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MEMOIRES CROISEES DU RETOUR A LA VIE

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MEMOIRES CROISEES DU RETOUR A LA VIE

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PREFACE

Celui qui ignore son passé, est condamné à le revivre. Cette formule, qui résonne en chacun de nous comme un avertis-sement, justifie – s’il en était besoin – tous les efforts menés depuis maintenant plus de 65 ans, pour conserver la mémoire des événements de la Seconde Guerre Mondiale ; pour la transmettre aux générations successives, afin que non seule-ment elles sachent que cela a existé, mais aussi et surtout afin qu’elles s’approprient cette histoire et en deviennent à leur tour les gardiens vigilants.

A Sainte-Maxime, grâce au travail des professeurs de nos écoles et de notre collège, grâce à l’implication du monde combattant, grâce aussi à la volonté de la mairie de donner du sens aux cérémonies patriotiques, la flamme du Souvenir est toujours vaillante et éclaire les jeunes générations sans faiblir.

Mais comme toute flamme, elle doit être continument entre-tenue.

C’est la raison pour laquelle je me suis immédiatement réjoui de l’initiative de Mesdames Yvette Bain, Mireille Bucci-Giof-fredo, Germaine Dupin-Bruno, Juliette Jauny-Maier et de Mes-sieurs Daniel Libéron et Alain Prato, pour mettre en lumière une page singulière de l’histoire contemporaine de notre com-mune. Et c’est tout naturellement que la ville a apporté son soutien et son concours à leur « Comité Massilia ».

Ce livre ne constitue que la partie émergée de l’immense travail de recherche que ces personnes ont mené – et je les en félicite – au sujet de la présence, à Sainte-Maxime, dans l’immédiat après-guerre, d’une maison d’enfants pour les or-phelins des fusillés et des déportés. Entre 1945 et 1948, dans la Villa Massilia réquisitionnée par le Préfet du Var à son pro-priétaire pour faits de collaboration, de jeunes filles et garçons, venus de toute la France, furent accueillis avec cœur et géné-rosité – tous les témoignages le confirment – par un personnel éminemment dévoué.

L’objectif de cette institution, gérée par l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, était d’aider ces enfants à se re-construire après les épreuves effroyables qu’ils venaient de traverser pendant les sinistres années de plomb qui avaient régné sur notre pays. Il s’agissait aussi de poursuivre leur édu-cation et c’est ainsi qu’ils furent scolarisés dans l’unique école de Sainte-Maxime à l’époque, l’école Siméon Fabre, où une plaque retraçant cet épisode est à présent apposée.

Ils y rencontrèrent des filles et des garçons de leur âge, qui virent arriver ces têtes nouvelles avec, au départ, un peu de circonspection. Mais très vite, parce que là réside le vrai géni de l’enfance, la camaraderie s’installa entre eux.

Ce sont ces moments d’amitié, ces jeux partagés, ces anec-dotes de la vie quotidienne d’alors, que cet ouvrage vous donne à découvrir par l’intermédiaire des différents témoi-gnages rassemblés, souvenirs croisés des « Massilia » et des Maximois. Des souvenirs touchants. Attendrissants parfois. Poignants souvent. Sensibles toujours.

Merci donc aux membres du Comité Massilia pour avoir ré-veillé ces mémoires. Merci aussi à tous ceux qui ont témoigné. Qu’ils sachent – s’ils n’en étaient pas convaincus – qu’ils ont fait vraiment œuvre utile, pour nous tous, pour les générations actuelles et futures. Nous devons en effet tous être des pas-seurs de mémoire.

Vincent MORISSE, Maire de Sainte-Maxime

EVincent Morisseremet la médaille de la Villeà Alain Prato

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RemerciementsNotre chronique répond à plusieurs objectifs :* Faire connaître cette histoire enfouie, mais pas oubliée, à la population de notre commune.* Mettre cette chronique à la disposition des écoles et du public.* Essayer de montrer qu’après l’inhumanité des années 40-45, la vie a repris son cours en entreprenant la reconstruction des enfants orphelins traumatisés au plus profond d’eux-mêmes.* Présenter le début d’une belle aventure humaine : 65 ans après, les souvenirs demeurent, ils vont permettre de réunir à nouveau les enfants de Sainte-Maxime, ceux d’ici comme ceux d’ailleurs.

Nous tenons à remercier M. Vincent Morisse, Maire, pour le soutien apporté dès les premiers jours à notre projet. Il nous a permis de tenir une exposition sur la déportation en avril 2010. Elle a eu un vif succès. A cette occasion, des Maximoises et Maximois, élèves de cette période, nous ont confié leurs souvenirs.

Nous tenons à saluer, Mme Jehanne Arnaud, Adjointe à la Culture, M. Éric Albert-Jourdan, directeur de Cabinet du Maire. Ils nous ont permis de nous constituer en Comité Massilia, le 7 juillet 2010, pour faciliter nos démarches.

Un grand merci également pour la disponibilité, l’intérêt ma-nifesté par le service des archives municipales qui a soutenu nos recherches. Nous tenons à saluer Mme Stéphanie Jacob, responsable du service, Mme Sylvie Ravia, documentaliste, et M. Olivier Friant, aide-documentaliste.

Mme Martine André, Adjointe aux Ecoles, Mme Lopez, res-ponsable du service scolaire, nous ont soutenus dans nos dé-marches. M. Revest, Inspecteur de l’Education Nationale de la circonscription de Sainte-Maxime, Mme Largeron, Directrice de l’école élémentaire Siméon Fabre, M. Escriva, Directeur de l’école élémentaire Aymeric Simon-Lorière, ont accepté notre proposition d’une action pédagogique avec les élèves des classes de Mmes Bléjean, Maximin et Ronze. M. Bini, Principal du collège Berty Albrecht, les Professeurs, Mme Berg, MM. Chaabani et Guyon, ont, dès le début, mis en place l’action

pédagogique qui s’inscrit dans la durée du travail de mémoire commencé en 1982.

Nous exprimons notre reconnaissance émue aux élèves maxi-mois de la période 1945-1948 pour les souvenirs confiés. Les Magnotis ne se sont pas toutes et tous envolés.

Nous ne trouvons pas les mots justes pour écrire ce que nous avons ressenti en retrouvant les enfants de Massilia, d’abord sur des registres, puis en nouant des contacts avec eux. Certes plus de 65 ans sont passés mais leurs vies restent marquées à jamais par cette mémoire souvent refoulée que l’on a encore moins vite entendue et écoutée que celle des déportés survivants.

Ils ont accepté de plonger au plus profond de leurs douleurs d’enfants juifs orphelins dont les parents furent fusillés ou as-sassinés dans les camps par l’Allemagne nazie avec la colla-boration de l’Etat Français. Leurs mémoires sont meurtries à jamais mais les années passées à Sainte-Maxime furent celles du retour à la vie.

Le comité MassiliaMesdames Yvette Bain, Mireille Bucci-Gioffredo,

Germaine Dupin-Bruno, Juliette Jauny-MaierMessieurs Daniel Libéron, Alain Prato

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SOMMAIRE

Remerciements

Tout commença à Colombes

Première partie : La Villa Massilia

L’histoire du bâtiment

La réquisition en 1945

L’UJRE Les Maisons d’Enfants

Deuxième partie : Mémoires des Magnotis, des souvenirs nous reviennent

Troisième partie : Mémoires des enfants de Massilia, joies et douleurs du retour à la vie

Conclusion

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Parfois un papillon bat des ailes à des milliers de kilomètres de chez soi,

son énergie dérisoire se perd dans l’im-mensité. Pourtant, elle peut devenir le moteur d’une suite d’événements créant une chaîne dont on ne sait plus très bien où et quand elle a commencé.

Ces quelques lignes ont le but d’ex-pliquer cette alchimie de la mémoire ressurgie au moment où l’on croyait qu’il était trop tard, que tout allait disparaître sans aucune trace, sans bruit.

Tout a commencé en octobre 2009 au domicile de Claudine et Serge Fryd-man, à Colombes. Ils sont les chevilles ouvrières de l’antenne 92 de l’Associa-tion Fonds Mémoire d’Auschwitz dont l’une des actions est l’organisation de voyages de mémoire pour scolaires et adultes en Pologne. Ce sont eux qui avaient organisé celui des élèves volon-taires du collège Berty Albrecht en mars 2008.

Ce soir-là, la veille du départ du voyage pour les adultes, autour de la table, Si-mon et Annette Lippe, Michèle et Alain Prato parlent de Sainte-Maxime.

Serge Frydman demande « La villa Massilia existe-t-elle encore ? J’y ai ré-sidé après la guerre pendant un certain temps après avoir vécu une existence misérable d’enfant caché après l’arresta-tion de mon père juif, en 1943, par la po-lice française. Il a été déporté et assas-siné au camp de Maidanek en Pologne.» Après un grand silence, il enchaîne très vite sur sa vie avec toute sa famille ca-chée, survivant dans le plus grand dé-

nuement pour nous lancer avec un œil rieur « Je me souviens de la plage où nous allions avec les copains ramasser les bernicles (arapèdes). Nous devions les manger sur place, les moniteurs in-terdisaient de les ramener à la villa ! »

Simon et Annette Lippe lui confirment son existence en racontant avec émo-tion le retour de Mme Evelyne Fechter-Haroch en 1997 lorsqu’elle retrouva ses copines d’alors. Hélas, depuis cette date, Mme Haroch est décédée. Nous voulons lui dédier cette modeste chro-nique. Comme il est écrit, « tant que l’on se souvient et l’on parle d’une personne, elle est vivante.

« Tant que l’on se souvient et l’on parle d’une personne,

elle est vivante »

Au retour de notre voyage, les pre-mières photographies de la villa sont prises le 11 novembre 2009. Tout va s’enchaîner bien vite : Mme Daniel David nous met en relation avec Mme Yvette Bain qui organise une rencontre avec Mme Jeannette Gighlino. Elle nous fait un récit détaillé de cette époque avec beaucoup d’amabilité, de simplicité et d’humour. Sa mémoire est aussi vive que sa gentillesse.

Les premiers témoins se font connaître. Une équipe était née, le comité Massilia adossé à l’ANACR, pour chercher à faire ressurgir les souvenirs.

Tout commença à Colombes...

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L’UJRE Tout commença à Colombes...

Première partie : La Villa Massilia

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La calanque de Massilia prolonge celle de la Madrague dont le nom, pour les Méditerranéens, évoque le lieu ances-

tral de la pêche au thon connue sur les deux rives de la mer intérieure et non celui d’une villa tropézienne célèbre en son temps...

Elle est à la fois protégée du vent d’Est par un repli de la colline des Sardinaux et du mistral par la colline du Ménier. De plus, son exposition au Sud en fait un endroit idéal et si l’on y ajoute la vue sur le Golfe... alors le paradis terrestre ne doit pas être loin !

Maître Second (avocat notaire, magistrat ? La question reste sans réponse à ce jour) fit construire dans ce lieu abrité cette belle résidence. Elle se dresse au milieu d’un parc immense, arboré de toutes les essences de la région parmi les plus exo-tiques, comme les immenses palmiers, mais aussi de toute une variété d’arbres fruitiers les plus variés : des agrumes, des pêchers et bien d’autres. Ils firent le délice des enfants de Massilia plus tard.

L’année 1910 marque l’achèvement des travaux. L’en-semble de la propriété, dont une partie du parc a été réduite lors de morcellements postérieurs, comprenait également une maison pour le gardien et sa famille ainsi qu’une chapelle. Cette dernière fut transformée en entrepôt-atelier dans les an-nées 40.

« Alors le paradis terrestrene doit pas être loin »

Maître Second vendit plus tard la propriété à M. Pourrières. A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, ce dernier l’occu-pait avec son épouse. Il fut abattu non loin de la villa par un groupe de Résistants de la brigade des Maures à la veille du Débarquement, fin juillet 1944. Il était membre du Parti Popu-laire Français de Doriot. C’était un collaborateur notoire dans le Golfe.

L’histoire du bâtiment

Sur ce cliché, la Villa Massilia domine un littoral quasiment vide de constructions ou presque

La calanque de la Madrague avant 1914

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A cette date, le Maire qui expose au Conseil Municipal est Maître Jacques Sadoul. Il vient d’être élu le 29 avril 1945. Il

a succédé à Jean Alavène, Président de la délégation spéciale mise en place le 19 août 1944 par le capitaine Drach pour le général de division aérienne Cochet, en vertu des pouvoirs conférés par le Gouvernement Provisoire de la République qui avait révoqué Henri Tourret, nommé par Pierre Gentil, le Préfet de l’Etat Français, le 3 février 1941. Il avait remplacé le docteur Benjamin Frèze, élu Maire le 17 novembre 1935 et destitué le 30 janvier 1941 par les autorités de l’Etat Français.

Pour mémoire, le docteur Frèze fut arrêté par les Allemands le 12 octobre 1943. Il fut déporté à Aus-chwitz le 7 décembre de Drancy par le convoi n° 64 . Il y resta jusqu’à la libé-ration du camp par les troupes sovié-tiques, le 27 janvier 1945.

La réquisition de la Villa Massilia est faite « au profit de l’Union des Femmes pour la protection du foyer, une oeuvre qui s’est assignée pour mission d’aider

et secourir les enfants dont les parents ont servi dans les orga-nisations de résistance et plus particulièrement les enfants de fusillés et déportés », comme l’indique le compte-rendu des séances du Conseil municipal de Sainte-Maxime. En réalité, c’est l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide qui en hérita.

La réquisition du 6 août 1945

Extraits du registre des comptes-rendus

des séances du conseil municipal du 3 octobre

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L’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, créée à Paris en avril

1943, est issue du mouvement Solida-rité, qui pratiquait une solidarité active en direction des familles juives en difficulté, solidarité matérielle et d’alerte face aux dangers qui menaçaient les Juifs. Soli-darité, créée en 1939 par les dirigeants de la branche juive de la MOI, s’organise en ouvrant des structures d’entraide dès l’été 1940, comme le dispensaire de la rue de Turenne ou la cantine populaire de la rue Saintonge par exemple.

Il y eut de nombreux mouvements is-sus directement de Solidarité : l’UJRE, organisation mère, qui créa rapidement ses propres groupes de combat ; l’UJJ (Union de la Jeunesse Juive) qui ini-tia également ses propres groupes de combat ; l’UFJ (Union des Femmes Juives) plus particulièrement chargée du sauvetage des enfants ; le MCR (Mouvement Contre le Racisme) devenu rapidement le MNCR (Mouvement Na-tional Contre le Racisme). Ce dernier de-viendra plus tard le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), créé à l’initiative de l’UJRE.

Lorsque le gouvernement prononça en 1939 la dissolution du Parti Commu-niste Français, les organisations qui lui étaient de près ou de loin rattachées, furent également contraintes à la clan-destinité. Ainsi en fut-il de la MOI (la Main d’Œuvre Immigrée), créée dans les an-nées 1920 pour permettre aux immigrés de différentes nationalités présents en France de se regrouper dans ce que

l’on appelait des « groupes de langue », un groupe particulier étant constitué de Juifs originaires de l’Est européen (Polo-nais, Hongrois, Lituaniens, etc.) dont le dénominateur commun était la langue, le yiddish.

« Sauver ce qui pouvaitl’être, des familles

et surtout des enfants »

Les dirigeants de la branche juive de la MOI, au moment du pacte de non-agres-sion germano-soviétique, ne s’écartèrent pas de l’objectif, qui était essentiel selon eux, à savoir la lutte contre le fascisme. Dès 1940, des jeunes luttèrent dans la Jeunesse Communiste, comme Henri Krasucki, pour la formation de cadres et la diffusion de tracts. A partir de 1942, à Paris, les Juifs participèrent à la lutte ar-mée. Ils furent nombreux dans les quatre groupes FTP-MOI. Au début 1943, bien que minoritaires, ils furent actifs dans toute la zone Sud occupée, en particu-lier à Limoges, Toulouse, Lyon, Marseille, Nice et Grenoble.

Pendant toute cette période, l’UJRE combattit et entreprit de sauver ce qui pouvait l’être, des familles et surtout des enfants. Des réseaux d’entraide furent mis en place pour soustraire à l’occu-pant et à la police de Pétain des adultes et des enfants voués à la déportation et à la mort. Des familles non-juives, des couvents permirent de les cacher jusqu’à la Libération du pays.

L’un des acteurs principaux de cette action fut Charles Lederman. Né en 1913 à Varsovie, dans une famille juive, il arriva en France trois semaines après avoir vu le jour. Avocat, membre du Parti Communiste en 1934, impliqué dans de nombreuses organisations syndicales, il devint, en 1936, l’avocat de l’Union syndicale de la CGT de la Seine pour la région parisienne. Mobilisé, il fut fait pri-sonnier en 1940. Il s’évada d’Allemagne dès la fin octobre et parvint à Lyon en novembre. Après avoir renoué avec la direction clandestine du Parti Commu-niste Français, sous la forme du secteur juif de la MOI, il engagea au cours de l’été 1942 une démarche en direction de l’Eglise de France.

Une réunion du secteur juif de la MOI décida, sur sa suggestion, de s’adresser

L’UJRE

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Charles Lederman

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à la hiérarchie catholique. Par l’intermé-diaire de l’abbé Glasberg, juif converti, il rencontra, à Lyon, le père de Lubac qui le recommanda à Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse.

L’entrevue eut lieu à la mi-août. Il infor-ma le prélat de la situation des Juifs de France, après la rafle du Vel’d’Hiv, des déportations et de leur destination dont on commençait à avoir connaissance, comme des massacres commis en Eu-rope de l’Est. Après avoir écouté son hôte, Monseigneur Saliège interrogea : « Pouvez-vous me donner votre parole que ce que vous me dites est exact ? » C’est ce que fit Charles Lederman.

Le prélat, sur lequel Vichy exerçait de fortes pressions, lui déclara alors : « Di-manche prochain, une lettre sera lue dans les églises de mon diocèse. » La lettre fut lue le 23 août 1942 pour dé-noncer les rafles et la politique de persé-cution contre les Juifs.

Charles Lederman fut l’un des fonda-teurs de l’UJRE, du MNCR, du CRIF. Il fut conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine, puis sénateur com-muniste du Val-de-Marne. Il est décédé en septembre 1998.

Jules Saliège (1870-1956) ordonné prêtre en 1895, archevêque de Tou-louse à partir de 1928, condamna dès 1933 l’antisémitisme nazi. Il réitèra en 1939. Pourtant il reçut en 1940 le Ma-réchal Pétain tout en continuant d’agir pour aider matériellement les détenus, majoritairement étrangers, des camps

d’internement de Noé et de Récébédou gérés par l’Etat Français. Le Général De Gaulle lui demanda, comme à d’autres prélats, un geste espérant un désali-gnement par rapport au régime colla-borateur de Pétain. Sa rencontre avec Charles Lederman le convint d’agir.

Il poursuivit son action de protestation en dénonçant le Service du Travail Obli-gatoire. Il mit en place un réseau d’en-traide pour procurer de faux-documents permettant de sauver des Juifs et des proscrits. Cela lui valut d’être arrêté le 9 septembre 1944 pour être déporté. Mais son état de santé fit reculer l’officier allemand qui renonça à remplir sa mis-sion. Il devint Compagnon de la Libéra-tion le 7 août 1945 et reçut la Croix de la Libération. Pie XII le fit cardinal en février 1946 et le Mémorial de Yad Vashem le reconnut « Juste parmi les nations ». Il décéda le 4 novembre 1956.

Lettre pastoralelue le 23 août 1942

dans les églisesdu diocèse de Toulouse

Il y a une morale chrétienne, il ya une morale humaine qui impose

des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer. Que des

enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient

traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille

soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destinationinconnue, il était réservé à notre

temps de voir ce triste spectacle.Pourquoi le droit d’asile dans nos

églises n’existe-t-il plus ? Pourquoi sommes-nous vaincus ? Seigneur,

ayez pitié de nous ! Notre-Dame, priez pour la France ! Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante

ont lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les juifs sont

des hommes, les juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces pères et

ces mères de famille. Ils font partie du genre humain : ils sont nos

frères, comme tant d’autres.Un chrétien ne peut pas l’oublier.

L’UJRE

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Monseigneur Saliège

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Les Maisons d’Enfants

En 1940, la population juive en France est estimée à 360 000 personnes,

dont 84 000 enfants. Pour ces derniers, le bilan est lourd. Selon Serge Klarsfeld, 10 147 enfants de moins de 18 ans ont été déportés de France et ne sont pas revenus. Si on ajoute les enfants décé-dés dans les camps d’internement, on arrive à un total de 11 600 enfants.

Il ne faut pas oublier que les nazis n’avaient pas prévu la déportation des enfants de moins de 16 ans. Celle-ci fut entreprise par la seule volonté du gou-vernement de Laval qui « ne voulait pas que l’on séparât les enfants de leurs parents ».

L’histoire des maisons d’enfants dé-bute après les grandes rafles de 1942. Les associations juives et non juives prennent conscience de l’urgence de les cacher. Dans son ouvrage « La Ré-sistance juive en France », Lucien Lazare estime que 8 à 10 000 enfants ont été sauvés par ces organisations.

La Libération et la fin de la guerre ouvrent un autre épisode pour les mai-sons d’enfants. Elles vont accueillir des filles et des garçons chargés d’histoire attendant désespérément le coup de téléphone qui mettra un terme à leur angoisse. Des filles et des garçons dé-chirés par la vue d’un parent, revenu de l’enfer, et qu’ils ne reconnaissent plus.

Quelques chiffres sont à noter : 80% des enfants juifs furent sauvés en France contre seulement 10% pour les Pays-Bas. A la fin de la guerre, on compte 10 à 15 000 enfants juifs orphelins ou de-mi-orphelins. La quête pour les retrouver

et les rassembler s’échelonna de la Li-bération au début de l’année 1946. Au final, 3 000 d’entre eux ont rejoint la cin-quantaine de maisons gérées par l’UJRE et d’autres organisations comme l’OSE, l’OPEJ (sioniste), le Bund, l’EIF ou la co-lonie scolaire.

Poursuivant son action de sauvetage menée pendant la guerre, l’UJRE ouvre dès la Libération des maisons d’enfants par l’intermédiaire de la Commission Centrale de l’Enfance. Le film « Nous continuons », qu’elle produit en 1946, comprend de nombreuses vues de la Villa Massilia et s’ouvre sur cet exer-gue : « Un film de la vie de nos enfants dans les foyers et les colonies de la Commission Centrale de l’Enfance au-près de l’UJRE, réalisé en juillet, août, septembre et octobre 1946, deux ans après la Libération. A la mémoire de ceux qui sont tombés pour que les en-fants puissent vivre et rire librement. »

Le premier regroupement d’enfants a lieu à Montreuil, à la Libération. Dans les mois qui suivent, d’autres maisons sont ouvertes : Andrésy, Arcueil, Aix-les-Bains, Livry-Gargan, Le Raincy, Sainte-Maxime. Comme il est écrit sur le re-gistre de l’école Saint-Barthélémy (Nice), elles sont dénommées « Maisons d’en-fants de fusillés et de déportés ».

La villa Massilia fonctionna en colonie durant l’été 1945, puis en maison d’en-fants jusqu’au mois de mars 1948. Elle fut organisée à l’initiative de la section de Marseille de l’UJRE. Durant cette pé-riode entre 30 et 40 enfants y séjournè-rent pour des durées variables, le plus

souvent une année scolaire ou davan-tage au gré des modifications de leur situation familiale liées au retour ou non d’un des parents de déportation.

Dans les souvenirs confiés, toutes et tous affirment que c’est à Sainte-Maxime qu’ils vécurent leurs premiers jours heu-reux après les années noires de l’Occu-pation et le retour à la lumière avec une famille brisée pour toujours.

« C’est à Sainte-maxime qu’ils vécurent leurs

premiers jours heureux après les années noires »

Ici, comme dans les autres maisons, celles et ceux qui n’ont plus retrouvé de famille vont rester jusqu’à leur majorité avec des parcours de formation dont la pédagogie emprunte beaucoup à Ma-karenko (1888-1939), le pédagogue of-ficiel de l’URSS. Il fondait sa pédagogie sur un partage des responsabilités entre adultes et enfants. Chaque question d’importance fait l’objet de discussions et la décision qui en résulte est prise en compte avec l’approbation pleine et entière de l’enfant et non pas exécutée sous la contrainte.

Cette méthode servit de modèle d’éducation au sein des maisons d’en-fants de la CCE. Il s’agit de collectivités éducatives dans lesquelles l’enseigne-ment et l’éducation ne peuvent être dissociés, alors que dans la pédago-gie classique, l’enfant doit d’abord ap-prendre et c’est seulement par la suite

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qu’on peut l’éduquer. C’est une péda-gogie de l’expérience et de l’observa-tion dans laquelle une place particulière est assignée au travail, lié à l’étude des bases des sciences et à une large édu-cation civique, politique et morale.

Tout cela repose sur le postulat de l’avènement de l’homme nouveau qui s’éduque et trouve son identité d’appar-tenance à une collectivité. Dans la pra-tique, il semblerait que l’on ne soit pas allé aussi loin dans la fabrication de cet homme nouveau... En réalité c’est plu-tôt l’empirisme du moment qui prévalut. Ce qui importa le plus : la reconstruction des enfants.

C’est dans ces conditions que les adultes chargés des enfants eurent à œuvrer alors que rien dans leur forma-tion antérieure ne les prédisposait à une telle tâche. En 1945, il fallait parer au plus urgent et ils le firent avec toute leur énergie et leur enthousiasme pour redonner humanité, chaleur et confiance à des enfants qui vivaient depuis des années cachés dans la crainte, dans la peur de la mort et depuis peu dans l’irré-parable : la perte des parents.

Alors nommons celles et ceux dont les noms nous sont parvenus depuis la grande nuit de l’oubli tombée sur Massi-lia depuis 1948. La cuisinière, Madame Jauny, dont plus d’un a dû apprécier les talents ; la lingère, Madame Collet, qui malgré l’eau saumâtre a su venir à bout des taches les plus récalcitrantes ; Mon-sieur Bergon, originaire de Cogolin, jeune résistant frais émoulu de la Brigade des Maures puis de l’armée, homme à tout

faire depuis le jardin, la plonge, jusqu’à la surveillance occasionnelle des enfants.

Conscients des drames vécus par ces pensionnaires et de leurs traumatismes, ils firent tous pour le mieux afin de les soutenir, sans aucune connaissance de psychologie mais tout simplement em-plis de patience et de bonne volonté.

Dans les souvenirs de celles et ceux que nous avons retrouvés 65 ans après, le nom du docteur Verdier revient sans cesse pour souligner son dévouement à soigner petits et gros bobos. Tout au long de sa carrière à Sainte-Maxime, il n’a jamais ménagé sa peine. Il était plus qu’un docteur. Il était « le bon docteur Verdier ». Des générations de Maximois peuvent en témoigner tout comme les pensionnaires de la villa Massilia.

Un dernier mot sur ces animateurs et ces animatrices. Beaucoup sortaient meurtris de la période. Certains avaient été déportés. Pour d’autres, la répres-sion et la déportation avaient touché leur environnement proche. Ils n’étaient pas des spécialistes de la petite enfance mais toutes et tous étaient des militants dévoués et généreux.

La direction fut assurée d’abord par Maurice (ancien député communiste) et Mira Honel. Tous deux rescapés d’Aus-chwitz, ils retrouvèrent en 1945 leur pe-tite fille Laura, enfant cachée. Elle vécut parmi les enfants de Massilia et fréquen-ta avec eux l’école Siméon Fabre.

La villa Beauregardroute de Pessicart à Nice

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Ensuite vinrent Lazare Warszawski, ancien Résistant du groupe Carma-gnole, et sa femme Simone, qui avaient été en 1945-1946 moniteurs à Andrésy. Hélène Taiche, qui avait fait partie de la Résistance juive à Lyon, fut aussi direc-trice, sans oublier Mlle Tyggel. Rémy, qui resta moniteur dans les foyers pendant encore quatre ans, n’apparut que les derniers jours.

La maison d’enfants de Sainte-Maxime fut dissoute le 20 mars 1948 si l’on s’en réfère à la date inscrite sur les registres de l’école Siméon Fabre. C’est le manque de financement qui contrai-gnit les dirigeants à disperser les enfants dans d’autres maisons. La raison en est simple : 1948 est l’année des débuts de la guerre froide. L’UJRE est classée dans les organisations communistes. Aussi le

financement du Joint, une organisation juive américaine de solidarité, cesse-t-il brutalement. Une partie des enfants est dirigée sur Nice à la villa Beaure-gard. Les registres de l’école primaire publique Saint-Barthélémy mentionnent dans la colonne profession et domicile des parents : « Enfants recueillis par l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, (...) pensionnaires à la villa Beauregard-route de Pessicart-Nice. Cette maison était jusqu’au 20 mars 1948 à Ste Maxime. »

Hélas, nous n’avons pas pu retrou-ver le registre des filles. Aussi ne figu-rent dans ce document que les noms des garçons. Etaient-ils plus nombreux à affronter les raccourcis qui le matin les descendaient vers l’école et le soir les remontaient au sommet de la colline

bien raide pour de si petites jambes ? Les enfants quitteront l’école en juillet 1948 car nous n’avons pas retrouvé leurs traces à la rentrée 1948-1949, la maison de Nice ayant fermé à son tour en septembre.

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Deuxième partie : Memoires des Magnoti

Des souvenirs nous reviennent

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Deuxième partie : mémoires des MagnotisDes souvenirs nous reviennent

Je suis né le 12 mars 1934 à Sainte-Maxime au 2 rue des Belges dans la maison achetée par mon grand-père Bruno

en 1928. Elle est toujours la propriété de la famille. J’avais à peine cinq ans lors du déclenchement de la guerre. J’étais au Café de France avec mon oncle, un ancien soldat de 14-18 dans l’armée italienne. Il avait été très marqué par l’horreur des combats, physiquement et moralement. Il est d’ailleurs décédé des suites de ses blessures. Je l’aimais beaucoup. Je me souviens très bien de ce qu’il m’a dit alors avec fougue : « Si les Allemands arrivent, je prends le fusil et je les tue ! » Cela m’avait beaucoup marqué, à tel point que longtemps après, je m’en souviens encore avec émotion.

La défaite de juin 1940 me laisse le souvenir d’une grande tristesse chez les adultes, un peu tempérée par le fait que Sainte-Maxime se trouvait, pour quelques temps encore, dans la zone non-occupée. Pour ma part, du haut de mes six ans, ma principale préoccupation fut, en octobre 1940, l’entrée à la grande école Siméon Fabre. Je quittais l’école maternelle avec un peu d’appréhension et beaucoup de fierté de me retrouver dans une école inaugurée depuis si peu de temps, cinq ans, je crois. Elle avait presque mon âge ! A cette époque, il y avait 4 classes de filles et 4 classes de garçons. Bien sûr, les entrées étaient séparées, tout comme les cours d’ailleurs. Du haut de mes six ans, je me sentais tout fier, même si la vue des grands de 10-12 ans avait de quoi impressionner, tout au moins au début.

Ces années-là ne furent pas faciles, surtout pour les gens modestes comme mes parents. Nous devions faire face aux restrictions de toutes sortes, la plus cruelle, c’était la nourriture. Alors j’en ai fait de l’herbe pour les lapins ! Je n’étais pas le seul : c’était le boulot de beaucoup de minots à cette époque. Ah cette corvée ! Je trouvais qu’ils mangeaient beaucoup ces Jeannot là ! Enfin, je me consolais en pensant aux délicieux festins que ma maman nous cuisinait avec. Mais avant d’arriver à l’assiette que de sacs ! En plus, il fallait ajouter les chèvres à garder et les soins à apporter au jardin que mon père cultivait. Aussi j’ai eu un parcours scolaire un peu perturbé par ces travaux domestiques qui me tenaient éloigné des bancs de

l’école. A cette époque, ce n’était pas irrémédiable pour la suite d’une vie. Notre seule consolation dans cette grisaille générale, c’est que nous n’étions pas occupés.

Cela changea avec l’arrivée des Italiens au mois de novembre 1942. Ils avaient fière allure avec leurs plumes au vent et leurs motos Guzzi pétaradantes ! Après leur débâcle en septembre 1943, nous pourrons ironiser un peu avec des plumes au vent triomphantes et des plumes moins glorieuses ! Mais nous n’en sommes pas là encore ! La réalité comme toujours est moins lumineuse. Parmi les plumes et les motos, nous avons vu aussi défiler dans Maxime des mulets et des mules affamés tirant des chariots bâchés bien tristes comme dans le Far West. Ces pauvres bêtes étaient tellement affamées que les platanes du bord de mer doivent s’en souvenir encore ! Pour un peu elles auraient dévoré l’écorce de ces malheureux arbres !

Nous avons donc vu arriver les premiers soldats d’occupation. Ce n’était pas glorieux pour nous, mais assez vite nous avons pu leur parler tout comme les adultes. Ce n’était pas difficile de communiquer. Une grande partie de la population maximoise était originaire du Piémont voisin. Nous, les enfants nés ici, comprenions le piémontais ou l’italien. Je me souviens de l’un d’entre eux à qui nous avions demandé si les Italiens avaient à manger dans leur pays, car nous autres ici, nous avions souvent faim ! Un peu fanfaron, l’un d’entre eux me répondit : « Nous en avons pour 100 ans ! » De quoi impressionner des petits qui ne savaient même pas ce qu’ils trouveraient dans leurs assiettes d’un repas à l’autre.

En définitive, ces 100 ans ne durèrent pas très longtemps. Dans la nuit, mon papa entendit un drôle de raffut dans le jardin, tendit l’oreille, finit par se lever, s’approcha sans faire de bruit pour découvrir les mêmes soldats en train de couper à la baïonnette le fenouil que nous faisions pousser avec peine. 100 ans peut-être... mais chez les autres ! Ils n’avaient pas passé la journée ! Papa se plaignit au commandement situé à l’emplacement de l’Arbois. Après l’avoir écouté, le commandant proposa une indemnité à prendre sur la quinzaine des fiers occupants transalpins. Papa n’en voulut pas et se contenta de la promesse de ne plus avoir de chapardage. En septembre

Robert BRUnO

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1943, l’Italie fasciste, s’écroula. Les Allemands occupèrent tout le Var. Cette fois, c’en était fini de la bonhommie transalpine,. Place à la rigueur germanique pour un peu plus d’une année. Je me souviens bien des travaux de toutes sortes entrepris pour fortifier la côte. Les Allemands voulaient se préserver d’un débarquement pressenti.

A l’école, je poursuivais mon bonhomme de chemin, dans la classe de M. Castellino, jeune instituteur en ce temps-là. Il commençait une longue carrière au service de l’Education nationale. Les écoliers et collégiens de notre ville se souviennent de son enseignement qu’il dispensait avec talent.

15 août 1944 : le débarquement, enfin ! Les Américains puis les Français nous libérèrent dans la joie. La guerre s’éloigna rapidement de notre Golfe alors que durant toute la période elle avait eu son lot de drames : rafles, sabotages, exécutions.

« Sans entrer dans les détails douloureux, ils nous ont, en peu de mots, appris leur histoire »

Avec mes copains, nous sommes retournés en classe à la rentrée 1944 en sachant que la guerre se poursuivait encore en France, en Europe et dans le Pacifique. La rentrée d’octobre 1945 nous a apporté des copains nouveaux, des visages inconnus dans chaque classe. Il en était de même chez les filles, mais il est vrai que le mur...

Nous avons vite appris que ces nouveaux copains venaient de la villa Massilia, transformée en centre d’accueil pour des orphelins juifs dont les parents avaient été tués. Je me souviens très bien que M. Bertucci nous les avait présentés. Dans ma classe, ils étaient deux, mais je ne me souviens plus de leurs noms. Comme tous les enfants du monde, passé le temps de l’observation, nous nous sommes rapprochés d’eux.

Sans entrer dans les détails douloureux, ils nous ont, en peu de mots, appris leur histoire. Nous n’en discutions jamais. Nous avions avec eux des relations de camarades. Nous jouions aux mêmes jeux : gendarmes et voleurs, aux billes. Il n’y avait pas de différences entre nous. Par contre, nous nous

étions aperçus aux toilettes qu’ils avaient quelque chose en moins que nous avions en plus. Cela nous a un peu surpris mais nous n’étions pas curieux : nous n’avons pas posé de questions. Eux non plus. Ce constat fait, une fois pour toutes, nous avons continué notre vie d’écoliers.

Au niveau scolaire, ces nouveaux copains suivaient le groupe sans aucun problème. Ils étaient même dans les meilleurs. Des camarades sont allés à la villa. Pour ma part, jamais.

Autre souvenir : je ne sais pas comment ceux de Massilia avaient réussi à trouver et à ramener à l’école une arme rouillée. L’affaire fit un peu de bruit puis tout rentra vite dans l’ordre, tant du côté de l’école que du côté de la villa.

Nous avons partagé nos jeux et nos cours jusqu’en 1948. Je me souviens qu’à la rentrée des vacances de Pâques, ils avaient disparu ! Aucune explication ne nous a été donnée : ce n’était pas dans les habitudes de l’époque.

Soixante deux ans après, je me souviens avec émotion de cette époque. Je suis heureux de participer à remettre dans la mémoire ce bel et court épisode de la villa Massilia qui a permis de redonner un peu de vie à des enfants qui avaient failli perdre la leur et dont hélas, beaucoup des parents avaient été tués. Avec le recul du temps, je prends conscience des douleurs qu’ils ont dû surmonter. Je suis heureux d’en retrouver quelques unes et quelques uns, même tardivement.

Robert Bruno

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Je suis née en 1935 à Sainte-Maxime. J’ai fréquenté l’école Siméon Fabre pendant la période 1945-1948. Je me sou-

viens bien de ces élèves qui venaient de la villa Massilia, en particulier de Charlotte Zilbersztein qui fut une de mes cama-rades de classe. Il n’y avait aucun problème avec ces jeunes filles. Nous jouions ensemble sans aucune différence. Je suis très contente de participer à cette recherche qui permet de nous replonger dans notre jeunesse, de nous souvenir d’une époque où la vie reprenait peu à peu mais certainement très difficilement pour nos camarades vivant à la villa. Avec le recul

du temps, je me demande comment ils ont pu surmonter leurs peines ? En reparlant de tout ça, je me rends compte qu’ils étaient heureux mais qu’ils souhaitaient encore plus retrouver à défaut de leurs parents une famille.

Des souvenirs nous reviennent

Jacqueline DAVER-MOSCOnTI

Je suis née en 1935 à Sainte-Maxime. De 1945 à 1948, j’allais à l’école Siméon Fabre comme tous les enfants

de la ville. A cette époque, elle était la seule. Sainte-Maxime ressemblait davantage à un grand village qu’à une ville. Nous sortions de la guerre, la peur était derrière nous. Mais tout n’était pas rose pour autant dans beaucoup de domaines. Par exemple, je me souviens de la première distribution de lait à l’école : c’était la première depuis bien longtemps !

J’ai le souvenir de ces enfants qui venaient de la villa Massi-lia. Il y en avait dans ma classe. Nous savions qui elles étaient, mais sans plus de détails. Elles ne nous en donnaient pas beaucoup et nous ne posions pas trop de questions car nous sentions que c’était trop personnel.

Je me souviens de l’une d’entre elles en particulier : Char-lotte Zilbersztein, avec qui je jouais plus particulièrement. Avec d’autres camarades, je suis allée quelquefois à la villa à pied, mais je ne crois pas y être entrée. Nous avons été surprises de ne pas les retrouver à la rentrée des vacances de Pâques de mars 1948 : aucune explication ne nous a été donnée à ce moment-là. Mais je n’ai pas oublié Charlotte, aussi je suis très heureuse de voir cette partie de notre enfance remise au grand jour. Ce fut une belle histoire : il faut la faire connaître aux jeunes générations.

Lucienne JAMMES-COnTASSOT

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.Jacqueline Daver, Lucienne James

et Jeanne Delcourt

Jacqueline Daver(à droite, le 8/9/49)

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A cette époque, Michel a environ sept ans. Lui aussi est né à Sainte-Maxime. Sa maman, Madame Collet, était la

lingère de la villa pendant toute la période. Il se souvient avoir dormi dans la maison et déjeuné sous la tonnelle avec les en-fants. Ce devait être l’été, car il ajoute : « dans la journée, les enfants faisaient la sieste sous des tentes militaires près de la route nationale.» En effet, la villa accueillait également des colons pour les vacances.

Michel se souvient avoir assisté à un accident de la circula-tion : le camion chargé de foin avait chaviré dans le tournant, ce qui avait beaucoup impressionné les enfants présents.

Un autre événement a retenu son attention : en compagnie des enfants de la villa Massilia, il a assisté au passage du Tour de France 1947. Il s’agissait de la onzième étape, celle du 8 juillet 1947. Elle conduisait les coureurs de Nice à Marseille. Il se souvient très bien que tous les coureurs se sont arrêtés pour se baigner sous Massilia sur la petite plage attenante.

Les enfants avaient toutes et tous les yeux grands ouverts et les encouragements ne devaient pas manquer.

Michel tient aussi à souligner le rôle du docteur Verdier. S’il s’occupait sans compter de la santé de ces enfants traumati-sés par la guerre, il ne s’en intéressait pas moins à leurs jeux. En accord avec les directeurs, il avait ainsi élaboré un jeu de piste dans lequel un enfant était caché dans une famille de Sainte-Maxime et les autres devaient le retrouver.

Michel COLLET

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Le personnel local Massillia

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Des souvenirs nous reviennent

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Je suis née en 1938. Durant toute la période qui nous in-téresse, entre 1945 et 1948, j’étais une très jeune enfant

mais j’en ai gardé des souvenirs précis.

Ma maman, Marie, était la cuisinière de la colonie d’en-fants. D’ailleurs, Annette Zaidman, dans son ouvrage « Mé-moire d’une enfance volée », se souvient des tartines grillées qu’elle lui préparait spécialement pour son petit-déjeuner sur les recommandations du docteur Verdier. J’habitais avec ma-man dans la villa. Je partageais une chambre avec 3 ou 4 des filles dans la partie qui leur était réservée. Je me souviens plus particulièrement de l’une d’entre elles. Elle était épouvantée à la suite d’un violent orage. Dans sa terreur, elle se figurait que le toit de la villa s’envolait. Pour la rassurer, elle fut placée dans une chambre sous le dôme. Je crois bien qu’il s’agissait de Fernande, fragile du cœur. Le climat ne lui convenait pas. Le docteur Verdier l’accompagna en avion sur Paris durant l’été 1947. Hélas, elle décéda au cours du vol, avant d’arriver.

Je ne me souviens pas, par contre, que les enfants, en par-ticulier les plus jeunes, aient été transportés dans la camion-nette du poissonnier pour gagner l’école Siméon Fabre. J’ai su plus tard que cela se passait ainsi.

Je n’ai gardé aucun souvenir de l’école Siméon Fabre. Avec le recul, je crois avoir trouvé une explication : j’étais gauchère et à cette époque les maîtres et les maîtresses pour la plupart interdisaient l’utilisation de la main gauche pour écrire. Je crois que j’en ai subi un véritable traumatisme tellement cuisant qu’il doit être à l’origine de ce refus de me souvenir des moments passés à l’école. Aussi les meilleurs souvenirs de cette pé-riode sont ceux passés avec ces enfants à la villa.

J’ai participé à la plupart de leurs activités récréatives or-ganisées par les moniteurs et les monitrices, surtout les jeux de piste. Ils nous conduisaient à parcourir la colline vide de construction au-dessus de la villa en direction du sémaphore. C’était pendant l’été, nous gravissions la pente de nuit, munis d’une torche par groupes de 5 ou 6. Pour aller à la plage de la Nartelle, nous empruntions de grands escaliers par le quartier de la petite Corse pour nous baigner et jouer sur le sable.

J’ai participé également à un spectacle joué par les enfants lors d’un séjour à Nice pour la Noël 1947. Pour y aller, nous avons pris l’autobus jusqu’à Fréjus puis le train. Nous avons joué dans une salle de spectacle devant des membres de la communauté juive afin de recueillir des dons de toutes sortes (vêtements, valises, argent). Nous n’en avions pas la connais-sance réelle mais nous savions qu’il était difficile de faire fonc-tionner la maison.

« Mes meilleurs souvenirs decette période sont ceux passés

avec ces enfants à la villa »

Personnellement j’ai dansé des danses russes. D’autres ont effectué des pyramides et toutes sortes de mouvements. Il y eut également des chants. Le public a beaucoup apprécié. Ils étaient émus de voir ces enfants retrouver un peu de vie. Nous avons été hébergés dans des familles. Pour ma part, j’étais avec Suzanne Jablonka. Nous avions à peu près le même âge. Nous avons été logées dans une belle maison sur la Promenade des Anglais. Elle devait appartenir à des fabri-cants ou des marchands de valises car ils nous ont donné à chacune une valise pleine de vêtements. Cette valise m’a servi très longtemps. Elle était en toile bleue avec une fermeture éclair tout autour. Pour l’époque elle était très moderne : elle était conçue pour les voyages en avion. Parmi les vêtements donnés, je me souviens d’une robe marron avec des manches ballons, des smocks sur la poitrine avec des points de tige.

Je suis très heureuse de participer à ce travail de mé-moire qui me permet de retrouver cet épisode de la villa que je n’avais pas oublié mais qui allait se perdre. Ce court temps passé à Sainte-Maxime a dû remettre un peu de joie dans la vie de ces enfants définitivement meurtris. J’ai le souvenir que tout le possible fut fait pour les rendre heureux : pas seulement le cadre de vie mais aussi toutes les personnes de l’organisa-tion ou du personnel maximois ainsi que nous, les Magnotis, pour leur rendre un peu le sourire.

Juliette JAUny-MAIER

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Juliette Jauny-Maier

Juliette Jauny-Maier

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Des souvenirs nous reviennent

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Je suis né le 7 mars 1936 à Toulon mais très vite je suis venu avec mes parents à Sainte-Maxime où, pendant la

guerre, j’ai fréquenté l’école Siméon Fabre. A la maternelle, j’ai eu comme institutrices Mmes Bernard et Fieschi. Au primaire tour à tour, M. Signoret, revenu très éprouvé de sa captivité comme prisonnier de guerre, puis M. et Mme Bertucci.

Je me souviens très bien d’avoir vu arriver à l’école à la ren-trée de 1945 un groupe de garçons répartis dans les classes selon leurs âges. Il en a été de même de l’autre côté du mur, chez les filles. Il nous a été expliqué qu’il s’agissait d’enfants orphelins de guerre. Ils étaient amenés le matin et reconduits le soir dans la camionnette de « Titin », un pêcheur ou un pois-sonnier haut en couleur, grand et très avenant. Il est vrai qu’il y a un bout de chemin depuis la villa Massilia pour venir à l’école. Nous avons très rapidement lié amitié avec ces enfants. Nous étions invités, pour ceux qui le voulaient, à jouer avec eux à la villa le jeudi. A l’époque, c’était le jour sans classe. Nous en profitions pour jouer au football. Les équipes étaient vite faites : d’un côté les Magnotis et de l’autre les Massilia. Je tiens à souligner que ces matchs se déroulaient dans la plus grande correction mais sans concession sur le jeu.

A l’occasion de ces visites du jeudi, les moniteurs nous ont expliqué l’origine et le pourquoi de la présence de ces enfants parmi nous. C’est ainsi que nous avons appris que nos petits copains étaient des orphelins juifs dont les parents avaient été fusillés par l’occupant ou exterminés dans les camps. Nous avons même su que certains avaient eu des frères ou des sœurs raflés et exterminés. Les moniteurs nous ont appris aussi ce que furent les camps de concentration dont nous ignorions tout ou presque à Sainte-Maxime jusqu’à leur arri-vée.

Dès ce moment-là, notre regard sur eux a changé. Nous ve-nions de découvrir cette tragédie de l’extermination des Juifs dans les camps de la mort. Nous étions abasourdis. Nous avions du mal à imaginer de telles horreurs. J’en ai parlé à mes parents du haut de mes 9-10 ans. Eux aussi ont été mis au courant et ils ont pu compléter leur information, à partir de

1946, grâce au cinéma : nous étions allé voir les films tournés par les Américains lors de la découverte des camps en 1945. Je dois dire que ces images étaient terrifiantes et insuppor-tables pour nous, les très jeunes enfants. Mais à l’époque on ne prêtait pas tellement attention aux conséquences sur de jeunes esprits.

Le comportement de ces enfants à l’école n’était pas dif-férent du nôtre. Cependant je me souviens que nous avions du mal à prononcer leurs noms : ils nous paraissaient trop compliqués, peut-être trop de consonnes alors que les nôtres avaient souvent beaucoup de voyelles ! Alors, nous nous en sommes tenus aux prénoms, et là pas de problèmes !

Par contre, leur accent sonnait très « pointu » à nos oreilles de méridionaux ! Chez eux la couleur jaune était « jaune » alors que chez nous elle était « jôneu ». Mais comme ils étaient peu nombreux dans chaque classe, ils ont fini par attraper si ce n’est « l’assent », tout au moins certaines de nos expressions favorites comme « Fan ! Fada ! Tronche ! Fan de chichourle ! » J’en passe des meilleures et surtout des pires !

« Notre regard sur eux a changé.Nous venions de découvrir

la tragédie des camps de la mort »

Ces enfants ne nous parlaient pas de leur triste vécu. C’était à eux et à eux seuls. Même en jouant avec eux à la villa, dans un cadre plus familier pour eux, où ils étaient, si l’on peut dire, sur leur territoire, eh bien non, pas un mot. Nous étions des enfants après tout.

S’il nous arrivait de laisser échapper en jouant des mots contre les Allemands dans des circonstances dont je n’ai plus le souvenir exact, eux comme nous, étaient très vite interrom-pus par les monitrices et les moniteurs afin que le sujet ne s’étende pas et surtout pour nous éviter de nous laisser ga-gner par la haine. A l’époque, je ne savais pas que la plupart d’entre eux avaient été des résistants ou des résistantes et

Francois MUCELLI

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encore moins que les directeurs et directrices avaient été dé-portés. Ils n’en faisaient pas étalage, ce qui comptait pour eux, c’était les enfants.

Leur départ fut brutal, en mars 1948. Du jour au lendemain, sans aucune explication. Il nous a laissé démuni tout comme Titin revenu la camionnette vide en se demandant « Mais où sont-ils passés ? » Nous avons ignoré leurs destinations pos-sibles. Pour ma part, je n’ai pas oublié tout de suite mes co-pains et copines de Massilia. En effet, j’ai correspondu avec une petite camarade partie en Alsace retrouver sa famille. Et puis avec le temps la correspondance s’est estompée pour ne plus être.

Je viens seulement d’apprendre en 2010 la raison de ce dé-part soudain : l’association n’avait plus les fonds nécessaires pour le budget de fonctionnement de la maison. Aussi, me re-mettre en mémoire tous ces souvenirs me fait chaud au cœur. Il s’agit de mon enfance, de leur enfance, de notre enfance. Nous avons partagé des moments tout simples mais si beaux que je suis très heureux de participer à cette chronique de la vie.

François Mucelli

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Mireille GIOFFREDO-BUCCI

Je suis née le 11 septembre 1933 à Sainte-Maxime, dans une famille nombreuse avec trois sœurs et deux frères. Mon

papa, Etienne, est né en 1896 à Dronero près de Cuneo dans la province du Piémont. Comme beaucoup de ses compa-triotes, il est venu à pied de sa région natale. Il a été naturalisé en 1922. Il exerçait la profession de maçon. Ma maman, Domi-nique Chiappello, née en 1904, était femme de ménage. Inutile de préciser qu’avec six bouches à nourrir, nous ne roulions pas sur l’or, loin de là ! J’ai eu une enfance modeste, comme beau-coup d’ailleurs. Pour les vêtements, nous avions de temps en temps des dons de la Croix Rouge. Je me souviens notam-ment très bien d’une robe à carreaux.

Nous habitions dans le quartier des Bouteillers, où la majorité de la population était des Italiens ou des gens d’origine ita-lienne. L’ambiance était bonne, chaleureuse et vivante comme savent l’être les transalpins. Bien que de nationalité française, je n’échappais pas aux remarques, injures et parfois jets de pierre dont les autres enfants, Maximois de souche, un peu plus fortunés, nous abreuvaient cruellement comme savent si bien le faire hélas les enfants ! Ils répétaient sans malice ce qu’ils devaient entendre parfois chez eux en relation avec la si-tuation économique ou l’évolution des relations entre la France et l’Italie. J’en ai souffert sur le moment et je me suis défendue mais je n’en ai pas gardé de ressentiment.

Un changement survint dans notre situation en 1939. Jusque là, maman travaillait à l’hôtel Regor, situé à l’entrée de notre quartier. Cette année-là, je ne me souviens plus si la déclara-tion de la guerre en est la cause, mais le fait est que les patrons de l’hôtel regagnèrent Paris. Mes parents en devinrent alors les gardiens. Ce fut Byzance pour nous : nous emménagions dans des logements avec l’eau courante et l’électricité !

La guerre est arrivée mais nous n’en sentions comme seule conséquence, et non la moindre, que le problème du ravi-taillement. Le premier changement important fut l’occupation italienne à partir du mois de novembre 1942 jusqu’à la déban-dade en septembre 1943. Il faut bien le dire, cette occupation, dans l’ensemble, fut bon enfant. Nous avions des Italiens dans

l’hôtel réquisitionné. Nos relations étaient bonnes. Il est vrai que la barrière de la langue n’existait pas tellement pour ne pas dire pas du tout ! Je me souviens de l’un d’entre eux à qui, du haut de mes 9 ans, j’apprenais le français. Il a même composé comme tout bon Italien « una canzoneta per Mireille ». Je n’en étais pas peu fière !

L’arrivée des Allemands et leur occupation, de septembre 1943 au 15 août 1944, fut une autre musique, moins joyeuse. Cependant, ma mémoire d’enfant garde deux images tout à fait opposées. La première, celle des soldats polonais dont les vêtements pouilleux étaient l’attraction, en particulier lorsqu’ils faisaient leur lessive : nous voyions les poux flotter au dessus de l’eau savonneuse et noire ! Quel spectacle pour une armée qui se voulait être la maîtresse de l’Europe pour 1000 ans !

L’autre nous était donnée par les officiers allemands, torses nus devant l’effigie d’Hitler en faisant le salut ! Nous étions im-pressionnés ! A cette époque la kommandantur se trouvait à la villa Richard.

Le 13 août 1944, des tracts furent lancés par des avions volant à basse altitude. Ils annonçaient le débarquement. Le même jour, l’assassinat d’un collaborateur par la Résistance eut pour conséquence de voir toute la population du village ou presque parquée du matin jusqu’en fin d’après-midi sur la place du marché gardée par l’armée allemande. Nous n’en menions pas large. Puis nous sommes tous et toutes retournés chez nous. Le 14, tout le quartier s’était replié aux Virgiles, à l’abri dans un ruisseau. Nous avions vu des fusées éclairantes et entendu des détonations. Le matin du 15, vers 11 heures, un de mes frères qui avait quitté notre repli, revint avec un pa-quet de cigarettes Camel : les Américains étaient là ! Nous sommes retournés dans la ville pour participer dans les jours suivant aux réjouissances. La fiesta m’a paru durer tout l’été 1944 ! J’ai repris le chemin de l’école à la rentrée 1944.

J’ai quitté l’école Siméon Fabre après avoir décroché le cer-tificat d’études en 1947 dans la classe de Mlle Segalen. C’est dans ces conditions que nous avons vu arriver des camarades de classe qui résidaient à la villa Massilia.

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Je me souviens très bien qu’à la rentrée 1946-1947, quatre jeunes filles juives orphelines nous furent présentées sans plus d’explications et nous n’en avons pas demandées. Très vite, des rapports amicaux se sont noués. Elles étaient comme nous en apparence : gaies et joueuses. Mais elles se figeaient dès que nous abordions le problème des parents. Sans trop savoir le pourquoi du comment, nous comprenions que nous étions arrivées à des limites à ne pas franchir et nous nous en sommes tenues là.

« Elles étaient comme nous en apparence,gaies et joueuses. Mais elles se figeaient

dès que nous parlions des parents »

Un autre souvenir me revient : un jour, une collecte de vête-ments et de chaussures fut organisée. Elle permit de récolter de quoi améliorer un peu leur habillement. Je peux ajouter que nous n’étions pas tellement mieux loties qu’elles, mais ce qui est sûr, c’est que malgré la pénurie, la générosité fut au rendez-vous.

Nous partagions la soupe à la cantine tous les midis. Cette soupe améliorait bien l’ordinaire de nous toutes. Nous avons pu aller avec elles à la villa où nous avons partagé leurs jeux organisés par les moniteurs et les monitrices dans une bonne fraternité et dans une bonne ambiance de franche camarade-rie. Nous les aimions comme des sœurs au point que lorsque nous ne les avons plus revues à la rentrée de 1947, nous nous sommes imaginé qu’elles avaient été arrêtées !

Il n’en était rien, fort heureusement. Elles avaient seulement gagné une autre destination pour retrouver leur famille ou un autre destin. Ce fut un véritable déchirement pour moi. J’aurais tellement aimé pouvoir correspondre avec elles. J’en ai gar-dé une profonde nostalgie tout au long de ces années. Alors qu’elle ne fut pas ma joie lorsqu’en 1997, Evelyne Fechter est revenue nous retrouver, et maintenant de savoir qu’elle est dé-cédée à si peu de temps de pouvoir à nouveau le faire, cela me laisse sans voix. C’est la vie, mais elle pourrait parfois être moins cruelle.

Je suis à nouveau heureuse et bouleversée de participer à cette belle aventure qui nous permet des retrouvailles, de faire revivre ces moments de bonheur à une époque où tout avait failli s’écrouler surtout pour mes copines de la villa Massilia.

Mireille Gioffrédo-Bucci

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Des souvenirs nous reviennent

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Je suis née le 2 décembre 1931 à Sainte-Maxime, rue Paul Bert. En 1934, mes parents, Sébastien Bruno et Marie-

Thérèse Bagnis-Bruno, tous les deux originaires de Demonte (Piémont, Italie) ont été engagés comme gardiens à la villa Massilia par son propriétaire, Victor Pourrière.

J’y suis restée avec mon papa jusqu’en 1951. J’en garde d’excellents souvenirs même si les drames des années 1940- 1945 se sont tous retrouvés dans ce cadre idyllique. Mais il est vrai que je n’en avais pas conscience à cette époque.

Suite aux agissements de son propriétaire pendant la guerre, outre la vie qui lui fut ôtée, la villa, sur proposition de la muni-cipalité de Sainte-Maxime, fut réquisitionnée par la préfecture du Var. J’ai assisté à la remise des clés au représentant de la Préfecture. Sur le moment, j’ai été très impressionnée par cette passation, mais pour nous la vie ne changeait pas : nous restions avec mon papa dans la villa, sans maman, hélas, qui venait de décéder.

Cette réquisition était faite au profit d’enfants juifs dont les parents avaient été tués. Je ne me souvenais plus de l’organi-sation qui les avait pris en charge jusqu’à ce que je redécouvre son nom aujourd’hui à la suite de notre travail de mémoire.

J’ai vu arriver des enfants malades physiquement et surtout moralement traumatisés à des niveaux différents. L’encadre-ment était assuré par des membres de l’association, tant pour la direction que pour les moniteurs et les monitrices. Le reste du personnel : cuisine, linge, entretien était composé de Maxi-mois et de Maximoises. Le docteur Verdier se dévouait sans compter pour tous ces enfants.

J’avais noué des relations avec mes camarades de classe comme Eliane, Jeannette, Raymonde, Evelyne. Je me sou-viens très bien des beaux dessins effectués par Eliane. C’est avec Evelyne que les liens furent les plus forts. Je ne sais pas si c’était le fait de savoir qu’elle aussi n’avait plus de maman, comme moi, mais j’ai eu, sans en avoir pleinement conscience, un élan protecteur envers elle. Je ne l’ai réalisé que tant d’années après.

Ainsi, je me souviens très bien qu’Evelyne a appris à rouler à vélo sur ma bicyclette bleue, la mienne et pas celle de Régine Desforges ! Mais nous allions à pied à l’école Siméon Fabre, même si c’était très loin. Nous faisions le trajet deux fois par jour. Pour nous, les grandes, cela allait. Mais pour les petits... Il est vrai que par la suite, la camionnette du poissonnier fut la bienvenue : une Citroën C23 qui appartenait à Marius Richard. Mais en 45-46, on y allait à pied !

« Des enfants malades physiquement et surtout moralement traumatisés ».

Une autre anecdote d’enfant me revient. J’avais fait décou-vrir à Evelyne les pignons de nos pins qui se dressaient tout le long de l’Avenue de la Californie, anciennement avenue d’Ita-lie puis par la suite Berty Albrecht. Ils faisaient nos délices. Seulement tout le monde sait qu’il n’est pas facile d’extraire le minuscule pignon de sa coque. Cela prenait du temps et de plus c’était très salissant. Nous arrivions en retard et surtout le visage barbouillé de noir. Inutile d’ajouter que nous nous faisions disputer : Evelyne par les moniteurs ou monitrices et moi par papa !

Je me souviens aussi de la solidarité de certaines familles maximoises dont l’un des leurs avait été prisonnier de guerre. Le dimanche, elles accueillaient un enfant comme la famille Razoul dont les filles Madame de Germond et Madame Verdier s’occupaient beaucoup de ces enfants.

J’ai quitté l’école en 1946. A la rentrée, Evelyne quitta Sainte-Maxime. Je n’ai plus eu des ses nouvelles mais son souvenir est resté intact. Je me souviens qu’en 1948, la villa a cessé de fonctionner comme centre d’hébergement mais je ne me sou-venais pas de la cause. Toujours est-il que presque du jour au lendemain, ces enfants ont disparu de notre vie. Aussi qu’elle ne fut pas ma surprise de redécouvrir en mai 1997, Evelyne Fechter qui, entre temps, avait épousé Isaac Haroch. Elle avait

Germaine BRUnO-DUpIn

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voulu revoir ce « château » où elle avait été si heureuse. Nous avons été nombreuses à la revoir lors de la réception à la Mairie. Il y avait Mmes de Germond, Paulette Coulomb, Suzy Triantafilides.

J’ai passé avec Evelyne de bons moments à nous remé-morer nos souvenirs doux de cette époque si difficile. Elle m’a appris la suite de sa vie après Massilia : retour à Paris pour son papa puis descente sur Marseille pour ensuite gagner le nouvel Etat d’Israël avec les difficultés pour s’y adapter, en par-ticulier l’apprentissage d’une nouvelle langue : l’hébreu.

Une vie modeste mais heureuse loin de la crainte passée. Mais le souvenir des jours heureux de Massilia ne l’a jamais quittée m’a-t-elle confié.

A partir de ce moment-là, nous avons commencé à corres-pondre régulièrement. Nous retrouvions notre adolescence, nous nous tenions au courant de nos vies. Depuis quelques temps, je n’avais plus de nouvelles. Un mauvais pressenti-ment s’est emparé de moi. Il s’est renforcé après le retour de mes e-mails. J’ai fini par apprendre la triste vérité par Mme Annette Lippe et son époux Simon. De retour d’Israël, ils m’ont annoncé son décès. Mais j’ai réussi à nouer le contact avec sa fille, Talil, qui vit à Marseille. Elle viendra pour l’apposition de la plaque commémorative sur l’école Siméon Fabre. Je serai heureuse de la recevoir avec son fils. C’est un peu d’Evelyne qui vit en eux. Le fait de participer à ce travail de mémoire me permet de la faire revivre.

Germaine Bruno-Dupin

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Des souvenirs nous reviennent

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Je suis née le 6 février 1932 à Sainte-Maxime. A ma nais-sance j’étais au moins la quatrième génération de Coulomb

native de la ville. Mes parents, Raymonde Olivier et Gustave Coulomb, sont les fondateurs de la boulangerie en 1932. Elle n’a pas quitté la famille depuis. J’ai un frère plus jeune, Robert, né en 1940. Nous avons eu une enfance de rêve. Cela ne veut pas dire l’abondance de biens de consommation mais surtout l’affection en famille d’abord.

A cette époque la famille ne se bornait pas à la maman et au papa. Elle englobait les grands-parents et davantage encore. C’est ainsi que j’ai été élevée en grande partie par ma grand-mère Maria dans le quartier des Bouillerettes. Son père Gaîté était la grande figure de la famille, une sorte de patriarche.

Ma carrière scolaire s’est entièrement déroulée à l’école Si-méon Fabre depuis le CP jusqu’au certificat d’études passé en juin 1946 à Cogolin. J’ai eu successivement comme ins-titutrices Mmes Bessy, Gleyzes, Issert et Segalen. De cette dernière, je n’ai pas gardé un excellent souvenir : nos rapports furent parfois orageux.

« J’avais quelque chose à partager :la perte d’un parent lorsque l’on estune enfant, un manque irréparable »

J’ai traversé la guerre comme tous les jeunes enfants de cette époque. Elle fut un brevet pour la vie. Le passage de la petite enfance à l’adolescence a été jalonné par toutes sortes de péripéties et des pénuries les adultes essayaient de nous épargner. Heureusement l’amour familial fut la meilleure pro-tection. Le débarquement a fini par arriver. Comme tous les habitants de cette époque, je l’ai vécu dans la crainte et la joie d’être enfin libérés.

Un changement est survenu à la rentrée scolaire d’octobre 1945 dans la classe du CEP de Mlle Segalen. Parmi nous, des têtes nouvelles, des noms nouveaux que nous avions du mal à prononcer. Heureusement, les prénoms ne posaient aucun

problème. Eliane, Raymonde, Evelyne et Jeannette se sont retrouvées dans nos rangs. Je ne me souviens pas comment on nous a informées de leur situation. Toujours est-il que nous avons appris qu’il s’agissait de jeunes filles juives orphelines dont les parents avaient été tués en déportation. Je ne savais même pas que certains avaient eu des parents fusillés. Je me suis très vite sentie proche d’elles. Sur le moment j’aurais été incapable d’en donner la raison. Avec le temps, je crois l’avoir trouvé : mon papa était décédé en 1944. Alors inconsciem-ment, j’avais quelque chose à partager : la perte d’un parent lorsque l’on est une enfant. Un manque irréparable. Avec le recul, je me dis ce que cela devait être horrible pour elles car les leurs avaient été tués.

Nous les avons rapidement intégrées à nos jeux, à nos conversations de jeunes filles que nous devenions. Aucune d’entre elles n’a jamais abordé leurs vies pendant ces années terribles où elles durent se cacher pour ne pas être tuées. J’ai l’impression que c’était un tabou absolu.

paulette COULOMB-MAURIn

Paulette Coulon-Maurin

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Guy BERGOn

Je suis né en 1927 à Cogolin. Après mon engagement dans la Brigade des Maures et mon parcours dans l’armée fran-

çaise pour la fin de la guerre, je me suis retrouvé démobilisé et comme beaucoup sans travail. En 1947, j’ai fini par trouver un travail à la Villa Massilia par l’intermédiaire de Mme Chailan. Elle fournissait la colonie en légumes.

J’ai été engagé en même temps que Jacques Guesnier comme homme à tout faire. Et j’ai fait de tout ! Le jardin, la vaisselle, garder les enfants éventuellement à la sieste pen-dant la période estivale lorsque les effectifs des orphelins se gonflaient des « estivants » logés sous les tentes-marabouts.

Pour ma part, je logeais sur place avec Jacques mais je ne me souviens plus dans quelle partie de la propriété. A mes côtés, je voyais tous les jours la lingère qui était de Sainte-Maxime. Le cuisinier, lui, était de l’organisation. Il parlait une drôle de langue, surtout lorsqu’il était en colère ! Sur le mo-ment, j’ai cru que c’était de l’allemand. Avec le temps, j’ai su qu’il s’agissait du yiddish. Il faut dire que pour un jeune Cogoli-nois de 20 ans, cela sonnait un peu germanique !

A la villa, comme partout dans toute la région, nous avions de grosses difficultés d’approvisionnement en eau. Aussi exis-tait-il sous le plancher de la cuisine une grande cuve. Elle ser-vait à recueillir les eaux de pluie précieuses pour la lessive car l’eau du puits était saumâtre. Un jour, le cuisinier, n’ayant pas bien fermé la trappe, est tombé dedans ! Il s’est blessé et sur-

tout s’est mis à jurer dans une langue incompréhensible mais assez expressive pour que je me rende compte qu’il n’était pas content et qu’il s’en prenait à lui-même !

Mon travail dans le jardin consistait à nettoyer le parc. Jacques était bien formé pour le métier de jardinier : il avait étudié et il aimait ça, en particulier la taille. D’ailleurs, après la fin de notre engagement à la villa, il en a fait son métier. Pour ma part, je suis retourné dans les vignes sur l’exploitation de mes parents à Cogolin.

Comme je l’ai dit, il y avait des toiles de tente dans le parc l’été. Les enfants n’avaient qu’à descendre le chemin avec les moniteurs et monitrices pour traverser la rue et se rendre sur la plage en contrebas. Il faut dire qu’à cette époque, la circulation n’était pas celle d’aujourd’hui !

Avec le recul, je ne me souviens pas avoir vu que ces filles et ces garçons présentaient des traumatismes apparents liés à leurs conditions d’orphelins sur laquelle j’avais été informé sobrement en commençant mon travail. Je me souviens très bien qu’il y avait souvent des changements dans les effectifs. Des départs, des arrivées, parfois 5 ou 6 en même temps.

L’origine juive de ces enfants ne m’a jamais posé de pro-blèmes : pour moi il s’agissait d’enfants malheureux à qui il fallait venir en aide. Si j’y ai contribué ne serait-ce qu’un peu, j’en suis fier et heureux !

Pour ce qui concerne la villa Massilia où elles résidaient, je n’y suis jamais allé. Je me souviens que tout au long de cette année scolaire 1945-1946, elles venaient à pied : quel che-min deux fois par jour ! Je les vois encore passer devant la boulangerie familiale. Elles étaient vêtues comme nous juste après la guerre, en particulier avec des chaussettes hautes en guise de bas et bien sûr la blouse qui fait l’écolière !

J’ai passé le CEP à Cogolin avec Evelyne Fechter et Eliane Gourevitch. Cela me fait bizarre de savoir qu’elles sont décé-dées : dans ma tête elles auront toujours 13-14 ans !

En 1997, le retour d’Evelyne m’a beaucoup réjouie. Ce qui m’a surpris c’est que nous ne nous sommes pas reconnues comme adultes mais comme enfants. Je n’avais pas oublié le visage d’enfant d’Evelyne : je ne sais toujours pas com-ment l’expliquer mais faut-il trouver des explications à tout ?

Je suis très heureuse de participer à ce travail de mémoire. Il me permet de remonter au temps de mon enfance et sur-tout de redonner vie à deux de ces camarades de la Villa Massilia.

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Des enfants de Sainte-Maxime venaient jouer à la villa. Com-bien ? Je ne saurais le dire, mais ce qui est sûr c’est qu’ils for-maient une joyeuse bande de gamins bien mignons, heureux de jouer ensemble comme tous les enfants du monde.

Dans mes souvenirs, cela remonte à si longtemps, je me souviens avoir vu sur les murs des panneaux racontant l’His-toire du peuple juif. Je crois, sans trop me tromper, que les dirigeants voulaient redonner à ces enfants la fierté de leurs origines alors qu’être Juif pendant toutes ces années avaient été une honte imposée par des régimes criminels. En tous les cas, c’est l’impression que j’ai eue.

« Une joyeuse bande de gamins bien mignons, heureux de jouer ensemble comme tous les enfants du monde »

J’ai été marqué aussi par la grande simplicité du personnel dirigeant de la villa. A diverses reprises, des membres de l’as-sociation sont venus à la villa. Une fois, une très grande table avait été disposée dehors, devant le salon. J’ai été très touché d’être invité à partager le repas. Je me souviens très bien qu’il y avait des ananas en boîte pour le dessert. Ce fruit m’était parfaitement inconnu aussi j’ai déclaré ne pas les aimer. L’un des convives s’est levé pour aller me chercher des pêches au sirop ! Cette simplicité-là, je ne l’ai pas oubliée !

Un beau jour, sans autre explication que le manque de financement, la colonie a fermé ses portes, les enfants ont été dispersés. Ils sont repartis comme ils étaient venus, emportant avec eux des secrets que je croyais à jamais perdus. Nous étions vers Pâques 1948.

La perte de leurs traces a failli être confirmée par ma de-mande en 1986-1987 de partir à la retraite. J’ai contacté Jacques pour savoir s’il en savait davantage sur le devenir de ces enfants. Comme moi, bien sûr, il n’en avait aucune idée. Je me suis tourné vers la Mairie de Sainte-Maxime pour qu’elle m’aide à avoir des certificats pour faire valider ces trimestres de travail pour ma pension. Je n’ai eu aucune réponse : la villa Massilia et ses pensionnaires avaient disparu de la mémoire

locale. Il ne restait plus que la villa en mauvais état et une partie du parc. Hélas, ni les pierres ni les arbres ne peuvent encore parler : ce ne sont que des témoins muets ! Comme je n’avais pas besoin de davantage d’annuités pour établir ma pension, j’ai arrêté là mes recherches. La villa Massilia est retournée dans mes souvenirs enfouis.

C’est en lisant l’article paru dans Var-Matin en avril 2010 que toute cette époque est remontée du fond de moi-même. J’ai d’abord été heureux de lire que cette histoire n’avait pas été totalement oubliée dans la mémoire de quelques-uns et quelques-unes comme elle était restée dans la mienne.

Je suis heureux, fier et touché de participer à ce travail de remise en mémoire de cette belle mais trop courte histoire. Je veux participer à faire connaître ce que fut la souffrance de ces enfants et leur joie retrouvée en partie ici. Nous devons venir en aide à ceux qui souffrent hier comme aujourd’hui. Hélas, ils ont été trop nombreux et le sont encore !

Guy Bergon

Des souvenirs nous reviennent

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Andre FACCIA

Je suis né le 5 novembre 1933 à Saint-Raphaël. Depuis l’âge de 15 jours, je vis à Sainte-Maxime. Ma mère, Julia

Honorat, originaire des Issambres, et mon père, Jacques Fac-cia, né en 1908 à Caraglio près de Valdissera en Piémont, se sont mariés en 1931. Mon père est arrivé à l’âge de trois ans après un drame familial. Mon grand-père, puisatier, a été tué dans un éboulement aussi ma grand-mère est venue rejoindre un oncle célibataire, Vian, avec les trois frères et une sœur à Sainte-Maxime. Cet oncle était cultivateur à la Nartelle.

Avec mes parents, de 1933 à la déclaration de la guerre en 1939, je vivais à la campagne en dehors de la ville où se trouvaient les trois frères et la sœur de papa. La guerre était déclarée depuis un mois lorsque je suis entré à l’école Siméon Fabre où je me rendais sur le porte-bagages du vélo de maman en passant par la côte. C’était pour moi le bout du monde ! Par vent d’Est, nous empruntions le chemin de la Vierge Noire. Je crois bien que maman, dans la montée, poussait le vélo. Par contre, je ne sais plus si je restais sur le porte-bagages. C’est à la fois si près et si loin ! Assez ra-pidement dans les années suivantes, j’y suis allé seul à vélo. La circulation n’était pas celle d’aujourd’hui, il n’y avait pas de grands risques. De plus, j’étais privilégié : tous les enfants de mon âge n’avaient pas de bicyclette !

Au cours de ma scolarité, j’ai eu successivement comme institutrices et instituteurs Mme Prost, M. Castellino, Mme Bertucci et M. Bertucci. Je n’étais ni un bon ni un mauvais élève. Pendant la période de la guerre, je me souviens avoir chanté comme tous les écoliers de France « Maréchal nous voilà ! » Nous avions bien sûr les cours de morale dans les-quels la vertu première enseignée était l’obéissance. C’était bien dans l’air du temps.

Dans mes souvenirs, ces années de guerre sont celles des difficultés pour le ravitaillement. Nous manquions surtout d’huile et de viande. Pour les fruits et légumes, la campagne nous fournissait ce que beaucoup trouvaient avec peine sur les marchés selon les arrivages. Par contre, nous ne man-quions pas de poissons grâce à la pêche.

Avec l’occupation italienne de novembre 1942 à septembre 1943, cette pratique n’a plus été possible. J’en ignore la rai-son, mais les barques et bateaux à moteur ont été désarmés. Il avait fallu rendre les magnétos. Ce fut dans mes souvenirs la seule difficulté résultant de l’occupation italienne.

L’arrivée des Allemands en septembre 1943 changea tout. Pour la pêche, elle fut à nouveau possible à la condition d’em-barquer un soldat allemand pour empêcher de se rendre sur des zones interdites. Les rusés pêcheurs se débrouillaient tou-jours pour embarquer un peu de vin ou de pastis. Les vapeurs de l’alcool plongeaient souvent dans une douce somnolence l’Allemand embarqué. Ainsi le pêcheur pouvait se rendre où il voulait pour améliorer les prises !

Dans les jours précédents le débarquement, je me souviens avec mon père avoir vu les avions survoler la Nartelle et des-cendre sur le pont de La Garonette pour le bombarder. Nous étions le 12 août 1944. J’ai encore dans la tête la vision de l’ouverture de la soute avec les bombes qui en tombent. Peu de temps après, le souffle s’est fait sentir jusque chez nous. Le plus périlleux fut le vol à basse altitude de trois avions de chasse américains. Ils tentaient de toucher le blockhaus de la pointe des Sardinaux. J’ai l’impression qu’ils ne lui ont pas fait beaucoup de mal. Par contre, mon père a eu la peur de sa vie. L’un des pilotes le prenant pour un soldat allemand l’a mitraillé sans l’atteindre heureusement !

Le 15 août 1944, vers quatre heures du matin, on a été tirés de nos lits par un vacarme inouï. Depuis le large, les bateaux arrosaient la côte de milliers d’obus ! Nous avons juste eu le temps de nous cacher dans un tunnel situé sous la maison. Je ne sais pas vraiment à quoi il servait. C’était une galerie creu-sée vers 1900 pour récupérer ou évacuer l’eau. Toujours est-il que nous y sommes restés jusque vers 11 heures du matin. Les tirs se sont alors espacés. Lorsque nous sommes sortis, nous avons vu une mer de bateaux ! On aurait pu marcher sur l’eau sans se mouiller les pieds tellement ils étaient nombreux !

Les premiers soldats américains sont arrivés et hélas pour nous, un char d’assaut sans se poser de question, a tiré un

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obus sur la maison. Elle a été pulvérisée et tout ce qu’il y avait avec ! C’est ainsi que je me suis trouvé en pyjama sans autre vêtement ! Le plus cocasse fut le mystère du placard : nous avons retrouvé, dans ce placard, bien pliés, des draps sur des assiettes pulvérisés réduites en poussière !

Le soir du 15 août, nous nous sommes retrouvés chez un oncle au Sémaphore puis chez un autre rue Courbet. Nous y sommes restés deux mois et demi. Puis nous avons logé boulevard Ca-sabianca jusqu’en 1947. Cette année-là, nous avons pu rega-gner la maison de la Nartelle enfin reconstruite après pas mal de péripéties.

« Ils sont arrivés plus ou moins mystérieusement et sont

repartis de la même manière »

Entre-temps, j’ai vécu ma dernière année de classe en 1945-46 avec M. Bertucci dans la classe du certificat d’études. A la rentrée d’octobre, j’ai retrouvé les camarades des années passées auxquels s’ajoutaient deux nouvelles têtes. Nous ne les avions jamais vues. Cela nous intriguait un peu. Assez vite, nous avons su qui ils étaient : des orphelins juifs qui venaient de la villa Massilia. Je n’ai jamais su le nombre exact d’enfants, filles et garçons, qui y résidaient. En tout cas, il y en avait au moins un dans chaque classe. Nous avions peu de détails, tant par eux que par le maître, mais assez pour comprendre qu’ils avaient eu une vie bouleversée, si ce n’est brisée, par la guerre.

Je dois dire qu’à cette époque nous connaissions un peu la déportation, les exécutions. Mais du haut de nos 13 ans, tout cela nous dépassait, sauf pour ces nouveaux camarades plutôt avares de confidences, mais avec le recul du temps, je com-prends pourquoi. Toujours est-il qu’ils sont devenus des cama-rades de classe comme les autres avec qui nous partagions nos jeux : les billes, saute-mouton et ses variantes plus ou moins viriles ! Je me souviens qu’ils étaient de bons élèves.

Je m’étais lié avec l’un d’entre eux. Il se nommait Levy, ori-ginaire de Marseille. C’était un blagueur de première ! Nous

nous sommes beaucoup amusés à la Nartelle. Il m’y retrouvait en venant de la villa en passant par la Petite Corse. A quoi nous jouions ? A la guerre bien sûr ! Nous étions des minots qui ne nous posions aucune question ! Je me souviens qu’un jour, un oncle a apporté un vieux révolver 6,35 hors d’usage bien sûr ! Nous en avons passé des heures à le démonter, à le remonter, à le nettoyer pour le remettre en état de fonction-ner. Nous y avons réussi ! Nous étions avec mon copain les cow-boys de la Nartelle : la bande Faccia-Levy ! Comme les autres minots de Maxime, nous sommes allés jouer sur le char d’assaut qui se trouvait à hauteur du Saint Barth.

Je peux le dire parce qu’il y a maintenant prescription. Papa avait récupéré de l’essence dans le réservoir. Il avait été aban-donné là après avoir sauté sur une mine. Il s’est peu à peu enfoncé dans le sable. Nous en avons fait des parties pour avoir le plaisir de manipuler les commandes encore en état.

La fin de l’année scolaire 1945-46 est arrivée. Mes études se sont arrêtées là. J’ai perdu le contact avec les deux cama-rades de la villa Massilia qui l’ont certainement quittée mais pour se rendre où, je l’ignore. Peu à peu, j’ai perdu le contact avec la villa et je dois le dire, lorsqu’elle a cessé de fonction-ner comme centre d’hébergement, personne, à ma connais-sance, ne s’est soucié d’en donner les raisons. La presse de l’époque n’en a donné aucun écho. C’est drôle de le dire mais ce fut ainsi : ils sont arrivés plus ou moins mystérieusement et sont repartis de la même manière.

Aussi je suis très heureux de par-ticiper à ce travail qui me replonge dans mon enfance pour retrouver mon copain Levy évanoui dans les souvenirs mais pas complètement disparu.

André Faccia32

Des souvenirs nous reviennent

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Troisième partie : Memoires des enfants de Massilia

Joies et douleurs du retour a la vie

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Albert et Henri ZAJDERMAn

Les deux frères ont fréquenté la villa Massilia au cours de l’année scolaire 1946-47. Leurs souvenirs se résument à

quelques événements.

Albert est né le 4 février 1938. Il ne se souvient pas des éducateurs mais il a gardé de très bons souvenirs de son sé-jour. Tout d’abord, ceux des raisins de la vigne qui se trouvait sur la partie gauche de la propriété à la place de la maison qui y a été construite depuis. Il ajoute même qu’il est toujours gourmand de ce fruit.

Il serait volontiers resté à la villa ! A son arrivée, victime comme beaucoup d’enfants de l’époque de la gale due à la mauvaise qualité du pain, il a été mis torse nu, entièrement badigeonné de la tête aux pieds. Pour éviter la contagion, au lieu de dormir dans le dortoir, il fut isolé dans la chambre de la tour. Il ajoute qu’il était là, en petit propriétaire, et se serait très bien vu finir ses jours sur place avec vue imprenable sur la mer. Cette mer dans laquelle il a souvent plongé depuis le garage à bateaux qui se trouvait sous la villa de l’autre côté de la route, où il vit passer en juillet 47 le Tour de France.

Albert et Henri ont eu la joie d’avoir la visite de leur mère. Cela semble rien de nos jours mais juste après la guerre, se déplacer n’était pas simple. Quel bonheur pour eux !

Parmi les autres souvenirs, il y a le char de la Fête du mi-mosa de 1947 avec sa fameuse décoration en arête de pois-son. Il faut dire qu’il s’agissait de la camionnette qui conduisait les enfants à l’école. Quand elle venait ! En ces temps-là, le ramassage scolaire n’était pas régulier alors il fallait souvent y aller à pied, par le bord de mer ou par l’intérieur. Aussi Albert n’était pas toujours à l’heure !

Revenu à Sainte-Maxime en 2009, revoyant la villa, Albert se dit : « Pourquoi ne pas la rendre à des enfants ? Si je gagne au loto... On pourrait rendre à César ce qui lui revient avec une fondation et le soutien de riches donateurs ! »

Henri est beaucoup plus jeune : en 1946, il avait 5 ans. En effet, il est né en mars 1941. Mais il se souvient très bien de la vieille camionnette datant d’avant guerre et en particulier d’un

détail : le radiateur avait besoin de beaucoup d’eau. Il a peut-être fait son cours préparatoire ou sa dernière année de maternelle à Siméon Fabre.

Marcel JABLOnkA

Marcel est né le 29 avril 1940 à Paris. Avec sa sœur Su-zanne, née le 23 janvier 1939, ils ont séjourné à la villa

Massilia de l’été 1946 à la fermeture de celle-ci le 20 mars 1948. Tous les deux ont été scolarisés à l’école Siméon Fabre. Marcel y a vécu des moments de douceur incomparable après l’horreur dont il a réchappé avec sa sœur mais hélas pas leurs parents, tués en déportation.

« La Villa Massilia est une belle maison blanche, cachée au milieu des palmiers,

des cactus, des pins parasol »

Ses souvenirs, parmi d’autres, figurent dans le livre « Les Maisons de notre Enfance » rédigé par les anciens des Foyers de la Commission Centrale de l’Enfance, publié aux éditions de l’Amandier en 2000. On peut les retrouver dans le chapitre ‘Sainte-Maxime et Nice 1945-1948’ : « Qu’on imagine la Côte d’Azur avant la grande vague touristique, un site dominant la mer deux kilomètres à l’Est de la ville, et on comprendra qu’on puisse dire du Foyer de Sainte-Maxime qu’il était un lieu paradi-siaque. La Villa Massilia est une belle maison blanche, cachée au milieu des palmiers, des cactus, des pins parasol. Nous n’avons que la route à traverser pour aller jouer sur une toute petite plage à moins qu’on ne nous emmène en promenade à travers la colline jusqu’à la grande plage des Sardinaux. Là

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sur le sable, gisent deux tanks, vestiges du débarquement d’août 1944, qui n’ont pas eu le temps de rouiller. Dans l’un d’eux, nous pouvons même entrer, faire monter et descendre le canon sur lequel un camarade s’assoit à califourchon. L’école est exactement à l’autre bout de la ville. Nous y allons et en revenons le plus souvent à pied, le long du Golfe de Saint-Tropez. Quelquefois aussi, on a recours à la camion-nette du poissonnier. Au printemps a lieu dans la ville la fête du mimosa à laquelle nous participons sur un char décoré. Le foyer a ouvert dès 1945. »

Marcel, depuis le début de ce travail, a fourni un grand effort de mémoire pour replonger dans ce passé toujours doulou-reux. Le temps ne fait rien à l’affaire, c’est encore une image de poète dont hélas la vie est le plus souvent dépourvue.

Marcel se souvient que lors de l’été 1947, la villa a accueilli plus d’enfants que pendant l’année scolaire. Il s’agit peut-être des enfants des grévistes de Marseille lors des grandes grèves de mai 1947. Il ajoute, même avec le temps, sans autre souci que celui de la précision, qu’il ne faut pas les confondre avec eux, les orphelins des exterminés et des fusillés.

Par contre, à l’inverse de celles et ceux qui étaient présents à la même période, il ne se souvient pas du char en forme d’arête de poisson lors de la fête du mimosa sur lequel fi-gure sa sœur Suzanne. Il lui revient à la mémoire un autre char dont la décoration représentait une grande pièce de monnaie. Georges Waysand a ce même souvenir. Parmi les autres ca-marades, Marcel se souvient de Maurice Avidor.

Le bon docteur Verdier a opéré Marcel, sur place à la villa, des amygdales et/ou des végétations. Cela ferait frémir de nos jours à cause de l’asepsie mais nous étions juste après la guerre... alors il fallait faire avec les moyens du bord ! Et bien, ça a marché, Marcel a survécu !

L’enfant qu’il était à l’époque avait dû être émerveillé par la parade d’un bateau de guerre dans les eaux du Golfe à deux pas de la villa. Pour couronner l’émerveillement, la traversée dans un petit bateau lui est restée jusqu’à aujourd’hui, comme la mer qui occupe de grandes places dans sa mémoire : les baignades, les jeux sur la plage...

On imagine que cela a dû être dur pour ces enfants de quitter la villa en mars 48 pour se replier sur Nice. Mais en fait, pas tant que cela si l’on en juge par les débuts du texte cité plus haut emprunté : « Nous déménageons pour Nice, où nous occupons une maison sur les hauteurs de la ville : Villa Beauregard, Avenue de Bellevue. Hélène (Taiche) reste la di-rectrice et Rémy (Sterman) l’éducateur. Le jardin, moins vaste, s’orne encore de palmiers, d’un jujubier, d’arbres fruitiers. Pour aller à l’école, il faut descendre une enfilade d’escaliers de toutes tailles et les remonter le soir. Ce n’est pas un mauvais souvenir. Nous passerons là les vacances de l’été : souvenirs de chasse au trésor dans la ville, de pluches collectives, de baignades dans une piscine toute proche, du Tour de France sur la Promenade des Anglais... »

La rentrée scolaire 1948, pour ceux qui restent dans les foyers, se fera dans une autre maison et dans une autre école. Trois maisons, trois écoles dans la même année...

Retourné sur place en 1990, Marcel emprunte à nouveau l’enfilade d’escaliers depuis l’école Saint-Barthélémy qu’il par-courait en 1948. Arrivé à la villa, il y rencontra une dame qui y habitait. Elle en connaissait l’histoire. Elle avait appartenu à un juif égyptien. Elle avait servi de planque à de nombreux juifs pendant la guerre.

Après 1948, Marcel poursuivit son parcours dans les autres maisons de la CCE en particulier celle d’An-drésy, mais cela est une autre histoire qui a déjà donné lieu à relation et inscription dans la mé-moire locale.

Marcel et Suzanne sur les rochers en dessous

de la villa

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Georges WAySAnD

Georges est né à Bruxelles le 30 avril 1941 de parents juifs polonais venus en Belgique pour y faire leurs études

supérieures. Sa mère, Estoucha Zilberberg, étudiante en mé-decine, avait déjà participé d’un bout à l’autre du côté des Républicains, à la guerre civile d’Espagne. Son père, Moszche Chaim (Maurice dit Jean) Waysand, élève ingénieur, trouva du travail dans le Nord de la France, alors rattaché à la Komman-dantur de Bruxelles, et y entra aussitôt dans la Résistance vers avril 1941. Il fut rejoint en France par Estoucha aux lendemains de l’invasion de l’URSS. Tous deux entrèrent dans la clandes-tinité en juillet 1942.

L’enfant fut d’abord placé dans des conditions douteuses. Ses parents l’en retirèrent rapidement et le conduisirent chez une famille de résistants qui leur avait inspiré confiance. Jean était responsable technique régional pour les sabotages, Es-toucha chargée du recrutement et de la formation d’auxiliaires sanitaires. Arrêté par des gendarmes français le 15 septembre 1942, Jean fut condamné à mort par la cour spéciale de Douai pour menées communistes et possession d’armes prohibées. Il fut fusillé par les Allemands le 15 décembre, il avait 26 ans. Estoucha fut à son tour arrêtée en mars 1943, longtemps tor-turée sans jamais rien dire, déportée dans des prisons alle-mandes, puis envoyée aux camps de Ravensbrück pour finir à Mauthausen.

Dans son récit « Estoucha », publié chez Denoël, Georges Waysand écrit à propos de la villa et de Sainte-Maxime : « A quatre kilomètres à l’Est de Sainte-Maxime, sur la corniche du bord de mer, la maison d’enfants, en fait un orphelinat, occu-pait une très grande villa réquisitionnée à un collaborateur... Il n’y avait que deux ou trois douzaines d’enfants, on s’y sentait entouré. En traversant la route, c’était la plage enfouie sous le varech en automne. Plus loin, dans les rochers, il y avait des oursins et chaque soir de superbes couchers de soleil. La villa avait naturellement un parc avec des aloès dont les grands coupaient les extrémités des feuilles pour en faire des pointes de sagaies. Tout était beau, mais l’enfant ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Le moindre de ses problèmes étant qu’une

bonne partie des adultes parlaient le français comme jamais il ne l’avait entendu. » [Georges caché pendant un temps à La Bassée, près du bassin minier du Pas-de-Calais, parlait et parle encore le ch’ti min fieu !]

Dans ces pages, il met en scène un minot de 5-6 ans qui essaie de comprendre comment on peut être séparé de ses parents pendant la guerre sans qu’ils aient été fusillés ? Le futur se borne en ces moments-là à la réception de la lettre ou du colis de la maman. Il se trouvait cependant favorisé « par rapport aux deux seuls amis qu’ils s’étaient faits : Marcel, qui dormait dans la même chambre, et Suzanne, sa grande sœur. Tous les autres étaient trop grands pour lui, mais ils étaient utiles quand on l’embêtait dans la cour de l’école, ce qui ne lui était jamais arrivée à La Bassée... »

Il se souvient de la correspondance avec sa maman : aux cartes postales, il répond par des feuilles arrachées à un cahier d’écolier sur lesquelles, sachant à peine écrire, il s’évertuait à traduire ses sentiments filiaux par des millions de baisers, sans oublier son papa et sa maman de La Bassée où il fut caché.

« Tout était beau, mais l’enfantne comprenait pas ce qu’il faisait là »

Plus loin, nous apprenons que la maison d’enfants battait de l’aile. L’aide matérielle des organisations juives américaines ve-nait de cesser car elles avaient appris l’orientation communiste de la CCE. Pour les pensionnaires qui n’aimaient ni la marme-lade d’orange, ni les vêtements américains qui leur donnaient un air ridicule dans la cour de l’école (pourtant, 65 ans plus tard, les copains et copines maximois ne se souviennent pas de ces détails vestimentaires, comme quoi !), la nouvelle fut accueillie avec joie.

La maison d’enfants déménagea dans une autre villa beau-coup plus modeste à Nice, la villa Beauregard sur les collines des quartiers Nord, d’où il fallait descendre et remonter par des escaliers et raccourcis un peu fatigants pour de petites

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jambes. Ses souvenirs d’écolier à Nice furent cuisants. Il fut ré-trogradé comme les deux autres fois où il changea de groupe scolaire. A l’étude, tout fier de montrer sa page de calligraphie au maître surveillant, il fut renvoyé à sa place pour faire une de bâtons ! Il s’exécuta rageusement pour satisfaire ce beso-gneux fonctionnaire de l’enseignement public. L’aventure ni-çoise fut la fin des expériences de Georges dans les maisons d’enfants. Sa maman avait terminé ses études à Bruxelles et enfin trouvé une chambre avec cuisine en région parisienne pour le reprendre avec elle, en novembre 1948.

En retombant sur des lettres qu’il envoyait à sa maman, Georges précise plusieurs choses sur son séjour à Sainte-Maxime. D’abord la réquisition du dimanche pour écrire le courrier, pour celles et ceux qui avaient encore des parents bien sûr. Grâce à ses lettres que sa mère avait gardées, nous savons que le 7 mars 1948, tous les enfants étaient encore à Massilia. Voici ce qu’il en dit : « Avant de partir, nous avons

eu l’occasion de faire une promenade en mer à bord d’une vedette car des navires de guerre américains étaient dans la rade de Saint-Tropez. J’ai gardé le souvenir très vif d’un porte-avions. Je croyais qu’il s’appelait Missouri mais un bref passage par Wikipedia US indique qu’à cette date ce-lui-ci n’était pas en Méditerranée ». Comme la rédaction des lettres dominicales était toujours un exercice un peu laborieux, l’événement a pour une fois permis d’avoir quelque chose à dire en plus des inévitables « je suis en bonne santé » et les « N baisers », N étant le nombre que le ni-veau de l’enfant en calcul lui permettait d’envisager comme très grand avec l’ap-probation de la moni-trice.

Lettre du 7 mars 1948

Les dessins du porte-avions avec au premier plan le petit bateau dans le quel les enfants de la villa avaient pris place pour en faire le tour (lettre du 7 mars 1948)

Georges Waysand

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Eliane CAISMAn

Je suis née en Roumanie en 1931, à Kichinev. Mon père était russe et ma mère bessarabienne. Nous sommes arri-

vés en France en 1937. Mon père a été arrêté le 14 mai 1941 et interné au camp de Pithiviers, puis transféré au camp de Drancy. Le 15 décembre 1941, il est fusillé avec les cinquante otages juifs, communistes et sympathisants, au Mont-Valérien. C’est peu après que je me suis retrouvée à Marcoussis, dans la banlieue sud de Paris, au couvent de la Ronce. J’ai oublié les circonstances qui m’ont conduite dans cette institution et le seul souvenir qui me reste, c’est d’être passée de mains en mains. A part ma mère, je n’ai plus jamais revu ma famille.

Nous étions au début de 1942. Après l’exécution de mon père, ma mère avait ressenti une très grande peur et cherchait à me protéger. Certes, il y avait eu une grande solidarité autour des familles frappées par la répression et ma mère a pu ainsi trouver une filière pour me mettre à l’abri. Nous étions fichées un peu partout, y compris à l’UGIF car ma mère avait certai-nement demandé un secours à cause de notre manque de ressources.

Dès mon entrée au couvent, j’ai fait du catéchisme à plein temps. Je n’ai pas le souvenir d’avoir étudié le calcul, la gram-maire, l’histoire ou la géographie. Les sœurs dominicaines ne cessaient de me mettre en garde contre le péché. Cela allait très loin puisqu’elles me disaient que mon père était en enfer et qu’il fallait beaucoup prier pour lui et tous « mes frères ». C’était très simple : mon père était en enfer parce qu’il n’avait pas été baptisé.

J’étais une petite fille docile, très naïve, et j’entendais parler de religion pour la première fois. Le bien et le mal, je savais déjà ce que c’était, mais je n’avais alors aucune idée de ce que pouvait être le péché. C’était également la première fois que je pénétrais dans une église. Cela m’a énormément mar-quée. Je suis restée dans ce couvent jusqu’en 1945.

C’était moins un pensionnat qu’une sorte de maison de re-pos ou de retraite pour femmes. Les enfants devaient donc aller à l’école à Marcoussis, mais ce ne fut pas mon cas car on me cachait.

Il y avait un tel climat religieux autour de moi que j’ai moi-même demandé le baptême. Ma première communion s’est faite dans le même état d’esprit. Je ne me suis jamais sentie obligée mais, en faisant une telle démarche, j’avais le senti-ment de sauver non seulement mon corps et mon âme mais en plus celles de mes parents et de tout le peuple juif. En clair, on me donnait l’occasion de me mettre en règle avec Dieu.

Après la guerre, je ne suis plus jamais retournée vivre vrai-ment avec ma mère puisque de maisons d’enfants en colo-nies de vacances ou en hôpitaux, j’ai fait dix-sept placements durant toute mon enfance et mon adolescence. Puis je suis devenue éducatrice. Dans les rares périodes où je retrouvais ma mère, elle ne m’a jamais reproché d’avoir été catholique car elle savait bien que ce n’était pas de ma faute. Je me souviens qu’elle me conseillait de chasser toutes ces idées de ma tête et elle n’a jamais cherché à me traumatiser avec ces souvenirs religieux. En revanche, elle essayait de justifier le fait qu’elle m’ait placée en milieu catholique, lorsque je lui reprochais de m’avoir confiée aux religieuses. Je sais qu’elle ne pouvait pas faire autrement et que l’essentiel était de me sauver la vie.

En 1946-47, je me suis retrouvée dans une maison d’en-fants de l’UJRE à Sainte-Maxime. Là, le directeur et sa femme, Maurice et Mira Honel, se sont préoccupés de mes pro-blèmes, lorsqu’ils ont constaté que mon travail scolaire n’était pas satisfaisant. Ils ont compris ce qui se passait en moi, et ils m’ont dit : « Ce sont des bêtises que l’on t’a mises dans la tête. Ce n’est pas grave. »

De mon séjour à Sainte-Maxime pour l’année scolaire 1946-47 suivie du merveilleux été 47 au bord de la grande bleue, je n’ai conservé que des souvenirs pleins de tendresse pour tous les adultes : le personnel de la villa depuis son direc-teur et sa directrice en passant par les moniteurs et monitrices ainsi que mon institutrice.

Les garçons et les filles de la villa étaient comme moi : des cabossés de la vie mais nous évitions d’en parler pour nous projeter sans le savoir peut-être vers l’avenir que notre encadre-

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ment voulait radieux. Je me souviens très bien des activités de toutes sortes que nous pratiquions : des jeux, des chants, des activités de danse et de gymnastique. Ce qui me revient le plus à ma mémoire, c’est la nostalgie du soleil, les merveilleux accents du midi qui chantaient à mes oreilles. Le bord de mer avec la baignade, le sable juste en face de la villa : que du bonheur ! Et je ne parle pas des parfums et odeurs. Dans ma tête, elles déclenchent à chaque fois la même sensation de chaleur envahissante et apaisante.

« De l’école, je garde un souvenir ému. Nous partagions les mêmes jeux,

les mêmes histoires de filles »

De l’école, je garde un souvenir tout aussi ému, pas seu-lement parce que j’avais eu mon certificat d’études sous la conduite de mon institutrice et avec les répétitions prodiguées par les adultes de la villa. J’ai eu un moment de vie d’ado-lescente avec les jeunes filles de Sainte-Maxime. Il n’y avait aucun problème entre nous. Nous partagions les mêmes jeux, les mêmes histoires de filles.

Je me souviens que nous restions à l’école le midi pour manger la soupe préparée par le personnel. Je crois en avoir encore le goût et l’odeur dans ma tête ! Chacune apportait un petit supplément. Alors là, nous avons vu que nous étions, par rapport à la majorité des filles maximoises, des privilégiées. Un comble pour nous, les orphelines des fusillés et déportés !

Qu’avions-nous en plus qu’elles n’avaient pas ? De la nour-riture ! Ou plutôt des victuailles que nous ramenions de la villa. C’était tout bonnement des conserves, en particulier de pois-sons. Un comble au bord de la Méditerranée ou un mystère ! Nous échangions ces délices contre quoi ? Pas de la nourri-ture, mais tout simplement une chanson à la mode ou un pas de danse que nos copines maximoises nous enseignaient !

Je ne pourrai pas terminer ce témoignage sans évoquer celle qui fut et est restée ma grande amie : Annette Zaidman. Nous avons lié une amitié qui n’a pas cessé depuis. Nous nous considérions comme deux sœurs et partagions nos joies

et nos peines. Je suis très heureuse de savoir qu’elle est avec nous dans cette action de mémoire.

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Dessin réalisé parEliane Caisman

en 2010

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Evelyne FECHTER

Evelyne est née le 17 avril 1934. Elle nous a hélas quittés en 2007. Elle a fréquenté l’école Siméon Fabre durant l’année

scolaire 1945-46. Sur le registre de l’école, nous pouvons lire comme appréciation finale « A été reçue au CEP, élève très intelligente, particulièrement douée en français, continue ses études à Paris. »

Evelyne rejoindra son papa puis s’inscrira dans une autre maison d’enfants pour se retrouver à Marseille dans une su-perbe villa en attendant de partir pour Israël en 1948. Elle tra-vaillera dans un kibboutz où elle rencontrera Isaac Haroche qu’elle épousera. De leur union est né un fils, Youval, qui vit en Israël, et une fille, Talil, qui vit à Marseille.

En 1997, se souvenant de cette période heureuse, elle a tenu à revenir à Sainte-Maxime pour retrouver « ce château où elle fut si heureuse pendant une année ». En effet, Evelyne sortait de la nuit de la peur. Son histoire est exemplaire, si l’on veut, de cette tragédie déclinée par millions hélas.

« Ce château où elle fut si heureusependant une année »

Ses parents, Juda et Tobe Fechter, sont originaires de Bes-sarabie. En 1942, Juda Fechter est arrêté et envoyé dans un camp, mais il s’évade et se réfugie dans un hôpital psychia-trique. Il ne retrouvera sa famille qu’à la fin de la guerre.

En juillet 1942, la police française arrête Tobe Fechter. Par miracle, le policier qui l’emmène ne prend pas ses deux filles, Evelyne, 8 ans, et sa soeur Dina, 1 an. Il accepte qu’elles se rendent à une autre adresse. Leur mère les envoie chez sa sœur Tzipa Zélik, tandis qu’elle est internée à Drancy, puis dé-portée à Auschwitz dont elle ne reviendra pas.

Tzipa Zélik vient de subir un grave traumatisme. En juillet 1942, elle est arrêtée chez elle avec ses trois filles par la police. Elles sont amenées au Vel d’Hiv puis à Pithiviers où leur dé-portation est prévue pour le 6 août 1942. Le père a été réqui-sitionné, soi-disant pour travailler dans une usine d’uniformes

allemands. Mais grâce à un mouvement de Résistance, il a pu se procurer un ausweis qui libérera sa famille et lui permettra d’obtenir de faux papiers. C’est à la suite de ces événements que Tzipa Zélik recueillera Evelyne et sa soeur Dina Fechter.

En septembre 1942, la petite Dina doit subir une opération. A l’Hôpital, Tzipa Zélik fait la connaissance de la famille Four-nier, dont le père, Abel, fait partie du réseau de résistance de la SNCF. Il fait le nécessaire pour mettre en lieu sûr ses sept protégés, soit la famille Zélik (le père, la mère et les trois filles), ainsi que les deux enfants Fechter. Il les emmène à 150 km de Paris, au village de Vigny, dans l’Yonne, et les loge dans une maison près de la sienne. Monsieur et Madame Fournier s’occupent de cette famille durant deux ans, de 1942 à la Li-bération en août 1944, leur apportant généreusement soutien moral et matériel.

Les habitants du village connaissaient l’identité et la situa-tion de ces réfugiés, mais personne n’a parlé, alors que des troupes allemandes étaient stationnées à 1,5 km et qu’un poste de commandement où des résistants étaient arrêtés et torturés était installé à 5 km.

Pour leur action courageuse, Abel Fournier et son épouse Suzanne ont été élevés au rang de Justes parmi les Nations en 2007.

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Var-Matin en 1997

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Germaine, Evelyne et Suzie

En 1997, Evelyne Fechter revient à Sainte-Maxime et redécouvre la Villa Massilia si douce à ses souvenirs. D’émouvantes retrouvailles furent organisées à l’école Siméon Fabre et à la Mairie. La presse s’en fit largement l’écho.

Dans ses courriers avec la mairie, Evelyne envoya le poème que nous reproduisons ci-dessous : il servira de conclusion.

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William GOLDSTEIn

Les souvenirs ici reportés sont un résumé du manuscrit de William rédigé en 2003, « Une vie cassée, orphelin à 10

ans », dédié à « Tous ceux qui comme Pépé et Mémé Frétigny ont sauvé des vies de petits juifs et qui ne seront jamais sur le livre des Justes ». William et ses sœurs leur doivent la vie. Il ne peut pas les oublier. A jamais, dans son cœur et dans son esprit lui est restée l’image de bonté de deux personnes qui s’aimaient et débordaient d’amour pour les autres. Ses sou-venirs sont sensibles, alors essayons d’y entrer avec pudeur.

William vient au monde le 9 juillet 1933 à Paris. Sa maman, Régine Santer, est née elle aussi à Paris en 1908. Son papa, Israël, qui se faisait appeler Michel, est né en Pologne à Var-sovie en 1911. Sa sœur, Sylvie, est née le 21 avril 1936 et la cadette, Aline, naît en 1942.

Lorsque la guerre éclate, il se retrouve avec sa sœur et sa maman dans un petit village d’Eure-et-Loir. Son père est resté à Paris. De temps à autre, il vient leur rendre visite. Mais un jour, en accompagnant à la gare son beau-frère qui était mo-bilisé, il est poussé par un gradé dans le compartiment alors qu’il n’était pas mobilisable !

Après la défaite de juin 1940, la famille retourne à Paris et William fait sa première rentrée des classes en CP. De l’école, il se souvient très bien des livres de lecture usagés et déchirés distribués. Il ne sait pas comment son père a pu le faire, tou-jours est-il qu’il reçut dans le bureau du directeur un ouvrage neuf des mains de son père. C’est depuis ce moment que le goût des livres et de la lecture lui sont venus. Ils ne l’ont plus quitté depuis.

A partir de juin 1942, avec l’obligation du port de l’étoile jaune, William connaît les premières vexations. Un homme qu’il avait l’habitude de voir le traite de « Youpin ! » Il ne se souvient plus de sa réplique mais le quidam en resta pétrifié.

Après les vexations, vint la terreur des rafles. Les parents décident alors de cacher les enfants. C’est une amie, Renée Coulon, qui leur propose de les remettre à ses parents, M. et Mme Frétigny. Ils habitent un petit village près de Dreux. Pour William ils sont à jamais « Pépé et Mémé Frétigny ». Il n’appren-

dra que beaucoup plus tard que leurs prénoms étaient Joseph et Marie. Cela ne s’invente pas : des sauveteurs d’enfants juifs aux noms prédestinés...

De temps à autre, les parents viennent leur rendre visite. Le papa recommande ses deux sœurs à William : « d’accord pour la petite, mais pas pour la grande, elle est trop turbu-lente » répond-il. En janvier 1944, les parents sont arrêtés, déportés. Ils ne reviendront pas.

« Ces traumatismes les ont renduagressifs, turbulents, révoltés »

Pépé, Mémé et Renée vont être formidables. Ils gardent les trois petits en se privant de tout pour faire bouillir la marmite. Mémé fait des miracles culinaires, Renée essaie de rapporter ce qu’elle peut. Pépé se lance dans l’extension du jardin aux dépens de l’enclos des chèvres et du bouc qui deviennent les uns après les autres de la viande !

A la Libération, les trois enfants sont recueillis, mais sépa-rément, par leur oncle et leurs grands-parents à Paris. William est mal dans sa peau : séparé de ses sœurs, sans nouvelle de ses parents, c’est un enfant difficile que les adultes ne comprennent pas. Les cloches de la victoire du 8 mai 1945 sont pour lui celles du glas, comme il l’écrit dans son manus-crit « puis le froid est revenu, pas mes parents. »

Vont commencer pour lui les séjours dans les maisons d’en-fants. Il est conduit au manoir de Denouval à Andrésy pour la rentrée des classes 45-46. C’est une maison de l’UJRE. Il se retrouve avec des enfants tout aussi traumatisés que lui par l’extermination d’un ou plusieurs membres de leur famille. Ces traumatismes les ont rendus agressifs, turbulents, révoltés. Il voudrait être seul : il souffre de la promiscuité avec les autres.

La villa Massilia fut, de toutes les maisons, la meilleure. La villa, la mer, la végétation. Pour lui, c’est le paradis après toutes ses années de cauchemar et d’enfant révolté, incompris. Il se retrouve à l’école Siméon Fabre dans la classe en-dessous du

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certificat d’études avec comme maîtresse, Mme Desmaret, l’épouse du directeur. Pour la première fois et depuis long-temps, il travaille bien avec de bons résultats. Il arrivait toujours à un demi-point du premier, sans toutefois pouvoir le battre.

A son arrivée en octobre 1946, les enfants allaient encore à l’école à pied : c’était assez loin et sur le chemin, ils ren-contraient des gens qui les insultaient : « Il y a encore des Juifs ! » Pour mettre un terme à cette bêtise ignoble et pour économiser les mollets des enfants, le poissonnier va mettre à disposition de la colonie sa camionnette. Il vient tous les jours le matin et les ramène le soir après la classe.

William se souvient que lorsqu’ils allaient encore à pied, ils passaient devant la vitrine d’une grande librairie. Il était béat d’admiration devant les pochettes de timbre-poste dans la vi-trine. Le directeur du foyer qui les accompagnait de temps en temps remarqua cet intérêt. Aussi, un jour, pour le récompen-ser de son bon travail, il lui offrit une de ces pochettes. Depuis, il en fait collection.

Un souvenir douloureux reste attaché à sa période maxi-moise : la mort de l’une des grandes filles emportée par la maladie. Elle avait à peu près son âge. Pour la sauver, il avait été décidé de la transporter en avion postal sur la capitale. Elle souffrait du cœur, aussi l’avion devait voler le plus bas possible. Accompagnée du docteur de la villa (le docteur Ver-dier), la tentative eut lieu, mais hélas le cœur de la petite ne ré-sista pas. William se souvient très bien d’avoir regardé en l’air comme tous ses camarades lorsque le directeur leur annonça ce départ comme s’ils pouvaient apercevoir l’appareil. Toutes et tous furent bouleversés en apprenant la triste nouvelle.

Au-delà de cet épisode tragique, William a d’autres raisons de bien se souvenir du docteur. « Il voulait faire Tarzan », écrit-il. un jour, il est ainsi monté sur une table où le goûter avait été servi pour sauter en direction d’une branche. Un camarade fit mine de le pousser. Le voilà dans les airs mais au lieu de rester accroché à la branche : boum par terre ! La branche était mouillée à cause de la pluie. La main a glissé. Il est tom-bé sur le poignet. Diagnostic du docteur : poignet brisé avec fractures des deux os de l’avant-bras ! La totale ! William est endormi par le docteur avec le masque à chloroforme pour lui

permettre de remettre les os en place. Mais William se réveille plus tôt et le docteur ne s’en rend pas compte et continue l’opération. William lui décoche un grand coup de pied dans le bas-ventre tout en tenant son poignet serré contre lui. Le docteur Verdier ne perd pas le Nord et lui décoche une grande gifle qui a pour effet de lui faire lâcher le poignet pour le porter à sa joue. Le docteur s’en empare et finit par poser le plâtre. Dans ces conditions, pas étonnant qu’il y eut un loupé né-cessitant une seconde intervention. Résolu à ne pas passer une nouvelle fois sur le billard, William qui était le plus âgé des garçons, donc un peu leur chef, leur demanda de le prévenir chaque fois que le docteur arrivait. Et il s’éclipsait illico dans la nature.

William garde aussi en mémoire la dame qui s’occupait du linge des enfants (Madame Collet) et la cuisinière (Madame Jauny) qui lui préparait un fortifiant à sa façon : des œufs bat-tus avec du sucre. Il adorait !

A cause de son poignet cassé, il ne finit pas son année scolaire, passa les vacances d’été au bord de la grande bleue puis gagna le foyer de Livry-Gargan où il demeura deux années avant de rejoindre plus tard son dernier foyer, celui de Montreuil. De toutes ces années noires, celle de Sainte-Maxime fut l’arc-en-ciel de sa vie. Le 23 septembre 1947, il regagne Andrésy pour une autre étape.

Passeport deWilliam Goldstein

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Annette ZAIDMAn

Ce récit est emprunté avec son autorisation à son ouvrage « Mémoire d’une enfance volée (1938-1948) » publié en

2003 aux éditions Ramsay.

Annette naît à Paris le 24 avril 1934. Son papa, Gdala, est né à Varsovie. Il est arrivé en France en 1929 laissant provisoi-rement son épouse Blima Wildenberg et leurs deux fils, Robert et Simon. Tous les trois le rejoignent en 1931.

Deux drames en peu de temps frappent la famille : le décès de Simon, victime d’une mauvaise chute, et celui de la maman en novembre 1938. Partie pour accoucher, ni elle, ni le bébé ne sont revenus. Annette souffrira de ces deuils inexpliqués.

Pourtant, son enfance est traversée par la joie procurée par la famille. Sa tante Rachel joue un rôle essentiel après la mort de sa maman. Elle est moderne et surtout ne se laisse pas impressionner. Un jour, à la grande admiration d’Annette, elle tient tête à une commerçante antisémite en lui rappelant que Jésus était Juif !

En ce temps-là, le petit monde de l’immigration juive de l’Eu-rope centrale, le plus souvent polonaise, emploie le yiddish. Pour les enfants c’est la langue des grandes personnes mais pas seulement, c’est une langue imagée, ronde chaleureuse. Elle traduit mieux l’amour que le français qu’ils ignorent ou par-lent mal, ou le polonais qu’ils emploient lorsqu’ils ne veulent pas être compris des enfants. Elle se souvient avec délices de son prénom yiddish Chanè devenue Chanèlè ou d’Annette en français transformé en Annètelè ou Annètkèlè.

Octobre 1939, la rentrée à l’école primaire est loin d’être une fête ! La guerre a éclaté depuis un mois. La Pologne envahie par l’Allemagne et l’URSS capitule en un mois : plus aucune nouvelle de la famille restée là-bas !

Annette écrit « la guerre fut pour moi le temps de la terreur, des rafles, des arrestations, de la traque des Juifs. » Au plus loin dont elle se souvient, c’est aussi celui du temps maus-sade avec la pluie, le gel, la neige, les jours sombres sans soleil sauf lorsqu’elle se revoit à la campagne cueillant des champignons dans les près ou dans les bois.

En 1940, les conséquences de la politique antisémite mise en place par l’Etat Français rejaillissent dans la cour d’école. Des « camarades » l’encerclent un jour pour lui chantonner dans une ronde aussi haineuse que stupide « Ho la sale Juive ! C’est une sale Youpine ! » Et dire que ces mêmes camarades, un an auparavant l’avaient initiée au tango en fredonnant « Le plus beau de tous les tangos du monde ! » Comme elle l’écrit « la mode n’était plus au tango mais à l’antisémitisme. »

Durant cette année scolaire, Robert vient parfois la chercher à la sortie de l’école. Il glisse dans son cartable deux paquets enveloppés dans du papier journal pour prendre le métro afin de les remettre à un autre. Un jour, sous un porche, les pa-quets tombent à terre et se défont : plein de carrés de papiers, « des papillons ». Robert demande à sa sœur de garder le secret. A plusieurs reprises, elle se rend avec lui pour remettre tracts et papillons en ignorant tout. Son frère avait dû rejoindre ces jeunes Juifs organisés dans des groupes de Résistance pour la propagande anti-allemande et anti-vichyste.

Juin 1942 : Annette et sa cousine Suzanne sont envoyées dans la Sarthe pour fuir la capitale où les rafles se multiplient. Quel acceuil ! La directrice de l’école les dispute : « à cause de vous, j’ai dû faire 27 km à vélo pour aller chercher vos étoiles au Mans ! » La décision du port de l’étoile venait d’être prise. Les deux jeunes filles sont vite mises à l’index par les autres élèves. L’étoile sur leurs uniformes bleus ne suscite au-cune compassion. Elles reviennent donc vite à Paris.

Le 16 juillet 1942 éclate la rafle du Vel d’Hiv organisée pour l’occupant par la police française. La tante Rachel et les deux enfants sont brutalement réveillées par les coups dans la porte : « Police, ouvrez ! » Il est 6 heures du matin. Le po-licier en civil annonce en repartant aussitôt : « vous avez un quart d’heure pour faire vos bagages ! » Toutes les trois en chemise de nuit dévalent les escaliers et fuient se cacher. Tout le monde est terrorisé. La police a embarqué sans distinction les étrangers, les naturalisés, les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants, les valides, les invalides !

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Joies et douleurs du retour a la vie‘

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Comme l’écrit Annette « l’intensité dramatique de ces jour-nées ne s’est pas relâchée... Petits et grands, nous avons vécu la peur au ventre, et la gravité ne m’a plus quittée. »

Avec son père et Robert, ils changent à plusieurs reprises de caches. Pendant ce temps-là, Annette et son frère trans-portent aux quatre coins de Paris des tracts cachés dans leur cartable. Ils escamotent leurs étoiles épinglées. C’est interdit mais quel sentiment de liberté même si l’angoisse est proche.

1943 : la décision est prise de cacher Annette en dehors de Paris. Robert prend les opérations en main et la confie à une dame qui lui demande de l’appeler « Maman Alice ». Le matin, quelle ne fut pas sa terreur en voyant le maître des lieux revêtir son uniforme de policier. Preuve qu’il n’y avait pas que des chasseurs de Juifs et de Résistants dans la police française.

« Un lieu de reconstruction pourles enfants juifs brisés par la guerre

et la perte de leurs familles massacrées »

Alice Mainvielle, pour qui Annette devient Chipette, vit avec Albert Barbret. Ils ne sont pas mariés, la soixantaine. Pour Annette, ils ont abandonné des logements plus confortables mais moins sûrs. Ce sont des sympathisants communistes. Annette n’est pas inscrite à l’école. Sa vie se partage entre le jardin, les cueillettes et les tâches accomplies avec plaisir pour ces deux protecteurs. Albert l’initie au jardinage et elle n’est pas peu fière de donner les haricots verts qu’elle avait plantés à son papa venu la voir le 24 avril 1943 pour ses 9 ans.

Ce sera une de ses dernières visites : en février 44, Annette lit par-dessus l’épaule de « maman Alice » l’effroyable nou-velle : l’arrestation de son frère et de son père. Ce jour-là, « je n’étais plus une petite fille allant sur ses dix ans ! C’est mille ans que désormais j’allais porter sur les épaules. »

A la Libération, Annette regagne Paris. Elle commence à se replier sur elle-même. L’espoir de revoir vivant Robert et son père ne va pas au-delà de la fin 44. La victoire du 8 mai 45 est suivie par des vacances en Corrèze pleines de joie, suivies brutalement par l’entrée sans aucune explication au manoir de

Denouval à Andrésy au bord de la Seine. C’était une des Mai-sons d’enfants de fusillés et de déportés de l’UJRE.

Elle s’y retrouve sans aucune préparation, avec 120 à 150 enfants de 6 à 14 ans, répartis en 4 groupes d’âge. Pour An-nette, c’est « un lieu de reconstruction pour les enfants juifs brisés par la guerre et surtout par la perte de leurs familles massacrées, auxquelles ils devaient survivre. »

Annette découvre la mixité : c’est révolutionnaire puisqu’elle ne sera obligatoire qu’en 1962 dans l’enseignement. La mai-son ne vit pas en vase clos : les enfants vont à l’école de la commune. Les deux kilomètres sont faits à pied et en chan-tant en rang par deux.

En plus de l’école, les enfants reçoivent une éducation où il est question de la culture juive, des héros de la Résistance juive comme ceux de l’Affiche rouge, des commémorations, des chants en français, en hébreu, en yiddish, du sport. Bref Annette va « au devant de la vie. » Elle commence à se libérer des tensions des années passées.

Mais devant son mauvais état de santé, il est décidé de l’en-voyer à la villa Massilia à Sainte-Maxime où étaient rassemblés les enfants plus fragiles. Elle effectue le voyage en compagnie de Maxime Farber, un petit garçon plâtré de partout ! Il était tombé à travers la verrière en jouant les casse-cou avec pour résultat plusieurs membres fracassés !

Le séjour à Sainte-Maxime dure d’octobre 1946 à sep-tembre 1947. Il est paradisiaque avec une atmosphère plus intime et plus familiale qu’à Andrésy. Cela tient autant au petit nombre d’enfants, à peine une quarantaine, qu’à la grande tendresse dont Maurice et Myra Honel et leur petite équipe font preuve.

Elle découvre des arbres, des fleurs, des senteurs inconnus et par dessus tout les fruits : les raisins, les pêches mais aussi les agrumes. La cueillette est interdite mais... pratiquée malgré tout ! Le bonheur est à son comble avec la cabane en bam-bou construite au milieu des palmiers et des plantes grasses. C’est un enchantement !

La camionnette du poissonnier, à partir de la rentrée 1946, véhicule les enfants vers l’école Siméon Fabre. Elle sera trans-

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formée en char pour la Fête du mimosa en février 1947 avec comme nom « Renouveau ». Elle est surmontée ironiquement par une gigantesque arête de poisson symbolisant les restric-tions qui sévissaient encore. Les enfants avaient ramassé et effeuillé les fleurs et les branchages et se blottissaient sous l’arête.

Annette partage sa chambre avec quatre autres fillettes dans l’annexe, une maison de deux étages surmontée de glycines, un peu à l’écart derrière le potager. Le docteur Verdier avait diagnostiqué chez elle du rachitisme. Annette a droit à un ré-gime suralimenté : 4 repas quotidiens plus un œuf cru à gober et un bifteck le matin ! Moins drôles, les cuillères d’huile de foie de morue. Quelles courses autour de la table pour l’infirmière pour la faire ingurgiter ! Plus douces, les tartines grillées de la cuisinière sont plus vite englouties au petit-déjeuner.

Annette fait partie des plus grandes. Sa meilleure amie est Fernande. Hélas elle était très malade du cœur. Le voyage en avion, rarissime pour l’époque, fut décidé pour la ramener à Paris. Son cœur n’a pas supporté le vol : elle avait 15 ans. An-nette ne peut pas l’admettre : avoir pu survivre à ses parents et être terrassée par un cœur inadapté au climat trop chaud de l’été 47. Chaque matin, Maurice Honel cueillait une rose dans le jardin pour Fernande. Il la lui apportait dans sa chambre.

Annette garde du couple Honel, tous les deux revenus de déportation, le souvenir de personnes qui ont cherché à don-ner aux enfants, avant des idéaux, de la nourriture affective qu’ils firent passer avant leur idéal communiste. Ils n’ont pas fait de prosélytisme. Elle conserve de ce bref séjour le sen-timent d’y avoir été une vraie petite fille espiègle considérée comme telle et non comme une orpheline.

Alors reviennent à la mémoire, le Tour de France 1947 et les coureurs sous la villa (Robic, Vietto, Lazaridès et les autres), un théâtre à Nice où elle chante, Suzanne sa protégée, les séances de pose avec une femme peintre pour son portrait, les premières brasses dans la mer, la plage de la Nartelle avec son char d’assaut ensablé, la vue du haut du sémaphore, le collier de coquillages pour Mira Honel, l’énorme jeu de piste plein de rebondissements tout au long de l’été, organisé par Lazare et Simone Warchawski, accompagnés par leur nou-

veau-né, avec la complicité de la lingère Madame Collet et du docteur Verdier. Ce dernier jeu permet de surmonter le chagrin causé par le départ de Maurice et Mira.

Fin septembre 1947 : patatras. Départ sans explication pour retourner chez l’oncle qui est le tuteur. Jusqu’en décembre 1948, elle y reste, retourne à l’école à Paris où elle décroche le certificat d’études. Les études vont se finir là.

Annette va devoir poursuivre sa route seule mais sans ou-blier ce que les deux années passées dans les maisons d’en-fants de fusillés et de déportés lui avaient donné : le sentiment d’appartenance à un groupe. Celui des enfants de déportés.

Aussi, c’est tout naturellement qu’en 1978, elle rejoint « la bande à Klarsfeld » pour fonder l’Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France dont elle est devenue la Secré-taire.

Eliane Caisman,

Annette Zaidman et Fernande Waisbrout

Villa Massilia 1947

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Fête du Mimosa

Sainte-Maxime 1947

Le char «Renouveau des enfants de la Villa Massilia et des ex prisonniers de guerre

Laura, Bernard, Willy, Annette, Maxime, Suzanne, Fernande,

Charlotte, Eliane...»

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Serge FRyDMAn

La famille de Serge a quitté la Pologne en 1934. Lui est né à Paris, le 20 décembre 1937. À la déclaration de la guerre,

son père souhaite s’engager dans l’armée française mais il est refusé car il est soutien de famille. Il a quatre enfants. Il poursuit donc son métier de fourreur. Les lois anti-juives de Vichy le contraignent à obtenir un permis de travailler pour poursuivre son métier afin de nourrir la famille qui, outre son épouse et les quatre enfants (deux garçons et deux filles) compte également le grand-père.

En mars 1943, son père refuse de fabriquer des vêtements chauds pour les soldats allemands du front de l’Est. Le lende-main, des policiers français viennent l’arrêter : ils sont quatre. Ils exigent 4 000 francs pour le laisser libre. La maman de Serge n’a que 3 000 francs. Le père est transféré à Drancy puis déporté à Maidanek où il est assassiné.

Serge, âgé de 5 ans, est placé avec ses frères et sœurs dans une maison d’enfants de l’UGIF à Paris. Toutes les nuits, des rafles ont lieu pour compléter les convois. Le directeur décide de faire sortir clandestinement un certain nombre d’en-fants en les envoyant chez des nourrices. Serge, son frère et ses deux sœurs sont placés et cachés à Noisy le Grand. Ils vont y rester jusqu’au début de l’année 1944 avant de rejoindre leur maison et de retrouver leur mère et leur grand-père.

Le 30 mars 1944, la maison est encerclée par des soldats allemands et un individu de la Gestapo. Après trois heures de discussion avec la maman, après avoir vidé la maison de tout, ils repartent en laissant sauve toute la famille.

Comme l’écrit Serge, « à la Libération, les rescapés de la famille Frydman sont les seuls survivants de la communauté juive de Sartrouville. Je suis dans un état de rachitisme ex-trême et très perturbé par la violence des événements su-bis. J’ai été pris en charge par l’UJRE et envoyé à Sainte-Maxime, à la villa Massilia où j’ai pu me refaire une santé. Je me souviens de la gentillesse des personnes de l’UJRE et de Sainte-Maxime qui s’occupaient de nous. En revanche, je n’ai pas de souvenirs très précis, sauf de la plage où nous allions ramasser des berniques que nous mangions sur

place et du char du mimosa, que j’ai reconnu en 2010 sur les photos. Cela m’a permis de savoir que j’avais effectué l’année 1947-47 ici, au bord de la Méditerranée, que je n’ai jamais oubliée ».

Serge en 1946

avec son grand frère

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Nous avons pu mener à bien cette chronique grâce à la chaîne d’amitié assemblée tout au long de ces mois de

recherches. Cette chronique reste ouverte à tous les complé-ments d’information : témoignages, archives, documents...

Nous sommes heureux d’avoir pu remette en mémoire un épisode de l’Histoire de Sainte-Maxime. Malgré la brièveté dans le temps, tout au plus 30 mois, les souvenirs restent vivaces pour un grand nombre d’anciens Maximois et d’anciens pensionnaires de la villa Massilia. Il ne s’agit pas seulement de souvenirs de jeunesse mais de Mémoire, d’Histoire.

Les pensionnaires de la villa, fortement marqués par l’his-toire des années terribles, n’ont pas les mêmes souvenirs que leurs camarades maximois de cette époque. Ils sont marqués à jamais par ces blessures. De leur côté, les Maximois ont été conscients d’avoir vécu des moments qui sortaient de l’ordi-naire.

Ce travail doit servir à toutes les générations : celles encore présentes de l’époque bien sûr ; celles des enfants nés après la guerre ; celles des petits-enfants et celles à venir.

Cette remise en mémoire n’est pas seulement un devoir. Elle est davantage : c’est un travail pour les jeunes générations du 21e siècle. Elles peuvent y chercher des réponses pour trouver des solutions à certaines situations ou problèmes d’aujourd’hui

pour ne pas reproduire les erreurs du passé qui ont conduit à ces crimes.

Malgré les conditions difficiles de l’après-guerre, ces 30 mois permirent à des enfants orphelins de retrouver

au bord de la Méditerranée une meilleure santé physique et morale grâce au dévouement du personnel de direction et d’encadrement mais aussi du personnel local. Des familles maximoises éprouvées par la guerre ont su également venir en aide à ces enfants. La solidarité et la fraternité ne furent pas de vaines valeurs.

Conclusion

Sainte-Maxime, novembre 2009 - janvier 2011

« La solidarité et la fraterniténe furent pas de vaines valeurs »

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Recueil des documents et des textes : Comité MassiliaCrédits photos : Daniel LIBERON

Conception et réalisation : Mars 2011 - Direction de la Communication, Mairie de Sainte-Maxime

Impression sur papier 100% recyclé : Groupe Forum

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