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Théâtral magazine L’actualité du théâtre :HIKMOD=YUY[UV:?k@k@g@i@a" M 02434 - 68 - F: 4,60 E - RD nov. - déc. 2017 Théâtral magazine n°68 www.theatral-magazine.com Yasmina Reza Pierre Palmade Stéphane Guillon Philippe Caubère Marina Hands Céline Sallette Anne Alvaro Amira Casar Charlotte de Turckheim Romane Bohringer Jonathan Capdevielle Vincent MACAIGNE le turbuleur DOSSIER Le Théâtre se met au surnaturel

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Théâtralmagazine

L’actualité du théâtre

’:HIKMOD=YUY[UV:?k@k@g@i@a"M 02434 - 68 - F: 4,60 E - RD

nov. - déc. 2017

Théâtral magazine n°68 www.theatral-magazine.com

Yasmina Reza

Pierre Palmade

Stéphane Guillon

Philippe Caubère

Marina Hands

Céline Sallette

Anne Alvaro

Amira Casar

Charlotte de Turckheim

Romane Bohringer

Jonathan Capdevielle

Vincent MACAIGNE

le turbuleur

DOSSIER Le Théâtre se met au surnaturel

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04 AGENDA Novembre - Décembre 2017

06 ACTUALITÉS07. Edito de Gilles Costaz

08 UNE08. Vincent Macaigne

12 A L’AFFICHE12. Stéphane Guillon14. Nina Villanova, Jonathan Capdevielle16. Rodolphe Dana18. Cyril Teste, Jacques Vincey20. Jean-Christophe Meurisse22. Yasmina Reza24. Julie Deliquet26. Milo Rau, Anne Alvaro28. Stéphanie Bataille30. David Lescot, Elise Vigier32. Charlotte de Turckheim34. Céline Sallette et Amira Casar36. Mapa Teatro38. Julie Berès, Romane Bohringer40. Marlène Saldana44. Marie-José Malis46. Patrick Pineau, Jalal Altawil48. Sébastien Barrier50. Lilo Baur, Philippe Caubère52. Pierre Palmade54. Gisèle Vienne, Marina Hands56. Arthur Jugnot

42 TÊTES D’AFFICHE58 DOSSIER :Le théâtre se met au surnaturelavec Robert Carsen, Les 7 doigts de la main, Damien Jalet,Marc Lainé, Smith et Barbin, Wilfried Wendling, Yves Jacques

68 ZOOM : L’Ecole du Nord, festival virtuel.hom(me)70 PORTRAITSJean-Louis Martinelli, Olivier Peyronnaud, Kamel Isker

74 FAMILLE : Patrice Thibaud, Baptiste Guiton...

78 PAGES CRITIQUES82 LE GRAIN DE SEL

de Jacques Nerson

Sommaire

ThéâtralmagazineN° 68 - NOVEMBRE / DECEMBRE 2017

Théâtral magazine est édité parCoulisses Editions7 rue de l’Eperon 75006 Paris FranceTél : + 33 1 43 27 07 03

Email : [email protected] Internet : www.theatral-magazine.com

Directeur de la publication : Hélène ChevrierDirecteur de la rédaction : Enric Dausset

Rédactrice en chef : Hélène [email protected]

Rédaction :Hélène ChevrierGilles CostazEnric DaussetIgor Hansen-LoveJean-François Mondot Jacques NersonNathalie SimonPatrice TrapierFrançois Varlin

Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03

Fabrication impression :SIB Imprimerie - Imprimé en France

Tirage : 10 000 exemplaires

Distribution : PresstalisDépôt légal : date de parutionCommission paritaire du journal : 0319 G 89789Commission paritaire du site : 1117 W 90648

Publicité : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03

Gestion Flashcodesinfotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00

Photo couverture : Vincent Macaigne© Thomas Samson AFP

Le prochain numéro sortira en kiosques le 2 janvier 2018

ABONNEMENT1 an = 25 € p.77

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 3www.theatral-magazine.com

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Agenda

@ Mathilda Olmi

@ Pascal Victor

@ Thierry Depagne

Spectacles recommandés

4 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

31-octTriumVirus, de Nina Villanova. Théâtre-Studio d’Alfortville, 01 43 76 86 56, jusqu’au 18/11

p.14

6-novA nous deux maintenant, de Jonathan Capdevielle, Angers 6-8/11, Nanterre-Amandiers 23/11 au 3/12

p.15

6-novPrice, mise en scène Rodolphe Dana,du 6 au 12/11 Théâtre de Lorient et en tournée

p.16

7-novFesten, mise en scène Cyril Teste, Bonlieu Annecy, du 7 au 10/11. Odéon Berthier, du 24/11 au 21/12

p.18

7-novLe Marchand de Venise, de Shakespeare, mise en scènede Jacques Vincey, du 7 au 10/11 Reims et tournée

p.19

7-novJusque dans vos bras, par Les Chiens de Navarre,Bouffes du Nord, du 7/11 au 2/12. Puis en tournée

p.20

7-novBella Figura, de Yasmina Reza, avec Emmanuelle Devos,Rond-Point, Paris, du 7/11 au 31/12

p.22

7-novMélancolies, d'après Tchekhov, mise en scène Julie Deliquet, en tournée et Bastille du 29/11 au 12/01

p.24

7-novCompassion. L’histoire de la mitraillette, conceptionMilo Rau. Grande Halle de la Villette, Paris, du 7 au 11/11

p.26

7-novLes Bacchantes, d’Euripide, avec Anne Alvaro,du 7 au 17/11 Théâtre 71 à Malakoff et tournée

p.27

8-novMadame Marguerite, mise en scène Anne Bouvier, avecStéphanie Bataille. Lucernaire, Paris, du 8/11 au 27/01

p.28

9-novPortrait de Ludmilla en Nina Simone, mise en scèneDavid Lescot, 9 au 11/11 Mac Créteil, 29-30/01 Caen

p.30

9-novHarlem Quartet, d'après Baldwin, mise en scène EliseVigier, MAC Créteil, du 9 au 11/11. Puis tournée

p.31

10-novUne journée chez ma mère, avec Charlotte de Turckheim. La Nouvelle Eve, Paris, à partir du 10/11

p.32

10-novLes Trois Sœurs, d’après Tchekhov, mise en scène deSimon Stone, Odéon, Paris, du 10/11 au 22/12

p.34

11-novJe suis un pays et Voilà ce que jamais je ne te dirai, deVincent Macaigne, tournée TNB Rennes, Amandiers...

p.08

13-novLa Despedida, par la compagnie Mapa Teatro,Théâtre des Abbesses, Paris, du 13 au 19/11

p.36

14-novDésobéir, pièce d’actualité n°9, mise en scène JulieBerès, La Commune, Aubervilliers, du 14 au 25/11

p.38

14-novLa Cantatrice chauve, de Ionesco, avec Romane Bohringer... Le 13e Art, Paris, du 14/11 au 10/12

p.39

14-novLa Fille du collectionneur, avec Marlène Saldana, Nanterre-Amandiers, du 14 au 19/11

p.40

14-novfestival les Inaccoutumés de La Ménagerie de Verre,Paris, 01 43 38 33 44, du 14/11 au 9/12

p.40

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 5

@ Jean-Louis Fernandez

@ Pauline Roussille

@ Per Morten Abrahamsen

- D é c .v .N o

15-novDom Juan de Molière, mise en scène Marie-José Malis,La Commune, Aubervilliers, du 15/11 au 3/12

p.44

15-novJamais seul, mise en scène Patrick Pineau, 15/11-3/12MC93 Bobigny, 11-13/1 Théâtre-Sénart, 16-19/1TNBA

p.46

17-novTous des oiseaux, texte et mise en scène Wajdi Mouawad, La Colline, Paris, du 17/11 au 17/12

p.47

18-novFranito, conception Patrice Thibaud, avec Fran Espinosa,en tournée et du 18 au 25/11 à Chaillot, Paris

p.74

18-novHamlet..., d’après Shakespeare, avec Serge Merlin...18/11 Perpignan, 7- 8/12 Montreuil, 13-14/12 Mac Créteil

p.63

22-novImagine-toi, de et avec Julien Cottereau,Théâtre des Mathurins, Paris, 01 42 65 90 00

p.75

23-novGus, de et avec Sébastien Barrier. Le Grant T, Nantes, du 23/11 au 2/12, La Colline du 6 au 29/12

p.48

23-novProfesseur Bernhardi, mise en scène Thomas Ostermeier, Les Gémeaux, Sceaux, du 23/11 au 3/12

24-novLa Face Cachée de la Lune, de Robert Lepage.24/11 -2/12 Paris-Villette, 8-10/12 Théâtre-Sénart

p.66

27-novBosch Dreams, par Les 7 doigts de la mainen tournée et du 30 /11 au 17/12 La Villette, Paris

p.61

27-novTraum, le paradoxe de V., projet transdisciplinaire avecMatthieu Barbin, Cité Internationale, Paris, 27 et 28/11

p.62

29-novAprès la pluie, de Sergi Belbel, mise en scène Lilo BaurVieux-Colombier, Paris, du 29/11 au 7/01

p.50

30-novfestival virtuel.hom[me], du 30/11 au 10/12, ThéâtreVictor Hugo Bagneux, dont Do not feed the troll

p.69

2-décAdieu Ferdinand ! de et avec Philippe Caubère, Théâtrede l’Athénée, Paris du 2/12 au 14/01, puis en tournée

p.51

5-décAimez-moi, de et avec Pierre Palmade, Théâtre du Rond-Point, Paris, du 5 au 31/12

p.52

7-décCrowd, de Gisèle Vienne,Nanterre-Amandiers, du 7 au 16/12

p.54

9-décLa Tempête, de Shakespeare, mise en scène Robert Carsen, Comédie-Française, du 9/12 au 21/05

p.65

12-décActrice, de Pascal Rambert, avec Marina Hands, AudreyBonnet... Bouffes du Nord, du 12 au 30/12

p.55

13-décYama, chorégraphie Damien Jalet, avec les danseurs duScottish Dance Theatre, TNB Rennes, du 13 au 15/12

p.64

14-décEn manque, de Vincent Macaigne, La Villette Paris du 14au 22/12, Lieu Unique, Nantes du 7 au 9/02

p.08

23-décMagic Box, mise en scène Arthur Jugnot, avec JeanLucBertrand. La Renaissance, Paris, du 23/12 au 6/01

p.56

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ILS NOUS ONT QUITTÉSDanielle Darrieux, Jean Roche-fort, Adel Hakim, Gisèle Casade-sus, Pierre Bergé.

THÉÂTRE ÉCOLOGIQUE C’est le projet de la compagnieHotel Pro Forma qui diffuse sesbonnes paroles depuis 30 ans àtravers le monde. Avec Neoartic,ces artistes danois présentent undocumentaire opéra sur la trans-formation de notre environne-ment. Si celui-ci est menacé par lacivilisation, il détient peut-êtred’autres formes de vie. A décou-vrir. Au théâtre de Nîmes, le 28novembre

FRANCOISE NYSSEN ETLE NOUVEAU THÉÂTREDE BEAULIEULa ministre de la Culture, Fran-çoise Nyssen, s’est rendue au cen-tre social de Beaulieu. On serappelle que le théâtre de Beau-lieu avait complètement brûlé

dans la nuit du 16 au 17 juin àcause d’un acte criminel. FrançoiseNyssen a ainsi pu rassurer les ha-bitants sur le soutien du ministère.Le théâtre sera reconstruit a-t-elleaffirmé à toute l’équipe artistiqueet technique. Néanmoins, aucunchiffre n’a pour l’instant étéavancé. Et pour cause, les expertsdes assurances n’ont pas finid’évaluer les dégâts.

INAUGURATION DELA NOUVELLE COMÉDIEDE SAINT-ETIENNEAprès plusieurs années de tra-vaux, la Comédie de Saint-Etiennevient d’ouvrir. Désormais installé àla Plaine Achille, dans l’ancien sitede la société stéphanoise desconstructions mécaniques, lethéâtre que dirige depuis 2011 lebrillant metteur en scène ArnaudMeunier bénéficie désormaisd’une architecture unique et origi-nale en exhibant les structuresmétalliques de l’ancien bâtiment.C’est aussi une façon de l’ancrerdans l’histoire de la ville. Le nou-veau théâtre abrite désormaisdeux salles de spectacles de 120et 650 places, l’école de la Comé-die de Saint-Etienne, un café cul-turel, une salle d’orchestre…L’inauguration a eu lieu au coursde trois semaines de festivités du19 septembre au 7 octobre. Etlundi 16 octobre c’est la ministrede la Culture Françoise Nyssenqui est venue visiter les nou-veaux locaux.

UN NOUVEAUPENSIONNAIRE À LACOMÉDIE-FRANÇAISE Il s’appelle Yoann Gasiorowski,est né en 1988 à Poitiers et adéjà joué sous la direction demetteurs en scène renomméstels qu’Alain Françon, BenoîtLambert, Cyril Teste, ou ArnaudMeunier. Formé à la Comédie deSaint-Etienne, il rejoindra latroupe de la Comédie-Françaisecomme pensionnaire à partir du2 janvier prochain. Il y interpré-tera son premier rôle dans leFaust de Goethe, mis en scènepar Raphaël Navarro et Valen-tine Losseau. Ce sera au Théâtredu Vieux-Colombier du 21 marsau 6 mai.

RÉOUVERTURE DUTHÉÂTRE MOGADOR Le 25 septembre 2016, un in-cendie ravageait le plateau duthéâtre Mogador ainsi qu’unepartie des décors et des cos-tumes du Fantôme de l’Opéra enpleines répétitions. Les dégâtsont obligé le théâtre à fermer età annuler les représentations. Ila fallu un an de travaux pour re-mettre en état le bâtiment inscrità l’inventaire des monumentshistoriques. Exit donc Le Fantômede l’Opéra que les dirigeants es-péraient pouvoir reprendre plustard. Après plusieurs reports dedates, ils ont finalement décidéd’attendre la saison suivantepour lancer leur nouvelle comé-die musicale, Grease. A la diffé-rence des précédentes

Actualités

Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE, vous trouve-rez un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votresmartphone. Ils vous permettent d’aller directement sur les sites des théâ-tres et de visualiser les bandes-annonces des pièces dont nous parlonsdans le journal.

FLASHCODES

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6 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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QUINCAILLERIE

Peut-on établir ce théo-rème : les gens de théâtre four-millent d’idées et les décideurss’en emparent pour les enfouirdans leurs tiroirs ? C’est vrai que,depuis l’arrivée d’une nouvelleministre de la Culture, on n’a pasvu, pour le théâtre, surgir beau-coup de nouvelles propositions.C’est pourtant une erreur de pen-ser que gouverner, c’est accepteret gérer la crise. Alors, soyonsgentils. Envoyons des idées. Toutle monde en a. Ça fourmille chezles artistes, les directeurs desalles, les patrons de festival, lepublic et même les journalistes.Par exemple, pourquoi les spec-tacles du secteur subventionnécirculent-ils si mal ? Les théâtress’échangent les spectacles sansqu’il y ait la moindre politiqued’encouragement à la qualité,avec si peu de volonté de par-tage à travers la France. Autre-fois, l’Athénée et l’Odéonservaient à recevoir les specta-cles de la décentralisation. Aprésent, plus personne ne s’ensoucie. Ne faudrait-il pas quel’Etat crée une nouvelle struc-ture, achète une ou plusieurssalles ? Et le système des Centresdramatiques nationaux ? Nefaudrait-il pas distinguer les cel-lules de recherche et les vraisoutils populaires ? Donner unCDN à Rodrigo Garcia ou à JeanLambert-Wild a été une fâ-cheuse erreur. Il faut distinguer,comme en quincaillerie, les pe-tits et les gros outils. Si vousavez encore de la place dans vostiroirs, on a encore quelquesidées…

productions, celle-ci est beau-coup plus francisée (sauf pour lestubes toujours chantés en an-glais). Et pour les textes et leschansons, des écrans de surti-trage en anglais ont été installéspour les spectateurs étrangers.

UN BUDGETPOUR LA CULTURE DE10 MILLIARDS D’EUROSHistorique pour le ministère deFrançoise Nyssen, ce montant nedépasse pourtant pas celui de2017 lorsqu’Audrey Azoulayétait encore aux commandes dela Culture. Il n’empêche quemême si cette somme n’aug-mente pas en 2018 et inclut lescrédits d’impôts et les taxes surles billetteries (93 millions d’eu-ros pour le Centre national dulivre, le Centre national de lachanson, des variétés et du jazzet l’Association pour le soutienau théâtre privé), la Culture estpréservée dans un contexted’économies nécessaires pour re-dresser le pays.Dans les priorités défendues parFrançoise Nyssen, on retrouvel’accès de tous à la culture quicommence dès le plus jeune âgeà l’école, le développement et laconstruction de la vie culturelledans tous les territoires y comprisles plus défavorisés, le soutien àla création et à l’indépendanceet l’ouverture vers l’Europe.Parmi les investissements, 7 mil-lions d’euros seront dédiés au fi-nancement d’études du projet dela Cité du théâtre, située dans lesAteliers Berthier, qui réunira laComédie-Française, le Théâtrenational de l’Odéon et le Conser-vatoire national supérieur d’artdramatique.

AUDREY AZOULAY ÉLUEDIRECTRICE GÉNÉRALEDE L’UNESCOL’ancienne ministre de la CultureAudrey Azoulay (en poste la der-nière année du quiquennat deFrançois Hollande) vient d’accéderà une fonction internationale :celle de directrice générale del’Unesco. Elue par 30 voix contre28 face au candidat qatariHamad ben Abdulaziz al-Kawari,elle succède à ce poste presti-gieux pour les quatre prochainesannées à la Bulgare Irina Bokova.Rappelons que l’Unesco (en an-glais United Nations Educational,Scientific and Cultural Organiza-tion), a été créée en 1945 aprèsla Seconde Guerre Mondiale pourveiller à maintenir la paix dans lemonde à travers l’éducation, lascience et la culture.

VINCENT LÉANDRI :DIRECTEUR DU THÉÂTREDE CORNOUAILLE Franck Becker ayant pris la suc-cession de Jacky Marchand à LaCoursive de La Rochelle depuis le1er septembre de cette année, ladirection du théâtre de Cor-nouaille à Quimper qu’il dirigeaitdepuis 2009 était vacante. C’estVincent Léandri, l’actuel direc-teur du théâtre de la Coupe d’Orà Rochefort, qui lui succède.

L’ÉDITde Gilles COSTAZ

O

@ Dr

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Vincent Macaignele turbuleur

Une

@ Thomas Samson AFP

8 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Théâtral magazine : Vous pré-sentez au Festival d’Automne Enmanque, Je suis un pays et la per-formance Voilà ce que jamais jene te dirai. De quoi parlent cestrois pièces ?Vincent Macaigne : Elles ne for-ment pas un triptyque mais troispièces différentes qui, du fait queje les ai toutes créées en Suisse etqu’elles ont un rapport avec l'Eu-rope, la crise et la jeunesse, s'em-boîtent un peu. En manque, c'estla petite histoire à travers la rela-tion d’une fille avec sa mère qui afait couler son pays en rachetanttout l'art européen et en le met-tant sous protection. La fille qui abesoin de trouver sa place dans ce

monde se rebelle contre cettemère et va même jusqu’à consti-tuer un gang pour la briser. C'estle portrait d'une génération per-due qui a du mal à s'orienter. C'estun peu notre état en ce moment.Quand on avait 20 ans, on croyaità la méritocratie. Or même si çareste une belle valeur, ça nemarche plus comme ça au-jourd’hui. Et c’est pire pour la gé-nération à venir qui a encoremoins d’illusions que la mienne.C’est un spectacle assez triste etsentimental. Je suis un pays, c'est la grande his-toire à travers le parcours d’unfrère et d’une sœur, pris dans unmonde qui explose. La soeur de-

vient une sorte de terroriste anar-chiste et le frère un président unpeu dégénéré. On les suit dans destableaux emblématiques de notremonde, à l'ONU, dans une scène dereality show, au cours d’élections...J'ai tiré ce spectacle d'une pièceque j'avais écrite quand j'avais 16ou 17 ans. Tous les cauchemarsburlesques que je décrivais alorssont devenus presque réels. Je l’aireprise avec pour objectif de don-ner de l'énergie aux gens, de leurmontrer qu’on peut se battre etcontinuer à construire même dansce monde-là. Surtout aujourd’huiqu’on a la sensation de posséder laTerre mentalement. Donc, c'est unappel au public. Ça doit devenir un

l a trois pièces à l’affiche au Festival d’Automne,En manque, Je suis un pays etVoilà ce que jamais je ne te diraiet sort en même temps son premier film, Pour le réconfort.Un événement qui va faire du bruit. Car si Vincent Macaigne

se fait rare, l’artiste crée toujours avec fracas. Depuis 2009, il n’a signéque 8 mises en scène, mais quelles mises en scène. Ses versions revisitéesde l’Idiot de Dostoïevski et d’Hamlet de Shakespeare ont changé le coursdu théâtre. Et pas seulement parce que ses acteurs “pensent fort” commeil dit sur scène, mais parce que ses spectacles au-delà des messages préoc-cupants qu’ils véhiculent embarquent les spectateurs dans une fête sanslimites. Il déconseille d’ailleurs ses dernières créations aux femmes en-ceintes et aux épileptiques… Car le combat de Vincent Macaigne, c’estcelui d’une génération entravée par ses aînés rescapés de l’holocauste.Comment vivre dans un monde qui surprotège ses enfants et érige l’ar-gent comme seul espace de liberté ? La réponse se trouve dans ses spec-tacles : il faut continuer de se battre et construire, construire, construire.Lui-même turbule le système pour mieux le reconstruire.

VINCENT MACAIGNE

IEn manque

Je suis un paysVoilà ce que jamais...

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acte de vie hallucinant. Et puis il y a ce petit spectacle,Voilà ce que jamais je ne te dirai,qui s’infiltre dans Je suis un paysavec ses propres spectateurs….C’est-à-dire ?Ce spectacle vient se greffer ets’incruster dans Je suis un pays. Etcette rencontre entre les deux per-met presque de résoudre des ques-tionnements que pose Je suis unpays. D’une certaine manière, lesspectateurs de Voilà ce que jamaisje ne te dirai viennent sauver Jesuis un pays.C’est donc un spectacle qui faitparticiper les spectateurs ?Oui mais sans obligation. On aaussi la possibilité de simplementregarder. Moi-même je détesteêtre pris à partie et je tiens à ceque les spectateurs restent libres.L’idée étant de les inclure dans lespectacle comme dans un dîner etde leur permettre de se rencon-trer. C'est peut-être ça la finalitéde mon théâtre : organiser la ren-contre et que le spectacle s'efface.Et d’ailleurs, Je suis un pays finitsur cette phrase : "vous allez appa-raître et moi je vais disparaître".Au fond, c'est la situation des ac-

teurs. A la fin, ils saluent rapide-ment et s’effacent pour laisser lesspectateurs entre eux.Pourquoi la rencontre vous im-porte-t-elle tant ?C'est un acte de survie pour moi.J'ai commencé à faire des filmspour rencontrer des gens. Mon butultime était qu’on réfléchisse en-semble. Mais c'est un geste qui estvraiment un ratage parce que fina-lement quand on met en scène, onfait chier tout le monde. C'est pourça que régulièrement je veux aban-donner le théâtre et le cinéma.C'est vrai que vous le dites àchaque interview…Parce que c'est tellement unequestion de vie ou de mort. Etd’ailleurs, tous les acteurs de lapièce prennent en charge cettehistoire comme un truc de généra-tion où chacun y met ses secrets.Ce n'est même pas politique ; c'estjuste poétique. Je pense que le pu-blic perçoit aussi quelque choseque les acteurs eux-mêmes necomprennent pas. Vous croyez donc au pouvoir duthéâtre ?Évidemment parce que c’est uneprise de parole. Les tragédies à

l’origine étaient faites pour que lafiction vienne mettre en relief lavérité. Or aujourd’hui, partout, enpolitique, dans les médias, on faitle contraire : on mâche la réalitépour en faire de la fiction. C’estgravissime. Le rôle des artistes estd’autant plus important. Parexemple, par rapport à la réalitévirtuelle qui nous envahit, il fautque les artistes continuent d’entirer des fictions pour rappeler auxgens que ce n’est pas vrai. Sinonon va confondre réalité et divertis-sement. Pour mener la performance Voilàce que jamais je ne te dirai, vousavez fait appel à un artiste tota-lement inconnu, Ulrich vonSidow…Il est déjà dans En manque. C'estune sorte de fil rouge qui traverseles trois spectacles. Dans Voilà ceque jamais je ne te dirai, on a uneinterview d’un spécialiste d’Ulrichqui explique son travail. C'est unefaçon de critiquer l'art contempo-rain qui est devenu une marchan-dise et dont la défiscalisationpermet le blanchiment d'argenttrès sale. J’ai passé beaucoup detemps en Suisse au théâtre deVidy-Lausanne pour faire ces spec-tacles. Là-bas, on voit Monsanto,Nestlé, Nespresso… toutes cesmultinationales qui font n’importequoi. C’est paradoxal avec ce trucpaisible que véhicule ce pays fier

VINCENT MACAIGNE

Ce n'est pas du cri, mais de la

pensée forte. L’art estfait pour bousculer lesgens, la fiction doitvenir taper le réel...

10 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

©Mathilda_Olmi

Page 11: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

n Je suis un pays, comédie burlesque et tragique de notre jeunesse passée, écriture, miseen scène, conception visuelle et scénographique-Vincent Macaigne, avec Sharif Andoura, ThomasBlanchard, Candice Bouchet, Thibaut Evrard,Pauline Lorillard, Hedi Zada et les enfantsEt Voilà ce que jamais je ne te dirai, spectaclependant Je suis un pays… pour un deuxièmegroupe de spectateurs. du 11 au 17/11 TNB Rennes, 25/11 au 8/12Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, 9 au 11/01Tandem Arras-Douai, 16/02 La Filature à Mulhouse, 31/05 au 14/06 à La Colline Parisn En manque, texte, mise en scène et scénographie Vincent Macaigne, avec ThibautEvrard, Clara Lama-Schmit, Liza Lapert, SofiaTeillet, des figurants et des enfantsGrande Halle de La Villette dans le cadre duThéâtre de la Ville hors-les-murs, 211 avenueJean-Jaurès 75019 Paris, 01 40 03 75 75, du 14 au 22/12 puis du 7 au 9/02 au Lieu Unique à Nantes etdu 21 au 23/02 au Festival Otono a Primaveraà Madrid (Espagne)n Pour le réconfort, réalisation Vincent Macaigne, sortie en salles le 25/10

d’avoir compris comment bienvivre... Je crois que cela a influencéquelque chose dans mon travail. Ily a quelque chose dans cet envi-ronnement de l’ordre de l’Olympeavec les dieux qui s’entretuent. Les personnages principaux deJe suis un pays sont un frère etune sœur. On suit également unfrère et une soeur dans votrepremier film, Pour le réconfort,qui sort le 25 octobre…Oui il y a aussi un frère et unesœur mais ils n'ont rien à voir avecles personnages de Je suis un pays.Pour le réconfort est une adapta-tion très éloignée de La Cerisaiede Tchekhov. Mais je crois quandmême que le film a inspiré Enmanque qui a inspiré Je suis unpays qui a inspiré Voilà ce que ja-mais je ne te dirai. Pour le récon-fort n'est pas un film théâtral maisje l'ai monté presque comme jemonte mes pièces. Car contraire-ment aux idées reçues, le cinémaporte aussi quelque chose de vi-vant comme le théâtre. Mon es-poir c'est toujours que lespectateur se demande ce quepense l'autre à côté de lui. Et d’ail-leurs, ce film est fait pour être vuà plusieurs, et pas tout seul dansson salon. Sinon on ne comprendpas pourquoi les acteurs nouscrient dessus. C’est une question qui revient ré-gulièrement, le fait que les ac-teurs crient dans vos pièces. Aquoi est-ce dû ?Je ne leur demande jamais de criermais de penser très fort les choseset de s'adresser à un maximum degens. Donc, ce n'est pas du cri,mais de la pensée forte. Et au ci-néma c’est pareil, c'est quelquechose qui s'adresse non pas à 15mais à 200 personnes. L’art est fait

pour bousculer les gens et fairecomprendre le réel un peu autre-ment. La fiction doit venir taper leréel. Notre histoire mondiale ne re-pose absolument pas sur deschoses qui nous rassurent et quisont dans les normes. Donc, quandles artistes prennent de l'argentpublic, ils ont pour mission d'éton-ner le public et de le bouger, pasde faire des recettes. Or le minis-tère ne s’en rend même pluscompte puisqu’il parle de fusion-ner les secteurs public et privé. Ilfaut se rappeler qu'après la Se-conde Guerre Mondiale, on s’estdemandé pourquoi on avait ététellement monstrueux et commentéviter ça. On a alors créé le minis-tère de la Culture pour ouvrir l’es-prit des gens et essayer d’éviterqu’ils se radicalisent. C’est pour çaque les lieux publics sont aussi im-portants. Les théâtres publicscomme les salles de cinéma pu-bliques existent grâce à nos im-pôts ; ils doivent rester au peuple.

Propos recueillis parHélène Chevrier

VINCENT MACAIGNE

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 11

Rôles2007 Kliniken, de Lars Norén, mise enscène Jean-Louis Martinelli2009 Idiot !, d'après L'Idiot de FiodorDostoïevski, mise en scène VincentMacaigne2010 La Cerisaie, d'Anton Tchekhov, mise en scène Julie Brochen2014 Idiot ! parce que nous aurions dûnous aimer, d'après L'Idiot de Dostoïevski,mise en scène Vincent Macaigne

Mises en scène2009 Idiot !, d'après L'Idiot, de FiodorDostoïevski2009 On aurait voulu pouvoir salir le sol,non ?, de Vincent Macaigne2011 Au moins j'aurai laissé un beaucadavre, de Vincent Macaigne d'aprèsHamlet de Shakespeare2012 En Manque, création/laboratoire,Ménagerie de verre, Paris, Festival ÉtrangeCargo, avril 20122014 Idiot ! parce que nous aurions dûnous aimer, d'après L'Idiot de Dostoïevski 2016 En Manque, nouvelle création2017 Je suis un pay, et Voilà ce que jamaisje ne te dirai, nouvelles créations

Repères artistiquesThéâtre

Page 12: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Théâtral magazine : Connaissiez-vous bien Modigliani avant queLaurent Seksik ne vous proposele rôle ? Stéphane Guillon : Je connaissaisun petit peu la peinture parce queje suis fils et petit-fils de mar-chands de tableaux. Mais Modi-gliani, l'artiste, non.Qu’est-ce qui vous a décidé alors ?C'est à la fois l'écriture de LaurentSeksik et le personnage de Modi-gliani avec lequel j'avais pas mald’affinités inhérentes d’ailleurs àd’autres artistes comme ce mé-lange de fragilité et de force, uncôté bipolaire aussi, qui le rendtouchant puis exaspérant. Je croisqu'il souffrait beaucoup de ne pasêtre reconnu de son vivant. C’estquelque chose que je partageavec lui parce j'ai aussi énormé-ment galéré jusqu’à mon arrivée

en 2003 sur Canal +. Vous savez pourquoi LaurentSeksik vous a choisi ?Il avait envie que j'apporte mapart d'humour, d'ironie. Je penseque Modigliani incarnait parfaite-ment la phrase de Beaumarchais :"je m'empresse de rire de tout depeur de n'être obligé de pleurer". Ilavait le verbe haut et quelle quesoit la situation, la maladie, la mi-sère, il continuait de rire.On découvre aussi les person-nages qui l’entourent comme safemme Jeanne...... et le marchand Léopold Zbo-rowski qui accepte beaucoup d'hu-miliations sachant qu’il a affaire àun personnage hors-norme et sabelle-mère qui reconnaît que c'estun sacré bonhomme. J'ai beau-coup pensé à Vittorio Gassmanqui avait aussi cette faconde,cette prestance. Et puis il finit tragiquement. Ilmeurt à 35 ans d’une méningitetuberculeuse et Jeanne se sui-cide deux jours après alorsqu’elle est enceinte de neuf mois. On a souhaité terminer la pièce

autrement. C'était quelqu’un quiavait besoin de souffrir pour créer.Moi, ce n'est pas du tout ma came.Mais je me souviens de toute unegénération d'acteurs formidables,dans les années 80, comme Simonde La Brosse ou Patrick De-waere… qui ont vraiment brûléleur vie comme ça. Modigliani,c’était l'absinthe, la drogue. Il nesupportait pas le bonheur. Qu'attendez-vous de cette pièce ?Qu’elle ramène les gens au théâtre.Ça demande un effort de sortir sur-tout pour voir une pièce ambitieuse.70 % de ce qu’on voit au théâtre cesont des histoires de couples avecdeux acteurs pour faire rire. Je seraiscontent pour moi évidemment maisaussi pour l’Atelier qui résiste face àtous les groupes qui rachètent àtour de bras des théâtres, des ré-seaux de billetterie, des chaînes detélé, des radios. Ces gens-là ont unpouvoir inimaginable. Si vous vousconfrontez à eux, vous ne travaillezplus. C'est contraire à la liberté denotre métier.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

MODI Théâtre de l’Atelier – Paris

depuis le

10Oct.

n Modi, de Laurent Seksik, mise en scène Didier Long, avec Stéphane Guillon, Sarah Biasini, Geneviève Casile, Didier BriceThéâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin75018 Paris, 01 46 06 49 24

Je retrouve en Modi-gliani ce mélange de

fragilité et de force, uncôté bipolaire qui le rendtouchant puis exaspérant.

Après son éviction en juin dernier del’émission Salut les Terriens ! sur C8, StéphaneGuillon revient à ses premières amours lethéâtre. Il interprète le rôle du peintre Modigliani sur la scène de l’Atelier dans unepièce de Laurent Seksik mise en scène par Didier Long. Un personnage avec lequel il s’estdécouvert des affinités…

Stéphane Guillondans la peau d’un artiste maudit

@ LOT

12 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Théâtral magazine : TriumVirus,c’est un spectacle sur la crisegrecque.Nina Villanova : Plus exactement,c’est un spectacle qui à la lueur dela crise grecque parle de notre so-ciété occidentale et notamment dela zone euro. Comment la crise dela Grèce est devenue un instrumentde pouvoir sur un pays et a permisde le soumettre aux directives géo-politiques d'austérité. Et puis on aspéculé sur cette crise, sur la faillited'un État. Macron souhaite créer unposte de ministre de l'économie eu-ropéen. Il y a quelques années onpensait que l'Europe allait éclateret finalement elle se sert les coudesmais c'est sous-tendu par une poli-tique ultra libérale. Le spectaclepose aussi cette question de l’avenirde l'Europe.

Comment avez-vous écrit letexte ?On a lu beaucoup de textes surl'Europe en remontant aux originesde la construction européenneaprès la seconde guerre mondialepour inscrire la crise grecque dansun continuum historique, on a re-gardé des documentaires. Puis onest parti 10 jours à Athènes, puison a assisté à un colloque à Paris 8en 2013, le Symptôma grec, quirassemblait des philosophes, dessociologues… Au fur et à mesure,j'ai construit une dramaturgie au-tour de la crise comme instrumentde pouvoir et de cet état d'excep-tion dans lequel on vit aujourd'huiqui n'en finit pas de se perpétuer.On prend des mesures superfi-cielles au lieu de vraiment s'inter-roger sur les racines du problème.Cela demanderait d'avoir des poli-tiques sociales au lieu de politiquesqui mettent en première ligne leprofit et le pognon.Le spectacle raconte-t-il une his-toire ?Il n'y a pas d'histoire à proprementparler. On a quatre actrices qui

tentent de parler de la crisegrecque, et au fur et à mesurequ’elles se mettent à jouer, onentre dans quelque chose debeaucoup plus fantasmatique, dé-lirant, grotesque.Pourquoi ?On a intérêt à rembourser sinonon va peut-être nous couper undoigt. Dans La colonie péniten-tiaire, Kafka parle d'un appareil detorture qui inscrit la sentence àmême le corps du condamné. Tra-vailler ce bout de texte a fait sur-gir l’idée d’un personnage un peudingue qui prendrait le pouvoir surle plateau. Ça ne se termine pastrès bien, mais c’est le monde danslequel on vit.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n TriumVirus, de Nina Villanova,avec Marine Behar, Julie Cardile,Zoé Houtin, Nina VillanovaThéâtre-Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot 94140Alfortville, 01 43 76 86 56,jusqu’au 18/11

TRIUMVIRUS Théâtre-Studio d’Alfortville

depuis le

31Oct.

14 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Artiste associée du théâtre-studiod’Alfortville, Nina Villanova a élaboré uneréflexion en douze tableaux sur la dette etses conséquences sur notre société àl’aune de la crise grecque. Quatre actricestentent de comprendre le monde dans lequel elles vivent avant de se faire rattraper par le pouvoir…

Nina Villanova Crise, dette et dépendance

@dr

On parle de la crisegrecque, et progres-

sivement on entre dansquelque chose de fantas-matique, délirant…

Page 15: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 15

Théâtral magazine : Bernanosavait donc écrit un roman poli-cier ?Jonathan Capdevielle : C’est unpolar qu’il a écrit en 1935 à la ma-nière de Simenon, car il avait be-soin d’argent. Sa maison d’éditionlui demandait d’écrire vite pourque cela puisse partir en roman degare. Un polar qui n’en est pasvraiment un et c’est ce qui m’inté-resse ; Bernanos commence uneenquête assez réaliste comme leveut le genre, puis progressive-ment il est partagé entre la per-ception mystique qu’il peut avoirde ses personnages et le réalismemystique du roman. C’est encore une histoire de curé ?Oui, mais assez décalée : ce curén’en est pas un vrai puisque c’estune femme travestie, lesbienne,fille de défroqué. Tous les crimes seconcentrent autour de cette hé-roïne qui est le pivot du roman. Il ya les meurtres qu’elle a commis, etsa dissimulation permanente face

aux autorités religieuses et à la Jus-tice.Quel est cet univers, et en quoirejoint-il le vôtre ?C’est celui favori de Bernanos : lacampagne et son milieu popu-laire, au cœur de paysages hos-tiles. Cela me rejoint car natif deTarbes, non loin de Lourdes, j’ai vubeaucoup de curés en pèlerinagedans les rues. Quand j’ai découvertles personnages de Bernanos celam’a interpellé. Je suis quelqu’un derêveur, et ce roman développebeaucoup le fantasme, notam-ment à travers le trouble que créece personnage dans sa relationavec l’enfant de chœur à qui il seconfie. Une relation qui se tisseentre les deux, assez tendre etdouce, sans jamais basculer dansl’ambiguïté.Comment vous appropriez-vouscette histoire ?Comme dans mes autres pièces jetravaille sur les voix multiples,cinq acteurs faisant les vingt-cinq

personnages. Ils seront comme depetits santons qui sortiraient del’imagination de l’auteur, qui seraprésent sur le plateau parlant deson activité d’écrivain. Je joue unabbé du Pays basque durant lesferias. Il y a une couverture catho,une soutane posée sur l’ensembledu polar que je démystifie à la fin.Par le faux, son travestissement,cette femme dit le vrai. Je suis pas-sionné par ce que développe cepersonnage et à quel pointl’image du prêtre peut être fasci-nante dans le faux avec un dis-cours religieux authentique.

Propos recueillis par François Varlin

A NOUS DEUX MAINTENANT Le Quai - Angers

Amandiers - Nanterre

à partir du

6Nov.

n A nous deux maintenant, d’après GeorgesBernanos, conception Jonathan Capdevielle> Le Quai, Nouveau Théâtre d’Angers, Calede la Savatte, Angers, 02 41 22 20 20du 6 au 8/11 et du 23 au 25/05> Amandiers, 7 av Pablo Picasso Nanterre,01 46 14 70 00, du 23/11 au 3/12

Au Quai d’Angers, puis aux Amandiers de Nanterre, Jonathan Capdevielle propose untexte de Bernanos surprenant. Un polar, titréoriginellementUn Crime, qu’il rebaptise A nous deux maintenant au terme d’uneadaptation avec Jonathan Drillet. On y retrouveces héros torturés, en questionnement sur eux-mêmes, leur foi et leur rapport au monde. Inattendu entre les mains du jeune comédien…

Jonathan CapdevielleSous la soutane, une femme…

©Kerstin Daley Baradel

Page 16: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Théâtral magazine : C’est untexte très autobiographique.Rodolphe Dana : C’est l’histoirepersonnelle de Steve Tesich avecaussi une part de fiction. Ce qui m'avraiment touché, c'est que cela m’afait replonger dans tous les tour-ments liés à la fin de la scolarité età la question de l'avenir qu’on sechoisit : faut-il rester dans son bledoù on a tous ses repères et ses amismais où il y a peu de perspectives

professionnelles ou partir tenter sachance dans la capitale ? Le fait que vous soyez mainte-nant à Lorient a-t-il compté dansle choix de cette pièce ?Non, j’avais décidé de la monteravant de prendre la direction duthéâtre. J'ai grandi en banlieuelyonnaise et je me suis moi-mêmeposé la question de partir ou pasde chez moi. C'est important parcequ’on comprend à ce moment là

que ce n'est pas seulement l’héri-tage et l’environnement social etprofessionnel qui déterminent ledestin ; on décide aussi. Le texte parle de l’avenir profes-sionnel mais pas seulement...Oui parce que cet été là, Daniel, lepersonnage principal, va aussi af-fronter son père, extrêmementtoxique et malade et rencontrerson premier amour, Rachel. Il esttrès attaché au côté hasardeux dela vie, il croit que sa rencontre aveccette jeune femme est un signe dudestin. Il s'invente un monde unpeu idéaliste mais c'est une bullequi va exploser petit à petit aucontact de la réalité. Et puis il y a ce rêve de devenirun héros qu’expriment aussi bienle père que les amis de Daniel. On est aux États-Unis. Le romans'ouvre sur un combat que Danieltermine deuxième. Or dans lemonde libéral dans lequel on vit,est-ce que cela suffit d'êtredeuxième ? En réalité il faut êtrele meilleur à tout prix. Comment montez-vous la pièce ?Avec des acteurs qui ont une pe-tite trentaine d’années, plus âgésque les personnages. Je ne voulaispas trop coller au roman, ni àl'époque. L’adaptation qu'on afaite tourne autour des troisgrands axes de l'amour, de la mèreet de la mort du père. On a ima-giné une scénographie qui permetde passer de l'un à l'autre sansqu'on ait besoin de changer ledécor à chaque fois. On essaie decréer la sensation que ça se passeaussi dans sa tête, que c'est lui quiest en train de revivre son histoire.Pour montrer la fragilité de cettepériode de la vie.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

PRICEThéâtre de Lorient et tournée

à partir du

6Nov.

Daniel Price, le héros de la nouvelle création de RodolpheDana, s’apprête à devenir adulte. Lui et ses deux amis setrouvent face au choix difficile de leur avenir. Cet arrache-ment à l’enfance est accompagné d’espoir mais aussi dedouleurs quand l’amour et la perte des siens viennent leconfronter au réel. Après Loin d’eux de Laurent Mauvigniersur le suicide d’un adolescent, Rodolphe Dana a eu envied’explorer cette période de grande fragilité qu’est l’entréedans la vie adulte.

Rodolphe Dana

@ Jean-Louis Fernadez

Un héros fragile

16 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Price, d’après Steve Tesich,mise en scène Rodolphe Dana, 6 au 12/11 Théâtre de Lorient,16/11 au 2/12 T2G, 5 au9/12 Théâtre du Nord à Lille,13 au 16/12 Théâtre de Nîmes,10 au 17/01 théâtre Garonne àToulouse, 27/02 au 2/03TNBA à Bordeaux, 7/04 LaScène Watteau à Nogent,17/04 Nest à Thionville

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Théâtral magazine : Que repré-sente Festen pour vous, au-jourd’hui ?Cyril Teste : En 1998, c’était unfilm majeur. Au centre, il y a lethème de l’inceste, à travers le filsqui dénonce les viols dont il a étévictime de la part de son père,alors qu’on fête somptueusementles 60 ans du chef de famille. Maisle sujet fondamental, n’est-ce pasplutôt : comment se réconcilier avecson histoire et avec soi-même ?C’est en même temps une lecturecontemporaine d’Hamlet, unmythe autour duquel je ne cessede tourner. Le héros veut rétablirla vérité et, comme dans Hamlet,c’est un fantôme qui vient le cher-cher – ici, celui de sa sœur. On està la fin d’un monde. 1998, c’est lamontée du nationalisme et du po-pulisme. Un autre monde va com-mencer, qu’un autre film,

Melancholia de Lars von Trier, vaannoncer. Le texte de Vintenberget le principe du Dogma permet-tent d’explorer les fondamentauxde la performance filmique, à tra-vers un huis clos, l’examen d’unecommunauté.Vous utilisez le texte français deDaniel Benoin, qui avait déjàadapté le film au théâtre.Oui. Mais le texte est déjà du théâ-tre, puisque Vintenberg en a tiréla version dramatique lui-même.Beaucoup de choses ont permisd’aller au-delà de l’écriture ca-méra. Le père s’adresse au public,le fils utilise le théâtre pour dé-noncer l’action de son père…Dans le spectacle, le théâtre serale hors champ de l’histoire. Je rêveà ce projet depuis longtemps, maisje ne me sentais pas en mesure del’affronter. Après Nobody, je penseque je peux maintenant faire faceà une telle transposition. Mais cene sera ni un Nobody bis, ni un Fes-ten bis.L’enjeu reste difficile pour les ac-teurs qui doivent jouer pour lescaméras et pour le public.En effet, qu’est-ce que ça veut dire

de jouer devant une caméraquand on est dans la temporalitédu présent ? Il faut penser qu’onest au théâtre. Ne soyons pas gri-sés par les technologies de pointe.Il suffit d’utiliser les outils autre-ment pour parvenir à sa liberté.Dans ce spectacle, le cinéma in-vite le théâtre à sa table. Cetterencontre et cette lutte entre euxnous concernent tous : à présent,le pouvoir appartient à ceux quidétiennent les fictions.

Propos recueillis parGilles Costaz

FESTEN Odéon Ateliers Berthier - Paris et en tournée

à partir du

7Nov.

Depuis sa première mise en scène en 1999, Hamlet Machine, Cyril Teste explore les relations de lascène et de l’image. En 2015, Nobody a été un événement,grâce à l’équilibre entre la scène et la “performance filmique ”. Nouvelle étape de son cheminement si originalcette saison : Festen d’après le script de Vintenberg.

Cyril Teste

L’écriture caméra

18 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Festen, de Mogens Rukov et Thomas Vintenberg, mise en scène de Cyril Teste,> Bonlieu Annecy, 1 rue Jean Jaurès, 04 50 33 44 11, du 7 au 10/11> Odéon Ateliers Berthier, 8 bd Berthier 75017Paris, 01 44 85 40 40, du 24/11 au 21/12 > En tournée Angers, Grenoble, Lille, Rennes, St-Quentin-en-Yvelines, Toulon, Valence, Tarbes

Dans ce spectacle, lecinéma invite le

théâtre à sa table. Cetterencontre entre eux nousconcerne tous...

@ Simon Gosselin

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atman et Ganesh dansune supérette… Venisefête son Carnaval,Jacques Vincey jetteson regard d’au-

jourd’hui sur une pièce d’hier voired’avant-hier, Le Marchand de Ve-nise, l’un de “ces grands textes quiont traversé le temps et qui peu-vent résonner pour nos préoccupa-tions contemporaines”. Larésonance, en l’occurrence, estrendue délicate du fait de pas-sages antisémites. “C’est une pièceà problèmes”, avoue Vincey qui afait face, fin septembre, au CDNde Tours-Théâtre Olympia qu’il di-rige, aux protestations du Conseilreprésentatif des institutionsjuives de France (CRIF). Le metteuren scène savait ces difficultés, il aprévu des débats pour lever touteambiguïté. “Je n’ai pas voulu édul-corer la part antisémite du texte deShakespeare, c’eût été trop facile,mais j’ai voulu aussi montrer lereste, notamment les violentes at-taques contre les hypocrisies de lasociété chrétienne. Au final, c’estun texte éclairant sur une sociétéqui, du fait des lois de l’économie,perd ses valeurs humaines.”

Vincey a poussé l’engage-ment jusqu’à endosser le rôle deShylock, lui qui n’était plus monté

sur les planches depuis vingt ans.“J’ai tenté de lui donner ma partd’humanité. Il ne s’agit pas d’excu-ser cet homme méprisé et méprisa-ble mais de tenter de comprendresa folie. Sa soudaine intransi-geance peut être mise en rapportavec l’immense désarroi ressentidevant le désir de sa fille, Jessica,de se faire chrétienne pour épouserLorenzo.”

En traduisant et adaptant lapièce, le dramaturge VanasayKhamphommala a épicé les dia-logues des mots de nos moderni-tés : crédit, marché, enchères,intérêts et cette fameuse dette.Shylock n’est pas seulement cetêtre assoiffé de sang (ou plutôt dechair, la différence jouera son rôleà la fin de la pièce) mais un agentrévélateur de la cruauté des méca-nismes économiques. Shylockagit-il si différemment du ministreallemand Wolfgang Schäuble exi-geant un remboursement impos-sible de la dette grecque ?

Le Marchand de Venise estune pièce complexe qui a pas-sionné Freud et Lacan. Elle traiteautant des fondements symbo-liques de l’économie (Business inVenice) que des troubles identi-taires et de la recherche des boucsémissaires. Antonio, par exemple,

malgré sa toute-puissance, est at-teint de mélancolie. En distribuantle rôle à Jean-René Lemoine, co-médien et dramaturge originaired’Haïti, Vincey appuie sur les dé-calages, il joue du rire et de la fé-rocité. Ce n’est pas seulement unelutte au dernier sang entre un épi-cier et un capitaliste qu’il nousprésente mais des hommes prisdans leurs vertiges existentiels.

Propos recueillis par Patrice Trapier

LE MARCHAND DE VENISE Comédie de Reims et en tournée

à partir du

7Nov.

La mise en scène du directeur du CDN de Tours n’esquive pas l’antisémitisme de la pièce de Shakespeare mais il montre qu’elle éclaire plus largement les fondements chrétiens d’une société déshumanisée… Quand l’économie attaque l’éthique.

La dette humaine

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 19

Jacques Vincey

@ RDL

n Le Marchand de Venise (Business in Venice), de Shakespeare, mise en scène de Jacques Vincey, avec Jacques Vincey, Jean-René Lemoine, Pierre-François Doireau, Thomas Gonzales, Océane Mozas… Du 7 au 10/11 à la Comédie de Reims, Du 15 au 16/11 au NEST, Thionville21 › 24/11 au Théâtre Dijon Bourgogne, 29/11 au 1/12 à la Comédie de Saint-Etienne, 6 au 7/12 à l’Hexagone, Meylan12 au14/12 Maison de la Culture de Bourges

B

Page 20: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Théâtral magazine : Pourquoivous êtes-vous attaqué au sujetde l’identité nationale à ce mo-ment précis ?Jean-Christophe Meurisse : Cetteidée, je l’ai en tête depuis deuxans. En France, la crispation au-tour de l’identité date de 2007,quand Nicolas Sarkozy a instauréle Ministère de l’Immigration sousl’égide de Brice Hortefeux puis EricBesson. Mais au fond, le problèmeest vieux comme le monde : dansune société, dès que les problèmes

adviennent, c’est nécessairementde la faute de l’autre…La question de l’identité fran-çaise est un faux débat ?C’est même une idée fascisante,visant à exclure les plus faibles. LaFrance a toujours été la sommed’identités mixtes et plurielles.Jusqu’ici, dans vos spectacles,vous faisiez le choix de ne jamaisjuger vos personnages. Or,quand il est question du racisme,est-ce que l’on peut se passerd’un jugement ?Non, c’est impossible. Et pour lapremière fois, certains person-nages ne peuvent être sauvés. Jepense à une scène en particulier.Elle se déroule dans un parc, lorsd’un pique-nique. Une bande decopains discutent… Et la paroleraciste se délie, décomplexée, nor-malisée. Nous montrons ces genspour ce qu’ils sont : odieux etmonstrueux. Par contre, il y a desscènes où nous continuons à nousmoquer de nous-mêmes. Vers la finde la pièce, nous mettons en scèneun couple de bourgeois recevant

une famille de migrants chez eux.La bien-pensance fait place aumalaise : nous sommes un peucomme ce couple de bourgeois.Quel a été l’impact de votre pre-mier long-métrage, Apnée, survotre mise en scène ?Difficile à dire. Je suis revenu authéâtre avec plus d’envie et d’appé-tit. Je pense avoir progressé sur laquestion du rythme des scènes. Jesuis ravi de me remettre au théâtre.Après le festival de Cannes où lefilm a été présenté, j’ai l’impressionde revenir dans mon pays et de meremettre à parler ma langue.Comment s’est passé le renou-vellement d’une partie de latroupe ?C’était à la fois agréable et difficile.Difficile, parce qu’il a fallu fairesans certaines figures historiques.Agréable, parce que nous avonsfait appel à des comédiens quenous connaissons, que nous ai-mons et qui partagent l’esprit desChiens de Navarre.Est-ce difficile de vieillir quand onpratique un théâtre subversif ?Ça l’est. Mais vieillir, de façon gé-nérale, n’est pas aisé. L’enjeu c’estde continuer à se renouveler.D’autant que le rire, ce que nouscherchons à provoquer, se dé-mode plus rapidement que la tra-gédie. Ainsi, nous prenons lerisque de vieillir plus vite que lesautres. Mais nous sommes prêts.

Propos recueillis parIgor Hansen-Love

JUSQUE DANS VOS BRASThéâtre des Bouffes du Nord – Pariset en tournée

à partir du

7Nov.

Jean-Christophe Meurisse relâche les chiens

Après un passage remarquéet remarquable derrière la caméraavec son premier long-métrageApnée, le metteur en scène desChiens de Navarre revient avec unspectacle corrosif sur l’identité nationale. La pièce, géniale, qui atriomphé aux Nuits de Fourvièrecet été, fera l’événement de l’automne théâtral.

@ lollwillems

20 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Jusque dans vos bras, par Jean-Christophe Meurisseet Les Chiens de Navarre. Théâtre des Bouffes du Nord 37 bis bd de la Chapelle75010 Paris, 01 46 07 34 50, du 7/11 au 2/12Puis en tournée 2017-2018 (cf. chiensdenavarre.com)

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Théâtral magazine : Au début devotre pièce, il y a une faute ori-ginelle. Un homme, Boris, em-mène sa maîtresse, Andréa, dansun restaurant que lui a conseillésa femme. D’où vous est venuecette idée ?Yasmina Reza : D’un fait réel ar-rivé à un ami. Ce qui m’intéressedans cette faute – faute de goûtou de sensibilité comme on vou-dra – est la différence de percep-tion. Elle voit un problème là où luin’en voit pas. La disharmonieentre deux êtres vient souventnon d’une faute objective maisd’un écart de sensibilité. Cettefausse note va miner leur soirée.Mon écriture est traversée par lemotif suivant : comment à partird’une légère dissonance -trois foisrien- les gens et les situations sedétraquent.Mais la faute originelle, ce n’estpas l’adultère ?Non. Enfin, tout dépend du point

de vue que l’on adopte. Si j’avaisécrit la pièce selon la perspectivede la femme de Boris, il est proba-ble que cette liaison aurait consti-tué la faute originelle. Seulementpour moi, la femme n’existe pasdans la pièce ; ce n’est pas le sujet.Comment avez-vous construitcette histoire ? Selon quelle mé-thode ?Je n’ai pas de méthode. Je ne faispas de plan… Je pars à l’aventure.Les personnages et les situationsfinissent pas s’engendrer eux-mêmes… Je pense les choses ner-veusement et rythmiquement. Pasde façon narrative ou théorique. Jevais à tâtons. Les moments de ten-sion ou de quiétude, ou de vide,m’apparaissent nécessaires au furet à mesure. La construction d’unepièce ou d’un roman ne me posepas de problème.Qu’est-ce qui peut vous poserproblème alors ?Tout le reste. Toute sorte de dif-

ficultés d’écriture ou d’expression.Bella Figura est une commandedu metteur en scène allemandThomas Ostermeier pour l’ac-trice Nina Hoss. Celle-ci a-t-elleinspiré le personnage d’Andrea ?Non, pas du tout. Je n’étais pasassez familière avec elle. Avantl’écriture de la pièce, j’avais vu NinaHoss dans La Vipère, de Lillian Hell-man, mise en scène par Thomas Os-termeier justement et dans le filmBarbara, de Christian Petzold. Jel’avais trouvée belle, très présente,j’avais aimé sa retenue, une formede réserve mystérieuse... QuandThomas Ostermeier m’a proposéd’écrire pour Nina j’étais ravie, carc’est une comédienne absolumentformidable. Mais le personnaged’Andrea n’avait rien à voir avec ceque j’avais pu voir d’elle. Lors del’écriture je n’avais pour référenceque son physique et son âge. Nina Hoss est effectivement unegrande actrice, pourtant, à la lec-

BELLA FIGURA Théâtre du Rond-Point - Paris

à partir du

7Nov.

Yasmina Reza

Au départ, il y a une commande de ThomasOstermeier, qui cherchait à magnifier son ac-trice Nina Hoss. Yasmina Reza a répondu pré-

sent et Bella Figura est née. Ensuite, l’auteure française a décidé deproposer sa propre mise en scène, avec, dans le rôle-titre l’immenseEmmanuelle Devos. Créée en janvier 2017, à Toulon, la pièce arriveenfin au Rond-Point. C’est l’événement théâtral de la rentrée.

22 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Une question de goût

@ Pascal Victor

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ture de la pièce, on imagine trèsbien Emmanuelle Devos, qui in-carne Andrea dans votre propremise en scène de Bella Figura.J’ai pensé très vite à EmmanuelleDevos. Même pendant l’écritureparce que j’avais dans l’idée que jemettrai la pièce en scène, en fran-çais, après la création de Thomas.Emmanuelle avait fait une lectured’Heureux les heureux à l’Odéon.Nous nous étions connues à cemoment-là et j’ai eu envie d’allerbeaucoup plus loin avec elle. En quoi votre version est-elleplus française que celle de Tho-mas Ostermeier ?Plus française ?... C’est vous qui ledites. Thomas a donné une ver-sion nocturne et déchirante avecun fort aspect anxiogène… Il autilisé et grossi des éléments dutexte. Le bruit envahissant desmoustiques, des grenouilles, desimages d’insectes… Sa vision estforte et passionnelle. Mon regardest différent. Je mets d’autres ac-cents. Je vais du jour à la nuit. Il ya des couleurs affirmées, la voiturejaune, les chaussures rouges… J’aiaussi choisi de développer desaxes différents entre les person-nages, comme entre Yvonne etAndrea… Ma vision est plus dé-sertique, plus axée sur la solitudedes personnages…Pourquoi, depuis Le Dieu du car-nage, mettez-vous en scène vospropres pièces ?Longtemps, j’ai pensé qu’il étaitpréférable que le metteur enscène ait un regard extérieur. Etpuis je me suis rendu compte quemon propre regard était aussi unregard extérieur. Pour moi, la miseen scène est un vrai travail de ré-écriture.Comme indication, vous écrivez,en préambule : “ce qui importe,ce sont tous les contretemps… “

Si Bella Figura était un morceaude musique, il appartiendrait àquel style ?Difficile à dire… Une fugue peut-être. Le rythme de l’écriture esttrès accentué, contrapuntique. Ony entend différentes voix qui

jouent sur des tempos différents.Quel type de directrice d’acteurêtes-vous ?Oh, je ne sais pas… Il faudrait de-mander aux acteurs… Je suisassez demandeuse, un peuchiante peut-être… Mais ils ontl’air content, on s’amuse et on ritbeaucoup. J’ai une formation d’ac-trice. Sur un plateau, je pensed’abord avec mon corps. Et defaçon générale, les comédiens ré-pondent bien à la vision d’un met-teur en scène qui comprend leschoses physiquement. Par contre,j’ai le défaut de ne donner presqueaucune explication psycholo-gique. Pourquoi ?L’explication psychologique est ré-ductrice. Si réductrice qu’elle m’ap-

paraît fausse la plupart du tempsà peine énoncée. Tout comporte-ment comprend une dose de mys-tère. C’est ça qui compte. Ce quim’intéresse vraiment, au fond, cesont les nerfs. L’endurance ner-veuse. Ce sont les nerfs qui me gui-dent dans l’écriture d’une pièce oud’un roman.Quels sont vos projets à venir ?Il y aura la reprise d’Art, en janvier,au théâtre Antoine, avec CharlesBerling, Jean-Pierre Darroussin etAlain Fromager, dans la mise enscène de Patrice Kerbrat. Ensuite,je reprendrai, en tant qu’actriceDans la luge d’Arthur Schopen-hauer au théâtre La Scala, à Paris,avec André Marcon, mise en scènepar Frédéric Belier-Garcia.Et du côté de l’écriture ?Rien, pour l’instant. Je n’ai pasécrit depuis Babylone, qui est sortil’an passé. Je ne me force pas àécrire. J’attends une épiphanie.

Propos recueillis parIgor Hansen-Love

@ Pascal Victor

L’explication psychologique est

réductrice. Tout compor-tement comprend unedose de mystère...

n Bella Figura, de Yasmina Reza, avec Emmanuelle Devos, Camille Japy, Louis-Do de Lenquesaing, Micha Lescot, Josiane Stoléru. Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris, 01 44 95 98 00, du 7/11 au 31/12

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 23

Bella figura, avec Emmanuelle Devos

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Théâtral magazine : Qu’est-ce quivous plaît tant chez Tchekhov ?Julie Deliquet : Quand j’ai montéVania, des spectateurs me disaient :“c’est génial ce monologue quevous avez rajouté sur l’écologie”, jen’avais rien ajouté, c’était dans letexte initial. J’avais l’impressionque j’arrivais à parler du monded’aujourd’hui à travers un auteurvisionnaire qui l’avait pressenti. J’aidonc voulu poursuivre cette explo-ration avec Tchekhov.Pourquoi avoir choisi d’adapterles Trois sœurs et Ivanov et pasl’une ou l’autre ?On a la mission de se poser la ques-tion de savoir pourquoi ces œuvresnous parlent encore. J’ai aimé cettenotion d’adaptation. Ivanov meplaisait en termes de thématique,par rapport à la mélancolie, un per-sonnage qui chute, on se demandesi c’est sa dépression qui le fait chu-ter ou le poids du monde. Lesscènes collectives sont un peuécrites à la serpe ! J’avais du mal àm’y projeter. J’ai réussi en relisantLes Trois sœurs qui est un terreaufamilial. A travers une famille, ilpose des questions sociétales un anaprès la mort du père. Or, mon pré-cédent spectacle avec le collectif Invitro évoquait la mort des parents.J’ai assumé l’idée de faire rencon-trer notre aventure d’écriture deplateau et celles qu’on a vécues.Il y a aussi chez Tchekhov le tempsrévolu, le passé, le côté Cerisaie…Oui, mais j’ai l’impression que j’enparle dans tous mes spectacles.C’est mon obsession et sans doutela raison pour laquelle cet auteurme passionne. Il parle d’un présentqui est dû à un passé et qui pres-

sent un futur. On sent que la révo-lution n’est pas loin même si onn’en est pas encore là. C’est la find’un monde et le début d’un nou-veau, mais qu’il ignore encore. Parrapport à notre génération issuedes baby-boomers avec tous sesidéaux et le monde que l’on offreaujourd’hui à nos enfants, il y a unfossé. On ignore où on va. J’allumela radio tous les matins en me de-mandant quelle horreur on va en-tendre encore. Je trouve, commechez Lagarce en son temps, queTchekhov pose de manière univer-selle ces questions-là. Quand j’étaisétudiante en théâtre, il n’était pasà la mode. Il y avait le cliché despersonnes qui ne font rien et di-sent qu’elles s’ennuient. Depuis,cinq, six ans, il y a un retour vers luiparce qu’il fait vraiment un paral-lèle avec notre monde.Aviez-vous vu les adaptationsd’Alain Françon ?Oui, c’est un peu comme ça que j’airedécouvert l’auteur. Pour Vania,j’avais repris une partie de la distri-bution qu’il avait choisie pour LesTrois sœurs. J’avais aussi vu cellesde Julie Brochen, Christian Bene-detti… J’ai fait la fusion des Troissœurs et Ivanov dans une sorte depré-bible que j’ai passée à l’équipe.Le spectacle porte la facture del’histoire des répétitions et devientle nôtre. Ce sont ces quatorze se-maines qui décident d’un objet demise en scène et non pas le met-teur en scène qui le proposeraitavant les répétitions. C’est uneœuvre collective.

Propos recueillis par Nathalie Simon

MÉLANCOLIESTournée 2017-2018Théâtre de la Bastille - Paris

à partir du

7Nov.

Julie Deliquet monte Mélancolies,d’après les Trois sœurs et Ivanovd’Anton Tchekhov dans le cadredu Festival d'Automne. Formée auConservatoire de Montpellier, auStudio Théâtre d'Asnières et àl’École Internationale JacquesLecoq, l’artiste associée au Théâtre de Lorient revient sur l’aventure collective qui lui tient àcœur avec ses huit comédiens ducollectif In vitro.

Tchekhov en fusion

24 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Mélancolies, création et adaptation collective àpartir des Trois Sœurs et d’Ivanov d’Anton Tchekhov mise en scène Julie Deliquet, productionCollectif In Vitro, du 7 au 10/11 Comédie deSaint-Etienne, du 14 au 18/11 Théâtre de laCroix Rousse à Lyon, le 25/11 La Ferme du Buis-son, du 29/11 au 12/01 Théâtre de la Bastille,Paris, dans le cadre du Festival d'Automne ettournée en 2018 (cf. www.bureau-formart.org)

Julie Deliquet

@ samuel_kirszenbaum

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Théâtral magazine : Pourquoiajouter L’histoire de la mitrail-lette au titre Compassion ?Milo Rau : Aujourd’hui toutes lesguerres sont faites avec la mitrail-lette. Ça commence en 1870quand on l'utilise pour la premièrefois lors de la guerre franco-alle-mande. Pendant la PremièreGuerre Mondiale, elle est respon-sable de 90 % des morts. En1947, elle devient portable : c’estle début de la Kalachnikov… Maisce titre a surtout un sens méta-phorique : il n’y a pas de bons ni demauvais ; il y a juste ceux qui ontl'arme et ceux qui ne l'ont pas.Ce spectacle vient-il à la suite deHate Radio et du film Le tribunalsur le Congo ?Oui Hate Radio étant un peu lapremière partie qui reconstituaitune émission de la Radio des MilleCollines au Rwanda, avec ses ap-pels au massacre contre les Tutsisen 1993. Le film montrait, lui, lescauses de cette guerre sanglante. Dans Compassion, on assiste auxconfessions de deux femmes surcette guerre : l’une est membre

d’une ONG et l’autre victime. Pour-quoi imbriquer leurs interventions ?Il y a d'abord l’idée de laisser par-ler la victime, à travers une paroleauthentique puisque Consolate Si-périus raconte sa propre histoireau Rwanda. Et en face, il y a l'ac-trice Ursina Lardi qui joue uneautre qu’elle-même avec une telleconviction que la plupart des spec-tateurs pensent qu’elle aussi ra-conte sa véritable histoire. Celamontre comment la vérité et l’ar-tifice s’affectent réciproquement.Sa confession met à mal le tra-vail des ONG…Surtout celles intervenant auRwanda et au Congo qui ontnourri la crise à un momentdonné. Quand on est au Congo, onvoit bien qu’il y a des milliers d'or-ganisations, dont des ONG, qui vi-vent de la crise et n’ont pas intérêtà ce que le pays en sorte. C'est ça le sens du spectacle ?Que notre compassion ne va pasau-delà de nos intérêts ?Oui. En Allemagne par exemple, onest obnubilé par le génocide desjuifs et on exclut le reste. Et je crois

qu’on ne va même pas essayer deréparer plus tard les crimes qu'onest en train de commettre ou delaisser commettre, parce qu’on neles voit plus comme des crimes. Çainterroge aussi ce que c’est qu’êtrecoupable aujourd'hui. Vous êtes aussi journaliste, es-sayiste et très engagé dans tousvos combats. Qu’attendez-vousde l’art ?Je crois que le pessimisme qui estnécessaire dans l'art tragique doitêtre suivi par un optimismeconstructif. C’est pourquoi je tra-vaille en ce moment sur une nou-velle création, qui s’appelleAssemblée Générale qui sera lepremier parlement mondial. On vaessayer de proposer une politiqueau-dessus des nations.

Propos recueillis parHélène Chevrier

n Compassion. L’histoire de la mitraillette, conception Milo Rau Grande Halle de la Villette, 211avenue Jean-Jaurès 75019 Paris,01 40 03 75 75, du 7 au 11/11

COMPASSION. L’HISTOIRE DE LA MITRAILLETTEGrande Halle de la Villette – Paris

à partir du

7Nov.

A travers les confessionsd’une victime des massacres rwandaiset d’une membre d’une ONG, le metteur en scène suisse Milo Rau pour-suit son combat contre les ratés denotre société. Après Hate Radio et LeTribunal sur le Congo, il dénonce dansCompassion. L’histoire de la mitrailletteune compassion européenne qui ne dépasse pas ses propres intérêts.

Optimiste constructif

26 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Milo Rau

©Daniel Seiffert

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n Les Bacchantes, d’Euripide, mise enscène Sara Llorca, avec Anne Alvaro, Ulrich N’toyo, Jocelyn Lagarrigue, SaraLlorca et les musiciens Benoît Lugué etMartin Wangermée7 au 17/11 Théâtre 71 à Malakoff21 et 22/11 Le Bateau Feu à Dunkerque29/11 au 2/12 Théâtre Montansier àVersailles6/12 Faïencerie à Creil8/12 Centre culturel de La Norville12 et 13/12 Lieu unique à Nantes18 au 21/12 Manufacture à Nancy9 et 10/01 La Halle aux grains à Blois16 au 18/01 Espace Malraux à Chambéry20/01 Théâtre Jacques Cœur à Lattes23 au 27/01 Théâtre Olympia à Tours30/01 au 1/02 La Filature à Mulhouse6/02 Scène nationale Grand Narbonne8/02 Avant-Seine à Colombes

Théâtral magazine : Dionysosest un personnage qui joue undouble jeu…Anne Alvaro : C’est le fils de Zeuset d'une mortelle, Sémélé. Et il re-vendique sa légitimité de dieu. Ceque lui dénie son cousin, Penthée,le roi de Thèbes, ainsi que lesfemmes de la cité. Alors Dionysosva travailler à ébranler ses convic-tions et à l’anéantir. Il va mettreen scène son arrivée dans la villede Thèbes, en se déguisant. Celaconvoque quelque chose de ré-jouissant, parce que les specta-teurs sont dans la confidence deson jeu. C’est quand même le dieudu théâtre, de la transe, de lafête... Dans ce travestissement, il ya quelque chose de très shakes-pearien, beaucoup plus que tra-gique.Il va quand même assez loin enfaisant tuer Penthée par sa pro-pre mère…C'est difficile d'avoir un avis surDionysos parce que c'est aussi unefigure qui porte l'enseignement àPenthée ; il lutte contre son refusdu désordre, du débordement, dela joie, de l’exaltation de la nature,des femmes… Et pour être en-tendu, oui, il va jusqu'à la terreur.

Cela parle aujourd’hui…J'ai du mal avec ça. Je ne veux pasfaire entrer le travail que je faisdans cette réflexion-là. Cela rédui-rait quelque chose, parce que cen'est pas une vengeance humaine ;Dionysos veut punir l'autochtone,celui qui refuse l'étranger, lesfemmes. Si on arrive déjà à monterces Bacchantes, à rendre ce projetévident, familier, appétissant, cu-rieux, étonnant, ça sera déjà beau-coup. L’analyse viendra après. Sara Llorca a rajouté un pro-logue qu’elle-même a écrit. L'idée du prologue, c'est d’amenerles spectateurs vers le spectacle ;c'est presque un geste pédago-gique. Quand je suis spectatrice, jesuis toujours très attentive à lafaçon dont on me convie à la re-présentation. Comment se présente la scéno-graphie ?Elle est faite d’un immense tapisde sol doré. On joue à vue tout letemps et quand on change de per-sonnage, on ajoute juste un acces-soire qui permet de le désigner. Ily aura exceptionnellement des en-trées très théâtrales depuis lescoulisses, comme celle très surpre-nante de Penthée habillé en

femme, ou celle d'Agavé, sa mère,portant la tête de son fils…

Propos recueillis par Hélène Chevrier

LES BACCHANTES Théâtre 71 à Malakoff et en tournée

à partir du

7Nov.

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 27

Dans Les Bacchantes d’Euripide, Anne Alvaro joueles trois personnages de Dionysos, Tirésias etAgavé. Un projet avec quatre acteurs et deux musiciens porté par Sara Llorca, sa belle-fille, dont elle suit le travail.

Porter l’enseignementAnne Alvaro

@ Laurent Deburge

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Théâtral magazine : Qu’est-cequi vous a poussée à jouer cepersonnage déjanté ?Stéphanie Bataille : Chaque foisque je monte sur scène, c’estparce qu'il y a quelque chose queje ne supporte pas, et qu’il y a uneurgence à communiquer avec lepublic. Et le texte de MadameMarguerite permet de s'adresserau public et de le faire sans lechouchouter, pour le remuer. La pièce fait indirectement allu-sion à la dictature brésiliennedes années 70…Mais quand elle dit "Tout le mondeveut être Madame Marguerite,tout le monde veut le pouvoir",c’est encore valable aujourd’hui :tout le monde veut être comédien,patron d'entreprise... Quand elleleur explique la division, elle nefait que décrire le capitalisme. "Ily a dans cette classe 12 concom-bres pour 35 élèves. Que se passe-t-il ? La bouche la plus habile va seretrouver avec 8 ou 9 concombres

à elle seule. Une deuxième va man-ger 3 ou 4 concombres. Et les 33autres vont littéralement rester lagueule ouverte". C'est le mondedans lequel on vit. On nous dit tou-jours que ça va aller mieux, qu'onest tous solidaires. Les gens n’ontjamais été aussi nombrilistes.Comment allez-vous la jouer ?Comme une grande résistante, enjupe culotte, chemise fleurie etdes baskets. Et elle y va. Elle estmissionnée. Elle dit à ses élèves"Madame Marguerite peut vousaider, vous guider, vous soutenir".Je me suis inspirée de mes maî-tresses d’école que j’ai adorées.Comme j’ai adoré l’école.Il y a un décor très sobre : un ta-bleau noir, un bureau noir. Comme Peggy Guggenheim, Ma-dame Marguerite est un person-nage remarquable…Elles sont très proches. MadameMarguerite veut sauver ses élèveset les éclairer, Peggy voulait sau-ver les artistes. Elle a d’ailleurs

éclairé le monde de l’art. Sans ellePollock et tant d’autres n’auraientpas existé de la même façon. Cesont des monstres parce qu'ellesne sont pas dans la norme. Ce sontdes textes qui changent leschoses. Comme Les chatouillesavec Andréa Bescond, ou Les mo-nologues du vagin que j’ai jouétrès longtemps. Pour le specta-teur, c'est mieux que d’aller voir lepsy, parce qu’il est dans le noir,apaisé, voyeur. Ça permet de ré-veiller les consciences.

Propos recueillis par

Hélène Chevrier

n Madame Marguerite, de RobertoAthayde, mise en scène Anne Bouvier, avec Stéphanie BatailleLucernaire, 53 rue Notre-Dame desChamps 75006 Paris, 01 45 44 57 34,du 8/11 au 27/01

MADAME MARGUERITELucernaire - Paris

à partir du

8Nov.

Après Peggy Guggenheim, StéphanieBataille s’attaque à un autre personnage fort, quifut le grand rôle d’Annie Girardot pendant 30 ans :celui de Madame Marguerite, institutrice en CM2,qui semble péter les plombs en pleine classe. Roberto Athayde ayant écrit le texte en 1973 enpleine dictature brésilienne, les dérapages de l’en-seignante trahissent surtout une mise en gardede ses élèves contre toute forme de totalitarisme...

Stéphanie Bataille Réveiller les consciences

Gael Rebel

28 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Page 30: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Théâtral magazine : Ce portrait deNina Simone vient dans le cadred’un temps fort autour d’Harlem...David Lescot : Chaque création estassociée à une figure d'artiste donton fait le portrait. Elise Vigier, quimonte Harlem Quartet, m’a proposéde travailler autour de la figure deNina Simone. Je ne la connaissaispas vraiment mais j'aime bien memettre en position de portraitiste.J’ai donc accepté et en travaillantj'ai découvert une personnalité etune interprète incroyables.

Comment se déroule le spectacle ?On est parti des chansons de NinaSimone que Ludmilla aimait bien.On commence le spectacle par unechanson sur le rapport de Nina

avec les hommes. Puis elle parle desa mère et de la religion, et dugrand drame de sa carrière quandelle n'a pas réussi à rentrer auconservatoire de musique classiqueparce qu’elle était noire. À chaquechanson, il y a une histoire. Tantôtelle raconte, tantôt elle l’incarne. Etmoi je suis à son service. Je joue dela guitare, je pose des questionspour la faire exister. Ludmilla a unlien particulier avec Nina Simonequi recoupe complètement sa vie.Donc on fait aussi un entretien.C'est une manière de parler d’elle.D’où le titre du spectacle, Portraitde Ludmilla en Nina Simone. Qu’aimez-vous chez Nina Simone ?Sa personnalité musicale trèsétonnante parce qu'au départ elleest pianiste et ça se ressent danssa musique. Elle développe toutun langage classique qu'on ne re-trouve pas du tout chez les autresmusiciens de jazz de cette époque.En même temps, elle a cette cul-ture de musique noire de jazz, deswing, de blues, de gospel. Maiselle n’aimait pas qu’on dise qu'elle

était une chanteuse de jazz. Etpuis elle a eu un parcours assez in-croyable à travers sa révolte et sonengagement dans les droits ci-viques. Il lui a fallu du couragepour endurer les tragédies qu’ellea vécues aussi bien le racisme quela violence de ses maris, des pro-blèmes d'addiction et une dé-chéance professionnelle forte. Ellea été au creux de la vague avantd'être relancée par la pub Chanelqui a repris son My baby just caresfor me. Mais c'est aussi un specta-cle qui interroge beaucoup l'enga-gement politique, le fait de tenir unpropos politique sur scène, d’exhor-ter une foule et même d’appeler àla violence. On peut se demander sic’est encore un spectacle...

Propos recueillis par Hélène Chevrier

PORTRAIT DE LUDMILLA EN NINA SIMONE Mac de CréteilComédie de Caen

à partir du

9Nov.

À chaque chanson,il y a une histoire.

Tantôt elle raconte, tantôt elle l’incarne. Etmoi je suis à son service. Je joue de la guitare, jepose des questions...

30 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Après Foucault, Pasolini, Bourdieu, voiciun nouveau portrait d’artiste imaginé par la Comédie de Caen. Cette fois il s’agit d’unefemme, Nina Simone (1933-2003), jazz womanet fervente militante pour les droits civiques auxEtats-Unis. David Lescot qui a écrit le spectacle atrouvé l’interprète idéale : Ludmilla Dabo.

David Lescot

Portrait d’une artiste engagée

@ dr

n Portrait de Ludmilla en Nina Simone, mise en scène David Lescot, avec Ludmilla Dabo et David Lescot9 au 11/11 Mac de Créteil, 01 45 13 19 1929 et 30/01 Comédie de Caen, 02 31 46 27 29

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 31

n Harlem Quartet, d'après le roman de James Baldwin, adaptation et mise en scène d'Elise VigierMaison des Arts de Créteil Place des Arts 94000Créteil, 01 45 13 19 19, du 9 au 11/11. Puis : du 16 au 18/11 TNB Rennes, 23/11 Co-lombes, du 23 au 26/01 La Croix-Rousse Lyon, du 20 au 22/02 Caen, du 22 au 30/03 Ivry

Théâtral magazine : Que nous ditle roman de Baldwin que vousadaptez ?Elise Vigier : C'est l'histoire d'HallMontana, qui a perdu son frère,Arthur, un chanteur de gospel cé-lèbre. Il se met à se souvenir de luiet de leur vie commune. C'est Har-lem au temps de leur enfance,d'abord, puis quand ils sontadultes. Le troisième livre raconteune tournée dans le Sud. Dans lequatrième, Hall revient de laguerre de Corée et découvre unSud moins raciste, qui a changé. Lecinquième livre est centré surl'amour entre Arthur et son amiJim. Cet ouvrage de 800 pages estun peu à la Cassavetes ; c'est lachronique d'une bande d'amis etd'amants qui mêle la vie intime etl'histoire des Etats-Unis.

Comment avez-vous eu l'idée deporter ce livre au théâtre ?On m'a offert ce livre il y a 25 ans.Un choc. J'ai lu tout Baldwin.Après, j'ai oublié. Mais, en parlantavec Marcial di Fonzo Bo, je m'ensuis souvenu. Les questions quesoulève Baldwin, le racisme, lessexualités, on y est encore ! Celafait que Kevin Keiss et moi tra-vaillons à l'adaptation. Mêmependant la mise en scène, l'adap-tation se poursuit. Je voulais allersur les lieux, utiliser des imagescomme décor. J'ai pu aller deuxfois à Harlem, voir tous les lieuxdont parle Baldwin. Nicolas Mes-dom a fait les images. J'ai rencon-tré par hasard Saul William qui aparticipé à la musique du specta-cle... Pour le texte, je donne lastructure à Kevin Keiss, qui rebon-dit là-dessus. On commence en1975 et on finit en 1975 : c'estcomme un flash-back, ou le tempsd'une veillée.Vos acteurs viennent de la “di-versité ” : des comédiens qu'onvoit peu sur nos scènes.

Ludmilla Dabo est une grande ac-trice, doublée d'une grande chan-teuse. Nanténé Traoré est uneamie. Je les ai tous choisis en te-nant compte de recommanda-tions. C'est une équipe qui marcheensemble. Il faut qu'il y ait unebande pour un spectacle quiépouse le rythme de la mémoire etde la marche, dans un espaced'Yves Bernard fait pour la projec-tion mais aussi la proximité. Vous êtes le plus souvent dansl'ombre de di Fonzo Bo. Sans re-grets ?J'aime les équipes. Et j'aime au-tant l'ombre que la lumière.

Propos recueillis par Gilles Costaz

HARLEM QUARTET Mac de Créteil

et en tournée

à partir du

9Nov.

C'est la chroniqued'une bande

d'amis et d'amants quimêle la vie intime etl'histoire des Etats-Unis...

James Baldwin, poète de la révolte noire auxEtats-Unis et ailleurs dans le monde, mort en 1987,redevient un écrivain et une figure essentiels pournotre époque. Le film de l'Haïtien Raoul Peck, I amnot your Negro, lui a rendu hommage cette année.Au théâtre, Elise Vigier, artiste associée à la Comédie de Caen, adapte le roman Harlem Quartet ;le spectacle est créé à l'intérieur du festival HyperHarlem à Créteil, puis fait l'objet d'une tournée.

Entre l'ombre et la lumière

Elise Vigier

@ Dr

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Théâtral magazine : Vous repre-nez le spectacle d’il y a 20 ans ?Charlotte de Turckheim : C’estplutôt une suite. C’est différent.D’ailleurs, j’ai demandé à PatriceThibaud, un metteur en scène dupublic, de me diriger. On retrouve lespersonnages 20 ans après. C’est lamême situation, je viens passerquelques jours chez ma mère, etcomme toujours c’est le bordel… Jesuis retombée sur le texte par ha-sard et je n’en revenais pas de ceque ce spectacle était drôle et pro-fond. Cela raconte les problèmesd’une femme qui se débat avec sessoucis de fric, ses enfants… Ce fut un succès mais le publicporte-t-il toujours le même inté-rêt à vos histoires de famille ? On verra bien. Ça a amusé les gensde voir comment ça se passait chezles aristos fauchés, et je pense qu’ily a toujours cette curiosité. Lesaristos continuent à fasciner lesgens. Comment vivons-nous, lesmariages princiers, Kate et Wil-liam, les trucs de rois et de reinesintriguent toujours les gens. Çac’est le décor ; mais le cœur c’est lepersonnage de cette femme, qui ales mêmes difficultés que M. etMme Toulemonde. Films, téléfilms, spectacles, livre,vous avez souvent rebondi sur cecoté aristo. Est-ce votre fond decommerce ?Est-ce que vous me le reprochez ?On est très marqué par nos en-fances, nos histoires et je pense

que les auteurs ne font que racon-ter ce qui leur est arrivé. Nous,c’est peut être plus voyant commesituation, on le dira aussi desjuifs… Tout le monde ressassetoujours son histoire. Ou bien j’as-sume, j’en parle et on me le re-proche, ou bien je n’en parle paset on me dit que j’en ai honte !Donc je fais comme j’ai envie, si onpense que j’en abuse : tant pis !Pourquoi aller jouer à La Nou-velle Eve ?Je ne crois pas m’être jamais biensentie dans ces grands théâtresprivés dirigés par des gens tradi-tionnels qui nous ont toujoursassez mal vus. Nous n’avons ja-mais été du théâtre pour eux, onremplissait leurs caisses mais ilsavaient des rapports durs avecnous. Nous étions un genre mineuret j’ai été blessée plusieurs fois. Onm’appelait “le petit lingot” ; c’étaitsympa mais limite ! Non, je n’ai pasle souvenir de gens très gentils. Unjour on m’a dit : “À la rentrée nousallons prendre du vrai théâtre” ; jene m’en suis jamais remise. Poureux ce n’était que de la déconnadesans texte. Aujourd’hui les direc-teurs de théâtre ont changé, ils sor-tent d’HEC, ce sont des financiers.Y avons-nous gagné ? A la Nou-velle Eve, on échappe à tout ça, onest libre, c’est un petit cabaret aty-pique, charmant qui correspond àmon histoire loufoque.

Propos recueillis par François Varlin

UNE JOURNÉE CHEZ MA MÈRELa Nouvelle Eve – Paris

à partir du

10Nov.

n Une journée chez ma mère, textes de Charlottede Turckheim et Bruno Gaccio, mise en scène Patrice Thibaud, avec Charlotte de Turckheim.La Nouvelle Eve, 25 rue Pierre Fontaine 75010Paris, 01 48 74 69 25, à partir du 10/11

20 ans ont passé et l’affiche n’a –presque – pas changé. Charlottede Turckheim se tient toujours debout au chaud dans un chausson,le titre du spectacle reste identique :Une journée chez ma mère.Convaincue que les histoires defamilles aristos passionnent toujours le grand public, notreCharlotte revient à La Nouvelle Eveavec sa galerie de onze personnagesécrite avec Bruno Gaccio et mise enscène par Patrice Thibaud.

@ dr

Charlotte de Turckheim Aristo ? Toujours !

32 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Deux fois Trois Sœurs enl’espace d’un mois. La direction duThéâtre de l’Odéon s’est interro-gée sur le sens d’une telle pro-grammation. La proposition étaitpourtant difficile à écarter : lesdeux metteurs en scène, le RusseTimofeï Kouliabine et l’AustralienSimon Stone, sont des figures mar-quantes du renouveau théâtral ;avant leur passage par Paris, leuradaptation de la pièce de Tchek-hov avait connu un grand retentis-sement et surtout leur regardnovateur était assez dissemblablepour rendre passionnant ce rap-prochement.

Après Tchekhov en languedes signes, Tchekhov version XXIesiècle. Olga est directrice d’école ;Macha écrit des livres étranges ;Irina cherche sa voie et leur frèreAndrei, looser en peignoir et sa-vates, est toxicomane. Les orphe-lines Prozorov viennent decélébrer le premier anniversairede la mort de leur père, elles vou-draient quitter cette maison quiles enferme et les attache. Mos-cou, Moscou, Moscou ? Non, Bue-nos Aires, Sydney ou les îlesGalapagos. Si elles veulent partir,un avion les posera n’importe oùmais pourront-elles partir ?

La pièce de Simon Stoneévoque Donald Trump, le Brexit, lacrise des réfugiés, Facebook, Ama-zon ou Kim Kardashian parce quec’est le décor d’aujourd’hui. Ces tren-tenaires en crise jouent aux jeuxvidéo, parlent comme dans desfeuilletons télé, ils écoutentBeyonce, Rihanna et Britney Spears,trompent leur ennui par le sexe etles addictions, ils portent le mêmespleen qu’un siècle auparavant.

S’est-on éloigné de Tchekhov ?Céline Sallette l’a beaucoup lu,elle a commencé à la fac par sonmonologue, Les Méfaits du tabac :“Ces Trois Sœurs, c’est à la foisTchekhov et Stone. Il y a une mêmemélancolie, un même sentiment devacuité. Les personnages s’étiolent,désespérés de n’avoir rienconstruit. Simon Stone a trans-porté ce vide dans notre universcontemporain, il l’a accéléré, renduplus électrique.”

Pour Amira Casar, la moder-nité est déjà présente chez Tchek-hov : “Il a inventé le théâtre del’anti-héros, une forme de théâtredémocratique où chacun est consi-déré par l’auteur dans sa com-plexité, son ambivalence, sansjamais être jugé. Il éclaire un pointfondamental, l’incapacité des êtres

humains à exister, leur tendance àtout gâcher.”

Simon Stone a 33 ans, il est àl’image de son époque survoltée quienjambe les frontières et les modesd’expression, s’exprime en plusieurslangues et partage de mêmespréoccupations un peu partout surla planète. Stone est né à Bâle deparents britanniques qu’il a suivis àMelbourne puis à Cambridge. Il estacteur, metteur en scène, il passede la scène au cinéma, travaille àSydney, Bâle, Amsterdam ou Paris,son travail ultra-contemporain estle plus souvent appuyé sur lesgrands textes classiques.

L’an dernier, il avait réécritEuripide (Medea) avec la trouped’Ivo van Hove, la pièce avait étéjouée en néerlandais à l’Odéon.Cette fois, après un premier mon-tage à Melbourne (3XSisters), il aréécrit Les Trois Sœurs en alle-mand avec la troupe du théâtre de

LES TROIS SOEURSOdéon Théâtre de l’Europe - Pariset en tournée

à partir du

10Nov.

Amira Casar & Céline Sallette Tchekhov version XXIe siècle

Elles sont Olga et Macha dans la pièce du dramaturge russe revisitéepar Simon Stone. Une expérience théâtrale marquante qu’elles nous racontent.

34 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Simon Stone est ungénie fascinant. Il

a englouti plusieurscontinents, il est cultivé,il a tout emmagasinédans son jeune âge...

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Bâle mais à Paris les comédiensjoueront en français. La traductiona-t-elle entamé l’apport des comé-diens ? “La mise en scène de latroupe de Bâle, c’est notre sque-lette, explique Amira Casar. Nousrespectons une mise en scène, unecertaine chorégraphie mais nousinventons notre langage, pas àpas. Le rythme est primordial chezlui. Il demande aux comédiens unegrande précision, être un instru-ment au service de la symphoniequ’il dirige. Et puis, étant acteurlui-même, il a une grande capacitéà comprendre notre pathologie.”

Céline Sallette : “Simon Stonea le souci que nous nous appro-prions les personnages. Son impé-ratif, c’est que ce soit vivant, que çaaille vite, que les comédiens ne s’at-tendent pas, quitte à parler les unssur les autres comme dans la vie detous les jours.”

Stone a poussé loin les carac-tères tchékhoviens des person-

nages. Olga est marquée par l’abné-gation, le sacrifice d’une aînée quisent sa famille proche de la désagré-gation. “Elle est dans la survie, es-time Amira Casar. Elle baisse la tête,elle fait le dos rond mais elle est as-sise sur un socle fragile. Elle est le pi-lier de ces enfants abimés etdestructeurs. Ingmar Bergman par-lait de la famille comme d’un puis-sant nid de destruction.”

Céline Sallette : “Macha, elle,est passionnée mais surtout trèsfâchée contre son mari. SimoneStone s’intéresse au regard, au ju-gement sur l’autre et à la questionde la dépendance, le frère n’est pastoxicomane pour rien. L’autre élé-ment marquant, c’est d’avoir faitde la maison un véritable person-nage.” Comme une réminiscencedu père disparu ?

Stone a repris un dispositif ex-périmenté cet été à Avignon pourIbsen Huis, une maison à l’inté-rieur de laquelle les acteurs jouent

et que les spectateurs regardent àtravers les vitres. Notre société se-rait-elle devenue un immense es-pace de voyeurisme ? Entre-temps,la maison a doublé de volume,s’est élevée d’un étage, elle pivotesur elle-même, enferme les Prozo-rov qui ne cessent de vouloir ensortir mais y reviennent toujours.

Le moins qu’on puisse dire,c’est que les deux comédiennesont été marquées par cette colla-boration. “Simon Stone ne m’appa-raît ni Australien ni Européen, jedirais que c’est un homme univer-sel, témoigne Céline Sallette. Pen-dant les répétitions, il nous parlaiten anglais mais il suivait le texte enfrançais, au mot près.”L’an dernier, Amira Casar avait vudeux fois Médéa. “J’avais été sub-juguée par ce savant mélange dumythe et du fait divers. SimonStone est un génie fascinant. Il aenglouti plusieurs continents, il estcultivé, il a tout emmagasiné dansson jeune âge, des cultures et desformes d’art variées et diamétrale-ment opposées. J’avais la certitudeque j’allais apprendre de lui et ap-prendre, c’est la quête de ma vie.Rien ne m’attriste plus que de quit-ter un projet sans avoir rien appris.Aucun risque de ce genre avecSimon Stone.”

Propos recueillis parPatrice Trapier

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 35

n Les Trois Sœurs, d’après Anton Tchekhov, texte etmise en scène de Simon Stone, avec Amira Casar,Céline Sallette, Eloïse Mignon, Ilia Mouzyko, Eric Caracava, Frédéric Pierrot… > Odéon Théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon,75006 Paris, 01 44 85 40 40, du 10/11 au 22/12> TNP Villeurbanne / Villeurbanne du 8 au 17/01> Le Quai, CDN / Angers les 16 et 17/02

© Thierry Depagne

avec Amira Casar, Céline Sallette, Eloïse Mignon

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n La Despedida, par Heidi et Rolf Abderhalden (compagnie Mapa Teatro), Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses75018 Paris, 01 42 74 22 77, du 13 au 19/11

Théâtral magazine : La despe-dida nous entraîne dans la junglecolombienne. Rolf Abderhalden : On part d'uneexpérience réelle c'est-à-dire la vi-site que nous avons faite d’un an-cien camp FARC transformé enmusée vivant, où les soldats desFARC rejouent eux-mêmes desscènes qui se sont passées dansleur camp mais évidemment selonleur vision des faits. Avez-vous interrogé les FARCsur les raisons pour lesquelles ilsont fait ce musée ?C’était l'idée d'un général colom-bien qui a participé aux discus-sions de paix à La Havane. Laguerre étant finie, c'était unefaçon de commencer à imaginerune construction de la mémoire.N'est-ce pas aussi une façon dese défendre des horreurs com-mises dans ces camps plutôt quede laisser les journalistes s'em-parer de ces questions ?Une chose n'exclut pas l'autre. Il ya des centaines de journalistes, desécrivains, des chercheurs mais

aussi des victimes passées par cecamp, qui ont donné leur version.Quand on construit un récit, on leconstruit en fonction de son propreintérêt et de sa propre subjectivité.Ce qui est intéressant c'est quecette initiative n’existe pas ailleurs.

Que se passe-t-il concrètementsur scène ?Ce troisième volet évoque notreversion du musée, entre imagina-tion et projection des films quenous avons faits sur place. Il fautse laisser porter par l'hallucinationqui émane de cette visite, les spec-tres qu’on a sentis et la rencontreavec les soldats. Je crois qu’aufond nous voulons marquer lespectateur par la folie de laguerre. Nous avons été horrifiéspar la dureté, la cruauté, la barba-rie que c'était. Mais en mêmetemps et paradoxalement cetteguerre nous a donné en Colombie

une vitalité, une capacité de sur-vie, d'aller de l'avant, et de conti-nuer à faire la fête. Comment avez-vous pris la paixavec les FARC et leur reconnais-sance politique ?Après 53 ans de guerre, je vous as-sure que vous êtes content qu'il n'yait plus chaque jour de nouvellesd'attentats, ou de kidnappings. Leclimat du pays est complètementdifférent. On peut enfin marchertranquille dans la rue, réfléchir etavoir des dialogues avec une par-tie de la société avec laquelle ilétait impossible d'en avoir. Le plusdifficile maintenant pour noustous c'est plutôt d'imaginer com-ment on peut vivre sans ennemi.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

LA DESPEDIDAThéâtre des Abbesses - Paris

à partir du

13Nov.

Dernier volet d’un projet documentairemené depuis 2010 par Heidi et Rolf Abderhalden autour de l’Anatomie de laviolence en Colombie, et le rapport des colombiens avec la fête et la mort, La despedidaentraîne les spectateurs dans la reconstitution d’un ancien camp des Forces armées révolutionnaires colombiennes(FARC) reconverti en musée vivant.

RolfAbderhaldenLe musée de la guerre

Nous voulons mar-quer le spectateur

par la folie de la guerre.

36 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

@ Gianm

arco Bresadola

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n Désobéir, pièce d’actualité n°9, mise enscène Julie Berès, avec Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer,et Séphora PondiThéâtre de la Commune 2 rue Edouard Poisson 93300 Aubervilliers,01 48 33 16 16, du 14 au 25/11

Théâtre magazine : Comment enêtes-vous venue à faire une“pièce d’actualité ” au théâtre dela Commune ?Julie Berès : C’est à l’initiative deMarie-José Malis, qui invite des ar-tistes à concevoir un spectacle enprise avec les problématiques so-ciologiques et politiques actuelles,pour réinventer “la tradition duthéâtre comme art politique”.Pour répondre à cette invitation,avec Alice Zeniter et Kevin Keissnous sommes allés à la rencontrede jeunes femmes issues des pre-mière, deuxième et troisième gé-nérations d’immigrés, habitantnotamment dans le département93, pour questionner chacune surson lien à la famille, la tradition, lareligion, l’avenir. Nous avons dé-cidé de travailler avec certainesd’entre elles. Le travail d’écriturede la pièce est intrinsèquement liéà la constitution du matériau de

recherche : un travail minutieux,de longue haleine, de rencontreset de collecte de parole auprèsd’elles. Chacune a nourri l’écrituredu spectacle en apportant sa pro-pre histoire, et à travers elle cellede ces parents. Ces jeunes femmesd’origine kabyle, marocaine, ira-nienne ou camerounaise révèlentdes bribes de révolte, de soumis-sion, de nostalgie, des passionsviolentes.Vous avez appelé le spectacleDésobéir. Le titre de la piècesonne presque comme un pro-gramme. Nous aimerions faire entendre lafaçon dont ces jeunes femmes em-poignent leurs vies, dans unmonde souvent violent où il fautlutter pour tracer sa route.Chacune à sa manière témoigned’un NON posé comme acte fonda-teur. Non aux volontés du père,non face aux injonctions de la so-ciété, de la famille, de la tradition.Non face à la double peine qu’estle racisme et le machisme. S’oppo-ser pour pouvoir danser tous lesjours, faire du théâtre, écrire, prier.Arracher sa liberté.Nous souhaitons raconter l’his-toire de victoires, de victorieuses,d’obstinées, de désobéissantes.

On ne peut pas qualifier votrespectacle de théâtre documen-taire.On pourrait parler de théâtre detémoignage, mais je tenais qu’onsoit également dans un voyagefictionnel, où se mêlent la danseet la performance. C’est davan-tage un théâtre documenté qu’unthéâtre documentaire. Cela neressemble pas aux spectacles queje fais habituellement. C’est plutôtun geste. C’est comme cela que j’aicompris l’enjeu d’une “pièce d’ac-tualité.” Que préparez-vous pour votrecompagnie Les Cambrioleurs ?Le prochain spectacle sera créé enoctobre 2018 et abordera la ques-tion environnementale, du rap-port de l’homme avec la nature etde sa volonté de la dominer.

Propos recueillis par Gilles Costaz

DÉSOBÉIRLa Commune - Aubervilliers

à partir du

14Nov.

Chacune à sa ma-nière témoigne d’un

NON posé comme actefondateur. S’opposer pourpouvoir danser, écrire,prier. Arracher sa liberté.

38 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Avec sa compagnie Les Cambrioleurs, Julie Berès revendique de traduire à chaque spectacle les contoursd’un “espace onirique”. Mais elle se penche régulièrementsur la vie des autres. Elle le fait à nouveau avec Désobéir. @

dr

Julie BerèsDes femmes du 9-3

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 39

n La Cantatrice chauve, de Ionesco, miseen scène de Pierre Pradinas, avec RomaneBohringer, Thierry Gimenez, Julie Lerat-Gersant, Stéphan Wojtowicz… Le 13e Art, 30 avenue d’Italie 75013 Paris,01 53 31 13 13, du 14/11 au 10/12

Théâtral magazine : Vousconnaissiez La Cantatrice chauve,bien sûr ?Romane Bohringer : Non, presquepas. C’est la création la plus difficileque j’aie faite ! A la première lec-ture, je ne comprenais pas. Ensuite,j’ai haï Ionesco pendant cinq se-maines. Cette longue premièrescène où Mme Smith dit : “On amangé des pommes de terre aulard”, je me disais : c’est dix minutesde chienlit. Pradinas m’éclairait toutmais je n’adhérais pas. Enfin, lors

d’un filage, on a senti la continuité,la folie, la névrose au bord de la fa-laise ! Je suis passée du doute à l’ex-tase. J’adore Ionesco ! Depuis lacréation à Bonlieu, à Annecy, j’aisans cesse hâte d’être Mme Smith,je trépigne avant d’être en scène.Le texte se résume pour vous àun sentiment d’absurde, à unscénario absurde ? A présent, plus rien n’est absurde.Je ne joue pas quelque chose d’ab-surde. La Cantatrice chauve, c’estune soirée qui ne se passe pas bien.

Les Smith et les Martin sont fati-gués par leurs habitudes et leur lan-gage installé. Quand le mécanismese grippe, quand leurs débats lin-guistiques et stylistiques tombenten panne, ils libèrent un désespoir,un sens du vide, une explosion cré-pusculaire. Mme Smith est tout àfait vivante : je joue une femmehantée par la peur. Et c’est très actif :je n’ai jamais autant bougé ! MmeSmith a peur du vide ; donc elle esttotalement agitée. C’est très in-carné, on est des vrais gens. Nousrencontrons une adhésion extraor-dinaire. Il y a les spectateurs quirient de l’intelligence du spectacleet ceux qui rient des situations.C’est votre neuvième spectacleavec Pierre Pradinas.J’ai fait sans cesse des progrès aveclui ! Il était venu me voir il y aquinze ans dans Roméo et Julietteet il connaissait bien Denis Lavantet certaines personnes de l’équipe.Il a pour moi des inspirations queje n’ai pas vraiment et même unevision infinie de moi ! C’estquelqu’un de modeste, pointu etspirituel. A la fois populaire et in-telligent. Il est très frontal, commeun enfant devant l’œuvre, avecgourmandise. Il ne pense pas ajou-ter des idées à une œuvre. Il veutêtre à hauteur d’humain, pas dis-tancié mais direct. Il révèle le théâ-tre à la jeunesse. Comme il estdrôle, il n’a pas la notoriété d’unFrançon. Il a le sort des pirates.

Propos recueillis par Gilles Costaz

LA CANTATRICE CHAUVE Le 13e Art - Paris

à partir du

14Nov.

Saison heureuse et chargée pour Romane Bohringer : elle joue en tournée Les Evénements deDavid Graig, prépare pour le printemps L’Occupationd’Annie Ernaux avec Pierre Pradinas – qui vient de lamettre en scène dans La Cantatrice chauvede Ionesco: des répétitions difficiles, puis le bonheur à l’arrivée.

RomaneBohringerDe la haine à l’amour

@ William Pestrimaux

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Théâtral magazine : En amontdes représentations, il y a eu uneexposition présentant le décoret les objets de la pièce…Marlène Saldana : C'est un spec-tacle qui part de la scénographie.Au départ il y avait même une es-pèce de story board avec tout cequi devait se passer sur scène maissans contenu. Jonathan et moisommes un peu chargés d'écrireles textes principaux de la pièce.Notre travail c'est de rendre audi-bles les concepts dont Théo veutparler, à travers une fiction. Quels sont ces concepts ?C’est une pièce sur les résidus de lafamille, l'héritage, la filiation, cequ'on reçoit de ses parents, cequ'on garde, ce qu'on jette. Et com-ment on fait avec ça. Comment ondéfinit quelqu'un par ses objets. Lespectacle commence par une venteaux enchères, qui permet de décou-vrir la collection du père qui estmort. Il n'y a pas que des objets, il ya aussi des souvenirs. Mais il n’estpas question de viol ou de chosesscabreuses. C’est beaucoup plussimple que ça. C'est une manièrede présenter le père en découvrantson passé. Et c'est notre lot à tous.Sauf qu’on force un peu le trait.

C’est vous qui jouez la fille ducollectionneur. Et vous êtes nuesur scène. Pourquoi ?Au début on égrène des noms detableaux et je prends la pausepour les mimer comme un modèlevivant. Je pense que cette idée varester. Mais comme je dois porterun baudrier pour escalader unclown, je ne suis plus nue et j’aiune tenue couleur chair.Avez-vous eu des consignesd’écriture ?Non, on était libre. Théo voulaitjuste qu’au départ je me comportecomme un bébé. Donc on est alléchercher des retranscriptions de té-moignages de gosses qui vont chezles psys. On a beaucoup travaillé là-dessus et sur les peurs, les cauche-mars. Et c’est assez hilarant. Enfinon espère. On voulait aussi faireune partie très complexe sur la loides héritages, l'usufruit. On s'est ditaussi que cette fille était peut-êtretoujours en train de se plaindre.Comme notre génération !

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n La Fille du collectionneur,conception et mise en scèneThéo Mercier, auteurs Théo Mercier,Jonathan Drillet et Marlène Saldana, Nanterre-Amandiers, 7 avenuePablo Picasso 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, du 14 au 19/11(Dans le cadre du festival Les Inac-coutumés de La Ménagerie de Verre)

LA FILLE DU COLLECTIONNEURNanterre-Amandiers

depuis le

14Nov.

Marlène Saldana retrouve lemetteur en scène plasticienThéo Mercier pour une nouvellecréation autour des questionsd’héritage, La Fille du collectionneur, dont elle a écritle texte avec son complice Jonathan Drillet. Encore un rôleinattendu pour cette comédiennesans limites aussi à l’aise dans leGombrowicz de Christophe Honoré que dans les spectaclesdécalés de Sophie Perez et Xavier Boussiron ou les chorégraphies sophistiquées deBoris Charmatz. Créé dans le cadredu festival des Inaccoutumés de laMénagerie de Verre, le spectacleest présenté aux Amandiers.

Marlène SaldanaUne sacrée fille

@ Martin Argyroglo

C’est une pièce surl'héritage, la filia-

tion, ce qu'on reçoit deses parents, ce qu'ongarde, ce qu'on jette.

40 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Stéphane Guillon joue Modigliani dans Modiavec Sarah Biasini au Théâtre de l’Atelier -> p. 12

Arturo Brachetti joue Solo au 13e Art -> 01 53 31 13 13

Vincent Macaigne met en scène Je suis un pays et Voilàce que jamais je ne te dirai aux Amandiers et En manqueà la Grande Halle de la Villette -> p. 8

Thomas Ostermeier monte Pr Bernhardiaux Gémeaux -> 01 46 61 36 67

Anne Alvaro joue Dionysos dans Les Bacchantes au théâtre 71 -> p. 27

Michel Boujenah joue à la Gaîté Montparnasse Ma vie encore plus rêvée -> 01 43 22 16 18

Romane Bohringer joue La Cantatricechauve au 13e Art -> p. 39

Charlotte de Turckheim reprend Une journée chez ma mère à la Nouvelle Eve -> p. 32

Gaspard Proust fait son seul en scèneau Théâtre Antoine -> 01 42 08 77 71

Yasmina Reza met en scène sa dernière pièce Bella Figura avec Emmanuelle Devos au Rond-Point -> p. 22

Têtes d’affiche

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Denis Podalydès, Loïc Corbery, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre…reprennent Les Damnés à la Comédie-Française -> 0 825 10 16 80

Céline Sallette, Amira Casar et Eloïse Mignonjouent dans Les Trois Sœurs à l’Odéon -> p. 34

Robert Lepage reprend La face cachée deLa Lune à Paris-Villette et Sénart -> p. 66

Marie-Sophie Ferdane joue dans Hunter deMarc Lainé à la Scène Nationale 61 et àChaillot -> p. 60

Marina Hands joue dans Actrice de PascalRambert aux Bouffes du Nord -> p. 55

Pierre Palmade est seul en scène dans Aimez-moi au Rond-Point -> p. 52

Arthur Jugnot met en scène Magic Box à la Renaissance -> p. 56

Wajdi Mouawad monte sa dernière créationTous des Oiseaux à la Colline -> p. 47

Philippe Caubère joue Adieu Ferdinand !à l’Athénée -> p. 51

Julien Cottereau reprend Imagine-toiaux Mathurins -> 01 42 65 90 00

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n Dom Juan de Molière, mise en scène Marie-José Malis, avec Pascal Batigne, Sylvia Etcheto, Juan Antonio Crespillo, Lou Chrétien-Février, Olivier Horeau.... La Commune, 2 rue Édouard Poisson93 300 Aubervilliers, 01 48 33 16 16,du 15/11 au 03/12

Théâtral magazine : Après Frie-drich Hölderlin, Luigi Pirandelloou Heinrich von Kleist, pourquoirevenir à Molière ?Marie-José Malis : Quand on tra-vaille Molière on a l’impression deretourner dans le berceau du théâ-tre, le pays premier de l’enfancedu théâtre.L’enfance n’est pas évidenteavec Dom Juan.Oui, ça se complique, Dom Juan estune énigme. Je me suis demandées’il était possible de mettre en lu-mière l’énigme qu’il représente ?Ce qui le motive. Est-il du côté dubien, du mal ? Il y a un travail à ef-fectuer avec l’ambiguïté, les para-doxes et les résolutions.D’habitude je prends des textes quime paraissent offrir des possibles.Là, ce n’était pas évident. LouisJouvet avait dit : “voilà le genre depièces qu’on ne peut comprendrequ’en les montant”. Il y a une véritéapportée par la scène et les comé-diens. La mise en scène permettrad’élucider quelque chose qui resteopaque à la lecture. Dom Juan n’est pas une pièce deMolière comme les autres.

Non, le personnage est une espècede grand libérateur, un type qui aune vision poétique, complète-ment subversive. En montant lapièce, je comprends pourquoi Mo-lière a été obligé de la retirer aubout de quinze jours. Elle prononcela destruction de toutes les valeursétablies. C’est une pièce expéri-mentale, laboratoire, où Molièreessaie de continuer à faire du co-mique, de la politique et de la phi-losophie après la crise du Tartuffe.Il travaille à plein régime les di-verses dimensions de son théâtre,il critique la société et divertit.Dans Dom Juan, tous les registrescoexistent, le philosophique et lafarce avec Sganarelle. On s’émer-veille, Molière se permet tout.Comme Pirandello, il élargit lesfrontières du théâtre.Vous êtes fidèle à vos comé-diens.C’est un principe de vie. Je croisque le théâtre que je fais est lié àdes acteurs qui m’ont appris lethéâtre. J’adore les retrouver, lesfaire passer par des états inconnus,d’un monde à l’autre ; les voir vieil-lir. Ce sont des athlètes étiques par

rapport à la vérité, ils sont forts surle plan de la sincérité. Comment l’abordez-vous ?Simplement avec un plateau nu,ouvert avec les perches descen-dues et visibles et une petite avan-cée dans la salle qui permet dejouer des relations différentesentre le public et la scène, il y ades moments de prises à partie.Parfois, il y a des toiles peintespour montrer le passage dutemps. La pièce est picaresque,Dom Juan et Sganarelle sont sur laroute. La mise en scène est unhommage très doux à la machinethéâtrale. On explore toutes les di-mensions du rire, ce qui fait rireet/ou devient poétique.

Propos recueillis par Nathalie Simon

DOM JUANLa Commune - Aubervilliers

à partir du

15Nov.

44 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Marie-José Malis

@ Willy Vainqueur

L’énigme Dom Juan

Marie-José Malis, la directrice passionnée du Théâtre de La Commune a décidé de revenir à l’unde ses auteurs fétiches, Molière dontelle avait déjà monté Le Mariageforcé en 1999. Cette fois, c’est DomJuan qu’elle met en scène, Juan Antonio Crespillo dans le rôle-titreavec une dimension tragi-comique.

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Théâtral magazine : Jamais seulc’est une commande que vousavez faite à Mohamed Rouabhi…Patrick Pineau :On a travaillé en-semble il y a longtemps et on estresté en contact parce que c'est unauteur que j'aime énormément. Etpuis il y a à peu près cinq ans on adécidé de monter une pièce en-semble en toute liberté. Cela adonné Jamais seul, avec 50 per-sonnages interprétés par 15 ac-teurs et actrices de toutesgénérations. Cela porte sur lemonde du travail, avec des gensqui perdent leur boulot, d’autresqui en cherchent et qui ne sontpas des fainéants. Mais ce n'estpas une pièce sombre. Elle dégageune humanité incroyable.On se sent bien avec ces person-nages alors qu'ils évoluent dansune ambiance de galère ; on aenvie d'être avec eux.C'est surtout lié à la solidarité qu'ily a entre eux. On ne peut pas vivreseul et d’ailleurs, on voit bien quesi on ne regarde pas les autres, ça

peut faire de gros dégâts. Lemonde est dur, violent mais aussitrès beau ; il peut pleuvoir, fairefroid et qu’on soit bien quandmême. C'est cet endroit-là que lapièce montre et pas le misérabi-lisme.Il y a aussi des moments ma-giques, comme cette légendeque le personnage d’Émilie ra-conte à ses deux amis...On montre le quotidien et à l'inté-rieur, il y a le conte, qui dure vingtminutes. C'est une addition degens et d'histoires dans un tempsdonné. On peut suivre trois per-sonnes sur une journée mais aussitrois personnes sur un mois. Comment gérez-vous cet aspectfoisonnant ?Au moment de l'écriture, on s'étaitdit qu’on ne s’interdirait rien. Doncça se passe aussi bien dans unesalle de réunion, que devant uncentre commercial ou sur la pisted'un aéroport, il y a deux inté-rieurs, un garage, une cuisine, desrues, des avions qui passent… Et

ce qui est formidable, c'est de re-présenter tout ça avec peu dechose : un plateau quasiment nu,quelques accessoires, un peu devidéo et les acteurs qui jouent cha-cun plusieurs personnages. Et c’esttrès cinématographique. Je suisparti des situations qui sont trèsconcrètes. Il y a beaucoup de ren-contres comme celle de la jeunefille qui adore les vieux films et quiretrouve son amoureux. Ils vontrejouer la scène Gabin Morgan,“t'as de beaux yeux tu sais”… Çame rappelle l’atmosphère desfilms de Renoir, ou celle du dernierfilm de Ken Loach.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Jamais seul, texte de MohamedRouabhi, mise en scène Patrick Pineau, avec 15 acteurs15/11 au 3/12 MC93 à Bobigny 11 au 13/01 Théâtre-Sénart16 au 19/01 TNBA

JAMAIS SEULMC93 à Bobigny et tournée

à partir du

15Nov.

46 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Avec Jamais seul de MohamedRouabhi, Patrick Pineau monte unepièce foisonnante qui témoigne del’état de notre monde à travers unemultitude de portraits de gens jeuneset moins jeunes en souffrance avec letravail. On suit 50 personnages qui se débattent dignement avec ce quela vie leur offre. Loin d’être une complainte, Jamais seul est unhymne tendre et poétique à la vie.

Patrick Pineau

Le côté poétique de la vie

@ dr

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 47

Théâtral magazine : Qu'est-cequi vous a donné envie de fairece métier ?Jalal Altawil : J'ai commencé parfaire des études d'ingénieur. Maisje rêvais depuis toujours d'art et àun moment donné, le théâtre s'estimposé. Sauf qu’au début, c’étaitplus sur le mode du divertisse-ment. Mais le Printemps Arabe aproduit une révolution en moi-même. Depuis, je considère quec'est mon devoir de témoigner dece qui se passe là-bas, de l’holo-causte organisé par Bachar al-Assad, qui est le véritable metteuren scène de Daesh. Cet été, j'étaisen résidence à la Chartreuse oùj'ai écrit mon premier texte dethéâtre en français, Monster, surles réfugiés. Vous vous êtes installé en Franceen 2015 et Tous des oiseaux est ladeuxième pièce dans laquelle

vous jouez ici. Comment avez-vous rencontré Wajdi Mouawad ?Par hasard. En consultant un sitede casting, je suis tombé sur uneannonce cherchant "des acteursfrançais qui parlent un peu arabe".J'ai répondu "je suis un acteurarabe qui parle un peu français".Et Wajdi m’a tout de suite donnéun rendez-vous. On a juste parlé etle courant est passé tout de suite.Peut-être parce que c’est un ar-tiste sans nationalité. De quoi parle la pièce ?C'est l'histoire d'une famille quis’interroge sur ce que ça veut direêtre juif, israélien, arabe... Il y atrois ou quatre histoires qui à la finse recoupent. Wajdi nous a donnéles deux premières parties et lesdeux autres s’écrivent au fil des ré-pétitions. Il a inventé tous les per-sonnages sauf celui de Léonl’Africain, que je joue, et qui a réel-

lement existé. Il s’appelait Hassanal-Wazzan avant que le Pape LéonX ne le rebaptise Léon l'Africain,et qu’il devienne chrétien. J'ai lupresque 3000 pages en arabe sursa vie pour préparer le rôle.Comment travaillez-vous avecWajdi Mouawad ?C'est très difficile parce qu’il y abeaucoup de nationalités et doncde langues différentes sur le pla-teau. Mais Wajdi est un chimiste quiarrive à recréer une famille à partirde toutes nos histoires, nos langues,nos façons de jouer. D’où vient le titre Tous des oi-seaux ?C’est inspiré d’un poème de Léonl’Africain qui parle d’un oiseaurusé capable ainsi bien de volerque de nager. La pièce s’appelaitd’ailleurs au début, Le chant del'oiseau amphibie. C'est un peul'histoire d'un oiseau qui est passéd'une religion à l'autre et c'est unpeu l'histoire de Léon l'Africain,qui était très aimé dans les paysarabes mais aussi en Italie. Quandl'oiseau amphibie/Léon l'Africainentre quelque part, il dit toujours"je suis comme vous". C’est ça ac-cepter l’autre.Pensez-vous qu’une piècecomme celle-ci puisse changerles choses ?Les bombes changent le monde.Mais l'art demeure à travers lessiècles.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

TOUS DES OISEAUX Colline - Paris

à partir du

17Nov.

Dans Tous des oiseaux, la nouvelle création de WajdiMouawad, Jalal Altawil joue Léon l’Africain. Un per-sonnage historique, diplomate sous la Renaissance,poète ouvert aux cultures qu’il a croisées au cours deses voyages, et dont l’acteur se sent proche. Lui-mêmerevient de loin. Emprisonné deux ans en Syrie pouravoir participé au Printemps Arabe, accueilli au Libanpuis en France, il fait de son art aujourd’hui un combatcontre la violence.

@ dr

Jalal Altawil Comme un oiseau

n Tous des oiseaux, texte et miseen scène Wajdi Mouawad,avec Jalal Altawil...Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52,du 17/11 au 17/12

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Théâtral magazine : Avec Gus,vous changez de public et de re-gistre.Sébastien Barrier : J'avais enviede m'adresser à des gosses. Artisteassocié au Grand T de Nantes, j'aibeaucoup d'expérience avec lesgamins. C'est agréable de parler àun public qui comprend ce qu'onlui dit. Il ne passe pas par les filtreset les protocoles habituels.Gus est donc un chat, le symbolede l'indépendance.J'ai rencontré un chat, en effet.C'est celui de mon musicien, Nico-las Lafourest. Il l'a récupéré dansles poubelles du cinéma Utopia àToulouse. J'en fais le portrait aug-menté, fictionnalisé. C'est un salechat, un chat sauvage, un chat boi-teux ! Et, quand on parle des chatsboiteux, on pense aux gens boi-teux. Gus n'est pas si indépendantque ça puisque, dans les 300 théâ-tres où nous l'avons amené, il esttoujours parti et revenu, ce qui faitmentir ce qu'on dit sur les chats. Cespectacle est très “adressé”, jeparle sans micro. J'ai avec moi unegrosse caisse et des cymbales. Ni-

colas joue de la guitare électriqueet du banjo acoustique. C'est notrefaçon de parler des animaux horsnormalité. Je les évoque de façonjoyeusement étonnée.Vous jouez dans un espace nu oudans un décor ?D'abord, il y a des accessoires,comme des ballons de baudrucheque je fais éclater. Mais il ne fautpas trop en faire. Sur la scène, il ya un mur de papier peint électro-nique, un écran et, devant, des tasd'objets. Mon spectacle précédentse passait dans un bureau bordé-lique. Cette fois, c'est plutôt unechambre. Bien qu'en noir et blanc,le spectacle va utiliser des nuagesde confetti, on ne nettoiera pasd'un soir à l'autre. Ce sera commesi le chat avait dévasté la baraque.En même temps vous reprenezvotre spectacle sur le vin.Ce sera amusant de jouer dans lesdeux salles de la Colline, maisjuste deux jours. C'est un specta-cle de sept heures, épuisant. Enfait, j'y mets fin, je l'arrête. J'y ailaissé beaucoup de plumes ! Je lefinis tranquillement. Je bois trèspeu de vin en scène. Juste dans ledernier quart d'heure, pour termi-ner dans un état qui ne me permetpas de continuer.

Propos recueillis par Gilles Costaz

n Gus de et avec Sébastien Barrieret Nicolas Lafourest (musique). > Le Grant T, Nantes, 02 51 88 25 25,du 23/11 au 2/12> Théâtre de la Colline 15 rueMalte-Brun 75020 Paris, 01 44 62 52 52, du 6 au 29/12Deux représentations de Savoirenfin qui nous buvons dans lemême théâtre les 23 et 30/12

GUS Le Grant T - Nantes Colline - Paris

à partir du

23Nov.

Un moment circassien, Sébastien Barrier a créé un doublequi a diverti et secoué un public pris de court par son audace, Ronan Tablantec, un “marin-pêcheur” musclé, puisa joué Chunky Charcoal, un texte follement interrogatif, etle plus long spectacle qu'on ait jamais fait sur le vin, Savoirenfin qui nous buvons. Il reprend ce dernier récital et créeune pièce pour le jeune public en hommage à un chat, Gus.

Sébastien Barrier

@ Ablain

Hors normalité

48 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Théâtral magazine : Commentavez-vous découvert cette piècede Sergi Belbel ?Lilo Baur : Il y a cinq ou six ans encherchant une pièce avec peu depersonnages. Elle a été écrite en1993 et anticipe beaucoup dechoses qui vont arriver comme l’in-terdiction de fumer, les hélicop-tères qui s’écrasent sur les tours, lechangement climatique avec unesécheresse qui persiste depuisdeux ans. Et quand il ne pleut pas,les gens sont sur les nerfs. C’est unmonde apocalyptique. Qu’est-ce que représente cetteterrasse en haut de cette tour de49 étages où tous les employésmontent fumer en cachette ?Un îlot d'émotions. Fumer c'estinspirer, expirer, c'est le futur, lepassé. Un des personnages ditqu'en haut de la tour, c'est enmême temps dehors et dedansparce que la terrasse fait partieaussi de l’établissement financierqui les emploie. Les personnages

sont à bout de nerfs. Ils se libèrentlà-haut de tensions terribles. Il yen a même qui montent les 14étages à pied pour venir fumer.Ma sœur qui est infirmière à l'hô-pital, dit que c'est lorsqu’elle vafumer qu'elle apprend le plus dechoses. Le personnage que joueAnna Cervinka par exemple ditbeaucoup de vérités. C'est un peucomme le messager de Shakes-

peare. Il y a un côté très comiqueet très noir en même temps. J’ai-merais qu'on soit touché et qu'enmême temps on puisse rire. A lafin quand il pleut c'est une granderespiration. Quelque part c'est uneattente pour autre chose.Sauf que la pluie ne dépend pasd’eux ; c’est comme s’ils atten-daient le messie. Oui mais tous les experts disentque l’humanité a besoin d’unegrande catastrophe qui détruisetout pour mieux recommencer. Etd’une certaine manière, la pluie ace pouvoir de tout nettoyer. J’ai-merais d’ailleurs si c’est possiblequ'à la fin elle dénude les person-nages par transparence.Comment représentez-vous latour sur scène ?On recrée une petite tour avec lesacteurs qui regardent vers le bas.Et ils jouent des quatre côtésmême si le public n’est que de face.Si on est dans un bureau, ça nemarche pas. La tour permet ausside figurer la société et le pouvoir.Je travaille beaucoup sur l'idée duvertige, de l'extérieur, du froid.Adaptez-vous le texte ?Oui mais c’est de l’ordre du détail.Depuis 1993 beaucoup de chosesont changé : il n’y a presque plusde fax et de plus en plus de colis.Avec Amazon on est toujours enattente d'être livré.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n Après la pluie, de Sergi Belbel,mise en scène Lilo BaurVieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris, 01 44 39 87 01,du 29/11 au 7/01

APRÈS LA PLUIEVieux-Colombier - Paris

à partir du

29Nov.

50 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Dans Après la pluie, les employés d’une banque seretrouvent en secret pour fumer sur la terrasse de latour où ils travaillent. Ces moments de liberté sontpropices au relâchement des tensions, aux confidences, au craquage de nerfs, aux vérités tropvite balancées. Comme s’ils venaient fumer une dernière bouffée avant l’échafaud. D’ailleurs, pour lametteuse en scène Lilo Baur, Sergi Belbel dépeintune société au bord de l’apocalypse…

Lilo Baur En attendant le messie

@ Dietrich Ian Lafferty

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 51

Théâtral magazine : Le titre res-semble à un adieu définitif.Philippe Caubère : C’est la fin, oui,de ces aventures-là. Ce sont trois“nouvelles théâtrales” qui sont troisséquences que je n’avais pas pu in-tégrer au Roman d’un acteur. Je re-grettais de ne pas les avoir jouées.Cela me permettra de mettre unpoint final à cette aventure. Il y a deux spectacles, deux par-ties : l’une comprend La Baleine etLe Camp naturiste, l’autre, Le Ca-sino de Namur.Le premier pourrait être sous-titréClémence et le second Bruno, lesdeux personnages autour des-quels évolue Ferdinand. Le pre-mier est solaire, ensoleillé et parledu couple de Ferdinand et Clé-mence que j’ai beaucoup traitédans d’autres épisodes du Romand’un acteur ; il se passe en été,parle d’amour, de sexe, etc. Le se-cond est embrumé, il se déroule aufin fond de la Belgique, en hiver.C’est le moment où Ferdinand ga-lère. Il a quitté le Soleil et ne saitpas où il va. Le but est de faire rire. Peut-on dire qu’il y a toujours devous dans les personnages y com-pris féminins ?

Il n’y a que de moi. Les prochessont des prétextes. Je fais avec ceque j’ai, ce que je suis, avec masensibilité. C’est un point de vuepersonnel avec lequel les gens nesont pas toujours d’accord. C’estma version à moi de Clémence etde Bruno. Ils ne se voient peut-être pas comme ça. Encore moinsla comédienne que j’évoque. Fer-dinand trompe Clémence avecelle. C’est complètement autobio-graphique avec j’espère le sens dela drôlerie et du comique. Ferdinand est-il votre alter ego ?Oui, dans les histoires, c’est celui quime représente. Il est souvent ima-giné par le regard des autres, de lamère notamment. Dans ce specta-cle, il est beaucoup plus présent. Ilparle en mon nom. Il aurait pu s’ap-peler Philippe, mais j’aurais trouvécela trop impudique. Vous voulez faire rire, mais passeulement ?C’est très difficile de faire rire, c’estjouissif de rire et contrairement à cequ’on croit, on rit peu. Moi, je ris peuaux spectacles censés être drôles.Mais je garde un souvenir impérissa-ble de Raymond Devos, Roland Du-billard ou Michel Galabru. J’espère

vraiment être dans leur sillage. Rire,c’est se rendre malade de rire, passeulement ricaner. C’est le but que jepoursuis de toutes mes forces. N’êtes-vous pas aussi nostalgique ?Oui, je suis quelqu’un de profondé-ment nostalgique. Je regrette majeunesse, mes années perdues,mes amis perdus, ma mère… Jesuis très nostalgique, romantiquemême. Je me trouve très vieuxmais quand je suis sur scène, j’ai ànouveau 25 ou 30 ans, c’est mer-veilleux, c’est l’histoire de la jeu-nesse. C’est pour cette raison que lespectacle s’appelle Adieu Ferdi-nand ! Parce que c’est un adieu à lajeunesse. “Je ne peux me résoudrede guérir de ma jeunesse” commedisait Mauriac. J’espère d’autresspectacles, mais ils raconteront mavie d’homme si j’ai du courage. Fer-dinand pour moi, c’est un adoles-cent attardé.

Propos recueillis par Nathalie Simon

ADIEU FERDINAND !Théâtre de l’Athénée - Paris

à partir du

2Déc.

L’auteur-acteur et metteur en scène marseillais Philippe Caubère étrenne un nouveau spectacleseul en scène dont le titre a un goût d’au revoir définitif : Adieu Ferdinand ! L’inoubliable interprètede L’Homme qui danse interprète trois nouvelles inédites de son œuvre autobiographique fleuve LeRoman d’un acteur : La Baleine, Le Camp naturiste etLe Casino de Namur. Sur scène depuis l’âge de 30 ans,il ne se remet pas de voir s’éloigner sa jeunesse.

Philippe Caubère ou le théâtre d’un honnête homme

@ Gilles Vidal

n Adieu Ferdinand ! (la Baleine & Le Camp natu-riste en alternance avec Le Casino de Namur)avec Philippe Caubère. Théâtre de l’Athénée, 24 rue de Caumartin 75009 Paris, 01 53 05 19 19,du 2/12 au 14/01, puis en tournée

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Théâtral magazine : C’est inat-tendu de vous retrouver dans lafamille du Rond-Point !Pierre Palmade : Quand je suis ar-rivé à 20 ans je croyais que je sa-vais tout, je ne voulais faire partied‘aucune famille. Je trouvais ce mi-lieu un peu snob, j’étais fier d’êtresubtil dans un milieu populaire plu-tôt que dans une élite. Mais main-tenant le public populaire a étéabruti par le net, le nivellement del’humour par le bas. Je veux mefaire comprendre d’un public qui neva pas seulement au théâtre pourse fendre la poire. Je suis allé pas-

ser une audition comme un débu-tant devant Jean-Michel Ribes. Luiqui représente un théâtre intelli-gent, intellectuel, et un milieu quim’a apprécié de loin mais pas vrai-ment adopté, a dit : ”Banco !“.Vous ne voulez plus être un “co-mique” ?Je ne veux plus être dans le show-biz de l’humour. Je préfère me ré-fugier chez les théâtreux. Je neveux plus que l’on attende de moique d’être drôle. En voyant Luc-chini, je me suis dit que je ne vou-lais plus être un humoriste qui faitdes sketchs mais un acteur qui ra-

conte des histoires. Une autre dé-marche, plus théâtrale. Bedos,Zouc, Devos, Sylvie Joly, leur drô-lerie était l’emballage ; il y avaitun fond. Maintenant il ne resteque l’emballage, la scène comiquea été envahie de gens qui ne vou-laient être que drôles. Cela a assé-ché le terme de one-man-show. Unhumoriste doit dire des choses,donner des bouts de lui, son coupd’œil quasi philosophique sur lavie. Il y a un public à rééduquer.Pourquoi ce titre Aimez-moi ?Je monte sur scène pour me faireaimer. Alors continuant dans mafranchise d’enfant, j’ai choisi ce titre,cette injonction d’enfant roi. Ce n’estpas un appel mais un ordre dit parun enfant, à prendre d’une façontrès immature. Je ne garde de mespersonnages que ce dénominateurcommun : ils ont tous cette envie dese faire aimer, d’une manière trèsmaladroite, en force, en ruse, en dé-tresse… Au Rond-Point je vais es-sayer de me faire aimer d’unepopulation artistique exigeante. Ilne faut pas que je rate la marche !Comment vous sentez-vous ?Il me tarde de savoir quels serontles sketchs préférés, je ne vais pasattendre que les rires, mais aussil’intérêt, l’écoute… Ce métier n’estpas difficile, ce qui l’est c’est d’êtrecélèbre. De l’avoir été jeune et devouloir s’en défaire, quitter un cer-tain show-business, une certainecompétition. La célébrité est mé-chante avec vous quand vous vieil-lissez. Je vais donc devant un publicqui s’en fout du show-business.

Propos recueillis par François Varlin

AIMEZ-MOI Rond-Point - Paris

52 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

à partir du

5Déc.

@ Eddy Brière

n Aimez-moi, de et avec Pierre Palmade,mise en scène Benjamin Guillard.Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roose-velt 75008 Paris, 01 44 95 98 21, du 5 au 31/12

Pierre Palmade

Il avait envie de refaire un one-man-show, mais pas à n’importequel prix ni n’importe où. Il a choisi le Théâtre du Rond-Point,et le Théâtre du Rond-Point l’a choisi. Pierre Palmade brise saboite noire, investi la salle Renaud-Barrault bien décidé à quit-ter la compétition des humoristes pour rejoindre celle des ac-teurs seuls en scène. Il pousse un cri : “Aimez-moi !“

Aimez-le !

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Théâtral magazine : Que raconteCrowd ?Gisèle Vienne : C’est une fête quia lieu à notre époque et quiévoque ce que l’on peut recher-cher de très profond au sein de lafête. On fait référence aux raves,aux “free parties” des années 90évoquant les utopies de certainesfêtes des années 60-70. Ce typede fêtes peut durer de nom-breuses heures, voire plusieursjours, et se danse sur des musiquesélectroniques répétitives. La re-

cherche de certains états particu-liers, voire altérés, qui ne sont passans rappeler la transe, en fontpartie. Quelles sont les motivations deceux qui y participent ?Quel que soit le niveau d’éducation,de culture ou l’espace social danslequel on grandit, on a besoin d’ex-périences spirituelles et émotion-nelles profondes. Ce type de fêtesont été créées parce que des jeunessouhaitaient, pour différentes rai-sons, s’extraire des soirées fêtescommerciales, tout en étant à la re-cherche d’autres types d’expé-riences ; leur émergence convergeaussi avec l’arrivée de courants mu-sicaux comme la techno, l’acidhouse… dès la fin des années 80.Ce qui m’intéresse de manière plusvaste, c’est la “sous-culture” adoles-cente dans les courants alternatifsbien souvent en lien avec l’art etplus spécifiquement la musique, latechno, le rock, le black métal... Ilssont souvent sous-estimés et misde côté. Je suis, moi-même, en tantque lectrice, auditrice, spectatrice,

etc… à la recherche d’expériencesartistiques très fortes, qui sont desexpériences qui me marquent, mequestionnent autant d’un point devue sensible qu’intellectuel. L’émo-tion peut perturber et élargir la ré-flexion, et cette ouverture possibleme passionne. Vous parlez de pièce, quel genrede spectacle proposez-vous ?Cela ressemble peut-être à de ladanse-théâtre. J’écris avec tous lesparamètres qui sont ceux de lascène, cette écriture génère de lamusicalité, de la chorégraphie, dela narration. Dans Crowd l’écrituredu mouvement est très spécifique,très technique, et extrêmementmusicale et chorégraphique. Lesmouvements sont quasiment tou-jours retouchés, et ce type de re-touches est inspiré de montages etd’effets possibles dans le champ dufilm. La part de narration apparaiten sous-texte, sous-texte que nousavons élaboré en collaborationavec l’écrivain Dennis Cooper et lesdanseurs. Il y a quinze personnessur scène, chargées d’autant d’”his-toires". On n’entend pas les dia-logues, la parole et la narrationpassent à travers l’observation.Chacune de mes pièces interrogeet expérimente autrement les rap-ports à la parole et à la narration.

Propos recueillis par Nathalie Simon

n Crowd, de Gisèle Vienne, assistéede Anja Röttgerkamp et Nuria GuiuSagarra, sélection musicale de PeterRehberg, Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, du 7 au 16/12

CROWDNanterre - Amandiers

à partir du

7Déc.

54 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Après The Ventriloquists Convention en 2015, dans Crowd(Foule), Gisèle Vienne met en scène 15 danseurs, un“groupe de jeunes gens qui participe à une longue fête improvisée dans un hangar abandonné”. Forte d’expériences“tout terrain” (théâtre, marionnette, arts plastiques), la chorégraphe créera son spectacle du 8 au 10 novembre auMaillon, à Strasbourg où elle sera en résidence, puis le présentera à Nanterre-Amandiers dans le cadre du Festivald’Automne.

Gisèle Viennela danse totale

@ Estelle Hanania

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 55

Théâtral magazine : Commentavez-vous rencontré PascalRambert ?Marina Hands : Pascal Rambertm'avait contactée pour jouer enanglais à Londres Clôture del'amour. Cela ne s'est pas encorefait. Il m'a parlé d'Actrice qu'ilavait écrit pour le Théâtre d'artde Moscou – et qui n'a pas en-core été créé là-bas. Il m'a de-mandé si je voulais la lire. Ce futun coup de cœur immédiat. Jejoue la pièce avec Audrey Bon-net et une quinzaine d'acteurs dedifférents pays, chers à Pascal,qui ne maîtrisent pas tous bien lefrançais !

Que raconte la pièce ?Elle met en scène une actrice res-pectée, pas âgée, mais en fin devie, frappée par la maladie. Ellebénéficie de soins palliatifs chezelle et reçoit la visite de sa famille,de ses proches, de ses partenaires.Cela se passe dans un intérieurmodeste. Audrey Bonnet, elle,joue une femme d'affaires qui re-vient voir son amie. J'aime dans cetexte les questionnements deRambert sur les choses de la vie,l'importance des relations hu-maines quand surgissent la mala-die et le drame, l'importance del'art aujourd'hui... Ce sont desquestions simples dans un lan-

gage très vivant. Tous les person-nages sont submergés par la tra-gédie de l'actrice qui va mourir. Pour la première fois, vous nejouez pas un classique.Oui, on me propose toujours desclassiques, et des classiques mas-sifs ! Je suis heureuse d'être enfindans un rapport direct avec l'au-teur. Je serai guidée par ce qui estdit et non par le commentaire.Cela ne m'est jamais arrivé, saufun peu au cinéma. Comment travaille-t-on avecPascal Rambert ?On répète peu : cinq semaines. Enfait, j'ai lu, avec lui, il y a quelquessemaines, sa pièce Le Début de l'A,à l'université de Princeton. C'estquelqu'un de très pudique, quidonne sa place à chaque inter-prète et n'est pas dans un rapportde domination. Il aime travailleravec les acteurs. Comme sestextes sont profonds et violents, ilapporte au comédien sa légèretéet sa délicatesse. Certains acteurs préfèrent les ré-pétitions aux représentations.Le public me fait très peur mais ilfaut à chaque fois affronter l'in-connu. Un plateau, à la création ouen tournée, est toujours un événe-ment. Il faut questionner l'intérêtdu théâtre à chaque fois. Avions-nous raison d'être là ce soir ? Est-ce que cela en valait la peine ?

Propos recueillis par Gilles Costaz

`n Actrice de et mis en scène parPascal Rambert, avec MarinaHands, Audrey Bonnet et d'autresacteurs en alternance. Bouffes du Nord, 37 bis boulevardde La Chapelle 75018 Paris, 01 46 07 34 50, du 12 au 30/12

ACTRICEBouffes du Nord - Paris

à partir du

12Déc.

C'est une actrice rare dans le double sensdu terme : son jeu est très personnel et on la voitpeu tant elle alterne le théâtre et le cinéma. Magnifique dans Partage de midi et Ivanov, ellejoue pour la première fois un auteur contemporain, Pascal Rambert, en créant Actriceavec Audrey Bonnet aux Bouffes du Nord.

Marina HandsEnfin avec un auteur vivant

@ Pauline Roussille

Marina Hands avec Pascal Rambert

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Théâtral magazine : D’où vousvient cette passion pour la magie ?Arthur Jugnot : D’une rencontredans un restaurant il y a 15 ansavec JeanLuc Bertrand, qui est unmagicien. J’ai découvert grâce àlui une discipline qui m’a fasciné.

Le close up et la dextérité m’im-pressionnent, l’idéologie et la phi-losophie magique me plaisent. J’aieu envie de faire un spectacleavec lui, il ne voulait pas être seulsur scène et ce fut Magicien(s)tout est écrit en 2003. Lui et sescomparses m’ont formé et ont faitde moi un magicien. Quinze ansaprès, il est prêt à être seul dansMagic box.La magie n’est-elle pas un peutaxée de ringarde ?Magicien(s), tout est écrit étaitune des premières fois que de lamagie de close-up entrait au théâ-tre. C’était précurseur. Aupara-vant, il y avait des galas de magie,des gros shows, mais pas de magieen programmation théâtrale surscène. Pour certains, le queue-de-pie était complètement ringard ;nous, nous étions en jeans bas-kets. Nous avions la volonté de dé-poussiérer la magie.Mettre en scène de la magie, est-ce différent du théâtre ?C’est extrêmement compliqué. Il y

a les contraintes de la magie, dumagicien, son éthique du métier…Faut-il plaire au magicien ou aupublic ? Aux deux évidemment !Mais pour faire un truc incroyablequi va bluffer, on peut risquer deperdre le public. Il est très simpled’écrire dans son texte “faire appa-raitre” ou “faire disparaître”, maisle réaliser sur scène est plein decontraintes. Il faut aussi que ce soittrès réactif ; c’est comme Le Livredont vous êtes le héros, c’est une ar-borescence de situations. Et à ré-péter, c’est long : un enfer ! Je suisgénéralement très à l’aise surscène, mais dans la magie je mesuis choppé de gros stress !Qu’avez-vous préparé pour cenouveau spectacle ?C’est un spectacle d’humour es-sentiellement, et un concept : “Ledébut est très impressionnant, lafin est incroyable, le reste dépendde vous !” J’ai une boite de la-quelle vont sortir des choses etnous allons construire le spectacleen mélangeant toutes les disci-plines (close-up, mentalisme, illu-sions…). Le spectacle change enfonction de l’auditoire. Le publicaime les expériences, les chassesau trésor, les Escape Games, et l’in-teractivité fait fureur en ce mo-ment. Nous avons pris le parti d’ungrand décor, c’est un “stand-upmagic show” !

Propos recueillis par François Varlin

n Magic Box, de JeanLuc Bertrand,Arthur Jugnot et Romain Thunin,mise en scène Arthur Jugnot, avecJeanLuc BertrandRenaissance, 20 Bd Saint-Martin75010 Paris, 01 42 08 18 50, du 23/12 au 6/01

MAGIC BOXLe 13e Art - Paris

à partir du

23Déc.

Le comédien est un passionné de magie. Il estmême devenu une sorte de conseiller spécialiste deseffets spéciaux au théâtre ! Arthur Jugnot qui joue,met en scène, produit et dirige un théâtre estquelqu’un qui aime aller au bout de ses projets. AprèsiMagic au Futuroscope, qui a réuni plus de trois mil-lions de spectateurs en cinq ans, il propose un toutnouveau show magique sur la scène du théâtre de laRenaissance, Magic box.

56 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Arthur JugnotC’est dans la boîte !

@ dr

Arthur Jugnot avec JeanLuc Bertrand

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Dossier

Bosch Dreams, une coproduction Les 7 doigts de la main et Theatre Republique, en tournée dans toute la France (voir p. 61)

58 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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ouvent assimilé à la science-fiction, le fantastique ou le surna-turel est un genre très prisé au cinéma. Peut-être moins authéâtre. Déjà il s’y fait plus rare. D’abord parce qu’il nécessitedes moyens techniques pas toujours réalisables et aussi parcequ’il n’est pas utilisé de la même façon. Au cinéma, les person-nages deviennent des héros qui permettent au spectateur de

s’évader vers des mondes improbables. Au théâtre, il n’y a pas de héros maisau contraire une prise de conscience de la petitesse de l’Homme face à lanature et à l’inconnu. C’est Hamlet possédé par le spectre de son père, Pros-pero qui bénéficie de l’emportement de la nature, l’Homme face aux mys-tères de la Lune, ou les personnages de Bosch confrontés au bien et aumal... D’où peut-être une approche au théâtre plus métaphysique et phi-losophique. Lorsque Smith et Barbin montent Traum le paradoxe de V., ilstournent un film qui raconte l’explosion dans l’espace d’un vaisseau Soyouzet montent un spectacle sur le passage de la vie à la mort du cosmonaute.Parce que la scène est sans doute davantage propice à une recherche quine serait pas limitée à l’image ; la poésie, l’imagination et l’indicible fontpartie intégrante du théâtre. Damien Jalet l’a bien compris et c’est pourquoison travail chorégraphique se situe toujours à l’intersection du visible et del’invisible. C’est cette frontière qui stimule l’imaginaire. Or l’imaginaire estle propre du théâtre. Le théâtre est donc par essence fantastique !

Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de : Robert Carsen, Smith et Barbin, Marc Lainé, Les 7 doigts de la main, Wilfried Wendling, Damien Jalet, Yves Jacques

S

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 59

@ Per-Morten-Abrahamsen

Le théâtrese met

au surnaturel

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DOSSIER

60 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Votre inspiration est-elle de nature“ fantastique ” ?Marc Lainé : Totalement. C’est une no-tion qui me passionne. D’ailleurs lethéâtre est de nature fantastique,puisqu’il consiste à faire coïncider l’obs-curité de notre boîte crânienne aveccelle du plateau. Mais, pour moi, ce fan-tastique-là ne peut naître qu’en révé-lant les artifices. Il faut que l’usage dela vidéo et de la technique soit dévoilé,la bricole assurée. Fiction et réalité, vraiet faux, c’est la question du fantastique.Comment en êtes-vous venu àconcevoir Hunter ?C’est parti d’une photo qui représente

le tournage d’une scène des Oiseauxd’Hitchcock. On voit Tippi Hedrendans une cabine téléphonique et, au-tour, des techniciens qui jettent les oi-seaux sur la cabine. J’ai été passionnépar l’écart entre le film et sa fabrica-tion. J’ai aussi pensé à La Féline deJacques Tourneur et au remake parBarbet Schroeder, pour les thèmes dudésir et de la violence au féminin.Que raconte Hunter ?On associe l’image du loup au sexemasculin. J’ai voulu transposer cettemétaphore au féminin. J’ai écrit unrôle de monstre pour Marie-SophieFerdane. J’écris pour des interprètes.

J’ai d’abord un arc narratif mais jen’écris les scènes dialoguées quelorsque j’ai les acteurs, après avoiraussi pensé les éléments scéniques.J’ai aussi écrit pour Geoffrey Carey,qui est un mélange de Nosferatu etde Woody Allen et dont la dictionpeut inquiéter la langue française ! L’histoire se passe dans une banlieuepavillonnaire. Un couple découvredans la cabine à outils de son jardinune jeune fille terrifiée et presqueagressive. Celle-ci mord celui qui l’adécouverte ! Surgit un nouvel in-connu qui est le père de la jeune fille :en fait, il la séquestre, elle et, dansune autre pièce, son frère. Ce voisinn’est pas inhumain, il est tendre maisil veut empêcher la malédiction quipèse d’après lui sur la jeune fille : sielle éprouve du désir pour un homme,elle se transformera en bête… Vous êtes un amateur de filmsd’horreur ?Je déteste ça ! Mais c’est une boîte àoutils. A l’écran, la dévoration estdonnée sans sa valeur métaphorique.Au théâtre, on peut créer un specta-cle beaucoup plus trouble.Vous êtes peu d’artistes à explorerces thèmes-là, à part peut-être Fré-déric Sonntag ?Je fais les décors de Sonntag ! C’estquelqu’un qui n’a rien lâché, a su res-ter à la hauteur de ses ambitions.Mais il n’y a pratiquement pas de fan-tômes dans ses pièces. Et moi, je suistrès attaché aux fantômes.

Propos recueillis parGilles Costaz

n Hunter, texte et mise en scène deMarc Lainé, avec Marie-Sophie Ferdane,Bénédicte Cerutti, David Migeot, Gabriel Legeleux14 et 16/11 Scène nationale 61, Alençon, 02 33 29 02 29, du 7 au16/03 Chaillot, place du Trocadéro75016 Paris, 01 53 65 30 00

Comme scénographe, Marc Lainé travailleavec beaucoup de metteurs en scène. Pour sa compagnie La Compagnie obscure, il est auteur,metteur en scène et scénographe. Après le succèsde Vanishing Point, il crée Hunter.

HunterAttention, louve garou !

Marc Lainé

@ Stephan Zimmerli

Hunter

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LE THEATRE AU SURNATUREL

Quelle est la genèse de ce projet ?Samuel Tétreault : Le spectacle a étécréé dans le cadre de la commémora-tion des 500 ans de la mort de Bosch(1450 - 1516). Le vidéaste Ange Po-tier m’avait adressé un court métragedans lequel il animait les créatures dufameux tableau Le Jardin des délices.Je me suis dit que j’allais faire un délirede cirque avec la scénographie d’Angeen y intégrant des personnages qui sepromèneraient dans les œuvres deBosch. Le spectacle c’est un voyage àtravers le temps et les rêves de Bosch,mais aussi de ceux qui ont été touchéspar son univers comme Jim Morrisonqui a écrit une thèse alors qu’il étaitétudiant en histoire de l’art médiéval,ou encore Dali dont l’univers est forte-ment stimulé par l’œuvre de Bosch.Quel est votre regard sur l’œuvre deJérôme Bosch ?Bosch c’est un peu “Où est Charlie?“puissance mille ! Des dizaines de say-nètes, de monstres, de détails, de per-sonnages qui sont d’une puissanceonirique sans pareille. Mais ce n’estpas seulement une œuvre fantastiqueou surréaliste, il y a un vrai question-

nement philosophique et c’est toutl’enjeu du spectacle. Les artistes de sontemps mettaient toujours le Christ oules Saints au centre de l’œuvre, alorsque Bosch a fait l’inverse : ce sont lesquidams, les vagabonds, les torturésde la vie qui sont au centre de l’œuvre.Il met en scène l’homme de tous lesjours confronté aux enseignements dela Bible et aux choix qu’il doit faire.Notre conception aujourd’hui n’est pasaussi dogmatique, polarisée, mais ilreste cette réflexion entre le bien et lemal qui nous ramène à notre propreconscience et à nos choix.Comment est construit le spectacle ?Le spectacle commence avec JérômeBosch sur le point de mourir, il partdans ses délires, visité par les créaturesqu’il a peintes, et à travers ce rêve ilrencontre Morrison, Dali… On se rendcompte alors que l’on est en traind’écouter un cours d’histoire de l’art surLe Jardin des délices. Car ne l’oublionspas c’est un hommage à Bosch, d’oùl’idée aussi d’un professeur d’histoirede l’art pour faire connaître de façonlégère et humoristique l’œuvre deBosch et son époque.

Quelle scénographie avez vous ima-giné avec Ange Potier ?C’est un mélange de théâtre, de cirqueet de cinéma d’animation. Il y a un dis-positif avec 2 niveaux de projectionvidéo et 4 rideaux qui créent des trans-parences et des opacités ; cela permetde créer plusieurs plans de profondeuret de faire évoluer en incrustation lescomédiens dans les œuvres de Bosch.Il y a des numéros de cirque, de jon-glage, d’équilibre, de roue cyr, de tra-pèze danse, de cerceau aérien et unnuméro acrobatique de groupe. Jetrouve que le cirque, davantage que ladanse ou le théâtre, est un art pleine-ment raccord avec l’univers fantaisisteet drolatique de Bosch.

Propos recueillis parEnric Dausset

n Bosch Dreams, 27-28/11 Douai, du30 /11 au 17/12 Paris La Villette, 20-21/12 Châlons-en-Champagne, du 12au 14/01 Angoulême, 18 au 20/01Albi, 27/01 Nevers, 30/01 Oyonnax,6/02 Saint Louis, 10/02 SainteMaxime, 13/02 Istres, 16/02 Saumur

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 61

Bosch Dreams

Qui a vu Le Jardin des délicesau musée du Prado à Madrid, resteà jamais marqué par le souvenirdes créatures surnaturelles quipeuplent les visions de JérômeBosch. Sur fond de projections auréalisme magique, Samuel Tétreault et la compagnie des 7doigts de la main ont créé un spectacle visuel puissant qui permetde revisiter en 3D l’œuvre de l’énigmatique peintre néerlandais.

Les 7 doigts de la mainBosch Dreamson en rêve !

@ Per-Morten-Abrahamsen

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Quel est le point de départ du spec-tacle ?Smith : Ça raconte l'histoire de deuxaspirants cosmonautes probable-ment en Union soviétique pendant laguerre froide. L’un d’eux, Vlad, de-vient une sorte de héros spatial etl'autre, Yevgeni, opérateur de lance-ment de vaisseaux Soyouz. Il souffrede narcolepsie et provoque l’explo-sion du vaisseau de Vlad au momentde son entrée dans l’espace. En mou-rant, Vlad entre en fusion avec lemétal de sa machine et se transformeen un drone qui revient sur Terrecommuniquer avec Yevgeni. AvecMatthieu on avait envie sur scène detraiter l'instant de la mort de Vlad.C’est à dire le passage à l'état de mortet non la mort elle-même. Comment le figurez-vous sur le pla-teau ?Matthieu : Comme ce qui nous inté-ressait, c’était de partir d'un pointassez souvent traité au cinéma maispeu au théâtre, on s'est beaucoupéloigné de l'instant de la mort pouraborder la question de la disparitiondu corps.

Smith : A partir du moment où il estmort, le temps et l'espace ne sont plusopérants et du coup Matthieu essaiesur scène de donner une forme àcette absence de valeurs et il obtientquelque chose en mouvement perma-nent qui ne va jamais se fixer dansaucun état. Son travail a consisté àdévelopper toute une grammaire de

mouvements avortés, incohérents, al-térés, pas fonctionnels. C’est donc uncorps qui est présent mais qu'on nevoit pas, sauf dans ce qu’il laisse detraces de mouvements.Donc, plutôt que de le figurer, vouseffacez le corps de Vlad…Matthieu : Oui. Plus de la moitié duspectacle se passe dans un rapport ausol, qui est noir, mon corps étant éga-lement recouvert d'une matière noire.En termes chorégraphiques cela im-pliquait aussi d’apprendre à bougerdans un milieu qui ne favorise pas dutout le déplacement ; au sol, c'estassez compliqué. Alors que quand onest enfant, on est beaucoup plusagile. Qu’est-ce qui vous passionne autantdans l'espace ?Matthieu : Le fait qu’il représente au-jourd’hui 80 % de notre destinée et dela compréhension de ce qu'on fait ici. Smith : Cela fait deux ans que je tra-vaille sur des projets avec des astro-physiciens. Et au tout début dutravail, on a cherché comment fairevenir sur scène la mécanique quan-tique dont on sait qu'elle est opé-rante au niveau atomique etcosmique mais pas au niveau hu-main. La réponse c’est justement cetinstant où Vlad meurt, il n'est ni vi-vant ni mort et ça, c'est une formula-tion quantique.

Propos recueillis parHélène Chevrier

n Traum, le paradoxe du V, projettransdisciplinaire de la plasticienneSmith et Lucien Raphmaj, avec Matthieu BarbinThéâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan 75014 Paris, 01 43 13 50 60, 27 et 28/11

La plasticienne Smith a imaginé toute une histoire de science-fiction qu’elle a déclinée en un film,une exposition, des conférences, un livre et un spectacle,chaque forme traitant d’un aspect de cette œuvre. Dansla version scénique, Traum, le Paradoxe de V., le chorégraphe Matthieu Barbin explore l’instant indéterminé du passage de la vie à la mort…

DOSSIER

62 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

@ Smith

Traum, le paradoxe de V.,

Smith &Matthieu Barbin

Traum, le paradoxe de V.le passage de la vie à la mort

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 63

Vous abordez l’histoire d’Hamlet àl’envers, c’est à dire du point de vuedes morts plutôt que des vivants.Wilfried Wendling : Ce qui m'intéres-sait particulièrement, c'était les ques-tions de la mort et de la réalité quireviennent tout le temps dans l’image-rie d’Hamlet. Immédiatement la figurede Serge Merlin m’est apparue commeacteur d'une autre dimension théâ-trale. Celle du compositeur PierreHenry qui est décédé cet été s’est éga-lement imposée. Et puis la troisièmeréférence que je voulais, c'était l’au-teur de science-fiction Philip K. Dickdont les romans troublent complète-ment la perception des lecteurs pardes questions paranoïaques, hallucino-gènes ou politiques. Sur scène, on créedu fantastique grâce à des sensationsde rêverie et d'abandon de la réalité.Evidemment, l'immersion dans l'imageet le son est absolument essentielle, etil s’agit davantage d’un opéra digitalque d’une œuvre théâtrale.

Serge Merlin est seul en scène. Quelpersonnage interprète-t-il ? Essentiellement Hamlet et le spectrede son père qui s'appelle aussi Hamlet.Cela crée un trouble sur l'identité desvivants et des morts dès l'ouverture dela pièce. Sur quel texte travaillez-vous ?Celui de la pièce à partir de la traduc-tion de François-Victor Hugo. On achangé des petits détails car SergeMerlin est un acteur extrêmement sen-sible aux équilibres de rythmes et demots et donc on a cherché une phra-séologie qui corresponde à l'universdans lequel on se mettait. Car mêmes’il joue le personnage, il n'est pas dutout dans une situation qui est celle dela pièce. Ça se situe à un autre endroit,puisqu’on joue sur le son et l’image.Ce traitement fantastique de lapièce change-t-il votre point de vuesur Hamlet ?Je n’ai pas cette prétention, même sil'extrême méchanceté du personnage

m'a toujours semblée peu exploitée. Ona souvent une forme de complaisanceà l'égard d'Hamlet parce qu'il incarneencore une espèce de figure néo ro-mantique, alors qu'il s'agit d'un person-nage assez odieux, orgueilleux, cruel etinsensible. Il manifeste une vraie vio-lence à l'égard de sa mère et d’Ophélieet il tue quand même ses amis dans unetotale indifférence. Il est incapable defaire justice et ça se transforme en uneviolence à l'égard d’innocents.D'où vient le titre, je suis vivant etvous êtes morts ?C'est une citation de Philip K. Dickdans son livre le plus connu Ubik quiinterroge le lecteur sur l'inversion de laperception.

Propos recueillis parHélène Chevrier

nHamlet je suis vivant et vous êtesmorts, d’après Shakespeare, mise en scèneWilfried Wendling, avec Serge Merlin.18/11 l’Archipel à Perpignan7 et 8/12 Nouveau théâtre de Montreuil13 et 14/12 Mac de Créteil

Après Minetti, Fin de partie, Lear, Serge Merlin tente l’aventure du fantastique à 84 ans.Seul en scène, il joue le jeune Hamlet et son père spectral dans l’opéra digital qu’a tiréWilfried Wendling de la tragédie de Shakespeare. Désorienté par les images et la mu-sique, le spectateur perd pied avec la réalité et bascule du côté des morts.

LE THEATRE AU SURNATUREL

@ Benoit Schupp

Hamlet je suis vivant et vous êtes mortsMerlin l’enchanteur

Wilfried Wendling

Hamlet

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Qu'est-ce que représente la mon-tagne (Yama) pour vous ?Damien Jalet : Je suis fasciné par lesmontagnes depuis très longtemps.Parce que la nature y est complète-ment imprévisible, indomptable. AuJapon, en Indonésie, en Islande où j’aivoyagé, la relation entre le visible etl'invisible est très forte. A Bali, quandil y a une éruption volcanique, onpense que les rituels n'ont pas étébien organisés. Comment avez-vous traduit ce côtéfantastique dans Yama ?J’ai essayé de traduire de manièrecontemporaine des idées qui sont vé-hiculées parfois dans des modèlestrès anciens. C'est très lié par exem-ple à ce que j'ai pu voir en Indonésieoù la danse est utilisée comme unesorte de véhicule pour atteindre desniveaux de conscience altérée,comme un état de transe. Le corps de-vient alors une espèce d'avatar mupar des forces extérieures.

En quoi la fleur géométrique quicouvre le plateau évoque-t-elle unemontagne ?C'est une espèce de demie forme quipeut suggérer plusieurs choses,comme un cratère, un lieu de rencon-tre… Mais il y a aussi l'idée d'un trouomniprésent qui représente l'entréeet la sortie. On est parti du film japo-nais de Kaneto Shindō, Onibaba,dans lequel il y a un énorme trouplacé dans le sol comme un pointd'apparition et de disparition. On esttous fascinés par l'idée de la dispari-tion et par l'endroit d'où on vient eton n’a aucune réponse à ça. Or au Japon justement, il existe unepratique qui a toujours lieu quiconsiste à créer des liens entre lemonde des hommes et celui desdieux. Ils montent sur la montagne enhabits funéraires, ils ouvrent uneboîte tout en haut et redescendenten criant comme des nouveau-nés.C’est une façon de traiter la mon-

tagne comme une mère mais aussicomme une tombe. Dans la mon-tagne, le corps devient vraiment unvéhicule pour une élévation spiri-tuelle. Ça amène à un état de pré-sence : du fait que les montagnessont assez glissantes, il faut resterconnecté. Plus on s’élève, plus il y a lapossibilité d'une chute. Yama utiliseun peu le même schéma que La Di-vine comédie : on commence parquelque chose de très sculptural àtravers cette masse de corps en mou-vement et au fur et à mesure, la piècedevient de plus en plus humaine. Quelle influence cette pièce a-t-elleeu sur la suite de votre travail ?Elle a défini complètement ce que j'aipu faire après. Rendre visible l'invisi-ble c'est toujours ça le plus compli-qué. Si on rend trop visible, l’invisibledisparaît. Pour moi, Yama est commeun embryon.

Propos recueillis parHélène Chevrier

nYama, chorégraphie Damien Jalet,scénographie Jim Hodges, musiqueWinter Family, avec les danseurs duScottish Dance TheatreThéâtre National de Bretagne, 1 rueSaint-Hélier 35000 Rennes, 02 99 31 12 31, du 13 au 15/12

DOSSIER

64 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Yama,

Nul besoin d’inventer. Le fantastique, DamienJalet le trouve dans la nature qui défie le besoin de domination des Hommes. Dans Yama la montagne s’im-pose comme le lieu d’une possible élévation mais aussid’une probable chute.

Damien Jalet Yamarendre visible l'invisible

@ Brian Hartley

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 65

Comment abordez-vous le côté fan-tastique de la pièce ?Robert Carsen : Il y avait un certainnombre de décisions à prendre. Parexemple, ou on accepte que Pros-pero a des pouvoirs extraordinaires,surhumains, magiques qui lui per-mettent de créer des tempêtes, sou-lever et ressusciter les morts, ou onconsidère que c’est une métaphorepour autre chose. Une fois que l’onprend l’une ou l’autre décision, laproduction se construit autour decela. Y compris le regard que l’onporte sur Caliban et Ariel qui sontdes êtres fantasques. On sera dans lascience-fiction, ou pas. Avec monéquipe, nous sommes allés dans unerecherche plus psychologique sur cetexte qui l’est éminemment.Le fantastique n’est donc pas laseule particularité de ce texte ?Bien qu’un des textes les plus courtsde Shakespeare, c’est une pièce com-plexe qui convoque beaucoup dethèmes. Un metteur en scène qui s’af-fronte à ce texte doit prendre un cer-tain nombre de décisions decoupures. Non pas parce que la pièce

serait trop longue, mais pour le sensdu spectacle. C’est un texte extraordi-naire qui, avec Le Songe d’une nuitd’été, est la seule pièce dont nous nesavons pas la source qui l’a inspirée.C’est une histoire qu’il semble avoir in-ventée lui-même, ce putsch que Pro-pero a vécu et qui lui a retiré lepouvoir, cette rancune, sa vengeancequ’il médite jusqu’à son exécution. Lapièce est écrite avec une subjectivitéfolle. Prospero est un caractère fasci-nant. Il a un coté positif et très néga-tif, c’est un être humain trèscomplexe. Cette complexité je l’aimebeaucoup chez Shakespeare. Ce quiest extraordinaire également, c’estqu’il n’y ait qu’une seule femme dansla pièce, Miranda. C’est encore uniquechez Shakespeare. Il y a tous ceshommes de pouvoir autour de cettefille innocente qui pose la questionsur le rôle de la femme et la présenta-tion négative des caractères féminins. Par quel moyens allez-vous essayerde moderniser, d’actualiser la pièce ?Shakespeare est le plus grand drama-turge, ses pièces sont des piliers du ré-pertoire, sources de découvertes

nouvelles et immenses pour chaquepublic. Ce théâtre post Renaissanceavec ses mélanges de scènes poé-tiques, de comédie, de tragédie, d’iro-nie et de fantaisie est une richesse detextes, de situations, et d’analyse del’âme unique au monde, davantagejouée dans les pays anglophones.C’est la traduction qui modernise letexte. J’ai choisi celle de Jean-ClaudeCarrière.

Propos recueillis parFrançois Varlin

n La Tempête, de Shakespeare, mise enscène Robert Carsen, avec Thierry Hancisse, Jerôme Pouly, Michel Vuillermoz, Loïc Corbery…Comédie-Française, salle Richelieu,Place Colette, 75001 Paris, 01 44 58 15 15, du 9/12 au 21/05

La TempêteLa vengeance de Prospero

LE THEATRE AU SURNATUREL

Robert Carsen

La Tempête,

Tragédie ou comédie, histoire aux allures fan-tastique, La Tempête de Shakespeare est uneœuvre saisissante. Peu jouée sur les grandesscènes françaises, le metteur en scène canadien Robert Carsen en proposera sa visionsalle Richelieu à partir du 9 décembre. Etmême s’il refuse de nous découvrir ce qu’il prépare, il lève un coin du voile sur quelquesaspects clés de son travail.

@ Felipe

Page 66: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Vous imaginiez une telle lon-gévité ? Yves Jacques : Evidemmentnon. J’ai d’abord joué pendantcinq ans puis Robert Lepagem’a proposé son autre solo, LeProjet Andersen. En 2011, leThéâtre du Trident, à Mont-réal, où nous avons débutétous les deux, nous a demandéde reprendre La Face Cachée etnous n’avons plus arrêté.Sans jamais de lassitude ?Vous savez, moi, je n’ai pasd’enfant, je ne vois pas le tempspasser. Je suis toujours neuf vis-à-vis du spectacle, d’autant queje le joue soit en anglais, soit enfrançais québécois.Depuis la création, le mondea changé de base.Oui mais pas le spectacle. A un cer-tain moment, Robert Lepage a songéà apporter quelques modifications,moderniser certains objets : la ca-méra-vidéo imposante aurait pu êtreremplacée par une petite caméra di-gitale, un smartphone plutôt quemon vieux cellulaire, des ordinateursd’aujourd’hui mais finalement, il apréféré tout laisser dans le jus de

l’époque où il a écrit ce spectacle.Seules les vidéos digitalisées sont de-venues plus claires.Parfois, on dirait du Méliès.Oui, il y a cette belle image du hublotde machine à laver qui ressemble àcelui d’un vaisseau spatial. Je croisque Robert a trouvé cette porte deLavomat pendant les répétitions, toutprès du théâtre, il l’a aussitôt faittransportée, c’était un signe.

De quel frère vous sentez-vous leplus proche ?Plutôt de Philippe mais je dois avoirdes travers d’André. De toute façon, ilssont le yin et le yang, le philosophe etle capitaliste. Je pense que pour Ro-bert, l’affinité doit être la même. Nousn’avons pas les mêmes origines, monpère était médecin, le sien chauffeurde taxi mais au fond, on est pareils.Quand j’ai repris son rôle, il me disaitde jouer mon jeu mais je voulais res-

pecter sa partition. Aujourd’huiencore, je suis parfois RobertLepage, je me surprends à mar-cher comme lui. Vous ne rêvez pas de jouerensemble ?Bien sûr, on rigole en disantqu’on pourrait incarner lessœurs Kessler, des jumelles alle-mandes qui faisaient des choré-graphies quand on étaitenfants. Tout le monde croitqu’on se voit souvent mais c’estfaux, il est toujours sur milleprojets. L’autre soir, il arrivait deSan Francisco, on s’est croiséspuis il est reparti sans passeraux répétitions. Heureusementd’une certaine manière, sinontout aurait été à refaire. Il est,comme Luc Bondy, d’un perfec-tionnisme absolu.

Propos recueillis parPatrice Trapier

n La Face Cachée de la Lune, de Robert Lepage, avec Yves Jacques Du 24/11 au 2/12, Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019Paris, 01 40 03 75 75Du 8 au 10/12, Théâtre-Sénart, Lieu-saint (77), 01 60 34 53 60

En 2001, un an après la création de La Face cachée de laLune, Robert Lepage passa le témoin au comédien YvesJacques pour incarner Philippe, le thésard en échec et sonfrère André, le présentateur météo à succès. Seize ansaprès, ce solo à l’inspiration autobiographique a fait le tour du monde. Comédien se partageant entre le Canadaet la France, le théâtre et le cinéma, Yves Jacques racontecette aventure exceptionnelle partagée avec le grand dramaturge canadien, Robert Lepage.

DOSSIER

La Face Cachéede la Lune

Yves Jacques

@ David_Leclerc

La Face Cachée de la Lune,

Parfois, je suis Robert Lepage

66 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Zoom - Ecole du Nord

La première promotion que vousavez faite rentrer va sortir en 2018.Elle compte 14 élèves comédiens etdeux élèves auteurs. Elle est parrai-née par Cécile Garcia Fogel. La sui-vante le sera par Alain Françon etcomptera un élève auteur de plus.Christophe Rauck : Pour que l'écoleait un visage singulier, il fallait qu'ellepropose comme les autres un dispo-sitif d’insertion et qu'en même tempselle ait une identité propre. J’ai choiside former des auteurs et de les mé-langer aux acteurs, que ce soit poreuxentre les deux. C’est-à-dire qu’aprèsun premier trimestre, les auteurs sui-vent un parcours spécifique tout enayant des cours en commun, notam-ment à la fac, et plein de moments oùils travaillent ensemble quand parexemple des intervenants deman-dent aux auteurs, d'écrire des textespour les présentations ou en troi-sième année pour la sortie de la pro-motion. Et puis ils écrivent une piècepour les acteurs pendant la formation. Quels enseignements avez-voustirés de cette première promotionavec les auteurs ?D'abord qu’être auteur, c'est un mé-tier et qu’on peut l'apprendre. Moi jen'ai jamais fait d'école, mais j’avoueque quelquefois, un conseil m'auraitpermis de gagner deux ans. L'idée

c'est de transmettreune méthode. Ce queje cherche c'est per-mettre à un jeune ar-tiste de pouvoir seconstruire en sortantde cette école avec une petite boîteà outils. Qu’ils rencontrent des ar-tistes, des metteurs en scène, des édi-teurs ou des auteurs confirmés quivont aussi être une porte d'entréedans le milieu professionnel, c'estbien, mais il faut aussi transmettre dela méthode. Sinon, il manque de laprofondeur. Certains en ont déjà etarrivent à trouver leur chemin decréateurs mais beaucoup se perdent.En France, on parle de don. Moi j'étaisdoué pour le piano ; ça m’a fait fairedu théâtre mais pas devenir pianiste.Parce qu’il s’agit aussi de savoir inter-agir sur toutes les choses que l'on areçues. Et ça se fait aussi à travers lesgrands textes qui apprennent à déve-lopper une pensée longue. Quel est l'avenir des auteurs ?On s’interroge sur ce que peut êtrel'insertion d'un jeune auteur. Est-ceune bourse d'écriture ou une édition ?On n'a pas encore décidé. Les deuxauteurs de cette année ont fait parexemple de l'assistanat. Lucas Sa-main a été assistant sur la création deTiphaine Raffier. Il a un rapport direct

avec le plateau. Haïla Hessou, elle, aune plume assez extraordinaire. Elleest franco béninoise et on trouve à lafois l'Europe et l'Afrique dans sonécriture. Comment va se passer la sortie dela promotion ?Je n'ai pas envie de faire un spectaclede sortie dirigé par un metteur enscène connu et qui va tourner. La sor-tie doit surtout refléter le parcoursdes trois ans. Et notamment les tra-vaux qui ont été emblématiquescomme le voyage qu’ils ont fait enseptembre. Cécile Garcia Fogel a eul’idée de leur proposer un voyage enEurope seuls pendant un mois sanstéléphone, avec pour objectif de pré-senter un projet personnel de 20 à 40minutes à partir d’éléments qu’ils ontrecueillis. Jouer c'est aussi direquelque chose de soi à travers destextes et se nourrir de l'autre.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

n http://ecoledunord.theatredunord.fr

Christophe Rauck

A quelques mois de la sortie de la promotion2015-2018, Christophe Rauck tire un bilan duprojet pédagogique qu’il a mis en place en pre-nant la direction de l’Ecole du Théâtre du Nord.

Une formation originale

@ dr

68 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Ecole du Nord

Page 69: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Liza, leur héroïne, a 24 ans. Elledonne une conférence dans laquelleelle raconte son histoire. En 2000,au tout début d’internet et des ré-seaux sociaux, elle a 14 ans et ac-cède à une célébrité facile enpubliant ses réflexions personnellessur son compte MySpace. Mais rapi-

dement, elle s’attire des moquerieset même des inimitiés. Harcèlement,menaces de mort, maison vandali-sée, chien disparu, l’enfer dure ainsidix ans, l’obligeant à déménageravec sa famille. Et pourtant, elle n’apas baissé les bras et a même conti-nué d’alimenter son blog. "C’est cequi nous a plu dans son histoire. Ellea affronté le harcèlement à sa façonà elle, avec sa créativité. Elle en a faitun combat et aujourd'hui elle conti-nue à exister en ligne, à publier desvidéos tout en gardant son style".

Mais pour les artistes de Krum-ple, il ne s’agit pas de faire uneénième mise en garde contre lesrisques encourus par les jeunes surles réseaux sociaux. "Le spectaclepose plutôt la question de savoirpourquoi Liza continue à exister enligne si c'est aussi brutal et violentpour elle. La réalité c’est que sans in-ternet elle avait l'impression de neplus être personne". Mais surtout ils’intéresse au harceleur. "Il y a un

très grand pourcentage de gens quivont sur Internet et écrivent à des in-connus pour les critiquer. Ce n'estpas la critique en soi qui pose pro-blème mais pourquoi à un momentdonné elle verse dans l'intimidation.Et jusqu’où ça va, quand est-ce queça s’arrête" ?

Or on connaît tous ça, pire on lefait tous sans même s’en rendrecompte. "Il y a le cas de cette journa-liste américaine, qui après avoir écritun article sur le féminisme, a soudai-nement reçu énormément de hainesur Internet. Au point qu’un troll,comme on appelle ces harceleurs,avait créé un faux compte au nom deson père décédé six mois plus tôtpour écrire à quel point il avait hontede sa fille. Cela a été un vrai trauma-tisme qu’elle a raconté dans un autrearticle. Le troll l’a lu et lui a écrit pours’excuser. Il n’avait pas conscience des’adresser à une vraie personne".C’est ce que le spectacle cherche àreproduire pour le spectateur. "C'estmonté de telle façon qu’Internet esttransposé sur scène et il se retrouvevoyeur et rit des agissements destrolls contre la victime. Il est alors lui-même dans la position du troll".

Hélène Chevrier

n Do not feed the trollspar le collectif KrumpleThéâtre Victor Hugo dans le cadre dufestival virtuel.hom[me], 14 avenueVictor Hugo 92220 Bagneux,01 46 63 10 54, 30/11 au 3/12n festival virtuel.hom[me], du 30/11 au 10/12

HarcèlementDo not feed the trolls

Pour sa 3e édition, le Festival virtuel.hom[me] du ThéâtreVictor Hugo de Bagneux interroge le harcèlement en ligneà travers le spectacle du collectif Krumple, Do not feed thetrolls, du nom des harceleurs qui sévissent sur le web. Si l’onparle beaucoup en ce moment de harcèlement sexuelexercé par les puissants, le web a libéré les instincts et gé-néré une nouvelle forme de harcèlement couvert par l’ano-nymat de ses utilisateurs. C’est ce que racontent OdaKirkebø Nyfløtt, Jo Even Bjørke, Jon Levin et Vincent Verne-rie dans leur spectacle inspiré de l’histoire vraie d’une blo-gueuse adolescente.

@ dr

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collectifKrumple

Festival - virtuel.hom(me)

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Portrait

Comment est venue cette idée dechanger l’identité de ce théâtreprivé ?Jean-Louis Martinelli :C'est suite auxreprésentations de L'Avare que j’aimis en scène avec Jacques Weber lasaison dernière dans son théâtre queJean Bouquin m'a proposé de faire laprogrammation des deux saisons àvenir. Ma première réaction a été deme dire qu’après avoir été longtempsdirecteur de théâtre, j'avais envie defaire autre chose. Mais réflexion faite,j’ai réalisé que cela pouvait ouvrir unvrai espace de liberté pour des spec-tacles qui ont connu un fort écho lessaisons précédentes et qui ont encoredu potentiel parce qu'ils ont joué re-lativement peu de temps. Donner letemps à un spectacle, il n'y a que cemoyen là pour que le public se déve-loppe. C’est aussi l’idée de présenterdes spectacles créés en province. Paris

ne représente que 15 % de la produc-tion française et tout ce qui est pro-duit ailleurs a des grosses difficultés àvenir sur les scènes parisiennes.Le théâtre Dejazet ne reçoit aucunesubvention ; il n’est pas membre nonplus de l'association des théâtres pri-vés. Comment peut-il financer la pro-grammation que vous avez imaginée ?On est condamné au succès. Je lui aidonc proposé un mode de program-mation qui consiste à s'appuyer surdes compagnies qui elles-mêmes pro-duisent ou coproduisent leurs specta-cles, que ce soient des créations oudes reprises. Le théâtre Dejazet n'estpas coproducteur, il assure juste unesérie de représentations avec un mi-nimum garanti. Je lui ai proposé aussique le prix des places soit quasimentaligné sur celui des théâtres publicsavec une formule d'abonnement. Il atout accepté.

Comment avez-vous construit laprogrammation ?En faisant appel à des artistes dont jesuis proche avec lesquels je suis enconversation régulière : Michel Didymqui monte Le Malade imaginaire,Alain Françon qui crée Un mois à lacampagne de Tourgueniev avecMicha Lescot et Anouk Grinberg,David Lescot ou Jacques Vincey qui aouvert la saison avec la reprise deUnd avec Natalie Dessay. Et moi-même, je vais créer en janvier Nénessed’Aziz Chouaki avec notamment Oli-vier Marchal et Christine Citti.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

On ne l’attendait pas en directeur artistique d’unthéâtre privé parisien. Après avoir fondé le Théâtredu Point du Jour à Lyon, dirigé le TNS pendant septans et les Amandiers pendant onze ans, Jean-LouisMartinelli s’occupe aujourd’hui de la programma-tion du théâtre Dejazet à la demande de son pro-priétaire Jean Bouquin. Il y a vu la possibilité demontrer des spectacles ambitieux peu diffusés àParis comme Und avec Natalie Dessay, Ceux qui res-tent de David Lescot, Un mois à la campagne mis enscène par Alain Françon ou Le malade imaginairedans la version de Didym.

Retour aux sources

@ Hannah Assouline

70 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Théâtre Dejazet, 1 Boulevard du Temple,75003 Paris, 01 48 87 52 55Le malade imaginaire, du 3/11 au 31/12Surtout ne vous inquiétez pas, du 15 au 30/12

Jean-Louis Martinelli

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On vous connaît mal. Qui êtes-vous ?Olivier Peyronnaud : J’ai dirigé desthéâtres publics pendant 26 ans :Dôle, Compiègne, Nevers… Jeune, j’aiassisté un jeune metteur en scène quepersonne ne connaissait, Jean-Luc La-garce. Après, à la tête de diversesstructures, j’ai ouvert le choix artis-tique le plus possible. Brook, Mnouch-kine, Chéreau côtoyaient Jean Poiretou Véronique Sanson dans mes pro-grammations. J’ai accueilli en rési-dence Philippe Genty pendant dix ans,compris grâce à lui la dramaturgie duvisuel. Un jour, Gilbert Rozon est venuvoir à Nevers mon festival Efferves-cences. Il m’a demandé de travailler àson bureau de production à Paris. Comment est né le projet du 13e Art ?Le propriétaire du centre commercialde la place d’Italie, Hammerson, avaitl’obligation de faire de l’ancien cinémaun lieu culturel. Je suis venu visiter cecinéma désaffecté et je suis tombé àla renverse. J’ai proposé à GilbertRozon de créer un théâtre un peu surle modèle du Rond-Point, avec des ex-ploitations courtes et un renouvelle-ment permanent. Hammerson et la

mairie du XIIIe arrondissement ont en-couragé le projet.Quel est ce projet ? C’est, à l’intérieur d’un centre commer-cial, un théâtre ouvert sur l’internatio-nal, sans barrières artistiques, quipropose du théâtre, du cirque, de ladanse, exceptionnellement de la chan-son. Il y a de grosses machines et deschoses plus légères. On a ouvert avecle cirque Eloize mais aussi avec leclown musical Thomas Monckton. Il yaura aussi bien James Thierrée quePierre Pradinas et Romane Bohringermontant La Cantatrice chauve. Pourles saisons à venir, nous aurons le Na-tional Theatre de Londres et ColineSerreau qui recréera Quisaitout et Gro-bêta… C’est un lieu que nous loueronspar ailleurs pour des séminaires, dessoirées d’entreprises ou des cocktails,ces locations nous permettant de fi-nancer aussi nos propres productions.Ne craignez-vous pas des confusionsentre le nom du théâtre, Le 13e art,et les deux salles du Théâtre 13 ?Les confusions disparaîtront. Et j’es-père même qu’on fera des choses en-semble.

Vous avez été comédien et metteur enscène. Vous referez des spectacles ?Non. Travailler avec des monstres sa-crés vous remet à votre place. J’ai ac-compagné Irina Brook, SystèmeCastafiore, Philippe Genty… Impossi-ble d’atteindre cette magie-là !

Propos recueillis par Gilles Costaz

n Le 13e Art, Centre commercial Italie 2,place d’Italie 75013 Paris,01 53 31 13 13. A l’affiche en novem-bre et en décembre : Roman Frayssinet(à partir du 3/11), Solo par ArturoBrachetti (1/11-10/12), Le Misan-thrope (7/10-8/12), La Cantatricechauve (14/11-10/12), Slava’sSnowshow (13/12-7/1)

Un nouveau théâtre, place d’Italie à Paris, le 13e Art,vient d’ouvrir à la place d’un cinéma disparu. La société qué-bécoise Juste pour rire et Gilbert Rozon assurent le finance-ment de cette structure de deux salles (900 et 150 places)qui a rejoint l’association des théâtres privés parisiens. Ladirection artistique échoit à Olivier Peyronnaud, qui fut long-temps une personnalité du théâtre public.

Une programmation sans frontières

@ @Sebastien Nesly

Olivier Peyronnaud

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 71

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Portrait

Kamel Isker a le don d’ubi-quité. Il ne joue pas moins de quatrespectacles en même temps : Les Four-beries de Scapin au Saint-Georges, LeCid au Ranelagh, Marco Polo au LaBruyère, La Main de Leïla, coécritavec Aïda Asgharzadeh, aux BéliersParisiens.

Cet arlequin pétillant de malicene fait pas son âge. Il a l’air d’avoirvingt-quatre ans et en a dix de plus.N’était son prénom, impossible de de-viner ses origines. On se doute qu’ilfaut plus chercher vers la Méditerra-née que vers la Mer du Nord, mais où ?Italie ? Espagne ? Grèce ? Maghreb ?En plus, il n’est pas Arabe mais Kabylepur sucre. Lieu de naissance du père,Azazga. De la mère, Imzizou. “Centpour cent vrai Berbère !” D’ailleurs si,faute de le pratiquer, il a oubliél’arabe, il comprend encore le kabyle.

Né en France, à Villeurbannepour être précis, il est parti à l’âge detrois ans pour l’Algérie et y est restéjusqu’à six ans et demi. Après la ré-volte populaire de 1988, son père quitravaillait à Air Algérie a jugé pru-dent d’installer la famille en France.

Son grand-oncle, Abder Isker,avait été le premier à émigrer. (Sonnom vous dit quelque chose ? Il a réa-lisé une foultitude de séries pour TF1)Un virus se balade chez les Isker :Akim, le grand frère de Kamel, est réa-lisateur. Un oncle et une tante le sontaussi. Et l’un de ses cousins est chefopérateur.

C’est en voiture, place de la Répu-

blique, que Kamel encore ado a faitson coming out. Comme dit Nicole Kid-man dans la pub pour Schweppes :“What did you expect ?” On voulaitdire par là que Kamel a enfin avoué àson frère Akim qu’il voulait être comé-dien. Pourquoi n’osait-il pas parlerjusque-là ? Timidité juvénile. Ses pa-rents sont pourtant larges d’idées.Linda, sa mère, l’a toujours encou-ragé. “Quand je faisais du foot, si jemarquais deux buts, elle disait : “C’estbien mais tu aurais pu en marquer untroisième…” En ce moment je jouequatre pièces en même temps mais elleme demande : “Et qu’est-ce que tu vasfaire après ?” J’adore ça chez elle !”

Kamel n’a donc pas eu à braverles foudres parentales pour s’inscrireau Conservatoire du 13e arrondisse-ment. Il y a reçu l’enseignement deChristine Gagneux et de la metteureen scène Gloria Paris qui l’ont fait dé-buter à l’Athénée dans Filumena Mar-turano d’Eduardo De Filippo.

Il monte aussi un spectacle touten grommelots, Les Loupiotes de laville, avec son binôme et meilleur ami,Antoine Guiraud. Ni l’un ni l’autre ne

se doutent qu’il se jouera dix ans auxquatre coins du monde. Dernière àAnnecy voici deux mois.

Le succès des Loupiotes l’ayantobligé à refuser plusieurs propositionsintéressantes, Kamel met à présent lesbouchées doubles. “Jouer quatre piècesen même temps demande beaucoupd’énergie. Heureusement, je ne bois pas,je ne fume pas (merci Maman !), je faisdu sport et je dors bien.”

On ne va pas lui demander,comme sa mère, ce qu’il va faire après.Disons qu’il rêve de cinéma. Et que, çatombe bien, son frère Akim veut met-tre en images La Main de Leïla…

Jacques Nerson

Omniprésent

@ dr

72 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n La main de Leila, Béliers Parisiens, 14 bis rueSainte Isaure 75018 Paris, 01 42 62 35 00,jusqu’au 31/12n Les fourberies de Scapin, Saint Georges,51 rue Saint-Georges, 75009 Paris, 01 48 78 63 47, jusqu’au 2/06n Marco Polo, La Bruyère, 5 rue La Bruyère75009 Paris, 01 48 74 76 99, jusqu’au 11/11n Le Cid, Le Ranelagh, 5 rue des vignes 75016Paris, 01 42 88 64 44, à partir du 18/11

Kamel Isker

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Page 74: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Famille

Franito, c'est une reprise.Patrice Thibaud : Je suis artiste associéau théâtre de Nîmes dont je connaisbien le directeur François Noël depuis20 ans. Chaque année, il me deman-dait de faire quelque chose pour sonFestival de flamenco à ma façon, rigo-lote ; mais mal danser du flamencopour faire rire, ça ne m'inspirait pas. Etpuis j’ai rencontré Fran Espinosa grâceà José Montalvo qui cherchait à rem-placer dans Y Olé ! une danseuse en-ceinte. Ils ont auditionné tous lesdanseurs de Paris et de Navarre et cebonhomme qui ressemble à SanchoPanza s’est présenté. Il est gros maisquand il se met à danser, c’est l’hallu to-tale. Il sait tout faire : danser, chanter,jouer. Et il sait aussi vivre, faire la fête.Alors quand François Noël m’a reparlédu flamenco, je lui ai présenté Fran.Quelle a été sa réaction en voyant lepersonnage ?Il n’était pas convaincu ! Mais on a faitune performance de 50 minutes dansle cadre du festival qui a cartonné. Toutle monde voulait l'acheter. Du coup ona repris les répétitions pour rallonger le

spectacle jusqu’à 1h20 et c’est devenuFranito. Qu’est-ce que ça raconte ?J'essaie toujours de m'inspirer dechoses un peu personnelles pour que lepublic s’y retrouve. Donc j’ai fait parlerFran. Il m'a raconté qu'il avait été élevépar sa mère et qu’un jour à quatre ans,alors qu’il s'était mis à danser devantdes gitans, l’un d’eux l’avait suivi pourdire à sa mère qu’il fallait qu’il fasse duflamenco. La pièce raconte cette his-toire. Et moi je joue sa mère, une sorted’archétype de la femme espagnole :étouffante mais pleine d'amour. Comment est-ce devenu un spectacleburlesque ?Fran rêvait depuis longtemps de faireun spectacle de flamenco burlesque.C’est un spécialiste de la Bulería, unevariante du flamenco que dansaient lesfamilles dans les cours en se moquantdes voisins. Et il voulait retrouver cet as-pect-là. C’est un spectacle trèscontrasté qui alterne entre des chosestrès douces et visuelles et des sé-quences explosives.

Propos recueillis par Hélène Chevrier

Tout en mettant en scèneCharlotte de Turckheim dansla reprise d’Une journée chezma mère (voir p. 32), PatriceThibaud reprend Franito unspectacle burlesque qui ra-conte la vie du danseur aty-pique Fran Espinosa.

FranitoDu flamenco burlesque

PatriceThibaud

©Prisca Briquet

74 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

n Franito, conception Patrice Thibaud, mise enscène Patrice Thibaud, Jean-Marc Bihour, chorégraphie Fran Espinosa, avec Fran Espinosa,Patrice Thibaud, Cédric Diot (musicien) tout public à partir de 7 ans14/11, Château Rouge à Annemasse18 au 25/11 Chaillot, 1 place du Trocadéro75116 Paris, 01 53 65 30 0028/11 Théâtre du Vésinet7/12 Les 3 Pierrots à Saint-Cloud13/12 Théâtre de Roanne16/12 Espace St-Exupéry à Franconville19 au 23/12 Gymnase à Marseille17/01 Théâtre de Mende27/01 Ferme du Buisson à Marne la Vallée9/03 théâtre de Béziers11 au 13/03 Théâtre 71 à Malakoff21/03 Théâtre de Montélimar22 et 23/03 Théâtre de Privas29 et 30/03 Scène nationale de Bayonne31/03 Théâtre de Mont de Marsan6/04 Espace Marcel Carné à St Michel sur Orge13/04 Théâtre de Charleville Mézières

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Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 75

Un évènement rare, Julien Cotte-reau sur une scène parisienne ! Levoilà de retour avec son spectacleImagine-toi, créé en 2006 et récom-pensé en 2007 par le Molière de larévélation masculine. Sans doutenous fera-t-il encore don de son plusprécieux cadeau : la grâce. Cettegrâce qui nous habite tous depuisl'enfance et qu'il fait resurgir et pal-piter le temps d'un spectacle demime inoubliable, féerique et poé-tique. Julien Cottereau a longtempsofficié en tant que clown au Cirquedu Soleil, et depuis 2006, il donne viedans ses propres spectacles à un per-sonnage lunaire et magique. Dansune mise en scène inventive et vi-suelle à base de bruitages, lumièreset mimes, il y incarne un homme sim-ple et pudique à qui il arrive desaventures réelles ou imaginaires, etauxquelles le public réjoui prendra sapart. En sortant du spectacle, un en-fant disait à son père : "Papa, c'étaitmagnifique, c'est ce que j'ai vu demieux à Avignon, je n'avais même pasfaim!". Cet enfant en avait oublié safaim, et nous, on a encore soif de re-voir ce personnage si attachant.

Enric Dausset

n Imagine-toi, de et avec Julien Cottereau, mise en scène Erwan DaoupharsThéâtre des Mathurins, 36 rue des Ma-thurins 75008 Paris, 01 42 65 90 00,du mercredi au samedi à 19h00, dimanche à 16h00, à partir du 22/11

autres spectacles enfants

Petit Ours Brun

Adapté des histoires imaginées par Danièle Bour et Marie Aubi-nais en 1975 et publiées chez Bayard sous forme de petits livresthématiques illustrés, ce spectacle montre son héros, le petit our-son, dans différentes scènes de la vie quotidienne : à la maison,dans sa chambre, au coucher, au jardin, dans les bois, avec sa cou-sine, sous la pluie… Montée sous forme de comédie musicale,cette adaptation théâtrale manque un peu de tonus et pâtit d’unemauvaise sonorisation qui rend les dialogues inaudibles. Heureu-sement, les chansons et chorégraphies bien orchestrées de ladeuxième partie redonnent du pep’s à l’histoire.n Petit Ours Brun, comédie musicale. Théâtre du Gymnase Marie-Bell, 38 boulevard de Bonne Nouvelle 75010 Paris, 01 42 46 79 79jusqu’au 7/01, à 15h samedi et dimanche, à 11h dimanche, et à 16hdu mercredi au vendredi pendant les vacances scolaires, à partir de 3ans

Le livre de la jungle

Voici une version musicale du roman de Kipling revisité par le ta-lentueux Ned Grujic. Les aventures initiatiques du petit hérosMowgli à découvrir ou à redécouvrir par tous.n Le Livre de la Jungle, d’Ely Grimaldi et Igor de Chaillé, d’après leroman de Rudyard Kipling, mise en scène Ned GrujicThéâtre des Variétés, 7 boulevard Montmartre 75002 Paris, 01 42 3309 92, jusqu’au 2/03, à 14h samedi et dimanche et à 14h du mardi audimanche pendant les vacances scolaires

Chut mes lunettes ont un secret

Les aventures d’une petite fille de 10 ans qui attend une opérationdes yeux qui doit la débarrasser de ses grosses lunettes. Mais danssa chambre d’hôpital, elle se rend alors compte que ses lunettesont le pouvoir de lui faire vivre des aventures extraordinaires…n Chut mes lunettes ont un secret, de Vanessa varon, mise enscène Eric Théobald. La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis Le Grand 75002Paris, 01 42 61 44 16, à 14h samedi et dimanches et à 14h du mer-credi au dimanche pendant les vacances scolaires

Imagine-toi £

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Famille

Comment avez-vous pris connais-sance de Mon prof est un troll ?Baptiste Guiton : Je partage le projetde Robin Renucci pour les Tréteauxde France. J’ai connu Robin au TNP ; ilm’a commandé un texte pour le jeunepublic. Je voulais aborder des ques-tions géopolitiques, la guerre, la dic-tature, les flux migratoires… Je netrouvais pas de texte quand je suistombé à France Culture, où je suis réa-lisateur, sur la pièce de Dennis Kelly,qui a été écrite pour les jeunes. Celarejoint l’âpreté des contes des frèresGrimm. On ne se rappelle pas assezque, chez eux, la Belle au bois dor-mant ne se réveille pas ! Dennis Kellyest un auteur anglais, le scénaristed’Utopia, qui s’inscrit dans une situa-

tion post-chaotique. Il écrit un théâtrepercutant qui part d’une situation dé-concertante et qu’on ne peut monterdans l’hyperréalisme.Pouvez-vous résumer la pièce ? C’est l’histoire de jumeaux insuppor-tables, une fille et un garçon, qui dés-espèrent la directrice de leur école.Elle s’en va et est remplacée par untroll cannibale, si méchant qu’il faittravailler les enfants à la mine. Le pu-blic se pose ainsi la question du troll,un barbare qui ne parle pas la mêmelangue et aime l’or follement, et cellede l’insoumission – comment luttercontre les injustices ? Nous sommesdans un théâtre-récit, donc dans l’ima-gination des enfants et non dans lescodes du conte.Comment mettre en scène un telrécit ?J’ai un groupe d’acteurs très inventifs.Pour ce texte, j’avais besoin d’une dis-tribution particulièrement forte quime permette de réagir plus que d’agir.Je me fais dépasser par Tommy Lumi-net, Maxime Mansion et Prune Beu-chat. Ils osent ce que je n’oserais pas !

Nos références, ce sont les Gremlins,The Strangers, les films de notre en-fance, les jeux de rôles qu’on jouedans les sous-sols. Mais notre trolln’est jamais un vrai troll. C’est un co-médien qui joue tous les aspects dutroll. Il faut mettre à distance les ques-tions de la monstruosité et du canni-balisme. On est dans un rapportchoral et dans la double lecture durécit et du jeu. Plus on est à distance,plus on peut se permettre d’être cruel.

Propos recueillis par Gilles Costaz

n Mon prof est un trollde Dennis Kelly, traduction de PaulineSales et Philippe Le Moine (éditions del’Arche), mise en scène Baptiste Guiton,avec Tommy Luminet, Maxime Mansion, Prune Beuchat du 9 au 12/11 Théâtre de Vénissieux,du 14 au 16/11 Meylan, du 22 au25/11 Cergy-Pontoise, le 16/12 Tarare, le 22/12 Verneuil-Sur-Avre, le 15/01 Clermont-Ferrand, du 17/01au 6/02 TNP VilleurbanneSpectacle tout public à partir de 6 ans

Baptiste Guiton est à la fois metteur en scène et directeurde la compagnie L’Exalté, tout en étant réalisateur de“radio-dramas” à France-Culture. Il projette de monter authéâtre des textes de Pauline Sales (Le Groenland) etd’Alessandro Baricco mais se passionne d’abord pour unspectacle pour enfants dont le héros est un méchant troll…

Mon prof est un troll

Metteur à distanceBaptiste Guiton

76 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Le public se pose laquestion du troll, un

barbare qui ne parle pas lamême langue, et celle del’insoumission – commentlutter contre les injustices ?

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PAGESCRITIQUES

Fausse note

[ Un thriller psychologique qui bouscule ]de Didier Caron, avec Christophe Malavoy etTom NovembreThéâtre Michel, 38 rue des Mathurins75008 Paris, 01 42 65 35 02, jsq. 14/01Quelles répercussions le passé a-t-il sur leprésent ? Comment vivre après avoir vu lepire ? A travers sa nouvelle pièce, Faussenote, Didier Caron confronte deux hommesque tout oppose. L’un pourrait être unmonstre, l’autre une victime, mais la situa-tion n’est pas si simple. Après un concert,le célèbre chef d'orchestre, Hans Peter Mil-ler (Christophe Malavoy) s'apprête à sechanger pour rejoindre sa femme qui l’at-tend. Mais un certain Léon Dinkel (TomNovembre) frappe à la porte, lui demandeun autographe, le remercie, quitte laplace, puis revient. Inquiétant, mystérieux,Dinkel semble très bien connaître Miller.Se sont-ils déjà rencontrés ? Les deux pro-tagonistes se meuvent dans un lieu exigu,à l’atmosphère de plus en plus oppres-sante. A l’extérieur, la neige s’est mise àtomber, il fait froid. A l’intérieur aussi. Lavérité fait souffrir, le suspense perdure, onn’en dira pas plus. Didier Caron tient lespectateur en haleine jusqu'au dénoue-ment également surprenant, le ques-tionne -comment aurait-il agi dans descirconstances identiques ?- s’abstenant deprendre parti et de juger. Il resserre sa miseen scène autour de deux grands comé-diens qui jouent tout en retenue ce thrillerpsychologique tendu comme un arc. Le pu-blic sort bousculé, impressionné.

Nathalie Simon

Swann s’inclina poliment

[ Swann au présent ]d'après Marcel Proust, adaptation et mise enscène Nicolas KerszenbaumThéâtre de Belleville, 94 rue du Fg du Tem-ple 75011 Paris, 01 48 06 72 34, jsq. 3/12Le metteur en scène Nicolas Kerszenbaumne dépoussière pas Du côté de chez Swann,qui n'en a pas besoin, mais il en avive lesangles et en révèle certaines facettes.D'abord en actualisant les clivages so-ciaux. Madame Verdurin, en mini-jupe etbas résilles, éclatante de vulgarité peintur-lurée, revient de son club de Pilates.Odette, le grand amour de Swann, sembleune danseuse de peep show. Mais surtout la mise en scène oppose la viemondaine de Swann, dans le salon desVerdurin, et la vie intime du narrateur, dé-chiré par son amour pour Odette. Le paraî-tre et l'être. Ce deuxième niveau est traitédans un clair-obscur onirique. C'est sou-vent la musique qui traduit les bouleverse-ments émotionnels de Swann. Unguitariste électrique, Jérôme Castel, enplus du piano de Guillaume Léglise, amènedes couleurs très contemporaines. Le récitde Swann au bois de Boulogne, remâchantsa douleur et sa jalousie, rappelle le Me-lody Nelson de Gainsbourg. La voix du nar-rateur, d'abord mise à distance s'incarnepeu à peu, et Thomas Laroppe devient unSwann fiévreux. Marik Renner, dure etbutée, fragile et sensuelle, est une magni-fique Odette. Elle brille de mille feux danscette relecture audacieuse et passion-nante du chef d'oeuvre de Proust.

Jean-François Mondot

La leçon de danse

[ Cours un peu courts ]de et avec Andréa Bescond et Eric MétayerThéâtre de l’Oeuvre, 55 rue de Clichy75009 Paris, 01 44 53 88 88, jsq. 31/12 Ils sont tous les deux des êtres seuls. Elle surson canapé, la jambe contrainte par une at-telle, picole sa déception de ne plus pouvoirdanser sur scène. Lui, autiste, englué dansses problèmes relationnels, voudrait ap-prendre à danser. Voisins dans le même im-meuble, leur rencontre ira plus loin qu’unesimple leçon de danse. Andréa Bescond et Eric Métayer se retrou-vent de nouveau autour de la mise en scèneet de l’interprétation de cette comédie diteromantique. Un peu à l’eau de rose tout demême, même s’il demeure quelques épines,la dame ayant un caractère de cactus et sonnouvel ami ne souffrant pas qu’on le toucheen vertu de son syndrome d’Asperger. Dansun décor unique d’appartement – canapé,table basse et fenêtre ouverte sur un mor-ceau de ciel – Eric Métayer s’amuse commesouvent d’un jeu "dedans dehors" avec uneporte accessoirisée permettant de voir depart et d’autre de son chambranle. Son jeu,ainsi que celui d’Andréa Bescond, est sim-ple, juste, le duo est équilibré et les carac-tères très dessinés. Le texte de Mark St.Germain est assez poétique, et cette leçonde danse, on l’aura compris, sera une forteleçon de vie. Apprendre à serrer une main,à se laisser embrasser, à s’aimer… Au sur-plus, la soirée n’apporte pas beaucoup plusque ce qu’elle promet : une pièce sympa-thique, légère et romantique.

François Varlin

@ Emilie Deville

Chaque semaine de nouvelles critiques sur www.theatral-magazine.com

@ Franck HARSCOUET

@ Alex Nolle

REPRISES

78 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

Page 79: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

Jeanne

[ Comme sur un plateau]de Jean Robert-Charrier, avec Nicole CroisilleThéâtre du Petit Saint Martin, 17 rue RenéBoulanger 75010 Paris, 01 42 08 00 32,jusqu’au 31/12Elle est vieille, triste et seule, elle en veutà la terre entière, se sent persécutée. Caléedans son fauteuil devant une table de ma-lade, Jeanne découpe des magazines, gar-nit son pilulier, claquemurée derrière saporte aux multiples verrous. Son mondes’est rétréci, elle s’est aigrie. Jeanne est unpeu la sœur jumelle de la Tatie Danièle deChatiliez. Méchante, elle est la nouvellecréature de l’auteur Jean Robert-Charrierqui, après Divina et Nelson, semble curieu-sement prendre goût pour l’écriture derôles de femmes odieuses. Convaincantebien qu’un peu en retrait, c’est Nicole Croi-sille qui endosse la panoplie cruellementréaliste – perruque grise, jupe à carreauxet corsage démodé – de la “senior” à qui laville de Paris fait porter des plateaux-repas. Et c’est sur le thème des services àla personne que surfe la pièce avec sesidéaux d’action sociale et son éthique affi-chée sur la dépendance. Florence Mulleren élue d’arrondissement, porte-paroled’idées creuses et sonnantes, est parfaitedans un registre à peine forcé qui apporteune certaine forme comique à ce sujetgrave. Et puis il y a l’employé municipal, lejeune porteur de plateaux désarmant degentillesse, que Charles Templon incarneavec autant de naturel que de précision.Très en harmonie avec la psychologie deson personnage, le comédien fait preuved’un jeu très exact et digne d’intérêt. Jean-Luc Révol met en scène ce trio dans unspectacle heureusement plus corsé danssa seconde partie. Une fine équipe.

François Varlin

Comme à la maison

[ Famille je vous hais ! ]mise en scène Pierre Cassignard, avec AnnieGrégorio, Lisa Martino, Pierre-Olivier Mornas..Théâtre de Paris,15 rue Blanche, 75009Paris, 01 48 74 25 37, jusqu’au 31/12Dans sa maison de la Sarthe, Suzanne at-tend ses enfants pour la Saint-Sylvestre. Syl-vie, une actrice en mal de notoriété, Michelqui gère le garage de son père alité au pre-mier étage, et sa femme Gwen sans emploi.Le fils cadet vit au Canada. Il y a aussi lasoeur de Suzanne clouée dans un fauteuilroulant. La pièce à vivre fait entrer de plain-pied le public dans cette famille presquecomme les autres. Les auteurs de Comme à la maison ont dûpenser à la chanson de Maxime Le Forestier“On choisit pas ses parents, on choisit pas safamille” pour écrire cette comédie sai-gnante. Les trois enfants de Suzanne sontbien obligés de composer avec leurs géni-teurs défaillants. Qui lance une premièresalve de reproches ? Lequel a l’audace de ré-pondre ? La soirée festive se transforme pro-gressivement en champ de bataille d'oùfusent des vérités pas bonnes à dire. PierreCassignard orchestre avec fougue ce règle-ment de compte dont aucun des protago-nistes ne sortira indemne. Pilier central, la mère à la fois absente etdictatoriale a joué un rôle déterminant surla destinée de sa progéniture. Témoinplacé dans la position du voyeur, le spec-tateur hésite entre rire aux éclats et pren-dre en pitié cette smala qui lui en rappelled’autres. Dialogues aux petits oignons,mise en scène pertinente et interprétationconvaincante. Annie Grégorio s'illustredans un registre inédit. Ses partenaires luidonnent la réplique avec un naturel bluf-fant. Une vraie famille ! La soirée est af-freusement délicieuse.

Nathalie Simon

Ramsès II

[ Comique de la cruauté ]de Sébastien Thiéry, avec Eric Elmosnino, Fran-çois Berléand, Evelyne Buyle, Elise Diamant...Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny 75002Paris, 01 42 96 92 42Il rentre d’un voyage en Egypte et rend vi-site à ses beaux-parents. Mais seul. Où estpassée son épouse, la fille tant attendue ?Il ne répond pas aux questions mais semoque férocement de son beau-père, luimet sur le dos des petits crimes qu’il n’a pascommis. Les visites se répètent. A chaquefois, la jeune femme n’arrive pas et, àchaque fois, le beau-père est accusé, mal-traité, bon à envoyer chez les psychiatres,tandis que le jeune homme, un authen-tique bourreau, joue les innocents.D’une situation aussi machiavélique seulSébastien Thiéry pouvait faire une comé-die aussi irrésistible. Dans le chapitre duthéâtre de la cruauté, Thiéry est en trainde prendre sa place à la rubrique Comé-dies. Son nouveau texte est méchant àsouhait, avec cette propension vers l’ab-surde qui le caractérise. On peut malgrétout avoir sa propre version d’une véritéqui est donnée comme tronquée. A chacund’y réfléchir en sortant de la mise en scènetrès égyptienne de Stéphane Hillel quis’amuse avec des références pyramidales.Eric Elmosnino, dans la décontraction et ladouceur teintées d’étrangeté, est épatant.François Berléand a déjà été la victimedans les pièces d’Elmosnino et il se renou-velle avec jubilation. Evelyne Buyle, enmaîtresse de maison conciliante, est à sonmeilleur niveau de drôlerie délicate. EliseDiamant compose ses quelques appari-tions avec un art du quotidien troublé. Lamalédiction des pharaons frappe à l’enversaux Bouffes Parisiens : les rires sont effer-vescents.

Gilles Costaz

@ Christophe Vootz

@ Celine Nieszawer

@ Celine Nieszawer

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 79

Page 80: Mise en page 1 · 04 AGENDA Novembre - Décembre 2017 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. Vincent Macaigne 12 A L’AFFICHE 12 . Stéphane Guillon 14 . Nina Villanova,

PAGESCRITIQUES

Les fourberies de Scapin

[ La performance de Benjamin Lavernhe ]de Molière, mise en scène Denis PodalydèsComédie-Française, salle Richelieu, 2 ruede Richelieu 75001 Paris, 01 44 58 15 15jusqu’au 11/02Avec sa mise en scène fluide et épurée desFourberies de Scapin de Molière à la Comé-die-Française, Denis Podalydès réalise uncoup de maître en privilégiant le côté alle-gro presto de la commedia dell'arte de lapièce sans en occulter son aspect philoso-phique. Il se repose sur une distribution ho-mogène et juste, avec en tête BenjaminLavernhe qui endosse la chemise de Scapin(les costumes sont de Christian Lacroix).Transpirant à force de sauts et de pirouettes,le comédien marquera les annales du Fran-çais à travers une performance étourdis-sante. Le fin Didier Sandre en Géronte battupar le valet dans la fameuse scène du sacsuscite un élan de compassion. Renforcé parla diatribe de Zerbinette, l’aimée de Léandre(Adeline d’Hermy) qui se moque de lui. Mo-lière applaudirait Podalydès respectueux desa pensée. Le dramaturge n’y va pas de mainmorte, il égratigne à l’envi les pères mons-trueux représentants d’une société dominéepar des convenances hypocrites. Sans soucide vraisemblance, il se venge en faisanttriompher la fougue de la jeunesse etl’amour. Seule réserve à ce bonheur de théâ-tre comique : la scénographie d’Eric Ruf.Constituée d’échafaudages et de panneauxde chantier, elle diminue le plateau de moi-tié et est surtout peu adaptée aux déplace-ments des acteurs.

Nathalie Simon

Modi

[ Elégant biopic ]de Laurent Seksik, mise en scène Didier Long,avec Stéphane Guillon, Sarah Biasini...Théâtre de l'Atelier, 1 place Charles Dullin75018 Paris, 01 46 06 49 24 Modi, c'est Modigliani, le fameux peintreitalien de Montparnasse, ami et rival de Pi-casso, Soutine et Derain, se détruisant dansl'alcool pour mieux défier une société qu'ilméprise. L’histoire se concentre autour dequatre personnages : l'artiste, sa compagneJeanne Hébuterne, la mère très bourgeoisede cette jeune femme et un marchand detableaux. De l'échec à la mort, telle est latrajectoire que le spectacle suit sous uneforme très classique, comme si l'auteurconstruisait plus un scénario biographique,sans tirer parti de la nervosité et des rup-tures que propose le théâtre. D'où une al-lure un peu lente où la mise en scèneélégante de Didier Long joue plus le ta-bleau historique que l'intériorité des pas-sions. Chaque acteur est excellent dans sapartition. Stéphane Guillon joue Modiglianien lignes brisées, en passant aisément despropos esthétiques aux fureurs du paria.Sarah Biasini compose très finement unepersonnalité indépendante, touchante etrebelle. Geneviève Casile est toute en éclatscinglants dans le rôle de la mère. DidierBrice est le marchand d'art avec un bel hu-mour calme dans la tourmente. L'écriturede Seksik est parfois brillante mais les rela-tions qu'il tisse entre ses personnages man-quent de flammes. Il manque juste un coupde folie dans les dialogues.

Gilles Costaz

Le Tartuffe

[ Fau l’a fait ! ]de Molière, mise en scène Michel Fau, avecMichel Bouquet, Michel FauThéâtre de la Porte Saint-Martin 75010Paris, 01 42 08 00 32, jusqu’au 31/12On se croirait dans le chœur d’une église,dans les stalles d’une chapelle trop ornée ;nous sommes pourtant dans la demeured’Orgon. Michel Fau dans sa mise en scènepousse les codes du théâtre baroque à leurparoxysme : maquillages cérusés, perruquesextravagantes, costumes de Christian La-croix, déclamation ampoulée, et construitdes images remarquables. Dans le rôle-titre,drapé d’écarlate, il rejoue ces divas empha-tiques qu’il affectionne, chante presque sesalexandrins, livrant un Tartuffe à la fois gla-çant et bouillant. Michel Bouquet face à cetouragan pourpre et roué y va lentement,prudemment, méditant chaque réplique aurisque du décalage face au débit de ses par-tenaires. Christine Murillo dans le rôle de Do-rine excelle à tirer les ficelles des situations,et Nicole Calfan, parée telle une madone es-pagnole est une formidable Elmire. Assuré-ment, on est ici dans un théâtre étudié,sophistiqué, soigné à l’extrême, où le drameet la comédie s'accordent parfaitement. Lespartis pris de jeu et de codes baroques, lesélocutions pompeuses – auxquelles JulietteCarré en Madame Pernelle se livre sans seforcer ! – confisquent l’œuvre dans un uni-vers précis, suranné et assumé, pour en faireun opus diablement réussi. Tous ne l’au-raient pas osé ; Fau l’a fait.

François Varlin

@ Marcel Hartmann

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@ RDL

@ Laurencine Lot

REPRISES

80 Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017

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Grease

[ La banane ! ]de Jim Jacobs, Warren Casey, mise en scèneMartin MichelThéâtre Mogador, 25 rue Mogador 75009Paris, 01 53 33 45 30, jusqu’au 8/07Fermé depuis un an à la suite d’un débutd’incendie, le théâtre Mogador vient derouvrir. Superbe, brillant, refait à neuf, letemple du spectacle musical n’a rien ou-blié de son savoir-faire ; il présente Greaseà un public ravi et électrisé. Posés sur unimmense disque vinyle qui recouvre le pla-teau, les chanteurs-danseurs de ce specta-cle rythmé et entrainant nous remémorentle mythique film de 1978 sans pour autantchercher à le reconstituer sur scène. Il y abien sûr le clan des filles chipies en blou-sons rose bonbon, celui des mecs machosen perfectos noirs, mais tous s’appliquentà ne pas calquer le film, qui n’était lui-même – on l’oublie parfois – que la versioncinématographique d’une comédie musi-cale créée en 1971. La mise en scène deMartin Michel, adaptée par VéroniqueBandelier, est inventive et réserve debelles surprises visuelles. Quelques scènesde comédies ont été introduites et appor-tent beaucoup de drôlerie. Côté musical,les orchestrations ont été entièrement re-pensées par Dominique Trottein qui dirigeson orchestre placé en hauteur sur lascène. Les tubes célèbres sont entonnéspar la troupe en français mais aussi en an-glais, ce qui est apprécié par le public.Alexis Loizon est un Danny viril à la voixbien placée, Alyzée Lalande est une Sandydélicieusement timorée faisant preuved’un timbre de voix coloré. On souligneraégalement la bonne prestation d’Emma-nuelle N’Zuzi dans le rôle de Rizzo. La soiréeest belle, dansante, séduisante. Bravo !

François Varlin

Faisons un rêve

[ Le mari, la femme, l’amant ]de Sacha Guitry, avec Nicolas Briançon,Marie-Julie Baup, Eric Laugérias...Théâtre de La Madeleine, 19 rue de Surène75008 Paris, 01 42 65 07 09, jusqu’au 30/12Un homme et une femme discutent de l’in-térêt d’attendre ou pas le riche avocat cé-libataire (Nicolas Briançon) qui les ainvités chez lui. Elle (Marie-Julie Baup) pa-tiente, lui (Eric Laugérias) prétexte un ren-dez-vous avec un banquier pour quitterl’appartement. Surgit l’hôte en question.Qui s’empresse de se justifier sur son ab-sence et de déclarer son amour à la sédui-sante épouse qui s’en laisse conter. Familier de l’exercice, Nicolas Briançonmet joliment en scène le triangle amou-reux de Guitry : le mari, la femme, l’amant.Sans occulter la misogynie du bonhomme.Faisons un rêve est un bon boulevard crééen 1916 avec Raimu, Guitry et CharlotteLysès, la femme du dramaturge à l’époque.A la Madeleine, il faut oublier la modestiedu décor pour s’intéresser aux protago-nistes qui jouent tous leur partition defaçon enjouée et convaincante. Marie-Julie Baup est faussement prude etsoumise, Eric Laugérias doué pour adopterl’accent méridional et l’air benêt, et NicolasBriançon lui-même est très à l’aise dans lecostume du séducteur égocentrique. N’ou-blions pas l’inénarrable Michel Dussaraten serviteur zélé. Davantage attaché aux situations qu’à lapsychologie de ses personnages, Guitry lespousse dans leurs retranchements, rendperceptibles leurs failles tout en considé-rant leurs écarts avec bonhomie (il s’inspi-rait de sa vie pour écrire ses pièces). Fidèleà l’esprit du brillant auteur, Nicolas Brian-çon orchestre les trois actes tambour bat-tant. Plaisante soirée.

Nathalie Simon

Stadium

[ Le théâtre-réalité ]conception Mohamed El Khatib 10/11 Colombes, 16-17/11 Beauvais, 24-25/11 Rennes, 26/11 Vannes, 1/02 Joué-les-tours, 2/02 Tours, 3/02 Orléans,16-17/03 Châteauvallon, 10 au 14/04Nantes, 26/05 AlfortvillePas de ballons sur scène. Pas un seul. Maisune cinquante de supporters de foot enchair et en os. Cela dure une heure etdemie, comme un match ; et à la mi-temps(l’entracte), des pom pom girls et une véri-table baraque à frites installée sur scène…Mohamed El Khatib crée avec Stadium - àla Colline et en tournée dans toute laFrance-, une forme théâtrale originale ré-sultat de 2 ans de d’enquête auprès dessupporters du RC Lens. L'approche du met-teur en scène se veut documentaire, illus-trée par des vidéos, des témoignages, desprises de paroles, de vrais personnages quiviennent sur scène comme Yvette, 85 ans,et toute sa famille, ou encore Ludovic, uncapo de supporters... On découvre progres-sivement tout un univers de gens atta-chants rassemblés non pas par l’amour duballon rond, mais par leur part d’humanité,l’envie de communier, de partager, et d’ou-blier sans doute un peu leur condition. Onressent néanmoins la difficulté de faire co-habiter sur scène ces éléments de docu-réalité avec des éléments fictionnelspropres au théâtre. Est-on dans le voyeu-risme, dans le partage d’expérience, dansune émotion sincère ou manipulée ? Théâ-tre documentaire, documenté ou théâtre-réalité ? Le patchwork de matériau, desupports et de tableaux divers rend cetteexpérience inégale mais pose au finalbeaucoup de questions surr la fonction etl’utilité de la scène.

Enric Dausset

@ celine Nieszawer

@ dr

@ Pascal-Rion

Théâtral magazine Novembre - Décembre 2017 81

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MON GRAIN DE SEL

par Jacques NERSON

Sur le point de rendre son dernier souffle, Lopede Vega consulte son médecin. Celui-ci lui ditqu’il n’en a plus pour longtemps. Alors l’agoni-sant se confesse à ses proches d’un crimejusqu’ici inavoué : “¡ Dante me jode !” Ce qu’onpeut traduire par : “Dante me fait chier !” Jetrouve cette anecdote savoureuse. Qui d’entrenous ne conserve au tréfonds de lui-même cegenre de secret honteux ? Sans me comparer àcelui que Cervantès surnommait “le Phénix”, ilme faut faire un aveu de même sorte : Ubu Roim’emmerde.

Sortant de la représentation qu’en donnait cesjours-ci le TNP de Villeurbanne, je faisais lecompte des différents Ubu que j’ai vus, de l’adap-tation télévisée de Jean-Christophe Averty en1965 au spectacle itinérant d’Olivier Martin-Sal-van au festival d’Avignon de 2015, en passant parUbu à l’Opéra de Georges Wilson en 1974, sansoublier la mise en scène de Peter Brook auxBouffes du Nord en 1977. La liste n’est pas exhaus-tive.

Chaque fois, quel que soit le talent du metteur enscène et des interprètes, même impression d’avoiraffaire à une œuvre survalorisée. D’où vient l’im-portance qu’on lui accorde ? D’abord, du scandalesuscité par le fameux “Merdre” rugi en ouverturede la pièce par le Père Ubu. (On dit que le soir dela générale un plaisantin lui répondit : “Mangre !”)Rappelons que la farce a été créée à Paris parLugné-Poe le 10 décembre 1896. On peut com-prendre que la France corsetée de la Belle Epoque

(rien à voir avec celle de Rabelais) soit choquée parles truculentes provocations de Jarry. Ce qui ex-plique que les surréalistes l’aient plus tard saluécomme un précurseur. Et qu’Antonin Artaud,Roger Vitrac et Robert Aron aient fondé le ThéâtreAlfred-Jarry pour lui rendre hommage.

Né d’une blague de collégien (Jarry avait alorsquinze ans) visant à tourner en ridicule son prof dephysique au lycée de Rennes, un certain Hébert,Ubu Roi est une parodie farcesque de Macbeth. Sielle est passée à la postérité, c’est grâce à son at-tirail langagier, son simili-vieux français, la “gi-douille”, la “chandelle verte”, les “palotins”, la“pataphysique” et la “pompe à phynances”, ex-pression dont les économistes actuels usent volon-tiers. Le mot “ubuesque” n’est-il pas entré dans ledictionnaire ?

Mais la notoriété d’Ubu Roi n’en fait pas unebonne pièce. Cela apparaît clairement quand onla monte avec des moyens aussi importants que lefait Christian Schiaretti au TNP. Jouée par des ma-rionnettes comme Jarry en avait eu le projet, sansdoute la recevrait-on mieux. Mais Schiaretti sou-ligne sa pauvreté dramatique par un décor tropriche (une crèche de Noël géante jonchée de dé-tritus) et un rythme trop lent. Imaginez notre dés-espoir quand, au bout d’1h45 de représentation,les acteurs (excellents par ailleurs) bissent aux sa-luts le refrain : “Pipipi, cacaca…” Si l’on tient ab-solument à jouer ce pastiche de potache, mieuxvaut ne pas s’appesantir.

Merdre alors !

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