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contrastes N° 175 Bimestriel Juillet-Août 2016 NOUVELLE GAUCHE EN EUROPE CASSER L’ENGRENAGE DE L’AUSTÉRITÉ cc.Flikr Michalis Famelis

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NOUVELLE GAUCHE EN EUROPECASSER L’ENGRENAGE DE L’AUSTÉRITÉ

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Equipe de rédaction :Christine Steinbach, Monique Van Dieren,Claudia Benedetto, Guillaume LohestRédactrice en chef : Monique Van DierenMise en page : Hassan GovahianEditeur responsable : Christine Steinbach, 8, rue du Lombard5000 - Namur - Tél : 081/73.40.86 [email protected] Prix au n° : 2 € Pour s'abonner (Contrastes + Fourmilière) :Versez 15 € au compteBE46 7865 7139 3436des Equipes Populaires,avec la mention :"Abonnement àContrastes" + votre nom

Le sujet vous intéresse ? Conférence-débat organisé par Les EP sur L'avEnir dEs nouvELLEs gauChEs En EuroPELe lundi 19 septembre de 19h à 22h a la CsC, rue Pletinckx, 19 à Bruxelles.infos : 081/73.40.86 www.equipespopulaires.be

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En finir avec le chantage

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"La gauche en ruines", c’est le titre du dernier numéro de laRevue Nouvelle. A voir la composition du Parlement européen etde la toute grande majorité des gouvernements nationaux, on nepeut qu’adhérer à ce constat.

Encore faut-il savoir de quelle gauche on parle…Celle qui a renoncé à une rupture franche avec le capitalisme ets’est laissée un peu trop séduire par les sirènes du néolibéra-lisme ? Oui, la plupart des partis socialistes européens en sont ar-rivés là et perdent du terrain, y compris dans les pays où ils sontau pouvoir, en France par exemple. En Belgique, les socialistes aupouvoir pendant plus de 25 ans font une cure d’opposition au fé-déral, et la gauche (tant sociale-démocrate que radicale) peine àse faire entendre, surtout au nord du pays.

Ou parle-t-on de la "nouvelle gauche" ou "gauche radicale", qui atrouvé un souffle puissant dans la lutte contre les politiques d’aus-térité imposées par l’UE et appliquées par les Etats comme debons petits soldats ? Comme nous le verrons dans ce dossier, cette gauche-là a connudes succès électoraux dans les pays les plus touchés par la crise,en particulier dans le sud de l’Europe (Grèce, Espagne, Portugal).Ils y ont connu des victoires, mais ils sont loin d’avoir gagné lebras de fer que leur impose l’UE et/ou leurs dirigeants nationauxpour faire passer des mesures d’austérité. En Grèce, Syriza en afait la douloureuse expérience. En Espagne, Podemos a gagné surle terrain municipal mais n’a pas réussi à imposer son agenda auniveau national. Et au Portugal, le Bloco soutient de l’extérieur leParti Socialiste au pouvoir pour que celui-ci rompe avec les me-sures antisociales des gouvernements de droite précédents.

Qu’ils soient issus d’alliances entre de petits partis ou mouvementsd’extrême gauche (comme Syriza en Grèce ou le Bloco au Portu-gal), ou de mouvements sociaux (comme les Indignés en Es-pagne), ces partis ont un puissant point commun : rompre avec lespolitiques d’austérité qui appauvrissent les peuples et en finir avecle chantage imposé par les institutions financières et européennes(la Troïka) : « On vous prête de l’argent pour rembourser votredette, mais en compensation, vous devez appliquer des mesuresd’austérité drastiques : diminution des salaires et des pensions, ra-botage des droits sociaux, vente des biens publics… »

Pour Eric Toussaint, porte-parole du CADTM interviewé dans cenuméro, la gauche radicale doit être… radicale et intransigeante surce point : il faut refuser catégoriquement d’entrer dans ce chantageet prouver que les dettes contractées par les Etats au cours desdernières décennies sont illégitimes, voire odieuses.Pour lui comme pour de nombreux activistes engagés dans ce com-bat, « il faut un Plan B pour la gauche européenne », le Plan Aétant celui de la capitulation face aux injonctions des institutions fi-nancières de l’UE, comme cela s’est produit en Grèce. Selon lui, cePlan B est indispensable si on veut changer le cap du navire Europeet ne pas laisser un boulevard à l’extrême droite, qui surfe sur lavague anti-européenne pour des raisons beaucoup moins nobles...

Monique Van Dieren

cc.Flikr GUE-NGL

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Depuis sa création officielle en 2004, cette for-mation politique avait pourtant le vent en poupe.A l’origine, Syriza rassemble de nombreux partispolitiques issus du spectre de la gauche « radi-cale  » grecque. Ses débuts électoraux sont ti-mides : elle remporte 3,2% des voix aux électionslégislatives de 2004, 5% en 2007 et 4,6% en 2009.C’est lors des élections législatives anticipées du6 mai 2012 que le parti prend son envol en re-cueillant 16,78% des voix et 52 députés à la Vouli,le Parlement grec. Devant l’incapacité desconservateurs (« Nouvelle Démocratie ») à formerun gouvernement, de nouvelles élections législa-tives ont lieu en juin 2012.

Entre ces deux scrutins, Syriza se transforme enparti politique unique. Raison de ce change-ment ? Jusqu’il y a peu, le parti qui remportaitles élections se voyait octroyer un bonus de 50sièges à la Vouli, mais cette spécificité n’était pasaccessible aux formations politiques qui regrou-pent différents partis en leur sein…Quoi qu’il en soit, le 17 juin 2012, Syriza conti-nue son ascension et récolte 26,89% des voix.Mais c’est le scrutin du 25 janvier 2015 qui feradate dans l’histoire du parti. Ce jour-là, le partidécroche 36,34% des suffrages et envoie 149députés à la Vouli, manquant de près la majo-rité absolue. Comment expliquer ce succès re-tentissant ?

Un pays exsangue

Depuis 2009, la Grèce est soumise à des poli-tiques d’austérité sans précédent (diminutiondrastique du montant des pensions, augmenta-tions de la TVA, réductions des salaires, privati-sations de biens publics...). Mesure aprèsmesure, le pays est saigné à blanc. « Aujourd’hui,entre deux et trois millions de Grecs n’ont plusaucune couverture sociale  », rappelle EstelleToscanucci 2. D’autres données font froid dans ledos : le taux de chômage se situe à 24,9%, la dettepublique s’élève à 180% du PIB et depuis 2011,une hausse d’un tiers des suicides est observée 3.

Ce désert économique et social permet d’expli-quer en grande partie le succès électoral de Sy-riza. Dès 2009, le parti construit son discours ens’opposant aux politiques d’austérité. Au fil dutemps, le champ politique grec va s’organiser au-tour du clivage « pour ou contre les mémoran-dums de la troïka ». Syriza parvient alors à sepositionner comme la force politique principaledu camp des opposants. Son programme poli-tique est toutefois bien plus large.Dans un premier temps, ce parti entend mettrefin à la crise humanitaire grecque, conséquencedes nombreuses mesures d’austérité prises parles gouvernements depuis 2009 4. C’est ainsi queSyriza veut, par exemple, rétablir le salaire mi-

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SYRIZA ET L’ORTHODOXIE BUDGÉTAIRE EUROPÉENNE

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e 15 juillet 2015restera dans lesmémoires d’AlexisTsipras, le leader duparti Syriza, commeun tournant dansl’ascension de sonparti. Mais sous la pressiondes créanciers, deprofondes divisions ontvu le jour et la bellehistoire du parti Syrizaa pris du plomb dans l’aile. Rétroactes.

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nimum à 751 euros 5, mettre fin aux licencie-ments dans la fonction publique, annuler lesdettes de certains foyers en grande difficulté, ré-instaurer les conventions collectives de travailpour protéger l’ensemble des travailleurs, etc.Pour financer ces mesures, la formation d’AlexisTsipras propose de lutter contre la corruption,très présente dans le pays ainsi que contre lafraude fiscale. Elle mise également sur une re-lance de la demande grâce aux mesures prisesen faveur de la population et souhaite mettresur pied une banque publique de développe-ment pour financer la reconstruction du pays.Mais le parti ne milite pas pour une sortie de laGrèce de la zone euro ni de l’Union européenne.

Une alliance contre-nature et les désillusions du pouvoir

C’est sur base de ces revendications que Syrizaremporte haut la main les élections du 25 jan-vier 2015, avec 36,34% des voix. Il s’associealors avec un parti de droite populiste et natio-naliste (Anel). L’alliance paraît contre-nature,mais les deux formations politiques ont ungrand point commun : leur virulente opposi-tion aux politiques d’austérité et aux mémoran-dums de la troïka.

Dès son accession au pouvoir, le nouveau gou-vernement prend diverses mesures pour atté-nuer les conséquences tragiques des politiquesd’austérité. Ainsi, en mars 2015, le Parlementgrec adopte une loi anti-pauvreté : distributiond’une aide alimentaire, aides au logement, ré-tablissement de l’électricité aux familles privéesde courant à cause de factures impayées...

L’ampleur de cette réforme ne doit toutefois pasêtre surestimée : ce sont avant tout des mesuresd’urgence qui visent les Grecs les plus démunis,ceux dont les revenus ne dépassent pas 2.400euros par an et par personne. Le gouvernementsouhaite également mettre fin à l’impunité dontjouissent de nombreux oligarques grecs. Finavril 2015, il réouvre l’ERT, la radio-télévisionpublique, qui avait été fermée manu militari enjuin 2013 par Antonis Samaras, provoquant denombreuses réactions en Europe 6.

En accédant au gouvernement, Syriza est tou-tefois obligé de faire marche arrière sur plu-sieurs dossiers, dont celui de la privatisation decertains biens publics.

La formation a donc mis beaucoup d’eau dansson vin. Pourtant, comme l’affirmait un de sesministres : « Ce que nous défendons aujourd’hui(...), ce n’est pas du tout révolutionnaire. Si nousétions dix ou vingt ans en arrière, ce serait toutsimplement le programme d’une social-démocra-tie très souple. C’est un modèle qui veut réconcilierle marché avec les droits sociaux et qui veut ap-porter des réponses à la crise humanitaire, ce n’estpas du tout radical ! Toute la difficulté au-jourd’hui est d’appliquer ce programme de gauchedans une Europe néolibérale » 7. Mais comme l’ex-plique une politologue de l’Université d’Athènes,« l’Union européenne est prise dans un dogma-tisme forcené. Il n’y a aucune logique dans ce quiest proposé, ni aucune discussion possible » 8. Dèslors, toute discussion avec les créanciers se réa-lisera sur des bases politiques, et non écono-miques. Syriza en fera l’amère expérience trèsrapidement.

Un référendum… et un troisième mémorandum

En réalité, depuis 2010, le deal est le suivant :la troïka vient en aide à la Grèce en lui oc-troyant des prêts (avec intérêts...) en échangede quoi le pays met en œuvre des politiquesd’austérité. Résultat : le pays a connu des défla-tions à répétition (baisse générale de l’activité,des prix, des salaires et de l’investissement).S’enclenche alors un cercle vicieux : le poids dela dette augmente et son remboursements’éloigne. D’autres politiques d’austérité sontalors menées, suivies par des crises humani-taires à répétition. Et ainsi de suite.

Pour essayer de sortir de cet engrenage infernal,Alexis Tsipras désirait donc renégocier le secondmémorandum conclu avec la troïka par ses pré-décesseurs. Il souhaitait notamment effacer unepartie de la dette publique grecque et diminuer

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Si l’absence de solidarité européenne s’est fait durement ressentir sur lesquestions budgétaires et financières, la Grèce a aussi été livrée à elle-mêmepour gérer la crise migratoire. Face à l’arrivée de nombreux réfugiés fuyant la guerre et les exactions dansleur pays d’origine, de nombreux pays européens ont décidé de fermerleurs frontières, rompant ainsi toute solidarité intra-européenne. Mais àl’inverse d’autres Etats-membres, le pays d’Alexis Tsipras ne peut pas se dé-rober à ses obligations. En effet, vu sa situation géographique, il se trouveen première ligne. Or la gestion de cette crise migratoire a un coût pour lesfinances publiques grecques, ce qui complexifie d’autant plus leur retour àl’équilibre. Bien consciente de la situation, la chancelière allemande, Angela Merkel,n’a pas hésité, il y a quelques semaines, à proposer au leader de Syriza unmarchandage odieux : la gestion de la crise migratoire contre l’assouplisse-ment des mesures d’austérité imposées par les créanciers !Or, la Grèce a souvent été épinglée par des juridictions internationales pourses très mauvaises conditions d’accueil. Mais vu la fermeture des frontièresdes pays frontaliers, des milliers de réfugiés s’y retrouvent aujourd’hui coin-cés, attendant inlassablement de meilleurs lendemains.

LA GRèCE LAISSéE à Son TRISTE SoRT

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les intérêts de celle-ci. Pendant des mois, le brasde fer va être total. Les créanciers se montrerontinflexibles et la Banque centrale européenne agi-tera à plusieurs reprises la menace d’une ferme-ture du financement du système bancaire grec,ce qui, par mouvement de panique, provoque-rait une sortie des capitaux du pays, l’enfonçantencore davantage dans la crise et la récession.

L’affrontement culminera en juin 2015. Alorsque la dernière tranche (pas moins de 7,2 mil-liards d’euros…) du second plan d’aide devaitêtre versée en septembre 2014 en échange denouvelles mesures d’austérité, la troïka reportel’échéance de ce plan en juin 2015. Malgré le dé-sastre provoqué par ces mesures, elle ne fera au-cune concession à un pays en plein désarroiéconomique, social et (simplement) humain. Lamenace d’une sortie de la Grèce de la zone euro,le « Grexit », sera même agitée par certains hautsreprésentants d’Etats membres et de l’Union eu-ropéenne pour faire plier l’exécutif grec. Face à cette intransigeance, Alexis Tsipras dé-cide alors de mener un référendum sur les me-sures qui sont imposées à son pays. 61,3% desvotants répondront « oxi » (non) à ce nouveauplan «  d’aide  ». Sa victoire est totale. Maiscomme nous l’avons mentionné précédemment,le Premier ministre grec ne militait pas pour undépart de la zone euro (voire de l’Union euro-péenne). Fort des résultats du référendum, ils’est donc représenté face aux créanciers en es-pérant pouvoir davantage leur tenir tête.

Ce ne fut pas le cas : un troisième mémoran-dum (portant sur 86 milliards d’euros sur troisans) a été signé entre le gouverne-ment grec et ses créanciers. Cenouveau plan charrie, lui aussi, sonlot de mesures d’austérité (créationd’un fonds de privatisation de bienspublics, réforme des pensions,etc.). L’approche néolibérale, l’or-thodoxie budgétaire à tout prix etla menace d’un Grexit auront donceu raison d’Alexis Tsipras. Ce nou-veau mémorandum a entraînébeaucoup de crispations et d’in-compréhensions au sein de Syriza.D’ailleurs, une trentaine de députésdu parti refuseront de voter denouvelles mesures d’austérité etcréeront un nouveau parti, l’« Unitépopulaire ».

Disposant d’une majorité parle-mentaire plus que bancale, AlexisTsipras présente alors sa démission

le 20 août 2015. De nouvelles élections sontconvoquées dans un délai très court. Un moisplus tard, le 20 septembre, celles-ci consacrentà nouveau Alexis Tsipras. Fait notable : dans unpays où le vote est censé être obligatoire, l’abs-tention atteint le niveau alarmant (et record) de43,4%, alors qu’avant la crise, elle se situait au-tour de 25 % ! Le non-respect du résultat du ré-férendum a laissé des traces. Quoi qu’il en soit,Syriza s’allie avec son ancien partenaire, Anel,pour gouverner le pays.

L’impasse

Confronté à une Union européenne et à descréanciers qui ne lui ont laissé aucune margede manœuvre et qui ont agité la menace d’unGrexit, Alexis Tsipras a donc signé le troisièmemémorandum, reconnaissant lui-même qu’ils’agissait d’un mauvais accord, mais qu’il n’(y)avait pas d’alternatives. Pieds et poings liés, son gouvernement ap-plique depuis lors les nombreuses mesuresd’austérité qui le composent. Comme le noteRomaric Godin : « Le mémorandum ne laisseaucune initiative en matière budgétaire au gou-vernement d’Athènes. Alexis Tsipras ne disposedonc pas de marges de manœuvre directes » 9. Aupassage, Syriza a franchi allégrement certainesde ses lignes rouges (réforme des pensions15,privatisations massives de biens publics…)pour appliquer les doléances des créanciers.

Lors de son accession au pouvoir, le partid’Alexis Tsipras était porteur de tous les espoirspour mettre fin aux politiques d’austérité en

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a naissance du partiespagnol Podemos enjanvier 2014 a suscitéde grandes espérances. Présenté comme leprolongement dumouvement desIndignés, il s’est imposésur la scène politiqueespagnole à la vitessede l’éclair. Aujourd’hui,après six mois denégociations bloquéeset la tenue de nouvellesélections, le parti s’estmaintenu, sansémerger, sans chuter.Le bon moment pourprendre un peu derecul.

L nul ne conteste cette évidence, Podemos acréé un courant d’air dans l’espace politiqueespagnol, occupé depuis plusieurs décenniespar les deux grands partis traditionnels, le PP(Parti populaire) et le PSoE (Parti socialisteouvrier espagnol). né en janvier 2014 avecl’intention explicite de « convertir l’indigna-tion en changement politique », il a connuune croissance fulgurante dans les sondages,s’est porté au pouvoir grâce à des coalitions età des alliances lors des élections municipaleset régionales de 2015 dans les villes les plusimportantes du pays : Barcelone, Madrid, Va-lence. Enfin, il s’est positionné troisième lorsdes élections générales de décembre 2015 etde juin 2016 (71 sièges pour la coalition Uni-dos Podemos).

Avant les élections espagnoles du 26 juin,Pablo Sánchez, un membre de Podemos,nous confiait : « Ce qui peut arriver le 26 juinpeut avoir une signification historique. Pour lapremière fois en Espagne, il y a une possibilitéqu’une force politique s’oppose à la vieille poli-tique et aux coupes budgétaires, elle peut arri-ver en première ou deuxième position,dépassant le parti historique de la gauche(PSOE). D’après les sondages, la percée d’Uni-dos Podemos (le nouveau sigle électoral unis-sant Izquierda Unida - « Gauche Unie » - etPodemos) peut être très importante. Est-ce quecela suffira pour gagner les élections et battrele PP (Partido Popular, de droite) ? C’est diffi-cile à dire avant le 26 juin. »

on sait à présent que cet espoir n’a pas étéréalisé. Malgré l’alliance avec IzquierdaUnida, Podemos n’a pas remporté davantage

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PODEMOS : LA FRAÎCHEUR ET L’IMPASSE ?

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Grèce. Mais c’était sans compter surl’aveuglement des créanciers et leur in-transigeance inébranlable à faire préva-loir à tout prix les seules logiquesbudgétaires et financières. Quitte à nepas vouloir reconnaître que la dettegrecque est intenable et à aggraver la si-tuation de 3,9 millions de personnes enétat de pauvreté (soit plus de 35% de lapopulation) ! Du coup, la grogne est deplus en plus vive au sein de la popula-tion et des travailleurs qui multiplientles grèves pour sauver ce qui peut en-core l’être.

Pour Syriza et pour les défenseurs d’uneautre Union européenne, le bilan estdonc assez douloureux. Toutefois,comme nous le confiait Paul Palster-man, « le mérite de Syriza ne réside pastant dans ses réalisations concrètes qued’avoir proposé une alternative progres-siste et pro-européenne, alors que l’en-semble du continent est plongé dansl’apathie, la morosité, voire pire. A unmoment où l’Europe germanique etslave flirte de plus en plus ouvertementavec l’extrême droite et le repli sur soi,c’est finalement en Grèce que souffle leplus l’esprit européen ». Pour combiende temps encore ?

Nicolas VandenhemelRédacteur en chef de Démocratie

1. La troïka regroupe la Commission euro-péenne, la Banque centrale européenne (BCE)et le Fonds monétaire international.2. Estelle Toscanucci, « Tragédie grecque », EnMarche, 21 avril 2016, p.7.3. Voir :https://www.rtbf.be/info/societe/detail_grece-l-austerite-s-est-traduite-par-une-hausse-d-un-tiers-des-suicides?id=88974544. Voir : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/30/crise-grecque-8-plans-d-austerite-depuis-2009-4-gouvernements-2-plans-d-aide_4664337_4355770.html5. Suite aux mesures d’austérité, le salaire mi-nimum avait été diminué à 580 euros.6. Voir : https://www.mediapart.fr/journal/interna-tional/290415/le-parlement-grec-vote-la-reouver-ture-de-laudiovisuel-public7. Voir : https://www.mediapart.fr/journal/inter-national/170415/grece-syriza-defend-ses-trois-premiers-mois-au-pouvoir?page_article=48. Idem9. Voir : http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-pourquoi-alexis-tsipras-veut-etre-le-bon-eleve-de-la-troika-510866.html

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de sièges et ne sera vraisemblablement pas enposition de faire partie d’un gouvernement decoalition. Il n’empêche que le paysage politiques’est modifié et que les attentes envers cette« nouvelle gauche » demeurent importantes.Comme le résume Héloïse nez, sociologue,« l’un des mérites de Podemos est d’avoir offertune issue électorale au mouvement des Indignéset une alternative partisane aux électeurs espa-gnols. Quand les Indignés émergent le 15 mai2011, à une semaine des élections municipales etrégionales, ils se trouvent dans une impasse élec-torale : le choix se résume alors entre les socia-listes au pouvoir, qui ont déjà adopté lespremières mesures d’austérité, et la droite dansl’opposition, qui prévoit d’aller encore plus loindans les coupes budgétaires. Le principal slogandes Indignés, “Ils ne nous représentent pas”, sedirige aux principaux partis politiques au pou-voir depuis la transition démocratique (1975-1978), le PP (droite) et le PSOE (socialiste), quisont impliqués dans de nombreuses affaires decorruption et proposent les mêmes politiquesd’austérité face à la crise économique. C’est pour-quoi les Indignés revendiquent une “démocratieréelle” et plus de justice sociale. » 1

Côté fraîcheur : société civile etjeunesse du discours

Contrairement à Syriza en Grèce, au Bloco deEsquerda au Portugal ou encore au Front deGauche en France, Podemos ne s’est pas créé parle regroupement de divers partis préexistants,mais se revendique d’une continuité avec l’in-dignation de la société civile. Même si de nom-breux cadres de Podemos sont passés par des

formations traditionnelles de gauche radicale,c’est bien la maturation du mouvement des In-dignés qui a permis la cristallisation de person-nalités et d’idées autour d’un programme departi. « Le 15 mai 2011, se souvient Pablo Sán-chez, a commencé l’occupation de la Puerta delSol à Madrid et, les jours suivants, de milliers deplaces dans toute l’Espagne. Ces occupations ontcatalysé les centaines de campagnes et de lutteslocales en un mouvement de masse, qui n’avaitcependant pas de demandes spécifiques. Le mou-vement était une université populaire qui a re-politisé des centaines de milliers de personnesdans le pays. » « Quand on regarde les leaders de Podemos, noteHéloïse nez, on constate un clair rajeunissementdes élites : la plupart sont des trentenaires qui ar-rivent sur la scène politique, et qui incitent parlà les autres partis à miser sur des nouveaux can-didats plus jeunes. Sur les pratiques aussi, le styleest nouveau. » 2 La publication, par le parti, d’unlivre d’analyse politique basé sur la série Gameof thrones 3 est symptomatique de cette nouvellemanière de mobiliser le débat citoyen. Mais au-delà de l’anecdote, certains principes vontconcrètement dans le sens d’une autre façon defaire de la politique, tels que le refus du cumuldes mandats, même dans le temps, ou le pla-fonnement des indemnités des élus (à trois foisle salaire minimum) afin d’éviter une profes-sionnalisation de ceux-ci. Ces engagementscontribuent à mettre en lumière la ligne de sé-paration que Podemos a voulu redessiner, nonplus entre gauche et droite traditionnelles, maisentre un «  peuple  », la société civile, et une« caste », les élites. Le pari compliqué consistedonc, pour le jeune parti, à entrer dans la danse

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du pouvoir tout en continuant à être perçucomme étant du bon côté de la ligne…

Côté impasse : le lieu du pouvoir

A côté de ces aspects éthiques et discursifs, l’autregrande spécificité de Podemos dans le paysagepolitique espagnol est le contenu résolumentanti-néolibéral de son programme. Refus del’austérité imposée par l’UE et défense de la soli-darité redistributive, priorité à l’éducation et à laprotection sociale, relèvement du salaire mini-mum : tous ces classiques qui font que la gauchepeut rester la gauche, amènent la jeune formationespagnole à se frotter aux mêmes dilemmes tra-versés par tous les partis anti-austérité, mais pro-européens par principe. L’échec de Syriza (cf.article précédent) est encore dans toutes les têtes.En reflet inversé, le Brexit met le doigt sur l’am-biguïté du discours de rejet de l’Union euro-péenne, qui atterrit plus spontanément dans desformules de droites nationalistes que dans des vi-

sions progressistes. L’extrême droite semble ga-gner assez facilement au petit jeu consistant à«  bouger les lignes  » et à brouiller les pistesdroite-gauche par électoralisme. Sur le terrain dela démagogie, elle aura toujours une longueurd’avance : les idées simplistes sont, par définition,plus faciles à exprimer simplement que les idéesjustes. L’enjeu stratégique pour la constructiond’une vraie gauche européenne, aujourd’hui, estprécisément celui de pouvoir dénoncer plus fort(et mieux) que l’extrême droite le cadre néolibéralde l’UE, tout en proposant une autre perspectiveeuropéenne, à la fois sociale, progressiste et réa-liste. Immense défi !Conscient de cette difficulté de parvenir à in-fléchir le cadre européen, le leader de PodemosPablo Iglesias avait mis en avant, comme Jean-Luc Mélenchon en France, la perspective d’unrapport de force différent : « (…) l’Espagne re-présente 10,6% du produit intérieur brut (PIB)de la zone euro en 2013, contre 1,9% pour laGrèce. Nous engagerions donc le bras de fer avecla certitude de disposer d’une marge de manœu-vre plus importante. » 4 Vu l’ampleur du défi, leseul recours au refrain du « rapport de force »répété à l’envi par certains sonne un peucomme un aveu d’impuissance théorique etstratégique. L’impasse dans laquelle se trouve Podemos ac-tuellement n’est cependant pas située à l’écheloneuropéen, puisque c’est sur la scène nationale quele parti n’est pas encore parvenu à se hisser au ni-veau de pouvoir permettant d’être à la table denégociation des politiques socio-économiques.Mais ne nous y trompons pas, à côté de questionsspécifiques à l’Espagne (Podemos est en faveur del’autodétermination de la Catalogne), c’est aussisur ces enjeux que l’essentiel du nœud s’est formé.Les leaders de Podemos ne veulent pas se retrou-ver dans une situation de gouvernement qui lesobligerait à faire marche arrière (comme Syriza)sur leurs options socio-économiques fondamen-tales. D’où le mécontentement, inévitable, de cer-tains électeurs déçus qui espéraient une attitudeplus réaliste de la part de Podemos dans les né-gociations, avec une implication peut-être moinsambitieuse, mais plus tangible, dans la participa-tion à la vie politique.

Nous pouvons : nous, le peuple ?

« Podemos », en espagnol, signifie « nous pou-vons ». Ce nom est à la fois très puissant sym-boliquement et très mobilisateur en termes decommunication, mais il pose deux questionsembarrassantes. L’ensemble résume assez bienà la fois l’enthousiasme et le scepticisme suscitéspar le phénomène Podemos. Le symbole et la communication tout d’abord :

Le populisme, au sens courant, est associé dans les sociétés démocratiques àune représentation négative. Il est presque devenu synonyme de « démago-gie », bien que son acception d’origine désignait seulement la prise encompte des intérêts du peuple dans une doctrine politique.

Chez l’intellectuel argentin Ernesto Laclau (1935-2014), fréquemment éti-queté « post-marxiste » et influencé par la pensée du communiste italienAntonio Gramsci (1891-1937), le populisme prend un tout autre sens. Iln’est ni une intention démagogique, ni « un certain type de mouvementidentifiable à une base sociale particulière » (paysannerie ou mouvementouvrier), mais « une logique politique qui tente de constituer le « peuple »comme acteur historique à partir d’une pluralité de situations antagoniques.Ce qu’il vise ? Restaurer une société pleinement réconciliée : horizon poli-tique (voire mythique) qui marque selon Laclau la logique universaliste de lanotion même de « peuple » 1.

Autrement dit, pour l’auteur argentin, le populisme « correspond à uneconfiguration particulière des sociétés. En temps normal, les différents sec-teurs sociaux interagissent avec l’Etat en lui adressant des revendicationsspécifiques : les instituteurs demandent des classes moins chargées, cepen-dant que les petits artisans réclament un allègement de leur fiscalité ; lesécologistes se concentrent sur la lutte contre le réchauffement climatique,alors qu’émerge un mouvement suggérant de commencer par changer deConstitution, etc. Laclau parle de “logique de la différence“. (…) Lorsque lepouvoir ne veut (ou ne peut) répondre à ces interpellations variées - sansrapport nécessaire les unes avec les autres -, il arrive “qu’une série de parti-cularités établissent des relations d’équivalence entre elles”. Les différencess’estompent ; émerge alors un mot d’ordre susceptible d’incarner, un temps,l’ensemble des doléances. » 2

1. Evelyne Grossman, « Vous avez dit « populisme » ? », La Vie des idées, 19 mai 2008.2. Razmig Keucheyan & Renaud Lambert, « Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos » dans LeMonde Diplomatique, septembre 2015.

Les deux principaux ouvrages d’Ernesto Laclau sont Hégémonie et stratégie socialiste (1985, co-écrit avec Chantal Mouffe) et La Raison populiste (2005).

ErnEsto LacLau : unE vision originaLE du « popuLismE »

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le verbe « pouvoir » associé à un « nous » ras-sembleur renvoie à l’étymologie même de la dé-mocratie (le pouvoir du peuple). C’est très fortpour mobiliser largement, c’est même très bienvu dans l’optique de dépasser le clivage droite-gauche traditionnel pour mettre l’accent sur ladistinction peuple-élites, sur le rejet des poli-tiques élaborées en vase clos par des institutionslointaines au détriment des populations. Maison se demande, du coup, qui est ce « nous », cepeuple, et ce qu’il peut bien vouloir. « nous pou-vons », oui mais nous pouvons quoi ? Répondre à ces deux questions exigerait bien da-vantage que quelques… lignes. Mais signalonstout de même que cela fait l’objet d’une impor-tante réflexion théorique au cœur même de Po-demos. Pour mettre ensemble des revendicationspolitiques diverses et portées par des groupes so-ciaux hétérogènes (comme c’était le cas du mou-vement des Indignados), l’apport théorique del’intellectuel argentin Ernesto Laclau, et notam-ment sa version positive du « populisme » (cf.encadré), sont régulièrement cités. Davantagequ’une référence savante signalée en passant, ilnous semble qu’on touche, avec cette réflexionsur la notion de « peuple », au cœur d’un débatessentiel qui ne concerne pas seulement les Es-pagnols. En deux mots, de quoi est-il question ?De prendre en compte le fait que le « peuple »n’est pas (plus) une notion claire aujourd’hui,mais une catégorie politique à (re)construire.L’opposition limpide travail/capital, qui a pu suf-fire à fonder des luttes sociales évidentes autourde revendications communes (dans une sociétéindustrielle et salariale), devrait alors être recon-figurée à partir de nouvelles particularités his-toriques. Dans la vision d’Ernesto Laclau, quecertains leaders de Podemos se sont appropriées,l’enjeu politique essentiel est de parvenir à cris-talliser des particularités sociopolitiques nonunifiées par nature (revendications sociales, éco-

logiques, d’autonomie, etc.) dans la représenta-tion d’une universalité. Il s’agit de transformerune population fragmentée, aux désirs contra-dictoires, en un « peuple » qui se trouve un ho-rizon politique commun.

Importer la réflexion

Cet effort théorique exige bien sûr de l’inventi-vité stratégique et discursive. Au sein même dePodemos, les débats sont vifs entre la tentationdu rapprochement avec des visions d’extrêmegauche plus installées (comme l’alliance avec Iz-quierda Unida) et la voie de l’exploration théo-rique et de l’innovation dans le discours, quireste abstraite, fragile et hypothétique. Le nu-méro deux du parti, Iñigo Errejón, propose unemétaphore footballistique pour décrire ces deuxoptions. « Certaines passes de Laudrup me don-nent davantage la chair de poule que de nom-breux goals. J’admire la capacité de certainsjoueurs comme Xavi et Iniesta, ou Zidane, ou Re-dondo, leur faculté à créer des espaces qui n’exis-taient pas avant que le ballon leur sorte des pieds.Je considère la politique de la même manière :certains savent seulement ouvrir le jeu à droiteou à gauche, mais ceux qui changent vraimentles choses sont ceux qui se montrent capables deretourner l’échiquier et d’ouvrir des nouveauxchemins. » 5 L’Euro de football est certes terminé,avec un goût amer pour les Espagnols et pourles Belges, et il ne s’agit que d’une image. Maisn’y a-t-il pas là une interpellation à l’ensembledes gauches européennes, une invitation à ex-plorer de nouvelles voies ?

Guillaume Lohest

Merci à Pablo Sánchez pour son témoignage, fourniavant les élections générales du 26 juin 2016.

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(1) Interview d’Héloïse Nez dans LesInrocks, 21/12/2015, propos recueillispar Mathieu Dejean.(2) Entretien avec Héloïse Nez dansTélérama, 19/12/2015, par SophieRahal. (3) Pablo Iglesias (sous la directionde), Podemos, Les leçons politiquesde Game of thrones, traduit de l’es-pagnol par Tatiana Jarzabek, Post-Editions, 2015.(4) Pablo Iglesias, « Podemos, notrestratégie », dans Le Monde Diploma-tique, juillet 2015.(5) www.mundodeportivo.com,26/05/2016, « Hay algunos pases deLaudrup que me ponen la piel degallina ». (Notre traduction)

Autres références utilisées :Sandrine Morel, « Espagne : lacolère des déçus de Podemos »dans Le Monde, 27/04/2016. Vincent Scheltens-Ortega,« Espagne : Podemos, politiser l’indi-gnation » dans Politique n° 94, mars-avril 2016.

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« Grandola vila Morena / Terra da frater-nidade… », cette chanson de José Afonso1 estentrée dans le patrimoine collectif du peuple por-tugais. Diffusée à la radio le 25 avril 1974, elle futle signal déclencheur de la révolution des œillets.C’est cette même chanson qui, entonnée dans lesgaleries du parlement le 15 février 2013 par desmanifestants, a interrompu la prise de parole duPremier ministre de l’époque, Passos Coelhoavant de devenir, dans la foulée, l’hymne desmanifestations contre les politiques d’austérité.

Bloco, le deuxième souffle de la révolution ?

La révolution des œillets de 1974 ne se limitaitpas au renversement de la dictature. C’étaitbeaucoup plus. outre la fin de la colonisation,elle avait aussi ouvert une période fantastiquede mobilisation de millions de gens : ouvrièreset ouvriers, habitants des quartiers populaires,ouvriers agricoles qui ont occupé les terresabandonnées par les « seigneurs » … Toutesles luttes étaient dans la rue non seulementpour revendiquer ce que la population avaitobtenu dans d’autres pays (salaire minimum,droit de grève, allocations, vacances an-nuelles…) mais aussi pour le droit au logement

ou pour la nationalisation des banques et dessecteurs économiques stratégiques.

Cependant, le 25 novembre 1975 fut commel’écrit l’historienne Raquel Varela le jour quistoppa le processus révolutionnaire au Portu-gal 2. Si cette contre-révolution marque le débutde la démocratie parlementaire libérale, elle va,dans les dix années qui suivirent, défaire desacquis de la révolution avec la flexibilisation dumarché du travail, la contre-réforme agraire ouencore des privatisations. Ces dernières années,les gouvernements successifs vont, sous la pres-sion européenne, imposer de graves mesuresd’austérité qui vont provoquer d’importantesvagues d’émigration vers « d’autres cieux » detravailleuses et travailleurs portugais, tout par-ticulièrement des jeunes et des universitaires.

Le Bloco a été fondé en 1999. Il ne constitue niun cartel ni une fusion. Les affiliations se fontde façon directe et individuelle. Même si troisformations politiques 3 sont à l’origine du Bloco,celui-ci a voulu être un mouvement politiqueunitaire capable de résister mais aussi d’en-granger des victoires politiques significatives.Ce qui fait la spécificité et la force du Bloco au-jourd’hui, c’est sans doute qu’il a décidé que sa

IL FAUT ARROSER LES ŒILLETS…

Confronté à l’offensivedu capital financier etaux mesuresd’austérité, le Portugala vu émerger en 1999un mouvementpolitique hérité de laRévolution des œilletsde 1974. Aujourd’hui,le Bloco soutient del’extérieur le Partisocialiste au pouvoirpour résister auxinjonctionseuropéennes et tenterde promouvoir despolitiques socialesjustes.

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direction politique serait un processus de syn-thèse de sa pluralité et non un terrain de dis-putes entre ses groupes fondateurs. Cettepluralité intègre de façon significative des mili-tant-e-s non issus de ces trois formations. Si leBloco présente des similitudes avec Syriza 4 etPodemos, il comporte aussi de nombreuses dif-férences, comme l’explique Alda Sousa dans unarticle écrit pour Contretemps. 5 Il y a bien sûrdes similitudes dans la situation des trois pays,principalement l’offensive du capital financieret les mesures d’austérité. Mais les réalités so-ciales, l’histoire du mouvement ouvrier ou celledes mouvements sociaux présentent des dif-férences qui expliquent les origines spécifiquesou les chemins suivis dans chacun des pays. En2009, le Bloco atteignait déjà les 10% lors desélections européennes.

Ce ne sont pas tant les affinités historiques ouidéologiques qui ont été déterminantes pour lacréation de Bloco mais plutôt une analyse com-mune de la situation nationale et européenne,du rôle du capitalisme et de l’importance demouvements sociaux indépendants des ap-pareils politiques. C’est sur ces bases que leBloco veut combattre et construire une alter-native socialiste.

Une conviction partagée par les militants etdirigeants du Bloco est que l’expérience de laGrèce montre que la sortie des politiquesd’austérité ne peut s’envisager que par un af-frontement contre l’UE et le monde de la fi-nance.

Bloco et mouvements sociaux

Aujourd’hui, l’évocation de l’émergence d’une« nouvelle gauche » et de ses rapports avec lesmouvements sociaux est souvent associée à lanaissance de Podemos en Espagne, dans lafoulée du Mouvement des Indignés. nousl’avons vu, le Bloco au Portugal a une histoiredifférente. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas derelation avec les mouvements sociaux. Une partsignificative de ses militants, quelles que soientles générations, participent à des combatscitoyens. Mais pour le Bloco, la relation auxmouvements sociaux s’inscrit dans une dé-marche de soutien à leurs combats sans inten-tion de les contrôler. Pas question non plus pourle Bloco de créer des « mouvements de façade »qui seraient des courroies de transmission duparti en direction de la « société civile ».

Les militants du Bloco sont engagés dans unesérie de combats et de mouvements auprès desjeunes précaires, des retraités, des féministes ou

encore du mouvement LGTBI. Sans oublier lemouvement syndical, même si la proximité desdeux centrales syndicales avec le PS et le PCP(Parti Communiste Portugais) rendent leschoses plus compliquées. Le Bloco soutientégalement les mobilisations écologistes entreautres pour la fermeture de la centrale nu-cléaire d’Almaraz en Espagne. Pour le Bloco,l’existence et la vie des mouvements sociaux estessentielle pour la démocratie et cruciale pourcertains enjeux comme la capacité de résistanceaux politiques d’austérité que veut imposerl’UE. Le Bloco estime qu’il a beaucoup à ap-prendre des mouvements sociaux mais refusel’approche du PCP plus enclin à contrôler ouutiliser ces mouvements.

Un soutien extérieur

Si le Bloco se distingue tant du PS que du PCPsur une série de questions ou dans des élémentsde stratégie, cela ne signifie pas qu’il nesouhaite pas des convergences entre les dif-férentes composantes. Il arrive régulièrementqu’ils soient sur la même longueur d’ondes auParlement et le PCP participe, aux côtés duBloco, au groupe GUE/nGL 6. Lors du référen-dum sur l’avortement (en 2007) mais aussi àl’occasion des mobilisations citoyennes initiéesà partir de 2011, le Bloco a adopté une attitudede soutien alors que dans un premier temps lePCP se distanciait des premières manifesta-tions qui étaient organisées par des jeunes n’ap-partenant pas à une organisation politique. Cesmanifestations contre les politiques d’austéritéont mis dans la rue, entre autres en 2012 et2013, plus d’un million et demi de personnes,en majorité des citoyens non organisés.

Le recul du Parti social-démocrate (droite) lorsdes élections législatives d’octobre 2015 a per-mis au Parti Socialiste de revenir au pouvoiravec le soutien du PCP et du Bloco. Mais aucunde ces deux partis ne participe au gouverne-ment. Il s’agit d’un soutien extérieur destiné àsortir des politiques d’austérité et à promouvoirdes mesures socialement et économiquementjustes, la récupération des salaires et des re-traites étant au cœur des accords que chacundes partis a signés avec le PS.

Ce soutien n’est pas inconditionnel mais co-hérent avec les principes de l’accord. C’est ainsique lorsque le gouvernement a cédé à la pressionde la Commission européenne pour vendre unepetite banque 7 au groupe Santander, le PCP etle Bloco ont voté contre cette mesure et le gou-vernement socialiste a reçu l’appui de la droite.

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Les tensions ne manquent pas au sein de la ma-jorité. Même si les dirigeants et militants duBloco savent que cet accord est sans doute in-suffisant, ils ne regrettent pas d’avoir pu lepasser et de pouvoir, de cette manière, avoir dupoids pour influencer les politiques menées surle terrain social ou encore sur les questions dela dette et de l’austérité. Le PS ne disposant pasd’une majorité parlementaire, l’appui conjuguéet du PCP et du Bloco est indispensable.

Comme nous le précisait Alda Sousa, le change-ment des conditions sociales n’est pas indépen-dant du contrôle du système financier.Aujourd’hui, le Portugal paye, en intérêts de ladette, l’équivalent de l’ensemble du budget duService national de santé. Sans la restructurationde la dette, il est donc impossible de dégager desmarges en faveur de politiques sociales ou envue de création d’emplois. Mais le Bloco a le sen-timent que malgré les convergences et son poidsélectoral supérieur à 10%, il ne dispose pas en-core d’un rapport de force politique suffisantpour imposer au PS la renégociation de la dette.Celle-ci est cependant une nécessité pourdévelopper des politiques alternatives.

Ces politiques alternatives sont particulière-ment urgentes et nécessaires dans un pays quiconnaît un des salaires minima parmi les plusbas de l’UE (505€ en 2015), une précarisationde plus en plus importante des travailleuses ettravailleurs 8, un chômage important (plus de600.000 personnes), et une émigration toutaussi conséquente.

Les gouvernements successifs, tant PS que PSD,n’ont pas mené des politiques permettant d’in-verser la tendance, de rompre avec la spirale dela paupérisation d’une part importante de lapopulation 9 et de l’accroissement des écarts derichesse.Le Bloco a donc construit son programme au-

tour de la réduction de la pauvreté et de la pré-carité par la garantie d’allocations de chômageà tous les sans-emploi, l’augmentation dusalaire minimum et du montant des retraites,la réduction du temps de travail à 35 heuresainsi que différentes mesures de justice fiscaleet de transparence afin de donner plus demoyens à la sécurité sociale.

Des pas importants ont déjà été faits commel’augmentation du salaire minimum à raison de5% par an jusqu’en 2019 ou encore un « tarifsocial énergie » mis en place en faveur d’unmillion d’usagers depuis le 1er juillet 2016. Cettedernière mesure est entièrement financée parles sociétés d’électricité. Au début de l’été, il y aeu aussi le retour aux 35 heures pour les agentsde la fonction publique. 10

Un test important sera sans doute la discussiondu budget 2017 et les risques de pression de laCommission européenne. Comme dit la mo-tion approuvée au dernier Congrès du Bloco aumois de juin dernier, sans une majorité socialeil sera difficile de vaincre l’offensive des insti-tutions européennes et financières.

Si une victoire simultanée des forces de gauchealternative dans différents pays de l’UE don-nerait sans aucun doute plus de poids face auxdiktats de l’UE, militants et dirigeants du Blocosavent aussi que le rapport de force se construitd’abord dans son propre pays, face aux autresformations politiques, au patronat et à la bour-geoisie, en soutenant les actions des mouve-ments sociaux sur un maximum de terrains.Mais aussi en solidarité avec les forces politiqueset mouvements sociaux européens qui n’ac-ceptent pas les diktats de la CE ou de la BCE.

C’est le chemin qu’a pris le Bloco et il ne comptepas s’arrêter en route…

Paul Blanjean

Le présent article traitant duBloco Esquerda1 a pu êtrerédigé grâce à la précieusecontribution d’Alda Sousa.née pendant la dictature, AldaSousa a entamé la résistanceau régime de Salazar alorsqu’elle était toujours étudiante.Elle a rejoint, en 1975 la LigueCommuniste International-iste2. Elle a ensuite contribué àla fondation du Bloco, en 1999et y a exercé différentes fonc-tions. Elle fut, entre autres,députée européenne de 2012 à2014.

1. Bloc de Gauche.2. Section portugaise de la IVe inter-nationale (trotskiste).

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1. José Afonso (1929 - 1987), poète et musicien portugais, enseignant et militant contre la dictature, est l’auteur decette chanson, écrite initialement en hommage à la Société Musicale Fraternité Ouvrière de la petite ville de Gran-dola. Elle avait été chantée à l’unisson, le 28 mars 1974, moins d’un mois avant la chute de la dictature, auColisée de Lisbonne. La police n’a pas eu le temps d’intervenir. 2. Raquel Varela in « Le jour qui stoppa le processus révolutionnaire au Portugal » in « Contretemps» - nov. 2014.3. Le Bloco est issu de débats et de convergences entre l’UDP, le PSR et POLITICA XXI, une scission du PCP.4. Le Bloco a cependant pris ses distances avec Syriza depuis que le gouvernement Tsipras a accepté, en 2015,de négocier et d’appliquer les plans d’austérité voulus par la troïka.5. Alda Sousa : « Le Bloc de Gauche portugais : ni Syriza ni Podemos » in « Contretemps » n° 25 - avril 2015.6. Le groupe GUE/NGL (Gauche Unie Européenne/Nordic Green Left) regroupe 52 parlementaires européensissus de 19 formations politiques provenant de 14 pays de l’UE. Outre le Bloco et le PCP, on y retrouve, parexemple, les Allemands de Die Linke, les Français du Front de Gauche, les Espagnols de Podemos, les Grecs deSyriza ou les Irlandais du Sinn Fein. 7. La banque BANIF qui avait été sauvée par l’injection de plusieurs milliards versés par l’Etat portugais.8. On estime que 70% des travailleurs de moins de 30 ans sont en situation de précarité.9. Le nombre de pauvres dépasse les 2 millions (plus d’un cinquième de la population).10. Mais cette mesure n’est pas applicable pour les travailleurs qui ont des contrats dits « individuels ».

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I N T E R V I E W

orte-parole du Comitépour l’abolition desdettes illégitimes(CADTM), EricToussaint parcourt lemonde pour soutenirles mouvements degauche qui militent enfaveur de l’annulationde la dette de leurpays ou de leurmunicipalité. Militantengagé dans lagauche radicale delongue date, il connaîtbien la situation enGrèce, en Espagne etau Portugal et combatfermement lespolitiques européennesd’austérité quiappauvrissent lespeuples.Rencontre riche avecun homme deconviction.

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Comment sont nés les trois partis de lagauche radicale en Grèce, en Espagne et auPortugal ?

Il y a clairement un point commun entreSyriza (Grèce) et le Bloco (Portugal). Syriza, qui signifie Coalition de gauche radicale,est née une douzaine d’années après que des mil-itants se soient distancés du Parti Communistede tradition stalinienne, le KKE (il y avait unautre Parti Communiste de tendance eurocom-muniste) suite à sa participation au gouverne-ment en1989 avec nouvelle Démocratie, leprincipal parti de droite. C’était un gouverne-ment contre-nature qui a produit un trauma-tisme notamment auprès d’une partie de lajeunesse qui dès lors a choisi de quitter le PC. Al’origine, Syriza s’est formé à partir de 2003 au dé-part d’une douzaine d’organisations différentesissues des trois orientations historiques : commu-niste proche de Moscou, trotskiste, maoïste.

Pour le Bloco, c’est une partie du Parti Com-muniste (qui était assez stalinien) qui le quittepour constituer, avec une organisation trot-skiste (PSR) et une maoïste (UDP), le Bloc deGauche (Bloco de Esquerda).

Pour l’Espagne, c’est clairement différent carPodemos est un des prolongements du mouve-ment des Indignés de 2011. Un secteur de cemouvement a considéré qu’il fallait constituerune organisation politique. Il y a eu un pointde rencontre entre des gens issus des Indignéset des intellectuels universitaires (comme PabloIglesias, Juan Carlo Monedero et Íñigo Errejón)qui ont conquis leur place dans le mondeacadémique, ont un sens de la communication,maitrisent la communication sur les réseauxsociaux, les programmes de TV et radios alter-natifs sur Internet. C’est la rencontre entre lemouvement des Indignés, ces intellectuels(dont plusieurs proviennent des jeunessescommunistes) et le mouvement trotskiste(Izquierda Anticapitalista) qui a produit lacréation de Podemos en janvier 2014. Le résul-tat fut immédiat aux élections européennes de

juin 2014 : 5 députés européens d’un coup, c’estexceptionnel. Le Bloco et Syriza ont commencébeaucoup plus modestement.

Ces partis sont-ils prêts à faire des alliancesavec d’autres partis, et à quelles conditions ?

Podemos, Syriza et le Bloco sont tous lestrois sur la même longueur d’ondes sur l’idéequ’ils peuvent et qu’ils veulent être une force degouvernement, même en alliance avec d’autres. Quand Syriza a gagné les élections du 25 janvier2015, elle a cherché un accord de gouvernementavec le Parti Communiste grec, mais celui-ci arefusé catégoriquement. Dès lors, Syriza s’estdonc adressé au parti indépendant de la droitenationaliste, les Grecs Indépendants (AnEL),avec qui elle a dû faire alliance.

Podemos vient de faire alliance avec IzquierdaUnida (lié au PC) pour les dernières électionssous l’étiquette « Unidos Podemos ». Il faut direque Izquierda Unida ne représentait plus grand-chose depuis que Podemos occupe le terrain. Au Portugal, dans la campagne électorale de2015, le Bloco s’est adressé au PS en lui dis-ant « Il faut une alliance qui permette de rompreavec la continuité de la droite au pouvoir ». Il a

LA GAUCHE NE PEUT PASJOUER LES BISOUNOURS Eric Toussaint

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donc défié positivement le PS pour qu’il rompeavec les politiques d’austérité, le Bloco était prêtà construire une alliance en le soutenant de l’ex-térieur pour mettre la droite hors-jeu. Et éviterainsi une grande alliance à l’allemande (SPD-CDU/CSU) entre les socialistes et la droite por-tugaise. Et comme le Bloco a doublé ses voixaux élections d’octobre (19 députés), ça l’a misen position de force pour négocier avec le PS.Mais la perspective à moyen terme du Bloco estd’avoir un gouvernement de gauche radicalepour faire autre chose que de limiter les poli-tiques d’austérité.

Ces partis acceptent donc des coalitions degauche, mais parfois avec des exceptionslorsqu’il n’y a pas d’alternative, comme ça a étéle cas pour Syriza.

Qu’est-ce qui les différencie des partis degauche radicale plus anciens qui gagnent duterrain dans des pays comme la Belgique ?

Le PTB est une organisation d’originemaoïste-stalinienne qui a connu une mutationpositive, mais son discours reste « Rejoignez-nous » et pas « Faisons des alliances ou des fu-sions avec le PC, la LCR (Ligue communisterévolutionnaire) ou d’autres petits partiscomme le PSL ». Ils invitent les autres à adhéreret à s’intégrer au sein de leur parti et ne sontdonc pas dans la même dynamique que lestrois partis dont on a parlé (Espagne, Portugal,Grèce). Plutôt que le regroupement de forces,le PTB vise l’absorption. La proposition que fai-sait la FGTB de Charleroi en 2012, si elle avaitété suivie, aurait permis de constituer unegrande force de gauche radicale, incluant biensûr le PTB et permettant un maximum de con-vergence entre des mouvements différents1.C’est regrettable que cela n’ait pas abouti malgréla dynamique prometteuse de départ.

Entre les partis de la nouvelle gauche eu-ropéenne et les partis de gauche radicale clas-sique (PC, PTB…), la différence se situedavantage dans la stratégie d’alliance et le rap-port au pouvoir que dans les programmes poli-tiques respectifs. Entre le programme du PTBaujourd’hui et celui de Syriza de 2014, il n’y apas beaucoup de différence.

En ce qui concerne le CADTM qui est une or-ganisation plurielle, indépendante de tout partipolitique, la collaboration avec le PTB estbonne. Certains députés du PTB relaient, viales questions parlementaires, des questions quipiquent que le CADTM souhaite poser à desministres. C’est utile. Il faudrait aller plus loin

et voir les conseillers communaux du PTBsoutenir (plus) activement les initiatives d’auditcitoyen des comptes des villes et communes.

L’annulation des dettes illégitimes est pourvous un passage obligé pour une véritablestratégie de gauche. En deux mots, que signi-fie « dette illégitime » ?

C’est très simple, c’est une dette qui a été con-tractée pour favoriser l’intérêt d’une minoritéprivilégiée. on peut paraphraser en disant quec’est une dette qui a été contractée sans respecterl’intérêt général. C’est-à-dire que si l’Etat con-tracte une dette pour sauver les banques, quisont en outre largement responsables de la crisequ’on connaît, c’est une dette illégitime.A contrario, une dette qui serait contractée pourune politique de relance pour financer la tran-sition écologique, renforcer l’éducation et la cul-ture, créer des emplois, combattre les inégalitéssociales, c’est évidemment une dette légitime.

Les dettes contractées allègrement après 2008pour sauver les banques responsables de lacrise financière de 2008 (Fortis, Dexia etEthias…) sont illégitimes. C’est la cas d’unepartie de la dette belge.Et la dette grecque va encore plus loin que ça :elle est non seulement illégitime, elle est égale-ment odieuse. La dette grecque est illégitime,car elle favorise des intérêts particuliers de mi-norités privilégiées. Elle est odieuse, car elle en-traîne des violations claires de droits humainspuisque les prêts ne sont accordés par la Troïka(Commission européenne, BCE et FMI) que sile gouvernement grec applique une politiqued’austérité très sévère.

Les dettes contractées par la Grèce à partir de2010 sont constituées de prêts de 13 pays de lazone euro, du Fonds européen de stabilité et duFMI, à la condition de mettre fin à des conven-tions collectives défendues par l’oIT, de violerdes droits à un salaire et à une retraite décente,à un toit, à une série de services de santé min-imum, de privatiser une série de biens et serv-ices publics…

Votre expérience vous fait penser qu’il esttrès difficile pour la gauche radicale de main-tenir une position ferme sur l’annulation dela dette lorsqu’elle négocie une participationau pouvoir. En quoi cette revendication est-elle centrale pour la gauche ?

Dans beaucoup de pays, le poste dupaiement de la dette pèse très lourd dans lebudget de l’Etat. Afin de retrouver une marge

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Je suis militant politique de-puis l’âge de 16 ans dans lagauche radicale en Belgique.J’ai adhéré à la IVe Interna-tionale à un âge précoce etj’ai été un leader de luttes ly-céennes et étudiantes entre1968 et 1973. Ensuite, j’aienseigné à la Ville de Liègeentre 1975 et 1994 et j’exer-çais des responsabilités auniveau syndical de la CGSP-Enseignement. J’ai égale-ment été formateur à l’écoledes militants syndicaux de laFGTB. Des ‘70 jusqu’à au-jourd’hui, j’ai participé à plu-sieurs tentatives deregroupements de mouve-ments politiques. En ’76,l’Union des Progressistes(dans le cadre des électionscommunales) était une al-liance entre le Groupe Poli-tique des TravailleursChrétiens (GPTC), la LigueRévolutionnaire des Travail-leurs (LRT), dont j’étais undes animateurs, ainsi que despersonnes engagées dans lesmilieux culturels et sociaux.La deuxième période trèsriche fut celle de la créationde Gauches Unies en 93-94,qui s’est présentée aux élec-tions européennes, avec desmilitants du POS (devenu parla suite LCR), du Parti Com-muniste, des syndicalistes etdes personnalités commeLise Thiry, Pierre Galand, Isa-belle Stengers, il y a eu en-suite Une Autre Gauche estpossible en 2006, puis leFront des Gauches en 2009-2010 et j’en passe… On m’aproposé il y a 2 ans de memettre sur les listes PTB-GO,j’y ai apporté mon soutiensans être candidat. L’orienta-tion du PTB sur la dettem’apparaissait trop modérée.Il faut préciser égalementque depuis que le CADTM aété fondé en 1990, son ac-tion et son développementsont devenus mes priorités.

POUVEZ-VOUS DIREQUELQUES MOTS DEVOTRE PARCOURSPOLITIQUE?

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de manœuvre pour des dépenses sociales, ilfaut réduire le poids de ces dettes illégitimes.Deuxième argument qui est très clair, c’est queces dettes sont liées à des impositions provenantdes créanciers (Commission européenne, BCE,FMI, Mécanisme européen de stabilité,…). C’estle cas pour le Portugal, la Grèce, Chypre, l’Ir-lande, l’Espagne. La solution radicale sur ladette, c’est de supprimer ces impositions (ap-pelées conditionnalités). Pourquoi ? Imaginons qu’après toutes les concessions faitespar le gouvernement de Tsipras, les créanciersannoncent dans trois mois qu’ils sont d’accordde supprimer 80% de la dette grecque, mais àla condition de continuer à imposer des restric-tions budgétaires dans les dépenses sociales etdes privatisations.Même si le stock de la dette se réduisait, la situ-ation continuerait à être dramatique car les gensseraient de plus en plus pauvres et de plus enplus de biens publics seraient privatisés. Si onréduit la dette mais qu’on continue de diminuerles salaires et les pensions des Grecs et limiterencore les soins de santé, c’est inacceptable.

Pour moi, toute expérience de gauche doit ré-soudre le problème de la dette. Dans certainspays, c’est même la priorité des priorités. C’estévident pour la Grèce et pour le Portugal. Dansnotre pays, ce pourrait ne pas être la premièrepriorité mais la deuxième ou la troisième.

Quel est l’avenir de ces partis dans une Eu-rope de plus en plus néolibérale ? Croyez-vous au réveil des peuples face aux politiquesde plus en plus inégalitaires ?

Je crois au réveil des peuples mais je suis trèsinquiet sur l’avenir des forces politiques degauche, parce qu’on voit avec Syriza que l’évo-lution a été extrêmement rapide vers un aban-don de ses engagements et de son programme.Syriza a capitulé en 2015 face aux diktats del’Union européenne. Ceux qui assument la ca-pitulation sont restés, sont prêts à profiter desplaces de ceux qui ont démissionné par choixéthique. Comme la sagesse populaire le dit :quand tous les dégoûtés partent, il ne reste plusque les dégoûtants.

L’évolution d’une partie de la direction dePodemos est négative dans le sens de la mod-ération. Je suis convaincu que c’est une descauses principales du mauvais résultat deUnidos Podemos aux dernières élections du 26juin 2016 (perte d’un million de voix par rap-port aux résultats obtenus le 20 décembre 2015par Podemos et par Izquierda Unida qui s’é-taient présentés séparément). Podemos n’ira

pas dans le prochain gouvernement. Mais il estactivement présent, souvent avec IzquierdaUnida, dans la gestion d’une centaine de mu-nicipalités y compris les plus importantes. C’est le cas de Madrid (3,4 millions d’habitants),de Barcelone (2e ville du pays), de Saragosse, deCadix, d’oviedo (capitale des Asturies)… Unepartie des meilleurs activistes et cadres locauxde Podemos se retrouvent maintenant absorbésdans des postes de gestion municipale.

L’évolution sera rapide parce que toutes ces mu-nicipalités sont soumises à des programmesd’ajustement budgétaires imposés par le gou-vernement central. Donc les priorités qui ontété mises en avant et qui ont amené les mili-tants de Podemos au pouvoir dans les munici-palités ne pourront pas être réalisées. Parexemple, une des priorités était la remunicipal-isation de la collecte des immondices, et beau-coup de mairies dans lesquelles Podemos est aupouvoir depuis 2015 ne l’ont pas fait pour éviterd’alourdir les dettes municipales. Il faudrait créer un front des 100 municipalitésqui depuis 2015 ont à leur tête des forces duchangement comme Podemos et d’autres. Cefront devrait définir des positions communes surla dette, s’engager à soutenir des audits à partici-pation citoyenne, remettre en cause les con-traintes budgétaires injustes imposées par ladroite au gouvernement, sensibiliser l’opinionpublique, mener des actions afin de changer lerapport de force en faveur de véritables solutions.

Depuis novembre 2015, j’ai été invité par les au-torités de plusieurs municipalités (Madrid, Cadixet Puerto Real en Andalousie, Saint Sébastien aupays basque, oviedo en Asturies,…) en Espagneet j’ai défendu cette perspective. J’en ai aussi dé-battu avec des responsables politiques locaux à

Eric Toussaint et Zoe Konstantopoulou, ex-présidentedu Parlement grec.

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Barcelone et à Saint Jacques de Compostelle. Jesuis en contact permanent avec des mouvementscitoyens comme la Plate-forme d’audit citoyen(qui est issue de mouvement des indignés), avecles membres du CADTM en Espagne, avec denombreux militants et responsables de Podemos,d’Izquierda Unida, de la CUP en Catalogne, deBILDU au pays basque, d’Anova en Galicie. J’aiconstaté que la nouvelle situation est difficile àgérer pour les militants qui ont été propulsésdans des postes de pouvoir et de gestion. Cettetransformation rapide en Espagne m’inquiètefort mais j’ai la conviction qu’il y a des forces quiveulent vraiment le changement. De toute façon,tout dépend d’elles et de la mobilisation popu-laire. Ce que quelqu’un comme moi peut ap-porter est très limité, disons que je peux aider àprendre en compte les leçons des expériencesréalisées dans d’autres pays afin d’en prendre lemeilleur et de ne pas répéter les erreurs.

Votre constat est assez pessimiste… N’y a-t-il pas cependant un espoir dans l’unité in-terne au sein des pays (les municipalités enEspagne, par exemple) mais aussi au niveauinternational ?

Absolument ! Je me déplace beaucoup en Eu-rope et je pense qu’il faut tirer les leçons de cequi s’est passé en Grèce et de ce qui se passe enEspagne. C’est fondamental que toute une séried’activistes et de leaders de mouvements soci-aux gardent comme priorité la capacité d’organ-isation et de mobilisation à la base. Car s’il n’y apas une pression d’en bas sur les partis qui ac-cèdent même à des petites portions de pouvoir,le retour en arrière peut arriver rapidement.

Donc, première leçon : il faut maintenirl’indépendance et la liberté d’action des mou-vements de base. Seconde leçon : il faut uneunité sur un programme politique clair. Si c’estsimplement pour dire : « on va mieux gérer lescontrats publics et diminuer la corruption »,c’est tout à fait insuffisant. L’unité doit se faireà tous niveaux : entre organisations politiqueset mouvements sociaux, entre les municipalitéspour affronter le pouvoir et les créanciers, etentre les partis de la gauche radicale eu-ropéenne sur un programme clair. Sur cedernier point, le Plan B est essentiel.

C’est quoi, le Plan B ?

C’est une initiative européenne d’une sériede personnes et de groupes issus de la gaucheradicale. on n’est pas d’accord sur tout, mais lepoint commun, c’est de dire : « Le Plan A detype Syriza, dont la stratégie a été de négocier

avec les institutions européennes en respectantses règles et sans désobéir, ça ne marche pas ».

Le Plan B inclut explicitement le message suiv-ant aux électeurs : « Il faut porter au gouverne-ment des forces qui auront le courage dedésobéir aux institutions européennes ».Lorsque les traités européens sont contraires àl’intérêt des citoyens et à la mise en pratique depolitiques sociales, nous avons le droit et le de-voir de désobéir.

Pensez-vous que ce Plan B rencontreral’adhésion de nombreux électeurs des payseuropéens ?

C’est absolument clair. Il y a une très grandepartie de la population qui soutiendrait des gensqui s’engagent à désobéir sur le programme eu-ropéen actuel. C’est à ce point vrai que, quandl’extrême droite le fait, elle a un très grand écho.Parce qu’il y a un rejet tout à fait compréhensiblede l’ « Europe » telle qu’elle est construite, tellequ’elle fonctionne. C’est une Europe dominéepar le 1% le plus riche, ou pour reprendre uneformule plus correcte, une Europe dominée parle Grand Capital. C’est une Europe forteresse. Ilfaut une autre Europe. Si vous laissez à l’extrêmedroite le monopole de la dénonciation de l’Eu-rope telle qu’elle existe, elle gagnera parce quebeaucoup de gens sont dégoûtés par la politiqueeuropéenne. Voyez ce qui se passe avec le Brexit,avec Marine Le Pen en France, avec la montéede la droite en Allemagne et en Autriche.

Si l’extrême droite revendique haut et fort lerejet de l’Europe et que l’extrême gauche joueles Bisounours avec Jean-Claude Juncker etMario Draghi, elle ne va pas réussir. Donc, la gauche radicale doit se mobiliser pourle Plan B et annoncer clairement : « nous dé-sobéirons ». Et pas dire : « nous serons peut-être amenés à désobéir ».Comme le disait le leader des mineurs britan-niques Arthur Scargill en 1985 : « nous avonsbesoin d’un gouvernement qui soit aussi fidèleau peuple que le gouvernement Thatcher estfidèle à la Bourgeoisie ! ».

Syriza dirigé par A. Tsipras n’a pas concrétisécet espoir et j’espère qu’il n’y aura pas de répéti-tion de ce qui s’est passé en Grèce. J’essaie d’agirdans ce sens-là à mon modeste niveau. Maisl’important ce sont les mobilisations populairesafin de débloquer la situation.

Interview réalisée par Paul Blanjean et Monique Van Dieren

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Vous parcourez l’Europe etmême le monde pour plaideren faveur de l’annulation desdettes illégitimes. Concrète-ment, quel est votre rôle ?

Je suis porte-parole du Co-mité pour l'abolition desdettes illégitimes (CADTM)qui est présent dans plus de30 pays. En Europe, noussommes présents en Bel-gique, France, Suisse, Italie,Grèce, Luxembourg, Es-pagne, Portugal, Pologne etSlovénie. La principale im-plantation du CADTM sesitue en Afrique (15 pays) eten Amérique latine (8 pays).Il est aussi présent en Inde,au Pakistan et au Japon.

J’ai notamment participé à laCommission d’audit de ladette de l’Equateur en 2007-2008, et j’ai coordonné laCommission pour la véritésur la dette publiquegrecque en 2015.Mes interlocuteurs privilé-giés sont les mouvements so-ciaux et citoyens. J’aiégalement des contacts avecdes partis politiques lorsqueceux-ci sont mènent des po-litiques revendicativesproches des mouvements so-ciaux. Exceptionnellement, ilm’est arrivé de conseiller desgouvernements : Equateur en2007-2008, Paraguay en2008, Venezuela en 2008,…

Cela a porté ses fruits enEquateur, au Paraguay etdans une moindre mesure auVenezuela. En Grèce égale-ment, j’ai eu des contacts ré-pétés avec Alexis Tsiprasavant qu’il ne devienne Pre-mier ministre. Mais mon im-plication s’est faite à lademande de la présidente duParlement grec, Zoé Kons-tantopoulou qui s’était saisiede la question. Hélas Tsiprasn’a pas voulu utiliser les tra-vaux de la commission pouraffronter les créanciers.

GLOBE-TROTTEUR DE L’ALTER-MONDIALISME

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Contrastes | Nouvelle gauche en Europe | Juillet-Août 2016 | 17

Au lendemain des élections de 2014, l’heure dutriomphe avait sonné pour la n-VA dans lenord du pays : avec 32,4% des voix, le parti deBart De Wever s’affichait incontournable etpouvait imposer au gouvernement fédéral delarges pans d’un programme socioéconomiquefavorable au patronat. En même temps, il pre-nait les rênes d’une coalition de droite en Flan-dre, avec l’open VLD et le CD&V, ces partisayant respectivement obtenu 15,5% et 18,6%des voix pour le fédéral.

Les Flamands pas si à droite

Le nord avait donc opté pour un gouvernementlibéral voire néolibéral. Quoique. on se souvientque les dernières campagnes électorales ont vula n-VA mettre en avant ses exigences commu-nautaires plutôt que son programme socioéco-nomique. C’est une première nuance à prendreen compte. D’autre part, la gauche flamande estloin d’avoir disparu. Marc Swyngedouw, direc-teur de l‘Institut d’enquêtes sociales et politiquesde la KUL, observe que « si l’on regarde les trans-ferts de voix lors des dernières élections, il existebel et bien deux blocs cohérents en Flandre, un à

gauche et un à droite » et il ajoute « les voix de lagauche progressiste représentent un potentiel de35- 40% » 1. La gauche est à prendre au sens largeici, depuis l’aile des électeurs « ACW » (MoCflamand) du CD&V jusqu’au PVDA (nom fla-mand du PTB). Disons en tous cas qu’il y a unesensibilité à une certaine forme d’injustice so-ciale et un attachement à la sécurité sociale.Kristof Calvo, chef de groupe à la Chambre pourGroen-Ecolo : « Une majorité de Flamands sonten faveur de la Belgique, d’une taxation desgrosses fortunes, du maintien de l’index ». Ce qui,soit dit en passant, est très compréhensible : lamajorité des Flamands ne sont pas dépositairesde grosses fortunes, en revanche ils travaillent etcomptent sur leur salaire.

Un momentum politique

Mais les décisions du gouvernement Michelcontreviennent à ces exigences. Et la popula-tion a eu le temps de prendre conscience deseffets de ses décisions. Le bourgmestre SP.Agantois Daniël Termont note : « Je ne pense pasqu’en votant le 25 mai 2014, les gens se doutaientdu nombre de dégâts que peut provoquer un

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FRONTS DE GAUCHE À L’HORIZON ?

es élections de 2014ont lancé le paquebotfédéral Belgique àdroite toute. Mêmeorientation en Flandre.Les régions wallonneet bruxelloise ontconservé un centre-gauche mais leurmarge de manoeuvredans l’Europe del’austérité resteétriquée. L’opportunitéd’une alliance despartis de gauchesemble plus pertinenteque jamais. Est-elleréalisable ?

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B E L G I Q U E

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gouvernement de droite ». 

Potentiel de gauche, valeurs sociales-démo-crates, déception à l’égard du gouvernement ac-tuel, et constat que les voix de gauche sontdispersées … Autant d’arguments pour relancerl’idée d’un front de gauche en Flandre, d’autantque les partis les plus concernés sont dans l’op-position et peuvent donc y consacrer de l’éner-gie. Cette idée, Daniël Termont l’a concrétiséedans sa ville en formant en 2012 un cartel avecles écologistes. Aujourd’hui, il en est convaincu,ce serait « la seule manière de contrer De Weverà Anvers ». Dans le même but, en février 2015,Kristof Calvo confiait dans une interview pourle Vif son souhait de « participer à une recompo-sition du paysage politique flamand ». Quelquesmois plus tard, le SP.A, par la voix de Freya Vanden Bossche, profitait du 1er mai pour appeler àun « large mouvement de gauche », dans la pers-pective des élections communales de 2018, pourcommencer. Erreur stratégique ? L’appel a été ac-cueilli plutôt froidement du côté de Groen, esti-mant que le 1er mai n’était pas le jour adéquatpour parler cartels 2.

Les écueils

C’est qu’il y a aussi des obstacles non négligea-bles. Le premier d’entre eux est certainement des’entendre sur la forme d’un tel front de gauche.Pour Marc Swyngedouw, il s’agit de « créer unnouveau parti de gauche, avec un nouveaunom ». Daniël Termont évoque plutôt un car-tel, avec une liste de candidats et un pro-gramme communs. Ensuite, il y a la questiondes alliés. Si certains envisagent un rapproche-ment sur des dossiers concrets qui concerneraitaussi le CD&V voire l’open VLD, d’autres nevoient d’alliance possible qu’en SP.A et Groen.Mais même là, il aura des rancoeurs à apaiser :Groen (ex-Agalev) est né de dissidents socia-listes ! Et puis les derniers sondages (mai 2016)montrent que les Verts progressent en Flandre :les intentions de votes plus affirmées (11,1%)pourraient modifier la perspective. Car mêmesi la nouvelle génération de politiciens, à la-quelle appartient un Kristof Calvo, semble pri-vilégier la recherche d’alliances sur des dossiersconcrets plutôt que par les structures, celles-cine disparaissent pas pour autant.

En Belgique, et cela vaut pour le Sud commepour le nord, le paysage politique est extrême-ment structuré et pilarisé, ce qui ne laisse pasbeaucoup de place pour l’émergence d’un nou-veau parti, qu’il soit issu de ce qui pré-existe oud’un mouvement citoyen. Pascale Vielle, profes-seure de droit social à l’Ucl, explique : « Histori-

quement, la vie politique et la société se définissentet se structurent selon différentes caractéristiques :néerlandophones/francophones/germanophones ;wallons/flamands/ bruxellois ; chrétiens/laïques ;gauche/droite… ». En découlent des institutionspubliques qui accompagnent les personnes selonleurs appartenances au long de leur vie. Créer duneuf (en politique, en religion…) est périlleux :« cela suppose, de la part de ceux qui pré-existentd’accepter de céder du pouvoir, de l’influence, desfinancements, des postes de travail… ».

Enfin, à l’heure ou la communication régitl’existence des partis et des personnalités, le tra-vail de l’ombre, discret et patient, qu’exigeraitun rapprochement, semble presque contre-na-ture. Bref, si le « momentum » est favorable »,la faisabilité est plus incertaine.

Une coalition envisageable chez les francophones ?

Pour les partis francophones aussi, la questionse pose. Le 24 mai dernier, un débat organisépar la revue Politique donnait à Paul Magnette(PS), Philippe Lamberts (Ecolo) et Raoul He-debouw (PTB) l’occasion d’un échange de vuesassez franc et ouvert, afin de dégager les pointsd’entente et les divergences. Paul Magnette y arésumé un premier point de concordance surla nécessité d’un débat propre à la gauche  :« Pour l’instant, le curseur culturel n’est plus àgauche. Plus elle débattra entre elle, plus lagauche peut faire avancer les choses ». Et RaoulHedebouw confirme : « Le premier combat àmener, c’est celui des idées. Beaucoup de chosesnous rassemblent face aux idées du MR. Nousdevons nous poser ensemble la question de sa-voir pourquoi on a perdu le rapport de force de-puis les années ‘80 ».

Ecolo est également preneur pour une alliancedes forces de gauche autour d’un projet de so-ciété plus juste, plus démocratique et plus du-rable. « Nous sommes capables de le faire, affirmePhilippe Lamberts, en adoptant la stratégie de latenaille, chère à Ecolo. Si on peut faire une coali-tion entre nos trois partis, il faut y aller ! Mais lePTB n’en veut pas… ». Effectivement, Raoul He-debouw confirme que tant qu’il n’y a pas de re-mise en cause fondamentale du PS et d’Ecolosur la politique d’austérité, son parti ne l’envisa-gera pas. « C’est la raison pour laquelle la gauchea été laminée en France et en Allemagne, etpuisque le PS et Ecolo ont voté en faveur duTSCG 3, on ne sait pas mener une politique degauche dans ces conditions ». Mais sur ce dernierpoint, les lignes sont cependant susceptibles debouger, comme nous le verrons plus loin.

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Dans son rôle d’observateurdu débat sur la gauche fran-cophone, Olivier De Schutterprécise qu’il ne faut pas foca-liser le débat uniquement surle clivage gauche/droite.Pour lui, les signes de dé-fiance sont de plus en plusnombreux et ne sont pasl’apanage de la droite popu-liste. Un autre clivage se ren-force entre les administrants(mandataires politiques) etadministrés (citoyens), quiexplique en partie les initia-tives de gauche telles queNuits debout, ou les proposi-tions de démocratie partici-pative de type « tirage ausort ».

UN AUTRE CLIVAGE

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Des convergences…

Quels sont les points de convergence entre lesprogrammes de ces trois partis ? Tous sont d’ac-cord qu’il y a des convergences en termesd’idées communes à défendre. Selon les termesde Paul Magnette, « nous devrions nous mettred’accord sur un petit nombre de grandes idées en-semble ». Sans toutefois balayer ce qu’il y a debon dans le système de protection sociale ac-tuel, il faut selon lui un nouveau pacte socialqui comprendrait deux changements de taille :l’individualisation des droits et l’instaurationd’un contrat de travail unique pour les ouvriers,employés du privé et du secteur public. « Cettemesure créerait un rapport de force beaucoupplus puissant car cela coaliserait, unifierait lemouvement social ».

Philippe Lamberts rajoute que la base de négo-ciation et de financement de la sécurité socialedoit être élargie et qu’il faut fixer ensemble desobjectifs sociaux contraignants en matière delutte contre les inégalités et la pauvreté. MaisRaoul Hedebouw insiste : la réflexion sur unnouveau pacte social est importante mais elledoit continuer à se situer dans le rapport deforce capital/travail. « Or, quand on parle des sa-laires, on parle toujours de compétitivité. Lagauche ne doit pas rester enfermée dans ce dogmeidéologique car c’est l’essence même de l’Europe :mettre en concurrence les travailleurs entre euxpour augmenter le bénéfice du capital ».

Autres sujets de convergences : la fiscalité qu’ilfaut également mettre à l’agenda européen,l’impôt sur la fortune et la réduction du tempsde travail. «  Il faut la mettre sérieusement àl’étude en régions wallonne et bruxelloise, encommençant par l’expérimenter dans les servicespublics », suggère Raoul Hedebouw.

Les trois hommes se sont aussi entendus pourrefuser le TTIP et fustiger le traité budgétaireeuropéen. Mais ce rejet ne se concrétise pas dela même manière  : PS et Ecolo ont tout demême voté pour, rappelle Raoul Hedebouw.Philippe Lamberts reconnaît une certaine in-cohérence d’Ecolo dans les votes aux différentsniveaux. Paul Magnette estime qu’il n’y avaitguère le choix, mais admet qu’il se sent devenireurosceptique». Et pour le PTB, il ne peut êtrequestion « de faire l’appoint dans une majoritéqui soutient la politique d’austérité ».

… Et des divergences

Le tempo du combat de gauche et la participa-tion au pouvoir sont clairement des points de

divergence entre les trois partis. Pour schéma-tiser leurs interventions, on pourrait dire quePS et Ecolo sont d’accord pour travailler ensem-ble et de manière combative sur des dossiers quine sont pas gagnés d’avance, alors que le PTBne veut pas se frotter au pouvoir s’il n’est pas cer-tain d’avoir le rapport de force suffisant pour ga-gner à coup sûr. Pour Raoul Hedebouw, «  laquestion fondamentale est celle d’une reconquêteidéologique, même si ça peut encore prendre 10ou 15 ans. On n’ira pas dans une majorité quireste dans le cadre de l’austérité. Car si les genssont déçus par la gauche, ils iront encore plus versl’extrême droite ». Pour Paul Magnette, c’est troplong : « On ne peut pas attendre que le rapportde force change pour arracher des victoires, mêmepetites ». Pour le PS, il s’agit de peser où c’est pos-sible. Mais que pèse-t-on dans un cadre hégé-monique néolibéral ? Magnette ne pose-t-il pasla question en affichant un euroscepticismegrimpant ? Comme le dit Pascale Vielle : « L’eu-roscepticisme de gauche repose sur le constat del’impossibilité de mener un projet de gauche dansle cadre institutionnel et budgétaire actuel. Il s’ac-compagne en général d’une volonté de recons-truire un projet européen différent ».

Les points de convergence sont nombreux, maisle tempo et la stratégie pour les faire aboutirsont loin d’être harmonieux. Le débat amorcéest salutaire, s’il ne s’arrête pas en chemin et nese limite pas à des perspectives électorales.

Christine Steinbach et Monique Van Dieren

1. Un parti de gauche progressiste pour stopper la N-VA,Olivier Mouton, Le Vif, n°7, 13 février 2015.2. Groen pas pressé de constituer un front de gauche,sur FlandreInfo.be, site français de la VRT, mai 2015.3.Traité sur la stabilité, la coordination et la gouver-nance au sein de l'UE.

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A la question sensible deleur volonté d’abolition ducapitalisme, la réponse est àla fois claire et nuancée.

Oui pour Raoul Hedebouw :“L’urgence sociale et écolo-gique l’imposent. Je ne croispas à l’économie de marché,même dans le domaine de latransition énergétique”.

Oui pour Paul Magnette :“Evidemment qu’on est anti-capitaliste quand on est degauche ! C’est notre élanoriginal et si on le perd, onest foutus. L’abolition du ca-pitalisme doit rester l’hori-zon de la gauche”.

Oui Mais pour Philippe Lam-berts : “Il n’existe pas de so-ciété juste et durable dansun modèle capitaliste. Mais ilne faut pas confondre capi-talisme et marché : il y a dela place pour une certaineforme de marché. Un capita-lisme du Tout au marché nem’intéresse pas, mais un ca-pitalisme d’Etat non plus ! “.

ABOLIR LE CAPITALISME ?

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Le 15 juillet 2015 restera dans lesmémoires d’Alexis Tsipras, le leader duparti Syriza, comme un tournant dansl’ascension de son parti. Mais sous lapression des créanciers, de profondesdivisions ont vu le jour et la bellehistoire du parti Syriza a pris du plombdans l’aile.

La naissance du parti espagnolPodemos, en janvier 2014, a suscité degrandes espérances. Présenté commele prolongement du mouvement desIndignés, il s’est imposé sur la scènepolitique espagnole. Aujourd’hui, aprèsla tenue de nouvelles élections, le partis’est maintenu, sans émerger, sanschuter.

Qu’ils soient issus d’alliances entre depetits partis ou mouvements d’extrêmegauche, ou de mouvements sociaux,ces partis ont un puissant pointcommun : rompre avec les politiquesd’austérité qui appauvrissent lespeuples et en finir avec le chantageimposé par les institutions financièreset européennes.

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OMMAIRESEdito En finir avec le chantage

GrèceSyriza et l’orthodoxiebudgétaire de l’UE

Espagne Podemos : La fraîcheur et l’impasse ?

PortugalIl faut arroser les œillets…

InterviewLa gauche ne peut pasjouer les Bisounours

Belgique Fronts de gauche à l’horizon ?

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Le Portugal a vu émerger en 1999 unmouvement politique hérité de laRévolution des œillets de 1974.Aujourd’hui, le Bloco soutient del’extérieur le Parti socialiste au pouvoirpour résister aux injonctionseuropéennes et tenter de promouvoirdes politiques sociales justes.

Eric Toussaint (CADTM) parcourt lemonde pour soutenir les mouvementsde gauche qui militent en faveur del’annulation de la dette de leur pays. Ilcombat fermement les politiqueseuropéennes d’austérité quiappauvrissent les peuples. Rencontreriche avec un homme de conviction.

Les élections de 2014 ont lancé lepaquebot fédéral Belgique à droitetoute. Même orientation en Flandre.Les régions wallonne et bruxelloise ontconservé un centre-gauche mais leurmarge de manoeuvre reste étriquée.Une alliance des partis de gauchesemble plus pertinente que jamais. Est-elle réalisable ?