Michel Onfray Supercherie

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Michel Onfray est l’un des modèles actuels de l’indigence de la pensée provoquée par la rencontre entre ses errements historiques, philosophiques ou politiques tout en surfant sur l’inculture de la foule.

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MICHEL ONFRAY, PRIX BOGDANOV DE LA CRITIQUE

Michel Onfray a chang de Dada. Il ne s'agit plus pour lui, longuement, d'anantir la pense psychanalytique, dans toute sa diversit et son histoire finalement plurielle, par la critique de la personnalit de Freud, mais d'crire, au passage, un vif article, publi par le Nouvel Observateur, dans lequel notre matrialiste immdiat, notre technicien de surface littraire, entend dfendre Derrida contre les ravages d'une biographie crite par un dangereux tintinophile nomm Benot Peeters. Que la mthode ad hominen initie par Onfray dans sa critique du freudisme trouve ici dans l'esprit de l'auteur de nouvelles dlices, nous n'en doutons pas : il lui faut au passage rappeler que l'auteur de la biographie ne peut rien entendre Derrida, d'tre amoureux de Tintin, et d'en savoir trop sur la bouteille d'Archibald Haddock. On se gausse d'emble, franchement, quand on sait que l'acadmicien Jean-Luc Marion, dont les ouvrages de phnomnologie sont tout de mme des chefsd'uvre de philosophie pure, est un amoureux de Tintin. Et que Benot Peeters n'est de toute faon pas rductible son amour de la Bande Dessine. Il faudrait quand mme, un jour, se demander ce que valent de tels arguments... Qui finissent par faire le grain ais et continuel de nos plus belles plumes philosophiques. Michel Onfray, ce renom ! Pensez-vous... Franchement, on n'y comprendra rien, sa logique, au Michel, et au bon sens de son Universit populaire, s'il faut commencer, pour le suivre dans sa cohrence de voyant, par dzinguer, ainsi qu'il le fait, une biographie de Derrida sous prtexte que son auteur aima Tintin. Le discours de l'Universit reprendrait-il donc ses droits, ds lors que cela arrange les propos de Michel Onfray ? Etrange, bizarre... Pour une pense soi-disant si ouverte au non-acadmisme. Un tel acadmisme, soudain ! Mais retour du refoul, sans doute... Mais peut-tre le matrialiste Onfray prendra-t-il une autre fois la dfense de l'idaliste Marion. Pour quelque raison aussi obscure et superficielle que celles qui le conduisent abhorrer, pour le coup, cette biographie de Derrida. S'il n'y avait que cela... Mais le pire n'est pas difficile trouver. Ds la premire ligne. Onfray dclare qu'il tient la biographie d'un auteur pour une cl majeure de sa philosophie. C'est videmment la mthode qu'il a appliqu Freud, et on ne saurait, sur ce point, dnier sa folle cohrence. Sauf que cela est d'une vacuit commensurable aux excs narcissiques de notre temps. Proust, dj, n'avait-il pas contr Sainte-Beuve, en rappelant que le moi social de l'crivain n'avait pas grand chose voir avec le moi profond de l'crivain ? C'est une leon dont nous avons encore besoin. En ces temps o le moi clabaude peu prs partout, entre plumages et ramages, quel intrt y a-t-il demeurer engonc dans la perception egocentre d'une uvre ? La ralit est tout autre : un auteur prte la littrature son cas, comme une matire la prte l'uvre, et l'art et la pense sont des choses la fois aussi anonymes et singulires qu'une syntaxe, qu'un style, qu'une orientation ou obsession. Ce n'est pas une question de biographie. C'est un symptme Onfray, cette importance qu'il accorde l'individualit du crateur. Symptme de quoi ? De toute sa pense... Onfray est un matrialiste. Onfray est un anti-religieux. Mais nous aussi. Mais Onfray vous reconduit, tt ou tard, l'hdonisme sot et satisfait d'une telle lucidit. Jouissez donc, Messieurs-dames, en toute libert ! Et, puisque mme la psychanalyse vous empche de jouir, soyez, par un rictus de supriorit, grand zlateur des dboulonnages ! Quel programme, en effet, en ces temps o, plus que jamais, nous avons besoin de repenser du Commun et de nouvelles formes politiques ! Autant suivre, dans ce cas, avec avantage, la flamboyante mtorite hdoniste de ce philosophe gar dans les Lumires du dix-huitime sicle, et qui s'appelait La Mettrie. Il nous faut donc soutenir la thse, sans difficult, qu'Onfray, en dpit de ses grandes qualits

d'crivain, n'est que l'impasse de ce que Badiou appelle le matrialisme dmocratique . Matrialisme drisoire, sans vrit aucune, sans exception, et qui ne voit, partout, que corps et langages. Jouissances. Nous ne sommes plus au temps des Diderot ou La Mettrie, et n'est plus matrialiste authentique qui veut ! Car toute notre affaire, aujourd'hui, est de savoir de quel matrialisme nous nous ferions, les uns les autres, les dfenseurs. Et force est de constater qu'Onfray n'en dlivre que la part la plus animale. Sa Politique du rebelle s'ensable dans le mouvant d'un anarchisme chic, tout au mieux. Et rien de plus. Il y a bien longtemps que Lacan a montr qu'une pense comme celle d'Onfray n'est qu'aptre du plus-de-jouir, qui ne mnera gure plus loin qu' la consommation de la Tl-ralit-pour-tous, ou la partie fine. Onfray est un rvolutionnaire d'apparat, pour vieilles questions religieuses, dj rgles entre sains esprits matrialistes, et qui nous fait passer son hdonisme pour rvolutionnaire. Onfray est, en vrit, peu prs commensurable au capitalisme des belles et impuissantes petites jouissances. Alors, la question se pose... Pourquoi Onfray vole-t-il, tout coup, au secours d'une sorte de dignit transcendante de Derrida ? Piti pour Derrida , dit-il, et on croit rver les yeux ouverts la vue d'un tel titre. Je ne me perdrai pas en conjectures, quoique j'en aie quelques unes dans mon panier intuitif. Car c'est videmment, tout a, voulue par Onfray, l'alliance du fier zeppelin et de la baudruche. Non seulement la pense de Derrida n'a rien voir avec celle d'Onfray, mais sa classe intrinsquement philosophique (et voil une tout autre dfense de Derrida) est d'un autre univers. Onfray n'a rien voir avec Derrida. Car Derrida aura ternellement voir avec la philosophie. Aucun philosophe vraiment endurant, vraiment srieux, ne peut enjamber Derrida. Tandis qu'Onfray est de l'ordre, le soir, au coin du feu, du conteur philosophique. Onfray aurait mieux fait de se situer dans quelques analyses immanentes aux crits de Derrida. Trop matrialiste et attach la mathmaticit de l'tre pour cela, je n'aime pas la manire de procder de Derrida ; mais je le respecte infiniment. Je sais qu'il est, avec Badiou, Deleuze, des plus grands de la gnration de mes matres. Je sais dj que je le relirai, une fois grand-pre, au soleil couchant d'un aprs-midi de montagne, et que je m'introduirai encore, alors, dans les marges de ses Marges , avec curiosit et fascination. Je sais que son uvre est semblable, en grandeur, celle de Heidegger ou de Husserl. Il y a, en France, depuis les ''Nouveaux philosophes'', une habitude de plus en plus marque, et qui consiste s'emparer des noms pour simuler leur dtention dans ses propres crits. On subsume par simple nomination. Et on s'vite par-l de les lire et de s'y confronter. Ce cache-sexe doit cesser de dissimuler la pornographie d'insignifiance d'un certain nombre de philosophes mdiatiques... De l cette confusion de notre temps sur la philosophie. Sur ce qu'elle est. L'image cre met sur le mme plan uvres majeures, souvent difficiles, dont on ne connat qu'un vague reflet, et petits matres bruiteurs. Onfray vous recommandant Derrida, en abattant son biographe, aimerait-il nous faire croire qu'il dfend son gal, Derrida, contre les mauvais procds ? Pour tous les philosophes un peu plus rigoureux, quoique plus discrets, ce procd d'appropriation est semblable une escroquerie littrale et de spectacle. - Qu'un nain dfende un instant (ou combatte) un gant ne le mtamorphose pas en Golem. Voil ce que Michel Onfray, dans son article, vient de faire avec la mmoire de Jacques Derrida. Ce pour quoi il mrite peu prs, et au choix, un Prix Botul ou Bogdanov de la critique.