MiseEnAbimeNedjma
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7/21/2019 MiseEnAbimeNedjma
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Fatima Zohra LALAOUI 1
LA MISE EN ABYME COMMETECHNIQUE ET FIGURE DE LA NARRATION
( TRAVERS LANALYSE DU DISCOURS RELAT DANSNEDJMA DE KATEB YACINE)
FATIMA ZOHRA LALAOUIG.R.E.L.I.S, Universit de Franche-Comt (Besanon)
Une approche de la mise en abyme dans la perspective du discours relat1se trouve soumise aux problmes
que posent lnonciation et la narration. Nedjmasuscite une lecture exaltante, mais aussi, en ce qui me concerne du
moins, une lecture trous, capable seulement dun dchiffrement parcellaire tributaire dune criture, en cercle,
inacheve, la fois fascinante et repoussante. Or, le sentiment de mener une lecture en de saccompagne dun dsir
de percevoir, disons au-del, une figure occulte que la mise en abyme dessine et projette.
Un tel sentiment est li la prsence massive de manifestations du discours relat dans un texte qui installe
une tension permanente entre le lecteur et lhistoire quil est en train de reconstituer : effets de polyphonie la fois
externes et internes. La polyphonie, apprhende dans ses aspects internes, dispose sur la scne narrative diffrentes
relations dialogales au sens bakhtinien- qui sinstaurent entre les voix des personnages et celles des narrateurs. Pour
dmler ces voix, le recours la syntaxe narrative se rvle ncessaire, lobjectif tant de dcrire les diverses formes
du discours pris en charge, conjointement ou sparment, par les diffrents narrateurs de lhistoire. Tous ces
discours, participant notoirement la polyphonie, se trouvent construits partir dune technique quon appellera
mise en abyme. La notion de mise en abyme telle quelle se trouve ractive dans les travaux de Lucien Dllenbach
apparat comme un organe de retour de luvre sur elle mme 2. Dans ce sens, la mise en abyme implique une
duplication intrieure o toute la narration, et travers elle, la digse se voit mise en perptuel rapport. Considre
comme toute enclave entretenant une relation de similitude avec luvre quelle contient3, la mise en abyme va tre
classe, selon la typologie de Lucien Dllenbach, en deux ensembles majeurs : la rflexion simple et la rflexion
linfini. Une donne se dgage de ces deux ensembles : le rapport de similitude quentretient un fragment avec le
texte qui linclut se donne penser sur le mode du paradoxe tel le titre du texte qui est identique avec le sujet
identifi dans le texte. Cest ainsi que stablit le rapport entre le roman virtuel et le roman quon lit ; tous deux
obissent des principes esthtiques communs qui ne cessent de se renverser lun dans lautre, brouiller leurs traces,
confondre leurs acteurs de manire introduire le lecteur dans un espace ambidextre o le principe didentit est
soumis dincessants dommages.
1La notion du discours relat telle quelle se trouve dveloppe dans les travaux de Jean Peytard et de Jacqueline Autier-Revuzremet en cause lunicit du sujet par lant. En sappuyant sur des dfinitions du dialogisme et de la polyphonie, le discours relatpr op os e un jeu valuatif introduit par le processus et le procd de la mise en mots du tiers-parlant. Etsi les mises en mots dutiers -parlant varien t selon les locuteurs , ces variations caractrisen t (par tiellement) l e locuteur. Toute mise en mots du tiers-
parlant comme acte de discours relat comporte une attitude valuative de la parole relate. Jean Peytard, Syntagmes4, Annaleslittraires de lUniversit de Besanon, Belles Lettres, Paris, 1992.2Lucien Dllenbach, le rcit spculaire, Paris, Seuil, 1977, p.65. Son tude de la mise ne abyme se base sur de clbres passagesgidens tels que les Cahiers ,Narc isse et la Tentative.3Ibid, p. 65.
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La rflexion que gnre la mise en abyme est un procd de surcharge smantique, autrement dit lnonc
supportant la rflexivit fonctionne au moins sur deux niveaux : celui du rcit o il continue de signifier comme tout
autre nonc, et celui de la rflexion o il intervient comme lment dune mta-signification permettant au rcit de
se prendre pour thme.
La notion de mise en abyme telle quelle est employe ici correspond, dun point de vue rhtorique, la
figure du blason dans le blason la Gide. Cette figuration mtaphorique de la mise en abyme fait delle une valeur
esthtique dont linterprtation smantique est dtermine lavance : miroir intrieur du rcit, mtaphore
spculaire , etc
Cependant, cette interprtation smantique de la mise en abyme ne recouvre quen partie la dfinition de celle-ci.
Dun autre point de vue, la notion de mise en abyme scarte de lacception communment admise, elle se dfinit
galement comme une technique de la narration qui rend compte des structures embotes du rcit. Et cest justement
grce ces structures embotes que le rcit se laisse percevoir comme une srie de mta-rcits qui, en se
rflchissant, se caractrisent par une quadruple proprit : de rflchir le rcit, de le couper, dinterrompre la
digse, et enfin dintroduire dans le discours un facteur de diversification que cre la multiplicit des points de vue.
Une narration mis en abyme
Lucien Dllenbach cite les rcits relats et les rves comme tant les interpolations spculaires les plus
caractristiques des noncs rflexifs. Sous cet angle, je propose danalyser le discours relat dans la perspective des
niveaux dialogaux 4: lembotement des niveaux narratifs sorganise et se construit sur le principe mme de la
technique de mise en abyme ; et le passage dun niveau dialogal un autre sarticule dans un mouvement de va et
vient incessant, qui rend le reprage de ce passage extrmement difficile. Il est nanmoins possible, en sappuyant
sur des exemples de discours relats, de reprer, dans les cas les plus complexes de la mise en abyme, des indices qui
laissent perceptibles le changement du niveau dialogal. On peut citer quelques-uns : la ponctuation (guillemets,
parenthses et i taliques), lapparition des personnages qui se traduit par lemploi des noms propres et des pronoms
personnels, les temps verbaux etc.
Lintrt port la technique de mise en abyme se trouve justifi par les effets de retour spculaire et de miroitement
quelle produit dansNedjma ; les discours se reproduisent, senchevtrent et circulent dans un mouvement continuel
4Par dialogal, on donne plus dextension au concept de niveau narratif que G. Genette dfinit : tout vnement racont par unrcit est niveau digtique immdiatement suprieur celui o se situe l'acte narratif producteur de ce rcit. Grard Genette,Fi gu res III, Paris, Seuil, 1972, p.238.Pour Genette, il n y a changement de niveau narratif que lorsque se manifeste le dbut ou la fin dun rcit profr par une instancede niveau diffrent. Je propose au contraire denvisager la lumire de ce concept le nsemble des changes discursifs (oraux oucrits), quelque discours quils appartiennent : pour moi, toute phrase est dote dun niveau dialogal que dterminent les
instances de la communication (Schma des instances Cf. p )On ne confondra pas dia logal et dialogique : le second terme offre depuis Bakhtine, une signification prcise : Tout nonc estconu e n f onct ion de l'audi teur ; les discours les plus intimes sont, eux aussi, de part en part, dialogiques : ils sont traverss par
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par lequel la parole exhibe sa propre activit fictionnante dans une mta-figuration de son propre fonctionnement.
La mise en abyme5selon Butor est la capacit rflchissante du roman face au monde qui se trouve intgre dans le
miroitement dune uvre dans luvre. Il existe chez Butor6un dispositif qui tend rflchir le monde (symbolisme
externe) dans le roman (symbolisme interne). Contrairement Butor, Robbe-Grillet refuse lide du roman comme
rencontre avec le monde. Il discrdite du coup le roman du romancier la manire de Gide que Butor a prolong par
la suite. Robbe-Grillet veut que le rcit se dgage de toute histoire extrieure et concide essentiellement avec lui-
mme. Le rcit doit rester aussi clos que possible : plus le roman se rflchit sur lui-mme, moins il risquera de
reprsenter autre chose. Robbe-Grillet veut crer un effet de miroitement o luvre se rflchira indfiniment.
Les conceptions de la mise en abyme se multiplieront notamment avec Jean Ricardou et Simon ; toutes laissent
supposer que la mise en abyme na pas de critres dfinis. Seule la rflexivit du langage semble tre son point
dpart et darrive. Mais n y a t-il pas de limite la rflexivit? Jusqu quel point peut-on envisager lautorfrence
dans un texte littraire (notamment le Nouveau Roman), mme si ce dernier se donne comme ultime vocation la
rflexivit ?
En acceptant lide selon laquelle le Nouveau Romanrenverrait une certaine poque de la rflexion, il nchappe
nullement son temps, pas plus que la mise en abyme ne romprait avec les procds littraires des autres pratiques
signifiantes. Nest-il pas vrai que le texte autorfrent et notamment le Nouveau Romanrfre deux fois : la premire
lui-mme et la seconde aux autres domaines tout en particulier au monde et la ralit quil reprsente malgr lui.
Mme si les thoriciens du Nouveau Romanont tent de clore luvre littraire sur elle-mme ; par la ruse de lauto,
le Nouveau Roman rejoint une problmatique extrieure lui-mme et dbouche par ses effets de mimesissur un
ralisme dun niveau second, mais certainement pas secondaire.
La mise en abyme reste, du moins pour ce qui me concerne, une technique narrative qui organise et structure
lenchevtrement des discours ; au droulement linaire des vnements, elle propose une dmarche circulaire faite
de renvois et de retours par lesquels la parole est sans cesse reproduite par diffrents nonciateurs (narrateurs). On a
la vive impression que la circularit se produit par des effets de miroir et quil existe un lien de cause effet tablir
entre la mise en abyme et la structure circulaire. La mise en abyme faonne, comme un moule gigantesque, toutes les
units textuelles qui va du simple lexique jusquaux modes de figuration thmatiques et discursives. Et sil est
question de rflexivit dans Nedjma, cest par lalchimie verbale de cette technique qui provoque inluctablement
celle de tout le texte.
les valuations d'un auditeur virtuel, d'un auditeur pote ntiel. Mikhal Bakhtine la structure de l'nonc InTzvetan Todorov,M. Ba kh tine , l e p ri nc ipe d ia lo giqu e. Ecri ts du Ce rc le de Bakh ti ne , Paris, Seuil, (potique), 1981.5Andr Gide, Journal 1889-1939, Paris, Gallimard, Pliade, 1948, p. 41. Cest probablement Andr Gide qui a dfini le premier lamise en abyme en comparaison avec le procd de blason qui consis te, dans le premier, en mettre un second en abyme. 6Michel Butor, le roman comme recherche In Essais sur l e roman , Paris, Ides/Gallimard, 1969.
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Une nonciation polyphonique
En recourant la mise en abyme, le rcit par ses effets de clture se rflchit et sauto-rfre. Ces effets de
clture agissent comme un organe structurel, un principe dordre qui exclut toute centralisation narrative ; un cercle
muni dune force centrifuge qui carte tous les lments du cercle. Le rcit dans sa circularit russit promouvoir
une stricte quivalence entre ses units de manire tablir un rapport rsonant entre le contenu (sens) et la forme (le
cadre dans lequel il se trouve construit). Le rcit se prsente dans sa totalit comme une structure de signification
faisant de la circularit une esthtique caractrise par le brouillage et par la gradualit des formes. La circularit
sorganise autour de la notion de discours en tant que parole : le rcit dans la perspective du dialogisme bakhtinien
est transform en une parole foisonnante et hautement polyphonique.7
Le schma ci dessus, permet de distinguer lnonciation externe du narrateur anonyme de lnonciation
interne instaure par linteractivit des instances dialogales. Cette interactivit suggre les possibles combinatoires
qui peuvent se raliser la seule condition de permettre au jeu de voix multiples de rsonner dans le rcit de manire
simultane ; cest ce quon nomme habituellement polyphonie 8. Lnonciation externe est prise en charge par le
narrateur anonyme : seule voix qui mme en se mlant aux narrateurs-personnages nest ni agent ni protagoniste des
vnements. Cest pourquoi, le schma imbrique dans un sens unique le ple de lnonciation externe : le narrateur
anonyme va sintroduire dans le ple de lnonciation interne pour encadrer ou relater des vnements ; alors que les
narrateurs-personnages ne ralisent pas son existence fictionnelle. Et cest justement cette distance provoque par le
7Tzvetan Todorov,M. Bakh ti ne , l e p ri nc ip e d ia lo gi que. Ec ri ts du Ce rc le de Ba kh tine , Paris, Seuil, (potique), 1981.8Rappelons que la notion de polyphonie est lie la thorie du dialogisme bakhtien ; les travaux de Bakhtine dont Ducrot sinspireet se dmarque poursuivent le mme objectif : mettre en doute lunicit du sujet parlant cest dire lnonciateur.Les deux notions de polyphonie e t dnonciation sont troitement lies depuis les t ravaux de Mikhal Bakhtine. Il est question depolyphonie ds lors quon peut admettre, que dans le mme discours, sexprime une pluralit de voix : celle des nonciateurs. Lapolyphonie se ralise dans le discours relat mais ne sy rduit pas.
E
3
E
4
E 1 E 2E 0
Enonciation externeEnonciation interne
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narrateur anonyme qui a dfini lnonciation en deux ples : une nonciation interne et une autre externe. Les effets
de polyphonie sont plus denses lorsquil sagit de lnonciation interne qui met en scne, pour rflchir lintrigue,
quatre nonciateurs dont les discours sembotent et reproduisent un mme nonc. Les discours relats
correspondent aux mta-rcits des narrateurs ; la ritration dun mme discours le rend invitablement autre et
diffrent. Par le jeu daltrit, le sens est la fois un et multiple. Le discours relat cre une pause dans la syntaxe
narrative permettant le passage de lignorance la connaissance qui selon Aristote dfinit la reconnaissance. Vu sous
cet angle, le discours relat constitue un retour sur la connais sance puisquil propose une re -connaissance.
Dans le rcit, ces instances dialogales sidentifiant aux diffrents narrateurs peuvent tre schmatises
comme suit : Niveau 0 (scripteur lecteur), niveau 1 (narrateur anonyme9 lecteur), niveau 2 (narrateur 1
narrateur2), niveau 3 (narrateur 2 rapportant les paroles de n1lecteur), niveau 4 (narrateur 3 rapportant les propos
de n2 qui rapporte les paroles de n1) lecteur, niveau 5 (narrateur 3 rapportant les propos de n2 qui rapporte les
paroles de n1) narrateur 4 lecteur. Ces niveaux ne sont pas non plus explicitement reprsents quon le laisse
supposer ; il est pour cela judicieux de considrer des niveaux intermdiaires (1-2), (2-3) (1-3) qui multiplient les
combinaisons nonciatives et structurent la rflexivit en tant que technique et thmatique de la circularit. Le fait de
considrer que tout discours est virtuellement dialogal va permettre de poser plus clairement les problmes lis au
dialogue dans le rcit enchss ; il n y a plus "dialogue" mais rcit niveau 1, 2, 3 o toute lnonciation se trouve
structure par la technique de mise en abyme que Lucien Dllenbach dfinit comme : tout miroir interne
rflchissant lensemble du rcit par rduplication simple, rpte ou spculaire. 10Ce rflchisssement quimplique
la mise en abyme concerne autant lnonc que lnonciation. Mais du point de vue de lnonciation, ses incidences
ne sont pas uniquement formelles ; elles agissent en se rflchissant sur la thmatique. En proposant ses propres
stratgies nonciatives, la mise en abyme ncessite une redfinition du statut du personnage-narrateur, agent de
lnonciation, celui-ci sannonce comme une voix interne auquel auteur ou narrateur cde temporairement la
place11. Ce segment prend la valeur dun mta-rcit rflexif qui se caractrise par sa quadruple proprit de rflchir
le rcit, de le couper et dinterrompre la digse. Cette interruption se manifeste par lavnement dun temps et/ou
dun lieu sans rapport de contigut avec ceux du rcit premier. Le mta-rcit se distingue comme autant dnoncs
rflexifs mtadigtiques qui ne visent pas smanciper de la seule tutelle narrative du rcit. Ils se contentent, en
passant un niveau suprieur de la narration [niveau 2 (narrateur 1 narrateur2], de rflchir le rcit et de ne
suspendre que la seule digse.
Lnonciation comprise comme lvnement historique que constitue lapparition de lnonc dfinit la polyphonie comme untype dnonciation comportant plusieurs nonciateurs. Lnonciation polyphonique na pas de tutelle mais se ralise dans laplurivoci t des voix.9Le narrateur anonyme est la seule voix qui mme si elle se situe lintrieur de la trame textuelle, est en ralit extrieure auxvnements du rcit. Cette voix a plutt le statut dun "aiguilleur" qui viendrait remettre les pendules lheure.10Lucien Dllenbach, Rcit spculaire, Paris, Seuil, 1977, p. 61.
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Une technique narrative identifiable dans le discours relat :
partir des exemples du discours relat, jessaierai de dcoder puis de schmatiser les diffrentes formes de
la mise en abyme nonciative dont les composantes essentielles sont les narrateurs-nonciateurs et les donnes
spatio-temporelles. La mise en abyme, considre dans sa valeur structurelle dembotement, peut se dfinir comme
une chelle qui propose les diffrentes ralisations nonciatives par degrs. Degrs qui correspondent aux diffrents
niveaux du discours relat. Parmi les formes de la mise en abyme, on distingue entre celles qui agissent sur les
discours monologus et celles qui concernent les discours dialogus. Dans les premiers, les nonciateurs proposent
une parole tierce, indicible, quils mlent leur propre monologue ; dans cette perspective, le monologue fait tat
dune analyse qui intgre un point de vue. La distanciation est moins marque car lnonciateur implique toute sa
subjectivit. Les discours dialogus, plus frquents, introduisent de manire explicite dautres discours sous la forme
dun dialogue qui, en renversant lordre des pisodes de la narration, dfinit un parcours d-chronologique 12des
vnements. Ces discours dialogus, tout en ladoptant, proposent diffrents degrs de la mise en abyme nonciative.
Ce sont ces degrs que je propose prsent de schmatiser et danalyser.
Monologues autonomes ou discours monologus
Le discours monologu, le plus souvent mis en italique ou se revendiquant comme tel, prsente, lintrieur
dun espace textuel, un discours qui se rflchit. Et si on devait constituer un corpus des monologues dans le texte
Nedjma, on citera essentiellement ceux de Nedjma, de Mustapha et de Rachid. Ces monologues rsonnent dans le
texte et tissent entre eux un rseau de signes susceptibles de les rvler la fois autonomes et intimement lis au
reste du texte. Les discours monologus dans Nedjmaapparaissent sous diffrentes formes ; ils peuvent tre insrs
dans la squence ou dtachs quand ils remplissent entirement lespace de celle-ci. Ce dernier type de monologue se
veut autonome et libr de toute tutelle narrative. Ainsi, le monologue de Nedjma est insr ; au contraire ceux de
Rachid et de Mustapha sidentifient comme des monologues autonomes. 13. Claire Stolz, traitant justement de la
polyphonie dans des discours relats de nature monologale et dialogale, dfinit le monologue autonome comme :
un discours libr de lemprise du narrateur. On insiste par-l sur la
particularit linguistique qui les dfinit bien comme librs de linstance narrative,
11Ibid. p. 71. Le rcit enchss agit sur deux niveaux : nonc et nonciation. Au niveau de lnonciation, il met en marche lemcanisme du discours relat construit sur le principe de la technique de mise en abyme.12Je pense la notion de d-chr ono log ie dans un rap por t analog iqu e avec la not ion de d-forme telle quelle se trouve dfinie parJean Peytard. Jean Peytard, Syntagmes 2 , Annales littraires de luniversit de Besanon, les Belles Lettres, Paris, 1979, p. 291.Mais alors que la d-forme selon Jean Peytard suppose etsignale le geste et le rsultat du travail accompli sur une forme dj une
premir e fo is donne , la d-chronologie ne suppose pas de chronologie premire, elle suggre nanmoins son existence sous-tendue par le texte. Une existence qui se ralise par le geste et le rsultat dun travail qui consiste rassembler tous les represchronologiques disposs sur la surface du texte.13Claire Stolz,La po ly ph on ie da ns Be ll e d u S ei gneu r d A lb er t C ohen Pour un e a pp ro che s m iost yl is tiqu e, Paris, HonorChampion, 1998, p. 29.
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tout en ne ngligeant pas les relations troites- autonomie nest pas indpendance-
qui lient ces monologues et le reste du texte. 14
Cette dfinition, Stolz la formule en puisant dans lhritage de Genette qui a substitu la terminologie
traditionnelle du monologue intrieur celle du discours immdiat ; celui-ci se diffrencie par sa complte
mancipation de toute instance narrative :puisque lessentiel, comme il na pas chapp Joyce, nest pas quil soit
intrieur, mais quil soit demble (...) mancip de tout patronage narratif quil occupe dentre de jeu le devant de
la scne.15
En fait ces monologues autonomes/immdiats deviennent le foyer de cette polyphonie nouvelle dun texte
littraire dbarrass du poids dune tradition qui a fait du monologue une rflexion intrieure supporte par la voix du
narrateur/scripteur. Vritables traces du scripteur dans le texte narratif, les monologues autonomes utilisent la
polyphonie pour tisser un rseau de liens nonciatifs ne pouvant se lire quen filigrane de la narration. Nedjma
illustre bien cette polyphonie discursive o monologues insrs, autonomes et discours dialogus rsonnent et se
caractrisent dans une mme logique narrative : celle du discours relat.
Constitution et analyse des discours monologus
Sont rpertoris comme monologues autonomes les discours de personnages prononcs ou non, mais
nayant dautres destinataires dans le cadre de la fiction que le locuteur lui-mme, et totalement dgags de lemprise
du narrateur. Il peut arriver que le monologue prononc voix haute soit reu par un destinataire non prvu par le
locuteur (on pense notamment au monologue de Rachid lorsque Nedjma se baignant sur les terres du Nadhor en
prsence dun ngre -mi-rel/mi-imaginaire- qui se serait trouv probablement proximit de Rachid).
Gnralement, les monologues autonomes sont nettement isols du reste du rcit par la typographie : ils
occupent soit lespace de la squence16dans son intgralit, soit, ils ne partagent quen partie lespace discursif de la
squence en smancipant de la tutelle du narrateur anonyme. Ils usent, pour marquer leur isolement, de guillemets,
ditaliques et/ou de parenthses, cest ce que Jacqueline Authier-Revuz nomme les expressions guillemetes ou
paroles tenues distance17. Mais certains passages, bien que simulant laspect structurel des monologues
autonomes par leur longueur et/ou libert de propos, ne se dfont pas de la tutelle du narrateur anonyme. Celui-ci se
charge dintroduire le monologue cit entre guillemets, tout en encadrant par des pauses descriptives, les attitudes de
celui dont il rapporte le monologue. Le maintien des signes typographiques, dans ce type de monologue fait quils
fonctionnent comme de vrais repres nonciatifs ; ils soulignent la rupture dans la suite narrative. En fait, ces signes
typographiques marquent un dcrochage nonciatif, une lecture interactive18dirait Bakhtine qui permet dinterprter
14
Ibid. , p. 29.15Grard Genette,Figures II, Paris, Seuil, 1969, p. 193.16La squenc e corresp ond, dans le rcitNed jma , lespace tex tue l du sous-chapitre tel quil se trouve dlimit par lauteur.17Jacquelin e Authier-Revuz, Paroles tenues dista nce InMtarc its d iscurs ives , Presses Universitaire de Lille, pp.127-142.18Tzvetan Todorov,M. Bakh tine , l e p ri nc ipe d ia lo giqu e. Ecri ts du Ce rc le de Bakh ti ne , Paris, Seuil, (potique), 1981.
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rtroactivement le monologue, en dpit dune structure narrative droutante, puisque le monologue cre des ruptures
avec le reste de son espace cotextuel. Ainsi, il est juste de rpertorier deux genres de monologues : les premiers sont
librs de la tutelle du narrateur anonyme et les seconds mmes sils sont plus en moins isols du reste du texte, se
trouvent insrs, subissant lemprise du narrateur anonyme.
Celui de Nedjma N21/21 (p. 67)F
monologue insr.Celui de Mustapha N22/39 (p. 72)Fmonologue insr.N23/107 (p. 79) Fmonologue autonome.N 71/108 (p. 185)Fmonologue autonome.
Celui de Rachid N 37/23 (p. 105) Fmonologue insr. (ressemblance analogique avec le discoursdu narrateur anonyme dans N 36/22 (p. 104).)
N51/89 (p. 135) Fmonologue autonome.N52/90 (p. 138) Fmonologue autonome.N 56/85 (p. 155) Fmonologue insr.N100/58 (p. 246) Fmonologue insr.
chaque narrateur/personnage son moment de discours monologal. Seul le narrateur anonyme ne soffre
pas le privilge narratif dinscrire son empreinte rflexive dans le rcit, sauvegardant par-l son statut dobservateur
au regard neutre. Cependant, les monologues rpertoris ne sont pas tous librs de linstance narrative du narrateur
anonyme ; seuls les carnets de Mustapha et les monologues de Rachid semblent se librer de toute tutelle narrative.
Aucune marque du narrateur anonyme ne sinsre dans ces deux monologues, ce qui leur octroie une certaine
autonomie. On relve cependant une lgre ambigut dans le monologue de Rachid la squence N52/90 qui dbute
par la phrase suivante : Quelle belle journe, quelle magnifique coin de ciel ! Cette phrase, quelque peu dtache du
reste du texte, laisse en suspens lidentification du locuteur ; le je de Rachid napparat que suite cette phrase
nominale. Sagit-il dune exclamation de Rachid ? Cest possible mais on peut galement supposer que cest une
description donne par le narrateur anonyme. Par ailleurs, et sagissant de la mme squence, on relve galement un
passage du monologue au discours relat : ce glissement se passe la fin du monologue :
(...)Tant que vous ntes ni le rival ni la victime, faisons donc la conversation, car bien
que je naie pas la parole facile, il y a longtemps que ma langue remue comme un difice
infest de dragons ! (Ned p. 141)
Le dbut du discours relat :
Mais je comptais sans les mfaits physiques de l'herbe... Mes propos s'effritrent sansplus de rsonance, et quant linterpell, supposer qu'il m'et confusment entendu, il
n'en continuait pas moins son somme et ses soubresauts, si bien que je quittai ma
position, honteux d'avoir ainsi gch ma journe. Si Mokhtar, dont le visage tait
incontestablement roux, me considra en jurant qu'il irait passer ses derniers jours dans
la solitude, plutt que d'assister l'parpillement de nos cervelles.
Est-ce ma faute ? dis-je, et faut-il que je m'crase au moindre de mes actes, comme un
barbare gratifi d'un avion ? Si tu ne m'avais mis en prsence de Nedjma, tu ne
tremblerais pas chacune de ses disparitions...
Et toi, je te croyais plus nergique. Si tu n'tais pas
toujours en train de chanter...(...) (Ned p. 142)
Lutilisation des monologues autonomes nest pas un fait courant ; en effet, un grand nombre de
monologues est insr au milieu des squences, lintrieur dun entourage textuel.
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N21/21: Nedjma s'en prend ensuite un moustique, avec un mouchoir dont elle s'venteen mme temps ; puise, elle s'assoit mme le carrelage ; son regard plonge dans
l'ombre ; elle entend remuer la broussaille ; ce n'est pas le vent . Les seins se
dressent. Elle s'tend. Invivable consomption du znith ; elle se tourne, se retourne, les
jambes replies le long du mur, et donne la folle impression de dormir sur ses seins.. . Remonter la terrasse ? Trop de curieux... Trop de connaissances dans lestramways... Quel maladroit ! Les fru its ont fail li tomber. I l avait les mains blanches,les ongles sales... Agrabl e, sans cette tai l le de chimpanz... Pas d' ici , videmment.
Chasspar sa fam i ll e ? Cette faon d'conomiser sa barbe... Si Kamel savait que j 'aidonncent fr ancs un commissionnair e ! ...Pourquoi l' ai-je fait au juste ? Pourl'loigner... Je l ' imagin ais dpensant la somme dans un mauvai s li eu... Je ne devrai spas sorti r ... Une ide fol le suff ir ait ... Un voyage... Tout r ecommencer... Sans se conf ier
un homme, mai s pas seul e comme je le suis... I ls m' ont isole pour mieux mevain cre, isole en me mar iant. .. Pui squ' il s m' aiment, je les garde dans ma pri son... la longue, c'est l a pr isonn ire qui dcide... Nedjma reste tendue, alors que sa mre,
Lella Fatma, aide par des visiteuses que la jeune femme ne daigne pas recevoir,
prpare le repas ; Nedjma rpond par des grognements aux questions de Kamel ; elle
traite ordinairement son homme avec une gentillesse charge d'ironies qu'il prend pour
des reproches. (Ned p. 64)19
Le dtachement et lisolement marqus de ces passages nimpliquent pas ncessairement leur autonomie. La
situation de dpendance du discours du personnage par rapport celle du narrateur est trs nette. Le monologue est
en fait relat par le narrateur qui cette fois -ci nest plus le personnage lui-mme. Les passages relevs montrent
lembotement de deux situations dnonciation, celle du discours cit et celle du discours citant. 20Du point de vue
de lactualisation, les deux discours sont tout fait indpendants ; en revanche, le discours cit reste thmatiquement
li au discours citant puisque ce st lui qui permet de reconnatre le locuteur du discours cit avant mme quil prenne
la parole. Telle est la diffrence entre des monologues insrs et des monologues autonomes. Ces derniers se veulent
librs de toute autorit narrative extrieure ; quant aux monologues insrs, ils acceptent plus facilement la tutelle
dun autre narrateur qui les introduit.
Une question me proccupe nanmoins : les monologues autonomes sont-ils vraiment librs de lemprise
du narrateur anonyme ? Si unjeapparat dans le discours, renvoie-t-il toujours au sujet qui la produit. Ou bien cache
t-il une autre instance nonciative ? Par exemple, celle du narrateur anonyme, de larchi-narrteur ou tout simplement
celle du scripteur qui, en pntrant lintriorit du personnage, fait un travail dexorciste et lamne rvler ce quil
garde en silence. Si on adhre cette dernire explication, toute lnonciation ne serait quune parole tierce. Et mme
si, lintrieur de la fiction, on accepte les simulations ludiques de la narration, il en est autrement lorsquon pense
raliser son examen. Pour cela, on prfre - djouer le paradoxe en attribuant lensemble des monologues suscits
le statut de discours monologus -relats. Mme le monologue dit-autonome de Rachid squence 37/23 sapparente,
dans une parfaite analogie locutoire, au commentaire du narrateur anonyme situ dans la squence N36/22.
N36/22 Elle vint Constantine sans que Rachid st comment. Il ne devait jamais lesavoir, ni par elle, ni par Si Mokhtar. La rencontre de Rachid et de l' inconnue avait eu
lieu dans une clinique ou Si Mokhtar avait ses entres... (Ned p. 105 )
19Le texte en gras est en italique dans le texte.
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N37/23 Elle vint Constantine je ne sais comment, je ne devais jamais le savoir. Elletait debout. , sombre et distraite, dans le sa lon d'une clinique o Si Mokhtar avait ses
entres (ayant t l'ami d'enfance du mdecin qui tait maintenant conseiller gnral),
(...) (Ned p. 105)
Par ailleurs, lemplacement "dtach" des monologues dits autonomes la fin du rcit (celui de Mustapha
N23/107 et N71/108/ et celui de Rachid N51/89 et N52/90) dnote une esthtique de la chutequi introduit dans le
vertige de la narration une descente de plus en plus profonde dans lunivers psychique du personnage-narrateur. Les
monologues autonomes rvlent les caractristiques dune criture qui fait rsonner plusieurs moteurs narratifs ; le
narrateur anonyme nest pas seul tuteur du texte. Il perd peu peu son autorit et sa tutelle sur le texte au point o
lintrieur de celui-ci, il se voit hors circuit, mis lcart, il entend sans pouvoir intervenir, le discours de ces
monologues autonomes : de vritables discours sur son propre discours, et cest justement dans ce sens quon
considre les monologues autonomes de Mustapha comme une rflexion sur le discours. Rflexion qui va se
rpandre sur lensemble du rcit ; lexemple des carnets de Mustapha qui, par leur criture fragmente (Mustapha
commente plusieurs vnements et faits dans lespace dune seule squence) correspondent diffrents endroits du
rcit et font chos avec celui-ci au point o lautonomie des monologues se dissout au service dune polyphonie
globale :
Carnet de Mustapha
Le nombre des ivrognes est grand, en juger par les assiettes d'escargots qui
jonchent les comptoirs ; qui boit dne ; les Bnois ont le vin mauvais ; ils ont le coup de
tte empoisonn, mais leur football est en dcadence ; ils sont pleins de contradictions !
Ils trichent aux cartes, et pleurent au cinma. C'est l'influence raffine de la Tunisie quiest cause de tout cela... J'ai vu Mourad au caf. J'coutais un disque d'Osmahan, la
Libanaise morte dans une auto... Mourad hochait la tte, prt pleurer. Mourad m'aime
comme un frre ; il m'offre sa chambre Beausjour... Jamais je n'oserai habiter si prs
de Nedjma. (...)
..
Mon pre ne se remettra pas de son kyste au poumon. Il agonise l'hpital de
Constantine. Ma mre a perdu la raison. Elle est rfugie avec mes deux petites surs,
dans la ferme d'un oncle ; je suis le seul espoir de la smala ; mon seul protecteur Bne
est un marchand de beignets ami de mon pre. (...)
Je pense mes surs, entre la folle et le tuberculeux. Il expire Peut-tre cette
minute prcise. Au fond de la boutique gt un rasoir ; pour un peu, la tte roule mes
pieds, la tte du marchand... N'y a-t-il que le crime pour assassiner l'injustice ? Mre, je
me dshumanise et me transforme en lazaret, en abattoir ! Que faire de ton sang, folle,et de qui te venger ? C'est l'ide du sang qui me pousse au vin... Le suicid qui se relve
ne connatra plus l'illusion de mourir. Toilettes d't...(...) (Ned p. 79 )
La rdaction de ces monologues fusionne avec le reste du rcit ; on nassiste pas une viction de la
ponctuation comme le montre lanalyse de Stolz21. La ponctuation dans ce type de monologues assure une
20La dnomination du discours cit dans un roman est comprise dans le sens d'un discours trait comme une citation.21Lanalyse de Stolz attribue aux monologues dAlbert CohenBe ll e d u s ei gn eu r, la caractristique davoir supprim la syntaxe :lviction de la ponctuation donne le sentiment de continuit interrompue du flux verbal. Alors que dansNedjma, le caractre des
monologues autonomes respecte la ponctuation : les carnets de Mustapha sont le fait dun monologue pens et transcrit. Quant ceux de Rachid, i ls sont le produit dune rflex ion. Le flux verbal mme sil contient, par rapport aux autres discours, une valeursuprieure d'oralit, ne donne pas limpression dune spontanit locutoire. Ils sont luvre dune longue rflexion, et parconsquent ncessitent plus dorganisation logique de la pense.On na plus affai re des monologues plus intimes, proches de linconscient, mais des discours rflchissant la pense logique.
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homognit sans faille avec le reste du rcit. Ce qui conduit dire quil nexiste pas vraiment de monologue
autonome dans Nedjmaselon la dfinition de Stolz car si le monologue en question nest plus celui du narrateur
anonyme, il sinscrit dans la dynamique nonciative dun nouveau narrateur : celle du personnage-narrateur. En fait,
on prfre remplacer la terminologie monologues autonomes par discours monologus-relats. Ce qui diffrencie
cette dnomination de la premire cest le fait de considrer un monologue dit autonome (libr de la tutelle du
narrateur anonyme) comme un discours en fait sous lemprise dune autre instance narrative (ici les personnages
Rachid et Mustapha). Car ces derniers se chargent, au mme titre que le narrateur anonyme, de la narration. Ce qui
les amnent incontestablement exercer une autorit rflexive sur leur propre intriorit. Le mta-rcit du
narrateur/personnage efface puisquil intgre ses propres paroles. Les monologues de Rachid et de Mustapha
apparaissent plus comme des rflexions sur des monologues non exprims et dont les traces sont perceptibles la
surface de leurs discours quils se chargent eux-mmes de relater. En somme, ce qui diffrencie cette nouvelle
dfinition du monologue de la premire cest particulirement le caractre rflexif (pens puis dit/ pens puis crit),
organis du monologue. Stolz considre le monologue autonome comme un espace verbal spontan : libration
inconsciente de la pense (pens et dit/ pens et crit). Dans ce cas ni le narrateur anonyme ni mme le personnage-
narrateur nont demprise sur le flux verbal. La ralisation des discours monologus autonomes dans Nedjmase
droule autrement ; mme si on admet une certaine autonomie fictionnelle, ils se ralisent comme une parole
reproduite.
la fois personnages et narrateurs, Rachid et Mustapha prennent le relais du narrateur anonyme, ils
sengagent au mme titre que celui-ci la mise en uvre de la narration. A la fois auteurs et acteurs de la narration,
leurs monologues sont traverss par deux ancrages nonciatifs :jeparle de je(rflexion sur le discours) et jeparle
lui-mme (forme lmentaire du monologue). Le schma de ces ancrages nonciatifs propose un monologue deux
niveaux qui, embots, dessine la premire forme de la mise en abyme :
Ainsi, le ddoublement identitaire de celui qui parle dans celui dont on parle ou plus simplement
lembotement de A locuteur dans le A' narrateur propose la premire forme de la mise en abyme quon peut qualifier
de : mise en abyme monologale embotement simple. Dans cette forme de mise en abyme monologale, les rfrents
de lactualisation sont obscurcis : on sait que cest un "je" qui parle mais qui ne sent aucune ncessit de se prsenter
puisquil ne parle personne dautre qu lui-mme ; do la difficult didentifier ce locuteur. Lautorfrence
A' A'
A A
A' : narrateur parle de lui-mme.A : locuteur parle lui mme.
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centre ce message totalement sur lui-mme, ce qui rend lidentification du locuteur difficile pour le lecteur. Dautant
plus que le principe mme du monologue est de simuler une situation nonciative non-actualise ; dfinir un schma
de communication qui nimplique aucun destinataire.
Dans ce type de discours, le lecteur a besoin de plus dinformations pour identifier le locuteur. Pour cela, il cherchera
des indices soit par auto-dsignation du locuteur, soit par le cotexte. Lidentification par le biais du cotexte est la plus
frquente. Elle utilise trois types dindices : la liaison thmatique, les rfrences anecdotiques des passages
antrieurs du rcit et la reconnaissance de lidiolecte du personnage. Le lien thmatico-narratif constitue la piste la
plus vidente suivre par le lecteur. Celui deNedjmaa besoin galement dindices chronologiques susceptibles de le
guider dans son processus didentification puisquune lecture linaire dun rcit circulaire ne rend pas toujours
compte des agents de la communication interne chaque squence. Les squences ne se suivent pas
chronologiquement certes, mais elles laissent dfiler de manire perceptible des repres chronologiques qui
permettent de retracer, de reconstituer les pisodes de la narration. titre dexemple, la squence N52/90 montre que
lidentit du "je" de Rachid est apprhende par son contexte ; le lecteur a runi travers des squences antrieures
des informations indiquant que Rachid allait organiser le rapt de Nedjma et la conduire, avec laide de Si Mokhtar,
sur les terres du Nadhor :
N52/90 : Quelle belle journe, quel magnifique coin de ciel ! Je me souvins de mon
aventureuse enfance ; vrai ; j'tais libre, j'tais heureux dans le lit du Rhummel ; une
enfance de lzard au bord d'un fleuve vanoui. Encore mu des chants briss de monenfance,j ' aurais voul u tradu ire la cratu re que le ngre dvorai t des yeux ce
monologue des plus f ous : Pourquoi ne pas tr e reste dans l' eau ? Les cor ps desfemmes dsires, comme l es dpou i l les des vipres et l es par fums volati ls, ne sont pasfai ts pou r dprir , pou r r i r et s'vapor er dans not re atmosphre : f ioles, bocaux etbaignoi res : c' est lque doivent du rer les f leurs, scin ti l ler les cail les et les femmess'panouir , loi n de l' ai r et du temps, ain si qu' un cont in ent englout i ou une pavequ' on saborde, pour y dcouvr ir plu s tard, en cas de survie, un ul time trsor. E t quin' a pas enfermson aman te, qui n' a pas rvde la femme capable de l 'attendre dansquelque baignoi re idale, inconsciente et sans atour , af in de la r ecueil li r sansf ltr issur e aprs la tourmente et l ' exi l ? Baigne-toi , Nedjma, je te promets de ne pascder la tr istesse quand ton charme sera dissous, car i l n ' est point d' attr ibuts de tabeautqui ne m' aient r endu l 'eau cent f ois plus chre ; ce n' est pas la f antai sie qui mefait prouver cette immense af fection pour un chaudron. J 'aime aveuglment l ' objetsans mmoi re o se chamai l lent l es dern iers mnes de mes amour s. Plaise au ci el que
tu sortes lave de l 'encr e gr ise que seul e ma natu re de lzard impr ime in justementdans ta peau ! Jamais amant ne fut ai nsi accu ljusqu'dsirer l a dissoluti on de tescharmes... En vrit, suis-je cet amant ? J' ai hon te d' avouer que ma plu s ardentepassion ne peut survivre hors du chaudr on, (...) Mais je ne pouvais rien dire de celadevant Nedjma, me contentant de l'noncer voix basse, murmurant pour moi-mme le
peu de mots capables de suggrer le mystre de pareilles penses... (...). (Ned p. 138)22
Lidentit du locuteur nest pas mentionne, seule la premire personne du singulier sert de
rfrence : le locuteur ne sauto-dsigne pas, il se contente uniquement de se rflchir en ritrant autant
quil veut loccurrence du "je". Dans les monologues de Rachid et de Mustapha, le "je" du locuteur
sefface en faveur de son autre identit : celle du narrateur. En se ddoublant, il se prsente la fois
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comme personnage et narrateur dans une structure en abyme. En somme, la structure interne de ces
monologues montre que la polyphonie conue comme technique nonciative dans le rcit rsonne non
seulement entre les squences mais lintrieur mme dun espace discursif qui se dclare comme
monologal. En effet, le monologue prsente la double particularit dtre la fois unificateur et
polyphonique. Unificateur parce que ce jereprsente toujours le mme personnage et polyphonique, parce
que ce je fait parler les diffrentes voix du mme personnage et les amne rsonner avec dautres voix
(personnages et/ou narrateurs) du rcit.
Les discours dialogus
Le discours dialogu relat se sert dans son criture dun style direct pour produire leffet du dialogue. Le
nombre lev des pronoms personnels se reconnat aux valeurs quantitatives ; lemploi frquent et prpondrant de
ces catgories dtermine une valeur rfrentielle dans le rcit :
pronoms frquence pronoms frquenceil 1135 nous 214son 1015 moi 118se 1001 vous 111
je 734 tu 103elle 339 ton 68me 329 te 56mon 292 eux 29ils 243 toi 28on 237 elles 17
Le rfrent "il" dsigne tout locuteur qui ne prend pas la parole directement : "il" se prsente comme un
sujet relat par une autre instance nonciative. La structure du discours qui lintgre va emboter deux, trois et quatre
sujets et les amener partager un mme espace discursif. Le premier niveau du discours relat est structur sur une
forme simple de mise en abyme : un nonciateur parle de deux personnages, il relate les vnements qui leurs sont
lis sans les mettre en " dialogue". Cette forme de mise en abyme ressemble celle du monologue ; tous les deux
intgrent les vnements. Alors que le monologue implique une rflexion subjective, le discours dialogu se contentede relater les vnements :
22Le texte en gras est e n italiq ue dansNedjma .
rapporte les propos de ...
arle ...
A B
C
Mise en abyme embotement simple
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Trop de choses quejene sais pas, trop de choses que Rachid ne m'a pas dites ;i ltait arriv dans notre vil le en compagnie d'un vieillard nomm Si Mokhtar, qu'il traitait
le plus familirement du monde ; Si Mokhtar aurait volontiers parl n'importe qui, si
Rachid (on savait seulement qu'il s'appelait Rachid), (...). (Ned p. 91)
Cette structure correspond la forme simple de la mise en abyme : A= je, B= il (rfrant Rachid) et C=il
(rfrant Si Mokhtar). Le "je" nonciateur nest pas identifiable lintrieur de cette seule squence ; la
contextualisation de celle-ci est ncessaire. Ici apparat limpasse qui consiste considrer la squence comme un
champ clos ; le texte se dfinit comme un tout indissociable.
Une autre forme de mise en abyme embotement double complexifie la structure du discours ; celui-ci
prsente deux co-nonciateurs (je1 et je2) rfrant Mourad et Rachid. Tous deux rapportent le discours tierce de
Si Mokhtar (disait-il). La mise en rapport dialogu de Mourad et de Rachid est ralise par une criture mimant le
style direct et le dialogue. Lnonc pousse percevoir le second "je2" sidentifiant Rachid comme un "il" puisque
Mourad "je1" rapporte les paroles de Rachid mme si la forme du discours feint la structure directe. Le "il" avou,
dans la structure nonciative est le troisime nonciateur dont la parole se trouve tre prise en charge par deux co-
nonciateurs : Mourad et Rachid qui, sans se confondre, ralisent un glissement nonciatif qui permet au "je"
ddoubl de ritrer un mme contenu nonciatif ; ce qui permet davoir deux visions dune "mme" information. Le
"mme" devient autre ds lors quon le prte un second nonciateur.
N 33/51 : Onne pouvait douter que Rachid ne ft en plein dsarroi ; il fumait, nedormait gure qu'une nuit sur deux, veillant ou vagabondant seul ou en ma compagnie,
carjem'attachais lui autant qu' Mustapha, mais sans pouvoir encore les runir dansune mme amiti. Quant Rachid, s' i lme parlait (paroles fivreuses, clats de voix
suivis de mornes silences), c'tait toujours comme regret. Je commenais sentir nos
relations se tendre tout en se renforant ; il simulait maintenant le calme ; mais il
maigrissait de jour en jour, devenait tout fait taciturne ; (...) et m'efforant de ne pas
alerter Mustapha tapi contre le mur, imperturbablement assoupi, et qui s'en allait
chaque matin de trs bonne heure, comme redoutant la contagion, ou pressentant que
Rachid allait me confier quelque chose au rveil. ..Comprends-tu ? Des hommes comme ton pre et le mien... Des hommes dont le
sang dborde et menace de nous emporter dans leur existence rvolue, ainsi que desesquifs dsempars, (...) Le vieux bandit ! I lme l'avait dit bien avant, bien avant notredernier sjour dans cette ville, o il me suivait sans en avoir l'air, sachant que je
cherchais sa fille prsume, Nedjma, qu'il m'avait prsente lui-mme ; mais il m'avait
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parl auparavant, par bribes, toujours par bribes, comme lui seul peut parler: ...Je
me demande ce qui a bien pu natre des nuits d'antan, disait-il ; les nuits d'ivresse et de
fornication ; les nuits de viol, d'effractions, de corps corps de ville en ville ; dans lescouloirs et sur les terrasses ; aux salons des entremetteuses... Le chur des femmes,les femmes sduites et dlaisses, i lne croyait pas en avoir oubli une seule, ne passant
sous silence que celles de notre propre famille, car Si Mokhtar descendait comme moi del'anctre Keblout ;i lme le rvla plus tard, alors que nous voguions ensemble sur la
mer Rouge, aprs avoir fauss compagnie aux plerins de La Mecque... (...) ... Ce qui
m'chappe, disait-il, c'est l'engeance, l'engeance vengeresse de toutes les amantesinduites en erreur, femmes maries dont j'tais le second poux juste le temps de
bouleverser la chronologie du sang, pour abandonner un terrain de plus la douteuse
concurrence des deux lignes celle de la tradition, de l'honneur, de la certitude, et
l'autre, ligne d'arbre sec jamais sr de se propager, mais partout vivace en dpit de son
obscure origine... (...) il cherchait en vain des tmoins dans le prtoire des pres et desfils tromps ou mconnus, sans parler des amantes qui ne voulaient plus de son ombre.Pas mme un passant pour proclamer l'heure de la dchance: Jesuis l'enfant de cecadavre, je suis un bourgeon de cette branche pourrie ;mais Si Mokhtar allait finirdans la pire drision ; les pouses clandestines l'avaient laiss dans le doute comme si,
aprs avoir accept les semailles, elles eussent ananti ou dissimul la rcolte, (...)(Nedp. 96/97)
La squence contient trois nonciateurs Mourad, Rachid et Si Mokhtar. Le "on", ce "je1" sidentifie
Mourad, cest lui qui se charge de rapporter le double discours de Rachid et de Si Mokhtar. La structure [je tu]
"comprends-tu" mime le discours direct qui tente dattribuer lnonc la valeur du vcu. Mais lnonc de Rachid
[je2] nest en dfinitive que la reconstitution mnmonique dun discours autre. Si le discours de Rachid est relat par
Mourad ; celui de Si Mokhtar fait lobjet de deux activits mnmoniques : celle de Rachid puis celle de Mourad.
Ainsi, le [je3] est une parole tierce embote simultanment dans deux nonciations. Ce troisime "je" a plutt valeur
dun "il" (disait-il) qui rfre au personnage de Si Mokhtar. La valeur "relle" des pronoms personnels se modifie
lintrieur dun schma nonciatif qui privilgie, dans sa structure du discours relat, les brouillages des instances
nonciatives non seulement en renversant leurs rles officiels mais encore en les structurant en abyme : htrognit
nonciative23qui rend compte de la prsence de lautredans le discours. Le "on" qui introduit lnonc peut avoir la
valeur dun "je" mais, il laisse galement rsonner dautres voix. Les "je" de Rachid et de Si Mokhtar ont une valeur
de "il". Lemploi, pourtant dficitaire dans le rcit de "tu", nest quune manire de mimer le discours direct : le
"comprends-tu" est traduisible en termes de discours relat en il ma demand si je comprenais que.
La construction du discours relat fait de lnonciation un usage particulier o la multiplication des "je(u)" et leur
imbrication permet la ritration dun mme discours. La rptition va instituer un cercle o les discours se
confrontent et se referment sur eux-mmes en forme de boucles nonciatives24. La mise en abyme double
embotement se ralise dans la ritration simultane dun mme discours (celui de Si Mokhtar embot dans celui de
Rachid et de Mourad). Cest pourquoi le schma ci-dessus montre que (A et B) rapportent tous deux les propos de C
23Jacqueline Autier-Revuz, htrognits nonciatives In langagesN73, Pp 98-111.24Jac queline Autier-Revuz, ces mots qui ne vont pas de soi, boucles rflex ives et non-concidence du dire, Tome 1 et Tome 2,Paris, Larousse, 1995.
[je
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rfrant Si Mokhtar. Alors que la mise en dialogue entre A et B mime le style direct, celle de C et B est ralise en
usant dun style indirect avou disait-ilen plus des guillemets.
Une autre forme de la mise en abyme triple, voire mme quadruple embotement, dfinit un schma
nonciatif pris en charge par un "il" exclu de lnonciation. Il sagit du "il" du narrateur anonyme quon peut
ventuellement valuer comme un "on" indfini. Ce "il" nest pas sujet de lnonciation mais se prsente comme un
tmoin charge nonciative. Le narrateur anonyme va prendre le monopole dune parole dont il nest pas lauteur.
La structure de lembotement rvle le passage dun "il" externe des "il(s) " internes :
N48/81 : Et ce jour l, dans sa cellule de dserteur, Rachid croyait entendre sur lepont les rvlations passionnes de Si Mokhtar, pleines de tumulte de la mer Rouge, en
vue de Port-Soudan... Tu dois songer la destine de ce pays do nous venons, qui
nest pas une province franaise, et qui na ni bey ni sultan, (...). Jai commenc par me
sparer de la femme Marseille, puis jai perdu la fille (la photographie que montra Si
Mokhtar faillit se perdre dans le vent ; ctait linconnue de la clinique)... (...) Mais je
sais bien que Nedjma se st marie contre son gr ; je le sais, prsent quelle a retrouv
ma trace, ma crit, et quelle me rend visite, cest ainsi que tu las vue Constantine,
lorsque son poux ly conduit de temps autre avec lui. (Ned p. 128)
En fait, cet exemple montre bien que le discours relat dpasse les limites de la seule squence, il peut
staler sur plusieurs squences : le A sidentifie au narrateur anonyme qui, en sinsrant dans le cadre nonciatif,
permet lembotement de plusieurs discours ; celui de Rachid B, celui de Si Mokhtar C et celui de Nedjma D. Des
relations intermdiaires sont envisageables : Rachid B va lui aussi relater les propos de Nedjma et de Si Mokhtar de
mme que Si Mokhtar C va rvler des propos de Nedjma. Lnonciation de celle-ci se ralise uniquement par le
truchement du discours relat dans ses formes monologues et dialogues. Nedjma ne se sert aucun moment du rle
de narrateur pour relater un vnement.
La mise en abyme comme une figure rhtorique :
La prsence de discours relats dans le texte Nedjma (formes monologales et dialogales) donne ce rcit
une configuration polyphonique. En effet, les discours monologus et les discours dialogus montrent bel et bien une
rapporte les propos de ...
parle ...
A B D
C
mise en abyme triple embotement
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structure polyphonique o les combinaisons dialogales se multiplient. Outres les effets dchos entre les voix des
diffrents narrateurs/personnages, le dialogisme joue un rle important dans dautres passages qui mlent la voix du
narrateur anonyme "principal" celle des personnages/narrateurs. Cette confusion des comptences des
personnages/narrateurs celle du narrateur anonyme est rendue possible par lutilisation du discours relat. En fait , la
redfinition du statut du narrateur anonyme dans le rcitNedjmaa des incidences aussi importantes qutonnantes : il
nest plus celui qui saccapare la narration, mais il en fait partie. Statut intermdiaire entre celui dun narrateur
htrodigtique et celui dun narrateur homodigtique, le narrateur anonyme nest plus le seul assurer cette
narration. Son discours est sans cesse interrompu par celui dautres personnages-narrateurs. Les frontires de leur
espace nonciatif ne sont pas nettement traces et pourtant ne causent aucun effet de rupture.
On peut par ailleurs remarquer que le foisonnement des discours relats se dfinit comme une
caractristique majeure de Nedjma. Kateb Yacine use de toutes les formes du discours relat, les structure de manire
prsenter une palette de degrs et de combinaisons nonciatives correspondant aux diffrentes formes de la mise en
abyme. La polyphonie est la consquence de cette mise en structure nonciative. Et ce coup de force nonciatif cre
une tension qui fait comprendre limportance et limpact de la notion de gradualit. Dans Nedjma, la gradualit se
manifeste par les diffrentes formes de mise en abyme qui dfinissent le rcit comme essentiellement dialogal,
travers par des courts-circuitages nonciatifs que les schmas de la mise en abyme ont tent de prsenter. De ce
point de vue, la polyphonie intratextuelle dans Nedjmaest un puissant critre de sa littrarit : chaque voix littraire
est la fois une construction semblable mais aussi diffrente des autres.
Grce un dialogisme incessant, fait dans le rcit doppositions et de similitudes, dans une tension permanente entre
le mme et lautre, les voix orchestres sont diffrentes les unes par rapport aux autres, se prsentant comme de
vritables variations autour dun mme invariant. Le sens devient multiple ds lors quon accepte les enjeux de la
mouvance, ds lors quon admet la diffrence comme principe. Litration pose ce principe, elle se prsente comme
un lment de la signification structure par la technique de la mise en abyme. En sarticulant dans la dialectique du
mme et de lautre, le roman se propose comme un univers fait de voix et dchos rsonnant dans le texte. Outil au
service dune polyphonie densemble, elle dfinit laspect circulaire du texteNedjma.
Le rcit suscite une impression dunit certes trs polyphonique-, mais trs en harmonie avec le rythme dune
criture qui sest servie de la circularit pour faonner son cadre et son contenu. Pour cela, les rapports entre
narrateur anonyme et personnages sont trs polyphoniques mais le cercle de parole qui les unit ne les confond pas ;
chacun deux se distingue des autres. Laltrit devient indispensable ds lors quon veut tablir un dialogue. Aussi,
la multiplicit des narrateurs ainsi que le nombre lev des pronoms personnels correspond parfaitement une mise
en abyme rotative qui privilgie lauto-rfrence : le discours relat, les lments et les segments ritrs se dcrivent
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comme des boucles rflexives25 qui enferment le rcit sur lui-mme. Cette structure de clture prsente les
discours comme des jeux de miroirs. Et cest justement travers ce jeu de reflets que le discours se prsente comme
une rflexion sur... le discours. Ces diverses formes de discours relats-abyms projettent une valeur esthtique qui,
par un principe dimmanence, ralise une figure : celle de la circularit. Par la mise en abyme, les phnomnes
dautorference font de la circularit une figure esthtique et un principe de littrarit caractristique de lcriture
katbienne.
Conclusion
Lnonciation autorfrente de Nedjmapartage le double statut du texte et de lautre texte, texte construit,
dconstruit puis reconstruit, mta-rcits mtamorphoss en chimre dont la capture exige un envotement
thurgique. Ce roman singulier est la fois lexpression et lart potique dune criture qui pense le manque et le
rflchit, elle dsigne une manire diffrente de penser le statut du texte littraire, de la mise en abyme et dun
lecteur contraint participer lhistoire, participer activement et avec dlectation laventure dune criture La
mise en abyme, associe au travail du langage, se prsente comme larchitecture la plus originale deNedjma.
25Ibid.
BIBLIOGRAPHIE
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7/21/2019 MiseEnAbimeNedjma
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Fatima Zohra LALAOUI 19
Notes