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METTRE EN CONCURRENCE SES FOURNISSEURS-PARTENAIRES Comment les acheteurs reconfigurent les échanges interindustriels Thomas Reverdy Ophrys | Revue française de sociologie 2009/4 - Vol. 50 pages 775 à 815 ISSN 0035-2969 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2009-4-page-775.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Reverdy Thomas, « Mettre en concurrence ses fournisseurs-partenaires » Comment les acheteurs reconfigurent les échanges interindustriels, Revue française de sociologie, 2009/4 Vol. 50, p. 775-815. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Ophrys. © Ophrys. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - reverdy thomas - 147.171.7.4 - 23/10/2012 14h55. © Ophrys Document téléchargé depuis www.cairn.info - - reverdy thomas - 147.171.7.4 - 23/10/2012 14h55. © Ophrys

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METTRE EN CONCURRENCE SES FOURNISSEURS-PARTENAIRES Comment les acheteurs reconfigurent les échanges interindustrielsThomas Reverdy Ophrys | Revue française de sociologie 2009/4 - Vol. 50pages 775 à 815

ISSN 0035-2969

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2009-4-page-775.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Reverdy Thomas, « Mettre en concurrence ses fournisseurs-partenaires  » Comment les acheteurs reconfigurent les

échanges interindustriels,

Revue française de sociologie, 2009/4 Vol. 50, p. 775-815.

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Thomas REVERDY

Mettre en concurrence ses fournisseurs-partenaires

Comment les acheteurs reconfigurent les échangesinterindustriels*

RÉSUMÉ

Dans leurs relations avec leurs fournisseurs, les clients industriels articulent coopérationet compétition : la coopération répond aux besoins d’ajustements réciproques des systèmesde production, de partage des savoirs techniques, de dynamiques communes de résolutionde problèmes ; la compétition contribue à la maîtrise des prix. Huit cas d’interventions de lafonction Achats ont été analysés dans des situations où les fournisseurs sont fortementimpliqués dans une collaboration avec leur client. En suivant la fonction Achats, nous expli-citons la manière dont celle-ci organise l’interchangeabilité des fournisseurs : il s’agit deréduire la singularité des besoins internes et de préciser leur formalisation, mais aussi d’agirsur les fournisseurs de façon à ce qu’ils proposent une offre et un niveau de service compa-rables entre eux. C’est ainsi que l’acheteur tente de rééquilibrer la relation de pouvoir enfaveur du client. L’article s’interroge particulièrement sur les conditions de l’adhésion desclients internes et des fournisseurs à cette démarche : comment ne pas décourager l’investis-sement des fournisseurs dans la relation de service dont le client interne est dépendant ? Lamise en concurrence des fournisseurs-partenaires s’apparente donc à une construction stra-tégique et politique, tant à l’intérieur de l’entreprise cliente qu’à l’intérieur du réseau defournisseurs.

La libéralisation des échanges économiques et les nouvelles technologiesde l’information offrent aux donneurs d’ordre industriels la possibilité demettre en concurrence leurs fournisseurs existants avec des fournisseurs outsi-ders issus du monde entier (Friedman, 2005). Selon de nombreux observa-teurs (Berger, 2006), cette dynamique de mondialisation est modérée par lesbesoins de coordination des activités industrielles, qui plaident pour uneproximité territoriale des activités et pour des engagements durables entredonneurs d’ordre et sous-traitants. Cette seconde thèse fait écho à denombreuses recherches montrant que des relations durables entre un nombrelimité de partenaires permettent de réduire les incertitudes pesant sur laqualité des échanges (Podolny, 1994 ; Dyer, 1996 ; Comet, 2007) et peuvent

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R. franç. sociol., 50-4, 2009, 775-815

* Je remercie vivement M.-C. Granados pour sa participation aux enquêtes, ainsi que R. Calvi,C. Cholez, E. Lazega, N. Merminod, V. Mangematin. D. Segrestrin, P. Trompette, D. Vinck et lesmembres du comité de lecture de la Revue française de sociologie pour leurs suggestions critiques.

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faciliter des investissements spécifiques, la recherche de synergie, les appren-tissages communs et l’innovation (Powell, 1990 ; Powell, Koput et Smith-Doerr, 1996 ; Ranjay et Gargiulo, 1999 ; Dyer et Nobeoka, 2000 ; BlankenburgHolm, Eriksson et Johanson, 1999 ; Uzzi, 1997).

Dans un contexte d’accélération de la mondialisation, nous pouvons fairel’hypothèse que les configurations d’échange et les modalités de coordinationévoluent. Plus précisément, cet article propose d’examiner la façon dont lesdonneurs d’ordre industriels parviennent à ajuster la configuration des four-nisseurs et à « régler » leur niveau d’engagement.

Dans la perspective de l’analyse stratégique (Friedberg, 1993), nous consi-dérons qu’une relation de coopération n’empêche pas l’action stratégique desacteurs, l’exercice d’un certain opportunisme (Neuville, 1998) ou l’existencede relations de dépendance asymétriques. Ces relations de dépendance tien-nent aux différentes ressources pertinentes, aux actifs spécifiques engagés,mais aussi à la configuration des acteurs (Lazega et Mounier, 2002), parexemple, l’existence d’alternatives. Ainsi, dans le cadre de relations coopéra-tives, le client dispose d’une diversité de stratégies pour renforcer sonpouvoir : chercher à réduire sa dépendance à des ressources extérieures,réduire les actifs spécifiques (Williamson, 1985) ou intervenir sur la configu-ration des acteurs qui participent (effectivement ou potentiellement) àl’échange en mobilisant un plus large réseau de fournisseurs.

Pour mettre en valeur cette tension entre coopération et stratégie depouvoir, nous avons choisi d’étudier des relations entre clients et fournisseursoù ces derniers investissent particulièrement dans la « relation de service »(De Bandt et Gadrey, 1997 ; Combes, 2002) avec leur client. C’est générale-ment le cas dans la sous-traitance, dans les prestations de services àl’industrie, ou dans les projets d’équipements industriels spécialisés. L’inves-tissement des fournisseurs comprend à la fois une forte singularisation del’offre et de nombreux ajustements non formalisés pour s’articuler avec lesystème sociotechnique du client, tant en termes de performance technique,d’utilisation, d’organisation, de flux, etc. L’accent est mis sur la satisfactiondu client, quitte à aller au-delà de ce que prévoit le contrat. La « relation deservice » sécrète de nombreuses interdépendances opérationnelles (sans quecelles-ci soient suffisamment importantes pour empêcher toute sortie de larelation). Notre recherche investigue plus précisément l’organisation de laconcurrence entre des fournisseurs en place et de nouveaux fournisseurs pourle renouvellement de contrats ou de nouveaux projets.

Notre stratégie d’enquête consiste à entrer à l’intérieur des entreprisesclientes pour identifier les acteurs impliqués (Pettigrew, 1975) et plus précisé-ment à nous intéresser à l’action de la fonction Achats, qui a explicitementpour mission de « susciter chez les fournisseurs un esprit de compétitivitécréative, de promouvoir les propositions des fournisseurs et leurs suggestionspour la réduction des coûts et/ou l’amélioration des performances » (AFNOR,1990). Cette fonction connaît un important développement, qui se traduit pardes recrutements significatifs, des rémunérations croissantes, un domaine

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d’intervention qui couvre toutes les catégories d’achats, des matièrespremières aux prestations intellectuelles. À ce titre, les acheteurs sontdevenus les principaux « professionnels du marché » (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000) dans le monde industriel.

Notre hypothèse de recherche est la suivante : les acheteurs tiennent unrôle d’intermédiaire entre les fournisseurs et le reste de l’entreprise cliente, ouplus précisément les « clients internes » concernés par l’activité des fournis-seurs (directions industrielles, ligne de production, bureau d’études, etc.).L’action des acheteurs consiste donc principalement à intervenir sur la confi-guration des échanges stratégiques entre clients internes et fournisseurs enplace ou alternatifs. Leur action prend place dans un système d’action, surlequel ils tentent d’agir : les clients internes sont les premiers bénéficiairesdes investissements relationnels des fournisseurs (Neuville, 1998). Les ache-teurs sont dépendants des clients internes : ce sont ceux qui apprécient laqualité technique des offres. Autrement dit, pour comprendre comment s’arti-culent compétition et coopération, il s’agit d’étudier les stratégies et les prati-ques par lesquelles les acheteurs parviennent à s’interposer entre lesfournisseurs et les clients internes, lesquels pourraient avoir une préférencepour des relations directes et stables.

Cet article est organisé de la façon suivante : une première partie explicitele débat en sociologie économique sur concurrence et coopération dans lesrelations entre clients et fournisseurs et identifie les principaux résultats destravaux existants. Une deuxième partie explicite notre stratégie de recherche,fondée sur l’analyse de huit situations de remise en question de relation parte-nariale, l’enquête auprès des différentes parties prenantes, la formalisation deces situations et la comparaison.

Nous présentons ensuite nos résultats. Nous discutons d’abord la missionconfiée aux acheteurs : repenser les marchés amont afin d’intensifier lacompétition. Les deux parties suivantes se concentrent sur le travail organisa-tionnel de l’acheteur, sur la façon dont il reconfigure ces relations de coopéra-tion : la rationalisation des flux opérationnels entre fournisseurs et client, lamobilisation de fournisseurs alternatifs. Enfin, les deux dernières partiess’interrogent sur les conditions de l’adhésion des fournisseurs et des clientsinternes aux différentes démarches de l’acheteur. Une conclusion revient surles apports de notre analyse, ses limites et les nouvelles pistes de questionne-ment qu’elle suggère.

Questionnement de recherche : les réseaux à l’épreuve du marché

Nous nous appuyons sur une définition étendue du marché : l’organisationpar les clients d’une « compétition entre parties pour une opportunitéd’échange » (Weber, [1922] 2005 ; Swedberg, 1994 ; François, 2004). Pour lasociologie des marchés (François, 2008), ce qui prime dans l’analyse, c’est laconfiguration des acteurs qui échangent et la nature de leurs échanges. Mettre

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en concurrence signifie donc intervenir sur le contenu des échanges et sur laconfiguration des acteurs, de façon à ce que plusieurs offreurs participent àune « lutte pacifique » pour accéder à l’échange.

Configuration du marché et nature des échanges

Il existe en sociologie économique un ensemble de travaux convergents quiétablissent des liens entre la nature des échanges et la configuration desacteurs dans laquelle s’exercent les échanges. Ainsi, quand la nature de ce quiest échangé ne peut pas être spécifiée a priori (incertitudes sociotechniques,incertitudes sur la fiabilité du partenaire, échanges informels de connais-sances, etc.), ces travaux observent que la stabilité et l’exclusivité des rela-tions s’accroissent. Ce résultat est validé dans des activités aussi diverses queles banques d’investissement (Podolny, 1994), l’industrie automobile (Dyer,1996) et électronique (Podolny, Stuart et Hannan, 1996), les industries artisa-nales (Comet, 2007 ; Uzzi, 1997), ou la recherche et développement enbiotechnologie (Powell, Koput et Smith-Doerr, 1996). De même, la stabilité etl’exclusivité des relations s’accroissent quand le contenu des échanges estspécifique au fournisseur et au client. Les stratégies de différenciation desfournisseurs permettent la constitution de niches où l’intensité concurrentielleest limitée (White, 1981).

Ces résultats doivent être mis en perspective avec le travail de Granovetter(1973) qui montre que la diversification des liens permet d’accéder à de meil-leures informations et de meilleures opportunités que des liens exclusifs. Lesconfigurations peuvent évoluer avec la maturité du marché (Baker, Faulkneret Fisher, 1998), qui peut entraîner une diversité de relations, certaines exclu-sives, d’autres très compétitives. Uzzi (1999) suggère que les clients et four-nisseurs peuvent constituer un portefeuille de relations équilibré entre deuxformes : des relations où le principal mécanisme de coordination est laconcurrence et des relations où les principaux mécanismes de coordinationsont la réciprocité, la réputation, les engagements formels.

L’analyse des configurations des acteurs qui contribuent aux échanges peutse compléter d’une analyse plus fine des interdépendances au sein de chacunedes relations (Lazega et Mounier, 2002). La configuration tient un rôle impor-tant dans les relations d’interdépendance : Burt (1992) rappelle que l’on estd’autant plus dépendant d’un partenaire en l’absence de partenaire alternatifavec qui échanger. Mais l’étude de la configuration seule ne suffit pas à carac-tériser les relations de dépendance. On peut avoir plusieurs partenaires poten-tiels alternatifs, mais être dépendant de l’un d’entre eux au point de ne pasparvenir réellement à l’abandonner, etc. En résumé, les jeux de pouvoir entreclients et fournisseurs s’appuient autant sur les configurations que sur lecontenu des échanges.

Parallèlement à ces travaux sur les configurations, plusieurs travaux derecherche s’intéressent à la combinaison entre compétition et collaboration

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dans des relations singulières. Une enquête réalisée par Gulati et Sytch (2007)auprès des acheteurs de constructeurs automobiles montre que ces derniersapprécient positivement les « actions communes » (les efforts d’améliorationde la qualité, de contrôle des coûts, les propositions de modification, etc.),mais combattent toutes les situations où ils n’auraient pas d’alternative,qu’elles soient dues à des coûts de changement de fournisseur trop importants,une compétition insuffisante, l’absence d’alternative à court ou moyen termes.S’appuyant sur une enquête auprès des constructeurs et des sous-traitants,Whitford (2005) confirme ce résultat : les donneurs d’ordre adoptent une atti-tude contradictoire puisqu’ils exigent une collaboration intense aux projets denouveaux véhicules et maintiennent le jeu concurrentiel pour exercer unepression permanente sur les prix (1). La menace d’acheter les mêmes produitsà des fournisseurs issus de pays à bas coûts de main-d’œuvre permet de pesersur les prix. Ainsi, l’attitude collaborative du fournisseur n’implique pasnécessairement un engagement réciproque du client.

Si l’on résume ces différents travaux, on peut formuler l’hypothèsesuivante : si des relations durables entre partenaires permettent de réduire lesincertitudes sur la qualité de la relation et d’encourager des « actionscommunes » (Gulati et Sytch, 2007), la compétition entre fournisseurs (autre-ment dit, la menace qu’un autre fournisseur se substitue totalement ou partiel-lement au fournisseur en place) en est rarement absente. Whitford (2005)avance même que les situations où la compétition est absente (remplacée parla confiance ou la réputation seules) sont l’exception. La compétition tend às’intensifier avec la maturité de l’activité et les opportunités offertes par lamondialisation des échanges.

Relation de service et interdépendances

Néanmoins, ces différents travaux proposent une explication principale-ment « fonctionnaliste » du jeu concurrentiel, où les configurations d’échangerépondent aux éléments de contexte économique ou à la nature des activités.Nous avons souhaité contribuer à ce débat en mettant en valeur les processuspar lesquels s’opèrent l’articulation entre coopération et concurrence ainsi queles rééquilibrages entre ces deux dimensions. Plus précisément, nous nousintéressons aux stratégies des clients et des fournisseurs pour agir sur lesinterdépendances au sein d’une relation de coopération.

Notre analyse des interdépendances s’inspire des investigations qualita-tives des échanges dans les relations entre partenaires (Uzzi, 1997 ; Gadde,Huemer et Håkansson, 2003). Elle part du constat que, dans une relation

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(1) Ces travaux remettent en question lathèse de Powell (1990) qui considère que laconcurrence (le « marché ») et la coopération(le « réseau ») constituent deux formes decoordination quasiment antinomiques : chacun

repose sur un climat relationnel tout à faitspécifique, opportuniste et suspicieux pour lepremier, ouvert et confiant pour le second.Difficile d’imaginer une relation où les deuxclimats coexistent.

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interindustrielle, la division formelle des tâches entre fournisseur et client estincomplète et laisse dans l’opacité un enchevêtrement d’interactions entre lesdeux organisations. La relation se caractérise par un investissement du four-nisseur dans une « relation de service » (De Bandt et Gadrey, 1997) visant àprendre en charge les nombreux ajustements qui facilitent la coordination desactivités.

Deux catégories empruntées à Hatchuel (1997) permettent de caractériserles relations d’échange : on parlera de « coprescription » quand le client et lefournisseur définissent ensemble le contenu de la prestation, articulent leurscompétences techniques pour qualifier les besoins et définir les solutions, parexemple dans le codéveloppement de produits (Calvi, 2000) ou d’équipe-ments industriels, et « coproduction » quand il existe des activités opération-nelles partagées, que les systèmes sociotechniques des deux entreprises sontfortement interreliés, qu’il y a des ajustements fréquents sur les flux et sur laqualité.

La coprescription et la coproduction introduisent des interdépendancesentre partenaires. Ainsi, la coprescription est particulièrement importantequand le client a un besoin spécifique – et donc ne peut se saisir d’une offregénérique proposée par le marché – et qu’il n’a pas les compétences suffi-santes pour définir une solution technique. Un unique aller-retour entre leclient et le fournisseur (où le client interne élaborerait le cahier des charges, lefournisseur une unique réponse) ne suffit pas à explorer complètement laspécificité des besoins et à préciser l’offre. Le fournisseur investit des compé-tences et du temps pour aider le client à définir ce qui fera l’objet del’échange (2). Ce travail comprend généralement les deux termes de la« singularisation » (Karpik, 2007) : il y a un effort de « personnalisation »particulièrement coûteux, qui s’accompagne en général de la mise en valeurd’une certaine « originalité » des compétences du fournisseur.

La coproduction rassemble tous les ajustements nécessaires pour gérer lesaléas imprévus de la relation. Au sein de l’organisation cliente, les destina-taires du produit ou de la prestation (par exemple, les activités de production)y sont en général très sensibles : ils savent que la qualité des composantsachetés est déterminante pour leur activité, mais que celle-ci n’est jamaisfixée une fois pour toutes. Ils souhaitent aussi bénéficier d’améliorationsproposées par les fournisseurs. La coproduction est très sensible dans les acti-vités de maintenance où les équipes du sous-traitant interviennent en coordi-nation avec les équipes de production du client. Ainsi la coproductionporte-t-elle sur la part non spécifiée par le contrat.

Les besoins des clients de coproduction et de coprescription sont autant deportes ouvertes par lesquelles les fournisseurs s’engouffrent pour développerles relations avec leur client et accroître la dépendance de ces derniers

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(2) Ces pratiques de coprescription sedéveloppent de façon significative dans lamesure où les donneurs d’ordre ont de moins en

moins de compétences techniques sur ce qu’ilsachètent, à tel point qu’ils ne sont pluscapables, seuls, de spécifier leurs besoins.

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(Neuville, 1998). Certains prestataires interrogés utilisent d’ailleurs l’expres-sion d’« intimité client » pour exprimer cette stratégie commerciale, reprisedu marketing d’affaires (Azimont, Cova et Salle, 1999) : le « maillage » del’organisation client permet d’identifier tous les acteurs significatifs dans lesdécisions ou d’influencer le besoin du client. Cette « intimité » est d’autantplus forte que le fournisseur est présent chez le client : les acteurs opération-nels qui interviennent dans les prestations (chef de projet, chef de chantier,responsables d’équipe de maintenance) sont déjà en lien avec des correspon-dants clients avec qui ils partagent bon nombre d’activités au jour le jour.

Néanmoins, l’intensité de la coprescription et de la coproduction peutévoluer : client et fournisseur peuvent agir sur la répartition des tâches, leurformalisation. Les relations d’interdépendance ne sont pas immuables.L’objet de l’échange est malléable, autant que la portée des engagements (3).

Cadrage et désingularisation

Pour réintroduire la concurrence et disposer d’alternatives attractives,l’acheteur peut agir sur les échanges informels, sur le caractère spécifique del’échange ou sur la configuration des échanges.

Comme nous l’avons montré précédemment, la « relation de service »favorise une prolifération d’échanges informels et d’agencements sociotechni-ques (Comet, 2007) qui permettent l’articulation entre le système de produc-tion de l’entreprise cliente et le système de production des fournisseurs. Letravail de l’acheteur peut répondre à cette dynamique par des actions de« cadrage » (Callon, 1999) qui réintègrent dans l’interaction marchande laprolifération des échanges « externes » à celle-ci (les « externalités »). Celapeut se traduire sous la forme d’une rationalisation de ces échanges informelsafin de les intégrer dans le cahier des charges ou les critères de sélection desfournisseurs (4).

L’acheteur peut agir sur le processus de singularisation (Karpik, 2007) pardes actions de « dé-singularisation » des échanges pour accroître l’interchan-geabilité (et la possibilité de mettre en concurrence). Cela peut se décliner dela façon suivante : l’acheteur tente de réduire la singularité de l’expressiondes besoins et des propositions de solution des fournisseurs. Il cherche àrendre comparables des offres spécifiques, à dénouer des agencements socio-techniques trop spécifiques qui contribuent à la « capture » (Trompette,2005).

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(3) La « relation de service » se différenciedes partenariats ou des alliances en recherche etdéveloppement, qui font l’objet d’une recon-naissance formelle (et qui impliquent, parexemple, des dépôts de brevets communs).

(4) Les opérations que nous observonstiennent un rôle similaire aux activités de

cadrage observées sur les marchés des produitsde consommation, activités qui dénouent lesliens entre les personnes, entre les personnes etles choses, et permettent la circulation desbiens et des services, la comparaison des alter-natives et la formation du prix (Weber, 2000 ;Garcia, 1986).

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Enfin, l’intervention de l’acheteur concerne aussi l’organisation de laconfiguration des échanges. Une fois que les relations sont réaménagées pourréduire les interdépendances informelles existantes, l’acheteur sollicite lesnouveaux fournisseurs, en leur facilitant l’accès à son entreprise, en soutenantle travail de « singularisation » de leur offre, etc.

Acheteurs et clients internes

Chez le client, l’acheteur n’est pas le seul acteur concerné par la relationavec les fournisseurs. Nous proposons donc d’entrer dans l’organisationinterne du client et de distinguer plusieurs logiques d’action pour comprendrele « comportement » (Cyert et March, 1963) du client. Johnston et Bonoma(1981) et Dubuisson-Quellier (1999) soulignent la diversité des rôles possi-bles dans le processus de décision de choix d’un fournisseur. Il n’est pas sûrque l’acheteur soit l’acteur le plus puissant. Ainsi, Pettigrew (1975), puisLonsdale et Watson (2005) montrent que l’acteur impliqué dans la négocia-tion technique et porte-parole du fournisseur auprès de sa direction, le « tech-nical gate-keeper », joue donc un rôle déterminant dans la décision d’achat(même dans le cas d’un contrat de prestation tout à fait stratégique pourl’entreprise).

Nous proposons de regrouper dans une catégorie générique « clientsinternes » les « prescripteurs », qui valident les solutions proposées, et les« bénéficiaires », qui utilisent concrètement dans leur activité la prestation oule produit. Dès qu’il s’agit de modifier le contenu des échanges, la frontièreentre les activités du fournisseur et du client, les clients internes sont directe-ment concernés.

Aussi, nous pouvons faire l’hypothèse que la contradiction entre les logi-ques de coopération et de compétition se reporte sous la forme d’une tensionentre « clients internes » et acheteurs : les « clients internes » sont générale-ment inscrits dans des relations d’échanges avec les fournisseurs en place, ilssont les principaux bénéficiaires de la relation de service, tandis que les ache-teurs, en partie affranchis de ces relations de dépendance, tentent d’ouvrir lejeu à de nouveaux fournisseurs.

Les activités de l’acheteur ont donc une portée stratégique : elles concou-rent à dénouer les relations d’échanges stratégiques entre fournisseurs enplace et clients internes et nouer de nouvelles relations avec des fournisseursalternatifs.

Méthode de recherche : analyser les interdépendances entreacheteurs, clients internes et fournisseurs, et leurs transformations

Nous présentons ici notre méthode de recherche, fondée sur la constructionet la comparaison de cas : réalisation des entretiens, sélection des cas, forma-lisation et comparaison.

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Un échantillonnage raisonné de cas

Notre démarche d’enquête s’appuie essentiellement sur des entretiensapprofondis réalisés auprès d’acheteurs, de commerciaux et de responsablestechniques, à propos de situations singulières de choix de fournisseurs, dechangements ou de renégociation (5).

Le choix des cas s’inspire de la méthode d’échantillonnage raisonnéproposée par Strauss et Corbin (1990). Au fur et à mesure de l’enquête, alorsque nous collections les données, et que nous élaborions des interprétations,nous avons focalisé notre intérêt sur les cas qui pouvaient éclairer ou intro-duire de la variété pour telle ou telle catégorie d’analyse.

Notre objectif étant d’analyser comment les acheteurs interviennent pour« organiser le marché », nous avons recherché des situations « réversibles »,où les fournisseurs étaient impliqués dans une « relation de service », mais oùil n’y avait pas de dépendance économique excessive des clients en termes depart de marché, de taille d’entreprise, de spécialisation technique (6). Pourl’ensemble des cas étudiés, il existe, du point de vue de l’acheteur, plusieursfournisseurs alternatifs ayant des compétences comparables. Les fournisseursinterrogés dans chacun des cas identifient aussi l’entreprise comme un clientpotentiel, qui fait partie de leur stratégie de marché, soit parce qu’elle est déjàen place, soit parce qu’elle cherche à développer son activité.

Nous recherchions des situations où les rôles des acheteurs étaient biendifférenciés des « clients internes ». La tension entre engagement et compéti-tion est d’autant plus visible que les acteurs internes, l’acheteur d’un côté, les« clients internes » de l’autre, ne défendent pas la même logique, ne dévelop-pent pas les mêmes types de liens avec les fournisseurs (7). L’échantillon descas a aussi été constitué de façon à refléter des pratiques contractuelles diffé-rentes et, pour chacune d’entre elles, à disposer de plusieurs cas contrastés.Par exemple, nous souhaitions comparer des situations où le processus demise en concurrence avait été mené à son terme et des situations où il avait étéabandonné (8).

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(5) Certains entretiens ont été réalisés àl’occasion d’une recherche pour le compte d’uneentreprise de service qui cherchait à comprendreles pratiques commerciales de ses filiales et àévaluer la satisfaction de ses clients. Les autresentretiens ont été réalisés grâce à des contactsobtenus auprès d’acheteurs en formationcontinue.

(6) Le seul cas particulier est le casMecano, sous-traitant de maintenance, qui a unnombre limité de clients. Le client étudié estcelui qui a la part de marché la plus importante.Le sous-traitant est donc fortement dépendantéconomiquement de son client.

(7) Nous avons mis de côté les situations

où, par exemple, l’acheteur a une compétencetechnique importante et est en mesure dedéfinir complètement les besoins sans consulteren interne, ou bien les situations où l’acheteurest totalement absent et laisse au client interne(un service technique, une ligne de production)un contrôle total de la relation du début jusqu’àla fin.

(8) Voir le Tableau I qui présente les cas etles entretiens réalisés en Annexe. Par souci declarté et de simplicité, nous désignons dans cetarticle chaque cas par un nom fictif accordé aufournisseur, en lien avec son activité, et nous nenommons pas les entreprises clientes (néanmoinstoutes différentes).

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Décrire le système acheteur/client interne/fournisseur en place/fournisseuralternatif

Pour chacun des cas, nous avons cherché à réaliser des entretienssemi-directifs avec l’acheteur, le client interne et l’un des fournisseurs (four-nisseur en place ou fournisseur alternatif). Nous avons pu interroger l’ache-teur et le client interne dans tous les cas. Nous n’avons pas toujours purencontrer les fournisseurs. Dans trois cas (Color, Electro et Waste), l’ache-teur ne nous y a pas autorisé (9). Dans les autres cas, il s’agissait du fournis-seur qui a remporté le marché (Maintini, Informa, Renovbati). PourRenovutil, les commerciaux interrogés ont connu deux situations : l’une où ila gagné le marché (en position d’outsider) et l’autre où il l’a perdu (toujoursen position d’outsider).

Par ailleurs, nous avons accumulé une vingtaine d’autres entretiens appro-fondis auprès d’acheteurs, de clients internes ou de fournisseurs, toujours àpropos de choix ou de changement de fournisseur, mais sans qu’il nous soitpossible d’interviewer les autres acteurs impliqués. Nous avons essentielle-ment retenu de ces entretiens des éléments sur les pratiques des acheteurs,mais aussi des récits permettant de conforter notre analyse des cas.

Généralement, les entretiens se focalisent sur un récit du choix du fournis-seur et de la mise en place de la prestation : nous questionnons les acteurs surles différentes alternatives, sur le déroulement du changement, les difficultéstechniques et contractuelles à résoudre, les résistances rencontrées, lesconflits internes, les conflits entre entreprises, etc. Les récits des différentesparties prenantes ont été confrontés les uns aux autres, afin de reconstituerplus fidèlement les événements, mais surtout de dégager les objectifs propresà chacun en situation. Les entretiens ont été menés consécutivement audémarrage de la prestation du fournisseur.

Lors des entretiens, nous avons aussi demandé aux acheteurs de nousraconter leur activité quotidienne, d’expliciter leurs instruments et le contexteorganisationnel de leur action. Nous nous sommes concentré sur les activitésqui organisent la mise en concurrence des fournisseurs (10).

Les entretiens confirment rapidement que les principaux acteurs impliquéschez le client sont les bénéficiaires directs de la prestation ou de l’achat et les

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(9) Accéder à des processus de sélection defournisseur n’est pas facile. Il existe une largepart d’opacité des acteurs les uns vis-à-vis desautres, même en interne. Pour construire monenquête, j’étais dépendant de mes « relais ».Dans quelques cas, mes relais étaient lesacheteurs, dans d’autres cas un fournisseur.Mon objectif principal était de pouvoir réaliserdes entretiens approfondis avec l’acheteur et leclient interne et d’avoir des points de vue

contrastés sur le processus de changement defournisseur. Les entretiens avec les fournisseursn’ont pas toujours été possibles suivant le moded’accès au terrain.

(10) Nous avons donc mis de côté la partadministrative du travail de l’acheteur, quicomprend le formalisme du contrat et de lacommande, le suivi de l’exécution des contrats,ainsi que l’organisation du paiement.

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services techniques qui définissent les besoins. Le rôle des dirigeants estévoqué dans certains cas particuliers. Ils interviennent de deux façons :définir la mission de l’acheteur, intervenir en arbitre en cas de conflit entreacheteurs et clients internes. Néanmoins, ils n’interviennent pas directementdans la relation : dans les cas étudiés, il ne s’agit pas de prestations suffisam-ment stratégiques pour que les dirigeants interviennent directement ou mobili-sent leur propre réseau.

Pour chaque cas, nous avons réalisé une cartographie du système d’action,avec les acteurs impliqués, leurs enjeux et leurs relations de dépendance, leursstratégies. Cette cartographie est indicative car les relations évoluent dans letemps. Les sociogrammes proposés en Annexe tentent de représenter les situa-tions de transition (cas Renovutil et Color) : ils nous ont permis de saisircomment les relations évoluent au fur et à mesure du processus de mise enconcurrence.

C’est pourquoi nous avons formalisé les cas sous la forme de récits,mettant en valeur les efforts de rationalisation, les investissements des acteursdans de nouvelles relations, les conflits et les stratégies de blocage, les négo-ciations et prises de décision. Cette méthodologie suit les propositions deLangley (1999) concernant l’usage des analyses de processus pour des appro-ches qui relèvent de la grounded theory. Ces récits ont permis de dégager desrégularités dans les actions engagées, les jeux d’acteurs, les situations qui enrésultent. Ils ont aussi permis un travail de comparaison (Eisenhardt etGraebner, 2007) et l’explicitation au fur et à mesure de quelques propositionssur les conditions qui facilitent ou entravent l’organisation de la compétitionentre fournisseurs. Le Tableau II en Annexe reprend l’ensemble des cas et lesprincipales catégories qui permettent de les comparer.

La mission de la fonction Achats : organiser la mise en concurrence

Les acheteurs ne se définissent plus seulement comme des négociateurs decontrats. Ils défendent un nouveau rôle, plus large, plus stratégique. Ils ontpour mission de replacer les relations avec les fournisseurs dans le cadre demarchés globalisés et d’organiser le mieux possible la compétition entre four-nisseurs.

Les « politiques d’achats » visent la globalisation

Dans les cas étudiés, les « politiques d’achats » visent l’organisation demarchés amont plus « globalisés » par une centralisation des décisions achatsà un niveau au moins européen. La centralisation de la fonction Achatsconsiste à faire passer l’activité d’achat du niveau des sites industriels à unniveau centralisé. Elle permet d’élargir le marché pertinent sur lequel l’entre-prise s’approvisionne. En se centralisant, la fonction Achats ne se retrouve

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plus face à un ensemble de quasi-monopoles locaux ou nationaux, mais face àun marché potentiellement beaucoup plus concurrentiel. Dans ce contexte, lespolitiques internes de réduction du nombre de fournisseurs réactivent le jeuconcurrentiel. L’acheteur européen a aussi la possibilité de faire évoluer lapart de marché de chaque fournisseur et bénéficie donc d’un bon levier d’incita-tion, tout en n’ayant pas besoin de rechercher de nouveaux fournisseurs (11).

Certains acheteurs rencontrés travaillent également dans le cadre d’unepolitique d’approvisionnement dans les pays dits « à bas coûts demain-d’œuvre ». Cette politique vise à tirer profit des écarts de coûts, essen-tiellement de main-d’œuvre. Désormais, la taille du marché pertinent estinternationale.

La fonction Achats doit rendre des comptes sur sa capacité à maintenirun haut niveau de compétition entre fournisseurs

Les acheteurs sont soumis à une multitude d’indicateurs de performance.Traditionnellement, l’un des indicateurs de performance, la réduction descoûts, joue le rôle « d’indicateur prégnant » (Boussard, 2001) : non seulementil contribue au contrôle de leur activité, mais il fait partie de l’identité profes-sionnelle des acheteurs. Plus précisément, les acheteurs sont conduits, laplupart du temps, à raisonner en « coût d’achat ». Certains indicateurs de suivide leur activité (les « saving ») les conduisent à se concentrer sur le prix et àfavoriser les offres les moins chères. Certes, cet indicateur fait aussi l’objet destratégies de contournement, comme celle décrite (12) par Berry (1983), maisil reste central dans la définition de la fonction, d’autant plus que le dévelop-pement massif des systèmes d’information, la centralisation des achats et letravail de segmentation facilitent l’accumulation d’informations sur les prix,le calcul et le « reporting » des gains.

Les objectifs fixés aux acheteurs évoluent : les directions des Achats n’hési-tent pas à introduire de nouveaux indicateurs qui visent non pas les résultatsde réduction des coûts (dont la mesure reste problématique) mais la pratiqueconcurrentielle elle-même, en définissant un taux de renouvellement des four-nisseurs, ou le taux de fournisseurs de pays dits « low cost ». Le travail del’acheteur est mesuré en fonction de son activité d’organisation et de mise enconcurrence, activité considérée comme beaucoup plus exigeante et plus effi-cace que la renégociation des prix avec les fournisseurs existants.

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(11) Leur travail est facilité par desstratégies de conquête de part de marché, chezles fournisseurs, en particulier dans le contexted’expansion des activités à l’international.

(12) Une stratégie de manipulation del’indicateur consiste à définir avec unfournisseur des prix élevés pour les nouveauxproduits (avec une marge élevée pour le

fournisseur) pour obtenir de ce mêmefournisseur des réductions de prix sur lesproduits existants (cela permet à l’acheteur detenir ses objectifs de réduction de coût, calculéssur les produits achetés d’une année sur l’autre,tout en laissant au fournisseur une margeglobale constante).

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Pour autant, de nombreuses directions Achats ont compris qu’elles neparviendront à développer leur rôle qu’à condition de s’intéresser davantageaux dimensions hors prix dans la comparaison des offres (13). La prise encompte des dimensions hors prix est encouragée par le fait que les acheteurssont souvent sensibles à la menace d’un « rejet » du nouveau fournisseur parles clients internes (ces derniers ont souvent la possibilité d’exploiter lesfailles du nouveau fournisseur, de le mettre en échec, ce qui aura pour effet dedésavouer le travail de l’acheteur).

Le travail de segmentation met en forme les marchés amont

En amont de la négociation avec les fournisseurs et avec les clientsinternes, les acheteurs tentent de se donner une représentation des marchés.Tout manuel décrivant le métier d’acheteur commence par la présentation del’activité de segmentation des achats, base de l’organisation et de la stratégied’achat. Il ne s’agit pas d’identifier des marchés au sens strict du terme, maisde regrouper des fournisseurs et des produits selon leur caractère potentielle-ment substituable.

Sur chaque segment, l’acheteur raisonne comme s’il était face à un marché,en étudiant sur ce marché sa « position concurrentielle » en tant que client :quels sont les fournisseurs présents, quel est leur chiffre d’affaires, quelle estsa part de marché en tant que client avec chacun d’entre eux, quels sont lesprix, quelle est leur stratégie de développement ? Il s’intéresse à leur soliditéfinancière, à la fiabilité de leurs approvisionnements. Il essaie aussi d’évaluerleur degré de spécialisation technique. Ce travail est facilité quand l’acheteurappartient à un groupe industriel implanté dans plusieurs pays : il s’agit essen-tiellement de centraliser l’information issue des correspondants locaux.

Dans le cas Renovutil, l’acheteur France tente d’identifier l’ensemble desacteurs spécialisés dans le champ des utilités industrielles sur le marché fran-çais. Il existe plusieurs grands groupes et des prestataires locaux. Deux presta-taires sont déjà présents dans plusieurs usines du groupe, l’un est déjàimplanté dans la région, l’autre a une forte stratégie de croissance. Il consul-tera en priorité ces deux prestataires. Il ne néglige pas pour autant les quel-ques prestataires locaux. Son objectif est d’obtenir au moins trois offres dequalité pour un projet de modernisation.

Ainsi, un premier volet de l’activité de l’acheteur vise à configurer desespaces de marché où la concurrence peut être organisée. L’acheteur placecôte à côte des fournisseurs comparables. Il constitue des ensembles de four-nisseurs entre lesquels le jeu concurrentiel peut avoir un sens. Il ne cherchepas non plus à établir une représentation complète des alternatives, mais unereprésentation « satisfaisante » : un acheteur se limite généralement à trois ou

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(13) Cette préoccupation est d’ailleurs relayée dans les manuels professionnels, dans les forma-tions des acheteurs et par les consultants qui pratiquent les audits internes de cette fonction.

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quatre fournisseurs alternatifs, étant entendu que ces fournisseurs doiventaussi répondre aux critères de la politique Achats (par exemple, en termes dechoix de pays, de réduction du nombre de fournisseurs, etc.).

Ces premières opérations de « cadrage » produisent des représentations desmarchés potentiels. Ce n’est pas parce que deux fournisseurs appartiennent aumême segment et sont considérés comme « proches » qu’ils répondront de lamême façon aux besoins de la production. Ce n’est pas parce qu’un fournis-seur répond de façon satisfaisante à une usine que cela sera le cas pour uneautre usine dans une autre région. Reste à concrétiser ces marchés par desactions de transformation afin d’accroître l’interchangeabilité entre les four-nisseurs.

« Dénouer » les relations existantes : la rationalisationet la standardisation du contenu des échanges

Quand les organisations des clients et des fournisseurs sont enchevêtrées,que le fournisseur en place participe par de nombreux ajustements informelsaux objectifs de ses interlocuteurs, réintroduire de la concurrence n’est pasaisé. L’acheteur va donc s’attaquer à ces relations, tenter de les réorganiser,les réduire, les simplifier, etc., afin d’obtenir une plus grande modularité etune plus grande interchangeabilité.

L’effort de rationalisation interne simplifie les interfaces avec les fournisseurs

Rendre possible l’interchangeabilité des fournisseurs suppose d’abordd’agir sur l’organisation interne afin de faciliter l’intégration de nouveauxfournisseurs. Un premier travail consiste donc à formaliser les activités auxinterfaces. Ce qui comprenait hier une part d’ajustement informel est progres-sivement rationalisé, simplifié, de telle façon qu’il soit possible de spécifier àun nouveau fournisseur les activités attendues ou de comparer deux fournis-seurs en place.

Dans les cas étudiés, la situation de coproduction la plus flagrante est lasous-traitance de la maintenance (Mecano et Maintini) : la répartition destâches n’est pas toujours stabilisée, les interventions de maintenance préven-tive dépendent de la disponibilité des machines ; la production est dépendantede la réactivité de la maintenance pour les opérations curatives, enfin la duréede vie des machines dépend à la fois des réglages par la production et de lacompétence de la maintenance. Dans les deux cas étudiés, avant d’organiserun appel d’offres pour mettre en concurrence de nouveaux fournisseurs, etcontractualiser avec eux sur la base d’un contrat au forfait, il était envisagé deplanifier l’activité de maintenance, de préciser les volumes de main-d’œuvreimpliquée et donc de dimensionner le « contrat au forfait ». Dans le cas deMecano, ce travail de rationalisation a échoué, compte tenu de la complexité

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des imbrications entre le planning de la production et celui de la maintenance.Dans le cas de Maintini, au contraire, c’est le fournisseur alternatif qui, ayantévalué les risques d’un contrat au forfait mal défini, a obtenu de travaillerd’abord en régie et a entrepris, avec sa propre compétence et ses outils degestion, le travail de formalisation des besoins du client.

Dans le cadre des politiques de centralisation des achats et de réduction dunombre de fournisseurs, cette rationalisation s’accompagne d’une standardisa-tion des termes de l’échange, ce qui peut avoir des implications importantesen interne puisque les activités s’organisent souvent autour des offres deservice des fournisseurs. Plus l’activité est coproduite, plus le travail de ratio-nalisation est fastidieux. La standardisation suppose dans certains cas de réin-tégrer des activités auparavant déléguées aux fournisseurs, ou à en déléguerde nouvelles.

Cette action de rationalisation et de standardisation est facilitée quand lesfournisseurs alternatifs sont déjà présents dans l’entreprise. L’acheteur peutassez facilement comparer les fournisseurs présents, évaluer la qualité deleurs services, et déterminer le niveau de qualité attendu. Il lui est plus facilede démontrer, par exemple, qu’un site industriel peut se passer d’un service dehaute qualité proposé par un fournisseur particulièrement cher, s’il existe unautre site industriel, dans la même entreprise, où le client interne ne bénéficiepas de ce service.

Le cas Color illustre particulièrement ce phénomène de standardisation desbesoins internes. Le fournisseur en place était parvenu à un haut degré dequalité de rendu avec ses peintures sur les pièces des clients (pièces plastiquesdestinées à l’industrie automobile), il connaissait parfaitement les lignes depeinture de son client et avait adapté la formulation de ces peintures à ceslignes, aux matériaux peints, aux rendus attendus. Quand la direction desAchats de l’entreprise a imposé à l’usine cliente de laisser Color pour un autrefournisseur, elle a provoqué un vif conflit avec l’usine. Les premiers essaisavec les peintures standard proposées par le nouveau fournisseur conduisaientd’ailleurs à des rendus des peintures particulièrement médiocres. L’usinesouhaitait poursuivre avec le fournisseur actuel dont elle connaissait lescompétences et le travail de formulation spécifique à ses besoins. Cependant,la direction des Achats, engagée avec le nouveau fournisseur, n’est pasrevenue en arrière. Elle a estimé que l’usine devait s’adapter, le nouveau four-nisseur ayant fait ses preuves avec une autre usine au sein du même groupe.Un acheteur a été délégué sur place pour organiser dans l’urgence un travailde fiabilisation de ces nouvelles peintures avec le laboratoire de l’usine. Desessais de formulation ont été systématisés. Il y a eu un apprentissage internesignificatif et cet apprentissage a permis d’obtenir, avec les produits standard,une qualité identique à ce que l’usine obtenait avec le fournisseur précédent.

Dans les cas analysés, le travail de rationalisation connaît, selon le niveaud’interdépendance entre les activités, des succès divers. Cependant, une ratio-nalisation limitée n’empêche pas les acheteurs d’engager un processus dechangement de fournisseur. De nombreux ajustements ont lieu à l’issue du

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basculement, avec une dégradation (en général momentanée) de la perfor-mance.

C’est pourquoi les politiques de standardisation sont « pragmatiques » :elles expérimentent la possibilité de standardiser les produits, les contrats,d’évoluer vers des contrats globaux (par exemple, au niveau européen), ellesvérifient les gains d’échelle et de pouvoir de négociation, elles évaluent lecoût de la centralisation et de la standardisation, avant de passer à une logiquesystématique (14).

L’objectivation de l’évaluation des fournisseurs facilite l’interchangeabilité

La rationalisation des organisations internes et la simplification desbesoins ont des limites : il n’est pas possible de spécifier toutes les articula-tions entre activités de production. Il reste toujours des ajustements informels.Il convient de s’assurer que les fournisseurs alternatifs sont capables derépondre aux attentes (explicites ou non) en termes de coproduction. Il s’agitde sélectionner ceux capables d’offrir le niveau de service attendu oud’accompagner le fournisseur outsider de façon à ce qu’il assure ce niveau.Cette démarche prolonge le travail de normalisation (Segrestin, 1997) quiavait déjà permis une certaine ouverture des relations entre partenaires, maiselle va aujourd’hui beaucoup plus en profondeur.

Plus la dimension coproduite est importante, plus la mise en compétitionporte sur les fournisseurs et non les offres : il ne s’agit pas de choisir une offremais une entreprise, en fonction de ses compétences, de sa notoriété. Dans lamesure où l’acheteur assume le fait que l’activité est en grande partie copro-duite, il invite généralement les principaux intéressés, les clients internes, àévaluer les fournisseurs.

À ce niveau, l’acheteur cherchera cependant à montrer que plusieurs four-nisseurs auront les capacités et joueront le jeu de la coproduction. Ces four-nisseurs ont le droit de concourir, ils ont été sélectionnés dans le cadre d’unepremière compétition entre organisations, le « marché d’élection » (Mariotti,2004, 2005). Le but de l’acheteur est d’obtenir l’accord des acteurs internes(clients internes, management) sur les critères d’« élection », puis sur la listed’« élus », afin d’organiser plus facilement ensuite, entre eux, la compétitionsur les offres techniques et les offres de prix, et leur « allouer » les marchés enfonction des critères de prix. C’est à cette condition que l’acheteur peutreprendre la main.

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(14) Dans le cas Color, le processus destandardisation est allé jusqu’à une inversion dela prescription, au sens où c’est le fournisseurqui impose son standard. On retrouve cephénomène dans d’autres secteurs, comme

l’électronique grand public, où le processus demodularisation des produits et de standardi-sation des composants a permis la constitutionde marchés concurrentiels mondiaux (Berger,2006).

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Les fournisseurs peuvent aussi contribuer à l’objectivation de cette copro-duction en termes de critères de performance ou de critères de satisfaction, àdestination des clients internes et des acheteurs, à condition bien sûr que detels critères les différencient. Mais, ce faisant, ils facilitent le travail d’objec-tivation des critères, de comparaison et donc de mise en compétition.

Maintini illustre la contribution d’un fournisseur à l’objectivation descritères d’évaluation. En effet, Maintini gère ses interventions de maintenanceavec un logiciel spécialisé qui trace la nature des interventions en mainte-nance curative, les délais d’intervention, mais aussi des indicateurs globauxde temps de disponibilité des machines, qui reflètent aussi ses actions entermes de maintenance préventive. Avec certains de ses clients, Maintini s’estengagée à améliorer le niveau de performance des procédés (consommationénergétique, etc.) avec comme hypothèse que ses compétences de mainte-nance et de réglage contribuent à une part essentielle de cette performance. Lecontrat comporte une prime indexée sur ces critères de performance. Ainsi, endéfinissant ses critères de performance, Maintini est en mesure de faire recon-naître pleinement à son client sa contribution à la performance.

La formalisation des caractéristiques hors prix, si elle permet une discus-sion interne, n’est jamais poursuivie jusqu’au bout, par exemple par une« monétarisation » des forces et faiblesses de chaque fournisseur, sorte de« coût complet » permettant une parfaite mise en équivalence d’offres hétéro-gènes en termes de qualité et de prix (15). Les acteurs internes se contententde critères hétérogènes dont le prix fait partie.

La rationalisation s’étend aux fournisseurs outsiders pour faciliter leurintégration

Le travail sur les fournisseurs ne se limite pas à la prospection et la sélec-tion. L’effort peut aussi porter sur l’organisation et les capacités des fournis-seurs alternatifs : il s’agit de les accompagner pour qu’ils atteignentrapidement le niveau d’exigence de l’entreprise. Le travail sur l’organisationdu fournisseur est particulièrement important quand il s’agit des politiquesd’achats « low cost ». Ces politiques se fondent en général sur desprogrammes qui visent à mettre ces nouveaux fournisseurs au niveau des four-nisseurs en place en termes de logistique et de qualité de produits, ens’appuyant sur des normes de management, mais aussi sur les compétencestechniques des clients. C’est le rôle de la fonction « qualité achats » (dépen-dante hiérarchiquement de la fonction Achats), qui intervient chez le fournis-seur comme « consultant » et prend en charge ce travail de « qualification »

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(15) Le travail nécessaire pour apprécier entermes économiques des différences qualita-tives entre fournisseurs est trop important pourêtre réalisable. Il supposerait l’élaboration dedifférents scénarios d’organisation de l’activité

(activités prises en charge en interne ou par lefournisseur, synergies possibles, etc.) et lerapprochement de ces scénarios avec desdonnées comptables internes, pour valoriser lesdifférentes options.

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permettant de faire entrer un nouveau fournisseur. De plus en plus fréquem-ment, en particulier dans la filière automobile et dans les prestations en infor-matique, le travail de mise à niveau des fournisseurs « low cost » s’appuie surdes partenaires existants, encouragés à réaliser un certain pourcentage deleurs activités dans ces pays, soit par acquisition d’entreprises locales, soit endéveloppant une nouvelle activité.

Ainsi, la standardisation et la formalisation des critères d’évaluation et desprocessus transversaux aux deux organisations contiennent la proliférationdes ajustements informels, afin de rendre les fournisseurs substituables. Ellespermettent aussi de réduire, de simplifier et d’objectiver les caractéristiqueshors prix qui seront prises en compte dans la comparaison et le choix des four-nisseurs, et donc de réduire la singularité de chaque relation (16).

La mobilisation des fournisseurs dans une coprescription ouverte

La notion de coprescription s’intéresse aux situations où le fournisseurcontribue à la définition des besoins du client et à la formalisation des engage-ments contractuels. Les relations de coprescription sont en général favorablesaux fournisseurs en place : ils connaissent l’organisation, les équipements, etn’ont pas besoin d’investir autant de temps pour construire leur offre. Grâceaux relations interpersonnelles nouées avec les clients internes, ils cherchent àobtenir un engagement informel de leur part.

« Je suis déjà au courant avant même qu’il y ait l’idée de démarrer le projet, j’ai des in-fos dessus. Les gars me tiennent au courant, c’est le deal qu’on a ensemble. Jean m’ap-pelle pour me dire que potentiellement des projets vont démarrer, ça me permetd’anticiper, de voir les consultants, on essaye de mieux comprendre techniquement, onrentre en contact avec les techniciens pour obtenir des infos. Une fois qu’on l’a bien com-pris, on voit comment on va s’organiser, quels sont les lots. » (Commercial, cas Informa).

Comment l’acheteur peut-il gérer cette relation précontractuelle entreclients internes et fournisseurs en place et éviter qu’elle n’entraîne une dépen-dance vis-à-vis d’une offre singulière ?

L’organisation d’une coprescription ouverte

Les acheteurs tentent d’organiser ce que nous appellerons une coprescrip-tion ouverte : mobiliser plusieurs fournisseurs en parallèle dans la coprescrip-tion, plutôt que de rester prisonnier d’un seul interlocuteur. L’acheteur essaiede reprendre le cahier des charges avec le client interne pour le formuler endes termes plus génériques, plus standardisés, qui précisent davantage les

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(16) La rationalisation tant interne qu’externe de la relation est facilitée par une certaine stabili-sation des exigences de gestion logistique et de qualité, et donc la maturité technique et organisa-tionnelle du secteur.

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fonctionnalités attendues que les solutions techniques pour les atteindre (17),acceptant une plus grande diversité de répondants que le cahier des chargesinitial. Il s’agit d’impliquer plusieurs fournisseurs (en général deux ou trois)dans un dialogue approfondi pour enrichir et élargir le cahier des charges,mais aussi recueillir des propositions techniques de solutions.

Les acheteurs ont besoin de l’aide des fournisseurs alternatifs pours’affranchir des clients internes et des fournisseurs en place. C’est grâce auxidées qu’ils proposent que l’amélioration du cahier des charges est possible.La coprescription ouverte réduit le risque d’un besoin mal spécifié, soit parcequ’il serait trop précis (il réduirait le nombre de fournisseurs à un seul), soitparce qu’il ne serait pas assez précis (il ne permettrait pas d’établir les enga-gements contractuels).

Un chef de projet raconte le processus de consultation par un client pour unprojet d’externalisation et de modernisation des utilités industrielles :

« Au départ, les seuls besoins exprimés étaient l’objectif de réduction de coût. À cestade, on ne connaît pas l’usine, on ne sait pas comment ils sont organisés et ce que l’onpeut réellement faire […] On a essayé de créer de l’intimité avec le client : voir si réelle-ment il y a un projet, voir et comprendre ce qu’ils veulent. Ensuite, trois, quatre mois plustard, on a été chez eux, on a fait des études, des audits techniques, des analyses avec les in-génieurs d’exploitation, des experts en charge d’autocontrôle […]. Ensuite, après la pré-sentation de nos premiers résultats, le client a décidé de lancer un appel d’offres. Ilsvoulaient aussi nous tester et voir ce que les autres pouvaient apporter. Nous avons toutfait pour leur dire que c’était une bêtise de lancer un appel d’offres. Ça n’a pas marché,nous avons perdu cette bataille ! Mais, c’est courant, dans le monde industriel […]. Pre-mière phase : quatre entreprises sélectionnées. Nouvelle phase : plus que deux entreprisessont en compétition. Entre le premier et le second tour, beaucoup de travail : des éclaircis-sements sur notre offre, retravailler sur de nouvelles pistes, écrire des contrats, faire unbusiness plan, revalider les économies. »

Lors d’investissements importants, et à condition que plusieurs fournis-seurs jouent le jeu, ce processus de coprescription ouverte se prolonge jusqu’àla définition d’un cahier des charges techniques détaillant les besoins, à partirduquel l’acheteur organise une dernière consultation pour obtenir les offrescommerciales. Le client exploite les solutions proposées par les différentsfournisseurs pour reformuler ses besoins.

Le récit d’un dirigeant, fabricant de machines spéciales pour l’automobile,montre comment il tente d’équilibrer le jeu de pouvoir avec le client dans unprocessus de consultation :

« Une rumeur me prévient d’un nouveau projet. Immédiatement, j’essaie d’informerles bureaux d’études client sur mes solutions techniques. J’invite les techniciens du BE, ettente de réorienter le futur “pré cahier des charges de consultation” [PCC] en direction dema solution technique. Ce PCC est ensuite distribué auprès des autres fournisseursconsultés. Plus le fournisseur essaie d’orienter le PCC en sa faveur, plus il doit proposerdes idées nouvelles. Mais ces idées sont ensuite rendues publiques puisque le PCC est

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(17) Ainsi, le cahier des charges« fonctionnel » se différencie du cahier descharges « techniques », dans la mesure où lepremier essaie de caractériser les fonctionsattendues de l’objet (résistance, comportement,

etc.) et non des caractéristiques techniques, afinde laisser aux fournisseurs le soin de proposerdifférentes solutions techniques, comme lechoix des matériaux, le dimensionnement, etc.

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distribué… Donc il n’a pas toujours intérêt à avancer trop tôt les idées nouvelles. […] Leclient consulte en général davantage de fournisseurs que ceux qu’il pensait pouvoirretenir : il essaie de recueillir le plus grand nombre d’idées sur la question. Puis, sur labase des réponses, la discussion technique va s’affiner de plus en plus. Bien évidemment,j’insiste auprès du technicien sur les spécificités de mon offre : une machine plus rapide,avec moins de mouvement… On va aller très loin dans le détail. Les clients ont aussi leursidées, leurs exigences. Ils se réunissent plusieurs fois pour définir leurs besoins. Chaquenouvel intervenant ajoute une idée, chaque nouvelle idée conduit à une variantesupplémentaire. Les idées des fournisseurs s’ajoutent à leur tour. Le précahier des chargesprévoit l’ensemble des variantes possibles et les fournisseurs doivent proposer un coûtpour chacune. »

L’ouverture de la coprescription a une autre fonction : elle contribue aussiau maintien de la confiance du client vis-à-vis de ses fournisseurs privilégiés.Le client peut ainsi vérifier régulièrement que ces derniers ne tirent pas unbénéfice excessif de la relation de coopération qu’ils ont engagée.

Un acheteur évoque comment il a utilisé Renovutil pour concurrencer unfournisseur en place :

« J’ai comparé Renovutil qui a fait une proposition […]. J’ai à côté le fournisseur ac-tuel. Il se trouve que Renovutil est meilleur. J’aurais pu gagner du temps en ne faisant pascette vérification du marché. C’est le plus beau dossier que j’ai jamais vu en termes demaintenance. Il y a un inventaire exhaustif des équipements existants. Il y a des gammesde maintenance détaillées, c’est très professionnel comme travail contrairement à d’au-tres ; ils sont forts ! Avec nous, ils sont là, ils sont très réactifs, dès que l’on a besoin deressources, ils sont là. Je les ai consultés sur un projet de modification : en une semaine,ils ont su nous répondre avec une enveloppe financière. »

Autrement dit, l’acheteur et les clients internes recherchent, par la copres-cription ouverte, les bénéfices de la compétition tout autant que les bénéficesd’une « relation de service », comme la mise à disposition des compétencesdes fournisseurs et leur investissement dans la singularisation de l’offre(l’adaptation aux besoins du client).

La fixation des prix dans un processus de coprescription

Les relations marquées par une forte coprescription ressemblent aux« marchés de prototypes », où les dimensions hors prix sont prépondérantesdans le jeu concurrentiel (François, 2004). La fixation du prix ne fait pasl’objet d’un réel ajustement entre les clients et les fournisseurs, le prixs’établit sur une base conventionnelle partagée entre fournisseur et acheteur(barème, décomposition des coûts, etc.). Le principal enjeu pour le fournis-seur est de parvenir à justifier son prix. Un fournisseur qui s’écarterait tropdes prix conventionnels et ne parviendrait pas à le justifier prendrait le risqued’affaiblir la relation de coopération avec le client interne et donc d’encou-rager ses interlocuteurs à choisir un autre mode de relation.

Le nouveau prestataire de maintenance Maintini s’est investi dans l’ingé-nierie du contrat : c’est lui qui a proposé à son client de ne pas signer immé-diatement un contrat au forfait, mais de passer par une période probatoired’un an, avec une transparence totale sur les activités et les dépenses, « à livre

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ouvert ». Un an plus tard, la négociation du contrat au forfait s’est faite surune base d’informations partagées. Les dimensions hors prix et prix ont étéclarifiées.

Prenons les cas des prestations ponctuelles d’ingénierie de travaux deRenovbati et Renovutil. Il s’agit d’offres spécifiques et le processus est assezrudimentaire : des barèmes permettent d’établir les coûts de main-d’œuvre àpartir du temps de travail prévu, le fournisseur consulte à son tour ses propressous-traitants pour connaître leurs coûts. Puis il évalue la marge qu’il souhaiteréaliser sur cette affaire, en fonction de sa valeur pour l’ensemble de son acti-vité, des incertitudes qui pèsent sur le projet, et du risque de ne pas obtenirl’affaire. Il tente aussi de se renseigner sur les propositions concurrentes :comment les concurrents définissent-ils leurs coûts et établissent-ils leurprix ? Le fournisseur teste ses prix régulièrement et récupère de l’informationà chaque fois qu’il perd une affaire.

L’organisation d’une coprescription ouverte a aussi une influence sur laformation du prix : elle accroît le pouvoir de marché du client. Quand l’ache-teur a réussi à conduire une coprescription ouverte et qu’il est parvenu àobtenir des offres techniques en grande partie substituables, il est en positionde force pour organiser la négociation. Il peut étudier les décompositions desprix proposées par les fournisseurs, renégocier les offres techniques et lesoffres de prix. Un format imposé de devis est un moyen de mise en équiva-lence des offres et de comparaison des prix, tout en acceptant des offres tech-niquement différentes. Les offres alternatives sont donc des ressourcesessentielles dans la pratique de négociation de l’acheteur, bien plus intéres-santes que la connaissance des prix « conventionnels ».

Pourquoi les fournisseurs continuent à collaborer avec leurs clients

L’intensification de la compétition crée une incertitude pour les fournis-seurs. Pourquoi les fournisseurs en place et les fournisseurs outsiders conti-nuent-ils à coopérer si la contrepartie à leurs investissements devient aussiincertaine ?

Les pratiques de négociation des prix tentent de prolonger la logiquecoopérative

La rationalisation de la coproduction n’est jamais complète et ne peutréduire totalement la dépendance du client vis-à-vis d’un fournisseur tout aulong de l’exécution d’un contrat. Acheteurs et fournisseurs en ont conscience,ce qui les conduit à modérer leur opportunisme (tant en amont de la signaturedu contrat, côté acheteur, qu’en aval, côté fournisseur) pour conserver unedynamique coopérative.

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Il existe, en effet, tout un ensemble de pratiques de négociation qui permet-tent de combiner une attitude coopérative avec le maintien d’une menace deprendre un autre fournisseur. Quand l’acheteur a une préférence pour un four-nisseur, en ce qui concerne les dimensions hors prix, il l’informe du meilleurprix qu’il a obtenu par ailleurs. C’est ce que les acheteurs et commerciauxappellent le « last call », marque de confiance par l’acheteur. Elle encouragela coopération à venir (18).

« L’acheteur a le pouvoir final. S’il veut te prendre, tu le sauras, et il trouvera toujoursle moyen d’habiller la décision. Il viendra te trouver et te faire comprendre que, si tu veuxavoir l’affaire, il suffit de baisser de 4 %. Il ne le demandera pas aux autres fournisseurs ettu seras moins cher qu’eux. Il te donnera les indications pour que tu prennes l’affaire. S’ilne veut pas de toi, il ne te donnera pas d’indications ou des indications faussées. » (Diri-geant, fabricant de machines).

Cette pratique coopérative n’empêche pas des stratégies opportunistes à lamarge : l’acheteur peut « bluffer » sur le prix du moins-disant (mais il risquesa propre crédibilité). Réciproquement, côté fournisseur, une relation coopé-rative n’empêche pas non plus des stratégies opportunistes à la marge (19).L’opportunisme reste modéré (Neuville, 1998), car il est de l’intérêt des parte-naires de ne pas apparaître comme « opportunistes » mais au contraire comme« arrangeants », et de ne pas mettre en jeu la relation de coopération et laréputation.

La coprescription, un investissement risqué pour le fournisseur outsider

Du point de vue du fournisseur, l’investissement dans la coprescription, enamont de la négociation du prix et de la signature du contrat, est un jeu risqué.Il s’agit bien d’un investissement, car il met à disposition du client disponibi-lité et compétence. Le risque demeure de ne pas être retenu. En effet, à ladifférence des marchés de prototypes étudiés par François (2004) ou desmarchés des singularités de Karpik (2007), la coprescription dans un contexteindustriel ne conduit pas nécessairement à une offre singulière où chaquefournisseur pourrait se différencier de façon déterminante.

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(18) Quand les acheteurs sont conscientsdes interdépendances informelles, ils évitentdes techniques de mise en concurrence quiexerceraient un pouvoir excessif sur lesfournisseurs, comme par exemple l’enchèreinversée. Selon cette technique, après avoirdéfini précisément le contenu de l’offretechnique, l’acheteur invite les fournisseurs àfaire des propositions de prix ; les fournisseurssont automatiquement informés des proposi-tions des autres et peuvent « sous-enchérir ».De l’avis des acheteurs interrogés, pour ne pasproduire d’effet pervers, cette technique exigeune formalisation initiale du besoin extrê-

mement précise. Sinon, cette techniquerisquerait d’exacerber des conflits d’intérêts audétriment de la coopération. Dans les casanalysés, pour cette raison-là, cette techniquen’est pas utilisée.

(19) Si son client a besoin d’un composanten urgence, en dehors des dispositions contrac-tuelles, le fournisseur lui « rend service », maisrenégocie le prix à la hausse. L’occasion lui estdonnée par le fait que la demande du client esthors procédure ou hors délai. Le fournisseurargumente l’écart sur la base des coûts internesde réorganisation pour fournir la pièce à temps,coûts non vérifiables par le client.

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Comme le fournisseur en place, le fournisseur alternatif a besoin d’évaluerla probabilité de remporter l’affaire. Cependant, il n’a pas de relation privi-légiée avec les clients internes. La probabilité est élevée qu’il joue un rôle delièvre pour que le fournisseur déjà dans la place accepte de réduire ses coûts.Le fournisseur alternatif cherchera à comprendre la motivation réelle duclient : le client interne est-il satisfait du fournisseur en place ? L’acheteura-t-il besoin de lui pour rouvrir le jeu par rapport à un fournisseur en place qui« abuserait » de sa position ? Est-il prêt à s’engager sur un certain volumed’activité ? C’est pourquoi le fournisseur alternatif tente généralementd’obtenir de l’acheteur un engagement informel avant d’investir davantagedans la relation.

« Si un concurrent répond à l’appel d’offres, qu’il a été en amont du processus et quel’on arrive à le savoir, cela veut dire que l’on minimise nos chances de réussite. Un appeld’offres où dix entreprises ont été consultées et où nous estimons nos chances de réussite à1 sur 10, on se pose la question de savoir s’il n’y a pas un autre projet ailleurs, plus inté-ressant, parce qu’il nous permet de travailler en amont avant de s’engager. Cela dépend dela charge de travail et de ce que l’on sent… Là aussi, la phase de qualification est impor-tante ; il s’agit de choisir son projet. » (Chef de projet, Renovutil).

Ainsi, les pratiques de coprescription ouverte recherchent un certain équi-libre entre mise en concurrence et engagement, équilibre qui se déplace, enfaveur du fournisseur ou en faveur du client, au gré des stratégies des fournis-seurs, des rapports de force économiques, des nécessités techniques et desprocessus d’achat.

Les fournisseurs interrogés signalent une nouvelle tendance dans les prati-ques des acheteurs : ces derniers imposent de plus en plus souvent un engage-ment sur un niveau de performance, ils demandent aux fournisseurs deprendre en charge l’ensemble des risques techniques et économiques duprojet. Ces exigences laissent les fournisseurs perplexes : certains prennent lerisque d’accepter ce type de contrat, mais ne prennent pas au sérieux lesexigences contractuelles. Ils estiment que les incertitudes techniques sontinévitables, que leur interlocuteur technique les assumera en partie et quel’acheteur acceptera, en « bonne entente », les avenants et les coûts supplé-mentaires. Ils prennent le risque d’une relation conflictuelle avec l’acheteur sicelui-ci reste inflexible.

La formation d’un pool de partenaires privilégiés

L’organisation d’une coprescription ouverte est facilitée lorsque l’entre-prise cliente dispose de plusieurs fournisseurs insiders sur lesquels l’acheteura une responsabilité. Il peut les mettre en concurrence régulièrement sur denouveaux projets. Pour les fournisseurs, contribuer à la coprescription est larègle du jeu pour conserver leur place et parce qu’ils anticipent des contrepar-ties à moyen terme.

« L’acheteuse m’explique – “Je te challenge là-dessus, on te fait toujours confiancemais là j’ai mis une autre boîte dans la boucle parce que globalement…” En fait je savaisqu’elle avait vu le consultant concurrent, c’était lui quoi. Il n’y avait pas d’autre solution,

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il était déjà passé avant. Et moi j’ai fait une proposition, comme d’habitude, 26 pages,bien détaillées, on a compris son besoin. […] Elle me rappelle : “OK, c’est bon, je viensde voir mon boss”. » (Commercial, Informa).

Constituer un tel pool et en avoir le contrôle supposent une centralisationdes achats et une capacité à imposer aux différentes usines le choix des four-nisseurs. Autrement dit, l’acheteur cherche à substituer aux liens entre lesusines et leur fournisseur privilégié un lien entre lui-même et un pool departenaires substituables. Les fournisseurs qui souhaitent accroître leur partde marché accepteront d’investir. L’acheteur se perçoit comme engagé, infor-mellement, vis-à-vis des fournisseurs qui jouent son jeu. Cependant, cettestratégie est tributaire de la coopération des usines.

Quand la coprescription suppose de très gros investissements, comme ledéveloppement d’un prototype (20), le client contribue généralement à sonfinancement. La coprescription ouverte n’est pas possible puisque doubler lesinvestissements dans un prototype est trop coûteux. Le fournisseur bénéficiealors d’une position avantageuse. L’acheteur tente de circonscrire cet avan-tage en organisant la concurrence en amont de l’investissement dans le proto-type, mais il doit accepter que la performance ne puisse être définietotalement en amont et que la coprescription se prolonge après signature ducontrat. L’acheteur limite l’opportunisme « postcontractuel » en jouant sur lesnouveaux projets.

Ainsi, l’idée de coprescription ouverte comprend une contradiction impli-cite : elle suppose un investissement significatif des fournisseurs tout en lesmenaçant de ne pas être retenus. Dans ce contexte, la coprescription ouverteau sein d’une « niche sociale » (Lazega et Mounier, 2002) semble être laconfiguration la plus équitable et la plus incitative : les clients internescomme les acheteurs peuvent jouer sur un volet d’affaires assez large pourorganiser à la fois la compétition et la rétribution des investissements encoprescription. Ce compromis n’est pas non plus à l’abri d’une intensificationde la concurrence ou d’une ouverture à des acteurs extérieurs à cette niche.

Comment l’acheteur convertit le client interne aux vertus du marché,comment le client interne modère les ambitions de l’acheteur

Pour la standardisation des besoins internes, la sélection, l’accompagne-ment des fournisseurs alternatifs et enfin la coprescription ouverte, le travailde l’acheteur est dépendant de la coopération des clients internes. Et ce pourde multiples raisons : ils détiennent des compétences utiles dans le choix et lecontrôle des fournisseurs, et jouent souvent un rôle de technical gate keeper(Pettigrew, 1975), ils contribuent aux décisions et à leur mise en œuvre. Cedegré de dépendance varie donc selon le niveau de compétence techniqueexigé par l’achat et la répartition des compétences techniques entre acheteur

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(20) Situation rencontrée dans le cas Electro.

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et client interne. Il varie aussi selon les procédures décisionnelles. Dansl’ensemble des cas étudiés, cette dépendance est significative.

Or, il n’y a pas de raison pour qu’acheteurs et clients internes perçoiventavec le même degré d’urgence ou d’importance la nécessité de changer ou demettre en concurrence un fournisseur. En effet, ils ne sont pas inscrits dans lamême structure d’incitation, ne poursuivent pas les mêmes objectifs, neformulent pas les mêmes critères de jugement. La décision et l’organisationd’un changement de fournisseur supposent un alignement de l’acheteur et desclients internes sur une stratégie commune.

L’agenda de l’acheteur est rarement en phase avec l’agenda des clientsinternes

Les acheteurs interviewés présentent leur activité comme inscrite dansdifférentes politiques d’achats (21) : la centralisation des achats, la participa-tion des acheteurs aux projets, le développement des achats dans les pays à« bas coûts ». Les politiques d’achats jouent un rôle prépondérant commedéclencheur de l’action de l’acheteur. Côté client interne, le souhait de voir unfournisseur mis en concurrence répond à des enjeux opérationnels de qualité,de compétence, et plus rarement de budget.

Autrement dit, les « agendas » des deux fonctions ne sont pas nécessaire-ment synchronisés. Un jugement négatif par les clients internes sur un four-nisseur (en termes de qualité ou de réactivité) ne signifie pas que les acheteursaccepteront d’investir dans une procédure de changement. Certains clientsinternes interrogés rapportent (de façon ironique) que, lorsqu’ils signalent desdifficultés récurrentes avec un fournisseur en termes de qualité ou de délais,« l’acheteur utilise ce type d’argument pour faire baisser les prix, mais nerépond pas à nos besoins, ne change pas le fournisseur, sauf si les problèmesdeviennent critiques ». Réciproquement, les acheteurs se plaignent volontiersdes nombreuses sollicitations des clients internes, qui leur demandent de« faire pression sur les fournisseurs » qu’ils jugent responsables des moindresproblèmes de qualité.

Un décalage trop important entre les agendas des clients internes et del’acheteur peut affaiblir la légitimité de l’acheteur aux yeux des clientsinternes et donc la coopération de ces derniers. Réciproquement, quandl’acheteur bénéficie d’une marge d’appréciation dans la définition de ses prio-rités et qu’il exploite cette marge de manœuvre pour se rapprocher del’agenda des clients internes, sa légitimité est renforcée.

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(21) Les politiques d’achats sont souvent lereflet des évolutions institutionnelles de lafonction : la fonction Achats se développegrâce aux influences des consultants et forums

professionnels qui donnent aux acheteurs lesarguments pour accroître la légitimité de leursactions.

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L’ouverture de la coprescription remet en question les frontières internes

Les acheteurs se sont longtemps positionnés sur des achats de fournituresoù la qualité était standardisée et le service quasi absent, et ont toujours misen avant les pratiques de « réduction des coûts » pour caractériser leur fonc-tion. Compte tenu de cet héritage historique, les clients internes ne leur recon-naissent pas la compétence suffisante pour prendre en compte lescaractéristiques hors prix. Les acheteurs ont été longtemps exclus des achatsdits « techniques » (machines, investissements, etc.) ou des achats de presta-tions de service, et, plus généralement, ils ont été exclus du processus decoprescription.

Le processus de coprescription se matérialise principalement dans la rédac-tion du cahier des charges techniques. Pour organiser une coprescriptionouverte, les acheteurs cherchent à accompagner les clients internes dans larédaction de celui-ci. Ils veillent à ce que le cahier des charges soit précis surles fonctions attendues du produit, mais le plus ouvert possible sur les solu-tions, afin de permettre à plusieurs fournisseurs d’en proposer.

Or, le cahier des charges est traditionnellement le domaine réservé destechniciens, chez le fournisseur et chez le client. Il est rédigé dans le cadred’une culture technique et exige, pour sa compréhension, la maîtrise de cetteculture. Un acheteur qui souhaite ouvrir la coprescription doit donc être enmesure de dialoguer avec le client interne et les fournisseurs, et de se réappro-prier cet objet (22).

La faible coopération interne exacerbe la tension entre le prix et les critèreshors prix dans la relation avec les fournisseurs

La relation entre acheteur et client interne, malgré une sophistication desinstruments de suivi, des procédures de décision, et la plus grande proximitédes incitations, est souvent entachée de suspicion. Acheteur et client internes’accordent de façon tacite sur un partage des tâches : au client interne lesdimensions hors prix de l’achat, à l’acheteur la négociation du prix.

Le maintien de cette division du travail est autant intentionnel que nonintentionnel : en effet, les acheteurs travaillent souvent avec des donnéesincomplètes, comme des benchmarks de prix, et ils ne souhaitent pas exposerau regard des clients internes leurs propres incertitudes. De même, les clientsinternes ne peuvent pas formaliser plus précisément leurs besoins, faute de

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(22) La capacité à interpréter et discuter lecontenu d’un cahier des charges ou d’un planest de plus en plus exigée des acheteurs quandil s’agit d’achats techniques. Pour ce typed’achat, les entreprises privilégient desacheteurs ayant une culture technique signifi-

cative : en général, ils possèdent un diplômede management des achats qui s’ajoute à uneformation de technicien complétée par uneexpérience technique, ou à un diplômed’ingénieur.

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temps et de compétence. Cependant, les informations sur les prix font aussipartie de la « zone d’incertitude » (Crozier et Friedberg, 1977) préservée parl’acheteur et sur laquelle il construit son pouvoir. Réciproquement, les clientsinternes conservent leur propre « zone d’incertitude » : leur besoin techniqueou leur évaluation des fournisseurs.

« [À propos de la formalisation du cahier des charges] Ben c’est le gros point faible duprojet. S’il me dit qu’un fournisseur ne tient pas la route techniquement et donc qu’il neveut pas travailler avec lui, moi je ne peux pas aller à l’encontre de ça. Je n’ai pas trop depouvoir là-dessus, comme il n’y a pas de cahier des charges. En plus, les fournisseurs nerépondent pas sur les mêmes bases. Alors pas facile si on veut comparer des choses com-parables. » (Acheteur, Renovutil).

Les conséquences de cette faible coopération peuvent être aggravées parles procédures d’achat qui imposent un enchaînement séquentiel des étapes dedéfinition des besoins, puis de consultation des fournisseurs. Une véritableexploration des alternatives suppose que l’acheteur puisse renégocier lesbesoins internes et explorer avec le client interne de nouvelles possibilitéstechniques avec de nouveaux fournisseurs. Autrement dit, l’acheteur ne peutrester prisonnier d’une démarche trop séquentielle. Il a aussi besoin de temps.Or, les clients internes sont eux-mêmes contraints par le déroulement desprojets et ne prévoient pas toujours un délai suffisant. L’exploration des alter-natives est alors impossible. La faible coopération entre acheteurs et clientsinternes, l’absence d’exploration des opportunités techniques et économiquesexacerbent le conflit entre la prise en compte des caractéristiques hors prix etcelle du prix. Le fournisseur fait face à une organisation « schizophrène ».

La sensibilité des clients internes vis-à-vis des coûts d’achat s’accroîtavec la pression budgétaire

La sensibilité du client interne au prix d’achat dépend du cadre organisa-tionnel dans lequel il est placé, et en particulier de l’organisation budgétaire.En principe, les coûts des achats sont imputés sur le budget du client interne(l’acheteur dispose du « mandat » pour acheter, mais ce n’est pas lui qui est lebénéficiaire du bien acheté) et le client interne est généralement incité par sapropre hiérarchie à minimiser ses coûts globalement (main-d’œuvre, achat,investissement) pour améliorer la profitabilité de son activité. Dans ce cas, il aintérêt à collaborer aux actions de réduction des coûts engagés par les ache-teurs, et a fortiori aux actions permettant la mise en concurrence des fournis-seurs.

Cependant, dans la majorité des cas étudiés, l’organisation budgétaire esttrop dispersée pour être incitative : les coûts d’achat d’investissement, lescoûts d’achat en fonctionnement et les ressources humaines internes relèventde budgets différents. S’ils ne contrôlent pas les budgets d’achat, les clientsinternes n’ont pas intérêt à accepter un fournisseur « moins-disant » : lesinsuffisances d’un fournisseur moins performant techniquement pèserontdirectement sur leur activité, et ils ne tireront pas bénéfice d’un prix d’achat

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serré. Si les clients internes ont le sentiment que leurs propres marges demanœuvre en fonctionnement (ressources humaines internes, budget dispo-nible pour financer des avenants) sont limitées, ils défendront le choix d’unfournisseur « mieux-disant » qui donne des garanties de compétence et dedisponibilité. Ni l’acheteur ni le client interne ne raisonnent en coût complet :la grande complexité du calcul les décourage. Ils se résignent à travailler avecdes critères hétérogènes de prix et de qualité de prestation.

Les apprentissages croisés facilitent l’alignement des stratégies

Lorsque sont réunies plusieurs conditions favorables (structure budgétaireincitative, investissement de l’acheteur dans les démarches de résolution deproblème, etc.), une boucle vertueuse d’apprentissage et de confiances’engage naturellement entre acheteurs et client internes. Comme l’expliquel’acheteur dans le cas de Renovbati :

« Au début c’était difficile. Et en avançant, dans le temps, sur le projet, ben il [le clientinterne] s’aperçoit qu’il y a un intérêt à ce que je travaille avec lui, et depuis, en fait, ilm’intègre quasiment partout alors qu’à l’origine je ne devais intervenir que sur les groscorps de métiers. »

Le client interne confirme :« Je pense que nous apportons plus de technique à l’acheteur et je pense que c’est un

bon compromis entre les deux. »

Cette boucle d’apprentissage est tout d’abord alimentée par la présentationde l’étendue des opportunités par l’acheteur (il s’appuie sur son travail préa-lable de prospection des marchés amont). La critériologie qui permet decomparer les différentes offres est mobilisée comme un instrument dedialogue entre acheteurs et clients internes. De même, en organisant l’infor-mation sur les besoins, sur les offres et sur les fournisseurs, les acheteursstructurent la délibération collective.

Cette boucle d’apprentissage peut s’engager aussi dans des conditionsmoins favorables. Soit l’acheteur possède suffisamment de compétences tech-niques, soit il peut mobiliser un bon réseau d’experts internes et externes pourconstituer son dossier technique et économique et le soumettre aux clientsinternes. Il oblige ainsi les différents acteurs internes à se justifier et à révélerleurs informations et leurs jugements. Plus le débat technique est alimenté,plus l’acheteur étoffe son dossier. Il est alors de plus en plus difficile pour lesclients internes de le contester.

La coopération entre acheteur et client interne n’est pas sans conséquencesur la mise en concurrence : leur présence conjointe dans la négociationpermet de prendre en compte autant les dimensions techniques que le prix, etaccroît sensiblement le pouvoir de négociation sur le fournisseur.

« En fait, pour que ça marche avec le fournisseur, il faut que ça marche avec le pres-cripteur. Si tu n’as pas une relation étroite de confiance avec ton prescripteur, là tu vas auclash et ce n’est même pas la peine d’essayer de faire quoi que ce soit avec le fournisseur.Sur ce chantier, ça se passe bien, mais sur d’autres ça a été beaucoup plus difficile, le res-

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ponsable du chantier faisait son truc de son côté, ne me communiquait rien et en réunionfournisseur moi j’avais l’air d’une potiche. » (Acheteur, Rénovutil).

Une plus grande cohérence interne n’empêche pas que l’acheteur et leclient interne puissent avoir intérêt à différencier leurs rôles quand il s’agitd’interagir avec les fournisseurs : ainsi, si l’acheteur souhaite peser sur leprix, par exemple face à un fournisseur en place, il organise un « rituelmarchand » (Weber, 2000) dont il tient le rôle principal, il impose une compé-tition sur les prix et mettra entre parenthèses les liens d’interdépendance avecles clients internes. De leur côté, les clients internes se gardent bien de parti-ciper à ce rituel pour conserver la qualité des relations interpersonnelles quifacilitent les échanges avec le fournisseur en place. Ainsi, acheteurs et clientsinternes peuvent aussi jouer du fait d’être deux afin d’établir des formesd’interaction diversifiées avec les fournisseurs, alterner mise à distance etengagement.

Le conflit est aussi un moyen de rendre visibles les coûts internes induitset de solliciter un arbitrage

La résistance des clients internes à un changement de fournisseur est unmoyen de faire reconnaître les coûts induits et les risques engendrés par lechangement, afin de ne pas être exposés en cas de dégradation de la qualité oude prestation non conforme aux attentes.

Pour gagner en légitimité et en influence auprès des clients internes,certains acheteurs se concentrent sur les activités où les clients internes nesont pas satisfaits du fournisseur en place. L’acheteur acquiert son influencepar un glissement de tâches qui le conduit à assumer en partie des réorganisa-tions en principe prises en charge par les clients internes. C’est à cette condi-tion qu’il peut conduire son projet de changement de fournisseur. Ceglissement est d’autant plus aisé que les structures organisationnelles sontsouples, que l’acheteur a lui-même les compétences techniques adéquates.Nous avons constaté un fort investissement des acheteurs dans le processusd’évaluation, de test et de qualification des produits issus des nouveaux four-nisseurs : dans le cas Color, les problèmes de non-qualité rencontrés par leslignes de production ont été pleinement assumés comme la conséquence duchangement de fournisseur et les équipes ont été soutenues et valorisées dansleur capacité à les surmonter.

Si le conflit s’aggrave, acheteur et clients internes sollicitent un arbitragehiérarchique. L’acheteur sollicitera l’arbitrage dans le cas d’un programme deréduction de coûts solidement argumenté et ayant une forte légitimité. Lesclients internes peuvent faire valoir les conséquences négatives pour leur acti-vité et obtenir des ressources en cas de dégradation de la qualité ou de laperformance.

Néanmoins, la centralisation des achats entraîne plutôt une forte séparationentre la hiérarchie des acheteurs et la hiérarchie technique et industrielle. Les

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arbitrages ne peuvent donc être effectués qu’à un haut niveau de l’organisa-tion, qui présente toujours des risques importants pour ceux qui l’invoquent.Acheteurs et clients internes ont donc parfois intérêt à éviter l’arbitrage et àprivilégier les arrangements. Le meilleur arrangement est l’évitement : l’ache-teur révise son agenda, privilégie les usines qui le sollicitent, délaisse lesusines qui coopèrent insuffisamment. Alors que l’acheteur dispose, avec lacentralisation des achats, d’un formidable levier pour mettre en compétitionses fournisseurs, son éloignement organisationnel vis-à-vis des clientsinternes conduit à un évitement réciproque favorable au maintien des fournis-seurs en place !

** *

Cet article propose une investigation qualitative des jeux de pouvoir et desdynamiques de changement entre clients et fournisseurs, quand les fournis-seurs sont investis dans une « relation de service » auprès de leur client. Dansles cas étudiés, les fournisseurs assument, sans que cela soit formalisé, ungrand nombre de tâches en aide aux clients internes, tant dans l’expression deleurs besoins en amont que dans le quotidien des prestations ou des livraisons.En échange, ils essaient d’obtenir une certaine stabilité de la relation, lesclients n’ayant pas vraiment intérêt à travailler avec d’autres fournisseurs quine feraient pas les mêmes investissements, qui n’auraient pas accumulé lesmêmes apprentissages ou n’offriraient pas les mêmes garanties.

Néanmoins, nous observons que les clients maintiennent une forte compé-tition entre fournisseurs : les relations sont rarement exclusives et la stabilitén’est jamais assurée. Cette compétition est le principal levier de pouvoir duclient et principalement utilisée dans la maîtrise des prix.

Pour examiner la manière dont les clients combinent collaboration etcompétition, nous avons adopté une stratégie de recherche originale : enquêterauprès d’acheteurs, de clients internes et de fournisseurs sur des processus dechoix et de changement de fournisseurs. Nous avons pris le parti d’étudier dessituations « critiques », où les clients internes exprimaient des besoins de« relation de service » et des craintes de l’affaiblissement de celle-ci avecl’action de l’acheteur.

Ainsi, nous montrons que l’acheteur développe une capacité à maintenirune compétition entre fournisseurs en rendant possible (moins coûteuse etmoins risquée) la substitution entre fournisseurs. Des pratiques de « cadrage »(Callon, 1999) réduisent ou réintègrent dans le jeu de la compétition la proli-fération des échanges informels : par exemple, la rationalisation et la standar-disation des besoins réduisent l’ampleur des ajustements informels autour desflux de produits et de leur qualité (sans les éliminer tout à fait). Les acheteurstravaillent aussi à la qualification des offres afin de limiter leur dimensionsingulière (Karpik, 2007) : la formalisation de critères donne la possibilité decomparer l’engagement des fournisseurs, l’implication de plusieurs fournis-seurs dans la définition des besoins et des solutions techniques (que nousavons appelée coprescription ouverte) permet de disposer d’alternatives

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comparables. Les acheteurs répondent à la stratégie de captation par les four-nisseurs en place par une maîtrise de la singularisation (23). Comme il resteune part irréductible d’incertitude et de singularité, l’acheteur cherche, tout aulong des processus de négociation, à conserver une atmosphère coopérativeavec le fournisseur, de façon à ce que ce dernier soit toujours encouragé àcontribuer par la relation de service aux besoins non formalisés par le client.

Nos résultats montrent l’intérêt d’une analyse de l’activité des acheteurs etouvrent des questions nouvelles qui pourraient faire l’objet d’investigationscomplémentaires. Aussi, nous avançons que le travail des acheteurs, étayé parla segmentation, la révision des cahiers des charges, l’usage de formats dedevis et procédures d’appel d’offres, leur permet d’accéder à un plus grandnombre d’offres alternatives, de les caractériser et de les comparer. L’ache-teur, ses méthodes et ses instruments contribuent à la construction du clientcomme agent économique calculateur. Une observation ethnographique de cespratiques et de l’usage de ces instruments permettrait de discuter les condi-tions dans lesquelles ces instruments accroissent la « capacité de calcul »(Callon et Muniesa, 2005) de l’entreprise cliente.

Notre travail suggère que la réintroduction du marché passe par des inves-tissements relationnels diversifiés : l’acheteur a besoin de maintenir et déve-lopper un réseau de relations avec des liens un peu « moins engageants » queles liens existants, pour construire les alternatives et la comparaison. L’ache-teur trouverait l’essentiel de sa légitimité et de son pouvoir dans sa capacité ànouer des relations avec des acteurs a priori plus « distants » et n’ayant pas deliens entre eux, autrement dit, à se placer dans des trous structuraux desréseaux d’échanges interindustriels (Burt, 1992). Une analyse plus appro-fondie et systématique des réseaux relationnels des acheteurs (et en particulierde leur dimension internationale) et une comparaison avec les réseaux rela-tionnels des « clients internes » permettraient d’approfondir la compréhensiondu rôle des acheteurs dans la mondialisation, mais également dans une pers-pective institutionnaliste (Fligstein, 1991), par une enquête systématique pourmesurer la montée en puissance de la fonction Achats sur la période récente,l’extension de son rôle organisationnel et les effets en termes de globalisationdes achats.

Enfin, notre enquête met en valeur les tensions entre acheteurs et clientsinternes. En effet, les efforts des fournisseurs en place pour développer dessynergies bénéficient aux clients internes, alors que la mise en concurrence(en particulier sur le prix) bénéficie plutôt aux acheteurs. Les quelques casétudiés suggèrent que le conflit est exacerbé par les politiques achats deréduction de coût ou de changement de fournisseur quand elles sont en déca-lage avec les besoins des clients internes. Il n’y a pas une rationalité unique

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(23) Autrement dit, il existe une gradationdans le processus de singularisation et lesattachements qu’il provoque : même si lasingularisation existe sur tous les marchés(Callon, Meadel et Rabeharisoa, 2000), elle

entraîne plus ou moins d’irréversibilité et dedépendance entre acteurs, et a donc des effetsplus ou moins prononcés sur la configurationdu marché et l’intensité de la concurrence.

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régulant engagement et concurrence, mais différentes rationalités qui, au grédes changements organisationnels et des arbitrages managériaux, dominentl’une après l’autre. Nous montrons que le client ne parvient à se comportercomme agent économique qu’au prix de l’alignement des acheteurs et acteursinternes sur une même stratégie, situation qui est davantage l’exception que larègle.

Il est utile de préciser les limites de validité de nos résultats. Pourcomparer plusieurs cas différents, nous avons fait le choix de réduire lacomplexité des jeux internes chez le client et la diversité des acteurs impli-qués en mettant en valeur l’opposition entre acheteur et « client interne ». Uneautre stratégie de recherche pourrait au contraire valoriser cette diversité, auprix de ne pas pouvoir conduire un travail comparatif. Par ailleurs, la méthoded’enquête choisie n’a pas permis de rencontrer tous les acteurs concernés parchaque situation. Nous étions dépendant des personnes interviewées pouraccéder à leurs interlocuteurs commerciaux. Nous avons été confrontés à desenjeux de confidentialité stratégique mais aussi à des conflits entre acteurs.D’autres techniques d’enquête plus anonymes contournent ce problème maisne permettent pas d’obtenir un croisement des discours, ni une informationqualitative suffisamment riche, ni de construire de véritables études decas (24).

Par ailleurs, nos résultats dépendent aussi de la nature des activités concer-nées. Il s’agit d’activités intenses en coopération mais qui connaissent unecertaine maturité technique (repérable dans le fait que les offres sont inter-changeables) et des marchés qui sont stables, voire en régression (25). Cetterecherche pourrait être prolongée vers des activités comme la sous-traitanceindustrielle de pièces simples ou d’activités de montage qui présentent unematurité technique plus avancée encore et une moindre incertitude sur laqualité et les flux. Notre recherche suggère que la substituabilité et la mise enconcurrence s’y organisent plus facilement encore.

L’intensification de la compétition pourrait être mieux mesurée. Les casétudiés montrent que l’exercice de la compétition reste confiné à un cerclelimité de partenaires, parce que l’interchangeabilité reste lourde à organiser.De plus, les outsiders doivent consentir à un ticket d’entrée, un investissementrelationnel qui tient aux activités étudiées, exigeantes en « relation deservice » et en apprentissage. Nos interlocuteurs fournisseurs évoquent néan-moins une forte incertitude sur l’obtention du marché et une forte pression surles prix lors de la négociation quand il existe au moins deux ou trois compéti-teurs. Cette relation asymétrique est probablement liée au contexte écono-

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(24) Des entretiens approfondis complé-mentaires auprès de chefs de projets oudirigeants confrontés à des situations compa-rables ont permis de consolider notre analyse.

(25) L’intensité concurrentielle y estsouvent plus forte que dans des secteurs où la

recherche et l’innovation tiennent une placeimportante, mais qui connaissent aussi desmarchés en expansion (secteurs où la plupartdes enquêtes sur les réseaux d’entreprises ontété conduites).

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mique : dans la majorité des cas étudiés (service à l’industrie), les prestatairespoursuivent des stratégies de croissance sur un marché qui ne progresse plusbeaucoup.

Enfin, il est difficile d’évaluer toutes les conséquences internes des straté-gies d’intensification de la compétition. Les cas étudiés, quand la concurrencea pu s’exercer, sont considérés comme des réussites pour l’ensemble desacteurs chez le client, passée une période d’ajustement souvent éprou-vante (26). Mais ce résultat ne peut être généralisé : le client interne n’est pasà l’abri d’une dégradation de la relation de service, d’une détérioration de lasituation des fournisseurs et d’une intensification du travail, en interne, pourcompenser. Notre enquête n’exclut pas non plus l’existence de ruptures radi-cales avec une dégradation de l’offre de service du fournisseur (Emberson etStorey, 2006). Une analyse longitudinale approfondie d’une stratégied’achats, en partenariat avec un donneur d’ordre (avec un accès aux contratset à la comptabilité analytique) permettrait d’évaluer plus précisément laperformance économique de ce type de stratégie.

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PACTE Politique organisation – CnrsLe Patio (UPMF)

BP 4738040 Grenoble cedex 9

[email protected]

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(26) Y compris dans le cas Color, embléma-tique d’un passage en force, avec le rempla-cement d’une offre singulière par unefourniture standardisée qui a eu pour effet une

« réintégration » chez le client de compétencesdéléguées jusqu’alors au fournisseur. La qualitéde l’accompagnement a eu un effet décisif surl’acceptation du changement.

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809

Thomas REVERDY

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Cas

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