Merry Gentry 4 - Les assauts de la nuit

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« Je suis Merry Gentry, détective à Los Angeles, loin des dangers et trahisons du monde d’où je viens, car je suis aussi la Princesse Meredith, héritière potentielle de la cour Unseelie. Son pouvoir me submerge mais à quel prix? Vais-je devoir renoncer à mon humanité? Pour m’assoir sur un trône dominé par le carnage et la violence pendant des siècles? Mes ennemis observent chacun de mes mouvements. Mon cousin Cel s’efforce de me faire tuer de sa cellule. Nombreux sont les membres de la noblesse qui ont attendu des siècles que ma tante, la Reine de l’Air et des Ténèbres, devienne assez faible pour être renversée. Leurs tentatives sont imprévisibles. Cela nous forcera-t-il à impliquer les humains dans nos histoires? »

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MERRY GENTRY 4LES ASSAUTS DE L A NUIT

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L’éclat envoûtant de la luneMERRY GENTRY – 3

Laurell K. HamiltonN°9338

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MERRY GENTRY 4LES ASSAUTS DE L A NUIT

TRADUIT DE L’AMÉRICAIN PAR

LAURENCE LE CHARPENTIER

MERRY GENTRY 4LES ASSAUTS DE L A NUIT

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Titre originalA STROKE OF MIDNIGHT

Originally published in hardcover by Ballantine Books, an imprint of the RandomHouse Publishing Group, a division of Random House, Inc., New York.

© 2005 by Laurell K. Hamilton

Pour la traduction française© Édition J’ai lu, 2010

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Pour J., qui me retient par la main et le cœur ;m’aidant à explorer les ténèbres

sans que j’y demeure.

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REMERCIEMENTS

À tous mes amis, écrivains comme non-écrivains,qui m’aiment encore, même si, depuis quelque temps,la plupart de nos conversations téléphoniquesdébutent toutes invariablement par : « Bonjour,Étranger. » En espérant vous voir plus souvent trèsbientôt.

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Chapitre 1

Dieu, comme je déteste ces conférences depresse ! Et d’autant plus quand je suis obligée de camoufler une bonne part de vérité. L’ordrevenant de la Reine de l’Air et des Ténèbres, la Sou-veraine de la Cour sombre de la Féerie. Les Unsee-lies ne sont pas une puissance à contrarier, mêmesi je suis leur Princesse-Fey. Je suis la nièce de laReine Andais, un lien de parenté qui ne m’a jamaisapporté grand-chose. Et me voilà, souriant à ce murquasi solide de reporters, m’efforçant à grand-peinede ne pas laisser mes pensées transparaître surmon visage.

La Reine n’avait encore jamais autorisé l’entréed’autant de journalistes humains à l’intérieur de lacolline creuse des Unseelies, notre sithin et refuge,où il était préférable de ne pas laisser entrer lapresse. Mais en raison d’une récente tentative d’as-sassinat à l’aéroport, durant laquelle on avait presqueréussi à me descendre, cette invasion médiatiqueétait le moindre des maux. La théorie étant qu’à l’intérieur du sithin, notre magie me protégerait bienplus efficacement.

Notre chargée des relations publiques à la Cour,Madeline Phelps, pointa du doigt un premier jour-naliste et l’interrogatoire put commencer.

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— Princesse Meredith, hier, vous aviez le visageensanglanté, mais aujourd’hui, la seule blessureapparente semble être votre bras en écharpe. Où sontles autres?

Mon bras gauche était en effet maintenu par uneattelle verte, quasiment assortie à ma veste detailleur. J’étais habillée dans les tonalités de Noël, dusolstice d’hiver, rouge et vert. Des couleurs gaies etparfaitement de saison. Mes cheveux d’un rouge plusfoncé que mon chemisier constituaient ma caracté-ristique physique la plus unseelie. Mes cheveux SidheÉcarlate me donnaient fière allure toute vêtue denoir. Et non pas du mordoré ou roux orangé des che-veux humains. La veste faisait ressortir le vert querecélaient deux des trois cercles de mes iris, celui d’orétincelant parfois à la lumière des flashs comme s’ilétait véritablement métallique. Mes yeux étaientpurement Sidhe Seelie, le seul détail de ma physio-nomie indiquant que ma mère venait de la CourDorée. Du moins en partie.

Je n’avais pas reconnu le journaliste qui venait deme poser cette question. Un nouveau visage pourmoi, certainement débarqué la veille. Et étant donnéque la tentative d’assassinat s’était produite en directsous les objectifs des médias, eh bien, nous avions étédans l’obligation de refuser l’entrée à certains repor-ters, la salle principale n’aurait pas pu en contenirdavantage. Je participais à ce genre d’événementsmédiatiques depuis mon enfance. Et celui-ci était jusqu’à présent le plus animé, après la conférence de presse qui avait suivi l’assassinat de mon père. On m’avait appris à faire usage du prénom des jour-nalistes si j’en avais connaissance, mais face à celui-là, je ne pouvais que me contenter de sourire enrépondant :

— Il ne s’agit que d’une entorse. Je l’ai échappébelle.

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En vérité, mon bras ne s’était pas retrouvé esquintélors de cet attentat à ma vie qui avait été filmé. Non,il s’était retrouvé amoché lors du second, ou était-cele troisième, qui s’était produit dans la foulée. Cesdeux-là avaient cependant eu lieu à l’intérieur du sithin, où j’étais supposée être en sécurité. Laseule raison pour laquelle la Reine et mes gardes ducorps m’y croyaient plus à l’abri qu’à l’extérieur, dansle monde des humains, était que nous avions arrêtéles responsables. Ces traîtresses, dont l’une avait ététuée, avaient organisé des tentatives de meutrecontre moi, mais également contre la Reine. Nousavions frôlé de près un coup d’État en plein palais,un putsch dont les médias n’avaient pas le moindreindice. Nous méritions bien l’un des anciens nomsdésignant les Feys : le Peuple Secret.

— Princesse Meredith, était-ce votre sang quimaculait hier votre visage?

Il s’agissait cette fois d’une femme, dont je connais-sais le prénom.

— Non, lui répondis-je.Je ne pus réprimer un sourire sincère à la vue de

sa mine dépitée alors qu’elle constatait qu’elle n’allaitsans doute obtenir qu’une réponse laconique.

— Non, Sheila, ce n’était pas le mien.Elle me sourit, toute blonde et plus grande que je

ne le serais jamais.— Puis-je développer ma question, Princesse?— Allons, allons, intervint Madeline, une question

par personne.— Ça ira, Madeline, lui dis-je.Notre attachée de presse se tourna alors pour me

dévisager; elle tourna le commutateur du micro fixé àsa ceinture pour l’éteindre. Je saisis l’occasion pourrecouvrir le mien de la main et me décaler sur le côté.

Madeline se pencha en travers de la table. Sa jupeétait assez longue pour qu’elle ne coure pas le risque

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de s’exhiber devant les reporters regroupés au piedde l’estrade. La longueur de l’ourlet était complète-ment à la mode, tout comme sa couleur. Une partiede son travail consistait à prêter attention à ce quiétait branché ou ringard. Elle était notre mandatairehumaine, bien plus que n’importe quel ambassadeurenvoyé par Washington.

— Si Sheila a l’opportunité de développer sa ques-tion, alors ils en feront tous autant. Ce qui compli-quera tout, pour vous comme pour moi.

Elle avait raison, mais…— Mentionnez qu’il s’agit d’une exception. Puis

poursuivons.Elle me considéra en arquant ses sourcils parfaite-

ment épilés, avant de dire :— OK.Puis elle ralluma son micro en se retournant vers

eux, tout sourire.— La Princesse autorise Sheila à lui poser une

autre question, mais ensuite, vous serez dans l’obli-gation de vous plier au règlement initial : une seulepar personne, annonça-t-elle.

Puis elle pointa le doigt vers Sheila en lui notifiantson assentiment d’un signe de tête.

— Je vous remercie de me permettre de dévelop-per ma question, Princesse Meredith.

— Je vous en prie.— S’il ne s’agissait pas de votre sang hier, alors

d’où provenait-il ?— De mon garde du corps, Frost.Les flashs se mirent soudain à crépiter et je m’en

retrouvai aveuglée. Mais l’attention générale s’étaitportée dans mon dos. Vers mes gardes, alignés contrele mur en rang d’oignons. Ils se déployaient en arc decercle jusqu’au pied de la table, vêtus de costumes de marque, d’armures intégrales, en passant par l’ac-coutrement du type adepte des night-clubs tendance

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gothique. L’unique accessoire en commun de toutesces tenues diverses et variées était l’artillerie. Hier,nous nous étions efforcés de rester discrets à ce sujet,la moindre bosse gâchant la ligne impeccable d’uneveste, et aucune arme n’avait été ostensiblementvisible. Mais aujourd’hui, les vestons et les manteauxétaient truffés de revolvers, également portés bienvisibles, ainsi que des épées, des dagues et des haches,sans oublier des boucliers. Le nombre de gardes quim’entouraient avait également plus que doublé.

Je jetai un coup d’œil à Frost par-dessus monépaule. La Reine m’avait interdit tout favoritismeparmi mon escorte. Allant même jusqu’à gentimentme demander d’éviter de lancer de longs regards à certains plus qu’à d’autres. J’avais trouvé cetterequête plutôt bizarre, mais elle était la souveraine,et la contredire était à vos risques et périls. Je n’enjetai pas moins brièvement un coup d’œil derrièremoi, à Frost, qui après tout m’avait sauvé la vie. Neméritait-il pas de ce fait un regard? J’aurais toujourspu justifier vis-à-vis de la Reine, ma tante, que lapresse trouverait curieux si je l’ignorais en beauté.C’était la vérité, mais je le regardai en fait parce quej’en avais envie.

Sa chevelure argentée lui retombait jusqu’aux che-villes avec toute la brillance et l’aspect métalliquedes guirlandes de Noël, mais je savais qu’elle étaitdouce et vivante. Elle me donnait une sensation de chaleur intense lorsqu’il la faisait se répandre sur mon corps. Il avait repoussé ses longues mèchesde son visage, retenues par une barrette tailléedans de l’os. Ses cheveux étincelaient en voltigeantautour de son costume Armani gris charbon ajustésur mesure à sa large carrure athlétique. Il avaitégalement été confectionné afin de pouvoir y dissi-muler un revolver et une ou deux dagues, mais paspour planquer un flingue sous chaque bras, ni une

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épée courte sur la hanche, rangée dans son fourreauen cuir sanglé serré contre sa cuisse. La poignéed’une autre émergeait au-dessus de l’une de sesépaules au travers du déploiement scintillant de sachevelure. Il semblait « hérissé » de lames, et Frostétait toujours muni d’autres armes qu’on ne pouvaitvoir. Aucun costard n’aurait pu recouvrir un telarsenal tout en conservant une ligne impeccable. Il ne pouvait plus boutonner sa veste, et les revol-vers, épées, ainsi qu’un poignard, étincelèrent sousles flashs.

La pièce fut brusquement envahie d’appels scan-dant son nom, «Frost ! Frost !», tandis que Madelinesélectionnait la question suivante. Venant d’un homme,un autre qui m’était inconnu. Il n’y avait rien demieux qu’une tentative d’assassinat pour attirer les médias.

— Frost, avez-vous été grièvement blessé?Frost dépassant de peu le mètre quatre-vingts et

le micro ayant été réglé pour moi, assise, il dut sepencher, particulièrement bas. Avec n’importe quellearme, il était distingué. Mais, à cet instant, si prèsdu micro, qu’il avait l’air empoté ! Je me demandais’il avait déjà eu affaire à ce type d’équipement, puisil répondit à la question de sa voix profonde :

— Je ne suis pas blessé.Avant de se redresser de toute sa hauteur, et je pus

percevoir sur son visage un certain soulagement. Ilse détourna des appareils photo, comme s’il pensaits’en tirer à si bon compte. Je savais parfaitement qu’iln’en serait rien.

— Mais n’était-ce pas votre sang sur la Princesse?Sa main agrippa le pommeau de son épée courte.

Un signe indéniable de nervosité quand cela n’étaitpas nécessaire en soi. Il se pencha à nouveau au-dessus du micro, et cette fois se cogna contre monépaule mal en point. Je doutais fort que la presse ait

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pu repérer un tressaillement aussi imperceptible,mais, même pour Frost c’était bien trop maladroitsuffisamment pour le mentionner. Il plaqua une mainsur la table pour se retenir, tentant de retrouver sonéquilibre. Il tourna vers moi ses yeux du gris d’un cielhivernal, me lançant un regard qui s’enquérait silen-cieusement : «Est-ce que je t’ai fait mal?»

J’articulai : «Non.»Il laissa échapper un soupir soulagé avant de s’in-

cliner à nouveau vers le micro.— Oui, c’était mon sang.Sur ce, il se redressa, le dos bien droit, comme s’il

pensait que cela leur suffirait. Mais il aurait dû mieuxles connaître. Il avait rempli au fil des ans la fonctiond’ornement musclé au service de la Reine lors de bon nombre de ces rencontres événementielles poursavoir qu’il avait été juste un peu trop concis. Aumoins, il ne tenta pas cette fois de retourner à saplace.

Le prochain était un journaliste que je connaissais,Simon McCracken. Il couvrait depuis des lustres toutce qu’il se passait aux Cours de la Féerie.

— Frost, si vous n’êtes pas blessé, alors d’où venaitvotre sang et comment s’est-il retrouvé sur la Prin-cesse?

Il savait comment formuler à la perfection sa ques-tion, celui-là, pour nous empêcher de tourner autourdu pot en faisant des claquettes. Les Sidhes ne men-tent jamais. Nous peignons simplement la vérité de rouge, de pourpre et de vert, tout en convainquantla galerie que le noir est blanc, mais sans vraimentrecourir au mensonge délibéré.

Frost se pencha à nouveau vers le micro, s’ap-puyant d’une main sur la table. Il s’était rapprochéimperceptiblement de moi, si près que les jambes deson pantalon vinrent frôler ma jupe, son épée presquecoincée entre nos corps. Ce qui craignait s’il était dans

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l’obligation soudaine de la sortir de son fourreau.Observant sa main sur la table, si large et puissante,je remarquai que l’extrémité de ses doigts s’était mar-brée. Il s’agrippait à la table comme on s’accroche àun micro quand on a le trac.

— On m’a tiré dessus.Il dut s’éclaircir la gorge avant de poursuivre. J’eus

juste le temps d’entrapercevoir ce profil parfait entournant rapidement la tête, et réalisai qu’il s’agissaitde bien plus qu’une petite angoisse. Frost, le FroidMortel de la Reine, avait la trouille ! Avait la trouillede parler en public. Oh, sacré bon sang!

— J’ai guéri. Mon sang a jailli sur la Princesselorsque je l’ai protégée de mon corps.

Il s’apprêtait à se redresser, lorsque je lui touchai lebras. Puis je recouvris le micro de la main et me pen-chai plus près de lui. Je pris une profonde inspirationen aspirant l’odeur émanant de sa peau, avant de luichuchoter au creux de l’oreille :

— Agenouille-toi ou assois-toi.Il souffla un bon coup au point que ses épaules

tressaillirent, avant de prendre place sur un genouà mon côté. Je rapprochai le micro un peu plus delui.

Puis je fis glisser ma main sur la courbe de sondos, sous sa veste, juste en dessous de la courburedu grand fourreau de son épée qu’il portait au côté.Lorsque nous autres les Feys, quels qu’ils soient,sommes en proie à une certaine nervosité, nous nousréconfortons en nous touchant. Les puissants Sidheseux-mêmes se sentent revigorés après le plus légercontact tactile, bien que nous ne l’admettions pastous, de crainte d’estomper la ligne de démarcationentre la royauté et les roturiers. J’avais trop de sangfey inférieur dans les veines pour m’en préoccuperplus que ça. Je sentis que la sueur commençait à luicouler le long de l’échine.

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Madeline avait entrepris de se rapprocher de nous.Ce que je désapprouvai de la tête. Elle m’adressa unregard interrogateur, mais sans faire aucun com-mentaire, suscitant une nouvelle question parmi lafoule de journalistes.

— Vous vous êtes donc pris une balle pour protégerla Princesse Meredith?

Je me penchai vers le micro, en rapprochant monvisage de Frost autant que possible, le frôlant délica-tement, afin de ne pas le barbouiller de maquillage.Les appareils photo semblèrent exploser en vifs éclatsà la blancheur lumineuse. Frost sursauta et j’étaiscertaine que ce mouvement serait perçu par les appa-reils. Eh bien ! Nous étions aveuglés, la visionbrouillée par des éclairs en pointillés blancs et bleus.Ses muscles se contractèrent, ce qui m’aurait totale-ment échappé si je ne l’avais pas touché.

— Salut Sarah! Eh oui, il s’est pris une balle à maplace, répondis-je.

Je crus entendre Sarah me saluer en retour d’un«Salut, Princesse !», mais je n’en étais pas sûre étantdonné que ma vision oculaire laissait quelque peu à désirer et que le brouhaha de tant de voix rendaitma perception auditive plus que confuse. Faire usagede leurs noms, si je les connaissais, détendait l’atmo-sphère, rendant les relations plus amicales. Uneambiance cordiale plus que nécessaire lors d’uneconférence de presse.

— Frost, avez-vous eu peur?Il se détendit imperceptiblement contre moi, entre

le contact de ma main et de ma joue.— Oui, répondit-il.— Peur de mourir ? lança quelqu’un sans être

invité à l’ouvrir.Frost répondit cependant à cette question non

sollicitée :— Non.

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Madeline fit intervenir un autre journaliste, quidemanda:

— Alors de quoi aviez-vous peur?— J’avais peur que Meredith soit blessée.Il s’humecta les lèvres, puis se contracta à nouveau.

Je réalisai qu’il m’avait appelé par mon prénom enomettant mon titre. Un faux pas pour un garde ducorps, mais évidemment, il était bien plus que ça.Chaque homme de mon escorte était théoriquementengagé dans la course pour devenir mon princecharmant. Mais étant Sidhes, nous ne nous marionsqu’en cas de grossesse. Un couple stérile n’est pasautorisé à sceller son union par les liens du mariage.De ce fait, mes gardes assumaient une autre fonctionque de juste «garder» mon corps.

— Frost, donneriez-vous votre vie pour la Prin-cesse?

— Bien sûr, répondit-il sans la moindre hésitation,d’un ton exprimant clairement combien cette ques-tion lui semblait futile.

La suivante fut posée par un journaliste au fond dela salle à côté d’une caméra de télévision :

— Frost, comment votre blessure par balle a-t-ellepu se cicatriser en moins de vingt-quatre heures?

Frost laissa à nouveau échapper un profond soupirqui lui fit frémir les épaules.

— Je suis un guerrier Sidhe.Les journalistes attendirent qu’il en dise davantage,

mais ils pouvaient toujours attendre. Pour Frost, le faitd’être Sidhe constituait toute la réponse nécessaire.Cela n’avait été qu’une blessure faite par une balle quilui avait traversé l’épaule de part en part, tirée par unrevolver sans munition spécifiquement magique. Il en faudrait bien davantage pour arrêter un guerrierSidhe.

Je dissimulai un petit sourire puis entrepris de me pencher vers le micro, afin de lui apporter mon

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assistance pour fournir quelques explications à lapresse, lorsque la sueur qui lui coulait dans le doscessa soudainement d’être moite et chaude. Comme siun courant d’air froid venait de lui passer le long del’échine. Suffisamment glacial d’ailleurs pour que jeretire ma main de saisissement.

Mes yeux se portèrent rapidement sur la sienne,gigantesque et posée sur la table. Pour y observer ce que je craignais. Une auréole de givre s’en diffu-sait, en pleine expansion! Je remerciai la Déesse quela nappe soit blanche, le seul détail qui nous épargnade nous faire repérer. Les journalistes le remarque-raient sans doute plus tard, lorsqu’ils visionneraientà nouveau leurs séquences filmées, mais là, je n’ypouvais pas grand-chose. J’avais suffisamment dequoi m’inquiéter pour aller me mettre martel en tête.D’une certaine manière, c’était de ma faute. J’avaiscontribué à faire accéder Frost à un niveau de pou-voir qui lui était absolument étranger. Grâce à labénédiction de la Déesse. Mais posséder un nouveaupouvoir entraîne de nouvelles responsabilités et denouvelles tentations.

Je sortis la main de sous ma veste pour recouvrirla sienne, tout en tentant de m’exprimer parmi lesmurmures interloqués des gens de la presse. Je m’ar-mai de courage, alors que je constatai que sa main se faisait aussi glaciale que l’onde de pouvoir que jesentis glisser dans son dos. En même temps, de façonsurprenante, elle ne l’était pas tout à fait autant.

— Les Sidhes guérissent de presque toute blessure,leur expliquai-je.

Le givre s’était propagé jusqu’à la base du micropour y poursuivre son ascension, et celui-ci se mit à grésiller en raison de l’électricité statique. J’étrei-gnis la main de Frost. Il se rendit alors compte de ce que sa peur avait provoqué. Je savais que ce n’était pas délibéré. Sa main se crispa en poing, mais

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avec la mienne qui l’enserrait, ses doigts s’entremêlè-rent aux miens. Je ne souhaitais pas que quiconqueremarque le givre avant qu’il n’ait fondu.

Je tournai mon visage vers le sien, et il me fit face.Des flocons tombaient en ponctuant l’intérieur de sesiris, semblables à de minuscules boules à neige. Je me penchai vers lui pour l’embrasser. Ce qui le sur-prit, car il avait eu vent de l’avertissement de la Reinem’interdisant tout favoritisme, mais Andais me par-donnerait. Si elle me laissait le temps de m’expliquer.Elle aurait sans doute fait exactement de même, voiredavantage, pour distraire la presse de cette manifes-tation magique importune.

Ce ne fut d’ailleurs qu’une union de lèvres chastequoique appuyée, étant donné que Frost semblait simal à l’aise devant tous ces étrangers. De plus, je por-tais un rouge à lèvres intense qui s’étalerait commedu maquillage de clown si nous nous engagions dansun profond baiser à s’en nettoyer les amygdales. L’ex-plosion de flashs m’apparut comme une pressionorangée contre mes paupières closes.

Je me reculai la première. Frost, les lèvres relâ-chées, entrouvertes, les yeux toujours fermés, clignaensuite des paupières, avant de les rouvrir. Il avaitl’air abasourdi, sans doute en raison de toutes ceslumières, ou peut-être s’agissait-il de notre baiser ?Bien que, comme seule la Déesse le sait, c’était loind’être notre premier, les précédents ayant été bienplus substantiels. Un baiser venant de moi signifiait-il encore autant pour lui, alors que nous nous étionsembrassés tant de fois que je n’aurais pu toutes lescompter?

L’expression se reflétant dans ses yeux m’indiquaitque «oui», bien plus clairement qu’aucun mot n’au-rait pu le dire.

Les photographes étaient agenouillés devant latable aussi près que les gardes le leur autoriseraient.

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