ; celui-ci

    prsente deux co-nonciateurs (je1 et je2) rfrant Mourad et Rachid. Tous deux rapportent le discours tierce de

    Si Mokhtar (disait-il). La mise en rapport dialogu de Mourad et de Rachid est ralise par une criture mimant le

    style direct et le dialogue. Lnonc pousse percevoir le second "je2" sidentifiant Rachid comme un "il" puisque

    Mourad "je1" rapporte les paroles de Rachid mme si la forme du discours feint la structure directe. Le "il" avou,

    dans la structure nonciative est le troisime nonciateur dont la parole se trouve tre prise en charge par deux co-

    nonciateurs : Mourad et Rachid qui, sans se confondre, ralisent un glissement nonciatif qui permet au "je"

    ddoubl de ritrer un mme contenu nonciatif ; ce qui permet davoir deux visions dune "mme" information. Le

    "mme" devient autre ds lors quon le prte un second nonciateur.

    N 33/51 : Onne pouvait douter que Rachid ne ft en plein dsarroi ; il fumait, nedormait gure qu'une nuit sur deux, veillant ou vagabondant seul ou en ma compagnie,

    carjem'attachais lui autant qu' Mustapha, mais sans pouvoir encore les runir dansune mme amiti. Quant Rachid, s' i lme parlait (paroles fivreuses, clats de voix

    suivis de mornes silences), c'tait toujours comme regret. Je commenais sentir nos

    relations se tendre tout en se renforant ; il simulait maintenant le calme ; mais il

    maigrissait de jour en jour, devenait tout fait taciturne ; (...) et m'efforant de ne pas

    alerter Mustapha tapi contre le mur, imperturbablement assoupi, et qui s'en allait

    chaque matin de trs bonne heure, comme redoutant la contagion, ou pressentant que

    Rachid allait me confier quelque chose au rveil. ..Comprends-tu ? Des hommes comme ton pre et le mien... Des hommes dont le

    sang dborde et menace de nous emporter dans leur existence rvolue, ainsi que desesquifs dsempars, (...) Le vieux bandit ! I lme l'avait dit bien avant, bien avant notredernier sjour dans cette ville, o il me suivait sans en avoir l'air, sachant que je

    cherchais sa fille prsume, Nedjma, qu'il m'avait prsente lui-mme ; mais il m'avait

    [ e

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    Fatima Zohra LALAOUI 15

    parl auparavant, par bribes, toujours par bribes, comme lui seul peut parler: ...Je

    me demande ce qui a bien pu natre des nuits d'antan, disait-il ; les nuits d'ivresse et de

    fornication ; les nuits de viol, d'effractions, de corps corps de ville en ville ; dans lescouloirs et sur les terrasses ; aux salons des entremetteuses... Le chur des femmes,les femmes sduites et dlaisses, i lne croyait pas en avoir oubli une seule, ne passant

    sous silence que celles de notre propre famille, car Si Mokhtar descendait comme moi del'anctre Keblout ;i lme le rvla plus tard, alors que nous voguions ensemble sur la

    mer Rouge, aprs avoir fauss compagnie aux plerins de La Mecque... (...) ... Ce qui

    m'chappe, disait-il, c'est l'engeance, l'engeance vengeresse de toutes les amantesinduites en erreur, femmes maries dont j'tais le second poux juste le temps de

    bouleverser la chronologie du sang, pour abandonner un terrain de plus la douteuse

    concurrence des deux lignes celle de la tradition, de l'honneur, de la certitude, et

    l'autre, ligne d'arbre sec jamais sr de se propager, mais partout vivace en dpit de son

    obscure origine... (...) il cherchait en vain des tmoins dans le prtoire des pres et desfils tromps ou mconnus, sans parler des amantes qui ne voulaient plus de son ombre.Pas mme un passant pour proclamer l'heure de la dchance: Jesuis l'enfant de cecadavre, je suis un bourgeon de cette branche pourrie ;mais Si Mokhtar allait finirdans la pire drision ; les pouses clandestines l'avaient laiss dans le doute comme si,

    aprs avoir accept les semailles, elles eussent ananti ou dissimul la rcolte, (...)(Nedp. 96/97)

    La squence contient trois nonciateurs Mourad, Rachid et Si Mokhtar. Le "on", ce "je1" sidentifie

    Mourad, cest lui qui se charge de rapporter le double discours de Rachid et de Si Mokhtar. La structure [je tu]

    "comprends-tu" mime le discours direct qui tente dattribuer lnonc la valeur du vcu. Mais lnonc de Rachid

    [je2] nest en dfinitive que la reconstitution mnmonique dun discours autre. Si le discours de Rachid est relat par

    Mourad ; celui de Si Mokhtar fait lobjet de deux activits mnmoniques : celle de Rachid puis celle de Mourad.

    Ainsi, le [je3] est une parole tierce embote simultanment dans deux nonciations. Ce troisime "je" a plutt valeur

    dun "il" (disait-il) qui rfre au personnage de Si Mokhtar. La valeur "relle" des pronoms personnels se modifie

    lintrieur dun schma nonciatif qui privilgie, dans sa structure du discours relat, les brouillages des instances

    nonciatives non seulement en renversant leurs rles officiels mais encore en les structurant en abyme : htrognit

    nonciative23qui rend compte de la prsence de lautredans le discours. Le "on" qui introduit lnonc peut avoir la

    valeur dun "je" mais, il laisse galement rsonner dautres voix. Les "je" de Rachid et de Si Mokhtar ont une valeur

    de "il". Lemploi, pourtant dficitaire dans le rcit de "tu", nest quune manire de mimer le discours direct : le

    "comprends-tu" est traduisible en termes de discours relat en il ma demand si je comprenais que.

    La construction du discours relat fait de lnonciation un usage particulier o la multiplication des "je(u)" et leur

    imbrication permet la ritration dun mme discours. La rptition va instituer un cercle o les discours se

    confrontent et se referment sur eux-mmes en forme de boucles nonciatives24. La mise en abyme double

    embotement se ralise dans la ritration simultane dun mme discours (celui de Si Mokhtar embot dans celui de

    Rachid et de Mourad). Cest pourquoi le schma ci-dessus montre que (A et B) rapportent tous deux les propos de C

    23Jacqueline Autier-Revuz, htrognits nonciatives In langagesN73, Pp 98-111.24Jac queline Autier-Revuz, ces mots qui ne vont pas de soi, boucles rflex ives et non-concidence du dire, Tome 1 et Tome 2,Paris, Larousse, 1995.

    [je

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    rfrant Si Mokhtar. Alors que la mise en dialogue entre A et B mime le style direct, celle de C et B est ralise en

    usant dun style indirect avou disait-ilen plus des guillemets.

    Une autre forme de la mise en abyme triple, voire mme quadruple embotement, dfinit un schma

    nonciatif pris en charge par un "il" exclu de lnonciation. Il sagit du "il" du narrateur anonyme quon peut

    ventuellement valuer comme un "on" indfini. Ce "il" nest pas sujet de lnonciation mais se prsente comme un

    tmoin charge nonciative. Le narrateur anonyme va prendre le monopole dune parole dont il nest pas lauteur.

    La structure de lembotement rvle le passage dun "il" externe des "il(s) " internes :

    N48/81 : Et ce jour l, dans sa cellule de dserteur, Rachid croyait entendre sur lepont les rvlations passionnes de Si Mokhtar, pleines de tumulte de la mer Rouge, en

    vue de Port-Soudan... Tu dois songer la destine de ce pays do nous venons, qui

    nest pas une province franaise, et qui na ni bey ni sultan, (...). Jai commenc par me

    sparer de la femme Marseille, puis jai perdu la fille (la photographie que montra Si

    Mokhtar faillit se perdre dans le vent ; ctait linconnue de la clinique)... (...) Mais je

    sais bien que Nedjma se st marie contre son gr ; je le sais, prsent quelle a retrouv

    ma trace, ma crit, et quelle me rend visite, cest ainsi que tu las vue Constantine,

    lorsque son poux ly conduit de temps autre avec lui. (Ned p. 128)

    En fait, cet exemple montre bien que le discours relat dpasse les limites de la seule squence, il peut

    staler sur plusieurs squences : le A sidentifie au narrateur anonyme qui, en sinsrant dans le cadre nonciatif,

    permet lembotement de plusieurs discours ; celui de Rachid B, celui de Si Mokhtar C et celui de Nedjma D. Des

    relations intermdiaires sont envisageables : Rachid B va lui aussi relater les propos de Nedjma et de Si Mokhtar de

    mme que Si Mokhtar C va rvler des propos de Nedjma. Lnonciation de celle-ci se ralise uniquement par le

    truchement du discours relat dans ses formes monologues et dialogues. Nedjma ne se sert aucun moment du rle

    de narrateur pour relater un vnement.

    La mise en abyme comme une figure rhtorique :

    La prsence de discours relats dans le texte Nedjma (formes monologales et dialogales) donne ce rcit

    une configuration polyphonique. En effet, les discours monologus et les discours dialogus montrent bel et bien une

    rapporte les propos de ...

    parle ...

    A B D

    C

    mise en abyme triple embotement

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    structure polyphonique o les combinaisons dialogales se multiplient. Outres les effets dchos entre les voix des

    diffrents narrateurs/personnages, le dialogisme joue un rle important dans dautres passages qui mlent la voix du

    narrateur anonyme "principal" celle des personnages/narrateurs. Cette confusion des comptences des

    personnages/narrateurs celle du narrateur anonyme est rendue possible par lutilisation du discours relat. En fait , la

    redfinition du statut du narrateur anonyme dans le rcitNedjmaa des incidences aussi importantes qutonnantes : il

    nest plus celui qui saccapare la narration, mais il en fait partie. Statut intermdiaire entre celui dun narrateur

    htrodigtique et celui dun narrateur homodigtique, le narrateur anonyme nest plus le seul assurer cette

    narration. Son discours est sans cesse interrompu par celui dautres personnages-narrateurs. Les frontires de leur

    espace nonciatif ne sont pas nettement traces et pourtant ne causent aucun effet de rupture.

    On peut par ailleurs remarquer que le foisonnement des discours relats se dfinit comme une

    caractristique majeure de Nedjma. Kateb Yacine use de toutes les formes du discours relat, les structure de manire

    prsenter une palette de degrs et de combinaisons nonciatives correspondant aux diffrentes formes de la mise en

    abyme. La polyphonie est la consquence de cette mise en structure nonciative. Et ce coup de force nonciatif cre

    une tension qui fait comprendre limportance et limpact de la notion de gradualit. Dans Nedjma, la gradualit se

    manifeste par les diffrentes formes de mise en abyme qui dfinissent le rcit comme essentiellement dialogal,

    travers par des courts-circuitages nonciatifs que les schmas de la mise en abyme ont tent de prsenter. De ce

    point de vue, la polyphonie intratextuelle dans Nedjmaest un puissant critre de sa littrarit : chaque voix littraire

    est la fois une construction semblable mais aussi diffrente des autres.

    Grce un dialogisme incessant, fait dans le rcit doppositions et de similitudes, dans une tension permanente entre

    le mme et lautre, les voix orchestres sont diffrentes les unes par rapport aux autres, se prsentant comme de

    vritables variations autour dun mme invariant. Le sens devient multiple ds lors quon accepte les enjeux de la

    mouvance, ds lors quon admet la diffrence comme principe. Litration pose ce principe, elle se prsente comme

    un lment de la signification structure par la technique de la mise en abyme. En sarticulant dans la dialectique du

    mme et de lautre, le roman se propose comme un univers fait de voix et dchos rsonnant dans le texte. Outil au

    service dune polyphonie densemble, elle dfinit laspect circulaire du texteNedjma.

    Le rcit suscite une impression dunit certes trs polyphonique-, mais trs en harmonie avec le rythme dune

    criture qui sest servie de la circularit pour faonner son cadre et son contenu. Pour cela, les rapports entre

    narrateur anonyme et personnages sont trs polyphoniques mais le cercle de parole qui les unit ne les confond pas ;

    chacun deux se distingue des autres. Laltrit devient indispensable ds lors quon veut tablir un dialogue. Aussi,

    la multiplicit des narrateurs ainsi que le nombre lev des pronoms personnels correspond parfaitement une mise

    en abyme rotative qui privilgie lauto-rfrence : le discours relat, les lments et les segments ritrs se dcrivent

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    comme des boucles rflexives25 qui enferment le rcit sur lui-mme. Cette structure de clture prsente les

    discours comme des jeux de miroirs. Et cest justement travers ce jeu de reflets que le discours se prsente comme

    une rflexion sur... le discours. Ces diverses formes de discours relats-abyms projettent une valeur esthtique qui,

    par un principe dimmanence, ralise une figure : celle de la circularit. Par la mise en abyme, les phnomnes

    dautorference font de la circularit une figure esthtique et un principe de littrarit caractristique de lcriture

    katbienne.

    Conclusion

    Lnonciation autorfrente de Nedjmapartage le double statut du texte et de lautre texte, texte construit,

    dconstruit puis reconstruit, mta-rcits mtamorphoss en chimre dont la capture exige un envotement

    thurgique. Ce roman singulier est la fois lexpression et lart potique dune criture qui pense le manque et le

    rflchit, elle dsigne une manire diffrente de penser le statut du texte littraire, de la mise en abyme et dun

    lecteur contraint participer lhistoire, participer activement et avec dlectation laventure dune criture La

    mise en abyme, associe au travail du langage, se prsente comme larchitecture la plus originale deNedjma.

    25Ibid.

    BIBLIOGRAPHIE

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    Notes