Méningite à Enterococcus faecalis au cours d’une anguillulose disséminée

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ePresse Med. 2006; 35: 64-6

© 2006, Masson, Parisen ligne sur/ on line on

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Méningite à Enterococcus faecalisau cours d’une anguillulose disséminée

Jean-Ralph Zahar1, Jacques Tankovic2, Émilie Catherinot1, Patrick Meshaka1, Gérard Nitenberg1

1. Service de réanimation polyvalente, Institut Gustave Roussy, Villejuif (94)2. Service de microbiologie, CHU Saint-Antoine, Paris (75)

Correspondance : Jean-Ralph Zahar, Service de microbiologie, virologie et hygiène, CHU Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75007 Paris.Tél. : 0144494962Fax : [email protected]

Reçu le 6 septembre 2004Accepté le 13 mai 2005

� Summary

Meningitis caused by Enterococcus faecalis during disseminated anguilluliasis

Introduction > Disseminated anguilluliasis is a serious disease requi-

ring early diagnosis and treatment. The occurrence of bacterial com-

plications, especially meningeal, is generally due to Gram-negative

bacteria from the gastrointestinal tract.

Case > A 52-year-old man from Guadeloupe, treated for T-lymphoma

during the previous year by polychemotherapy, was hospitalized for

meningitis. Culture of the cerebrospinal fluid and the bronchoalveo-

lar lavage both showed Enterococcus faecalis. Strongyloides sterco-

ralis were also found in the stool and bronchoalveolar lavage.

Outcome under treatment was favorable.

Discussion > This case reminds us of the usefulness of presumptive

routine ivermectin treatment for all patients exposed to any immu-

nosuppression treatment and ever having lived in a tropical area and

thus possibly infected by chronic but silent anguilluliasis, even in the

absence of parasitological certainty.

Zahar JR, Tankovic J, Catherinot É, Meshaka P, Nitenberg G.Méningite à Enterococcus faecalis au cours d’une anguillulosedisséminée. Presse Med. 2006; 35: 64-6 © 2006, Masson, Paris

� Résumé

Introduction > La gravité des anguilluloses disséminées nécessite un

diagnostic et un traitement précoces. La survenue de complications

bactériennes notamment méningées est généralement due à des

bactéries à Gram négatif d’origine digestive.

Observation > Un homme d’origine guadeloupéenne, âgé de 52 ans,

traité depuis 1 an par polychimiothérapie pour un lymphome T, a été

hospitalisé pour un syndrome méningé. La culture du liquide céphalo-

rachidien était positive à Enterococcus faecalis, mis en évidence aussi

dans le lavage bronchoalvéolaire. Des larves de Strongyloides ster-

coralis étaient trouvées à l’examen parasitologique des selles et au

lavage bronchoalvéolaire. L’évolution a été favorable sous traitement.

Discussion > Cette observation rappelle l’intérêt du recours au traite-

ment présomptif systématique par ivermectine de tout patient exposé

à un traitement immunosuppresseur et ayant séjourné dans son passé

en zone tropicale, susceptible d’être atteint d’une anguillulose chro-

nique muette même en l’absence de certitude parasitologique.

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Méningite à Enterococcus faecalis au cours d’une anguillulose disséminée

L’anguillulose est une nématodose intestinale caractéri-sée par le risque de dissémination et d’évolution maligne chezcertains patients immunodéprimés. Toutes les maladies et thé-rapeutiques responsables d’une baisse de l’immunité peuventaboutir chez le sujet parasité à une anguillulose disséminéemaligne. Nous rapportons un cas d’anguillulose disséminéeassociée à une méningite à Enterococcus faecalis chez un patientayantun lymphome T.

Observation

Un homme âgé de 52 ans, d’origine guadeloupéenne, pris encharge pour un lymphome T et infecté par le HTLV 1 a été hospi-talisé dans l’unité de réanimation pour asthénie, troubles de laconscience et fièvre. Ce patient était suivi depuis 1 an et traité parune polychimiothérapie comportant des corticoïdes, de la dauno-rubicine et du méthotrexate. La dernière cure avait été réalisée 1mois auparavant.L’examen clinique à l’admission révélait une distension abdomi-nale, des râles crépitants bilatéraux et un syndrome méningé. Lebilan biologique objectivait une neutropénie (polynucléaires neu-trophiles 500/mm3) associée à une éosinopénie. Le liquidecéphalo-rachidien était clair, avec 41 leucocytes/mm3, dont 70 %de lymphocytes, 20 % de polynucléaires et 10 % de monocytes.L’examen direct après coloration de Gram était négatif, la protéi-norachie était à 0,60 g/L et la glycorachie à 0,40 g/L. La tomo-densitométrie cérébrale ne mettait pas en évidence d’anomalienotable, alors que la résonance magnétique nucléaire cérébraleobjectivait une leucoencéphalopathie péri-ventriculaire bilatérale.La radiographie pulmonaire révélait une pneumopathie intersti-tielle bilatérale. Le lavage broncho alvéolaire (LBA) ramenait unliquide sanglant ininterprétable au plan cytologique. Vingt quatreheures après son admission, la culture du LBA permettait d’isolerde très nombreuses larves de Strongyloides stercoralis et des colo-nies d’Enterococcus faecalis (numération inférieure à 104 cfu/mL).La culture du liquide céphalo-rachidien était positive àEnterococcus faecalis. De façon concomitante, l’examen parasito-logique des selles confirmait la présence de larves d’anguillules.Le traitement a consisté en l’administration d’ivermectine à200 µg/kg/jour en monoprise quotidienne pendant 1 semaineassociée à de l’amoxicilline (300 mg/kg/jour) et à de la genta-micine (3 mg/kg/jour), sur une durée totale de 15 jours.L’évolution a été caractérisée par une amélioration de l’état cli-nique du patient, permettant sa sortie de l’unité 20 jours aprèsson admission. À ce terme, on notait la négativation de l’exa-men parasitologique des selles.

Discussion

L’anguillulose disséminée est une manifestation d’hyperviru-lence du parasite qui survient le plus souvent chez des patients

soumis à une immunodépression. Le mécanisme de ce phé-nomène reste à ce jour inexpliqué. Elle correspond à uneaggravation du cycle d’auto-infestation par une stimulation dela ponte des femelles, une stimulation de la production deslarves infestantes et le passage accru des larves dans la circu-lation sanguine. La dissémination se traduit par l’exacerbationdes signes digestifs et par l’apparition de complications intes-tinales (iléus paralytique, jéjunite nécrosante, colite ulcérative)et surtout de complications infectieuses extra-intestinales,habituellement pulmonaires, voire cardiaques, plus rarementméningées.Robinson et al. [1] ont suggéré une relation épidémiologiqueentre l’infection à HTLV 1 et l’anguillulose. De même, Plumelleet Édouard [2] ont noté en Martinique une fréquence plus élevéedes cas diagnostiqués chez les patients infectés par le HTLV 1comparativement aux patients infectés par le VIH. L’infection parle HTLV 1 semble être à l’origine d’une immunodépression quipermettrait à elle seule la survenue d’une prolifération parasi-taire [3-5]. Dans notre observation, le patient cumulait 2 autresfacteurs d’immunodépression: une prolifération lymphomateusede type T et une polychimiothérapie comportant une cortico-thérapie à haute dose (2 mg/kg/jour).Il est à noter la présence d’une atteinte pulmonaire et ménin-gée. La première est une complication classique qui est d’ailleurssouvent une cause de décès [6]. La seconde est connue maismoins fréquemment rapportée. La diffusion des larves dans lesystème nerveux central aboutit à une léthargie progressive,puis au coma et au décès. Les manifestations les plus fréquentessont à type d’encéphalite [7, 8], d’infarcissement et d’abcèscérébraux [9]. Une atteinte méningée comme dans notre obser-vation est en revanche le plus souvent en rapport avec l’asso-ciation d’une infection d’origine bactérienne. Les bactéries impli-quées sont habituellement d’origine intestinale et il s’agit le plussouvent de bacilles à Gram négatif appartenant à la famille desentérobactéries (en particulier Escherichia coli et Serratia mar-cescens). Beaucoup plus rarement, comme c’est le cas danscette observation, il peut s’agir de cocci à Gram positif là encored’origine intestinale.En plus du cas rapporté ici, nous avons trouvé 2 autres cas citésdans la littérature. Il s’agissait dans le premier cas d’une ménin-gite à Streptococcus bovis associée [10] à une hémorragie diges-tive révélant une pancolite sévère. L’hypothèse physiopatholo-gique évoquée par les auteurs était la translocation bactérienneau travers des lésions muqueuses du tube digestif. La deuxièmeobservation concernait un cas de méningite bactériémique àEnterococcus faecium [11].La physiopathologie de ces infections méningées restecontroversée. Plusieurs hypothèses sont évoquées : une dis-sémination à partir de microabcès de la paroi intestinale [12],une translocation d’origine digestive secondaire à uneatteinte inflammatoire, une adhérence des bactéries intesti-nales aux larves d’anguillule [13-15], enfin la co-infection

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elle-même. Le mécanisme physiopathologique le plus fré-quemment évoqué est celui d’une translocation bactériennesecondaire à une jéjunite ou une colite, ou tout simplementau passage de la larve à travers le tube digestif. Les vers enprovenance du tube digestif transporteraient sur leur cuticuledes germes d’origine intestinale responsables des complica-tions infectieuses spécifiques.Dans notre observation, il semble difficile d’évoquer une trans-location bactérienne en rapport avec une colite, dans la mesureoù le patient n’avait ni mucite ni autre manifestation digestive,à l’exception de l’iléus paralytique.

Le traitement de l’anguillulose disséminée a eu recours au thia-bendazole. Toutefois, du fait de la pancytopénie post-chimio-thérapie, nous avons préféré utiliser l’ivermectine qui a fait lapreuve d’une efficacité supérieure à l’albendazole [16]. En effet,l’activité de l’albendazole est variable, variant de 42 à 100 %selon les auteurs. Dans les anguilluloses graves, un traitementrépété par ivermectine d’au moins 2 à 3 jours consécutifs a étéutilisé [17]. Toutefois, du fait de la gravité de la symptomatolo-gie et au vu de la bonne tolérance, nous avions maintenu le trai-tement sur une durée totale d’une semaine avec une excellenteréponse clinique et parasitologique.

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16 Datry A, Hilmarsdottir I, Mayorga-Sagastume R,Lyagoubi M, Gaxotte P, Biligui S et al. Treatmentof Strongyloides stercoralis infection with iver-mectin compared with albendazole: results ofan open study of 60 cases. Trans R Soc TropMed Hyg. 1994; 88: 344-5.

17 Lyagoubi M, Datry A, Mayorga R, Brucker G,Hilmarsdottir I, Gaxotte P et al. Chronic persis-tent strongyloidiasis cured by ivermectin. TransR Soc Trop Med Hyg. 1992; 86: 541.