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MIEUX MAITRISER LE RISQUE PENAL EN MATIERE D’ENVIRONNEMENT Rapport présenté par M. Guy Pallaruelo au nom de la Commission juridique, de la Commission du commerce intérieur et de la Commission de l’aménagement régional, de l’environnement, du tourisme et des transports et adopté par l’Assemblée générale du 7 mars 2002

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MIEUX MAITRISER LE RISQUE PENALEN MATIERE D’ENVIRONNEMENT

Rapport présenté par M. Guy Pallarueloau nom de la Commission juridique, de la Commission

du commerce intérieur et de la Commissionde l’aménagement régional, de l’environnement,

du tourisme et des transports

et adopté par l’Assemblée générale du 7 mars 2002

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Synthèse des prises de position

Depuis de nombreuses années, le législateur et le pouvoir réglementaire entendent

assurer le respect d’une multitude de normes techniques, touchant tous les

domaines d’activité, par la voie répressive. Celle-ci devient alors une « panacée »

pour faire appliquer correctement la règle de droit. Cela à un degré tel que le Code

pénal général ne suffit plus ; d’où l’émergence d’un corpus de législations satellites.

Le droit de l'environnement en est un exemple flagrant.

Dans ce maquis juridique, les chefs d’entreprise se sentent en quelque sorte

« cernés » par cette emprise technico-répressive et cette situation ne cesse de

s’aggraver. Les initiatives européennes, au demeurant concurrentes, qui se font jour

sont l’occasion pour la CCIP d’intervenir à nouveau, pour tenter d’arrêter cette

inquiétante dérive. C’est pourquoi sa démarche sera articulée autour de deux

grandes convictions :

1) Moins de répression, plus de prévention

� Mettre un terme à la surenchère pénale

� Recentrer le droit pénal sur sa vocation initiale de sanction descomportements les plus répréhensibles, au regard de l’intérêt public.

Pour ce faire, recourir le plus possible aux incriminations générales du Code

pénal (atteinte aux personnes et aux biens), au lieu de multiplier les normes

techniques spéciales accompagnées de sanctions ;

� Abandonner la méthode du « renvoi », qui crée une insécurité juridiquepar l’enchevêtrement de textes de portées juridiques différentes maistoujours assortis de dispositions répressives. Plus concrètement, il n’est

pas acceptable que la loi édicte des incriminations correctionnelles dont la

constitution dépend de données techniques (par exemple, dépassements de

seuils de pollution) fixées par des décrets, renvoyant à des arrêtés, eux-

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mêmes se référant à des autorisations individuelles assorties de

prescriptions…

La CCIP demande fermement aux pouvoirs publics de corriger ces dérives etde mettre un terme à cette surenchère pénale. Elle entend apporter sa proprecontribution, par des propositions de rationalisation des conditions de mise enœuvre de la responsabilité.

En tout état de cause, la répression ne doit être qu’un ultime recours ; lasolution « naturelle » pour concilier activité économique et protection del'environnement est le développement de la prévention.

� Encourager la prévention et le management environnemental

� Consacrer juridiquement la fonction d’auto-contrôle liée au système d’éco-

management ;

� L’ériger en présomption de respect de la réglementation.

2) Pour des principes directeurs de rationalisation de la responsabilité pénale

La CCIP considère qu’il ne saurait être question que les initiativeseuropéennes en cours portent en germe un nouvel alourdissement répressif. Ace titre, elles ne peuvent être retenues. Cela étant, une interventioncommunautaire étant inéluctable, une directive-cadre pourrait trouver sa raisond’être dans une rationalisation des droits nationaux. Elle aurait alors pourfinalité d’édicter une méthodologie de reconstruction, au sein des législationsdes Etats membres, autour du principe fondamental de juste proportion.

Les principes directeurs en seraient les suivants :

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� Restreindre la répression pénale aux atteintes les plus graves àl'environnement

� Comme critère de gravité des infractions, retenir la notion de « dommagesubstantiel à l'environnement », ce qui faciliterait une meilleure

classification en droit interne entre délits, contraventions et simples fautes

administratives ;

� S’agissant de l’élément intentionnel, privilégier la référence à « l’intentionou à la négligence grave » ;

� Consacrer de nouvelles causes exonératoires de responsabilité

� Inciter les Etats à prévoir dans leurs législations des causesexonératoires de responsabilité adaptées au droit de l'environnement :respect des prescriptions et autorisations administratives, ainsi quel’erreur de droit provoquée par un renseignement inexact de l’autoritécompétente ;

� Appliquer de manière effective le mécanisme exonératoire de ladélégation de pouvoir. En pratique, on constate une tendance inquiétante

des enquêteurs et des juges à mettre en cause le chef d’entreprise lui-même,

en dépit de l’existence d’une délégation de pouvoir en bonne et due forme.

Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de cautionner l’utilisation abusived’une telle délégation, mais de rappeler que celle-ci et les exonérationsde responsabilité qu’elle est susceptible d’impliquer s’apprécient au caspar cas, et non en vertu d’une conception stéréotypée née de la pratiquejudiciaire. Aussi, le chef d’entreprise, qui a organisé une délégation depouvoir en bonne et due forme, ne saurait être mis en cause que s’il aparticipé personnellement à la commission des infractions.

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� Rétablir la juste proportion des sanctions

� Enoncer dans le texte communautaire le principe de sanctions pénales« effectives, proportionnées et dissuasives », les Etats membres

définissant ensuite, sur le fondement de ce principe, la nature des sanctions ;

� Mettre à profit cette démarche communautaire pour rationaliser le droitfrançais autour de trois axes :

- corriger les incohérences dans la fixation des peines : un même

manquement ne saurait être puni de manière différente, selon qu’il relève

de telle ou telle législation (par exemple, l’exploitation sans autorisation au

regard des textes sur les installations classées, la pollution des eaux ou le

traitement des déchets) ;

- limiter les sanctions invalidantes des personnes morales, telles quel’interdiction d’activité ou la fermeture définitive de l’établissement encause, aux délits les plus graves et aux cas de récidive ;

- privilégier les dispositifs d’injonction judiciaire avec obligation deremise en état.

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Sommaire

PAGE

I – MOINS DE REPRESSION, PLUS DE PREVENTION ................................................. 8

A – METTRE UN TERME À LA SURENCHÈRE PÉNALE................................................................. 9

B – ENCOURAGER LA PRÉVENTION ET LE MANAGEMENT ENVIRONNEMENTAL....................... 13

II – POUR DES PRINCIPES DIRECTEURS DE RATIONALISATION DE LARESPONSABILITÉ PÉNALE.............................................................................................. 17

A - ANALYSE CRITIQUE DES DEUX TEXTES EUROPÉENS CONCURRENTS ................................. 18

1) Le projet de décision-cadre........................................................................................... 182) La proposition de directive de la Commission.............................................................. 19

B - PROPOSITIONS.................................................................................................................. 20

1) Restreindre la répression pénale aux atteintes les plus graves à l’environnement ...... 20a) La gravité au regard des éléments légal et matériel de l’infraction ........................... 20b) La gravité au regard de l’élément moral de l’infraction ............................................ 21

2) Consacrer de nouvelles causes exonératoires de responsabilité .................................. 22a) Le respect des autorisations et prescriptions administratives..................................... 22b) La question de l’erreur de droit.................................................................................. 24c) La mise en œuvre effective du mécanisme exonératoire de la délégation de pouvoir25

3) Rétablir la juste proportion des sanctions .................................................................... 26

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Le risque est inéluctablement au cœur des préoccupations de l’entreprise, qu’il soit

commercial, concurrentiel, industriel ou encore environnemental. Ce dernier

domaine, objet du présent rapport, relève d’une problématique spécifique : en effet,

et cet état d’esprit se retrouve dans toutes nos sociétés avancées, le citoyen veut à

la fois la prospérité économique et la sécurité, dans le sens le plus exacerbé qui soit.

En d’autres termes, il refuse la fatalité.

De plus en plus revendicatif, et particulièrement enclin à porter ses prétentions en

justice, il recherche des responsables et la société civile tend, plus ou moins

consciemment, à le diriger vers le chef d’entreprise, exutoire tout désigné.

A partir du domaine de l’environnement, c’est donc un véritable débat de société qui

intéresse tant les politiques que les acteurs économiques, entreprises et particuliers.

Dans un tel contexte, la loi ne doit pas être le moyen de masquer ces enjeux en

préconisant des solutions faussement équitables.

Il n’en demeure pas moins que le chef d’entreprise a le sens des responsabilités

liées à son activité, le tout est de poser correctement les termes du débat.

C’est dans cette perspective que doivent être analysés les deux textes européens

qui sont aujourd’hui soumis à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris. Ses

observations critiques seront articulées autour de deux grandes convictions :

� Moins de répression, plus de prévention (I) ;

� Pour des principes directeurs de rationalisation de la responsabilité pénale (II).

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I – MOINS DE REPRESSION,PLUS DE PREVENTION

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A – Mettre un terme à la surenchère pénale

Depuis de nombreuses années, le législateur et le pouvoir réglementaire entendent

assurer le respect d’une multitude de normes techniques, touchant tous les

domaines d’activité, par la voie répressive. Celle-ci devient alors une « panacée »

pour faire appliquer correctement la règle de droit. Cela à un degré tel que le Code

pénal général ne suffit plus ; d’où l’émergence d’un corpus de législations satellites,

toutes pénalement sanctionnées. Le droit de l'environnement en est un exemple

flagrant.

Dans ce maquis juridique, les chefs d’entreprise se sentent en quelque sorte

« cernés » par cette emprise technico-répressive. Ils sont pris dans un carcan où leur

responsabilité pénale est systématiquement recherchée et reconnue, pour le moindre

manquement au moindre texte et, parfois même, alors que ce texte a été respecté.

Cette situation, qui ne cesse de s’aggraver, est au cœur des préoccupations de la

CCIP ; laquelle est intervenue à plusieurs reprises pour tenter d’arrêter cette

inquiétante dérive. On citera, notamment, le travail propositionnel important qu’elle a

mené en matière de droit pénal des sociétés commerciales, de droit financier et

boursier, de droit du travail et de droit de l’environnement1.

S’agissant de cette dernière matière, on relèvera tout d’abord que le Code pénal

général ne comporte pas de dispositions particulières à l'environnement (à

l’exception du crime de terrorisme écologique – hypothèse très marginale) ; ce sont

donc les qualifications de droit commun qui sont susceptibles de s’appliquer, par

exemple pour les atteintes aux personnes et aux biens. Ces incriminations générales

devraient, a priori, suffire pour sanctionner les infractions les plus graves que

pourraient commettre des chefs d’entreprise. Mais le législateur ne l’a pas entendu

ainsi ; il a accru de manière exponentielle le droit pénal spécial, dans des domaines

aussi divers que les installations classées, l’eau, l’air, les déchets, le bruit…

1 Rapport de M. Monnoyeur du 11 avril 1996 « La responsabilité pénale des personnes morales » ;rapport de M. Jibert du 12 décembre 1996 « La réforme du droit pénal des sociétés commerciales » ;rapport de M. Saillard du 11 décembre 1998 « Regards sur la responsabilité du chef d’entreprise, sixchamps d’investigations et propositions d’amélioration » ; rapport de M. Pallaruelo du 7 décembre2000 « Pour une rationalisation de la responsabilité du chef d’entreprise – l’exemple du droit del'environnement ».

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Par ailleurs, on constate une tendance inquiétante de ce même législateur à s’en

remettre au pouvoir réglementaire, voire à l’autorisation individuelle, pour déterminer

les éléments constitutifs des délits. Cette méthode dite « du renvoi », bien qu’admise

par le Conseil Constitutionnel2 et le Conseil d’Etat3, suscite des interrogations au

regard du principe de légalité des délits et des peines et, surtout, crée des situations

juridiques confuses. Plus concrètement, la loi édicte, de plus en plus souvent, des

incriminations correctionnelles dont la constitution dépend de données techniques

(par exemple, dépassements de seuils de pollution) fixées par des décrets,

renvoyant à des arrêtés, eux-mêmes se référant à des autorisations individuelles

assorties de prescriptions…

Plus préoccupant encore, des renvois sont faits à des textes sans portée juridique

contraignante : tel est le cas des circulaires, qui n’ont qu’une valeur indicative, sauf à

être requalifiées en règlements4. Pourtant, de tels textes sont utilisés, notamment,

pour tendre à unifier les conditions techniques de fonctionnement des catégories

d’installations classées, qui sont ensuite traduites dans des arrêtés préfectoraux ;

leur impact pénal n’est donc pas mineur ! Pour ne citer qu’un exemple de ce

« parcours du combattant » pour le chef d’entreprise, l’arrêté du 10 octobre 1996

relatif aux installations spécialisées d’incinération de certains déchets industriels

spéciaux, comporte le renvoi à une trentaine de textes, tous pénalement

sanctionnés.

Dans ces conditions, comment un dirigeant, soucieux du respect du droit, peut-il

déterminer quel comportement adopter ? Or, faut-il rappeler deux principes

fondamentaux : d’une part, toute peine doit expressément correspondre à une

2 Conseil Constitutionnel, décision du 10 novembre 1982, JO du 11 novembre 1982, p. 3393.3 Conseil d’Etat, 14 novembre 1984, Syndicat des naturalistes de France, Revue juridique del'environnement 1984, p. 338, conclusions R. Denoix de Saint-Marc.4 Ces situations donnent lieu à des jurisprudences incertaines : une circulaire, fixant les méthodes deprélèvements d’eau polluée nécessaires à l’établissement du délit de pollution des eaux visé à l’articleL 232-2 du Code rural, a été écartée en tant que fondement pénal par la Cour de cassation, comptetenu de son caractère indicatif ; le prévenu ne pouvait donc l’invoquer comme moyen de défense. Or,la nature réglementaire de cette circulaire apparaissait clairement, puisqu’elle édictait des modes depreuves. Ce texte était au demeurant illégal, car le ministre ne disposait pas de la compétenceréglementaire en ce domaine (Crim. 18 juin 1969, JCP 1970, II, 16531, note M. Despax).

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infraction précisément définie par un texte et, d’autre part, le droit pénal est

d’interprétation stricte.

Cette situation ne peut plus durer ; elle est devenue insupportable pour nosentreprises et leur compétitivité. La CCIP demande fermement aux pouvoirspublics de corriger ces dérives et de mettre un terme à cette surenchèrerépressive. Elle entend apporter sa propre contribution, par des propositionsde rationalisation des conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale.

Certes, une occasion s’est présentée récemment de revoir en profondeur ce droit

pénal spécial dans son contenu même, à savoir l’élaboration d’un Code de

l'environnement. Mais ce fut un « acte manqué » au regard d’une dépénalisation

pourtant nécessaire et espérée.

Il est vrai, la pénalisation excessive de la matière environnementale n’est pas un

phénomène exclusivement français. Il s’agit d’un mouvement mondial. Pour preuve,

les Etats-Unis – pourtant plus enclins, de façon générale, à invoquer la voie civile -

ont adopté, dès les années 1970, toute une série de législations pénales spécifiques.

De même en Europe, dans la plupart des pays membres, le mouvement de

surpénalisation est soit achevé, soit en cours. Plus encore, la législation

communautaire, par une multitude de directives et de règlements sectoriels, génère

l’obligation, pour les Etats, d’édicter des sanctions répressives.

Aujourd’hui, une étape supplémentaire est en passe d’être franchie : les institutions

européennes s’immiscent directement dans la sphère pénale en instaurant des

incriminations.

Déjà, le 4 novembre 1998, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection de

l’environnement par le droit pénal constituait le premier traité incriminant les actes

portant atteinte ou risquant de porter atteinte à l’environnement. Mais cette

convention n’étant toujours pas entrée en vigueur en l’absence de ratification,

d’autres initiatives émanent à présent des autorités communautaires.

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Le 11 février 2000, le Danemark a présenté une proposition au Conseil de l’Union,

en vue de l’adoption d’une décision-cadre dans le domaine de la lutte contre les

infractions graves au détriment de l'environnement. Approuvé par le Parlement

européen, le 7 juillet 2000, moyennant certains amendements, ce projet est très

largement inspiré de la convention précitée de 1998. Il entend protéger

l'environnement au plan pénal en imposant des sanctions en cas d’infractions graves

aux réglementations internes, renforcer les échanges d’informations entre les Etats

membres et instaurer une véritable coopération policière et judiciaire entre les

administrations nationales. Mais, alors que le Conseil «Justice Affaires Intérieures »

des 15 et 16 mars 2001 était sur le point d’aboutir à un consensus politique, en vue

de l’adoption de ce projet de décision-cadre, une autre initiative communautaire

concurrente est intervenue.

La Commission de Bruxelles a ainsi adopté, le 13 mars 2001, une proposition de

directive visant à introduire des sanctions pénales en cas d’infractions aux

législations environnementales communautaires. Elle entend faire suite aux

conclusions du Conseil européen de Tampere, en date des 15 et 16 octobre 1999,

qui avait demandé que des efforts soient consentis pour arrêter des définitions,

incriminations et sanctions communes, portant sur un nombre limité de secteurs

revêtant une importance particulière, tels que la criminalité environnementale. Des

normes minimales seraient ainsi définies pour garantir un niveau de protection élevé

de l'environnement, conformément à l’article 174 § 2 du Traité CE. Cela étant, les

Etats membres conserveraient la liberté de décider concrètement des sanctions à

appliquer en fonction de leur droit national.

L’émergence d’initiatives européennes, qui apparaissent comme concurrentes, est

préoccupante. Le moment est donc venu de réaffirmer les convictions de notre

Compagnie pour rétablir l’équité dans la responsabilité des entreprises.

Mais avant toute chose, première priorité : la répression pénale ne doit êtrequ’un ultime recours. La solution « naturelle », pour concilier activitééconomique et protection de l’environnement, est le développement de laprévention.

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B – Encourager la prévention et le management environnemental

La réduction du risque environnemental exige d’aller plus loin dans cette voie.

C’est dans cet esprit que le Conseil des Communautés Européennes a adopté, le

19 mars 2001, une première révision de la démarche globale de management

environnemental et d’audit5, désignée « EMAS »6. Le règlement n°761/2001,

désormais compatible avec les normes ISO 14 001, consacre un consensus

européen autour de méthodes de management permettant de garantir qu’une

entreprise maîtrise correctement son environnement. Au-delà du caractère

stratégique de la définition d’un référentiel commun à l’ensemble des Etats membres

(destiné à éviter toute distorsion de concurrence), la mise en place d’outils formalisés

d’aide aux démarches volontaires de management environnemental témoigne d’un

réel enracinement culturel et économique de ce domaine.

Le succès rencontré, tant par le système communautaire « EMAS » que par les

normes ISO 14 001 au sein de l’Union, est très inégal. Ainsi, au mois de novembre

2001, 3 900 sites étaient enregistrés « EMAS », dont 2 600 en Allemagne, 366 en

Autriche, 234 en Suède… et 40 en France. Plus de 13 000 entreprises étaient

certifiées ISO 14 001, dont plus de 1000 en France, 2 400 en Allemagne, 2 000 en

Angleterre, 1 400 en Espagne.

On constate donc un certain retard de notre pays en la matière. Pourtant, les

entreprises qui ont lancé des démarches de management environnemental et

d’audit, quel que soit le support utilisé (système « EMAS » ou normes ISO 14 001), y

ont trouvé de nombreux intérêts :

5 Le dispositif originaire datait du 29 juin 1993. La principale innovation du nouveau règlement estd’étendre le système à toute organisation quelle qu’en soit la nature ou la forme juridique, publique ouprivée, alors que le règlement antérieur visait seulement les activités industrielles, la productiond’électricité, de gaz, de vapeur et d’eau chaude et le traitement des déchets.6 Environmental Management and Audit System.

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� à court terme par :

� la consolidation de la sécurité juridique de l'entreprise,

� la création d'une base documentaire relative à la gestion

environnementale, comprenant en particulier :

- les arrêtés d'exploitation,

- les bordereaux d'expédition de déchets toxiques,

- les études déchets,

- les études d'impacts,

� la motivation et la responsabilisation du personnel, qui s'obtient grâce à :

- la formation,

- l'organisation d'une démarche participative,

- la définition de procédures opérationnelles adaptées ;

� à moyen terme par :

� la maîtrise des coûts et le maintien de l’avantage concurrentiel de

l'entreprise, objectifs qui nécessitent de :

- réviser les critères de sélection des fournisseurs et des sous-traitants

(rédaction de chartes ou établissement de codes de bonne conduite,

mise en place des actions de progrès),

- se doter d'indicateurs de performance écologique pertinents,

- contrôler les rejets,

- analyser les bilans matières et les modes de gestion pour identifier les

économies possibles,

- optimiser le système d'information,

- intégrer des clauses de respect de l'environnement dans les cahiers des

charges pour les commandes,

� la valorisation de l'image externe de l'entreprise autour d'un projet

mobilisateur :

- en engageant un processus de concertation pour une meilleure

transparence,

- en publiant la déclaration environnementale (véritable engagement de

progrès du site audité),

- en organisant des journées portes ouvertes ;

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� à long terme par :

� la réduction des risques liés :

- au stockage,

- à la manutention des matières premières et des consommables,

- aux dysfonctionnements du processus de production,

- à l'absence de procédures de contrôle,

� la protection de la valeur patrimoniale de l'entreprise qui facilite :

- la réhabilitation du site en fin de vie,

- la transmission du patrimoine,

- la négociation des polices d'assurance et des emprunts.

Dans le règlement « EMAS » (comme dans les normes ISO 14 001), la politique

environnementale - définie au plus haut niveau de l'entreprise - comporte, outre le

respect de la réglementation, des engagements visant à une amélioration constante

et raisonnable des résultats en la matière.

Le règlement introduit ainsi la possibilité de « tenir compte de l’enregistrement dans

le cadre de l’« EMAS » (…) lors du contrôle du respect de la législation

environnementale, afin d’éviter toute duplication d’efforts »7. Le récent livre vert sur la

politique intégrée des produits admet de manière plus explicite que la participation au

système « EMAS » puisse se traduire par « une réduction de la fréquence des

formalités de contrôle environnemental », les procédures de notification et

d’autorisation étant assouplies.8

D’ailleurs, il est intéressant de rappeler que le ministre de l'environnement avait

adressé9 aux préfets des instructions très claires sur ce point : la candidature au

dispositif « EMAS » est certes fondée sur le volontariat, mais cet enregistrement au

niveau européen représente la marque d'une bonne gestion de l'environnement.

7 Article 10. 2 du règlement.8 VIème programme communautaire d’action pour l’environnement présenté le 24 janvier 2001,§4.4.1, page 27.9 Lettre du 28 février 1997.

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Ainsi pourrait-on consacrer juridiquement la fonction d'auto-contrôle liée aumanagement environnemental, laquelle pourrait dès lors emporterprésomption de respect de la réglementation. En conséquence, les procédureset investigations des administrations10 pourraient être limitées. Bien

évidemment, il ne s’agit pas de priver ces autorités de leur pouvoir de contrôle, mais

de développer une action de nature « psychologique » : l’entreprise a besoin d’être

rassurée sur ses devoirs et contraintes, à travers une démarche plus partenariale

que régalienne.

Enfin, des mesures complémentaires, notamment de nature fiscale (taux de TVA

réduit, provisions, crédits d’impôt, dégrèvements fiscaux), pourraient renforcer le

caractère incitatif des démarches de management environnemental. A ce titre, les"Centres de Prévention Volontaire Agréés" (CPVA), proposés par la CCIP11 en1997, restent d’autant plus d’actualité que la participation des PME au système« EMAS » est érigée au rang de priorité par les autorités communautaires.

10 Les DRIRE, en France.11 Rapport de M. Bourgeois, avril 1997, « Le management environnemental, nouvel enjeu pour lacompétitivité des entreprises ».

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II – POUR DES PRINCIPES DIRECTEURSDE RATIONALISATION DE LA

RESPONSABILITÉ PÉNALE

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S’il faut arrêter l’inflation pénale, il n’en demeure pas moins qu’il existe aujourd’hui un

corpus très lourd d’incriminations et de sanctions et il est indispensable de le contenir

et de le rationaliser. Pour ce faire, on pourrait mettre à profit l’élaboration –

inéluctable - d’un cadre communautaire en ce domaine mais, en aucun cas, dans les

termes qui sont aujourd’hui envisagés, d’ailleurs de manière concurrente, dans les

différents projets européens.

C’est pourquoi, après une analyse critique de ces deux textes, la CCIP préconisera

des principes directeurs qui devraient guider des démarches législatives justes,

équitables et conciliant compétitivité des entreprises et protection de

l'environnement ; cela tant sur le plan supranational que national.

A - Analyse critique des deux textes européens concurrents

1) Le projet de décision-cadre

Ce projet entend protéger l’environnement au plan répressif, dans le cadre du

troisième pilier de l’Union européenne, c'est-à-dire sur le fondement de la

coopération policière et judiciaire des Etats membres en matière pénale.

Or, l'environnement est radicalement exclu de ce mode d’actioncommunautaire. En effet, l’article 31 (e) du traité de l’Union européenneénumère, expressément et de manière limitative, les domaines susceptibles defaire l’objet d’une telle coopération entre les autorités nationales : il s’agit de lacriminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ; donc nullement dela matière environnementale. Dès lors, le fondement juridique du projet dedécision-cadre apparaît fortement contestable.

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2) La proposition de directive de la Commission

La Commission entend « renforcer l’application effective de la législation

communautaire sur la protection de l'environnement en définissant, pour l’ensemble

de la Communauté, un ensemble minimal d’infractions pénales »12.

Pour ce faire, le texte s’appliquerait aux activités exercées en violation de la

législation communautaire sur l'environnement et/ou des normes adoptées par les

Etats membres pour s’y conformer. Seraient couvertes les activités qui causent ou

risquent de causer des dommages substantiels à l'environnement13.

La Commission a joint, en annexe de sa proposition de directive, la liste exhaustive

des dispositions communautaires interdisant les activités incriminées. Une

cinquantaine de directives et règlements est ainsi visée.

Ces activités devraient être qualifiées d’infractions pénales lorsqu’elles sont exercées

« intentionnellement ou par négligence grave »14.

Chaque Etat membre devrait veiller à ce que ces comportements, de même que la

complicité ou l’incitation, soient passibles de « sanctions pénales effectives,

proportionnées et dissuasives »15. Dans les cas graves de mise en jeu de la

responsabilité pénale d’une personne physique, des peines privatives de liberté

devraient être envisagées.

12 Article 1er de la proposition de directive.13 Seraient visés :� « le déversement d’hydrocarbures, d’huiles usagées ou de boues d’épuration dans les eaux ;� le rejet, l’émission ou l’introduction d’une certaine quantité de substances dans l’atmosphère, le sol

ou les eaux, ainsi que le traitement, l’élimination, le stockage, le transport, l’exportation oul’importation illicites de déchets dangereux ;

� le déversement de déchets sur et dans le sol ou dans les eaux, y compris l’exploitation nonautorisée d’une décharge ;

� la possession, la capture, la dégradation, la mise à mort ou le commerce d’espèces animales etvégétales protégées ou de parties de celles-ci ;

� la dégradation substantielle d’un habitat protégé ;� le commerce de substances appauvrissant la couche d’ozone ;� l’exploitation d’une usine dans laquelle une activité dangereuse est exercée ou dans laquelle des

substances ou préparations dangereuses sont stockées ou utilisées ».14 Article 3 de la proposition de directive.15 Article 4 de la proposition de directive.

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Par ailleurs, les Etats membres pourraient apprécier l’opportunité de prévoir d’autres

mesures à l’encontre des personnes physiques ou morales : amende, interdiction

d’accès à l’aide et aux subventions publiques, interdiction permanente ou temporaire

d’exercice d’activités commerciales, placement sous contrôle judiciaire ou liquidation

judiciaire.

Si certains aspects de cette proposition de directive présentent un intérêt(notamment, quant à la définition de l’élément intentionnel et sur le principe ducaractère proportionné des sanctions), en revanche, on ne peut adhérer à saphilosophie générale qui porte en germe le risque d’un nouvel alourdissementrépressif, en particulier s’agissant des sanctions énumérées à l’encontre despersonnes morales. Une telle démarche conforterait certains Etatsparticulièrement sévères – comme la France - et inciterait les autres à unesurenchère pénale. A ce titre, la CCIP considère que cette initiative européennene saurait être retenue.

Cela étant, une intervention communautaire étant inéluctable, une directive-cadre pourrait trouver sa raison d’être dans une rationalisation des législationsdes Etats membres. Elle aurait alors pour finalité d’édicter une méthodologiede reconstruction, au sein des droits nationaux, autour du principefondamental de juste proportion.

B - Propositions

1) Restreindre la répression pénale aux atteintes les plus graves àl’environnement

a) La gravité au regard des éléments légal et matériel de l’infraction

La CCIP entend insister sur un principe essentiel : l’entrée dans la sphère pénale doit

être réservée aux seuls manquements les plus graves, c'est-à-dire ceux qui causent

des dommages « substantiels ».

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Ce principe, s’il était clairement affirmé sur le plan communautaire, favoriserait une

meilleure classification des infractions dans les droits internes, au regard de leur

gravité et de la mesure de leur impact concret sur l'environnement.

Sur ce fondement, le droit français pourrait retenir la clé de répartition suivante, entre

délits et contraventions :

- d’une part, les infractions ayant causé un dommage substantiel à l'environnement,

qui seraient constitutives d’un délit ;

- d’autre part, celles qui n’entraîneraient qu’un préjudice mineur, voire aucun

préjudice, seraient qualifiées de contraventions ou de simples fautes

administratives.

b) La gravité au regard de l’élément moral de l’infraction

Sur le plan de l’élément moral de l’infraction, le principe suivant devrait être inscrit

dans le texte communautaire, puis repris dans les droits nationaux : ne peuvent être

qualifiés d’infractions pénales que les actes commis « intentionnellement ou parnégligence grave ».

Ce choix aurait l’avantage de faciliter la rationalisation du droit français en la

matière :

- en premier lieu, le maintien de la référence à l’élément intentionnel permettrait de

combattre la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a tendance à présumer

l’intention coupable du seul fait du non-respect d’une prescription légale16 ;

16 Crim. 25 mai 1994, Droit pénal 1994, n°237, note J-H Robert, Bull. crim. n°203. Pour uneatténuation de cette tendance, Crim. 1er mars 2000, Droit pénal août-sept 2000, p.17, note J-HRobert.

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- en second lieu, la référence à la négligence grave resterait en cohérence avec la

loi du 10 juillet 2000, qui a instauré une hiérarchie au sein des catégories de

fautes non-intentionnelles au regard de la causalité directe ou indirecte avec le

dommage : une faute simple est suffisante pour caractériser le délit lorsqu’il existe

un lien de causalité direct avec le dommage ; en revanche, lorsque la causalité

est indirecte, la faute doit être constituée par la violation manifestement délibérée

d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le

règlement, ou la faute doit être caractérisée et exposer autrui à un risque d’une

particulière gravité qu’on ne pouvait ignorer. Au demeurant, on relèvera que la

Cour de cassation17 a censuré une cour d’appel pour n’avoir pas recherché si les

conditions posées par la nouvelle loi du 10 juillet 2000 étaient remplies envers le

directeur général d’une usine, poursuivi pour délit de pollution d’une rivière,

incriminé par l’article L. 432-2 du Code de l'environnement.

2) Consacrer de nouvelles causes exonératoires de responsabilité

En droit commun, pour se libérer, l’auteur d’un acte pénalement répréhensiblepeut invoquer l’une des causes d’irresponsabilité prévue par le chapitre II dutitre 2 du nouveau Code pénal. Il s’agit, notamment, de la contrainte, de l’erreurde droit, de l’ordre de la loi et l’autorité légitime, ou de l’état de nécessité.

Mais il serait nécessaire d’admettre d’autres causes exonératoires, spécifiques à la

matière environnementale, en modifiant la législation en ce sens. En outre, il

conviendrait qu’en pratique, le mécanisme exonératoire résultant de délégations de

pouvoir soit effectivement mis en œuvre.

a) Le respect des autorisations et prescriptions administratives

De nombreuses activités susceptibles d’avoir un impact sur l'environnement ne

peuvent être exercées qu’en vertu d’une autorisation administrative ; tel est le cas,

comme on l’a vu, de la police des installations classées.

17 Crim. 15 mai 2001, Droit pénal octobre 2001, n°117, note J-H Robert.

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Dès lors, le respect de ces prescriptions et autorisations a-t-il pour effet d’anéantir

l’élément légal de l’infraction ? Antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau

Code pénal, la réponse à cette question dépendait de la nature de l’activité. La Courde cassation18 estimait que les infractions prévues par l’article L 232-2 du Code rural

restaient pénalement répréhensibles, nonobstant l’existence d’une permission

administrative. En revanche, la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 a toujours exonéré

expressément de toute responsabilité pénale les auteurs de rejets réalisésconformément aux prescriptions d’un arrêté d’autorisation19.

Le Code pénal de 1994 a tenté de clarifier cette situation en disposant dans son

article 122-4 que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un

acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Pour

autant, ce texte n’a pas été interprété par la jurisprudence comme instituant une

cause exonératoire au regard du respect d’une autorisation. Les juges ont considéré

que la permission administrative était sans incidence sur l’élément légal de

l’infraction, mais qu’elle pouvait néanmoins avoir un impact sur son élément moral,

quant à l’appréciation de la faute d’imprudence ou de négligence (l’existence d’une

autorisation rendant plus difficile la démonstration de l’imputabilité d’une telle faute).Dans une affaire jugée à Douai20, l’exploitant d’une installation classée a été relaxé,

après avoir été mis en cause à l’occasion d’une forte mortalité piscicole, l’analyse

des eaux rejetées par l’entreprise n’ayant révélé aucun dépassement des seuils

impartis par l’arrêté d’autorisation. La relaxe ne pouvant résulter, selon les juges, de

la simple existence d’une autorisation, elle a été prononcée au motif que

l’imprudence n’était pas démontrée.

Dans ces conditions et dans la logique de la qualification de délitd’imprudence, la CCIP considère qu’il serait indispensable d’admettre lerespect des autorisations et des prescriptions administratives comme caused’exonération de toute responsabilité pénale du chef d’entreprise. Pardéfinition, s’il y a respect d’une autorisation, il ne saurait y avoir niimprudence, ni négligence. 18 Crim. 26 juin 1956, Bull.489 ; Crim.11 avril 1970, Dalloz 1972, p.113, note M. Despax.19 Article 22 alinéa 2 de la loi du 3 janvier 1992, devenu article L. 216-6 du Code l'environnement.

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b) La question de l’erreur de droit

La connaissance de la règle de droit étant présumée, sur le fondement de l’adage :

« Nul n’est censé ignorer la loi », la jurisprudence a longtemps été très réticente à

admettre l’erreur de droit comme cause d’irresponsabilité pénale. La Cour decassation21 a elle-même affirmé que « la prétendue erreur de droit ne constitue ni

une excuse, ni un fait justificatif, ni une circonstance atténuante admis par la loi ».

Toutefois, compte tenu du foisonnement des textes pénalement sanctionnés, il existe

une impossibilité matérielle de connaître toutes les règles. Le législateur est donc

intervenu pour consacrer, certes de manière bien restrictive, l’erreur de droit comme

cause exonératoire. Ainsi, l’article 122-3 du Code pénal dispose : « N’est pas

pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit

qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ».

En matière d’environnement et de responsabilité du chef d’entreprise, deux situations

sont en pratique visées : l’erreur provoquée par un renseignement inexact de

l’Administration (sous la forme d’une réponse ministérielle à une question écrite,

d’une circulaire ou de la réponse à une demande individuelle d’information) et le

défaut de publication d’un texte normatif (notamment lorsqu’un règlement est publié

mais que ses annexes, comportant des normes techniques à respecter, doivent être

consultées dans les services).

Cela étant, on peut craindre que la jurisprudence ne suive pas si facilement. La Courde cassation22 a considéré qu’une intervention administrative engendrant une erreur

ne pouvait être exonératoire, dès lors que la société mise en cause disposait, au sein

de ses effectifs, de juristes qualifiés.

Quelle serait l’application d’une telle jurisprudence en matière environnementale ?

Que signifie « qualifié » ? Qu’en est-il si le juriste d’une PME, tout en étant très

compétent, n’est pas un expert du droit de l'environnement (ce qui sera le cas, le

plus souvent) ?

20 CA Douai, 14 février 1995, Genton, BDEI 95, p.9, note M. Boivin.21 Crim.8 février 1966, Bull. crim. n°36.22 Crim.19 mars 1997, Droit pénal n°107, note J.H. Robert ; JCP 1998 II, n°10095, note O. Fardoux.

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Nonobstant la présence de juristes dans une société, toute interventionadministrative ayant provoqué une erreur de droit devrait être admise commecause d’irresponsabilité pénale. A cette fin, il serait opportun de mentionnerexpressément cette défense dans chacune des lois spéciales propres à lamatière ou, mieux encore, dans le Code de l'environnement en tant queprincipe général. La circonstance que l’Administration ait été à l’origine del’erreur devra, bien entendu, être établie par le prévenu.

c) La mise en œuvre effective du mécanisme exonératoire de la délégation de

pouvoir

Selon une jurisprudence constante23, le chef d’entreprise qui n’a pas

personnellement pris part à la réalisation de l’infraction peut s’exonérer de toute

responsabilité pénale, s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une autre

personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires. Cela

étant, pour avoir un effet exonératoire, la délégation doit remplir certaines conditions :

� la taille de l’entreprise doit empêcher son dirigeant d’assurer seul le respect de

l’ensemble des prescriptions ;

� la délégation doit être réalisée à l’initiative du chef d’entreprise pour un objet

précis et limité, une délégation générale étant prohibée ;

� le délégataire doit être doté des compétences techniques, juridiques et de

direction ainsi que des moyens nécessaires pour garantir le respect des règles en

vigueur.

Néanmoins, les tribunaux restent très sévères en matière d’environnement, car ils

considèrent que les infractions en ce domaine relèvent de la stratégie générale

d’équipement et de production, c'est-à-dire de la compétence du plus haut niveau

23 Crim. 11 mars 1993, Bull. crim. n°112, revue de science criminelle 1994, p.101, obs. Bouloche,Droit pénal 1994, n°39, note J-H Robert.

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hiérarchique, et non d’un rang plus subalterne. C’est pourquoi, en pratique, les

enquêteurs et les juges continuent de mettre en cause le chef d’entreprise lui-même,

en dépit de l’existence d’une délégation de pouvoir en bonne et due forme.

Or, on ne saurait admettre une pratique aussi générale. D’autant que l’argument

jurisprudentiel, selon lequel les infractions environnementales relèveraient de

l’organisation générale de l’entreprise, pourrait valoir pour tous les domaines,

notamment en matière d’accidents du travail. Il n’y a aucune raison qu’il soit

davantage invoqué dans le domaine environnemental.

Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de cautionner l’utilisation abusive de ladélégation de pouvoir, mais rappeler que celle-ci et les exonérations deresponsabilité qu’elle est susceptible d’impliquer s’apprécient au cas par cas,et non en vertu d’une conception stéréotypée née de la pratique judiciaire.Aussi, le chef d’entreprise, qui a organisé une délégation de pouvoir en bonneet due forme, ne saurait être mis en cause que s’il a participé personnellementà la commission des infractions.

3) Rétablir la juste proportion des sanctions

Le texte communautaire devrait énoncer le principe de l’adoption de« sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives », sachant qu’il ne

relève pas du domaine d’une directive de fixer la nature et l’échelle des peines. Il

appartiendra donc aux Etats membres d’engager ensuite des démarches législatives

en ce sens.

S’ouvrirait ainsi l’opportunité pour le droit français de rationaliser son arsenal

répressif en la matière. Cette démarche interne pourrait s’articuler autour de trois

axes :

� corriger les incohérences dans l’échelle des peines. Par exemple, le défaut

d’autorisation d’exploitation est réprimé de façon disparate selon les domaines

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d’activités : emprisonnement de deux ans et amende de 75 000 euros au titre de

la législation sur l’élimination des déchets24 ; emprisonnement d’un an et amende

de 75 000 euros au titre des installations classées25 ; emprisonnement de deux

ans et amende de 18 000 euros selon la réglementation sur l’eau26 ;

� limiter les sanctions invalidantes des personnes morales, telles quel’interdiction de l’activité ou la fermeture définitive de l’établissement encause, aux délits les plus graves et aux cas de récidive ; en effet, de telles

peines pénalisent souvent de manière excessive l’activité économique globale de

l’exploitation. De surcroît, leur intérêt pratique est restreint puisqu’elles ont pour

seul objet de réprimer et non pas de réparer les atteintes à l'environnement. Dans

ces conditions, il serait préférable d’inciter à la régularisation, d’où le troisième

axe.

� privilégier les dispositifs d’injonction judiciaire avec obligation de remise enétat.

� �

Faut-il renforcer encore et toujours le droit pénal de l’environnement ? Le principe est

pourtant bien connu : le fait même que l’on multiplie les mesures sur un même sujet

révèle la non application des mesures précédentes.

Or, le droit français de l’environnement – comme celui en vigueur chez certains de

nos partenaires européens - n’est pas avare de réglementations, d’obligations de

déclaration, d’organismes collégiaux destinés à prononcer des avis qui s’avèrent

déterminants pour le devenir de l’activité en cause, et de procédures administratives

pointilleuses d’autorisation et de contrôle.

24 Art. L. 541-46 du Code de l'environnement.25 Art . L. 514-9 du Code de l'environnement.26 Art. L. 216-8 du Code de l'environnement.

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En effet, contrairement au droit anglo-saxon, fondé sur la « liberté de faire » de

l’entrepreneur et posant, donc, comme corollaire le principe général de sa

responsabilité, notre droit repose essentiellement sur un encadrement préalable et

interventionniste.

Cela étant, si l’on remonte aux sources, le droit de l’environnement a pour raison

d’être le souci de préserver l’homme, sa sécurité, son bien-être, son milieu naturel et

l’utilisation rationnelle de ces ressources, dans le cadre nécessaire d’un

développement durable.

A ce titre, la sanction est un outil, un moyen au service des objectifs définis ci-

dessus, et non pas une fin en soi, encore moins un remède universel ou un gage

d’efficacité supérieure.

Aucune entreprise, rappelons-le, n’a intérêt à se rendre responsable d’une pollution

ou d’un accident touchant des personnes ou l’environnement. Sans doute le droit

pénal doit-il être un élément permettant de réorienter des comportements coupables

d’abus ou de négligences graves ; mais ce n’est en aucun cas une méthode de

management.

Il est vrai que chacun se revendique aujourd’hui du « développement durable »,

concept qui transcende et réunit le social, l’économique et l’environnemental ; mais

force est de constater que sa mise en œuvre au quotidien, par les entreprises

comme par la puissance publique, reposera essentiellement sur de

«l’écomanagement », et qu’une pénalisation accrue n’aura qu’un effet très marginal

et très relatif sur la réalisation de cet objectif.

Ce sont ces orientations qui gagneraient à être confortées par une directive-cadre,

telle qu’ébauchée dans le présent rapport.