Mensuerce été 2014

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Agir ensemble Egalité Solidarité Education populaire Interculturalité Lien social En Route Contre l’Exclusion est une association de loi 1901 formée en 2012 par un groupe d’étudiantes du Master Analyse de crises et action humanitaire de l’Université de Savoie. Initialement formée pour un projet de solidarité franco-indien visant à comprendre les enjeux, les manifestations et les méthodes de lutte contre l’exclusion l’association s’est pérennisée et à maintenant pour but de sensibiliser à la lutte contre toutes les formes d’exclusion et de prôner la solidarité internationale. Le Mensuerce est notre revue de solidarité. Elle se propose de donner la parole à des gens, des structures ou des jeunes du monde entier afin qu’ils s’expriment sur des thèmes étroitement ou légèrement liés à la solidarité, l’injustice sociale, l’interculturalité, l’égalité et le développement. Le Mensu-ERCE c’est la revue de solidarité d’ERCE mais c’est aussi la votre ! Mensu-ERCE Eté 2014- numéro spécial CEPE 1 Edito : genèse du projet Contre l’Exclusion par l’Education populaire 2 ERCE en Argentine- récit de Marcelo Villavicencio 4 Education populaire dans les quartiers périphériques de Buenos Aires 6 La bibliothèque populaire de Vicky 8 Les bidonvilles du Grand Buenos Aires 11 Quand l’éducation non-formelle s’invite à l’école 13 Paroles d’enseignants 15 Paroles d’enfants : c’est quoi la paix? 16 Le consortium franco-argentin

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Cette édition spéciale Contre l'Exclusion par l'Education populaire revient sur le projet de solidarité que nous menons en partenariat avec l'ONG argentine Educacion para la paz. Elle revient sur les échanges et activités menés lorsque nous étions en Argentine, en août dernier.

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Agir ensemble Egalité Solidarité Education populaire Interculturalité Lien social

En Route Contre l’Exclusion est une association de loi 1901 formée en 2012 par un groupe d’étudiantes du Master Analyse de crises et action humanitaire de l’Université de Savoie. Initialement formée pour un projet de solidarité franco-indien visant à comprendre les enjeux, les manifestations et les méthodes de lutte contre l’exclusion l’association s’est pérennisée et à maintenant pour but de sensibiliser à la lutte contre toutes les formes d’exclusion et de prôner la solidarité internationale. Le Mensuerce est notre revue de solidarité. Elle se propose de donner la parole à des gens, des structures ou des jeunes du monde entier afin qu’ils s’expriment sur des thèmes étroitement ou légèrement liés à la solidarité, l’injustice sociale, l’interculturalité, l’égalité et le développement. Le Mensu-ERCE c’est la revue de solidarité d’ERCE mais c’est aussi la votre !

Mensu-ERCE Eté 2014- numéro spécial CEPE

1 Edito : genèse du projet Contre l’Exclusion par l’Education populaire 2 ERCE en Argentine- récit de Marcelo Villavicencio 4 Education populaire dans les quartiers périphériques de Buenos Aires 6 La bibliothèque populaire de Vicky

8 Les bidonvilles du Grand Buenos Aires 11 Quand l’éducation non-formelle s’invite à l’école

13 Paroles d’enseignants

15 Paroles d’enfants : c’est quoi la paix?

16 Le consortium franco-argentin

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EditoGenèse du projet Contre l’Exclusion par l’Education Populaire

Notre association En Route Contre l’Exclusion, existe depuis plus de deux ans. Tout a commencé avec un projet en Inde avec les Intouchables ; les Indiens hors-caste. Un des axes du projet consistait à travailler avec des jeunes, autour du leadership et de la prise de conscience de sa propre condition. Là-bas, nous avons découvert l’importance de l’éducation populaire, d’un autre type de formation pour les enfants, pour qu’ils s’engagent dans des projets de développement local et soient conscients du potentiel qu’ils ont pour améliorer leur situation et changer le monde. Au retour, nous avons décidé de travailler avec des jeunes et de nous intéresser au rôle de l’éducation populaire pour intégrer des personnes victimes d’exclusion. Nous avons recherché une association en Argentine, puisque c’est un des pays précurseurs en matière d’éducation populaire, et nous avons trouvé Educación Para la Paz (Eduquer pour la paix). C’est ainsi qu’a commencé notre travail avec Marcelo Villavicencio, représentant de l’association Educación para la Paz dans le grand Buenos Aires. Après un an et demi de travail à distance pour co-construire ce projet, nous nous sommes rendues sur place.

Nous parcourons différentes villes pendant un mois : Rosario, Victoria, Santa Fe, et surtout le Grand Buenos Aires, entre autres, Presidente Derqui (Pilar), Moreno et ses alentours. Nous découvrons les projets que mènent les habitants de ces quartiers : leurs origines, leurs évolutions, et comment petit à petit ils se sont transformés en structures associatives légales, tout cela à partir d’un groupe de personnes qui voulaient agir localement : soutien scolaire, cantines, radio communautaire, etc.

Nous voulions comprendre le sens donné à l’éducation populaire en Argentine, former un consortium de jeunes Argentins et Français engagés dans la lutte contre les inégalités sociales, et voir les actions menées par les gens pour lutter contre l’exclusion afin de systématiser ces initiatives dans un rapport partagé avec d’autres organisations françaises et argentines, qui servirait de support pour ouvrir des dialogues et des débats constructifs sur le pourquoi et le comment multiplier ces types de projets et méthodes à échelle locale.

Ce Mensuerce est un numéro spécial dédié au projet Contre l’Exclusion Par l’Education Populaire. A travers l’exemple de certains projets observés, nous dressons un infime portrait de cette réalité complexe, nous partageons les émotions et réflexions nées de cette expérience et notre compréhension du fil conducteur de ce projet : l’éducation populaire.

L’équipe d’ERCE

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Visitedel’équiped’ERCEenArgentine‐Récitdenotrepartenaire,MarceloVillavicencio

Presque deux ans après ce premier email reçu de la part d’Audrey au nom d’ERCE, c’est presqu’un rêve de pouvoir regarder en arrière et d’avoir vécu tant de choses intenses et encourageantes. Car le lien entre notre communauté d’acteurs œuvrant pour la paix par l’éducation populaire a pris de l’ampleur avec nos partenaires de France. Ensemble, nous avons parcouru du chemin et ensemble nous pensons en tracer de nouveaux, convaincus que plus de personnes nous suivront sur ce sentier d’inclusion, d’éducation, d’espoir, d’engagement et de leadership, où les jeunes agissent et construisent collectivement une nouvelle manière d’Etre et de Faire, pour eux-mêmes et pour l’autre, où se sentir unis face à ces défis nous rend plus forts et plus engagés.

Les membres d’ERCE sont venus chez nous afin de découvrir notre expérience dans le champ de l’éducation formelle et populaire. Cela nous a conduit dans quelques endroits où beaucoup de nos collègues passent des heures, inlassables, convaincus qu’il est possible d’être meilleur et de rendre les autres meilleurs. Enfants et jeunes, établissements d’éducation publique et privée, structures d’éducation populaire et ONG de Buenos Aires, Córdoba, Santa Fe, Entre Rios constituèrent des scènes de paix et d’espoir, où nos compagnes de route purent approfondir leur voyage en étant sur le terrain de ces acteurs imprévisibles d’une construction sociale, où l’impossible devient possible, où la voix de ceux qui n’ont pas de voix devient audible, où la vie se répand en essayant de rompre avec l’adversité, où la créativité et l’amour sont capables de faire pousser des fleurs où il n’y en aura peut-être jamais.

Elles ont été une étape sur le chemin de tous ceux qui les ont reçues ; une étape qui a permis à chaque groupe de faire un retour en arrière sur son expérience, sur chaque projet de son histoire, ce qui peut faire mal jusqu’aux os, ce qui se tente jour après jour, ce qui fait pleurer et rire, rêver et espérer. Repenser à la profondeur des récits de chacun et chacune m’émeut encore, car chaque parole, chaque concept représentait l’essence de la vie. Sincère, la visite a réaffirmé l’engagement de chacun, fait renaître une vocation et une manière de vivre particulière où celui qui compte, c’est l‘autre et sa peine que nous partageons avec lui.

Chaque communauté nous a ouvert ses portes et les livres de son histoire, une histoire vivante à laquelle Audrey, Kelly, Raphaëlle et Sanae sont venues se greffer depuis le conceptuel au spirituel, depuis le théorique au très pratique, avec amour, empathie et attention. Elles nous ont tout donné : enthousiasme et respect, estime et amitié.

Assurément, leurs voix, leurs regards et leur passage dans nos vies ont marqué ce temps que nous avons partagé. Cela nous donne beaucoup d’espoir de savoir que nous ne sommes pas les seuls à œuvrer pour l’inclusion, pour un futur plus juste où les enfants et les jeunes clament haut et fort des valeurs, pour une humanité plus tolérante et à l’écoute, où la Justice et la Paix font partie intégrante de l’air qui nous entoure.

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Sur le plan personnel, elles sont arrivées à un moment particulier de ma vie, et il est clair que leur visite m’a permis de développer une vision plus complète de ce qui touche l’humanité et de comprendre qu’il y a plus de choses qui unissent l’Amérique Latine à la France que de choses qui nous séparent, que dans ces deux zones la vie a encore des lumières et beaucoup d’ombres et que c’est pour cela qu’il est plus facile de tenter d’éclairer ensemble nos chemins d’espérance et d’inclusion.

Je pense que ce lien va encore plus s’accentuer puisque nous nous donnons l’opportunité de générer des actions en commun auxquelles beaucoup de personnes s’ajoutent, chacun partageant son histoire, et partageant les bonnes pratiques expérimentées par chaque groupe comme une stratégie qui permettra de s’équiper d’outils pour semer et labourer une nouvelle vie, pour construire l’Être Collectif et de nouvelles Routes contre l’Exclusion.

Marcelo Villavicencio; pour la Fondation Educación para la Paz

Journée de l'enfant. Marcelo Villavicencio, Laila Karmass, Sanae Karmass, Kelly Gène, Audrey Nicolas, Raphaëlle Pallarès et le Maire de Las Vertientes

Las Vertientes, Cordoba, Buenos Aires

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L’éducationpopulairedanslesquartierspériphériquesdeBuenosAires

Marcelo Villavicencio, notre partenaire de la Fondation Educación para la Paz (Peace Education Foundation), nous a offert l’opportunité de découvrir les mille et un projets développés et disséminés à travers les différents quartiers de Moreno et José C. Paz, deux quartiers pauvres situés à la limite nord-ouest du Grand Buenos Aires avec la Province de Buenos Aires. Ici, le mot « populaire » prend tout son sens. Les initiatives ne fleurissent pas d’une envie individuelle de développer un projet personnel, mais surviennent plutôt inopinément, d’un besoin urgent ou qui est resté sans réponse depuis trop longtemps. C’est ainsi qu’une action spontanée, isolée et non planifiée devient petit à petit et sans s’en rendre compte une action suivie, régulière, impliquant plus de volontaires, répondant à plus de besoins, pour un plus grand nombre de gens. L’effet boule de neige continue son chemin, le sentiment de responsabilité envers les autres fait que ces actions se convertissent en véritables projets qui durent sur le long terme, et qui, de part leur envergure croissante, nécessitent d’être posés sur le papier de manière structurée afin de pouvoir prendre une forme légale (association civile) et solliciter des ressources ou des fonds auprès de la municipalité, généralement. Il s’agit là d’une véritable entraide qui prend forme entre voisins, sans même que ce mot soit prononcé. Pour répondre au mieux à leurs nouvelles responsabilités, des personnes non spécialisées se spécialisent sur le tas. Si elles remarquent l’apparition d’autres manques, le simple fait d’en faire mention autour d’elles au cours de conversations quotidiennes va permettre au bouche à oreille de faire son travail et

d’amener de nouveaux volontaires, mieux formés ou plus expérimentés, aptes à couvrir ces manques. C’est par exemple le cas de cette mère de cinq enfants, Ana, qui a commencé en proposant le goûter aux amis de son fils, un jour après avoir joué au foot, et qui aujourd’hui, cinq ans après, s’occupe d’un « merendero », petite cabane en bois d’une pièce qui accueille deux fois par jour du lundi au vendredi plus de 50 enfants de 5 à 14 ans. Elle leur offre non seulement le goûter que leurs familles n’ont pas la possibilité de leur donner, à base de lait, « mate cocido » et biscuits, mais aussi du soutien scolaire et des ateliers de dessin. Dans ce quartier, elle est devenue la personne de référence pour les assistantes sociales, qui viennent de l’extérieur et connaissent moins bien les enfants et leurs familles. Ana et les autres volontaires qui l’aident actuellement dans ce labeur, servent notamment de relais pour les habitants du quartier lors des campagnes de vaccination. Le nombre croissant d’enfants dont il faut s’occuper a poussé Anna à demander à la municipalité plus de ressources, mais les démarches administratives sont un véritable obstacle, les délais d’attente sont de plusieurs mois voire plusieurs années… En attendant, Ana doit continuer et trouver des solutions alternatives sur place, encore une fois avec l’aide efficace de personnes qui vivent à proximité. Quelques fois, les initiatives surgissent de personnes déjà formées et impliquées dans l’éducation, qui, en dehors de leur travail rémunéré, dédient énormément de leur temps libre et d’efforts pour couvrir ces besoins qui ne sont que très peu pris en

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charge par les services et les structures publiques. Pour ces personnes, vie personnelle et vie professionnelle se confondent et elles ne finissent jamais de travailler. C’est le cas de Vicky, directrice d’école, mère de sept enfants, grand-mère, et créatrice d’une bibliothèque populaire à l’intérieure même de sa propre maison. Cette éducation populaire qui vient du peuple, est donc possible presque uniquement grâce à la solidarité spontanée de nombreuses personnes qui vivent au sein de ces quartiers pauvres tels que Cuartel Quinto, Presidente Derqui et bien d’autres et qui veulent réagir à leur échelle face aux innombrables problèmes qui s’y accumulent : dénutrition, trafic de drogue, consommation de drogues, maladies liées à des conditions de vie inacceptables (eaux stagnantes, absence de ramassage des poubelles, etc.), violences, chômage, et plus encore. L’éducation populaire ne fonctionnerait pas sans ce système de réseau invisible qui permet de connecter les personnes qui sont nécessaires simplement en raison de leur force de

volonté et leur force de caractère. Il s’agit bien d’une éducation du peuple, pour le peuple et par le peuple. Elle comble les carences du système éducatif formel autant pour les enfants que pour les adultes tout en unissant les personnes, donnant de la vie et redonnant de l’espoir dans ces zones oubliées du gouvernement. Cependant, malgré tous les efforts, les actions et les résultats positifs ici et ailleurs, les inégalités et l’étendue de la problématique sont telles que l’on se demande combien de temps et combien d’autres projets similaires à ceux déjà existants seraient nécessaires pour changer la donne et pour que chaque habitant de ces quartiers puissent vivre, grandir et travailler dignement. La réponse à cette question réside certainement dans la mise en place efficace d’une synergie des efforts (déployés ou à déployer) du peuple, des ONG et des gouvernements. Audrey Nicolas

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LabibliothèquepopulairedeVickyNagelNous avons rencontré Vicky chez elle, dans un quartier de Moreno (barrio Sancho, Cuartel Quinto). Elle était dans sa cour, en pleine session de discussion sur la sexualité et la prévention du SIDA avec des adolescents des environs et ses propres enfants (elle en a sept !) Les plus jeunes étaient installés devant un dessin-animé à l’intérieur de la maison. Le

surnom de Vicky dans le quartier est la « Pachamama », parce qu’elle est considérée comme étant à l’origine de toutes les actions « sociales » menées pour la communauté ces dernières décennies, soit parce qu’elle les a elle-même initiées, soit parce qu’elle les a inspirées.

La maison de Vicky abrite la bibliothèque populaire qu’elle a créée, et est un véritable lieu de vie pour les jeunes de la communauté qui peuvent s’y retrouver pour lire, pour étudier, ou tout simplement pour discuter.

Le principe est simple : offrir un accès aux livres à des jeunes pour qui cet accès n’est pas forcément évident, leur permettre d’avoir un endroit où ils se sentent bien pour pouvoir étudier. Et, comme beaucoup d’initiatives issues de la société civile, cela marche, la maison de Vicky ne désemplit pas ! La bibliothèque populaire est bien plus qu’une simple pièce recouverte d’étagères de livres, elle est un point de rendez-vous pour les habitants de ces quartiers difficiles, qui savent qu’ils peuvent aussi venir y trouver un conseil, une oreille attentive, ou un soutien.

L’exemple de Vicky représente l’éducation populaire dans ce qu’elle a de plus intéressant : réunir la communauté – toute la communauté – autour de projets communs auxquels chacun peut participer selon ses envies, ses capacités et son temps libre. Inclure la communauté dans la réflexion, la mise en place et la continuité du projet est le meilleur moyen de s’assurer qu’il fonctionne, et ici en Argentine on ne perd pas son temps à se demander si on aura suffisamment de fonds, s’il ne serait pas mieux de laisser faire les pouvoirs publics, ou si on ne va pas perdre son temps et son énergie : on fait, et la plupart du temps cela fonctionne.

Vicky est aussi à l’origine des ateliers de jardin partagé, qui réunissent les parents et les enfants qui cultivent ainsi leurs propres fruits et légumes et organisent des ateliers de nutrition. Il y a aussi les ateliers de dessins, auxquels un enfant ne peut pas participer s’il n’est pas accompagné d’un membre adulte de sa famille. Ces ateliers favorisent ainsi le rapprochement des familles, dans un esprit de partage.

La philosophie de Vicky est de mettre en valeur le positif et de valoriser les succès des personnes plutôt que de se focaliser sur les événements négatifs (pourtant bien présents dans ces quartiers) et de ressasser ce qui ne va pas. Elle organise donc régulièrement des cérémonies de remises de prix afin de mettre en lumière les actions positives menées au sein

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du quartier. Il peut s’agir d’un succès dans les études, de la réussite d’un projet, ou tout simplement de célébrer le talent d’un des habitants (dans la musique par exemple).

L’autre force de Vicky est de compenser les manquements des services publics et de l’Etat dans ces quartiers par une mise en commun et un partage des compétences de chacun. Depuis des années, elle organise des formations pour donner aux habitants les clés pour s’entraider et être capables d’apporter de réelles solutions aux problèmes de la communauté. Elle a par exemple convaincu des médecins et des infirmières de faire du porte à porte pour apporter leur aide aux gens et sortir un peu de leur cabinet et elle a proposé un atelier aux femmes du quartier pour qu’elles puissent être à même d’apporter un réel soutien à celles qui sont victimes de violence, soutien que la Police ne peut ou ne veut pas assurer. Le constat est simple : qui d’autres que les gens du quartier pour aider les gens du quartier ?

Ainsi, ces quartiers, que les pouvoirs publics ont désertés depuis bien longtemps, retrouvent de la vie et de l’espoir, et la communauté toute entière se mobilise pour tenter de pallier à ce manque. Elle en sort renforcée, plus soudée.

L’éducation populaire fonctionne par contagion : dès lors qu’on se rend compte qu’il est possible de mener des actions efficaces avec pas grand-chose, en comptant seulement sur l’entraide et la mise en commun des compétences, l’enthousiasme et l’énergie ainsi générés se transmettent et gagnent du terrain. C’est ainsi que naissent d’autres projets, qui donneront à leur tour naissance à d’autres projets, et ainsi de suite, le processus est enclenché.

Dans son quartier, Vicky a été le point de départ de cette dynamique, mais l’Argentine compte bien d’autres Vicky, qui consacrent leur quotidien à créer du lien entre les personnes, créer de l’espoir là où il n’y en a pas.

Raphaëlle Pallarès

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LesbidonvillesduGrandBuenosAires

Panorama d'un bidonville de Moreno, Grand Buenos Aires. Photo: Mauro Ferrada Leiva 

Au cours de ces dernières années, dans le Grand Buenos Aires, périphérie de plusieurs dizaines de kilomètres autour de la capitale, des centaines de zones d'habitation précaire se sont construites. On ignore leur nombre exact, mais durant ces dix dernières années on en a comptabilisé plus de 1000.  

Ces bidonvilles qui n'apparaissent sur aucun document officiel se caractérisent par la prolifération d'habitats précaires. Ces habitations sont de petites pièces dont les murs et les toits sont faits de bois, de cartons, de zinc ou contre-plaqué, qui ne sont raccordés à aucun service de base : ni tout-à-l’égout, ni gaz naturel, ni électricité ni même eau potable. Officiellement, les premières habitations précaires de ce type sont recensées vers les années 1930, avec l'arrivée de flux de personnes qui venaient y travailler depuis l'intérieur du pays, mais on ne sait pas avec certitude s'il en existait avant. Cela dit, ce dont on est sûr c'est que depuis ils ont proliféré au cœur de la capitale et dans ses périphéries, formant ainsi des ceintures de « lotissements d'urgence". D'ailleurs, la première décennie du XXIe siècle a vu l'expansion de ces zones augmenter de 55,6 %, alors que le PIB national augmentait seulement d’entre 8 et 9 % par an. Les bidonvilles situés sur les zones stratégiques d'accès à la capitale ou dans le centre de la capitale s'appellent "villas", et en temps de crises, elles ont été rebaptisées "villas miserias" (bidonvilles de misère), en raison de la pauvreté.  

Le travail de notre association En Route Contre l'Exclusion nous a menées à ces zones d'indigence, d'exclusion sociale, où, malgré le manque de ressources, la pauvreté, la marginalité, l'exclusion, la violence et les drogues, les gens continuent à tisser du lien social grâce auquel le rassemblement de quelques personnes entraîne des transformations sociales viables qui constituent simplement et clairement des leviers pour le développement humain. 

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Au sein de cette ceinture périphérique, nous avons parcouru les bidonvilles de Moreno, José Clemente Paz et Presidente Derqui. Après la phase terrain du projet, je peux à présent nommer les caractéristiques communes de ces zones d'habitation, mais je ne sais pas les distinguer. Deux jours avant notre départ définitif du Grand Buenos Aires, nous avons fait un dernier tour dans ces bidonvilles avec Marcelo Villavicencio, notre partenaire local, et Mauro Ferrada Leiva, le photographe de notre projet, c'est alors que j'ai eu envie d'écrire un article plus descriptif qu'informatif sur le sujet. 

L'accumulation de pauvreté pourrait s'avérer choquante pour n'importe quel touriste, mais il ne s'agit pas d'une pauvreté passive. Au vu des maisons habitées, on remarque que leurs habitants sont actifs, qu'ils construisent quelque chose, qu'ils prennent la responsabilité de leur futur. Les différents quartiers se délimitent de manière plus ou moins nette. Certains se distinguent par une délimitation géographique, un fossé ou un espace non construit de quelques mètres entre deux quartiers, d'autres se caractérisent par un panneau portant le nom du bidonville, il peut s'agir d'un nom en lien avec les familles qui sont venues s'y installer, par exemple le panneau "Asunción" fait probablement référence au Paraguay, ou "Bienvenue au 8 décembre" rappelle peut-être la date d'arrivée de ses habitants. 

J'ai vu la construction du second étage de deux maisons, des maisons avec potagers, des maisons-boutiques avec leur écriteau "je vends des boissons fraîches", "je vends du bois", et des maisons de services avec leur écriteau "petite réparation mécanique" ou "je lave le linge". La vie ne manque pas. Les vêtements d'enfants et d'adultes en train de sécher dans les cours et les jardins rendent le lieu intime, les enfants qui jouent sur les terrains de foot lui confèrent espoir et allégresse. Les enfants sont-ils les seuls à pouvoir vivre ces injustices sociales sans pour autant cesser de profiter de la vie ? Je ne sais pas, mais j'ai encore à l'esprit l'image de cet enfant innocent qui tape dans le ballon et fixe la cage les yeux grands ouverts comme pour l'y guider. Un détail burlesque au milieu de ce paysage plein de vulgarité : un terrain de football délimité par les détritus, situé au premier plan d'une rangée de petites habitations quasi-identiques édifiées de part et d'autres de chemins tracés par l'arrivée, puis les allers et venues des voisins illégaux. 

Même les animaux portent les marques de ces conditions de vie. Chiens, chevaux, poules et cochons errent dans les "rues", à la recherche de quelques aliments, leur désespoir ne laisse pas indifférent. On s'arrête à un croisement pour observer l'étendue du bidonville, on discute un peu, et c'est alors que j'ai compris. J'ai compris que ce qu'il manque, c'est la terre. Ça m'a pris deux semaines pour m'en rendre compte. Peut-être parce que juste après mon arrivée, j'ai voyagé de la capitale de Buenos Aires à la ville de Río Cuarto (province de Córdoba), et je me suis étonnée des distances, de la nature et de la quantité de terres inoccupées que j'ai vu en chemin. Je suis descendue du bus convaincue que s’il y avait une chose qui ne manquait pas en Argentine, c'était la terre. Cependant, en retournant dans un bidonville et en voyant de tout côté la prolifération de ces petites maisons, la façon dont certaines s'agrandissent plus en hauteur qu'en largeur, j'ai clairement réalisé que l'espace, l'accès à la terre, était un problème. Ce n'était pas tant par le "danger" à être ici, ou l'indifférence générale face à la pauvreté (chemins inondés et en piteux état, animaux affamés, maisons de taille ridicule sans isolation, nuages de poussière...) que j'étais incommodée, mais par la sensation d'espace réduit et exigü.

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À gauche, à droite, de part et d'autre on ne voit que maisons, petites échoppes ou parcelles qui, si elles ne sont pas déjà occupées sont en voie de l'être. En levant la tête, on voit linge étendu et écriteaux, et si on regarde devant, on se trouve face aux enfilades de poubelles qui forment les trottoirs et accompagnent les piétons jusqu'à leur destination tels des gardes du corps.  

Nombreuses sont les personnes qui m'ont dit que les bidonvilles sont remplies de Paraguayens et de Boliviens, de personnes qui "font le travail que les Argentins ne veulent pas faire" et qui sont "attirées par les conditions économiques et les services sociaux du pays". Mais selon les statistiques rencontrées, 68 % des habitants de ces bidonvilles sont Argentins. Parmi eux, 19,5 % de la province de Chaco, 16,2 % de Santiago del Estero, 15,6 % de Corrientes, 11,7 % de Tucumán et 11,1 % de Misiones. Ensuite, viennent 21,9 % d'immigrants de l'extérieur du pays, la plupart Paraguayens (55,3 %), Boliviens (32,5 %), Uruguayens et Chiliens (5,9 % chacun). Je ne suis pas restée suffisamment pour pouvoir parler de ceux qui vivent dans ces bidonvilles, mais j'ai senti cette culture du travail, l'envie de changer la situation, la dignité et l'orgueil d'avoir un toit. Cet orgueil se lit sur les énormes écriteaux plantés par les habitants à l'entrée de certains de ces bidonvilles, sur lesquels est écrit le nom de famille des propriétaires.  

L'occupation d'un terrain. Ici, l'écriteau indique l'arrivée de la famille Ibañez. Photo: Mauro Ferrada Leiva  

Kelly Gene  

Bibliographie http://www.taringa.net/posts/solidaridad/14214175/Informe-sobre-las-villas-miserias-en-Buenos-Aires-Parte-I.htm 

http://www.mediopublico.com.ar/entregan-creditos-para-barrios-pobres/ 

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L’orchestredejeunes,quandl’éducationnonformelles’inviteàl’école

Depuis trois ans, un orchestre de jeunes existe au sein de l’école primaire Santa Ana et au collège ICC (Institut Cardenal Copello), tous deux situés en plein dans le quartier Presidente Derqui. Cet orchestre à visée sociale, baptisé “Ecole-Orchestre pour enfants et jeunes Beata Madre Rosa Gattorno”, fonctionne, à sa propre échelle, un peu à la manière de l’orchestre symphonique de la jeunesse vénézuélienne Simón Bolívar de Gustavo Dudamel, et du “Système” de José Antonio Abreu1. Dans cette

école privée, des jeunes issus des classes moyenne et basse se côtoient quotidiennement. Cette cohabitation permet à chacun d’être témoin et d’expérimenter dès l’enfance la réalité hétérogène de la vie. Cependant, cela n’empêche pas la persistance d’inégalités sociales et d’inégalités d’opportunités, cela n’empêche pas non plus que les résultats scolaires des uns soient plus mauvais que ceux des autres, ni que certains élèves soient mis à l’écart des autres, manquent de confiance en eux, aient des problèmes d’adaptation ou soient victimes de harcèlement scolaire.

Face à ce constat et à bien d’autres est apparue l’idée de monter un orchestre de jeunes directement au sein de l’école pour les jeunes qui en manifestaient l’envie et le besoin, et non pour les jeunes les plus “méritants” au vue de leurs résultats scolaires. L’idée a été lancée par Mme Núria et Angel Mahler, principaux soutiens du projet: Mme Núria a joué un rôle clé pour que cette idée devienne réalité et dans la coordination, tandis que M. Mahler, grand producteur et musicien argentin, s’est chargé de motiver les jeunes. Ainsi, des enquêtes ont été réalisées parmi les élèves pour connaître leurs intérêts et leurs activités à l’extérieur de l’école. Les premiers volontaires ont été sélectionnés à partir de cette analyse. Marcelo Villavicencio a apporté son soutien pour la réalisation de cette idée, se proposant comme médiateur et relais entre les personnes devant être impliquées. Ensemble, ils se sont chargés de trouver les professeurs et les instruments de musique nécessaires. A la suite de ce travail préparatoire, l’ICC a prêté une salle où l’orchestre pourrait se réunir et répéter. Chaque élève a choisi son instrument (depuis le violon jusqu’à la contrebasse en passant par les percussions), selon son envie. Au début, ils n’étaient que quelques uns, et au fur et à mesure que l’année passait et qu’ils avançaient dans leur pratique, ils ont demandé à leurs professeurs plus d’heures pour pouvoir s’entraîner. Après quelques mois, certains ont commencé à comprendre le fonctionnement de leur instrument, montrant leur intérêt pour cet

                                                            1 Pour plus d’informations: http://www.fesnojiv.gob.ve/; http://www.sjvsb.com/la-sinfonica-de-la-juventud-venezolana-simon-bolivar/

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apprentissage, prenant ce dernier très à cœur et y consacrant de plus en plus de temps, même si les instruments prêtés par l’orchestre devaient rester à l’intérieur de l’école pour en préserver l’état.

Au début de l’année suivante, de nouveaux étudiants ont rejoint l’orchestre, et ceux de l’année précédente sont passés dans le cours de niveau supérieur. Cette année, ils sont déjà 40 à assister aux cours, qui ont lieu deux fois par semaine minimum. La seule prétention de Marcelino Maldonado, directeur et professeur de guitare et de piano, est de faire de la musique avec eux et de le faire bien. Il ne veut pas exposer les enfants, et c’est pour cela qu’il refuse que leur orchestre fasse partie des orchestres de jeunes de l’Etat.2 C’est aussi pour cela qu’ils n’ont pour l’instant donné que deux représentations, relativement privées. La première a été organisée seulement quatre mois après le début du programme, pour la Fête de la Musique (cf. la photo).

Trois ans après son lancement, le bilan du projet est plus que positif, l’inclusion recherchée est en train d’arriver. Les enfants ont changé, ils ont de meilleurs résultats à l’école, comme par exemple en mathématiques grâce aux cours de langage musical, et ils ont moins de problèmes comportementaux ou dans leurs relations avec leurs camarades. Cet exemple est exceptionnel car il montre le pouvoir d’inclusion qu’a l’art, et

son pouvoir pour ouvrir des opportunités. Ces enfants montraient auparavant une confiance en eux très réduite, des difficultés d’apprentissage et dans leur relation avec les autres, et les directeurs de l’ICC ont vu leurs attentes dépassées, les jeunes sollicitant sans cesse leurs professeurs, et de plus en plus d’élèves souhaitant rejoindre l’orchestre. L’orchestre fonctionne très bien, et s’est déjà vu sollicité pour jouer dans des événements extérieurs à l’établissement.

Audrey Nicolas

                                                            2En Argentine aussi, le “Système” a été mis en place: http://www.sistemadeorquestas.org.ar/#!fesnojiv/cg6g Par exemple non loin de là, au conservatoire de Pilar, où enseigne également M. Maldonado, un programme visant à l’inclusion des jeunes ayant le moins d’opportunités existait, mais il est devenu plus “élitiste”, le nombre de participants s’est réduit et ils ne font plus beaucoup de représentations. 

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ParolesdefutursenseignantsAu cours de notre passage à Victoria (Entre Ríos, Argentine), nous rencontrons un groupe de futurs enseignants et initions un échange autour de notre expérience, de l’exclusion et du rôle du professeur et de tout individu en tant que promoteur d’inclusion. Voici quelques extraits de cet échange. Nelson : « Il me semble que la colonne vertébrale de l'exclusion, c'est la pauvreté […] Il se peut que l'exclusion existe aussi parce que les ressources sont mal distribuées. On se demande parfois pourquoi un pays aussi riche a encore ce taux de mortalité infantile […] et on continue à voir des bidonvilles qui se consolident, surtout autour de Rosario ou et même à Paraná. On se demande alors ce qui a pu se passer pour que ces personnes se soient encore retrouvées exclues du système, pour qu'elles n'aient accès à rien, et c'est ça le fondement de l'exclusion. Je crois que le défi pour nous, futurs enseignants, est là, nous nous devons, de travailler dans ces zones les plus exclues. » Florencia : « Quand on parle d'exclusion, pour moi, ça a à voir avec les discriminations et les questions sociales. On est soi-même celui qui exclut l'autre. L'aspect social me préoccupe davantage que l'aspect économique. Je veux dire qu'au-delà du fait que les ressources n'arrivent pas à tous de manière égalitaire, je trouve ça pire encore que les gens vivent à côté les uns des autres sans pour autant s'adresser un regard. On discrimine et on fait se sentir mal une personne qui se sent déjà discriminée par ailleurs…» Carolina : « Je suis à la fois professeur et élève […] On pourrait prendre l'exclusion à l'intérieur de la salle de classe où coexistent

différents contextes d'ordre économique et social. Dans cet espace, le professeur est chargé de donner aux élèves les outils pour que cette exclusion cesse. Il existe ici une contradiction, et on peut être d'accord ou pas avec les politiques éducatives, comme la dernière loi sur l'éducation qui parle de l'inclusion de l'élève et qui explique qu'il doit être autonome, être plus participatif, que le professeur doit être passif, avoir un rôle moins actif. Mais ce n'est pas encore évident. Il existe encore des lieux où, parmi le corps enseignant ou dans les salles de classe tout ceci fait défaut, où l'enseignant, sans le vouloir, inconsciemment ou de par sa formation, se sent comme le maître de la salle et bien souvent ne se rend pas compte qu'il exclut. Il exclut la pensée de l'élève, qui est aussi un être actif, capable de participer et pas uniquement de recevoir […] Je considère ainsi le rôle de l'enseignant, de la famille, de l'ensemble de la société. Je crois qu'on construit en équipe. » Verónica : « Je crois que l'exclusion est étroitement liée au système. Je pense que beaucoup de ressources font défaut pour qu'il n'y ait plus de personnes exclues. Cela ne touche pas uniquement les classes sociales les plus basses, les classes élevées sont aussi affectées. À l'école, les enfants s'excluent entre eux. Un enfant peut venir d'une famille avec un bon pouvoir d'achat, il peut suivre la dernière mode, mais pour le simple fait d'avoir une quelconque

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différence, on va toujours le lui faire remarquer, et on va le marginaliser pour ça. Je pense qu'il faut travailler là-dessus tous ensemble, en commençant par le foyer avant même de le traiter à l'école. L'école doit être avant tout la grande référence en termes d'inclusion. On parle beaucoup d'inclusion et on travaille beaucoup dessus, mais on manque énormément de ressources. J'ai travaillé dans de nombreuses zones présentant de fortes carences. Les enfants ont un niveau de vie tel que certains ne sont jamais allés au cinéma, ne savent pas ce qu'est une pièce de théâtre ou n'ont jamais vu de spectacles de marionnettes. Ils n'ont pas d'aspiration, ils s'auto-excluent. Ils ne disent pas "je veux agir", "je veux être musicien", parce qu'eux-mêmes s'en croient incapables. C'est pour cela que je crois que nous, en tant que responsables de leur éducation, nous devons trouver comment les motiver et leur montrer que tout est à la portée de tous et que l'on peut construire en partant d'autres bases. » Mónica : « Je suis professeur d'art plastique et de primaire. Il y a des phrases, des questions qui sortent de la bouche d'un enfant de 4 ou 5 ans qui me touchent particulièrement : "Je n'y arrive pas." "Pourquoi je n'arrive pas à faire ça ?" "Pourquoi ça ne marche pas avec moi ?" Et ce sont ces mêmes questions que nous nous posons souvent : « Pourquoi il n'y arrive pas ? […] Quelles sont les conséquences de tout ce qu'on reçoit, que font les médias qui nous informent ? » Ils nous inondent de choses négatives. On perd nos points forts. J'en parle souvent avec mes élèves. Je leur répète toujours que le dialogue et la communication nous aident à construire beaucoup de choses : l'analyse de situations, la réflexion. Il faut ainsi repérer ses points

forts, car nous avons tous des qualités. On est à-même de réussir beaucoup de choses, mais trop souvent on est submergés par toutes ces faiblesses, les nôtres et celles qu'on nous attribue, parce que les voies de communication, cette communication de masse, nous inculquent du négatif. On parle de la Convention des Droits de l'Enfant. L'enfant a aussi le droit de communiquer, et en tant que citoyens, on a tous le droit de communiquer, de s'exprimer et d'écouter. » Marrita : « Très souvent, on ne bénéficie pas des mêmes opportunités. C'est un travail qui commence au sein de la famille. Je suis enseignante de niveau initial, on travaille, depuis la maternelle la thématique de la non-exclusion. Bien souvent, les attitudes des enfants viennent de chez eux : "ne reste pas avec lui, ne traîne pas avec elle". Un simple regard, de simples gestes en disent long. Il serait bon que les parents aient la possibilité d'avoir l'esprit un peu plus ouvert, et qu'on puisse, entre tous, réaliser un travail positif et productif, car même si nous, au sein de l'école, nous faisons tout notre possible, cela reste dans le cadre de l'école et pas au-delà. Il faudrait un travail collaboratif. » Matías : « Je suis professeur d'anglais dans une école. Je crois que l'exclusion est le produit de tout un chacun, on a tous, à un moment donné, exclut quelqu'un d'une façon ou d'une autre. Je pense que l'exclusion se voit partout, tout le temps, et pas seulement à l'école. Mais il est vrai que l'école est le lieu où il faut y remédier, car l'école et la famille sont liées, ces deux institutions sont responsables de la formation de l'enfant, cette personne qui aura la charge d'en finir avec l'exclusion. Je peux essayer de changer quelques pratiques, par exemple. »

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Parolesd’enfants:C’estquoilapaix?A Rosario, en préparation de la Journée Internationale pour la Paix de l’ONU, nous profitons d’une visite à une école primaire pour demander aux enfants leur définition de la paix, certains ayant déjà été sensibilisés à la question par l’équipe locale de la Fondation Educación Para la Paz, via des ateliers de promotion de la paix et de résolution des conflits.

Luciano: “ne pas se battre” Candela: “aimer” Matías: “San Martín” Luis: “s’enlacer” Thiago: “partager” Melani: “se faire des bisous”        

Damaris: “aimer nos parents” Lautaro: “caresser” Johnny: “l’union” Thiago: “être solidaire” Dylan: “écouter” Mario: “ne pas cracher ”     

Jonatán: “ne pas voler” Kiara: “aider” Brandon: “ne pas dire de gros mots” Kiara: “qu’il n’y ait pas la guerre” Nicole: “faire un bisou à sa maman” Tamara: “ne pas se bousculer, ne pas casser les choses de ses camarades”  Aníbal: “ne pas se battre, devenir amis ” Brandon: “les mains ne servent pas à se battre mais à aider” Alejandra: “il ne faut pas enfreindre les règles de politesse” Brandon: “que nous soyons tous unis !” Santiago: “se respecter” Johnny: “aider les autres” Alejandra: “ne pas mettre des bâtons dans les roues” Thiago: “les adultes doivent prendre soin des petits et s’occuper des petits vieux” Alejandra: “ne pas tuer”

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ERCE accompagne les jeunes: le consortiumFranco‐argentin

Le projet « Contre l’Exclusion par l’Education » consistait en partie en une phase de travail pratique directement avec des jeunes vivant une situation de précarité et/ou d’exclusion, quelle qu’elle soit. Ainsi, en France et avant notre départ pour l’Argentine, nous avons commencé à travailler avec des jeunes de la ville de Villejuif (banlieue parisienne) sur le thème de l’exclusion. Ils ont réalisé un questionnaire destiné à mieux comprendre ce que les gens en

France, mais aussi en Argentine pensent de l’exclusion. Ce questionnaire a été distribué durant plusieurs événements de solidarité organisés par ces jeunes à Villejuif (tournoi sportif, journée handisport…), ainsi qu’aux jeunes rencontrés en Argentine, notamment à Presidente Derqui (Grand Buenos Aires) et pendant la Journée de l’Enfant. Nous avons également travaillé sur le même thème avec des jeunes de Presidente Derqui (Grand Buenos Aires), en nous réunissant dans un Centre Culturel. Ces jeunes avaient entre 13 et 30 ans, et, comme ils étaient membres de groupes divers et variés, certains se connaissaient et d’autres pas. Nous leur avons proposé de partager leur vision de l’exclusion et de leur situation personnelle à travers l’art, et plus particulièrement à travers une exposition photo et des séances du « théâtre de l’opprimé ». Des membres de groupes de jeunes engagés en politique, des musiciens indépendants, des skaters et des présentateurs de radios communautaires ont répondu présents pour proposer cette vision d’une même réalité. L’exposition photo leur a permis de réfléchir sur la signification pour eux de concepts tels que la paix, l’éducation, la démocratie ou la jeunesse, et sur la manière de les illustrer en prenant des exemples au sein même de leur propre ville. De façon libre, ils ont ensuite choisi quelles photos sélectionner pour témoigner de leur vie quotidienne, et ce qu’ils considéraient comme important de montrer. En parallèle, ils ont travaillé en petits groupes sur des situations d’exclusion dont ils ont été victimes et/ou témoins à un moment de leur vie, afin de voir de quelle manière les transcrire dans un contexte de théâtre pour les dénoncer, pour faire de la sensibilisation, pour ouvrir le débat de façon plus détendue sur des thèmes graves, et pour rechercher de possibles solutions (le théâtre de l’opprimé). Le résultat de ce travail a été extrêmement positif, très actif et porteur d’espoir. Ils se sont impliqués, chacun à son niveau, ont partagé sur des thèmes personnels et intimes, ils se sont complétés, écoutés, soutenus et ont montré une réelle envie de parler des thèmes choisis, de multiplier ce type d’initiatives, qu’ils n’avaient jamais pratiqué et qui était différent de ce qu’ils avaient l’habitude de faire.

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Cela a été très intéressant de voir les plus timides (souvent les plus jeunes), qui au début ne voulaient pas s’exposer ou raconter des choses personnelles à des inconnus, s’ouvrir petit à petit, prendre confiance en entendant les autres raconter leurs propres histoires, et comment ils ont finalement à leur tour pu partager leurs expériences en toute sérénité. Le temps dont nous disposions était court, les sessions parfois improvisées et

adaptées aux conditions extérieures, comme quand nous avons profité du Jour de l’Enfant pour présenter les scènes de théâtre-forum au Skatepark, mais les résultats positifs montrent bien tout ce qu’on peut obtenir en travaillant avec des jeunes partout dans le monde. Nous avons vu comment ils se sont approprié ce qu’ils ont appris pour ensuite le transmettre à d’autres via leur propre perception. Nous tenons aussi à les remercier de nous avoir accompagnées et soutenues pour d’autres parties du projet n’ayant rien à voir avec leurs sessions de travail. Nous les remercions également pour la manière dont ils se sont ouverts à nous et aux autres jeunes, et ont partagé les combats dans lesquels ils sont engagés au quotidien. Nous avons décidé de publier tout ce qui a été créé/vécu durant ces sessions sur internet, dans un groupe Facebook pour que chacun, Français comme Argentin, puisse en profiter.

Durant une des étapes de préparation de ce projet, nous avons été amenées à travailler, entre janvier et mars 2014, avec des jeunes d’origine marocaine et ghanéenne sur les mêmes thèmes et en utilisant à peu près les mêmes outils (nous y consacrons un article dans notre Mensuerce). Ce travail a été très enrichissant et a été une source d’inspiration pour l’élaboration des ateliers en France et en Argentine. Nous avons créé une présentation multimédia pour mieux illustrer ce processus (nous allons la partager durant les prochains événements auxquels nous participerons), et nous souhaiterions inviter quelques-uns de ces jeunes à notre Congrès de Jeunes.

En effet, l’idée pour l’année prochaine est que quelques jeunes issus de chacun de ces groupes avec lesquels nous avons travaillé se rencontrent afin de pouvoir travailler ensemble sur ces problématiques et voir comment ils peuvent adapter ce que les uns font avec ce que font les autres : il s’agirait d’un échange de bonnes pratiques et d’activités. En plus de ce partage, nous aimerions leur fournir plus d’outils pour leur faciliter la gestion de situations concrètes, depuis la gestion des relations humaines jusqu’à la promotion de projets de manière officielle ; parce que bien souvent ils ont les idées mais ne disposent pas forcément des moyens pour les mettre sur papier. L’idée, justement, c’est de proposer une formation de leaders, de semer des graines et de toucher d’autres jeunes de cette manière.

Audrey Nicolas

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Envoyez-nous vos témoignages, vos écrits et/ou réflexions à [email protected]. Nous les publierons dans notre Mensu-ERCE et/ou sur nos plateformes de sensibilisation. Ce que vous avez à dire nous intéresse, et c’est ensemble que nous lutterons contre les exclusions. Vous pouvez également nous inviter à assister et/ou à participer à des évènements de solidarité et de lutte contre les exclusions. Enfin, vous pouvez nous aider à gagner en visibilité en parlant de nous autour de vous et en nous suivant sur nos différentes plateformes.

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Rejoignez notre équipe : Pour devenir membre ou volontaire au sein d’ERCE il vous suffit de prendre connaissance de notre charte, de remplir le questionnaire bénévole et la fiche d’adhésion (disponibles sur notre site internet) et de nous renvoyer ces documents signés à notre courriel : [email protected]

Pour toutes demandes d’informations, n’hésitez pas à nous contacter : [email protected]

 

 

 

 

     

Rejoignez le Collectif Autres Climats ! En décembre 2015 aura lieu à Paris la prochaine conférence sur le Climat. Car ce n’est un scoop pour personne, le climat change et avec lui de nombreux déséquilibres économiques, sociaux, politiques, écologiques vont s’accentuer.

Autres Climats est un collectif d’associations et d’individus qui œuvre pour mettre en avant les initiatives citoyennes portées dans le monde entier et les projets de ceux qui se penchent chaque jour sur les changements sociaux, économiques, politiques, culturels etc. Le climat change, alors changeons tout ! Pour en savoir plus :

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