Meynaud Nouvelles Etudes sur les groupes de pression en France (1962)

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Jean Meynaud Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études (1960) Nouvelles études sur Les groupes de pression en France Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel : mailto: [email protected] Dans le cadre de la collection : "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca

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Un des ouvrages fondateurs de la recherche sur le lobbying en Europe

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  • Jean Meynaud Directeur dtudes lcole pratique des Hautes tudes

    (1960)

    Nouvelles tudes sur

    Les groupes de pression en France

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole Professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec

    et collaboratrice bnvole Courriel : mailto: [email protected]

    Dans le cadre de la collection : "Les classiques des sciences sociales"

    dirige et fonde par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

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    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole, professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec. Courriel : mailto:[email protected] JEAN MEYNAUD Nouvelles tudes sur Les groupes de pression. Paris : Les Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1962, 448 pp. Collection : Cahiers de la Fondation nationale des sciences politique, n 118.

    Courriels des ayant-droit : Mme Meynaud-Zographos (pouse) : [email protected] Hlne-Yvonne Meynaud (fille) : [email protected]

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    Jean Meynaud

    (1962)

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    Du mme auteur

    CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES Librairie Armand Colin, Paris. N 95. LES GROUPES DE PRESSION EN FRANCE. puis. N 100. INTRODUCTION LA SCIENCE POLITIQUE. 2e dition. 1961. 376 p. N 118. NOUVELLES TUDES SUR LES GROUPES DE PRESSION EN FRANCE. 1962, 408 p. TUDES DE SCIENCE POLITIQUE Lausanne (Suisse). N 1. LA SCIENCE POLITIQUE : FONDEMENT ET PERSPECTIVES. 1960, 228 p. N 2. TECHNOCRATIE ET POLITIQUE.1960, 116 p. N 3. LES GROUPES DE PRESSION INTERNATIONAUX. 1961, 560 p. N 4. DESTIN DES IDOLOGIES. 1901, 104 p. N 5. LES SAVANTS DANS LA VIE INTERNATIONALE. (En collaboration avec Brigitte Schrder.) En prparation.

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    Sommaire AVANT-PROPOS Chapitre I. CADRE DE L'ENGAGEMENT

    I. CHOIX D'UNE CONCEPTION DU GROUPEII. CLASSES ET GROUPES

    III. FRONTIRES DE LA NOTION DE GROUPEGroupes et activits collectives.Groupes et dmarches individuelles.

    IV. UN INSTRUMENT DE SYSTMATISATION : LE GROUPE D'INTRT

    V. TYPOLOGIE DE L'INTRT COMMUN

    VI. TAPES DE L'IDENTIFICATION

    VII. QUESTIONS CONTROVERSESLe cas des affaires. Le cas des glises.

    Chapitre II. FONDEMENTS SOCIAUX DU RASSEMBLEMENT

    I. DVELOPPEMENT DE L'ACTION COLLECTIVE

    II. INTRTS COUVERTSGroupements de dfense.Organismes de promotion.

    III. CAPACIT D'ADAPTATION

    IV. FRAGMENTATION DE CERTAINS SECTEURS

    V. FAIBLESSES DANS LA REPRSENTATION

    VI. LES GROUPES D'INTRT EN TANT QUE PARLEMENT SOCIAL

    VII. INTERVENTIONS EXTRIEURESInternationales d'affaires. Organisations internationales non gouvernementales.

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    Chapitre III. SENS DE LA PRESSION

    I. LES GROUPES ET LA POLITIQUEPolitisation de l'objet. Relations des groupes avec les partis.

    II. RPARTITION DES GROUPESlments d'une classification. Difficults de la rpartition.

    III. CONTROVERSES SUR LE MODE DE DSIGNATION

    IV. LE CAS DES INSTITUTIONS PUBLIQUESV. LA PRESSION DASSISE TERRITORIALE

    Chapitre IV. STYLES D'ACTION

    I. PART DE LEXPRIENCE NATIONALETraits de la psychologie franaise. Influence du systme des partis.

    II. FACTEURS INTRINSQUESAmpleur et qualit du recrutement. Importance des ressources financires. Modalits d'organisation. Nature des valeurs affirmes ou dfendues.

    III. DENSIT ET RYTHME DE L'ACTIVIT DE PRESSIONRseau de relations Contacts avec les parlementaires. Liaisons avec les fonctionnaires. Relations avec la presse.

    Intervention dans les lections Essai d'orientation des adhrents. Octroi d'un concours financier.

    Actions spcifiques.Actions dfensives. Actions offensives.Actions mixtes.

    IV. TECHNIQUES D'INTERVENTIONtat des techniquesNgociations et argumentation.Mobilisation des adhrents.

    Recours l'action directe, Emploi de la grve, Utilisation de la puissance financire.Utilisation des facults lgales.

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    Facult d'emploiV. SITUATION SOCIO-POLITIQUE DES GROUPES

    lments d'ajustementStatut des groupesAudience auprs des autorits.Estime sociale auprs de l'opinion.

    Chapitre V. RECHERCHE DE L'ACCS

    I. INTGRATION DES INTRTSAdministration consultative, Le cas du Commissariat au Plan, Conseil conomique et Social, Gestion de certains secteurs, Vue d'ensemble,

    II. POINTS D'APPLICATIONGroupes et Assembles parlementairesRelation des groupes avec les ministres et leurs collaborateursRapports des groupes avec l'Administration lments de base. Lignes de conduite.

    Les forces militairesGroupes de pression et pouvoir judiciaireLes interventions au niveau des collectivits locales

    III. ACTION SUR L'OPINION PUBLIQUETactique des groupes.Techniques de persuasion.Rsultats acquis.

    Chapitre VI. ISSUE DES REVENDICATIONS

    I. SCHMA D'VALUATIONtapes du combat des groupes Obtention de l'accs. Prise de la dcision. Excution des mesures adoptes. Persistance de la dcision. Totalisation de ces stades.

    Apparences et ralitII. FACTEURS DE L'ISSUE

    Ce qui tient au groupe Nature de la demande. Potentiel de lutte.

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    Ajustement des facults aux objectifs.

    Ce qui tient aux autres groupesFragmentation des intrts.Concurrence entre les groupes. Situations d'indiffrence.

    Ce qui tient aux pouvoirs publics Rle des agencements institutionnels. Distribution des forces politiques.

    Ce qui tient aux facteurs externesIII. POSITION DES GROUPES

    lments d'interprtation.Ractions aux choix gouvernementaux.

    Chapitre VII. BILAN

    I. PLACE DES GROUPESvolution des faits.Jugements sur l'volution.Relve des partis par les groupes ?

    II. AVANTAGES ACQUIS PAR LES POUVOIRS PUBLICSSens de ce concours.Un autre mode d'interprtation.

    III. CONSQUENCES DE L'INTERVENTION DES GROUPES

    Analyse des critiques Protectionnisme social.Immobilisme gouvernemental.Refus des disciplines collectives.Altration de la balance des forces.

    Le problme de la politique extrieureIV. GROUPES DE PRESSION ET INTRT PUBLIC

    Notion de l'intrt public.Essais de rglementation des groupes.

    CONCLUSION

    ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

    INDEX DES AUTEURS

    LISTE DES GROUPES CITS

    INDEX DES SUJETS

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    AVANT-PROPOS

    Retour au sommaireEUX DIFFICULTS ont compliqu l'tablissement de cette nouvelle version : les changements apports par la Ve Rpublique au fonctionnement des

    institutions et les insuffisances de la science politique franaise dans l'analyse monographique des groupes de pression.

    D

    De ces obstacles, le premier est trop vident pour exiger un long commentaire. Nous manquons encore du recul indispensable pour valuer correctement l'incidence des modifications dans la rpartition des pouvoirs et le style de la vie publique. Certes, il n'est pas impossible d'apercevoir des essais d'adaptation et des signes de continuit, le maintien de la constitution sociale du pays rendant inconcevable une mutation soudaine des conduites professionnelles et, des ractions idologiques. Mais, sur de nombreux points, nous ne sommes pas en mesure de prsenter des descriptions et d'mettre des jugements qui chappent aux servitudes de la polmique quotidienne.

    Par ailleurs, la carence des tudes scientifiques est inquitante. On invoque

    volontiers pour la justifier le caractre confus et occulte des dmarches accomplies auprs des autorits. Ce n'est qu'un mdiocre prtexte, la situation s'expliquant par l'attrait des sentiers battus et le poids de la routine. Les quelques travaux disponibles (en particulier l'ouvrage de Henry Ehrmann sur le patronat) ont consolid et largi la somme de nos connaissances sur des points dcisifs. Ils ont prouv que ce secteur des relations sociales n'est pas inaccessible au chercheur.

    L'analyse des groupes de pression en France comporte, de la sorte, de graves

    lacunes et de multiples sujets d'hsitation. Il nous a sembl prfrable de ne jamais cacher ces dfauts. Conscient des faiblesses de la premire version, nous avons entirement rcrit l'ouvrage qui, dans son tat prsent, reste un essai. Tout en gardant l'essentiel de l'armature thorique prcdente, nous en avons revu et modifi plusieurs aspects. La partie illustrative a t presque compltement transforme.

    Dans ces conditions, il a paru opportun de donner ce travail un titre qui, tout

    en tablissant une relation directe entre l'ancienne et la nouvelle version, illustre la nouveaut du texte soumis au lecteur sans dissimuler le caractre partiel de divers

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    dveloppements. Nous esprons que, d'ici quelques annes, les conditions seront runies pour l'tablissement d'un volume qui comporte moins de points d'interrogation et de motifs de perplexit.

    * *

    La formule groupe de pression est dsormais entre dans le vocabulaire politique quotidien. On l'emploie pour exprimer ou systmatiser les multiples interventions effectues sur les pouvoirs publics en vue d'obtenir l'octroi d'avantages matriels ou le soutien de positions idologiques. De nombreux esprits, sans contester pour autant la ralit des phnomnes dcrits, repoussent ce mode d'appellation ou s'en dclarent insatisfaits.

    En ralit, la dfinition courante soulve autant de problmes qu'elle contient

    de mots. On peut mme la dclarer globalement contestable en signalant que les autorits ne se font pas faute d'agir sur leurs interlocuteurs. La prsentation habituelle ne montre pas que les groupements, s'ils effectuent des pressions, sont aussi susceptibles d'en recevoir. Pour des motifs de commodit didactique, nous gardons le concept usuel comme point de dpart : cependant, cette notion sera critique, prcise et complte au fil des dveloppements. C'est seulement aprs avoir consult l'ouvrage dans son entier que le lecteur sera en mesure de bien connatre le sens et la porte que nous attachons cette catgorie.

    Ce livre, s'il met en vedette divers problmes d'actualit, s'attache surtout dgager les lments durables du problme. Il a t prpar et rdig sans esprit partisan. Il servira, peut-tre, alimenter des polmiques. C'est l une servitude des sciences sociales qu'il n'y a aucun moyen de renverser et qu'il serait ds lors vain de rcuser, Nous y avons trouv une incitation la prudence dans l'expos des faits et la rserve dans l'valuation des conduites.

    Lausanne, juillet-novembre 1961.

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    CHAPITRE 1 CADRE DE LENGAGEMENT

    Retour au sommaireN SE FONDANT sur la notion de groupe, les thoriciens de la pression excluent gnralement de leur champ d'investigation plusieurs sries de phnomnes

    voisins ou connexes. Ces lments font rarement l'objet d'une prsentation explicite. Les dimensions attribues au concept de groupe tant de nature purement conventionnelle, ce silence engendre de srieuses imperfections. Nous voudrions montrer ici la relativit des sparations habituelles sans ncessairement prconiser leur rejet.

    E

    Un point complique l'effort de systmatisation politique : les incertitudes et les

    controverses de la sociologie dans l'analyse des groupes. Ces querelles, parfois d'ordre terminologique, correspondent aussi, en de nombreux cas, des dsaccords sur le fond. Il en rsulte une grande varit de dfinitions et de classifications qui ne facilite pas la tche de l'utilisateur.

    I. CHOIX D'UNE CONCEPTION DU GROUPE

    Retour au sommaireCertains sociologues, partisans d'une conception extensive, tiennent pour un groupe toute situation ne de la rencontre de deux ou plusieurs individus (ainsi, la limite, le fait de demander l'heure une personne dans la rue). Cependant, beaucoup de spcialistes s'efforcent de construire une notion plus restrictive et homogne, mais les opinions diffrent sur les traits de cette dlimitation 1. Les uns se bornent exiger un minimum d'unit de comportement, la pluralit et la 1 La bibliographie sociologique des groupes est la fois vaste et confuse. Voici quelques

    lments dont la consultation pourrait servir de base une tude approfondie : SOROKIN (P.A.), Society, culture and personality. Their structure and dynamics, New York, 1947 (chap. 4 9) ; HOMANS (G.C.), The human group, Londres, 1951 ; CARTWRIGHT (D.), ZANDER (A.) ed., Group dynamics. Research and theory, Evanston (Illinois), 1953 ; HARE (A. Paul), BORGOTA (E.F.), BALES (Robert F.), Small groups. Studies in social interaction, New York, 1955 ; BONNER (H.), Group dynamics. Principles and applications, New York, 1959.

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    proximit des individus en cause leur paraissant tre les bases essentielles du groupe 1. D'autres, au contraire, procdent une spcification rigoureuse qui repose, en particulier, sur des attitudes communes et l'tablissement d'une cohsion au moins relative des conduites 2.

    Nous adopterons une position moyenne subordonnant l'octroi de la qualit de groupe l'existence d'un certain nombre de donnes. Trois facteurs se retrouvent dans de nombreuses dfinitions : un rseau de relations se dveloppant selon un modle reconnu ou encore la survenance d'une stabilisation des rapports entre les membres ; un sentiment d'appartenance donnant aux adhrents l'impression de former une collectivit vis--vis de ceux qui restent l'extrieur ; une communaut de dessein reprsentant normalement le point de stabilisation. Selon les cas, ces traits existent un degr plus ou moins lev : nous admettrons, par convention, que l'on ne saurait parler de groupe en l'absence complte d'un ou plusieurs d'entre eux.

    Dans le langage courant, on emploie souvent le terme de groupe pour dsigner

    un ensemble d'individus possdant une ou plusieurs caractristiques communes ( hommes , femmes , habitants des villes , diplms de l'enseignement suprieur ...). Il s'agit, en ralit, de simples groupages, ventuellement susceptibles d'un recensement statistique. Les collectivits ainsi voques existent seulement dans l'esprit de ceux qui en font l'tude ou en ralisent le dcompte. Cependant, ces rassemblements, conceptuels et non rels, ont une valeur pour l'analyse sociale ds que les traits en cause agissent sur la formation des attitudes individuelles ou provoquent la cration d'un groupe proprement dit (exemple, entre beaucoup d'autres, des associations fminines et des groupements de jeunes).

    Plusieurs sociologues attachent une importance considrable l'agencement

    collectif allant jusqu' refuser le nom de groupe aux formations ne possdant pas une incontestable organisation interne 3. De mme, K. Mannheim fait de la notion groupes organiss la pice centrale de sa classification des groupes, y introduisant la famille, le clan, la tribu, la communaut de voisinage, le parti politique, la bureaucratie, l'tat 4. L'argumentation parat correcte condition de voir dans l'organisation le mode d'tablissement et de fixation de rapports stables entre les membres. Ce rsultat est obtenu par l'addition de plusieurs traits : un minimum de division des fonctions ; un certain degr de cristallisation des conduites permettant de prvoir, avec quelque certitude, les comportements effectifs des membres, au moins dans les situations ne s'cartant pas trop de la 1 Ainsi J. FOLLIET dans l'ouvrage collectif L'homme et les groupes sociaux, Paris, 1960, p. 21. 2 Voir la dfinition complexe donne par G. GURVITCH in Trait de sociologie (publi sous sa

    direction). Tome I, Paris, 1958, p. 187. 3 Selon l'expression de LUCIO MENDIETA Y NUNEZ, Thorie des groupements sociaux suivie

    dune tude sur le droit social, traduit de l'espagnol, Paris, 1957, p. 30. 4 Voir Systematic sociology. An introduction to the study of the society, London, 1957, chap. 8

    10.

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    normalit ; une technique de conservation et de transmission des valeurs communes, etc. Cependant, mme si l'on attribue au critre organisation ainsi entendu, une grande place dans l'identification des groupes, il est prfrable de conserver, en tant qu'lments de repre, le sentiment d'appartenance et l'identit de but qui expliquent l'acceptation de disciplines collectives.

    Mais, on peut entendre le mot d'organisation au sens plus restreint d'un

    agencement institutionnel de type juridique (terme d'ailleurs ambigu puisqu'il sert par extension dsigner le corps organis lui-mme : les organisations professionnelles ). Tel semble tre le cas d'Allen Potter qui, tudiant les activits de pression en Grande-Bretagne, s'est servi de la formule groupes organiss pour spcifier les dimensions du domaine abord 1. Caractrisant l' organisation par quelques lments simples (un nom et une adresse ; des dirigeants ou un comit de gestion ; des statuts ou, au moins, des rgles non crites de fonctionnement), il carte de son propos la pression exerce par les individus ou les groupes dpourvus des particularits qui composent un agencement formel. Ce mode d'identification apporte l'analyse sociologique une indniable commodit : il est pourtant difficile de l'accepter.

    Certes, les lments numrs par Potter, qui sont d'ailleurs imprcis et

    lastiques, constituent un facteur de stabilisation des rapports l'intrieur du groupe. Ils ne diffrent de ceux que nous avons avancs que par un niveau plus marqu de formalisme. Autrement dit, certaines situations que Potter cartera comme non organises (crivains rassembls pour la signature d'un manifeste ; firmes harmonisant leurs conduites sur la base d'un arrangement tacite ...) peuvent tre tenues pour organises avec une conception plus sociologique et moins juridique de l'organisation. Au total, surtout si la distinction se fonde sur des traits formels, la notion de groupe non organis est sociologiquement suspecte. Ce que Potter entend par l comporte des situations que l'on peut rattacher au concept de groupe et d'autres qui ne lui sont pas assimilables, le critre de la stabilisation des rapports servant tablir la ligne de partage. Il reste indiquer que les groupements utilisent des systmes d'agencement diffrents et que la comparaison de ces divers types, notamment sous l'angle de l'efficacit, reprsente un aspect intressant de la thorie de l'action collective.

    En dehors des controverses relatives la notion mme du phnomne, un autre

    point divise les sociologues : la rpartition en un certain nombre de catgories des multiples groupements de toutes sortes qui agissent dans la pratique. Selon une valuation amricaine, les spcialistes auraient dj propos plus d'une centaine de rubriques 2. G. Gurvitch a tabli une classification comportant quinze entres principales, (chacune faisant son tour l'objet de plusieurs subdivisions 3. 1 Organized groups in British national politics, Londres, 1961. 2 FAIRCHILD (H.P.) ed., Dictionary of sociology. Ames (Iowa), 1958, p. 187. 3 In : La vocation actuelle de la sociologie, 2e dition, volume I, Paris, 1957, pp. 305-352.

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    On comprend, ds lors, l'avantage que vaudrait l'analyse politique la facult

    de dlimiter, d'un coup, dans cet ensemble complexe, les groupes relevant de sa comptence directe ou susceptibles d'en faire l'objet.

    Nous n'avons pas retenu parmi les critres du groupe la permanence de l'action

    collective. Ce n'est qu'un facteur de classement des organismes. Les uns possdent une mission de reprsentation et de surveillance gnrales dont la dure est en quelque sorte illimite.

    D'autres se forment dans un but prcis et unique, l'obtention d'un succs devant

    normalement provoquer la fin des dmarches et la dissolution du groupement. La dure de fonctionnement dpend des objectifs viss sans influer ncessairement sur la nature de l'activit dploye. Il est vrai que beaucoup de groupes tentent de se survivre par des moyens divers, une fois puis ou disparu le mobile de leur constitution.

    II. CLASSES ET GROUPES

    Retour au sommaireNul ne refuse aujourd'hui de voir dans la stratification sociale une variable importante, sinon essentielle, de la distribution des prfrences politiques. Mais, rserve faite de la conception marxiste, nous ne disposons encore d'aucun schma satisfaisant pour l'analyse de cette relation. Une telle carence n'tonnera pas si l'on observe l'extrme confusion, de forme et de fond, qui, malgr tant de recherches, entoure l'examen des clivages sociaux.

    Selon un courant de pense, les classes sociales ne constituent pas de vritables

    groupes sociaux en raison d'une double particularit d'ordre structurel : imprcision de leur contenu et fluidit des frontires qui les sparent les unes des autres (grande importance numrique des situations intermdiaires) ; absence chez leurs membres de tendances ou aspirations communes susceptibles de provoquer l'unification des conduites. Les classes seraient ainsi des sortes d'agrgats fonds sur quelques caractristiques assez solides pour valoir l'ensemble des membres un lment d'homognit ou de parent, mais trop diffuses pour susciter chez eux le besoin ou le souhait d'une activit concerte. D'autres spcialistes adoptent un point de vue entirement oppos : ainsi Jean Lhomme qui dfinit la classe comme un groupe humain qui, ayant une fonction remplir, en a conscience et fait ce qui est en son pouvoir pour la remplir en effet 1. Mentionnons galement l'un des

    1 In : Le problme des classes. Doctrines et faits, Paris, 1938, p. 82. Renvoyons galement son

    dernier ouvrage, La grande bourgeoisie au pouvoir (1830-1880), Paris, 1960, qui apporte une illustration magistrale de cette position.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 16

    traits retenus par G. Gurvitch pour dfinir les classes : l'incompatibilit radicale qui s'affirme dans leurs rapports respectifs 1.

    Pour l'analyse politique, qui seule importe ici, le point fondamental reste de

    savoir si les classes engendrent, en tant que telles, des organismes de combat ou de revendication. La question a t surtout discute au niveau des partis, les dbats n'ayant pas abouti la formulation de thses univoques 2. Mais elle se pose aussi au plan d'autres formations (en particulier syndicats de travailleurs). En raisonnant sur le cas franais, il est facile de voir qu'une fraction, et non certes la totalit, de ces groupements a trouv dans la conscience de classe un mobile de constitution et un principe d'impulsion. Il est galement acquis que les exigences de la lutte quotidienne ont eu pour rsultat d'altrer la puret du dessein initial. Il existe aujourd'hui une doctrine qui proclame l'attnuation des conflits de classe et, partant, le dclin des idologies dans les socits dites opulentes de l'Occident : nous avons exprim ailleurs de srieuses rserves sur cette nouvelle variante de l'opportunisme 3.

    Ces observations ne sont pas contredites par la cration d'organismes de

    dfense des classes ou couches moyennes qui exercent une activit notoire en plusieurs pays dont la France : voir, en particulier, le rle du Comit National de Liaison et d'Action des Classes Moyennes 4. Cette tendance a galement suscit la naissance d'un Institut International des Classes Moyennes (fond en 1903) et d'une Union Internationale Catholique des Classes Moyennes (cre en 1956). On pourrait tre tent de voir dans ces organismes le mode d'insertion directe d'une couche sociale dans l'activit politique : mais cette supposition n'est gure fonde. Chacun sait combien reste vague et confus le concept des classes moyennes dont la valeur scientifique s'avre, au minimum, discutable 5. Dans les descriptions courantes qui en sont faites, cet ensemble comporte des lments franchement htrognes et ayant des proccupations discordantes (artisanat et petit commerce d'une part, employs et cadres de l'autre).

    Selon une vue, aujourd'hui la mode, les classes moyennes seraient constitues

    de cette partie des travailleurs qui disposent d'un capital intellectuel ou matriel : cependant, en mettant sur le mme pied aux fins d'une hypothtique unification le

    1 In : Trait de sociologie, op. cit., p. 199. 2 Voir notamment l'ouvrage collectif de l'Association Franaise de Science Politique, Partis

    politiques et classes sociales en France (sous la direction de Maurice DUVERGER), Paris, 1955. Consulter galement BENDIX (R.), LIPSET (S.M.) ed., Class, status and power. A reader in social stratification, Glencoe (Illinois), 1953.

    3 Voir notre ouvrage Destin des idologies, Lausanne, 1961. 4 Le Comit, qui grouperait aujourd'hui une quarantaine d'associations, fait entrer dans les classes

    moyennes notamment les petites entreprises, les artisans, les membres des professions librales, les agriculteurs ( l'exclusion de la grande proprit) ainsi naturellement que les cadres.

    5 Consulter toutefois BLETON (Pierre), Les hommes des temps qui viennent. Essai sur les classes moyennes, Paris, 1956.

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    possesseur d'un fonds de commerce et le titulaire d'un diplme d'ingnieur, on tablit la fragilit et l'absence de vraisemblance de la catgorie considre.

    Les organismes de dfense, et notamment le Comit franais, affirment que les

    classes moyennes reprsentent l'lment le plus favorable l'quilibre conomique et social. Leur but dclar est de dvelopper un esprit de solidarit entre les membres de ces couches si diverses. Pourtant, dans la majorit des cas, les groupes qui se rclament de ce pavillon dfendent les intrts d'une fraction particulire et, notamment, de celle que menace le progrs conomique. En fait, cette notion a plus de porte comme instrument du combat social (spcialement rpartition de la charge fiscale) que comme outil d'investigation positive 1.

    Au total, sous l'angle propre de cet ouvrage, il n'apparat pas possible de

    ramener les classes sociales des groupes susceptibles d'intervenir, en tant que tels, sur les autorits gouvernementales. L'action de la stratification sociale nous parat tre de contribuer la fixation des opinions et la dtermination des conduites au sein de tous les groupements qui participent, de prs ou de loin, la gestion des affaires publiques. Cette influence, moins mcanique et exclusive que ne le disent les thoriciens marxistes, repose sur les facteurs objectifs de diffrenciation qui, mme dans les socits conomiquement avances continuent de sparer les hommes, et sur la conscience qu'en ont les intresss (des dcalages restant toujours susceptibles de s'instituer entre la place relle d'un individu sur l'chelle sociale et l'ide qu'il se fait de sa position).

    III. FRONTIRES DE LA NOTION DE GROUPE

    Retour au sommaireElles sont difficiles saisir. En bien des cas, l'application de cette notion une situation concrte dpendra d'une valuation subjective et, donc, sujette controverse. Nous allons prsenter quelques lments de rflexion sur la ligne de partage.

    1 Voir l'tude de Roland RUFFIEUX, L'influence politique des classes moyennes , pp. 190-

    211, in : Les classes moyennes dans l'conomie actuelle (ouvrage collectif). Fribourg et Louvain, 1961 (en particulier la 3e partie : Classes moyennes et stratgies politiques) qui prsente ces classes comme les victimes des Fronts et l'enjeu des groupes d'intrt . Voir galement l'tude de John BONHAM, The middle class vote, London, 1954 (cas de la Grande-Bretagne).

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 18

    GROUPES ET ACTIVITS COLLECTIVES.

    Retour au sommaireLes sociologues sont gnralement d'accord pour exclure de la catgorie groupe les rassemblements de foule (y compris ceux ayant allure de manifestation, l'occasion desquels s'affirme entre les participants et souvent avec intensit, un foyer commun d'attention et d'action rciproque). Ils en cartent galement la notion de public que l'on peut dcrire comme un agrgat d'individus ragissant aux mmes stimuli (ainsi tlspectateurs ) sans que les membres soient ncessairement en tat de proximit physique. Autre notion du public : l'ensemble des personnes qui, un moment donn, s'intressent au mme problme (liaison avec l'tude de l'opinion).

    Quand le public est matriellement runi en un lieu quelconque, les sociologues parlent d' audience (ou, si l'on veut, d'auditoire au sens de la collectivit de ceux qui coutent). Un cours d'enseignement suprieur relve gnralement de cette formule : ce n'est pas un groupe. Mais si, l'issue de la leon, s'institue habituellement un sminaire dont le fonctionnement suscite la cration de pratiques rgulires, ne peut-on dire que l'assistance tend se transformer en un authentique groupe ? Par sa simplicit mme, cet exemple montre la difficult d'tablir des barrires rigoureuses et immuables entre les groupements proprement dits et la srie, mal dfinie et malaisment reprable, des situations voisines.

    On trouverait plusieurs cas de cet ordre en tudiant les rapports des

    intellectuels avec la vie politique 1. Afin d'viter les controverses sur le contenu de cette catgorie, nous nous bornerons quelques remarques sur les crivains et artistes. On emploie souvent leur propos le terme de milieu (milieux littraires ou artistiques de Paris par exemple) sans donner ce mot un sens rigoureux. Cette appellation trs vague prte confusion et il serait utile d'examiner les divers modes de relations qu'elle couvre. Il arrive que les crivains n'entretiennent que des rapports superficiels et pisodiques (l'emploi du concept de public constituant alors, et encore pas toujours, le maximum de systmatisation concevable). En d'autres occasions, des crivains forment de vritables groupes qui entrent directement dans notre champ d'observation : ainsi le Comit National des crivains, fond au sein de la Rsistance pour coordonner l'action de ses membres.

    1 Voir sur ce point l'tude de BODIN (L.), TOUCHARD (J.), Les intellectuels dans la socit

    franaise contemporaine. Dfinitions, statistiques et problmes , Revue franaise de science politique 9 (4), dc. 1959 : 835-880 (numro spcial sur ce problme). Pour une prsentation diffrente, consulter l'ouvrage plusieurs gards, discutable, de HUSZAR (G.B.) ed., The intellectuals. A controversial portrait, Glencoe (Illinois), 1960. Se reporter galement au numro de la revue Arguments (4e trimestre 1960) sur Les intellectuels .

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 19

    Mais, entre ces deux ples, on relve de nombreuses situations intermdiaires. Ainsi, les salons littraires qui, certaines poques de la vie franaise, ont pris une part importante dans la formation de l'esprit public et exerc une influence sur les actes des autorits 1. Pensons galement aux implications des manifestes appuys par des crivains ou artistes en renom. Il est possible que l'opration se limite un simple octroi de signatures n'entranant aucune stabilisation ultrieure des rapports entre les participants. En d'autres circonstances, divers facteurs (et, notamment, une volont rpressive des pouvoirs publics) transforment un ensemble diffus de participants en un organisme d'intervention mieux articul et, ds lors, se rapprochant du groupe 2.

    Au cours des annes rcentes, on a parfois utilis l'expression de parti

    intellectuel ou parti des intellectuels pour systmatiser diverses positions collectives de refus et de protestation l'gard du nouveau rgime et de la guerre d'Algrie 3. L'expression constituait la fois une improprit terminologique et une surestimation politique : elle traduit pourtant une tendance des convergences dans les attitudes qu'il serait regrettable d'exclure d'une tude consacre aux pressions sur les autorits gouvernementales. Nous en voquerons divers aspects par la suite.

    Le procd du manifeste n'est pas ncessairement vou la critique des actes

    gouvernementaux. On peut aussi l'utiliser pour favoriser la diffusion d'une idologie. Ainsi le Manifeste pour une socit libre , adopt les 7 et 8 fvrier 1959 par les membres d'un colloque du Mouvement pour une Socit Libre qui se prsentait cette occasion comme un rassemblement intellectuel et doctrinal mais non politique. M. A. Pinay, alors ministre des Finances, affirma souscrire aux principes comme aux conclusions de la dclaration, destine donner un nouveau lustre aux thses du no-libralisme 4.

    Citons un dernier exemple : le cas des intellectuels rassembls autour d'une

    revue. On envisage normalement qu'un priodique soit cr par un groupe qui veut assurer l'expansion de ses ides. l'inverse, il y a des cas o c'est autour d'une publication que se cristallise une tendance (voir, par exemple, le rle de 1 Pour une intelligente analyse du rle historique des salons, voir PICARD (R.), Les salons

    littraires et la socit franaise 1610-1789, New York (Brentano's), 1943. Voir aussi CHAPUISAT (E.), Salons et chancelleries au XVIIIe sicle daprs la correspondance du conseiller J.-L. du Pan, Lausanne, 1943.

    2 Nous pensons en particulier, la Dclaration sur le droit l'insoumission dans la guerre d'Algrie . Voir le recueil de documents Le droit l'insoumission : le dossier des 121 , Paris, 1961 (Cahiers libres, n 14). Pour un exemple tranger, voir PAPA (E.R.), Storia di due manifesti il fascimo e la cultura italiana, Milan, 1956 (le manifeste des intellectuels fascistes de Giovanni Gentile et le contremanifeste de Beneditto Croce).

    3 Voir par exemple NADEAU (M.), Vers un "parti intellectuel", Lettres nouvelles, fvrier 1961 : 3-11 ; l'auteur entend par cette expression l'exercice des pouvoirs d'animation de la pense .

    4 On en trouvera un expos sommaire in L'conomie, 12 fvrier 1959, p. 10.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 20

    Tmoignage chrtien ou de la revue Verbe). C'est un phnomne frquent en France ainsi que le montre pour les annes 1930, le rle de publications comme Raction, Combat, L'Ordre nouveau, Plans 1. Mais par sa continuit et son ampleur le meilleur exemple de cette catgorie est celui d'Esprit, fond en 1932 comme un centre o catholiques et non catholiques se rejoindraient dans une attitude commune (personnaliste) devant les problmes de l'heure politiques, sociaux, artistiques, littraires... En bref, selon la volont d'E. Mounier, cette publication devait tre une revue de rassemblement, donc de confrontation entre croyants et non croyants. Trs vite, Esprit groupa un noyau actif d'hommes qui se voulaient indpendants des clivages habituels. Au point de dpart, l'Universit en tait l'lment de gravit : aujourd'hui, le cercle des animateurs de la revue s'est largement ouvert l'Administration (jeunes membres de l'Inspection des Finances et du Conseil d'tat) ainsi qu'au journalisme.

    Il est possible que de tels phnomnes relvent davantage de la diffusion des

    idologies que de la pression politique. Mais la ligne de partage entre les deux sries reste difficile tracer. En un sens, il ne s'agit pas d'un groupement formel (encore qu'il y ait des groupes Esprit en plusieurs villes de France et de l'tranger ainsi qu'une organisation des Amis d'Emmanuel Mounier), Pourtant, l'ensemble a une cohrence et une sorte de style qui commandent de lui rserver une place particulire dans l'analyse des forces politiques.

    GROUPES ET DMARCHES INDIVIDUELLES.

    Retour au sommairevoquons maintenant la frontire qui spare les actions individuelles des interventions collectives. Il arrive que l'individu accomplisse comme tel des actes de pression. Il n'est pas pour autant un groupe. Il s'agit simplement ici d'examiner le principe de la diffrenciation dont on ne se fait pas toujours une juste ide.

    Premier aspect de la question : les dmarches accomplies par un individu isol qui intervient sans prendre appui sur un lment collectif quelconque. Mais ne doit-on pas galement compter avec les personnalits assez fortes pour donner une impulsion de leur choix un organisme ou une institution proprement dite ? Soit, par exemple, la gestion de la Banque Centrale dont chacun sait l'importance qu'elle revt pour la politique conomique. Dans la plupart des tats, cet tablissement fait dsormais partie du secteur public et semi-public. Or, il est bien connu que l'influence exerce par la Banque sur les autorits dpend de la valeur et du

    1 Il est regrettable que nous ne disposions pas d'tudes monographiques sur ces relations. Voir

    toutefois COUTROT (A.), Un courant de la pense catholique. L'hebdomadaire Sept , Paris, 1961. On trouvera plusieurs aperus sur les revues des annes 1930 in TOUCHARD (J.), L'esprit des annes 1930 , publi dans l'ouvrage collectif Tendances politiques dans la vie franaise depuis 1789, Paris, 1960, pp. 89-120.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 21

    temprament de l'homme qui en est le chef suprme : il en rsulte que, selon les cas, le rle de l'organisme comme facteur des dcisions conomiques subira des variations considrables. Par ailleurs, la manipulation de la masse montaire met en mesure de peser sur le cours de l'action gouvernementale. L'exprience montre qu'en divers pays ce pouvoir a t utilis soit pour des raisons d'orthodoxie conomique, soit pour des mobiles d'ordre idologique (les premires apportant souvent une couverture commode aux seconds).

    On s'explique ainsi qu'en de nombreux cas, les ministres intresss aient jug

    indispensable la russite de leurs plans une modification dans le personnel dirigeant de l'Institut d'mission. Ce fut l'une des premires mesures dcides en 1936 par le Cabinet de Front Populaire : on possde bien d'autres exemples d'une telle mutation 1. En sens inverse, il est vrai, la rigidit bureaucratique comme aussi la persistance d'anciennes fidlits limitent parfois les marges de manuvre du successeur.

    En principe, l'lment qui nous concerne ici est le complexe form par

    l'organisme et le leader qui en assume la gestion. De cette faon, l'tude de la personnalit se trouve rintgre dans l'analyse des groupes. Il reste simplement exclure de celle-ci les dmarches de l'individu isol qui agit en dehors de tout rattachement un systme collectif et exerce une influence, le cas chant, par la seule force de sa personnalit. Cette diffrenciation soulve parfois des problmes dlicats d'interprtation : songeons, par exemple, la capacit de persuasion que donne un homme isol en apparence, le fait de disposer d'un rseau de relations et d'amitis ou simplement d'un capital d'estime dans des institutions auxquelles il n'appartient pas ou plus (anciens militaires).

    Dernire observation : quand on traite du rle de l'individu en politique, il ne

    faut pas se limiter aux personnalits hors-srie capables d'influencer, au moins durant une priode, le cours de la vie nationale. On doit galement penser l'homme moyen dans ses rapports directs avec l'une ou l'autre des autorits gouvernementales et notamment les parlementaires. C'est l un aspect du problme de la circonscription dont l'influence sur la conduite des dputs est aussi certaine que mal connue. Cette action s'exerce par des techniques d'intervention collective que nous retrouverons plusieurs reprises : mais on ne saurait exclure de cette pression les dmarches d'lecteurs individuels en vue d'obtenir un avantage personnel ou d'inflchir un choix de porte gnrale.

    1 Le dernier en date (juillet 1961) est la lutte qui s'est livre au Canada entre le Cabinet

    conservateur de M. J. Diefenbaker et le gouverneur de la Banque du Canada, M. J.E. Coyne. Celui-ci entendait s'opposer la politique montaire expansionniste voulue par les autorits pour lutter contre le sous-emploi : en dpit des garanties statutaires qui le protgeaient, le gouverneur a d quitter sa charge, non sans avoir men une pre bataille contre le premier ministre.

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    Enfin, il convient de ne pas oublier le rle des experts extrieurs l'Administration qui, de faon officielle ou prive, fournissent des avis ou suggestions aux hommes responsables des dcisions : opration susceptible de constituer l'un des lments, encore trop souvent ngligs par les spcialistes, de l'infiltration technocratique.

    Ces brves remarques sur l'activit et l'influence de l'individu en politique sont

    simplement indicatives d'un ordre de faits peut-tre trop diffus pour se prter une complte systmatisation. Il est vrai aussi que ce phnomne se trouve masqu en une large mesure par la propension des hommes se rassembler pour l'accomplissement de tches collectives. Cette tendance a provoqu la formation d'innombrables groupements qui sont venus s'ajouter aux cellules sociales traditionnelles comme la famille ou le voisinage. Les groupes de pression sont ncessairement issus de cet ensemble : est-il possible de particulariser les sources de recrutement de cette catgorie ?

    IV. UN INSTRUMENT DE SYSTMATISATION :

    LE GROUPE D'INTRT

    Retour au sommaireSon tude a t entreprise voici une dizaine d'annes par David Truman 1. L'approche du problme qui se situe dans la ligne de la behavioral school a connu un vif succs aux tats-unis o, en peu de temps, l'expression d'interest group a bnfici d'une large audience et d'un emploi tendu. En voici l'inspiration fondamentale.

    Cette notion a pour base l'existence d'attitudes communes (shared attitudes) chez les membres du groupe ce que l'on peut appeler un intrt commun . Selon Truman, elle permet de saisir les demandes prsentes par n'importe quel groupement vis--vis d'autres groupes sociaux en vue d'tablir, maintenir ou tendre des formes de comportement suscites ou commandes par ces attitudes. En d'autres termes, le groupe d'intrt se prsente comme un ensemble d'individus qui, sur l'impulsion d'un intrt commun , expriment des revendications, mettent des prtentions ou prennent des positions affectant, de manire directe ou indirecte, d'autres acteurs de la vie sociale.

    Le concept d' intrt commun est pris ici, on le voit, en un sens moralement

    neutre. Il couvre aussi bien le dsir d'obtenir une plus large part du revenu national ou l'lvation du prix du bl, que le souhait de mettre fin aux discriminations et perscutions raciales. Comme l'exprime, en termes excellents, Samuel Beer

    1 The governmental process. Political interests and public opinion. New York, 1951,

    spcialement pp. 33-39.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 23

    l'intrt dans cette prsentation se dfinit comme une simple disposition agir en vue de raliser une quelconque fin 1 : ce qui correspond en somme l'ide moderne de l'attitude dans laquelle les psychologues voient la variable expliquant le passage d'une situation un comportement. L' intrt commun s'identifie ainsi une attitude collective, c'est--dire l'attitude d'un groupe en tant que tel. L'intrt-attitude ainsi caractris est soit positif, tendant promouvoir ou maintenir un tat des affaires, soit ngatif, visant empcher ou disloquer une certaine situation. Sans entrer dans une tude psychologique, disons la suite de Beer que de telles dispositions comportent gnralement, quoiqu'en proportion variable, des lments motionnels et cognitifs.

    Cette conception neutre de l' intrt commun est refuse par plusieurs

    auteurs qui lui reprochent d'tre en contradiction avec le langage courant. Selon eux, il est impossible d'attribuer la qualit de groupe d'intrt aux organismes qui se proccupent de la promotion de causes morales ou spirituelles (ainsi les glises), l'expression voquant invitablement la recherche d'un avantage matriel. Ils retiennent parfois cette rubrique pour en faire l'intitul d'une subdivision rserve aux formations ayant comme raison d'tre l'accomplissement de dmarches favorables au statut ou au bien-tre de leurs membres. Rduite de la sorte n'embrasser qu'une partie des conduites d'intervention, la notion de groupe d'intrt perd sa signification originale qui est de dvoiler l'unit d'inspiration et de fondement des activits de pression sous l'apparente diversit des mobiles.

    L'octroi d'un sens neutre au terme intrt implique une convention d'analyse.

    Supposons ce choix acquis : est-il possible d'identifier les groupes d'intrt une catgorie particulire de groupes ou, au contraire, tous les groupes ont-ils vocation entrer dans une telle catgorie ? Il est difficile de rpondre nettement.

    La sociologie amricaine tablit volontiers une distinction entre les groupes

    primaires (relations directes et intimes concernant un petit nombre de membres : famille, communaut de voisinage...) et les groupes secondaires (rapports impersonnels liant une grande quantit d'adhrents : syndicats professionnels, partis politiques...). Cette classification n'est pas sans rappeler l'ancienne diffrenciation Gemeinschaft-Gesellschaft 2. Les groupes secondaires correspondent des organismes dlibrment constitus pour rpondre un besoin quelconque : ce sont en principe nos groupes d'intrt. Mais les tudes les plus rcentes paraissent renoncer l'tablissement d'une sparation rigoureuse entre les deux types : elles prsentent l'ide d'un continuum dont formations primaires et secondaires seraient les ples idaux. On observe en fait des groupes secondaires

    1 In : Patterns of government. The major political systems of Europe (S.H. BEER et A.B. ULAM

    ed.), New York, 1958, p. 33. 2 Pour un expos rapide, mais prcis, de cette opposition, voir BELL (E.H.), Social foundations

    of human behavior, New York, 1961, pp. 297-302. Se reporter galement une bonne analyse de K. DAVIS, Human society, New York, 1950, chap. II.

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    composs d'un tout petit nombre de gens agissant sur la base de rapports directs entre leurs membres (crivains ou universitaires qui lancent des proclamations). D'un autre ct, on peut se demander si tout groupe (y compris des organismes classs dans la rubrique primaire ) n'est pas susceptible de constituer un groupe d'intrt : extension qui, en rduisant la facult slective du concept, affaiblirait sa porte analytique.

    Revenons Truman : il trouve le fondement de cette catgorie dans les

    attitudes communes traduisant un besoin ou un souhait qui entrane des revendications l'gard d'autres groupements sociaux. En rgle gnrale, il y a une troite correspondance entre la prsentation de telles demandes et le fonctionnement (ou, au dpart, la formation) de groupes secondaires dont la multiplicit semble bien tre une constante des socits modernes (infra). Mais un groupe tiquet primaire ne peut-il tre amen prendre des positions semblables ? Il est difficile de ne pas l'admettre : ainsi, habitants d'un carrefour qui rclament la municipalit l'tablissement de feux de signalisation. On peut dire qu'en ce cas, le groupe considr change de nature et, ressentant un besoin spcifique, devient un groupe secondaire. Cette interprtation sauvegarderait l'assimilation groupes d'intrt groupes secondaires mais au prix d'une argumentation que certains jugeront peut-tre artificielle ou spcieuse. En dfinitive, la catgorie groupe d'intrt a probablement, d'une manire ou d'une autre, une vocation plus extensive qu'on ne l'envisage habituellement 1.

    Le groupe d'intrt, au sens de Truman, est susceptible d'emprunter des voies

    diverses pour la ralisation de son programme. Il peut s'attaquer directement ceux dont il est ncessaire de modifier le comportement pour avoir gain de cause (syndicat de travailleurs s'affrontant aux patrons pour la fixation du taux du salaire). Il a galement la facult d'intervenir sur les autorits officielles pour en obtenir des mesures capables d'assurer la satisfaction de ses demandes. Selon la terminologie de Truman, ces organismes deviennent ainsi des groupes d'intrt politiques, cette qualification leur tant acquise ds qu'ils s'attachent raliser leurs objectifs par une action sur les pouvoirs publics. En somme le passage du groupe d'intrt ordinaire au groupe d'intrt politique dpend d'une simple modification dans le choix des points d'intervention sans impliquer de rupture dans

    1 Le problme relve, bien entendu, d'une autre interprtation dans les socits de type ancien (

    supposer que l'opposition primaire-secondaire y conserve une relle signification). Il en rsulte une identification des groupes de pression diffrente de celle qui prvaut dans nos pays. Ainsi, tudiant les groupes d'intrt au Liban (dans un rapport fait en 1958 l'Association Internationale de Science Politique), Ralph E. Crow introduit sur la liste des organismes de pression les grandes familles (dont les chefs reprsentent la fois les membres unis par des liens de parent et la nombreuse paysannerie qui en dpend conomiquement et politiquement). Le lecteur rpondra peut-tre que nous avons dans les socits modernes de l'Occident le phnomne deux cents familles : mais l'expression, qui ne saurait tre accepte dans le vocabulaire scientifique sans analyse ultrieure, traduit des phnomnes d'une autre nature et d'un ge diffrent.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 25

    les intentions finales. Il est vrai qu'une telle option peut tre ralise ds le dpart et impliquer le cas chant (exemple des partis), une concentration exclusive de l'activit sur le secteur autoritaire.

    En somme, ce nouveau concept permet de saisir les aspects politiques de

    l'action des groupes d'intrt (la politique tant comprise ici en un sens large, non comme l'ensemble des dmarches lies aux activits partisanes, mais comme la participation l'laboration et l'excution des dcisions qui intressent la collectivit toute entire et s'imposent elles). Or, n'importe quel groupe d'intrt est susceptible d'entreprendre de telles dmarches.

    Soit, par exemple, un groupement cycliste. Au moment d'organiser une course

    sur route, il va tre oblig de solliciter une autorisation de passage. Cette demande, compte tenu des difficults de trafic sur les voies de grande communication, risque de susciter l'opposition d'autres catgories d'usagers (clubs d'automobilistes). Le gouvernement franais a dj pris cet gard des dispositions restrictives (interdiction, durant certaines priodes de l'anne, de toutes les preuves sportives sur les voies axiales et dans les cols). De telles dcisions sont susceptibles d'engendrer un marchandage dans lequel pourront intervenir, surtout au niveau des autorits locales, des considrations de politique partisane. Mais, bien entendu, l'ampleur du recours la voie publique varie selon les groupes.

    V. TYPOLOGIE DE LINTRT COMMUN

    Retour au sommaireEn apparence, l'intrt commun change d'un groupe l'autre. Plusieurs tentatives ont cependant t faites pour classer ces motivations concrtes en quelques catgories gnriques. Aucune de ces recherches ne nous a valu et ne pouvait, en ralit, nous procurer une cl parfaite d'interprtation. Chacune pourtant contient des lments utiles. 1. La classification la plus courante est celle qui distingue les groupes la recherche d'avantages matriels pour leurs membres, de ceux vous la dfense de causes idologiques, morales ou philanthropiques (et que les Anglais appellent d'une expression intraduisible promotional groups). Un syndicat patronal est l'exemple type de la premire catgorie, une association contre le racisme le modle de la seconde (ou encore un groupement philanthropique apportant secours autrui). Cette rpartition correspond en gros au diptyque action intresse dsintresse au sens courant de ces mots. Tout en ouvrant des perspectives sur les mobiles de l'action collective, elle justifie d'assez nombreuses critiques dont voici les principales.

    Certains groupes dfendent la fois des intrts matriels et des causes

    morales. Le Syndicat National de l'Enseignement Secondaire, par exemple, se

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 26

    proccupe aussi bien de questions corporatives (traitements, heures supplmentaires, vacances, retraites ...) que de problmes pdagogiques (valeur du cycle d'observation et plus gnralement de la rforme de l'enseignement). Aujourd'hui, suivant une longue tradition syndicale dont nous donnerons de multiples exemples, il prend parti sur des affaires qui relvent de la nation dans son entier (Algrie ; volution de la Communaut...). La sauvegarde du statut professionnel a t et demeure le ciment principal de l'union : cependant, on commettrait une erreur et une injustice en ngligeant les autres sources d'inspiration.

    Seconde faiblesse : la jonction ralise par de nombreux groupes entre la

    dfense d'avantages et la promotion de valeurs. Les syndicats mdicaux refusent le contrle fiscal par consultation des registres au nom du secret professionnel qui reste l'un des articles de la mdecine librale. La rfrence idologique constitue souvent en de tels cas la couverture de positions intresses (utilisation par les patrons du thme de l' entreprise libre contre celles des interventions tatiques qui leur dplaisent) : cependant, l'affirmation morale a parfois une valeur autonome. Dernire remarque : le continuum intress dsintress offre matire interprtation subjective. La place attribue chaque groupe risque de varier selon l'humeur et les prfrences partisanes de l'interprte (ainsi en irait-il, entre beaucoup d'autres, pour l'Association des Parents d'lves de l'Enseignement Libre).

    En somme, cette classification doit tre utilise avec soin, ce qui comporte

    ncessairement un risque d'arbitraire. Selon ses partisans, elle aurait l'avantage d'ouvrir des perspectives sur la frquence relative des interventions politiques dans le dispositif d'action des groupes : les groupements qui se consacrent la dfense de causes trouvant dans ces dmarches l'essentiel de leur mode d'influence tandis que les autres, et spcialement les organisations professionnelles, mettraient en uvre des moyens plus diffrencis. La remarque n'est pas inexacte sous une rserve srieuse : en plusieurs pays, dont la France, la politique, en tant que mode d'action et systme de motivation, tient une place grandissante dans l'activit quotidienne de tous les groupes (associations buts matriels comprises).

    2. Voici une seconde mthode de rpartition due un auteur amricain, Harry Eckstein. Celui-ci distingue les groupes fonds sur des caractristiques objectives (auxquels il rserve le nom de groupe d'intrt) et ceux fonds sur la promotion de valeurs morales ou de conceptions idologiques (qu'il appelle groupes d'attitudes) 1. Les premiers se livrent une activit collective, le cas chant de

    1 In : Pressure groups politics. The case of the British Medical Association, Londres, 1960, pp. 9-10. Avec des diffrences de vocabulaire, A. POTTER (op. cit., chap. I) s'inspire d'une systmatisation analogue. Il distingue deux grandes catgories : les groupes qui se font les reprsentants ou interprtes d'intrts particuliers (sectional interests) ; ceux qui s'attachent la dfense de valeur ou conceptions morales (promotors of causes). Il ramne ces intrts aux caractristiques d'ordre divers (physiques, professionnelles ou sociales) qui existent

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 27

    nature politique, sur la base du trait ou de l'ensemble de traits qui particularise leurs membres pralablement l'engagement et qui correspond soit une proprit inne (sexe ou couleur de la peau), soit un tat acquis (chef d'entreprise ou paysan). Cette notion se rapproche des facteurs de groupage voqus ci-dessus et dont nous avons vu qu'ils taient capables, mais pas ncessairement, de susciter une action concerte. L'attitude commune nat ventuellement de ces caractristiques objectives et l'action qui en rsulte est gnralement d'esprit intress . Quant aux autres groupes, auxquels Eckstein refuse d'appliquer le qualificatif groupe d'intrt , ils trouvent leur origine immdiate dans une communaut d'aspirations morales ou idologiques (parmi lesquelles on peut ranger le dsir d'apporter secours aux catgories dshrites). On voit aisment que cette approche conduit une interprtation diffrente de la prcdente : une association de Noirs luttant contre la discrimination raciale sera dite dsintresse avec le premier systme et intresse avec le critre d'Eckstein.

    L'un des lments essentiels qui transforment un lment de groupage en un

    facteur de groupement est la volont de dfense. Si, demain, un quelconque gouvernement dcidait d'imposer des charges particulires aux hommes blonds, nous verrions trs probablement se constituer des groupes d'intrt partir de la couleur de la chevelure. De faon plus gnrale, ce passage intervient sur la base de caractristiques ou discriminations ayant des implications sociales, c'est--dire de celles qui, compte tenu du contexte culturel, peuvent valoir leurs possesseurs des menaces particulires ou des faveurs spciales. La notion de dfense (lutte pour carter des prils ou obtenir des avantages) traduit parfaitement la situation.

    Le mode de classification d'Eckstein nous parat contestable dans la mesure o

    celui-ci, voulant rapprocher le sens politique du mot intrt de son acception courante, rserve l'expression groupe d'intrt une srie particulire de situations. Notons qu'en faisant entrer dans l'action intresse le perfectionnement du statut social et moral (lutte contre les discriminations raciales), cet auteur s'exposera aux critiques de ceux qui veulent identifier l'intrt aux seuls avantages matriels. Mais cette conception, sous rserve d'un important complment que nous exposerons plus loin (groupes d'affaires), parat utile pour l'interprtation des divers types de groupes d'intrt politiques et spcialement des groupes de pression dont nous tablirons plus tard les particularits propres. Elle prsente en tout cas un avantage en nous montrant que l' intrt commun rsulte tantt d'un choix dlibr (et donc rvocable) de l'individu, tantt d'une caractristique objective (et donc, en principe, de porte plus durable). Sans penser minimiser la force des impratifs de la conscience, observons qu'en bien des cas l'existence de facteurs objectifs d'identification ou de situation, fait de l'action une

    indpendamment de l'organisation de ces intrts par un groupe (ce qui lui permet, contrairement aux thories courantes, de faire entrer dans la catgorie des intrts les groupes ethniques et religieux).

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 28

    ncessit. Il serait utile d'tudier si les groupes dont l'impulsion profonde vient d'un trait commun prouvent moins de difficults que les autres s'assurer un recrutement adquat et des ressources financires satisfaisantes.

    Au surplus, la mise en application pratique de cette distinction ne va pas sans

    difficults. Certains groupes ont en effet un recrutement bivalent : ainsi les organismes luttant contre les discriminations raciales qui rassemblent des sujets directement concerns par ces pratiques (caractristique objective) et d'autres qui se joignent aux premires pour la prservation de valeurs morales. D'un autre ct, ce critre peut conduire sparer des lments qui, pourtant, participent une lutte commune. Soit le secteur patronal : on y observe de multiples organisations professionnelles ainsi qu'un certain nombre de groupements visant dfendre les affaires sur le plan idologique (ainsi en France, l'Association de la Libre Entreprise ; en Angleterre, l'Economic Leaque ou encore Aims of Industry). Ces organismes peuvent tous tre dits intresss au sens courant du terme (y compris les seconds qui se dveloppent en liaison avec l'emploi du procd des relations publiques ). L'application du critre d'Eckstein oblige rechercher dans les diverses catgories les organismes qui, en fait, sont au service d'un intrt commun dtermin dont ils constituent un bloc, plus ou moins bien articul, de dfense et de reprsentation.

    3. On mentionnera enfin, mais sans lui attacher une importance considrable, un autre critre de diffrenciation propos par Arnold M. Rose : l'opposition entre les groupes dont le seul but est de fournir leurs membres, par un rseau appropri de contacts internes, des facults d'expression ou des possibilits de satisfaction et ceux dont, au contraire, l'action est dirige vers l'extrieur en vue d'obtenir l'accomplissement d'un projet ou la ralisation d'un changement dans un secteur dtermin de la collectivit 1. Les premiers se suffisant en quelque sorte eux-mmes, correspondraient des techniques de relations sociales plus ou moins perfectionnes (associations sportives, clubs, socits scientifiques) : constituant souvent des cercles ferms, ces organismes n'auraient que peu de contacts avec le reste de la communaut et spcialement les autorits publiques. Les seconds, l'inverse, seraient obligs de nouer de tels rapports par la nature mme de leur mission, susceptible au surplus de comporter des aspects trs divers (dfense de positions matrielles, uvres philanthropiques, mouvements de rforme sociale). Rose caractrise les premiers de ces groupes par le terme expressive, les seconds par les mots social influence et, peut-tre considrerait-il que la formule groupe d'intrt ne vaut que pour la seconde catgorie.

    Ce systme de prsentation a le mrite de montrer que certains groupes de

    dimensions variables tendent constituer des sortes d'univers ferms sur eux-mmes, alors que les autres, pour des raisons d'ailleurs diverses, recherchent les contacts ou les changes avec des secteurs plus ou moins larges de la communaut. 1 In : Theory and method in the social sciences, Minneapolis, 1954, p. 52.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 29

    Toutes choses gales, les organismes dans lesquels les contacts internes prvalent sur les relations externes sont moins susceptibles que les autres d'intervenir directement dans la politique : cependant, plusieurs d'entre eux, et notamment les clubs, ont une relle importance pour l'tude de la pression sur les autorits publiques.

    Cette influence se manifeste surtout au niveau de la formation de l'opinion en

    raison des changes de vues et d'expriences qui s'tablissent entre les membres. L'exemple des clubs britanniques est trop connu pour ncessiter une explication. En fait, le club est davantage un lieu o peuvent s'exercer des interventions discrtes qu'un organe de pression proprement dit. Runissant des membres des catgories dirigeantes, prives et officielles, il donne aux premires la facult d'exposer leurs affaires aux secondes dans une atmosphre propice la comprhension. On a de mme soulign le rle des grands cercles parisiens o se retrouvent et conversent les hommes responsables de tant d'importantes affaires. Ce ne sont pas des centres de pouvoir, mais des points de rencontre dans lesquels les dtenteurs du pouvoir peuvent tre influencs. Sur un plan beaucoup plus modeste (aprs tout, la politique locale n'est pas un lment ngligeable), il est souhaitable de ne pas omettre le caf o se runissent les notabilits de l'endroit et que le dput local oublie rarement de frquenter quand il est sur place. Mentionnons enfin, toujours sur le plan municipal, le rle des clubs sportifs dont, contrairement aux analystes politiques, les partis ne sous-estiment pas l'importance : une tude communiste rcente souligne l'effort men par les dirigeants socialistes marseillais pour garder des liens troits avec boulistes, footballeurs et cyclistes de la ville 1.

    On a parfois propos de sparer les associations qui exigent de la part des

    membres un acte d'adhsion et les institutions, ou organismes techniques mis la disposition d'une catgorie de bnficiaires en vue de lui permettre par exemple, l'accession certains loisirs ou activits culturelles ou encore, de lui assurer des secours ou un appui. Citons ce dernier titre la Fdration Franaise des Auberges de jeunesse, les Jeunesses Musicales de France, l'Union Nationale des Camps de Montagne ou, sur un autre plan, le Secours Catholique. La distinction qui recoupe celle de Rose, n'est pas sans valeur s'il s'agit de montrer les diffrences dans les mobiles d'adhsion et de participation. Nous ne saurions la retenir ici, car les dites institutions agissent aussi sur les pouvoirs publics au nom de l'intrt des bnficiaires de leur activit.

    En dfinitive, aucune des typologies que nous avons tudies n'est pleinement satisfaisante. Les classifications en sciences sociales comportent toujours une frange d'incertitude due la force perturbatrice de l'lment humain et laissent

    1 RIGHETTI (G.), La social-dmocratie dans les Bouches-du-Rhne , Cahiers du

    communisme, avril 1961, p. 778.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 30

    normalement l'interprte une marge d'indcision. La typologie propose par H. Eckstein est plus stricte que la classification habituelle actions intresses interventions dsintresses . Nous l'utiliserons dans la suite de cet ouvrage sans oublier que l'origine de l'intrt commun est seulement l'un des facteurs de diffrenciation des groupes (d'autres que nous examinerons plus loin style d'action, degr d'autonomie... ayant une importance au moins gale et parfois plus grande).

    Demandons-nous, en dernier lieu, s'il n'existe pas des groupes d'intrt base

    territoriale ou, si l'on prfre, des groupes dont la dfense d'un territoire en lui-mme constitue le fondement. Pendant longtemps la communaut locale a t, aprs la famille, le groupement social par excellence imposant l'individu ses normes de conduite (contraintes exerces par le voisinage et appuis fournis par lui). L'agrandissement des communauts, le dveloppement des transports et des moyens d'information ont libr l'individu de ces contacts ou, plus exactement, les groupements secondaires spcialiss ont pris le pas sur le simple rassemblement gographique. Cependant, en certaines occasions, la communaut territoriale se ressoude et l'appartenance locale constitue ds lors le fondement d'un intrt commun provoquant l'action concerte.

    La Corse en fournit aujourd'hui, entre autres, un exemple typique. Les habitants

    de l'le qui s'estiment dfavoriss et ngligs par les autorits centrales se sont livrs, de nombreuses reprises, des manifestations ayant pour but de renverser le courant (ainsi, grve gnrale pour protester contre la suppression du chemin de fer ou la cration ventuelle d'un centre d'exprimentations nuclaires Calvi). Les Corses rclament une srie de mesures pour compenser le handicap de l'insularit, notamment dans l'ordre fiscal (adaptation aux conditions prsentes de l'art. 16 du dcret imprial du 24 avril 1811 qui exonre l'le du versement des impts indirects) et conomique (dveloppement des investissements, rduction des frais de transport et de manutention dans les ports).

    Des groupements spciaux ont t crs pour dfendre les revendications. ainsi

    celui dit Mouvement du 29 Novembre qui se veut tranger toute affiliation partisane. Mais les reprsentants du dpartement tous les chelons agissent dans le mme sens et en accord avec les organisations prives (congrs des maires ; interventions du Conseil Gnral ; parlementaires...). En fait, il s'agit, au vrai sens du terme, d'une mobilisation des hommes publics et des citoyens privs agissant ensemble sur la base d'une communaut d'attache territoriale.

    L'interprtation thorique de ces comportements dont on aura tudier d'autres

    exemples (Bretagne) est dlicate : par plusieurs traits, ils sont trangers aux catgories ordinaires. Il semble bien en tout cas que la notion d'un groupe d'intrt runissant les habitants d'un territoire et relevant donc de la srie caractristique objective s'inscrive dans les faits.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 31

    VI. TAPES DE L'IDENTIFICATION

    Retour au sommaireIl est temps de dresser rapidement le bilan des rsultats acquis dans la premire phase de cet essai d'identification. Les prsentations courantes des groupes de pression sont mdiocres parce qu'elles entendent saisir le contenu de la catgorie en une seule opration d'esprit numratif. On obtient par contre une vue mieux fonde et quilibre en utilisant un processus de reprage plusieurs stades.

    Nous reconnaissons d'avance quen de nombreux endroits la formulation manque de la rigueur souhaitable. C'est notamment le cas pour les points de passage d'un concept l'autre. Cette imprcision tient certainement l'imperfection de nos connaissances sur les groupes et, aussi l'absence d'une grille qui permettrait d'effectuer une distribution sans quivoque des lments du processus politique. Mais elle vient galement de l'tat actuel de la mthodologie sociale qui oscille d'une conceptualisation formelle, inapplicable au rel, une description de style empirique, rebelle la gnralisation. Nous manquons des instruments de travail indispensables une dcomposition des phnomnes concrets en leurs aspects premiers et une valuation systmatique des facteurs en cause. La thorie des groupes de pression ne saurait progresser plus vite que l'analyse politique gnrale dont chacun connat l'tat de confuse mdiocrit.

    1. Le premier chanon du raisonnement est la notion de groupe. Les conceptions qui attribuent ce dernier un rle important en politique sont, nous le verrons mieux plus tard, entirement fondes : en de nombreux cas, la dcision apparat comme le rsultat ou le point de rencontre, ventuellement instable, d'actions et de prtentions imputables des groupements. Mais il est impossible de voir dans ce facteur le dterminant exclusif du cours des choses. moins d'admettre que la personnalit constitue uniquement l'manation du collectif ou le produit du milieu, on ne saurait exclure de l'analyse le jeu des variables individuelles. Il faut aussi compter avec des situations que l'on ne peut ramener au concept de groupe sans lui donner une extension si large quelle le priverait de valeur opratoire (ainsi, ractions du public ou, mieux, des publics qui se forment propos et en fonction des affaires de la Cit). Il est vrai que les critres permettant de particulariser le groupe demeurent imparfaits : sur ce point important, la science politique souffre des incertitudes de la connaissance sociologique.

    On pourrait y trouver une incitation renoncer l'emploi de la catgorie

    groupe et tudier comme un flux l'activit qui sexerce vis--vis du systme politique et, au besoin, l'intrieur de celui-ci. Mais le moindre effort d'interprtation exigera une dcomposition de cette pese. L'un des clivages que

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 32

    l'on ne saurait viter est celui des sources et, ainsi, nous serions trs rapidement ramens notre problme prsent 1.

    2. Le second chanon est la notion de groupe d'intrt qui forme la pice centrale de ce mcanisme d'identification. Avant de l'avoir dgag, nous ne possdions aucun moyen de distinguer globalement dans la masse confuse des groupes ceux qui sont susceptibles d'intervenir sur les autorits publiques. Ce concept apporte le fondement qui manque aux prsentations purement nonciatives de la catgorie groupes de pression et dont le contenu concret varie ncessairement d'une poque l'autre ainsi que d'un pays l'autre : mais il est beaucoup trop vaste pour nous car, si toutes les formations de ce type sont susceptibles d'entreprendre des dmarches sur les pouvoirs, certaines seulement se livrent de telles activits. Il nous faut donc un maillon supplmentaire qui est la catgorie des groupes d'intrt politiques , c'est--dire des groupes qui essaient de promouvoir ou de dfendre leur intrt commun par la voie publique. Ce sont ces groupes seuls qui nous concernent et cette spcialisation dans l'objet est le motif qui nous a conduit abandonner l'expression groupe d'intrt , non assortie d'une restriction qualitative, pour dfinir le domaine couvert par la discipline politique. 3. Les groupes d'intrt politiques constituent donc notre troisime chanon. Il s'agit d'une catgorie encore trs vaste dont le principal avantage est de permettre la systmatisation de tous les organismes qui, d'une manire ou d'une autre, agissent sur la conduite des affaires publiques. Cette notion couvre par exemple la campagne d'une association de chasseurs contre l'lvation du prix des permis ou l'action engage par une ligue de pcheurs la ligne contre le projet de canalisation d'une rivire. Elle s'applique aussi aux grandes organisations patronales et ouvrires qui, par suite de l'expansion du dirigisme et de la politique sociale (Welfare State), sont devenues les interlocuteurs habituels des autorits officielles. Elle englobe galement des groupements comme l'Association des Anciens Combattants d'Indochine et de l'Union Franaise ou celle des Anciens des Services Spciaux de la Dfense Nationale dont on a beaucoup parl propos des vnements de mai 1958. Enfin, bien entendu, cette catgorie rassemble les partis et autres organismes de conqute du pouvoir. Une telle diversit rduirait considrablement la valeur opratoire de la formule si nous n'tions en mesure de rpartir en classes homognes les organismes ainsi rassembls (infra).

    Par ailleurs, cette prsentation s'oppose la pratique qui rserve l'expression groupements politiques aux partis et aux divers organismes la recherche du pouvoir, les autres, et notamment les organisations professionnelles, tant nomms groupements non politiques . En somme, les premiers seraient ceux qui voient

    1 L'ouvrage de D. BLAISDELL, American democracy under pressure, New York, 1957, rpond

    en gros, comme le titre le montre, cette inspiration. Mais l'auteur fournit aussi une vue dcompose des acteurs de la vie politique sans que les facteurs adopts pour la distribution apparaissent toujours avec nettet.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 33

    dans la politique une fin en soi, les seconds ceux qui l'utilisent comme un instrument ou un levier. Sans contester la valeur propre de ce mode de distribution, nous exposerons plus loin les motifs qui nous conduisent en prfrer un autre.

    Telles sont les trois premires tapes de l'identification des groupes qui nous concernent ici : il s'agit de ceux dont l'activit, s'exerant au besoin de faon exceptionnelle ou occasionnelle dans la sphre publique, relvent directement de l'analyse politique. C'est un schma d'apparence complexe, mais il possde un remarquable pouvoir de clarification que l'on va maintenant prouver en examinant des situations d'interprtation difficile.

    VII. QUESTIONS CONTROVERSES

    Retour au sommaire l'aide du schma ainsi trac nous allons examiner deux sries de situations dont l'intgration aux catgories habituelles suscite un dbat : les affaires et les glises. On en rapproche parfois des organismes comme les universits, les clubs ou cercles dont, en premire analyse, l'activit propre semble par nature trangre la politique : condition de s'en tenir des analogies, l'opration ne parat pas illgitime. Dans l'ensemble, il est rare que ces problmes fassent l'objet d'une discussion approfondie, la plupart des auteurs les rglant d'aprs des choix traditionnels que l'on vite de soumettre l'preuve du raisonnement. Nous voudrions esquisser les grandes lignes de la question et proposer des solutions qui, sur plusieurs points, drogent aux habitudes courantes.

    LE CAS DES AFFAIRES.

    Les affaires d'abord. Les auteurs qui analysent les interventions dans la vie publique s'attachent gnralement aux groupes professionnels rassemblant les entreprises et omettent toute rfrence directe celles-ci. Ils laissent ds lors l'impression que les groupements constituent le mode exclusif de ralisation des dmarches sur le pouvoir. Cette position nous a toujours sembl fragile et contestable. Nous proposons de la rejeter pour les motifs que voici.

    En premier lieu, la production se ralise en une large mesure au moyen de formules de type collectif. Des individus s'associent pour exploiter en commun une certaine quantit de ressources et partager les bnfices qui peuvent en rsulter. Le mouvement est spcialement fort dans quelques secteurs de la vie conomique (activit minire, industrie manufacturire, transports, banques et assurances...), mais on l'observe aussi, quoiqu' un degr moindre, dans les autres (agriculture, distribution commerciale...). Les modalits juridiques de ce rassemblement sont diverses : l'ide de base runion de forces en vue de consolider ou de dvelopper une activit productive reste identique travers ces variations.

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 34

    Un trait s'est affirm dans les conomies dveloppes : la concentration, c'est--

    dire l'apparition de vastes units et de grandes constellations. Ce mouvement revt des aspects multiples : techniques (dimensions des tablissements) ; conomiques (puissance des firmes) ; financiers (liaisons entre les affaires). L'tude morphologique et la connaissance positive de ces phnomnes restent marques d'incertitudes. vitant les controverses conomiques, nous soulignerons seulement la consquence essentielle de ce mouvement pour l'analyse politique : la prsence, dans le secteur o se ralise l'amnagement des ressources rares, de centres de coordination, de ngociation et de dcision qui disposent de facults considrables. Voici une donne qui, tout en traduisant seulement l'aspect conomique du problme est suggestif : les entreprises occupant plus de 500 salaris ne reprsentent en France que 0,2 % de leur nombre total, mais elles emploient 30 % du personnel salari du secteur priv et versent 35 % des salaires pays dans ce secteur 1.

    La concentration varie d'une branche l'autre. En France, plusieurs activits

    sont trs concentres (deux socits faisant la quasi-totalit de la production de l'aluminium ; trois, les 80 % de la construction aronautique ; quatre, les 95 % de la fabrication d'automobiles de tourisme...). D'autres, il est vrai, se caractrisent encore par une grande dispersion (btiment, cuir, textile...). La concentration varie aussi d'un pays l'autre. Elle est, par exemple, trs dveloppe en Belgique o quelques holdings dominent financirement l'conomie. Les avis divergent sur le degr de concentration ralis dans l'conomie franaise, certains l'estimant insuffisant par rapport aux marchs voisins (dont l'Allemagne). La discussion est obscurcie par l'imprcision du terme qui exprime des phnomnes se situant plusieurs niveaux : en France, la concentration financire est plus pousse que la concentration technique et mme conomique. Cependant, sur ce dernier plan, la structure industrielle franaise suit de plus en plus la tendance au rassemblement qui s'affirme dans les conomies avances.

    Les organismes ainsi constitus (gnralement en tant que socits) rpondent

    l'ide du groupement secondaire car ils sont dlibrment forms en vue d'un but dtermin. Mais certains d'entre eux sont de trs faibles dimensions (petit nombre d'associs) et ont, de ce fait, divers traits du groupement primaire (rapports directs entre les membres), cette remarque tablissant, encore une fois, la relativit de la classification. Ces organismes, en tout cas, sont des groupes d'intrt au sens technique du terme. On pourrait admettre que l' intrt commun est d'une grande diversit si l'on considre la varit des activits concrtes. Mais la fabrication du savon, la vente d'automobiles ou le transport des voyageurs rpondent un souci uniforme : la ralisation d'un gain ou, si l'on veut, l'obtention d'une part du revenu national. Nous avons l un genre d'intrt commun, clair et 1 Selon les calculs de lI.N.S.E.E., tudes statistiques, avril-juin 1959 : 165-185. Voir aussi le

    numro spcial de Entreprise (15 avril 1961) : Les 500 premires socits franaises .

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 35

    indiscutable, qui entre sans difficult dans la dfinition neutre propose par Truman. Comment le situer par rapport aux types dj examins ?

    Correspondant la recherche d'un avantage matriel pour ses membres, ce

    groupement est certainement de nature intresse au sens courant du terme. Une association patronale l'est aussi, car, si elle ne tente pas d'acqurir directement des bnfices en argent, son propos est de faciliter ses adhrents la ralisation du gain. Au niveau de la firme, le profit est le mobile immdiat de l'union 1. Raisonnons maintenant sur la distinction d'Eckstein. La socit objectif commercial ne se fonde pas sur une caractristique objective qui prexiste au projet de rassemblement comme c'est le cas pour une organisation professionnelle. C'est donc un souci de promotion qui cimente l'activit commune quoique d'une nature spcifique : gagner un revenu. Or l'ide d'Eckstein est que les groupements non fonds sur une caractristique objective sont plutt dsintresss . Il ne parvient toutefois construire son systme qu'en cartant implicitement de la structure des groupes les affaires qui en constituent pourtant une partie essentielle.

    En principe, il n'y a aucun argument qui puisse empcher de sparer les

    groupes fonds sur une communaut d'aspirations en deux types : les uns d'esprit dsintress (promotional groups habituels), les autres contenu intress ( groupes d'affaires ). D'aucuns prfreront peut-tre et nous sommes de ceux-l une division tripartite : groupes caractristiques objectives (gnralement intresss : dfense d'une catgorie mais en un sens large, incluant l'amlioration du statut social des membres), groupes d'affaires o la volont du gain est le principe de l'activit concerte (toujours intresss au sens strict du terme) ; groupes promotion de causes (en principe dsintresss ). Au stade actuel de la thorie politique, il ne serait pas raisonnable d'engager une dispute sur la classification ds lors que les diverses situations sont clairement dfinies. L'essentiel nous parat tre de ne pas oublier le jeu direct des affaires dans les tudes de la vie politique.

    Nous prconisons donc l'introduction dans le schma usuel des groupes

    d'intrt d'une catgorie que nous appellerons groupes d'affaires . Elle prsente des diffrences notables d'organisation et de fonctionnement avec beaucoup, sinon

    1 Dans cette perspective, quel traitement rserver aux coopratives ? Celles de consommation

    vendent leurs membres et des acheteurs occasionnels. Dans la mesure o l'opration s'effectue approximativement au prix du commerce ordinaire, il y a ralisation d'un bnfice qui, rserve faite d'affectations diverses, est ensuite rparti entre les cooprateurs. L'ambigut vient de ce que les coopratives s'inspirent d'un idal mais sont conduites le raliser par des oprations (achat-vente) ne diffrant pas dans leur nature de celles accomplies par les commerants. Nous prfrons les introduire dans la catgorie des groupes recherchant des avantages matriels pour leurs membres : pourtant, ce choix nglige des aspects originaux de l'entreprise. N'en va-t-il pas de mme d'ailleurs pour les syndicats qui joignent des ambitions rformistes ou rvolutionnaires la volont d'amliorer dans l'immdiat la situation de leurs membres ? (infra).

  • Jean Meynaud, Nouvelles tudes sur les groupes de pression en France (1962 36

    la plupart, des associations dj ranges sous cette rubrique. Les entreprises ds qu'elles dpassent une certaine taille, sont agences comme des bureaucraties. Le mode de formation de la dcision et le schma des communications internes et externes y relvent de normes que l'on rencontre rarement dans les autres groupes, du moins un tel degr. L'importance du personnel utilis par les affaires est trs variable, mais se rvle parfois considrable.

    En principe, le groupe d'intrt affaires se limite aux associs qui l'ont

    fond et ceux qui sont venus se joindre eux (parmi lesquels, ventuellement, des membres du personnel en cas d'acquisition, d'une manire ou d'une autre, d'une fraction du capital). Cette limitation est conforme l'tat du droit positif et aussi celui des murs. Cependant, on ne saurait tudier srieusement le groupe d'affaires sans analyser la position de ceux qu'il emploie vis--vis des dirigeants et des problmes que rencontre l'entreprise (cas, par exemple, o le personnel se joint aux propritaires ou leurs reprsentants pour appuyer une dmarche auprs des pouvoirs publics : demande d'une subvention ou d'une protection douanire).

    Ces groupes d'affaires sont-ils susceptibles de se transformer comme tels en

    groupements d'intrt politiques ? On ne saur