Mémoires de Lama -...

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Mémoires de Lama Lama à passu di vistiga Lama à passu di vistiga Jackie Peri-Emmanuelli ADECEM Mémoires de Lama

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Mémoires de LamaLama à passu di vistiga

Lama à passu di vistiga

Jackie Peri-Emmanuelli

ADECEM

Mémoiresde Lama

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Mémoires de LamaLama à passu di vistiga

Jackie Peri-Emmanuelli

ADECEM

CD audio1 Natalinu Massiani / Maschere è Carnavale2 Antoine Costa / Granu, in quatordeci…3 Hyacinthe Massiani / E biade di u Parsicu4 Félicie Luc / I dolci è Pasqua5 Rose-Marie Massiani / Spigullera6 Natalinu Massiani / Mele7 Paul Massiani / Vinu è vigna8 Toussaint Trojani / Zia Maria è Zia Maria Stella9 A.-Pierre Massiani / L’alive di Babbu10 Natalinu Massiani / L’elezzione di Lucianu11 Antoine Costa / Robba di campagna12 Santu Parsi / Mamma fragne per i Vincentelli13 Louis Beveraggi / L’orte14 Mimi Sammarcelli / Scarpi in una nuttata15 Marie Massiani / U russettu16 T. Trojani & A. Bastianelli / Chjesa è altru17 Rose-Marie Massiani / U pane18 Simon Baccelli / L’acelli di l’alivetu19 Ghjorghju Grimaldi / Sott’à l’alivi in u 42-4320 Paul Massiani / In tempu di guerra21 Félicie Luc / Pesciu è anguille22 Rose-Marie Massiani / Caffè23 Natalinu Massiani / Lama, terra d’alivetu24 Simon Baccelli / Pernice25 Antoine Costa / Sant’Antone26 L.-François Massiani / A caccia27 T. Trojani & A. Bastianelli / Mimi è u scambiu28 Natalinu Massiani / L’oliu di u Prigatoriu29 Antoine Costa / Fattoghje è pastori30 Natalinu Massiani / Scola

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avant-propos

Adossée à la montagne, dominant une vallée qui fut autrefois une mer d’oliviers, la commune de Lama s’est ouverte à la modernité en accueillant chaque été depuis vingt ans un festival du film internatio-nalement reconnu. C’est par là qu’elle est connue aujourd’hui, bien au-delà des limites de la Corse. Mais elle n’a pas oublié pour autant qu’elle a un riche passé.

Attesté en tant qu’habitat dès le début du xiiiE siècle 1, le ter-roir de Lama était en réalité peuplé et travaillé depuis des temps bien plus anciens comme l’attestent les toponymes et les fouilles archéolo-giques. Mais pas sous la forme qui est restée dans les mémoires, celle d’une terre d’oliviers. L’oliveraie de 35 000 oliviers que l’incendie du 27 août 1971 réduisit en cendres n’existait pas à la fin du xvE siècle. A. Franzini date la spécialisation oléicole de la Balagne du milieu du xvE siècle et pour Lama du xviE siècle. Avant cette date, l’Ostriconi, à l’image de la Balagne, et plus largement la Corse du nord-ouest, est avant tout une terre de céréales, de vignes et de pacages. Avec la pêche en mer et dans les étangs, ces productions alimentèrent, jusqu’au xviiiE siècle, un commerce régulier avec la Terre Ferme italienne.

Au xixE siècle, et jusqu’au milieu du xxE siècle, en revanche, la mémoire qu’on garde de Lama c’est celle d’une immense oliveraie, une des plus étendues et des plus prospères de France, celle d’un village densément peuplé et enfin celle d’une société fortement

1 Lama dans l’Ostriconi, pouvoirs et terroirs en Corse au Moyen Âge, A. Franzini, SAGEP, 1992.

© ADECEM, 2013Dépôt légal : décembre 2013

Isbn : 978-2-909984-12-4

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propos introductif

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. »

Marcel Proust

Lama a une histoire, une mémoire, une identité. Les travaux, au fil des siècles, ont façonné le paysage et lui ont donné son visage. Les savoir-faire, les idées, les croyances qui donnent sens à la vie, mais également les multiples liens qui unissent ou distinguent les fa-milles et les individus participent à sa singularité et à son élaboration conscientisée.

Cette histoire, cette mémoire, cette identité sont uniques. Elles méritent d’être préservées et transmises aux générations futures.

Recueillir les témoignages de ceux qui sont porteurs de cette mémoire collective, les mettre en forme et les conserver afin qu’ils soient accessibles dans de bonnes conditions tel fut l’objectif de cette collecte ethnographique. Avant de présenter le rendu ce collectage, il convient d’un mot de présenter le travail en lui-même. Il fut laborieux, ingrat parfois mais d’une manière générale mené dans un esprit convivial et de partage autour d’un café ou d’une pâtisserie. Être le sujet-objet d’une enquête est dérangeant en soi. L’être, en vue de publication ou de mise à disposition de lecteurs-auditeurs appartenant en premier lieu à la même communauté que soi, l’est plus encore. Dire, exposer sa vie, celle des siens, n’est plus un acte banal : il a besoin de réflexion et de distanciation. Les premières réunions laissaient présager une enquête rapide et simple à mener : « Des anciens ? On a en plusieurs et, ils parlent beaucoup ! » 1. La

1 « Vechji ? Ci n’hè parechji è ne dicenu affari ! »

stratifiée où grands propriétaires fonciers, paysans « vivant de leur bien », journaliers (et surtout journalières), travailleuses saisonnières, venues en bandes des pieve voisines ramasser les olives, se côtoient, s’observent, se jaugent et se jugent sans se mêler plus qu’il n’est nécessaire. Cette économie et cette structure sociale se sont effritées au fil des années qui ont suivi la première et surtout la seconde guerre mondiale.

C’est ce passé qu’on a voulu retenir, rassembler, conserver et transmettre. De là est né un projet de recherche ethnohistorique. Ce projet, le maire de Lama, Simon Baccelli, en a confié la réalisation à l’Association pour le développement des études corses et méditerra-néennes (A.D.E.C.E.M.). Il l’a présenté, l’a expliqué et l’a fait adop-ter par les habitants de la commune. Le financement en a été assuré par le programme européen LEADER porté par le pays de Balagne.

« Mémoires de Lama. » Le pluriel n’est pas anodin. C’est que chaque événement de ce passé, si proche et déjà menacé d’oubli a été vécu différemment par ceux qui composaient cette communauté villageoise. Hommes et femmes, jeunes et vieux avaient évidemment comme partout une approche différente des événements, des méca-nismes sociaux, des valeurs qui fondaient la vie en commun. Il faut donc les additionner pour avoir une vision complète de la réalité. Entre riches « sgio » et pauvres journaliers, les souvenirs recueillis sont si souvent contrastés qu’il faut les entendre dans leurs contra-dictions, les décrypter dans leurs silences pour atteindre à une vision plus objective : celle d’une société de classes que les limites étroites de la communauté villageoise pouvaient rendre, selon les cas, plus cruelle ou plus humaine.

Ce sont ces fils ténus de la mémoire que Jackie Peri-Emmanuelli a réussi à suivre tout au long d’une enquête patiente, minutieuse, faite d’écoute compréhensive. Ce sont ces mémoires vives, et parfois à vif, qu’elle a recueillies et transcrites. Le CD qui accompagne le livre restituera, dans la langue où elle a été enregistrée, la parole même des témoins qui lui ont confié leurs souvenirs.

Georges Ravis-Giordani

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loin à ce travail de collecte dont douze totalement extérieures à la communauté. Plus d’hommes que de femmes (29 pour 24). À ces témoins d’aujourd’hui s’ajoutent d’autres sources :

•Les archives municipales très obligeamment mises à notre disposition par le maire Simon Baccelli et toujours rendues disponibles à la consultation par Isabelle Geronimi.

•Les archives privées de Jean-Louis Ceccaldi. Merci à son épouse Louisette.

•L’ensemble des documents se rapportant à Lama sis aux Archives Départementales de la Haute-Corse 2.

•Des sources écrites, notamment le tapuscrit des mé-moires rédigées par un enfant de Lama, que l’on retrouvera sous la référence bibliographique : Souvenirs.

• Les enquêtes de 1984-2006 menées en Valle Rustie, Caccia, Ghjunsani, Nebbiu et Niolu par Jacqueline Emmanuelli.

Ce livre n’existerait pas sans le soutien financier de la Collec-tivité Territoriale de Corse et du FEADER à travers le programme européen LEADER et du GAL Balagne pour l’assistance technique 3. Le président Attilius Ceccaldi et ses collaboratrices furent tout au long de la recherche à l’écoute des problèmes rencontrés et de ses résultats. Il ne verrait pas le jour sans le soutien logistique et parti-cipatif de la municipalité de Lama dans son ensemble, de ses agents Isabelle, Étienne et Toussaint, des personnels de l’Office du Tou-risme et du Festival International du Film. Merci à toutes et tous.

Nous avons au moment de mettre sous presse une pensée émue et attristée pour ceux qui ne liront pas ce livre, leur livre. Merci à Jeannine pour ces quelques heures passées au pied de l’autel dans une communion de partage mémoriel et pour ses attentions qui lui

2 Archives Départementales de la Haute-Corse de la Haute-Corse, séries : 3Q14/21-42 ; 3Q14/58-64 ; 3Q14/70-106 ; 3Q14/131-136 ; 1026W84 ; 1026W94 ; 1026W212 ; 4U8/1-2 ; 3E4/242-252 ; 1Q166-172 ; E104/6-7 ; 2O136.

3 Cette recherche bénéficie d’un financement au titre du Programme de Développement Rural de la Corse et du Contrat de Projet État-Région Axe 4 LEADER-Réalisation d’études et de recherches historiques, ethnologiques et toponymiques.

réalité du terrain fut tout autre. L’accueil fut chaleureux partout mais la période choisie 1900-1960 gêna de nombreux témoins. C’était à la fois trop proche et trop lointain. La peur de remuer des souvenirs heureux ou douloureux, d’exposer une condition sociale différente, de révéler les appartenances politiques, des fâcheries ou des amitiés fortes, tout cela il fallait le passer au crible, juger de la pertinence de telle révélation ou de telle autre. Le temps de l’acceptation et de l’appropriation de la recherche menée n’est pas le temps comptable du fonctionnariat : c’est un temps plus long ou plus rapide selon l’âge et le sexe. Cerner l’enquêteur vint ensuite. « Vous voulez tout savoir, mais nous aussi on s’est renseigné ! » Être une femme, une femme du village d’en face, de celui des cueilleuses interrogea et interpella beaucoup, puis de moins en moins. On dépassa les balivernes initiales, sans intérêts et parfois mensongères juste assez pour juger des capacités, tant linguistiques que techniques, de celle qui les interrogeait, à peine excusées par un « C’est la règle du jeu ! » On parvint à des sollicitations plus pressantes sur ce que l’enquête révélait, ce qu’elle pourrait permettre de retrouver, de redécouvrir sur le village, sur la vie d’avant, d’avant le feu, d’avant la guerre mais aussi sur les relations intracommunautaires, sur les siens, sur soi.

Ce livre est un rendu partiel de ce que l’enquête a mis en lumière. Le matériau est trop riche pour tout aborder en détail ici. Les éléments présentés le sont sur le mode d’un focus et d’un éclairage posés çà et là. L’ordinaire, le banal, le connu n’est pas repris pour laisser la place à une parole plus libre et moins convenue des témoins et des informateurs. Sans eux point d’enquête. Ils sont natifs de Lama ou non, y vivent encore ou plus du tout, mais tous s’interrogent sur le devenir du village et de ses habitants à l’aune de leurs expériences et de leurs mémoires. Certains choisirent une parole ouverte et publique, d’autres une parole confidentielle et anonyme, d’autres encore un mixte des deux au cas par cas. Toutes leurs demandes furent et seront respectées. Merci à tous ceux qui ont permis par leurs témoignages directs, par les bribes ou pans de leurs souvenirs partagés de rendre à Lama une histoire récente, commune et diversifiée. Combien sont-ils ? Cinquante-trois personnes participèrent de près ou de

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envahissante présence, à tous ceux qui offrirent un objet, une carte, une photographie, un article de journal, une lettre, une anecdote, un élément de leur propre recherche, un renseignement ou l’accès à la généalogie qu’ils mirent tant de temps à élaborer pour aller plus loin et plus avant, pour débusquer le bon témoin, la bonne histoire ou le bel objet. Merci donc à Louis et Mimi Beveraggi, Julienne Coradini, Marianne Calvo, L.-François Massiani, Antoine-Pierre Massiani, Simon et Marthe Baccelli, Cécile de Bernardi, Tony et Louisette Ceccaldi, Pierre et Antoine Saturnini, Dominique et Toussaint Massiani, Palma Bertola, Cécile et Hubert Viarengo, Mathieu et Suzie Carta, Flora et Gibert Massiani, Jean Cerli, Antoine et Pierre Bastianelli, Angèle et Antoine Orticoni, Angèle et Madeleine Riccetti, Christian, Marithé et Pierre-Jean Costa, Jean-Louis Deveze, Noellie Mari, mais aussi à Jean-François, Jean, Carole, Marie-Paule, Isabelle, Tony, Paul-Antoine, Evelyne, Angèle, Joseph, Jean-Jean, Jean-François, Guy, Alexandre… et pardon pour un oubli éventuel et bien involontaire.

faisaient guetter mes départs tardifs de Lama. Merci à Mantina, dont la mémoire toujours présente accompagne les souvenirs de Paul. Merci à Natalinu qui, malade et diminué, se tenait toujours informé de l’avancement de l’enquête et de la rédaction ; sa patience, son hu-mour, son amicale sollicitude ponctuèrent sa volonté de transmettre lors de nos longues séances studieuses et chaleureuses. Ripusate in Pace.

Merci à Marie-Augustine (Marie de Youyou) Massiani, Lucie Obède, Félicie Luc, Rose-Marie Massiani, Mimi Sammarcelli : leurs témoignages sont d’autant plus précieux que les paroles féminines furent plus difficiles à libérer, bien loin des clichés, dans une pudeur et une mesure toujours préservées. D’autres nous ont parlé mais leur demande d’anonymat nous contraint à ne pas exposer ici l’étendue de leur contribution.

Merci à Antoine Costa, à Hyacinthe Massiani, Toussaint Trojani et à Paul Massiani qui rendirent cette collecte plaisante, chaleureuse, profonde et instructive. Antoine, toujours affable, courtois et prêt à rire ou à partager un repas en même temps que ses souvenirs nom-breux et divers, nous fit nous sentir ‘chez nous’ dans sa communauté. Les silences amusés, les yeux pétillants et l’attention précise portée sur les photographies par Youyou égalent de longs discours. La sa-gesse et l’extrême ouverture participative de Paul tout comme sa dis-ponibilité permettent de dépasser la récurrence pour entrer dans le singularisme d’une communauté. La distance tant physique qu’intel-lectuelle de Toussaint éclaira de manière toujours positive notre dé-marche, il partit à la redécouverte de son passé avec entrain et bonne humeur, s’offrant même à traduire pour nous l’enquête dite de l’An x.

Merci aux témoins extérieurs, hommes et femmes qui ont accepté de revenir sur un passé pas toujours plaisant et de le partager avec les Lamais dont certains méconnaissent leur contribution à la gestion tant économique que sociétale et la préservation de leur village immatériel. Merci donc à Thérèse, Mathilde, Marie, Dominique, Georges, Santu, Ghjuvan-Ghjaseppu, Dumenicone, ’Ntoinetta, Mimia, Louis, Marie-Antoinette…

Merci à tous ceux qui me reçurent, m’accueillirent, discutèrent, témoignèrent, à leurs enfants et petits-enfants qui supportèrent mon

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Lama et son espace

Da u Canale à Lama

Les voisins immédiatsPetralba, buciardi è ladri. Lama, umiciliaghji. Urtaca, traditori.4

Cette désignation intra-communautaire, ce postulat peu glorieux dont les habitants du Canale usent au sujet de leurs voisins exprime les sentiments anciens nés des querelles perpétuelles qui les opposèrent.

‘Menteurs et voleurs’ pour Petralba. Un enregistrement d’une Veghja paisana organisée par RCFM à Lama, reprend une joute verbale à fleurets à peine mouchetés qui revient sur ces appellations injurieuses. Une tension rémanente que l’on tente de dissimuler mais que révèlent assez bien les exclamations de plusieurs témoins : « Vous voulez les faire parler de Lama ? Cela ne les regarde pas Lama ! » ou « Vous parler de Lama avant ? Basta ! On a eu assez ! »

« Petralbinchi, Petralbinchi,Tutte e notte ne more vinti.Da lu vinti à lu vintunuCh’ell’ùn ne fermi più manc’unu 5 ! »

Les uns rasent, au plus tôt, ce que les autres tentent de préser-ver. Les troupeaux de Petralba empiètent sur les maigres pâturages d’estive lamais ou divaguent sur les propriétés in affitu, les querelles sont nombreuses et le juge de paix est très sollicité. Antoine Costa lève le voile par cette ritournelle sur un aspect des relations anciennes

4 « Petralba, menteurs et voleurs ! Lama, assassins ! Urtaca, traîtres ! » Antoine Costa précise Nuvellacci, sbacconi ! (Ceux de Novella, tout dans l’apparence).

5 « Petralbais, Petralbais, Toutes les nuits, vingt trépassent, De vingt à vingt et un, Qu’il n’en reste aucuns ! »

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i più poveri ! » Un contentieux ou un litige entre les puissants, une fois de plus, fut payé en plaies, sang et bosses par les petits. Quelle est la part de réel dans ce récit ? Difficile à dire, reste umiciliaghji. Une traduction locale de la toute-puissance 9 des Sgiò de Lama sur la contrée ? Une sorte de ‘Qui s’y frotte s’y pique’ à l’échelle de la pieve ? Nul ne sait. ‘Meurtriers’, ce ne peut être aux dires des Lamais que les mots « de ceux qui nous jalousent ». La désignation assassini dans son acception figurée pour méchants, durs, peu prodigues, cupides ou pingres aurait pu se justifier ainsi. Mais umicigliaghji fleure le sang, la mort, l’assassinat par intérêt et non la vindetta en réparation d’un honneur bafoué.

Que dire de ‘traîtres’ qualifiant les gens d’Urtaca ? Divers conflits, au xixE, pour la maîtrise des communaux firent s’inquiéter les Préfets, se déplacer les gendarmes d’Urtaca pour séparer les belligérants des deux villages, maires compris, réglant aux poings et aux bâtons les problèmes de dépaissance ou de glandée. « Ils nous ont volé Gargalagna ! » La chênaie et ses abords ont fait l’objet d’une longue bataille juridique mais pour une question de permanence d’occupation du territoire, de non-réclamations opportunes et de mise en culture, Lama fut déboutée de ses prétentions. Le ton des informateurs est dur quand il s’agit d’en parler même si on plaisante sur les vince organisées à l’Aghja à Pianu, après provocations depuis a Petra d’Urtaca, par la génération précédente. La chicane est ancienne et sérieuse. Il ne s’agit pas d’herbage mais de terres, de chênes et d’eau. Certains témoins d’ailleurs complètent la formule : simple mot ne peut suffire. « Urtacacci, traditori è ladri ! »

Usurpation et bien communauxLa gestion puis la répartition des communaux donnèrent lieu à

Lama comme ailleurs à des disputes, querelles et autres usurpations. Pour partie, la propriété se développe alors au détriment des biens communs.

9 « Lama è un paese anticu di guerrieri… E case so quasi tutte impiccicate e mi parenu una catena di forti nant’un spinu di cavallu » (Versini, et al., Ajaccio) Cité par A. Franzini, opus cité.

entre communautés voisines ayant des rapports étroits, en période de récoltes oléicoles surtout. Il se souvient et plaisante à propos des parties, parfois rudes, de vince 6 qui opposent dans les années 1930-40, les jeunes des deux villages à u ponte à i Lavigni. Une ‘Guerre des boutons’ à l’échelle du Canale ? Sans doute oui, les adultes se connaissent bien et s’opposent souvent pour des questions de di-vagations animales plus ou moins organisées. Les jeunes rejouent, à leur échelle, les tensions que leurs proches vivent parfois pour sous-traction d’herbages. Battre un Lamais, venger le père ou l’oncle une fois de plus condamné pour dommage de pacage sur Lama, et inver-sement, permet aux jeunes belligérants de recouvrer un statut social, une dignité. Aujourd’hui, les choses sont apaisées On se fréquente, travaille côte à côte et s’apprécie parfois.

Les gens de Lama ‘Assassins’ ? « Ils sont fiers et orgueilleux. Enclins à la science et surtout à la poésie… » peut-on lire sous la plume du Maire en l’An x à propos de ses concitoyens. Pourquoi ce mot saillant, assassins ou meurtriers, pour une communauté qui se vit aujourd’hui encore comme éduquée et policée ? « Je n’ai jamais entendu parler à table d’autre chose que de [poésie, littérature, arts et sciences] » ou bien « Ici, on fait de la musique 7 du théâtre, de la poésie, on connaît ses classiques et la société. » Ce discours cadre mal avec un peuple d’assassins. La Caccia nous proposa une possible explication. Il y eut dit-on dans un temps mal défini une inimitié forte entre deux Sgiò, l’un de Lama, l’autre d’Urtaca. Leur position ne leur permettait pas de s’affronter physiquement. Affidés et partisans lamais, galvanisés par des promesses mirifiques, décidèrent de se dissimuler et de molester les partisans adverses. On déplora « sette morti, o guasi 8 » chez ceux d’Urtaca. Tous ne moururent pas ce jour-là précise-t-on. « Ils ne s’entretuaient pas ! Facianu tumba à l’altri,

6 E vince : la lutte.

7 Il y eut jusqu’à soixante violonistes à Lama dit-on. Un ancien membre d’un orchestre classique renté à Lama à la retraite initia ses concitoyens à cet instrument. Les familles Cerli, Ceccaldi, Trojani, Suzzoni, Massiani… virent certains des leurs connaître un certain succès dans les bals, mariages et autres carnavals.

8 « Sept morts, ou presque. »

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naux. Le Conseil Préfectoral confirmera l’autorisation de plaider. Il est à noter qu’en 1835 Jean-Benoît Saturnini (maire) avait déjà reçu les mêmes autorisations à ester en justice contre les 38 usurpateurs 13 de biens communaux car « depuis longtemps plusieurs usurpations ont été commises par les habitants de la commune de Lama sur diffé-rentes propriétés communales »… Le vingt juillet 1853, suite à ce que le maire Bertola, dénonce comme des usurpations répétées et à des problèmes récurrents de mises en cultures et d’élargissements des propriétaires riveraines, il est acté en Conseil municipal un « partage définitif des biens communaux ». Le partage se fera par feux, « par chefs de famille, domiciliés dans la commune ». L’article 2 qui pré-voit que « Chaque copartageant sera assujetti au paiement en deux ou trois annuités d’une somme qui sera fixée ultérieurement, mais qui ne pourra jamais dépasser la valeur intrinsèque du lot au mo-ment du partage » se poursuit par une obligation de mise en culture sous peine de déchéance dans un délai relativement court de deux années. Une liste est établie mais très vite des problèmes surgissent : contestation par l’église à propos des biens de la Fabrique, suivie de l’intervention du juge de paix au sujet des plaintes nombreuses. Le reproche principal est le manque patent de publicité faite à ce partage par les voies habituelles (affichage, annonces par le crieur public). On se défend, on explique que les affiches apposées ont été aussitôt arrachées, que c’est la fille du maire elle-même qui le fit. Que l’on en a bien fait la publicité ordinaire avec appariteur. Les contradictions sont trop fortes et le préfet donne son aval pour une nouvelle procé-dure. On passe de 66 feux en 1853 à 81 le 24 avril 1854 sur un tableau plus lapidaire et sans autre mention que les noms ! Ces oublis, man-quements, ces entre-soi ressentis ou avérés laissent certains amers. Ils

13 À savoir : Franzini Philippe-Marie, Mercuri Simon-Paul, Olivari Jean-Baptiste, Massiani Jaques-Antoine, Venturini Marie, Massiani Jacques-Philippe, Monti Jean-Nicolas, Bonavita Antoine, Franzini Don Pierre, Massiani Paul Pierre, Massiani Antoine Pierre, Massiani Ponziano, Pietri François, Padovani Marcel, Massiani Sylvestre, Beveraggi Marie Grâce, Morelli Angeloniso, Massiani Sacramaria, Massiani Ponziano et frères, Massiani Antoine, Bonavita Jean Laurent, Massiani Jean Étienne et frères, Massiano Don Joseph et son frère, Rossi Ange Pierre, Leonetti Joseph, Morelli Dominique, Clementi François Marie, Viola Marie Antoinette, D’Aolio Nicolas, Ceccaldi Jean, Bonavita Ange Pierre, Massiani Jean Benoît, Beveraggi Antoine Pierre, Muzzi Nonce Marie, Bonelli Dominique, Beveraggi Ange, Molini Joseph Marie et Franzini Ange Mathieu.

En mai 1831, le conseil municipal précise l’administration des biens communaux. Chaque famille exerce un droit égal sur la dé-paissance et peut y entretenir un nombre de sept têtes de bétail, un petit nombre d’habitants ensemence sur les biens communaux dont la plus grande partie ne sert qu’à la dépaissance. La décision du jour concerne les pâturages : on refuse les demandes des pecuraghji 10 : à savoir la jouissance commune des pâturages privés et des commu-naux. On décide que ceux qui ont moins de bêtes que le nombre autorisé à pacager « pourront céder leur droit à ceux qui en auraient un plus grand nombre pourvu que ce ne soit pas des brebis, étant reconnu que ce bétail dévore plus de pâturage que les autres bes-tiaux » au motif « qu’un très petit nombre de propriétaires possède des brebis 11 ».

En 1839, le maire Saturnini se heurte à Urbain Massiani et aux frères Fabien et Paul-Baptiste Bertola au sujet de la jouissance de pièces de terre qui appartiennent à la commune et sur lesquelles elle a toujours exercé ses droits de propriétés. « Le sieur Massiani a enclavé dans son bien dit Salicastro une étendue de terre communale de dix bacinate environ dits Aja alla Pietra et Agri di Montagna Sottana. Les sieurs Bertola ont élargi leur bien dit Corvonello sur le bien commu-nal dit Poretta et ont enfermé une étendue de deux bacinate de terre dans leur enclos. » Les remontrances du maire et les menaces de tra-duction devant les tribunaux ne faisant pas renoncer les usurpateurs « avant de laisser écouler une année depuis le commencement de l’usurpation », le juge de Paix saisi par l’édile déboute la commune. Le conseil municipal 12 autorise l’appel de la décision et le prélève-ment des sommes nécessaires aux deux procès sur les fonds commu-

10 Percuraghju : berger ou propriétaire de brebis. On trouve capraghju pour les chèvres, vaccaghju pour les vaches ou purcaghju pour les porcs.

11 « Les brebis sont interdites de pacage en certaines saisons de l’année sur certains sites définis ; après cela est permis moyennant une certaine somme en faveur de la communauté. L’inso-lenza obstinée de certains bergers de et leurs mépris pour ce règlement ont fait bannir les chèvres à perpétuité de ce territoire » et « Il n’est pas possible, d’aucune façon de concilier l’existence de chèvres et les intérêts de l’agriculture… », Enquête de l’An X réponses 149 et 150.

12 Le 10 février 1839, en présence de M.M. Massiani Laurent, Franzini Paul-Antoine, Massiani Antoine, Massiani Don Joseph et Saturnini Maire.

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par un drame qui vit mourir, en 1944, deux paesani. Jean-François Angelofranchi, malvoyant et son jeune fils partirent rentrer le trou-peau dont le père avait la garde en estive. Ils ne retrouvèrent pas le chemin du stazzu dans le brouillard et leurs appels se perdirent dans le lointain. Les villageois prévenus les cherchèrent longtemps. On les découvrit sur l’autre versant. Un triste équipage s’organisa pour le rapatriement des corps vers le village. On prêta des draps afin de pré-server de cette vision la famille et la population qui attendait massée le convoi. Cette double perte humaine et la disparition d’un enfant, parti aider son père, résonnent encore dans le cœur des anciens : « Cette mort est cruelle, absurde et injuste ! » La communauté a payé un trop lourd tribut à la montagne. Cet événement tragique est aussi mal vécu de l’autre côté du Monte Astu. Les bergers santupetracci qui se trouvaient plus bas ne purent rien faire pour les aider. On prit alors garde aux changements de temps et le moindre signe de brouil-lard menaçant précipitait vers la vallée ou le stazzu des laboureurs ou des bergers traumatisés par le drame.

L’eauFuntana BonaIl est difficile de parler de l’eau à Lama sans que ne surgisse

l’emblématique Funtabona. Les sources écrites à son propos sont nombreuses et précises. On passe de simples réparations à des tra-vaux plus importants, victimes de lenteurs et tracasseries tant admi-nistratives que financières. Ces écrits livrent les positionnements des artisans, des maçons et les enjeux municipaux dans les modalités des transactions. Le 10 novembre 1840, le conseil municipal considère que « la fontaine principale de la commune est en mauvais état et qu’elle a besoin de réparations ». Dominique Baccelli, maître maçon s’oblige, en septembre 1841, à exécuter les travaux 14. « La fontaine principale de la commune, sise au lieu-dit Fontanabona ne pouvant pas pourvoir aux besoins des habitants pendant l’été, il est urgent

14 « 5 mètres cubes de murailles à reconstruire au-devant du réservoir » pour une somme de 50 F.

contestent à demi-mot, les acquisitions ou plutôt parlent d’accapara-tions des terres. Les questions à ce propos furent nombreuses « Vous allez parler de comment ils sont devenus propriétaires ? » ou encore « Untel, vous savez d’où ça vient tout ça ? » On sembla déçu parfois que l’enquête ne porte pas là-dessus et qu’elle se borne à une ethno-logie récente. « Si vous ne savez pas ça vous ne comprenez rien à ce qui se passe ici ! » C’est certes vrai. Mais, c’est davantage le propos d’une micro-storia qui est d’ailleurs en passe d’être menée, y compris par des Lamais.

Voir documents page 33

Muntagna et CampagnaLa montagne de Lama est aujourd’hui le site de randonnées pé-

destres nombreuses. Elle est sur la période qui nous occupe séparée en deux : A Muntagnola et A Muntagna, les témoins rarement usent des qualificatifs officiels de Suprana et Suttana. Au-delà de la simple dénomination il s’agit d’une délimitation d’occupations, de travaux, d’interdits ou non. Là se concentre l’essentiel de l’espace commu-nal. Il n’est pas, comme aujourd’hui, en libre parcours, il est admi-nistré, géré, assigné, affermé parfois. C’est un lieu de travail pour des semailles et des récoltes encore plus difficiles, une estive pour les bergers lamais, un pâturage, un territoire de chasse, un espace qui sans être hostile, souvent parcouru, peut être dangereux. C’est aussi un lieu de conflits, de disputes parfois avec les communautés voisines par manque d’eau ou d’herbage, une zone de refuge pour les maquisards qui convoient les armes depuis la plage de Saleccia ; les Italiens y mirent le feu persuadés de mieux contrôler le secteur. C’est un endroit où l’on ne va que si l’on a quelque chose à faire, pas en promenade. Le flux continu des randonneurs suscite parfois des sou-rires moqueurs : « Ils n’ont rien d’autre à faire que de marcher pour rien ? Avant on savait au moins pourquoi on y montait. » Tony Cec-caldi remarque avec justesse la défiance que la montagne provoquait chez ses aînés : son grand-père y craignait surtout le brouillard. Il faut savoir que la génération de Ghjuvan-Lurenzu se trouva choquée

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Nouveau retard car l’exercice comptable est clos et on se trouve dans l’obligation de demander un report des fonds sur l’année 1850. Près de dix années furent nécessaires à doter Lama d’une fontaine capable d’alimenter en eau les villageois. Entre réparations partielles et re-tards administratifs et financiers, l’eau de Funtana Bona fit au moins couler beaucoup d’encre avant de secourir utilement et, sans doute pour un temps, abondamment les habitants.

L’adduction d’eau« Actuellement les habitants sont alimentés uniquement par

une fontaine à débit très faible en été, tout à fait insuffisant pour suffire à l’agglomération de Lama. De plus, elle est située au fond d’un ravin à 400 mètres des habitations et se procurer de l’eau po-table devient pour ces populations une véritable corvée. » C’est la description que fait monsieur Maury en avril 1928 des conditions d’approvisionnement en eau potable. Ce travail de forçat dévolu aux femmes est souligné par les informatrices mais aussi par tous les hommes. Le village est marqué par son manque d’eau et s’impose la nécessité d’une adduction d’eau capable d’alléger la contrainte subie. Fin janvier 1932, Joseph Andreani, entrepreneur, s’engage à exécuter les travaux d’adduction d’eau de la commune de Lama pour un mon-tant estimatif des travaux de 121 000,00 f aux conditions et clauses du cahier des charges du projet établi par l’architecte Bonavita et déjà subventionné par le Pari Mutuel (délibération du Conseil mu-nicipal en date du 26 juillet 1931). Cette eau accessible même si elle n’est pas encore dans les maisons est fêtée par chaque quartier. Le Funtanacciu la célébra d’autant plus vivement que le maire Alexandre Suzzoni, mène à bout un projet initié par son prédécesseur Joseph Massiani. Chaque témoin selon son âge mais aussi selon sa sensi-bilité politique attribua la paternité de l’adduction d’eau et la créa-tion des fontaines : « L’acqua hè l’Enfant ! » s’opposant à « L’eau c’est Lisandru ! ». Le Suttanacciu se sentit délaissé et réclama à son tour une borne fontaine. Les travaux d’alimentation des maisons furent rapidement entrepris en 1934. Ils sont rondement menés mais une contrainte a été oubliée : Lama est construit sur une lame rocheuse.

d’y faire un réservoir avec une loge par-dessus, pour maintenir la fraîcheur de l’eau. »15 Le maire Saturnini demande et obtient le vote d’une somme de 299,70 f pour cet aménagement selon le devis pré-senté par Luiggi Cerli 16 le 8 novembre 1844. Les travaux devront être exécutés dans les trois mois à compter de l’approbation préfec-torale. Celle-ci interviendra le 24 janvier 1845. Rien n’est réglé. L’ou-verture d’une séance de l’assemblée municipale en juin 1849 se fait à propos de la nécessité de construire « une fontaine à réservoir indis-pensable aux besoins des habitants de la même commune, laquelle manque entièrement de l’eau nécessaire à boire et ne peut continuer à rester dans l’état actuel sans être exposée aux plus graves incon-vénients. » Les procédés d’attribution posent problème et dans un courrier adressé au Sous-Préfet de Bastia, par le receveur, on lit : « Il m’est impossible, de la manière dont ce document est rédigé, de se rendre un compte exact du détail et de l’estimation de la dépense. En effet je cherche vainement le métré des travaux, la quantité et le prix d’unité du matériau, le nombre et le prix des journées de main-d’œuvre et je remarque que le rédacteur du devis ne s’est préoccu-pé que du soin de former le chiffre de 300 frs, voté par l’assemblée municipale. » 17 Après nombre courriers, régularisation des devis et soumission du sieur Baccelli avec un aval en date 31 octobre 1849, les travaux sont enfin engagés car la commune 18 présente un solde dis-ponible de 773,21 f. Ils sont stoppés assez vite « faute de moyens fi-nanciers suffisants pour poursuivre du soumissionnaire ». Le 5 mars 1850, le maire Bertola se voit contraint de demander une autorisation « à mandater, en attendant, la moitié au moins de la somme votée ».

15 Délibération municipale, novembre 1844.

16 Dominique Baccelli s’engage et s’oblige pour la même somme et pour les mêmes travaux et devis en date du 22 novembre 1844.

17 Le 2 juin 1849, l’architecte Ange Bagni, après une visite sur site, signe un état estimatif des travaux se montant à 300 F « pour la construction d’une fontaine réservoir qui pût suffire aux besoins ». Joseph Baccelli déclare le 10 juin après avoir pris connaissance du devis et détail estimatif se soumettre entièrement « à l’exécution desdits travaux au prix convenus et arrêtés ».

18 Le receveur municipal certifie que le reliquat définitif de l’exercice 1848 est de 1 005,67 F auquel il faut déduire les sommes afférentes aux chemins vicinaux (232,46 F). L’ensemble des sources citées ici se trouvent aux Archives Départementales de la Haute-Corse (A.D.H.-C.)

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Les tranchées posent des soucis certains et les ruelles étroites rendent malcommode le creusement. L’entrepreneur obtiendra que le cahier des charges soit modifié. La profondeur d’un mètre d’enfouissement est impossible en ces endroits et les propriétaires refusent de voir ébranler leurs maisons dépourvues de fondations, par des mines et autres moyens lors des percements, aussi se bornera-t-on à un creu-sement faible et noiera-t-on la canalisation dans une gaine de ciment. Il y avait cependant dans le projet initial la réalisation d’un lavoir couvert sur la place de l’église. Il ne vit pas le jour car la subvention ne permettait pas ce genre d’ouvrage. Il ne reste aucune trace mémo-rielle de ce lavoir . Seul persiste le souvenir de celui qui était maçon-né sous la loge de Funtana Bona. La crue 19 augmentée par l’incendie commis par les troupes italiennes l’a balayé en même temps que la fontaine. La vie des femmes fut transformée par cette abondance d’eau. Sa juste répartition fut semble-t-il assez complexe à obtenir. Le Suttanacciu bénéficiait bien souvent d’une heure d’eau supplé-mentaire : la gravité avantageuse pour les uns fut ressentie comme préjudiciable par d’autres. « Ils en avaient toujours eux ! Et, pour nous c’était une heure seulement parfois ! Ils auraient pu faire au-trement. » D’aucuns usèrent parfois un peu abusivement des bornes fontaines, biens communs. Le garde champêtre remplit son office 20 et les arrêtés municipaux fleurirent.

Voir document ci-contre

L’andatiL’abbé Galletti écrivait : « Nous avons parcouru des villages et

des contrées dont les chemins sont encore à l’état primitif ; ce sont

19 Paul Massiani fut le témoin de cette crue. Muni d’un parapluie, il a rejoint sa mère au lavoir. Elle s’abrite sous la loghja avec Ziu Ghjiseppu l’Enfant et Zia Anghjula-Ghjuvanna. La pluie redouble et il réussit à les convaincre de quitter la loge pour rentrer au village avant que la crue ne balaie et recouvre la fontaine.

20 « Pour avoir donné un jet continu au robinet de la fontaine de la place commune de Lama par le né Costa Antoine âgé de 15 ans, fils de Costa Pierre-Jean sur la déclaration de M. Suzzoni Alexandre, maire de Lama contrairement à l’arrêté municipal du 24 juillet 1933 concernant la police des eaux », 7 septembre 1936.

Arrêté à propos de l’eau (1902)

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présents au village durant la dernière guerre. En 1920, Antoine-Pierre Massiani, « ne possédant plus de mule et son cabriolet étant tout à fait hors d’état de servir »,25 demande le dégrèvement total de la taxe sur les voitures et chevaux 26.

Longtemps, les cars Costa, 27 Agostini et Garsi (Petralba) ou Gaspari (Urtaca), menèrent les Lamais à Bastia ou ramenèrent en vil-légiature ceux qui faisaient le voyage depuis le continent. La conduite était problématique entre les ornières et les nids-de-poule. « Je ne sais comment s’y prenaient les Costa, mais on arrivait toujours à bon port et pourtant c’était quelque chose en ce temps-là de rejoindre la grand-route ! La descente depuis Santa Catalina était parfois compli-quée » confia Lucie Obède. Cependant, il arriva, après-guerre, que le taxi Mariani de Ponte-Leccia refuse de charger le moindre voyageur à destination de Lama tant l’entretien de la route laissait à désirer.

U Sgiò SumereLes transports de marchandises et de produits agricoles re-

posent sur les animaux de bât, les charrettes et autres carrioles. Les précieux chargements de céréales, d’huile d’olive ou de vin que l’on transportait dans contenants plus ou moins grands en peau de chèvre ou de porc, (narpie, otri et zani) y étaient très vulnérables. Un roncier ou bois saillant anéantissait aisément la cargaison si l’on ne surveil-lait pas assez les bêtes de somme, toujours pressées de dépouiller les talus et les abords de ces chjassi où prospéraient machja et sepalaghji.

L’âne, comme la mule, était le moyen de transport de choix. U sumere est adapté aux contraintes du relief et sa rusticité offre aux plus humbles comme aux plus riches une opportunité hors pair de charges transportées, de facilités d’entretien et de modicité de coûts

25 Charles-Philippe Massiani demande une décharge car il n’a « plus de voiture ni de mulet depuis 4 ans ! », de même le secrétaire Clementi « ne possédant plus de chevaux ou de mules », A. D. H.-C.

26 Les contributions sur les voitures, chevaux, mules et mulets pour Lama, commune de moins de 5 000 habitants, sont de 5 francs pour un cheval ou une mule ou un mulet, de 10 pour une voiture ordinaire à 4 roues et de 5 pour celle à 2 roues, Circulaire des 23 janvier 1909 et du 27 avril 1910.

27 « Entreprise de transport en commun, Costa Pierre ; Lama-Bastia création du service le 16 juin 1930, 1 véhicule de 8 places. » Annuaire général de la Corse, p. 41, 1938.

des sentiers larges de 30 à 40 centimètres, souvent cachés ou inter-rompus par d’épaisses broussailles ou effacés par des pluies torren-tielles. »21 Au début du xxE siècle, l’île est sillonnée par de grandes routes nationales reliant entre elles les villes principales. Bien après 1920, on n’accédait qu’à pied à nombre de villages enclavés de l’in-térieur et dépourvus de débouchés carrossables. Paul Massiani, dans les années 1950, a terminé ainsi le périple qui le mène demander la main de sa femme à Rusiu, après le pont de Lanu, car « ùn c’era mica strada 22 ! » Les parents conviés aux noces seront convoyés à dos de mulets.

En 1915, un détachement de prisonniers allemands stationna à Lama. Logés dans la maison Raffini, ces hommes « ont procédé à la réfection à l’empierrement de l’embranchement de la route de l’ancien moulin à chaux au village et construit la bretelle de la route de la place de l’église au Puntapè. » 23

Chjassi è strade sont praticables grâce aux prestations annuelles des habitants, astreints par e contribuzione à l’entretien des axes de communications en complément des cantonniers. Ces prestations en nature font marteler à Antoine Costa : « Tandu ognunu face a so parte di strada. » 24 Il poursuit à propos de la fréquentation de ces chemins et routes « Dans ma jeunesse, il n’y avait que des ânes, des mules et des chevaux. Des voitures, il n’y en avait pas, pas plus que de bicyclettes. Les bicyclettes, c’étaient les gendarmes qui en avaient… Et le reste, on allait toujours à pied, pas en voiture… Les voitures, on n’en parlait même pas. » Son père Pierre-Jean fit construire le premier garage de Lama en 1929. Les suivants Ange Leonetti, en 1933 avec quelques vicissitudes, puis Lucien Baccelli et Alexandre Suzzoni au Funtanacciu, en 1948. Leur nombre signale le peu de véhicules

21 Histoire illustrée de la Corse…, Abbé J.-A. Galletti, imp. de Pillet fils aîné (Paris), 1863.

22 « Il n’y avait pas de route carrossable. »

23 Souvenirs, opus cité.

24 « À cette époque, chacun faisait sa part de route. » Il y eut quelques bisbilles. Au pré-texte de réparer la route, certains coupèrent profondément les racines de tel arbre planté le long de la voie ou bien hypothéquèrent l’assise d’un mur en le déchaussant de près pour combler une ornière toute proche.

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sont, nos routes de campagnes actuelles. C’était un perpétuel va-et-vient de gens, de bêtes de carrioles et de cabriolets. On se croise, se rencontre, bavarde, s’échange des nouvelles, se renseigne, s’épie et se surveille. On y plaisante, chante et y courtise gaiement. « A Costa, era sempre piena di ghjente è di sumeri ! Era a nsotra strada ! »29 On y va pieds-nus parfois par économie. La misère à cette époque rend économe pour tout, plus encore pour les vêtements et les chaussures. On pouvait les porter autour du cou et ne les enfiler qu’à l’entrée de la ville ou du village où l’on se rendait. Beaucoup d’hommes ne connurent alors leurs premières chaussures quotidiennes qu’en faisant leur service militaire avec tous les tracas d’adaptation que cela sous-tend. « Sò andatu ancu scalzu, u bisognu c’era… » 30 confieront des témoins, insistant pour certains sur la nécessité de transmission de cette réalité.

Le village, ses quartiersLama, Lama, à ci ghjunghje, s’allamà !

Lama« Le village est face à l’ouest et assez exposé au sud et au nord ;

du côté de l’est il y a une haute montagne qui empêche le soleil de répandre ses rayons sur le village et presque tout le territoire jusqu’à 2 heures après son apparition à l’horizon d’en face » telle est la description du village que le maire de Lama rédige le 23 fructidor de l’An x.

Le registre des propriétés foncières établi en 1874 dénombre « 95 maisons, 13 fours à pain, 4 fours à chaux, 3 moulins à huile et 5 pressoirs ». À titre comparatif, Pietralba compte alors « 162 maisons, 12 fours à pain, 4 fours à chaux, 1 pressoir, 1 moulin à huile et 4 moulins à farine » tandis que Urtaca affiche « 81 maisons, 15 fours à

29 « A Costa (sentier) était toujours embouteillée de gens et d’ânes ! C’était notre route ! », Natalinu Massiani.

30 « J’ai marché pieds-nus parfois, la misère était là. On ne doit pas oublier cette misère, ni la cacher, je suis ce que je suis parce que je l’ai connue. Elle m’a construite. Laissez-les dire ceux qui racontent que l’on vivait bien. Ils refusent la vérité car aujourd’hui la vie a changé pour eux. »

par rapport au cheval ou au mulet, sans parler du tombereau ou du chariot. Le proverbe qui lui est consacré rend assez bien les difficiles labeurs qu’il doit endurer pour faire son office sur le territoire de Lama : Hè cume u sumere di Lama chì fughje à chì u chjama 28. Le bât est l’objet de soins attentifs. De lui dépendent les conditions de transport et la durée du trajet. « L’imbastii, on en a fait beaucoup pour les gens de Caccia. On prenait les mesures sur les ânes (pour correspondre au plus juste). Nous cherchions toujours dans la rivière de l’aulne courbe, nous repérions les morceaux et au bon moment nous allions les couper. Hè forte l’alzu et c’est un bois léger. Il ne surcharge pas u sumere. » Louis Beveraggi aime raconter cet aspect de son activité de menuisier. Il poursuit sur l’évolution, les améliorations apportées. « Au début, on mettait uniquement e crucere. En fer, il n’y avait que ça ! Les deux crucere. Il y avait l’archi en bois que l’on fixait en les plaçant en force dans les trous prévus sur les montants, après on a eu ceux en fer. Ceux-là étaient faits par u ferrale. Mais en principe, ceux qui commandaient les bâts se débrouillaient pour se faire forger l’archi. Puis, tout s’est modernisé et on faisait placer des arcs solidaires du bât chez Ceccu, le maréchal-ferrant d’Urtaca. Il les faisait à a misura. On les fixait avec des boulons… on les ouvrait, on chargeait puis on les repliait dessus. C’était plus solide et plus pratique. » Les arcs primitifs, toujours accrochés au bât avec a funa, bien souvent, se défaisaient laissant tomber la charge.

La funa, corde en poils de chèvre tressés, mal assurée au départ, pouvait se desserrer, déséquilibrant et ballottant a somma (charge) ou encore la sangle casser brusquement. Une bête affolée, apeurée ne s’arrêtait parfois, après une folle équipée, que la charge éparpillée à terre. Aussi prenait-on soin d’attacher chaque ferra (âne ou mulet). Si l’on voulait sauver quelque chose du désastre, mieux valait avoir avec soi une lesina (alêne) et du spavu (ligneul) pour raccommoder sur le champ, le contenant percé. On moquait volontiers celui qui se trouvait dans l’incapacité de faire face à ce genre de péripéties.

Les chjassi è strade étaient beaucoup plus fréquentés que ne le

28 « Il est comme l’âne de Lama qui fuit quand on l’appelle ! »

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du village et ceux d’en bas, ils sont cousins oui ! Mais ce n’est pas les mêmes ». Si l’Ombria, le Funtanacciu ou A Pughjola ne posent aucun problème de traduction, U Mercatu questionne. On expliqua avec force que là se tenait le marché de l’huile, en cet espace, et que donc il s’agissait de la place du Marché. « Le prix de l’huile se fait à Lama ! » La configuration des lieux laisse songeur : une place de marché bien étroite et bien resserrée. Le lien que propose Antoine Franzini entre la Saint Laurent, fête patronale, et l’organisation au Moyen Âge de grands marchés à cette occasion est convaincant du point de vue his-torique, reste le lieu. Un témoin attira mon attention sur une pierre gravée servant de linteau. Il me souffla les yeux pétillant de malice « hè mercatu », c’est écrit, gravé dans la pierre. Une explication certes très prosaïque mais possible tout de même.

Servizii è altriTélégraphe et PosteSelon l’âge et l’appropriation de l’enquête par les témoins, i

servizii, les services, localisation ou personnes, se trouvent omis, dé-placés parfois occultés ou bannis. Le jeu de piste explore la com-munauté et le malaise qu’il suscite est perceptible. « Vous cherchez des choses trop lointaines ! » ou bien « Ce n’est pas important ça ! à quoi ça sert de savoir ça ! ». La mémoire collective situe le télégraphe dans la Maison Santini, cependant le 25 juin 1897, Ange Beveraggi Maire, baille pour 60 f annuels, à Sulpice Franzini veuve Massiani, « un bâtiment destiné à servir de bureau télégraphique… le bâtiment se compose d’une salle destinée à contenir l’appareil télégraphique et d’une salle d’attente. » Le bureau télégraphique du télégraphe ne sera installé qu’en 1907 dans la Maison Santini. Les Geronimi, selon les informateurs, ont toujours assuré les fonctions de porteur de dé-pêches et, plus de tard, de télégrammes. « E tazzine sò sempre nant’à a casa Geronimi ! 33 » soutient-on fermement. Elles ont disparu depuis longtemps mais le souvenir est très vivant. Cependant, c’est pour

33 « Il y a encore les isolateurs de porcelaine sur la maison Geronimi ! » Toussaint Trojani et Antoine Costa se réfèrent à ces éléments de porcelaine évoquant de petites tasses sur le fil de la sonnerie reliant le télégraphe et la maison du porteur de dépêches.

pain, 1 four à briques, 1 four à chaux, 2 pressoirs à huile, 1 moulin à huile, 4 moulins à farine »31.

Les huit possibilités de presser les olives et de faire de l’huile si-gnalent la prédominance oléicole du village dans la Vallée de l’ Ostriconi. Nul doute alors que les habitants puissent croire, à l’époque, que le prix de l’huile se fixa là pour l’ensemble de l’île. « Era Lama chi fecia u prezzu, dopu l’altri seguitavanu. Bertola era u piu culussale ! »

Les constructions et augmentationsLama est le même entend-on souvent. Il est vrai que si l’on s’at-

tache aux déclarations de travaux entrepris sur les bâtisses du village, on constate qu’il n’y en eut que très peu en 73 années. La première concerne la Maison Clementi en mai 1891 avec une augmentation 32. En juillet de la même année Jean-Étienne Franzini déclare avoir fait entreprendre des travaux d’addition de construction. Les deux années suivantes connurent les augmentations d’André Massiani, Ours-André Beveraggi et Ours-François Costa ainsi que l’addi-tion de construction d’Alexandre Suzzoni. Puis plus rien jusqu’à la construction du garage Costa en juin 1929, de l’atelier de menuiserie Suzzoni et de l’augmentation de la maison Compagnoni en 1930.

Voir graphique page 35

Da case in loghjeLes quartiers fonctionnent en petite unité malgré le resser-

rement de l’habitat. On est de l’Ombria ou du Funtanacciu. « On vit là, mais je suis né au Suvaghju ! », « Ne confondez pas a Piazza Cumuna Suprana avec a Suttana ! » etc. À chaque pas une histoire différente et prière de ne pas mélanger les Massiani « Ceux du haut

31 Moltifao : 85 maisons, 10 fours à pain, 3 moulins à farine, 1 moulin à huile et 1 pressoir. Santo Pietro di Tenda : 291 maisons, 36 fours à pain, 1 moulin à farine, 1 moulin à huile et 11 pressoirs à huile.

32 On prétend que lors de la guerre de 1870, un membre de la famille trouva de l’argent dans une maison désertée par ses occupants. « Peu importe d’où vient l’argent, cela permet à Lama d’avoir une autre belle maison ! »

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d’eau. Si l’action du maire et du Conseiller général pour cette réalisa-tion est indéniable, les habitants sont, face à ce progrès, assez dubita-tif et circonspects. S’éclairer est bien beau mais cela a un coût certain. Antoine Bastianelli et Toussaint Trojani s’amusent des changements précipités de puissance de l’ampoule pour un éclairage amélioré en cas de visite, des déplacements hasardeux à la lueur d’un quinquet à travers les ruelles du village mais aussi des recommandations inces-santes sur le verre de lampe que l’on doit protéger. Éclairer à jour les rues semble pour les personnes âgées une dépense futile et superflue. « J’ai connu le village dans le noir ! Et, quand on a mis l’éclairage dans les rues, pour ma grand-mère cela paraissait une dépense injustifiée. — Pourquoi met-on de l’éclairage dans les rues ? Surtout quand elle avait appris qu’ensuite cela se payait ! »35 La question de l’éclairage revint de façon surprenante mais très pertinente dans la bouche de Julienne Coradini : « Ici, le soir c’est noir ! Vous vous sentez loin de tout : il n’y a pas une lumière en face, vous êtes isolé. Ce fut difficile les premiers temps. » Lama disparaissant à la nuit, se fondant dans la masse montagneuse n’existe plus. Il est vrai que cette communauté n’en aperçoit aucune autre.

A casa cumunaLa grande bâtisse que l’on remarque dès l’entrée de Lama fut

au départ construite par la famille Bertola pour servir de gendarme-rie. U Stallò abrita longtemps les chevaux des gendarmes puis ceux du Sgiò Fabianu. Pour des raisons de commodités d’agencement, de taille et autres, après un temps bref, on préféra installer a Gendarme-ria dans le bâtiment construit tout exprès, en rivalité avec les Bertola, sous la Maison Ceccaldi par les Franzini de Petralba. Que faire de cet immeuble ? On y logea des ouvriers et les contremaîtres des proprié-taires, puis l’école et les instituteurs, le prétoire de la Justice de paix etc. Il devint officiellement bâtiment communal pour une somme de 30 000,00 f en 1927.

« Cession du 24 octobre 1927 pour cause d’utilité publique (loi

35 Antoine Bastianelli.

pallier l’absence du porteur de dépêches, après le décès d’Horace Vadella, qu’en février 1902, le conseil municipal décide du transfert de la sonnerie au domicile de Jean-Baptiste Geronimi.

À propos de la Poste : « Elle a toujours été là où elle se trouve 34 ! » Puis, après un temps de réflexion parfois long, on la situe dans la Maison Santini et parfois la maison Trojani. La Poste occupe la maison Trojani certes peu de temps mais la période est connue des témoins. Il est difficile de pénétrer la défiance à parler de ce service. La postière était autrefois incontournable. Dans ses mains passaient les lettres, les mandats ; elle recevait les télégrammes, les avis d’appel, branchait la ligne pour les échanges téléphoniques. Elle était le trait d’union entre les Lamais et l’extérieur. Mimi di a Posta a longtemps été la préposée des Postes et en a gardé, avec force et conviction, le respect de la confidentialité. Avec beaucoup de pudeur, elle évoque un aspect plus délicat de son travail. « Ci vulia à fà per elli ! » Il fallait faire pour eux – les villageois sont parfois démunis face aux administrations mais aussi aux courriers des proches partis à la ville. « Aujourd’hui, chacun sait lire et écrire, mais à cette époque ce n’était pas comme cela ! » La postière prend naturellement, à titre bénévole, la plume et assiste ses paesani. « [Ils] me racontaient tout pour que je puisse écrire. Je devais aussi lire les lettres et expliquer le contenu du courrier. Et parfois, faire pour [eux] quelques demandes administratives… il fallait essayer de les aider à faire les démarches. »

L’électricitéEn 1933, le 10 octobre, la Compagnie d’Électricité de la Corse

entreprend des travaux de construction de cabine électrique. Lama fut assez tôt reliée au réseau de façon concomitante avec l’adduction

34 « La commune de Lama, sur les instances du Directeur des Postes, s’est imposée extraordinairement pour la création d’un bureau télégraphique. L’Administration des postes faisait espérer de son côté qu’un bureau de poste aurait été créé au chef-lieu de canton et de ce jour la commune n’aurait plus eu à supporter les charges du Gérant du télégraphe. Considérant que la commune de Pietralba, canton de Lama possède un facteur receveur. Considérant également qu’il y aurait avantage pour la commune de Lama et surtout pour le service des postes de fusionner ; Le Conseiller général soussigné compte sur la bienveillance de l’administration pour examiner cette question et prie le Conseil général de vouloir bien adopter son vœu », Fabien Bertola, Séance du Conseil Général, 18 octobre 1901.

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32 33

3 mai 1841) – arrêté préfectoral du 21 avril 1928 – par Bertola Fabien propriétaire à Lama à la Commune de Lama d’une maison de deux étages avec grenier et cave nO 572 du plan cadastral sous réserve de l’écurie et aval de la cave et d’un terrain de 1,5 m de terrain le long de l’immeuble. Cette maison est destinée à installer les écoles, le jardin servira de jardin scolaire et le terrain de 1,5 m de large servira à l’éta-blissement de W.C. Prix payable dès accomplissement des formalités administratives. »36

Maison communale ne veut pas dire mairie. Il était d’usage que les mairies soient sises en la maison du maire ou en un lieu appartenant à des partisans. En 1897, Ange Beveraggi, maire, baille pour un loyer annuel de 100 f et pour trois ans « un bâtiment destiné à servir de salle de Mairie… le bâtiment se compose d’une salle et deux armoires destinées à contenir les registres de la mairie » au sieur Beveraggi Pierre. En 1912, Fabien Bertola contracte un bail de location pour 100 f par an avec la dame Marie Massiani veuve de Louis du 1ER janvier 1912 au 31 décembre 1920 pour une pièce de la maison située au rez-de-chaussée complètement indépendante et devant servir de salle commune. « La dame s’engage en outre non seulement à fournir les meubles nécessaires et indispensables à aménager cette salle mais se charge du balayage et de l’éclairage pendant la durée du bail. » Cet acte est résiliable en cas de construction ou appropriation d’un immeuble spécial. U scagnu fut aussi en la maison Suzzoni par exemple. Pour les nouvelles générations, tout devint aisé lors de l’installation de la mairie en la maison commune. Cependant on doit s’attarder sur l’importance que peut avoir pour un non-partisan l’obligation de franchir le seuil de son adversaire pour la moindre démarche administrative. Les questions de préséance, de relations personnelles ou professionnelles, les suspicions de trahison ou de loyauté disparurent. « Sgiò o nò, Partitellu è Partitone : custi hè di tutti ! »37

36 Enregistré à Moltifau le 30 avril 1928, A. D. H.-C.

37 « Riches ou pauvres, du Partitellu et du Partitone : là, c’était à chacun ! »

État des feux pour les partagesdes biens communaux (1854)

(extrait)

La signature du maire Bertola

suite page 65

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Répartitions des modificationsde constructions de 1891 à 1964

Construction   1Augmentations 5Additions 6Garages 4Atelier 1Cabine  électrique 1

 Construc:on    1  

 Augmenta:ons  

5  

 Addi:ons  6  

Garages  4  

Atelier  1  

Cabine  électrique  1  

Répar&&ons  des  modifica&ons  de  construc&ons  de  1891  à  1964  

 

34

Le carnet du garde-champêtre(1923)

Extrait du carnet du garde-champêtre, 1923, archives privées J. L. Ceccaldi.

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36 37

Surfaces d’exploitations agricoles déclarées en 1953 à LamaExploitants Surface en

hectareMassiani Laurent 8,14

Cerli Laurent 3,62

Rossi Mathieu 3,20

Massiani Dominique 2,20

Ceccaldi Attilius 2,10

 

Massiani  Laurent  42%  

 Cerli  Laurent  

19%  

 Rossi  Mathieu  

17%  

Massiani  Dominique  

11%  

Ceccaldi  A=lius    11%  

Surfaces  d'exploitaCons  agricoles  déclarées  en  1953  à  Lama  

Tribbiu pour les lupins appartenant à Natalinu Massiani.

Sanruchina.

Natalinu Massiani,le doyen de nos informateurs.

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38 39

Ruches maçonnées dans une ouverture de la chapelle San Lurenzu.

¯ Croquis réalisé par le CAUE.

Ruches, loges et bouches à abeilles

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40 41

A Casa SaturniniA Casa Saturnini.

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42 43

Vaches  12%  

Chèvres  21%  

Massiani  Toussaint  Chèvres  et  troupeau  

communal    3%  

Luciani  Paul-­‐Dque  Chèvres  

23%  

Guidoni  Ulysse  Chèvres  13%  

Sauli  O.  Marie  Chèvres  13%  

Massiani  Brebis    15%  

Troupeaux  64%  

Signalements  par  typologie  animale  en  1926      Signalements par typologie animaleen 1926

Taille des exploitations déclarées en 1961

Bertola  (héri-ers)  45,1248  

Franzini  André    15,2303  

Massiani  Laurent  10,7  

Massiani  Antoine  6,3606   Ceccaldi  ADlius  5,025  

LeoneD  Joseph    4,5106  

Saturnini  Eve  (Vve)  

4,45  

Massiani  Hyacinthe  4,12  

Massiani  Thèrèse  (Vve)  3,9013  

LeoneD  Antoine  (Urtaca)  3,72  

Baccelli  Lucien    3,64  

Costa  Pierre-­‐Jean  

3,6275  

Suzzoni  Alexandre    3,62  

Massiani  Estelle  3,5013  

Bonavita  Joseph  (Urtaca)  3,38  

Tortora  François  2,8  

Massiani  J.-­‐  Laurent(Ve)  2,75  

Trojani  François  2,68  

Ferrandi  Fçois  (V.  di  Ros-nu)  2,46  

Orsoni  Antoine  (Mol-fau)  2,45  

ViDni  jean  (Bigorno)  2,18  

 LeoneD  

Ange  2,11  

Sauli  Laurent  (Ascu)  2,07  

Giuseppi  Pascal    (Pietralba)  2,02  

Divers  déclarant  moins  de  2  hectares  18,85  

Taille  des  exploita-ons  déclarées  en  1961      

* Divers : Massiani Lazare,Leonetti François(Nice),Massiani Joseph,Gaspari Pascal (Petralba),Bonavita A.- Joseph (Urtaca),Ladurelli Jacques (Bastia),Beveraggi Jean (héritiers),Geronimi Camille (Petralba),Montecatini Alexandre,Ori Clément (Fontainebleau),Cerli Laurent (héritiers),Costa Pauline,Biadelli Philippe.

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44 45A Tesa.

A fabrica d’Attiliu.

Alive

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46 47

Bien  communal  dit  Mazzola  et  CatarelloBien  communaux  réservés  pour  le  troupeau  communalBien  communaux  réservés  pour  le  troupeau  communalBien  communaux  réservés  pour  le  troupeau  communal

Cités  une  seule  fois    39%  

Vallicelle  5%  

Ba7agliola  4%  

Pianella  4%  

Bien  communal    4%  

Loro  4%  Saliccione  4%  Solana  4%  Valle  4%  Cavallo  3%  

Parsico  3%  Saltelli  3%  Campoladino  2%  Costa  Secca  2%  

Ajaninca  1%  Aliverja1%  

Campo  Alla  Vita  1%  Ernajo  1%  Feliccioni    1%  Ferlaccia    1%  Malculo  1%  Pastoricciola    1%  Salicastro  1%  Staninca  1%  Cortalline  1%  Cortallina  1%  

Autre  16%  

Biens  signalés  par  le  Garde  Champêtre  en  1923    

Biens signaléspar le garde-champêtre en 1923

Propriétaires signalés léséspar le garde-champêtre en 1923

Baccelli  Mathieu  4  

Mari  P.-­‐Toussaint      5  

Massiani  Antoine  5  

7Agos9ni  A.-­‐Marie  (Pietralba)  6  

Baccelli  Paul  Marie  6  

Biens  du  troupeau  communal  6  

Ceccaldi  Louis  6  

Franzini  Antoine  Marie  6  

Costa  Francois  Marie  7  

Clemen9  Hélène    8  

Massiani  Laurent  8  

Massiani  Laurent  (Lellè)  8  

 Costa  P.-­‐Jean  9  

Vincentelli  Charles  (Cas9fau)  9  

Bertola  Fabien  13  

Divers*  21  

Autres  65  

Propriétaires  signalés  lésés  par  le  garde-­‐champêtre  en    1923  

Pacages illicitessignalés par le garde-champêtre en 1923

Raffalli   Rossi  MathieuMassiani  LaurentMassiani  Lazare

Franzini    A.-­‐Marie

Massiani  Ludovic

Massiani  Laurent  ancien  maire Cerli  J.  Baptiste

Massiani  Antoine

Massiani  Laurent    de  Suplice

Costa  Pierre-­‐Jean

Baccelli  Mathieu

Grimaldi  Consorts

Saoli  Ours-­‐Marie

Massiani  Dominique

Leonetti  J.-­‐Simon

Ciavaldini  Julie Suzzoni  Alexandre

2 2 2 2 2 2 2 3 4 4 29 12 9 12 5 5 5 52 5 5 5 4 29 12 9

Divers:  Raffalli,  Rossi  Mathieu,  Massiani  Laurent

03/12/201303/12/2013

Massiani  Lazare  1%  

Franzini    A.-­‐Marie  1%  

Massiani  Ludovic  1%   GMassiani  Laurent  

ancien  maire  1%  

Cerli  J.  BapHste  2%  

Massiani  Antoine  2%  

Massiani  Laurent    de  Suplice  2%   Costa  Pierre-­‐Jean  

18%  

Baccelli  Mathieu  7%  

Grimaldi  Consorts  6%  

Saoli  Ours-­‐Marie  7%  

Massiani  Dominique  3%  

LeoneN  J.-­‐Simon  3%  

Ciavaldini  Julie  3%  

Suzzoni  Alexandre  3%  

Massiani  J.-­‐  Philippe  3%  

 Pietralba  15%  

Urtaca  6%   Novella  2%  

Divers    12%  

Pacages  illicites  signalés  par  le  garde-­‐champêtre  en  1923  

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48

Bergers Agriculture

A schilla, la sonnaille de la chèvre domestique.Toussaint Trojani.

Paul Massiani.Photo : Lucie Obède.

Photos : Lucie Obède.

Tribbiera. Collection : municipalité de Lama.

Aratu offert à Paul Bertola par Natalinu Massiani.

A Fattoghja.Famille Ricetti.

Fabrication du fromage et du brocciu, avec Alexandre Montecattini, François Coradini et Jean-Laurent Massiani. Photo : Elisa Pernel.

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50 51

Artisans Ceccu Trojanien famille.

Coupe de bois avec Louis Beveraggi et Lisandru Suzzoni.

Fratrie Corallini.

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52 53

Antoine Costa

Chambre froide de la Tuerie particulière Costa Pierre-Jean & fils.

ManghjàA chichera, Rose-Marie Massiani.

E falculelle de Félicie Luc.

Giaretta et pignata de Jeannette Massiani.

Cannelli et fattoghja, Mimi Sammarcelli.A paghjola, Toussaint Massiani.

A palla di u pane, Mimi Sammarcelli.

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54 55

Eau

Funtana Bona.

E pozze de la maison Corallini.

Funtana Bona,collection municipalité de Lama.

A pozza di a Sulana.

U Canale.

La fabrique Saturnini (Antoine Saturnini).

Funtanella.

Coppulu, croquis de J.-F. Massiani sur les indications de son grand-père Natalinu.

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56 57

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58 59

Église

Chapelle de la Fête-Dieu, devant la maison Trojani.

L’abbé Simon Baccelli.Photo : Marthe Maurienne.

Société

U Sgiò Fabbianu (Palma Bertola).

Carnet, Pierre Bastianelli.

I Magazini di u Sgiò Lellè.

Hyacinthe Massiani,e pernice.

Retour de battue. De gauche à droite : Ange Massiani, Xavier Rossi, Lazare Massiani, André Franzini, Antoine-Toussaint Campana, Pierre Rossi et Natalinu Massiani. Photo publiée par Marianne Rossi-Choiseau pour nos cher(e)s disparu(e)s.

E Curtaline, vue depuis la Maison Saturnini, (Antoine Saturnini).

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60 61

Société

A pulenda, famille Obède.

Élément de dînette,Rose Marie Massiani.

Trionfu,mariage d’Antoine Costa.

Vierge d’enfantement,(Famille Ricetti).

Photo-carte, guerre 1914-18, (Cécile Viarengo).

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62 63

Maison Massiani avant guerre. Maison Massiani aujourd’hui.

Fratrie Obède, retour de classe 1941.

Lama, vue depuis le Ghjunsani.

La gentiane.

U Mercatu, détail.

Louis Beveraggi.

Détail del’anciennebannière.

Courrier de Benoît Massiani à son frère, (Antoine-Pierre Massiani).

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64 65

ÉcoleVoici un rappel, non exhaustif, d’éléments d’archives qui re-

tracent l’histoire de l’école à Lama.En l’An x, Lama possède une école où l’on apprend à lire et à

écrire, la langue italienne mais aussi la doctrine. On paie l’instituteur en nature : « Les enfants qui apprennent à lire donnent deux baccini de blé à l’année, ceux qui apprennent à écrire en donnent quatre, tous cependant donnent un pain d’une livre par semaine. » En 1840, on trouve la demande d’autorisation de dépense pour 200 f pour la réfection de la salle de classe primaire de la commune. Le devis estimatif présenté par Francesco Pietri en Mars 1841 fait état de :

•Pour 18 mètres carrés de plancher 90 f•La construction d’une cheminée 25 f•4 bancs pour les élèves 60 f•1 banc pour l’instituteur 10 f•1 table pour l’instituteur 10 f•10 carreaux de vitre 5 f.

Le contrat signé par le Maire Saturnini fait état d’un délai de 2 mois pour la réalisation des travaux et précise dans son article 2 que « les matériaux qu’il emploiera devront être de la meilleure qualité »38.

Nombre de courriers et de réclamations émaillent les années 1852-53 au sujet de la salle de classe, du loyer ou de l’indemnité. L’instituteur Don-Joseph Massiani se plaint au préfet « Voici, la première fois que j’ai l’honneur de vous écrire. Je suis fâché que ce soit nécessairement pour vous faire connaître combien peu d’égards a la municipalité de Lama pour l’instituteur de cette commune. » La salle du presbytère affectée à l’enseignement a été rendue à l’Abbé Pieri et on refuse de louer une salle dans sa maison… Sur demande du préfet un bail est enfin signé par Fabien Bertola, maire, le 1ER septembre 1853. Ailleurs, on lit « vous savez combien les instituteurs sont pauvres. »

En 1857, Massiani a été suspendu de ses fonctions, Alexis Battistini est nommé instituteur. Bertola Fabien baille, en date du

38 Le préfet après avoir consulté le receveur pour connaître l’état financier de la commune car la demande est concomitante à la demande de réparation de la fontaine publique et les sommes sont d’importance, donne son accord en 1841. A. D. H.-C.

Lettre de l’instituteur

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66 67

et à l’institutrice la responsabilité des carreaux qui seront cassés dans leur logement, la commune sera responsable des vitres cassées dans les salles de classe. » Le bail prend effet au 1ER mai et pour un loyer de 400 f annuels. Le 15 février 1915, l’adjoint Suzzoni 41 renouvelle le précédent bail par avec un partage du grenier entre l’institutrice et l’instituteur au prorata de la partie correspondante aux salles de classe garçons ou filles. La cave n’existe plus. On passe aussi de très bon état à bon état et la responsabilité des carreaux des salles de classe est dévolue à l’instituteur et non plus au maire. La vente de 1927, fixera l’école en ces lieux.

École des fillesUn mot sur l’école des filles qui ne fut pas toujours, malgré

les certitudes des témoins, aux mêmes lieux et places que celles des garçons, seule Marie Massiani se souvint de la classe du bas du village évoquée par sa mère.

En 1878, une lettre du recteur récuse le bail car la maison de la dame Jeanne-Marie Bonavita, Vve Scamaroni. Elle n’est pas adaptée : « la salle consiste en une pièce éclairée par deux fenêtres » mais les conditions d’accès sont malcommodes et dangereuses. On opta alors pour la maison de Don-Paul Franzini « 4 pièces et une cave » pour 100 f. Charles-Dominique Massiani (maire) loue à partir du 1ER février 1882 à Jean-Benoît Saturnini, « une partie de maison composée de 4 pièces destinées à la classe publique des filles et au logement de l’institutrice » pour un loyer identique. Ce bail est vu et approuvé « à la condition que le propriétaire fasse carreler ou plancher (à son choix), crépir et blanchir chacune des pièces et qu’il fera à la toiture toutes les réparations nécessaires pour empêcher les eaux pluviales de pénétrer dans lesdites pièces. »42 Ce bail sera renouvelé en 1892. Ange Beveraggi contracte avec Philippe Franzini, professeur au Lycée de Bastia, pour la jouissance à partir du 1ER février 1900 d’une « salle située au deuxième étage de sa maison dénommé Casone avec

41 En signature, on trouve Massiani L. sur une copie timbrée…, A. D. H.-C.

42 Ajaccio le 19 juillet 1882 P. le Préfet, le Conseiller de la préfecture, A. D. H.-C.

20 décembre et pour 100 f annuels, à Philippe Bertola « une salle et deux chambres ». Nouveau courrier de Massiani au recteur, en 1860, se plaignant des conditions de logement de l’instituteur en la Maison Bertola… Il a exercé à Urtaca durant neuf années et la comparaison des éléments de confort d’habitation et de service est très en défaveur de Lama. La remarque accerbe, « Il me semble mériter d’avoir deux chambres à coucher », porte ses fruits puisqu’on lui accordera de loger dans la maison qu’il possède au village et de percevoir l’indemnité de logement !

Voir document page 64

Monsieur Massiani part à la retraite en novembre 1879 et refuse de céder les locaux. De ce fait, il n’y a pas de classe en décembre. Une maison Bertola 39 de six pièces est de nouveau proposée comme solution pour un loyer augmenté à 150 f annuels au motif que le propriétaire a pour cela délogé deux locataires qui lui rapportent cette somme ! Malgré les justifications et les propositions d’une solution plus grande, de sept pièces, le maire, Fabien Bertola se voit contraint par l’administration à refaire un bail 40 et pour un loyer de 120 f. On passe alors de 7 pièces proposées en cours de négociations à 6 pièces et un grenier ! Le nouvel édile, Charles-Dominique Massiani, renouvelle le bail pour les années suivantes en 1892.

En 1904, l’école change de lieu. On baille alors « une maison d’habitation située à l’entrée de la commune et composée :

1) pour l’instituteur de quatre pièces, une salle, un grenier, 2) pour l’institutrice de quatre pièces, une salle, une cave. » Mais si le propriétaire accepte d’assumer les futures grosses réparations, sa maison « étant actuellement en très bon état », il laisse « à l’instituteur

39 Au Puntapè.

40 « M. le Vice-Recteur que j’ai consulté fait connaître que le prix de location doit être réduit de 150 à 120  francs. Je vous prie en conséquence, de vouloir bien inviter M. le Maire à refaire le dit acte de bail, à le produire en double expédition dont une sur timbre, et à y joindre également en double expédition la délibération du conseil municipal qui l’autorise à traiter avec le sieur Bertola » Lettre du Préfet de la Corse au Sous-Préfet de Bastia, 17 novembre 1879. Signature Giacometti. A. D. H.-C.

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68 69

des coups de règle sur le bout des doigts ! » 44. Marie Massiani garde en mémoire la magistrale gifle reçue pour un pas de gymnastique mal exécuté. D’autres évoquent des coups de pied, la baguette souple en bois d’olivier, les retenues abusives surtout pour ceux qui devaient aider à la maison, les humiliations et la terreur que certains maîtres inspirèrent. Il y en eut un, si gentil qu’on le jugea « incapable de tenir » les garçons et la fronde des parents contraint le maire à réclamer un retour des classes non-mixtes. Il fut muté, le remplaçant repris avec sévérité la classe. Un garnement, à l’idée vengeresse, décida de savonner les marches qui menaient aux classes et au logement à l’École du Puntapè : l’instituteur faillit se rompre le cou et sa femme accourue manqua d’en faire autant raconte-t-on volontiers.

Les leçons de morale, à l’époque, débutent la journée scolaire, Antoine Costa se souvient : « Il y avait, sur le mur une main tenant un couteau effilé surmontant une devise – Cracher à terre, c’est attenter à la vie d’autrui. » Il y eut, lors de l’enquête, des réflexions de témoins offusqués aux propositions de s’exprimer en langue corse : « Je sais le dire en français ! ùn cridite mica ! 45 » Cette revendication de la maîtrise de la langue française s’explique sans doute par l’interdiction durant leur scolarité de parler corse y compris dans la rue. Elle pousse certains à refuser de répondre quand ils estiment ne pas pouvoir maîtriser le discours à parité corse-français. « Quand nous parlions corse, il y avait un petit jeton. Si vous parliez corse, que vous prononciez un mot en corse, je vous le filais… » dira Antoine Costa. Au matin, le détenteur du jeton était signalé, dénoncé et puni.

Palazzi, Casoni è case« Dans le village de Lama lui-même nous trouvons toujours

des spécimens de la vieille maison non crépie et recouverte de terre. Ces maisons sont petites et ne comprennent parfois que deux pièces

44 Rappelons que les punitions et les châtiments sont tolérés par les familles quand ils ne sont pas encouragés par « Minate ! minate puru ! » (« Frappez ! Corrigez-les ! »).

45 « N’allez pas croire ! [que je ne sache pas le parler correctement]. »

une fenêtre au midi et deux à l’ouest, ladite salle devant servir de salle d’école des filles ». Ces baux sont résiliables si la commune fait construire ou acquière une maison d’école ou s’approprie en école un bâtiment communal mais aussi dans le cas où la commune cesserait d’avoir une institutrice même momentanément !

Laurent Simi, entrepreneur à Castifau, effectuera, bien plus tard, les travaux d’aménagement du groupe scolaire moyennant un rabais déduit pour 26 730 f, dans le bâtiment devenu communal. Le 25 décembre 1935, on vote une somme de 500 f pour l’installation d’un poêle dans les deux salles de classe (garçons et filles) suite à une demande du Directeur des Écoles et selon les mots du maire Alexandre Suzzoni pour « le bon chauffage des classes pendant l’hi-ver, facilitant ainsi la bonne fréquentation des élèves ». Tous se sou-viennent de la bûche à fournir pour tenter de chauffer la classe.

Il est difficile de parler d’école ici sans évoquer la mémoire d’Adélaïde Massiani. Celle, qui fut la femme de Joseph l’Enfant, reste dans le cœur des Lamais comme une femme tournée toute entière vers son métier. Incapable de gérer seule une maison, elle éduqua, apprit à écrire, à lire, à compter, à parler correctement –entendez sans corsismes –, mais aussi à chanter et à jouer la comédie à des générations de Lamais. Celle qui ne sortait pas sans son châle mais qui « nous gardait parfois jusqu’à midi passé au point que sa mère venait le lui dire : — Il est l’heure de les lâcher ! » ou encore « tirait les oreilles » ne tolérant pas les fautes d’orthographe, est pour certains bien tristement oubliée. Certes, on se réfère encore à sa vocation d’enseignante et à l’acharnement qui la portait pour offrir à tous une instruction solide. Toussaint Trojani nous fit remarquer ému que bien peu de ses anciens élèves lui portaient attention et fleurissement le jour des défunts. « Ghjudiziu ùn si ne compra ! » 43. Le reste s’apprend ou se partage. Il est à l’inverse des instituteurs dont on évoque le nom sans une once de respect : « Il était cruel, il frappait pour un rien ! Certains ont pris des coups, pas seulement

43 « On n’achète pas l’intelligence (sagesse). » nous dira un autre informateur à propos de l’école.

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de la maison. Il a la possibilité d’élever une construction à partir d’un étage inférieur y compris en occultant la lumière ou la vue de ses voisins.

La cession des maisons Monti en mai 1924 offre un panorama de possibilités de mutations immobilières.

Jean-Baptiste Monti cède à Pierre-François Ferrandi proprié-taire à Valle :

« 1) Une maison d’habitation composée de 5 pièces au rez-de-chaussée avec greniers et un pressoir à huile ;

2) le bien clos dit Fossi avec tout ce qui s’y trouve,3) bien dit Boscone,4) le bien clos dit Guadi et ce qui s’y trouve,5) un réduit destiné à recevoir le fumier,6) les meubles de toute nature qui se trouvent dans la maison ». Le vendeur se réserve l’usufruit et la jouissance des immeubles

vendus sa vie durant moyennant 6 000 f. Mais, le 14 juillet de la même année, l’acheteur s’oblige à verser annuellement à la dame Cécile Ferrandi épouse Monti une somme de 500 f pour règlement d’intérêts entre les parties et ceci à partir du décès du mari jusqu’au jour du décès de ladite dame Ferrandi. Cet acte motivera la réaction des agents du fisc au sujet de la constitution d’une rente viagère en renoncement de son avoir 48.

En 1926, Monti déclare avoir quitté le village en 1925, avoir vendu sa maison et être indigent. Il demande la décharge de la contribution mobilière.

Cession de la nue-propriété pour échapper à l’imposition, constitution non déclarée de rentes viagères, revente d’un bien fraîchement acquis à un propriétaire avec une plus-value mais surtout en l’espèce la rétrocession d’une propriété cédée lors d’ennuis

48 Notons que le 20 mars 1924, le sieur Monti Jean Baptiste vend à Rolland Biaggi aux mêmes conditions y compris viagères « une maison composée de deux pièces et un poulailler y attenant et une autre pièce de maison dite Stanza della loghia ainsi qu’un bien clos dit Calanca » pour une somme de 800 F… Le 29 mars, Zi’Orlandu procédera à l’échange de la nue-propriété du jardin à sec de la Calanca avec u Sgiò Ghjuvanni, contre le bien clos Ghunistella (?) ancienne vigne, sous réserve par u Sgiò Ghjuvanni de conserver les oliviers sis dans cette propriété les immeubles échangés sont évalués à 300 F.

contiguës ou superposées, une cuisine et une chambre à coucher. Les maisons nouvelles sont crépies et plus élevées, la plupart possèdent trois étages et les terrasses sont remplacées par des toits à double pente en tuiles creuses. 46 »

Les actes 47 soit de cession soit de partage pointent assez bien cette description.

En octobre 1919, Fabien Bertola cède pour 1 000 f à Don-Joseph Massiani « le second étage d’une maison d’habitation dénommée Casone sise à Lama comprenant 3 pièces et un réduit ». Le vendeur se réserve toutefois le droit de passage. Pierre-Jean Costa, boucher à Lama, achète « le 1ER étage de la maison sise à Lama comprenant 4 pièces, trois greniers et deux caves côté nord, et la moitié du jardin tenant de Annibal Morelli » à Laurent Massiani en mai 1920, pour la somme de 1 250 f. La fratrie Antoine-Marie, Paul-Antoine, Dolinde, Catherine et Anne Marie Franzini vend à Dominique-Toussaint Compagnoni « une maison sise au quartier Nociolajo avec dépendances » pour 2 100 f le 1ER avril 1923.

En mars 1924, Angèle Morelli née Cerli, ménagère à Lama, cède à Dominique Massiani, cultivateur, « une pièce de maison au quartier dit Sopranacio avec un poulailler y attenant, une partie de jardin face à l’ouest, les dépendances de ladite pièce provenant au vendeur de la succession paternelle » pour 400 f. Le poulailler est l’objet d’une vente quinze jours plus tard pour 45 f à Paul-Dominique Luciani. La revente rapide laisse penser que l’acheteur n’avait pas obtenu le bien du propriétaire précédent. Il complète son acquisition dans la quinzaine par « 1 pièce de maison, une partie de jardin attenant à la maison, l’air au-dessus de la terrasse de la cuisine » auprès d’Antoinette Cerli Vve Ori. Luciani débourse 200 f supplémentaires pour un bien sans poulailler mais offrant une garantie d’augmentation de construction. Louis Beveraggi précisa un jour avoir « a pruprietà di l’aria » en montrant les aménagements

46 Notes sur la maison en Corse, in Revue de géographie alpine, Paul Méjean, 1932, p. 670.

47 Les sources sont les enregistrements, à Moltifau, des actes de cessions et de partages. A. D. H.-C.

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communauté. Les imbrications sont complexes : les ajouts, les élé-vations et les constructions mitoyennes à l’image de la société qui la compose reflètent aussi l’organisation sociale et familiale. Les liens se tissent d’un bord à l’autre d’une ruelle par l’édification sur passage voûté de pièces à vivre ou à dormir le plus souvent. Le dédale du vil-lage médiéval tel qu’on le conçoit aisément. Lama connaît des habi-tations à loyer. Des gens modestes, des fermiers, des ouvriers ou des manouvriers s’acquittent de leur loyer d’une façon très ancienne, in ghjurnate 49. Ramené à la valeur numéraire, le loyer est généralement modeste, seules diffèrent d’un propriétaire à l’autre les modalités. Nul ne conteste le tarif ni le moyen de paiement, on ne se plaint que des conditions parfois difficiles et sans aucunes concertations des journées ordonnées par certains bailleurs. « Dumane, andarei à b(v)angami tale locu ! 50 » Il n’y avait pas la possibilité de refuser ou de différer les demandes. Pour certains propriétaires, le travail devait être fait, et terminé, dans le temps imparti, leurs droits priment sur la santé ou les impératifs privés de leurs locataires. « Ils ne s’occupaient pas de savoir si le lendemain vous aviez quelque chose d’autre à faire ou si vous étiez malade ! » À l’inverse, Rose-Marie Massiani dont les parents sont locataires d’Antoniu-Maria Franzini ne s’est jamais rendue compte enfant qu’elle vivait dans una casa à piggiò mais a le sentiment que son père travaille avec le propriétaire et non pour lui.

Les toits-terrassesLes toits terrasses en terre battue ont quasiment disparu. Tous

ont subi de plein fouet la volonté de modernisation et d’augmentation des surfaces habitables. Julienne Coradini, native de A Volpaghjola découvrit un peu craintive le charme de ces toits 51 qui servaient aussi

49 Journées de travail pour le compte du propriétaire dont le nombre fixé à l’avance évolue au cours du temps : on passe de onze à 16 en une trentaine d’années.

50 « Demain, tu iras bêcher tel endroit ! »

51 « [Chez nous les maisons ne se touchent pas comme elles se touchent ici]. Je n’avais jamais vu de maisons comme celles-là, ni de toits couverts de terre. Alors je disais (en plaisantant) : « c’est déjà bien qu’ils ne vous en tombent pas dessus » ! Chez ma belle-mère, quand on sortait, je voyais des terrasses de terre rouge. Le toit était en tuiles mais, après vous sortiez… il y avait les autres pièces. On y étendait le linge et c’était de la terre rouge. Et dessous, il y avait des maisons, des

financiers non au vendeur premier mais à son successeur. La maîtrise des mutations immobilières participe à une maîtrise des rapports sociaux : on préfère parfois céder à moins-value une partie de maison, un poulailler, une cave ou encore un enclos à fumier pour satisfaire une vengeance, affirmer sa fâcherie, son opposition politique etc.

Les familles s’attachent à conserver les Casoni ou les Palazzi comme aiment à les désigner les Lamais. Seule la maison de l’Affaca-toghju et l’ensemble des biens y afférant, aujourd’hui Casa Massiani semble avoir fait l’objet d’une vente aux enchères en 1866. Certes, certains biens sont d’un entretien malcommode et les critiques et les remarques fleurissent à propos de tel défaut de préservation, de ré-habilitation ou de restauration hasardeuse mais, on s’attache surtout à l’image du village. On loue la beauté et le charme de certaines, on déplore les volets branlants ou le toit déposé de telle autre. « Cela ne me regarde pas, mais quand je vois une jolie façade au village je me dis que c’est un bien pour tous ! Cela donne un joli cachet, un plus pour les nôtres. »

U PuntapèLa maison dite du Puntapè fut semble-t-il rabaissée d’au moins

deux étages car sa partie supérieure menaçait de s’écrouler. « L’hanu fatta fallà ! » On lui adossa un contrefort et le quartier prit par extension le même nom. Pourquoi bâtir si haut et pour qui ? « Ils devaient en avoir besoin ! » fut la seule réponse que l’on consentit. On préféra souvent dévier sur a Torra, écroulée non loin de là, sur le souvenir de l’avoir connue habitée et sur l’indivision qui n’a pas permis de la sauver. Toutes les questions ne furent pas bonnes à poser ni à entendre à ce propos. La recherche du Casone, signalé par une vente ancienne fut accueillie fraîchement : « C’est trop vieux ! et il vaut mieux ne pas en parler ! »

A Casa à piggiòIl est à côté des maisons dites de maître, des palazzi et autres

casoni quantité de maisons imbriquées les unes aux autres. La mai-son n’est pas une individualité : elle est l’élément participant d’une

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Agriculteurs et bergers ?

« Sur la route carrossable qui conduit dans la Balagna, on trouve du côté droit le canton de Lama (ancien Canale) qui est formé par les villages : Lama (chef-lieu) Urtaca et Petralba. Le village de Lama est riche en céréales, en huile, en vin, cire, etc. Urtaca jouit de presque toutes ces productions, et Petralba moins riche en céréales est peut-être plus riche en bétail. »52

Des labours à la récolte

Le labours avec la charrue et les bœufs n’est pas toujours le premier travail avant a suminera (les semailles). La préparation du terrain est longue On a recours au debbiu pour fertiliser la terre et rendre des zones de maquis cultivables après défrichage et dessouchage. L’écobuage des maquis et autres en été, devait être précis et maîtrisé. Seule une connaissance parfaite du climat et des vents dominants permettait de ne pas incendier la contrée. « Quand on devait brûler, on commençait le soir… mais pas à vent favorable, on commençait à vent contraire vous voyez. À vent contraire, dans la journée souffle la tramuntana, le soir c’est le libeccio… alors le feu s’éloignait tout doucement du bord. Ensuite, on le mettait partout. Et cela brûlait… C’était depuis le bord que l’on faisait cela, tout autour… pas au milieu. Au centre, la machja était uniforme, elle était sèche. Vous savez ça c’est un travail que l’on faisait après la statina comme on disait… Après avoir rentré le blé et l’orge, le matin on

52 Histoire illustrée de la Corse…, Abbé J.-A. Galletti, imp. de Pillet fils aîné (Paris), 1863.

d’annexe domestique pour étendre du linge ou faire sécher des fruits, du blé etc. Les questions sur leur abandon amenèrent une réflexion acerbe : « Pourquoi ? Nous aussi, nous avions le droit d’avoir de vrais toits ! Et puis, c’était plus facile pour la neige. » Il est vrai que la nécessité de pallà a neve était à l’époque une vraie contrainte. Une population vieillissante (ou de femmes) pouvait difficilement assurer ce travail très physique : les jeunes bras devaient suppléer les anciens. Ils fuient dès qu’ils le peuvent vers un salariat ou un fonctionnariat plus attractif à l’extérieur du village. La neige et ses contraintes ne firent pas tout, l’entretien annuel de la toiture avec le renforcement de la couverture de terra rossa que l’on devait charrier à dos d’âne puis le dur damage, ne correspondait plus avec une vie moins campagnarde et le confort de la tuile prima malgré le surcoût. Il y a également dans la formule d’un « droit à un vrai toit » l’expression d’une chose plus intime : la transcription d’une position sociale sur la toiture. Seuls les pauvres peuvent se contenter de vivre dans un logement dont la toiture est semblable à un pagliaghju…

chambres… Et je me disais : — Quand il pleut ou quand il neige, l’eau ne traverse pas ? »

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nettoyés ! » Pour les maquis à remettre en culture Paul Massiani, amer, se souvient des conditions de fermage : une seule année sans loyer malgré l’épuisant debbiu 55.

U terraticu est généralement prélevé sur a punta, la pointe du tas de céréales. Il est des propriétaires accommodants qui au jugé abandonnent au fermier une partie de leur dû. Mais, « C’eranu chi aspettavanu à l’ultimu per piglia a spazzatura 56! » I parasachi, ceux qui ouvrent le sac attendant qu’on le leur remplisse, tel est le surnom des nantis terriens les plus gourmands.

Aghje et TribbieraL’aghja est souvent représentée comme un cercle bordé de

pierres calibrées et resserrées au centre, et recouvert d’une prairie rase. Il en existe des pierreuses ou d’autres maçonnées au bord d’une pente 57 ou sur le toit d’un pailler, d’autres enfin ne se remarquent pas. « Dans le Lamacciu, et là où je connais, elles sont faites comme ça, en terre battue avec les baroni. Il y a des endroits comme dans les paludes, où l’on fait sans les pierres dressées en cercle autour. Sur les côtés, ils édifiaient les bords avec les javelles de blé. Quand on dépiquait dans une aire avec des baroni on plaçait aussi, tout autour, une rangée de mannelli comme protection, pour éviter qu’il n’en passe à l’extérieur. Car quand on rentrait avec les bœufs, la mule ou le cheval les javelles parfois rebondissaient à l’extérieur. » Le glacis 58 est réservé aux aires pierreuses car le travail ne manquant pas on s’économise cette peine en balayant proprement.

Les travaux de l’aghja étaient parmi les plus durs, car s’y ajoutaient aussi la très grande chaleur, la soif et la poussière. Les

55 « un annu di stoppia è dopu basta ! Après, il fallait payer !.. Ci vulia sempre à pagà ! »

56 « Certains restaient jusqu’au dernier moment pour récupérer leur part de balayures ! »

57 Celle située dans la propriété Cortaline de Christian Costa, par exemple.

58 « Si vous prenez les aghje qui sont situées de l’autre côté de la rivière, dans un lieu que l’on appelle U Vicu, là les aires sont pierreuses. À l’inverse, de ce côté-ci, il n’y avait pas d’aghje petricose. En principe, dans ces aires poussait la rimigna qui faisait un beau tapis et il n’y avait pas de pierres. Mais, même s’il n’y avait pas de chiendent, on les nettoyait proprement », Natalinu Massiani.

partait tôt et on faisait le debbiu. »53 Les semailles ne débouchent pas toujours sur des moissons. On sème parfois dans deux buts : avoir un pâturage vert, a ferraghjina, qui comble un temps l’appétit des chèvres ou des moutons que l’on possède puis, si l’année est favorable, le temps clément et que les prés verdissent correctement, on peut en protégeant l’enclos espérer une récolte d’orge, certes diminuée, mais une récolte tout de même. A ferraghjina est très prisée et le garde champêtre relève bon nombre de dommages la concernant. L’enjeu de l’indemnisation est alors de convaincre, le juge de paix, que l’on a planté à destination de récolte et non de pâture.

Le terraticuTerra à terraticu, boii à buiaticu è casa à piggiò ! 54

« Le blé, on le met dans des sacs. On commence à le condi-tionner… Et ensuite si la terre est à vous : cela va bien. Mais si le terrain ne vous appartient pas : il y a le propriétaire ! Le propriétaire vient prendre u terraticu. Là, cela dépend des conditions prévues, des termes du contrat quand il vous cède la terre. Cela dépendait des propriétaires. Certains étaient raisonnables : ils vous donnaient leurs terres gratis ou presque afin de les nettoyer et de les mettre en valeur. Ensuite, il y avait les autres, plus roublards, qui ne voulaient pas que nous en vivions bien ! Ceux-là posaient leurs conditions ! U menu, unu ! Un décalitre tous les dix pour lui ! On ne pouvait pas faire moins. Mais c’était rare qu’ils ne prennent que cela : en général deux, trois décalitres ! »

Natalinu Massiani parle librement des prétentions parfois excessives de certains propriétaires terriens qui exigent après 1945 le tiers de la récolte sans autre mise de fonds que la terre. « C’était beaucoup !… Era assai !… Elli ùn era che a so terra ! Il fallait que nous fournissions tout ! Il n’y avait que leur terrain : li rendivamu i so lochi puliti ! Ces terrains étaient du maquis et ensuite ils étaient

53 Natalinu Massiani.

54 Ce proverbe revint souvent dans les propos : il signifie que l’on ne possède rien car la terre, les bœufs et les habitations tout cela est loué, baillé, affermé.

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Rappelons que la solidarité qui régnait à cette époque n’était pas un vain mot. Les chjamate (appels) ont évité à bien des chefs de famille des infortunes et des déboires aux moments des récoltes, des semailles ou toute autre activité à entreprendre. Les villageois suppléaient le malade, le blessé ou même le défunt et s’organisaient face à l’urgence de la situation pour modérer l’impact dû à l’absence de l’un des leurs.

Natalinu explique qu’après la guerre, grâce à l’entente des plus jeunes et à une entraide forte, la récolte d’orge s’acheva le 30 mai. Le lendemain, ensemble, ils allèrent se détendre à la foire de Francardu.

Autosuffisanceet compléments ?Les rendements céréaliers n’étaient pas toujours à la hauteur

de ces travaux épuisants. Les terrains sont parfois épuisés malgré les tentatives d’assolement, les fumures et les amendements par enfouissement. « Pour le blé, cela dépendait des années : la sécheresse ou des mauvaises années, tout cela joue. Le blé rendait peu parfois ! Cela pouvait aller jusqu’à 10 ou 12 décalitres mais de 8 à 9 c’était la règle. L’affare era guasi sempre cusi ! Mais pour l’orge c’était différent ! L’orge produisait davantage. Je me souviens d’avoir transporté sur u sumere caruzzatu, 17 décalitres d’orge à carrozzu,61 par voyage. Cette orge avait eu un rendement de vingt !… Mais cela vient du fait que l’orge avait été suminatu in un locu chi era statu debbiatu. »

Les lentillesÀ propos des lentilles, Natalinu Massiani exclue d’en avoir

semé beaucoup. Il développe volontiers un savoir-faire très précis pour le choix des lopins et précise le recours pour cette production à un brûlage ciblé pour espérer une récolte abondante. « J’en ai planté

61 « On dit carruzzà u granu, l’orzu. Le transport se fait avec l’âne ou le mulet, avec l’animal que vous possédiez. Sur le bât, on place u carrozzu qui est constitué par 6 stanghe, six traverses de bois bien arrimées et vestutu cun i lenzoli di saccu, de grandes pièces de toile qui tombent très bas et que l’on appelle i vultini. On remplissait les poches formées, et on transportait cela à l’aghja. » Natalinu Massiani. Les gerbes sont rangées méticuleusement puis bordées pour ne pas perdre de grains.

bœufs qui tiraient le tribbiu (pierre à dépiquer) mais il fallait les accompagner, les stimuler, les guider dans une ronde monotone et à pas comptés, replacer les javelles et veiller au grain. Un chant accompagne ce labeur.

Les informateurs eurent plus de mal à en parler et dévièrent bien souvent le propos. Toussaint Trojani nous confia celui-ci : « O tribbiera, O tribbiera, à cavallu à Mamma Piera ! E se Mamma Piera ùn vole, à cavallu à e so figliole. » Il s’en excusa presque le jugeant trop leste pour des oreilles féminines. Les paroles mal comprises sont la cause de cette réticence : Qui est la Mère Pierra et qui sont ses filles que l’on désire enfourcher ? Nous retrouvons ici la personnification de la famine Mamma Piera, telle qu’évoquée dans le célèbre lamentu 59 de Paoli di Tagliu et ses filles, les disettes.

Après la tribbiera vient la spulera qui consiste à projeter en l’air, avec des pelles de bois ou de fer, le mélange de fétus de paille et de grains. U trattu propice (bise) écarte la paille le grain lourd forme un tas. On place un stavellu au centre du tas au début et « u granu falla à l’ochju. »60 Mieux vaut se couvrir la tête d’un mouchoir ou autre car a pula, fine poussière, vous pénètre partout sous un soleil de plomb. Dans un village sans sources nombreuses et abondantes, elle augmente la soif et la sensation d’étouffement.

Pour protéger le grain des sorcières et des fourmis, dit-on ailleurs dans l’île, u stavellu était placé autrefois au sommet du tas de céréales, a mansa. Les Lamais sont bien trop cartésiens pour ce genre de balivernes : « certains le faisaient mais pas moi ! » Seul, Antoine Costa livra la formule secrète murmurée à l’aghja : « San Martinu, Diu lu faccia ! » Là, ne s’arrêtaient pas encore les travaux et les peines, car il fallait encore nettoyer le blé, le laver, le faire sécher et le porter au moulin par des sentiers mal entretenus. Obligation de ramener la farine à la maison, de la ranger à l’abri de l’humidité : il fallait alors veiller aux rats et souris, aux fournis et aux mites.

59 « La to cumpagna di strada, Sarà sempre Mamma Piera » composé en 1926 par A.-B. Paoli dit Paoli di Tagliu ; (Ta compagne de route, Sera toujours Dame Famine).

60 « Le blé retombe sans dévier », Hyacinthe Massiani.

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existe usant de l’eau des vallons, ravines et des surverses des fontaines-sources du Canale, de A Sulana, du Loru ou de Funtana Bona.67 Un moyen rudimentaire d’arrosage a aujourd’hui disparu de ces lieux : u coppulu, sorte d’écope archaïque à long manche confectionnée en fer-blanc (lametta). L’eau prélevée ainsi dans les pozze 68 ou dans le ruisseau, est projetée sur les plants (pomme de terre principalement) situés sur une plate-bande supérieure. C’est un travail physique, long et fastidieux. Antoine Costa évoquant son usage fut interpellé par Christian, son fils. Il fit remarquer que l’arrosage consistait bien d’avantage en un apport mesuré à chaque plant à l’aide de seaux ou d’arrosoirs, qu’il existait çà et là quelques canalette de récupération permettant de guider le précieux liquide d’une planche à l’autre ou du ruisseau à la lenza. Il a gardé en mémoire l’obsession paternelle à vider totalement la réserve d’eau à l’aide parfois de simples boîtes de conserve. Le père jugea cette opiniâtreté naturelle : elle est ancrée dans ses gênes. La pénurie d’eau, qui contraignait terriblement les hommes et les ressources, ne tolérait aucun gaspillage. Mais, outre l’assurance de ne pas causer de dépôts vaseux, cette vidange totale de la réserve d’eau tenait ses fils loin des possibles bêtises ou méfaits.

L’ortu seccu 69 prend de fait une importance considérable dans une gestion parcimonieuse des ressources maraîchères. « Vous, vous aviez de l’eau. Vous aviez la rivière ! Ici il n’y avait que le ruisseau… Il nous fallait monter en haut du Macinaghju ! Les lenze près de l’eau n’étaient pas pour nous ! » martèlera un autre témoin expliquant que les terrasses qui bordent le ruisseau du Macinaghju à A Santarella reflètent assez fidèlement l’organisation sociale du village. Les

67 « Il y avait le ruisseau. Les jardins débutaient en-bas, depuis A Santarella jusque là-haut dans la montagne, là il y avait des jardins de tous côtés. Mais si, dans certains endroits, on avait la possibilité d’arroser au sillon, ailleurs il fallait tout arroser à l’aide d’un seau. (…) Sinon, quand il s’agissait d’arroser des pommes de terre, il y avait le coppulu. C’était un ustensile fait en fer avec un manche. Alors, on faisait des pozze dans le sol dans les lenze, et avec ça on lançait l’eau et on arrosait les pommes de terre », Natalinu Massiani.

68 Puits maçonnés dans les sols ou les murets des terrasses et collectant les eaux ruisse-lantes ou filtrantes.

69 Jardin sans moyens d’arrosage planté de pommes de terre, d’oignons, d’ail, de fèves ou pois mais dont le rendement est assez faible. Un usage intensif en est fait sans rotation des cultures et les fumures ne suffisent pas toujours à amender le sol.

parfois pour une consommation familiale. Vous voyez, on les semait plutôt dans un sol qui venait d’être debbiatu 62, là où il y avait de la cendre. Elles produisaient abondamment ainsi, tout comme le blé dans ces conditions, indè u brusgiatu 63 » Louis Beveraggi précise le choix de son père qui décide de semer les lentilles dans une calanque inaccessible aux bœufs de labours sur une terre affermée. Dans les creux, au milieu des pierres, le maquis et la terre concentraient beaucoup de substances. « Suminemu duie lentichje chi hanu da scimisce quì 64 ! » Ces légumineuses demandent peu de moyens. Elles sont d’autant plus intéressantes pour les fermiers, métayers et petits propriétaires toujours tourmentés par l’autosuffisance alimentaire. Leur culture facile en exploitation maximale des terres en complant avec les céréales offre une récolte sans dépiquage, un égrenage par simple frottage et parfois sans vannage. Les lupins offrent eux une possibilité d’enrichissement des sols épuisés auxquels ils « apportent du fer ». Ils étaient semés après la moisson, inde e stoppie 65. La récolte est souvent partielle mais les chaumes et les délaissés amenderont la terre lors des labours. La consommation de lupins est bien loin semble-t-il. Un travail de trempage trop pénible à mettre en œuvre dans un pays sans eau ? Ou bien est-ce une marque de pauvreté trop grande pour parler des galettes et du pain que l’on fabriquait 66 ?

Voir photo page 36

OrteLes espaces de jardinage sont le plus souvent peri-villageois,

généralement de petites surfaces (e lenze ou pianelle) et supportant mal une culture vivrière avec un arrosage peu existant ou quand il

62 Debbià, fà u débbiu :

63 Dans le brûlis.

64 « Semons des lentilles car elles vont prospérer ici ! »

65 « Ils ne labouraient pas, ils les semaient car la terre était déjà travaillée et le lupin s’enracinait facilement » Louis Beveraggi qui se souvient de les avoir dégustés comme des olives à l’apéritif mais pas autrement.

66 « … le pain de lupin vous avait ouvert l’appétit. » : L’affrontement de deux hommes au temps de la Révolution française 1780-1800, Antoine Franzini, Éditions A. Piazzola, 2013.

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soupèse « Una pumata à elli è una à noi ! Un cavulu à elli è unu à noi, ma u più bellu sempre à elli 72 ! » La pression se fait plus grande dans une époque défavorable et chacun compte sa sueur et son travail ou ses arpents et leur rapport. Dans les années 2000, ‘ce partage traditionnel’ des légumes et des fruits fut de nouveau proposé et blessa les enfants d’anciens fermiers. « Oghje ! Orte per mezu ! vi si pare ? 73 »

Notons enfin les ventes relativement rares de jardins arrosables et leur prix élevé. Ainsi, en décembre 1927, Pierre-Jean Costa, boucher à Lama, achète auprès de Xavier Massiani, cultivateur à Bastia, un jardin arrosable au lieu-dit Guadella et environ 800 m² de terre labourable au lieu-dit Valle pour 1 000 f pour le jardin et 1 600 f pour la terre.

Quelques légumesLama était mal aisé à jardiner, les paysans de Caccia ou du

Ghjunsani y trouvaient des débouchés pour leur surplus de pro-duction. E purraghje (marchandes de poireaux) étaient attendues et guettées. Cécile Viarengo et Paul Massiani racontent les cris et les courses vers le haut du village pour prévenir de leur arrivée, la précipitation des ménagères jusque dans A Costa pour dévaliser les revendeurs et parfois le désarroi de ceux qui avaient attendu en vain sur la place commune pour faire provision de poireaux à replanter à l’abri le long d’un mur et réservé pour l’hiver : « souvent elles avaient tout vendu avant de parvenir aux maisons. » Se trouver démuni de poireaux laissait présager de soupes moins goûteuses.

La tomate est le symbole d’un repas estival mais aussi le premier condiment hivernal. « E pumate sopra tuttu ne nasciva nantu i suvaghji di quelli purcili chi a ghjente si servia custi. Si pigliava belle piantine ! Eppo, eranu belle quelle chi nascivanu cusi per ‘si purcili 74 ! »

72 « Une tomate pour eux et une pour nous ! Un chou pour eux et un pour nous, mais le plus joli toujours pour eux ! », Mémoires de Lama, 2013.

73 « Aujourd’hui ! Des jardins pour une demi-récolte ! Ce n’est pas croyable ? »

74 « Les tomates ! Les tomates surtout naissaient sur les lisiers des porcheries : les gens les récupéraient ! On y prenait de beaux plants à repiquer ! C’étaient vraiment de beaux plants ceux qui poussaient près des porcheries ! » Natalinu Massiani.

grandes bandes de terre aisées à mettre en culture et à arroser sont aux mains des propriétaires terriens. Les plus modestes détiennent soit des lopins situés haut dans le Macinaghju, soit des jardins plus éloignés des facilités d’arrosage tant par prise d’eau directe que par possibilité de thésauriser dans e pozze. La maîtrise d’un jardin arrosable crée une possible disparité sociale. L’eau seule permet un jardinage efficient et donc une abondance de légumes que l’on peut réserver à la famille mais que l’on peut aussi vendre ou troquer.

L’Orte per mezuMais le jardinage cache une autre réalité. Natalinu Massiani

explique que peu ou prou chacun avait un jardin et que ceux qui n’en détenaient pas avaient la possibilité d’emprunter le jardin d’un autre sans bourse délier 70. Posant plus avant la question, divers témoins précisent : rares étaient les propriétaires exigeant un loyer pour un jardin, mais d’aucuns le faisaient. On évoque longuement l’orte per mezu qui offre au propriétaire du jardin la moitié de la récolte l’année durant sans autre contribution que la terre. « A fame ci purtava tandu 71 ! » Les jardins de Funtana Bona furent peu exploitables après 1943 et à l’incendie décidé par les Italiens voulant stopper les migrations des armes débarquées Saleccia et que les partisans dissimulaient en montagne. Ce mode de fermage fut durement ressenti par une population affamée par la guerre. Il trouve sa survivance dans l’absence de bras auprès de certains propriétaires et la nécessité alimentaire des autres. Les fermiers-jardiniers ont des enfants à nourrir. Les propriétaires-bailleurs manquent d’ouvriers agricoles. Les temps sont difficiles et les règles se modifient. Autrefois, le payement se passait sur simple adaptation des panières potagères livrées au domicile du propriétaire dans un rapport de confiance, comme le confie Louis Beveraggi dont le père cultiva un temps les jardins Massiani. Mais en temps de guerre et après, on compte et

70 « À pocu pressu, tuttu u mondu avia u so picculu giardinu. Ossinò quellu chi ùn avia mica è chi u vulia mette, truvava sempre qualcosa. Pudia avè un pezzu di qualchisia : u l’imprestavanu, mica pagendu. » Natalinu Massiani.

71 « La faim nous contraignait à cette époque ! » Mémoires de Lama, 2013.

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utilisait a partica… Cette perche était fichée dans le mur. On la faisait descendre et on y accrochait u tribbiu. (…) qui servait de peson. On l’abaissait puis on le faisait remonter pour bien serrer. » 78

Le territoire était bien pourvu de vignes 79, de A Sulana à U Manganu, du Parsicu à Volpe Ramata, plus ou moins grandes causant bien des soucis ou servant de pâture après les vendanges aux bergers. Il y eut diverses tentatives plus ou moins réussies de plantations nouvelles après l’épidémie de phylloxera au début du siècle dernier, Lama se prononça d’ailleurs contre les cépages américains 80. Le vin produit est fort et très apprécié. « Il n’est pas fait pour les femmes comme celui de Petralba ! » La vigne di u Parsicu d’Hyacinthe Massiani, reprise et entretenue par ses fils, en produit encore. La fabrication de l’eau-de-vie 81 fut l’objet de discussion à mots couverts et à mi-voix de la part des anciens qui en connaissait les implications fiscales et douanières tandis que les plus jeunes étaient plus diserts. On distilla du marc mais aussi des arbouses et des figues de Barbarie. On vendit de l’acquavita sous le manteau y compris les sgiò, à la barbe des douaniers fussent-ils Lamais. On en transporta jusqu’à Bastia avec la complicité du chauffeur du car, on en partagea aussi raisonnablement pour certains, moins pour d’autres, et on refuse de croire les mauvaises langues du voisinage qui prétendent que si le vin de Lama est bon, leur eau-de-vie fut parfois coupée d’eau.

Abeilles« Il n’y a pas d’abeilles à Lama ! » tel était le présupposé des

habitants au démarrage de l’enquête. Petralba et Urtaca semblaient

78 Natalinu Massiani. Il fit du vin pour lui-même, il prêta la main aussi gracieusement. Il regretta seulement que certains Sgiò ne récompensent, de mauvaise grâce, que d’un panier de mauvais raisins les journées passées par les plus pauvres lors des vendanges.

79 Voici le relevé de communes viticoles de Balagne transmis à l’I.N.A.O. dans le cadre de la demande d’AOC « Coteaux de Balagne » en 1970 : Lama, 23 viticulteurs pour une superficie de 17 hectares ; Pietralba, 92 viticulteurs et 41 hectares ; Urtaca, 14 viticulteurs et 36 hectares ; Novella, 10 viticulteurs et 17 hectares. A. D. H.-C.

80 Délibération du Conseil municipal, le 20 novembre 1885.

81 Le sujet est tabou. Il y eut trop de problèmes, de dénonciations à propos de cet alcool pisté par les gendarmes, la douane et le fisc.

Mais le manque d’eau offre une récolte miséreuse si on laisse le plant se développer à sa guise. Natalinu Massiani, apprit à en forcer la productivité, portant une attention particulière à l’élimination de la grosse fleur centrale à chaque palier du pied de tomate, aux gourmands et à l’étêtage 75.

L’autre légume, incontournable, est a cipolla castagnaghja. L’oignon rouge 76, de mauvaise garde, est remis en terre en septembre et repousse tout au long de l’hiver. Il est de tous les repas pris aux champs et sublime l’aliment ordinaire qu’il accompagne. « Mi ricordu, quandu andavamu in campagna che no’ lavuravamu, è d’istatina quand’ellu si cugliva u granu è tuttu… quande no’ andavamu à cassà a crutta c’era u pezzu di prisuttu eppo c’era a cipolla ! Si manghjava cu a cipolla ! C’eranu sempre e cipolle in campagna… incu u casgiu torna 77 ! »

Vigne« On vendangeait puis on foulait. Dans le temps on écrasait les

grappes aux pieds ou on les hachait puis on versait dans le palmentu pour la fermentation. On laissait fermenter le temps que l’on désirait selon le résultat souhaité… il n’y avait pas d’obligations… Certains laissaient fermenter moins longtemps… Voilà la préparation du vin. Ensuite on tirait ce jus avant de le placer dans des tonneaux. Il reste a vinaccia, le marc, que l’on pressait. Dans le temps les presses n’existaient pas ! On préparait un plancher, et on pressait là-dessus. On fragmentait le marc pour que le tas soit homogène. On fait a mansa di a vinaccia. Et, par-dessus, on plaçait i tavulloni. Ensuite on

75 « A pumata, per avè una bona racolta ci vole ancu à sapella fà. Eiu, m’anu amparatu perche ùn l’aghju mica induvinatu eiu quessa. A pumata a pigliate è a piantate. Quand’ella parte, dopu, caccia un bouquet. U primu bouquet in fondu è inde u mezu c’hè un fiore ch’hè piu grossu che l’astri. Allora, quessu ci vole piglià è suprimallu subbitu. Cacciallu,… cio chi face chi l’astri fiori si mantenenu in fruttu, cio chi a da vene in fruttu. Eppo, à ogni cullata ch’ellu face caccia un bouquet è custi ci vole à cacciallu, eppo ci vole à esse attenti à caccia « i gourmands »… eiu a cullava nant’à una vetta ! È in cima ci vole à scapalle ! »

76 Il est aussi replanté pour revenir sous le nom de tuppaghja,

77 « Je me souviens que quand nous étions dans la campagne, pour les labours et en été durant les moissons. Quand nous allions casser la croûte, il y avait un morceau de prisuttu et il y avait de l’oignon ! On mangeait avec l’oignon rouge ! À la campagne, on avait toujours de l’oignon… avec le fromage aussi ! », Natalinu Massiani.

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des ruches dans les murs ! » On proclama là aussi que cela n’existait pas sur le secteur. La découverte du premier rucher de ce type sur la façade de la chapelle Saint Laurent en réemploi d’une ouverture leva le voile sur cette apiculture totalement escamotée de la mémoire. Il y a des ruches primitives maçonnées dans le pagliaghju de Biancamaria, des bouches à abeilles sur la casetta di u Surbellu, sur le fragnu du Sgiò Lellè dans la Costa, des incrichje sur les fragni de la vallée… Il fut impossible de les situer tous ; on s’étonna d’ailleurs de la constance à vouloir les débusquer. « À quoi cela peut vous servir ? nous on ne savait même pas que c’était là ! » La redécouverte de ce petit élément de bâti agricole est l’essence même de ce travail.

Voir documents page 38

Mûriers, vers à soie et autresOn peut lire publié par le Petit Bastiais de 1882, un avis publici-

taire à propos de l’éducation de vers à soie pour des graines assurées par des reproducteurs sélectionnés : « Vu l’importance chaque année croissante que prend en Corse le commerce des graines de vers à soie. M. François Piazza, sériciculteur, pour contribuer à l’amélioration et à la conservation de la race du pays, met des reproducteurs de choix à la disposition des éducateurs qui lui en feront la demande. Les de-mandes sont reçues à partir de ce jour jusqu’à l’ouverture de la pro-chaine campagne séricicole. S’adresser à Oletta pour les conditions. »

La présence de mûriers au sein même du village nous fit poser rapidement la question de la sériciculture 83. On la posa aux femmes en premier car elles en avaient généralement la responsabilité. Les hommes se bornent à construire les châlits et à transporter les branches de mûriers s’ils se trouvaient loin. Cécile Ceccaldi rencontrée tardi-vement accepta, sans ambages, d’en parler, évoquant les promenades jusqu’à la rivière pour récolter les feuilles des mûriers destinées à nourrir les vers à soie. Ce fut plus difficile pour les autres femmes : d’aucunes nièrent en avoir jamais connu au village et encore moins

83 cf. Précis élémentaire de sériciculture pratique : mûriers et vers à soie, A. Gobin, Audot (Paris), 1874.

détenir le privilège d’apiculture. Aux remarques réitérées sur le signifié des toponymes Ernaghju Supranu et Ernaghju Suttanu, Casa à u Bugnu, et sur celui plus controversé de Miellasca, les réponses ne varièrent pas : de mémoire de Lamais il n’y avait jamais eu de ruches sur le territoire. Puis Natalinu Massiani se souvint des abeilles rejetées plus loin que le Parasicu, presque sur le territoire de Novella. Là, dans son adolescence, il avait quelques cascitelli. Il utilise le vocable lamais et nom le générique insulaire. Dans la présentation de Lama, l’abbé Galletti prétend le village riche en cires et donc en abeilles. L’enquête de l’An x est aussi très précise à leur sujet. Toussaint Trojani qui la traduisit 82 accepta de confier ses souvenirs à propos du rucher que son père entretient à a Sulana « Il faisait ses ruches lui-même,… des caissons en bois avec le fond amovible, il y avait une petite planchette ! Et après il prenait de la bouse de vache pour calfeutrer toutes les ouvertures pour qu’il y ait l’obscurité absolue. Au début je ne sais pas où il a pris u bugnu, l’essaim. Cela s’appelle un bugnu ! (…) Une fois, je me trouvais avec lui quand l’essaim partait. Il me dit — Envoie du sable en l’air, envoie du sable en l’air !… Il m’a fait comprendre que les abeilles pensant que c’était la pluie, la tempête… se posent. Elles trouvent le meilleur endroit et elles se posent. Et là, après, cugliva l’insame : il prenait la ruche et avec une sorte de cuillère, avec des gants, il mettait l’essaim à a cuchjara ! » La récolte se fait avec una visera, un masque de fin treillis et des gants puis « Ma mère faisait le miel. On pressait le miel et après [on faisait] la cire. Lui comme il était cordonnier, il s’en servait un peu… On faisait bouillir dans la grande marmite [les restes de cire] et cela faisait un pain de cire. » On remarque que les techniques et les outils ont peu ou pas évolué en 150 ans.

Natalinu Massiani se souvient des cierges et autres candelli qu’une vieille dame confectionne devant sa porte Sottu à a loghja utilisant une louche. Son fils dira-t-il ne laissait perdre aucunes cires sur le territoire. Les ruches maçonnées et les bouches à abeilles suscitèrent de la défiance et beaucoup d’ironie. « Elle veut mettre

82 Toussaint Trojani, in Strade opus cité.

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minoritaire, si marginale qu’elle a disparu du discours ? Y a-t-il une explication moins simpliste ? Les fabricants de fune, pourtant moins rutilantes, firent partie des activités abordées très librement par les personnes interrogées.

La liste des exploitants agricoles de la commune de Lama en 1953 est relativement restreinte : certes elle ne précise que les chefs d’exploitation et non les agriculteurs. Notons la surface exploitée par Massiani Laurent qui représente à elle seule 41 % du total.

Voir graphique page 37

Ceccaldi Attilius ......................... 2,10 hCerli Laurent .............................. 3,62 hMassiani Dominique .................. 2,20 hMassiani Laurent ........................ 8,14 hRossi Mathieu ............................ 3,62 hCelle des exploitants agricoles en 1961 en revanche est bien plus

étoffée : 38 exploitants. Elle laisse à penser que chacun a compris la nécessité de déclaration afin de justifier d’une retraite sinon décente du moins certaine.

Les surfaces déclarées sont très inégales et vont du simple au centuple.

Bertola (héritiers) ..................... 45,12Franzini André .......................... 15,23Massiani Laurent ...................... 10,7Massiani Antoine ........................6,36Ceccaldi Attilius .......................... 5,02Leonetti Joseph .........................4,51Saturnini Ève (Vve) .....................4,45Massiani Hyacinthe ....................4,12Massiani Thérèse (Vve) ................ 3,9Leonetti Antoine (Urtaca) .......... 3,72Baccelli Lucien ........................... 3,64Costa Pierre-Jean ........................ 3,62Suzzoni Alexandre ..................... 3,62Massiani Estelle .......................... 3,5

chez elles alors que c’est là précisément que les hommes situaient les élevages, d’autres opposèrent une fin de non-recevoir. Sous couvert d’anonymat de crainte de froisser les familles des éleveurs (3 mais sans doute plus) et sans les nommer, on nous livra ce témoignage.

« Je me rappelle que dans une maison du village j’ai vu un élevage de vers à soie. Il y avait des claies, des claies en bois disposées en hauteur avec dessus des branches de mûrier. Et je vois encore, les vers à soie, de gros vers blancs, qui faisaient un bruit de succion et qui rongeaient ces feuilles. Cela sentait mauvais… J’ai entendu raconter que, après, quand les vers se mettaient en cocon, des gens venaient les prendre et ils les payaient en argent. J’ai toujours entendu dire par mes parents qu’avant il y avait des élevages de vers à soie. »

La question d’un complément de revenus en monnaie son-nante et trébuchante est donc posée. Elle est probablement la cause de la rétention de témoignages. L’informateur précise : « C’est un complément de revenus qui ne demandait pas beaucoup d’investis-sement. Il fallait avoir de l’espace, de la place car c’était de grandes claies et il fallait des mûriers… Ils ramassaient les branches pour leur donner à manger. Je suppose que quand les personnes venaient les prendre ils les payaient en argent et cela faisait une rentrée à une époque où les espèces n’étaient pas si fréquentes. 84 »

Les tentatives semble-t-il avortées ou de mauvais rendement des cédratiers 85 notamment dans le Parsicu connurent le même silence. Sans parler de l’hypothèse de cultiver des géraniums.

Pas plus de réponses en ce qui concerne le chanvre ou le lin mais un arrêté municipal stipulant qu’ « il est aussi défendu d’entretenir, à moins de cinquante mètres des habitations, aucun fouloir pour le chanvre ou le lin » en 1921 laisse perplexe. Était-ce une activité si

84 On peut lire dans le Rapport de la Commission Delaunay, sur l’enquête provoquée par Clemenceau, en 1902, que la perception d’une commune n’avait pas pu faire la monnaie d’une pièce de 5 F. En 1915, Mademoiselle Monti a souscrit à l’emprunt d’État destiné à financer les frais de la guerre : « elle a remis au Percepteur deux pièces de vingt francs or » à la grande surprise de ce dernier qui les baisa en déclarant que « Ce sont les premières pièces que je vois depuis le début de la guerre », in Souvenir, opus cité, p. 29.

85 Vente à réméré par Montecatini d’Urtaca à Bonavita d’un bien complanté d’oliviers et de cédratiers… ayant appartenu au docteur Franzini. A. D. H.-C.

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U rughjoneLes bergers ne disposent généralement pas de terres suffisantes

pour leurs troupeaux. Tous baillent peu ou prou. Les propriétaires d’oliviers y ont tout intérêt : cela les nourrit, entretient le sol et permet d’assurer les provisions fromagères annuelles. « U rughjone ? In casgiu, Quì ùn vulianu che casgiu ! » Les pâtures pour les troupeaux tant de chèvres que de brebis se paient en fromage, en kilos de fromage fattu o vechju (affiné ou vieux), vingt ans après-guerre. Dans le compte-rendu d’un procès 87 en 1949 on peut lire : « En 1943, feus les sieurs Jean-François Franceschetti et Vitti dit Trinchetto ont loué les herbages au requérant pour les besoins de leurs troupeaux sis sur la commune de Lama. Attendu que le marché suivant a été conclu, Franceschetti devait en payer 10 kg de fromage vieux et Vitti 15 kg. » Le litige porte sur le paiement partiel en nature que la fille Franceschetti a fait parvenir en 1944, soit les 15 kg de la part de Vitti « avec promesse de payer le restant ». Le jugement condamne la défenderesse « à payer la somme de trois mille francs, prix des kilos de fromage ». U sgiò Lellè patienta cinq années pour le paiement en fromages avant de traduire en justice l’aschese débitrice pour son père : mieux valait attendre le fromage de qualité que d’exiger un paiement en argent plus rapide. Paul Massiani évoque les loyers des rughjoni sur Lama. Ne possédant pas de terre, il doit louer ou sous-louer les prés et autres pâtures. « Je donnais 80 kg de fromage affiné à un seul propriétaire pour pacager chez lui. Mais, il n’était pas le seul… 10 ici, 5 là et à la fin ne restait plus rien ! » La charge est lourde : les années sans profits, le troupeau malade, la foudre, la neige… Mais le champ est là et réclame son fromage et rien d’autre.

Les rughjoni ne se bornent pas aux pâtures. Ils participent à leur niveau à la bonne ou mauvaise entente sociale ou politique. Un procès, présidé par le Juge Antoine Orabona, oppose en 1953 Pierre Ferrandi et Laurent Sauli. Pierre Ferrandi, propriétaire, comparait pour son épouse Pauline. Le litige porte sur « 15 000 francs, montant

87 Entre Laurent Massiani, propriétaire demeurant à Lama et Nathalie Franceschetti épouse Cattani demeurant à Pontare commune de Canavaggia. A. D. H.-C.

Bonavita Joseph (Urtaca) ............ 3,38Tortora François ......................... 2,8Massiani J,- Laurent(Vve) ............ 2,75Trojani François .......................... 2,68Ferrandi Fçois (Valle di Rostinu) 2,46Orsoni Antoine (Moltifau) ......... 2,45Vittini Jean (Bigorno) ................. 2,18Leonetti Ange ............................. 2,11Sauli Laurent (Ascu) ................... 2,07Giuseppi Pascal (Pietralba) .......... 2,02Massiani Lazare .......................... 1,83Leonetti François (Nice) ............. 1,78Massiani Joseph .......................... 1,7Gaspari Pascal (Pietralba) ............ 1,69Bonavita A.-Joseph (Urtaca) ....... 1,65Ladurelli Jacques (Bastia) ............ 1,64Beverraggi Jean (héritiers) ........... 1,58Geronimi Camille (Pietralba) ...... 1,52Montecatini Alexandre ................ 1,19Ori Clément (Fontainebleau) ...... 1,16Ricetti François ..........................0,97Cerli Laurent (héritiers) ..............0,89Costa Pauline ..............................0,8Biadelli Philippe .........................0,45

Voir graphique page 42

Les héritiers Bertola déclarent presque autant que les 23 plus petits exploitants réunis soit 45,12 hectares contre 40,37 h et 28 % du total.

Bergers et troupeaux

A capra pà i povari,a pecura pà i ricchi 86 dit un proverbe du sud de l’île. Lama le confirme assez bien.

86 La chèvre pour les pauvres, la brebis pour les riches.

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la chênaie de Gargalagna pour une année. Il découvre que l’on a pacagé les glands en totalité et demande au juge réparation car le dommage est important. Le coupable désigné admet la faute mais apporte la preuve que la date de la soumission est postérieure, de peu, au dommage. Camille Costa a acheté des glands déjà pacagés ! La bonne connaissance des dates de mutations et de soumissions, les transhumances différées de quelques jours, les tractations de dernières minutes, juste avant la Saint Michel, la méconnaissance de la langue française ou l’illettrisme laissèrent certains bergers « tosi è pasciuti 89 ». Par ailleurs, les locations des troupeaux posent aussi problème. Si les modalités d’allivellu ou de à guallagnu sont équivalentes à l’ensemble de l’île 90, il est à Lama des propriétaires se sentant en droit d’interrompre à leurs convenances un contrat oral 91.

En 1926, les biens communaux de Lama nourrissent 80 chèvres domestiques appartenant à 53 propriétaires et 47 vaches. On compte aussi 3 chevriers, Paul-Dominique Luciani, Ulysse Guidoni et Ours-Marie Sauli. S’ajoutent à ceux-là Toussaint Massiani qui est semble-il en charge du troupeau communal avec un piquet de garantie de 10 têtes ainsi qu’un troupeau de brebis déclaré au nom d’une dame Massiani. Le total représente 387 têtes. Le revenu pour la commune est significatif : les locaux paient une redevance de 1 fr par animal, seul Guidoni d’Ascu paie 190 f pour 50 chèvres 92. On obtient une somme totale de 527 f 93.

89 Lit. « tondus et pacagés ». On explique à Ascu que l’on eut des surprises à Lama. I Patti, accords verbaux, s’écrivaient de manière litigieuse : le bien réservé avait été légalement pacagé par un autre une semaine avant ou bien on prétendait, à propos du degré d’affinage du fromage, que vechju et fattu se valent.

90 Cf. Bergers corses : les communautés villageoises du Niolu. Georges Ravis-Giordani, Albiana, PNRC, Ajaccio, 2001.

91 Rendre les bêtes une année avant le terme implique un manque à gagner certain sur le produit : le partage est maigre !

92 Cerli est caution de Guidoni cette année-là.

93 Archives Départementale de la Haute-Corse.

et valeur d’un pâturage causé avec les chèvres… aux lieux-dits Rubi-cina et Capanali pour des années 1931 et 1932 et non encore payé ». Sauli soutient qu’il ne doit rien car « en la saison 1931-32, il a procédé avec Ferrandi à un échange de pâturages, qu’en effet Ferrandi lui a cédé le droit de pacage sur le lieu-dit Cortaline appartenant à Sauli… Un simple échange de pâturage, qu’il n’y avait aucune soulte de part et d’autre ». La dame Ferrandi prétend que « Sauli a pacagé Ribicina et Capanali mais que son mari a pacagé non à Lama mais à Ivana en dehors des territoires de Lama,… de plus la belle-sœur de Sauli a fait pacagé les Cortaline par ses propres animaux et qu’elle se prétendait copropriétaire, qu’enfin Ferrandi Pierre n’a pu pacager le bien qui lui avait été cédé par Sauli… » Le tribunal constate qu’il n’y a ni preuves ni témoins présentés « qu’il y a eu entre Ferrandi et Sauli un simple échange de pâturages, que si Ferrandi a cédé à Sauli le droit de paca-ger certains biens, il est vrai aussi que Sauli a cédé à Ferrandi le droit de pacager certains autres biens que ces échanges se produisent sou-vent entre bergers en Corse ». Il déboute donc Ferrandi de son action visant à récupérer le prix du pâturage de Rubicina et Cappali. Les conventions passées sont de tous ordres : un réel échange de pacages par commodité, une sous-location pour faire une plus-value parfois. Mais on tente aussi de pallier au manque de rughjone d’un berger qui s’est vu refuser le bien par le propriétaire au motif qu’il n’est pas un partisan politique. L’inverse peut être vrai : on favorise des voix pour des élections incertaines en amputant les pâtures des affidés au profit de ceux que l’on veut voir voter pour tel ou tel parti. Pulitica è rughjone ùn vale ! 88 Ce proverbe résume parfaitement cette idée.

Les informateurs évoquent tous les disputes entre bergers au sortir du prétoire mais aucun n’aborda en détail le sujet. « C’était les Petralbais ou bien ceux d’Ascu, ils criaient, se disputaient… » Les archives privées de Jean-Louis Ceccaldi, greffier auprès du juge de paix, sont une mine d’informations. On y découvre par exemple que Gargalagna continue à ne pas sourire aux Lamais. Camille Costa, Lamais mais marié et installé à Urtaca, a soumissionné et obtenu

88 La politique et les pacages cela ne fait pas bon ménage.

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n’y ont pas accès tant que le troupeau commun y prospère le jugent un bien mort, à l’aune du prix du rughjone sur les terres privées : « u Cummunu c’era diffesu ! C’era u guardia è avia l’ochju 97 ! »

Voir graphique page 43

Casgiu, culostra è seruÀ Santu Antone di mezu ghjennaghju staccà agnellu è fà

furmagliu. 98

Le fromage est le portefeuille du berger nous dira-t-on, aussi fait-on du fromage y compris en estive, à u Stazzarellu 99 ou à A Tavulella par exemple, au prix de sacrifices certains et mal adoucis par la perspective de la vente aux grossistes. Le travail d’affinage nécessite un lieu, la proximité d’eau si possible et du temps, beaucoup de temps. Les caves de a Casa Corallini ont servi longtemps à cet usage. Les mines utilisées lors de l’aménagement avaient fait tourner « u vinu dilicatu di u Sgìo Beveraggi 100 », et avaient favorisé un affleurement d’eau dans les caves que l’on peut toujours visiter. La maison, menaçant ruine, a été rasée depuis. Avoir de l’eau chez soi est una furtuna ! La fortune fut louée aux bergers lamais pour un dédommagement dérisoire nous affirma-t-on. « Ceux d’Ascu et de Ghjunsani ne ‘faisaient’ pas leur casgiu ici. Il n’y avait que les Lamacci. Il y avait Cecceccu, Luiggolu, Tittinu, Ghjuvanni Sauli en bas. Là, ils l’affinaient. Ils faisaient le fromage chez eux et per invechjallu, ils le mettaient là puis ils descendaient de temps en temps à vurtullallu. »101

97 « Les communaux nous étaient interdits ! Il y avait le garde et il avait une bonne vue ! »

98 À la Saint Antoine du mois de janvier, sevrer l’agneau et fabriquer du fromage.

99 En décembre 1935, « les sieurs Luciani, Angelofranchi et Massiani, bergers domiciliés à Lama exposent qu’ils sont dans l’intention de construire un petit bâtiment rural dans la montagne au lieu-dit Stazzarello. » Le conseil municipal autorise le maire à céder une parcelle moyennant une redevance annuelle de 1,50 F soit 0,10 F du mètre carré. « Ce petit bâtiment rural est d’une grande utilité et un abri indispensable et sûr pour les bergers susnommés qui sont obligés de séjourner dans la haute montagne durant l’été. »

100 « le vin délicat du Sgiò Beveraggi » extrait d’une chanson (électorale ?).

101 Antoine Costa ici et Natalinu Massiani, par ailleurs, parlent de façon gourmande et nostalgique du fromage affiné dans ce lieu.

U Pastore CumunaleLe berger communal est un autre personnage singulier. Il prend

en charge durant la journée a capra que chacun possède pour le lait quotidien. En 1900, en remplacement de Massiani démissionnaire, le conseil municipal nomme Jean-Fleur Biaggi aux fonctions de pâtre communal et fixe son salaire à 0,05 f par semaine et par tête de menu bétail. Il reçoit « una panetta à simana è si munghje e capre per ellu duie volte. 94 » Il pacage sur le bien communal mais, si l’année est mauvaise, il doit payer de ses deniers le complément de pâture. Il rassemble les chèvres le matin à u sonnu di a tromba (trumbetta)ou du cornu qu’il dissimule dans le mur de a mandria di u sgiò Lellè 95. Il est comptable des bêtes qu’on lui confie et doit remplacer celle qui vient à manquer.

Une délibération municipale, datée du 1ER novembre 1920, précise, après diverses réclamations, le quartier devant être exclusivement réservé au pacage du troupeau commun des chèvres et du gros bétail. « Les biens communaux situés en amont et en aval du village dans un périmètre approximatif (de trois kilomètres au plus) tels que 1O Montagna Sottana, 2O Monte al Melo, 3O Monte Grosso, 4O Valli-Forci, 5O Albarelli, 6O Cabinettu, 7O Miliaria, 8O Monte Gatto, 9O costa Lunga, 10O Costa Communa, 11O Malcullo, soient et demeurent affectés irrévocablement dans le quartier dénommé ci-dessus au pacage du gros bétail et du troupeau commun de chèvres des habitants de Lama. » Cette modification intervient après la loi de séparation de l’Église et de l’État qui a vu les biens communaux augmentés. Le bien dénommé Poretta en a été exclu, en novembre 1919 pour cause d’éloignement du village. Antoine Costa le considère important.96 Les bergers tels Paul Massiani qui

94 « Il reçoit par semaine un pain (une livre environ) et trait pour lui-même deux fois les chèvres. »

95 Les informateurs situent en ce lieu le rassemblement du troupeau commun mais en 1919 ce n’était pas encore le cas. Une délibération du Conseil municipal récuse les prétentions de Jean-Étienne Franzini qui se plaint de l’insalubrité et des désagréments que cause le rassemblement du troupeau au centre du village aux maisons qu’il possède.

96 « Era abbastanza grande u Cumunale : U Monte Grossu, i Luzarelli, E Sulane, Milaria di qualandi… di Ghjumenta morta à cullà finament’à Chjoppuli quassù ! »

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Oliveraie« La Corse devrait fournir la meilleure huile du monde. Les

olives, généralement petites et grenues, possèdent au plus haut degré le principe oléagineux si recherché dans les arts. La position même de l’île en favorise la qualité, s’il est vrai que l’olivier ait besoin, indé-pendamment d’une chaleur douce du voisinage de la mer. M. le pro-fesseur Moll, mon collègue au conservatoire des arts et métiers, a fait remarquer avec justesse, dans son beau mémoire agronomique sur la Corse, que cet arbre réussissait plus particulièrement dans les terrains impropres à la culture des céréales, notamment dans les pentes plus ou moins rapides des collines qui règnent depuis le littoral jusqu’aux plus hautes montagnes de l’intérieur. Mais les plantations d’oliviers sont l’œuvre du temps et demandent beaucoup de patience. Cet arbre croît lentement, et produit avec inconstance, tantôt des récoltes abondantes, tantôt à peine de quoi défrayer sa culture. On la propa-gerait, je crois, avec plus de succès, si on se bornait à la considérer comme une sorte de versement à la caisse d’épargne, comme un pla-cement effectué par un père au profit de ses enfants ; car il ne faut pas le dissimuler, plus de 20 ans sont nécessaires, même en Corse, au développement complet de l’olivier, et les fortunes modestes des ha-bitants y sont moins en état que partout ailleurs, d’attendre un revenu de cette longue avance. Il est vrai qu’arrivé à la période productive, cet arbre n’exige guère du cultivateur que la peine de récolter : c’est aussi la seule que se donnent les propriétaires de cette forêt d’oliviers qu’on nomme la Balagne. Ils jouissent du présent sans songer au pas-sé, encore moins à l’avenir. C’est par des primes sagement distribuées qu’on encouragerait cette culture, dont le gouvernement recueillerait un jour le fruit, par l’amélioration de la propriété imposable. Rien n’égale en effet la beauté des oliviers qu’on rencontre isolés, le long

Les anciens aiment aussi à raconter les repas issus du lait : a cu-lostra, la soupe de culostra ou au seru, les pâtes cuites dans du lait salé…

A culostra est pour certains un mets de choix à condition de correctement la préparer. Paul Massiani insiste sur la nécessité de respecter les proportions de dilution et le soin à apporter à cuisson : « quand’ell’hè sorda hè cotta. 102 » Elle peut être, à l’inverse de la Caccia, servie sucrée et non salée. On y trempe parfois du pain. Les plus jeunes semblent la dédaigner mais i vechji en connaissent trop les vertus et la valeur d’économies réalisées : il n’y avait parfois rien d’autre de disponible à la maison le soir, les légumes sont rares et la chèvre a mis bas… Le berger aussi est sollicité pour fournir le surplus de colostra après la tétée des cabris ou agneaux. Elle est indésirable dans le lait à destination fromagère dont elle pervertit la conservation et le goût. Elle est souvent réservée à des personnes affaiblies ou malades car on lui prête des vertus fortifiantes et protectrices Sa mise à disposition (ou non) participe à la bonne santé de la communauté. U pastore ne peut socialement risquer la réprobation collective, en refusant de fournir cet aliment-médicament. Le petit-lait ou seru 103 est l’objet des demandes pour des indications différentes. « Un tel venait en prendre tous les jours, il avait sa purge assurée. »

102 « Quand le son est sourd, elle est cuite. »

103 «… votre généreuse mère refusa de lui donner un verre de petit-lait pour prendre une purge quand il était malade », Haine et politique en Corse : L’affrontement de deux hommes au temps de la Révolution française 1780-1800, Antoine Franzini, Éditions A. Piazzola, 2013.

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ont fait fortune. À ce moment-là, ils auraient pu songer à renouveler les arbres et à moderniser. Malheureusement, nous sommes alors rentrés dans un siècle dans lequel les choses se sont mises à péricliter, après il y a eu la guerre, puis la seconde guerre… Ils ne pensaient plus l’économie oléicole rentable… À titre de comparaison, quand vous allez dans la région de Maussane, sur le continent : là, en 1958, tout a gelé… Ils ont replanté juste après ! Pourquoi ? Parce qu’ils gagnaient de l’argent. S’ils avaient gagné de l’argent avant le feu de 1972, je suis certain qu’après le feu ils auraient greffé et repris l’oliveraie. Mais à ce moment-là era miseria ! Et on ne reconstruit pas sur la misère ! De plus, la ville était attrayante. Quand on sait que, dans les années 1930-40, celui qui partait faire le facteur à Paris gagnait plus que le Sgiò ici : Straziavanu i Sgiò… pensez donc celui qui n’était pas propriétaire. »

Si Tony Ceccaldi évoque le cas de Maussane, aucun témoin ne mentionne dans les possibles causes de décroissance oléicole les hivers rigoureux des années 1954 et 56. « L’alive n’avianu vistu d’astri inguerni ! »107 Le froid n’avait semble-t-il pas pu mettre à mal ces géants séculaires. Beaucoup dénoncent le manque de bras et les appétits des propriétaires sans que l’on puisse mesurer l’impact réel du mauvais entretien causé par la guerre de 1939-45 et des conditions météorologiques difficiles. Toujours est-il que les usines à huile fermèrent 108, que l’on préféra la sécurité de la vie ouvrière à la ville, du petit fonctionnariat ou de l’armée. La vie après-guerre sembla trop laborieuse et la perspective d’avenir et d’échelle sociale trop inégale pour accepter de strazià in paese 109.

107 « Les oliviers avaient connu d’autres hivers rigoureux. »

108 Au cours des campagnes 1966-67 et 1967-68 on dénombre pour la Corse on a pour un total de 150 moulins : 41 moulins en activité, 109 en sommeil. Problèmes des huileries d’olive. Contribution à l’étude de leur rationalisation, Commission de communautés européennes, Direction Générale de l’Agriculture…, division des Bilans, Études et Information. octobre 1971.

109 À trimer au village.

des rochers, dans des terrains qui semblent impropres à toute espèce de végétation, et l’on évalue à plus de cinq millions le nombre des sauvageons qui pourraient être greffés dans le makis du sud. 104 »

Cette étude n’a pas vocation historique. Mais, le paysage porte l’empreinte des diverses époques de plantation ou de greffage mas-sifs, depuis les demandes pressantes de Gênes jusqu’aux campagnes, d’après 1824, très volontaristes et incitatives qui tendent à mettre l’oléiculture insulaire sur un mode industriel au moyen de primes et de plans de toutes sortes. Il est des zones où l’on devine, malgré les ravages de l’incendie de 1971, des oliviers alignés presque au cordeau, sur l’Ernaghju par exemple. D’autres, plus anciennes sans doute, dans lesquelles le positionnement sur le pourtour des parcelles des pieds d’oliviers tendent à accréditer une oliveraie matinée d’une complé-mentarité de cultures. Le complant y est plus développé. « L’huile était la principale ressource 105 du village… » dira Antoine Costa en préambule au premier entretien. Tels sont les premiers mots (ou peu sans faut) enregistrés pour cette étude. L’huile et non pas les oliviers, le fruit et non pas l’arbre, le commerce et le troc et non la plantation de vergers d’oliviers.

Oléiculture :une économie en panne

Certains informateurs décrivent une mer d’oliviers 106 en contre bas du village de Lama. Comment expliquer que cette oliveraie soit dans les années 1970 si mal entretenue, si délaissée ? Tony Ceccaldi, qui est le premier depuis bien longtemps à reprendre la plantation d’oliviers, propose une interprétation très raisonnée et sans doute très réaliste de la situation. « On a gagné vraiment de l’argent à Lama non pas au siècle dernier mais le siècle précédent. Certains

104 Nouvelles Annales des Voyages et des Sciences Géographiques, Conrad Malte-Brun, Volume 4, 1838.

105 « L’essenziale quì era l’oliu ! » L’arbre et le fruit ne sont qu’une potentialité ; l’huile est une marchandise que l’on peut vendre ou échanger : « En 1940, sans l’huile, on était fichu ! ».

106 Lama dans l’Ostriconi… opus cité.

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de l’ancienne vigne Villanaccio avec tous les oliviers et autres arbres qui s’y trouvent, le bien ouvert dit Porchiglioli avec tous les arbres qui lui appartiennent ; c) François-Antoine et Vital le bien ouvert dit Ombria à Villanaccio avec les arbres de toutes espèces qui s’y trouvent. d) à Rosalie et à Mathée, cette dernière épouse Costa, le bien ouvert Forcali avec oliviers et sauvageons y compris la portion de terre. »113 Il s’agit de répartir non seulement les terres mais de tenir compte de la valeur intrinsèque des arbres qu’elles portent et des perspectives de récoltes. Deux oliviers d’âge respectable seront de meilleur rapport qu’une dizaine de jeunes pieds tant à la récolte qu’à la revente éventuelle.

La récolteÙn ti vantà d’avè nè oliu nè vinu, fin’ chì ùn sò ghjunti

Ghjurghjettu, Marchettu è Teraminu.114

La récolte débute généralement en novembre et se poursuit jusqu’à juin 115 si elle est abondante. Les femmes recrutées soit sur place, soit à Petralba 116, soit dans les communautés voisines Moltifau, Ascu, Castifau, San Lurenzu, Morosaglia récoltent courbées les olives tombées à terre et en remplissent a sporta 117. Les plus jeunes, les enfants ou les adolescents se chargent de les vider dans des sacs que l’on mènera sur un âne au moulin. Les salaires 118 en nature varient tout au long de la campagne de récolte : en novembre les

113 A. D. H.-C.

114 Proverbe non connu à Lama « Ne te vante pas d’avoir ni de l’huile ni de vin tant que ne sont pas arrivés Ghjurghjettu (23 avril), Marchettu (25 avril) et Teraminu (2 juin). »

115 En janvier 1920, Jean-Darius Sabiani, curé à Lama, cède pour 2 000 F à Joseph-Marie Trojani, officier au 241e Régiment domicilié à Lama, « tous les pieds d’oliviers enracinés sur la propriété dite Solana Sottana propriété appartenant aux héritiers François-Marie Trojani. Le vendeur se réserve la récolte 1919-1920 qui sera terminée le 1er juin 1920 », A. D. H.-C.

116 « Et de Petralba, j’ai vu descendre des femmes et des enfants, une centaine de femmes et d’enfants pour récolter les olives. Le matin ils arrivaient tous à pieds, ils ramassaient toute la journée et le soir ils remontaient », Antoine Costa.

117 Panier en éclisse de châtaignier, de forme oblongue et contenant 8 kg de fruits.

118 « Ils étaient payés en nature à raison d’un demi-litre d’huile par jour du commencement de la récolte (novembre ou décembre selon les années) jusqu’au premier mars, trois quarts de litre du premier mars au trente avril et ensuite un litre », Souvenirs, opus cité.

Propriétés arboraires

Il existe à Lama comme ailleurs quantité d’oliviers plantés sur les terres d’autrui. « On possède souvent des arbres sur une terre qui ne nous appartient pas, ou inversement on est propriétaire d’une terre qui porte des arbres appartenant à un autre propriétaire. (…) il s’agit seulement d’arbres donnant des fruits comestibles – oliviers, pommiers, pêchers, figuiers, noyers, châtaigniers…110 » Cette propriété non limitée dans le temps ouvrait un droit de replantation et engendrait parfois des conflits et des rivalités féroces du fait des contraintes 111 qu’elle imposait au propriétaire du lieu. « L’aliva c’hè è ci stà ! »112 s’exclama Natalinu Massiani argumentant sur la nécessité de respecter et de protéger cette possibilité de possession. « Avè alive di soiu ! » des pieds d’olivier à soi est parfois la ‘seule fortune’ dont on dispose. « Les spartimenti (partages), cela devait être comme partout ailleurs, chez vous pour les châtaigniers et pour nous l’alive ! (…) Il y avait souvent des oliviers sur les terres des autres. Eh oui ! Nous, nous en avions sur dix-sept propriétés. Nous avions acheté les oliviers du Sgiò Ghjuvan’ Vittore Grimaldi de Petralba et ils étaient répartis sur 17 chjose qui ne nous appartenaient pas. Au moment de la récolte, ni les brebis ni les vaches ne devaient pacager là. Ci vulia à rispettale ! » Antoine Costa revint souvent sur ces arbres et sur leur importance. Il regretta l’abandon de leur droit à replantation ou regreffage après le feu. Les testaments et les actes de vente précisent la destination des arbres – oliviers ou autres – et parfois des récoltes. Le testament de Paul Massiani, décédé le 27 avril 1920 mentionne, par préciput en 1916 et hors part, la répartition de ses bien entre ses enfants : « a) Ange-Toussaint, le bien clos et le jardin Loro ; b) Marie, portion

110 Notes sur la propriété arboraire, in Études Corses, Lamotte Pierre, 1956, nouvelle série n° 12, p. 60.

111 « … leur propriétaire n’est tenu de verser aucune redevance – du moins avant le xixe siècle – au propriétaire du sol et [il peut en disposer à son gré]. Bien mieux, le propriétaire du sol est tenu de ne pas laisser paître du bétail autour des arbres tant que dure la récolte des fruits ». Lamotte Pierre, ibidem.

112 « L’olivier y est et il y reste ! »

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Bastia, baille pour 6 ans à Mathieu Rossi, cultivateur à Lama, une propriété sur le territoire dénommée Mortola-Vetricione pour un loyer annuel de 500 f. En marge d’enregistrement 120 du bail, une mention de l’inspecteur précise « Vu le double, le bailleur se réserve le produit des oliviers ; les olives seront ramassées par le preneur et partagées selon les usages locaux. Ce dernier devra labourer l’enclos de ces arbres et les émonder. Cette obligation constituant une charge à ajouter au prix devrait être évaluée. » Les usages locaux signifient en l’espèce la moitié de la récolte et, selon les termes du double du contrat, l’entretien du verger. La fille du métayer, Rose-Marie Massiani, a récolté dans sa jeunesse selon ces modalités cette propriété. « Per mezu, c’était comme ça ! Nous mettions tout dans le sac puis, quand on détritait, si par exemple on avait 100 litres d’huile il y en avait 50 pour le propriétaire. »

Une répartition équitable di tutte iss’alive si durement ramassées, une à une, tel est le vœu exprimé par nos informateurs. « On ne nous donnait qu’un ½ litre et nous avions récolté 5 à 6 décalitres au moins selon la saison. » Le calcul premier est, il est vrai, en défaveur de celui qui récolte. Lors d’une enquête plus ancienne menée à Moltifau, Barbe-Marie Grimaldi justifia l’acceptation des conditions de travail, les longs trajets et la précarité des conditions d’hébergement par « Ici, quand nous allions ramasser les olives pour les autres on le faisait pour moitié ; nous devions ensuite assurer le transport, le stockage, la conservation en étalant un jour sur deux la masse d’olives pour qu’elles ne moisissent pas, le criblage, puis de nouveau le transport à dos d’âne vers le moulin des Grimaldi et enfin payer le limu. L’aviamu sempre appicollu ! On ne terminait pas là : il fallait encore le transvaser pour le rendre limpide. Et, si l’huile sentait le moisi, nous avions travaillé pour rien ! » L’huile décantée obtenue en paiement lui semblait valoir tous les sacrifices. « Era oliu sicuru è mica alive in oliu ! 121 »

120 A. D. H.-C.

121 « C’était de l’huile sûre et non des olives gorgées d’huile ! » De plus, les saisonnières pouvaient prétendre à 3 ou 4 litres d’huile par quinzaine pour leur cuisine. Elles l’économisent et se partagent cette riserva augmentant d’autant leur provision.

olives sont grosses et commodes à récolter, on paiera donc ½ litre d’huile la journée de travail, plus tard on passera à 1 litre, puis en fin de saison à 1,5 litre. Les adolescents recevront un salaire diminué d’un demi soit ¼ pour ½ à un adulte etc. Les plus méritantes, « e più manesche, sgualtre » verront leur rétribution augmentée dans les mêmes proportions. Cette augmentation possible participe aussi d’une émulation voulue par les propriétaires. Une compétition s’organise de fait sous les oliviers pour battre les championnes. Toutes tentent d’y parvenir, augmentant ainsi leur rendement, mais peu y parviennent. On en soupçonna certaines d’être favorisées par le patron : telle sporta n’aurait pas été vidée totalement permettant à sa détentrice de débuter chaque tournée avec un pécule d’olives.

Le propriétaire ou le contremaître remet chaque soir, à la débauche, un billet. Il sera échangé contre la quantité d’huile correspondante.

« C’era un abbusu nantu l’affare di e donne à coglie l’alive. (…) Quelle chi andavanu à ghjurnata cun u pruprietariu, a sera li davanu sempre un bigliettu è, s’ellu piuviva è ch’elle ùn cuglissinu micca indè a meza ghjurnata, li dimezavanu u bigliettu. Videte u canaglisimu perche ci vole à dì cusi ! Custi c’era l’abbusu di ’se povera ghjente. S’ellu piuviva ùn era micca a so fotta ! »119 Ce geste jugé injuste et mesquin traduit l’image-souvenir des propriétaires qu’en ont de nombreux interlocuteurs. Cette altération du papier renvoie à la détérioration ressentie de leurs conditions sociales. La demi-journée dédiée à la récolte dans la vallée ne pouvait être compensée par une autre activité au village ou aux champs en cas de pluie. Rien n’était prévu pour corriger la baisse de salaire du fait des conditions climatiques.

Il existe un autre mode de récolte. Il est perçu comme plus égalitaire dans la répartition entre le propriétaire et le récoltant. En août 1927, Jacques Ladurelli, commis principal des Eaux et forêts à

119 « Il y avait un abus à propos des femmes qui récoltaient les olives. Celles qui allaient à la journée avec le propriétaire, le soir on leur remettait toujours un billet, et s’il pleuvait, et qu’elles ne récoltassent pas dans la demi-journée ils leur donnaient la moitié du billet. Vous voyez la roublardise parce qu’il faut dire ainsi. On profitait de ces pauvres gens, s’il pleuvait ce n’était pas de leur fait », Natalinu Massiani.

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largement compensée par l’économie de main-d’œuvre qu’il aurait fallu mobiliser et surtout par la qualité améliorée de l’huile produite.

Conditions de travail des saisonniersAntoine Costa expose les conditions ordinaires de personnes

recrutées pour la récolte. Il ne cite que les femmes car elles forment le plus gros de la troupe. « On ramassait les olives sur le sol, pas sur l’arbre et des femmes descendaient de Castagniccia, de Moltifau, d’Ascu, de tous les villages autour,… de Canavaghja… Elles venaient ramasser les olives. Elles dormaient dans les casette à la campagne vous voyez. Et le samedi elles rentraient chez elles, toujours avec leurs ânes. » Le voyage est long et fastidieux parfois. On ne peut se permettre de rentrer qu’une fois par semaine 125 au mieux. Celles des Valle Rustie passent parfois un mois sans entreprendre le voyage.

« On mangeait sur la paillasse… il n’y avait même pas une table ! Il y avait la cheminée à droite, avec deux petits bancs en bois… Et il y avait 3 ou 4 chichere, que l’on amenait, et on y mettait le soir les haricots pour le lendemain… Et oui, nous amenions tout ce qu’il fallait ! À ce moment-là le café c’est plutôt l’orge augmenté de café et fait avec la chaussette avec le filtre…! Et pour se laver, il fallait aller là-haut à la fontaine ! Ou bien en bas, dans le ruisseau, enfin quand tu traversais le ruisseau… Mais ne crois pas que l’on se sert de gants de toilette ! On avait toujours un bout de savon sur nous, c’est tout ! »126

Un très fort sentiment d’humiliation semble persister malgré les années chez certains ouvriers-récoltants. Il tient pour beaucoup aux conditions d’hébergement et aux relations avec les propriétaires. Ainsi Santu Parsi et Georges Grimaldi pointent tous deux la même amertume. Ils ont connu les récoltes des olives mais aussi celles des

125 « [Trois heures, trè ore et demi ! Nous partions d’ici (hameau de Moltifau)… nous passions par U Salge… Ensuite nous arrivions à Canisporu. Là il y avait une autre montée… Pour rejoindre Vulparone… Ensuite nous continuons… E e cullate (montées) di Santa Maria ? ! La montée de Santa maria… Mais pas par « l’autoroute » ! Nous débouchions à Santa Maria. Ensuite nous poursuivions par la descente de l’autre côté et nous arrivions en bas, quaghjò, à Lama !] », Thérèse Barbieri et Dumenicu Grisoni.

126 G. Grimaldi, il participe adolescent aux récoltes durant la guerre 1939-45.

Certains propriétaires connaissent des difficultés de recrute-ment et font appel soit à une main-d’œuvre nouvelle recrutée dans des régions non-pourvoyeuses ordinairement ou récoltent en comp-tant sur le bon vouloir de leurs paesani lors de chjamate.

Spigulera è furestuUn contentieux oppose, de 1863 à 1865 au moins, les maires

d’Urtaca et de Lama. Le premier se plaint au préfet du refus de Bertola, maire de Lama, de déférer au tribunal de simple police les procès-verbaux dressés par lui contre les contrevenants au règlement sur le glanage des olives. Ce dernier se fend d’une lettre au sous-préfet, au ton bien senti, pour lui exposer les modalités de l’olivade. « … la récolte d’olives diffère beaucoup des autres récoltes en ce qu’au commencement les mauvaises olives tombent par terre et pourrissent sans être ramassées par les propriétaires à cause de la mauvaise qualité et que ce n’est que lorsque ces mêmes fruits ont acquis une certaine quantité d’huile qu’il convient au propriétaire de se livrer à sa cueillette, époque à laquelle le maire a fait toujours annoncer l’interdiction de glanage. »122

« Les femmes pouvaient ramasser ce qui tombait sous les arbres. Elles ramassaient les olives tombées au sol et elles gardaient la récolte. Cela leur appartenait ! [Y compris chez les propriétaires.] C’étaient les spigullaghjole… à la fin de la récolte elles repassaient sous les oliviers. Il y avait toujours une olive qui tombait et elles faisaient leur huile ainsi ! Elles en faisaient assez… celles qui étaient agiles s’en sortaient bien avec ça. On appelait ça spigullà ! »123 Natalinu Massiani reconnaît que cette pratique sous couvert de permissivité et de libé-ralité généreuse cache la nécessité de débarrasser le sol des olives vé-reuses 124 tombées à terre et qui corrompraient l’huile. Tony Ceccaldi poursuit en ce sens. Il estime que la quantité d’huile perdue est très

122 A. D. H.-C.

123 Antoine Costa.

124 « Parfois, les olives sont abondantes et brutalement elles tombent toutes d’un coup et c’est du rebut, du suvu. Il y existe un proverbe, un dicton qui dit que quand la neige couvre Padre tôt dans la saison, les olives sont sauves. Le ver n’y touche plus », Natalinu Massiani.

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remettre à leur place quelques malotrus. Certains se croyaient tout permis ! »

Huile, fabriques et pressoirsLa bascule oléicole se fait en Corse avec l’apparition des

moulins à recense et la possible extraction par trempage et lavage successif d’une huile de deuxième pression après 1820. Le village de Lama n’est pas riche en fleuve et le seul cours d’eau d’importance qui parcoure son territoire voit l’édification des fabriche 129 : on en comptera jusqu’à 4 avec une particularité pour celle de la famille Saturnini située en aval et qui est équipée d’une turbine.

Les moyens« La fabrica était située en bordure de rivière… Il y avait celle

des Ceccaldi, celle des Bertola, celle des Massiani, celle des Saturnini. Il y avait quatre fabriche qui travaillaient… qui pouvaient macinà (dé-triter) les olives en hiver. Parce qu’après, l’eau ne coulait plus, vous voyez. Alors tant que l’eau coulait… » Antoine Costa présente ici les usines à huile de son enfance. Mais il précise qu’avant « presque tout le monde avait son fragnu à la maison ». C’est très exagéré mais, sans doute s’agit-il des gros propriétaires. Les pressoirs à sang en fonc-tionnement ou en état de le faire pour la période qui nous occupe étaient au nombre de 5 : celui des Franzini à Biancamaria, celui des frères Massiani à Amereti, du Sgiò Lellè dans a Costa, de GhjuvanBat-tistu Monti 130 à l’entrée de u Culu di u Saccu et celui des Massiani à a Cava. On en cita spontanément deux autres, ruinés ou démontés : au centre du village au-dessus de a Piazza à u Nuciulaghju ou encore celui du Surbellu remplacé par l’usine de Ficaghjola. Les meules, les dormantes 131 ou les pesons que l’on voit sur le pas des maisons en

129 Usines, moulins hydrauliques à recence, situés en bord de fleuve et pouvant détriter plus abondement.

130 « qui mériterait d’être vu parce qu’il n’y avait pas la presse comme les autres presses. C’était un burdinale (grosse poutre) long comme la longueur de la pièce. Ils y accrochaient la pierre, ils tournaient le torcinu,… le poids de la pierre serrait les olives », Antoine Costa. Natalinu Massiani fit la même réflexion à propos de ce pressoir le distinguant des autres.

131 « Dans plusieurs maisons du village, dont celle où nous habitons, se trouvait un moulin analogue. Le support du pressoir en granit est toujours en place dans un coin de la cave et la meule

châtaignes en Valle Rustie ou en Ampugnani. La confrontation des conditions de travail est peu favorable aux propriétaires de Lama.

« … vu la façon dont on était traité à Lama où nous dormions quasiment dehors, dans un pagliaghju, à l’inverse là-haut nous mangions avec les propriétaires… et surtout nous dormions dans un lit ! »127

Ce qui choque les plus les saisonniers est le sentiment d’abandon après la journée de travail. Ils sont isolés, livrés à eux-mêmes dans des conditions précaires et sans réel contact avec les Lamais. « On ne les voyait jamais à part sous les oliviers mais ils restaient entre eux… nous avions plus d’échanges avec ceux de Petralba ! » Ils reconnaissent que la guerre a modifié les rapports et que des soirées s’organisent dans les casette. Le décodage de ces divertissements au son des violons et autre phonographe diffère selon le sexe et les origines. Les saisonniers, des femmes pour le plus, y voient une sorte d’exorcisation de la guerre anxiogène : les anciennes sont moins bougonnes et laissent plus facilement les jeunes s’amuser en leur présence, il y en a tant au front ou décédés. Les gens de Lama sont plus portés à dire que l’on pouvait « s’amuser plus facilement en bas ! ». Quelles sont ces distractions ? telle est la question. Les femmes surtout sous-entendent la légèreté des cueilleuses. C’est méconnaître les rapports tendus que les femmes de Caccia ou de Valle Rustie eurent avec certains hommes : elles se sentaient si épiées, convoitées, pressées, pourchassées. Certaines, trop jeunes pour se défendre correctement, furent renvoyées à la maison par les anciennes car celles-ci craignaient les conséquences tant pour la jeune fille que pour elles-mêmes : le scandale d’una zitella inganata placée sous leur responsabilité mais aussi pour celles qui sont en charges de l’enrôlement pour les propriétaires de voir le nombre de leurs ouvrières baisser et perdre ainsi leur prime de recrutement 128. « On devait parfois se servir de nos mains, et j’ai dû

127 Santu Parsi, idem.

128 « À Lama, j’y suis allée une fois une semaine mais pas un jour de plus ! Ce fut un enfer : j’avais 15 ans. Ma tante m’a raccompagnée ici et ma cousine a pris ma place pendant que je m’occupais de ses enfants. Ensuite j’ai été à Urtaca mais là cela s’est bien passé ! »

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fabrication de l’huile ; il le serait davantage de faire sortir la culture de l’olivier de l’ornière de routine où la tiennent obstinément la trop grande majorité des propriétaires de notre département » 133.

La Corse exportait de l’huile d’olive, en grande quantité au xixE siècle. Les importations d’huiles étrangères, moins chères, et la qualité parfois rustique de la production insulaire provoquèrent une mévente à l’export au dès le début du xxE siècle. « Le vapeur Marie-Louise, venant de Bastia, capitaine Vivien, a mouillé dans notre port dimanche, vers 10 h. du matin, avec un retard d’une heure et demie. Il a été débarqué de ce navire : 18 000 kg de farine blé ; 158 kg de gibier ; 500 kg de volailles ; 181 500 litres d’huile d’olive ; 54 900 litres de vins ; 3 000 kg de châtaignes ; 390 kg de légumes divers et 300 bouteilles d’eaux minérales. 134 » Telle est la reprise dans la presse locale des exportations vers Nice parues dans le Petit Nice. Sur le marché interne une grande partie des ventes est assurée par l’oliaghju. Ce marchand ambulant passe de village en village selon une tournée plus ou moins établie. Il accepte un paiement en argent et en nature et sert, à la demande, une huile anciennement transportée dans des otri puis dans des bidons de fer plus pratiques mais surtout moins fragiles. « Le plus souvent, c’était pour de l’argent. Oui, à l’époque i soldi eranu scarsi ! Donc, c’est ce qu’elle prenait en général mais, quand on avait besoin… on achetait les haricots secs ou le fromage selon ce qu’il y avait. Si cambiava ! En principe on prenait les haricots à I Castiglioni, car i fasgioli eranu rinnummati ! Là, ils étaient excellents. Dans ce village, je connaissais tout le monde ! Nous allions chez les bouchers Colonna ; il y avait Zia Anghjula-Francesca… et on ne s’occupait plus de placer l’huile que nous avions déchargée. La maîtresse de maison sortait : « Hè ghjunta Zia Prudenzia ! Il y a l’huile ! Allez ! Vous allez venir en prendre… ? » Sbarrazzavamu u nostr’oliu sempre cusi ! Il a pu arriver que nous ne le vendions pas totalement et nous

133 Rapport du Professeur départemental d’Agriculture MASSIMI adressé au Préfet de Corse ; Ajaccio, 22 juillet 1901.

134 Petit Bastiais, 9 décembre 1882

signalent d’autres probablement dans la maison Beveraggi de l’Om-bria, dans la maison Franzini, dans celle dite Casa di u secretariu.

La succession d’Antoine-Pierre Massiani entre ses fils Benoît et Antoine, le 1ER juillet 1921 précise « La masse à partager comprend des biens à Lama d’une valeur de trente mille francs. » Elle laisse entre autres à Benoît un pressoir avec dépendance au lieu-dit Amereti sur lequel Antoine se réserve le droit de presser ses olives et de les y déposer 132… Posséder le moulin ou le pressoir c’est aussi exercer un pouvoir. S’en priver, vous laisse sans possibilités certaines de détritage et de stockage efficace dans des conditions optimales. A tavula que les récoltants prennent parfois dans les greniers des usines ne sont pas toujours garantes d’une préservation des fruits. Les olives moisissent rapidement à certaines périodes de l’année. L’huile peut être gâtée et les ventes compromises.

Oliu è risenza« Dans nos huileries, la propreté de l’outillage laisse souvent à

désirer. Le moulin, le pressoir, les cabas et les récipients de toute sorte s’imprègnent d’huile qui par le contact prolongé de l’air passe bientôt à l’état de rancidité. Si les appareils ne sont pas lavés au moment de leur emploi à l’eau bouillante et même à la potasse et au chlorure de chaux, cette mauvaise odeur se communique à l’huile et diminue sa valeur. Les huiles du pays plus ou moins troubles et rances forment presque toujours un dépôt, parce qu’à la sortie du pressoir, elles ne sont pas purifiées. II n’est guère possible aux petits propriétaires d’employer les procédés de l’industrie ; ils devraient se grouper, user de la coopération pour mener à bien cette importante opération qui a une si grande influence sur la valeur commerciale du produit. Il est évident que si le producteur corse peut offrir à la consommation des huiles de qualité irréprochable, la crise qui le mène à la ruine sera en partie atténuée… Il ne serait pas difficile de perfectionner la

également en granit sert de plancher devant la porte d’entrée », Souvenirs, opus cité.

132 Archives Départementale de la Haute-Corse. Dans la même série on trouve à propos de la famille Saturnini « la cession de la moitié nette de l’usufruit des oliviers de la propriété dénommée Solane en contre échange du quart d’usufruit du moulin à huile et du moulin à farine » .

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Société et pratiques

Il ne s’agit pas ici de donner des bons points à l’un ou des mauvais à l’autre. L’enquête se borne à être un révélateur de paroles « Vous allez tout dire ? » La question revint souvent. On tenta de nous faire comprendre que la parole de l’un ne valait pas toujours celle de l’autre. Non pas parce qu’il ou elle mentait, mais parce que sa position sociale ne reflétait le village. On craignait les vérités des uns et les tra-vestissements des autres. Ce qui suit se veut la traduction de la gêne que les sujets posèrent ou non à tous. Il y eut à Lama des Sgiò, des artisans, des ouvriers, des riches et des pauvres et il y eut des femmes « ùn vi scurdate di e donne, di u travagliu di e donne 138 » fut la seule exigence d’Antoine Costa à propos de la rédaction de cet ouvrage.

Sgiò et Signore

Sgiò : ce terme désigne un notable d’une manière générale, un bourgeois ou un gros propriétaire. On est loin du titre nobiliaire. Par extension, accolé à un prénom il signifie Monsieur. Sont régulièrement nommés u Sgiò Fabianu et a Signora Palma, u Sgiò Lellè et a Signora ’Ntunietta, u Sgiò Anghjulu, u Sgiò Ghjuvanni et a Signoria Chjara, a Signora Suplizia. Cependant, leurs enfants, nés au début du xxE siècle, ne connurent ‘le titre’ qu’à l’extérieur de Lama. Ainsi, u Sgiò Titu in Aregnu, les demoiselles Santini qui retrouvent en villégiature, chez leur sœur, un titre que l’on ne leur donne plus au village. Attiliu Ceccaldi voit son titre affirmé à Petralba y compris dans la correspondance. Les générations suivantes connurent une

138 « N’oubliez pas les femmes, n’oubliez pas de parler du travail des femmes. »

descendions à u Ponte à Castirla… »135 Louisette Ceccaldi se souvient des tournées plus tardives. Elle accompagne parfois son époux Jean-Louis. L’arrivée au village du marchand est scruté et une femme vient rapidement à sa rencontre « ava ghjunghje… si què u piglia va bè 136! » L’achat quelle fera ou non détermine la vente en ce lieu. Parfois on arrive après le passage d’un vendeur moins scrupuleux qui a vendu une huile médiocre et on doit convaincre que l’huile que l’on propose est bien celle de Lama, celle dont la réputation passe les frontières et que le village a été abusé par un margoulin. Antoinette Negroni native de A Casanova di San Lurenzu parle de l’attente de l’huilier car on ne trouve pas à l’épicerie d’huile d’olive. « Pas très vieux… il devait avoir soixante ans Martinu l’Oliaghju… Nous les enfants nous criions « Ghjunghje Martinu l’oliaghju ! Il arrive, Martinu l’oliaghju ! » Il venait de Balagna. À cette époque, l’oliu d’oliva était meilleur que celui d’aujourd’hui ! L’huile était dans des outres, nous les appelions i botri ! Il avait quelques clients, rares ! L’argent manquait dans nos villages ! Mais il y avait le client qui l’attendait pour prende un litru, duii litri ! Ils attendaient Martinu l’oliaghju pour prendre l’huile d’olive car dans les villages il y avait de petites épiceries, ma oliu d’oliva ùn ci n’era ! » Les déconvenues sont parfois dues à la volonté de certains propriétaires voulant écouler au prix de l’huile a risenza, l’huile de deuxième pression moins capable de résister à l’altération du temps et qui n’est de fait pas de garde. On relate aussi que certains négociants usaient de stratagèmes pour payer moins cher une huile de qualité certaine. « Il y avait un Balaninu de Santa Riparata… Il venait et il avait dans sa poche une souris morte qu’il mettait dans la giara ? Alors, le propriétaire était pris… cela pouvait arriver cela ! L’autre qui était incetaghju disait : Què hè attupatu, què hè metà prezzu ! »137

135 « … Nous débarrassions, nous vendions notre huile ainsi… »Natalinu Massiani.

136 « Elle arrive… si celle-ci en prend cela ira bien ! » Louisette citant son époux.

137 « … C’est de l’huile gâtée par les rats, il vaut la moitié du prix ! », Paul Massiani.

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pourtant ils devaient figurà, paraître, exister, incarner un temps et une potentialité irrémédiablement hypothéqués. Le temps de la prospérité oléicole n’existait plus faute de prévoyance et d’adaptation aux bouleversements commerciaux, aux importations et aux moins-values croissantes. « Un propriétaire à Lama en 1958-59 avait moins de revenus qu’un facteur. »142

Rémanence d’une partition socialeLes signes extérieurs de richesse, de puissance et de position

sociale sont nombreux à Lama. Le belvédère de la Maison Bertola, maison qui en 1840 143 porte le titre de Château de Lama, semble une évidence même si sa création est due au caprice d’une jeune malade charmée par son séjour en Toscane 144, la galerie qui longe le deuxième étage de la maison Ceccaldi en est une autre. Les balcons des Maisons Massiani ou Clémenti et le cadran solaire de l’imposante Maison Saturnini sont également une exposition d’un pouvoir, d’un statut social. Les deux jolies colombes peintes en façade et aujourd’hui presque totalement effacées signalant le pigeonnier, les plafonds décorés richement par des maîtres italiens participent au faste, mais il est des symboles plus ténus cristallisant les disparités sociales. Les extérieurs ou leurs aménagements précisent la qualité du maître de maison : disposer d’un dehors, d’une cour privative, d’un jardin d’agrément, d’un portail. La configuration des ruelles étroites, les maisons imbriquées les unes aux autres, l’impossibilité de jouir du moindre espace devant sa porte rendent la population très attentive à la moindre incartade, la moindre usurpation de l’espace public et les disputes anciennes peuvent être longues à oublier. « Fora ? Innò ! Quì era tuttu nante u soiu !.. S’ellu ùn ci n’era, ùn vi lasciavanu mancu un ghjornu ! 145 » Il s’agit de ne pas encombrer les ruelles et de laisser

142 Tony Ceccaldi.

143 Voir la ‘Château de Lama Bertola’, 1840, in Almanach puis plus tard in Annuaire Costa.

144 Paul Bertola. Les perles de l’Ostriconi. Stamperia Sammarcelli, 1995.

145 « Dehors ? Non ! Ici c’était tout sur un espace à soi ! Si vous n’en disposiez pas ils ne le toléraient pas même une journée ! »

certaine évolution avec un usage marqué du Monsieur 139. Ces signes soutenus de considérations en public sont mal vécus par les populations des pieve limitrophes. Dans des années 1940, le fils d’un propriétaire exigeant que l’on ne s’adresse à lui qu’en usant de « Monsieur X » vit un de ses saisonniers, plus âgé que lui et qu’il interpelait par son prénom de façon abrupte, lui rétorquer « Quì hè Monsieur P.… è e to alive, avà, e ti trescini 140 ! » avant de quitter la propriété avec quelques camarades à sa suite. On voulait bien respecter l’usage pour le père, mais le faire pour le fils aurait été accepter une subordination qu’ils ne pouvaient tolérer. « Ce n’était pas un Monsieur normal, il voulait le titre. Le sgiò, c’était son père ! Lui, sans nous, il allait faire comment pour sa récolte ? On ne le disait pas chez nous sauf au curé ou à l’instituteur. Alors pensez, sous les oliviers et pour un jeune ! »

Le manque de psychologie, la non-remise en question d’un statut dans un monde en mutation purent ainsi se focaliser en un générique i Sgiò très péjoratif. « L’anelli sò cascati ma e mani sò qui ! 141 » voilà sans doute une cause possible de la crispation des petits face à d’anciens puissants arc-boutés sur un titre mais sans solutions économiques ou financières offrant au plus grand nombre une possibilité de vie décente au village. « Sans les sgiò les autres n’auraient pas pu survivre. » Certes, mais dans une situation de crise, les propriétaires voyant leurs revenus diminuer pesèrent plus encore sur les ouvriers, les fermiers et autre saisonniers. Le collectif occulte souvent le bon pour ne garder que le mauvais, le subi, la contrainte. Les anciens possédants ne peuvent comprendre ce ressentiment. Ils donnaient du travail et faisaient parfois l’aumône. Les grembiali (tabliers) repartaient plus gonflés qu’à l’arrivée. Ils subissaient eux-mêmes, pas de la même manière, mais ils ne disposaient plus des rentrées permettant les investissements, les projets spéculatifs et

139 Monsieur Paul, Monsieur Charles… notons que cela ne semble concerner que les fils.

140 « Ici c’est Monsieur P.… et tes olives, tu les transportes toi-même ! »

141 « Les bagues sont tombées, mais les mains demeurent ! » telle était la justification d’une dame à la perpétuation des Sgiò et Signore dans les désignations des personnes. Elle reconnaissait dans la même phrase la perte des moyens financiers et par là-même de la puissance.

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Sì ou Iè !Il est des subtilités de langage si ténues quelles échappent

parfois dans la conversation ordinaire ou dirigée à un locuteur non averti. Les vocables Sì et Iè renvoient tous deux au « oui » français. Cependant, le premier s’adopte, à Lama, lors du vouvoiement et avec des personnes envers lesquelles la déférence est de mise. Le second est employé ordinairement dans une conversation d’égal à égal, dans un cadre habituel et pour le tutoiement. Toussaint Trojani fit remarquer que c’était une spécificité lamaise et que ce trait de langage distinguait les membres de la communauté des autres villages de la pieve. Il en regretta d’ailleurs l’abandon par les nouvelles générations. Un témoin plus âgé clôt un échange à ce propos par : « … i giovanni si piglianu tutti per petralbinchi ! Bell’ affare ! 149 » Natalinu Massiani, Antoine Costa et Hyacinthe Massiani ne dérogèrent jamais à cette règle. D’autres, plus jeunes, furent plus composites dans l’emploi des deux « oui » mais refusèrent catégoriquement le tutoiement à l’égard de l’ethnologue malgré l’écart notable d’âge qui les y autorisait : « Site una donna ! Ùn si face mica ! Perchè quale chi vi dice di tu ? » 150

Festivitéset contributions religieuses

La Saint Laurent, fête patronaleLa fête patronale du 10 août, jour de la Saint Laurent, reste

l’élément de communion pour les villageois. Ceux qui vivent à l’extérieur s’organisent pour être présents et tout le monde se retrouve Piazza à Chjesa. Les uns suivent la messe, les autres dissertent sous le platane en attendant la sortie de la procession et bien souvent la clameur extérieure est plus forte que les répons à l’église. Saint Laurent a retrouvé depuis peu une châsse haute en bois d’étrange facture. Un témoin dira « Vous avez vu les couleurs et les

149 « Les jeunes se comportent tous comme des gens de Petralba ! La belle affaire ! »

150 « Vous êtes une femme ! Cela ne se fait pas ! Qui vous tutoie ? » ou bien « Si je me le permettais je perdrais mon éducation même si j’ai bien connu votre grand-père ! » se justifia, malgré sa bienveillance, Antoine Costa.

la libre circulation des animaux de bât, mais les complications sont nombreuses quand vous ne disposez pas d’une cave, ou d’une remise. Où faire dormir les poules, la chèvre domestique, où caser le bois de chauffage et la provision pour le four, le bât, le peu de vin arraché à la vigne ? On loue, sous-loue, calcule au plus juste, et parfois on échange un espace contre de menus services dont la liste s’allonge à loisir sans opportunité de refus pour l’obligé. « Ùn pigliate obligazione quì chi ne pagate u centu 146 ! » Mais une autre expression du statut social fut jusqu’à la fin des années 1970 respectée. Le jardin d’agrément et les palmiers furent la marque des nantis et des personnes bien-nées. La suggestion d’orner d’un palmier la placette et le jardin d’une maison rénovée fut très mal perçue par le propriétaire qui ne se sentait pas le droit d’usurper une qualité que la naissance ne lui avait pas donné. L’ostentatoire n’était alors pas de mise. Il s’agit d’une forme de pudeur nous dit-on. « On ne dérange pas l’autre avec soi ! » C’est une des possibilités. L’autre consiste en une permanence à travers le temps et l’espace de la représentation et de la perception de l’individu par les autres mais aussi par lui-même. Ce que je fus à ma naissance je me dois de le représenter à ma mort. Riche, je dois continuer à le paraître à défaut de l’être ; pauvre, je ne dois pas point faire étalage d’une fortune nouvelle. Le fils d’un fermier-métayer achetant une voiture neuve provoqua, bien malgré lui, un excessif « Ancu i scalzacani hanu e so vitture ! »147 Les chaises privatives en leurs temps furent l’objet d’un échange assez long en pleine messe de la Saint Laurent. L’église comble n’offrait plus de place sur les bancs, seules restèrent vides deux prie-Dieu adossés à un pilier. « Asseyez-vous là » proposa-t-on aux retardataires. On refusa, les chaises appartenaient à a signora 148. « Mais, ils ne sont pas au village ! » L’une céda, l’autre non, préférant la marche menant au clocher.

146 « Ne soyez pas débiteur de quelqu’un ici, on vous le fera payer au centuple ! »

147 « Même les va-nu-pieds peuvent se payer une voiture ! »

148 « E s’elle ghjunghjenu ! » (et si elles arrivent) La signora est décédée depuis longtemps, ses enfants aussi, on craignait de déplaire aux petites filles.

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à l’église. Louisette Ceccaldi perpétue l’offrande de Clotilde sa belle-mère, Noellie celle de sa mère Antonia Mari. « Ma mère les faisait avant… » dira-t-elle simplement. Cécile, fille d’Attiliu, se souvient de cela : « Ma mère achetait tout, elle le lui donnait et elle faisait les petits pains. » La distribution semble répondre à une règle sociale implicite : certains préfèrent patienter plutôt que de saisir le pain que tend telle ou telle dame, d’autres sollicitent ostensiblement les deux. Le langage est celui du corps et non celui de la parole. On affiche sans heurts et au pied de l’autel une contenance qui tient à la parenté, l’amitié, la reconnaissance, l’appartenance mais aussi au simple désaccord ou à la fâcherie ancienne. Notons enfin la réelle attention qu’elles-mêmes portent au récipiendaire malgré la bousculade et la cohue, les salutations échangées, les invitations faites aux non-locaux de participer à cette charité, le don supplémentaire pour les malades et les absents… La fête se poursuit par le repas familial. Les anciens évoquent avec nostalgie les kermesses organisées avec les pièces de théâtre, préparées en fin d’année scolaire par les enfants sous la houlette de l’institutrice, la chorale menée par l’abbé, les enchères avec des objets offerts par les villageois, les jeux, le ball-trap représentation moderne sans doute du tir au coq près de la Croix et, le soir, le bal libérateur avec son lot habituel de rivalités amoureuses et de débordements alcoolisés. « Nous avions si peu l’occasion de danser, de boire de courtiser et de nous amuser ! »

Très peu acceptent d’évoquer i carboni di San Lurenzu : les charbons de Saint Laurent. Ils ont, dit-on à mi-voix, des vertus magiques ou de protection. « Nos parents nous disaient que si on allait, de nuit ou à l’aube, creuser sous un croisement de route et que l’on y trouve du charbon, celui-ci était une protection. Eux y croyaient, pas nous ! » Une société éduquée et cultivée ne peut prêter l’oreille à ce type de croyances.

Sant’AntoneLe treize juin est un jour très spécial. La dévotion à Saint

Antoine est très répandue dans l’île. À Lama on dit qu’il arriva de terribles drames. Certains s’étaient crus autorisés à ne pas chômer ce

ornements républicains ? » puis un second au pied de l’autel « Chez nous tout marche de concert ! L’église et la politique ! » Le socle est recouvert de fleurs ordinaires, « sans prétention », sans étalage. « Nous avons toujours procédé ainsi, Jeanine faisait comme cela, je continue » explique Marianne Calvo. La procession quitte l’église avec beaucoup de précautions car la chasse est haute et les porteurs doivent veiller à l’étroitesse du passage et aux marches resserrées. « C’hè a strada ! » La route, qui justifie ces escaliers étroits et l’absence de parvis, a toujours été à la même place. On reconnaît à demi-mot que l’on a modifié les marches pour élargir la route et si le saint ne sort pas tous les jours les voitures oui 151 ! La procession s’ébranle pour un périple qui passe par le Funtanacciu, le Puntapè, le Mercatu, Sott’à a Loghja, a Piazza Cumuna avant de regagner la Piazza à a Chjesa. A cicona qui accompagne la pérégrination est supplantée par le fracas des détonations. Les fusils et autres armes de poing sont aujourd’hui de sortie pour un étalage d’une possible puissance de feu 152. Les anciens accordent que cela n’a plus rien à voir avec ce qui a pu se faire « Tirà, si tirava. Ma mica cusi ! » ou bien « Oghje hè for’ di misura ! tandu si misurava ancu custi 153 ! » Une fenêtre de la Maison Bertola porte encore l’impact d’une balle tirée en direction du village. Les tirs aujourd’hui sont face à la vallée et les plus jeunes sont parties prenantes sous les yeux ébahis de touristes médusés. Quant à la question de la dérive possible sur les armes, un laconique « Oghje hè festa è dumane… ! » clôt ce chapitre réservé aux initiés et non à la gente féminine suspectée de trop vouloir protéger les adolescents et de ne pas comprendre le symbole de virilité que cela sous-tend. Après la bénédiction aux points cardinaux, la foule entre à l’église pour recevoir i panioli que deux familles continuent d’offrir chaque année

151 Regardant un cercueil entrer à l’église, quelqu’un murmura « Les autres ont sans doute de vraies marches pour rentrer à l’église mais ici ce n’est pas Dieu qui commande ! »

152 En 1929 à la demande du préfet un arrêté municipal pris par Joseph Massiani en proscrit l’usage : « Il est expressément défendu, sous peine de contravention de se servir de l’emploi des armes à feu non seulement à l’occasion de réunion ou manifestations électorales mais encore dans toute autre réunion publique. »

153 « Nous tirions en l’air mais pas comme cela ! », « Aujourd’hui c’est sans limites ! Jadis nous économisions cela aussi ! » ADECEM, Mémoires de Lama…, 2012.

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vous voudriez qu’elle soit le soir ! À Corte ou à Bisinchi oui. Mais ici ? C’est fini ! Ne reste que les petits pains et les croix ! » Les crucette confectionnées par les femmes et bénies le dimanche des Rameaux protègent toujours voitures et maisons. Mais beaucoup cèdent à l’usage plus luxueux des villes et décorent la demeure de pesci ou de pulezze 155. La manghjatella existe encore, avec l’organisation d’un véritable repas champêtre aujourd’hui sur le site du Chjosu à Nuvel-la. On est assez loin du frugal pique-nique organisé par la jeunesse, qui ce jour-là avait la possibilité de se retrouver sans la présence des adultes qui profitaient d’un jour de repos réparateur. Il n’en demeure pas moins que ce moment de partage et de convivialité participe à la cohésion du groupe. On commente certaines absences ou présences. Y inviter quelqu’un semble vouloir l’inclure à la communauté et celle-ci doit alors se positionner et recomposer son équilibre.

NataleL’élément central de cette fête majeure est la Messe de Minuit,

anciennement chantée par le chœur des hommes de la confrérie et le bûcher allumé sur la place de l’église. On évoque volontiers les enfants faisant le tour des maisons criant « à u rochju 156 » ou « à u catarochju ! » pour obtenir une bûche pour le feu de la nuit de Noël. Quand il n’y en a pas assez, on chaparde allègrement pourvu que la pile de bois augmente, tant pis pour celle qui a préparé ses fascines pour la prochaine fournée. « Imaginez-vous ! J’ai le souvenir de bûches trop lourdes que l’on tire à l’aide d’un fil barbelé au risque de se blesser » raconte Antoine Costa. Marie Massiani se souvient de la longue attente pour des enfants peu habitués à veiller si tard « car avant la messe de minuit elle est à minuit ! », du froid pour

155 Cf. Rameaux et pullezzule, chefs-d’œuvre de tradition populaire, Isabelle Roc, in Strade n° 2.

156 « La nuit de Noël, il y a u focu. Qu’il y ait la messe ou non… Maintenant les choses ne sont plus comme avant. Dans le temps, les enfants faisaient le tour du village en criant « A u rochju ! » Alors ceux qui avaient leur mansa, car on n’avait pas d’autres chauffages que la cheminée à l’époque, donc ils avaient tous leur tas de bois devant la maison et ils donnaient e legne que les enfants transportaient jusqu’à la place de l’église. Maintenant c’est différent. Mais ceux qui ont les tronçonneuses, les camionnettes vont couper du bois et préparent un beau feu sur la place de l’église » Rose-Marie Massiani.

jour-là : cela va de la victime décapitée, foudroyée à celle qui mourut dans d’étranges circonstances, à celui qui vit son animal emporté par un torrent en furie… Beaucoup confesse prêter attention à ce saint 154. « Il y a tellement d’Antoine au village qu’ils vous le rappellent ! » Cela participe d’une prévention collectivement assurée.

Les petits pains offerts protègent les villageois des intempéries et du feu.

PasquaLes célébrations de Pasques sont très présentes à la mémoire :

l’atmosphère des cérémonies nocturnes, processions et Messe des Té-nèbres célébrées dans une lueur et une ambiance sonore fascinantes. Les claquoirs et crécelles, les apostrophes entre le prieur et le prêtre à la porte de l’église évoquent aux anciens une foi qu’ils jugent pour la plupart en déliquescence. Toussaint Trojani explique que de retour au village au moment de la guerre 1939-45, après une prime jeunesse à Bastia : « C’était le Jeudi Saint que l’on faisait la procession dans le village en chantant Perdonu mio Diu, Perdonu è Pietà. Et il y avait une coutume qui s’était perdue ; il n’y avait pas de lumière dans les villages. Cela s’appelait e ruviane ! On trempait des chiffons dans les fonds d’huile. Puis on les mettait sur des morceaux de bâtons fichés dans le mur et on les allumait au passage de la procession. » Lama, pays de l’olive, peut se permettre ce luxe : gaspiller des fonds d’huile. Ailleurs, bien souvent, on se contente de simples bois gras ou de lu-minelli. Ces torches huileuses contribuaient par l’odeur forte qu’elles dégagent, à l’imprégnation des fidèles. On préfère de nos jours une procession diurne. Le manque de prêtre n’est pas la seule explication car d’autres villages perpétuent, parfois avec une petite dizaine de fidèles, les cérémonies nocturnes moins confortables. Jeannine Mas-siani, très religieuse, évoqua avec regrets la perte des repères de la foi : « En ce temps-là, nous croyions. Aujourd’hui certains oublient qu’ils sont à l’église, pensez donc au moment d’une procession ! Et,

154 « J’ai gardé cette dévotion à Saint Antoine. Quand je rentre dans une église pourtant je suis athée, je ne suis pas spécialement croyant je mets une bougie à Sant’Antone ! » Toussaint Trojani.

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dénigrant, l’autre dénonçant, la politique s’en mêlant les jugements furent parfois partiaux et on dut faire appel. « Cette partialité pouvait être relevée surtout aux peines prononcées qui variaient selon le clan auquel appartenait le prévenu. »157 Puis il fut installé comme les autres services en la Maison Commune.

Charles François Clementi prête serment en qualité de « gref-fier de paix » en 1901. Il reprend la charge de son frère décédé Pierre Marie et affecte en garantie de ses faits et charges le bien dit « Porajola sottana » cautionnement de 1 200 f. Benoît Massiani lui succédera en 1946 suivi Jean-Louis Ceccaldi qui occupera ces fonctions en dernier.

Manque à ce dispositif le garde-champêtre. En novembre 1901, « considérant qu’il est de toute nécessité d’assurer la surveillance des propriétés qui sont à l’abandon » le Conseil municipal vote la somme de quatre cents francs afin de doter la commune d’un garde champêtre. En réaction les opposants politiques prirent des mesures fortes et Pierre Coradini prête serment, vingt jours plus tard, « en qualité de garde particulier d’Ange Beveraggi, de Charles François Clementi et de sept autres tous propriétaires à Lama ».

Les missions du garde champêtre sont multiples. Il note sur un carnet 158 les infractions. L’essentiel porte sur les pacages illicites soit sur le bien communal soit sur les propriétés. Il note le « chapardage » et les manquements aux arrêtés municipaux, mène l’enquête quand il le peut sur les dommages, cite nommément l’informateur ou le délateur, distingue les biens concernés et les personnes – les bergers sont « ascais », précise les conditions du dommage – sous la garde de tel ou tel ou bêtes à l’abandon, n’épargnant ni u pastore cumunale ni les femmes.

Voir graphique page 46 Le garde champêtre signale 163 dommages de pacage. Les

contrevenants sont au nombre de 20. Les autres sont de Petralba pour 15 %, d’Urtaca pour 6 % et de Novella pour 2 %. Pierre-

157 Mémoires,… op. cité.

158 Les variations d’écriture pour le même mois sur le carnet que nous avons pu consulter, mis à notre disposition par la famille Ceccaldi donnent à penser que l’on pouvait noter sous sa dictée.

descendre du haut du village, de la halte réconfortante chez une parente et la possibilité de s’endormir un peu avant de poursuivre le chemin à la faveur des lampions, dans le froid et rejoindre l’église. La messe est chantée par les hommes en habit de confrères. Le forgeron Campana avait une belle voix, le chœur est puissant, tous en parlent et reconnaissent qu’aujourd’hui le rituel est bien ordinaire. Jeanine Massiani tient à ce que l’église soit pleine et belle. Les temps changent, « Papa Noël a remplacé Dieu. » Les ripailles actuelles laissent songeurs certains intervenants : « Ce n’était pas bombance ! On se contentait d’un bol de lait chaud ! »

Les chapelles de la Fête-DieuUne photo confiée par Louisette Ceccaldi permit d’évoquer

les petits autels temporaires érigés en divers lieux du village et que l’on visite en grande procession avec bannières et prêtre portant u Santissimu sous un baldaquin. « C’est chez les Trojani. On en faisait une au Puntapè, chez les Franzini. Ensuite, il y en avait une là (chez Trojani)… et une autre il me semble in Piazza Cumuna, je n’en suis plus certaine. Moi je sais qu’étant enfant nous y allions. Lampavamu i fiori… Il y avait Nunuccia et la pauvre Jeannette… Dans la Calanca il y avait beaucoup de camomille et de petites fleurs… [Elles nous faisaient e curone avec des fleurs de metricaghja. On avait un petit panier autour du cou et on jetait des fleurs sur le parcours]. » Félicie Luc partage ses souvenirs avec retenue n’osant pas mettre en avant la religiosité d’alors.

Justice et police

Le prétoire de justice fut longtemps situé au bas du village dans la Maison Santini, « une maison située au lieudit Affacatoja composée d’une salle, d’un cabinet et de tout le mobilier nécessaire devant servir exclusivement pour prétoire de justice de paix de ce canton » pour un loyer annuel de 100 f.

Le juge cantonal vient y siéger une fois par semaine quand il n’est pas en conflit avec le maire. Les courriers foisonnent, l’un

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1928, pour les mêmes motifs, la somme de 187,50 f lui semble trop importante.

Lama compta aussi jusqu’à trois points de vente de boucherie. Joseph-Antoine Garsi et Philippe-Marie Riolacci, bouchers de Petralba installent des magasins de vente de petit bétail et proposent 2 fois par semaine carne bestina 160. « I ricchi di Lama manghjavanu carne bestina ! »

La tuerie particulièrePierre-Jean Costa cumule à cette époque les professions de

boucher, d’épicier-regrattier, de vendeur de tabacs et cigarettes et d’entrepreneur de transport pour le compte de l’administration des PTT ainsi que le service du car pour Bastia deux fois par semaine.

Antoine Costa revient sur la tradition bouchère familiale et, de façon précise, sur le circuit de la viande entre Marseille et la Corse. Son père, Pierre-Jean possède une tuerie 161 particulière à Lama qui lui donne un droit d’abattage, de découpe et de revente. La viande est vendue au détail sur place ou encore écoulée auprès de particuliers et de dépositaires dans les environs de Ponte Leccia : « In Morosaglia c’era un ‘Talianu chi tenia u depositu » Il est, de plus, courtier auprès de bergers de l’Agriate et de la piève du Canale. Il se tourne vers la société Ettori à Marseille pour écouler la production de cabris ne trouvant pas toujours sur le marché intérieur assez de débouchés. Les bergers fournissent in pella les bêtes abattues. Il se charge de les dépouiller et de les préparer pour le transport en les plaçant dans des curboni en éclisses de châtaignier. Sur les paniers scellés par un telu (toile faite d’un sac de jute ouvert et mis à bouillir) cousu à même l’ouverture, il indique le nombre : 10 à 12 de têtes et les amène sur le port de Bastia pour une expédition par bateau. Le lendemain, la viande est récupérée sur les quais et garnit les tables des insulaires ex-patriés. Un lien alimentaire autre que celui des éternels colis de char-

160 Désignation de viande ovine et caprine.

161 « Costa Pierre Jean, boucher à Lama, en abattant une bovine à sa tuerie a laissé s’écouler du sang dans le fossé qui longe la route près de l’Église de Lama », 3 août 1936, le garde champêtre.

Jean Costa totalise 18 % des signalements, suivent Mathieu pour 7 % et des bergers Saoli et Grimaldi dans les mêmes proportions.

Voir graphique page 46

Les 19 propriétaires lésés le sont pour 95 % des signalements des infractions, le reste concerne les biens réservés au troupeau communal. Fabien Bertola est partie prenante pour 10 %, Pierre-Jean Costa tout comme Charles Vincentelli de Castifau pour 7 %. Le Sgiò Lellè et Massiani Laurent sont cités pour 6 % ; soit à eux cinq plus du tiers des dommages. 21 autres pour trois au plus.

Notons qu’il y a à l’évidence à la lecture du carnet un jeu de « Je te pique ce que tu m’as piqué ». Les biens concernés sont souvent les mêmes. Les chèvres apparaissent au Loru ; à Sulana et a Teppa, les bovins davantage de l’autre côté de la rivière ou in Mutagna Suttana.

Voir graphique page 47

Les artisans et les commerçants et transporteursLes commerçants, épiciers, et autres cabaretiers furent peu ou

pas mentionnés. On hésite à parler de ceux qui ont connu au plus près les moyens de chacun, riche ou pauvre. François Coradini composa en 1933 un chant présentant Lama. Il cite deux épiceries, l’une au Mercatu et l’autre dans l’Ombria et deux bars 159. Deux épiceries pour de 517 habitants c’est peu. Cependant les épiciers-régatiers se plaignent de leurs impôts. Émilie Ciavaldini demande en 1920, la décharge des contributions et patentes car « le commerce qu’elle fait est nul ». Sept ans plus tard, Toussaint Costa demande une réduction de ses impôts. En 1926, il est imposé sur 24 f, il conteste l’imposition suivante de 300,20 f « qu’il trouve trop exagéré pour le commerce qu’il exploite » et demande une réduction. Il est déjà imposé pour un chiffre d’affaires de 800 f et a une patente de base de 5E classe. En

159 « Un bistro pe a ghjunventu – È l’altru per a fantesia » : un bistrot pour la jeunesse et l’autre pour la fantaisie. Le texte est consultable sur le site de l’ADECEM présentant la recherche, adecem.idcorce.fr.

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ment de l’abattage, récupéraient auprès du boucher l’areti 165 indis-pensables à la fabrication du fromage. Le prix est souvent convenu à pesu stimatu 166 après des discussions parfois âpres et fastidieuses. Mais la parole donnée sera respectée car il en va de l’intérêt des deux parties. Plus tard, la fratrie Costa fera l’acquisition d’une chambre froide permettant de stocker 700 kg de viande. Le travail de grossiste prendra de l’ampleur : « Nous fournissions les bouchers de A Valle, Ponte Novu, Ponte Leccia, Merusaglia… » Le témoin confiera avoir par ailleurs expédié quantité de troupeaux de chèvres et d’ânes tant en France continentale qu’en Italie mais cette activité lui laisse avec le recul un sentiment amer. Il fallait à cette époque débarrasser l’île d’animaux malmenés par les conséquences de la guerre. La mutation sociétale est en marche et ces animaux sont les emblèmes d’un monde à l’agonie et de la volonté de changement des nouvelles générations.

U scarparu TrojaniCecceccu Trojani fut cordonnier comme son père avant lui.

Sa fille Mimi revient sur le choix posé par un artisan cordonnier qui décide de descendre s’installer à Bastia afin que ses filles aînées puissent poursuivre leurs études et accepte de se placer comme ouvrier tonnelier puis comme cordonnier 167 alors qu’il était son propre patron et que de plus il pouvait compléter son revenu par l’exploitation de ses propriétés et de ses vaches. Seul ouvrier chez un maître bottier, il répare et fabrique des chaussures neuves mais les bombes qui frappent la ville, en 1943, le contraignent à rentrer avec sa famille au village et à reprendre ses activités. « Quand il est parti il avait quelques vaches qu’il avait vendues, avait loué ses propriétés. Quand il est rentré à Lama il est redevenu cordonnier en partie.

165 Estomacs.

166 À l’évaluation du poids

167 « Au début, quand il est parti de Lama, il y avait une usine di tonneau, il était tonnelier. Puis, il a fait la connaissance d’un maître bottier et il a repris son métier car il était scarparu. Il était plus heureux de travailler là. Quand il travaillait à l’usine… on commence à parler de syndicat et de revendications. Et lui il n’était pas habitué à cela. Il n’avait pas les habitudes des ouvriers, de travailler à plusieurs. »

cuteries est ainsi mantenu. Plusieurs éléments se télescopent dans ces expéditions bouchères. En premier lieu, le besoin de trouver les moyens d’écouler une partie de la production carnée hors de l’île. La baisse de la population suite à la guerre, la surproduction de cabris ou d’agneaux à cette période de l’année, un relationnel efficient mais également un intérêt économique plus important sur le marché ex-térieur explique sans doute la mise en place de ce commerce d’expor-tation à partir de Lama. En second vient l’incapacité des bergers à organiser seuls la distribution par manque de temps et de cohésion qui les laisse en charge du stérile travail d’abattage mais les prive d’un complément certain de revenu : les peaux dévolues au courtier-bou-cher. Spellà, ci vulia ch’ellu spellessi u macelaru 162 ! Antoine Costa nous précisera qu’une partie de la fortune d’un boucher réside dans la re-vente des cuirs. La viande est alors hautement périssable car sans moyens de réfrigération efficients. La non-anticipation des méventes menace toujours le chiffre d’affaires. Cependant pelle è coghji, parfois malodorants si la conservation n’est pas optimum, peuvent attendre le passage trimestriel ou semestriel du courtier avant d’être dirigés vers les tanneries continentales. Le plus surprenant encore est le délai de livraison : il faut compter un minimum de 48 heures pour que le chevreau abattu dans les Agriate ne soit rendu sur les étals des bou-cheries marseillaises sans aucune mise au froid. « Nous nous organi-sions pour que les abattages coïncident au mieux avec le départ des bateaux ! » Le règlement intervenant le mois suivant il y eut quelques déconvenues : à l’arrivée les corbeilles ne contenaient parfois que des têtes. Ces chapardages ne déshonoraient cependant la vente : 10 cabris retenus, 10 cabris expédiés et 10 têtes réceptionnées. Ne man-quait que la viande. « ùn c’eranu piu che i capi ma più capretti 163 ! » Une possible explication à ces vols est le coût toujours élevé d’une viande très prisée. « U caprettu era una carne fine 164 ! Plus raffinée que tout le reste : il en a toujours été ainsi ». Les bergers, payés au mo-

162 « Dépouiller, le boucher doit dépouiller les animaux ! » Antoine Costa.

163 « Il ne restait que les têtes mais plus de cabris ! » Ibidem.

164 « Le cabri était considéré comme une viande raffinée !… » Ibidem.

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et le Ghjunsani. Les rempaillages de François Coradini sont encore visibles sur les prie-Dieu à l’église. Il cueillait lui-même a salga, importait une paille de couleur rouge ou verte pour refaire les assises des chaises selon les moyens de leurs propriétaires. Son père Ziu Petrettu était cuvaghju, il fabriquait de paniers et des corbeilles en éclisses de châtaignier. Sa réputation et sa renommée dépassaient Lama. « On écrivait sur l’enveloppe des lettres de commandes ‘fabricant de cuve en bois’ » signale sa belle-fille Julienne. Les formes et les contenances de ces paniers varient selon l’usage et la destination. Il lui arrive aussi de les réparer car una cuva ou un curbone ne jette pas au premier signe d’usure. Les Baccelli furent maçons en leurs temps tout comme Ziu Ceccu Clementi muratore.

Pour conclure sur ce chapitre, il y eut Attiliu Ceccaldi. Bien que propriétaire terrien, il touche à tout : l’horlogerie, l’électricité, la plomberie, la forge parfois et il inventa, secondé par Lisandru Suzzoni, a mascina. « Il est possible que les propriétaires aient pris conscience du fait que tout le monde partait, qu’il y avait de moins en moins de monde pour récolter les olives et qu’il fallait trouver quelque chose de plus moderne. Là, Attiliu s’est mis à travailler sur un projet de machine. D’abord, c’est sa passion : avia sempre u cerbellu chi pensava à astr’affari ! De plus, il s’est dit qu’avec une machine on pouvait réussir à relancer l’oliveraie. Et il est parvenu à la construire cette machine. Il est parti une première fois à Aix en Provence qui était à l’époque le centre de tout ce qui concernait les olives. Mais il n’y reste pas longtemps… cela ne lui convenait pas. Il est rentré à Lama avec la machine. Puis, un ingénieur italien lui a écrit et lui dit « A mè m’interessa ! »… Ils ont envoyé la machine en Italie, il a reçu une lettre avec une réservation d’hôtel mais il n’est jamais parti en Italie. Ce que je sais c’est que a mascina hè stata fatta 170 (par les Italiens) et elle fonctionnait sur les tracteurs. C’était une sorte d’aspirateur… qui traitait les olives, les feuilles et les pierres. Sbulligava tuttu è surtivanu l’alive pulite 171. Il y avait peut-être des améliorations à faire. En plus,

170 « La machine a été fabriquée. »

171 « elle brassait le tout et les olives ressortaient nettoyées. »

En temps de guerre on ne trouvait pas de chaussures et c’était une nécessité. Il avait donc du travail à rafistoler les vieilles chaussures et à en faire des neuves. Je me souviens qu’il nous faisait des sandales car il avait, çà et là, troqué de l’huile d’olive pour du cuir. Il avait repris son métier et il avait sa campagne et ses oliviers. »

La décision de partir a dû être mûrement réfléchie, sans doute appuyée par sa femme plus jeune qui aspire à une meilleure vie pour ses enfants. L’intérêt supérieur d’une éducation comme les possibilités d’ascension sociale n’est pas encore dans les années 1930 une chose partagée par tous. Beaucoup de jeunes sont sacrifiés par les contraintes financières, domestiques ou familiales.

U stazzunaru CampanaLa stazzona Campana était située dans le Funtanacciu. Le

ferronnier est le personnage qui sait tout faire, tout réparer, tout créer. Sans lui le monde agricole cesse de fonctionner.

« Il réparait les houes pour ceux qui devaient labourer, les pioches pour ceux qui devaient piocher, les faucilles pour ceux qui devaient couper les branchages. Puis il faisait des portails, des rampes… Il ferrait les mules, les chevaux… Il faisait tout ce qu’il y avait à faire. 168 » Chaque pièce de fer lui passe par les mains en création ou en réparation. Du laboureur au charretier, du maçon au curé, du bûcheron au propriétaire de chevaux nul ne peut se passer de ses services. On lui doit les portails du Cimetière 169 et du presbytère, la Croix à l’entrée du village, bon nombre de rampes et de garde-corps. Saveriu Campana engendra, de deux unions, 16 enfants. Bon chanteur et membre de la confrérie, il exigeait de sa femme que son abitu fut impeccable pour aller à la messe se souvient un petit-fils qui regrette de ne pas avoir son timbre de voix.

Nous ne développerons pas ici les autres artisanats. La menuiserie de Lisandru Suzzoni rayonnait sur le Canale, la Caccia

168 Rose-Marie Massiani, une de ses petites filles. Elle utilise le vocable rastellu pour les portails en fer et non le générique purtò.

169 Portail qui ne lui fut jamais payé, nous le verrons plus loin : il n’était pas toujours du bon bord politique.

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« Votez Baccelli. » On est en pleine bataille pour les cantonales. À propos d’un tel équipage Antoine Costa explique : « Il s’agit de faire nombre… tandu si vota per u campanile ! Lama era capilocu ! 173 » Il vaut toujours mieux connaître de près le conseiller général. Un Lamais vaut toujours mieux qu’un étranger. Laisser élire un de Petralba ou d’Urtaca était une humiliation. Peu importe, Partitellu ou Partitone, tous se placent sous la bannière lamaise.

Pour être élu, chaque voix compte. Les élections cantonales se jouent, se gagnent ou se perdent à Petralba car la population est plus importante et les inscrits y sont plus nombreux. Les listes électorales des trois communes font l’objet d’une attention et d’une scrutation à la loupe. Les réclamations et les contestations foisonnent à propos d’inscriptions injustifiées soit de bergers, de colons, de commerçants, de domestiques, ou encore de fonctionnaires ou autres ayant quitté le village depuis longtemps et votant depuis à Paris, Marseille ou Bastia. On trouve en période municipale, pour Lama, des époux, un Lamais l’autre non, faisant demande conjointe d’inscriptions car exerçant leurs droits de vote ailleurs, des étudiants parisiens ou marseillais qui désirent voter dans le village de leurs grands-parents quand les parents votent sur le continent. On se découvre aussi un jour inscrit on ne sait comment sur les listes du village quand on en a jamais fait la demande et l’on vous explique très courtoisement « Tu es né ici, donc on t’a inscrit ! ». En février 1908, Martin Franceschetti et François Franceschetti (père et fils), se déclarant domestiques salariés de Ch.-François Clementi, se voient refuser leur inscription sur les listes électorales par la commission municipale de Lama. Le refus est soutenu par Fabien Bertola chef de file du Partitone. Ange Beveraggi, chef du clan adverse, interjette appel. Les témoins Bertola affirment que Clementi aurait déclaré avoir pris le père et le fils comme « fermiers de sa propriété STE Suzanne ». Le juge de paix Casale, assisté du greffier Clementi (le même) rend une décision favorable à l’inscription : « au surplus en admettant que Ch.-F. Clementi ait tenu les propos rapportés par les

173 « … on vote alors pour le clocher ! Lama était chef-lieu de canton ! »

il n’y avait pas beaucoup de matériel à l’époque et c’est pour cela qu’il a travaillé avec Alexandre Suzzoni qui était bancalaru. Suzzoni avait construit l’ossature de la machine. Attiliu lui avait dit il me faudrait telle pièce, puis telle pièce… il avait mis je ne sais quel moteur… Hè anc’un peccatu ch’ella sia partuta in Italia »172 Il est vrai que c’est dommage, non pas que la machine soit développée par une firme italienne mais que son inventeur n’ait pu la voir fonctionner sur site. Il n’en reste à Lama qu’une photo jaunie, un diplôme et la mémoire de l’inventivité d’un homme passionné mais point cupide aux dires de ses paesani : « Avianu una furtuna in manu, ma era Attiliu ! »

Partitellu o Partitone ?« Zitta, zitta ! Ne parlons pas de politique ! »Les élections, u Partitone, u Partitellu, la vie politique en géné-

ral. Tout est inabordable dans le temps public, c’est-à-dire rien n’est évocable en présence d’un tiers, la politique est affaire de tête à tête, au village du moins. Puis à mots toujours mesurés et réfléchis, lon-guement pesés, la passion insulaire refait surface.

Le Partitone était le parti des Sgiò et mais aussi celui de leurs affidés. Le Partitellu « c’est le parti de ceux qui ont un peu plus de liberté », les artisans, les petits propriétaires et de ceux qui travaillent avec eux. Cela partageait les familles parfois en deux. Avant-guerre un fils rentra à Lama et vota contre le Partitellu de son père en cohésion avec sa belle-famille. Le matin, au départ du car, le père salua son fils au son du cornu pour lui faire remarquer sa trahison.

Les voyages payés ne présentent aucuns particularismes, ils sont comme ailleurs l’objet d’un comptage et de supputations. « On se demandait toujours qui devait arriver et à l’avion on comptait : il y a untel et untel, et puis celui-ci ou celle-là ? » Lucie Obède filme la descente d’un avion à l’occasion d’élections. Le film tremble un peu et se poursuit par la réception à Bastia de ceux qui ont pris le bateau. Les voitures et les fourgons pavoisés portent des inscriptions

172 Tony Ceccaldi, il est petit-fils d’Attiliu, il en porte d’ailleurs le prénom. Si les Lamais l’appellent par son diminutif, il tient à Attilius pour ses fonctions officielles.

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les souvenirs des chansons composées en ces occasions souvent par des femmes 178 sachant manier avec finesse la langue et le verbe pour en dire beaucoup en très peu de vers.

Le chant qui suit est construit comme un dialogue. Il concerne Saveriu Campana, forgeron et son épouse. Parti à Marseille pour chercher des voix, il n’avait rien pu faire pour le Partitellu. Sa femme lui reproche l’argent dépensé. Il est meurtri d’avoir à moins travailler : la commune est tenue par le parti adverse.

« Fallendu per u MercatuTruvemu à Ghjulia Maria— Ohimme ! la sfurtunataCh’avemu persu a merria !— Ohimme ! la disgraziataO chi campagna frazata ! »179

Le mari répond« Stati zitta tu surellaCh’ùn hè nostru lu burselluChe statu fattu da tutti,Tutti quelli di u Partitellu.U più chi mi sent’à mèE che ùn pò batte u martellu ! »180

Cet autre chant est dédié à Ziu Orsu Maria, berger originaire d’Ascu. Les bergers sont soumis au bon vouloir des maires et propriétaires de pacages. Et, malgré les humiliations publiques, il convient pour eux de voter utilement.

« Va misuratu a manu,Va fattu vede u pede,

178 « C’étaient les femmes qui faisaient les chansons. Il y avait une en particulier Zia Ghjasippinna Tortora qui était très douée pour faire des chansons », Toussaint Trojani.

179 « En descendant par u Mercatu J’ai rencontré Ghjulia Maria, — Ma pauvre femme, Nous avons perdu la mairie, — Oh, Pauvre de moi ! Quelle campagne gâchée ! »

180 « Tais-toi ma femme ! La bourse n’est pas la nôtre, Elle est celle de tous, De tous ceux du Partitellu, Le plus qui me désole, C’est le marteau qui ne peut plus battre. »

témoins, il a pu revenir sur une intention à l’état de projet et prendre à son service les personnes qu’il voulait employer soit comme fermier, soit comme colons ». En plaisantant à demi, on s’exclame « un votu hè un votu, ma s’elle sò strette unu face dui ! 174 » Dans la lutte Bertola-Beveraggi, l’élection de 1908 fut proclamée à une voix de majorité : celle de l’instituteur Giocanti. Ordinairement, il respectait une neutralité absolue ne votant pour personne bien qu’inscrit. Cette année-là, « il s’est laissé convaincre et a voté à son tour. »175 On vit aussi des négociations, des trahisons pour un poste ou des biens cédés pour un vote ou pour deux. Le Partitone conserva de justesse la mairie dans les années 1930 alors que tout désignait un champion du Partitellu. Un conciliabule nocturne vit un cousin changer de camp et en empocher par la même occasion la place d’édile. « Il y a toujours une faille, il suffit de savoir laquelle, d’estimer le prix de la trahison politique et de le payer. » Jouer des ambitions des uns et des rancœurs des autres, pousser l’adversaire, l’endormir tel est le jeu politique. Dans une communauté aussi resserrée et arc-boutée, tout semble permis. Des personnes indigentes déménagèrent souvent pour raisons politiques, ballottées d’un quartier à l’autre, selon u bigliettu chjavatu 176qu’elles mettraient dans l’urne. « Zia X era ogni volta à fangottu in capu ! »

Il y eut de vraies luttes, de vraies bagarres, politiques et phy-siques entre ceux de Petralba et ceux de Lama, des cantonales dures, fratricides, des partisans déchaînés paradant armés et pétaradant, montés sur des camionnettes sous les fenêtres closes des opposants, des drames aussi : la bataille à laquelle se livrèrent Bertola et Giuseppi conduisit à la mort de ce dernier.

Mais il y reste des périodes électorales des moments plus joyeux : les fêtes, débordantes parfois d’outrances féminines 177, et

174 « Une voix c’est une voix, mais si le score est serré, une voix en vaut deux. »

175 Souvenirs…, ibidem.

176 Le billet à clé. Les billets manuscrits de l’époque permettent de les coder et de les compter lors du dépouillement.

177 On raconte les manifestations joyeuses en la maison Bertola et le spectacle donné par quelques femmes se dépoitraillant, ou plus, en signe d’appartenance au clan victorieux.

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la campagne. Les toilettes furent un soulagement pour les femmes. U Radu, il y avait là un point d’eau, une fontaine. Au matin, on pouvait vider dans une latrine les pots de chambre et tenir conversation le temps que chacune rince son récipient. Certains, dit-on, se suivaient à l’odeur sur un long parcours.184 On évitait alors les vidanges aux abords du village et les contraventions du garde champêtre ou des gendarmes. Seuls les passants ayant à faire à Urtaca avaient à souffrir de l’odeur.

184 Une nuit, les jeunes ramassèrent l’ensemble des pots de chambre posés sur les fenêtres pour la nuit et les transportèrent jusqu’à Funtana Bona. Racontée à Toussaint Trojani par son beau-frère Désiré Cerli.

Va fattu paga u dannuDi quellu vechju sumere.E voi per ringrazialuSite fallatu à vutallu. »181

On pouvait être moins disert mais tout aussi piquant. On vit s’afficher sur la porte d’une épicerie « Ici, on vend du Lactéol » après des municipales un peu chaudes. On usait aussi de musculotti ou pippe, engins explosifs rudimentaires que l’on pouvait faire « péter sous les fenêtres » ou les passages voûtés des adversaires.

Les évocations des moments de lutte politique virent fleurir bon nombre de surnoms. On préfère taire le nom en ces circonstances et lui préférer la désignation que seuls des initiés, des proches connaissent : I Strambi, (b)Ragatu, Maria Falletta, Sciamboru, Caccarone, Orechjipilutu, Ficca Ficca, Palpitrone, Chjuvinu, Maria a Longa, I Fumiconi 182, Cuchjetta, Matteu Saleme, Murgana, Pittistu Chilara ; Pittistu Surnaca, Rascone, I Castagnaghji, I Muntisgiani, Murgana, Maria di Badracone, Pedilana, Pencciulellu, Lellè, Lesinellu, Melicottu, Cuchjina, Merruchjinu, Buttara…

Un mot sur Lucien Baccelli qui reprit les affaires après une période « di lascia core » si patente que tous lui en sont reconnaissants. « Lucianu, per u paese, hà fattu assai ! » 183. Les combinaisons, les luttes et les bisbilles politiciennes avaient conduit à choisir par défaut un conseil municipal plutôt que de considérer le bien commun et le destin du village. Ancien militaire et père du maire actuel, Lucien Baccelli permit en son temps deux choses primordiales : une route et des toilettes publiques. L’accès carrossable aux propriétés de la vallée qu’il ouvrit marchant devant le bulldozer malgré les refus des propriétaires riverains, son écharpe ceinte changea la vie des gens de

181 « Il vous a menacé de la main, Il vous a menacé du pied, Il vous fait payer le dommage, Du vieil âne, et vous pour le remercier, vous êtes descendu le voter. »

182 Une fille fâchée avec son père dira passant sur la place où les anciens stationnent au soleil : « Bonghjornu à tutti for di a Fumicone » Saluer tout monde sauf son père aurait été trop vexatoire, l’usage du surnom rendait la chose acceptable.

183 Antoine Costa.

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Il demeure qu’il faut nourrir le bébé. Sa mère 186 comme beaucoup d’autres prirent le relais du nourrissage en partageant son lait entre l’enfant qu’elle allaite et celui qui s’en trouve privé. « Elle travaillait un peu à la Casa Bertola. Elle a nourri au sein, en même temps que mon frère, le père de Palma : Antoine. C’est ma mère qui l’a allaité. Ceux-là, on les appelait fratelli di latte ! » Les liens tissés alors entre les familles sont complexes et solides. « Eranu ristretti 187 ! » poursuivra le témoin. Paul Bertola ainsi que Lazare et Ange Massiani ont maintenu très tardivement la mémoire de ce lien. La famille de lait a commis un don intime qu’il convient de rendre et de préserver. Lucie Obède n’évoque jamais le nom du Sgiò Lellè sans préciser son lien de fraternité par le sein avec son père.

Une autre possibilité existe cependant. Elle nous est rapportée, par Paul Massiani quand il évoque la naissance de ses nièces Mimi et Louisette Massiani. Il est chargé par Zia Maria de prendre soin d’una capra rossa, chèvre au pelage roux dont le lait salé servira de complément nourricier aux jumelles. Le lait des capre rosse est préféré dans bon nombre de villages insulaires, il aurait des vertus bien supérieures aux autres laits. Plus prosaïquement cela permettait surtout de donner toujours le même lait aux nourrissons en identifiant ainsi la chèvre par la couleur de sa robe 188.

Le problème inverse pouvait surgir et on devait y pallier urgemment : la surabondance de lait maternel. Le tire-lait n’existe pas alors et on ne peut laisser la femme sans soins. Jeune, Paul Massiani se souvient avoir vu Zia Catalina sgurgà 189, une femme allaitante en lui purgeant les seins par aspiration avec sa bouche et rejet du lait à terre.

186 Mattea Beveraggi a également donné lors d’une grossesse suivante le sein à un autre enfant du village : « Ange hà suttu u listessu latte che a mio surella. »

187 « Les familles étaient proches. »

188 Notons aussi que si la famille ne dispose pas d’une telle chèvre elle lui est soit échangée soit confiée par un berger et mise à la disposition exclusive du nourrisson.

189 Littéralement déboucher, en ce cas tirer le lait.

De l’intime au publicPane è pernice, affari di casa ùn si ne dice.185

Naître et grandirNaissance et filiationL’accouchement avec l’aide d’une matrone, a mammana, dans

la maison familiale semble à certains témoins une pratique d’un autre âge. Même si le recours au médecin pouvait s’avérer nécessaire, la délivrance dans la chambre familiale fut préférée dans certaines familles par volonté paternelle d’ancrer le bébé dès sa naissance dans sa lignée ou, par choix de la parturiente refusant l’anonymat d’un hôpital. « I mei sò nati quì ! » clament les unes, « J’ai accouché à l’hôpital » revendiquent les autres dans une opposition parfois vive. Une seule femme, sous couvert d’anonymat, suggéra ce que cela pouvait signifier : les riches préfèrent payer un médecin particulier tandis que les pauvres se font dorloter à l’hôpital public, sic ! Le sujet est sensible car il touche à la filiation. Les hommes nous renvoyèrent très fermement vers les mères même quand il s’agit de définir la destination de a seconda, le placenta. C’est parfois l’occasion saisie, pas uniquement par les femmes, pour évoquer à mots couverts, les filiations supposées, les possibles reconnaissances de paternité par intérêt ou par imposition, les supputations sur les dates de conception, les divisions intestines et les liens ténus de la communauté.

Fratelli di latteLouis Beveraggi évoque un aspect plus tabou des naissances :

la carence de lactation de la mère ou parfois son décès en couches.

185 Proverbe : (J’ai soupé) de pain et de perdrix, on ne parle pas des affaires de famille.

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souffrances 193. Il aurait fallu pour d’autres que l’on taise le sort de ces femmes au prétexte qu’elles pourraient paraître légères aux yeux de certains. Mais, que dirent alors des bienfaits de ces hommes qui s’en détournèrent, qui les laissèrent se débrouiller seules la plupart du temps, qui ne consentirent parfois qu’à ce qu’elles prélèvent quelques sporte d’alive ou qui firent livrer quelques décalitres de blé et non de farine ? Quelle explication donner pour ceux qui firent porter la paternité sur un autre, sur un parent ou mieux sur un obligé qui voyait là le moyen de s’en sortir car, sans ressources, il pouvait escompter sur la bienveillance à son endroit du géniteur en fermages moins lourds et autres places ? Que dire aussi des familles de ces filles qui brandirent l’étendard de leur honneur écorné et maculé du sang des ‘bâtards’ espérant masquer ainsi la dureté de leur rectitude et le manque de compassion pour celles qui avaient ‘fauté’ mais aussi pour le fruit de cette faute. Cette faute n’en est pas une dans une société où l’homme – puissant par fortune ou par simple capacité d’offrir un toit, un travail, un moyen d’existence – prétend encore au droit de cuissage ou du moins considère qu’une fille doit le dédommager en privautés et autres pour le toit, la place de bonne ou de cueilleuse… Un proverbe insulaire prétend que I vicini sò i to’ più cari parenti 194, cela se vérifia pour beaucoup de ces femmes, soutenues et protégées d’une certaine manière par leur voisinage.

Les enfants-ouvriersBeaucoup d’enfants travaillent. Ils n’aident pas seulement à

quelques menues corvées. Ils se trouvent parfois à devoir assumer des responsabilités très jeunes 195. Les plus pauvres qui souffrent évi-demment du manque d’argent et de bras doivent nourrir les chèvres,

193 « Tu comprends, elle devait nourrir ses enfants… » Les descendants se doivent de porter le poids d’un opprobre distillé au long cours dans une société étroite où la moindre peccadille peut vous renvoyer à une lignée amputée sur un registre.

194 Les voisins sont tes plus proches parents : on peut compter sur eux plus sûrement que sur les parents.

195 Un enfant de 12 ans était apte à gagner leur pain selon le maire répondant à l’enquête de l’An x.

Les filles mèreset les enfants trouvés…La société objet de cette enquête est, comme dans le reste de

l’île dans première moitié du xxE siècle, d’expression patriarcale. Les hommes sont le référent du moins en place publique. Ils décident, proclament ou dénoncent, font de la politique ou des affaires mais aussi exercent sur les femmes une domination forte. Lama n’échappe pas à son lot d’enfants trouvés et d’enfants non légitimés par mariage ou par reconnaissance de paternité. Une jeune fille 190 inganata, séduite ou forcée, engrossée et généralement mal vue par les siens est bien souvent rejetée par la famille du géniteur en un « Chi si l’hà fatti, si li curi ! 191 » sec et sans appel. Peu de choix sont possibles pour ces filles ou ces femmes. L’abandon pur et simple fut dans le passé l’un des moyens de ne pas hypothéquer sa vie. On comptait parfois sur la générosité d’une famille pour élever un nourrisson au village sans le placer à l’Assistance Publique. « C’eranu e sore prima chi venianu à circà i zitelli o certi eranu messi davant’à e porte cume Zia Maria Faletta, ella era azzingata à a crichja ! »192 Il y eut des bannissements ou des exils, des drames, des accouchements clandestins en rase campagne, etc. Il y eut aussi quelques femmes qui affrontèrent dignement le courroux familial, les quolibets et parfois les jalousies. Elles trimèrent sans soutien leur vie durant pour élever les enfants délaissés par leur géniteur pas toujours sans ressources loin s’en faut. Elles acceptèrent, car on les leur confiait et parfois réservait, des travaux durs et ingrats. Elles vont, inlassablement, chercher de l’eau à Funtana Bona pour une misère, se contentent du resitu de farine pour le pain qu’elles pétrissent et font cuire à leur bois, s’épuisent à la journée dans les champs, aux côtés des hommes à dépailler le blé ou encore, étés et hivers suent sang et eau en lessives ou repassages. On vint s’excuser en leur nom et tenter de justifier leur vie, leurs actes et leurs

190 Un fils se souvient et écrit dans le tapuscrit de ses mémoires à propos des crises de désespoir de sa mère : « Je n’avais que seize ans, il m’a prise de force. »

191 « Celle qui les a engendrés n’a qu’à s’en occuper ! »

192 « Autrefois, des bonnes sœurs venaient récupérer les nourrissons ou bien certains étaient placés devant des portes comme Zia Maria dite Faletta, elle fut accrochée à la poignée. »

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La question avait été abordée plusieurs fois y compris avec d’autres mais, trois mois plus tard, on refusa d’en parler, d’en expliquer le déroulement. Qu’y avait-il à cacher ? Rien ou presque. On craignait surtout de devoir aborder la filiation et unions particulières.

Le mariage, l’union est le prix que paie l’individu à la famille. Les mésalliances sont malvenues à Lama comme ailleurs. La société de l’huile commande et exige des mariages de dot et non des mariages de terre : la crise oléicole, les déconvenues spéculatives et les ribote 198 et autres plaisirs d’argent ont amputé les ressources financières de certains propriétaires. Une partie de la dot de a Signora Palma fut utilisée pour « affaires de famille »199.

Les mariages sont parfois arrangés, conseillés et préconisés par des cousins, des amis. Une jeune fille de bonne famille doit trouver un époux à sa mesure. On décide parfois d’un mariage sans rencontre des promis : « tant que les familles s’accordent… » Un promis devant arriver par le train en gare de Petralba ne s’y trouva pas. On revint fort embarrassé au village en priant que ce ne soit qu’un contretemps de voyage : tout était prêt mais on craignait surtout l’humiliation d’une mariée dépourvue de mari le lendemain, una ricusata 200. On repartit le chercher en cabriolet au train suivant, la population guettant l’issue. « Sò duii ! Sò duii ! » Le cri des enfants postés à la Croix pour apercevoir l’équipage fut libérateur. Il y eut un mariage de deux parfaits inconnus mais qui réussirent l’exploit, ordinaire à l’époque, de vivre en bonne entente et heureux en ménage. Cécile de Bernardi épousa un camarade de classe de son cousin Charles Massiani mais sa liberté de promenade avec son futur époux se limitait à a Piazza Cumuna soit devant les fenêtres de a Casa Ceccaldi. Elle est certaine

198 Ribota, fà ribota : « chante et bois et la maison brûle » résume un informateur.

199 Testament par preciput enregistré à Moltifau, en novembre 1917 de Paul-Baptiste Bertola à propos de la part de son fils Fabien : « toute la portion dont la loi lui permet de disposer à prendre au choix du légataire sur les meubles et immeubles. Le testateur reconnaît qu’une somme de 10 000 F constituant la moitié de la dot Pamela Costa épouse Bertola Fabien, sa belle-fille a été employée pour les besoins de la famille, elle est à déduire de la succession. Le bétail composant une partie de la succession est le fruit du travail de Bertola Fabien fils du comparant »

200 Une refusée. Le sort de ces femmes récusées ou refusées est peu envieux : couvent, gouvernante non appointée auprès de cousins bienveillants…

les poules, le porc, conduire les ânes au pré pour la nuit, charrier le bois. Leur situation les contraint à aider à la cuisine ou à la fabrication du pain, relayer la mère dans le nourrissage des plus petits et en pé-riode de récolte à accompagner les adultes pour parfois moins d’une demi-solde… « Admis au cours élémentaire à l’âge de sept ans j’y suis resté pendant plusieurs années. Dans l’obligation d’assister ma mère pour toutes sortes d’occupations, j’allais rarement en classe. À l’au-tomne on cueillait les arbouses pour faire de l’eau-de-vie. Lorsqu’il y avait des olives à ramasser j’étais absent pratiquement l’année entière. J’avais à assurer le transport du bois de chauffage avec l’âne, etc. »196

Les enfants pauvres travaillent beaucoup mais ils ne sont pas les seuls. Antoine Costa se vit confier à onze ans, après avoir raté son certificat passé à Ponte Leccia, la responsabilité du troupeau de vaches de son père. Avant cela, il arrive qu’il soit levé au milieu de la nuit afin d’être à l’heure à l’école mais après avoir jeté un œil aux vaches ou accompli telle ou telle course à Urtaca par exemple soit 2 heures de marche dans la nuit par un sentier pierreux. Natalinu accompagne très jeune sa grand-mère Zia Prudenzia dans ses tournées parfois lointaines de revente d’huile. Certes, ils partent avec deux ânes l’un est chargé de narpie contenant l’otri, l’autre « feciamu un colpu per unu ». Les enfants de Zia Maria participent tôt aux besoins de la famille. Plus récemment, les garçons de Jean-Laurent donneront de leur personne et de leurs bras pour soulager leur père, berger, d’une partie des tâches. « J’ai bêché deux plates-bandes délaissées depuis longtemps en réparation d’un dommage causé par le troupeau. » On comprend mieux alors la fascination pour les enfants de troupe qui échappent à la vie ordinaire du village et peuvent espérer changer d’avenir. « Ma mère aurait souhaité que je le sois. Mais mon père a refusé, il préférait me garder près de lui pour l’aider. »197

Épousailles et TrionfuLes épousailles et l’enquête ne firent pas bon ménage. Un « Le

mariage c’est le mariage ! » péremptoire d’une informatrice surprit.

196 Souvenirs, opus cité.

197 Antoine Costa qui eut deux oncles enfants de troupe.

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Les pranzi, (repas) servis lors du mariage sont préparés par de nombreuses femmes, qui mettent un point d’honneur à se surpasser. Les douceurs sont importantes aussi et il n’est point de mariage sans trionfu. Les mains de Zia Maria-Stella transforment les amendes et le sucre qu’on lui fournit en pièces montées de nougatine moulée sur des forme bien souvent faites de supports détournés. « Elle a fait celle de ma sœur, ma mère est montée la trouver pour l’avertir. Ensuite, elle lui a donné ce qu’il fallait per u trionfu. »203

On ne les présente pas qu’au village. Elles garnissent les tables des époux Costa à Bastia, par exemple. Les trionfi sont avec l’olise et i marringhi la fierté des Lamais. On transporta la pâtisserie du mariage Ricetti jusqu’à Ascu à pieds et à dos d’ânes sur un chemin peu praticable.

On offrait aux époux selon ses moyens. A Signora ’Ntunietta fit cadeau à Mantina et à Paul Massiani di duie balle di lana bianca 204 pour en faire un matelas.

La laine était nécessaire aux jeunes couples s’ils ne voulaient pas poursuivre leur union sur une mauvaise paillasse ou un matelas refait. En 1922, Rosata Negroni vient cueillir des olives. Sa mère lui a permis de garder, pour elle seule, l’huile qu’elle revendra en vue son mariage. Le promis lassé d’attendre à I Forci di San Lurenzu son retour décide de descendre et de la convaincre de fuir avec lui. Elle le renvoya au prétexte qu’elle avait assez d’huile pour u chjapullame et u stuvigliame (la vaisselle et les autres ustensiles) mais pas encore assez pour acheter en rentrant la laine nécessaire au matelas. Elle refusait de se contenter d’une strapunta rifatta.205

Mort et représentations

Enterrement et cunfortuU murtoriu ! Le glas annonce aux paisani, surtout à ceux qui se

trouvent aux champs, que le sort a frappé la communauté et qu’une

203 Rose-Marie Massiani.

204 « de deux balles de laine de brebis. »

205 Enquête, 1992, Jacqueline Emmanuelli, Corsuli-San Lurenzu.

que les divorces et les unions multiples auraient sans doute surpris et troublé un Attiliu Ceccaldi né en 1900.

Il y a eu des sfughjiticci à Lama, comme ailleurs ; les amoureux n’avaient pas eu la patience d’attendre le matrimoniu ou se heurtaient au refus les parents à cause des fâcheries politiques ou autres raisons majeures. Antoine Bastianelli, vivant en région parisienne dès son jeune âge, évoque le tohubohu que provoque l’annonce d’une fuite amoureuse. Sa sœur en vacances se vit confier, à la Croix, une mission par une cousine : « tu diras que je me suis sfughjée. » Le jeu et l’éloignement de la maison familiale, mais surtout l’importance de la formule qu’elle comprit-entendit et dont elle ne mesura ni la portée ni le sens, firent le reste. La méconnaissance de la langue et des usages par la Parisienne avait protégé la fuite. Si le témoin peut porter un regard distancié sur ce folklore matrimonial, la famille goûte moins à l’évocation. Les conditions de l’enlèvement de Mantina par Paul Massiani diffèrent. Ils se rencontrent en novembre à u fragnu : elle est descendue de Rusiu pour la récolte et lui est employé au pressoir. Ils se plaisent et Paul fait sa demande. Il obtient sa main mais on est en deuil : le mariage doit attendre. Les amoureux s’entendent et profitent d’un pèlerinage à Corbara pour partir. À leur retour, on organisa un mariage dans l’intimité des familles. Paul est accompagné à Rusiu par son beau-frère, un de ses cousins « è un ziu ch’aghju consideratu tandu 201 ».

Si on est accueillant au retour des fugitifs à Rusiu, il pouvait en être autrement et ils pouvaient être bannis pour un temps de la maison familiale. Natalinu Massiani préfère parler des serinati que l’on porte pour fêter les épousailles des désormais promis et promise car mieux valait ne pas changer d’avis. « Il y avait l’artisti di viulinu, les violoneux étaient nombreux. On allait porter u serinatu et on était reçu. On buvait, on mangeait, la famille avait préparé ce qu’il fallait quand u sfughjiticciu était de retour. » Il précise que le banghigliacciu réservé au veuf ou veuve se remariant est festif mais l’aubade donnée est un vacarme de cloches, de marmite, de casseroles et autre 202.

201 « Un oncle auquel j’ai manifesté le respect. »

202 Cf. CD : Serinati et Banghigliacciu, Natalinu Massiani.

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doit supporter l’ingratitude d’une Arme qui ne l’autorise pas à rendre un dernier hommage à celle qui a tant trimé pour son éducation.

Le lien avec le village en cas de décès est maintenu de façon forte. « Il fallait montrer que nous partagions le deuil. »211 On en-voyait, selon les cas et les relations plus ou moins fortes avec la fa-mille, un télégramme ou au moins une carte. On avertit, on vous prévient, on contrôle aussi qui est venu, s’est manifesté et on rend la pareille mais pas plus ni moins.

On s’intéresse beaucoup aussi au comportement du veuf mais surtout de la veuve. Si les femmes louent le deuil, les hommes souvent ironisent de façon sexiste 212 oubliant qu’ils sont de fait collectivement autant mis en cause.

Les testaments et inventaires permettent de compléter ce tableau de la représentation. Qui lègue quoi et à qui ? Qui hérite et en quelles conditions ? Que pèse un mort ?

Selon un testament rédigé en octobre 1906, une veuve, pro-priétaire à Lama lègue :

« 1) à son neveu germain X. Charles-Joseph dit Peppo, proprié-taire à Lento :

•La moitié du bien clos dit Cortalinaccio, Commune de Lama•Un lit en fer avec matelas et paillasse•Un sofa en bois de noyer avec jarre en fer-blancLe tout se trouvant dans sa maison d’habitation. 2) à son petit-neveu Y. Sauveur, fils de feue Y Marie-Françoise

née X l’autre moitié de ses biens du Cortalinaccio et le surplus de ses biens 213 »

211 Lucie Obède qui vit à Paris depuis sa jeunesse mais qui ne conçoit pas d’être avertie tardivement d’un décès. Les télégrammes sont un figuratif participatif le jour même des obsèques et non le lendemain avec les délais d’acheminement du courrier. Plus tard, l’appel téléphonique et aujourd’hui internet en prirent le relais.

212 Un bref dialogue est souvent rapporté sous couvert d’anonymat par la gent masculine. Une personne âgée et proche du trépas recevait ses voisins et amis, une dernière visite avant le départ vers un au-delà peuplé des défunts de la commune. Il adressa ces mots à une veuve : « Que vais-je dire à P. S. (nom du mari) ? » La réponse rapportée est sans ambiguïté : « Dis-lui que j’en profite ! ».

213 A. D. H.-C., 3Q14/100.

famille est dans la douleur. Il a une fonction plus symbolique : il place la communauté dans le temps du partage. Tous s’arrêtaient pour l’écouter religieusement dans une sorte de communion 206. Il permet de se préparer au deuil et offre la possibilité de ne pas avoir d’attitude inconvenante à l’approche du village. Quand la mort frappe, le respect est de mise et honte à celui ou celle qui bafoue le défunt fussent-ils fâchés. On commente volontiers et abondam-ment les manquements de telle personne lors des obsèques, parent ou pas. Les raisons de leur fâcherie ne semblent pouvoir justifier leur comportement en présence du cercueil ou durant la période des cé-rémonies funèbres. Dans la pieve de Caccia, en entendant sonner le glas on murmurait jadis en se signant « Ogni morte hè toia 207 ! ». Les enfants, que pourtant l’on préserve de la vision de la mort et que l’on ne laisse pas participer aux veillées ni bien souvent aux enterrements, sont prévenus et doivent respecter un silence, une absence marquée de jeux et de manifestations. Ils sont priés de se tenir éloignés des maisons endeuillées afin de ne pas offenser les morts par des cris ou par des rires. « Ci cacciavanu di trà li pedi, ùn pudiamu più andà in Piazza Cumuna. 208 »

Les obsèques ont généralement lieu le matin et les villageois accueillent chez eux pour le repas ceux qui ont fait le déplacement. « Ùn li si pudia mica rimandà cusi. Ci vulia à falli manghjà 209 ! » Il est inconcevable jusque dans les années 1980 de ne pas participer à un deuil dans le village. On essaye d’attendre les membres de la famille vivant loin. Paul Massiani, très ému, évoque l’absence de Pittistu aux obsèques de leur mère que l’armée a refusé de libérer pour quelques jours. « Hè ghjuntu dopu 210 ! » Cette blessure est aussi celle d’un fils qui après avoir été confronté à cinq années de captivité en Allemagne

206 Hyacinthe Massiani, pourtant déjà très âgé et dans l’incapacité d’assister aux obsèques, attendit patiemment sur la terrasse le glas en respect de son cher compagnon Natalinu.

207 « Chaque mort est tienne ! »

208 « Ils nous sortaient, nous ne pouvions plus traîner sur la Piazza Cumuna ! »

209 Natalinu Massiani : « On ne pouvait pas les renvoyer chez eux ainsi ! On devait les garder pour le repas ! »

210 « Il est arrivé (venu) plus tard ! »

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porte qui sera munie d’une ferrure nouvelle et vernie. L’approbation du préfet intervient le 14 décembre. La clôture de l’exercice financier conduit un an plus tard à la soumission de Joseph Baccelli, maître maçon, et Charles Bonavita menuisier à Lama, selon les modalités du précédent devis approuvé par le préfet…

Ange Beveraggi expose à la séance de novembre 1898 que « depuis longtemps la commune jouit d’un cimetière qui est d’une exiguïté tellement apparente qu’en ce moment il est matériellement impossible de creuser des fosses sans soulever les os des cadavres qui y sont enfouis ». Une demoiselle Marie-Madelaine Ceccaldi possède les biens autour du cimetière et elle « refuse catégoriquement et malgré les offres avantageuses qui lui ont été soumises » de vendre la moindre parcelle du Campoladino malgré l’acceptation par le préfet du vote de 400 f destinés l’agrandissement de l’enceinte.

U campusantu continue de poser des soucis en 1901, il est dans « un état si pitoyable et ne pouvant plus contenir un seul cercueil ». Jacques-Antoine, Louis et Madeleine Ceccaldi cèdent en décembre 1901 « une pièce de terre à prendre dans la propriété dénommée Pojola » pour 150 f avec « réserve est faite par les vendeurs d’une concession perpétuelle 215 de 50 m� close d’un mur en pierre sèche construit au frais de la commune ».

Après l’aménagement très précis de l’enceinte, en février 1928 on voit l’attribution à Adélaïde Massiani née Boulin, institutrice, d’un terrain 10 m² dans le cimetière communal pour 300 f 216 ; la plaque en portant la mention ‘concession perpétuelle 2’ est toujours en place.

Interrogé sur des tombes disposées telles des sentinelles sur les promontoires aux abords du village, Antoine Costa répondit simplement : « Vulianu chi i so morti fussinu bè sposti 217 ! » On conçoit aisément que l’on puisse le vouloir ainsi. On dit aussi qu’elles sont

215 Xavier Massiani, en mars 1905 passe un marché avec la commune « pour la réfection du cimetière moyennant une somme de 400 frs incluant le mur d’enceinte en pierres sèches de la concession Ceccaldi. »

216 La même année, Joséphine Tortora Vve Massiani achète un terrain de 4 m² pour 120 F tandis que Baptistine Clementi paie 135 F pour une concession perpétuelle de 4,5 m².

217 « Ils désiraient que leurs morts soient bien exposés ! »

Benoît Z. est économe en retraite à Lama. Il décède ab intestat le 19 octobre 1904. Un inventaire minutieux est rédigé par Maître Bonavita :

« Un lit en fer forgé avec accessoires estimé 60 frsUne table de nuit et un lavabo 16 frsUne table avec petite glace 24 frsUne armoire mobile 20 frsUne cuisinière en fonte avec accessoire 80 frsUne seringue avec étui 10 frs » 214

Le total s’élevant pour cette partie à 210 f. Le document se poursuit par les possessions acquises par le défunt « de ses deniers personnels » :

« Une malle avec trois complets en coutil, un complet en drap, une redingote, un pardessus, une douzaine de chemises, 5 paires de caleçons, 4 chapeaux, chaussettes, mouchoirs, couteau, lunettes, rasoir, le tout 100 frs ;

2 Ombrelles, 3 flanelles, 3 paires de souliers, une montre en argent avec chaîne en acier, 2 photographies encadrées, des livres et un fusil, le tout estimé 150 frs ».

La somme est d’importance.

Le cimetièreLe 1ER novembre 1850, le Conseil municipal, présidé par

Philippe Bertola, vote 50 f pour les réparations qu’exige le cimetière : « Considérant que le délabrement du mur et de la porte du cimetière donne une libre entrée à toute sorte d’animaux d’où il résulte le fâcheux inconvénient de voir tous les jours les tombeaux profanés ». Marc-Marie Suzzoni, maître menuisier à Petralba et Fortuné Bottarlini, maître-maçon à Lama présentent un devis commun pour les travaux à exécuter « tant au mur qui sert d’enceinte au cimetière… qu’à la reconstruction d’une nouvelle porte qui doit y être placée ». Le maçon aidé d’un manœuvre y travailleront deux journées tandis que le menuisier compte 4 journées de travail pour la réalisation de la

214 Mentionnés comme provenant des successions paternelle et maternelle.

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Le manque de médecin à Lama fut évoqué par Mimi Beveraggi. Jouant à l’aplomb d’un toit-terrasse, elle fut victime de la chute accidentelle d’une lauze. Blessée grièvement à la tête on la plaça dans une chambre et on fit appeler le docteur Orabona à Novella. Le village défila au chevet de la malade que l’on veilla : « Passera-t-elle la nuit ? Si oui, le médecin avait laissé un espoir de la sauver. » Juste remise, quelque temps tard, elle fit à dos d’âne le voyage vers Novella pour voir le médecin. Elle garde en mémoire les œufs au plat du déjeuner pris chez une connaissance : la solidarité joue là encore.

L’ascenzianaLes personnes souffrant du foie trouvent peu de médicament

mais par bonheur en montagne près de A Bocca di i Banditi pousse la bienfaisante gentiane. Enfant, Antoine Costa y accompagne son père pour prélever à l’aide d’une petite pioche la racine de l’ascenziana 219. D’où vient la connaissance des propriétés dépuratives et digestives de la gentiane ? Il l’ignore mais cite en référence les préparations commerciales et précise que « c’est l’amertume qui fait du bien ».

CampàSaccu ghjotu ùn pò stà arittu ! 220

E VeghjeLes veillées sont les éléments de sociabilité ordinaire qui

reviennent très souvent dans les regrets exprimés par les témoins les plus âgés. « Tandu s’andava à veghja, era una manera di tenesi ! 221 » Aujourd’hui beaucoup déplore un égoïsme télévisuel. Outre la simple visite de courtoisie, ces moments permettent à certains de passer des soirées réchauffées par des âtres mieux alimentés et par un vin clairet. On y commente l’actualité, on y discute des travaux en cours. On règle parfois des problèmes de divagations animales ou

219 « Nous en avons pris quelques morceaux pour qu’il s’en fasse une boisson. C’est un peu amer. On les place dans du vin blanc. »

220 Proverbe : le sac vide ne peut se tenir dressé ! Un estomac vide ne porte pas l’homme. Proverbe limousin.

221 « À cette époque nous allions à la veillée, c’était une façon d’être proches (de s’aimer) ! »

là en véritables gardiens de la vallée et de son oliveraie. Cependant, la tombe Saturnini, la modeste tombe à vultina Bertola et le carré Ceccaldi ne reflètent pas cela. Cécile, fille d’Attiliu Ceccaldi, soutient que les siens estimaient « ce n’était pas la peine, une fois mort, de s’exposer ». Une tombe dans le cimetière suffisait, point besoin de faire une telle dépense.

Médecine et pratiques

Attiliu soigneurOn ne peut parler de médecine durant cette période sans évo-

quer Attiliu Ceccaldi qui est présenté unanimement comme l’infir-mer magicien qui sans compter soulage efficacement tous ses paisani.

Cet homme a fait peu d’études malgré les tentatives familiales pour l’envoyer au lycée à Bastia. Il passe plus de temps sur les quais à observer les manœuvres et les machineries que sur les bancs de l’école. Il a une passion pour la médecine et un profond sens du devoir et du partage. Ayant appris à faire des piqûres il accepte de pa-lier à l’absence d’infirmier et de médecin. Sa nièce Cécile se souvient d’une clé de dentisterie dont il use pour extraire les dents. Sa belle-fille Louisette souffrant d’une rage de dents fut soulagée par le résidu récupéré sur le bord d’une assiette du brûlage d’une feuille de papier journal disposée en cône 218. Il sauve une dame victime d’une hausse de tension au moyen de sangsues dont il charge les plus jeunes d’une récupération rapide dans la rivière. Il entretient aussi des sondes uri-naires et adoucit autant que faire se peut les maux divers et variés. « Quand il rentrait de la campagne, il mettait ses chaussons et il par-tait dans le village faire son tour. » Sans titres de médecine, celui qui fut le soignant de Lama reste pour tous l’incarnation du don de soi sans calculs ni intérêts. « Il ne fut jamais question d’argent, il le faisait pour tous de la même façon ! Pourtant, il était fils de Sgiò ! Mais lui il était comme nous. » Natalinu Massiani dira « Ellu, era una pasta ».

218 Ce procédé anesthésique semble usuel à l’époque, nous en trouvons mention en Caccia, Vallerustie et dans le Campuloru.

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Les vêtements féminins sont peu ou mal adaptés à l’humidité hivernale ou à la chaleur estivale. Ce travail harassant est alors plus pénible encore. L’arrivée de l’eau au village fut un soulagement pour toutes les jeunes filles 224. Certes, on charria encore longtemps de l’eau mais une eau commode, celle des fontaines modernes nées des travaux d’adduction d’eau des années 1930. Mais au-delà de la pénibilité de la corvée d’eau demeure prégnant le souvenir de l’eau charriée « pour rien » car sur le trajet on avait répondu à l’appel des anciens quémandant à boire. « Selon qui avait bu à la cochja ma mère ordonnait que je déverse l’eau dans un seau et nous renvoyait à la fontaine. » Certains chiquaient du tabac dont le jus troublait l’eau, d’autres étaient sans doute jugés porteurs de germes et l’on préférait là comme ailleurs éviter les sources de contamination. La tuberculose, l’épidémie de typhoïde des années 1910 et les morts qui s’en suivirent ont laissé des traces. La population buvait parfois une eau du Funtacciu contaminée par les soues des porcs domestiques avant cela. La seille cependant ne quitte pas la maison sans son complément, a cochja, respectant ainsi la convivialité ordinaire de partage de l’eau et la symbolique de protection familiale 225.

I tacchi è e legneLa corvée de bois d’allumage est à Lama une tâche mixte très

compartimenté. « Prima di i fasci, ci sò i tacchi è quessa sò l’omi 226 ! » ou encore « Sò l’omi chi facenu e legne minute è e donne chi e trescinanu 227 » ponctuent très souvent les conversations à propos des travaux dévo-lus aux femmes. Tous s’accordent sur les longs et fastidieux trans-ports de fagots de bois, posés en équilibre sur le capagnulu par les

224 Généralement la jeune fille est en charge de cette corvée tant pour sa famille que pour certaines parentes ou voisines âgées…

225 L’eau en Corse : entre pratiques et symbolismes, Jackie Peri Emmanuelli, in Strade n°19, 2011.

226 « Avant les fagots il y a la coupe de petit bois et c’est une tâche d’homme ! » Natalinu Massiani.

227 « Ce sont les hommes qui coupent le petit bois et les femmes se chargent du transport ! », Antoine Costa.

encore on suppute sur les élections futures. C’est le seul moment où chacun peut prendre part à la discussion : dans la journée beaucoup sont tenus éloignés du village par les nécessités de la vie agricole. La vie communautaire y est discutée ou régie : de proche en proche, de voisinage en voisinage ou bien encore de décideurs en partisans puis d’affidés en affiliés, etc. Les débats tenus dans l’intimité, d’un premier cercle autour d’une flambée, pourront être exposés ailleurs dans un entre soi toujours modifié. Mais, di casa in casa, l’ensemble du village participe in sottu. Rien n’est exposé de façon abrupte en place publique. Les discussions en amont permettent à chacun de se tenir au courant des évolutions des rapports entre les individus, de se positionner et d’adopter une attitude et une place que l’autre ne saurait lui contester publiquement. « In casa hè in casa, ma fora… 222 » Ainsi, les conflits ouverts se font rares. C’est un excellent moyen de gouvernance politique ou sociétal. On y joue aussi aux cartes ou au loto. On se détend avec des stavaltoghji ou des fole, des histoires vécues mais aussi des légendes pour effrayer les plus jeunes. Certains revivent la Grande Guerre et d’autres, plus jeunes, se risquent à des approches amoureuses favorisées par leur position éloignée de l’âtre dont la proximité est réservée aux aînés.

A sechjaLa seille reste le symbole de l’évocation de la place des femmes.

On raconte à loisir les fastidieux trajets vers Funtana Bona ou vers u Canale 223. Les témoins précisent que Zia Maria alimentait journellement, avec l’aide de sa fille Jeannette parfois, les familles des gendarmes. Ils reconnaissent volontiers le caractère inhumain d’un tel travail et louent le courage persévérant de cette femme trop tôt usée par le poids de la seille vide puis remplie, le froid, la chaleur mais surtout les allers-retours incessants à la fontaine.

222 « à la maison c’est à la maison mais à l’extérieur ! » sous-entendu c’est bien pire.

223 Marie-Augustine Massiani : « A u Canale, il y a de l’eau mais un filet, juste pour boire. Funtana Bona, là on a une belle fontaine, avec un débit important. Mais il y a le ghjargalu derrière, et il avait été dévié, mais un jour il y a eu un orage terrible qui a tout emporté et le ruisseau est retourné dans son lit en ouvrant le mur et toute la place de la fontaine. »

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choses avaient changé. Il se souvenait des coupes sur le bien commu-nal soumises à déclaration et contribution annuelles et l’interdiction fait par des propriétaires de prélever le moindre bois mort 231. Le 23 octobre 1923, le garde champêtre signale un tas de souches 232 enlevé par Jean- Toussaint Massiani sur le bien communal Chiostroni. Cette nécessité domestique, ainsi organisée, protégeait la communauté en cas d’incendie ; un feu ne pouvait se propager jusqu’au village Lors du grand incendie u bruttu, le non-propre, a permis aux flammes de lécher les maisons et de détruire celle de Zia Elisa.

Porcu è Tumbera« Chaque famille élevait et engraissait soit un porc domestique

soit deux pour la consommation familiale et possédait une petite porcherie… Tous les ans en hiver et au printemps des marchands conduisant des troupeaux de porcelets arrivaient dans la localité… Ces porcs étaient nourris avec du son, des farinettes, de l’orge, des glands, des châtaignes, des herbes et des légumes que l’on faisait cuire. »233 La description ne varie pas de celle de nos informateurs 234. Natalinu Massiani explique longuement les voyages en Vallerustie pour acheter ou échanger contre de l’huile des chjoppule, châtaignes sèches pour mieux affiner la viande, la récolte du bigaru (arum sau-vage) ou des rosule purcine, pour compléter sa ration. La tuaison se fait au moyen d’une dague ou d’un stylet u stillettu, que l’on doit plonger in u bugnu 235 en passant sous l’épaule. Il s’agit de bien viser et pour cela on s’adresse en général à un homme à la main sûre. Le

231 Un autre témoin dira « mancu i muchji sechi ! » (pas même les cistes morts).

232 Selon les témoins il s’agit d’une mauvaise dénomination.

233 Souvenirs,… opus cité.

234 « U porcu ? Ils achetaient le cochon petit et ils le mettaient inde u purcile. Toute l’année, ils allaient lui donner à manger. Mon père labourait et plantait blé et orge. Ma mère faisait son pain donc nous avions du son et ils faisaient a farina di l’orzu. Les porcs étaient engraissés avec tout cela. Ici, e castagne ce n’était pas trop l’usage ; parfois quelqu’un arrivait en proposer mais sinon ce n’est pas courant. » Rose-Marie Massiani

235 U Bugnu : Natalinu Massiani explique qu’il s’agit d’atteindre une poche de sang afin de s’assurer de la mort de l’animal non-estourbi dans de bonnes conditions. Ce mot désigne généralement la ruche.

femmes pour l’allumage du foyer domestique et pour la chauffe du four. Les hommes se chargent rarement de ce transport et s’ils le font c’est en utilisant les ânes. « Il y avait Ceccu-Leone qui avait deux beaux ânes. Il mettait quatre carchi. En principe, on en plaçait trois sur le bât… lui, il en casait 4, mais il s’agissait de sumeri incurdati, avec de la force. Et vous verrez que le bois a éraflé les parois sous la voûte » raconte Antoine Costa, insistant sur la nécessité de préserver ces éraflures comme autant de témoignages d’une vie âpre et laborieuse. On évite de gâcher le précieux bois des scope è albitri lors des remises en culture de terres ou jardins délaissés : on ramène alors au village des fasci di siccalume 228 soulageant ainsi les femmes d’une partie non négligeable des corvées hebdomadaires. Les hommes insistent sur u taccu 229 aux abords, pas toujours immédiats, du village. « Il y avait ce que l’on appelle a Costa Longa pour monter à la fontaine du Canale. Là, il y avait du maquis. Nous montions y couper des bruyères et des arbousiers que l’on laissait à terre pour qu’ils sèchent. Ensuite nous [les hommes] en faisions des fagots… que les femmes transportaient sur la tête. Nous en faisions aussi sur la route qui mène à Urtaca, à Pianu et à l’Ossu Mezanu… cela faisait loin pour les femmes ! Là il y avait beaucoup de maquis Moi j’en ai fait là et sur la Costa Longa… Nous ne faisions pas de demandes à la mairie, on y allait comme ça. À l’Ossu Mezanu il y avait aussi des propriétés privées : celles des Franzini et d’autres. Mais il y avait beaucoup de maquis et cela dépendait des propriétaires. Certains vous faisaient faire i tacchi per mezu 230 ! » Les biens communaux comme les propriétés privées, au-tour du village, sont ainsi débarrassés des broussailles et du maquis. Les possédants voient leurs propriétés nettoyées et, bien souvent, la livraison à leur porte de fascines calibrées. La moitié des fagots récla-mée par certains est une charge plutôt lourde tant en travail de coupe qu’en transport. Natalinu Massiani précisera qu’après-guerre les

228 Fagots de bois déjà sec.

229 La coupe de petit maquis que l’on laisse sécher sur place et dans laquelle les femmes viendront puiser de quoi alimenter le foyer et le four.

230 Louis Beveraggi, Paul Massiani…

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délicatement possible pour en recouvrir la coppa. Pour le lonzu, on utilisait les gros intestins, e cionciulle. » La coppa est bien souvent trop épaisse pour passer correctement dans un boyau sans l’abîmer. Mieux vaut la couvrir d’une enveloppe plus grande afin de la prémunir des attaques de mouches. L’attention que l’on portait à la préservation de cette pelure d’asciugne participe de la gestion minutieuse des ressources 240. Rien ne se gaspille, on tente de trouver une destination raisonnée et valorisée à chaque pièce. C’est le cas de la vessie qui, prélevée avec soin pour ne pas souiller la viande et lavée, sera gonflée et garnie de saindoux. On économise ainsi les poteries et les bocaux, plus précieux encore. Cela évite aussi l’emprunt inopportun par les voisines d’un canellu di struttu 241. Il s’agit de mettre à l’abri le gras des fritures festives ou votives. Ces salaisons sont des pièces réservées aux grandes occasions ou mises de côté pour la famille ou les invités. « Parfois nous ne comprenions pas ce besoin de mettre de côté pour des cousins ces charcuteries. Nous en étions privés et elles nous avaient demandé tant de travail. » On pouvait parfois les utiliser en remerciement d’un service, d’une intercession, d’une faveur. On utilise plus quotidiennement a bulagna ou a panzetta. Rose-Marie Massiani précise que son père comme beaucoup disait que « a so più bella merenda eranu duie fette di bulagna fritta inc’un ovu. »242

FornuA merenda, a pezza : deux mots qui jour après jour posèrent à

tous le même souci, le même tracas. Que va-t-on prendre pour dé-jeuner aujourd’hui. Nous ne parlerons pas du cas des nantis ou pos-sédants, les réserves sont pleines et s’ils tirent souvent du sac le même repas que leurs ouvriers ils ne connaissent pas les affres du manque.

240 À Moltifau, quand la pelure est abîmée ou que les cionciule sont de mauvaise qualité, on a réemployé après-guerre les conditionnements des pâtes alimentaires aérés par des piqûres d’épingles.

241 Ce n’est pas tant la restitution qui est en jeu que la qualité du saindoux restitué.

242 « son repas tiré du sac préféré consistait en deux tranches de joue de porc et d’un œuf frit. » (Bulagna, vulagna, vuletta ou encore salame rimignosu évoqué par Julienne Coradini).

sang est récupéré dans la conca 236, poterie conique, évasée vers le haut souvent tenue par une femme 237. Autrefois, on brûlait les soies à l’aide de bouquets d’immortelles ou de petits genêts, a murza è u prunu tupinu. Cela parfumait la viande, mais « dopu hè venuta l’acqua incu un saccu nantu per ch’ella ùn curissi mica tropu, e si scupriva dopu u saccu pianu pianu. »238 Cela ne se fit avec constance après l’arrivée de l’eau au village. L’ébouillantage était déjà dispendieux à leurs yeux : gaspillage d’eau mais aussi de bois. Des témoins furent ébahis d’ap-prendre l’usage à Moltifau d’un baquet. Puis on dresse le cochon, pour le suspendre à un bois fiché dans le mur. On fait une entaille sur toute la hauteur et on l’ouvre. Il faut prendre garde aux viscères. On ne peut risquer la perte des figatelli et des saucisses par manque de boyaux ou de foie. Notons, à l’inverse d’autres villages, la fabrication quasi immédiate des sanguinelli, boudins dont certains sont agré-mentés de cervelles. Julienne Coradini fut surprise de cette rapidité : « Ici, ils font les sanguinelli de suite. Chez moi, on ne les fait qu’après le saindoux car on les agrémente de grattons ! » A strisciulla, viande de porc servie en une sorte de fricassée, était le repas de ce jour par-ticulier selon Natalinu Massiani et Antoine Costa.

A PurcinaRose-Marie Massiani a appris de sa mère et de ses tantes du

Mercatu la préparation des salaisons : « … les prisutti sont lavés, poivrés 239 et accrochés à u trave… Sur les coppe et les lonzi, on a toujours mis du poivre noir ! Les coppe, on les habillait, e vestiavamu. Il y a une pelure sur la panne. Il fallait retirer cette ‘peau’ le plus

236 « [Le premier travail consistait à recueillir le sang pour faire les boudins. C’était la chose qui me plaisait le moins. L’une de mes tantes s’en chargeait car ma mère ne pouvait le faire. Mimi tenait a conca, on ne disait pas la bassine à l’époque ! (…) Elle remuait le sang et faisait i sanguinelli avec cela]. » Rose-Marie Massiani.

237 Pouvait servir de récipient alimentaire ou de bassine pour y laver légumes, petite lessive ou autres usages domestiques à l’époque où l’eau courante n’existait pas encore et où la pile n’était pas dans toutes les maisons. Celle de la charcuterie est généralement à part.

238 « Ensuite, nous avons utilisé de l’eau (chaude) versée sur un sac pour qu’elle ne s’écoule pas trop. Nous dégagions le sac peu à peu. » Natalinu Massiani.

239 Dans le temps on utilisait u peveru mattu, une variété de piment.

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son travail car elle prêtait la main en cuisine chez les Bertola pour des réceptions par un « Què pò andà à u Cyrnos ! »

E pata(t)tose, sorte de fougasse avec des pommes de terre écrasées sont aujourd’hui un mets que l’on cuit rarement, elles permettaient de compléter ou de garnir la musette du laboureur ou du berger. « Cogenu e patate, eppo a farina, un coppiu d’ove è certe vollte per arrangià l’affare a mio zia Mimi ci mettia ancu duii ragliulli » explique Rose-Marie Massiani qui en prépare encore.

La soupe est mitonnée longuement sur un feu bois et Madame Trojani fut très soulagée du cadeau que lui fit son frère militaire : un fourneau. Plus besoin di cocesi a faccia. La campagne fournit son lot d’herbes sauvages pour la soupe d’erbigliule et permet de tromper la faim avec e muchjandule 247. « A muchjandula c’est une pousse rouge sous les cistes. La partie basse est tendre, il n’y pas beaucoup à manger mais c’est bon. Cela pousse au printemps ! » se souvient Antoine Costa.

Les conserves et les œufsMimi Sammarcelli accepte de nous raconter la gestion des

conserves d’œuf et de tomates que chaque femme prépare durant cette période pour remédier au manque de denrées fraîches. « Les femmes faisaient aussi a salsa di a pumata, elles y mettaient de la pulvaretta, maintenant on dit du salicylate mais à l’époque on disait a pulvaretta. Elles prenaient les bouteilles avec la fermeture à caoutchouc de la bière. Elles en prenaient grand soin ! Elles en demandaient aux uns ou aux autres. Les bouteilles de sauce étaient conservées à la cave.Et elles faisaient aussi e cunserve di l’ove qu’elles immergeaient dans l’huile ! Elles avaient une sorte de pierre 248 qu’elles faisaient fondre dans de l’eau. Elles disaient aghju fattu l’acqua per l’ove, puis elles y

247 Cytinus hypocistis.

248 « Un procédé, dû à Cadet-Gassicourt, et qui est adopté depuis longtemps et les ména-gères, consiste à mettre les œufs aussitôt après la ponte, dans de l’eau où l’on a délayé un dixième de chaux éteinte », Nouveau manuel complet des conserves alimentaires,… par M. W. Maigne, Paris, Librairie de Roret, 1865, p. 131. Moltifau, pauvre en huile, recouvre ces œufs de sable ou parfois de cendres.

Le pain était respecté chacun connaissait ce qu’il coûtait de sacrifices, d’efforts et de labeur. Personne n’en gaspillait une seule bouchée et chacun ramassait le moindre morceau tombé à terre. La maîtresse de maison faisait généralement le signe de la croix sur chaque pain que l’on se préparait à entamer et cet usage perdure malgré une baisse sensible de la religiosité.

Les fours de la famille Franzini, comme ceux des Ceccaldi ou des Massiani, ont acquis une sorte de statut communautaire après-guerre. Les propriétaires se réservent la dernière cuisson laissant la chauffe à ceux qui ne disposent pas de fours privés (les anciens fours de quartier sont détruits ou hors d’usages). Les plus jeunes évoquent avec gourmandise les pâtisseries que les grands-mères ou tantes y cuisent mais méconnaissent l’organisation sociale et politique que cela sous-tend. « U Mercatu sentait l’oliose quand j’étais petit. 243 » On regrette aussi e falculelle et e casgiate de Pâques. Mais étrangement, il est un propos que l’on ne tient pas : comment cela peut-il cuire, comment fait-on et où le pain ? Les anciens savent et veillent au respect de cette corvée codifiée.

« Ma mère portait son pain sur une planche sur la tête depuis la maison (Funtanacciu) jusqu’au four du Puntapè 244 ! » C’est un dur parcours car il s’agit de la provision hebdomadaire (un minimum de 12 kg de pâte à pain 245). Le tavulu sur lequel repose a facitoghja, d’un embarras et d’un encombrement autre que la sechja est plus malaisé à équilibrer.

« L’Oliose sò lamaccie è e fritelle cu u casgiu sò petralbinche ! »246 proclame-t-on. Une façon de signifier nous avons de l’huile et eux ont du fromage (des bergers nombreux) mais aussi de laisser paraître une certaine éducation, un certain raffinement culinaire. Zia Maria Faletta était réputée pour ses plats et ses pâtisseries, elle commentait

243 Jean Cerli garde tout comme ses cousins Bastianelli ou Rossi le souvenir des pâtisseries préparées par Paula-Maria, fille de Saveriu Campana.

244 Marthe Baccelli-Morienne.

245 Au xixe siècle, on mangeait 600 g de pain par jour contre à peine 130 g aujourd’hui.

246 « Les oliose sont de Lama et les beignets de fromage de Petralba ! »

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conclusion

Conclure ce rendu d’enquête en quelques lignes est impossible. Tout n’est pas abordé dans ce livre. La chasse, la guerre, les jeux, l’édu-cation, les travaux de dames… Mais les questions ont été posées et quand les témoins ont répondu, comme François Massiani le fit lon-guement sur la chasse, la restitution se fait de façon orale, dans le CD qui accompagne cet ouvrage pour partie. Le restant décrit aussi fidèlement que possible sans transcription mais en segmentation du discours en unité signifiante, sera déposé à Lama avec l’accord des interlocuteurs et mis à la disposition du public de façon non com-merciale. Cette recherche s’est voulue comme une photographie en 2012-2013 de la mémoire collective du village associée à la somme des mémoires individuelles. Quel sera le sort d’un futur Musée de la Mémoire à Lama ? Nul ne le sait mais un matériau enrichi par l’expé-rience de chacun est disponible à ce jour. Il y eut pour être complet des rendez-vous manqués, un décès ou un emploi du temps trop chargé, une timidité excessive. Ce village où un Antoine Coradini ne pouvait envisager de fonder de famille après-guerre car la vie y était trop difficile est aujourd’hui aux portes d’un nouveau destin depuis le percement de la Balanina et l’avènement d’internet. C’est inter-net qui fut le premier visage de cette recherche avec la création d’un portail dédié et c’est internet qui fit venir à nous un témoin tardif dé-sireux de retrouver et de partager la mémoire de ses grands-parents Jacques-André et Élise Montecatini et celle de son oncle Alexandre que l’incendie força à exercer son métier de berger plus loin dans

plaçaient les œufs. Elles se conservent un certain temps… Elles les sortaient pour les placer dans l’huile. Mais c’est de l’oliu frazatu (huile gâchée), une l’huile de deuxième pression, a ricenza. » La gestion des ressources alimentaires est primordiale pour espérer préparer les repas au quotidien car on n’achète que le minimum faute d’argent et les boutiques ne fournissent que marchandises de première nécessité.

Paul Massiani tenait à partager son expérience de berger débutant et jeune marié. Mantina fit des merveilles alors avec peu de moyens. Il tient à préciser la dotation alimentaire que lui offre sa belle-mère ajoutée à la farine issue des 600 sporte de châtaignes qu’ils ont récoltées avant de rentrer à Lama : « Un mezu porcu, una balla di patate è un decalitru di fasgioli. Simu stati un annu ma macellari ùn ne cunsicivamu mica. »249 La nourriture mérite un développement plus important tant la population doit à cette époque tromper la faim en temps de guerre et en temps de restrictions, songer au repas pris en campagne quasiment tous les jours pour les hommes, gérer le manque de légumes frais par manque d’eau et composer avec de faibles revenus pour certains.

249 « Les charcuteries d’un demi-porc, un sac de pommes de terre et un décalitre de haricots secs. Nous avons passé une année sans acheter de viande au boucher », cela semble peu et pourtant c’est déjà beaucoup pour une veuve.

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Table des matièresla vallée. Ce témoignage parvenu en octobre 2013, hors du temps comptable de cette étude abondera la collecte comme tous ceux qui viendront par la suite. Il s’agit là d’un socle de départ et pas d’une fin. Elle est destinée aux générations futures et est conçue comme un outil en perpétuelle augmentation. Établir un pont entre un Lama moderne tourné vers un avenir multidirectionnel où se combinent réappropriations oléicoles et agriculture diversifiée, festival du film, sentier du patrimoine, développement touristique et, un Lama à peine jauni par la mutation des années soixante et par la fumée du feu sacrificiel de 1971, tel était le postulat un peu fou de ce projet porté par l’ADECEM sur une initiative municipale.

Lama et son espace .............13 Da u Canale à Lama ..............13 Les voisins Immédiats ........13 Usurpation et bien communaux..15 Muntagna et Campagna .....18 L’eau ................................. 19

L’andati ................................... 22 U Sgiò Sumere ....................25

Le village, ses quartiers ......... 27

Lama ................................ 27

Servizii è altri ....................... 29 A casa cumuna ....................31

École ................................ 65

Palazzi, Casoni è case ........... 69 A Casa à piggiò .................. 72

Agriculteurs et bergers ? ..75

Des labours à la récolte ..........75

Terraticu ........................... 76

Aghje et Tribbiera .............. 77

Autosuffisance et compléments ? 79

Orte ..................................80

Vigne ................................84

Abeilles ..............................85

Mûriers, vers à soie et autres 87

Bergers et troupeaux.............90

U rughjone ........................ 91

U Pastore Cumunale ............94 Casgiu, culostra è seru ......... 95

Oliveraie ............................... 97

Oléiculture : une économie en panne ................................... 98

Propriétés arboraires .......... 100

La récolte ............................101

Spigulera è furestu ............ 104

Conditions de travail des saisonniers .......................105

Huile, fabriques et pressoirs 107

Les moyens ......................107

Oliu è risenza ....................108

Société et pratiques ..........111 Sgiò et Signore .......................111 Rémanence d’une partition

sociale ...............................113 Sì ou Iè ! ............................115 Festivités et contributions

religieuses ............................115 Justice et police ...................120

Les artisans et les commerçants et transporteurs ...................122

Partitellu o Partitone ? ...........128

De l’intime au public .......134

Naître et Grandir.................134

Naissance et filiation ........134

Les filles-mères et les enfants trouvés… .........................136

Mort et représentations .......141

Enterrement et cunfortu ....141

Le cimetière .................... 144

Campà ................................147

E Veghje ...........................147

A sechja ............................148

I tacchi è e legne ................ 149

Porcu è Tumbera .................151 Fornu ................................153

Page 81: Mémoires de Lama - adecem.idcorse.fradecem.idcorse.fr/wp-content/uploads/2015/06/memoires_de_lama.pdf · 5 avant-propos Adossée à la montagne, dominant une vallée qui fut autrefois

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Mémoires de LamaLama à passu di vistiga

Financement dans le cadre du programme européen Leader 2007 / 2013 pour « bâtir une économie du tourisme patrimonial en Balagne ».

Adossée à la montagne, dominant une vallée qui fut autre-fois une mer d’oliviers, la commune de Lama s’est ouverte à la modernité en accueillant chaque été depuis vingt ans un festival du film internationalement reconnu. C’est par là qu’elle est connue aujourd’hui, bien au-delà des limites de la Corse. Mais elle n’a pas oublié pour autant qu’elle a un riche passé.C’est ce passé qu’on a voulu retenir, rassembler, conser ver et transmettre. De là est né un projet de recherche ethno–historique. Ce projet, le maire de Lama, Simon Baccelli, en a confié la réalisation à l’Association pour le développement des études corses et méditerranéennes (A.D.E.C.E.M.). Il l’a présenté, l’a expliqué et l’a fait adopter par les habitants de la commune. Le financement en a été assuré sur un pro-gramme européen géré par la Collectivité territoriale de Corse et le G.A.L. de Balagne.Ce sont ces fils ténus de la mémoire que Jackie Peri-Emmanuelli a réussi à suivre tout au long d’une enquête patiente, minutieuse, faite d’écoute compréhensive. Ce sont ces mémoires vives, et parfois à vif, qu’elle a recueillies et transcrites. Le CD qui accompagne le livre restituera, dans la langue où elle a été enregistrée, la parole même des témoins qui lui ont confié leurs souvenirs.

Georges Ravis-Giordani

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