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Vigneron PRINTEMPS 2016 114 PRINTEMPS 2016 Vigneron 115 François CHIDAINE Dans la Loire, les Chidaine ont les pieds plantés dans l’argile et le calcaire depuis le XV e siècle. La vigne viendra plus tard : Auguste se battra pour l’appellation Montlouis créée en 1937. François, son petit-fils, lui donnera ses lettres de noblesse. D’une rive à l’autre, de Montlouis à Vouvray, il offre au chenin ses plus belles expressions. PAR JEAN-LUC BARDE PHOTOS JÉRÔME PARESSANT LA TRAVERSÉE DU CHENIN CET ARTICLE EST PARU DANS LE N°24 - PRINTEMPS 2016 V IGNERON

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FrançoisCHIDAINE

Dans la Loire, les Chidaine ont les pieds plantésdans l’argile et le calcaire depuis le XV e siècle.

La vigne viendra plus tard : Auguste se battra pourl’appellation Montlouis créée en 1937. François,son petit-fils, lui donnera ses lettres de noblesse.D’une rive à l’autre, de Montlouis à Vouvray, il offre au chenin ses plus belles expressions.

PAR JEAN-LUC BARDEPHOTOS JÉRÔME PARESSANT

LA TRAVERSÉE DU CHENIN

CET ARTICLE EST PARU DANSLE N°24 - PRINTEMPS 2016

VIGNERON

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Ca vient comme l’Alléluia du Messiede Haendel, une chaleur dorée quise répand en douceur, envahit lecorps et le rend heureux. Parfoisce sont les violons d’un allegro qui

lancent avec vigueur le pas du marcheurdans le sourire du jour. Un clavecin vif et précis déroule le cours heureux de larivière des notes et soutient le thème, qui se déploie dans une irradiante ten-sion. L’architecture des vins de FrançoisChidaine a ce même génie : celui de l’interprétation d’un pays, la Loire tou-rangelle de Montlouis, de Vouvray. Lesarpèges des saveurs sont inscrits là, détachés, nets, et le vigneron dès lorspeut laisser aller son vin à l’audace, la vivacité, la lenteur, la longueur, la grâce.Les tonalités de la beauté s’exhalent sansheurt sur le thème principal du cheninqui revient avec élégance, sans fard, sansostentation.

Ce jour-là, c’était la Loire lente et vastesous la transparence du soleil d’octobre,et l’eau turquoise, brillante, irisée, étalaitses brumes légères, glissait tranquille sur

la rive gauche, sous la falaise des Bour-nais qui soutient la parcelle préférée deFrançois Chidaine. Les ruches auxabeilles cuivrées étaient absentes à causedu frelon asiatique, mais elles revien-draient. Dans les rangs de vigne, il y avaitdes légumineuses, du trèfle incarnat, etles chiens labrits joueurs, Odi et Ela, s’yroulaient en riant. Tous les matins, lemême héron cendré, de son vol soupleet musclé, remontait le fleuve en amontvers Amboise et le Clos Lucé où Léo-nard de Vinci inventa jusqu’au soir de savie. Voilà le monde de Chidaine, simpleet beau. Il a grandi là et ses ancêtres aussi.François se souvient : “Les Chidaine, çaremonte au XV e siècle, à Saint-Cyr-sur-Loire,en aval de Tours, sur la rive droite de laLoire.” De la clôture d’un monastèreéchappé, un moine, un Chidaine jeta sarobe de bure par-dessus les haies à laCroix qui en devint Croix-Chidaine. Aurebours de la coutume, c’est le bourg quiprit le nom de la famille, un monumentlui rend hommage. Après, l’état civil si-gnale les Chidaine au XVIIe siècle à Saint-

Martin-le-Beau : “Vous savez, là-bas, bienavant Montrichard… Ça fait quoi, 8 ou9 kilomètres d’ici, après le plateau, un sautde colline, sur les bords du Cher, dans l’appel-lation Montlouis”, précise le vigneron.Jusqu’en 1935, ils restent là, à faire del’élevage, des céréales, des asperges et duvin. À cette époque, Auguste Chidaine,élevé chez les jésuites, avait l’allure d’unnotable : “Une force de la nature, passionnéde football au point de créer le club de Mont-louis : on jouait dans un pré !” Il rencontreSimone Moreau-Latouche et se marie,contre l’avis de sa mère, une Godron-Chidaine, autorité familiale de la bour-geoisie des hobereaux, exerçant son magistère sur son mari, un artiste dutrombone à coulisse qui ficelait l’instru-ment sur son vélo et, tout en affirmantaller aux asperges, filait à l’harmonie…

C’est Auguste, le grand-père de Fran-çois, qui développe le vignoble après queceux de Vouvray, de l’autre côté de l’eau,eurent exclu de l’AOC leurs frères deMontlouis. Les procès rive gauche contrerive droite se succèdent, Montlouis

LES 20 HECTARES DE MONTLOUIS ET LES 10 DE VOUVRAY SONT EN BIODYNAMIE,8 HECTARES EN TOURAINE RELÈVENT D’UN NÉGOCE DE QUALITÉ.

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Plus on avance dansle fond de la cave,plus les fûts sontvieux. Au bout des tunnels, ça sentla noix délicate.

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difficiles, inconnues, Manuela et Fran-çois font aussi du vin avec leurs amisPaco et Pepe à Murcia : “Les gens sont ma-giques, savent parfaitement faire du raisin,alors je leur donne ce que je sais…”

Ce qu’il sait se dit tous les jours àMontlouis, à Vouvray : “Je pose un regardfusionnel sur mes vignes, je les touche, leurparle, j’ai confiance en elles, ça procède sim-plement de l’amour.”À part ça ? “Rien, enfinl’amour c’est déjà beaucoup…”Les sols parexemple ne sont pas considérés commedes hôtes de la monoculture : des cé-réales, des légumineuses, des plantesmellifères attirent les abeilles gour-mandes. Pour nourrir l’activité micro-bienne des sols on évite le retournementde la terre : “Plus on bouleverse les horizons,plus on abîme la vie ; les céréales déploientjusqu’à 300 kilomètres de racines par pied, ily en a 70 au mètre carré, c’est la meilleurecharrue possible ! Les plantes aident à la ré-gulation des sols. Dans un milieu vivant, lavigne va plus loin chercher son terroir. Cer-taines parcelles deviennent de véritables si-gnatures de nos climats.”

sont tenus en biodynamie et 8 hectaresen Touraine relèvent d’un négoce dequalité. On y défend les valeurs com-munes partagées depuis trente ans avecles Dagueneau, Angeli et quelques autresvignerons, tous compagnons des routesescarpées de l’exigence. La solidarité estde celles-là : un jour funeste de juin2013,la nature indifférente fit s’abattre la vio-lente cataracte de ses grêlons sur lesvignes de Chidaine. Plus de 70% de la ré-colte laissa une terrible jonchée sur laterre meurtrie. En mars 2015, tous les vi-gnerons de l’association l’Union desGens du Métier organisèrent une venteaux enchères de leurs meilleurs flaconsau bénéfice du domaine Chidaine :“Nous avons été profondément touchés parcet élan collectif”, glisse pudiquement Ma-nuela qui vend, à côté des vins de la mai-son, ceux des amis dans une charmanteboutique, “La cave insolite”, sur les quaisde Montlouis. La philosophie tient enquelques principes auxquels on ne dé-roge pas : l’attention au terroir, le bien-être du végétal, la qualité des hommes

qui y veillent et signent le vin. Le respectet la transmission du savoir sont ici cardi-naux, s’expriment dans la tolérance, àl’écart des chapelles aux idéologies quiexcluent la différence de l’autre : “Quandtu t’enfermes, tu meurs un peu. Je préfère don-ner et je continuerai jusqu’à ma mort”, mur-mure François.

Au début, avec leurs faibles rende-ments, le tri des raisins pour ne garderque le meilleur, ils allaient à l’encontredes extrêmes de la surproduction locale.Fils de fer coupés, mesquineries sour-noises, vacheries de l’ordinaire paysan fu-rent leur lot et puis, devant la pertinencedu dessein, l’excellence des vins, le calmeest revenu. On élut même François Chi-daine président du syndicat de l’appella-tion Montlouis… “J’arrête en 2016, celafait dix ans… À l’avenir, il faudra deshommes jeunes et forts pour aller contre latendance ambiante des vins Coca-Cola quiruineraient notre économie.” Avec leursdeux enfants, Alice et Pierre, ils préparentla suite tranquillement. Pour se mettre aurisque de l’aventure, dans des conditions

et porte sans faillir les valeurs de l’en-traide : “Lorsque Marcel ne pouvait plus tra-vailler, se souvient François Chidaine, c’estmon père qui labourait les vignes de sa tante,en souvenir de quoi l’oncle les lui donnera…”

Aujourd’hui, Manuela marche aux cô-tés de François. Elle est née à Montri-chard parce que sa mère, une Egea du pe-tit village de Mula près de Murcia enAndalousie, voulait revoir son père JoseRoda, républicain espagnol réfugié seuldans la Loire en 1936, rude combattantdressé contre les dictatures et qui se fitmaquisard en 1940 contre les nazis.Dans le regard perçant de Manuela, labrune aux yeux pers, se lit la détermina-tion farouche de l’aïeul indomptable :“Sans elle, nous n’en serions pas là !” affirmeFrançois. Elle l’a rencontré à la veille desvendanges en 1984. Ils se sont mariés en1991. Manuela ne buvait pas une goutte :“François m’a tout appris.” Voilà, chacunsait et reconnaît ce que l’autre lui a donné.Les 20 hectares de Montlouis, les 10 deVouvray (dont le fameux Clos Baudouinanciennement à la famille Poniatowski)

gagne à Tours et perd à Orléans. Alors,dans les remous de l’époque, Auguste ré-siste, se bat et défend la toute jeune ap-pellation Montlouis créée en 1937. Au-guste et Simone, sans le sou et avec pourseul viatique leur passion pour la vigne,élèvent des chèvres, font du sainte-maure de Touraine et s’opposent àl’exode rural, achètent des terres et agran-dissent le vignoble. Au début il y avait4 hectares de vergers, de prés et devignes. Deux enfants naîtront, Yves etAnnick. À son retour de la guerre d’Algé-rie en 1959, Yves se marie avec Anne-Marie, une fille de La Bane, le village d’àcôté, dont les parents sont “des Auver-gnats pur sang , des bougnats, des scieurs delong , des saisonniers”. Annick, sa sœur,épouse un gars de la vallée, Claude Le-vasseur. Soucieux d’équité et partisandes transitions douces, Auguste Chi-daine crée deux domaines supplémen-taires, Yves Chidaine et Levasseur. Ça enfait trois de 7 ou 8hectares chacun. Fran-çois créera le sien en 1989 et Yves, qui afait la même chose que son père, don-

nera à son fils François 4 hectares lamême année : Clos Dubreuil, des argileset des silex grossiers sur un sous-sol detuffeau, ce blanc et tendre calcaire oùplongent les racines, et Clos Renard, uneparcelle qui appartenait à Marie-Antoi-nette, la tante d’Yves, et à son mari Mar-cel. Tout au long de la succession des gé-nérations, ce modèle de transmission,“le modèle Auguste” où chacun préparel’avenir de l’autre, atteste de son efficacité

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« JE POSE UN REGARD FUSIONNEL SUR MES VIGNES, JE LES TOUCHE, LEURPARLE, J’AI CONFIANCE EN ELLES, ÇA PROCÈDE SIMPLEMENT DE L’AMOUR. »

Début octobre, vendanges auClos Habert. Page de gauche,François avec Manuela etleurs enfants Alice et Pierre,à leurs côtés au domaine.

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Ainsi fait-on de l’agriculture chez lesChidaine, en respectant au mieux le fa-meux complexe argilo-humique. Ainsiles vins transposent-ils naturellement cequ’il en est de la relation des fruits de laterre, interprétée par les choix du vigne-ron. À la cueillette, le tri se fait en bout derang sur une table où défilent les fruits, etau diable les caissettes : à raisin sain ven-dange résistante au transport. La nou-velle cave accueille les moûts dans unprocessus gravitaire. De l’autre côté de laroute, creusées dans le tuffeau, ce sonttrois caves voûtées peuplées de fûts, desdemi-muids en majorité où s’accomplis-sent sans bâtonnage les vinifications desvouvrays, des montlouis. Plus on avancedans le ventre de la terre, plus les fûts sontvieux, sur la base d’un renouvellement de10% par an. Au bout des tunnels, ça sentla noix délicate. Chaque fût est aspiré etrempli d’air frais avant de recevoir les jus,ainsi l’ensemencement naturel des le-vures indigènes est-il flatté. Des gestessimples, pensés par un autodidacte ins-piré qui a quitté l’école à 17 ans.

Dans la traversée du chenin que pro-pose François Chidaine, le 2014 est à sesyeux “sûrement le plus grand millésime [qu’ilait] fait, pur et cristallin, même si le vin par-fait n’existe pas !” Montlouis Clos duBreuil 2014 lance sa voix de ténor quimonte du ventre, moderato au toucherfin, une méditation tranquille. VouvrayArgiles 2014 élève les trilles du chantclair d’un rossignol dans la nuit minéraleoù souffle un vent salé. Montlouis Choi-

silles 2014, né sur des calcaires et du tuf-feau, déploie le drapé d’un voile de tullede soie bleu dans la fraîcheur d’un matinau Hameau de la Reine, et la ciselure desamers a la précision des notes d’une suitepour clavecin. Clos Habert 2014, unmontlouis, rappelle les citronniers deBordighera peints par Monet : en boucheune douceur infinie, une promessed’Éros. Vouvray Le Bouchet 2014 voit lejour sur des argiles profondes et de lacraie ; celui-là c’est le jardin élégant d’unWatteau, des messieurs poudrés qui ba-dinent et soudain la voix d’une alto quis’élève sous les frondaisons du parc.Montlouis Bournais 2005, au vieillisse-ment élégant, offre ses notes de réglisse,celle que l’on donne aux enfants impa-tients et gourmands. Enfin MontlouisLes Lys 2009, sur des argiles à silex, des-sine l’extrême délicatesse du botrytis surles dorures d’un miroir où se prolonge àl’infini le bonheur d’un embarquementpour Cythère, promesse d’Aphrodite,pour que du chenin glorieux, la joie de-meure ! e (Bon à savoir, page 185)

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« DANS UN MILIEU VIVANT, LA VIGNE VA PLUS LOIN CHERCHER SON TERROIR.CERTAINES PARCELLES DEVIENNENT DES SIGNATURES DE NOS CLIMATS. »