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Horizons Les think tanks en Argentine Entretiens Michel Payen et Donald Abelson

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Horizons Les think tanks en Argentine

Entretiens Michel Payen et Donald Abelson

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EditorialAu lendemain d’une échéance électorale, force est de constater que le débat d’idées

sur des questions sociétales a pris une place quasiment aussi importante que les pures

propositions programmatiques. La vive polémique du débat sur l’identité nationale

aura sans nul doute animé le jeu des dynamiques politiques en lice pour l’élection.

Dans une autre mesure le vrai / faux débat sur la diffusion d’un programme télévisé

dédié à l’environnement la veille du scrutin aura, sinon élevé le débat, du moins

souligné encore une fois, si cela était nécessaire, l’imbrication intime et grandissante

entre programmes politiques, réformes nationales et questions de société. Quels sont

alors le rôle et la place des think tanks dans ce jeu à multiples bandes ? Qu’en est-il

de leur positionnement sur des questions traditionnellement appelées « de société »

quand celles-ci sont érigées en débats nationaux et politiques, prémices de nouvelles

politiques publiques ? Ces questions entrent-elles pour autant dans leur objet de

recherche, d’analyse, voire de proposition ? C’est la question que nous nous poserons

en entrée de ce douzième numéro de Think, mais c’est aussi une de celle qui anime la

réflexion plus globale que notre Observatoire mène en ce moment quand il continue

d’évaluer sa propre production, sa pertinence et sa cohérence à l’égard de son travail

d’observation.

C’est pourquoi nous travaillons en ce moment à une refonte de notre magazine. Dès

son prochain numéro, Think se présentera sous un jour nouveau, toujours plus proche

de l’actualité des think tanks, mais également de ces thématiques limitrophes : débats

de société, économie et environnement. Nous laisserons toujours une place importante

à l’échange avec des acteurs du monde de la production d’idées, et veillerons à ouvrir

notre observation à d’autres horizons.

D’ici là, nous vous remercions encore une fois de votre fidélité, et vous souhaitons une

bonne lecture.

Emilie Johann Rédactrice en chef

THINK n°12 - Mars 2010 p. 2

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Sommaire

Notre époque p. 4Associations et ONG, acteurs de la pensée sociétale

Entretiens p. 6Michel Payen p. 6Donald Abelson p. 10

Horizons p. 14Les think tanks en Argentine

Chroniques p. 18Parcours d'une idée : Le service civique - par Amaury Bessard

THINK n°12 - Mars 2010 p. 3

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S i les think tanks traditionnels dominent largement la production d'idées et la prescription de politiques

publiques en matière de relations internationales, d’économie ou d’organisation du travail, ce n'est pas le cas lorsque l'on aborde ce qu'il convient d'appeler les questions de société. Laïcité, droit au mariage et à l'adoption pour les couples homosexuels, urbanisme ou écologie (hors politique énergétique) ne trouvent traditionnellement pas ou peu d'écho dans les travaux des organismes de recherches. Pourtant, leur place augmente considérablement dans la sphère publique. Radio,

télé, newsmagazines, les médias se succèdent pour couvrir l'un ou l'autre de ces sujets. Les politiques ne sont pas en reste et réagissent souvent fortement à l'actualité sur ces thématiques, avec parfois un manque de recul dommageable pour les premiers concernés.

Pour autant, l'absence des think tanks de ces thématiques ne signifie pas qu'elles sont laissées à l'abandon. D'autres organismes se sont imposés depuis une quarantaine d'années sur les sujets de société au sens large. Associations ou ONG, ces organismes sont nombreux, disparates et hétérogènes. Ils se rapprochent par certains aspects des think tanks, en

particulier dans la notion d'influence. En effet, ils sont les seuls acteurs majeurs de prescription en matière de thématiques sociétales. Pourtant, ce rapprochement ne doit pas faire oublier les différences majeures qui peuvent exister entre think tanks et associations. Si les premiers sont marqués idéologiquement et clairement positionnés sur l'échiquier politique, leur champ d'étude n'est pas des plus limités : relations internationales, économie… les thématiques sont larges et disparates. Dans le cas des seconds, au contraire, c'est le choix de la thématique qui définit l'organisation avant son positionnement politique, à tel point qu'il oriente, le cas échéant, la recherche produite : il ne s'agira pas de déterminer la réponse à une

problématique particulière dans un cadre idéologique donné mais bien de démontrer le bien-fondé d'une revendication, celle-ci venant en amont de la recherche lorsqu'elle a lieu.

Production de valeursLa conséquence de cette différence fondamentale se retrouve logiquement dans l'objectif final des actions de promotion et d'influence des associations et ONG par rapport aux think tanks. Si ces derniers agissent avant tout auprès du personnel politique afin d'obtenir une orientation stratégique, avec des conséquences législatives s'il y a lieu, les premiers visent un public beaucoup plus large. Certes, les élus et responsables locaux et nationaux

font partie de l'audience recherchée mais le grand public est lui aussi concerné par une majorité d'actions. La raison en est simple : non seulement associations et ONG visent l'évolution, voire le changement radical, d'une politique mais elles cherchent également une large adhésion du grand public à leurs valeurs. C'est la modification des attitudes, au sens psychologique, de la population tout autant que l'orientation politique qui sont recherchées. Les associations se placent sur le terrain des valeurs avant d'être sur celui de l'action. Ainsi, une association revendiquant la fin des discriminations à l'encontre des couples homosexuels ne cherchera pas seulement à permettre le vote de nouvelles lois (même si les

problématiques soulevées s'y prêtent) mais surtout à obtenir un changement de mentalité, une nouvelle attitude de chacun, pour que la population soutienne cette cause. Le mode d'action choisi démontre en général largement cet objectif. Loin de résumer leur mode opératoire à du simple lobbying, la plupart des associations mettent en œuvre de larges opérations de communication et de promotion, voire d'influence. Elles utilisent les différents champs de la communication moderne, de la publicité pour les plus fortunées, au webmarketing ou aux relations presse. Les événements organisés sont conçus pour toucher une large audience et attirer l'attention des médias.

Notre Époque par Romaric Bullier

« Non seulement associations et ONG visent l’évolution, voire

le changement radical d’une politique, mais elles cherchent

également une large adhésion du grand public à leurs valeurs. »

Associations et ONG, acteurs de la pensée sociétale.

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Notre Époque par Romaric Bullier

Des valeurs différentes donnent des actions différentesL'hétérogénéité de la sphère associative se retrouve dans les modes opératoires choisis par la multitude d'organisations qui la composent. Le premier élément de discrimination est stratégique, en fonction de l'objectif final : promotion ou dénonciation. Si la Marche des fiertés de l'inter-LGBT vise à promouvoir l'égalité des droits pour les couples homosexuels, la mise sous cellophane de militants de PETA s'inscrit clairement dans la dénonciation de la consommation de viande animale et des méthodes d'abattage. Si certaines associations sont très claires dans le choix entre promotion et dénonciation (les associations dénonçant l'adoption par des couples homosexuels ne font pas, même indirectement, la promotion de l'adoption par les couples hétérosexuels),

d'autres agissent indifféremment selon l'un ou l'autre des positionnements. C'est le cas d'une ONG telle que Greenpeace qui, autour d'une thématique générale, la défense de l'environnement, promeut ou dénonce des comportements. Fort logiquement, ce positionnement donne lieu à des actions très différentes. Si c'est au sein des actions de promotions que se voit le plus un parallèle avec les moyens des think tanks (lobbying, conférences, etc.), les associations et ONG n'ont que peu de limites (du moins dans la communication) lorsqu'il s'agit de défendre leur cause. Ainsi, il n'est pas rare d'assister à des campagnes volontairement choquantes (par exemple, les vidéos des conditions d'abattage d'animaux à

fourrure), voire empruntes d'une violence symbolique, comme l'entrée en force des militants de Greenpeace dans l'hémicycle. Ce dernier exemple est par ailleurs significatif de l'ambivalence des objectifs en fonction des cibles visées. Alors que cet événement a suscité une vive réaction du public il est moins sûr qu'il ait influencé les politiques dans leur implication dans la conférence de Copenhague.

La recherche comme outil d'influenceCette ambigüité dans la finalité des actions se retrouve également dans le rapport des organisations militantes à la recherche scientifique. Il est rare en effet qu'une association, ou même une ONG, possède son propre organisme de recherche, préférant la plupart du temps s'en remettre aux publications indépendantes. En France, les associations dénonçant les

conditions de vie des populations les plus pauvres fournissent peu de chiffres mais citent largement les travaux d'organismes privés (Observatoire des inégalités) ou publics (INSEE). Cette absence de structure interne est compréhensible en gardant à l'esprit la raison d'être d'une association : il ne s'agit pas de proposer une nouvelle politique publique mais bien de défendre un point de vue fort, avant même la mise en place de recherches spécifiques. Ainsi l'Association des Parents Gays et Lesbiens a-t-elle commencé son action à une époque où il n'existait aucune recherche scientifique soutenant (ou s'opposant à) sa démarche en faveur d'une législation sur l'homoparentalité. Depuis, de nombreuses recherches ont

été effectuées sur le sujet, sur divers plans (psychologique, sociologique, éducatif, etc.). Ces mêmes recherches ont été largement publiées et mise en avant par l'APGL.Les associations participent donc à un double phénomène. Dans un premier temps, en prenant la défense d'une cause, elles suscitent un engouement de la communauté scientifique pour un sujet. Dans un deuxième temps, cette recherche, qui n’aura pas été déterminante dans la mise en place de leur postulat de départ devient un outil d'influence au service de la cause défendue. Avec le temps, la plupart des associations et ONG tendent à se professionnaliser. Elles participent à des travaux de recherche, voire, pour les plus fortunées, elles intègrent en leur sein les structures leur permettant d'approfondir les connaissances sur les sujets qu'elles

défendent. Paradoxalement, la prise de position partisane des associations, bien que motivante pour la défense d'une cause, peut parfois jouer un rôle contre-productif en matière de recherche. L'objectivité scientifique ne faisant pas bon ménage avec militantisme, il est rare de voir une recherche soutenue par une association sans que l'objection de parti pris ne soit agitée par un opposant. L’enjeu d’avenir pour les organismes impliqués dans l’étude et la promotion de politiques publiques en matière de sujets de société peut être de dépassionner certains débats, voire de repenser leur forme pour renforcer leur crédibilité, à la manière des think tanks traditionnels.

« Si certaines associations sont très claires dans le choix entre

promotion et dénonciation, d’autres agissent indifféremment

selon l’un ou l’autre des positionnements. »

Associations et ONG, acteurs de la pensée sociétale.

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Entretiens

Amaury Bessard : Pourriez-vous nous présenter votre organisation et ce qui la caractérise au sein de la franc-maçonnerie française ?Michel Payen : Le Droit Humain est une branche de la Franc-maçonnerie tout à fait spécifique. Notre obédience a vu le jour en 1893 après un long travail et de nombreux essais insistants pour que la franc-maçonnerie de l’époque reçoive les femmes. Même s’il existait tout de même des loges féminines de type sociétés de salon appelées « loges d’adoption », les femmes n’étaient pas reconnues comme des francs-maçons à part entière.

Après de nombreuses tentatives donc, une loge de la commune du Pecq décide toutefois d’initier une femme du nom de Maria Deraismes. Cette femme dirigeait un journal en Seine et Oise et fut l’une des figures d’un féminisme intellectuel engagé. Elle organisa et anima de nombreuses conférences sur l’égalité hommes / femmes, un engagement d’avant-garde à l’époque pouvant être considéré comme un véritable combat politique reposant sur de fortes convictions républicaines.

Mais cette initiation posait problème au monde franc-maçon. Il eut alors une division au sein même de la loge dans laquelle elle avait été initiée. Elle fut alors soutenue par le Dr Georges Martin et s’associat très rapidement à lui pour créer en 1893 « la grande loge symbolique écossaise le Droit Humain » qui évolua en « Ordre Maçonnique Mixte

International le Droit Humain ».

AB : Au regard de cette spécificité de la mixité, qui génère un vrai clivage au sein des francs-maçons, quelles sont vos relations avec les deux autres grandes obédiences en France que sont le Grand Orient de France et la Grande Loge Nationale Française ?

MP : Bien que nous reconnaissions la GLNF, l’inverse n’est pas vrai et nous ne sommes pas reçus dans ses loges. Concernant le Grand Orient, nous nous situons dans une vision maçonnique proche, c'est-à-dire adogmatique. Le Grand Orient de France reçoit nos sœurs pour le temps de la tenue sans toutefois les initier. A mes yeux, la mixité s’inscrit progressivement dans le monde maçonnique. Les fondateurs du Droit Humain ont mené un combat engagé social et politique. Nous poursuivons à notre façon l’engagement de nos

fondateurs vis-à-vis de la société et de son évolution.

AB : Est-ce cet engagement initial à l’égard de la société qui a construit votre projet intellectuel ?MP : Le projet de la franc-maçonnerie est le progrès de l’humanité. Au Droit Humain, nous nous efforçons de travailler à la construction d’une société libre et unie par la fraternité. Nous recherchons comment nous pourrions faire progresser la société en commençant par nous-mêmes. Le progrès sur soi constitue ainsi un passage obligé. Nous pensons simplement que pour que la société

Michel PayenEntretien mené par Amaury Bessard.

Michel Payen est le président du Conseil National de la Fédération Française du Droit Humain (www.droithumain-france.org), l’une des plus importantes obédiences de la franc-maçonnerie en France. Il exerce la fonction de proviseur adjoint au Lycée Janson de Sailly à Paris.

« Il nous faut saisir

l’ordonnancement des éléments entre

eux, analyser leurs interactions,

leur interpénétration. Pour nous,

le tissu de l’univers est un tissu

continu dans lequel nous devons

rechercher et comprendre

les relations. »

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Entretiens

dans laquelle nous vivons aille mieux, nous devons nous interroger sur notre place en son sein, notre comportement en tant qu’individu et en tant que citoyen. Finalement, notre raisonnement est très simple : en tant que personne, que puis-je faire ?

AB : Partant de cette posture très « socratique » de connaissance de soi, pensez-vous vraiment que le changement collectif ne peut être initié qu’à partir de l’échelle individuelle ? MP : Vous avez raison, mais si nous ne nous donnons pas un temps de réflexion sur nous-mêmes pour savoir comment faire de soi un acteur utile et productif à la société, les choses ne prendront pas naturellement. Le changement global repose donc en partie sur l’individu, c’est évident mais pas uniquement. Il existe d’ailleurs chez les francs-maçons une démarche de réflexion qui s’appuie sur une approche dialectique. Notre symbolique triangulaire en est l’une des illustrations. Nous partons d’une base duale (ou dialectique) où il existe des positions différentes voire conflictuelles. Notre but ensuite est d’ouvrir notre champ de réflexion et de pensée pour dépasser ce conflit initial et atteindre une nouvelle position. Cette nouvelle position permet ainsi de transcender nos raisonnements de base.

AB : Vous avez récemment défendu l’idée lors d’une interview accordée au Nouvel Economiste [du 26 novembre 2009] que la franc-maçonnerie restait un laboratoire d’idées important. A la différence d’un laboratoire d’idées de type anglo-saxon comme ce que nous nommons couramment « think tank », il semble que vos membres adhèrent davantage à une méthode intellectuelle qu’à un corpus d’idées ou une doctrine. MP : Tout à fait. Notre approche est la compréhension des choses en étendant le périmètre de notre vision. Il nous faut saisir l’ordonnancement des éléments entre eux, analyser leurs interactions, leur interpénétration. Pour nous, le tissu de l’univers est un tissu continu dans lequel nous devons rechercher et comprendre les relations. Comme je vous l’ai dit, la préoccupation des francs-maçons est le progrès de l’humanité. Ainsi lorsque nous avons travaillé en loge au sein de nos temples, nous avons le devoir de partager nos réflexions à l’extérieur, de porter la lumière en dehors. Ce ne sont pas d’aimables discussions entre gentlemen sans prise

avec la réalité. Nous devons nous former pour défendre nos valeurs et la représentation que nous construisons de la société dans laquelle nous désirons vivre. En ce sens, nous pouvons affirmer que nous sommes un laboratoire d’idées pour la société dans laquelle nous vivons.

AB : Justement, à partir de cette méthode que nous pourrions qualifier de macroscopique, vous produisez des idées politiques, au sens étymologique du terme. Cependant, depuis une vingtaine d’années, il apparait que les producteurs d’idées prolifèrent dans l’entourage de la décision publique. Comment parvenez-vous à

vous faire entendre par les décideurs ?MP : Nous transmettons ce que nous produisons auprès des politiques et des décideurs par le biais de fiches de synthèse. Nous les diffusons à 5.000 exemplaires environ. D’ailleurs, suite aux diffusions de nos fiches, nous recevons de nombreux retours nous indiquant que nos réflexions ont bien été reçues. Nous voyons également de temps en temps nos arguments repris dans la presse ou par les décideurs eux-mêmes. Mais la diffusion de ces fiches ne constitue pas du tout une

garantie d’être entendus.

AB : Nous reviendrons évidemment sur vos relations avec le pouvoir au fil de notre entretien. Ce qui m’intéresse pour le moment est de savoir comment se construit cette réflexion ? Quel travail et selon quelles modalités arrivez-vous à ce résultat ?MP : Tout d’abord, nos thèmes de réflexion sont décidés lors de notre assemblée générale annuelle que nous nommons convent. Un questionnaire est ensuite adressé à l’ensemble de nos loges qui se porte volontaire pour réfléchir au sujet. Selon le degré de complexité des thèmes proposés, le questionnement ou la problématique de réflexion peut déjà avoir fait l’objet d’un travail préalable. Les loges s’approprient ensuite les thèmes qui les intéressent et nous font remonter leur production. Une commission nationale intitulée « perspectives sociétales » se charge de la centralisation des données, du travail d’analyse, de filtrage puis rédige un premier projet soumis au Conseil national. Cette commission tripartite se compose de membres de l’institution dirigeante du Droit Humain, de frères et de sœurs élus par l’Assemblée Annuelle et d’experts de notre organisation.Notre but est de produire une réflexion originale fortement appuyée sur notre socle de valeurs et qui illustre notre

« Notre but est de produire une

réflexion originale fortement

appuyée sur notre socle de

valeurs et qui illustre notre

expression propre d’une

problématique. »

Entretiens Michel Payen

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Entretiens

expression propre d’une problématique. Par exemple, sur le cas de l’école (dont le thème était « Quelle école pour quelle société ? »), nous travaillons à sortir de nos travaux tout esprit revendicatif qui ne nous est pas propre. Nous faisons parfois appel à des experts dits « profanes », c'est-à-dire non francs-maçons pour qu’ils viennent nous apporter un éclairage complémentaire. C’est donc un travail ouvert et je dois vous avouer que la durée est variable selon les sujets, leur complexité et la façon dont nos loges se les approprient. Cela peut aller de quelques mois à plusieurs années.

AB : Tout en amont de ce processus, comment sont mis à l’agenda du convent les thèmes de réflexion ? Quels ont été les thèmes retenus pour cette année ?MP : C’est la Commission perspectives sociétales qui propose une liste de thèmes au conseil national qui la soumet ensuite au Convent. Cette liste est alors ouvertement et librement discutée lors de notre Assemblée Annuelle. Il arrive parfois que des thèmes nous soient proposés directement par nos loges. Cela a été le cas par exemple en 2007 à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. C’est une de nos loges située dans les Antilles qui a souhaité que le Droit Humain porte sa réflexion sur le sujet. Le thème a alors été proposé aux autres loges.

Pour cette année, les thèmes retenus par le convent sont au nombre de cinq : Quelle école pour quelle société ? Monde virtuel et lien social ; Banlieues et politique de la ville ; Risques sanitaires et principe de précaution ; Les migrations.

AB : Lorsque l’on produit des idées sur la société, la première attitude à adopter est de prendre position. Connaissant les valeurs qui vous animent, je me dis que vous avez dû avoir une réaction forte à l’écoute de certains discours de Nicolas Sarkozy, que ce soit sur la politique de civilisation ou la laïcité positive.MP : En effet, les discours successifs de Latran puis de Ryad ont hérissé le monde de la franc-maçonnerie dite libérale et adogmatique. Nous avions d’ailleurs rédigé une déclaration commune avec six autres obédiences pour réaffirmer notre attachement aux fondements du pacte républicain. Notre analyse nous porte à penser que les propos de Nicolas Sarkozy sur la laïcité positive reposent sur une triple erreur et constitue une triple menace. Erreur sur la religion, sur le sens de la laïcité et sur les valeurs de

la République. Au-delà de l’erreur, ces propos forment une menace pour l’indivisibilité de la République, le lien social et la liberté de penser. Pour nous, la laïcité est un principe, elle ne peut en aucun cas être positive ou négative car elle dépasse ces particularités.

AB : Je me permets de revenir sur un débat d’actualité sur lequel nous aurions pu vous entendre davantage il me semble : le port de la burqua. Quelle est la position du Droit Humain sur ce sujet de société ?MP : Nous soulignons que l’acceptation de ce type de vêtement dans l’espace public constitue une atteinte à la dignité de la femme et l’expression dangereuse d’une tentative permanente d’accaparer cet espace public. Toutefois nous avons indiqué les limites de notre compétence concernant

la nécessité de légiférer.

AB : Avant de conclure, je me permets de revenir sur les liens supposés ou réels de la Franc-maçonnerie avec le pouvoir. L’ouvrage presque incontournable de Sophie Coignard « Un Etat dans l’Etat » ou les dossiers régulièrement publiés dans l’Express semblent accréditer la thèse que les francs-maçons exercent une influence secrète en France. Comment régissez-vous à ces enquêtes et ces différentes positions ?MP : D’abord la relation avec le pouvoir n’est pas un facteur déterminant de la franc-maçonnerie. L’immense majorité des francs-maçons n’a rien à

voir avec le pouvoir et n’a d’ailleurs aucun intérêt à en créer. La plupart n’estime pas avoir une influence particulière. Pour moi, la franc-maçonnerie est une organisation humaine comme une autre qui cherche le progrès de l’homme par le progrès sur soi et dont les relations avec le pouvoir n’est pas une préoccupation principale. Concernant les campagnes de l’Express, je trouve que certains médias vont trop loin et empiètent sur la vie privée de gens au mépris de leur liberté. Et ce qui me paraitrait le plus dommageable sous l’effet d’actions de ce type serait que les francs-maçons adoptent des positions de repli au sein des temples. Nous devons continuer à former des gens forts de leurs convictions afin qu’ils puissent adopter un comportement citoyen ferme et généreux à la fois. Comme l’a si bien écrit Rimbaud : « Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux… »

Entretien relu par M. Michel Payen

« Notre analyse nous porte

à penser que les propos

de Nicolas Sarkozy sur

la laïcité positive reposent

sur une triple erreur

et constitue une triple

menace. »

Entretiens Michel Payen

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Entretiens

Sélim Allili : En tant que professeur de sciences politiques, pourquoi êtes-vous si intéressé par les think tanks ?Donald Abelson : J’ai toujours été intéressé par l’origine et la diffusion des idées, notamment celles en lien avec la politique étrangère américaine. Il y a de nombreuses années, alors que j’étais étudiant, je suis tombé sur un article dans le Washington Quarterly, de James Smith, un historien social qui évoquait la montée des think tanks aux Etats-Unis. A cette époque, il n’établissait pas de lien entre les think tanks et l’élaboration des politiques et j’ai décidé de me pencher sur le lien entre les experts travaillant pour des think tanks et le processus d’élaboration de la politique étrangère, pour déterminer dans quelle mesure ces institutions étaient partie prenante. C’est ce que j’ai étudié ces vingt dernières années, en me concentrant d’abord sur les Etats-Unis, puis sur le Canada.

SA : Pourquoi publier une seconde édition ? DA : J’ai souhaité publier une seconde édition pour mettre à jour les informations sur la visibilité des think tanks de 2000 à 2008 et pour voir si le schéma que j’avais observé au Canada et aux Etats-Unis à cette époque était resté le même en termes d’exposition médiatique, de déclarations au Congrès, etc. Je voulais voir si la situation avait vraiment évolué et j’ai découvert dans cette seconde édition que si les think tanks cherchent toujours à renforcer leur visibilité, des doutes subsistent sur leur pertinence dans l’élaboration des politiques. En observant le contexte canadien et américain, j’ai remarqué que le groupe de think tanks qui faisait l’objet de presque toute l’attention des médias avant

2000 continuait, pour l’essentiel, à avoir une exposition médiatique considérable.

SA : Dans votre livre, vous soulignez le fait que le système politique dans lequel évoluent les think tanks peut faciliter ou amoindrir leurs efforts en vue d’influencer l’élaboration des politiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?DA : Je ne pense pas que ce soit simplement le système

politique d’un pays donné qui permette aux think tanks d’accéder plus ou moins facilement aux décideurs politiques, mais il est clair que les Etats-Unis sont une terre fertile pour les think tanks. Le contexte américain est unique. Le phénomène des think tanks aux Etats-Unis ne peut pas s’appliquer à un autre pays. Aucun autre pays ne compte autant de think tanks, qui aient une telle influence sur l’élaboration des politiques. Je pense que le système politique américain, qui

repose sur plusieurs branches se partageant le pouvoir, offre de multiples opportunités aux think tanks et à d’autres types d’organisations non gouvernementales d’avoir de l’influence. Ajoutez à cela de faibles partis politiques et une importante classe d’entrepreneurs politiques, qui sont prêts à soutenir financièrement de nombreux think tanks, et vous avez tous les éléments pour permettre aux think tanks américains de prospérer. Dans d’autres pays industrialisés avancés, tels que le Canada ou l’Allemagne, le système politique peut limiter l’accès, mais d’autres facteurs sont également très importants : le manque de financement, l’accès limité à d’autres institutions qui peuvent contribuer

Donald Abelson Entretien mené par Selim Allili le 27 novembre 2009. Traduction par Charlotte Laigle-Jegun

Professeur de sciences politiques et titulaire de la chaire d'études américaines à l'Université Western Ontario au Canada, Don Abelson figure parmi les meilleurs spécialistes des think tanks en Amérique du Nord.

« Aucun autre pays que les

Etats-Unis ne compte autant

de think tanks qui aient

une telle influence sur

l’élaboration des politiques. »ph

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Entretiens

Entretiens Donald Abelson

à rendre certains enjeux plus visibles, l’existence de partis politiques forts, le principe parlementaire d’une grande unité des partis, etc. Tous ces facteurs peuvent limiter l’accès des think tanks. Pour résumer, le système politique est important, mais ce n’est pas le seul facteur qui détermine le succès ou l’échec des think tanks.

SA : Les think tanks sont-ils utiles à la démocratie ?DA : Je pense qu’ils sont utiles dans la mesure où ils contribuent à établir les paramètres de débats politiques essentiels. C’est là que les think tanks ont tendance à avoir le plus d’impact. Les think tanks peuvent contribuer à trouver une approche simple pour appréhender des enjeux politiques complexes. Ils peuvent tenter de toucher un public aussi large que possible. Afin de former l’opinion publique, ils doivent parler un langage que la plupart des gens comprennent. Ils cherchent parfois à toucher des dirigeants politiques, mais la plupart du temps, ils s’adressent à un segment beaucoup plus large de la population. Les intellectuels ne représentent qu’une partie infime de la population.Les think tanks parviennent à analyser des enjeux politiques complexes, à déterminer s’ils sont en rapport avec la politique étrangère, la politique économique, la politique sociale, etc. et présentent leurs idées de telle sorte que la plupart des gens peuvent les comprendre. En ce sens, ils peuvent rendre service à une grande partie de la population, mais cela peut aussi être un mauvais service, car certains enjeux sont complexes par nature, et ne peuvent pas être découpés en petits morceaux. Regardez ce qui s’est passé lors du débat sur la santé aux Etats-Unis. Les think tanks ont contribué à polariser les discussions sur ce sujet. Il s’agit d’un débat où les think tanks ont essayé de réduire des enjeux complexes à une simple formule et n’ont pas tenu compte de certains arguments essentiels. Les think tanks peuvent enrichir la démocratie en communiquant leurs idées, mais ils peuvent également lui nuire, en kidnappant l’agenda politique pour parvenir à leurs fins. L’argument pluraliste selon lequel les Etats-Unis sont composés de groupes qui se battent pour avoir du pouvoir et de l’influence est aussi faible que l’hypothèse selon laquelle le gouvernement sera un arbitre impartial pour modérer ces intérêts contradictoires. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, ni dans de nombreux autres pays.

Nous savons que certaines institutions ou think tanks ont beaucoup plus d’influence que d’autres. Et certains sont bien mieux placés pour faire en sorte que les décideurs privilégient tel ou tel objectif.

SA : Les Canadiens connaissent-ils leurs think tanks ?DA : Je pense que la plupart des Canadiens les connaissent. Ils connaissent sûrement l’Institut Fraser, l’Institut C.D. Howe et peut-être quelques autres. Mais le Canada reposant sur le système démocratique de Westminster, avec des partis politiques forts et des députés qui sont censés adhérer aux principes parlementaires et à l’unité des partis, les think tanks ne jouent pas un rôle si important. Ils ne jouissent certainement pas de la même exposition médiatique qu’aux

Etats-Unis. L’impact des Etats-Unis sur la scène internationale étant bien plus important que celui du Canada, ce n’est pas surprenant que les think tanks américains fassent l’objet de plus d’attention. Après tout, ils peuvent influencer des décisions stratégiques, qui influencent la politique étrangère américaine.

SA : Une question sur le marketing des idées : vous mentionnez l’exemple intéressant de l’Heritage Foundation. Je trouve que la Fondation parvenait assez bien à cette époque à expliquer leurs positions à leurs cibles, mais

selon vous, leurs objectifs ne sont-ils pas multiples aujourd’hui ? Si vous parcourez les sites Internet de l’Heritage Foundation ou de la Brookings Institution, un citoyen lambda comprendra plus facilement les idées de l’Heritage que celles de la Brookings. Ne pensez-vous pas que l’Heritage Foundation a, peut être mieux que les autres, anticipé la révolution internet et rendu ainsi son site accessible au plus grand nombre ?DA : Je suis entièrement d’accord. Je pense que dès le départ, l’Heritage a réalisé que pour avoir de l’influence au Capitole, il fallait produire des études compréhensibles pour les décideurs politiques. La Brookings Institution a toujours eu la réputation d’être plus académique, plus universitaire, et son programme de recherche a donc eu tendance à s’articuler davantage autour de la publication d’ouvrages. Cette situation a un peu évolué car leurs chercheurs ont commencé à saisir l’importance de toucher un public plus large que le milieu académique. Pendant des années, il était notoire que la Brookings publiait des ouvrages pour les

« Les think tanks peuvent

enrichir la démocratie en

communiquant leurs idées,

mais ils peuvent également

lui nuire, en kidnappant

l’agenda politique pour

parvenir à leurs fins. »

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Entretiens

Entretiens Donald Abelson

décideurs, qui étaient généralement lus par des étudiants. Je pense que la Brookings a essayé de faire évoluer cette situation en touchant d’autres acteurs. Vous avez également raison quand vous indiquez que l’Heritage a compris le rôle et le pouvoir d’Internet. Ainsi, l‘Heritage a été l’un des tous premiers think tanks à créer une base de données contenant des milliers de noms de jeunes conservateurs qui souhaitaient travailler à Washington. L’Heritage a ensuite proposé à ces candidats des postes vacants au sein du gouvernement américain. Il s’agissait presque d’un service de rencontres, mais pour des jeunes souhaitant travailler pour le gouvernement. Et c’était considéré comme révolutionnaire car c’était un moyen pour l’Heritage de renforcer son emprise sur le gouvernement. Très peu d’autres think tanks sont parvenus à faire de même. Je pense que l‘Heritage a également saisi l’impact de faire du publipostage direct et de cibler certains segments de l’électorat américain davantage susceptibles de faire des donations à l’Heritage Foundation. C’était aussi assez révolutionnaire dans l’univers des think tanks, car l’Heritage s’est targuée pendant de nombreuses années du fait que l’essentiel de ses fonds provenait de contributions de moins de deux cents dollars. Ainsi, alors qu’elle était en mesure de se développer et qu’elle parvenait à recueillir des donations philanthropiques conséquentes, l’essentiel de son budget de plusieurs millions de dollars provenait de donations de citoyens lambda, qui appréciaient ses activités ; c’est quelque chose que l’Heritage entretient.Comme tous les think tanks américains, l'Heritage a un site Internet. Mais depuis de nombreuses années, elle y propose plus d’informations que la plupart d’entre eux. L'Heritage est gérée comme une entreprise, du sommet à la base, à la différence du Hoover Institute, qui est géré comme un département universitaire. L’Heritage est gérée comme une entreprise et c’est cet esprit d’entreprise, cette politique d’entrepreneurariat menée par Edwin Feulner et Paul Weyrich, qui ont dirigé l’Heritage pendant de

nombreuses années, et rendu ce think tank célèbre. Tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont bien fait et ils ont suivi une stratégie simple : communiquer leurs idées au plus grand nombre le plus efficacement possible. Fini le temps où l’on distribuait des notes à chaque membre du Congrès, maintenant tout se fait par email, grâce à des bases de données numériques et ils ont joué un grand rôle à cet égard.

SA : Est-ce que cela signifie qu’on ne peut pas concilier une activité très sérieuse avec la méthode Heritage ?

DA : Je pense que c’est possible, mais tout dépend des priorités du think tank. Si l’on se penche sur le budget de l’Heritage (entre 50 et 60 millions de dollars par an), entre onze et treize millions sont consacrés aux relations avec les médias. Consacrer autant de fonds à cet exercice est très significatif, cela montre que vous cherchez davantage à influer sur l’élaboration des politiques qu’à faire de la recherche. Si l’essentiel des fonds est consacré à la recherche et à l’embauche des chercheurs les plus qualifiés pour examiner de grands enjeux stratégiques, il s’agit d’un type de think tank très différent. Je recommande donc toujours aux gens qui tentent de déterminer quelles sont les priorités des think tanks d’examiner la gestion de leur budget. Suivant si l’essentiel des fonds est consacré à la recherche ou aux relations avec les médias et aux activités de lobbying, vous pourrez en

déduire certains éléments.Selon moi, l’Heritage a réalisé dès le départ que sa raison d’être serait de produire des études pour apporter des réponses rapides. Ce n’est pas pour autant que tous les think tanks doivent faire de même. A nouveau, cela dépend de qui sont les acteurs qu’ils cherchent à toucher, de comment ils comptent le faire et du meilleur moyen pour y parvenir. Je pense que vous pouvez combiner les deux : chercher certains universitaires très érudits et chercher des personnes qui parlent une langue compréhensible pour tous. On peut y parvenir, mais il faut de la volonté pour cela.

« Si l’on se penche sur le budget de

l’Heritage (entre 50 et 60 millions

de dollars par an),

entre onze et treize millions

sont consacrés aux relations

avec les médias. Consacrer

autant de fonds à cet exercice est

très significatif, cela montre que

vous cherchez davantage à influer

sur l’élaboration

des politiques qu’à faire

de la recherche. »

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Les think tanks en ArgentineAvec plus de 120 entités, l’Argentine est de loin le pays latino-américain qui compte le plus de think tanks. Ce nombre

élevé place le pays au cinquième rang mondial derrière les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne et la France.

Au-delà du simple aspect quantitatif, les fabriques d’idées locales sont aussi reconnues pour la qualité de leurs travaux. S’en veut pour preuve une étude réalisée par l’Université de Pennsylvanie l’an passé qui place deux think tanks

argentins parmi les cinq meilleurs de toute l’Amérique latine.

La richesse et la diversité de la scène des think tanks argentins sont directement liées aux spécificités de la construction de l’espace politique argentin. Les acteurs qui ont contribué, depuis le XVIIIème siècle, à modeler cet

espace, se sont constamment appuyés sur des réservoirs de pensée, source de légitimité et d’innovation politique. Ces derniers ont pris la forme de think tanks, largement inspirés du modèle nord-américain, dans les années 80, après la chute de la dictature, alors que la politique argentine était à réinventer et que plusieurs gouvernements successifs

revendiquaient un tournant libéral.

Aujourd’hui, l’Argentine compte beaucoup plus de think tanks que le Chili ou le Brésil, mais n’a pourtant pas connu les progrès économiques et sociaux réalisés par ses voisins au cours de la dernière décennie. Malgré une récupération

fulgurante après la crise économique de 2001 (taux de croissance supérieur à 9% sur plusieurs années), le pays peine encore à se défaire de ses difficultés récurrentes telles que l’inflation, les inégalités sociales et les problèmes de

gouvernance.

Horizons par Romain Canler et Jean-Marie Lécuyer THINK n°12 - Mars 2010 p. 12

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Horizons par Romain Canler et Jean-Marie Lécuyer

La construction de l’espace politique argentinAu XVIIIème siècle, la couronne d’Espagne, soucieuse de rationaliser et de renforcer l’administration de ses territoires situés à l’Est de la cordillère des Andes, crée la vice-royauté de La Plata qui regroupe l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie actuels. Cet ensemble, alors relativement pauvre en richesses naturelles, avait jusqu’alors été peu exploité et faiblement administré. C’est dans ce cadre géographique que va progressivement se constituer la « Nation argentine ».La sous-administration des territoires de la vice-royauté va laisser place à des expériences politiques originales comme l’Etat jésuite qui se développe au Paraguay et dans le nord de l’Argentine. Cette organisation théocratique, s’appuyant sur une doctrine égalitariste fait des indiens guaranis, préalablement christianisés, les égaux des colons espagnols, et aura une grande valeur exemplaire pour un certain nombre d’hommes politiques argentins du XIXème siècle.Les contours de l’espace politique argentin prennent leur forme moderne au début du XIXème siècle lors de la guerre d’indépendance, précédée d’une mobilisation populaire, essentiellement à Buenos Aires, contre plusieurs tentatives d’invasion britanniques. Les philosophes des Lumières et la Révolution Française servent de modèles aux pères de l’indépendance argentine. Cependant, au-delà d’un consensus sur les principes généraux, la scène politique argentine se divise rapidement entre un parti fédéraliste, d’inspiration girondine ou thermidorienne qui s’appuie sur l’aristocratie foncière, et un parti unioniste, davantage jacobin et centralisateur, qui recrute surtout dans la petite bourgeoisie de Buenos Aires. Le XIXème siècle argentin va être marqué par l’opposition, souvent violente, entre ces deux tendances. Chacune d’elles a ses propres « réservoirs de pensée » : Buenos Aires connaît une multiplication de clubs qui forgent un « jacobinisme » argentin, les leaders du parti fédéraliste constituent des sociétés de pensée qui s’inspireront du modèle américain. Période d’instabilité chronique, le duel entre les deux partis est souvent arbitré par des « caudillos » qui développeront progressivement une doctrine nationale-

catholique, également promise à un bel avenir.

Les axes structurant de la scène politique argentineAu XXème siècle, schématiquement, trois grands courants sont en compétition dans l’espace politique argentin : le libéralisme conservateur, le socialisme égalitariste et le nationalisme autoritaire. Chaque courant génère des centres de réflexion et d’influence à l’intérieur de partis politiques, de fédérations étudiantes ou de syndicats. L’Eglise elle-même devient un lieu de débat et d’affrontement entre ces courants et se divise entre national-catholicisme, doctrine sociale de l’Eglise ou Théologie de la Libération. Parfois, sous l’autorité d’un leader charismatique, des synthèses interviennent comme au sein du mouvement péroniste qui regroupera des tenants des trois courants. En effet, le courant nationaliste trouve en Perón un leader affirmé, partisan d’un nationalisme décomplexé. Les conservateurs lui reconnaissent le mérite d’avoir rétabli une certaine stabilité et les socialistes lui sont gré d’instituer des réformes instaurant davantage de justice sociale.Mais ces synthèses ambigües sont fragiles et c’est régulièrement l’armée qui y met un terme. L’influence des Etats occidentaux, et surtout des Etats-Unis, dans ces changements de régime est prépondérante. L’épouvantail d’une menace communiste, toute théorique dans le cas argentin, légitimera un grand nombre d’interventions de l’armée dans les affaires politiques.C’est la dernière d’entre elles, menée par une junte dirigée par le général Videla qui contribue à remodeler le paysage politique argentin. Bien plus répressive et violente que ses devancières, la junte bouleverse considérablement les habitudes politiques du pays. Le personnel politique des années 60 et 70 est décimé, marginalisé ou décrédibilisé par sa collaboration avec la junte. Au retour de la Démocratie, un intense besoin de renouvellement politique se fait sentir. Les nouveaux acteurs vont s’appuyer sur des partis politiques déjà existants comme l’UCR (social-démocrate) ou le parti justicialiste (péroniste) mais vont considérablement faire évoluer la production de politiques publiques en suscitant ou en encourageant la création de nombreux think tanks, directement

inspirés du modèle américain.

A l’origine des politiques libéralesOn retrouve des exemples concrets d'influence des think tanks dans la politique nationale au cours des deux mandats du président Menem (1989-1999).

Le CIPPEC (Centro de Implementacion de Politicas Publicas para la Equidad y el Crecimento /Centre d’Application des Politiques Publiques pour l’Equité et la Croissance)Fondé en 2000, il est l’un des principaux think tanks argentins. Se définissant comme une organisation indépendante, non-partisane et à but non lucratif, le CIPPEC se propose de travailler à la construction d’un Etat juste et démocratique. Le travail du CIPPEC repose essentiellement sur une phase d’analyse explicative et de promotion des politiques publiques et des idées génératrices de croissance et d’équité. La troisième phase est celle de la mise en œuvre d’actions concrètes dans les champs du développement socio-économique, de la gestion publique et du soutien aux institutions. Ses objectifs sont :

• Réaliser des analyses, conseiller et mettre en œuvre, promouvoir, coordonner et évaluer tout type de politique et / ou d’action dans le domaine public.• Créer, développer et diffuser des outils qui permettent à la société civile de participer plus activement aux politiques de l’Etat. • Servir de consultant sur les politiques publiques et contribuer au débat politique en produisant des propositions innovantes visant à améliorer l’action de l’Etat et le bien-être de la société civile.• Mener des projets et des travaux de recherche complémentaires à ceux d’autres think tanks argentins portant sur la résolution de problèmes liés au domaine public.• Les principales réalisations du think tank à ce jour sont de nombreux articles et dossiers d’étude des politiques éducatives, sanitaires, fiscales, judiciaires et administratives, sur le conseil au gouvernement dans ces domaines, ainsi que l’élaboration de notes explicatives sur les causes et conséquences d’un programme de politique publique, sur le fonctionnement des appareils d’Etat, notamment les corps de l’administration.

Aujourd’hui, le think tank s’appuie, pour mener à bien ces différentes missions, sur une équipe de travail composée d’une centaine de membres actifs (âge, sexe, formation, champ d’expertise etc…).

Auteur Olivier Urrutia

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Horizons par Romain Canler et Jean-Marie Lécuyer

Les recommandations du FIEL (Fundación de Investigaciones Económicas Latinoamericanas) publiées dans les années 80 ont grandement influencé la politique de privatisation menée par le gouvernement Menem lors de la décennie suivante. Le ministre de l'économie de l'ère Menem, Domingo Cavallo, avait pensé de son côté la convertibilité Peso / Dollar bien avant son entrée au gouvernement, lors de son passage comme chercheur au sein du think tank néolibéral Fundación Mediterránea. Si ces quelques think tanks ont à l’époque réussi à modeler le débat public sur les questions économiques, le contexte politique actuel oblige ceux d’aujourd’hui à positionner leurs idées de manière plus subtile.

Les think tank dans l'ère KirchnerLes think tanks traditionnels liés à l'idéologie néolibérale tels que le FIEL, la Mediterránea et le CEMA ont perdu

en influence au tournant du millénaire. L'application de leurs propositions économiques fut un échec retentissant, symbolisé par la crise économique de 2001. Ces entités passèrent au second plan pour céder leur place à des think tanks plus jeunes, souvent orientés au centre gauche et répondant à une demande de renouvellement des idées. Cippec, Pent, le Grupo Fénix, Flacso sont autant de nouveaux think tanks qui sont apparus au cours des années 2000. Nestor Kirchner, arrivé au pouvoir en 2003, puis sa femme qui lui succéde en 2007, sont connus pour faire cavalier seul sur les grandes réformes régaliennes. Les think tank argentins n'ont pas leurs entrées à la Quinta de Olivos,

la résidence présidentielle où se dessine la ligne politique adoptée par le gouvernement. La politisation du débat public s’étend à présent jusqu’aux plus petites unités de décision, limitant ainsi la capacité qu’ont les think tank à influencer les décideurs de manière directe.Les usines à idées locales sont, dès lors, contraintes de diffuser leurs propositions par d'autres moyens. Elles participent activement au débat public au travers de la presse et d'Internet et via l'organisation de workshops et de débats. Les experts issus des think tanks sont régulièrement courtisés par la presse locale et régionale pour fournir analyses et points de vue sur les actualités politiques et législatives.L'opposition au gouvernement en place semble plus réceptive à l'apport des think tanks. L’Unión Pro, groupement politique fondé par Mauricio Macri, l’actuel maire de Buenos Aires, a plusieurs entités affiliées.

L’homme d’affaires Francisco de Narvaez, représentant du PRO lors des dernières élections législatives à Buenos Aires et vainqueur dans son duel direct avec Nestor Kirchner, possède son propre réservoir d'idées appelé Grupos Unidos del Sur. Certains membres de ce think tank apportent aux législateurs leurs connaissances techniques sur l’élaboration de projets de lois. Cette collaboration au sein des commissions du Congrès constitue un axe d’influence intéressant, qui permet à Unidos del Sur de faire passer les idées véhiculées par l’opposition dans la vie quotidienne des Argentins.Dans l’orbite d’Unión Pro, on retrouve aussi la Fundación Creer y Crecer ainsi que le Groupe Sophia fondé par des proches de Macri, dont l'objectif

est de former dès à présent des fonctionnaires prêts à assumer des postes à responsabilités.

Défis à venirLes think tank argentins jouissent aujourd’hui d’une crédibilité renouvelée et leur avis est de plus en plus sollicité. Même si leur influence est loin d’égaler celles des groupes néolibéraux des années 1980 / 90, leur stratégie basée sur la collaboration avec les institutions et sur une visibilité accrue dans les médias pourrait s’avérer payante sur le long terme. Le fait que coexistent différentes sources d’émission de politiques publiques au lieu de la seule voix étatique bénéficie déjà grandement à la qualité du débat public.Mais la principale contribution des think tanks argentins réside dans leur capacité à former des hauts fonctionnaires publics, qui une fois en poste appliqueront leurs connaissances techniques à l’optimisation du fonctionnement des institutions.Ce travail de fond est essentiel mais le véritable défi pour les think tanks argentins sera de trouver des interlocuteurs plus proches du cercle des décideurs. Les élections présidentielles de 2011 seront pour eux une occasion de faire passer leurs idées directement dans les programmes des candidats. A moins de deux ans de cette échéance, on peut d’ores et déjà s’attendre à une intensification dans la production d’idées.

« La principale contribution des think

tanks argentins réside dans leur capacité

à former des hauts fonctionnaires publics,

qui une fois en poste appliqueront leurs

connaissances techniques à l’optimisation

du fonctionnement des institutions. »

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Le 04 février 2010, une proposition de loi du sénateur Yvon Collin (RDSE) est soumise au vote de l’Assemblée Nationale. Elle revient sur un thème récurrent initié dans les années 90 : l’institution d’un service dit « civique », c'est-à-dire la mise en place d’un dispositif permettant aux citoyens, et principalement aux jeunes, de se mettre au service de la Nation pour un temps déterminé et contribuer activement au renforcement de la cohésion sociale du pays. Au Palais Bourbon, elle emporte facilement l’adhésion à l’unanimité moins une voix. Elle connut le même succès quelques mois auparavant dans l’enceinte sénatoriale. Cette proposition de loi a pour ambition de réformer le dispositif peu satisfaisant institué par la loi pour l’égalité des chances de 2006. Portée par un élu de gauche, cette réforme dispose du soutien du gouvernement par son représentant en charge de la jeunesse et de la vie associative, Martin Hirsch*.

Ce consensus politique ne masque toutefois pas la diversité des approches qui a rythmé la construction de ce nouveau

service civil ou civique, volontaire ou obligatoire, encadré par l’armée ou par une institution civile, etc. Pour comprendre le parcours de cette idée dépassant les clivages traditionnels et ses cheminements au sein des sphères étatique et politique, il est nécessaire de revenir sur le contexte qui l’a vu naître et les

acteurs qui l’ont défendu tout au long des deux dernières décennies.

A l’origine : une réflexion sur la professionnalisation des arméesEn mai 1996, Jacques Chirac, Président de la République, annonce la suspension du service national. En 1997, dans le cadre de la professionnalisation des armées, cette annonce est entérinée par le législateur. Une mesure portée par un président de droite et approuvée par une majorité parlementaire de gauche. En contrepartie, la loi crée un « service national universel » construit autour d’un recensement obligatoire et

de la participation de tous les jeunes à une journée d’appel de préparation à la défense (JAPD). Pour compléter ce dispositif, le législateur prévoit la création de nouvelles formes de volontariats militaires et civils qui tarderont officiellement à voir le jour par la loi du 14 mars 2000.

L’idée de Jacques Chirac de réformer le volontariat civil en vue de la suspension de la conscription n’est pas neuve. Il existait déjà des alternatives civiles au service militaire comme l’objection de conscience ou la coopération. Dès 1993, dans le cadre de la préparation du Livre Blanc sur la Défense, Edouard Balladur, Premier Ministre, commande à Alain Marsaud un rapport sur les formes civiles du service national. Cette publication et l’avis du Conseil Economique et Social de 1995 serviront de base aux réflexions de la Commission parlementaire sur le service national mise en place en 1996

« Parti de réflexions

institutionnelles autour de la

reforme de la stratégie de défense

en 1993, le service civil devenu

civique a connu un parcours agité

semé d’idéologies préconçues sur

la jeunesse, d’utopie républicaine,

d’emballement médiatique et de

récupération politique. »

L’Institut Paul DelouvrierInstitut fondé en 1995 par les amis de l’ancien président d’EDF à qui ils en ont donné le nom. L’Institut présidé par Christian Bouvier et animé par Guy Snanoudj s’est fait connaître par ses travaux sur l’insertion des jeunes et ses prises de positions pour un volontariat civil. Doté d’un budget d’environ 100 000€, l’Institut développe également un baromètre régulier sur la satisfaction des usagers / clients des services publics en France.

Parcours d’une idée :

Le Service CiviquePar Amaury Bessard, Président Fondateur de l’Observatoire Français des Think Tanks.

* A quitté le gouvernement lors du remaniement ministeriel du 22 mars 2010.

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et présidée par Philippe Séguin. Sans détour, ce dernier dénoncera dans son rapport « La France et son service » le détournement du service national au profit de l’administration et vilipendera l’intention de celle-ci de biaiser les débats. L’accusation est vigoureuse. Sous couvert de la préservation du lien entre la jeunesse et la société, de la garantie de la mixité républicaine ou de l’intégration sociale, certains ministères défendraient un service obligatoire leur permettant de recourir à une main d’œuvre qualifiée à faible coût.

La relance : la persévérance de l’Institut Paul Delouvrier et une révolte socialeIl apparaît que la loi du 14 mars 2000 aurait déçu les attentes d’une partie de la société civile souhaitant aller au-delà d’une simple redéfinition des volontariats civils. Sans défendre un service obligatoire, de nombreux observateurs remarquent que la décision de 1997 modifie en profondeur le rapport des jeunes à la collectivité et que la loi de 2000 n’apporte pas une

réponse suffisante à l’enjeu. Ils en appellent donc à la création d’un véritable service civil. Jacques Voisard est de ceux-là. Ancien militaire passé dans l’administration française, il réunit au sein de l’Institut Paul Delouvrier quelques proches de son réseau et personnalités expertes dans le domaine du bénévolat et du volontariat. Dans ce groupe de travail, les militaires de carrière croisent des civils issus de l’administration centrale et de la vie associative. En effet, cette « réserve civile » de volontaires autrefois dédiée à l’administration aurait pu faire les beaux jours du monde associatif. En avril 2002, l’Institut publie une note intitulée « Réflexions et propositions pour un service civil volontaire national et européen ». Proposée aux candidats à la Présidentielle de 2002, elle ne recueille pas l’écho escompté.

En 2005 éclatent les émeutes en banlieue qui génèrent une véritable onde de choc en France. Une prise de conscience collective s’impose : la jeunesse semble avoir perdu ses repères et / ou a été oubliée par les politiques publiques. Sous l’égide de son président Jacques Dermagne, le Conseil Economique et Social reprend de la voix et organise un colloque autour du volontariat civil relançant les réflexions de l’Institut Paul Delouvrier. Ces évènements créent un engouement médiatique pour le service civil. En mars 2006, la loi pour l’égalité des chances institue un « service civil volontaire » mais semble manquer de moyens budgétaires et de clarté opérationnelle. L’Institut Montaigne constitue à son tour un groupe de travail « Amicus » qui publiera le fruit de ses réflexions dans son

rapport « Pour un service civique universel européen » lors de la campagne présidentielle de 2007. Les notes successives de l’Institut Paul Delouvrier trouvent désormais un écho plus favorable auprès des leaders politiques en course qui peuvent l’associer au thème de la sécurité ou de la citoyenneté. Le service civil prend progressivement et politiquement l’intitulé

de service civique.L’institutionnalisationL’agitation politique et médiatique passée, vient le temps d’une nouvelle réflexion institutionnelle. En mars 2008, Nicolas Sarkozy missionne le Conseil d’Analyse de la Société présidé par Luc Ferry sur le service civique. Accompagné et très épaulé par l’amiral Béreau, le CAS remet son rapport « Pour un service civique » six mois plus tard. Le volontariat y est préconisé au détriment de l’obligation. De son côté, Martin Hirsch lance une grande consultation en 2009 sous la forme d’un livre vert intitulé « Reconnaître la valeur de la jeunesse » comprenant un volet sur le service civique. Enfin, grâce à un rapport opérationnel de l’IGAS publié en novembre 2009, le service civique français se précise et tente enfin de passer du vœu pieu, du concept politique universalisant devenu mou au long des années à un dispositif applicable, mesurable et comparable. Ce rapport arrive au moment de l’élaboration de la loi que présentera M. Yvon Collin.

Si l’Institut Paul Delouvrier n’a pas élaboré le projet, il en a été l’un de ses plus fidèles artisans tout au long des dix dernières années. Parti de réflexions institutionnelles autour de la réforme de la stratégie de défense en 1993, le service civil, devenu civique, a connu un parcours agité semé d’idéologies préconçues sur la jeunesse, d’utopie républicaine, d’emballement médiatique et de récupération politique. Une nouvelle loi adoptée se charge de l’encadrer. Reste à savoir comment il sera réellement mis en œuvre…

Parcours d'une idée Amaury Bessard

L’Institut MontaigneNé en 2000 sous l’impulsion de Claude Bébéar, l’Institut Montaigne est l’un des premiers think tanks français à avoir accordé une place stratégique à sa communication. Bénéficiant de nombreux soutiens de la part du monde de l’entreprise, l’Institut dispose d’un budget de plus de 3 millions d’euros. Initialement dirigé par Philippe Manière, il est aujourd’hui animé par François Rachline et une équipe permanente d’une dizaine de personnes.

1993 Réflexion institutionnelle sur la professionnalisation des armées

1996 Annonce de Jacques Chirac de la suspension du service militaire

2000 Loi du 14 mars relative aux volontariats civils

2002 Note de l’Institut Paul Delouvrier « Réflexions et propositions pour un service civil volontaire national et européen »

2005 Emeutes en banlieue

2006 Loi du 31 mars pour l’égalité des chances

2007 Rapport de l’Institut Montaigne « Pour un service civique universel européen »

2008 Rapport du conseil d’Analyse de la Société « Pour un service civique »

2009 Livre Vert sur la Jeunesse de Martin Hirsch

2010 Adoption de la proposition de loi relative au service civique déposée par le sénateur Yvon Collin

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THINK n°12 / mars 2010Édité par L’Observatoire français des think tankswww.oftt.eu / [email protected] gratuit sur le site internet de l’OFTT

Directeur des publications : Sélim AlliliConseiller éditorial : Amaury BessardRédactrice en chef : Emilie JohannRédacteur en chef adjoint : Romain CanlerDirecteur artistique : Julien MénetratSecrétaire de rédaction : Agnès IborraComité de rédaction : Sélim Allili, Amaury Bessard, Romaric Bullier, Romain Canler, Jean-Marie Lécuyer, Mathilde Soyer,Olivier Urrutia