Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la...

26
Mes meilleurs vieux Comédie burlesque En deux actes et deux heures François FLORENTIN nous livre ici une belle espérance et une image positive de la vie, avec un regard à la fois tendre et amusé sur les « séniors ». Synopsis : Des amis se retrouvent en maison de retraite à caractère familial où le personnel met tout en œuvre pour leur faire couler des jours sereins. Le côté rebelle des pensionnaires, un peu nostalgiques d’un autrefois qu’ils croyaient oublié, va les conduire à revivre des événements de leur jeunesse. Tout est apparemment tranquille à la maison de retraite « Les Lits Las », à Saint Amand sur Fion… La directrice ayant hérité d’un bien de famille, le valorise en créant une modeste maison d’accueil pour personnes à la retraite. Mais la voici vite débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse cuisinière-infirmière au masseur-jardinier-plombier en passant par une psy alcoolique et déjantée, un journaliste-détective privé et un faux bénévole-vrai inspecteur des services sociaux, sans oublier le tempérament bien marqué de quelques pensionnaires rebelles rattrapés par leur passé… Personnages alias Mme Gaypart directrice de l’établissement La Guêpe Juliette psychologue et animatrice La Causette Sœur Lucette infirmière et cuisinière La Tambouille Mme Madeleine pensionnaire en fauteuil Formule 1 Denise pensionnaire facétieuse Mata Hari Séraphin masseur-plombier-jardinier Mains de velours Robert bénévole – animation Guignol Martinet fils de Mme Madeleine et Mr Marcel La Fouine Mr Louis pensionnaire sourd Keskidi Mr Brochard pensionnaire rebelle et grincheux Aigle 4 (Eagle four) Mr Marcel un peu perdu et légèrement bègue Simplet 1

Transcript of Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la...

Page 1: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mes meilleurs vieux

Comédie burlesque

En deux actes et deux heures

François FLORENTIN nous livre ici une belle espérance et une image positive de lavie, avec un regard à la fois tendre et amusé sur les « séniors ».

Synopsis : Des amis se retrouvent en maison de retraite à caractère familial où lepersonnel met tout en œuvre pour leur faire couler des jours sereins. Le côté rebelledes pensionnaires, un peu nostalgiques d’un autrefois qu’ils croyaient oublié, va lesconduire à revivre des événements de leur jeunesse.

Tout est apparemment tranquille à la maison de retraite « Les Lits Las », à SaintAmand sur Fion… La directrice ayant hérité d’un bien de famille, le valorise en créantune modeste maison d’accueil pour personnes à la retraite. Mais la voici vitedébordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et unpersonnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse cuisinière-infirmière aumasseur-jardinier-plombier en passant par une psy alcoolique et déjantée, unjournaliste-détective privé et un faux bénévole-vrai inspecteur des services sociaux,sans oublier le tempérament bien marqué de quelques pensionnaires rebellesrattrapés par leur passé…

Personnages alias

Mme Gaypart directrice de l’établissement La GuêpeJuliette psychologue et animatrice La CausetteSœur Lucette infirmière et cuisinière La TambouilleMme Madeleine pensionnaire en fauteuil Formule 1Denise pensionnaire facétieuse Mata Hari

Séraphin masseur-plombier-jardinier Mains de veloursRobert bénévole – animation GuignolMartinet fils de Mme Madeleine et Mr Marcel La FouineMr Louis pensionnaire sourd KeskidiMr Brochard pensionnaire rebelle et grincheux Aigle 4 (Eagle four)Mr Marcel un peu perdu et légèrement bègue Simplet

1

Page 2: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Acte 1

Salon de détente dans la maison de retraite. On essaiera de mettre en évidence,avant-scène ou suspension extérieure, l’enseigne de l’établissement : « Les LitsLas ». Cour : porte sur l’extérieur. Jardin : Porte vers les chambres et l’infirmerie. Enfond, sorties vers cuisine, cave et autres services. Ces sorties de fond peuvent êtremasquées par un pan de cloison intermédiaire qui peut servir lors de la descente à lacave et la poursuite des évadés. Trois fauteuils. Dans l’un, Mr Brochard, renfrogné.Dans un autre, Mr Marcel lit le journal. Le troisième est un fauteuil roulant, celui deMme Madeleine. Cette dernière fait les cent pas (si on peut dire), un peu énervée,tandis que Sœur Lucette range une armoire à pharmacie ou une table de serviceroulante.

Mme Madeleine - Femme de caractère, elle s’exprime d’une manière assez sèche.Qu’est-ce qu’il fabrique ? Il va encore être en retard. Voilà ce que c’est ! Faites desenfants, va…

Sœur Lucette - Il aura été retardé, vous savez bien qu’avec son métier dejournaliste, il peut être appelé n’importe où, n’importe quand. En fait, vous n’avez pasà vous plaindre, Mme Madeleine. Votre fils est plein d’attention, toujours aux petitssoins pour vous.

Mme Madeleine - Il ne manquerait plus que ça ! Après tout, c’est lui qui nous a misici. Moi, je n’avais rien demandé.

Sœur Lucette - Mais vous savez bien que vous n’êtes plus autonome, et que votremari n’est plus très vaillant, sans compter qu’il n’avait pas trop l’habitude de tenir unintérieur.

Mme Madeleine - C’est vrai qu’il n’a jamais rien su faire de ses dix doigts, à partcuisiner, puisque c’était son métier…désignant Mr Marcel Tiens, maintenant ici, iln’est bon qu’à lire son journal.

Mr Marcel - très préoccupé par sa lecture Oh là là ! Ça…ça baisse encore !

Sœur Lucette - Qu’est-ce qui baisse, Mr Marcel ? La vue ?

Mme Madeleine - S’il n’y avait que la vue qui baissait encore !

Sœur Lucette - Que voulez-vous, Mme Madeleine, on ne peut pas être et avoir été…

Mr Marcel - C’est les Bou…ourses qui fléchissent…

Sœur Lucette - Ah !... Les bourses ! Voyez-vous ça.

Mr Marcel - Non ! Les a…actions qui baissent…

2

Page 3: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Martinet - Bonjour à tous ! Révérencieux Sœur Lucette.

Mme Madeleine - Ah quand même ! Tu t’es encore rendormi sur le pané de chemisede ta femme, donc ?

Mr Marcel - réprobateur Ma…Ma… Madeleine !

Mr Brochard - lui arrachant pratiquement le journal des mains Bon. T’as fini avecl’Est Républicain (journal local bien sûr) ?

Martinet - à sa mère C’est toujours agréable de venir te tenir compagnie. Chaquejour, il y a quelque chose qui ne va pas. C’est quoi, aujourd’hui ? Tu as mal dormi ?Le repas n’était pas bon hier soir ?

Mme Madeleine - C’est jamais bon ici ! C’est mal préparé, c’est de la tambouille.

Mr Brochard - tout en regardant le journal Et paf ! Ça c’est envoyé.

Sœur Lucette - vexée Je fais ce que je peux, moi. Et ce n’est pas avec le budget quej’ai que…

Martinet – conciliant Excusez-là, elle ne v… voulait pas v…vous blesser.

Sœur Lucette - On a sa fierté quand même…

Martinet - Le pire, c’est qu’elle n’a jamais tenu une casserole de sa vie…

Mme Madeleine - Dis donc, ce n’est pas toi qui va m’apprendre à faire la cuisine :J’ai quand même couché pendant quarante ans avec un cuisinier !

Mr Marcel - C’…c’est vrai, ça ! Nostalgique J’me souviens, oui…

Martinet - sortie vers les chambres Allez, venez tous les deux, je vous reconduis àvos appartements. Au lieu d’ennuyer Sœur Lucette, vous me raconterez votrejournée d’hier, ça me fera de la matière pour mon article.

Sœur Lucette - C’est vrai que vous préparez un reportage sur les maisons deretraite ?

Martinet - Oui, ça intéresse l’opinion, puisqu’un jour ou l’autre tout le monde passerapar là. Et moi, je fais d’une pierre deux coups : Je rends visite à mes parents et je faismon enquête de l’intérieur…

Mr Brochard - Eh ben si c’est pour nous sortir des âneries comme on en voit là-dedans…

Sœur Lucette - Vous pourriez peut-être dire que grâce à Sœur Lucette, lespensionnaires mangent bien ici ?

3

Page 4: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Marcel - Pendant qu’ils sortent Alors pour moi, ce m…midi, a…asperges vertesaux écrevisses et mo…rilles.

Sœur Lucette - Ben voyons ! Et puis quoi encore ? On n’est pas au Ritz, non plus !

Mr Marcel – sortant à son tour A …Amaguiz … Amaguiz !

Mr Brochard - Et blablabla et blablabla… Toujours les mêmes conneries ! Lescandidats à la présidentielle et leurs beaux discours. S’ils étaient capables de tenir lequart de la moitié de leurs promesses, ça se saurait… De toutes façons, c’estsimple : Y a pas de boulot, y a plus de sous, y a plus de respect, y a pas l’moral, y aka, y a ka, y a ka… De mon temps, on n’avait pas de sous non plus, mais on nouslaissait pas le choix, on nous mettait au boulot, ce qui ne nous laissait pas le tempsde manquer de respect aux vieux, et on était heureux quand même… entrée de MrLouis côté chambres, il se déplace avec une canne Tiens, v’là Keskidi !

Mr Louis - Hein ? Il est déjà midi ? Mais non, je viens seulement de me lever et jen’ai pas encore pris mes médicaments.

Sœur Lucette - Voilà, voilà, ça arrive. Mais vous me laisserez bien le temps de lespréparer ! Je vous apporte ça dans votre chambre avant d’aller préparer votre repas.

Mr Brochard - Et que nous proposez-vous comme truc pas bon, aujourd’hui ?

Sœur Lucette - Du foie de porc.

Mr Louis - Qu’est-ce qu’elle dit ?

Mr Brochard - Elle dit qu’elle va aller voir dans le verger s’il y a des fricadelles sur lefricadellier.

Mr Louis - Qu’est-ce qu’elle dit ? Les mirabelliers ? Ils sont déjà en fleur ?

Mr Brochard - C’est ça, Keskidi.

Sœur Lucette - Oh ! Mr Brochard ! Quelle manie de donner des surnoms à tout lemonde ! Pas très gentil de l’appeler Keskidi. Ce n’est quand même pas de sa fautes’il entrave que dalle.

Mr Louis - Ben oui, je commence à avoir la dalle.

Sœur Lucette - C’est vrai qu’il a dû garder ses boules Quiès… très fort Vous nem’avez jamais dit ce que vous faisiez comme métier, Mr Louis ?

Mr Louis - Mon métier ? Ah ! Moi, j’étais dans la recherche : Oui, j’ai passé ma vie àchercher du travail… Attention, hein ! Je n’ai jamais eu peur du travail… maisfinalement, je ne devais pas être fait pour ça…

Sœur Lucette - Eh bien maintenant que vous êtes en retraite, vous pouvez vousreposer.

4

Page 5: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Louis - Oh ! Vous savez, ça n’a pas changé grand-chose à ma vie…

Sœur Lucette - Ah ! Vous êtes toujours dans la recherche ?

Mr Louis - Oui, maintenant je passe mon temps à chercher : Je cherche mes clés, jecherche mes lunettes, je cherche ce que je voulais dire, ce que je suis venu faire ici…il chante « J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… » Puis il s’enretourne Bon, finalement je prendrai mon petit déjeuner dans ma chambre. PensifJuillet, c’est quand même tard pour les fleurs de mirabellier. Sur le pas de la portePourvu qu’il ne gèle pas avant Noël !

Sœur Lucette - Bien. Je ne voudrais pas vous chasser, Mr Brochard, mais vousdevriez vous aussi aller dans votre chambre pour étudier le journal. Vous savez bienqu’il y a réunion du personnel le lundi.

Mr Brochard - J’avais l’intention de me retirer, madame. « Cependant, pour évitertoute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l’on vous a chargée de nous fairesortir d’ici, vous devez demander des ordres pour utiliser la force ; car nous nequitterons nos places que par la puissance de la baïonnette ! »

Sœur Lucette - Mirabeau, 23 juin 1789. Brandissant une grosse seringue Et ça, ça teconvient comme baïonnette, vieux machin ?

Mr Brochard - sortie prudente vers les chambres Je bats en retraite, madame, maisc’est pour mieux mobiliser mes troupes et contre-attaquer.

Sœur Lucette - rangeant sa seringue Il n’est pas méchant, mais il faut toujours qu’ilse fasse remarquer. Puis elle vaque à ses occupations, préparant ses piluliers pourles résidents. Une petite pilule pour la mémoire le matin, une pour les douleurs à midi, une pourl’incontinence le soir… Là, je peux bien lui en mettre deux… comme il n’a la pilulepour la mémoire que le matin, quand il se réveille, il oublie qu’il doit se lever avant defaire pipi… Et en plus, ça ne le dérange même pas, il se sent toujours aussi à l’aise…Elle chantonne « Retiens-toi, la nuit… »

Mme Gaypart - Ah ! Sœur Lucette ! Voilà qui fait plaisir de vous savoir de si bonnehumeur.

Sœur Lucette - Bonjour madame. Vous savez, si on devait se prendre la tête àchaque fois qu’il y a une « cacastrophe » le matin, on n’en finirait pas.

Mme Gaypart - Oui, pas trop de détails si vous le voulez bien. Vous savez, il n’y apas que vous qui commencez votre journée par une série d’emmerdements… Entrechaque pensionnaire qui fait des siennes, les familles de plus en plus exigeantes, laDDASS qui m’annonce une inspection et mon banquier qui me rappelle à l’ordrerégulièrement, comment voulez-vous que je m’en sorte ?

Sœur Lucette - A chacun ses problèmes ! C’est vous la directrice après tout ! Moi jefais ce que je peux : Je fais déjà fonction d’infirmière et de cuisinière en même temps,

5

Page 6: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

vous ne voudriez pas que je m’occupe de vos finances aussi ? Ou alors on partage lapaie…

Mme Gaypart - Ah ! Ne soyez pas grossière, en plus. Bien, changeons de sujet. Voscollègues ne sont pas encore là ? J’avais pourtant demandé qu’on respecte leshoraires pour notre réunion de coordination, mais si la moitié de nos effectifs manqueà l’appel, comment voulez-vous qu’on y arrive ?

Sœur Lucette - Je ne suis pas chargée de gérer le personnel non plus ! Lepersonnel !... Parlons-en du personnel : Un voisin un peu attardé embauché pas cherparce que ses droits au chômage se terminaient, et votre propre sœur qui n’estbonne qu’à bavasser…

Mme Gaypart - Je vous dispense de vos commentaires, Sœur Lucette. Lorsque suiteau décès de mon père j’ai hérité de cet immeuble et que j’ai voulu en faire unemaison d’accueil, j’y ai mis toutes mes économies. Certes, notre activité est modestepour l’instant, et nous sommes peu nombreux...

Sœur Lucette - Quatre, vous comprise, c’est un peu léger quand même !

Mme Gaypart - Mais nos résidents ne sont que quatre aussi. Alors j’adapte nosmoyens humains. Et je vous prierai d’être un peu plus indulgente avec vos collègues.Séraphin est plein de compétences diverses, et de plus, c’est un être plein dedélicatesse sous ses airs bourrus.

Sœur Lucette - Bon à tout faire, mais qui n’a de savoir-faire dans aucun domaine…Bruit de voiture terminant sa course dans un mur, ou dans les graviers.Tiens, mademoiselle Juliette est peut-être en retard, mais elle a l’air particulièrementmotivée, ce matin : Les plates-bandes de Séraphin auront certainement apprécié !

Mme Gaypart - Je sais que vous ne l’aimez guère, mais ma sœur nous est d’uneaide précieuse. En effet, malgré le déchirement provoqué par l’abandon de son mari,elle a su garder une certaine lucidité et un grand sens de l’écoute qui nous aident àmieux comprendre le comportement de chacun…

Sœur Lucette - Pour la lucidité, on a déjà fait mieux…Elle a surtout un penchantpour la bouteille… et ne sachant pas comment l’en guérir, vous la surprotégez, maisce n’est pas lui rendre service.

Mme Gaypart - Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! D’ailleurs, vous exagérez unpeu ce léger penchant pour… En fait, c’est sa manière à elle de se conditionner pouraffronter les déviances comportementales des personnes que nous accueillons.

Sœur Lucette - Ça ne me regarde peut-être pas, mais je me suis toujours demandécomment deux sœurs pouvaient se dire « vous » ? On se tutoie, d’habitude, dans cecas-là.

Mme Gaypart - C’est Juliette qui l’a souhaité : Elle pense que du fait de notre relationemployeur-employée, c’est plus sain au regard des autres.

6

Page 7: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Juliette - venant de l’extérieur, un peu excentrique, peut porter un turban Bonjourbonjour ! Ah ! Mes chéries ! Je vous prie d’excuser ce retard indépendant de mavolonté.

Mme Gaypart - Ma petite Juliette ! Vous vous souvenez que nous avions une réunionprogrammée ce matin, ou est-ce votre subconscient qui vous l’a suggéré ?

Juliette - En fait, j’étais en consultation : Je faisais de l’auto-thérapie…

Sœur Lucette - toujours occupée à préparer les piluliers A mon avis, elle a dû forcersur la dose de whisky en jouant au loto au bistrot du coin.

Mme Gaypart - On vous dispense de vos commentaires, Sœur Lucette ! Vous feriezmieux de nous trouver Séraphin, que nous soyons au complet.

Sœur Lucette - Et après, si je fais des erreurs dans les doses, c’est moi qui seraimise en cause… Bon. Je vais voir au jardin, il doit être en train de soigner les fleursde ses petites mains délicates.

Mme Gaypart - Vous disiez donc que vous faisiez de l’auto-thérapie ? Votre voitureétait souffrante ?

Juliette - Oui. Elle refusait obstinément de démarrer et j’ai dû mettre les mains dansle cambouis. Vous ne sauriez imaginer le bien-être que cela procure lorsque vousplongez les mains dans ces émanations visqueuses… Vous fermez les yeux et vousretrouvez des sensations oubliées… je me revoyais petite fille à la ferme quand ontuait le cochon et qu’on plongeait voluptueusement ses mains dans le saindoux, jecroyais même réveiller ma mémoire olfactive en retrouvant cette odeur un peu âcrequi vous prenait à la gorge...

Mme Gaypart - avec un geste d’écœurement Merci, mais je n’ai pas encore pris monpetit déjeuner et…reprenant ses esprits En fait, quand vous disiez auto-thérapie,j’avais cru comprendre que vous vous soigniez vous-même.

Juliette - Aussi ! Comme chaque matin avant d’attaquer ma journée, je m’étaisallongée sur mon divan pour trouver la motivation profonde qui me permettrait de merendre au travail, et je me posais la question de savoir si le travail était un besoin vitalpour l’être humain ou si c’était une contrainte qui lui était imposée par notreenvironnement social et… et je crois que je me suis endormie sur le divan en pleineréflexion philosophique…

Sœur Lucette - de retour Voilà. J’ai trouvé Séraphin, il était effectivement dans lejardin, à déclamer des vers à ses fleurs.

Mme Gaypart - C’est curieux comme cet homme qui semble si fragile lorsqu’il soigneses plantes est capable de tant de vigueur, pour ne pas dire de violence, lorsqu’ils’emploie à la rééducation physique de nos pensionnaires.

Juliette - Une force quasi bestiale qui lui a valu de leur part le doux surnom de« Mains de velours ».

7

Page 8: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Séraphin - entrant une fleur à la main, et s’adressant à Mme Gaypart « Mignonne,allons voir si la rose qui ce matin avait déclose… » Madame la directrice, voici unefleur du jardin pour égayer votre matin…

Mme Gaypart - attendrie Oh ! C’est touchant, mon petit Séraphin, mais que ça nevous empêche pas d’être ponctuel la prochaine fois.

Séraphin - dans le genre angelot C’est que c’est à la rosée que toutes cesdemoiselles vous égayent les yeux, scintillant de mille feux pareils à des éclats dediamant. C’est alors, et alors seulement, qu’on peut se laisser aller à une doucerêverie et…

Mme Gaypart - Je vous comprends, Séraphin, mais l’heure n’est plus à la rêverie.Nous sommes maintenant au complet et le moment est venu de faire le point.

Sœur Lucette - Oui, eh ben le point, y en a pas pour longtemps à le faire : On n’estpas assez nombreux !

Mme Gaypart - J’en conviens, mais les comptes sont ce qu’ils sont et je n’ai pasencore trouvé de formule miracle pour les équilibrer. Etant donnés les charges destructure et les frais de personnel, nous n’avons pas assez de pensionnaires… oualors il faudrait augmenter le tarif des pensions !

Juliette - Voilà une solution qui pourrait être maladroite. Etant donné le niveau deretraite des personnes que vous accueillez et les tarifs que vous appliquez, lesfamilles sont déjà amenées à participer, mais leur porte-monnaie est peut-être moinsextensible que l’attachement qu’elles ont pour leurs chers ainés.

Possibilité d’une petite chorégraphie par Mme Gaypart et Juliette sur un air de Rap« Faut qu’tu craches, Faut qu’tu paiesPas possible que t’en réchappesNous sommes les sœurs qui rappent tout !Sœur Lucette et Séraphin alternativementImpôts directs Impôts indirectsTaxes foncières Ordures ménagèresMme Gaypart et JulietteFaut qu’tu craches, Faut qu’tu paiesPas possible que t’en réchappesNous sommes les sœurs qui rappent tout ! »

Mme Gaypart - C’est bien ce que je dis : Il nous faudrait d’autres pensionnaires…

Sœur Lucette - Et c’est vous qui ferez le boulot ? Moi je n’ai jamais eu peur dutravail, mais vous croyez que c’est facile d’être à la fois au four et au moulin ? Quandvous faites un roux et que c’est l’heure des piqûres, qu’est-ce que vous faites pourque ça n’attache pas et que ça ne fasse pas de grumeaux, hein ?

8

Page 9: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Juliette - Là, vous prenez comme exemple un cas extrême qui révèle bien votresyndrome de la double personnalité : D’ailleurs soyons logiques ! Comment feriez-vous pour faire une piqûre à un roux, alors qu’il n’y a à la Résidence des Lilas quedes chauves ou des gris… et même des chauves aigris…

Sœur Lucette - Oh vous, ça va, hein ? Toujours dans le blablabla, le baratin ! Et enplus, on ne comprend même pas un mot à ce que vous dites.

Mme Gaypart - Allons, allons, mesdames, un peu de sang-froid. Ce n’est pas envous montant les unes contre les autres que nous avancerons. Prenez plutôtexemple sur Séraphin qui attend patiemment l’heure de la séance de massage…

Séraphin - dans le genre brute épaisse Ah oui, ça j’aime bien malaxer les musclesendoloris et triturer les articulations trop raides, ça me défoule.

Sœur Lucette - Justement, à propos de ma sœur…

Mme Gaypart - Ah non ! Vous n’allez pas vous en prendre aussi à Séraphin !

Juliette - Comportement antisocial avéré dû à sa peur d’être seule avec les autres…

Sœur Lucette - Non, je voulais parler de ma sœur… léger temps d’incompréhensiondes autres ma sœur Denise, qui voudrait se placer.

Mme Gaypart - Ah ! Votre sœur ! Eh bien, on peut en parler si vous voulez… auxautres Juliette et Séraphin, vous pouvez peut-être nous laisser et aller voir vospatients et les conditionner pour leur séance matinale.

Juliette et Séraphin - Sortie vers les chambres, avec un bel ensemble Bien,madame la directrice.

Mme Gaypart - Ainsi donc votre sœur aimerait se placer ?

Sœur Lucette - Elle n’est pas très âgée et encore en bonne santé, mais la solitudelui pèse et elle pense qu’ici elle pourrait voir du monde et être moins seule. Leproblème, c’est qu’elle n’a pas une grosse pension…

Mme Gaypart - Ecoutez, si elle est encore valide, je peux lui proposer de l’accueillirpour un demi-tarif, moyennant quoi elle pourrait peut-être participer un peu à votretâche.

Sœur Lucette - Vous feriez ça ?

Mme Gaypart - faussement Mais bien sûr. Vous savez, quand on peut rendreservice…

Sœur Lucette - Oh ! Merci, madame, vous verrez, vous n’aurez pas à le regretter. Jepeux aller lui apprendre la bonne nouvelle ? Ce n’est pas loin, la petite rue derrière.

9

Page 10: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mme Gaypart - Allez, allez vite. Sortie de Sœur Lucette vers l’extérieur. Après tout,ce n’est pas une mauvaise opération : Je rentre un peu d’argent et je soulagegratuitement le personnel, ce qui m’évite une fronde à venir.Sonnette en coulissesQu’est-ce que c’est encore à cette heure ? Quelle heure est-il d’ailleurs ? Ah déjà !Sapristi ! C’est vrai que j’avais donné rendez-vous à un bénévole de je ne sais plusquelle association, ce doit être lui.Elle se dirige vers la porte et fait entrer Robert. Monsieur ?

Robert - Bonjour Madame. Robert, de l’association « les poils gris », pour vousservir.

Mme Gaypart - Ah oui, c’est ça : Les poils gris ? Geste d’ignorance. Jamais entenduparler.

Robert - très sûr de lui, comme un camelot bonimenteur à la foire C’est normal, c’estune association toute nouvelle que je viens de créer, mais comment l’appeler, hein ?Je vous le demande ? Dans le milieu hospitalier, il y a déjà les blouses roses, les nezrouges… J’avais bien envisagé « les grands-pères verts », répétant pour être sûrque sa blague a fait mouche les grands-pères verts… les grands pervers… ils’esclaffe, content de sa plaisanterie. S’apercevant que Mme Gaypart n’a pascompris, il ajoute Oui, finalement j’ai bien fait de renoncer... Alors j’ai fini par opterpour « les poils gris ». Pas mal, non, pour intervenir dans les maisons de retraite ?

Mme Gaypart - Original, en effet. Et vous avez des compétences particulières ?

Robert - Tout ce que vous voulez dans le domaine de l’animation : Je suis l’amuseurpublic numéro un. Je chante, je danse, j’anime les soirées, il n’y a aucun matin où jeme lève sans avoir une nouvelle idée, plus amusante que celle de la veille. Montrantl’enseigne de l’établissement, il se met à chanter J’suis l’amuseur « deslits las »

Le gars qu’on r’crute et qu’on ne paie même pas…

Mme Gaypart - Et vous intervenez donc gratuitement ? Non, je vous demande ça,c’est parce mon expérience de dirigeante m’a appris que dès qu’il était questiond’argent, ça compromettait la durée des relations humaines…

Robert - Je vous rassure : Je suis bénévole. Il se trouve que mes occupations melaissent un peu de temps libre, alors autant que ça profite à d’autres, non ?

Mme Gaypart - Comme je vous comprends !... Eh bien alors, c’est entendu ! A cesconditions-là je vous embauche. Vous pouvez commencer tout de suite ? Soyez doncle bienvenu dans l’équipe. Si vous pouvez patienter quelques instants, lespensionnaires et les soignants devraient arriver incessamment, c’est l’heure de lathérapie collective. Voilà qui vous donnera l’occasion de faire connaissance. Exit ladirectrice.

Robert - Comme il vous plaira. Changement de ton Me voilà dans la place,bienheureux d’avoir trouvé ce prétexte pour m’y introduire. D’habitude, quandj’annonce que je suis chargé de mission par le ministère, on ne me montre que cequ’on veut bien me montrer. Là, je vais pouvoir vivre le quotidien de cette maison, de

10

Page 11: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

l’intérieur… ricanant Ha ha ha ! Le loup est dans la bergerie… Il ne me reste plusqu’à attendre, et observer. Sonnerie de portable (ce peut-être l’air de la Marseillaise)Le ministère ? J’avais pourtant demandé qu’on ne m’appelle pas ici : Allons dans leparc, il y a moins d’oreilles indiscrètes.

Juliette - De retour en catimini, se dirige vers un placard pour se servir un verrePrenons quelques forces avant la séance collective… Elle se « désaltère » quelquepeu... Ah ! J’allais oublier, il faut que je révise les exercices de mémoire que je leuravais proposés… Sortie.

Entrée de Martinet poussant Mme Madeleine, faisant tourner rapidement sur place lefauteuil. Mr Marcel suit comme il peut.

Mme Madeleine - Pas si vite, tu vas me faire tomber !

Mr Marcel - Ah oui, tomber, c’est bien, c’est rr…rigolo. Tandis que Martinet fait untour de piste en accélérant encore. Faire tomber, faire tomber…

Mme Madeleine - Ton fils veut m’assassiner et tu trouves ça drôle, toi ?

Mr Marcel - Ben oui, c’est rr…rigolo…

Martinet - C’est juste un essai, maman. Je te mets un gros titre à la une demain dansle journal : « A quatre-vingts ans, elle passe le mur du son ».

Mme Madeleine - s’énervant Ce n’est pas une raison pour que je m’écrase sur lemur du fond !

Martinet - Allez, viens, on va dans le parc, là il n’y a pas de mur.

Mme Madeleine - Non, mais y a des orties !

Mr Marcel - Ça pique, des orties… A…amusant, ça !

Mme Madeleine - Toi, tu ferais mieux de prendre un tour d’avance, sinon, tu nesuivras pas.

Mr Marcel - Non ! Je reste de…derrière, je te cours a…après, je te rattrape et je tefais une ga…ga…galanterie…

Mme Madeleine - Ça y est ! Le voilà qui se croit redevenu jeune ! Mais comment tuferais, donc ?

Juliette - de retour Toujours la première, à ce que je vois, Mme Madeleine, queldynamisme !

Martinet - Maman a toujours rêvé de faire de la course automobile, alors ne lacontrarions pas…

11

Page 12: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Juliette - Quel tempérament ! Voilà qui fait plaisir à voir. Prenez place ici, MmeMadeleine, la séance va commencer.

Mme Madeleine - Je vais d’abord faire un tour de piste, pour faire chauffer le moteuret vérifier que les pneus sont bien adaptés à la pluie, avec l’orage qui menace.

Mr Marcel - Mais il va f…faire beau !

Mme Madeleine - Je te dis qu’il va pleuvoir : Je le sens bien dans ma jambe, et majambe ne me trompe jamais.

Mr Marcel - C’est pas vrai : Albert Simon l’a dit ce matin sur Europe 1 : voix aigüe etéraillée du célèbre chroniqueur, en roulant les « R » « Après dissipation desbrouillards matinaux, il y aura de très belles éclaircies sur la région Lorraine,Bourgogne, Franche-Comté »

Juliette - à Martinet Ne me la ramenez pas trop tard, et surtout ne forcez pas trop àl’entraînement. Il ne faudrait pas qu’elle se fasse un claquage.

Martinet - Ne vous inquiétez pas, je vous la ramène saine et sauve. Je vous prometsd’être prudent, madame.

Juliette - Mademoiselle…

Martinet - Ah bon ? C’est surprenant ! J’aurais pourtant cru… qu’une personne aussiavenante…Vous avez toujours été seule ?

Voyant que la conversation s’engage, Mme Madeleine s’impatiente tandis que MrMarcel s’occupe à boutonner et déboutonner maladroitement son gilet. Mme Madeleine - T’es bien curieux, toi !

Martinet - à Juliette Je vous demande pardon. Pure déformation professionnelle…Vous savez ce que c’est : Les reportages, les interviews.

Juliette - Ce n’est pas grave. Mais pour répondre à votre question, oui, j’ai étémariée.

Martinet - Désolé… Veuve ?

Juliette - en souriant Il semblerait que le reportage continue… redevenant soudainplus sérieuse, voire sombre J’ai été mariée à un coureur…

Martinet - Ah ! Volage ?

Juliette - Non, coureur cycliste… Pas très brillant en vérité… En montagne, il arrivaittoujours dans les cols tard.

Martinet - Dans le coltard ?

Mme Madeleine - Ça devait être un mauvais grimpeur ?

12

Page 13: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Juliette - On peut dire ça comme ça, oui. Mais il s’obstinait, il a passé toute sa vie àpédaler.

Martinet - Ah ! La pédale, la pédale, quand ça vous prend ! Et il a fini pars’échapper ?

Juliette - Plutôt par dérailler : Il est parti avec un coéquipier, un grand blond…

Mme Madeleine - Il a changé de braquet, quoi…

Martinet - un peu gêné Euh… Excusez-moi pour mon indiscrétion… Nous serons àl’heure. Tu viens, maman ? Il la conduit vers l’extérieur en forçant comme si incidentmécanique. Vroum ! Vroum… Ouh là ! On croirait que c’est grippé ce matin…

Mme Madeleine - chante J’ai un problème : Je crois bien que je freine…

Mr Marcel - qui a du mal à suivre Oh ! J’ai un problème, c’est que je freine aussi…Sortie.

Juliette - Le pire, c’est qu’elle est capable de le gagner, ce grand prix. Ellerecommence furtivement la séquence placard – bouteille A condition qu’elle n’oubliepas de faire le plein…Le tout, c’est de passer à travers le contrôle anti-dopage.Encore un petit coup avec la bouteille. Allons voir où en est Séraphin. Sortie vers leschambres. Retour de Sœur Lucette, arrivant de l’extérieur avec sa sœur Denise, dont la tenuedoit trancher radicalement avec celle de la religieuse, et qui a les bras chargésd’objets divers, montrant qu’elle commence son emménagement : poste radio d’unautre temps, cage à oiseaux, photo(s) jaunie(s) dans un cadre… Sœur Lucette porteaussi quelques objets incongrus.Sœur Lucette - Ecoute, pose tout ça là en attendant qu’on t’attribue une chambre, jesuis en retard, j’ai encore quelques soins à faire. Lui indiquant une table bassepourvue de revues Tu as de quoi t’occuper, Pleine Vie, Senior Plus, Notre TempsMagazine… Ne t’éloigne pas, je te retrouve tout à l’heure pour préparer le repas deces messieurs-dames, j’aurai besoin de toi.

Denise - Je pourrais peut-être t’avancer un peu. Qu’est-ce que tu avais prévu commeentrée ?

Sœur Lucette - se dirigeant du côté des chambres Du concombre espagnol. J’en aitrouvé un lot pas cher en provenance d’Allemagne, mais finalement je ne sais pas sic’est une bonne idée… Je vais peut-être changer. Denise regarde distraitement une ou deux revues, puis les repose et inspecte leslieux.

Robert - Retour de l’extérieur, regardant derrière lui On n’a pas intérêt à traverser lapiste ici ! S’adressant à Denise J’ai failli me faire renverser dans la ligne droite destribunes.

13

Page 14: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Denise - Pensant qu’elle a affaire à un pensionnaire « dérangé » La ligne droite destribunes ?... Ah oui… aparté Ne le contrarions pas…

Robert - C’est un fauteuil qui est en pool position !

Denise - jette un œil par la fenêtre Ah oui, bien sûr…

Robert - Vous l’avez remarqué vous aussi ?

Denise - Et comment !...

Robert - Et c’est une femme qui est au volant !

Denise - Euh… oui… Il y a même des femmes qui ont le permis, vous savez…

Robert - Par contre, il y a un vieillard qui court derrière…

Denise - affirmative Il va certainement la dépasser.

Robert - Pas si sûr : Elle a de l’avance quand même.

Denise - Un temps Vous êtes résident ici ?

Robert - Pas vraiment. Je suis animateur…Robert, pour vous servir. Amuseur public.Je fais le pitre, je chante, je danse… C’est très drôle !... enfin… quand les gensveulent bien rire…

Denise - Oui, je comprends : Les courses…air incompréhensif de Robert Lescourses…Elle désigne l’extérieur par la fenêtre Sur la piste…

Robert - Ah ! Les courses ? Un temps Non, ce n’est pas moi qui les ai organisées…Non, moi, je viens juste d’être recruté, je commence seulement. Et vous ?

Denise - Pareil.

Robert - Animatrice aussi ?

Denise - Cuisinière… A temps partiel.

Robert - CDD ?

Denise - s’avance et lui serre la main Oui, c’est DD… Denise Dubois.

Séraphin - Entrée depuis les chambres, apportant une table à masser pliante Oh !Mais il y en a du monde ici ! Excusez-moi, mais c’est l’heure de la rééducation et ilfaut que j’installe ça… Et c’est pas de la tarte… Il ouvre sa table pliante sous l’œilintrigué de Robert et Denise, ce qui peut être mis à profit pour un ou deux gagsvisuels. Voilà !... Se tournant vers les chambres Non, mais c’est pas vrai ! Il arrive,oui ? Entrée de Mr Louis

14

Page 15: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Séraphin - Allez, on s’installe et on se met en tenue.

Mr Louis - Que je me mette tout nu ?

Séraphin - Bon, ça commence bien, ça n’a pas l’air de s’arranger du côté Audika.Allez, on commence par quoi, ce matin ? Montrant la table de massage. Mettez-voussur le dos. Mr Louis ne comprend pas et sourit béatement. Séraphin indique la tableCompris ? Sur le dos… ordre péremptoire Dos… Dos…

Mr Louis - Un p’tit dodo ? Mais je n’ai pas sommeil !

Séraphin - Allez, je vais vous aider : Asseyez-vous là.

Denise - propose ses services Donnez-moi votre canne et votre casquette.

Séraphin - Merci… Il tente d’allonger Mr Louis sur le dos. Ce dernier, crispé, resteassis. Séraphin lui couche le torse sur la table, Mr Louis reste à l’équerre, les jambeslevées. Séraphin lui appuie sur les jambes pour les allonger, le torse de Mr Louis seredresse immédiatement. Ce petit manège peut être répété deux ou trois fois, enfonction du dialogue qui s’ensuit.

Robert - Je peux peut-être vous aider ?

Séraphin - Ah, c’est pas de refus. Ils s’y prennent à deux pour contraindre Mr Louis às’étendre sur la table de massage, l’un appuyant sur le torse, l’autre sur les jambes.Vous êtes qui, vous ?

Robert - commence à décliner son identité. Ce faisant, il tend la main à Robert,libérant ainsi les jambes qui se relèvent immédiatement. Robert, chargé de miss… ilse reprend …chargé de l’animation pour les résidents.

Séraphin - qui a commencé à masser « énergiquement » Mr Louis, tandis queRobert ré-appuie sur les jambes. Oh, vous savez, de l’animation, il y en a déjà pasmal ici…

Mr Louis - Qu’est ce qui dit ?

Robert - répétant un peu plus fort Il dit que de l’animation, il y en a déjà pas mal, ici.

Mr Louis - relevant le torse et montrant l’endroit massé Non, ça va, j’ai pas mal ici.

Séraphin - Oh là ! Bougez pas ! à Robert Il est infernal, ce matin !

Denise - Vous voulez peut-être que je vous le tienne ?

Séraphin - Si ça ne vous dérange pas. Scène « physique » à mettre au point entreles réactions de Mr Louis, les gestes « énergiques » de Séraphin et l’assistanceassez maladroite de Robert et de Denise. Ils continuent à bavarder pendant lessoins. Séraphin se retrouve derrière Denise et explique C’est tout tendu, là… Voussentez ?

15

Page 16: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Denise - air surpris, sinon choqué Ah oui, je sens bien, là, oui… Y a comme unnœud…

Séraphin - C’est tout raide, là. Détendez-vous.

Mr Louis - C’est tout mou ? On fait ce qu’on peut : On verra quand vous aurez monâge…

Robert - Appuie assez franchement avec l’index C’est vrai que c’est flasque, là,hein ?

Séraphin - Il faut corriger ça.

Denise - chante à Mr Louis qui essaie de se dégager « Laisse ses mains sur tes hanches, Ne fais pas ces yeux furibondsReste allongé sur la planche, Et arrête de faire le ronchon ! »

Séraphin - Bien. On va commencer par travailler les abdominaux.

Mr Louis - Jouer aux dominos ? Y a tellement longtemps que j’y ai joué que je nesais pas si je me rappellerais comment on fait.

Robert - Vous préférez peut-être les échecs ?

Mr Louis - relève le torse pour protester Vous faire un chèque ? Mais j’ai déjà payéma pension !

Séraphin - Oh ! Mais il va rester tranquille, oui ? Il le recouche et marque sonintention de reprendre les choses en mains par une série de frappes sur les abdosavec le tranchant des deux mains, alternativement.

Robert - sur l’air de « la belle de Cadix » « C’est sûr, y a du boulot pour refaire cesabdos… »

Séraphin - Même geste Tchicatchicatchic.

Mr Louis - Aïe aïe aïe.

Séraphin - Même geste Tchicatchicatchic.

Mr Louis - Aïe aïe aïe.

Robert - … « pour refaire ces abdos. »

Séraphin - Voilà, c’est bien pour aujourd’hui, il a l’air de fatiguer, n’abusons pas…Aidant Mr Louis à se relever de la table. On recommencera demain.

16

Page 17: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Louis - A deux mains, oui…

Juliette - de retour avec Mr Brochard, toujours aussi grincheux Bien, Mr Brochard,alors on a fait des progrès depuis hier ? Ces exercices de mémoire que je vous avaispréconisés ?

Mr Brochard - Quels exercices ?

Juliette - Les exercices que je vous avais demandé de faire…

Mr Brochard - mauvaise foi évidente Me souviens pas et je ne veux pas mesouvenir. De toute façon, ça sert à rien. Tiens, les massages, là, sur Keskidi, vouscroyez que ça va lui déboucher les oreilles ? A quoi ça sert tout ça ? Vous croyezqu’ici ça va être l’Amérique pour autant ?

Mr Louis - semblant sortir d’un rêve Hein ? Quoi ? L’amnésique ? Il chante « Amnésique, amnésique, je sais qu’un jour, je le serai…Amnésique, amnésique, c’est pas un rêve, je le serai… »

Juliette - à Mr Brochard Mais toutes ces occupations, c’est pour votre bien-être. Letravail de la mémoire, c’est pour égayer vos journées en vous souvenant des bonsmoments que vous avez connus quand vous étiez plus jeunes…

Mr Brochard - Et vous croyez que ça va me rendre plus heureux de me rappeler quej’ai été jeune, que j’ai été beau… que j’ai été amoureux…

Denise - Vous avez déjà été amoureuse, vous ?

Juliette - Je vous trouve un peu indiscrète, là. Mais pour répondre à votre question,oui… enfin, un certain temps… et puis après…

Denise - Oui, après on tombe dans la routine, parfois la lassitude, pour ne pas direl’exaspération… Comme tout le monde, quoi. Et vous n’avez jamais pensé audivorce ?

Juliette - Non, mais pour être honnête, il m’est arrivé de penser au meurtre, oui,plusieurs fois. Se reprenant Mais qu’est-ce que vous me faites dire, là ? Ma parole,c’est moi qui me fais psychanalyser !

Denise - Et vous, Mr Brochard, vous avez été marié ?

Mr Brochard - désagréable Oui, mais j’ai perdu ma femme.

Denise - Désolée…

Mr Brochard - Oh ! Y a pas de quoi.

Juliette - Et… Dans quelles circonstances ?

17

Page 18: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Brochard - C’était au supermarché. On avait fini nos courses…Je suis passé à lacaisse, et puis je l’ai jamais retrouvée…

Juliette - Vous voyez que c’est important les exercices de mémoire !

Denise - Et vous êtes allé au commissariat ? Vous avez lancé un avis de recherche ?

Mr Brochard - Ben non, j’étais trop content ! Sentencieux Il faut aller jusqu’au boutdu mirage…

Denise - Le mirage ?!

Mr Brochard - Ben oui, le mirage, quoi ! Moi qui ai beaucoup bourlingué dans ledésert, je peux vous dire que le mariage, c’est comme un mirage : Au début, c’estpalais, palmiers, oasis, princesse, et puis au fur et à mesure qu’on avance, il ne resteque le chameau… Alors moi, je suis reparti à pied du supermarché et j’ai laissé lechameau !

Juliette - un verre à la main Comportement qui nous fait bien appréhender lepossible en tant que possible pour l’être de base, vu que la réalisation commenceavec l’acte, et qu’ainsi, l’être qui résulte de la réalisation de la puissance tend de lui-même à sa fin.

Mr Louis - Qu’est-ce qu’elle dit ?

Denise et Robert - avec un bel ensemble Elle dit… Euh… Oui, oui…

Juliette - C’est d’ailleurs pour moi la seule façon d’atteindre le noumène, maisattention, pas la version Kantienne selon laquelle on restreint les prétentions de laraison quant à la connaissance, mais bien l’idéologie Platonicienne, ce qui fait que laréalité intelligible sera accessible à la connaissance rationnelle. Hic !

Long silence (5 à 6 secondes), bouches bées et regards interrogatifs

Juliette - Non ?

Denise - Peut-être…

Robert - Sans doute !...

Juliette - Mais je m’égare, là…revenant à Mr Brochard Sinon, vous êtes bien, ici ?Vous vous entendez bien avec les autres pensionnaires ?

Mr Louis - Qu’est-ce qu’elle dit ?

Robert - fort Elle demande si vous vous entendez bien.

Mr Louis - Si j’entends bien ? Oh ben oui, pourquoi ?

18

Page 19: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Brochard - C’est bien beau de me faire travailler la mémoire, mais ce n’est pas lepassé qui m’intéresse, moi. C’est l’avenir. Quels projets voulez-vous qu’on fasse avecdes énergumènes comme Keskidi ?

Mme Gaypart - de retour pendant la réplique précédente Et vous trouvez ça drôle,Mr Brochard… ? Pas très sympa, cette manière de donner des surnoms peu flatteursaux autres. Vous qui tirez sans sommations sur tout ce qui passe, que diriez-vous siles autres vous appelaient « Bazooka » ? Vous feriez mieux de participer à toutes lesactivités qu’on vous propose, au lieu de rester cloîtré dans votre mauvaise humeur.Prenez plutôt exemple sur Mr Marcel et Mme Madeleine qui vont faire leur tour deparc chaque matin. Ils sont peut-être diminués, mais ça ne les empêche pas demettre toute leur énergie à nous prouver qu’ils peuvent progresser !

Mr Brochard - Tu parles, Charles ! Ils sont bons pour faire handisport, tous lesdeux…

Retour sur les chapeaux de roue de Mme Madeleine et Martinet. Mme Madeleine - chronomètre en mains 3,35… Encore quelques jours et je suissûre qu’on passera en-dessous de la barre des 3,30… D’ailleurs je crois qu’on asemé Marcel…

Mr Marcel arrive, complètement essoufflé et tremblant de tous ses membres Tous - chantent « Cours plus vite, Papy, et tu gagneras

Ne te retourne pasCours plus vite, Papy, et tu gagnerasMamie sera pour toi »

Mr Marcel - Pour un peu, je la rattrapais…

Mr Brochard - chante « Tagada, tagada, voilà Parkinson…Tagada,tagada, voilà Parkinson… »

Denise - interroge Martinet en désignant d’un signe de tête Mr Marcel qui trembleParkinson ?

Martinet - équipé de son MP3 scande la musique de la tête et des membres. Non,Michael Jackson…Sœur Lucette retour des cuisines avec bols, yaourts et autres sur un plateau roulant.

Mme Madeleine - toute joyeuse On n’a pas traîné, hein ? Comme au bon vieuxtemps où on semait les boches… nostalgique Comment il s’appelait, déjà, ce belallemand aux yeux bleus ?

Martinet - Alzheimer, maman, Alzheimer…

Sœur Lucette - chante « Mémée a perdu la raison… »

Pendant ce temps, Mr Marcel a pris une gaufrette sur le plateau de Sœur Lucette.Mme Madeleine - Donne-moi une gaufrette !

19

Page 20: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mr Marcel - Non !

Mme Madeleine - impérieuse Donne-moi une gaufrette !!!

Mr Marcel - facétieux Pas de gambettes, pas de gaufrette !... un temps Non, maisc’était une vanne…

Mme Gaypart - Bien. C’est l’heure du petit déjeuner. Chacun dans sa chambre.Sœur Lucette va vous servir. On se retrouve après pour une séance de remise enforme.

Sœur Lucette - Montrant le chemin, sort côté jardin Allez, c’est l’heure de fairemarcher les mandibules. Au menu : Yaourt et compote. « Voulez-vous mâcher,grand’mère ?

Chœur - Tout comme au bon vieux temps, Quand vous aviez vos dents… ».

Mr Marcel - C’est m…marrant, ça !

Mr Louis - dernier à sortir Qu’est-ce qu’il dit ?

Mme Gaypart - Profitons de ce moment de répit pour envisager un peu ce qu’onpourrait mettre au point comme projet d’animation dans cette maison. J’attends vossuggestions.

Robert - Pour ça, je suis l’homme qu’il vous faut. J’ai plein d’idées dans la tête.

Juliette - Nous aussi ! Vous croyez qu’on vous a attendu pour essayer de les divertir,pour leur faire oublier… leur faire oublier… oublier quoi déjà… Je ne sais plus ce queje voulais dire…

Denise - En tout cas, ça a l’air de fonctionner, votre méthode de mémorisation…

Mme Gaypart - Il nous faudrait quelque chose d’innovant, quelque chose qui leurdonnerait envie de réussir ensemble, qu’ils se prennent au jeu, mais quoi ?

Denise - Les faire chanter ? Une chorale ?

Juliette - Un peu bateau, non ? Et puis pour ma part, je ne me sens guère capablede leur apprendre. La musique, ce n’est pas vraiment mon domaine de prédilection.

Denise - Ah mais ça, je sais faire ! ….

Robert - Moi aussi ! Je pourrais peut-être leur chanter une chanson ?

Séraphin - C’est pas le moment de nous faire venir la pluie.

Robert - Ou alors il faudrait les faire sortir, découvrir quelque chose de nouveau… Sion les emmenait en visite au zoo ?

20

Page 21: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mme Gaypart - On a déjà essayé, mais ce n’est pas si simple qu’il n’y paraît, sanscompter ce que ça coûte… Le bus, les tickets d’entrée, le pique-nique…

Denise - Vous n’êtes quand même pas à ça près ? Et s’ils restaient ici, il faudrait bienles nourrir.

Mme Gaypart - On voit bien que vous ne connaissez pas les comptes de la maison,vous.

Séraphin - Et puis c’est pas si simple ! Rien que pour les faire monter dans le bus, ilfaut déjà une bonne heure !

Robert - Mais maintenant, je suis là pour vous aider.

Séraphin - allant jauger les biceps de Robert Ah oui ? Et c’est avec ça que vous allezles charger sur vos épaules pour les empiler dans le bus ? Vous êtes aussi épaisqu’un sandwich –SNCF !

Mme Gaypart - C’est vrai que la dernière fois, on n’a même pas eu le temps de lesfaire descendre sur place, de peur de dépasser les heures d’ouverture. On a dû secontenter de s’arrêter devant la fosse aux crocodiles pour les regarder depuis le bus.

Juliette - Ce qui a même surpris une classe de CM2 en visite ce jour-là. Les gaminsne savaient plus où porter leur regard.

Séraphin - D’un côté, un crocodile : Deux yeux et trente-six dents…

Juliette - Et de l’autre, un bus : Deux dents et trente-six yeux…

Robert - Et si je leur chantais quelque chose ?

Séraphin - qui s’énerve et devient menaçant Non !!!

Mme Gaypart - Non, il nous faut trouver autre chose d’original…

Denise - On pourrait préparer un spectacle pour les familles ?

Mme Gaypart - Oui, c’est une idée. On ferait un tarif pas trop cher…

Denise - Ah parce qu’en plus vous les feriez payer ?

Juliette - Que voulez-vous ? Depuis qu’on a pris la mauvaise habitude de payer, il n’ya plus rien de gratuit…

Mme Gaypart - Il n’y pas de petit profit. Mais dans ce cas, il nous faut un spectaclede qualité. Mon petit Séraphin, vous pourriez les conditionner pour un exercice dedanse ?

21

Page 22: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Séraphin - Tout dépend de quelle danse il s’agit. Si vous voulez un paso doble, j’aipeur qu’ils se mettent à tricoter des gambettes jusqu’à faire des nœuds, et je ne lesvois pas trop non plus faire du rock acrobatique, ou alors il faut que je leur fasse unsérieux échauffement pour travailler leurs articulations.

Mme Gaypart - Pour ça il faudrait pratiquer un entrainement de type aérobic oufitness. Vous pourriez vous en charger ?

Séraphin - Moi, je veux bien aider, mais je ne sais pas faire.

Mme Gaypart - Voyez ça avec Juliette, je vais voir quelle date on pourrait prévoirpour cette soirée et lancer une invitation aux familles. Sortie fond.

Juliette - Je pense que le step serait un bon moyen pour la coordination desmouvements. Je pratique un peu et j’ai même le matériel nécessaire. Je vais aller lechercher. Sortie.

Robert - Je ne connais pas le step, mais je pourrais chanter pour soutenir lerythme…

Séraphin - Encore ? Mais il commence à m’énerver, celui-là ! Il se saisit d’unecordelette et lui attache les mains, puis lui applique un bâillon sur la bouche.

Robert - Mmmh !... Mmmmh !...

Retour de Sœur Lucette, suivie presqu’aussitôt par Mr MarcelSœur Lucette - C’est un nouveau jeu ?

Robert - Mmmh !... Mmmmh !...

Mr Marcel - Excusez-moi, mais il y a une fuite chez ma femme… Et j’ai pas la b… labibi… la bibit… l’ha… l’ha…bitude.

Denise - Ah ! Vous m’avez fait peur !

Mr Marcel - Oui, c’est tout mou… tout mou… tout mouillé et c’est bien em…bêtant…

Sœur Lucette - Ah c’est pas vrai ! Il va encore falloir aller changer Mme Madeleine.

Mr Marcel - Nnon ! C’est dans le lllavabo : Mon r… robinet qui est tout mou… toutmou… tout mouillé et c’est rr… rr…

Sœur Lucette - Et vous trouvez ça rr…rigolo, vous ?

Mr Marcel - Nnon, c’est rr… regrettable.

Séraphin - retourne son tablier vert de jardinier qui devient un tablier bleu Bon. Jecrois bien que c’est du boulot pour moi, ça. On va faire le plombier…

22

Page 23: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Sœur Lucette - Ah ! Merci de bien vouloir vous en occuper, Séraphin. Et pour quevous puissiez vous en occuper tranquillement, je vais aider au rassemblement pourleur exercice physique. Ils sortent vers les chambres.

Denise - engage la conversation avec Mr Marcel. C’est bien, Mr Marcel, d’avoir choisid’accompagner votre femme. Vous auriez pu la placer et vivre la grande vie tout seul.

Mr Marcel - Oh ! Vous savez, je n’ai pas eu le choix : Mon fils a vendu la mmaisona…a…a…

Denise - Ah ! C’est bien ! Vous, au moins, vous avez conservé votre triple A !

Mr Marcel - Nnon ! Je voulais dire : A…a…alors… geste d’impuissance.

Denise - Ah oui… le réconfortant Mais votre fils est très attentionné, il vient vous voirtous les jours, à ce qu’on m’a dit…

Mr Marcel - Oh lui, vous savez, c’est surtout pour faire un article pour son journal…

Denise - On m’a dit qu’il voulait faire un article sur les couples qui ont dépassé 50ans de mariage. Dites-moi, ce doit être formidable au bout de si longtemps d’êtretoujours aussi amoureux ? d’un ton blagueur Hein ? Petit coquin !

Mr Marcel - Oh, c’est plus comme avant, non… Tenez, si je vous disais : Maintenant,quand je fais l’amour, eh bien la deuxième fois, je suis t… tou…tout en sueur…

Denise - Ah mais dites-moi, c’est déjà formidable de faire l’amour deux fois à votreâge ! Alors que ça vous fasse transpirer la deuxième fois…

Mr Marcel - Oui, c’est vrai… S…surtout qu’il fait plus chaud en… en juillet qu’enjanvier…

Denise - Ah oui, je vois. Et vous, vous voudriez que ce soit toujours le printemps ?Les fleurs, les petits oiseaux ?

Mr Marcel - Vous savez, maintenant que c’est l’au… c’est l’aul’au… c’est l’automne,mon oiseau ne chante plus si fort, surtout que l…les fleurs sont fanées. Il chante,nostalgique « Ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu... »

Denise - remarquant que la braguette de Mr Marcel est ouverte A propos de petitoiseau, faites attention, la cage est ouverte.

Mr Marcel - Ah non, ça c’est exprès : Figurez-vous qu’hier, j’avais l…laissé le col dema chemise ouvert. J’ai dû prendre un cou…courant d’air et attraper un torticolis, etce matin, j’avais le cou t…tout raide… Alors je me suis dit…

Retour de Mme Gaypart accompagnée des autres pensionnairesMme Gaypart - Allez ! Tous en piste pour notre mise en condition habituelle.

23

Page 24: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Robert - Mmmh !... Mmmmh !...

Mr Brochard - Je t’en foutrais, moi, de la mise en condition…

Robert - Mmmh !... Mmmmh !...

Mme Gaypart - Mais qu’est-ce qui vous arrive, Robert ? Elle va le libérer.

Robert - Furieux et accusateur C’est Séraphin qui… Puis craignant les représaillesCe n’est rien, c’est… c’est Séraphin qui a inventé un nouveau jeu…

Mme Gaypart - Ce diable de Séraphin, il est taquin !

Robert - Se décontractant et massant ses poignets Je prendrais bien un peu derepos, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

Mme Gaypart - Prenez tout votre temps : C’est plus ardu que vous ne l’imaginiez,n’est-ce pas ?

Robert - J’avoue que c’est assez physique, et que je ne pensais pas que…

Mme Gaypart - Allez donc vous détendre un peu, et revenez nous vite. Vous verrez,on s’y fait très bien, et vous serez tout content de recommencer !

Robert - Sortie extérieur J’aimerais mieux pas…

Mme Gaypart - Alors aujourd’hui, pour varier un peu les plaisirs, j’ai pensé que nouspourrions faire une partie de tennis.

Mr Louis - Qu’est-ce qu’elle dit ?

Mr Brochard - Elle dit que t’es « nice » ! (expression lorraine)

Mme Gaypart - Petite démonstration. Jeu de tennis virtuel, grâce à la Wii. Projectionsur écran télé, fond de scène ? Mme Gaypart fait une démonstration éblouissante.

Mr Marcel - essaie en riant de faire les mêmes gestes, mais de manièredésordonnée. Heureux comme un gamin. C’est rr… rrigolo, ça !

Mr Brochard - Simplet : Jeu, set et match !

Mme Gaypart - Au lieu de vous moquer, vous feriez mieux de participer, MrBrochard.

Mr Louis - s’avançant pour jouer Oh non, il n’est jamais trop tard…

Mme Gaypart - Vous voulez essayer, Mr Louis ? Bien !!! Il essaie maladroitementMaintenant montez au filet !

Mr Louis - Si j’ai vu l’heure qu’il est ? Mais je viens seulement de commencer !

24

Page 25: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Mme Gaypart - Vous voyez ! C’est un exercice qui permet une meilleure coordinationdes mouvements des membres. C’est un bon moyen pour se sentir plus stable surses jambes. N’est-ce pas, Mme Madeleine ? S’apercevant de sa boulette et voulantrectifier enfin, pour ceux qui en ont encore… non, je voulais dire…

Mme Madeleine - Vous en faites pas, va ! J’ai l’habitude qu’on me fasse marcher.

Mme Gaypart - Bien ! Changement d’exercice maintenant : Juliette va vous fairefaire quelques exercices. Je vais voir où en est le robinet de Séraphin. Il a peut-êtrebesoin d’un coup de main… Au moment où elle s’apprête à sortir, celui-ci arrive, unvieux robinet à la main, dégoulinant d’eau (pas le robinet, Séraphin…)

Séraphin - Voilà qui est fait. C’était le r…

Mr Marcel - Le rr… rr…obinet ?

Séraphin - Non, le rr… rr…accord qui avait lâché. Il chante « Oh ! Qu’il est beau lelavabo, qu’il est laid le robinet… » et peut faire répéter le public.

Mme Guaypart - Merci, mon petit Séraphin. L’entraînant vers l’extérieur Vous nevouliez pas me montrer votre potager ? Il parait que vous avez essayé de nouvellesvariétés de cucurbitacées et on m’a dit que vous aviez une belle courgette…

Séraphin - Oh oui ! Et une belle frisée !

Mme Guaypart - Et côté verger ? Pas trop de maladies ?

Séraphin - Oh si ! Le pire, c’est mes prunes : Elles sont toutes fripées.

Mme Guaypart - Vous pourrez me montrer ça ? à Juliette qui revient avec les stepsJuliette, nous sommes au jardin.

Juliette - C’est-à-dire que… Je comptais sur vous pour m’aider…

Mme Gaypart - Mais bien sûr, évidemment… à Séraphin Ce n’est que partie remise,mon petit Séraphin… L’attente fait partie du plaisir…

Juliette - installe les steps sous l’œil curieux des pensionnaires Allons, messieurs, ilsuffit de se conditionner et de se dire qu’on est capable d’y arriver. C’est ce qu’onappelle la méthode Coué…

Mr Louis - La méthode « Quouais ? »

Juliette - La méthode Coué ! Je veux… Je peux… Je bois…Oh pardon : Je dois…gestes appropriés

Les pensionnaires - Je veux… Je peux… Je dois… mêmes gestes qu’ils terminentpar un bras d’honneur, puis enchainement avec un Hakka Ka maté, ka maté, ka ora,ka ora

25

Page 26: Mes meilleurs vieux - Le Proscenium · débordée entre des soucis financiers, une inspection de la DDASS à venir et un personnel aussi atypique que polyvalent, de la religieuse

Juliette - reprenant les choses en main, elle donne les directives, fait lesdémonstrations et fait participer pour le cours de step…D’abord un petit échauffement, se courbant, bras vers le bas On va chercher l’énergiedans le sol se relevant et lançant ses bras en l’air Et on envoie l’énergie vers le ciel…ce qu’essaient maladroitement les pensionnaires puis pied droit-pied gauche, cornerto corner, mambo-tchatcha, espagnolette… Retour au calme et étirements. Jeuscénique et chorégraphie à mettre au point, avec l’application très gauche despensionnaires, et l’implication, toute aussi maladroite, de Mme Gaypart et Séraphin.La séance se termine. Et maintenant, étirez-vous…

Mr Marcel – s’en allant Et… et… tirez-vous… Ce que font ses compères.

Mme Gaypart - Très bien ! Il faudra certainement encore quelques séances pourarriver à une bonne coordination, mais nous avons le temps de revoir ça : Un peu derepos maintenant avant l’heure du déjeuner. Aux pensionnaires qui sortent Maisn’oubliez pas qu’en début d’après-midi, nous reprenons notre répétition pour la fêtedes familles…

Juliette - Juste après l’entracte…

Mme Gaypart - entraînant Séraphin Le temps d’un petit tour au jardin…

Entracte

Vous aimeriez connaître la suite ?Merci de me contacter :

[email protected]

26