Migrants des Suds - COnnecting REpositories · 2016. 6. 14. · Tristan BRUSL É MIGRANTS DES SUDS...

506
Migrants des Suds Sous la direction de Virginie BABY -COLLIN Geneviève CORTES Laurent FARET Hélène GUÉTAT -BERNARD Presses universitaires de la Méditerranée

Transcript of Migrants des Suds - COnnecting REpositories · 2016. 6. 14. · Tristan BRUSL É MIGRANTS DES SUDS...

  • IRD

    Diffusion

    Migrantsdes Suds

    Sous la direction de

    Virginie BABY-COLLINGeneviève CORTESLaurent FARETHélène GUÉTAT-BERNARD

    Presses universitaires de la Méditerranée

    PULM

  • Migrants des Suds

  • Objectifs SudsLes défis du développement

    Collection généraliste consacrée aux grandes questions contemporainesrelatives au développement et à l’environnement. À travers des synthèsesou des éclairages originaux, elle rend compte des recherches pluridiscipli-naires menées par l’IRD en partenariat avec les pays du Sud pour répondreaux défis de la mondialisation et mettre en œuvre les conditions du co-développement.

    L’IRD souhaite ainsi répondre aux attentes d’un large public en lui offrantle résultat des réflexions des chercheurs et en l’informant de manièrerigoureuse sur les grands enjeux contemporains.

    Directeur de collection : Benoît Antheaume [email protected]

    Derniers volumes parus :

    Aires protégées, espaces durables ?C. AUBERTIN, E. RODARY (éd.)

    Les marchés de la biodiversitéC. AUBERTIN, F. PINTON, V. BOISVERT (éd.)

    Le monde peut-il nourrir tout le monde ?Sécuriser l’alimentation de la planèteB. HUBERT, O. CLÉMENT (éd.)

    La mondialisation côté SudActeurs et territoiresJ. LOMBARD, E. MESCLIER, S. VELUT (éd.)

    ONG et biodiversitéReprésenter la nature ?C. AUBERTIN (éd.)

    Le territoire est mortVive les territoires !B. ANTHEAUME, F. GIRAUT (éd.)

    Les virus émergentsJ.-F. SALUZZO, L. VIDAL, J.-P. GONZALEZ

    Développement durableDoctrines, pratiques, évaluationsJ.-Y. MARTIN (éd.)

  • Migrants des Suds

    Sous la direction de

    Virginie BABY-COLLIN

    Geneviève CORTES

    Laurent FARET

    Hélène GUETAT-BERNARD

    IRD ÉditionsINSTITUT DE RECHERCHE

    POUR LE DÉVELOPPEMENT

    Collection Objectifs Suds

    Marseille, 2009

  • Préparation éditorialeYolande Cavallazzi

    Mise en pageBill Production

    CorrectionsMarie-Odile Charvet Richter

    CoordinationCatherine Plasse

    Maquette de couvertureMaquette intérieureAline Lugand – Gris Souris

    La loi du 1er juillet 1992 (code de la propriété intellectuelle, première partie) n’autorisant, auxtermes des alinéas 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les « copies ou reproductionsstrictement réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’au-tre part, que les analyses et les courtes citations dans le but d’exemple ou d’illustration, « toutereprésentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur oude ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4).

    Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc unecontrefaçon passible des peines prévues au titre III de la loi précitée.

    © IRD, 2009

    ISBN IRD : 978-2-7099-1668-4ISBN Pulm : 978-2-84269-866-9ISSN : 1958-0975

  • Sommaire

    Présentation des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    Introduction générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15Geneviève CORTES et Laurent FARET

    Partie 1La construction du transnational . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27Introduction

    Stéphane DE TAPIA

    Chapitre 1

    Espace frontalier et articulation d’espaces sociaux transnationauxentre Mexique et États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

    Cristóbal MENDOZA

    Chapitre 2

    La circulation migratoire de footballeurs en Europe . . . . . . . . . . . . . . . 59Flux transnationaux de joueurs africains

    Raffaele POLI

    Chapitre 3

    Circulations migratoires des élites économiquesdans l’ouest du Cameroun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Le cas des « antiquaires »

    Honoré MIMCHE et Zénabou TOURÈRE

    Chapitre 4

    Processus historiques urbainset réseaux migratoires marocains à Turin, Italie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

    Giovanni SEMI

    Partie 2Trajectoires et ruptures géopolitiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119Introduction

    Luc CAMBRÉZY

    Chapitre 5

    Les Grecs de l’ex-Union soviétique à Chypre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Politiques des États et projets des migrants

    Kira KAURINKOSKI

    Chapitre 6

    Les impacts de l’opération Guardián (États-Unis)sur les flux et modèles migratoires mexicains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

    Luis Miguel RIONDA et Boris MARAÑÓN

  • Chapitre 7

    « Rapatriés » burkinabé de Côte d’Ivoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167Réinstallations au pays et nouveaux projets migratoires

    Sylvie BREDELOUP

    Chapitre 8

    Vers le nord ou vers le sud :les chemins de l’émigration nicaraguayenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

    Lucile MÉDINA-NICOLAS

    Partie 3Le migrant, un acteur du développement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209Introduction

    Hervé DOMENACH

    Chapitre 9

    Migrations internationales et mobilisation des ressources . . . . . . . 217les Maliens de l’extérieur et la problématique du développement

    Seydou KEÏTA

    Chapitre 10

    Transferts migratoires,trajectoires de mobilité et développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237Regards croisés sur la Bolivie et le Mexique

    Virginie BABY-COLLIN, Geneviève CORTES et Laurent FARET

    Chapitre 11

    Circuits, projets migratoires et envois d’argentdes migrants mexicains du Veracruz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

    Francis MESTRIES

    Chapitre 12

    L’évolution des stratégies migratoires des Burkinabéen Côte d’Ivoire et le rôle des réseaux communautaires . . . . . . . . . 279

    Alain BONNASSIEUX

    Chapitre 13

    Le principe du rendement décroissant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297La migration de retour comme une nouvelle émigration ?

    Jorge DURAND

    Partie 4Mise en projets et stratégies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319Introduction

    Catherine QUIMINAL

    Chapitre 14

    Dynamiques intrafamiliales et migration internationale . . . . . . . . . 327Obligations et ancrages des migrants du Veracruz (Mexique)

    Alberto DEL REY POVEDA et André QUESNEL

    Chapitre 15

    Les âges de la migration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349Cycle de vie, projets et rapports à l’espace des migrants népalais en Inde

    Tristan BRUSLÉ

    MIGRANTS DES SUDS6

  • Chapitre 16

    Stratégies scolaires et circulation des néo-immigrantsdans les banlieues étasuniennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

    David GIBAND

    Partie 5Cultes et rituels en mouvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 385Introduction

    Chantal BORDES-BENAYOUN

    Chapitre 17

    Espaces et mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393Circulation du vodou haïtien à partir de la Guyane

    Maud LAËTHIER

    Chapitre 18

    Migration bolivienne en Argentine et religiosité populaire . . . . . 413Pratiques culturelles, réseaux et cohésion sociale

    Susana María SASSONE

    Chapitre 19

    Vivants et morts dans les migrations mexicaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 431Un système de relations inscrit dans la mobilité

    Françoise LESTAGE

    Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453Virignie BABY-COLLIN et Hélène GUETAT-BERNARD

    Bibliographie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461

    Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 469

    Abstracts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487

    SOMMAIRE7

  • Présentation des auteurs

    Virginie [email protected]éographe, maître de conférence à l’université de Provence, membre de l’UMRTelemme (UMR 6570, « Temps, espaces et langages en Europe méridionale etméditerranéenne », Aix-en-Provence). Ses recherches portent sur les métropoleslatino-américaines et méditerranéennes, les pratiques citadines, la constructionde l’urbanité et les territorialités des groupes de migrants internationaux, entreAmérique latine et Europe méridionale (Espagne et France méditerranéenne).

    Alain [email protected], chercheur/ingénieur de recherche au laboratoire Dynamiques rura-les (UMR 1926, MEN et MAP) à Toulouse (UTM, Enfa, Ensat). Il travaille sur lesconstructions identitaires et territoriales, les mobilités spatiales et la gestion desressources (notamment l’eau) en Afrique de l’Ouest.

    Chantal [email protected] de recherche au CNRS, elle enseigne la sociologie à l’université deToulouse II-le Mirail et à l’EHESS. Membre du Centre d’anthropologie sociale dulaboratoire interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (Lisst), elle conduitdes travaux croisant la sociologie des migrations et des relations intereth-niques, la sociologie des religions et l’étude du fait juif contemporain. Elle afondé et dirigé le laboratoire Diasporas à Toulouse et avec Patrick Cabanel larevue Diasporas, histoire et sociétés (Presses universitaires du Mirail).

    Sylvie [email protected] de recherche à l’IRD (UMR laboratoire Population-Environnement-Développement de l’université de Provence). Elle explore les relations entremobilités spatiales, identités sociales et territoires urbains. Elle travaille dans lechamp de la sociologie des migrations africaines en interrogeant notammentles figures de l’aventurier dans la migration, les nouvelles migrations entre laChine et l’Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, RPC). Elle coordonnel’équipe « Circulations migratoires entre l’Afrique et le monde arabe et recom-positions socio-spatiales » au sein du LPED.

  • Tristan Bruslé[email protected]é de recherche au CNRS (UPR 299, « Milieux, Sociétés et Cultures enHimalaya »). Il s’intéresse aux migrations internationales de travail, à partir del’exemple népalais. Ses principaux terrains de recherche sont le Népal, l’Inde etle Qatar.

    Luc Cambré[email protected]éographe, directeur de recherche à l’IRD (UMR Ceped, université Paris-Descartes, Ined, IRD). Il travaille sur les migrations et mobilités en milieu rural ;les questions d’accès à la terre et les conflits de territoires ; les crises, conflits,asile et accueil des réfugiés en Afrique et en Amérique latine.

    Geneviève CortesGeneviè[email protected]éographe, maître de conférence habilitée à diriger des recherches à l’univer-sité Paul-Valéry de Montpellier. Ses recherches portent sur les migrations et lesmobilités spatiales dans leurs liens avec les constructions territoriales et lesenjeux du développement en Amérique latine et en Europe. Elle est directricedu laboratoire MTE « Mutations des territoires en Europe », unité mixte derecherche du CNRS et de l’université de Montpellier-III.

    Stéphane De [email protected] de recherche au CNRS, chargé de cours au département d’Étudesturques de l’université de Strasbourg et chargé d’une mission pour l’enseigne-ment du turc à l’Inspection générale de l’Éducation nationale. Il travaille sur ladéfinition et le fonctionnement des champs migratoires turcs entre l’Europeoccidentale, la Turquie et l’Asie centrale.

    Alberto del [email protected] en démographie (UAB, Espagne), chercheur au Centre d’études démogra-phiques (CED) de l’Université autonome de Barcelone (UAB). Il a travaillé plusieursannées sur les questions de famille et migration au Mexique. Il mène actuellementdes travaux concernant l’impact de la migration sur la fécondité en Espagne.

    Hervé [email protected]émographe-économiste, directeur de recherches à l’IRD (UMR laboratoirePopulation Environnement et Développement de l’université de Provence), ilétudie les processus migratoires, les distributions spatiales de population et lesmutations territoriales. Membre du comité de rédaction de la Revue euro-péenne des migrations internationales, co-directeur de la collection« Populations » aux éditions L’Harmattan, il est enseignant associé à l’IAR (uni-versité d’Aix-Marseille-III) et consultant pour l’Amérique latine del’Organisation internationale des migrations (OIM).

    MIGRANTS DES SUDS10

  • Jorge Durandjdurand@princeton-eduprofesseur d’anthropologie à l’université de Guadalajara et spécialiste de lamigration mexicaine aux États-Unis. Depuis 1982, il co-dirige, avec DouglasMassey, de l’université de Princeton, le programme de recherches « MexicanMigration project ».

    Laurent [email protected]éographe, professeur à l’université Paris-Diderot. Ses recherches portent surles dynamiques migratoires et les transformations territoriales en Amériquelatine. Il est directeur de la revue L’Ordinaire latino-américain et responsable del’axe « Circulations, réorganisations des territoires et gouvernance » de l’UMRSedet « Sociétés en développement dans l’espace et dans le temps ».

    David [email protected]ître de conférences en géographie, université Via Domitia Perpignan, UMR-FRE 302. Il travaille dans les champs de la géographie urbaine et sociale, l’édu-cation, les questions de gouvernance, des minorités, dans les contextesmétropolitains étasuniens (Philadelphie, New York, Chicago, Minenapolis,Saint Paul).

    Hélène [email protected]éographe et socio-économiste, maître de conférence habilitée à diriger desrecherches à l’université Toulouse-le Mirail. Ses recherches portent sur les rap-ports de genre et le développement rural et agricole, les mobilités spatiales etles modes d’habiter en France, au Brésil et en Afrique centrale. Elle est directriceadjointe du laboratoire Dynamiques rurales (UMR 1926, MEN et MAP),coresponsable de l’axe « Construction sociale du territoire et modes d’habiter »et de la collection « Ruralités nord-sud » aux Presses universitaires du Mirail.

    Kira [email protected], membre associé à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne,européenne et comparative (UMR 6591, Aix-en-Provence). Ses recherches por-tent sur les diasporas grecques post-soviétiques et les migrations transnationa-les de l’ex-Union soviétique vers les pays méditerranéens (la Grèce et Chypre),l’intégration culturelle, les constructions identitaires et les appartenances.

    Seydou Keï[email protected], attaché de recherche au Centre national de la recherche scien-tifique et technologique, à Bamako au Mali. Il mène des recherches dans lesdomaines des « Migrations et développement », « Institutions et gouvernancedes ressources naturelles » au Mali.

    PRÉSENTATION DES AUTEURS11

  • Maud Laë[email protected], elle a soutenu en 2007 une thèse intitulée « Être haïtien etmigrant en Guyane française » (EHESS-Paris). Elle poursuit ses recherches surles réseaux migratoires haïtiens entre Haïti, le Suriname et la Guyane dans lecadre d’un post-doctorat à l’IRD. Elle collabore au programme de recherche« Dynamiques des circulations migratoires et mobilités transfrontalières entreGuyane, Surinam, Brésil, Guyana et Haïti » (ANR-AIRD, Les Suds, aujourd’hui,2007).

    Françoise [email protected], professeur à l’université Paris-Diderot/Paris-VII et chercheur àl’Urmis, unité de recherche Migrations et Société (UMR 7032). Ses recherchesportent sur l’ethnicité, en particulier l’indianité dans les Amériques hispa-niques, sur les dynamiques familiales, sociales et étatiques induites par lessituations migratoires des Mexicains ainsi que sur les usages de la mort et lerapport à la mort en milieu migrant mexicain. Depuis 2007, elle est directricede l’UFR de sciences sociales de Paris-Diderot/Paris-VII.

    Boris Marañó[email protected]économiste, docteur en études latino-américaines et chercheur à l’Institut derecherche en économie de l’Université nationale autonome de Mexico (Unam).Ses travaux portent sur l’insertion des populations mexicaines dans l’économieet les marchés du travail, l’économie sociale ainsi que sur la gestion des res-sources naturelles.

    Lucile Mé[email protected]ître de conférences en géographie à l’université Paul-Valéry Montpellier-III etchercheur au sein du laboratoire Mutations des territoires en Europe(Montpellier). Elle consacre ses travaux aux dynamiques transfrontalières, qu’ils’agit de l’analyse des interactions sociales et économiques (migrations, cons-tructions identitaires) ou de la mise en place par le politique de processus dedéveloppement transnationaux (coopérations transfrontalières), sur des ter-rains centraméricains.

    Cristóbal [email protected] et chercheur en géographie à l’Université autonome métropolitaine-Iztapalapa de la ville de Mexico. Il travaille sur les migrations transnationalesentre les États-Unis et le Mexique dans une perspective comparative internatio-nale avec d’autres contextes, notamment africains.

    Francis [email protected] de sociologie, il coordonne le groupe de recherche en sociologierurale à l’Universidad Autónoma Metropolitana, Mexico. Ses recherches au

    MIGRANTS DES SUDS12

  • Mexique (Zacatecas, Veracruz, Chiapas) portent sur la crise agricole et la migra-tion internationale au Mexique, les unités domestiques paysannes et lesréseaux migratoires, les mouvements paysans et les politiques agricoles, et lesagro-industries.

    Honoré [email protected] en sociologie. Il travaille à l’Iford (Institut de formation etde recherche démographique) de l’université de Yaoundé-II au Cameroun. Seschamps de recherche concernent les liens entre migration, famille, éducationet santé en Afrique noire.

    Raffaele [email protected] en géographie des universités de Neuchâtel et de Franche-Comté, col-laborateur scientifique au Centre international d’étude du sport et maître-assis-tant à l’Institut des sciences du sport et de l’éducation physique de l’universitéde Lausanne.

    André [email protected]émographe, directeur de recherche à l’IRD, UMR 201 Développement etSociétés, université Paris-I/Ledes-IRD. Il a travaillé principalement sur les ques-tions de peuplement, migration et développement en milieu rural en Afriqueet en Amérique latine. Il travaille actuellement sur les questions de mobilité etrelations intergénérationnelles au sud du Mexique.

    Catherine [email protected] émérite à Urmis (Unité de recherche migrations et sociétés) del’université Paris-Diderot. Elle travaille sur les transformations induites par lamigration tant au niveau du politique dans les pays d’origine et d’installationqu’au niveau économique. Elle s’intéresse aux rapports de genre en situationmigratoire. Les flux étudiés concernent les migrants et migrantes d’origine sub-saharienne en direction de l’Europe mais aussi de l’Afrique du Sud.

    Luis Miguel [email protected] à l’université de Guanajuato au Mexique et membre du Systèmenational de chercheurs (SNI) depuis 1991. Il est spécialiste en études de lamigration internationale des travailleurs mexicains depuis 1982. Il a travailléparmi des migrants indigènes (Oaxaca) et métisses (Michoacan, Guanajuato). Ilétudie aussi la dynamique régionale de la politique mexicaine.

    Susana M. [email protected] en géographie (Universidad Nacional de Cuyo), chercheuse au Conicet(Consejo Nacional de Investigaciones CientíÌficas y Técnicas). Elle travaille auImhicihu (Instituto Multidisciplinario de Historia y Ciencias Humanas) de

    PRÉSENTATION DES AUTEURS13

  • Buenos Aires. Ses champs de recherche en géographie humaine portent plusparticulièrement sur les migrations nationales argentines (entre la régionmétropolitaine de Buenos Aires et les régions du Nordeste et de Patagonie).Elle travaille aussi à l’échelle internationale sur les migrations entre la Bolivie etl’Espagne.

    Giovanni [email protected], maître de conférences à l’université de Milan. Il s’intéresse auxdynamiques spatiales des mondes marchands, à l’ethnographie urbaine et àl’entreprenariat ethnique.

    Zenabou Tourè[email protected]économiste, chercheuse au CNE (Centre national d’éducation) du ministère dela Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun. Ses recherches s’ins-crivent plus particulièrement dans le champ de l’économie du développementet des rapports de genre et développement en Afrique centrale.

    MIGRANTS DES SUDS14

  • Les dynamiques de migration internationale sont depuis long-temps porteuses d’enjeux sociaux forts, tant pour les sociétésémettrices des flux que pour les sociétés réceptrices. S’il n’est enrien nouveau, le fait a pris une nouvelle importance dans lecontexte de la mise en relation multiforme des sociétés et des ter-ritoires que le processus de mondialisation sous-tend. La visibi-lité des questions migratoires, les interrogations que lesdéplacements de population posent et la façon dont les acteurspolitiques ou les opinions publiques s’emparent des débatsautour de ces questions apparaissent de plus en plus comme lestémoignages d’une transformation profonde des dynamiquessociales et économiques en ce début du XXIe siècle.

    Globalisation,fractures et compétences migratoires

    On peut considérer que le phénomène migratoire se situe à unmoment spécifique marqué par un triple contexte. En premier lieu,en s’inscrivant dans le processus global de mondialisation, les mobi-lités humaines continuent à participer, comme elles l’ont fait tout aulong de l’histoire mais sans aucun doute aujourd’hui de façon pluspoussée, à la mise en relation des sociétés à une échelle globale. À cesujet, il est sans doute vain de chercher à savoir si la migration est pro-duite par la mondialisation ou si la migration est l’une des facettes dece processus global. Il est plus important de constater combien lesflux migratoires s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte où a prisplace un ensemble d’autres flux, matériels et immatériels, entre desterritoires marqués par un fort niveau d’interdépendance réciproque.

    Introduction générale

    Geneviève CORTES

    Laurent FARET

  • Pour autant, et en deuxième lieu, frontières et fractures à l’échellemondiale continuent, à la fois en les produisant et en les limitant,à faire de la migration des hommes un processus à part, marquépar des champs de force, des contraintes, des recompositions,concourant à en faire un miroir des évolutions du Monde. Ainsiles dynamiques de la migration internationale, si elles participentbien de l’éventail des mobilités et des flux contemporains, présen-tent des spécificités qui ne permettent en aucun cas de les englo-ber dans ce processus de façon neutre et indifférenciée. Lesrecompositions à l’échelle mondiale donnent à la migration deshommes un caractère spécifique, précisément parce que le restedes mobilités se fait de façon de plus en plus fluide, de plus en plusrapide, et qui plus est dans un contexte qui tend à les valoriser trèslargement. L’inégale distribution des ressources et des pôlesmajeurs de développement, la mise en place de politiques restric-tives de la part des États ou, dans un autre domaine, les capacitésvariables des individus et des groupes à recourir à la mobilité res-tent des facteurs de différenciation forts qui ne s’estompent pas.

    En troisième lieu, les groupes en migration se déplacent avec leurhistoire, leurs valeurs et leurs pratiques. Ils rappellent, dans lecontexte d’aujourd’hui, que leurs mobilités s’inscrivent forcémentdans des temporalités et des formes sociales spécifiques, quiimprègnent les territoires et les sociétés qu’ils investissent. Si cedernier point n’est pas nouveau, il répond à des logiques différen-tes aujourd’hui dans la mesure où les groupes en mouvementdéveloppent des compétences à s’organiser selon de nouvellesformes d’articulation sociale et territoriale, où les expériencesdans les lieux d’installation peuvent plus facilement s’articuleravec le maintien de liens dans les régions de départ, où l’évolu-tion des technologies de transport et de communication offre auxgroupes multi-localisés des possibilités nouvelles, où les mobili-sations collectives occupent aujourd’hui une place qui transcendelargement la somme des expériences individuelles.

    La complexification migratoire au prismedes logiques d’acteurs et des trajectoires

    En postulant que la complexification des systèmes migratoires estl’une des tendances fortes des dynamiques contemporaines, le

    MIGRANTS DES SUDS16

  • parti pris de l’ouvrage est d’éclairer les mécanismes qui la sous-tendent en s’attachant au redéploiement des logiques et des systè-mes d’acteurs. Il s’agit de réexaminer, d’une part, comment le jeudes différents acteurs de la migration s’organise dans un environne-ment où les interrelations entre les dynamiques qui produisent etsupportent la mobilité sont de plus en plus croisées. Il s’agit d’au-tre part de produire une lecture dialectique des trajectoires de lamigration en accordant du sens aux mécanismes et aux « temps »de la formulation et de la réalisation des projets migratoires. Carsi des formes plus complexes existent et se déploient, c’est engrande partie parce que des acteurs organisés ont pu produire, defaçon plus ou moins formelle, plus ou moins pérenne, plus oumoins contrainte, des dispositifs nouveaux dans lesquels les for-mes de mobilité s’articulent à un ensemble de dynamiques socia-les qu’elles contribuent à redéfinir en profondeur.

    Mais qui sont ces acteurs de la mobilité internationale ? De touteévidence, et en premier lieu, les migrants eux-mêmes, à l’origineet au cœur des processus. Lire de manière dialectique l’évolutiondes réalités migratoires et des enjeux qui les accompagnent sup-pose d’analyser les pratiques des individus et des groupes enmigration dans le contexte des logiques structurelles et des évo-lutions historiques dans lesquelles ces mobilités s’inscrivent.L’hypothèse qui préside alors l’ouvrage est que l’observation deces pratiques migratoires permet de comprendre, de façon fine, ledéfi posé par la complexification des dynamiques. Partir de « l’ac-teur migrant » positionné, le considérer dans un ensemble dechamps qui relèvent du politique, de l’économique, du social etdu culturel, c’est chercher à comprendre comment la mise enœuvre de son projet renvoie à la fois à des conjonctures spéci-fiques et à des systèmes de valeur. C’est chercher à lire de façonaussi plurielle que possible la signification de ses pratiques et deses stratégies, à interroger de ce fait les modes de validation deson expérience migratoire. C’est aussi saisir la complexificationdes profils migratoires qui, loin de répondre au modèle uniqued’une migration temporaire d’hommes en âge de travailler, majo-ritairement peu qualifiés et en provenance des zones rurales, ten-dent de plus en plus à se diversifier. Participent désormais desmouvements migratoires les femmes et les familles, sans que cesmobilités relèvent toujours du seul regroupement familial mais

    INTRODUCTION GÉNÉRALE17

  • constituent aussi des flux de travailleurs spécifiques ; des popula-tions jusqu’alors concernées de façon plus limitée, en particuliercelles de niveaux de formation intermédiaire ou supérieure ;enfin, des migrants provenant des aires urbaines, quand la villeavait d’abord eu vocation à être dans ces pays d’origine, à toutesles échelles, le réceptacle traditionnel des migrations internes.

    Au-delà du migrant lui-même qui, en tant qu’individu, vit l’expé-rience du déplacement et de l’ailleurs, il s’agit de tenir compte ensecond lieu des autres types et niveaux d’acteurs de la migrationet, en particulier, de ceux qui relèvent des organisations collecti-ves et des réseaux sociaux. Si la famille (proche et élargie) cons-titue le référent incontournable des logiques migratoiresindividuelles – et cela demeure d’autant plus valable dans lessociétés des Suds – la communauté d’appartenance, les associa-tions, les collectifs de migrants participent pleinement de cettecomplexification du système d’acteurs. Enfin, la nécessité de pla-cer les logiques des migrants en regard des contextes plus largesqui les englobent, tant du point de vue économique que du pointde vue des mesures politiques qui ont vocation à les encadrer,nous conduit à considérer des acteurs « exogènes » aussi diversque l’État, les entreprises ou encore, par exemple, les organismesintervenant dans les transferts monétaires (banques, coopérati-ves, etc.).

    S’interroger parallèlement, comme corollaire des logiques d’ac-teurs sur les « trajectoires » associées aux mobilités internationa-les, c’est tenter de décrypter les différents parcours, les diverscheminements sociaux et spatiaux construits « dans et par » lamigration. Les trajectoires spatio-temporelles, tout d’abord, qui ren-voient plus spécifiquement à l’élargissement et à la diversificationdes formes de la mobilité, sont probablement le domaine danslequel la complexification migratoire est la plus manifeste. Il estdésormais largement acquis que les temporalités de toute migra-tion sont multiples, que la réversibilité des flux est partie pre-nante de la migration, que les mobilités s’inscrivent dans un cadreoù installation, retours, reprise de mobilité, double résidenceconstituent les battements d’un processus inscrit dans les évolu-tions d’un environnement plus large. Combinaisons de facteurs etmultiplicité des motivations ont ainsi contribué à définir des for-mes migratoires plurielles où les anciennes catégories entrent en

    MIGRANTS DES SUDS18

  • résonance, rendant parfois floue la limite entre des catégoriesusuelles que l’histoire de chaque flux invite à reconsidérer. Desprocessus de déplacements forcés et de recherche d’asile laissentpar exemple place –ou au contraire viennent succéder– à deslogiques relevant de l’exode économique. Des formes de séjourtemporaire s’articulent avec l’existence de vastes communautésrésidantes, installées depuis plus longtemps et servant de pointd’appui pour d’éventuelles nouvelles formes de dispersion. Demême, des statuts légaux multiples peuvent coexister au sein desfamilles, conduisant à des perspectives d’installation et de devenirsouvent complexes et indécises.

    Enfin, la complexification des systèmes migratoires s’observe dansune distribution géographique des flux devenue très hétérogène,avec des mouvements largement imbriqués les uns aux autres,associant mobilité des travailleurs avec déplacement des proches,pratiques de retour-visite ou de tourisme : quand certains espacesde polarisation à l’étranger sont devenus mondiaux, les rapportstraditionnels de déplacement entre des pays voisins ou marquéspar des liens historiques ne constituent plus qu’une partie dupaysage migratoire. C’est ainsi que la multiplication des destina-tions au gré de contextes économiques et politiques variables,de même que la circulation entre les différents pôles atteints àl’étranger donnent lieu à des trajectoires complexes, sur des dis-tances de plus en plus importantes. Il en résulte, alors, une inter-rogation plus large sur les trajectoires territoriales produites par lamigration, sur le devenir de ces espaces et de ces lieux« pris » dans les turbulences migratoires, soumis à des transfor-mations plus ou moins rapides, plus ou moins lisibles, dans lecadre des circulations qui les traversent. Les mutations affectenttout autant les espaces frontaliers comme lieu de passage, detransit ou d’installation, que les villes ou quartiers comme lieuxréceptacles des migrants, ou encore les régions d’origine où sepose la question de l’impact des transferts de biens et d’argent surle développement local ou régional.

    Ainsi, de quelle façon se construisent les trajectoires des migra-tions internationales ? Dans quel rapport avec l’environnementdes flux et selon quelles temporalités ? À partir de quelles carac-téristiques spécifiques et en regard de quels objectifs se dévelop-pent-elles ? Comment mobilisent-elles des niveaux différents

    INTRODUCTION GÉNÉRALE19

  • articulant logiques individuelles, familiales, sociales ? Au-delàdes dynamiques propres à chaque situation migratoire, de la sin-gularité des logiques d’acteurs et des trajectoires, c’est la façondont les individus et les groupes migrants ont apporté des répon-ses au contexte macroéconomique et géopolitique de leur mobi-lité, également la façon dont ils se sont projetés eux-mêmescomme sujets de cet environnement et de ses transformationspermanentes, qui constituent le fil directeur de l’ouvrage. On levoit, le projet est ici de décaler le regard depuis un cadre explica-tif classique, celui des déterminants macro-économiques, expri-més en termes de forces d’attraction et de répulsion, de prise encompte globale des flux, vers une approche où la question desprojets migratoires, des initiatives et des ajustements occupe uneplace plus importante. Pour autant, le but des analyses dévelop-pées ici n’est pas de construire une lecture en opposition, insen-sible au rôle des déterminants d’une macro-analyse, mais bien dela compléter, à un moment où précisément la variété des formesde la migration et la diversité des cadres du mouvement rendentnécessaire cet élargissement des grilles d’analyse : la lecture etl’interprétation des stratégies ne peuvent se faire que dans uncadre continuellement marqué par les enjeux socio-économiqueset géopolitiques qui entourent les acteurs et participent des tra-jectoires migratoires.

    Il est alors entendu que les hommes et les femmes dont il est ques-tion dans cet ouvrage ne forment pas un seul et même ensemble,et la diversité des situations analysées le rappelle constamment.Ils partagent pourtant un élément commun, celui d’avoir expéri-menté une mobilité spatiale au-delà de frontières nationales. Encela, ils se sont inscrits, de façon plus ou moins intentionnelle,plus ou moins maîtrisée, dans un autre rapport à la fois à leurmilieu d’origine et aux environnements dans lesquels ils se trou-vent projetés dans les pays de destination. Ce sont des expérien-ces d’inscription socio-identitaire, économique ou politiquespécifiques, de territorialités et de temporalités autres qu’ils ont euà vivre. Identifier et comprendre ces formes d’inscription consti-tuent sans aucun doute des enjeux à l’heure d’analyser, plus glo-balement, la place qu’occupent les migrations internationales etles mobilités humaines dans le monde actuel.

    MIGRANTS DES SUDS20

  • Croiser les regards,saisir les pluralités migratoires des Suds

    Cet ouvrage collectif, fruit d’une partie des échanges et des débatsscientifiques qui se sont tenus, en mars 2005 à Toulouse, à l’occa-sion du colloque « Circulations et territoires dans la migrationinternationale »1, joue sur trois registres d’analyse.

    Nous faisons le choix d’une approche centrée de façon dominantesur les migrations impulsées dans les pays du Sud. Il ne s’agit paspour autant de questionner le fait migratoire dans le seul cadredes rapports Nord-Sud mais également dans celui des reconfigu-rations qui se jouent au sein des Suds, à des échelles territorialesvariées, celles des nations, des régions, des métropoles, etc. C’estla raison pour laquelle une certaine place est donnée aux trajec-toires Sud-Sud, tant on sait que c’est aujourd’hui à la fois l’une desdimensions essentielles de l’évolution des systèmes migratoires àl’échelle mondiale et le terrain d’une accumulation de connais-sances encore fortement lacunaires. Il n’est pas inutile de rappe-ler par ailleurs combien les Suds, pour utiliser le vocable de plusen plus communément admis, constituent un ensemble compo-site, dont l’hétérogénéité se retrouve dans les dimensions migra-toires de façon tout aussi marquée qu’elle s’observe dans la variétédes processus et des rythmes du développement économique ouhumain. Si cette hétérogénéité des niveaux de développementdemeure une composante majeure des configurations migratoi-res, la lecture par les acteurs et les trajectoires en autorise ledépassement.

    Le projet a ainsi pour ambition de mettre en regard des question-nements posés dans des contextes nationaux et internationauxvariés, portant sur des flux en provenance d’Afrique, d’Amériquelatine et d’Asie en articulation avec des espaces d’installation dansces mêmes régions tout comme en Europe et en Amérique duNord. De même, l’enjeu du propos est d’explorer une pluralité de

    INTRODUCTION GÉNÉRALE21

    1 Cette rencontre a été organisée par les équipes Cirus-Cieu, Ipealt etDynamiques rurales de l’université de Toulouse le Mirail et l’équipe MTE del’université Paul-Valéry de Montpellier. Elle a bénéficié du soutien du CNRS, duministère des Affaires étrangères, de l’AUF, du Fasild, du conseil régional Midi-Pyrénées et de la mairie de Toulouse.

  • situations migratoires (migrations économiques, légales ou illéga-les, déplacements forcés, retours, etc.) qui concernent diversescatégories d’acteurs en mobilité (paysans, citadins, footballeurs,antiquaires, etc.). En cela, l’ouvrage permet des mises en parallèleet des confrontations d’expériences, mais invite aussi à replacerles analyses dans des contextes précis : motivations, contrainteset modalités migratoires ne sont pas les mêmes selon les environ-nements culturels, politiques et économiques dans lesquels s’ins-crivent les flux.

    Enfin, prétendre à un positionnement par les jeux d’acteursnécessite de prendre le risque d’un croisement des perspectivesdisciplinaires et d’en exploiter les complémentarités. Les auteursde cet ouvrage, géographes, démographes, anthropologues etsociologues, mobilisent ainsi les appareils théoriques et méthodo-logiques qui sont les leurs pour éclairer les différents registres etfacettes de la mobilité internationale. L’intention est d’associer deschercheurs issus de milieux de pensée distincts, des Nordscomme des Suds, permettant un décloisonnement des regards etune diversité d’interprétation. Au-delà, les analyses développéesici ont en commun d’être fondées sur des études de cas, des tra-vaux de terrain où enquêtes et observations fines donnent à voirla complexité des processus à l’œuvre et la panoplie des échellespour les appréhender.

    Décliner plusieurs entrées thématiques

    La première partie de l’ouvrage, intitulée La construction du trans-national et introduite par S. De Tapia, aborde la question des for-mes d’articulation et d’interdépendance auxquels les fluxmigratoires participent dans les contextes économiques contem-porains. Les conditions et les modalités de construction d’espacestransnationaux de mobilité, tout comme la spécificité des dyna-miques migratoires qui en résultent, sont ici revisitées à partir decas singuliers comme les mobilités internationales de footballeurs(contribution de R. Poli) ou des antiquaires africains (H. Mimcheet Z. Tourère), ou en se centrant sur la qualification de certainsespaces frontaliers (C. Mendoza sur le cas Mexique-États-Unis)ou urbains (G. Semi à propos des Marocains à Turin).

    MIGRANTS DES SUDS22

  • La deuxième partie, intitulée Trajectoires et ruptures géopolitiquesest introduite par L. Cambrézy. Elle s’intéresse à la production dedynamiques migratoires spécifiques là où une recomposition desenvironnements politiques conduit à des mises en mouvementforcées de populations et génère des dispositifs fortement contrai-gnants pour la mobilité internationale. Alors que la situation desrapatriés burkinabé de Côte d’Ivoire (S. Bredeloup) relève du pre-mier cas, les entraves de la politique états-unienne à la mobilitédes migrants mexicains (L. M. Rionda et B. Marañón) relève dusecond. Dans le cadre d’une reconfiguration d’espaces politiquesrégionaux, c’est la question du rapport entre les trajectoires et lespolitiques d’encadrement des flux qui est posée pour les Grecs del’ex-Union soviétique (K. Kaurinkoski) et les Nicaraguayens auCosta Rica et aux États-Unis (L. Médina).

    La troisième partie, intitulée Le migrant, un acteur du développe-ment et introduite par H. Domenach, permet d’interroger la portéedes formes migratoires actuelles et des types de liens entretenusavec les régions d’origine sur le processus de développement dansces régions. Dans quelle mesure la migration peut-elle apparaîtrecomme une dynamique participative du développement ? Et quelrôle joue l’acteur migrant dans cette dynamique ? Ces questionssont posées en termes différents, entre formes socioéconomiquesd’action, possibilités d’inscription politique et reconfiguration dusentiment identitaire dans le cas des Maliens de l’extérieur(S. Keïta), des Burkinabé en Afrique de l’Ouest (A. Bonnassieux) etdes Mexicains aux États-Unis (F. Mestries). Une approche compa-rée s’intéresse au rapport entre les formes migratoires et les modesd’investissement des transferts monétaires dans les cas boliviens etmexicains (V. Baby-Collin, G. Cortes, L. Faret). À partir d’une per-spective plus théorique, la question du rendement décroissant dela migration et son effet sur les retours est posée (J. Durand).

    La quatrième partie, intitulée Mise en projets et stratégies et intro-duite par C. Quiminal, traite des modes d’organisation des collec-tifs en migration et des logiques de structuration des flux qui endécoulent à différentes échelles. Les stratégies et les modes opéra-toires des acteurs individuels sont ici placés dans l’environnementsocial qui leur donne sens, à l’échelle des familles, des communau-tés locales d’origine ou au sein des dispositifs sociaux développésdans la migration. Pour les Népalais en Inde (T. Bruslé) et les

    INTRODUCTION GÉNÉRALE23

  • migrants originaires de Veracruz au Mexique (A. del Rey etA. Quesnel), cycles de vie et rapports familiaux sont des clefs delecture des formes migratoires. Dans le cas de différents groupesmigrants à Philadelphie (D. Giband), les stratégies scolaires obser-vées relèvent aussi de la mobilisation différenciée de compétencessociales.

    La cinquième et dernière partie, intitulée Cultes et rituels en mouve-ment et introduite par C. Bordes-Benayoun, aborde la thématiquede la permanence et de la recomposition des dynamiques culturel-les qui entourent et supportent les pratiques migratoires. À traversdes questions comme l’attache à la terre des origines, la mise enmouvement des symboles et des référents religieux ou l’inscriptionde la mobilité dans la mémoire collective, les enjeux identitaires etsociaux sont questionnés. Les cas mobilisent ici un éventail dedimensions largement entrecroisées autour des pratiques populai-res religieuses des Boliviens en Argentine (S. Sassone), des straté-gies mémorielles ancrées sur un capital religieux chez les Haïtiensen Guyane (M. Laëthier) et des attitudes et pratiques liées à lamobilité des défunts au Mexique (F. Lestage).

    Au final, le lecteur pourra regretter certains silences de l’ouvrage.Par exemple, une approche plus spécifique des enjeux politiqueset citoyens de la migration internationale. À la lumière desrecompositions économiques, sociales et culturelles analysées,qu’en est-il du positionnement du migrant au regard des ques-tions de citoyenneté, de ses droits, de sa participation politique ?À une échelle plus collective, où et comment se pose la questionde la reconnaissance institutionnelle des migrants ? Ces dimen-sions sont pourtant transversales dans l’ouvrage, en filigrane dansplusieurs contributions. La situation d’illégalité, et donc de mar-ginalité juridique et sociale de nombreux migrants des Suds, ledurcissement des contrôles migratoires et ses conséquences à lafrontière mexicaine, les impositions aux mobilités burkinabé, lesformes imparfaites de reconnaissance collective des Maliens etdes Nicaraguayens renvoient, dans des registres différents, à laquestion des migrants en tant que sujets d’un corps social et poli-tique que leurs expériences font éclater.

    Enfin, le parti pris de l’ouvrage engageant le lecteur dans uneréflexion sur « l’acte migratoire » et les trajectoires sociales et ter-

    MIGRANTS DES SUDS24

  • ritoriales que trace le migrant invite de manière implicite à unrepositionnement des démarches et des dispositifs méthodolo-giques. Là aussi, les apports croisés des différentes contributionsméritent d’être relevés. Nombreux sont les auteurs qui, à partird’enquêtes de terrain, développent des outils de mesure des fluxet des transferts (de biens, d’argent, d’information), proposent denouvelles catégorisations d’acteurs, ainsi que des lectures origina-les de la combinaison des temporalités et des échelles spatiales dela mobilité. La richesse des contributions procède également dusouci de pénétrer « l’intimité des mondes migratoires » : restituerles itinéraires et les moments des parcours, rendre compte derécits d’expériences, décrypter les discours et les pratiques enobservant les migrants dans leurs lieux et leurs milieux. Ces lec-tures démographiques, sociologiques, anthropologiques et géo-graphiques, souvent attentives aux micro-phénomènes,permettent ainsi d’éclairer les mécanismes subtils qui fondent lesprocessus décisionnels, les enchevêtrements relationnels, les stra-tégies et les modes d’organisation des individus, des familles etdes groupes en déplacement. C’est la substance même des mobi-lités internationales et leurs pulsations dans le monde d’aujour-d’hui qui sont mises à jour.

    INTRODUCTION GÉNÉRALE25

  • 27

    Partie 1

    La constructiondu transnational

  • La migration est sans doute aussi vieille que l’humanité. Dès lespremiers âges des hominidés, la mobilité est liée au besoin d’as-surer au groupe comme à l’individu membre du groupe lesconditions minimales de la survie et de la reproduction del’espèce, dans un monde parfois hostile et toujours changeant.Ce ne sera que bien plus tard qu’il sera question de limites fixes,de bornes et de frontières, quand bien même tout ce qui vit estamené à déterminer son territoire. Sans aucunement faire icil’historique de la civilisation, de la culture, de la mobilité ou dela migration, force est de constater que la nation, qui nous sem-ble si évidente, n’est qu’un développement très récent de la ter-ritorialisation d’un groupe humain. Elle est mieux ancrée dansles cultures européennes et issues de la culture occidentale(Amérique du Nord, du Centre et du Sud, Australie-Nouvelle-Zélande…) que dans bien des cultures et civilisations non euro-péennes, où la notion d’État est ancienne – comme la Chine, laCorée, le Japon ou le Viêt-nam. Ces dernières ont pourtant cons-truit également leur identité sur une équation culture-langue-religion-territoire tout aussi ancienne (sinon plus) qu’en Europe,née de l’Antiquité gréco-latine, par ailleurs fortement remaniéepar les invasions barbares que les descendants des principauxintéressés appellent simplement les Völkerwanderungen ou« migrations de peuples » et les historiens français les « Grandesinvasions » ou les « Invasions barbares ». Aussi la notion denational, opposée à transnational, mérite-t-elle d’être dûmentinterrogée, qu’il s’agisse de populations externes faisant irrup-tion dans la « stabilité » de l’État-nation de type européen (donton soulignera à nouveau le caractère relativement récent) ou depopulations vivant dans le cadre « national » d’États encore plusrécents nés de la colonisation européenne, quelles que soientleurs bases historiques par ailleurs : Irak, Égypte, Iran, Corées,Mexique ou Pérou, pour ne citer que ceux-là, ont des racineshistoriques et culturelles bien plus ancrées dans le passé quebien des États européens.

    Cette partie se compose de quatre contributions. CristóbalMendoza étudie le rôle de l’espace frontalier dans l’articulationdes espaces transnationaux Mexique-États-Unis. Raffaele Polianalyse la circulation des joueurs dans l’espace européen dufootball professionnel. Honoré Mimche et Zénabou Tourère se

    LA CONSTRUCTION DU TRANSNATIONAL29

  • penchent sur la circulation migratoire des élites économiquesde l’Ouest-Cameroun et, en particulier, le cas des antiquaires.Enfin, Giovanni Semi présente les réseaux migratoires maro-cains et les processus historiques urbains à Turin. Ces contribu-tions sont de fait très diverses, tant par les populations étudiées(footballeurs africains du Centre-Ouest du continent, antiquai-res de l’ethnie bamoun au Cameroun, Mexicains, Marocains)que par leur inscription spatiale (transcontinentale, transfronta-lière, bilatérale) et l’échelle de l’observation (transcontinentale,continentale, locale). Il est difficile d’y faire la part entre trans-nationalisme, circulation migratoire, migration internationale,mobilités entravées par des frontières exogènes ou espace circu-latoire. Le fait certain est bien, selon l’expression d’AlainTarrius, l’apparition d’un paradigme migratoire, mais il est ici,comme d’ailleurs tout au long de l’ouvrage, particulièrementpolymorphe et multi-dimensionnel.

    La question posée par Giovanni Semi (continuité du modèlemigratoire ou rupture et discontinuité de ce même modèle ?)est tout sauf anodine. Il n’est donc de transnational queconfronté au national, qu’il soit transnational de facture récentecomme les diasporas ouvrières ou prolétaires (dirait GildasSimon ou Gabriel Sheffer) ou hérité de périodes antérieurescomme les vieilles diasporas ou diasporas archétypales (selon ladéfinition d’Alain Médam), ou encore pseudo-diasporas(lorsque le territoire national, sous l’effet d’événements exter-nes, se rétracte sous les pieds des populations dispersées parl’histoire ou l’économie). C’est le cas des Turcs issus de l’Empireottoman à Chypre et dans les Balkans, des Russes des nouvellesrépubliques indépendantes, des Maures et Touaregs des indé-pendances d’après l’Afrique Occidentale française, des Kurdesottomans devenus citoyens de nouveaux États ou encore desPeuls tout à coup fractionnés par de nouvelles frontières inter-nationales qu’ils n’ont aucunement souhaitées ou qui ne cor-respondent pas à leurs pratiques de l’espace.

    Les quatre contributions mettent en exergue des formes parfoistrès sophistiquées de précarité sociale et d’instabilité géogra-phique liées à la migration. Précarité sociale ou précarité juri-dique ne signifient pas pauvreté : antiquaires camerounaiscomme footballeurs d’Afrique subsaharienne « s’en sortent plu-

    MIGRANTS DES SUDS30

  • tôt bien », comparés à leurs compatriotes restés au pays, maiscette ascension sociale, sanctionnée par des revenus bien supé-rieurs à ceux de leurs proches et voisins, reste fragile. Pour l’ins-tant, rien n’indique une réelle stabilisation, ni dansl(es)’espace(s) d’accueil, ni dans l’espace d’origine et de retouréventuel. Les Mexicains étudiés par Cristóbal Mendoza sont, ouparaissent a priori, plus proches du migrant classique et lesMarocains de Turin en situation intermédiaire entre les deuxmodèles. Dans tous les cas, les distinctions habituelles d’immi-gré, émigré, régulier, irrégulier, voire migrant temporaire ou entransit, sont peu opérantes.

    Cristóbal Mendoza propose d’abord une revue des concepts etdes théories en cours dans les recherches américaines et mexi-caines sur les flux migratoires sud-nord, entre Mexique et États-Unis. Sa contribution est suivie d’une riche bibliographie sur lethème du transnationalisme, repris sous de nombreuses dénomi-nations. Les interrogations des chercheurs sont à la fois très pro-ches de celles des Européens, mais jouent de fait un rôleimportant dans la définition de nouveaux concepts européens.Les concepts et notions abordés et interrogés, ici centrés sur lecas d’école mexicain (apport d’une enquête originale sur lesagglomérations frontalières mexicano-américaines : Tijuana,Mexicali, Nogales…), sont ceux d’hyperespace ou espace-tiers,de communautés, de localités et d’espaces transnationaux, dechamp/espace/circuit migratoire transnational, de réseau migra-toire, de lieu transfrontalier… Les résultats de l’enquête mon-trent que, si une partie des migrants se trouve très proche desschémas les plus classiques de la migration internationale de tra-vail, il faut impérativement tenir compte de la démographie et dela pyramide des âges comme de « l’effet-frontière », fortementrenforcé par les autorités étatsuniennes. Cet « effet-frontière »,très fort entre Mexique et États-Unis, est également apparu surles rives de la Méditerranée et en Europe de l’Est, sous le coupde la définition de l’espace « Schengen ». Il est donc difficiledans le cas mexicain de faire la part entre nouvelles migrationset effet-frontière. Toujours est-il que l’auteur montre bien ladiversification des flux migratoires mexicains depuis quelquesannées, diversification comparable à ce que l’on observe surd’autres continents.

    LA CONSTRUCTION DU TRANSNATIONAL31

  • Raffaele Poli applique dans l’exemple de l’étude des footballeursafricains professionnels (et candidats à ce métier) les notions demigration transnationale et de circulation migratoire. Pour êtretrès spécifique (faibles effectifs, migrants jeunes et exclusivementmasculins, fortes rémunérations espérées, forte mobilité), cettemigration illustre bien les nouvelles tendances et nouveaux fluxmigratoires. La question de l’autonomie réelle des migrants estici posée face au fonctionnement du marché spécifique de recru-tement de joueurs professionnels. Les migrants sont ici confron-tés à un marché libre, faiblement réglementé dans les faits (alorsqu’il existe une réglementation assez contraignante favorable auxjoueurs). Une typologie des espaces est présentée : « espaceplate-forme », « espace d’aboutissement », « espaces tremplin »,« espace relais », permettant de comprendre le fonctionnementde cette migration. Cet exemple, encore une fois très spécifique,montre les effets de la mondialisation, où, sur une part de rêvedes jeunes Africains essayant de se hausser au niveau internatio-nal (hauts salaires, célébrité, considération), se jouent des méca-nismes de marché purement économiques.

    Honoré Mimche et Zénabou Tourère, dans leur contribution surles « antiquaires », montrent comment une ethnie, les Bamoun,un groupe relativement marginalisé dans l’économie nationaledu Cameroun, réussit à inverser une situation de crise en valori-sant d’abord un savoir-faire ancien, y compris par les exclus dela modernité économique. Une nouvelle classe sociale « privilé-giée » de migrants est née, en mobilisant ce savoir-faire tradi-tionnel de la forge et une capacité de construction de réseauxmigratoires sur un vaste espace, allant de l’Afrique au Moyen-Orient, aux États-Unis et au continent européen. On pense auxnombreux travaux maintenant classiques sur les Mourides séné-galais comme à ceux, récents, d’Alessandro MONSUTTI (2004) surles Hazaras d’Afghanistan, où la mobilité et la construction deréseaux reposant avant tout sur la confiance entre individus, au-delà d’un premier cercle familial et ethnique, permet de gérerintelligemment une situation de crise profonde comme la margi-nalité économique pour les Bamoun ou la longue guerre civilepour les Hazaras. La migration chez les Bamoun est presqueexclusivement masculine, spécialisée sur un commerce très spé-cifique d’antiquités « réelles », au sens d’objets anciens vendus

    MIGRANTS DES SUDS32

  • comme tels, ou d’artisanat reposant sur des productions tradi-tionnelles qui, tout en gardant une authenticité de facture,s’adaptent aux demandes des marchés. La migration repose aussisur des filières migratoires spécialisées par quartiers de résidencedans la ville au centre de la région d’émigration : Foumban. Lesmigrants se désignent d’après leur destination principale et lesquartiers se réorganisent autour de ces spécialisations. Lesmigrants circulant sans cesse, les catégories classiques d’immi-grés, émigrés ou même de migrants en transit n’ont pas de sens,ce qui est un autre point commun avec l’étude d’A. Monsutti.

    Giovanni Semi, à partir d’une description détaillée des acteurset du fonctionnement du marché du quartier de Porta Palazzo(Turin), s’interroge sur la définition actuelle du transnationa-lisme, appliquant la notion de circulation aux populationsimmigrées ou migrantes successives qui ont animé le quartierdepuis 1853, date de la fondation du marché. Il aborde la ques-tion, qui lui semble centrale, de la vision des chercheurs autourde la relation entre continuité et discontinuité dans les proces-sus historiques de circulation de migrants entre pays d’origineet lieux d’arrivée. Le contraste s’organise autour d’un lieu (rela-tivement) fixe dans son implantation urbaine et ses caractéris-tiques sociales (malgré des populations qui se sont succédé, desmigrants internes italiens aux courants actuels, très diversifiésde Marocains, Chinois, Mexicains, Philippins, Albanais…) etun fonctionnement très fluide reposant sur des interrelationsentre populations, stables et instables, intégrées et non inté-grées, nouvelles et anciennes, qui se côtoient sans heurts mani-festes, où la confiance est la norme de base des relations entreindividus et groupes. L’interrogation porte aussi sur l’émergenced’une économie de bazar (en référence aux travaux d’AlainTARRIUS (1995) ou ceux de Michel PÉRALDI (2001) à Marseille-Belsunce). La question de la « nouveauté » de ce mode de rela-tions interethniques est fondamentale, car, se référant auxtravaux des historiens turinois, Giovanni Semi fait remarquerque ce type de relations existe depuis longtemps, même si ladiversification des acteurs présents ou la modification des hori-zons des migrants, venus de plusieurs continents et non plus deplusieurs régions d’Italie ou du bassin méditerranéen, peut êtrejustement le fait nouveau.

    LA CONSTRUCTION DU TRANSNATIONAL33

  • Si l’on peut se référer, une fois encore, à la thèse d’AlessandroMonsutti ou au petit ouvrage de Stéphane DUFOIX (2003) sim-plement intitulé Les diasporas, je dirais que « circulation migra-toire », comme « transnationalisme » ou « diaspora », commenceà « parler tout seul », tant les acceptions de cette expression,plus française (et peut-être assez facilement appréhendée enespagnol) qu’anglo-saxonne, commence à envahir le lexique dela « migratologie »1. Autant pris isolément, migration, mobilité,circulation, ont des sens reconnus et relativement bien cernés,autant circulation migratoire, diaspora ou transnationalisme,désignent des phénomènes migratoires fortement divergents, lepoint commun étant la nouveauté de la forme migratoire ou dela population intéressée.

    Stéphane DE TAPIA

    MIGRANTS DES SUDS34

    1 Pour reprendre un terme, néologisme un tantinet provocateur, mais riche desens, de Hervé DOMENACH : « De la migratologie », 1996.

  • Le rôle de l’espace et des lieux comme éléments d’analyse, d’inter-prétation et de compréhension des processus migratoires est l’ob-jet d’un débat qui reste à conduire dans la littératuredémographique. Dans un grand nombre d’études sur les migra-tions internationales, les espaces sont réduits à des lieux d’origine(généralement situés dans des pays moins développés) ou de des-tination (dans des pays au niveau de développement supérieur) etl’installation à l’étranger est conçue comme un processus progres-sif, au cours duquel les personnes construisent des réseauxsociaux dans le lieu de destination et perdent contact avec leurcommunauté d’origine. L’importance donnée à ce cadre de réfé-rence bipolaire masque la manière dont les migrants permanentsmaintiennent le contact avec les gens et les communautés qu’ilsont laissés derrière eux (ROUSE, 1992).

    Cette manière traditionnelle d’aborder la question a été réfutée pardes études qui préfèrent une lecture transnationale du flux migra-toire international. Une grande partie de ces travaux se centrentsur la migration Mexique-États-Unis. Dans ce sens, KEARNEY(1991) souligne que la migration internationale vers les États-Unis

    Chapitre 1

    Espace frontalieret articulationd’espaces sociauxtransnationaux entreMexique et États-Unis

    Cristóbal MENDOZA

  • est devenue une caractéristique structurelle basique de certainescommunautés mexicaines, devenues réellement transnationales.De telles communautés défient ainsi la portée fondatrice des États-nations dont elles transcendent les limites : les migrations se pro-duisent dans des espaces globaux comportant de multiplesdimensions, composées de sous-espaces interdépendants, sanslimites et souvent fragmentés (KEARNEY, 1995).

    Les réflexions de M. Kearney à propos de l’espace impliquent deuxprésupposés qui sont, d’une manière ou d’une autre, présents dansles textes anthropologiques sur le transnationalisme. Premièrement,la construction de la communauté transnationale implique uneremise en cause de la définition même de l’État-nation, à tel point quecertains auteurs ont parlé de sa disparition, et de celle d’un espacecompris dans des limites géographiques ou territoriales. Ainsi, lesflux migratoires et la construction de communautés transnationalesprendraient place dans un hypothétique « troisième espace », un« hyper-espace » ou des « transnations délocalisées ». Autant d’espa-ces qui, dans tous les cas, se situent en dehors des dynamiques natio-nales (GUPTA et FERGUSON, 1992 ; APPADURAI, 1996). Deuxièmement,les localités (transnationales) sont des constructions sociales etculturelles (des communautés), et non des espaces géographiques.

    Cette discussion théorique autour de l’espace, qui a impliquédans plusieurs cas la négation de celui-ci, s’est vue, dans une cer-taine mesure, contrebalancée par les études empiriques réaliséespar des anthropologues et des sociologues sur le transnationa-lisme. En ce sens, bien que l’anthropologie préfère le concept de« communauté », non délimitée par des limites territoriales pré-cises, sinon comme un ensemble de relations sociales et d’identi-tés communes, la grande majorité des études empiriques secentrent sur des localités concrètes, situées dans des États-nationsdifférents, que les auteurs nomment « localités transnationales »,c’est-à-dire des territoires avec des limites administratives trèsprécises (par exemple, ROUSE, 1991 ; GOLDRING, 1992 ; SMITH,1998). Ainsi, dans la littérature empirique sur le transnationa-lisme, les « communautés transnationales » et les « localitéstransnationales » prennent concrètement place sur des territoiressitués dans deux États-nations distincts qui, malgré l’absence decontiguïté territoriale, sont connectés par des liens sociaux inten-ses qui se traduisent par des espaces « neutres » d’interrelation,où circulent des personnes, des biens, des idées et des capitaux.

    MIGRANTS DES SUDS36

  • En continuité avec ce qui précède, ce chapitre s’interroge toutd’abord sur le potentiel analytique de la notion d’espace transna-tional pour étudier les migrations Mexique-États-Unis.Concrètement, il s’agit de rediscuter le concept d’ « espace socialtransnational » et de centrer l’étude sur les réseaux sociauxcomme élément clé de la compréhension de ces espaces. Ensuite,et toujours au sein de cet exposé théorique, il s’agit de réfléchirsur la manière dont la frontière nord du Mexique à été traitéedans la littérature sociodémographique, et comment ont été étu-diés, dans ce même corpus, les changements démographiques àcette frontière. Au cours des années 1990, on est passé d’uneexplication de la région en fonction de sa proximité avec lesÉtats-Unis à un regard radicalement différent : l’espace frontalierest désormais intégré aux analyses à l’échelle nationale et, engénéral, on en conclut que l’évolution démographique au Nordest le reflet de changements structuraux connus par le Mexiquedans son ensemble. Après avoir présenté les aspects théoriquespertinents pour le débat, les données de l’Enquête de migration àla frontière nord (Emif) sont utilisées afin d’évaluer la pertinencedes réseaux sociaux comme élément explicatif de la trajectoiredes migrants de l’intérieur du pays. Nous nous interrogeons enfinsur la variation du profil démographique des migrants selon queleur destination finale est la frontière nord du Mexique ou lesÉtats-Unis.

    Espaces sociaux transnationaux

    Le transnationalisme, selon la définition classique de GLICKSCHILLER et al. (1992), désignerait les processus à partir desquelsles migrants construisent des champs sociaux entre leurs paysd’origine et de destination. En relevant la centralité du conceptd’« espace (ou champ) social transnational »1, KIVISTO (2001)propose de le distinguer clairement comme une des trois lectures

    ESPACE FRONTALIER ET ARTICULATION D’ESPACES SOCIAUX ENTRE MEXIQUE ET ÉTATS-UNIS37

    1 Marina ARIZA (2002) affirme que la différence entre « espace social » et « champsocial » n’est qu’une simple question de préférence et d’école de pensée. Ceuxqui se situent dans la lignée de la pensée française (Bourdieu) préfèrent le conceptde « champ social ». En revanche, les auteurs des écoles du nord et du centre del’Europe (comme Faist ou Kivisto) optent pour le concept d’ « espaces sociaux ».

  • possibles de la migration transnationale (les deux autres étant laproposition du phénomène faite par l’anthropologie culturelle etla conception du transnationalisme comme une théorie demoyenne portée). Cependant, à la différence d’autres espacestransnationaux (politiques ou économiques, selon la taxonomieproposée par PORTES et al., 1999), le concept d’« espace socialtransnational » pose de façon particulière la question de sa défi-nition précise et les possibilités de sa mesure2.

    Cela dit, il semble évident qu’une première approche du conceptd’« espace social transnational » soit possible à partir de la notionde « réseaux migratoires », plus facilement quantifiable. Dans cesens, les écrits sociodémographiques sur les migrations sont àl’origine d’un apport important en démontrant que la consolida-tion et l’affermissement des réseaux sociaux entre migrants, ex-migrants et non-migrants, entre des aires d’expulsion et deréception, sont fondamentaux pour comprendre la continuité etl’expansion du flux migratoire dans les régions d’origine (MASSEY,1990 ; MASSEY et al., 1991). De la même manière, en diminuantles risques liés au déplacement, l’expansion des réseaux dans leslieux d’origine implique un élargissement du flux migratoire à desgroupes considérés comme moins enclins à l’émigration (voir, parexemple, PORTES et SENSENBRENNER, 1993, MASSEY et al., 1998),cela étant lié au fait que le capital social en circulation augmenteavec l’expansion et le développement de ces réseaux.

    Les approches sociodémographiques, cependant, s’intéressent aurôle des réseaux à des moments concrets, que ce soit à l’occasiond’une enquête ou au moment d’interpréter la migration actuelleou passée, sans tenir compte des processus de création et de des-truction de ces liens sociaux. En effet, comme l’a démontréMENJÍVAR (2000) à partir d’un important travail ethnographique àSan Francisco, les réseaux peuvent s’affaiblir ou même disparaîtreau fil du temps, ce qui fut le cas des réseaux de migrants salvado-riens de cette ville. Liée en partie à la situation de précarité pro-

    MIGRANTS DES SUDS38

    2 Le transnationalisme politique a été, par exemple, abordé à travers le vote desMexicains à l’étranger ou le nombre de personnes affiliées à des associationsd’immigrés aux États-Unis. La dimension économique, pour sa part, peut êtreétudiée à partir du montant des transferts monétaires de la migration ou de lapermanence de commerces créés par des migrants de retour.

  • fessionnelle et économique dans laquelle vivaient ces personnes,l’absence de réciprocité entre les membres du groupe a conduit àcet affaiblissement.

    Dans cette lignée, T. FAIST (1999) propose une typologie des espa-ces sociaux transnationaux à partir de la permanence des réseaux(qu’elle soit de courte ou de longue durée) et de l’intensité deceux-ci (faible ou forte) (tabl. 1).

    La classification de T. Faist révèle la pertinence de la corrélationentre la temporalité et l’intensité des réseaux, corrélation quirelève de situations différentes, de l’intégration aux sociétés dedestination à la construction de communautés transnationales.On peut aussi souligner l’élément historique de cette classifica-tion (durée courte/longue), qui implique l’aspect dynamique de laformation de contacts et de liens sociaux. Cependant, un élémentabsent de cette classification réside dans le fait que les réseauxs’articulent à des échelles différentes : individus, familles, foyerset communautés (GRASMUCK et PESSAR, 1991).

    Ainsi, l’une des conséquences de la migration serait que l’unitéfamiliale se fractionne en plusieurs cellules disséminées, à l’étran-ger et dans le pays d’origine, ou s’intègre et fusionne avec d’autres

    ESPACE FRONTALIER ET ARTICULATION D’ESPACES SOCIAUX ENTRE MEXIQUE ET ÉTATS-UNIS39

    Durée Intensité

    Faible Forte

    Courte durée Dispersion et assimilation Échange et réciprocité transnationale

    Rupture des liens avec le pays Conservation des liens d’origine, généralement entre la communauté intégration rapide dans d’origine et la premièrele pays de réception génération, souvent

    migration de retour

    Longue durée Réseaux transnationaux Communautés transnationales

    Les liens sociaux sont utilisés Réseau dense de réseauxdans certains domaines communautaires(commerce, religion, politique) sans localisation concrète,

    entre l’origineet la destination

    Tableau 1.Une typologie des espaces sociaux transnationaux.

    Source : FAIST, 1999 : 44.

  • unités familiales, composant ainsi des foyers polynucléaires quimaintiennent entre eux un contact continu, grâce à la subsistancedes réseaux familiaux. Ces différents fragments interagissentcomme une entité commune, de telle manière que la nouvellestructure familiale ainsi constituée met en adéquation plusieursréalités locales et l’environnement international, formant ainsi ceque l’on appelle des familles transnationales multilocales (GLICKSCHILLER et al., 1992 ; GUARNIZO, 1997). Ces familles transnationa-les multilocales peuvent, selon T. FAIST (2000), prendre deux for-mes. La première serait constituée par des familles avec les parentset quelques enfants dans le pays de destination, et d’autres enfantsou tous les enfants dans le pays d’émigration, à la charge deparents ou d’amis. La deuxième résulterait de la migration deretour, les parents d’un certain âge retournent dans leur pays d’o-rigine alors que les enfants, une fois adultes, et les petits-enfants,décident de rester dans le pays d’immigration (FAIST, 2000). Dansune perspective plus fonctionnelle, J. PALERM (2002) utilise leconcept de « foyer transfrontalier » pour se référer à la multirési-dence des immigrés mexicains aux États-Unis, individus que cetauteur qualifie de « travailleurs binationaux » se déplaçant pério-diquement entre le Mexique et les États-Unis.

    À l’échelle communautaire, l’importance des réseaux dans laconstruction des espaces sociaux transnationaux a été exploréepar différents auteurs. Par exemple, dans une étude déjà classiqueet à partir de la comparaison de l’histoire de deux communautésmexicaines migrantes (Las Ánimas, Zacatecas et Guadalupe,Michoacán), R. MINES et D. MASSEY (1985) analysent la manièredont les différences de construction des réseaux sociaux, dans cescommunautés, influent sur le type de migration. D’une façonsimilaire, L. GOLDRING (1992) compare deux circuits migratoireset conclut que les circuits migrants transnationaux sont des lieuxd’expérience sociale et peuvent être des unités d’analyse utiles envue de réaliser des études migratoires comparées. Selon cetauteur, plusieurs niveaux d’analyse coexistent et interagissentsous le concept de « circuit migratoire transnational » : des loca-lités et des régions avec des histoires différentes, des formes d’or-ganisation sociale, des institutions qui régulent l’accès auxressources et des modes d’accès différenciés à certaines de ces res-sources, notamment la terre.

    MIGRANTS DES SUDS40

  • L’espace frontalier comme espaceintermédiaire dans la migrationMexique-États-Unis

    Les textes reposant sur le concept d’« espace social transnational »sont généralement centrés sur ses dimensions sociales et esqui-vent sa dimension géographique. En parallèle, ils soulignent queles réseaux sociaux et les échanges qui « circulent » dans cesréseaux sont les éléments fondateurs des espaces en question. Ence sens, la perspective transnationale n’a pas montré d’intérêtpour une étude des lieux situés entre l’origine et la destinationdes flux, lieux qui pourtant forment une unique communautétransnationale, si l’on examine les liens sociaux que cette per-spective analytique considère. Cela constitue un changementsignificatif par rapport à certaines études classiques sur les migra-tions, notamment aux modèles économistes, qui incluaient laquestion de la distance comme l’une des variables prises encompte à l’heure de décider d’une migration. La distance etl’espace intermédiaire semblent ne plus compter et certains mou-vements migratoires se produisent même, selon différentsauteurs, dans un espace sans base territoriale (par exemple GUPTAet FERGUSON, 1992 ; APPADURAI, 1996).

    Cette interprétation des espaces intermédiaires mérite d’êtrerevue, particulièrement dans le cas de la migration Mexique-États-Unis où la migration vers les villes frontalières du nord duMexique est, bien souvent, un pas précédant la migration inter-nationale. Ce pas antérieur est logiquement influencé par l’exis-tence de la frontière internationale. À partir du processus demilitarisation que celle-ci connaît depuis les années 1990, lesvilles frontalières sont devenues dans de nombreux cas des lieuxde rétention de la migration vers les États-Unis (voir par exem-ple, MASSEY et al., 2002). L’image de villes de passage, de villesfrontalières (trouvant ses racines dans la littérature, le cinéma etl’imaginaire populaire), tend à masquer le fait que ces villes sont,en elles-mêmes, des lieux de destination pour les migrationsinternes. De même, elles peuvent être réceptrices d’une migrationinternationale, particulièrement de personnes d’origine mexi-caine nées aux États-Unis.

    ESPACE FRONTALIER ET ARTICULATION D’ESPACES SOCIAUX ENTRE MEXIQUE ET ÉTATS-UNIS41

  • Depuis la perspective régionale, certains auteurs ont tenté deconceptualiser une « région frontalière » qui inclurait autant lesterritoires mexicains qu’états-uniens situés des deux côtés de laligne internationale. Le débat sur l’existence ou non d’une régionfrontalière n’est pas exempt de polémique. Pour certains auteurs(par exemple, BUSTAMANTE, 1989 ; HERZOG, 1990) une uniquerégion frontalière existe, basée sur la contiguïté géographiquedans laquelle s’inscrit une série d’échanges intenses. Pour d’au-tres, le concept de « région frontalière » n’a ni bases solides nicadre théorique de référence (par exemple, ALEGRÍA, 2000). Enparallèle, bien que sans aboutir à des résultats concrets, une dis-cussion a eu lieu sur la définition et la zone d’extension de la zonefrontalière Mexique-États-Unis (voir, à ce propos, HAM-CHANDE etWEEKS, 1992 ou ZENTENO et CRUZ, 1992). Dans une analysedémographique de la région frontalière visant à explorer l’éven-tuelle diffusion géographique d’événements démographiques surle territoire, C. MENDOZA (2001) conclut, pour sa part, que laligne internationale sépare deux systèmes sociodémographiquesdistincts et que le nombre de migrants semble être l’unique traitsociodémographique commun bien que les caractéristiques duflux migratoire et ses impacts sur le territoire varient d’un côté etde l’autre de la frontière.

    En lien avec les approches antérieures, les premières études de lasociodémographie du nord du Mexique expliquaient les supposéschangements démographiques de la région en fonction de sa pro-ximité avec les États-Unis (BUSTAMANTE, 1989 ou HAM-CHANDE etWEEKS, 1992). On expliquait dans ce contexte que le modèle detransition démographique du nord du Mexique se situait à unephase très avancée par rapport au reste du pays (COUBÈS, 2000).Cependant, depuis les années 1990, on assiste à un changementde point de vue : la frontière est mise en comparaison avec le restedu pays et l’on conclut, en général, que les changements du Nordsont le reflet de changements structurels enregistrés dans l’en-semble du Mexique (par exemple, l’étude de QUILODRÁN (1998)sur la nuptialité), bien que le Nord soit, bien souvent, à l’avant-garde des changements sociodémographiques et économiques dupays (DELAUNAY, 1995).

    Selon ces textes, les villes frontalières du nord du Mexique nesont pas singulières puisqu’elles présentent des traits démogra-

    MIGRANTS DES SUDS42

  • phiques communs à l’ensemble des villes du pays, mais leur sin-gularité tient au fait qu’elles reçoivent un volume considérable depersonnes, migrantes ou non, qui visitent ces villes. Le point quenous voulons précisément mettre en avant ici est le rôle joué parles villes frontalières dans la construction d’un espace transnatio-nal Mexique-États-Unis. Dans ce dernier, les localités sont à lafois destination et point de traversée de migrations venant tant del’intérieur du pays que des États-Unis. Nous pouvons nous baser,pour explorer cette dimension, sur l’Enquête migration à la fron-tière nord (Emif), dont l’objectif est précisément de quantifier leflux qui traverse les villes frontalières du nord du Mexique.

    L’Enquête sur la migrationà la frontière nord (Emif)

    L’Enquête sur la migration à la frontière nord du Mexique, miseen place par plusieurs institutions mexicaines3, se présente sousla forme de quatre questionnaires reliés entre eux et correspon-dant au même cadre théorique et conceptuel. L’Emif quantifie etcaractérise quatre flux migratoires selon leur provenance : depuisl’intérieur du Mexique (« flux sud »), depuis les villes frontaliè-res, depuis les États-Unis et le flux des migrants déportés par lapatrouille frontalière du service d’Immigration et deNaturalisation des États-Unis (« migrants déportés »). L’analyseprésentée ici porte sur les données issues de l’enquête sur les fluxprovenant du Sud, c’est-à-dire les migrants qui arrivent à la fron-tière depuis l’intérieur du Mexique soit pour demeurer dans larégion frontalière, soit pour utiliser celle-ci comme point de tra-versée (de manière légale ou non) vers les États-Unis4. Au sein de

    ESPACE FRONTALIER ET ARTICULATION D’ESPACES SOCIAUX ENTRE MEXIQUE ET ÉTATS-UNIS43

    3 L’Emif est réalisée en collaboration avec le Consejo Nacional de Población, laSecretaría de Trabajo y Previsión Social, et le Colegio de la Frontera Norte. Lesenquêtes sont réalisées dans les principales villes frontalières du nord duMexique (d’ouest en est, Tijuana, Nogales, Ciudad Juárez, Piedras Negras, NuevoLaredo, Reynosa et Matamoros) depuis 1993.4 La population qui fait l’objet du questionnaire « provenant du Sud » inclut despersonnes âgées de plus de 12 ans, qui ne sont pas nées aux États-Unis, qui arri-vent dans une des villes de l’échantillon, n’ont pas de résidence dans cette villefrontalière ni aux États-Unis et sont sans date fixe de retour.

  • ces flux, l’Emif permet de faire la distinction entre deux types demouvement : le flux des migrants qui, lorsqu’on leur pose laquestion sur leur intention de séjour, déclarent vouloir passer auxÉtats-Unis (« migrants en transit ») et le flux de ceux qui désirentrester, même temporairement, dans la ville frontalière mexicaineoù est réalisée l’enquête (« migrants frontaliers »)5. Sept relevésont été réalisés entre 1993 et 2003. Nous utilisons ici les donnéesdes phases 1 à 6, c’est-à-dire couvrant une période qui va de 1993à 2001. La méthodologie utilisée pour chaque phase étant com-parable, les données ont été rassemblées par année.

    Les réseaux migratoires dans la constructiondes espaces sociaux transnationaux

    Comme signalé plus haut, la littérature scientifique insiste surl’importance des réseaux sociaux pour la compréhension de la cir-culation des personnes, des biens, des capitaux et des idées et, encela, sur la fonction de ces réseaux dans la construction des espa-ces sociaux transnationaux. Dans ce sens, l’Emif comporte plu-sieurs questions qui permettent une approche en termes d’analysedes réseaux sociaux.

    Une première appréciation est permise par la question qui portesur le fait d’avoir ou non des amis ou des parents dans la villefrontalière de référence (fig. 1). Si l’enquête ne permet pas dedétailler le degré de parenté ni la durée de la relation d’amitié, ellepermet d’établir le pourcentage de personnes qui ont un ami ouun parent, autant pour ceux qui sont en transit vers les États-Unisque pour les migrants qui ont fait le choix de vivre, même tem-porairement, dans ces villes frontalières. Les résultats sont assezsignificatifs : la moitié des migrants frontaliers interrogés entre1996-2001 avaient des amis ou de la famille à la frontière nord duMexique. De plus, un renforcement de ce paramètre est nette-ment observable durant la seconde moitié des années 1990. Les

    MIGRANTS DES SUDS44

    5 Les migrants frontaliers sont ceux qui déclarent que leur visite à la frontière dupays est motivée par un travail, la recherche de travail ou un changement de rési-dence. Les migrants en transit vers les États-Unis sont ceux qui déclarent que la rai-son de leur « visite » à la frontière nord du Mexique est de passer dans le paysvoisin. Les autres personnes enquêtées sont des individus de passage dans le norddu Mexique pour une raison spécifique (visite de parents, achats) ou des étudiants.

  • migrants en transit vers les États-Unis ne montrent de leur côtéaucune tendance claire du point de vue de l’évolution de cet indi-cateur, mais on peut noter que celui-ci reste toujours inférieuraux données recueillies pour les migrants frontaliers. Il est possi-ble de suggérer, à partir de ces données, que plus le nombre d’a-mis ou de liens familiaux à la frontière nord est faible, plus laprobabilité que les migrants poursuivent leur chemin jusqu’auxÉtats-Unis est grande. Si le fait d’avoir de la famille à la frontièrenord du Mexique ne semble pas réduire, au moins en principe, laprobabilité de passage au États-Unis, les migrants qui se dirigentvers la frontière choisissent précisément cette destination parcequ’ils disposent là d’un appui familial ou amical. À l’inverse, cefacteur aurait peu d’influence chez les migrants internationauxpour qui la frontière est un simple lieu de passage. Ce point serarepris ultérieurement, lors de l’analyse des probabilités de passagedes différents types de migrants.

    La question de l’aide apportée par la famille et les amis lors dudernier voyage du migrant permet d’aller plus loin dans l’analyse(tabl. 2). Les données sont distribuées ici entre les deux types demigrants (frontaliers ou en transit vers les États-Unis) et ne por-tent que sur les migrants qui déclarent avoir de la famille ou des

    ESPACE FRONTALIER ET ARTICULATION D’ESPACES SOCIAUX ENTRE MEXIQUE ET ÉTATS-UNIS45

    100

    80

    60

    40

    20

    01996 1997 1998 1999 2000 2001

    Migrants frontaliers Migrants en transit vers les EU

    %

    Figure 1.Migrants venus de l’intérieur du pays qui déclarent avoir des amisou de la famille dans la ville d’enquête, 1996-2001 (en %).

    Note : n'inclut pas les migrants qui visitent la ville pour la première fois, ni ceux qui l'avaientvisitée avant 1991.Source : Emif, phases 1 à 6.

  • amis à la frontière nord du Mexique. Il est intéressant de souli-gner que ceux qui sont en transit vers les États-Unis ont non seu-lement moins de contact avec les villes frontalières mais que leursréseaux dans ces villes sont aussi d’une qualité sensiblement infé-rieure (en termes d’aide apportée) à ceux des migrants frontaliersqui désirent rester, au moins temporairement, dans le nord duMexique. Ainsi, à l’exception de 2001, entre 20 et 25 % des migrantsfrontaliers enquêtés entre 1996 et 2000 ont reçu une certaineforme d’aide financière de leur famille pour réaliser leur migra-tion antérieure. Pour les migrants en transit vers les États-Unis,

    MIGRANTS DES SUDS46

    1996 1997 1998 1999 2000 2001

    Migrants frontaliersPrêt d’argentOui 29,0 25,6 25,8 21,6 22 16,9Non 71,0 74,4 74,2 78,3 77,1 83,1

    Logement et/ou alimentationOui 79,2 83,3 83,2 79,7 76,7 88,3Non 20,8 16,7 16,8 20,2 23,2 11,7