MIRÓ : le monde en détails.

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MIRÓ : le monde en détails. Qui ne connaît les couleurs pures de Miró ? Le jaune malicieux, le vert extravagant, le vermillon sauvage, l'outremer rêveur? Qui ne connaît les lignes de Miró ? Les signes, les graphismes, les écritures, les rythmes, mouvants, violents, simples et libres. Mais qui sait qu'à l'opposé de cette peinture-là Miró a composé des œuvres surprenantes de minutie, gravité et mesure. 1918. Miró a 24 ans. Ses études de peinture terminées il vit à Barcelone, centre artistique qui peut rivaliser avec Paris. Comme les artistes catalans il est sensible aux évènements de la première guerre mondiale. Il connaît la tragédie que vit la France et il est aussi enthousiasmé par l'inventivité des peintres et poètes parisiens. Mais au début de l'été 1918 le peintre se remet difficilement de l'échec de sa dernière exposition.Ses peintures n'ont connu aucun succès. Déçu il se retire à Mont-Roig, en Catalogne, dans la ferme que ses parents ont achetée en 1910. Mont-Roig, Montagne rouge, emprunte son nom aux roches rouges qui dominent le paysage. La montagne protège de ses formes massives la plaine et la ferme paternelle où s'épanouissent plantes et cultures méditerranéennes. C'est pour l'artiste un lieu isolé et calme: le temps n'y est pas aussi rapide qu'à Barcelone. Il est rythmé par les saisons et la lente croissance des végétaux.

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Qui ne connaît les couleurs pures de Miró ? Le jaune malicieux, le vert extravagant, le

vermillon sauvage, l'outremer rêveur? Qui ne connaît les lignes de Miró ? Les signes, les graphismes, les écritures, les rythmes, mouvants, violents, simples et libres. Mais qui sait qu'à l'opposé de cette peinture-là Miró a composé des œuvres surprenantes de minutie, gravité et mesure.

1918. Miró a 24 ans. Ses études de peinture terminées il vit à Barcelone, centre artistique qui peut rivaliser avec Paris. Comme les artistes catalans il est sensible aux évènements de la première guerre mondiale. Il connaît la tragédie que vit la France et il est aussi enthousiasmé par l'inventivité des peintres et poètes parisiens.

Mais au début de l'été 1918 le peintre se remet difficilement de l'échec de sa dernière exposition.Ses peintures n'ont connu aucun succès. Déçu il se retire à Mont-Roig, en Catalogne, dans la ferme que ses parents ont achetée en 1910.

Mont-Roig, Montagne rouge, emprunte son nom aux roches rouges qui dominent le paysage. La montagne protège de ses formes massives la plaine et la ferme paternelle où s'épanouissent plantes et cultures méditerranéennes. C'est pour l'artiste un lieu isolé et calme: le temps n'y est pas aussi rapide qu'à Barcelone. Il est rythmé par les saisons et la lente croissance des végétaux.

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Durant l'été 18 - un long été que l'artiste étire jusqu'au mois de décembre -Miró peint quatre toiles. La tuilerie, Le potager à l'âne, La maison du palmier, L'ornière. Quatre paysages qui traduisent la relation particulière que le peintre entretient avec La Catalogne.

Il abandonne pendant cet été là la gestuelle fougueuse du fauvisme et élabore un langage plastique nouveau dans sa pratique et enraciné dans sa terre d'origine.

J'ai choisi d'analyser une de ces œuvres Le potager à l'âne car je l'ai expérimentée dans la classe maternelle de l'école de Belgudè au printemps 2013. Le choix de cette peinture( et de La maison du palmier) a été dicté par le thème de l'atelier de pratique artistique "Jardins vagabonds" ainsi que par une troublante ressemblance entre la ferme de Miró et le château Malaspina dans lequel est établie l'école.

Le potager à l'âne

Huile sur toile 64 x70 cm. Stockholm, Moderna Museet. Ce tableau au format presque carré nous présente un espace qui au premier coup d'œil

nous semble familier, terre à terre comme il se doit pour une ferme et son potager. Mais à bien y regarder la perception de l'espace que nous offre la toile est bien singulière.

Un jardin potager occupe la moitié inférieure de la toile. Il déploie au premier plan ses sillons verticaux aux lignes bien droites. Cinq sillons méticuleusement tracés dans un terrain ameubli. Les plants de légumes,dans cette partie du jardin particulièrement bien exposée au soleil, ont commencé leur croissance. Les solanacées, sans doute des

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aubergines,ont fait l'objet de soins attentifs de la part du jardinier. La terre est bien aérée et les pousses latérales ont été éliminées de la tige. Miró qui a bien observé les plants nous restitue la couleur tendre des feuilles . Une pointe de violet, touche fauve appliquée au pinceau le plus fin, mêle à la terre et à la plante, la couleur préfigurée du légume mûr. La partie droite de la toile laisse à l'âne qui donne son titre à l'œuvre un vaste carré pour brouter.

L'animal pourrait être "l'âne si doux" de Francis Jammes car "ses yeux sont de velours".Mais celui-ci n'a rien de la pauvre bête affamée du poème. L'âne traité de manière très réaliste occupe un espace qui lui est propre. Miró s'applique à représenter les brins d'herbe qui font son régal. Il nous montre un animal absorbé , le cou tendu vers l'herbe . L'artiste prend soin de ménager autour de l'âne un espace libre simplement animé par des variations de la couleur. Cet espace encadre et isole. Les contours de l'âne semblent ainsi encore plus puissamment marqués. Le bourricot au pelage brun apparaît comme un animal solide. Il se détache nettement du fond plus clair grâce au trait appuyé, ferme et sombre qui délimite sa forme. La terre sous ses sabots n'a pas une couleur uniforme. La palette des couleurs est riche: le peintre a juxtaposé au pinceau fin des minuscules touches de couleurs pures. Il ne renie pas la leçon du fauvisme; il l'adapte au nouveau langage pictural fondé sur "la lente compréhension de la grande richesse des nuances".

Miró a tout orchestré pour que le regard se dirige vers les plantations et la maison: les bordures latérales, les arbres, les longues tiges ondulantes orientent notre regard vers le milieu de la toile. Là, le parterre des plantes potagères dessine un quadrillage dans lesquels les couleurs terre se combinent avec la palette plus lumineuse des verts. Les rectangles colorés ne se conforment pas aux règles occidentales de la perspective. Les "carrés" de terre se soulèvent pour mieux nous laisser reconnaître les tomates, les épinards, le maïs...Ce qui pourrait ressembler à une naïve simplification de l'espace est en fait une autre écriture. Le potager n'est pas seulement montré, il est décrit . Miró recense tous les éléments végétaux et il restitue chaque plante, chaque feuille, chaque fleur. Il écrit à son ami Rafols :

"Bonheur d'atteindre dans le paysage à la compréhension d'un brin d'herbe- pourquoi le dédaigner? - ce brin d'herbe est aussi beau que l'arbre et la montagne".

Son attention à la perfection des éléments du paysage qui pourraient nous paraître les plus insignifiants est à son comble dans l'exécution des arbres. Le pin et l'eucalyptus sont traités avec la précision d'une miniature persane. Les aiguilles et les feuilles sont rendues une à une d'un geste régulier, lent, reproduit avec une attention au rythme qui ne faiblit jamais. Les arbres ne forment pas une masse colorée, ils brodent une dentelle qui se déploie sur le ciel bleu et sur les nuages ouatinés. Une dentelle point par point, une calligraphie signe par signe, trait par trait.

Et cette calligraphie précieuse des arbres se pose sur un ciel renversant. Un ciel miroir qui réfléchit les sillons ordonnés, la géométrie des parterres, les gris colorés de la terre catalane. Dans le bleu du ciel, qui n'a pas encore l'intensité de l'azur céruléen des peintures des années 25-27, les nuages s'enroulent, s'effilochent, s'étirent en volutes vaporeuses.

Ce ciel invente un climat onirique,une atmosphère de rêve, une vision poétique. Sur la même toile Miró fait cohabiter un monde enraciné et un ciel irréel . L'espace géographique de sa terre entre en résonance avec le cosmos. Le peintre invente un espace intermédiaire, entre ciel et terre, qui contient un autre monde, double du nôtre.

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Deux œuvres en miroir

Kalila wa Dimna Le taureau Shanzabeh dans le pré 1410-1420 ( 12 cm X 15 cm) Téhéran Bibliothèque du Goulistân

Kalila wa Dimna de Baysonqur Le lion dévore le taureau. Hérat 1430 (15 cm X 17 cm) Istanbul Palais de Topkapi.

Kalila et Dimna les deux chacals donnent son titre au conte qui met en scène des animaux. Le taureau solitaire Shanzabeh mugit tellement fort qu'il terrorise toutes les bêtes. Il est donc condamné à vivre avec le roi des lions .

La miniature de Téhéran le montre au milieu d'une prairie de fleurs : la délicatesse du dessin est aussi admirable que la richesse des couleurs.

Le folio d'Istanbul est moins expressif dans la représentation des animaux qui semblent un peu figés mais le paysage est rendu de manière somptueuse.

Le potager à l'âne doit autant à l'admiration de Miró pour la miniature persane qu'à la connaissance complice de sa terre de Mont-Roig.

Janine Vittori Conseillère pédagogique départementale en arts

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