Mères à croquer

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44 e Journées de l’ECF . 15 et 16 novembre 2014 . Palais des Congrès . Paris n°2 La mèRe ! mais Les mèRes ? François Regnault Pour Lacan, La Femme n’existe pas, mais les femmes, oui, elles existent. La formule « La mère reste contaminée la femme pour le petit d’homme » suppose l’existence de La Mère, la mère du petit d’homme, qui n’en a qu’une, en principe. Mais les Mères ? Je ne l’entends guère, (moi peut-être seul ?), que comme une référence mythique au Second Faust de Gœthe (lequel croyait aussi à l’Eternel-Féminin). Méphistophélès envoie Faust chercher la figure de la Femme idéale, Hélène de Troie, pour la ramener à l’Empe- reur (du Saint-Empire). Et voici donc Méphistophélès précédant Faust dans une « sombre galerie » : « MéPHISToPHéLèS : Des déesses trônent, formidables, dans la solitude, / Autour d’elles il n’est point de lieu, encore moins de temps ; / Pour parler d’elles on ne saurait trouver de mots. / Ce sont les Mères ! FAUST (effrayé) : Les Mères ! MéPHISToPHéLèS : Tu frémis ? FAUST : Les Mères ! Les Mères ! – Cela sonne de manière étrange ! MéPHISToPHéLèS : étrange mystère, en effet. Déesses in- connues… » Méphistophélès lui donne alors la clé qui doit l’y conduire, et Faust s’écrie, frissonnant : « Les Mères ! Cela me pénètre toujours comme l’éclair ! Quel est ce mot que je ne puis entendre ? » Puis il frappe du pied et disparaît dans l’abîme (Faust, Gœthe, acte I). Ah ! si vous aviez vu la mise en scène de ce passage dans le Faust monté par Giorgio Strehler au Teatro Studio de Milan, en 1988-1991 ! or autour des Mères « planent les images de toute créature, / Elles ne te voient pas, car elles ne voient que des schèmes », les idées et paradigmes de toutes choses, passées et à venir. Mais à quoi tout cela rime-t-il ? Je me dis que si pour Lacan, « femme » n’admet pas le singulier défini La, sauf à le barrer, « mère » en revanche, n’aurait pas de pluriel défini : les Mères n’existent pas. Ce que Gœthe, au fond, laisse dans l’abîme ! Sauf qu’au temps des mères por teuses et depuis le ma- riage pour tous, et bientôt la PMA, une pluralité de mères s’institue, ainsi qu’avec l’adoption, le fait qu’un en- fant puisse avoir deux mères, et s’il a deux pères, pour- quoi pas l’un des deux supposé une mère ? En quoi Gœthe se montre prophétique, puisque à ce prix, le futur homunculus, fabriqué, comme celui du Second Faust, in vitro, pourra s’écrier, au-delà – ou en deçà – de l’Œdipe, et à la merci de ce nouveau fantasme de la Multiple Mère : « Les Mères ! Quel est ce mot que je ne puis entendre ? » De là à susciter de nouveau La Femme, mais « conta- minée les Mères » ! F. R. Les nouvelles Mères croquées sont arrivées ! Une impression indélébile, un mouvement intime, une idée fulgurante ou insistante... Ceux qui ont pris la plume nous livrent en un mot, une image, un objet, ce que c’est pour eux que l’être mère. Et pour vous ? Filles et fils du XXI e siècle, nous attendons vos croquis de mères !

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Journal des 44èmes journées de l'École de la Cause freudienne. Paris, Palais des congrès Porte Maillot, 15 et 16 novembre.

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44e Journées de l ’ECF . 15 et 16 novembre 2014 . Pa la is des Congrès . Par is

n° 2

La mèRe ! mais Les mèRes ? François Regnault

Pour Lacan, La Femme n’existe pas, mais les femmes,oui, elles existent. La formule « La mère reste contaminée la femme pourle petit d’homme » suppose l’existence de La Mère, lamère du petit d’homme, qui n’en a qu’une, en principe. Mais les Mères ? Je ne l’entends guère, (moi peut-êtreseul ?), que comme une référence mythique au Second

Faust de Gœthe (lequel croyait aussi à l’Eternel-Féminin).Méphistophélès envoie Faust chercher la figure de laFemme idéale, Hélène de Troie, pour la ramener à l’Empe-reur (du Saint-Empire). Et voici donc Méphistophélès précédant Faust dans une« sombre galerie » : « MéPHISToPHéLèS : Des déesses trônent, formidables,dans la solitude, / Autour d’elles il n’est point de lieu,encore moins de temps ; / Pour parler d’elles on nesaurait trouver de mots. / Ce sont les Mères !FAUST (effrayé) : Les Mères !MéPHISToPHéLèS : Tu frémis ?FAUST : Les Mères ! Les Mères ! – Cela sonne de manièreétrange !MéPHISToPHéLèS : étrange mystère, en effet. Déesses in-connues… »Méphistophélès lui donne alors la clé qui doit l’yconduire, et Faust s’écrie, frissonnant : « Les Mères !Cela me pénètre toujours comme l’éclair ! Quel est ce

mot que je ne puis entendre ? » Puis il frappe du piedet disparaît dans l’abîme (Faust, Gœthe, acte I).Ah ! si vous aviez vu la mise en scène de ce passagedans le Faust monté par Giorgio Strehler au Teatro Studiode Milan, en 1988-1991 !or autour des Mères « planent les images de toutecréature, / Elles ne te voient pas, car elles ne voient quedes schèmes », les idées et paradigmes de toutes choses,passées et à venir. Mais à quoi tout cela rime-t-il ?Je me dis que si pour Lacan, « femme » n’admet pas lesingulier défini La, sauf à le barrer, « mère » en revanche,n’aurait pas de pluriel défini : les Mères n’existent pas.Ce que Gœthe, au fond, laisse dans l’abîme ! Sauf qu’au temps des mères porteuses et depuis le ma-riage pour tous, et bientôt la PMA, une pluralité demères s’institue, ainsi qu’avec l’adoption, le fait qu’un en-fant puisse avoir deux mères, et s’il a deux pères, pour-quoi pas l’un des deux supposé une mère ? En quoiGœthe se montre prophétique, puisque à ce prix, lefutur homunculus, fabriqué, comme celui du Second

Faust, in vitro, pourra s’écrier, au-delà – ou en deçà – del’Œdipe, et à la merci de ce nouveau fantasme de laMultiple Mère : « Les Mères ! Quel est ce mot que jene puis entendre ? » De là à susciter de nouveau La Femme, mais « conta-minée les Mères » ! F. R.

Les nouvelles Mères croquées sont arrivées !

Une impression indélébile, un mouvement intime,une idée fulgurante ou insistante... Ceux qui ontpris la plume nous livrent en un mot, une image,un objet, ce que c’est pour eux que l’être mère.Et pour vous ?Filles et fils du XXIe siècle, nous attendons voscroquis de mères !

inouï Victoria Horne Reinoso

comment m’a-t-iL Fait mèRe ? Nicole Guey

C’était une splendide journée de prin-temps, vers sept heures du soir. Après denombreux passages, les entrées et sortiesdes uns et des autres, enfin, le silence. Parla fenêtre, je vis le cerisier en fleur accueillirles hirondelles qui s’étaient donné rendez-vous à la tombée du soleil. Soudain, le concert commença ! J’ai regardécet être qui dormait paisiblement contremoi, épuisé après sa première journée devie ! Une tendresse inouïe m’envahit… Unsentiment inconnu, bouleversant et radicals’empara de moi. Il y avait un avant et unaprès. Je sentais une puissante émotionétreindre mon corps, un amour me déchi-rait le cœur, une joie me faisait pleurer…Divisée et heureuse, inconditionnelle à jamaisenvers cet être qui me faisait mère. Chaque année, j’éprouve une émotion parti-culière qui m’atteint dans mon corps lorsqueles cerisiers de Paris commencent à fleurir…v. h. R.

H. a trois ans.H. : Maman c’est quand Noël ?M. : Dans un mois.H. : Si c’est dans un toi, c’est drôlement long !M. : Non, un mois, deux mois…H. : Alors si c’est dans deux toi, c’est encoredans plus longtemps !Être mère, c’est consentir à ce que ça passepar soi mais aussi – la tâche est compliquée– à ne pas se laisser entièrement croquer.n. G.

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Femme enDoRmie suR un LivRe Philippe Hellebois

Cette image en suscite d’autres : une femme (la même) lisant à table, le livre posé sur la carafed’eau ; une femme (la même encore, mais cette fois en peignoir) montrant à son fils, le dimanchematin dans le soleil et le café chaud, comment écrire ses dissertations.Le point commun de ces trois scènes saute aux yeux : des lettres, des lettres, toujours des lettres,à lire ou à écrire. Est-ce à dire que la dame aux livres n’élevait son bambin que dans le sublime ? oh non !Les femmes sortent le plus souvent des livres pour onduler en riant dans le soleil comme l’amour-caillou du docteur Lacan. Résultat, les pensées du bambin ondulèrent, ondulent encore et ondule-ront peut-être toujours quoi qu’il en ait. Comme dit l’Autre (ayons des lettres !), ses pensées sontses catins. Cela s’appelle le réel de l’obsédé, ou son partenaire-symptôme, et est tout aussi incurableque le reste. Plume vient de calame et donne calamité.Que peut-il faire sinon apprendre à danser ? p. h.

Être mère, oui, absolument oui, doublement même. Mais un « oui »précédé par un « non ». Ce « non » comme une des conditions quirend la maternité possible. Un « non » qui touche le corps propre: « non », l’enfant aura beaucoup, certes, mais pas ça. « Il faut qu’ilpuisse manger même si je pars ». Des parties du corps « naturelle-ment » données à l’enfant reçoivent un non catégorique. Des zonesdu corps resteront hors d’atteinte de la maternité. Certes un refusà la soumission au Maître Nature, mais aussi une privation auto-imposée. Comme si le sujet disait à l’enfant : non, tu n’auras pastout de moi. Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ? L’adresse estmoins l’enfant que le sujet lui-même. Être mère, oui, mais assuréepréalablement de ne pas l’être toute. c. K.

Des zones Du coRps hoRs D’atteinte Carolina Koretzky

Jeune fille lisant

Auguste Renoir.

Mère et enfant, Pablo Picasso.

Jeune mère et son enfant

Jean-Baptiste Carpeaux.