Memoires concernant les chinoise 5

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Livro 5 do jesuíta Joseph Marie Amiot, missionário na China do século XVIII.

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Mémoires concernantl'histoire, les sciences,

les arts, les moeurs, lesusages, ,c. des Chinois/ par les missionnaires

[...]

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Amiot, Joseph (1718-1793). Mémoires concernant l'histoire, les sciences, les arts, les moeurs, les usages, ,c. des Chinois / par les missionnaires de Pe-kin. 1780.

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MÉMOIRESCONCERNANT

L'HISTOIRE, LES SCIENCES^LES ARTS,LES MŒURS LES USAGES &c.

DES CHINOIS,PAR LES MISSIONNAIRES DE PE-KIN.

A PARIS,Chez Nyon l'aîné, Libraire rue du Jardinet, vis-à-vis la rue

Mignon près de l'Imprimeur du Parlement.

TOME CINQUIEME.

M. DCC. LXXX.Avec Approbation^ et Privilège du Rot,

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AVERTISSEMENT.\j

E cinquieme Volume des Mémoires furles Chinois, contient, i °. une Idée généralede la Chine }. & de fes premières relations avecl'Europe. On a penfé qu\me expolîtion abré-gée de l'Hifloire de la Chine, de fes révolu-tions, de fa Religion de fes Loix de fes.

mœurs de fes ufages &c. feroit utile &agréable au grand nombre des Le&eurs quipar-là feront plus en état de faire la cornpa-raifon des objets ainfi rapprochés, & de juger-l'Europe par la Chine & la Chine par l'Eu-

rope. Ce morceau n'a point été envoyé dePékin c'eft l'ouvrage de M.

Il contient, i°. la fuite des Vies ou Por-traits des célebres Chinois Minières Guer-riers, Empereurs Impératrices Poëtes, &c*:

Pour compléter le Volume, on y a joint-quelques notices fur différens objets commela maniere de faire le Vin de Chine l'Eau-de-vie, le Vinaigre 5 &c.

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AVERTISSEMENT.Dans le fixieme Volume qui fuivra de

près celui-ci, on trouvera un Traité completde la Mufique chinoife revu, expliqué &enrichi de notes par M. l'Abbé Roussier.

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Tome V. A

notions de 1sChine.

IDEE GENERALE DE LA CHINE (i);9Et 4e Jès premières relations avec l'Europe.

TJLj'accueil favorable que le public a fait à ces Mémoiresfur les Chinois a encouragé à en donner la fuite. Mais commeun grand nombre de Lecteurs n'ayant de connoiffance de laChine que celle qu'on acquiert fuperficiellement par fetudede la Géographie font arrêtés fouvent dans ces Mémoiresqui fuppofent qu'on a une idée des différentes epoques de l'Hif-toire de la Chine, de fes révolutions de fa religion, de fes loixde fes moeurs &c. on a cru qu'il feroit utile de préfenterici une légere efquiffe de ces objets. Nous commencerons parun court expofé du commerce & des relations de l'EuropeJfeecla Chine (i).

PREMIERE P A R T IE.Extraits des Voyages faits à la Cftine.

AVANT les dernieres Croifades on n'avoit en Europe quedes idées confufes de la Tartarie & de la Chine. On favoit J;

en général que les Géographes & les Hiftoriens de l'antiquitéavoient parlé des Tartares & des Mongols qui habitoient devafles régions à FEft de la mer Cafpienne qu'ils avoient faitmention d'un pays confidérable à l'Orient & qu'ils nom-moient Seres les habitans de la partie feptentrionale de cettecontrée de l'Afie & Sinœ les peuples qui en habitoient lapartie méridionale (i).

venu des Arabes qui appelloientce vafte Empire S in du nom qu'ilporta fous la famille ou dynaftiedes T/ïn fondée par Che-koang-iiz 5 j ans avant J. C. Il feroit diffi-

A

(i) Ce iiibleau général de laChine n'eil point l'ouvrage desMillionnaires mais de M.

( ) Le nom de Chine félontoutes les apparences nous eft

rr< rr

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Vers 'la fin du douzieme fîecle lesTartares & les Mongols

accrurent leurs vailes etats & y réunirent la Chine qui por-toit le nom d'Empire du ICaiay. Genghi^-khan Empereurdes Tartares-Mongols occidentaux avoit été appelle parl'Empereur de la Chine pour l'aider à fe défendre contre l'es

Tartares orientaux qui la menaçoicnt d'une invafion généraleGenghi^-khan finit par s'en, rendre maître lui-même il etenditfes conquêtes dans un efpace-de plus de 800 lieues de l'Eftà î'Oueft & de plus de 1000 du Nord au Midi. Les Hiito-tiens Arabes contemporains célébrèrent fes victoires êcles Princes croifés en donnèrent connoiffance en Europe.

En %j\6 le Pape Innocent IV crut qu'en envoyant desMillionnaires fous le titre d'Ambaffadeurs aux conquérans Tar-tares, on pourroit leur faire embraffer la Religion chrétienne.Le premier fur qui le Pape jetta les yeux pour cette miffion iiîP

portante, fut Jean Carpin, Polonois de l'ordre de S. François.Il reçut les inflrucTrions du Saint Pere prit avec Benoît fon

compagnon la route de la Ruffie au mois de Janvier 1 246.Bientôt ils entrerent fur les terres des Tartares dont ils furentmal reçus. Néanmoins ayant préfenté les lettres du Pape pourl'Empereur des Tartares ils furent envoyés & conduits partrois guides à la Cour de Battu-khan qui occupoit les rivesdu Volga. Ce Prince leur donna audience & après avoirpris iefture des lettres du Pape pour l'Empereur il les fitpartir pour la Cour fous la conduite de deux Tartares. Ils

arriverent le 22 Juillet fur les terres des Mongols, & eurentaudience de l'Empereur Kayu-kkan qui reçut la lettre duPape & leur donna fa réponfe. Ils partirent au mois de Dé-cembre avec les pafTe-ports de l'Empereur pour revenir enEurope fort mécontens de la manière dont ils avoient été

cile ou même impoiTible de prou- poque que je marque, Note de M.,

ver qu'elle eût ce nom avant l'e- Deshautirayes,

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dcS.L'ju'u.

reçus ils ne feroient peut-être pas revenus de ce voyage fans

un orfevre Ruffe nommé Cofinas qui leur donna quelques

-foulage1mens on peut voir le détail de ce voyage dans le

recueil des voyages faits en Afie dans le 12 3 4 & 1e

fecles imprimé à Amsterdam en I'~3 i°

Carpin à fon retour raconta qu'à l'Orient de la Tartarieetoit le royaume de Cathay, reconnu par tous les favans & les

voyageurs pour être la Chine feptentrionale qu'il etoit bornéà l'Etl par l'Océan & que c'etoit à la faveur des glaces dont

cette contrée etoit alors couverte que les Tartares avoientfait leur irruption dans le Cathay.

Ca~pirz ajouta que ce royaume brilloit de toutes parts de laplus grande opulence que les ouvrages de l'art y etoientportés au degré de perfection le plus exquis & que les terresfertiles y produifoient une grande quantité de riz avec lequel

en faifoit du vin (i).Sept ans après en a z 3 Saint Louis étant en Païenne

& trompé vraifemblablement par une fauue ambaÍfade qu'on Ù

prétendit qu'un Prince Tartare lui avoit envoyée avec de let-tres ecrites en Perfan crut auffi que le grand f~Izan des Tar-

tares allait embraffer la religion chrétienne & qu'avec desfecours apofloliques qu'on lui enverroit fes fujets fuivroieutbientôt fon exemple. Le Roi nomma trois Ambauadeurs de For-dre des Dominicains auxquels il joignit deux de fes Officiers,& deux Secrétaires pour les accompagner à la Cour de l'Em-

pereur. Ils partirent le 28 Janvier avec les prétendus Minièresdu Prince Tartare mais portant plus loin fon zele S. Louis

( 1) Catlzayos ad Orientis extrenaieonterminos adipfrnz pertinbere Ocea-nrrnz ËOK//2. Circa ho/ce fines jla-cie coyric'ias aqras frbirzde vianaprmbere gr~d Tartari crtm totcî MrM;/7.irzundatione irrzvrrpar.t preriofs

oyibus pollere eofilem C~theos & ex-~ui~t~ artis ny era cor~~cere ahundarzcoyiâ Ory~~ ex M ~:2rare virzur,°.Andrex Mulicrii duquiûtio Geo-graphica & hiiioi°ica de Cachwÿe.

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envoya le 7 Mai de la même année Guillaume de RubruquisCapucin François de nation accompagné d'un religieuxminorité en qualité de Son Ambaffadeur auprès de Mangu-kan, grand Khan des Tartares. Le voyage de Rubruquisplus curieux & plus intéreffant à tous égards que le précé-dent, ne fut cependant pas plus heureux. Il fat obligé de re-venir après avoir foutenu des difputes très-vives contre lesPrêtres mahométans les Idolâtres & les Nefloriens. D'ailleurs

ces Envoyés fe conduifirent fi mal qu'ils s'attirerent cetteréponfe du grand Khan « Les Mongols croient qu'il n'y

« a qu'un Dieu & lui adreifent des vœux finceres Dieu

« a donné l'Ecriture aux Chrétiens mais ils ne la pratiquent

» pas on n'y trouve pasfj|a'il foit permis de fe décrier les

» uns les autres ni que pour de l'argent on doive abandonnerles voies de la juftice ».

Rubruquis ne dit point qu'il eût pénétré à la Chine il ra-conta, commeCarpinl'avoit fait, des chofes merveilleuses qu'ilavoit apprifes en Tartarie, du royaume & des habitans deCathay de leurs richeffes de leurs arts de leurs manufac-

tures & de leurs fciences. Les Savans de ce royaume dit-ilécrivent avec un pinceau (1) & de façon que dans une même-figure ils paroiffent tracer plufieurs lignes. C'eft exprimerclairement la maniere dont les Chinois écrivent encore au-jour.d'hui.

Le mauvais fuccès de ces ambaflades religieufes firentrevenir les fouverains Pontifes & les Princes chrétiens de l'opi-nion qu'ils s'etoient formée de pareilles entreprifes. Des vuesmoins relevées & le fimple motif du commerce animèrentd'autres voyageurs.

Le premier qui fe préfente eft le célèbre Marc Paole

(1) Cathay os penicillo fcribere, & duceri limas videanair, Muller ubsita ~nidem ut in und frgurcî plures fupra.

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Idée générale de la CJzine:

ro 1 J"8 t'"Vénitien. Quoique fon voyage foit femé de fables ridicules &de faits incroyables la critique a trouvé moyen de féparer cequi appartient véritablement à l'Hifioire & à la Géographied'avec les récits qu'il a placés dans fon voyage avec trop decrédulité. Les Hiitoriens s'accordent à regarder Marc Paolecomme le pere des découvertes modernes comme celui qui

a ouvert le chemin à toutes celles qui ont fuivi.L'an 12.60, fous le regne de Baudouin I I Empereur de

Comtantinople ( le dernier des Empereurs François qui occupale trône d'Orient ) deux freres nobles Vénitiens de l'illufirefamille des P~zole-, Nicolas & Matthieu, preifés du defir deteconnoître mieux qu'on ne favoit fait jufqu'alors les régionsorientaleschargerent un navire de marchandifes & s'embar-

querent à Venife pour Conflantinople d'où faifant voile pourle Pont-Euxin ayec quelques compagnons fideles qui les avoieotfuivis ils aborderentà Soldadia, d'où ils fe rendirent à la Courd'un Prince nommé Barka (i)., qui reçut leurs préfens & lestraita' bien. Mais la guerre s'étant allumée entre ce Prince &un autre Roi des Tartares Nicolas & Matthieu Paole furentobligés de fonger à leur retour ils firent de longs circuits poureviter les partis & les brigands qui infeiloient la campagne& après dix-fept. jours de marche dans le défert ils arri-verent à une grande ville de Perfe nommée Bochara où ilsféjournerent pendant trois ans. Dans ce tems-là un Ambaffa-deur, d'Allau, Empereur de Tartarie paffa à Bochara pour

(1) Barka c'eft apparemmentBarkalz-khan qui, vers l'an i26¢.,voulut entrer en Perfe par les dé-troits du mont Caucafe mais quien ayant été empêché,par.Schaznarz,frere d'Abaka qui le mit en dé-route Fan i xG revint à la char-ge avec une armée de trois cens

mille chevaux força les paifa~esetroits qui font entre la mer Caf-pienne & le mont Caucafe maisil mourut près de Teflis fur le pointde livrer bataille à Abaka khanqui etoit allé au-devant de lui avectoutes les forces de fon Empire.( Note de M. DeJÏzauterayes.

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fe rendre auprès du grand Khan il fit connoiffance avec les

Vénitiens qui partaient déjà affez bien la langue Tartare il

fut étonné de leurs connoiffances & charmé de leur poli-tefle il leur propofa de l'accompagner perfuadé que s'il

pouvoit préfenter ces etrangers au grand Khan il en tireroitbeaucoup d'avantages pour le fuccès de fa commifiion. Les

Vénitiens accepterent les offres de l'Ambaffadeur & après

une marche très-fatigante de plusieurs mois par le froid le

plus rigoureux ils arriverent enfin à la Cour du grand Khandans le Cathay.

Les quatre fils de Genghi^-khan s'croient fuccédés dans cevafte Empire le dernier de ces fils régnoit alors en Tartariefous le nom de Knblaï ou Koblai-khan & à la Chine fous

le nom de Chi-tfou. Genghi^-khaiiavoit donné à fa famille le

nom d'Fre/z elle etoit la vingtieme Dynafiie de la Chi-

ne (i).Kuhlaî-kan avoit fu faire aimer fon gouvernement aux Chi-

nois, & gagner leur affeftion par fa douceur fon equité, fon

amour pour les lettres & pour les gens de bien encore au-jourd'hui lorfqu'on parle à la Chine de la manière dont cettefamille gouverna l'Empire on l'appelle le j "âge gouvernement.Ce Prince reçut avec bonté les Vénitiens il leur fit uneinfinité de queftions fur le gouvernement ,h juflice la guerre,la paix les traités entre les Princes &c. il voulut connoîtreles mœurs & la religion des Latins fur-tout la religion chré-tienne, & comment le fouverain Pontife la gouvernoit leurs

(i) Dynaflie eft ce que nous ap-pellons Race dans la fuite chrono-gique de nos Rois d'une même fa-mille mais Dynaflie eu. plus éner-gique que Race qui peut s'appli-quer egalement à la généalogiedes particuliers ï-jvacT/fi en grec

veut dire Puijfant. Il paroît queles Egyptiens ont les premiers em-ployé le mot puiflanu pour figni-fier une iiicceffion de Princes d'unmême fang Apud Mgypûos fextadécima erat quam DynalUam vocanc,Greg. Turonenfis. Cap. ly.llb.

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réponfes précifes & mefurées firent beaucoup de plaifir ù l'Em-

pereur qui les entendoit toujours volontiers (i)«L'Empereur propcfa aux Vénitiens de les renvoyer dans

leur pays' avec un Seigneur de fa Cour qui feroit chargé dedemander au Pape un nombre de Sages de fa religion pourl'inftruire lui-même & fes peuples qui ne connoiflbient i ditMarc Paole pour Dieux que des démons.

Nicolas & Matthieu promirent à l'Empereurde revenir avecfon Ambaffadeur & les Sages qu'il demandoit ils partirentmunis du paffe-port du grand Khan: c'etoit une tablette d'or,avec fon fceau à la vue duquel ils dévoient être reçus &défrayés dans toute l'étendue de fon Empire. L'Envoyé del'Empereur le Seigneur Gogakat mourut dans la route &après trois ans de fatigues au travers de la Tartane les voya-geurs arriverent à Jazza ville d'Arménie d'où ils le rendirentà Venife au mois d'Avril 1 272.

Deux ans après fe reffouvenantdes engagemens qu'ils avoientpris avec le grand Khan & craignant de mériter le reproched'en avoir mal ufé avec un Prince généreux- dont ils avoient

reçu tant de preuves de confiance & d'amitié les deux freresentreprirent un fecond voyage avec leur fils & neveu MarcPaole. Munis des lettres du Pape Grégoire X. ils partirentavec deux Freres prêcheurs Nicolas & Guillaume dont iln'efl: plus queftion dans la fuite de ces voyages. Arrivés àGlemen-fu, ils députèrent deux couriers à l'Empereur, qui,charmé de leur fidélité, fit partir une efcorte des perfonnes qua-lifiées de fa Cour qui les joignirent à une diftance de quarantejournées. Ce Prince les reçut d'une façon fi honorable & il dif-tinguée, que les Courtisans en conçurent de la jaloufîe.

Le jeune Marc Paole fit en _peu de tems beaucoup de pro-

(1) Ut libenter illis aufçùltaret ô-fxpl ad fi in'.ndud jubs.ru. Marc Pao!»Veneti. Cap. F.

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leur

grès dans la connoiuance des mœurs & des ufages des Tar.tares auxquels il fe rendit agréable parce que non-feulementil apprit à parler leurs quatre idiomes différens mais encoreà les écrire avec facilité il acquit tant de faveurs auprès del'Empereur que ce Prince crut pouvoir l'employer à desaffaires fecretes dans des pays qui etoient très-eloignés de faCapitale (i).

Marc Paole connoulbit le goût de l'Empereur pour les nou-veautés utiles il s'appliqua dans fes voyages à faire des ob-fervations fur les moeurs & les ufages des peuples, & fur toutesles productions naturelles des pays qu'il eut à parcourir. Lesrelations fideles de tout ce qu'il avoit obfervé & la fageifede fes confeils fur Futilité que le grand Khan pouvoit en reti-rer, mériterent à Marc Paole la confiance de l'Empereur

au point que pendant dix-fept ans il s'en fervit pour la con-duite des affaires délicates & des négociations importantes.

Après un auffi long féjour les Vénitiens defirerent de revoirleur Patrie & demandèrent leur congé à l'Empereur qui nepouvoit fe déterminer à le leur accorder il fe préfenta uneoccafion. Un Roi des Indes nommé Argon avoit envoyédemander en mariage à l'Empereur de la Chine une Princeffede fon fang, Kublai-kân la lui accorda alors les Vénitienslui firent propofer d'accompagner la Princeffe jufques dansl'Inde, d'où ils pourroient retourner dans leur Patrie. ~a~blai-kan vaincu dit Marc Paole par les infiances de fa proprefamille confentit enfin à les laiuer partir.

On arma par ordre de l'Empereur quatorze navires chargésde toutes les provifions néceffaires pour un fi grand voyage.Chaque navire avoit quatre mâts & autantdevoiles. L'Empereur

( i Qui xt lzonzinisprurlantiatnV

ma~is confpicuanz redderet, ne~otitanilli ~enzrn ft üa lvrzgitzquâ expadierz-

dutn zer,;ione ad quam f x nzerzfumfpatio vix pervenire poterat, MarcPaole. Cap. YIII.

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T'om~ Y Q p

0.9).

leur donna fes tablettes d'or comme dans leur premier retouren Europe des Ambauadeurs munis de fes pouvoirs & defes ordres auprès du Pape & des Princes chrétiens les accom-

pagnerent.'Dans trois mois de traverfée les Vénitiensleur fuite

aborderent à l'Ifle de Java (i) & de là par une navigationpérilleufe ibuvent incertaine fur la mer des Indes pleined'ecueils & de détroits ils arriverent chez le Roi Argon,à qui ils remirent la Princeffe & munis comme en partantde la Chine de deux tablettes d'or que le Roi des Indes leurdonna ils furent reçus dans tout 1.'liidouffan d'une manièreauffi dülinguée qu'ils Favoient eté dans les Etats du grandIChan. Enfin après avoir effuyé de grandes fatigues ils abor-derent à Confiaminople, eux & leur fuite avec laquelle ilsfe rendirent à Venife comblés de gloire & de richeffes l'an

1295.Suivant le texte du manuscrit Italien le premier voyage

des Vénitiens entrepris en 1160 a eté de 3 ans & il n'ya pas d'exemple dans l'hiltoire de voyageurs qui fe foientconduits avec autant de fageffe de confiance & de bonheur.Tel efl l'extrait des dix premiers Chapitres du voyage de MarcPaole.Iln'avoit point fait de Journalrégulier de fes' voyages,

(t) Il faut lire dans le voyagede Marc Paole les détails fur lagrande & la petite Java il place lapremiere à la diftance de 1500 mil-les ducontinent il la dit abondanteen Poivre Mtifcade Gérofle, &c.les Négocians y arrivoient enfoule à caufe du profit qu'ils reti-l'oient de fes produirions. Le grandI~Fzazz n'avoit pas pu jufqu'alorsdit Marc Paole la ranger fous

.T. T7

fa domination. La petite Javailplus méridionale produit à-peu-

près les mêmes aromates. On yperd de vue le Pole ardiqtie& les etoiles de cette conftellation.Pretendit lztec infitla in tantuin adflu~rum ztt Polus arc`2icus & /?e//CE

e~rts nzinirné videri po~nt. MarcPaole de Reg. orient. Lib. III. Cap.X XIII,

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ce ne fut qu'après ton retour qu'il compofa fa relation. Sa mé-moire le trompa fans doute fur plufieurs points cependant fagéographie eft exaâre prefque fur tous les lieux qui nous font

connus. On conferve même à Saint Michel de Murano à Ve-nife, une de fes cartes du monde, dans laquelle il a marquédutinclement le Cap qui a reçu depuis le nom de Bonne-Efperance, & Fille qu'il nomme Madagascar j que les François

ont appellée l'Ifle de Saint-Laurent il donne la defcription deKhan-balu ou Pekin qui veut dire Ville du Prince cellede la ville Tartare que Kublai-kan y fit bâtir & qui fubfîfte

encore aujourd'hui dans la même forme & au même lieuenfin il ne manqueroit à fa defcription de la Chine fepten-trionale & méridionale, que d'avoir obfervé les latitudes deslieux & d'avoir eté plus exact dans l'ortographe des noms desVilles & des Provinces qui font fouvent défigurés mais qu'onîeconnoît toujours aux particularités qui les diftinguent.

Cependant on regarda les récits de Marc Paole comme unRoman on le tourna lui-même en ridicule & les Vénitiensl'appellerent Meff'er Marco millione, parce qu'il ne parloit quepar millions quand il etoit queftion des richeffes & de la po-pulation de la Chine. L'Europe lui fit hommage de la décou-

verte de la Boufïble qu'on dit qu'il avoit apportée le premierde l'Afie.

La premiere Hiûoire orientale connue en Europe aprèscelle du voyage de Marc Paole eft celle d'Hayton parentdu Roi d'Arménie, qui voyant les troubles de ion pays ap-paifés par fes foins fe rendit, en i ~os dans fllie de Chypreepour accomplir le vœu qu'il avoit fait de fe faire Religieuxil entra dans l'ordre des Prémontrés. Le Pape Clément etantà Avignon Hayton y fit un voyage il parcourut la France

“& fe trouvant à Poitiers il diâa en François fon Hiftoire

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B ij

orientale il. I~licolas Falconi qui la traduifit en latin par ordrede Clément V (1).

Hayton y parle de la Chine fous le nom de Cathay, c om-

me Marc Paole mais il s'explique plus particuliérernent furles peuples de cet Empire. « Les hommes, dit-il beaux &bien faits y font d'une fineffe & d'une fagacité finguüere

ils furpafient ceux des autres nations dans les fciences &» dans les arts > Ils en font eux-mêmes fi perfuadés qu'ilsdifent communément qu'ils font le feul peuple de l'univers quivoie la lumière avec deux yeux, que les Latins en ont unmais que tous les autres font aveugles (z).

Le Chevalier de Mandeville Anglois qui avoit reçu unebonne éducation, echauffépar tous ces récits des pays lointains,partit en 1332 & employa trente-quatre ans à voyager enArménie en Egypte, en Perfe dans la grande Tartarie & dansles autres contrées de l'Aile les plus éloignées. A fon retour ildonna une relation de fes voyages. Il raconte que dans fa jeunneffe on amufoit les gens, de fhiftoired'un homme qui avoit fait le

(l) .Flcz f unt Iz~orire partirtm orien-tis à Religiofo viro fratre Haytono~omino Curchü confang-uitzeo Regis~qrmetzice compilutce quas ego Nico-laus Falconiex nzandatoftrntni Pon.tificis domini Papce Clementis Vincivitate Piciavienf prinz~ _/cripf ingallico idiomate fcztt idetn _fraterHaytonzts mihi ore diclabat abfquenotd & fne aliquo exemplari. AnnoM CCC Yll rrten~ë ~tcgtt~fo.On voit par ce texte & encoremieuxpar l'Hifloired'Hayton queles Auteurs Anglois de i'Hifloiretiniverfelle, fe font trompés quandils ont dit ( vol. XXI pages 4 &5 ) que Hayton Roi d'Arménies'etoit fait moine en i 3 o S & que

fon Livre fut lu avec avidité àcaufe de la qualité de l'Auteuril n'etoit que parent du Roi con-fan uirzeus.

(2.) 77om</M.! illarzcm parzium ftntfa~aci~mi Fr omni calliditate replèti

9& ideL in omni ane C~r fcientiâ vili-pendunt onznes alias nationes Fr di-t/fC quod ipfi fint foli qui duobrcslz~zninibus reJpiciane, Latini verd unolztmine tantûm videant fed omrze.calias nationes a~errtnt e~ crecas; &veré tot res znirabiles & diverfiz aeineffabilis fllbtilitatis & laboris nza-nztum e.r illi,c partibus deferrcnturquod non videtur eV(%a al.iqziis qui intalibus illis fe vraleat conaparare<HaytoniArmeni.Hifl. orient. Cap.l,

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tour du monde il foutient que la chofe, etoit poffible &:

combat le préjugé dominant alors qu'au-defTous du globe ontomberait dans le Ciel i ).

Les ouvrages de Marc Paole & de Hayton repèrent enmanuscrit dans les Bibliotheques fans être connus que de quel-

ques personnes fludieufes qui ne favoient trop quel jugement

en porter. Pogge Florentin Secrétaire du S. Siege & queles Papes employoient à la recherche des manufcrits précieux,

p

écrivit encore au commencement du quinzieme iiecle fousla dictée même de l'Auteur les voyages d'un autre Nicolasde Venife qui avoit patTé vingt-cinq ans dans l'Orient depuisl'année 1400-

Au commencement du quinzieme fiecle, HenriIII, Prince dePortugal, un des premiers Mathématiciensde Son tems, apper-çut au travers de ces notions obfcures qu'il feroit poffible depénétrer par mer en Aile. Venife s'etoit rendue redoutable à.

toute l'Europe par l'empire de la mer & par foncommerce cetteréflexion éclairée du lambeau des fciences échauffa lesdefirs du Prince de Portugal. Il expédia en 1418 deuxvaiueauxpour reconnaître la mer, fes caps & fes promontoires au-delàdes limites que l'ignorance & la foibleiTe avoient prefcritesjufqu'alors à la navigation.

Quelques Auteurs (2) foupçonnent que le Prince Henri:>

qui connoiffoit le voyage de Marc Paole avoit pu fe procu-rer une copie de la carte de ce voyageur que nous avonsdit être conservée à Venife & dans laquelle le Cap de Bonne-Efpérance etoit marqué diflineleinent. Quoi qu'il en foit lesPortugais avoient déjà fait la découverte d'une partie de l'Afri-

que, & doublé le Cap de Bonne-Espérance lorfque la

(i) Le voyage de Mandeville futimprimé à Londres en 1727. Lemarmfcnt eft à la Bibliotheque du

Roi en Anglois & en Latin.(2.) IL Giomale de T.MM/-tM/. 1'586,

vol. I.

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premiere Edition des voyages de MarcPaole aux Indes orienta-les fut faite à Lisbonne en 1502 les découvertes des Portugaisfurent la meilleure apologie du voyageur Vénitien (1). Mullermême nous' apprend dans fon Commentaire fur Marc Paole,que c'eft la defcription de l'Ifle de Zipangri en Chinois Je-pen-koue aujourd'hui le Japon (à 1 500 milles de la côte orien-tale de la Chine abondante en or & en pierreries ) qui en-flamma le Génois Chriftophe Colomb, & lui fit tenter en 1 4^2,à l'Oueft j les aventures maritimes qui ont eu un fi prodigieuxfuccès par la découverte de l'Amérique.

Nous avons dit que Marc Paole avoit été le pere des dé-

couvertes modernes les détails qu'on vient de lire peuventfervir à le prouver nous allons dorénavant fuivre les voya-geurs à la Chine fans interruption.

Le Viceroi des Indes Lopes Souzez, Portugais fut le pre-mier qui s'occupa d'ouvrir un commerce avec la Chine ilfit partir en 15 17 de Goa une efcadre de huit vaifïeauxchargés de marchandifes, fous le commandement de Fernandd'Andrada, avec Thomas Pereira revêtu du caractère d'Am-baffadeur du Roi de Portugal vers l'Empereur de la Chine.Quand les vaiffeaux parurent au bas de la riviere de Canton

on les arrêta & l'on ne permit qu'à deux d'entr'eux de re-monter jufqu'à la ville. D'Andrada d'un caiaclere doux &liant gagna l'amitié du Viceroi de Canton qui fit avec lui

un traité de commerce avantageux. Ce qui produit fur-toutun grand effet, fut la précautionqu'il eut avant de pa rtir defaire publier que s'il y avoit quelqu'un qui eût lieu de fe

(1) Voyez encore l'Edition deVenife de 1553 & fur-tout la cu-rieufe Préface de Ramufio Secré-taire de la République on y trou-vera des détails fur la famille desPaole filr l'arrivé: des deux on-

des & du neveu dans leur patrieoù ils eurent beaucoup de peine àfe faire reconnoître leur Palais fenommoit encore à Venife il Pa~lasgo de millïonï du tems de Ra-mufio,

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plaindre de lui ou de quelque Portugais il pouvoit venir enliberté pour en recevoir fatisfaétion.

Pereira partit pour fe rendre à Pekin par terre mais dans

cet intervalle les Portugais qui etoient reftés au bas de la ri-viere de Canton ne voulant pas perdre leur tems descen-dirent à terre avec du canon commirent toutes fortes deviolences & enleverent des marchandifes au prix qui leurconvint. Les Chinois irrités armerent fur le champ une flottequi auroit enlevé les vaiffeaux Portugais fi une tempête fur-

venue fort à propos n'eût diffipé la flotte Chinoife & n'eûtdonné le tems aux vaiffeaux Portugais de fe retirer. Le Viceroide Canton informa l'Empereur de la conduite des Portugais.Ce Prince en fut fi. irrité qu'au lieu de donner audience àPereira il le fit charger de chaînes & le renvoya à Canton,où il mourut dans les prifons cette aventure confirma lesChinois dans l'averfion qu'ils avoient pour les Etrangers aux-quels ils avoient toujours fermé l'entrée de leur Empire (s).

Cependant Andrada revint en Portugal, où il eut beaucoupde peines à perfuader la vérité des chofes qu'il racontoit del'Empire de la Chine on ne le traita pas tout-à-fait de vifion-naire, comme Marc Paole l'avoit été à Venife mais on avoitde la peine à fe familiarifer avec l'idée d'un peuple policé auxextrémités de la terre & qui pofledoit les plus belles con-noiffances les Mathématiques l'Âftronomie qui avoit l'Im-primerie, la Poudre à canon l'Artillerie fans parler de leuradmirable agriculture (2).

(1) Ammien Marcellin qui ecri-voit dans le quatrième fiecle de no-tre Ere parle de cet eloignementdes Chinois pour les Etrangers.Surit inqult Seres prceter alïosfmgalijjîmi pacatioris vitœ cultores,vitant rdiquorum mortalium cœtus.

Amm. Marcell. lib. x"?.(2) Agricultura, Architutura. Ca-

naks daborata Corallia EbenaEbora, J4fpides Marmora Succina,Machina Mathematicce panni Se-nu Chryfondata Pifcalura Por-cdlana. Accedit quod nihil in Euro-

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Il y a apparence que l'aventure de Pereira rallentit l'ardeurdes Portugais pour retourner à la Chine ils fe contentèrentd'envoyer leurs vaiffeaux dans ces parages à Nimpo & d'ynégocier fur la côte. Les Hiftoriens ont paffé très-rapidement

fur les expéditions des Portugais auxquels ils n'ont pas mêmedonné de date. Cependant quelques années après le voyaged'Andrada les Portugais eurent occafion de bien mériter desChinois & d'effacer s'il eût été poffible le reffentiment quel'entreprife des vaiffeaux de leur flotte dans la riviere de Can-ton avoit gravé profondément dans leur efprit. Un Pirate

on ne fait de quelle nation infeftoit les mers de la Chine& endéfoloit les côtes: il avoit fa retraite dans l'Iile de Macao.Les Portugais l'enveloppèrent, le prirent & le mirent à mort.L'Empereur de la Chine fut fi recdnnoiffant de cette aftionqu'il fit publier un Edit par lequel il accordoit aux Portugaisla permiffion de s'établir dans l'Hle de Macao mais les ref-triftions que le gouvernement Chinois mit à cette grâce &la manière dont cet etabliffement fut formé les entravesqu'on mit à la liberté des Portugais, donnent encore aujour-d'hui à la ville de Macao plutôt l'air d'une place bloquée

que d'une ville libre & d'une ville de commerce on peutlire ces détails dans Gemelli Careri dans tous les Voyageurs,& fur-tout dans une Lettre du Pere de Prémare au Pere dela Chaife datée de Canton le 16 Février J699.

Les Jéfuites s' etoient établis à Macao fous le regne de Chin- I

tfong II ils s'occupèrent effentiellement des moyens d'entrerà la- Chine plufieurs apprirent fecrétement la langue Chi-noife nous difons fecrétement car c'eft un crime d'Etat àun Chinois d'enfeigner fa langue à un Etranger. Le Pere

pa artium Jit quàrn nojîrates ibi noninvenerint invenerunt enim campa-TlOS j tormerzta pulvenm pyrium

'573'

Magneticum &c. Difquilitio Geo-graphica èc hiftorica de Cathayo,Andr. Muller. pag. 35.

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Valignan eut foin de fe procurer des curiofîtés de l'Europecomme des montres des horloges, des quarts de cercle desglobes toutes fortes d'inftrumens de mathématiques & au-tres chofes de prix afin de les préfenter aux Mandarins-de Canton & de les engager de les faire recevoir favorable-

ment à la Cour de Pekin. Le Père Ricci Jéfuite très-habileMathématicien, eleve de Clavius qui avoit réformé le Calen-drier fous le Pape Grégoire XIII parvint après mille dangersà s'établir à la Chine en 1 5 8 2. Il fut perfécuté d'abord, careffédans la fuite, enfin eftimé généralement autant par la douceur ude fon caractère & fes manieres infinuantes que par l'etenduede fes connoitfances les Chinois en firent l'épreuve dans plu-sieurs occafions entr'autres lorfque le Pere Ricci préfenta auViceroi de Canton une carte de l'univers qui fut très-bien

reçue à Pekin, quoiqu'il donnât a la Chine beaucoup moinsd'étendue que les Chinois ne lui en donnent ordinairement(i).

Les préfens dont nous avons parlé, defrinés pour l'Empereur,étant arrivés à Canton le P. Ricci fut mandé à Pekin fespréfens & fa perfonne furent egalement agréables à Chin-tfongil offrit à ce Prince un horloge & une montre à répétition. Onfit bâtir une tour fuperbe pour placer l'horloge & le P. Pereirafit fondre des cloches pour un carillon qui ou oit des airs enmunque Chinoife ce qui fit grand plaifir à l'Empereur & à

(1) Nous copions à deffein cetarticle de l'Hiftoire générale desvoyages, traduite de FAnglois afinde laver le P. Ricci d'une imputa-tion dont on a voulu noircir endernier lieu fa mémoire. On a ditque ce Millionnaire difpofa la cartede la Chine de façon que cet Em-pire fe trouvent placé au milieu du

L

monde afin de plaire à l'Empe-reur, ce qui eft contraire à la

vérité fuivant le témoignage detous les Auteurs. D'ailleurs on faitbien que les Chinois plaçoient leurEmpiredans le milieu de leurs car-tes, prétendant que le refte dumonde n'etoit qu'un amas de pe-tites Ifles. C'eft pourquoi ils appel-loient la Chine le royaume du mi-lieu. Nouv, Dia. hift. en 6 vol.vtrbo Ricci.

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~rne C

toute fa Cour. Il etoit digne de la magnificence de ce Prince

de récompenser le Père Ricci il lui donna une maifon dans

la ville pour lui & pour fes compagnons il leur accorda unfonds pour leur fubfiflance & la liberté d'entrer dans unedes cours du Palais. Enfin le Ciel ayant permis qu'après vingt

ans de travaux & de foins les Millionnaires fuirent folidementetablis dans la capitale de cet Empire ils s'appliquerent for-

tement à l'ouvrage des conversons j leurs fuccès furent rapi-des, & ils compterent une infinité de perfonnes de diflindionparmi leurs Profélytes.

Le règne de Clzita-tfong (i) continua d'être favorable auxMimonnaifes dont les progrès ne furent point arrêtés par lesefforts de leurs ennemis. Les plus dangereux etoient les Bonzes,qui, défefpérés des fuccès d'une dodrine dont l'etabliffémententraînoit la ruine de la leur fufciterent aux Miffionnairesplufieurs perfécutions ( 2. ). Mais la difcorde jetta parmi lesMiflionnaires des différens ordres, les femences d'une divifionqui nuifit encore plus à la religion que les persécutions desBonzes & la jaloufie des Mandarins.

Ricci, dont le tempérament etoit fort affaibli par de longs

travaux., mourut en i<3io à l'âge de 88 ans après en avoirpaffé 28 à la Chine. L'Empereur accorda pour fa fépulture

une portion de terrein qui, par la fuite devint le cimetièredes Miffionnaireso

La Chine fut troublée à la fin -de ce règne par les invafionsdes Tartares orientaux dont les fuccès préfageoient déjà laruine de l'Empire Chinois. Les affaires de la religion chré-

(i) On peut voir dans l'Hifloirede 12. Chine du P. Duhalde tome.-` 1, P"-So 9° & 9 l &c< des détailsiiaguhe' fur le~ premiers progrèsdu Clmillianifme à let Chine. Dansles Mémoires du Pere e LeCOmte

tome II pag. l 54 & l 5 5 & dansles Lettres edifiantes tome V

pag. 168 Se 169.(i) Bilioire universelle par un?

Société de gens de Lettres tomeXX pag. 94 f~ 9 S'

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tienne n'en etoient pas meilleures. Un Mandarin de Nankinfui,cita une nouvelle persécution aux MiHionnaiTes qui furentcentraits d'abandonner la Chine & de ie retirer ii Macno.

C%ilïZ-Zf07t~' m01?s-tt: après un règne de 48 alIS. l~L-t~~Olïj j foupetit-fils, monta fur le trône en 16m il eut pour luccef-ieur ~(i~n-c7aira ton fils qui laina. envahir la Chine par les Tar-tares orientaux.

Cette révolution qui a rriva en t ~q~ mit fin à la Dynaffie

vingt-unieme, &: au gouvernement des Empereurs d'origineChinoife pour faire place une féconde fois à celle des Tar-tares orientaux ou Mamcheous dont la Dynailie aauelle-ment régnante fe nomme ly.

Pendant ces. troubles Fêtât des Luropéens des Miffion-naires ne fut pas floriffant à la Chine. Les Hollandois fous le

regne de C7aàra-cfo;z~ avoient juré la perte des Portugais &vouloient ruiner leur etablinement de Macao. Leurs nettesiiombreufcs, en a 6z z & i Ga4 avoient eté repouirées avecperte. Leurs expéditions dans cette partie n'avoient fervi qu'àirriter contr'eux les Chinois à qui ils avaient enlevé des vaif-féaux & des marchandifes,

Sur d'autres parages les Hollandois n'avoient pas eté plusheur eux ils avoient commis en i 2 à l'embouchure de lariviere de Chan~ c7~eou des hoflihtés qui les avoient fait regar-der comme des voinns dangereux enfin ils crurent obte-nir,parla voie de la négociation, la liberté du commerce.Les Chinois les flatterent du fuccès mais l'efpoir de fe vengerdes Hollandois fut le feul motif qui leur fit ecouter leurspropafitions & lorfque tout paroiifoit prêt à fe conclurecinquante Jonques ( [ ) embraies s'avancerent près des vaif-

(1) Ce font de petits naviresChinois faits avec beaucoup de fo-lidite. Leurs font calfa-

tées avec une forte de terre graffetiicice d'ingrédiens qui etant fe-chée devient d'une extrême dureté,

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féaux qui etoient au bas de la rivière ces brûlots auroientdétruit tous les bâtimens Hollandois fans un vent frais quileur permit de s'ecarter & d'eteindre le feu qui les gagnoitrapidement..

L'année fuivante les Hollandois revinrent à l'embouchuredelà même rivière ils poursuivirent les Chinois jufqu'à unepetite, ville qui etoit défenduepar trois retranchemens & d'oùils firent feu fur les Hollandois fe fervant de leurs petits canonsauffi promptement que les Hollandois de leurs .fufils ce quirendit la vi&oire long-tems douteufe mais lesHollandois vin-.

rent à bout de mettre le feu à la ville.Enfin retirés & retranchés à Tay-wan, dans l'Iile Formofe

d'où ils faifoient leurs courfes, les Hollandois etoient devenusle fléau des Chinois fur leurs côtes ce fut dans cette circons-

tance qu'ils tenterent d'envoyer une ambaffade à l'Empereurde la Chine. Les Hollandois avoient appris la révolution dontles fuites avoient mis tout l'Empire fous la domination desTartares Mantcheous orientaux, 3 & voici comment ils en furentInformés.

Les Miffionnairespendant les troubles s'etoient retirés cha-cun dans quelque Province où. ils fe tenoient cachés. Le Père.Martini s'occupoit tantôt des foins de fon miniftere auprèsde quelques Chrétiens ifolés & tantôt l'aflrolabe à la mainil faifoit fes observations agronomiques pour fon grand ouvragede l'Atlas de la Chine. On ne fait à quelle occafion il fit unvoyage à Macaffar chez les Hollandois mais les Hiftoriensnous apprennent qu'ils auroient peut-être ignoré fans lui queles nouveaux Conquérans de la Chine etoient un peuple doux

Les mâts font de Bambous creux.11 y en a de la groffeur d'un hom-me les voiles font faites avec uneeipece de ronce qui fe file aifément.

L'avantde ces barques eft plat. Leurconftruftion elt un arc depuis lefommet jusqu'au fond ce qui lesrend fort commodespour la 'mer.

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& d'un commercefacile n'ayant point pour les Etrangers cetteaverïion innée dont les Chinois faifoient gloire & que les

portes de l'Empire feraient à l'avenir ouvertes au commerce.Le gouvernement de Batavia profita bientôt de cette nou-

velle, & le 20 Janvier 1653 il expédia une riche frégate àCanton pour y traiter de la liberté du commerce. Le Viceroigagné par les préfens ,&ne prévoyantpour lui que de l'avan-

tage en ouvrant le Port de Canton aux Européens y auroitconfenti s'il n'eût été retenu i°. par les inftances des Por-tugais qui lui rappellerent tous les excès que les Hollandoisavoient commis à Macao 20. par les repréfentations desChinois qui fe plaignoienr de ce que malgré les conventions& tout ce qui leur en avoit coûté de fang & de dépenfes, lesHollandois etoient reftés armés fur mer & dans l'ille Fonnofe

;

30. par la confidération importante qu'il ne pouvoit autoriferle commerce des Hollandois à Canton fans la permiffion del'Empereur. Le Viceroi congédia les Hollandois poliment, enleur faifant entendre qu'il craignoit que s'ils reftoient plus long-

tems à la Chine le gouvernement de Batavia ne pût croirequ'on les avoit mis dans les fers il .exigea d'eux & les Hol-landois le promirent qu'ils défarmeroient leur flotte qui croi-foit devant rifle Formofe. La Mandarin ajouta que le feul

moyen de réuffir pour le commerce etoit d'envoyer desAmbaffadeurs à la Cour de Pékin.

Le gouvernement de Batavia fit part de cette réponfe auxEtats Généraux qui nommerent auffi-tôt deux Ambaffadeursauprès de l'Empereur de la Chine ils arriverent à Batavia& en partirent pour Canton au mois de Juin 1655. Aprèsmille difficultés les Ambanadeurseurent enfin la permiffion defe rendre à Pekin: nous ne les fuivrons point dans leur route (1)

(1) Voyez la relation de l'Am-baffade des Hollandois à la Chine

par Nieuhoff imprimée à Leydechez de Merry en 1 66 5

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j:tfqu'à la Capitale. L'Empereur leur donna audience & les

reçut avec bonté mais à fegard de la liberté du commerceelle fut reûreinte à ne revenir que tous les huit ans. L'Em-

ncreur donna 'pour prétexte l'eloignement des lieux & lac;av des dangers qu'ils auroient à courir, sils revenoient..i f=-écç.i::n~eW

Les Hollandais attribuerent la caufe de ce refus aux intri-gues des Miffionnaires que l'Empereur avoit rappellés auprèsde lui & entr'autres au Pere Adam Schall qui etoit parvenudans cette Cour au plus haut degré de considération. Les Hol-landois citent les Lettres de cejéfuite à fon confrere, quitémoi-

gnent en effet de grandes craintes, fi les Hollandois parvenoientà s'introduire à la Chine & par lefquelles il lui rend compte desrnefures qu'il prend pour l'empêcher mais la réponfe des mem-bres du Tribunal des Requêtes à l'Empereur qui l'avoit con-fulté paroît avoir déterminé ce Prince à ne recevoir les Hol-landois que rarement & avec toutes les précautions ordonnées

par les Loix. On ne fera pas fâché de trouver ici la Lettre quel'Empereur écrivit aux Ambaffadeurs Hollandois pour leursMaîtres parce qu'elle donne une idée de l'efprit & de lapolitique des Chinois elle eft conçue en ces termes:

« S A LUT & paix au royaume de Hollande qui par un.irnour cordial pour la Juftice s'efl. foumis à nous & nous» a député des .Ambatfadeûrs au travers du vafte efpace des

mers pour nous payer fon tribut. Cependant ayant pefé» dans notre efprit la. longueur du voyage & les périls dontil eft accompagné nous leur donnons la permiffion de venir

~> une fois tous les huit ans pour payer leur tribut dans cetteCour & nous leur accordons cette grace pour faire con-

» noître à tout l'univers l'affection que nous portons aux peu-M

ples les plus éloignés fur tous les autres points nous donnons

Page 29: Memoires concernant les chinoise 5

notre approbation & notre contentement royal aux remon-» trances de notre Cour des Requêtes »,

Cependant le jeune Empereur Clzzcn-clzy gouvernoit parlui-même depuis cinq ans qu'il avoit perdu le grand flma-

van fon oncle & fon tuteur il avoit gagné le coeurdes peuples en fe montrant en public ( contre l'ufage des

Empereurs Chinois ) & donnant à tous un accès facile auprèsde fa perfonne. Il maintint les loix & la forme du gouverne-ment. Il continua de ne confier Lettrés l'admini:l1:ratiol1

des Villes & des Provinces & mit ordre à l'abus qui s'etoitgli1Té dans les examens de, ceux qui vouloient parvenir auxgrades auxquels les Examinateurs admettoient pour de l'ar-

gent des gens qui n'avoient pas la capacité requife par lesLoix.

Clzun-clzine fe fit pas moins eîtimer par ion amour pour lesfciences &. par l'accueil favorable qu'il fa'ifoit aux gens delettres. Le Pere Adam Schall dont nous venons de parler,& fes confreres avoient fit recueillir le fruit de ces difpotl-tions par le crédit que les fciences leur avoient donné. L'Em-

pereur chaifa du tribunal des Mathématiques les Mahométansqui en etoient en poffeffion depuis trois fiecles c'elt-à-dire,depuis l'invanon des Tartares occidentaux fous Gin,his-kanqui les avoit introduits à la Chine.

On vit cette année pour la premiere fois à Pekin uneAmbaffade du C~ar de Mofcovie; mais elle n'eut aucun fuccès,parce que l'Ainbaffadeur ne voulut pas s'atiujettir au cérémo-nial Chinois.

Le feul voyageur dont nous ayons à rendre compte fous

ce regne, eft Navarette Dominicain Efpagnol, qui hazardade paffer tout feul des Philippines à la Chine pour s'y con-sacrer au travail des Mimons.

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Navarrette rapporte que pendant fon féjour il arriva deGoa à la Chine un Ambaffadeur Portugais qui eut beaucoupde peine à obtenir d'aller à Pékin enfin il partit fur un bateauqui portoit une banderole avec cette inscription Cet homme

vient pour rendre hommage formalité d'ufage pour tous lesAmbaffadeurs & dont aucun ne peut être difpenfé.

Chun-chï eut le malheur de perdre l'Impératrice fa femmei

& un enfant de trois mois qui la précéda dans le tombeau.Accablé de douleur, ce Prince en peu de jours fut réduit àl'extrémité. Le Pere Schall pour qui l'Empereur avoit tou-jours confervé beaucoup d'efrime fit tous fes efforts pour letirer de fa mélancolie. Ce Prince Tecouta avec patience luifit donner du thé & le congédia gracieufement mais quandil fut retiré Chun-chï fit approcher quatre Seigneurs de faCour fe reprocha en leur préfence les fautes qu'il avoit com-mifes dans le gouvernement & nomma fon plus jeune fils

Kang-hï pour lui fuccéder. Il mourut, & dès le matin tous lesBonzes furent chafles du Palais le lendemain Kang-hi montafur le trône où il reçut les hommages des grands & desSeigneurs de l'Empire.

Nous ne parlerions pas du fameux voyageur Gemelli Car-1

reri qui dans fes voyages du tour du monde parvint à laChine en 1697 s'il ne nous paronToit bien extraordinairequ'un Européen fans appui fans être appelle à Pékin parl'Empereur ait pénétré dans cette Capitale & qu'il y aiteu une audience de l'Empereur il faut que pluiîeurs cir-conftances heureufes l'aient fervi merveilleufement. Le PereGrimaldi Supérieur des Miffionnaires alors Préfident desMathématiques etoit fon compatriote & Gemelli fe trouvaprécifément à Pékin au moment où Grimaldi offrit l'almanachà l'Empereur à qui il préfenta Gemelli. Après fon audience,celui-ci, ne crut pas devoir refter long-tems à Pekin &c il

Idée générale de la Chine.

11 1 Il-

i GG~

~G~

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reprit fa route pour Canton avec de bonnes recommandation!des Mandarins fa relation, contient une infinité de chofescurieufes.

Gemelli nous apprend qu'ayant preffé le Pere Grimaldi dedonner au public la relation de fes voyages je n'ai pu m'ydéterminer dit le Miffionnaire quand j'ai vu dans le dernier

voyage que j'ai fait en Europe tant de fautes relations dela Chine & fur-tout celle des Hollandois (s).

En ce tems-là un Ambanadeur de Ruffie fit à Pekin fonentrée publique avec beaucoup de pompe & de magnificenceaLe précédent Minière de cette Cour s'etoit retiré fans avoir

eu audience, parce qu'il n'avoit pas voulu s'affujettir au céré-monial de frapper la terre neuf fois avec la tête devant l'Em-

pereur. ~Can,~ lai lui applanit cette difficulté « qu'on lui faffe

» favoir dit l'Empereur que mon intention eft qu'on rende

» à la Lettre qu'il m'apporte de la part de fon Maître lesmêmes honneurs que nos coutumes prefcrivent pour ma

» perfonne. C'eft pourquoi je fouhaite qu'il pofe cette Lettrefur une table & alors un grand Mandarin ira en mon nom

frapper la terre du front devant la Lettre c'cil ce quis'exécuta & l'Ainbaffadeur ne le fit plus .de peine de cettecérémonie devant l'Empereur & de rendre civilité pourcivilité.

Une feconde Ambaffade à la Chine envoyée par le Czar

(1) Gemelli convient que cetteinculpation eft juite à l'egard de1 _~mbaflàde de 16 5 5 où Nieuhoffavance contre toute vérité qu'ily a des femmes publiques à laChine & qu'on les conduit parles rues fur des Anes. Nieuhoffetoit Maître-d'hôtel des Ambaffa-& il s'eft venge par des

récits ridicules du mauvais {llccèsde fes Maîtres.

Il en e4l à-peu-près de même de1'Amiral Ai-.fcn qui a laiffé fairefon Journal par fon Chapelain; 8ecelui-ci s'dl permis toutes fortesde plaifanteries fur le compte desChinois iàns les avoir feulementconnus. `

Page 32: Memoires concernant les chinoise 5

iyao.

EducatÍo}1;

~'orrte Tl D

Pierre Ief ne contient rien de particulier fur l'Empire & fur

la perfonne de l'Empereur & nous ne trouvons enfuite quel'Ambaffade du Nonce du Pape, Mezza Barba Patriarched'Alexandrie qui fut envoyé à foçcafaon des démêlés quis'eleverent entre les Miflionnaires au iujet du culte Chinois.

Ici finit l'extrait des voyages faits à la Chine par les Euro-péens, à l'exception des Mlifionnaires dont nous verrons bientôtles fuccès & les malheurs.

SECONDE 'PARTIE.F

Education, Etudes Mcrurs Gouvernement Scieraces ë*

fl~rononzie des Clzinois.

QUAND les Européens firent la découverte de la Chine >-

qu'ils y furent introduits pour la premiere fois, ils y trou-verent un peuple doux & tranquille dont l'extérieur etoitmodefle & les manieres pleines d'affabilité. Ils ne virent dansles rues su milieu d'une grande affiuence de peuple aucunerixe pas le moindre démêlé ils n'entendirent aucune de cesparoles de colere & de fureur qui font tournées en habitudeparmi les gens de travail en Europe. L'emportement paffe chezles Chinois pour un vice contraire à l'humanité & la vivacitéla plus brillante ne leur paroît que de l'etourderie.

Il etoit aifé de concevoir qu'un peuple fi doux avoit dansF

ton éducation des principes relatifs à la politeffe des mœurs&: à la civilité. Ert effet ils montrerent aux Européens unLivre qu'ils dirent avoir plus de 3000 ans d'antiquité 8c quicontenoit leursregles de polite4fe. Les Chinois font convaincusque l'attention à remplir les devoirs de la civilité contribuebeaucoup à purger l'homme de fa dureté naturelle à formerla douceur du caractère à maintenir l'ordre la paix & la

~r v~-

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Subordination. Ainfi les falutations ordinaires les vifites les.fêtes les préfens & en général toutes les bienféances publi-ques & particulieres ne font point de fimples formalités éta-blies par l'ufage ce font des Loix dont on ne peut s'écarter.Les Grands les Princes l'Empereurlui-même y font afïujettis.Les artisans les payfans & le peuple ont entr'eux des reglesqu'ils obfervent & ils ne fe rencontrent point fans fe donnermutuellement les marques de politeffe & de déférence.

La méthode ordinaire des falutations pour les hommes eude fe placer les deux mains fur la poitrine en les remuantd'une maniere affeftueufe & de baiffer un peu la tête en pro-nonçant Tjîn Tjîn expreffion de politeffe dont le fens n'eft

pas limité les formules de compliment font à l'infini fuivantla qualité des perfonnes.

Un ufage confiant parmi le peuple eft de donner toujours-,la premiere place au plus âgé de l'affemblée mais rien n'eftcomparable au refpeét que les Ecoliers ont pour leurs Maîtres yils parlent peu & fe tiennent toujours debout en leur pré-fence (i).

C'ed dans la perfuafion que la paix & le bon ordre font labafe de toute fociété que les Chinois fe font attachés parti-culiérement au genre d'etudes dont on peut tirer ces deux

(i) Nos jeunes Chinois pendantleur féjour en France trouvoienten général les Européens affezleftes en fait de civilité on avoitbeaucoup de peine à les faireafleoir en préfence des perfonnesqualifiées/m plus avancées en âge.Un jour qu'ils rapondoient modef-tement à toutes les queflions qu'onleur faifoit une dame de qualitéétonnée de leurlaconifme,ne puts'empêcher de-leur en marquer fon

etonnement & de fe plaindre po^liment de ce qu'ils ne s'etendoientpas un péti davantage fur les quef-tions qu'elle leur faifoit. Nouscroirions Madame répondit leplus âgé manquer ce que nousvous devons ,Jî nous répondions au-trement car c'efl un point capitaldeV éducation, que nous recevons à la.Chine de répondre brièvement & de

ne jamais excéder la quejlion qu'on-veut bien nous faire,.

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fruits. En conséquence leurs Légiflaieurs s'occupèrent, i o. à-rester les moeurs & les ufages de la nation quant aux devoirsde civilité & de bienféance comme on vient de le dire 2°.à encourager l'étude de la Morale des Loix de l'Histoire &du langage. Ils voulurent que tous les emplois du gouverne-ment civil & militaire ( i ) ne fuirent conférés qu'à ceux quife dillingueroient dans ces etudes & pour les faciliter à toutesfortes de perfonnes auifi bien que pour connoître les progrèsdes Etudians ils inftituerent dans toutes les villes de l'Empire,des ecoles où la jeuneffe élevée aux frais du gouvernementfubit de rigoureux examens pour obtenir les trois degrés delittérature (2) qui donnent droit aux honneurs & à Felévation.

Quoiqu'il y ait un petit nombre de dignités attachées à quel-

'ques familles la nobleffe n'eft point héréditaire à la Chine.Les enfans d'un pere illuilrie qui s'eft elevé aux premieres places,de l'Empire, ont comme les autres leur fortune à faires'ils manquent de ,talens ou fi leur inclination les porte àFoifiveté ils retombent au rang du peuple un fils hérite dubien de fon pere; mais pour obtenir fes dignités, il doit s'elever

par les mêmes degrés que lui.L'Hifloire la Jurifprudence & la Morale font les feules

fciences qu'on cultive dans les Ecoles chinoifes. Le 7/ë-cAM

qui contient la docrrine de Confucius eft la bafe de toutesles etudes il n'eft pas permis aux Chinois de jetter les yeux

(y ï,es Mandarins d'armes doi-vent fübir différens examens com-me les Mandarins civils, & donnerdes preuves de leur capacité dansles loix de la guerre de leur force,de leur adreflè & de leur expérien-Çe.Voyezl'~irt milirairedes Chinois,imprimé chez Didot raine in-4.avec fzgures, on y trouverales titres

des 6 livres c1affiques fur lefquelsles gens de guerre doivent être in-terrogés pour parvenir au Manda-rinat militaire & au Gouverne-ment.

(2) Les trois degrés font com-me en Europe ceux de Licent'léde Maître-ès-Arts & de Doc-teur.

Page 35: Memoires concernant les chinoise 5

Cinq devoirs.

Voyez letome IV desMémoires furla Piété fzli ale:

fur d'autres livres avant qu'ils n'aient appris celui ci parcoeur ( i ).

Les Philofophes Chinois réduisent toute la fcience de leurmorale à cinq devoirs principaux

10. Ceux des-peres & des écrans.2°. Ceux des Princes & des fujets.3°. Ceux du mari & de la femme.4°' Ceux de l'aîné des enfans & de fes freres.

°. Ceux de l'amitié.A l'egard du premier il n'y a point d'âge de rang ni de

mécontentement jufle ou fuppofé qui paitte difpenfer un filsdu refpeet & de l'affe8lion qu'il doit à ceux qui lui ont donnéle jour. Ce fentiment eft pouffé fi loin chez les Chinois, queles Loix accordent aux peres une autorité abfolue fur leurfamille. Un pere qui -accufe fon fils devant un Mandarin delui avoir manqué de reîpe8:, n'eil point obligé d'en apporterde preuves le fils paffe néceffairement pour coupable &raccufation du pere eft toujours juite (2.). Au contraire un

fils feroit regardé comme un 1-nonfLr-- s'il fe plaignoit de fon

(1) Il faut lire dans flrii4loire dela Chine du Pere Duhalde les dé-tails infinis de l'etude des Lettrésde la Chine il fai~t conudter auffiNavarette&les autres Voyageurs.

(2.) Mais dira-t-on Íiun PereeR cruel & dénaturé, s'il maltraitefon fils, s'il pouffe rinjuûice, com-me les loix le lui permettent, lu,qu'à le vendre quand il croit avoirlieu de fe plaindre de fa conduite;nous ferons la même répond quenous fit un François qui avoit ha-bité pendant 3z ans dans rinté-de la Chine. Il etoit quefiionde aa propriété des bornes des

héritages. On ne connoît point àla Chine cette manière de garantir&: de constater retendue de lapropriété d'un champ. Mais di-.fions-nous, il un Laboureur injureempiète d'un ou de deux filions furle champ du voifin,quelie eu la Loi?Il n'y en a aucune nous répondit"on,parcequ'il ne fauroit entrer dansla volonté d'un Chinois d'empiéterfur le champ du voifi.n. Nous endirons de même du pouvoir d'unPere il ne fauroit entrer dans l'ef-prit d'un Chinois de maltraiter fesencans injuflement.Telle eu la for-ce de leur éducation.

Page 36: Memoires concernant les chinoise 5

père il y a même une Loi qui défend aux Mandarins de rece-

voir les plaintes de cette nature. Cependant elles peuventêtre écoutées lorfqu'elles font {ignées par le grand-pere mais

s'il fe trouve quelque faufleté dans le moindre article le fils

eft puni de mort. Cefi le devoir d'un fils-, difent les Chinois,d'obéir & de prendre patience. Eh de qui fouffrirci-t-il s'il ne

peut fouffrir de [on père ?Après le crime de rébellion & de lèze Majefté il n'en eft

point de plus atroce que celui de manquer à fes parens, &

on le punit avec autant & plus de févérité. S'il arrive qu'unenfant foit affez infolent pour dire des injures à fon pere ouà fa mere pour fe moquer d'eux pour lever la main fur

eux pour les frapper enfin pour les tuer alors tout l'Em-pire eft en mouvement l'Empereur devient le Juge du cou-pable. On dépofe tous les Mandarins de la province & fur-

tout ceux de la ville où le parricide a été fi mal instruit. Onchâtie févérement fes proches pour avoir "négligé de le corri-

ger, pour n'avoir pas averti les Magiftrats de fes mauvaifesinclinations pour avoir permis qu'il foit parvenu à ces excèsabominables. Le coupable eft mis en pièces on le brûle, ondétruit fa maifon jufqu'aux fondemens on renverfe celles defes voifins & on dreffe par-tout des monumens de cet hor-rible attentat (i).

La Piété filiale étant le principe fondamental du gouver-nement Chinois les Sages de la nation penfoient que rienn'etoit plus capable d'infpirer aux enfans le refpe£t & la fou-miffion qu'ils doivent à leurs parens que de voir rendre auxmorts les témoignages continuels de la plus profonde véné-ration c'eft pour cela que les Rituels Chinois preferivent avec

(i) Le Comte, tome II, Lettre première Martini hijlor. Sintnjis?iib. III,

Page 37: Memoires concernant les chinoise 5

tant d'attention &: d'exa6Htude les cérémonies qui regardentles morts (1).

La durée ordinaire du deuil pour un pere ou une mère doitêtre de trois ans. L'Empereur l'a réduite à 27 mois pendantlesquels on ne peut exercer aucun Qffice public. Alors unMandarin eft obligé de quitter fon gouvernement un Mi-nifire d'Etat de renoncer à l'admini11:ration des affaires pourvivre dans la retraite & fe livrer à la douleur. L'ufage de ces-trois ans de deuil a pour principe la reconnoiffance qu'unfils doit à fon pere & à fa mere pour les trois premièresannées de fa vie pendant lefquelles il a eu continuellementbefoin de leuraffifiance& de leurs foins.

Les annales de la Chine ont immortalifé la piété de Van-ko~zg Roi de Tfin qui ayant été chaffé des Et ats de fon

pere par la violence & les artifices de fa belle-mere pritle parti de voyager en différentes contrées pour foulagerfon inquiétude .& ~fe garantir des pièges qu'on tendoit à favie. Apprenant enfuite la mort de fon pere il refufa pendantle tems de fon deuil de prendre les armes pour fe mettre enpoffeffion du trône, quoiqu'il y fût invité par la plus grandepartie de fes fujets.

Un fils qui négligerait de- placer le corps de fon pere dansle tombeau de fes ancêtres feroit perdu de réputation &fes proches lui refuferoient après fa mort de placer fon nomdans la Salle devinée aux honneurs funebres de fa famille.Car outre les devoirs. du deuil & des funérailles l'ufageaifujettit les familles Chinoifes à avoir une Salle où toutes les

(1) On peutvoir dansla defcrip-tiondelaChinedeNavarette., pa-ge 71 & dans la Chine du PereDuhalde pages 280 à 306 lescérémoniesdes Enterremens. Nousobferverons feulementqu'à l'exem-

ple des Juifs & de toute l'antiquitéles tombeaux & les cimetieres desChinois iont hors des villes à ladiftance d'une lieue & la plupartfur quelqu'eminence.

Page 38: Memoires concernant les chinoise 5

asenc.

perfonnes. qui fe touchent par le fang,r s^affemblent au Prin-

temps, & quelquefois en Automne. Alors les diftin&ions du

rang ne font point obfervées Mandarins Artifans Labou-

reurs tous l'es membres d'une même famille fe mêlent & fe

reconnoifîent pour parens. C'eft à l'âge feul'que la préféançe'eft accordée. Le plus vieux quieft quelquefois le plus pauvre,

occupe la premiere place.i On voit dans la Salle une longue table près du mur fur

une élévation où l'on monte, par quelques degrés. Les nomsdes hommes des femmes & des enfans de la même famillefont expofés fur des tablettes ou de petites planches placées desdeux côtés avec leur âge, leur qualité, leur emploi & lejour deleur mort. Les cérémonies qui s'obfervent dans ces"fêtes fontles mêmes que celles que les enfans-obfervent lorfqu'ils s'appro-

chent de leur pere pendant fa vie, ou comme les refpefts qu'onrend aux Mandarins le jour de leur naiffance lorfqu'ils pren-

nent poffeffion de leur Gouvernement & en. d'autres cir-confiances mémorables.

.[ Une autre cérémonie fe pratique du moins- une fois l'année

au tombeau même des ancêtres. Tous les defcendans d'unemême famille hommes femmes & enfans s'y rendent. Ilscommencent par nettoyer les fépulcres en ôtant la terre &les plantes que la terre y a produites après quoi ils expri-ment leur vénération, leur reconnoiffance & leurs douleursavec les mêmes- cérémonies que le jour de la mort (i).

Ce refpecl & cette foumiflion des Chinois pour les auteursa(i) « Prefque tous les hommes,

y» dit M. Boffuet facrifioient aux« mânes c'eft-à-dire aux âmesi> des morts ce qui nous fait» voir combien etoit ancienne la» croyance de l'Immortalité de

» l'ame & nous montre qu'elle>>

doit être rangée parmi les pre-» mieres traditions du genre-hu-«main », (i) Dif cours fur L'Hill,Univ, deuxième Partie,

-«J

Page 39: Memoires concernant les chinoise 5

de leur naiffance font les premiers fentimens qu'on leurinfpire,& qui les difpofent à l'observation de leurs devoirs enversl'Empereur comme envers tous ceux qui le repréfentent puif-

que le gouvernement Chinois ? dont l'Empereur eft le chefeft uniquementpaternel.

Cette conflitution de Gouvernement eft fi naturelle à laChine & fi douce les peuples y font tellement accoutumésqu'ils n'imaginent pas qu'on puiffe en avoir une meilleure.Quand les Ambaffadeurs Hollandois vinrent à la Chine dansle fiécle dernier ils eurent toutes les peines du monde à fairecomprendre aux Chinois ce que fignifioient les termes d'Etatsgénéraux de Hautes Puijfances & de République de Hollande.Ils ne pouvoient pas concevoir qu'un Etat fans Roi pût êtregouverné régulièrement & il leur parut qu'une Républiqueetoit une chimère un monûre à plusieurs têtes un monftreformé dans des tems de troubles, par l'ambition, par la révolte& par la corruption du cceur humain (i).

De tous les modèles de Gouvernement qui nous font venusdes anciens il n'en eft aucun qui renferme autant de perfec-tion que la Monarchie Chinoise. Son ancienneté en eft la

preuve malgré le bouleverfement de l'Empire conquis troisfois par les Tartares cette cotiflitutioxi a trouvé dans elle-même de quoi réparer fes forces les vainqueurs n'ont trouvérien de mieux à faire que d'adopter les Loix des peuplesvaincus. Ainfi changeant de Maîtres la Chine n'a jamaischangé de gouvernement.

L'adminiftration politique de la Chine roule uniquementf\M le devoir des peres & des enfans. L'Empereurporte le nomde pere & mère de l'Empire (i) un Viceroi eft le père de

(i) Hiftoire universelle par uneSociété de gens de Lettres tomeXX page 1 03 de la TraduÛion

Françoife.(2.) Le P. Parennin dont les

lumières & la tournure d'eiprit

Page 40: Memoires concernant les chinoise 5

To,me Y E

la Province oh il commande comme un Mandarin eft le perede la ville qu'il gouverne. Les anciens Sages etoient perfuadés

que le fentiment d'un profond reSpect des enfanspour leur pere,les entretient dans une parfaite obéiifance civile que cettefoumifrion confervant la paix dans les familles, produit la tran-quillité dans les villes qu'elle prévient les foulevemens dupeuple & fait régner le bon ordre dans toutes les parties del'Etat. D'un autre côté comme le peuple a pour -fes Chefs

une foumiflion filiale il s'attend d'être traité avec une affec-tion paternelle d'être protégé contre finjuflice & l'oppref-fion d'être jugé avec une impartiale equité enfin d'être fou-

tenu & confolé dans fes difgraces. Ainfi quoique la Chinefoit une Monarchie & fans doute la plus abfolue qui foit aumonde fa conflitution eft formée îur de fi bonnes maximes& tous fes Réglemens font tellement rapportés au bien public,qu'il n'y a pas de nation fur la terre qui jouiife d'une libertéplus raifonnable que les Chinois ni dont les particuliers &leurs propriétés foient plus à l'abri de la violence & de l'ufur-pation. Mais comme c'eft dans la perfonne de l'Empereur

que réfide un pouvoir fi vafle les Chinois penSent qu'on nepeut apporter trop de Soins à former le caraetere & l'efprit desPrinces qui font deflinés au trône.

Suivant Conrucius, un Prince vertueux doit remplir neuf devoirs.

1°. Se perfectionner lui-même & fe gouverner fi bien qu'ilpuiffe fervir de guide & d'exemple à tous fes fujets.

agréable plaifoient beaucoup àl'Empereur, avoit obtenu de cePrince les Entrées du Palais maistoujours avec les formalités rigou-reufes & d'ufage. Parennin pénétraun jour dans les Appartemens &n'y trouvant dans ce moment per-fonne il arriva jusqu'à la cham-bre du Prince. L'Empereur irrité

17, T7

lui marqua fi ftirprife &- le traitad'Européen. SIRE, lui dit Paren-nin, c'eO: un enfant qui vient versfon Pere. L'Empereur Sourit, Se luipermit avec bonté de s'avancer.ZMSÏ.M/M ecrites au .P..PcrM7M/contenant diverfes queffions ficr laClzirce, Par. y7o in-$. f trouventclzeZ Nyon l'aîné.

Page 41: Memoires concernant les chinoise 5

1°. Honorer & chérir les gens vertueux & les favans:t

converfer fouvent avec eux & les confulter fur les affairesde l'Empire.

3°. Aimer fes oncles fes cou~ns & les autres Princes dufang leur accorder les faveurs & les récompenfes qu'ils méri-

tent & leur faire connoîtrc qu'il les préfère dans fon eflime à

tous les fujets de l'Empire.

rl. Marquer de la confidération à la nobleffe c'eA-à-dire

aux Lettrés élevés en dignité les élever aux honneurs pourfaire connoître qu'il les diftingue du commun.

5°' S'incorporer en quelque forte avec le refle de fes Sujets.,

pour mettre entre leur coeur & le fien toute l'égalité poflible& les regarder comme une partie de lui-même.

6°. Avoir une véritable arlection pour fes peuples fe réjouirde leurs avantages, s'affliger de leurs difgraces c~ fe perfuadexqu'ils font fes propres enfans.

7°. Expédier promptement les affaires publiques.8°. Careffer & traiter avec autant de libéralité que de po-

liteife les Ambaffadeurs etrangers & prendre foin qu'il nemanque rien à leur fûreté & à leur fatistacUon.

9°' Chérir tous les Seigneurs de l'Empire, & les traiter de ma-niere qu'ils deviennent les fortereflès & le bouclier de l'Etat.

C'eft par l'obfervation de ces réglés ajoutent les Commen-

tateurs Chinois qu'un Prince répond au but, à la fin de foiielévation. La tyrannie & foppreffion procèdent moins difent-ils, du pouvoir abfolu des Princes que du désordre de leurspanions & du déréglement de leurs defirs au mépris de lavoix de la nature & des loix du Ciel (1).

La Chine efl gouvemiée par plufieurs Officiers fous Faute-rité de l'Empereur. On le, appelle Mandarins & il y en a

(t) Mémoire du P, Le Comte, page 248.

Page 42: Memoires concernant les chinoise 5

Iultice civile& crimireile.

de neuf ordres tant civils que militaires depuis le gradeinférieur auquel font élevés les Lettrés ou Doreurs, jufqu'aux

I~olaos qui font les Minifues d'Etat les premiers Préfidensdes Tribunaux fuprêmes & les Officiers généraux de Farinée.

Le Tribunal des I~olaos reçoit & examine les demandes desTribunaux fuprêmes foit qu'elles regardent la paix ou la

guerre, les affaires civiles'ou criminelles. Il les préfente enfuite

avec fon avis à l'Empereur qui décide, ou s'en réserve à lui

feul la conl1oiirance.Les Mandarins de la deuxieme claffe font, en quelque forte,

les auiftans de la premiere. C'eil de leur ordre qu'on tire lesVice-Rois desProvinces,& les Préfidens des autres Tribunaux.Ceux de la troifieme claffe font comme l'école de la féconde,& aiiifi de l'une à l'autre jufqu'à la neuvième clafie qui eftcelle des Mandarins inférieurs chargés par l'Empereur de lalevée des taxes qui exigent leur préfence (i).

Tous les Tribunaux de la Chine font tellement Subordonnésles uns aux autres qu'il eft prefque impoffible que la préven- é

tion le crédit ou la vénalité dittem les Jugemens puifque

tout procès civil ou criminel eft foumis à la décifion d'un &de plusieurs Tribunaux fupérieurs.

Il faut lire dans les Auteurs cités les formes fimples & rigou-reufes par lefquelles le droit de chacun eft conservé & les pré-cautions que les Légiflateurs ont fu prendre contre la fraude& l'injustice. Le dernier trait de leur fageffe & qui prouvecombien ils avoient à cœur le véritable intérêt du peupleeH: qu'on ne paie rien pour fadminiflration de la Juiiice comme

~:) Les terres {ont mefurées danschaque province de la Chinela taxe de chaque arpent eft régléel~uivaat la bonté du terroir. La dif-ficulté des recouvremens détermi-

na l'Empereur ~'on~-Chirzn( mort

en 1736 ) d'ordonner qu'à ravenirles taxes ne feroientplus payées pi'les Tenanciers mai~ par les Pro-priétaires des terres. Duhalde.

Page 43: Memoires concernant les chinoise 5

l'Office de Juge ne coûte rien, & que les appointemens dechaque Jugeront réglés convenablement à fon rang & à fonautorité, il ne peut rien exiger des parties. Ainfi les plus pau-

vres plaideurs font en état de faire valoir la juftice de leursdroits & ne craignent point (l'être opprimés par l'opulencede leurs- adverfaires (i ).

Il nous refte à parler de deux objets qui méritent d'être pris

en confidération parmi nous la Juilice criminelle & la Police.Il n'y a point de précaution qui paroiffe exceffive aux Chi-

nois lorfqu'il eft dueflion de condamner un homme à mort.L'Empereur Yon~ Chin~-ajouta, en a7aq une nouvelle dif-pofition à là Loi ancienne qui veut que l'Empereur fignelui-même toute Sentence de mort. Il ordonna qu'on n'en exécu"teroit aucune à l'avenir fans que le procès lui eût été pré-fenté trois fois. Suivant cette Loi,.le Tribunal des crimes faittranfcrire toutes les informations qui lui font venues des Jugesinférieurs, & il y 1 oiii t fon avis en citant les articles de la Loifur laquelle il efl fondé. On informe contre les témoins qui

ont fervi à la conviction du coupable & qui doivent êtreirréprochables dans leurs moeurs & dans leur conduite. Tousces délais font favorables à l'innocence & la Sauvent pretquetoujours de l'oppreffion, Enfin on afiernble les Tribunaux fitb

prêmes, qui ont la liberté de faire encore leurs obfervationsfur la procédure. Ainfi le plus vil Sujet de l'Empire jouit à laChine d'un privilege plus précieux que celui qui ne s'ac-corde en Europe qu'aux perfonnes de la plus haute diitinaion;c'efi d'être jugé par les Tribunaux fuprêmes affemblés- On faitalors de toutes les informations deux nouvelles copies en lan-

gue Tartare & en langue Chinoife l'Empereur les commu-nique à des Mandarins de eonnance de 1.'une & de l'autre

(i) Mémoire du P. Le Comte, page 28,

Page 44: Memoires concernant les chinoise 5

nation; & fur leur avis il prononce, ou par le mot fatal, qu'il

meure ou prefque toujours par un adouciffement fi le crimen'eft pas un affaffinat de deffein prémédité. Aucun Juge nepeut faire inettre à mort un Citoyen fi ce n'eft en cas defédition ou de révolte.

Rien ne contribue tant à la tranquillité qui règne à la Chine,

que les Réglemens de Police qui s'exercent dans les vSles

elles font divifées en quartiers dont chacun a fes gardes quiveillent à la fureté publique. En outre chaque quartier a fonchef, qui a l'œil ouvert fur un certain nombre de maifons& qui eft refponfable de tout ce qui arrive dans fon diftriét.Au moindre tumulte il doit avertir les Mandarins, fous peined'être puni févérement les chefs de famille répondent deleurs enfans & de leurs domeftiques. En cas de vol nocturne

une maifon répond de la maifon voifine à laquelle elle doitdonner du fecours. Dès l'entrée de la nuit les portes de laville & les barrieres de chaque rue fe ferment les fentinellesarrêtent ceux qui font trop tard hors de leurs maifons. La.nuit difent les Chinois, ejl faite pour te repos, & le jour pour letravail. Il eft toujours dangereux de Sortir à de certaines heuresfans néceffité parce qu'on échappe difficilemei-it à la févéritédes Magiftrats.

Il eft furprenant qu'une nation fi nombreufe foit contenuedans les bornes du devoir par le petit nombre de Mandarinsqui font à la tête de chaque Province. Il fuffit qu'un Mandarinpublie fes ordres fur une petite feuille de papier fcellée avecfon fceau il eft obéi avec la plus prompte fourmilion tantil efl vrai que l'ombre feule de l'autorité impériale dérivéede l'autorité paternelle agit fur les Chinois avec une forceabfolue & fans bornes.

Les Mandarins de leur côté répondent fous peine de perdreleur emploi, du moindre déferdre qui règne dans la Province

Page 45: Memoires concernant les chinoise 5

ou dans la Ville ou ils commandent. La Cour de Pékin les

tient fans ceffe en haleine par des Vifîteurs des Cenfeurs

des Infpe&eurs qui font revêtus de toute l'autorité du Sou-verain. L'Empereur prend quelquefois lui-même le tems auquel

on y penfe le moins pour voyager dans les Provinces &pour s'informer en perfonne des plaintes du peuple contre les

Gouverneurs & les Vice-Rois.Enfin fi le Mandarinat eft une emanation de la puiffance

Impériale fi parvenu à ce grade on monte par degré aufaîte des honneurs auxquels un fujet puiffe prétendre ( car unMandarin reçoit des peuples les mêmes hommages que le Sou-verain ) fes devoirs font auffi très-nombreux & difficiles à

bien remplir. Celui de l'instruction du peuple n'eft pas un desmoins pénibles. Il l'aflemble régulièrement tous les quinzejours & lui adreffe un difcours dans lequel il fait le per-fonnage d'un pere qui inllruit fes enfans. C'efî: une Loi del'Empire, & l'Empereur lui-même a réglé la matiere de cesinftruéUons ( i )

Malgré tant de fageffe de précautions & de foins pater-nels, le peuple Chinois eft peuple comme par-tout les rela-tions des Voyageurs principalement de ceux qui n'ont vu queles ports de mer font remplis de traits de fubtilité de

(i) Le P. Duhalde a donné dansfonHiftoirede la Chine page 257,la traduftion d'un de fes Difcours.Nous avons appris d'un particulierqui a réfidé long-tems à la Chine,& qui en entend bien la languequ'en 1750,1e Mandarin de Canton,homme très-refpeûable faifoit lesdifcours de quinzaine d'une ma-niere très-pathétique. Il en avoitun entr'autres dont le but etoitd'éloigner les Chinois de la fré-

quentation des Européens qui nepouvoient difoit-il que gâterleur efprit & corrompre leur cœur.Ils font difoit le vieux Mandarin,enclins à la difpute portés à laco1cre ils fe querellent fanscetTe & font quelquefois prêts àen venir aux mains pour des mi-nuties. Voyez dans le tome IV deces Mémoires pag;, 200 & fuiv.les Infractions des Empereurs fur laPiétéfiliale.

Page 46: Memoires concernant les chinoise 5

friponnerie & de mauvaife foi, des gens du peuple dont ils onteté les dupes. On croiroit en lisant ces écrits que le vol feroit

permis à la Chine comme ill'etoit à Lacédémone pourvuqu'il fùt fait'adroitement & c'eG: en quoi la populace Chinoifeexcelle (i). Mais, comme dit le favant Boiruet (2) doit-on

juger tout un peuple par les vices de quelques particuliers

& faudroit-il abroger de bonnes Loix parce qu'elles font malexécutées? Au furplus les Magistrats de la Chine ne manquent

pas de dire que ces abus n'exigent que fur les frontieres &

que la corruption du peuple n'y eft occaiionnée que par lafréquentation des Etrangers.

Enfin rien n'eft plus instructif pour les Mandarins & pluscapable de les contenir dans l'ordre que la Gazette qui s'im-prime à Pekin & qui fe répand dans les Provinces de l'Em-pire les articles dont elle eft compofée ne fe rapportent qu'au

gouvernement. On y trouve les noms des Mandarins qui onteté privés de leurs emplois, & les rairons qui leur ont attiré

cette dilgrace qu'ils foient récompenfés ou punis, leurs nomstrouvent place dans la Gazette. Cet ouvrage périodique con-tient encore les affaires criminelles qui ont produit une Sen-tence de mort les malheurs arrivés dans les Provinces &les fecours que l'Empereur y a fait donnerles ouvrages pu-blics, les graces du Prince l'ouverture des labours par l'Em-

pereur, les Loix nouvelles les nouveaux ufages &c.Le dernier Empereur Youn~ C'hing, en 1730 doubla les

[' appointemens des Gouverneurs & leur défendit fous peinede la vie de recevoir aucun préfent, Il accorda de groffes

(1) Les voleurs qui font pris ar-mes font punis de mort. Les volscfadreffe font punis par ordre duMandarin pour la premicre fois

par une marque fur le bras gaucheavec un fer chaud la deuxieme

fois par une marque fur le brasdroit: à la troisième, ils font livrésau tribunal criminel.Duhalde

3 i T,(2) Difcours fur l'Hifioire ttni-v.deuxieme Partie.

Page 47: Memoires concernant les chinoise 5

&

gratifications aux Vidteurs & aux Inspecteurs pour leur!

voyages, & il ordonna que le corrupteur & celui qui fe laiffe-roit corrompre feroient punis avec la derniere févérité ( i ).Ces difpofitions démontrent que le gouvernement de la Chineveille continuellement à découvrir & à réprimer les abus.

Nous pafferons rapidement fur l'agriculture & le commercede la Chine ces deux parties intérenantes feront traitées dansla fuite de ces Mémoires.

Les Chinois prétendent que leur agriculture eil auffi an-cienne que leur Empire. Les Laboureurs y font au deffus

des Marchands & desArtifans leur profeffion etant bien plusnéceuaire à FEtat. L'ouverture des labours fe fait tous les

ans par l'Empereur lui-même, au commencement du printems.Il fait affembler quarante Laboureurs respectables par leurâge pour affiiter l'Empereur & préparer les cinq efpeces degrains qu'il doit femer qui font le froment le riz les feves,le grand & le petit millet.

L'Empereur en habit de cérémonie fe rend avec toute faCour au lieu defliné (z) pour offrir à Dieu le facrifice duprintems dans la vue d'obtenir l'abondance & la confervationdes biens de la terre. Auui-tôt que le facrifice efl offert l'Em-

pereur defcend avec les Princes & les neuf Préfidens des Tri-bunaux qu'il a choifis. Plufleurs Seigneurs portent les caiifesoù font contenues les femences. Toute la Cour demeure atten-tive, & dans le plus profond filence. Alors Sa Majesté prendla conduite de la charrue & fait plufieurs fillons. Les Princes

(t) L'Empereur Kang hi fit cou-per la tête à deux Licentiés quifurent convaincus d'avoir voulucorrompre leurs Examinateurs.Navarette Defcript. de la Chine

pag. 49 & fuiv.) Ce lieu eÍt une emmenée de

terre près de la ville d'environ5o pieds de hauteur d'ou l'Em-pereur peut être apperçu d'un peu-ple immenfe forti de Pekin ouvenu de tous les lieux circonvoi-fins pour être témoin de cette cé-rémonie.

Page 48: Memoires concernant les chinoise 5

>& IesTréfidens font fucceflivement la même chofe aptes fEm-

pereur qui feme les cinq efpeces de grains. Les quarante La-boureurs achèvent de labourer '& d'ensemencer le champ.

Le même jour dans toutes les Provinces le Gouverneurde chaque ville fort de fon Palais, précédé de fes Enfeignes &d'un grand nombre de flambeaux allumés au bruit-de diversinftrumens il eft couronné de fleurs & dans cet équipage ilmarche vers la porte orientale de la ville comme s'il alloitau-devant du Printemps. Son cortège efl compofé d'un grandnombre de litières peintes ou revêtues d'étoffes de foie quijepréfentent en différentes figures les portraits des Hommesilluftres ° dont l'agriculture a reçu les bienfaits. Les rues fontornées de tapifferies on eleve des arcs de triomphe à certai-

mes diftances on fufpend des lanternes & les villes fontéclairées par des illuminations (i).

L'Empereur Yong-ching pour encourager l'agriculture Jordonna en 173^2. que les Gouverneurs des villes lui enver-roient tous les ans le nom d'un Payfan de leur diftriÉt gui fediftingueroit par fon application à cultiver la terre par une

conduite irrépréhensible par l'union quïi feroit régner dansfa famille & par la concorde qu'il entretiendroit avec fes voi-sins enfin par fa frugalité & ton eloignement de toutes fortesd'excès. Sur le témoignage du Gouverneur Sa Majefté elevelefage & diligent Laboureur au degréde Mandarin honoraire duhuitieme ordre & lui en envoie les Patentes. Cette diftinffion

met ce Laboureur en droit de porter l'habit de Mandarinde rendre vifite au Gouverneur de s'affeoir en fapréfence,

& de prendre le thé avec lui. Il eil refpeélé pendant le reftede fa vie à fa mort on lui fait des funérailles convenables à fonrang fon nom & les titres d'honneur font inferits dans la Salle

1) Voyez le tome III ,p. 499 & fuiv*

Page 49: Memoires concernant les chinoise 5

des Ancêtres & de ceux qui ont bien mérité du Gouverne-ment (1).

Après l'Agriculturerieim'eft plus en recommandation àlâChine

que le Commerce. C'eft une erreur affez répandue parmi nousde croire que les Chinois ne peuvent fortir de leur Empire pourcommercer mais il fuffit pour détruire ce préjugé, de voirla mer couverte des Joncques Chinoifes allant & venant duJapon aux Philippines-, à Siam. & aux Moluques., où ils font

un commerce immenfe. Il eft vrai que fur. la fin de la der-niere dynafiie Chinoife des Mïng ,1e fameux Pirate Coxinga

ayant ravagé les côtes de l'Empire & détruit tout le commercel'Empereurprit le parti de défendre à fes fujets de naviguer tmais à peine les Empereurs Tartares furent-ils fur le trônequ'ils rétablirent la liberté du commerce & ouvrirent les

portes de la Chine aux Etrangers ils ontenfuite été reftreints

au port de Canton.Quant au commerce intérieur les richeffes particulières de

chaque Province & la facilité. des tranfports par les rivieres& les canaux le rendent fi floriffant & fi considérable qu'il

ne fouffre aucune comparaifon avec celui de l'Europe. Caron peut regarder les Provinces Chinoifes comme autant deRoyaumes entre lefquels il fe fait une communication dericheffes qui fert à lier. entr'eux leurs habitans & à faire régnerl'abondance dans toutes les Villes.

Il eft certain fur la foi du Pere Ricci le premier des Mathé-maticiens, qui pénétra à la Chine en 1 582 du Pere Trigaudqui lui fuccéda en 1619 (3.) que les Chinois avoient des obfer-vations céleftes de la plus haute antiquité fur, les planetes &les conflellations 8c fans difcuter ce qui a été dit pour &

(i) Chine de Duhalde page ces Mémoires, les Preuves aflro-i74. nomiques de l'antiquité des Chi-

(2) Voyez dans le Tome II de. nois, raflemblées par M,. Amiot,

Page 50: Memoires concernant les chinoise 5

«ontre la premiere Eclipfe de l'année 1155 avant Jefus-Chriftdont l'obfervation echappa aux Afironomes de l'EmpereurHi&cHo, qui furent punis de leur négligence, il paroît conftant

entre les Aftronomes que des 36 Eclipfes marquées dans leLivre de Confucius il y en a 31 parfaitement conformes aucalcul aflronomique de nos tables modernes (i).

Cependant on a de la peine à fe prêter aux idées du PereGaubil (2) fur la fublimité des connoiffances des Chinois enGéométrie, avant l'arrivée des Européens, quand on lit dansles Mémoires du Pere le Comte, qui l'avoit précédé à la Chine,

yde plus de 30 ans, que la Géométrie des Chinois etoit très-fuperficielle (3). D'ailleurs quand on réfléchit que ce Peuplejaloux & fes Empereurs affervis, pour ainfi dire, aux loix, auxufages, & aux préjugés de l'antiquité, n'ont accueilli les Mif-fionnaires que dans la vue de profiter de leur lumiere dans leshautes fciences, il eft clair que les Chinois fe reconnoiflbientde bonne foi bien inférieurs aux Européens.

On peut même obferver que l'Empereur 8c les TribunauxdePekin firent affez peu de cas de toutes les expériences de Phy-fique des Miffionnaires, quoique très-bien exécutées, avec desinftrumens parfaits en tout genre, Machines pneumatiques,Chambres noires, Miroirs, Microfcopes, &c. Les Chinois s'enamuferent pendant les premiers joursmais n'y voyantaucun butd'utilité réelle pour le Peuple, ils tournerent toute leur attentionvers les connoiffances des Européens dans les Mathématiques& dans l'Aftronomie, qui etoit le point capital de leur inftruâionV

L'Aftrbnomie a toujours eté dans une fi haute confidération àla Chine, qu'elle a donné naiffance au Tribunal qui porte fon

(1) Voyez le Mêm. de M. Freretdans le quinzieme Volume desMémoires de l'Académie des Inf-«rigtions & Selles-Lettres,p. 541,

(z) Gaubil dans les Obferva»tions agronomiques du P. Sourin.

(j) Mémoires du P. Le Comte fpag. 213 ôc fuivantes.

Page 51: Memoires concernant les chinoise 5

nom & qui n'a point d'autre occupation que d'etudier le Ciel.Il eft néanmoins fubordonné au Tribunal des Rites, qui eil

chargé d'examiner fi l'on ne préfente rien qui foit contraire auxufages, aux cérémonies accoutumées & qui puiffe troublerl'ordre établi parmi le Peuple pour chaque faifon*- Le. Tribunalde l'Agronomie ou des Mathématiques eit obligé de présenter àl'Empereurtous les 45 jours, une carte de l'etat du Ciel, avectous les changemens qui. doivent caufer de l'altération dansl'air c'eft une, efpece. d'Almanach qui a cours dans tout l'Ernrpire. Le même Tribunal eft chargé de calculer les Eclipfes, &d'en marquer plufieurs mois auparavant, le jour, l'heure, & lapartie du Ciel où elles doivent arriver; leur durée, leur obfcu-ration elles doivent anffi être calculées pour la latitude & lalongitude des Capitales de chaque Province..

Peu de jours avant l'Eclipfe, elle eft annoncée dans toutesles Villes; les Savans mêmes & les.perfonnes de diftinc~Hon quifavent que l'Eclipfe eft un effet naturel, ont tant de refpeâpour les ufages du Peuple, qu'ils fuivent avec lui les cérémoniesridicules auxquelles_cephénomène donne lieu..

L'année Chinoife civile commence au mois de Février elleeft de 12 mois lunaires, les uns de 29 jours & les autres de 30.Tous les 5 ans ils ont un mois intercalaire. L'année Solaire ouAgronomique eft de 36? jours 6 heures, &. chaque quatrièmeannée efl de 366 jours comme notre année bitfextile & cetufage a 2000 ans d'antiquité avant I..G. Les Chinois ont unCycle de 60. ans, qu'ils prétendent auffi ancien que leur Monar-chie, & il leur fert de période pour régler leurs annales. Ilsdivifent leurs femaines,. comme nous, fuivant l'ordre des Pla-netes. Le foleil & la terre font les deux premieres. Quant aux«inq autres, les Chinois leur ont donné les noms de leur cinqElémenSj qui font la terre, lé feu,. Veau, le bois &lés métaux*Ils ont appliqué le nom de. la terre à la Planète que nous nom.

Page 52: Memoires concernant les chinoise 5

mons Saturne; le bois, à Jupiter; le feu-, à Mars; le métal àVénus & l'eau à Mercure.

Leur jour: commence à minuit comme le nôtre, & finit àminuit fuivant mais fa divifion n'eft qu'en douze heures, dontchacune eft égale à deux des nôtres ils divifent encore le jour

en i oo parties, & chaque partie en roo minutes. Ainfi chaquejour contient 10000 minutes. Ils croient qu'il y a des heure3heureufes & malheureuses. L'heure de minuit eft fort heureufeparce qu'ils la prennent pour l'heure de la création ils croientque la terre fut créée à la deuxieme heure, & l'homme à latroifieme &c. &c. &c.

T R O I S I E M E- PAR T £ E.

'De la Chronologie > de l'Hiflcire & des Religions de la Chine*

A la Chine (i), le foin -d'ecrire l'Hiftoire n'eft" point aban-donné aux Particuliers. Un Tribunal érigé exprès fous le titredes Han-lin, & compofé des Lettrés les plus habiles, préfide à la

confection des Annales. C'eil à lui que font remis tous les Mé-moires authentiques de ce qui arrive dans l'Empire. Ces Mémoi-

res font confervés avec foin dans un dépôt; & lorfque l'étabîif-fement d'une nouvelle famille Impériale, ou du moins quelquerévolution confidérable dans le Gouvernement, a diminué lepéril auquel, l'amour de la vérité expofe néceifairement-ceux'qui ecrivent l'Hiftoire de leur pays, on remet les! Mémoirescentre les mains des plus habiles Lettrés, pour en compoferFHiftoire d'uncertain efpacede tems; & cette Hifloire,avant que

d'être publiée, eft encore revue par le Tribunal des- Han-lin^dont l'approbation, lui donne le dernier degré d'authenticité.

(i) Mémoires de l'Académie des Infcriptions & Belles-LettresTome X, page 379..

Page 53: Memoires concernant les chinoise 5

Le Tribunal de l'Aftronomie eft prefque toujours réuni à celuide FHiftoire & il a foin de faire marquer exa&ement dans ces

.Annales les Eclipfes & les autres Phenomenes,ce qui fournit unmoyen de vérifier la chronologie Chinoife, en comparant les,dates de ces Phénomènes dans les Annales, avec celles quefournit le calcul des Tables (i).

Le Tribunal de l'Hiftoire eft partagé en deux claffes; la pre-miere eft chargée d'écrire ce qui fe paie au-dehors du Palais,c'eft-à-dire tout ce qui concerne les affaires générales de l'Em-pire. La feconde écrit tout ce qui fe pafïe & même tout cequi fe dit au-dedans du Palais, les aérions & les discours duPrince, de fes Miniftres & de fes Officiers, du moins de ceuxdont il juge que la connoiffance doit paffer à la poftérité.Chacun de ceux qui compofent la claffe, ecrit fu? une feuillede papier ou fur une tablette la relation de ce qu'il a appris; illa ligne & fans la communiqner aux autres, il la jette dans uneefpece de coffre ou de grand tronc, fermé & placé au milieude la falie oii s'affemble le Tribunal. Ce coffre ne s'ouvre quelorsqu'il eft queftion de mettre en ordre ces Mémoires pourtravailler à l'Hiftoire, foit d'un regne particulier, foit mêmed'une dynaflie entiere.

Les Annales de la Chine font remplies de traits d'une fermetéhéroïque, qui coûterent la vie aux Préfîdens & aux Membresdu Tribunal, pour s'être refufés à fupprimer ou à ne pas confi-

gner dans les Archives des aftions injuftes des Empereurs. Unfeul de ces traits fuffira pour faire connoître l'efprit du Tribunal& la conduite de ceux qui le compofent. Tay-fong, deuxiemeEmpereur de la Dynaftie de Tang (z), demanda un jourau Préfident du Tribunal, qu'il lui fit voir les Mémoires des-tinés pour l'Hiftoire de fon regne. « Seigneur, lui répondit

(i) Mém. de l'Acad. des Infcript. (i) Préface du P. de Mailla. Mé-& Belles-Lettres, T, XV, p. 504. moires de l'Acad. T.XV, p. joj.

Page 54: Memoires concernant les chinoise 5

l »4e> Président, le Tribunal ecrit le bien & le mal avec uneI » égale liberté. Aucun Empereur n'a vu ce que l'on difoit

I » de fon Gouvernement. Si on le lui montrok, on ne pourrait» plus ecrire que des doges, la. liberté avec laquelle le Tribunal

» ecrit tout ce qui fe paffe, eft un frein capable de retenir

» en plufieurs occafions les Princes & les Minières. Ceux.V d'entr'eux qui ne font pas encore tout-à-fait corrompus xi s> & auxquels- il refte quelque pudeur, redoutent les jugemens

» que la poftérité portera de leur conduite. Eh quoi, dit FEm-

»> pereur*. vous qui me deve% ce que vous êtes; vous qui m'êtes fi» attaché, voudriez-vous inftruire l'avenir de mes fautes,.fi j'en

» commettois? Je ne ferois pas le maître de les lui cacher,

» reprit un. des Membres du Tribunal; ce feroit avec douleur

» que nous les ecririons, mais tel eft le devoir de notre emploi

» il nous obiige même d'inftruire la poftérité de la conversation

« que vous avez aujourd'hui avec nous »..Telle eft.la fource de l'hifloire Chinoife, & dans laquelle les-

Auteurs ont puifé les faits qu'ils nous ont tranfmis..On voit dans le Chou-king une relation des travaux

entrepris & exécutés du tems d'Yao .par Chun & Yu, pourdeffécher les pays inondés. Cette relation contient un détailgéographique du cours des fleuves & de celui des rivieres,dont ils reçoivent les eaux, de la fituation des montagnes & dela direction des canaux, &c. Elle a toujours paiTé pour être dutems même de Yu, c'eft-à-dire pour avoir été écrite vers l'an-2000 avant l'Ere Chrétienne.

Ce même Chapitre contient auffi un détail des différenstributs que payoient les neuf Provinces à l'Empereur Yao, 6k

ce détail ne nous permet pas de douter que les Arts ne furentdès-lors portés à un certain degré de perfection. On voit parmi.ces tributs payés en efpeces, des etoffes de foie rayées, des.fourrures de plufieurs genres, des pierres dures taillées ? desjafpes, des agathes, des marbres, &c..

Page 55: Memoires concernant les chinoise 5

Dynaftie/'2107 ans

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Changoalig,I7T (avant (

a Le.1

Empereuf.^

Les Provinces au Midi (i) de Nan-king reçurent peu-à-peurles loix & les mœurs Chinoifes, & l'Empire de la Chine acquit"bientôt l'étendue qu'il a encore aujourd'hui.

Cliun, aflbcié à l'Empire par Yao, lui fuccéda, & à fonexemple, préférant Yu à fes propres enfans il Faffoeia à lafoiïveraine puiffance, &îui laifla auffi l'Empire.

C'eft ici que commencent les 12 dynafUes ou familles desEmpereurs qui régnent à la Chine depuis 3900 ans.

Yu, furnommé Ta, ou le Grand, rendit la Couronne & le'Sacerdoce quiy etoit joint, héréditaires dans fa famille. Depuis

ce tems-là, il fut défendu, fous peine de la vie à tout autre qu'àl'Empereur, d'offrir des facrifices.

Yu-taîut un Prince lufce & doux, & fit placer aux portes deton Palais une cloche9 un tambour & trois tables l'une de ferl'autre de pierre & la troifieme de plomb.; & fuivant fon ordon-

nance, on frappoit fur ces mfrrumens, ou fur ces tables, fui-vant la nature des affaires qu'on vouloit lui communiquerai).

Le vin de riz fut inventé fons ce règne Yu-ta bannit de fesEtats l'inventeur de cette liqueur, dont il prévit les funefteseffets^ mais le fecret de cette boûTon s'eft confervé, & il faitencore-les délices des tables Chinoifes (3).

De feize Empereurs qui fuccéderent à Yu, il n'y en eut quehuit qui rendirent les Peuples heureux. Les derniers Empereurs

de cette dynaflie qui occupa le trône -pendant; 441 ans, ayantaliéné les Peuples par leur (4) injuftice & leurs violences, lesProvinces fe révoltèrent & mirent fur le trône Tching-tang

Roi tributaire de Chang, & defcendu d'Hoang-ti.Cette féconde dynaftie porta d'abord le nom de Chang, &

eirfuite celui de Yng. Elle fubfifta plus de 500 ans fous 30

(1) Préface. du Pere de Mailla, 2.76 & le P. Duhakle page 282.page 499. (4) Mémoires de l'Académie

3"(2) Mart. Hift. -Sin. L. IF. Tome XV page 499.(3) Hift. Univ, Tome XX page

1-

Page 56: Memoires concernant les chinoise 5

,DyoaŒie.iCheou ot1

itioilloi

Teme K v- G

Empereurs. Les Peuples furent heureux fous les vingt premiersMonarques de cette famille mais les mêmes raifotis quil'avoient fait élever fur le trône fervirent à l'en faire defcendre.

Les Provinces maltraitées fe révolterent & mirent à leur têteOuen-ouang, defcendu d'un des prédéceffeurs d'JTao. Son fils

Ou-vang fonda une nouvelle DynafHe fous le nom deTcheou.

Cette DynafKe dont Ou-vang fut le chef, fubfifta plus long- 3

tems que les précédentes; elle commença l'an 1 1 1 o avant l'EreChrétienne & ne finit que l'an zçj avant Jefus-Chrift. Ou- T

vang ayant erigé des Provinces en Royaumes tributaires, cettefacilité imitée par fes fuccefleurs multiplia tellement ces

Royaumes (1), que les Empereurs dépouillés de leurs domai-nes, fe trouvèrent hors d'état de fe faire obéir par des vaffaux

qui etoient devenus beaucoup plus puiffans qu'eux. Ils confer-yerent cependant & le titre & quelques-unes des prérogativesde la dignité Impériale, tant que l'égalité fe maintint entre lesRois tributaires. Mais lorfque les Princes du pays de T/î/z,dans la partie Occidentale du Cken-Jî, eurent détruit & fournis

la plus grande partie des autres Royaumes, ils prirent le titred'Empereur, auquel Tcheou-kioung, le dernier des defcendansde Ou-vang, renonça volontairement l'an 255 avant l'EreChrétienne.

L'Hifloire des derniers Empereurs de cette grande Dynaftien'eft remplie que de guerres civiles & étrangeres, les Tartaresayant pris occafîon des troubles de l'Empire pour y faire desincurfions, & même s'établir dans quelques Provinces.

Nous obferveronsfeulementdeux evénemens mémorables(2)dans cette partie de l'Hiftoire de la Chine. Le premier eftla naiffance de Zao-kiun, fondateur de la Se&e des Taofée,

(0 Mémoires de l'Académie!, (x) Hiftoire Univerfelle TomeVol. XV page 500, XX pages 301 & 302.T_ TT

Page 57: Memoires concernant les chinoise 5

fauffement appellée la Sefte des Immortels dont nous par-lerons bientôt. Il naquit fous le regne de Ting-vang, XXIeEmpereur qui monta fur le trône l'an 606 avant J. C.Le fecond eft la naiffance de Confucius ce fameux Philo-fophe de la Chine pere des Lettres & de la faine do&rine. Il

naquit fous le regne de Ling-vang XXIIIe Empereur, 560

ans avant Jefus-Chrift.Il s'etoit élevé peu de tems-auparavant (i) deux Seâes de

Philofophes qui avoient pour Chefs Yang & Me. Ce dernierprétendoit qu'il falloit aimer egalement tous les hommes fansfaire de diftinclion entre les Etrangers & ceux qui nous fontle plus etroitement unis par les liens du fang & de la nature.Le premier vouloit qu'on fe renfermât uniquement dans le foinde foi-même fans prendre aucun intérêt à tout le refle deshommes pas même à la perfonne de l'Empereur.

La nouvelle Dynaftie des Tjzn ne fubfifta pas long-tems.Cheng-fiang-vang ne régna que trois ans (2) & laiffa la

couronne à fon fils adoptif Tché-hoang-ti (3) qui régna 37ans. Celui-ci eteignit tous les Royaumes tributaires & laiffa

un monument de fa puiffance qui étonne encore tous ceuxqui le voient. C'efl la fameufe muraille qui fépare la Chine detous les Peuples quil'environnent.Mais ce Prince eil encore plus

connu à la Chine par fa haine contre les Lettres & contre tous lesanciens Livres d'Hifloire de Morale & de Jurisprudence, qu'ilvint à bout de fupprimer prefque entiérement (4). Six ansaprès fa mort fa Dynaftie fut éteinte. E ulclzi fon fils &

(i) Mart. Martini, Hiiloire Sin.fous Khn.

(i) Mémoires de l'AcadémieTome XV page 500.

(3) M. Freret fe trompe en don-nant Chc-hoang-d pour chefde cette

Dynaftie. Les Annales Chinoifesne le marquent que pour deuxiemeEmpereur.

(4) Voyez fon Hiftoire Tome.ill de ces Mémoires pag. 183»

Page 58: Memoires concernant les chinoise 5

G ij

l Ing-vangîon petit-neveu n'ayant régné le premier que cinq

ans & demi (i) & le dernier que 4j jours.Lien.-pa.ng foldat de fortune qui s'etoit mis à la tête de$

révoltés, monta fur le trône Fan 206 avant Jefus-Chrift &

ayant pris le nom de Kao-tfu il établit la Dynaftie desHan. On diftingue parmi les Empereurs de celle-ci Ven-ti,

qui remit au Peuple la moitié des impôts & rétablit l'agri-culture que les guerres précédentes avoient prefque ruinée.

-Il devint le Protecteur des, fciences. C'eft fous fon regne qu'oninventa le papier l'encre & les pinceaux on n'ecrivoit aupa-ravant que fur des tablettes de Bambou.f King-ti fe distingua (2) par fa douceur & fa clémence.

'^en-ti fit enfeigner publiquement la do&ine de Confucius..yMë/zM rétablit les emplois de Cenfeurs de l'Empire j qu'onavoit fupprimés, Ming-ti établit dans fon Palais une Académie

ïdes Sciences pour y élever les enfans des Princes & des/Vs Seigneurs de fon Empire. Les Etrangers y etoient admis &:fouvent il affiftoit lui-même à leurs exercices. Ce règne eft en-'core mémorable par l'etabliffement de la Se£le du Dieu Fo

;;que les Ambaffadeurs de l'Empereur allerent chercher dans lesjlndes l'an 64 de Jefus-Chrilt.

Cette Dynaftie finit par l'indolence de Hien-ti fon dernierEmpereur.

Cette feconde Dynaftie des Han n'eut que deux Empe-reurs & il n'y eut, à proprement parler, que le premier quimérita de régner le fecond fut la caufe de la mort défefpéréede fon fils qui ne voulut pas furvivre au déshonneur que lalâcheté de fon pere lui avoit attiré s'etant livré lui-même au

vainqueur (3).

(i) Duhalde Hiftoire de la XX, page 3 16.Chine, Tome II. (5) Hiftoire Univerfelle Tome

(z) Hiftoire Univerfellet Tomee XX page 3 21 & 3 z z.

Page 59: Memoires concernant les chinoise 5

Les Tfin dont le nom s'ecrit & le prononce différemmentde celui des premiers Tfin fuccéderent aux Han en l'an i6çde Jefus-Chrift & occupèrent le trône pendant 1 5 5 ans mais

ils ne furent d'abord maîtres que d'une partie de la Chine.L'Empire fe tronvoit alors partagé entre trois Souverains, ceuxde Tfin ceux de Ouey dans les Provinces feptentrionales &

ceux de Ou au Sud du fleuve Hoang-ho. Les Ouey etoientTartares d'origine leurs Rois prenaient le titre d'Empereurs

mais ils n'ont jamais eté reconnus pour tels dans le refte del'Empire.

Aux Tfin fuccéderent les Song pendant 5^ ans*

Les Tfi pendant 23 ans.

Les Leang pendant 55»

Les Tching pendant 33»P

Les Soui après avoir déjà régné pendant long-tems foi?

les Provinces du Nord furent maîtres de toute la Chine pen-dant 29 ans. Ils avoienr même pris d'abord le titre d'Empereurs,quoiqu'il y eût dans les Provinces du Midi des Princes reconnuspour tels dans Le refte de la Chine (1).

La Dynaflie des So'ûi finit l'an 617 de Jefus-Chriif.LaDynaftie des 7a?zg".luifuccéda& régna pendant 289. ans.,

Après eux cinq Dynaffies différentes occuperent fucceffive-.nient le trône Impérial pendant 5

3 ans^, depuis 907 jufqu'en 960.Aux cinq petites Dynaffies fuccéderent d'autres Song qui

régnerent pendant 3 1 9 ans. Ce fut la douzième année du regnede Ming-hong douzième Roi de cette Dynaftie que Genghis'khan, Chef des Tartares occidentaux jettales premiers fonde-mens de fon Empire, & ayant donné à fa famille le nom SYven

i(1) Mémoires de l'Académie-, Tome XV, page 501,

Page 60: Memoires concernant les chinoise 5

il fonda la nouvelle Dynaftie des Yven. Une famille Chinoife

chaffa ces Mongoults & monta fûr le trône cette famille

porta le nom de Ming, & elle a duré pendant 256 ans, juf-

cru'en 1644 que les Tartares Mant-cheous ou orientaux fe

rendirent les Maîtres de la Chine, Ils y regnent aujourd'huifous le titre de Tjing.? Telles font les xx Familles ou Dynafties qui ont fucceffive-

ment occupé le trône Impérial de la Chine & dont on aTHifïoire publiée en différens tems par les foins d'un Tribunal

dont nous avons parlé.?' Tous les Auteurs qui ont écrit fur la Chine dirent unani-

mement qu'après la difperfion des Peuples quelques defcen-;dans immédiats de Noé ayant pénétré du côté de l'Orient,

environ 200 ans après le déluge jetterent les fondemens del'Empire de la Chine & qu'ils y porterent la Religion deleurs peres. Ils font même cette obfervation dit M. Freret (r)

qu'elle s'y eft maintenue dans fa pureté & dans l'exactitudede fa morale depuis les premiers tems de la fondation de cePeuple jufqu'à nos jours tandis que l'idolâtrie a régné danstout l'univers. Nous entendons la Religion du Prince & duGouvernement.

L'Etre fuprême eu donc le feul objet du culte des Chinois.Ils l'adorent comme principe fouverain de toutes chofes, fous,"les deux noms de Ckang-ti & de Tien, qui, dans leur langue

5,fignifient egalement fouverain Empereur. La définition quele Chu-king en donne eft celle-ci. « C'eil le Créateur de tout ce» qui exifte; il eft indépendant & tout puiffant il connoît tout» jufqu'auxplusintime&fecrets-ducœur il veille fur la conduite

s> de l'univers où il n'arrive rien fans fon ordre il eft Saint. H.» ne confidere que la vertu dans les hommes. Sa juûice eft fens

(i) Mémoiresde l'Académie des XV pages 10 & 12. Mémoires de-J înfçriptions & Belles-Lettres Vol, l'Abbé dç Fontenu^

Page 61: Memoires concernant les chinoise 5

» bornes il exerce des punitions fignalées fur les méchans, fans

» epargner les Rois qu'il dépofe dans fa colere. Les calamités

» publiques font des avertiffemens qu'il emploie pour exciter

» les hommes à la réformation des mœurs, qui eft la plus fûre» voie pour appaifer ton indignation ».

Les Empereurs ont toujours regardé comme un devoir d'ob-ferver les anciens Rites; l'Empire a pour cet objet un Tribunaletabli prefque dès fon origine l'ancienne doctrine des Chinois

a toujours trouvé de l'appui dans ce Tribunal, même de nosjours; & quoique les Mandarins qui le compofent pratiquentquelquefois avec le Peuple certaines fuperflitions en particulier,ils les condamnent ouvertement quand ils font au Tribunal (i ).

On a prétendu que quoique le Chang-ti ou le Tien fût aucommencement le premier, & peut-être le feul objet de leurculte, ils ne Laiffoient pas d'adreffer leurs hommages aux Cieuxmatériels qu'ils appellent Chang-ti ou du moins à l'efficace

célejle, deftituée d'intelligence & inféparable du Ciel même, cequi eft une efpece d'Athéifme dont on a accufé les Chinoismodernes d'être infeftés. Cette affertion ayant été un des prin-cipaux motifs de la querelle des Millionnaires entr'eux, l'Empe-reur Kang-hi voulut faire connoître la religion de l'Empire parun Edit folemnel qui fut dépofé dans les Archives des Loix ils'exprime ainfi

« Ce n'eft pas au Ciel vifible & matériel qu'on offre des

» facrifices mais feulement au Seigneur & à l'Auteur du

» Ciel, de la terre & de toutes chofes & c'eft par cette raifon

» que la tablette devant laquelle on offre des facrifices porte» cette infcription au Chang-ti c'eft-à-dire au fouverain

» Seigneur c'eft par refpeft qu'on n'ofe pas l'appeller de fon

» véritable nom & qu'on a coutume de l'invoquer fous le

(i) Hiftoire de la Chine par Duhalde Tome III p. 17 & 18.

Page 62: Memoires concernant les chinoise 5

» nom de Ciel fuprême de Ciel bienfaifant, de Ciel univerfel

» de la même maniere que quand on parle par refpecl de

» l'Empereur on ne l'appelle pas par ton nom mais on dit,» les degrés de fort trône, la, Cour fuprême de fon Palais ces

noms quoique différens quant aux fons ont la même figni-» fication. Enfin ajoute l'Empereur le. principe de touteschofes s'appelle Tien Ciel en ftyle noble & figuré de.» même que l'Empereur eft appelle Chaoùng du nom de fon» Palais où brille davantage Sa Majefté Impériale ».

L'Empereur ne fe contenta pas de fa propre déclaration ?

qui pouvoit être regardée comme fon opinion privée, il aiTem-

bla les Grands de l'Empire les premiers Mandarins les prin-cipaux Lettrés & le Président de l'Académie Impériale. Tous

parurent furpris qu'il y eût des Savans en Europe qui fem-Jjioient croire que les Lettrés de la Chine honoroient un Être

inanimé & fans vie tel que le Ciel vifible & matériel & tousdéclarèrent folemnellement « qu'en invoquant le Tien ils

-»>invoquoient -l'Être fuprême le Seigneur du Ciel le difpen-

» fateur de tous les biens qui voit tout qui connoît tout» & dont la Providence gouverne cet univers ».Nous ne pouvons finir cet article fans dire un mot des Efprits

auxquels les Chinois rendent un certain culte de tems immé-morial: « Les Chinois difent tous les Voyageurs les Miffion-» naires & leurs Compilateurs honorent auffi mais d'un culte» fuhordonné les Efprits inférieurs qui dépendent dit premier» Etre & qui fuivant la même doctrine préjîdent aux villes,.» aux /V~ aux monta~nes &c. ¡'.

Nous fuivrons pour les autres Religions établies à la Chinel'ordre chronologique. La premiere eft celle des Tao-JJe quifui vent les principes & la doclrine de Lao-kiun-

Un Millionnaire ecrivoit (i) dans ces derniers tems :« On(i) Notice du P. Amyot,

Page 63: Memoires concernant les chinoise 5

»>feroit fort curieux de favoir en Europe ce qui concerne la

» Dqétrine & l'Hifloire de cette Se&e très-ancienne & trop» fameufeà la Chine. Si on manque de mémoires en Europe fur» la foibleffe de l'esprit humain les entêtemens des Seaaires,» les fureurs de l'efprit de parti les délires de la crédulité

» les ridicules de la prévention l'alliage inconcevable de la

» fageffe & de la folie de la vertu & du vice on a raifon

» de vouloir connoitre les Sectateurs de Taoffé Leur Hifloire» eft un répertoire très-abondant en ce genre..Mais l'Hiftoired'une Sefte qui dure depuis près de deux mille ans dans un

» Empire auffi vafte que la Chine ne s'étudie pas comme» une Anecdote littéraire ou hiflorique. Tout ce qu'on peut» en dire c'eft que les Tao-ffé font les Quakersde fidolâtrie

» ou plutôt du déifme car ils ne font devenus Idolâtres que» peu à peu. Leur doctrine & leurs moeurs touchent à la fois

». au fublime & à la folie à l'héroïfme des vertus & aux» vices les plus abjefe ». Cependantnous allons donner d'aprèsDuhalde quelques détails plus circonflanciés (t).

» Cette Seéte doit fa naiffance à Lao-kiun. dont les Difci-

v>pies racontent quantité d'extravagances ils difent qu'il de-

vi meura 80 ans dans le ventre de fa mere & qu'il s'ouvrit

» un paffage par le côté gauche. On a encore fes Livres,

» mais qui oat été fort défigurés par fes Difciples quoi-» qu'on y trouve encore des maximes dignes d'un Philo-» fophe fur les vertus fur la fuite des honneurs fur le» mépris des richeffes & fur la grandeur d'une ame qui s'eleve

»> au point de croire qu'elle peut fe fuffire à elle-même »

Le Tao oit-il ou la raifon a produit un un a produitdeux deux ont produit trois & trois ont produit touteschofes. Sa morale eft affez femblable à celle d'Epicure. Elle

(1) Hiftoire de la Chine de Duhalde, Tome II pag. 19 à i%.coniîfte

Page 64: Memoires concernant les chinoise 5

Juif:

confifte à ecarter les paflions capables de troubler la paix &

la tranquillité de Tame & à eviter tous les foins & les defirs

violens comme des ennemis de la vie & à s'affranchir dela crainte de la mort. Ses Difciples prétendent qu'il trouva unbreuvage pour fe rendre immortel.Ils s'adonnerent à la Chymie & s'entêtèrent de la Pierre

philofophale ils eurent pareillement recours à la magie auxprestiges & à des pratiques bizarres qui en impofent auxPeuples (t ).

Par ces moyens mais-fur-tout par l'espérance de rendre leshommes immortels ils gagnerent les Mandarins, les perfonnesïlluftres quelquefois même les Empereurs & leurs femmesqu'ils porterent à etudier fous eux la magie.

ïls facrifient aux Efprits de ténèbres trois fortes de viclimes,un cochon un poiffon & une volaille &c.

Le Père Ricci & quelques autres des premiers Miffionnai- jTes ont paru infinuer qu'il y avoit quelques Juifs difperfésdans la Chine mais foit qu'ils aient trouvé des difficultés &les découvrir foit qu'ils n'aient pas mis beaucoup d'impor-,tance à cette découverte on n'en a entendu parler férieu-fement qu'en l'année 1704 « que le Père Gozani Jéfuite

*r etant allé par hazard dans la Province de .~oMtM trouva,'dans Kai-fong-fu la capitale de cette Province au centre

n de l'Empire une Synagogue affez confidérable la feule;;» qu'il y eût à la Chine comme il l'apprit d'eux-mêmes >v-Le Père Gozani fit d'abord connoiffance avec quelques-uns!de leurs Savans qui en confîdération de fon caractère lui-1

firent accueil. Ils le menerent dans leur Synagogue, & luimontrèrent des rouleaux de parchemin du Pentateuque,écrit'1

en Hébreu d'un caraêtere très -net & très- diftin-ét.^ avec

(1) Voyez le Cong-fou Tome IV pag. 441,;

Page 65: Memoires concernant les chinoise 5

quelques Livres de l'ancien Teilament tels « que ceux de» Jofué des Juges de Samuel des Rois quelques-uns des

» Prophetes & d'autres Livres ». Le Pere Gozani entre dansdes détails curieux au fujet de leur Synagogue. Ils donnentà Dieu, comme les Chinois le nom de Tien & ils l'adorent

comme eux* fous le nom de Chang-tien ou Chang-ti.Ces Juifs ont parmi eux des Lettrés des Gradués & ils'

rendent à Confucius les mêmes honneurs que les autres Let-trés, ainii qu'à leurs ancêtres. Ils n'avoient aucune connoif-fance de Jefus-Chrift mais feulement de Jefus fils de Sirakïils dirent au Pere Gozani qu'ils avoient eu connoiffance queleurs ancêtres etoient venus à la Chine fous la Dynaftie desHan 206 ans avant Jefus-Chrift.

Les Savans ont une ample matiere à leurs recherches fur

cette tranfplantation des Juifs au milieu de l'Empire de laChine dans des tems auffi reculés. Plusieurs Ecrivains ont cfa-fervé déjà que les dix Tribus d'Ifraël qui furent emmenéescaptives par Salmanafar à Ninive 721 ans avant Jefus-Chrift, furent difperfées parmi les Gentils & s'y perdirenttellement qu'on ne peut en retrouver aucune trace (1). Plu-fleurs pafferent au-delà de TEuphrate &c. Si les Juifs de la-

Province de Honan n'ont pénétré qu'en 206 avant Jefus-Chrift dans le centre de la Chine c'eft qu'ayant formé furla route beaucoup d'autres etabliffemens de proche en proche,.il leur a fallu plufieurs fiecles pour en etablir un folide dansun auffi grand eloignement que celui de la Chaldée à laChine.

La Sefte du Dieu Fo eft la Religion dominante du Peuple

ou de la populace Chinoife. Voici ce qui réfulte des HiftoriensChinois à cet egard. L'an 65 de Jerus-Chrift l'Empereur,

(1) Difçows fur l'Hiftoire Univerfelle par M. Boffuet.<

Page 66: Memoires concernant les chinoise 5

Ming-d eut un fonge à l'occafion duquel il fe rappella qu'on

avoit Souvent entendu dire à Confucius & qu'il avoit mêmeecrit, que le Saint devoit paroître du côté de l'Occident. En

conféquence ce Prince envoyadesÀmbaffadeurs aux Indes pourdécouvrir quel etoit ce Saint. Us crurent l'avoir trouvé chez

/les Lamas dans l'Idole qui repréfente le Dieu Fo-ou-fue ilsfapporterent à la Chine & conduisirent avec eux des Prêtres

[qui répandirent dans tout l'Empire les fables, les fuperftitionsla métempfycofe & l'athéifme dont les Peuples de l'Indeetoient infeftés. Nous renvoyons aux Auteurs qui ont traitéde l'Hiftoire de la Chine pour connoître tous les détails decette Religion extravagante. Cette doctrine fut bientôt mul-

r tipliée par une légion de Prêtres que les Chinois nommentyHo-changhï les Tartares Lamas les Siamois Talapoins lesJaponnois & tous les Européens les Bonnes. Ils racontent

mille folies de leur prétendue divinité. Leur Maîtredifent-ils eft né huit mille fois a pafle fucceffivement

dans le corps de plufieurs animaux Singes Dragons Elé-phans blancs &c. & de-là vient cette grande quantité de

:Temples que la crédulité du Peuple a élevés à toutes fortes(d'Idoles.

Fo avoit dit quelque part qu'il avoit un Maître plus grand-{que lui, nommé O-mito qu'il fuffit de l'invoquer pour être•lavé des plus grands crimes. De-là vient que les Chinois de(cette Sefte ont continuellement dans la bouche ces mots d

^O-mito-fo au moyen defquels ils peuvent fe racheter de leurscrimes pour lâcher enfuite la bride à leurs parlions parcequ'ils font fûrs de laver toutes leurs taches au même prix.

Cependant les .Bonzes pratiquent extérieurement la vertula plus auftere.

Ils enfeignent qu'après la mort, il y a des récompenfespourla vertu, des punitions pour le crime que c'eft au Dieu Fa

Page 67: Memoires concernant les chinoise 5

qu'ils doivent l'expiation de leurs péchés & une nouvellenaiffance à laquelle ils font deftinés dans un autre mondemais qu'il y a cinq préceptes d'une obligation indifpenfable..

i °. De ne tuer aucune créature vivante.2°. De ne pas prendre le bien d'autrui,,

3°. D'éviter l'impureté..

4°. De ne pas mentir»,

5 °. De s'abftenir du vin.Cette Sefte eft tolérée par le Gouvernement. Les Manda-

rins tâchent d'en éloigner le Peuple dans leur difcours dequinzaine. Mais-, comme un Peuple innombrable eft attaché àces fuperftitions dans lefquelles ils font entretenus par l'intérêtd'un nombreprodigieuxde Bonzes qui n'ont que cette reffourceepour fubfifter le Gouvernement les ménage par la crainte desrévoltes & des foulevemens.

Environ l'an 140,0 de notre Ere une nouvelle Seâe dePhilofophes entreprit de remettre difoient-ils la Religiondes Lettrés en honneur d'expliquer le plus favant & le plusobfcur des Livres canoniques YY-king. Ils crurent avoir trouvédans ce Livre le Tai-ky. Ce Tai-ky eft félon eux, un nouvelÊtre le premier de tous. Il eft à l'égard de tous les autresÊtres ce que le faîte d'une rnaifon eft à l'égard de tout l'edifice.Il fert à conferver & à lier enfemble toutes les parties delîinivers. Ils le nomment le pivot le pilier la bafe de toutce qui exifte. Quelques Lettrés fe font livrés à ces Seftairesmodernes, qui ne reconnouTent d'autre principe qu'une vertucélefte aveugle & naturelle ce qui a fait croire aux Miflion-naires qui arriv oient d'Europe que cette efpece d'athéifmeetoit la Religion des Lettrés mais on a vu plus haut ce qu'il

en. faut penfer ainfi que de celle de l'Empereur Se de tousles membres de l'adnuniftration. Ce n'eu pas que l'amour duiçerveilleux ne faffe quelquefois fon effet fur l'efprit foible de

Page 68: Memoires concernant les chinoise 5

Chrétienne,

quelques Lettrés. Ils vont confulter fecretement les Tao-JJ'é

les Devins les YongSa leurs Difeurs de bonne aventure dontla Chine eft remplie mais ces ecarts n'intéreffent aucunementla croyancedu Prince & du Gouvernement qui font conf-

tamment attachés à la Religion naturelle & au culte du Tien.Les Savans font partagés fur la queftion de favoir fi l'Evan-

gile a eté prêché à la Chine dès le fiecle des Apôtres. Il paroît (

que l'Apôtre S..Thomas le porta en Ethiopie en Perfe &

,en plufieurs endroits des Indes. Mais qu'il ait eté prêché à laChine c'eft ce dont on n'a d'autre preuve qu'ur. ancien Bré-

viaire de l'Eglife de Malabar, écrit en langue Chaldaïque. Il

y eft dit dans quelques Leçons & Antiennes que S. Thomasa porté le Chriftianifme en Ethiopie en Perfe, aux Indes &à la Chine. On cite encore le Chapitre 19 de la deuxième

Partie des Conftitutions Synodales dans lefquelles il eft faitmention, des Métropolitains de la Chine. Quoi qu'il en foitles premiers Millionnaires qui entrèrent dans cet Empire vers.le milieu du feizieme Siècle n'y trouvèrent pas le moindrevcftige du Chriftianifme (1).itt Cependant le P. Le Comte (i) rapporte qu'en 161~ dansle voifmagede la ville de Signan dans la Province de Chen-fi

pn déterra une longue table de marbre qui avoit été élevéeautrefoisen forme de monument ck qui avoit dix pieds de longfur cinq de large. On y trouva fur la partie fupérieure une Croixbien gravée & plus bas une Infcription partie en caractèresChinois partie en lettres Syriaques portant en fubftancequ'un Ange avoit annoncé que le Meflîe etoit né d'une Vierge

en Judée que fa naiffance fut marquée par une nouvelle étoiledans les deux, que les Rois d'Orient la-reconnurent & vin-

rent offrir des préfens à ce divin enfant afin que la Loi & la

(i) Hiftoire Univerfelle, Tome (a) Mémoires du P. Le Comte3.SX, page 91, page 130,

Page 69: Memoires concernant les chinoise 5

prédi£Hon des 24 Prophètes fût accomplie qu'Olo-puen vintà la Chine Fan de Jefus-Chrift 636 & qu'il fut très-bien

reçu de l'Empereur qui ayant examiné fa Loi en reconnutla vérité & donna un Edit en fa faveur. Il paroit, fuivant cemonument que la Religion Chrétienne a fleuri à la Chinedepuisfan 636 jufqu'à l'an 782, qui eft l'année où l'on erigea

ce monument.Le Père Le Comte dit que l'Empereur Chin-yao-ù qui

régnoit en 1625 lorfqu'on découvrit le monument ordonnaqu'il fût confervé foigneufement dans un Temple où il eft

encore à un quart de lieue de Si-gnan-fu. Le Père Kïrkerfit connoître ce monument dans fa Chine illuftrée mais il eftbien plus correft & plus fidélement traduit par le P. Vifdelou,Jéfuite enfuite Evêque de Claudiopolis fi profond dans lalangue Chinoife que le Prince héritier fils de Kang-hi lui

en donna un certificat authentique. M. Petit Confeiller à laCour des Monnoies fit l'acquirltion d'une copie du manufcritdu Père Vifdelou & le fit inférer dans le Journal des Savansdu mois de Juin 1760 où l'on peut en prendre lefture & dansle volume IIe du même mois on trouvera un excellent Mé-moire fur l'authenticité de ce monument.

Mais ce qui eft plus curieux encore efl un Eclype calquétrès-bien, & contre-éprouvé fur le monumentde Si-gnan-fu

où l'on voit la Croix au haut de l'infcription en carafteresChinois, & non, comme le dit le P. Le Comte partie enChinois & partie en Syriaque. Ceux-ci ne font que dans la

marge & font les fignatures des Prêtres Chrétiens qui ontatteflé la vérité du récit qui eft gravé en cara&eres Chinoisfur la pierre. Ce précieux morceau eft entre les mains de M.Deshauterayes Profeffeur au Collège Royal qui poffedeauffi le manuscrit original du P. Vifdelou.

Ce n'eft qu'en l'année 845 que les Annales de la Chine foni;

Page 70: Memoires concernant les chinoise 5

-mentiond'un Edit de l'Empereur Yn-tfong, qui condamnoit les

Bonzes à être fécularifés, entr'autres ceux de Tat-fing ou de la

Judée qu'on fuppofe avoir été les Prêtres Chrétiens, au nom-bre de 3000,; & il y avoit 700 ans que la Chine etoit idolâtrequand Saint François Xavier entreprit d'y pénétrer en 1 545. Il

mourut fans pouvoir y entrer. On a vu dans la premiere Partiede cette Introduction les fuccès,enfuitelestraverfes & les perfé-cutions des Miffionnaires. Nous voudrions paffer fous filence les

difcuffions qui y ont peut-être contribué plus que toute autrecaufe mais nous ne pouvons nous difpenfer de rapporter cequ'en difent les Hiftoriens & les monumens. On les trouve dansl'Hiftoire générale des Voyages, où nous renvoyons le Lecleur.§ A peine les Millionnaires Européens eurent-ils mis le pied àla Chine, que « les divifions eclaterent entr'eux il s'éleva» à Macao une difpute entre le Vicaire général du Saint-Siege

» & les Francifcains; jamais l'Enfer, dit l'Auteur (1) que nous<», fuivons n'inventa rien de plus noir que la vengeance d'un» partifan du Vicaire général contre le Supérieur des Jefuites» qui s'étoit déclaré pour les Francifcains. On auroit vu périr» volontiers la Religion Chrétienneà la Chine, pourvu que les»j premiers fuffent enveloppés dans leurs ruines on fit enten-»;'dre aux Chinois que leur ambition etoit fans bornes' & que» la prédication de l'Evangile n'etoit qu'un prétexte pour» élever le Pere Cataneo un des leurs au trône Impérial

y» que leurs etabliffemens à Cantong & à Pekin etoient faits/» pour les favorifer que la flotte Hollandoife qui avoit parufur les côtes etoit venue pour les féconder que le Gou-

» vernement de Macao etoit dans leurs intérêts avec Ses

» troupes & que les Chrétiens du Japon devoient fe joindre» à leurs amis de la Chine.

(1) Hiftoire Générale des Voyages Vol. V page 361.!

Page 71: Memoires concernant les chinoise 5

» Tout etoit perdu fi cette accufation fût venue jufqu'aiiK

» oreilles de l'Empereur mais la tranquillité Chinoife laprudence des Mandarinsde Cantong les fauva ils firent des

» informations exactes & ils reconnurent qu'on les avoit« trompés ».

Ce premier orage étant diffipé il ne tarda pas à s'en pré-

parer de plus grands (i).« A peine le Pere Ricci eut-il gagné la confiance dé la Cour

» de Pekin, & commencé la Prédication de l'Evangile que» les Miffionnaires Dominicains prétendirent qu'il autorifoit» l'idolâtrie en permettant aux Chinois de rendre un culte

» extérieur à leurs parens morts à Confucius comme au plus» grand Philofophe de leur Empire & aux autres perfon-

»> nages qui s'etoient rendus recommandables à la Patrie. Ils

» foutinrent que le Tien étant Dieu, le Chang-à ou le Ciel etoit

» un Être matériel auquel les Chinois facrifioient par idolâtrie.Le Pere Longobardi., qui fuccéda aùPere Ricci en 1610,» embraffa l'opinion des Dominicains. Plufieurs de fes Con-

» freres l'adoptèrent mais afin que par une fatalité inconce-» vable les Mintftres de la Religion fuffent toujours divifésplufieurs Dominicains prirent parti pour l'opinion du feuPere Ricci. L'affâire fut portée à la Cour de Rome par le

» Dominicain Morales, en 1 645 & ilobtintdu Pape Innocent» X un décret contre le parti de Ricci. Mais le Pere Martin

» Martini, à qui l'Aflronomie & i'HHïoire ont tant d'obliga-» tions préfenta les chofes fous un autre jour & il obtint

» une décifion du Pape du 23 Mars 1656, qui approuva une» partie du culte extérieur des Chinois comme purement» civil, mais fans révoquer le Bref du Pape Innocent X les

» difputes cefferent jufqu'en 1684, que M. Maigret Vicaire

(1) Hiftoire Générale des Voyages Vol. V, pag. 532. & fuiv.Apofiolique

Page 72: Memoires concernant les chinoise 5

'i » Âpoftolique à la Chine publia dans l'Empire même le 2.6

« Décembre 1693 une Ordonnance qui décidoit la queftioa

n au défavastage des Jéfuites. Cette affaire fut examinée de

» nouveau à la Cour de Rome & en 1700 on vit paroître

»> une Lettre au Pape fous le nom du Séminaire des Miffionsi> étrangères à Paris, où les Jéfuites furent attaquésdire&ement.

»La même année cinq propositions tirées des Mémoires du» P. Le Comte furent cenfurées par là Sorbonne. Bientôttoute l'Europe fut mondée de Mémoires pour & contre les

» cérémonies Chinoifes. On employa jufqu'à l'Ecriture-Sainte.» On paraphrafa en ftyle dévot un Pfeaume où les paroles

» du Prophète royal furent tournées en railleries & en invec-

» tives. On réfuta ces calomnies mais en 1704 le Pape

y> condamna les cérémonies Chinoifes fuivant le vœu des

» Miflions étrangères de France & il envoya à l'Empereur» Kang-hi le Cardinal de Tournon en qualité de Légat du»> S. Siège. Vingt-quatre Jéfuites & deux Evêques à leur tête»>

appellerent du Mandement du Cardinal de Tournon. Mal-

» heureufement le bruit de ces démêlés parvint jufqu'à l'Em-

pereur Kang-hi qui déclara que l'entrée de la Chine feroit» fermée à tous ceux qui n'approuveroient pas les cérémonies» Chinoifes. Le Cardinal de Tournon mourut à Macao. L'In-» quifition confirma fon Mandement, & le Pape ordonna aux» Jéfuites de s'y conformer. Mais pour l'exécution de fes» décrets le Pape envoya à la Chine le Patriarche d'Alexan-» drie M. Mezza Barba en qualité de Légat du S. Siège» auprès de l'Empereur Kang-hi. L'arrivée de ce Légat à la» Chine y ralluma le feu de la difcorde. Il faut en voir les

» détails dans l'Hiftoire des Voyages ou dans la Relation du» voyage de M. Mezza Barba ( 1 ) ».

(1) Imprimé Paris chez Briafïbn,

Page 73: Memoires concernant les chinoise 5

L'Empereur donna quatre audiences au Légat. Dans la pre-miere, après plufieurs queitions fur fon Ambaffade & fur faperfonne qui parut être agréable à l'Empereur ce Prince luidit « û quelqu'un foutenoit que cette etoffe rouge eft blan-» che & que la blanche eft jaune, qu'en penferiez-vous ? Eft-» il poffible d'en croire des hommes qui appellent jaune dans

» un tems ce qu'ils appellent blanc dans d'autres ? » ( ce quiavoit trait aux deux décrets du Pape fur les cérémonies Chi-noifes. ) Le Prélat y répondit de fon mieux mais me perfua-derez-vous, lui dit l'Empereur « que le Pape puiffe juge*

s»de la nature des cérémonies Chinoifes lui qui ne les a

• jamais vues ou qu'il en ait plus de connoiffances que je

» n'en ai des affaires de l'Europe » ? Le Prélat répondit quele Pape ne vouloit régler que ce que les Chrétiens dela Chinepouvoient pratiquer.

Dans la féconde audience l'Empereur entra avec le Légatdans des détails d'une vraie confiance fur les difcuffions desMiffionnaires & lui dit qu'il en connoiffoit deux ( qu'il luinomma ) pour des brouillons mais qu'il avoit tenté inutilementde les réconcilier avec les autres. Ce Prince ajouta que dans la

vue d'une plus grande union il les avoit tous logés dans lamême maifon efpérant qu'ils n'y auroient plus qu'un cceurmais que fes foins n'avoient produit aucun effet. « Comment

» le Pape dit-il, peut-il ajouter foi au rapport de différens

» ordres û mal informés des ufages de la Chine que leurs

» témoignages ont été directement contraires » ?a

Le Légat répondit que le Pape avoit entendu les deuxparties & qu'il avoit jugé fur de bonnes informations. « Le

» Pape, reprit l'Empereur n'a pas pu être bien informé J'aime» Beaucoup votre Religion f adore- le même Dieu que vous.» Ainu" lorfque vous aurez quelques difficultés adreffez-

jt vous à moi je me charge de vous les expliquer ».

Page 74: Memoires concernant les chinoise 5

Mahoméîift

me.

T-

L'Empereur témoigna de l'inquiétude fur les Miffionnaires

qui etoient partis de la Chine par fes ordres pour aller s'expli-

quer à Rome & il foupçonna qu'ils avoient eté mis à. mort.Le Légat lui donna une entiere fatisfa&ion à cet égard.

L'Empereur dit encore au Légat que ce Bref, quiconcer-aoit les cérémonies Chinoises avoit une autre fource qu'an»èle de religion, & que c'etoit uneflec/ie de vengeance pourfatisfaire Maigret, Pedrini & les autres.

Dans la quatrième audience l'Empereur ayant admis leLégat à lui faire des demandes la premiere qu'il fit eut pourobjet que l'Empereur voulût bien ordonner que les ChrétiensChinois euffent à fe conformer au decret du S. Siége con-cernant les tablettes & les honneurs qu'on rend à Confucius.

(L'Empereur répondit qu'il n'appartenoit pas au Pape d'endéci-der, & que c'etoit aux Mandarins & aux Vice-Rois que lacompétence en appartenoit.

Le Légat voulut encore contredire l'Empereur fur le Tien& le Chang-ti fi bien expliqués dans fes Déclarations & dans

fon Edit. L'Empereur fe contenta de lui donner des marquesde bonté perfonnelle & de plaifanter avec lui.

. L'Empereur remit fes réponfes par ecrit au Légat & ilexigea de lui qu'il reviendroit à la Chine. Il lui dit dans fadernière audience « II faut que vous ayez une bien petite» idée des Chinois fi vous penfez qu'ils croient que les efprits

» les ames de leurs ancêtres foient préfens dans les tablettes» & les cartouches qui portent leurs noms ».Nous n'avons plus qu'un mot à dire fur le Mahométifme.Cette religion s'introduifit à la Chine par les Tartares qui en

111'

faifoient profeffion. La premiere époque de fon etabliflementeft donc fous le regne de Genghis-kan & celle de fa deftruc-tion, lorfque la Dynafiie Chinoife des Ming remonta fur letrône & chaifa les Tartares occidentaux de cet Empire.

Page 75: Memoires concernant les chinoise 5

Les Mahométans etoient encore en poffeffion du Tribunalde l'Aftronomie lorfque le Pere Verbieu comme on l'a vu>confondit leur ignorance & les fit renvoyer,.

Les Mahométans font tolérés à la Chine parce qu'ils fontfort tranquilles qu'ils ne difputent point, & qu'ils ne fe donnent

aucun mouvementpourrépandre leur doctrine. Onn'en compte-

que 5 à 6000 familles gens de baffe condition, & auxquels,

on fait très-peu d'attention.

Page 76: Memoires concernant les chinoise 5

MÉMOIRESy CONCERNANTLES C H. INOIS.

SUITE DES VIES OU PORTRAITS

DES CÉLÈBRES CHINOIS,9

AVERTISSE ME N T..~TT/V oici

dix nouveaux Portraits de Chinois célèbres. On'trouvera dans ce que j'ai ecrit fur ces différens Perfonnages3

une maniere des détails un ton qui ne reffemblent proba-blement point à ce qu'on- a pu lire ailleurs dans le même genre.Pour garder le coftume je devois parler des Chinois enChinois, & conferver dans ceux dont je parle l'empreintedu caractère national.

Celui par qui je commence etoit tout à la fois grand Capi-taine & Miniftre habile. Il eut pendant long-tems toute la'confiance de fes Maîtres mais ayant été injuftement foupçonné

Page 77: Memoires concernant les chinoise 5

de vouloir envahir l'autorité fuprême il reçut la mort pourprix de fes fervices & de fa fidélité. Par le court expofé quej'ai fa de fes principales aclions & de fa conduite on recon-noîtra fans doute qu'il etoit digne d'un meilleur fort.

Viennent enfuite les illuftres Princes qui ont fondé la grandeDynaflie des Tang, je veux dire Li-yuen à qui l'Hiftoiredonne le nom de Kao-tfou pour défigner qu'il eft le Chefde la race & Li-che-min fon fils que la même Hifloireappelle Tay-tfoung, c'eft-à-dire/e grand ancêtre pour donnerà entendre que c'efl par lui fur-tout que fa race a commencéà briller & à s'etendre. Quand j'ai lu avec attention l'Hiftoirede ces deux grands Princes il m'a paru que des Perfonnagesqui ont joué le plus brillant rôle dans la fcène du mondeméritoient d'être connus particuliérement, & je me flatte qu'on

ne me faura pas mauvais gré des détails dans lesquels je n'ai

pas craint d'entrer.Yu-tché-koung qui par fa valeur fa fidélité envers fon

Souverain & fon attachement particulier à la perfonne dugrand Li-che-min a mérité que la poflérité Chinoife le mît

au rang des Efprits tutelaires de l'Empire n'a pas dû êtreféparé après fa mort du Prince qu'il a fi bien fervi pendantfa vie. Il veilla continuellement fur fes jours il fut fon bou-clier contre les traits de l'envie, il l'empêcha de Succomberfous les artifices de la trahifon.

Après lui on trouvera l'Hiftoire de Fang-iuen-ling & de Tou*jou-hoei; de Ly-tfng & de Zy- tous quatre ont concouru àla gloire immortelle dont jouit Tay-tfoung les deux premiers

en l'éclairant de leurs-lumières en partageant avec lui le pefantfardeau du Gouvernement & les deux autres en lui gagnantdes batailles en étendant les barrieres de fon Empire jufquechez les nations reculées de l'Occident & du Nord.

Je regrette de n'avoir pu completter les 24 Portraits qui3

Page 78: Memoires concernant les chinoise 5

dans la Salle des grands Hommes, font cortège fi je puis

m'exprimer ainfi à ceux des deux premiers Empereurs des

[Tang. En les faifant connoître l'un après l'autre j'aurois faitinfenfiblemènt l'Hiftoire prefque entière de Li-yuen & deLi-chê-min & j'aurois eu occafion de décrire bien des vertusavant que d'en venir au fimple enoncé des crimes qui place-rent la trop célebre Ou-ché fur le même trône après eux.; Cette femme, qu'on peut regarder comme l'Athalie desChinois remplit la Maifon Impériale de carnage & d'hor-

reurs, lui ravit la couronne & faillit à la lui faire perdre

pour toujours. Coupable des forfaits les plus affreux teintedu fans des plus illuftres têtes elle eut l'impudence de fequalifier du plus augufte des titres en fe difant la déléguéedu Ciel pour gouverner les hommes. Elle fe fit appellerTfé-tien-hoang-heou.Le dernier des dix Chinois dont je donne aujourd'hui les

Portraits, eft un Philofophe qui fut s'accommoder au temsfans manquer à fon devoir qui parvint aux premiers Emploisfans brigues comme fans ambition qui mit à profit touteslès circonftances pour faire le bien qu'il avoit pour objet

9

& qui réuffit fans paroître prefque en avoir envie à fairelui feul ce dont des armées n'auroient pu venir à bout fansinonder les campagnes de fang.

4i Ce Sage s'appelloit Ty-jïn-kié & fut Miniflre fous lacruelle Tfé-àen. Il prouva, par fa conduite & par fes fuccès,.que la vertu éclairée dans un homme en place lorfqu'elle ala modération & la douceur pour compagnes, triomphe tôtou tard de tous les obftacles & fe fait refpe&er même destyrans.

"• Ty-jin-kié par fes avis donnés fans amertume & toujoursà propos par fes repréfentations qu'il avoit l'art d'adoucir

y&: par l'intérêt qu'il favoit mettre dans tout ce qu'il difoit

Page 79: Memoires concernant les chinoise 5

retint l'Empire dans la maifon des Tang lorfque la barbareTfé-rien etoit fur le point de l'en arracher pour le faire entrerdans fa propre maifon.

TANT AO-TSI Mioiftre & Guerrier.

Tan-tao-tjl l'un des plus grands Capitaines qu'ait eu Ix

'Chine floriflbit fous les premiers Empereurs de la petiteDynaftie des Soung environ depuis l'an 420 de l'Ere chrë~fienne jufqu'à l'année 436, qui eft celle de fa mort.

Ou-ty fondateur de cette Dynaftie connoiffant par lui-même tout le mérite de Tan-tao-tfi qui avoit fervi fous lui,,& auquel il avoit confié les Emplois les plus importans dansfes armées avant qu'il fût maître de l'Empire ne l'oubliapoint quand il fut fur le trône. Il l'eleva à la dignité de Minif-

tre, & fe déchargea fur lui de tout ce qui concernoit lemilitaire.

Le nouveau Miniflre fit honneur au choix de fon Maître& prouva par fa conduite qu'il méritoit la préférence qu'onluiavoit donnée fur une foule de concurrens d'une naiffanceplusilluftre & dont.les fervices réels pouvoient contre-balancer lesliens. Le premier & le plus noble ufage qu'il fit de fon crédit,fut de procurer des récompenfes à tous ceux d'entre les anciensmilitaires qui pouvoient y prétendre légitimement. Il n'y eutpas jufqu'aux fimples foldats qui ne fe reffentiffentcle fes bien-faits. Ou-ty ne régna pas affez long-tems pour que Son Miniftrepût exécuter fes .grands projets en faveur de ceux qui avoientfervi dès leur jeuneffe avec diftinftion ou fans reproche. CePrince mourut la troifieme année de fon regne l'an de Jefus-Chrift: 422. Il nomma pour lui fuccédcr fon fils aîné quitouchoit à peine à fa dix-feptierne année & nomma les quatreMiniftres pour gouverner l'Empire jufqu'à ce que le jeune

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Tome V, m K

.i;:•à'rince ton fuccefTeur fût en etat de gouverner par lui-même.Tan-tao-tfi etoit un des quatre.

'1. A peine le nouvel Empereur fe vit maître de fes a étions>

qu'il fe livra à toutes fortes d'excès. Le tems du grand deuil, temsoù les plaiGrs les plus permis font défendus tems facré pour

tout Chinois ne fut pas un frein capable de l'arrêter. A la tête..d'une troupe de jeunes débauchés dont il avoit fait fes

favoris il couroit la ville & les campagnes au lieu deyerfer des larmes devant le cercueil de fon père.

Une pareille conduite lui aliéna tous les coeurs & le fitjuger indigne du trône. Les quatre Régens à la réquisitionde tous les ordres de l'Empire, l'en firent defeendre, & lui fubfti-

tucrent un de fes freres. C'eft celui qui eft connu dans l'HIf-toire fous le nom de Ouen-ty. Ils laifferent à Chao-ty qu'ils

.dépofledoient le titre de Yng-yang-ouang & le firent con-duire dans le pays de Ou où etoit cette Principauté de

Yng-yang. Tan-tao-tfi eut part jufques-là à tout ce qui fe fit;mais ce qui arriva bientôt après ne doit nullement lui êtreimputé puisqu'il s'y oppofa de toutes fes forces. Voici com-ment la chofe fe paffa.Après avoir dépofîedé Cliao-ty les trois Miniftres col-

legues de Tan-tao-tfi & Régens comme lui de l'Empirecraignirent qu'il n'arrivât du trouble dans l'Etat s'ils laiffoientvivre ce Prince infortuné. Ils crurent devoir le faire mourir,maigri les plus fortes reprifentations de Tan-tao-tfi qui

prenoit fur lui de maintenir la paix & d'empêcher au moyende fes gens de guerre tout complot & toute révolte. Il futfeul de fon avis & les autres Miniftres envoyerent ordre de

faire mourir Ckao-ty ce qui fut exécuté (i).REMARQUES.

(i) Je rapporte ce trait d'après homme accufé d'un crime dont ilï Hiftoire pour juftifier un grand n'etoit point Coupable. Le. ColaoouT_ rr

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Ouen-ty, que les Grands avoient fubftitué à Chao-ty poui

occuper le trône etoit troitieme fils de Ou-ty fondateur de

la Dynaftie. Trop jeune encore pour gouverner pat lui-

même, il prit une année pour s'inilruire, & fe fervit des

quatreMiniftres que fonpere avoitdéfignésRége ns de l'Empire

mais il n'oublia pas le crime des trois qui avoient fait mourirfon frere Chao-ty. Il diflimula pour mieux affurer fa vengeance.

L'année etant révolue & ayant pris en main les rênes ilfit un nouveau choix de Miniftres & ne conferva que le feulTan-tao-tji qui fut toujours chargé du département de la

guerre. Sin-Jien-tché Fou-leang & Sïé-hoei fe voyant dis-

graciés, fe crurent perdus. Ils s'eloignerent de la Cour le plus

promptement qu'il leur fut poffible leverent des troupes &

commencerent une guerre qui eût eu les fuites les plus funefles

pour l'Empereur fi Tan-tao-tfi n'avoit pas eu une fidélité à

toute épreuve.L'Empereur etoit û convaincu de cette fidélité qu'il con-

tinua à l'honorer de fa plus intime confiance. Dès qu'il apprit:la révolte de fes trois anciens Miniftres il donna à Tan-tag-tjlle commandement général de l'armée contre l'avis de for.

REMARQUES.premier Miniflre nomméTan-tao-tfi,dit le P. Duhalcle Tome premier,page 418, lui cta la couronne &

peu après h fit mourir. On ne peutdire plus de fauffeté en moins demots. i°. Tan-iao-tjî n'etoit paspremier Miniflre, II etoit le der-nier des quatre Miniftres Régens.i°. Ce ne flit point lui qui ôta lacouronne & la vie à Chao-ty celafe fit contre fon avis. Ou-ty fivoyantpus à mourir dit l'Hiftoire,nomma Sia-fiçn-tçhç Fou-leang

Sié-hoei 5* Tar-tao-tfi pour êtreRegîJis de l'Empire pendant la mi-norité de celui de fis fils qu'il déji-gnoit pour être jbn jucc'Jjeur. A 3sfixieme lune dit encore l'Hiftoi-re ,Sin-fien-tché,Fou-!eang & Sic-hoei, envoyèrent King-ngan- ta!ldans le pays dî Ou avec ordre defaire mourir le Prince Yng yang'ouang. Il n'eft point fait mentionlà de Tcui-tiio-tjl qui etoit cepen-dant Miniflre Se Régent de l'Em-pire comme les trois autres,

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Confeil privé qui vouloit le rendre fufpect, parce qu'il avoitété Collegue de ceux contre lefquels Sa Majefté vouloit l'en-voyer. L'Empereur juflifia lui-même fon Général Je connois

dit-il, la fidélité Je Tan-tao-tfi je fais quel ejl fon ait ichement

pour ma perfonne & combien il efi dévoué aux intérêts de l'Etat.Soyc[ tranquille furon compte comme je le fuis moi-même.Du refte je fais qu'il n'a eu aucune part au meurtre de monfrère & qu'il s'y ejl oppofé de tout fon pouvoir. Pour vousprouver tout le cas que je fais de fa fidélité & de fon mérite

}je fuis réfolu de me nzettre moi-même fous fa conduite dans lecommandement de mes troupes. Je ne faurois me for-mer fous un

meilleur maître.Dès que les rebelles eurent appris que l'Empereur fe dif-pofoit à les combattre en perfonne ils perdirent courage.

Sin-fien-tché s'etrangla & Fou-leang ayant été prisdans le tems qu'il alloit joindre Siè-hoei qui s'etoit fait unearmée de quatre cens mille hommes eut la tête tranchée.

Pour Sié-hoei il fe vit peu à peu abandonné des fiens &contraint de fe réfugier chez de fimples payfans où il comp-toit demeurer caché jufqu'à ce que les circonftaaces lui per-miffent de paffer chez les Tartares qui etoient maîtres duNord de la Chine & dont le Souverain prenoit le titre d'Em-pereur du Nord mais ces payfans l'ayant reconnu pour cequ'il etoit le lierent & le conduifirent à TEmpereur qui lefit mourir. C'en: ainfi qu'au feul nom de Tan-tao-tfi cetteformidable armée fe diffipa il n'y eut de fang répandu pen-dant cette révolte que par la main des Bourreaux.

Ouen-ty profita du calme qui venoit d'être rendu à fesEtats, pour les faire fleurir du côté des Lettres & des Arts.Il y eût réuffi fans doute avec autant d'éclat que les plus illuftresEmpereurs des Han fans fon attachement aveugle pour uneSecîe décriée & qui toutefois n'a jamais ceffé d'avoir des

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pattifans je veux dire la Sefte des Bonzes. Il pàrtagea fes

bienfaits entre les Lettrés & les Seétaires mais comme ceux-ci etoient plus fouples plus infinuans & moins prodiguesd'avertuTemens & de confeils que les autres ils eurent poureux la plus groffe part.

Cependant les Princes de Ouei & de Hia fe difputoiententr'eux l'Empire du Nord. Ouen-ty les laiffa pendant quelque

tems s'affoiblir l'un par l'autre mais quand il crut le momentfavorable il voulut en profiter pour recouvrer une grandepartie du Ho-nan qui etoit fous la puiffance du Roi de Ouei,Tan-tao-tfi ne commanda point la premiere campagne auffi

les troupes Impériales eurent-elles par-tout du désavantageelles laifferent enlever plufieurs villes & perdirent plufieursbatailles. L'Empereur comprit alors que Tan-tao-tfi .etoit le feulqui fût en état de rétablir les affaires. Il lui donna une armée

& l'envoya contre To-pa-tao Roi de Ouei pour arrêterdu moins fes progrès.

Auffi-tôt que Tan-tao-tfi parut, tout changea de face. 7b-

pa-tao recule à fon tour. Les Tartares perdent tous leurs avan-tages & font par-tout battus. Ces bonnes nouvelles portéesà la Cour y furent reçues différemment félon la difpoiitiondes efprits. Les uns ne pouvoient fe laffer de louer ce grandhomme qui en fi peu de tems, avoit réparé les pertes pa£fées & l'honneur de la nation les autres travailloient lourde-ment à lui occafionner des revers qui puffent le perdre dansl'efprit de fon Maître, le faire périr, ou tout au moins l'humilier.

Les combats fréquens avoient diminué le nombre destroupes de Tan-tao-tfi. Les provifions commençoient à lui

manquer. Il follicita un renfort d'hommes & demanda desvivres on lui promettoit l'un & l'autre mais rien n'arrivoif,Inftruits de l'état où il fe trouva bientôt réduit les ennemiseurent bien voulu l'engager à une bataille, afin de le corn-

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DES CELEBRES CHINOIS.1 1 17, 1

battr e avec l'avantage du nombre mais Tan-tao-tfi etoittrop habile pour s'expofer à perdre dans un jour toute la

©le ire qu'il avoit acquife jufques-là, Il fortifia ton camp &s'y tint renfermé tant qu'il lui refta quelques mefures de riz.Quand fes provifions furent entiérement epuifées il affem-

î>la fes Officiers généraux, & leur parla ainfi « Sur le point où» nous fommes de mourir de faim, ou de pénr par le fer» des ennemis, nous ne pouvons nous fauver que par la rufe,» J'ai le cœur des foldats, & je me flatte d'avoir votre eitime.

» Faites exactement ce que je vais vous preferire: dites à tout» le monde, fous le fceau, que le jour de demain fera pour» nous un jour mémorable qu'on répande quelques poignées» du peu de riz qui nous refte & qu'on fe tienne prêt à» décamper demain dès que le jour commencera à poindre. En

» décampant il ne faut ni fe couvrir du cafque ni endofîer

» la cuiraffe nous marcherons dJun pas lent, comme des gens» qui défirent qu'on les atteigne. Je conduirai moi-même Tar-» riere-garde & fi les ennemis viennent à nous, c'eft par moi

»> qu'ils commenceront. Ce fera mon affaire de me défendre,» Voilà ce que j'avois à vous dire, agiriez en conféquence, &» je vous réponds du fuccès ».

Tout fe fit comme le Général l'avoit ordonné. Le lendemainmatin on décampa tranquillement fans que les ennemis femiffent en devoir de l'empêcher. Ils craignirent quelque embû-che de la part de Tan-tao-tf 7 & ils furent dupes par celamême qu'ils vouloient eviter de l'être. Contens devoir recouvréce qu'on leur avoit d'abord enlevé dans le Ho-?ian ils ne pen-ferent pas à de nouvelles conquêtes & offrirent la paix à

..j.' l'Empereur qui fans cela l'auroit demandée lui-même.-

;;£'; La Paix ayant été conclue, Tan-tao-tjî revint à la. Cour,1mais, il n'y refta pas long-tems. Un Aventurier qui te difoifde la famiiîe des TJîn, à laquelle la famille régnante aveif

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enlevé le trône, excita dans les Provinces une révolte d'au-

tant plus à craindre, que quantité de perfonnes confidérables

faifoient femblant d'ajouter foi aux difcours de l'impofteur.Il falloit appaifer cette révolte, & empêcher que les Tartaresn'en profitaffent pour recommencer la Guerre. Tan-tao-tfife mit en campagne, envoya fes Lieutenans contre les rebelles& prit fur lui de tenir les Tartares en refpecl. Ceux-ci neremuèrent point, 6k les rebelles furent bientôt domptés.

Tan-tao-tfi jouiflbit du plaiflr flatteur d'être regardé commele premier homme de l'Empire lorfque quelques Courtifansjaloux de fon mérite, & plus encore de fon crédit & de fa

réputation, fe liguèrent pour le faire périr. L'occasion fe pré-fenta. Ouen-ty tomba danger eufement malade la troifiemeannée de fon regne. On crut pendant quelque-tems qu'il n'enreviendroit pas. Deux Princes du Sang qui voyoient à regretque Tan-tao-tfi fût revêtu d'une autorité prefque fans bornes,furent gagnés par les ennemis de ce Général, & fe chargè-

rent de le rendre fufpect à l'Empereur ils lui dirent quel'état où ils le voyoient les affligeoit d'autant plus, que fi parmalheur il venait à ceffer de vivre, il y avait toute apparenceque leur famille cejferoit de régner que l'autorité fans bornesdont jouïjfoit le grand Général, le nombre prodigieux de fesamis & de fes créatures fa grande réputation leur donnaient dejufies alarmes y qu'on difoit même fourdement qu'il y avoit uncomplot formé pour le placer fur le trône, fuppofé qu'il vînt àmourir. Que fi ce complot etoit réel il fer ou à craindre queTan-tao-tu ne voulût pas même attendre Ja mort pour monterau rang dont fes créatures lui perfuadent peut-être qu'il efl dignesqu'ils le priaient par amour pour fa famille de faire quel-

ques réflexions fur ce qu'ils prenaient la liberté de lui dire j enfinqu'il feroit à propos d 'appeller fous -quelque prétexte le grandGénéral à la Cour, & que quand on le tiendrait une fois, on

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"pourroit édaircir l'affaire & s'affurer s'il y avoit quelque com-plot. Après ces mots, ils fe retirèrent, biffant l'Empereur livréà les inquiétudes.

Quelques Courtifans lui firent entendre la même chofe à

peu-près que les deux Princes Lieou-tchen & Licou-kang.Il donna ordre qu'on rappellât Tan-tao-tfi auprès de fa per-sonne. Tan-tao-tjî fe difpofa à partir pour la Cour. L'Hif-toricn rapporte que fa femme eut un preffentiment de cequi devoit arriver. Pourquoi, dit-elle, à fon mari, pourquoivous prejfer Ji fort d'obéir à F ordre d'un Prince mourant? Necraignez-vous pas qu'il n'y ait là quelque artifice de la partde vos ennemis, qui veulent vous tirer du milieu de vos foldats

}

pour pouvoir vous perdre plus aifêment ? Si vous ni en croyie\vous traîneriez en longueur jufqu'à ce que le Prince foit mort

5

OU entièrement hors de danger.Tan-tao-tjî, qui jufqu'alors n'avoit rendu que des fervices3. l'Etat 8c à. fon Souverain, & qui n'avoit rien à fe repro-cher, regarda le difcours de fa femme comme l'effet d'une^appréhenïion chimérique. Il fe rendit à la Cour, dans l'efpé-,-rantx" peut-être que Ouen-ty aîioit le déclarer un des Régensjde l'Empire, comme l'avoit fait Kao-tfou-ou-iy.Dès qu'il fut entré clans le Palais on en ferma les portes leCapitaine des Gardes i'arréra prifonnier & le conduira dans.un appartement reculé où il le fît garder à vue. L'Empereurfe rûferva de décider de fon fort, quand il feroit en état devaquer aux affaires. Il e-ft dit dans le Kang-kien de See-ma-kpang, que lorfqu'on annonça au grand "Général qu'il etoitprifonnier les yeux s'enflammèrent fi fort, qu'il en fortic

clés étincelles, & qu'ayant pris fon bonnet, fur lequel etoientde? marques de ia dignité, il le jetta par terre, avec mépris,,eji r! liant On en veut CL

mes jours,• mais en me f ai fa m mourir,on fnverfi khcv.kyard de l'Empire, Il clifoit plus vrai qu'il ne

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Yang-ty,9

le penfoît peut-être; la nouvelle de fa difgrace ranima lesTaita-

res, To-pa-tao fit recommencer la Guerre & eut les plus grandsavantages.

Cependant la fanté de l'Empereur fe retablifïoit de jour enjour. Quand il fut en etat de travailler, on traita l'affaire deTan-tao-tji. Malgré tous les efforts des calomniateurs & desjaloux, ce Prince fut plus d'un mois fans pouvoir fe déter-miner. Mais enfin l'exemple de fon propre père qui avoitétouffé le dernier des Empereurs des TJîn pour s'emparer duTrône lui revenant fans ceffe dans l'efprit il craignit pourlui-même une catafti-oplie pareille. Il prononça enfin l'arrêt,& Tan-iao-tJîixiX. mis à mort à la troifieme Lune de la treiziemeannée du regne de Ouen-ty c'eft-à-dire l'an de J. C. 436.

T A N G^K A OT S O U Empereur.

Ly-yuen fondateur de la grande dynaftie des Tang connudans l'Hifloire fous le nom de T&ng-kao-tfou doit toute fafortune à la fageffe à la valeur & aux autres belles qualitésde l'illuftre Ly-ché-min le fecond de fes fils. Il etoit de l'an-cienne maifon de Ly décorée du titre de Souveraine du paysde Leang-tcheou dans le Chen-Jî par les Empereurs de ladynailie des TJîn. Elle perdit cette Principauté l'an de Jefus-Chrift 422.

Ly-hou aïeul de Ly-yuen fe mit au fervice des Princesde Sy-ouei qui prenaient alors le titre d'Empereursdu Nord,& reçut d'eux l'investiture du Comté de Loung-fi en récom-penfe des fervices importans qu'il avoit rendus. Ly-ping fon

pere lors de la réunion des deux Empires, fous les Soui,reçut à titre de Comté la petite Principauté de Tang, iîtuéedans le diftriâ: de Tay-yuen-fou capitale de la Province du

Ckan-fi d'aujourd'hui. Ly-yuen fuccéda à Ly-ping, & obtint de

plus l'important gouvernement de Tay-yuen-fou.

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Tome V. L

'i; Yang-iy fecond Empereur de la dynaftîe des S oui n'etoit:alors occupé que de fes plaifirs. Les Eunuques & quelquesflatteurs etoient chargés feuls du gouvernement de l'Etat. Lesgrands etoient avilis, & le peuple gémifïbit fous le poids deJ'oppreffion & de la mifere. Il fe forma des partis dans les.différentes Provinces & bientôt tout l'Empire fe vit inondéde brigands & de rebelles. Las d'obéir à de vils Eunuques

les Gouverneurs des principales villes fecouerent eux-mêmesle joug & fe rendirent indépendans. L'Empereur ou tropfoible ou peu inftruit de ce qui fe paffoit ne fe mettoitpoint en devoir de remédier à tant de défordres. Il eut mêmefimprudence de difgracier ceux qui lui etoient le plus fincére-

ment attachés parce qu'ils l'avertiffoient de la mauvaise con-duite de ceux qui etoient en place. Perfonne n'ofa plus fehazarder à l'inftniire de ce qu'il lui importoit fi fort de ne pasignorer chacun ne penfa qu'à foi & le mal devint incu-rable.

Ly-yuen autant par indolence que par devoir n'entra dans

aucune des cabales qui fe formoient. Mais Ly-ché-min fon fils,travailloit fans qu'il y parût à le placer un jour fur le trône.rCe jeune homme qui n'avoit pas encore atteint la vingtièmeannée de fon âge prévit tout ce qui devoit arriver & pritdès-lors des mefures efficaces pour affurer la réuffite du projet.qu'il méditoit. Le plus grand obftacle qu'il vit à l'accomplifle-ment de fes deffeins venoit de celui-là même qu'il vouloirélever. Il craignoit que fon pere ne s'obftinât à refler dansl'jna£Hon dans un tems où tous les autres Seigneurs de l'Empiretràyailloient à établir leur fortune fur les débris de celle de lamaifon des Souh qui menaçoit ruine. Il comprit qu'il falloit lemettre dans la néceffité d'agir, en fe fervant de fon foible même.

Ly-ché-min renfermant en lui-même le plan qu'il avoitformé commença par fe faire des amis dans tous les ordres de

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l'Etat. Il ne dédaigna pas même ceux qui occupoient les derniers

rangs, quand il prévoyoit qu'ils pouvoient lui être de quelque

utilité. Il fe fervit d'eux en particulier pour répandre dans le

public des difcours avantageux fur le compte de fon pere. Ilfaut avouer que Ly-yuen etoit de tous ceux qui occupoientdes places diflingué'es celui qui méritoit le plus d'être loué

il avoit des moeurs douces de la droiture de la probité &

un fond de bonté naturelle qui ne lui avoit jamais permis,9

fous quelque prétexte que ce fût de renvoyer mécontens ceuxqui avoient eu recours à lui.

Au fuffrage du peuple, Ly-ché-min crut devoir joindreencorecelui des principaux d'entre les Eunuques. Ces êtres ambigus,qui ne font ni hommes ni femmes qui ont tous les vices del'un &.de l'autre fexe fans avoir les vertus d'aucun des deux,etoient alors en grand crédit à la Cour. Ils etoient les diftri-buteurs des grâces & nuifoient à leur gré à la fortune de

quiconque avoit ofé leur déplaire. Les grands de l'Empire,s

les Princes même etoient obligés de les ménager. Ly-cké-minfit quelque chofe de plus il leur donna toutes les marquesd'une amitié fincere. Celui de tous les Eunuques dont il fefervit avec le plus d'avantage fut un nommé Pei-kiao. CePei-kiao avoit la Surintendance d'un Palais Impérial où l'ontenoit en réferve un certain nombre de jeunes filles d'unebeauté peu commune pour être mifes parmi les femmes del'Empereur, à mefurc que celles qui jouiflbient de ce titrevenoient à vieillir ou à déplaire. Comme ce Palais n'etoit paséloigné de Tay-yuen-fou où Ly-ché-min demeuroit avec fonpere qui en etoit Gouverneur l'Eunuque avoit occafionde vifiter fon ami toutes les fois qu'il alloit à la ville pourfaire quelque emplette,ou pour exécuter quelques commiffionsde la part de celles qui etoient confiées à fa garde. Il ne man-quoit pas de fe rendre à l'hôtel du Gouverneur, où Ly-ché-min

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le recevoit toujours avec une diftindtion qui flattoit infinimentùl vanité mais qui ne pouvoit la fatisfaire. Ce vil Eunuqueeût voulu que le Gouverneur lui-même fe fût conduit à fon

égard comme le faifoit fon fils Je ne fais, dit-il un jour àI*y-ché-min ce que je pourroïs faire pour mériter les, bonnesgrâces du Comte votre pere. Quand je viens ici il ne daigne

pas sappercevoir que j'y fuis à peine daigne- t-il me faluerquand il me rencontre. Comme je fuis attaché à ce qui touchede près l'Empereur il croit peut-être qu'il eft de la prudence de-

fe.défier de moi. Je veux le forcer à dépofer tout foupcon j &à me regarder déformais comme quelqu'un qui lui efl entière-

ment dévoué. Parmi les jeunes perfonnes dont la garde m eflconfiée il en ejl une qui joint à la beauté tous les agrèmens defejprit. C eji un préfent que je veux faire au Comte. L'acceptera-

t'il de ma main ? Du refle l'Empereur nfi l'a point encore vue,IL me fera très-aiféde la remplacer, } & de lui en fubflituer quel-

~K*<!M,

Ly-ché-min comprit à l'infiant que fi le projet de l'Eunuquepouvoit s'exécuter, il en tireroit parti pour engager fon pereà prendre enfin les armes. Je connois affe\ mon père répondit-il à Pei-kiao ,pour vous affurer qu'il recevra votre préfent avec

reconnoiffance. Aye^ foin feulement de tenir la chofe fecrete.Nous la divulguerons quand il en fera tems. i

Satisfait de cette réponfe l'Eunuque préfenta d'abord lajeune perfonne & comme il la trouva très-difpofée à quitterifi Kin-yang-koung ( c'eft le nom du Palais qui etoit à la garde

de l'Eunuque ) il la fit fortir fecrétement la conduifit chezlé Gouverneur de Tay-yuen-fou & la lui offrit en préfent.

Ly-yuen n'eut pas la force de refufer un pareil don quoiqu'ilfût fort bien que ce qu'on lui offroit appartenoit à l'Empereurexclufiverr.ent à tout autre. Ly-ché-min ravi d'avoir dans un

même filet & fon pere & l'Eunuque pour les faire agir

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de concert quand il lui plairoit continua à fé faire des par-tifans &,des amis; & il fut fi bien les mettre dans fes intérêts,qu'il n'eut pas de peine à les réunir lorfque le tems de produirefon pere fut arrivé.

Une circonftance à laquelle il n'avoit pas fitôt lieu de s'at-tendre, hâta ce moment defiré. L'Empereur Yang-ty à l'obéif-fance duquel prefque tous les Gouverneurs des principalesPlaces s'etoient deja fouftraits, craignit que Ly-yuen ne voulûtles imiter. Il le fit obferver. Ly-ché-min qui avoit des efpions

par-tout, en fut bientôt inftruit. Il voyoit que la dynaflie desSoui alloit être perdue fans reffource; il ne voulut pas quefa famille perit avec elle, ou par elle. Il va trouver fon pere.6 lui dit n'efi plus_(tezns de recziler, il faut vous réfoudr~

J périr par les fupplices^ ou à lever des troupes comme fontles autres Gouverneurs.. L'Empereur vous fait obferver.le plus léger prétexte pour vous faire arrêter. Eh qui fait s'ilnejl pas inflruit déja de l'enlevement de cette jeune perfonnequi vous a été offerte par l'Eunuque Pei-kiac >? Croyez-moi

prene^ vos fur étés i un plus long délai pourroit vous être funefle.Ly-yuen pâlit, & ne répondit à. fon fils que par des objec-

tions, ainfi qu'il favoit déja fait plufieurs fois. Ly-ché-min nelè rebuta point. Il alla trouver l'Eunuque Pei-kiao & lui ditd'avertir fon pere que l'Empereur etoit inftruit de l'enleve-ment d'une des filles du Palais, dont lui Pei-kiao ayoit foinj& que probablement Sa Majefté n'attendoit que quelquesécîairciffemans de plus pour févir contre tous ceux qui avoienttrempé dans cette affaire.

L'Eunuque entra dans les vues de fon ami, & expofa àLy-yuen,- avec toute la force dont il etoit capable, la gran-deur du péril qui les menaçoit l'un & l'autre. La crainte fiteffet fur refprit de Ly-yuen. Il fe détermina à lever des troupes,publia un manifefte dans lequel il déclaroit qu'il ne prenoit

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les armes que pour fecourir la Famille Impériale, que centpetits tyrans ligués contr'elle etoient fur le point d'opprimer,

II finit par inviter tous les bons fujets de l'Empire à venir fe

ranger fous'fes étendards, pour rétablir le bon ordre dans

l'Etat, & foutenir le Souverain fur fon trône chancelant.'jLy-cké-min fit répandre par-tout ce manifefte. En très-peudë tems il fe trouva à la tête d'une armée nombreufe. Ly-c/u-min à la tête de fes troupes fe diftinguoit dans toutes les

occafions par fa prudence & par fa valeur. Il étoit l'ami de

tous les Officiers le pere des Soldats, & le protecteur duPeuple. Aimé de tout le monde, tout le monde s'empreffoità- lui fournir les vivres & les autres choses neceffaires pourl'entretien de fes troupes. Il livra des batailles & fut vifto-rieux il fit le fiege de plufieurs villes, & les emporta d'affaut,

ou les força de fe rendre à luLn .Cependant l'Empereur Yang-ty plongé dans les délices

sfembloit ne prendre aucune part à tout ce qui fe parloir. Ledéfordre etoit encore plus grand au milieu de fa Cour, qu'il

ne l'étoit par-tout ailleurs. Les Miniftres & les Grands dédaignésou méprifés, n'ofoient plus lui parler d'affaires, & depuis qu'il3yoit fait mettre à mort un de fes Officiers pour lui avoirdonné des avis au fujet de quelques complots qui fe tra-moient, pour ainfi dire, fous fes yeux, perfonne n'étoit affez

hardi pour l'avertir du danger où il etoit de perdre bientôt laCouronne & la vie.-.yCeux quietoient à la tête des affaires perdirent enfin courage,& prirent enfemble une réfolution extrême. Ce fut de toutabandonner, & de fe refugier chez lesTartares.Mais avant qued'en venir à l'exécution, ils s'ouvrirent de leur deflein à undes principaux Officiers de guerre, nommé Yu-ouen-tché-ki.Celui-ci les défapprouva en leur difant La fuite que vousrnçdite{ vous expofe à une mort certaine pourquoi vouloir périr

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ainfi de gaieté de coeur quand il ne tient qu'à vous d'apporter

un remede efficace aux maux qui défolent l'Empire ? Mette?

nzon frère Yu-ouen-hoa-ki à la place de l'indigne Prince que

vous voule^ abandonner & laiffe\-le faire enfuite, ilfitura èien

foutenir fes droits.Les mécontens fuivirent ce confeil. Yu-ouen-hoa-ki, envoya

à Kiang-tou des affaffins qui mirent à mort l'Empereur. Aufli-

tôt tous les .prétendans au trône fe montrèrent à découvert.Le perfide Yu-ouen-hoa-ki & plufieurs autres fcélérats de

cette troupe eurent l'audace de fe faire proclamer par leurs

partis refpeftifs.Le Comte de Tang, que la fageffe de fon fils Ly-ché-mm

dirigeoit dans toutes fes démarches, prit alors le titre de grandGénéral de l'Empire & en cette qualité il fit la guerre à tousles partis. Autant il avoit montré d'indolence & d'amour du

repos quand il fut queftion de fe déterminerà la guerre autantil montra de bravoure & d'aclivité quand une fois il fut

perfuadé qu'il avoit pris légitimement les armes. Il avoit com-battu autrefois avec fuccès contre les Tartares Tou-kiué il

en etoit connu & il n'ignoroit point qu'il avoit leur eftimeil les appella à fon fecours ils vinrent fe joindre à lui, &dès-lors il fe vit- en état de donner la loi.

Pour ôter tout prétexte aux brouillons il avoit donné auPrince Tay-ouang, petit-fils du fondateur de la dynaftie le

titre d'Empereur même du vivant de Yang-ty. Il faifoitappeller le Prince Tay-ouang le jeune Empereur & Yang-tyï ancien Empereur. Cette double dénominàtion n'avoit eu lieujusqu'alors que parmi ceux de fon parti. Mais après la mortde Yang-ty & de celui de fes enfans qui devoit lui fuccéderlégitimement le titre d'Empereur n'appartenoit de droit qu'aujeune Prince Tay-ouang. Ce fut à le faire reconnoitre queLy-yuen employa d'abord tous fes foins. Les Tou-kiué lui

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^voient envoyé cinq cens hommes d'élite & lui avoient fait

préfent de deux mille chevaux Ly-chê-min fon fils s'etoit

fait une armée de quatre-vingt-dix mille hommes Ly-ché fa

fille qu'il avoit donnée pour epoufe à un Seigneur nomméTfai-chao lui en avoit amené elle-même dix mille qu'elleavoit enrôlés en vendant fes joyaux & jufqu'à fes habitsil commandoit en perfonne une armée de foixante mille hom-mes qui etoient venus de leur plein gré, fe ranger fous fes

étendards il recevoit chaque jour de nouveaux renforts lepeuple s'empretfoit de lui fournir les provifions les plus abon-dantes, il combattoit du moins en apparence pour la bonnecaufe en falloit-il davantage pour lui affurer les plus brillansfuccès ? Il vainquit, l'un après l'autre, tous ceux qui s'etoientdéclarés contre lui & ces vils prétendans à l'Empire quin'avoient ni les droits de la naiffance ni le cœur des peuples,ni même les qualités guerrieres rentrèrent en peu de mois,dans le néant. Ly-yuen fit proclamer le Prince Tay-ouang feul

& légitime Empereur & le fit reconnoître avec toutes lescérémonies ufitées en pareille occafion. C'eft le troifieme &dernier Empereur de la dynaflie des Soui. Il eft connu dansl'Hiftoire fous le nom de Koung-ty.

La domination de Koung-ty ne s'etendoit que dans les Pro-vinces méridionales de l'Empire. Le Chan-tong, le Pe-tché-ly &U0e partie du Ho-nan n'etoient point encore rentrés dans ledevoir; il falloit les fubjuguer. Cette gloire etoit réfervée àLy-ché-min. Ly-yuen fon pere fous le nom de Prince de Tang&de grand Général, ne s'occupa dans le commencement dece nouveau regne que des moyens d'affermir fur le trône lejeune Prince qu'il y avoit placé mais Koung-ty en defcenditvolontairement au bout de quelques mois & par reconnoif-fance ou par crainte ou peut-être par l'une & l'autre tout à

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la fois il le céda à Ly-yuen & l'y fit monter avec toutl'appareil de la Ma jette Impériale.

Ly-yuen ne fut point ingrat. Aux titres les plus honora-bles dont il laiffa jouir Koung-ty il joignit un apanage qui

compofoit, en quelque forte, ce dont ce Prince s'etoit dépouillé

en fa faveur; & comme fi c'etoit peu, il etendit fes bien-

faits fur tous ceux de la famille des S oui, qui n'avoient point

pris les armes contre leur légitime Souverain. Les paroles dont

il fe fervit en cette occafion font trop remarquables pour

que je ne les rapporte pas ici telles que Thiftoire nous les

a confervées. « Dans le renouvellement de l'Empire, lori-

» qu'une famille en a remplacé une autre pour le gouver-

» ner, il eft rare qu'on n'ait pas exterminé tous ceux qui,

» en vertu de leur naiffance, pouvoient fe flatter d'avoir quel-

» que droit au rang fuprême. Une barbare politique, que la

» crainte faifoit envifager comme néceflaire infpira cette

» cruauté aux fondateurs des dynafties, & en particulier de

» celles qui font le moins éloignées du tems où nous vivons.

» Pour moi, loin de me conformer à un ufage qui paroit

H confacré aux yeux des hommes fanguinaires je ne veux

» fonder mon Empire que fur la juûice & l'humanité.

a Qu'on s'informe exactement de tous ceux qui font de

» l'illuftre maifon que je remplace fur le trône. Je veux leur

» donner des dignités & des titres, fuivant le mérite de chacun.

» Je me ferai toujours un plaifir de les employer préférable"

» ment à tout autre ».ly-yuenj devenu Empereur, n'oublia pas fa propre famille,

Un de fes premiers foins fut de çonfacrer une falle particu-liere, où il pût, fans fortir de fon Palais, aller faire les céré-monies refpeftueufes en l'honneur de fes ancêtres. Il fit cal-

culer enfuite le cours des cinq planètes, & fit combiner leurs

différées

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f STome K J M 0

différais afpe&s & l'on en conclut que Saturne etoit celle quiavoit verfé fur lui fes plus benignes influences mais commeSaturne eft le repréfentatif de la Terre, en tant qu'elle eft

un des cinq elémens Chinois le nouvel Empereur prit la

Terre pour fon emblème. La Terre primitive eft une terre jaune jla couleur jaune fut choifie pour être celle du cérémonial.Li-yuen avoit trôis fils. L'aîné des trois s'appelloit Li-kien-

tcheng le fecond Ly-chè-min dont il a eté parlé ci-deffusSe le troifieme Li-yuen-ki. Il.s'agiffoit de nommer un Princehéritier. L'Empereur jetjta les yeux fur Ly-ché-min. Il l'appella

en particulier & lui dit Je n'ai point oublié mon cher filsque fi jefuis parvenu au rang fuprême c'eflvotre mérite perfonnel& vos belles actions qui m'y ont placé. Je dois à Ly-ché-minune élévation cl laquelle fes frères n'ont eu aucune part. Ainjimonfils préparez-vous à la cérémoniequi doit avoir lieu lorfqueje vous défignerai publiquement mon fucceffeur, Quand la recon-noiffance ne m obligeroit pas à vous donner la préférence furvos frères l'honneur de notre maifon la gloire de F Empire

yla tendreffe que j'ai pour mes fujets devroiem m'y engager. Je.fais fur que tous les ordres applaudiront à mon choix. Oui

>mon fils vous êtesfait pour régner.ne mérite ni les eloges que vous me donner^ ni l'honneur

que vous voule{ me faire répondit modeftementLy-ché-minBiais quand même j 'en ferais digne l'honneur de notre maifon

Ici. gloire de t Empire., le bien de vos fujets font autant de motifs.fui devroient vous empêcher de fuivre votre inclination en me.nommant votre fucceffeur. Quelles femences de jaloufie cettepréférence ne répandroit-elle pas dans le cœur de mes frères ?.Quelle fource de difcufjîon de querelles de guerres intefiinesjji ouvrine^-vous pas pour inonder tout l'Empire & le fubmerverpeut-être dans le des maux les plus cruels ? Je frémis d'ypenjer. Non mon père je ne faurois accepter le rang auquel

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vous voule\ m élever défigné^ mon frère aîné pour votre Princehéritier tout fera dans l'ordre. Pour moi content d'obéir juf-qu'au dernier foupir de ma vie je tâcherai de fervir l'Empireles armes à la main. Il faut achever de ranger fous l'obéiffancedes Tang les Provinces qui ne les reconnoiffent point encorepour leurs maîtres. J'irai, fous votre bon plaifir dompter tousceux qui oferont fe déclarer contre vous, par-là même je con-tiendrai tous ceux qui feroient tentés de former des cabales;& tandis que par la douceur & la fageffe de votre gouver-nement vous enchaînerez tous les cœurs de vos fujets natu-rels, j'irai pour vous en conquérir d'autres jufqu'au fond de la

Tartarie s'il le faut. Voilà mon père l'unique terme de mesvœux.

O mon fis dit l'Empereur en verfant des larmes de ten-dreffe & de joie votre mérite ejl infiniment au-dejfus de tout

ce qu'on en dit & de ce que j'en imaginois moi-même. Je me fuis

trop bien trouvé jufqii à préjent d'avoir fuivi vos confeilspour

ne pas me conformer aujourd'hui à vos intentions. Vous avz\ce que vous fouhaiter^ & vos frères feront contens.

Le jour indiqué pour la-cérémonie étant arrivé l'Empereurdéclara qu'il choiftffoit pour Prince héritier & pour être fonfucceffeur au trône le Prince Li-kien-tcheng fon fils aîné il

nomma Ly-ché-min Prince de Tfin & donna la Principautéde Tfi à ton troifieme fils Li-yuen-ki. Ces deux Principautésn'etoient que de purs titres parce que les pays où elles etoientfituées c'eft-à-dire celle de Tfin dans le Chan-fi du côté de

l'Occident, & celle de Tfi dans le Chan-toung, du côté de

l'Orient n'eteient point encore foumifes. Ly-ché-min prit fur

lui de faire la conquête de fon propre apanage. Un Princedu nom de Siué-kiu etoit alors Roi de Tfin. Il eut la téméritéd'être l'agreffeur en entrant dans les terres qui etoient déjà

fous la domination des Tang. Il s'empara en particulier de la ville

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''de King-tcheou & en ravagea tous les environs. Lyché-minmarcha contre lui à la tête de fes troupes, il l'atteignit à Kao-tché mais n'ayant point l'avantage du nombre non plus que

celui du terrein, il prit le parti de camper & de fortifier fon

camp de maniere à le rendre inattaquable. C'etoit pour laiflfer

à/ennemi qui n'etoit pas à portée d'avoir des vivres le temsde consommer fes provifions & l'occafion de faire des fautesdpnt il favoit profiter. Les ouvrages etoient àpeine finis qu'iltomba malade. Il fit appeller Lieou-ouen-tjîng le premier defes Officiers généraux, & en lui remettant le commandementde l'armée il lui dit Les troupes de Siué-kiu fe font tropavancées, les vivres leur manqueront bientôt. Quoi qu'il puiffearriver, neforte^ pas du camp pour les aller combattre. Atten-dè^ que je fois guéri ma maladie n'ejl pas de nature à durerlong-tems.

Lieou-ouen-tfîng promit de fe conformer à des ordres fifages mais pour fon malheur, & celui de toute l'armée, illes interpréta à fa manière. Il crut qu'il pouvoit, fans man-tquer à ce qu'il avoit promis, faire fortir fes troupes pour les

exercer hors du camp, afin d'en impofer par-là à l'ennemi& lui donner de fauffes alarmes. Il faifoit défiler fon armée,

^la rangeoit en bataille, & après plufieurs évolutions la faifoit^rentrer dans le camp.

Siué-kiu s'imagina d'abord que tout ce manège n'etoit qu'unartifice pour l'attirer au combat; mais ayant fu que Ly-ché-min etoit malade, il ne douta point que ce ne fût une fan-faronade de la part de celui qui commandoit à fa place. Ilfongea à en tirer parti. Il mit en embufcade pendant la nuit unepartie de fon armée le plus près qu'il put du camp des ennemis.Le lendemain Liecu-ouen-tjîngfonk à fon ordinaire; mais festroupes avoient à peine achevé de défiler, que Siué-kiu lesattaqua de front, tandis que ceux qu'il avoit mis en embufcade

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les attaquoient par derriere. La viftoire ne fut point douteufe;& ce qui reita des vaincus, ne dut fon falut qu'à la proxi-mité de la Ville de K ao-tché, où il alla fe réfugier. Ly-ché-min s'y etoit fait tranfporter dès le commencement de fa mala-die, & il etoit en voie de guérifon quand ce malheur arriva.Il ne fe crut pas en fureté dans cette Ville. Il en partit pré-cipitamment & retourna à la Cour. Ce qu'il avoit prévu arriva.Siué-kïu aiîiégea la Ville, la prit & la détruifit de fond encomble; mais il ne jouît pas long-tems de fa gloire. Le mauvaisair du camp, les mauvais alimens & les fatigues qu'il avoiteffuyées, lui cauferetit une maladie dont il mourut. Il eut pourfucceffeur Siué-jin-kao fon fils.

Ce Siué-jin-kao prit le commandement de l'armée de fon

pere & fe propofa de pouffer fes conquêtes jufqu'à la Capi-tale de l'Empire des Tang. Cependant Ly-ché-min fe rétablit,il ratfembla les débris de l'armée qu'il avoit commandée ci-devant, leur joignit de nouvelles troupes & alla au-devant dufils de Siuè-kiu lui livra bataille, & le fit prifonnier. Les vain-cus, à l'exception d'un petit nombre qui prit la fuite, mirentbas les armes. Ly-ché-min les incorpora dans fes troupes, &

retourna à Tchang-ngan avec fon prifonnier, qui fut mis à mort,comme fils d'un rebelle & coupable lui-même du crime derébellion. Cette victoire mit toute la Province du Chen-Jî fousl'obéiffance des Tang. Il refioit à foumettre les Provinces duChan-tong, du Ho-nan & du Chan-fi.

Yu-ouen-hoa-ki, qui avoit fait affaffiner l'Empereur Yang-ty,etoit à la tête d'une nombreufe armée dans le Chan-tong y Teou-

kein-tê Prince de Hia, dominoit dans le Chan-Jî, & le PrinceYué-ouang frere de l'Empereur Koung-ty, avoit un partiaffez confidérable dans le Ho-nan. Ly-ché-min ou par lui-mêmeou par tes Lieutenans les vainquit l'un après l'autre. Les Tar-tares Tou-kiué, qui, dans les commencemens, av oient donné

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du fecours à Li-yuen ne s'etoient pas attendus à des fuccèsfi rapides de la part de ce Prince. Leur intention etoit de pro-

fiter des diffenfîons qui déchiroient l'Empire pour s'en appro-prier quelqùe portion du côté du Nord voyant leurs efpé-

rances trompées ils fe liguerent avec les autres Tartares &

avec quelques Chinois rebelles qui avoient pris les titres de

Rois des pays qu'ils avoient ufurpés. L'un des plus diftingués

d'entre ces Chinois fut un nommé Lkou-ou-tcheou qui, aidéi&e deux Capitaines habiles, qu'il avoit à fon fervice etoit

venu à bout de fe former un état affez confîdérable. Licou-ou-tcheou fecouru par les Tartares dont il etoit voifin pou-voit être un grand obftacle à la réunion de tout l'Empire fous

la domination d'un feul maître. L'Empereur Kao-tfou voulutfe mettre en repos de ce côté-là. Il envoya Ly-ché-min pourabattre une puiffance qui devenoit de jour en jour plus redou-table, & pouvoit lui difputer tôt ou tard l'Empire.>i Ly-ché-mïn allant porter la guerre au loin crut qu'il falloitavoir une armée plus choifie que nombreufe. Il emmena aveclui tous ces braves Officiers & ces vieilles troupes avec quiil etoit accoutumé de vaincre, & partit avec une diligencequi ne laiffa pas aux ennemis le tems de fe réunir. Il avoitdéjà atteint l'armée de Licou- ou-tcheou que les Tartaresn'etoient point encore fortis de leur pays. Il battit d'abordleur arrière-garde qui s'etoit ecartée pour aller chercher des

^ivivres il força fa marche pour atteindre le refte après avoirmis fon infanterie en croupe & après avoir fait près de deuxcens lys en vingt-quatre heures les deux armées fe trouve-rent en préfence dans la plaine de TJiao-chou-kou.5- II etoit déjà nuit quand Ly-ché-min arriva il laiffa prendreà fes troupes le repos dont elles avoient befoin & pendantle peu d'heures qu'il leur permit de donner au fommeil il allareconnoître lui-même les lieux où il fe propofoit de livrer

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bataille le lendemain. Dès que le jour parut il rangea fapetite armée en bataille & au foleil levé il fit attaquer lesennemis on fe battit avec un acharnement qui rendit pen-dant quelque tems la viftoire douteufe mais Ly-cké-min lafixa enfin après être revenu à la charge jufqu'à huit fois lesennemis perdirent plus des deux tiers de leur armée & leGénéral fe fauva en Tartarie accompagné de quelques-unsde fes Officiers qui voulurent bien le fuivre.

Yu-ché-king-tê le fecond des Liëutenans généraux quicommandoient l'armée de Licou- ou-tcheou n'avoit alors qu'un

corps de huit mille hommes fous fes ordres quand il appritla défaite de fes alliés & la viftoire de Ly-chc-min convaincud'ailleurs que celui dont il avoit pris les intérêts,n'etoit qu'unrebelle il prit le parti de fe foumettre.

Ly-ché-min le reçut non-feulement avec bonté mais avecdes démonftrations de joie. Il avoua depuis que l'acquifitionde cet excellent Officier lui avoit fait beaucoup plus de plaifir

que le gain même de la bataille parce qu'il prévit dès-lorsla ruine prochaine de Licou-ou-tcheou & de tour fon parti.

.En effet Licou-ou-tcheou n'eut pas plutôt appris la défec-tion d'un de fes Généraux & la fuite de l'autre qu'il fe crutperdu fans reffource. Il abandonna les Etats qu'il avoit ufur-pés, & alla rejoindre fon Général Soung-h.n-ka.ng chez lesTou-kiué. Ces Tartares qui ne s'etoient ligués ci-devant aveclui que dans l'efpérance de quelque profit réel pour eux-mêmes& pour affoiblir par fon moyen la puiflance des Tang quicommençoit à les alarmer fe voyant plus éloignés que jamaisde la fin qu'ils s'etoient propofée ne firent aucun cas d'unallié malheureux. Ils violèrent même à fon égard les droitsles plus facrés car dans la crainte que le vainqueur ne vînt

porter la guerre jufqu'en Tartarie ils firent mourir Licou-ou-tcheou avecÇongènèralSoung-kin-kangitk. envoyèrent leurs têtes

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à Ly-ché-min en figne de réconciliation avec les Tang, qu'ilsreconnoiflbient pour les feuls légitimes Souverainsde la Chine.C'eft ainfi que par fa prudence fon aftivité & fa bravoureLy-ché-min vint à bout dans l'efpace de deux mois d'etein-dre une domination qui .eût eté très-fatale à l'Empire fi elleavoit eu le tems de fe raffermir. Toutes les villes qui obéiflbientà Licou-ou-tcheou lui envoyèrent des députés & fe foumirent.

Après une expédition fi glorieufe il etoit jufte que ce hérosallât jouir du triomphe qu'il avoit mérité. Il fe rendit à Tchang-

ngan. L'ardeur que témoignerent les grands de tous les ordres& les principaux d'entre les Magiftrats à aller au-devant delui l'empreffement que le peuple eut à le voir & les accla-mations réitérées dont il l'honora quand il traverfa la ville

pour fe rendre au Palais les larmes de .joie que verfa fEm-pereur fon père en le recevant tout cela répandit dans le

cœur de fes freres le venin d'une jaloufiè qu'ils n'eurent pasla force de diffimuler. Ils murmurèrent d'abord fourdement &auprès de quelques femmes du Palais ils fe plaignirent enfuite

comme fi les louanges qu'on donnoit à leur frère euffent étéautant d'injures pour eux enfin ils l'accuferent de vouloirrégner.

L'Empereur ne fit aucun cas de leurs plaintes. Il juftifia foafils en difant à fes frères qu'il lui avoit offert le Trône &qu'il avoit eu la générofité de le refufer pour y laiffer monterfon aîné & les exhorta à être auffi tranquilles qu'il l'etoit lui-même fur fon compte.

Dans le tems que les difcuffions etoient prêtes d'éclater dansla Famille Impériale, on apprit que Ouang-ché-tèhoung qui11

avoit pris le titre d'Empereur, faifoit chaque jour de nouveauxprogrès. Cet ufurpateur etoit maître de Lo-yang, Capitale del'Empire fous les Soui & de plufieurs autres Villes du pre-mier ordre. Comme il y avoit trouvé des riclieffes immenfes

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& que le pays qui le reconnoiffoit etoit extrêmementpeuplé,il ne lui croit pas difficile d'avoir fur pied de nornbreufes armées.

L'Empereur faifit cette occafion pour mettre fon cher Ly-ché-min à couvert de toutes les perfécutions domeftiques. Ill'envoya contre Ouang-ché-tckoung. Ly-chi-min compofa lui-même fon armée. n voulut que Yu-tché-king-tè & la plupartdes Officiers qui avoient été au fervice de Licou-ou-tckeoule fuiviffent, parce qu'ils connoifîbient le terrein, & favoientle fort & le foible des lieux qu'il fe propofoit d'attaquer. Quel-

ques-uns de fes Lieutenans lui repréfenterent qu'il n'etoit pasde la prudence d'employer fitôt des hommes qui avoient aban-donné fi facilement leur ancien maître, & qu'il pourroit fortbien arriver qu'ils fiffent à fon égard, ce qu'ils avoient faità l'égard de Lïcou-ou-tcheou, Ly-cht~mïn fe contenta de leurrépondre qu'il ne retenoit perfonne de force h fon fervice,& que û ceux dont ils lui parloient vouloient le quitter,il ne feroit pas courir après eux pour les ramener. Quel-ques jours après, on vint lui annoncer la défertion de quel-

ques-uns de ces mêmes Officiers dont on avoit tâché delui rendre la fidélité fufpe&e. Ceux qui lui avoient confeilléde fe défier de Yu-tchi-Mng-té profiterent de cette occafion

pour revenir à la charge & faire de nouveaux efforts pour leperdre Ce que fes amis viennent de faire, difent-ils il le ferabientôt lui-même; & comme il entend très-bien la guerre, il pourraluifeul nous être plus funefle que tous nos autres ennemis enfem-hle. Croyez-en notre %eles Yu-tche-king-té & les Jîens n'at-xendent que le moment favorable pour paffer che^ Ouang-ché-tchoung. AJfure^vous de fa perfonne & faites-le mourir, caril a merité la mort en prenant autrefois les armes contre vous,

'J

pu envoyé^ le prifonnier à Tchang-ngan. Je lui ai deja pardonné,répondit Ly-ché-min je l'ai reçu à mon fervice, & je l'ai mis

au nonzbre de mes amis; je n'ai rien apperçu dans lui jufju'àpréfenf

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Tome V. N

préfent qui puijfe le rendre indigne de mes bienfaits. Pourquoifur de fimples faupçons m'expoferois-je à caufer dit chagrin àun homme que j'eflime, à déshonorer un brave guerrier, & àfairepérir un innocent? Qu'on ne m'en parle plus.

Cependantpour fe mettre entiérement Tefprit en repos deee côté-là & ne pas paroître méprifer, ou faire peu de casdes avis qu'on lui donnoit, il réfolut d'entrer lui-même eneclairciffement avec Yu-tché-king-tê. Il le fit venir en parti-culier, & lui dit on voudroit me perfuader que vous avec quel-qu'envie de quitter mon fervice; qu'en efl-il? Parlez-moi fansdétour, & ne craigne^ pas d'ufer, envers moi, de la mêmefran-chife dont j'ufe à votre égard. Je ne veux me fervir de vousqti autant que je vous croirai mon ami, & que vous me regar-derez comme étant le vôtre. Si cette condition vous plaît à labonne heure; continuons à vivre enfemble comme nous avonsfait jufquà préfent. Si vaus voule^ vous retirer ailleurs jene m'y oppofe pas; parte^ quand il vous plaira. Voilà quelque

peu d'argent que je vous donne, recevez-le comme un gage de

mon. amitié i & il pourra vous fervir au befoin. Je voudrois pou-voir faire quelque chofe de mieux pour vous; mais les circonf

tances s'y oppofent. Adieu fouvene^-vousquelquefois de moi..Prince, lui répondit Yu-tché-king-tê^ le malheur des tems

mavoit engagé dans un parti contraire au vôtre j je ne- con-noijfois pas encore le grand Ly-ché-min voilà mon exeufe pourle pajfé. Je n'ai rien à dire fur le préfent parce que je n'ai rienà me reprocher. Pour l'avenir j'efpere que je ferai ajfe^ heureux

pour me rendre digne de votre eflime. Permette^ que je vousfuive jufquà la mort. Le Prince lui tendit la main & le renvoyafaire fon fervice.

Lorfqu'on apprit à Lo-yang que l'armée Impériale approchoit Oiiang-ché-tchoung fe mit à la tête de la fienne, &établit fon camp du côté du Nord pour être plus à portée

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de recevoir les fecours & les vivres qu'il attendoit des Pro-vinces foumifes au Prince de Hia fon allié. Les Impériauxétablirent le leur du côté du Midi, aufli-tôt qu'ils furent arri-vés au pied de la montagne de Pé-mang. La Ville fe trouvaainfi entre les deux armées.

Ly-ché-min, avant que de rien entreprendre, voulut, félonfa coutume, aller reconnoître lui-même le terrein; il prit aveclui huit cens Cavaliers, & parcourut tous les environs. Ouang-ché-tchoung, qui en fut inftruit, monta fur le champ à cheval,

avec environ quinze cens hommes, fit un détour & vint enve-lopper Ly-ché-min & fa petite troupe. Un Officier de Ouang-ché-tchoung ayant reconnu Ly-cké-min -qui le fabre à lamain, tâchoit de s'ouvrir un paflage pour fe dégager, vintà lui la pique levée. Il alloit le percer, quand il reçut lui-même le coup de la mort de la main de Yu-tche-king-tê qui

ne perdoit pas de vue fon maître, & qui faifit cette occafion,“

de le convaincre de fon attachement à fa perfonne & defa fidélité à toute épreuve. Malgré leur bravoure & leursefforts les Impériaux auroient fuccombé fous le nombre, fi

la cavalerie à laquelle Ly-ché-min avoir donné ordre en par-tant de le fuivre d'un peu loin, n'etoit arrivée pour les fecourir.Les chofes alors changerent de face, ceux qui avoient fuiviOuang-chê-tchoung furent prefque tous tués., & Ouang-che-tchoung lui-même eut toutes les peines du monde à regagnerfon camp.

Cette aftion qui fe paffa,, pour ainfi dire, aux pieds desmurailles de la Ville, répandit la confternation dans tous lesefprits, & là renommée qui groffit toujours les objets, repré-fenta comme une viftoire complette, ce qui n'etoit au fondsqu'une efcarmouche entre deux détachemens. Sur ce bruit,la plupart des Villes qui obéiffoient à Ouang-che-tchoung-pzt-dirent courage, & envoyerent des députés pour recevoir le

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joug du vainqueur. Ly-ché-min voyant que tout lui réuffiffoitau-delà de fes efperances, ne voulut pas y revenir à deux fois;il fit le fïege de Lo-yang. Cette Capitale etoit alors une desplus fortes places de la Chine. Elle avoit été long-tems leféjour des Empereurs. Elle etoit remplie de richeffes; maisles vivres commençoient à y être rares, à caufe du grandnombre des habitans.

Ouang-che-tchoung qui avoit prévu ce fiége, dès le momentqu'il fut que Ly-ché-min venoit à lui, avoit pris fes mefures

pour fe bien fortifier au-dedans, & pour pouvoir faire diver-fion au-dehors, il s'etoit adreffé au Prince de Hia & l'avoitfupplié de venir promptement à fon fecours contre leur ennemicommun. Ce Prince s'etoit mis auffi-tôt en marche à la têted'une armée de plus de cent mille hommes. Il apprit en cheminle malheur de fon allié le Siège de Lo-yang & la défectionde toutes ces Villes qui s'étoient données au vainqueur. Ilécrivit ce peu de mots kLy-ché-min -.j'apprends que vousvoule^forcer Ouang-che-tchoungjufques dans fa Capitale, & que vousêtes déja maître de la plupart des Villes dont il etoit maîtreci-devant. Je vole à fon fecours à la tête d'une nombreufe armée.Si vous voulei que je me retire, retirez-vous vous-même, rejîi-

tue^ les Villes qui fe font données à vous, & retourne^ à Tchang-

ngan, nous vivrons alors en paix comme auparavant.Après avoir lu cette lettre, Ly-ché-min dit au Courier qui

la lui avoit apportée dites à Teou-kien-tê votre maître, queje lui ferai ma réponfe de vive voix & le renvoya. Cepen-dant Ouang-clze-tchoung qui craignoit de fe trouver réduit auxdernieres extrémités avant l'arrivée du fecours qu'il attendoit,réfolut de faire un dernier effort. Il fit prendre les armes àtous ceux qui etoient en état de les porter, les incorpora dansfes troupes, fortit de la Ville & alla préfenter la bataille àLy-ché-min. On fe battit depuis le levé du foleil jufques vers le

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milieu du jour, fans que la viftoire parût fe déclarer , mais

enfin ces troupes de nouvelle levée qui etoient dans l'arméede Ouang-che-tchoiing ne pouvant foutenir- plus iong-temsles efforts des vieux foldats de Ly-ché-min, commencèrentà fe débander. Leur exemple entraîna bientôt les autres, touteleur armée fe fauva en défordre. Les vainqueurs pourfuivi-

rent les fuyards jufqu'aux pieds des murailles de la Ville.Les choies en etoient là quand Ly-cké-min reçut une lettre

de l'Empereur fon pere, qui lui ordonnoit de fufpendre le fiége,& de fe contenter de tenir en refpeft l'armée du Prince deHia. Il en fut conflerné; mais après un moment de réflexion, ilécrivit à fon pere à peu^près en ces termes Je fuis fur lepoint de vous foumettre deux ennemis à la fois, & de réunirenfin tout l'Empire fous votre domination. Dans peu j'irai mejetter aux pieds de votre Majefié, ou pour recevoir mon arrêtde mort, fi je ne réujjîs pas, ou pour mériter votre approba~twn,fi je réujjis.

Après avoir fermé fa lettre &. renvoyé le Courier, il affem-bla fon Confeil de guerre pour déterminer ce qu'il y avoità faire dans les circonflances où l'on fe trouvoit. Il ne dit riende rordre qu'il avoit reçu. Prefque tous les Officiers géné-raux furent d'avis qu'il falloit lever le fiége, &: retourner àTchang-ngan pour s'y refaire des fatigues paffées. Ce n'etoitpas la penfée de Ly-ché-min. Il demanda à un de fes Lieu-tenans avec lequel il avoit déjà concerté, ce qu'il devoit répon-dre, ce qu'il penfoit de l'idée de lever ainfi le fiége", à laveille de prendre la Ville. Kouo-hiao-kiao ( c'eft le nom decet Officier) lui répondit que c'etoit fe déshonorer que d'aban-donner une entreprife qui alloit être confommée par le fuccèsjque les affiégés ne pouvoient tenir long-tems, étant déja réduitsà ne fe nourrir que d'herbes feches, de vieux cuirs, & de toutce qu'il y avoit de plus vil; que le Prince, de Hia ayant été

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obligé de faire une longue route, voudroit au moins prendrequelques jours de repos avant que de les attaquer; & qu'enfinil etoit perfuadé que le Ciel leur livreroit deux ennemis àla fois. C'ejl->làprécisément ce quejepenfe, dit alors Ly-ché-mincontinuons le Jïége & allons battre Teou-kien-tê. Il donna futle champ fes ordres pour l'un & pour l'autre.

Il partagea fon armée en deux, il en laiffa une partie auxpieds des murailles de Lo-yang, & s'etant mis à la tête del'autre, il alla au-devant du Prince de Hia. Il le rencontra auxenvirons de la fortereffe de Ou-lao-koan, dont il vouloit s'em-parer avant que de paffer outre. Non loin de cette fortereffe,etoit une montagne qui dominoit fur tout le pays. Ly-ché-mins'y tranfporta fuivi de quelques Cavaliers feulement &

examina à loifir le camp des ennemis. Il en fit de même plu-fieurs jours de fuite, fans rien dire de fon deffein à qui quece fût. Il remarqua que chaque jour, à la même heure, ungros de monde fe rendoit à la tente du général; il compritque c'etoit le tems où les Officiers alloient prendre l'ordre ilprit dès-lors fon parti. De retour à fa tente il aflembla fesOfficiers généraux, & leur dit de fe tenir prêts pour le len-demain. Dès la pointe du jour il fe mit à la tête de l'élite de facavalerie donna ordre au refte de le fuivre au petit pas sen faifant un détour, & au gros de l'armée de ne s'ébranler quelorfque le combat feroit commencé.

L'heure étant arrivée, Ly-chémin donne tête baiffée dansle camp des ennemis, le force, va droit à la tente du Général& y eft prefqu'arrivé qu'on ne penfoit pas encore à le repouf-fer. Comme les principaux Officiers, ainfi qu'il l'avoit prévu

sn'ctoient point à leurs pofles, un defordre général fe mit dans

toute l'armée. Celle de Ly-ché-min s'ébranla alors & vint ache-

ver leur défaite. En vain le Prince de Hia fait tous fes efforts

pourranimer ilsï-yi^îl^: la peur les avoit tellement faifis,

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qu'ils ne penfoient pas même à fe défendre. Dans cette confu-fion ce Prince eft bleffé d'un coup de pique, tombe de fon che-val & eft fait prifonnier par un des Officiers de Ly-ché-min.Toute l'armée mit bas les armes. Ly-ché-nzin fit ceffer le car-nage, renvoya chez eux tous ceux qui voulurent y retourner,incorpora dans fes troupes ceux qui voulurent fervir fous lui,& retourna aufïi-tôt au fiége de Lo-yang.

En chemin faifant il voulut s'entretenir avec le Prince deHia fon prifonnier. D'oùvient lui dit-il que fans aucune rai-fon légitime, vous ave^ pris les armes contre moi ? que vousavois-jefait?ne vous laijjbis-je pas tranquille che^ vous ? Vous

ne mavie\ rien fait encore lui répondit le prifonnier maisaprès avoir détruit Ouang-ché-tchoung vous aurie^ infailli-blement entrepris de me détruire. J'ai voulu vous prévenir.

Ly-ché-min n'infiftapas davantage'; mais arrivé fous les mursde Lo-yang il fit dire aux affiégés qu'ils n'avoient plus defecours à attendre qu'il avoit défait l'armée auxiliaire &qu'il etoit maître de leur Général & de tous leurs Officiers. Illes invita à venir voir du haut de leurs remparts le Prince deHia fur lequel ils fondoient toute leur efpérance & lesexhorta à ne pas différer plus long-tems de fe foumettre.

Ouang-che-tchoung qui fe voyoit fans reiTources fe revêtitd'un habit de fimple particulier fe fit fuivre de fa famillede fes grands du plus grand nombre de fes Officiers fitouvrir la porte de la ville & vint fe mettre à la difcrétiondu vainqueur. Ly-ché-min le reçut avec bonté le fit garder àvue & fe difpofa à aller prendre poffeffion de fa nouvelleconquête. Il défendit fous peine de mort de faire aucuna£te d'hoftilité tant au dehors qu'au-dedans de Lo-yang il

ne prit avec lui que quelques mille hommes entra dans laville & fe rendit au Palais.

Le premier de fes foins fut de chercher les ecrigg

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particuliers de la maifon de Soui, pour les envoyer à l'Em-

pereur fon pere mais il ne s'en trouva aucun. Ouang-ché-tchoung avant de fe rendre les avoit tous fait brûler. Il fit

mettre en un tas l'or & l'argent les pierreries & les bijouxles foieries &c. & diftribua le tout aux Officiers & aux ibl-dats de fon armée fans en rien réferver pour l'Empereur fon

pere ni pour lui-même. Il vinta l'un après l'autre tous les

appartemens en fit fortir les femmes & les Eunuques qui lesgardoient ou les occupoient. Puis fe tournant vers les Officiersde fon cortege il leur dit en tirant un profond foupir de fon

cœur c'ejl ce luxe & dette magnificence que nous venons devoir qui ont perdu la mai/on de Soui. Des Princes uniquementoccupés de pareilles bagatelles qui ne font qu'amollir le cœur& qu'on ne peut fe procurer qu'avec des fi-ais immenfes pou-voient-ils travailler à la félicité des peuples, & vaquer aux Joinspénibles du gouvernement ? Q_ù on mette le feu à ces fomptueuxédifices que.la dureté l 'infamie & les vexations ontJeveux les voir réduits en cendres avant que de in en retourner àTchang-ngan. fut obéi.

Après avoir réglé tout ce qu'il falloit pour le bon ordre &la fureté de la ville il partit pour aller rendre compte de faconduite comme il favoit promis en fufpendant l'ordre del'Empereur fur la levée du fiége de Lo-yang ou pour mieuxdire pour aller triompher fous les yeux d'un pere qui i'aimoittendrement & au milieu d'un peuple dont il etoit devenul'Idole. Il arriva à la feptieme lune de la cinquieme année duregne de Kao-tfou & fit fon entrée à la tête des trente millehommes qu'il avoit choifis dans fon armée pour lui fervird'efcorte. Teou-kien-tê, Prince de Hia & Ouang-ché-tcheoung,ufurpateur des titres & d'une partie de l'Empire des Souifuivis de quelques-uns de leurs Officiers etoient enchaînés &marchoient à pied aux deux côtés de fon cheval à peu de

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diftance de l'etrier après eux venoient leurs etendards & leursdrapeaux,qu'on traînoit négligemment par terre, leurs inftru-

mens de mufîque dont on ne tiroit par intervalle que quel-

ques fons lugubres lorfque ceux qui chantoient l'hymne detriomphe faifoient une paufe pour refpirer quelques momens.

Monté fur un cheval richement enharnaché revêtu d'une

cotte d'armes & d'une cuiraffe de For le plus fin préfent quel'Empereur fon père lui avoit fait peu de jours auparavant

pour lui fervir de parure lors de la cérémonie ayant le cafque

en tête l'arc en echarpe le carquois garni de fés flèches furl'epaule, & le fabre à la main Ly-cht-min entra dans la ville.Le bruit des inftrumens guerriers & les acclamations réité-rées du peuple fe mêlèrent alors aux fôns mélodieux de lafymphonie & des voix & bientôt l'on n'entendit plus que lescris redoublés de la joie publique. Chacun vouloit voir unHéros que la victoire ne fe laffoit pas de fuivre. On le voyoit& on vouloit le voir encore on lui donnoit mille bénédictions

on lui fouhairoit la plus longue vie. Il alla droit à la Salle desancêtres y fit les cérémonies refpe&ueufes& de-là il ferendit au Palais.

L'Empereur le reçut en père tendre, & en Souverain recon-noiffam. Il embraffa fon fils il remercia le Héros des fervicesqu'il venoit de rendre à l'Etat. A fon occafion & à fa prièreil affigna des récompenfes aux Officiers il fit des largeffes àtous les foldats il foulagea le peuple d'une année d'impôts

>il fit publier une amnistie générale il invita tous fes fujets àfe réjouir. Mais tandis que Fallégreffe répandoit par-tout fesbienfaits l'envie verfa toute fon amertume dans les cœurs duPrince héritier & du Prince de Tfi freres de Ly-ché-min.Que lui manque-t-il fe dirent-ils entr'eux pour qu'il [oit Sou-verain dans toutes les formes ? il en a déjà l'autorité il com-mande par-tout en maître. Le* gens de guerre lui font entièrement

dévoués

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dévoués. Tous les autres l'admirent bientôt nous ferons con-traints nous-mêmes de lui obéir. Parmi cette confujîon de crisqui faifoient retentir les airs lors de fon triomphe on a dijlin-gué des voix indifcretes qui lui donnoient l'augujle titre de Filsdu Ciel. Si nous ne nous hâtons de prévenir £ exécution de fesambitieux dejjeins tout eflperdu pour nous.

C'eft ainfi qu'ils s'exprimoient dans les accèsd'un délire dontla fureur alloit toujours en augmentant. Ils redoublerent d'ef-forts auprès de leur pere pour lui infpirer les plus noirs Coup-

çons. LaifTons-les tramer fourdement leurs honteufes cabales»

ils travailleront à leur ruine & tomberont enfin dans l'abymequ'ils auront creufé de leurs propres mains.

Après avoir joui des honneurs du triomphe de la manière

que je l'ai dit le Héros pria l'Empereur de vouloir bien mettreune différence entre Ouan-ché-tchoung fuccefleur prétendude l'illuftre famille des Soui & Teou-kien-tê Prince de Hia.Le premier lui dit-il content de fon fort ne penfoit point ànousfaire la guerre c'efl nous qui l'avons attaqué. Le fécond

au contraire que nous laïffons tranquilledans fes Etats a armé

contre nous & a cherché à nous détruire fans que nous lui enayons donné l'occafion ni même fourni le plus léger prétexte.Si celui-ci mérite la mort l'autre efl digne de quelque compaf-fion & mérite quelque indulgence de notre part.

L'Empereur eut égard aux repréfentations de fon fils. Il fitmourir le Prince de Hia. qui fuivant une coutume introduitedepuis longues années ne rnéritoit aucune grace & con-damna Ouang-ché-tchoung à un fimple exil. Mais cet infortuné

eut un fort pareil à celui du Prince de Hia par la cruauté del'Officier qui le conduifoit lequel prétexta un ordre fecretde le maffacrer en chemin.

Le trifle fort qu'éprouvèrent ces deux malheureux Princesfit fur l'efprit de leurs anciens fujets les impreffions les plus

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fortes ils verferent d'abord des larmes d'attendriffement& decompa/îlon j mais bientôt ils en verferent de rage & fe por-terent aux plus violens excès. On les voyoit courir les campa-gnes & les villages fe faire fuivre par quiconque etoit en etatd'attaquer & de fe défendre & maffacrer indifféremment qui-

conque fe mettoit en devoir de leur réfifter ou de leur fairedes repréfentations. Leur nombres'etant prodigieufementaccru

avant qu'on fût inftruit de cette révolte à Tchang-ngan ils

eurent le tems de fe choifir un chef. Ils jetterent d'abord les

yeux fur un ancien Officier qui s'etoit diftingué au fervice duPrince de Hia mais cet Officier ayant refufé de fe mettre àleur tête ils le maffacrerent & s'adrefferent à un autre Capi-taine du nom de Lieoic-he-ta. Celui-ci, dans la crainte d'êtremaffacré à ion tour accepta le commandement & fe trouvabientôt à la tête d'une armée nombreufe. Il fit des conquêtesdans le Pé-tché-ly & le Chan-tong recouvra prefque tout le

pays qui etoit fous la domination du Prince de Hia & prit letitre de Roi.

Dans le commencement de ces nouveaux troubles l'Em-pereur travailloit avec Ly-ché-min à faire refleurir les Sciences& les arts que les guerres avoient mis dans un etat de langueur.Déjà tout ce qu'il y avoit de Savans dans FEmpire avoit euordre de fe rendre à la Cour & ce fut de ces Savans queLy-ché-min compofa cette fameufe Académie d'où font fortistant d'hommes célebres en plufieurs genres. Il l'agrégea auConfeil fuprênie & voulut qu'elle devînt la pépiniere desGouverneurs des Magistrats, & de cette foule de Mandarinsfur lefquels l'Empereur fe décharge de quelque portion de fonautorité pour le gouvernement civil. Ceft cette même Aca-démie qui fubfrfte encore aujourd'hui fous le nom de Han-.hn-yuen.

Parvenu au faite de la gloire, } jouiffant de tous les honneurs

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attachés à fon rang ayant une autorité fans bornes tantpour le militaire que pour le civil (j car l'Empereur vou-lant le récompenfer comme il avoit récompenfé tous ceuxde fon armée après fa fameufe expédition lui avoit donnéla furintendance fur tous les Mandarins de l'Empire. }, Ly-ché-min ne penfoit qu'à jouir des douceurs de la paix. Inftruit detout ce que fes freres inventoient chaque jour pour le perdredans l'efprit de l'Empereur fon pere il leur laiffoit le champlibre. Il ne paroiffoit à la Cour que pour faluer fon pere & luirendre compte en peu de mots de fort administration. Le refledu tems il l'employoit à s'entretenir avec fa nouvelle Acadé-mie il fe faifoit lire l'hiftoire il entroit dans des difcuffionslittéraires il s'inftruifoit fur tout.

Il lui fallut interrompre de fi douces occupations pour allers'oppofer aux rebelles. Il partit à fon arrivée tout changeade face. Il enleva l'un après l'autre tous les pofles dont Lieou-he-ta s'etoit emparé dans le Chan-tong; mais il ne put le chafferfîtôt du Pé-tché-ly parce que ce rebelle avoit fait fa placed'armes de Koang-ping-fou une des plus fortes villes qu'il yeût alors. Il fut contraint de camper fur les bords de la rivierede Ming-choui pour empêcher que l'armée de Lieou-he-taqui n'etoit pas éloignée de là ne reçût les vivres qu'elleattendoit du côté du Midi.

Les deux armées furent pendant plus de deux mois dansl'inaction. Ly-ché-min vouloit en venir à une bataille décifive

& c'etoit précifément ce que Lieou-he-tavouloit éviter. Ce nefut que lorfque fes provisions furent epuifées. qu'il prit enfinfon parti. Le jour Ting-ouei de la troifieme lune il fortit defon camp à la tête de vingt mille hommes & côtoya la riviere

pour s'affurer de quelque paffage qui pût faciliter fes convois.Ly-ché-min fe mit à fa pourfuite l'atteignit lui tua beaucoupde monde & revint auffi-tôt fur fes pas, pour attaquer le camp

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des rebelles & achever de les exterminer. Ils ne lui en don-

nerent pas le tems. Lieou-he-ta s'etoit fauvé avec un petitnombre de cavaliers du côté de la Tartarie. Toute fon arméefe diffipa d'elle-même auffi-tôt qu'elle fe vit fans chef, tout le

pays rentra dans l'obéiffance.Pendant que ce Héros réduifoit ainfi les ennemis de l'Empire

fes ennemis perfonnels je veux dire fes freres & les Damesdu Palais continuoient à le noircir dans l'efprit de l'Empereur.Ils s'y prirent de tant de manieres & fi adroitement, que Kao-tfou fut prefque perfuadé. Il n'en témoigna cependant rien audehors mais la froideur avec laquelle il reçut fon fils à lapremiere entrevue qu'il eut avec lui après fon retour à Tchang-

ngan le décelèrent malgré lui.Ly-chi-mïn qui n'avoit rien à fe reprocher ne s'en mit

point en peine. Il reprit fes entretiens avec les Savans de l'Aca-démie qu'il avoit formée, & laiffa aux calomniateurs tout le

tems d'epuifer leur venin.On vient de dire que Lieou-he-tas'etoit fauvé chez les Tar-

tares. Ceux-ci ne cherchant qu'un prétexte pour rompre unepaix qu'ils n'avoient faite que malgré eux avec les Tang furentravis de cette occafion pour renouveller la guerre. Ils accueil-lirent Lieou-he-ta lui fournirent des troupes, & le renvoyèrentchez lui. Chemin faifant, Lieou-he-ta groffit fon armée de tousfes anciensfoldats, qui n'avoient point encore pris parti ailleurs.,& fe trouva en peu de tems à la tête de plus de cent millehommes avec lefquels il porta fes ravages jufques dans leChan-tong. D'un autre côté les Tou-kiué au nombre de centcinquante mille hommes de cavalerie ayant à leur tête leurRoi Kie-li entrerent dans le Chan-Jî & y commirent toutesfortes d'hoftilités. La nouvelle de ces nouveaux troubles alarmafur-tout le Prince héritier Ly-kien-tcheng & Ly-yuen fonfrère. Ils craignirent que ce ne fût encore une nouvelle occafion

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de triomphe pour Ly-ché-min. Ils prirent le parti de fupplierl'Empereur qu'il eût à leur promettre d'aller terminer eux-mêmes cette guerre. Ils l'obtinrent à condition que Ly-ché-min qui avoit infpeûion iur tout le militaire y confentiroitde bonne grace & ne traverferoit pas leur deffein. Les deuxPrinces en parlèrent à Ly-ché-min & lui dirent L'Empereur

nous a nommés pour aller exterminer Lieou-he-ta & les Tou-kiué. Vous connoiffe\ mieux que perfonne le fort & le foible de

nos troupes aye^ la bonté d'en choifir fur lefquelles nous puif-fons compter. Nous nous flattons que vous choijîre^ pour nouscomme vous ferie\ pour vous-même fi vous etieç chargé de

cette importante & difficile commijjîon.Je fouhaite de tout mon cœur que vous réufjîjjie^ leur répondit

Ly-ché-min du moins ce ne fera pas la faute de l'armée queje formerai pour vous. Je vous donnerai F élite de nos Guer-riers j'aurai foin que les provifions foient abondantes. Je necrains qu'une chofe; c'ejl que votre famé ne s'altère vous n'êtespoint faits à la fatigue, & l'air que l'on refpire dans un Campefi tout différent que celu qu'on refpire à la Cour. En tout cas, jeferai toujoursprêt à vous aller remplacer.

Les mefures des Princes etoient déja prifes; tout etoit con-certé entr'eux. Toutes leurs créatures etoient en mouvement.L'Empereur leur avoit ouvert fes coifres. Ils y prirent des fom-mes immenfes dont ils firent paffer d'abord une partie chez lesTou-kiué,pour les engageràfe retirer. Ils fe mirenten même terrisen chemin pour aller combattre Lieou-he-ta. Kié-ly Roi desTou-kiué déja enrichi du pillage qu'il avoir fait dans le Chau-fi,

reçut les nouvelles richeffes qu'on lui offrit & fe retira. Lieou'he-ta, dont l'armée n'etoit compofée que deTartares,qui nepre-noient qu'un intérêt médiocre à fon entreprife,& de Chinois quine s'etoient attachés à lui que par haine contre les Tang, fe trouvaréduit à n'ofer rien tenter de décifif. Si les Princes craignoient

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de leur coté, il ne craignoit pas moins du fien; il mettoit tousfes foins à empêcher les déferrions qui devenoient de jouren jour plus fréquentes. Ly-kien-tckengs'avifa enfin d'un expé-dient qui lui réuffit. Ayant fait quelques prifonniers, il les com-bla de careffes, & leur promit les plus grandes récompenfess'ils exécutoient le projet qu'il avoit conçu. Retourne^, leurdit-il, au camp de Lieou-he-ta, comme fi vous avie^ trompéla vigilance de vos gardes; dites à tous vos camarades que jeleur prépare le fort le plus heureux, s'ils viennent de leur pleinconfentement fe donner à moi. Cette rufe eut tout le fuccèsqu'on pouvoit en efpérer. Les foldats de Lieou-he-ta déferte-

rent par troupes. Ce Chef malheureux fe voyant prefqueabandonné voulut fe fauver encore chez les Tartares. Maisles Officiers & Soldats qui Taccompagnoient dans fa fuite,fe faifirent de lui, & le menèrent comme ils auroient fait uncriminel, jufque fous la tente du Prince de Ly-kien-tcheng.

Ce Prince afTembla fon Confeil de Guerre. Lieou-he-ta futcondamné à perdre la vie comme traître, & Ly-kien-tcheng

envoya fa tête à Tchang-ngan pour y fervir de preuve defa victoire. Il s'y rendit lui-même, moins pour jouir des hon-

neurs du triomphe, que pour fe comparer à Ly-ché-min &recevoir en fa préfence de l'Empereur lui-même, toutes leslouanges dont il fe croyoit digne. Ly-ché-min etoit trop fage

pour avoir ces vils fentimens qu'infpire la jaloufie. Il prit part àla joie publique.

Dans le courant de la féconde Lune de la fixieme annéede fon regne, l'Empereur Kao-tfou fit une perte, à laquelleil fut très-fenfible. Sa fille Ly-ché, qu'il avoit donnée pourepoufe au Général Tfai-chao, & qui etoit venue à fon fecours,à la tête de dix mille hommes, dans les commencemens dela révolution, mourut à Tchang-ngan. L'Empereur voulut qu'onlui rendît les mêmes honneurs funebres qu'aux fameux Guer-

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riers. Il ordonna que des corps de troupes accompagneroientle convoi, & qu'outre les inftrumens ordinaires de la mufi-

que en ufage dans ces fortes d'occasions on emploier oit encoreles tambours, les tymbales & les autres inftrumens de guerre.

Le Tribunal des Rits crut devoir faire a ce fujet fes repré-fentations. Il efl contre le cérémonial, dirent-ils à l'Empereurdans la fupplique qu'ils lui préfenterent que l'appareil mili-taire & les inftrumens de guerre foient employés dans les convoisfunèbres quand il s'agit d'une femme j & depuis l'antiquité laplus reculée jufquà ce jour, il efi inoui qu'unpareil Rit fe faitjamais pratiqué.

On commencerapar ma fille répondit l'Empereur, elle mérite

cette dijlinclion. A la tête des troupes quelle leva elle-mêmeelle m'a aidé à monter fur le Trône. Elle ne doit pas être confon-due avec les femmes ordinaires. Quon exécute à la lettre cequej' ai ordonné. Cette fermeté du Prince déconcerta les gravesMagiftrats. Ils favoient déja par leur propre expérience quel'Empereur, tout bon qu'il étoit, n'adhéroit aux repréfenta-tions que lorfqu'elles etoient fondées fur le bien public. Maisquand elles n'avoient pour objet que des chofes indifférentes

ou de peu d'importance, il écoutoit avec bonté ce qu'on luidifoit & il s'en tenoit à ce qu'il avoit réfolu.

Un ou deux ans auparavant un etranger Tartare Hou denation, très-habile Danfeur, fe préfenta à la Cour. L'Empe-

reur le vit danfer, en fut très-content, & le mit au nombrede ceux qui pouvoient paroître à la Cour. Les Princes n'enfurent point choqués; les Grands ne fe crurent pas désho-norés de voir chaque jour parmi eux un homme de cette efpece.Cependant pour que cet homme pût paraître avec plus dedécence, l'Empereur lui donna le grade de Mandarin du cin-quieme ordre, avec titre de Préfident fecond d'un des grandsTribunaux.

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PORTRAITS1Auffi-tôt que Ly-kang, qui etoit alors premier Fréfident du

Tribunal des Rits, en eut connoiflance il vint au Palais &dit à l'Empereur Grand Prince, on n'a point vu che\ nosanciens que ces hommes qui font faits pour amufer & divertirles autres ,fuffent mis de pair avec les Lettrés & les Sages quifont faits pour infîruire & pour gouverner. C'ejî fous le regnede votre Majeflé, que cela arrive pour la premiere fois. Nous

avons appris avec un etonnement qui ejî au-deffus de toutesexprejjions qu'un vil Danfeur venoit d'être affbcié au corpsUluftre des Mandarins de l'Empire. Sera-ce en cela GrandPrince, que vos defcendans doivent vous imiter ?, Sera-ce pourcela, que la poflérité vous donnera des éloges? Votre Trônenefl pas encore entièrement affermi, votre légiflation n'a point

encore reçu fa derniere forme; les herbes fauvages couvrentencore ces campagnes que les longues guerres ont changées endéferts.

Cefl aux Guerriers, qui foutiennent & défendent votre Trône

e'ejî aux Sages & aux Lettrés qui éclairent votre Gouvernement&

vous aident à en foutenir le poids cefl à ces hommes labo-rieux qui défrichent les terres incultes & les font valoir, quevous deve\ donner des récompenfes. Prodigues-leur vos dons;yeleve^-les aux honneurs; alors on vous propofera pour modek

aux Princes de votre famille qui regneront après vous & l'Hif-toïre en plaçant votre nom à côté des noms illuftres des fon-dateurs des autres dynaflies vous fera rendre par la pofléritéle même tribut d'éloges qu'à eux. Je fupplie votre Majefl'é par^intérêt que je prends à la gloire de fon regne, de faire bifferdu tableau des Mandarins de l'Empire, le nom du DanfeurNgan-tché-nou, qu'on y a infcrit par fes ordres.

L'Empereur L'écouta, & lui répondit en ces termesle ne crois pas que les Guerriers, les Sages & les Lettrés,,

aient à fe plaindre de moi. S'il fe trouve quelqu'un parmi euxqui

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qui ait eté oublié dans la diflribution des grâces il n'a qu'àdfe produire je réparerai ma faute avec plaifir, & il fera abon-damment dédommagé d'un oubli, qui de ma part a eté tout-à'fait involontaire. Pour ce qui efl de Ngan-tché-mou, il refieraMandarin puifque je l'ai fait tel. Je ne reviens jamais fur mesbienfaits. Cet exemple ne fera point contagieux. Les hommesd'un talent extraordinaire en ce genre comme en tout autresfont trop rares, pour qu'on foit fi délicatfur le choix des récom-penfes & il n'ejî point à craindre d'avilir le Mandarinat enles y incorporant. Je compte fur la fidélité de l'Hifloire & furl'équité de nos defcendans. Qu'on foit auffi tranquille fur cequ'ils diront, que je le fuis moi-même & qu'on ninfifce plusà vouloir me faire rétracter mes dons. On y perdroit jon tems& l'on fe rendroit coupable de défobéiffance.

L'Hiftoire a rapporté le fait tel qu'il eft; mais la poftérité

ne l'a pas jugé auffi favorablement que Kao-tfou l'efpéroit.On le lui a reproché avec prefque autant d'amertume, quecelui d'avoir fait conftruire le premier Temple en l'honneurde Lao-tfee.

L'Empire fe trouvoit enfin réuni fous la domination d'unfeul & même maître. Kao-tfou avoit réglé ce qui concernoitles monnoies il avoit déterminé leur empreinte & fixé leur

*poids. C'etoit comme auparavant des pieces de cuivre defigure ronde avec un trou quarré au milieu. Elles portoientd'un côté les'deux caractères Toung-pao c'eft-à-dire prix encuivre & de l'autre les deux caractères Ou-tè qui font le

nom que l'Empereur avoit donné à fon regne. La plupart desabus introduits par la licence des guerres avoient été fup-primés les Loix avoient repris leur ancienne vigueur toutfembloit annoncer une paix durable lorfqu'on apprit que lesTartares contre la foi des traités recommeriçoient leursexcurfions.

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Kié-ly Roi des Tou-kiué & Tou-ly Roi des Ko-ko-norfe liguerent & vinrent ravager les frontières du Cheiz-fz du.Pé-tché-ly & du Chan-tong. L'Empereur etoit alors occupé

tout entier du foin de faire fleurir les Lettres. Il admettoit les

gens de Lettres dans fa familiarité la plus intime & ecoutoittoujours avec plaifir les avis qu'ils fe hazardoient quelquefoisde lui donner. Quelques-uns de ces Lettrés, qui n'aimoientpointle féjour de Tckang-ngan crurent l'occaiion favorable pourpropofer à l'Empereur de tranfporter ailleurs fa Cour. Ils luirepréfenterent qu'une des principales raifons qui portoient lesTartares à renouveller fi fouvent leurs attaques etoit l'efpé-

rance de pouvoir un jour enlever les tréfors de la capitalequ'ils croyoient être, immenfes. Ils ajouterent qu'un moyenfacile de les fixer chez eux etoit d'abandonner Tckang-ngan& d'aller etablir la Cour dans quelque ville du centre de rEm.pire. Alors conclurent-ils ,fe voyant hors d'efpoir de s' enrichir

de nos dépouilles il ejl à croire qu'ils ne viendront plus nousinquiéter.

L'Empereur fut. prefque perfuadé mais Ly-ché-min s'y op-pofa de toutes fes forces & préfenta un placet qu'il eut foinde répandre dans le public pour mettre tout le monde defoncôté: Ça eté de tout tems dit-il, que l'Empire a eu à fou~'rirde la part de fes voifins. Quelque part qu'ait eté le féjour de laCour les Tartares ont toujours infeflé les frontières. Quoi lvotre Majejlé qui s'ejl élevée fur le trône avec la majeflé duDragon qui a fournis l'un après l'autre tant & de f pui~'ansennemis qui a dompté plus d'une fois ces mêmes Tartares quiviennent encore aujourd'hui provoquer fon courroux votreMajeflé dont les nombreufes troupes ne demandent qu'à donnerde nouvelles preuves de leur valeur voudroit donner à enten-dre à ces Barbares qu'elle craint leur courage en changeanthonteufement de demeure & fuyant ? pour ainjî dire devant

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eux quelle tache une telle conduite riimprimeroit-elle pas àla. gloire de votre regne ?

Ho-kiu-ping Génb~al d'armée fous les Han s'engageoit <t

eteindre les Hioung-nou pourvu qu'on lui donnât des troupesqu'ilpût mener contr eux. Moi, votre fils je m'engage à éteindreles Tou-kiué ou tout au moins à les mettre hors d'etat de pou-voir nous nuire de long-tems ordonne^ & je pars. Si dans peud'années je n'amene ici leur. Roi enchaîné j'attends de votreMajejlé mon arrêt de mort fans murmurer. Elle pourra fairealors ce qu'on lui fuggere de faire aujourd'hui. Vous connoiffe^

ma fidélité & mon ^èle je n'ajoute rien de plus.L'Empereur lut ce placet avec attention. Il n'y trouva rien

qui ne fût conforme à ce qu'il penfoit lui-même mais les foup-

çons que les Princes fes autres fils de concert avec les Damesdu Palais, lui avoient fait naître fur le compte de Ly-ché-min

le tenoient en fufpens. Il n'ofoit lui confier le commandementde l'armée parce qu'on ne ceffoit de lui dire qu'il n'y avoitplus qu'un refte de refpeftpour fa perfonne qui le retînt encoreà l'extérieur & que lorfqu'une fois il feroit hors de la Cour,à la tête des troupes, dont il etoit l'idole il feroit en etat de

tout entreprendre & donneroit la loi. Quoique Kao-tfou necrqt pas tout cela il lui etoit refté dans l'efprit une certainedéfiance qui Fempêchoit de fuivre fon inclination.

Cependant comme le mal etoit preffant, il falloit un remede

prompt, & il n'y en avoit point d'autres que d'envoyer Ly-ché-min à la tête d'une armée. L'Empereur s'y détermina mais

au lieu d'une armée, il voulut qu'il y en eût deux, l'une com-mandéepar Ly-ché-min & l'autre par Ly-yuen-ki. Il crut par-là prévenir tous les inconvéniens. Les deux armées arriventfur les frontières. Après avoir reconnu les ennemis Ly-ché-min vouloit aller à eux: Nous leur préfenterons la bataille dit-il à fon frere s'ils l'acceptent ils font perdus. Je connois la

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difpofz-tion des lieux nous avons pour nous tout ~<fT7:M~9

profitons d'une occafîon qui nefe pré/enterapeut-êtrepas de fi-tot.Je ne faurois confentir à ce que vous propofei^ lui réponditLy-yuen-ki. Les ennemis font en beaucoup plus grand nombreque nous ce feroit témérité que de les attaquer nous rifquerionsnôtre gloire & celle de C Empire. Contentons-nous de les obfer-ver & d'empêcher leurs progrès dans nos terres. Je m'en tiens là& mon parti ejlpris. Lâche répliqua Ly-ché-min puifque vouscfàigne^ pourquoi êtes-vous venujttfqu' ici ? Retourner^ } fi vous

le voùle^ jufqu'à Tchang-ngan renoue^ vos intrigues avec lesfemmes du Palais. Je ferai bien la guerre fans vous.

Ly-yuen-ki perfifla dans fa réfolution & alla fe retrancherà quelques lieues de là pour Ly-ché-min.il fit patfer la riviereà fon armée afin de s'approcher des ennemis.

Les deux Rois Tartares commandoient chacun à part ceuxde leur nation. To-ly etoit campé à quelque diftance de Kié-ly, bien réfolu de demeurer Simple fpeftateur fnppofé qu'on

en vînt à une bataille parce qu'il s'etoit engagé fous fermentde n'employer jamais fes armes contre Ly-ché-min dont ilavoit reçu les fervices les plus fignalés dans une occaiion oùil alloit être perdu fans reiTource. Ly-ché-min. lui en fit rap-peller le fouvenir par un Officier qu'il lui envoya. Ce mêmeOfficier avoit ordre de l'avertir auffi de fa part qu'au ifi-tôtqu'il trouveroit les circonftances favorables ton intention etoitd'attaquer Kié-ly.

To-ly renvoya l'Officier avec ce peu de paroles Dites à

votre maitre que je ne ferai jamais parjure. Il n'a qu à faire ceqiiil projette qu'il fou àjfuré que je referai tranquille ici dans

mon camp. Cette promeffe raffura Ly-ché-min. Il n'attendoitplus que le moment de fe battre. Ce moment arriva & cequ'il y a de iingulicr ce fut dans une circonrrance plus pro-pre à féparer des combattans qu'à infpirer l'ardeur du combat.

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Une pluie'abondante inonda la terre Camarades ditXy-ché-min à fes foldats, c'efl àpréfent qu'il faut donner despreuvesde ce que nous favons faire. Toute la campagne femble n'êtreplus qu'une, mer il pleut encore la nuit va .tomber & fera desplus obfcures il faut marcher. Les Tou-feiué ne font à craindre

que quand ils peuvent tirer une flèche ou lancer un trait. Leurs

arcs relâchés par l'humidité font à préfent fans force. Allons à

eux le fabre & la pique à la main nous les enfoncerons avantqu'ils fe foient mis en etat de défenfe.

Un Général qui a l'afeclion & l'eftimc de fes Soldats eutoujours fur d'être obéi. L'on fe met en marche & dès quele jour paroît ils attaquent le camp ennemi, le forcent font

un carnage affreux & feroient allés jufqu'à la tente de Kié-ly fi des foffés profonds ne les avoient arrêtés.

K.ié-iy épouvanté fit propofer le jour même une trêve àLy-ché-min. On convint que tout afte" d'hoftiliîé ceffer.oît epart & d'autre jufqu'à la conchifion de la paix dont l'Empe-

reur drefferoit lui-même les articles ;' & qu'en attendant les"Korho-nor& les Tou-kiué fe retireroient dans leur pays cequi fut exécuté. Ly-ché-min retourna lui-même à Tchang-ngan

5

où il fut reçu avec tous 1-es honneurs qu'il méritoît.Ce nouveau fuccès acheva de le perdre dans Pefprit de

fes frères. Ils conclurent entr'eux qu'il falloit s'en défaire.L'occafion leur parut favorable. Le Prince héritier, fous pré-texte de fe réjouir avec lui de fa viéloire, lui donna un repas

3

& fit mettre du poifon dans fon vin. ''' '' -'>

A peine fut-on forti de table que Ly-ché-min fentit delàdouleur. Son fidèle ami Yu-tche-kihg-té,'qùi ne le quittoit: plusdepuis qu'il s'etoit donné à lui, foupçonna' la caufe -du mai.-Il eut recours aux remèdes &-ie rrfalade dont- le: tempéra-

ment etoit des plus robuftes fut guéri en peu de "jours. LesPrinces le voyant fruftrés de leur efpérance 5. eurent .recours

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à un autre expédient, ce fut de:le faire afTafnner; ils eurentla mal-adreffe de le propofer à Yu-tché-king-tê, qui rejetta avechorreur cette proportion, & qui, non content d'en avertirLy-ché-min, en porta fes plaintes à l'Empereur lui-même.Mais les Princes toujours unis d'intérêts avec la plupart desDames du Palais, trouverent le moyen de faire paner cetteaccufation comme une calomnie inventée par Ly-ché-min lui-même pour les perdre. Kao-tfou voyoit avec chagrin cettedéfunion entre fes enfans. Il crut les mettre tous d'accord eneloignant Ly-ché-min. Il le prit en particulier,, & lui dit Jefais mon fis que c'ejl à vous que je fuis redevable de C Empire.Je voulois vous défigner mon Succejfeur, vous ne l'ave^ pas.voulu. J'ai nommé votre frère aîné, il y a déjà du tems convien-droit-il de défaire ce que j'ai fait de votre confentement 8cà votre inftigation ? Quand je le voudrois, vous ne le vou-driez pas vous-même. Cependant vos freres fe défient de vous;ils vous craignent, & conféquemment leur conduite à votreégard n'eft pas ce qu'elle devroit être. Je penfe à vous faire unapanage qui puiffe vous mettre à l'abri de tout ce que Ly-kien-tcheng oferoit entreprendre contre vous après ma mort, &qui vous rende fon egal. Lo-yang a été autrefois la Capitalede l'Empire. Je vous la donne avec toutes fes dépendances,allez-y fixer votre cour;.& prenez-y le titre d'Empereur,fi vous le jugez à propos.

A ces mots, Ly-ché-min fe jetta aux pieds de fon père,& lui dit la larme à l'œil Je fuis bien malheureux de n'avoir

pas pu vous convaincre de mon attachement à votre perfonne de

mon ^ele pour la gloire de votre règne de ma déférence à toutesvos volontés, & de la paffion que j'ai toujours eue d'affurerle Trône à vos defcendans. Ce feroit dès-à-préfent travailler àle renverfer7 que de donner deux maîtres à l'Empire. Que mon.frère règne $ qù il règne feul. Duffé-jc être la victime de fon.

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injuflice ou de fa haine quand une fois il fera le maître, jelui obéirai jufqu'à la mort. Peut-être qu'avec le tems je pourraigagner fon amitié. Non, je ne faurois accepter l'apanage que

vous m'offre^.Ce refus de Ly-ché-min fut appuyé par les brigues fourdes

du Prince héritier, qui crut avoir tout à craindre de fa part,s'il devenoit une fois Souverain. Il penfa plus que jamais auxmoyens de le faire périr. Le poifon & la perfidie ne lui avoientpoint réuffi il prit le parti d'en venir à la force ouverte. Lejour que Kao-tfou avoit fixé pour tâcher d'accorder fes enfans,fut celui que le Prince héritier & Ly-yuen-ki fon frere, choifi-

rent pour exécuter leur projet. Ils s'armerent de toutes pieces,armerent leurs gens & les distribuèrent aux environs de laprincipaleporte du Palais par où Ly-ché-min devoit paffer. Cejlmoi dit le Prince héritier à fa troupe qui décocherai le pre-mier trait vous achèverez le refle.

Ly-ché-min fut averti par Yu-tché-king-tê de ce qui fe tramoitcontre fes jours. Ils veulent fe battre, dit-il à Yu-tché-king-tê,il feroit honteux pour nous de reculer. Armons-nous auffi. Nousavons affaire à des lâches ils ne tiendront pas devant nous.Jufquà préfent j'ai travaillé pour la grandeur de notre maifon& ils ne cherchent qu'à la détruire. J'ai fait ce que j'ai pu pourgagner C amitié de mes jreres & ils n'ont jamais ceffé de mehaïr. Ils ont voulu mempoifonner ils ont tenté de me faireaff affiner y ils ont employé les plus noires calomnies pour mefaire condamner à mort par mon pere aujourd'hui ils veu-lent tremper leurs mains dans monfang. Je ne puispas me refuferà une jujle défenfe. Avertijfe^ quelques-uns de ces braves Capi-*

laines de venir vaincre encore dans ce nouveau genre de combat:J'ai pvurvu à tout répondit Yu-tche-king-tê injlruit du

dejfein des Princes craignant que malgré les avis réitérés^uon -vous en avoit donnés à vous-mêmevous ne perfijlaffi.e\

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à vouloir ne vous rendre au Palais qiiavec votre Juite ordinaire,Tchang-fun-ou-ki Kao-che-lien & moi nous avons apofiè

nos gens où il convient. Ils feront leur devoir au premier JîgnaL

Ly-ché-min endoiïa la cuiraffe mit fon cafque prit fon car-quois & fes flèches & fortit.- D'auffi loin que le Prince héritieri'apperçut il lui décoche une flèche qui ne fit que l'effleurer.A l'inltant Ly-chè-min lui en lance une qui l'etendit par terre.Un de fes Officiers & Yu-tche-king-tê en firent autant au PrinceLy-yuen-ki. Les Soldats, mis en embufcade parurent tout-à-

coup & perfonne n'ofa plus remuer. Cependant comme lapopulace commençoit à s'attrouper Ly-ché-min ôta fon cafquepour fe faire reconnoître &leur dit Mes enfans ne craigne^nen pour moi, ceux qulvoulolent ni affajfiner font morts. AlorsYu-tche-king-té coupa la tête aux deux Princes, & les montra aupeuple qui loin de donner la moindre marque de compaffion

fit éclater fa joie par des cris à la gloire de Ly-ché-min qu'ilappelloit le héros de la nation fon protecteur fon défenfeur& fon pere. Ce Prince le remercia de fon affe&ion ,& ordonna

que chacun eût. à fe retirer chez foi. Se tournant enfuite versYu-tche-king-tè il lui dit Alle%_ tout armé que vous êtes vousjetter aux pieds de l'Empereur mon père i raconte {-lui ce qui vientde fe pajjer & dites-lui que f attends refpeUueufementJes ordresà la. porte du Palais.

Yu-tché-king-tê aborda l'Empereur, qui tout furpris de levoir dans cet équipage lui en demanda brufquement la raifon.C'ejl de la part. de Ly-ché-min votre fils lui .répondit Yu-tché-king-tê,que f ofe me préfenter alnjidevant votre Majeflé. Le Princehéritier Se Ly-yuen-ki fon frère avoient excité dans la villeune.efpece.de fédition. Ly-ché-min & moi avons auffi-tôt

accouru pour l'appaifer tout eft à préfent, dans la plus grandetranquillité mais les deux Princes auteurs de tous ces trou-bles ont été tués par nos Soldats. Ly-ché-min m'envoie ici

pour

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pour vous l'annoncer. Il attend avec refpeft les ordres devotre Majefté.

L'Empereur pouffa un profond foupir, &laiffa couler quel-ques larmes. Voilà dit-il d'une voix entrecoupée de fanglotsVoilà les funefîes dijfentîons de.mes enfans terminées par la mortde deux d'entreux. Qu'on s'informe exactement de toute cetteaffaire & qu'on m'eu rende compte. Un des grands de fa fuitenommé Siao-ya prenant la parole lui dit Seigneur il n'y aplus d'informations à faire. Vos deux fils morts font coupables.De quelque maniere que la chofe fe foit pajfée Ly-ché-min ejl innocent. C'efl lui qui a rangé tout l'Empire fous

votre p.uiffanc-e qui lui a rendu fon ancienne fplendeur quil'afait briller d'un, nouvel éclat. Il n'efl aucun de vos fujetsqui ne le fâche comme il n'en efl aucun qui ne Palme & neFejlimejufqu'à lui facrifier fes plus -chers intérêts. Ly-kien-tchang& Ly-yuen-ki n'ont par devers eux aucune belle action. Leurferté les faifoit haïr leur jaloufîe envers un frere dont toutl'univers connoit tes belles qualitésles a portés à vouloir lefaire périr ils fe font précipités eux-mêmes dans l'abyme quiles a engloutis. Il ne vous rejle plus qu'à nommer Ly-ché-min

pour votre Prince héritier 3 fi vous voule^ conferver l'Empiredans votre famille.

C'efl ce que faivoulu faire plus d'une fois,téponà.it\m^evenr"fmais Ly-ché-min s'y efl toujours oppofé. -Qu'il vienne, je veuxl'entendre lui-piême.Je feraiaprès tout ce qu'il convient que jefajfe*

On alla chercher le Prince & pendant tout le tems quis'écoula jufqu'à ce qu'il fe fût rendu Siao-yu & Tchen-chou-ta

ne cefferent de faire l'éloge de fes belles qualités qu'ilsmettoient en oppofition avec les vices dont fes freres s'etoientfouillés & qui n'etoient dirent-ils à l'Empereur, ignorés deperfonne. Ils infifterent en particulier fur leurs liaifons crimi-nelles avec les femmes du Palais avec les propres femmes

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de leur pere. Liaifons que Fou-y l'homme le plus integre del'Empire n'avoit pas craint de dévoiler à Sa Majefté dans

un placet qu'il lui avoit préfenté Vos deux indignes fils con-clurent-ils en finffant ne fe fujjent-ils rendus coupables quede ce dernier crime ne méritaient pas qu'on les laijjat vivre;

en les mettant à mort on n'a fait que prévenir le moment où vousvous ferie^ vu forcé à en venir vous-même à cette- jujle févérité.

L'Empereur n'etoit que trop convaincu de ce qu'on luidifoit; mais n'ayant pas eu la force de remédier à des défordresdont il gémiflbit fecrétement il avoit toujours tâché de feles diffimuler. La mort des deux Princes mit fin à toutes fesperplexités & fon ancienne affeîtion pour Ly-ché~min reprittous fes droits dans fon cœur. Dès qu'il le vit à fes pieds, dansla posture d'un criminel qui femble demander grâce il ne putretenir fes larmes. Il le releva l'embraffa tendrement, & l'af-fura que loin de le croire coupable il etoit perfuadé qu'iln'avoit fait que fe défendre contre des affaffins qui en vou-loient depuis long-tems à fa vie & qui etoient fur le point dela lui arracher s'ils n'avoient été prévenus.

Après cette attendrifîante fcène l'Empereur renvoya fonfils & aflembla tout de fuite fon Confeil. Il propofa l'eleftion.d'un Prince héritier, demanda à chacun fon avis. Il n'y eutpas deux voix. Tout le monde s'accorda à dire que Ly-ché-minetoit feul digne de cet honneur parce que c'etoit lui à quil'Empire etoit redevable, après Sa Majefté de l'etat floriffantoù il etoit alors & que d'ailleurs il avoit toutes les qualitésnéceffaires pour bien gouverner. Kao tfou fit le choix quidevenoit néceffaire dans les circonftances & qu'il avoit déjàfait dans fon coeur bien des années auparavant. Il fit proclamerLy-ché-min fucceffeur au Trône accorda à cette occafion

une amniftie générale & révoqua l'ordre qu'on lui avoitarraché pour la fuppreffion de plus de cent mille Bonzes quidévoient rentrer dans le fiecle»

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On reconnut alors mieux qu'on ne l'avoit encore fait,combien Ly-ché-min etoit aimé du peuple combien il etoitcher à tous les ordres de l'Etat. Ce ne furent pendant plusieursjours que .feftins & réjouiffances publiques. On faifoit desvœux pour la fanté du nouveau Prince héritier on lui fou-haitoit la plus longue vie & tous les genres de profpérité.Charmé de ces démonflxations l'Empereur en prit occafionde fe décharger fur fon fils de tout le poids du gouvernement.Il publia un Edit dans lequel après avoir fait l'éloge de fes

vertus, après avoir rappelle fes belles aftions fes victoiresil conclut que puifque Ly-ché-min nommé déja Prince héri-tier devoit régner un jour il croyoit ne pouvoir rien fairede plus propre à affurer le bonheur de fes fujets à etendrela gloire de l'Empire rien qui fût plus conforme aux voeuxde la nation que de le faire affeoir dès-à-préfent fur unTrône qu'il avoit élevé de fes propres mains. Cet Edit fut

reçu avec un applaudiflement général. Il n'y eut que Ly-ché-min qui fit fes efforts pour en empêcher l'exécution. Il fe jetta

aux genoux de fon père le fupplia avec larmes de garderjufqu'à fa mort les rênes du gouvernement mais les prièresfurent inutiles. L'Empereurvoulut être obéi. Ly-ché-minacceptaenfin le jour Kia-tfée de la huitieme Lune de la neuvièmeannée du règne de Ou-tê c'eft-à-dire le quatrième Août del'année 626 de l'Ere chrétienne. Kao-tfou prit le titre de Tay~chang-hoang-ty comme qui diroit Empereur au-dejfus de l'Em-

pereur régnant & fe retira dans un Palais particulier où ilpaffa le relie de fes jours loin des affaires mais dans la jouif-fance de tous leshonneurs & des plaifirs tranquilles, fans que fonfils lui ait donné jamais la moindre occafion de fe repentirde la démarche qu'il avoit faite. Il mourut le jour Kang-tféede la cinquième Lune de la neuvième année de Tcken-koan

la foixante-onzieme de fon âge c'eft-à-dire le 25 Juin de

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l'année 63 de l'Ere chrétienne neuf ans après fon abdication.Son corps fut dépofé à Him-ling.

Si d'ans ce que je viens de dire-,je me fuis plus étendu fur ce quiregardé Ly-chl-min que fur Kaû-tfou lui-même ,c'eft que Ly-ché-min

a fait. de plus grandes chofes &que c'ell lui qui eff proprement lefondateur' de la dynaftie des Tang.Si je n'euffc parlé que de fon pere,je me ferois vu contraint à desredites.

C'eft fous le règne à&Ly-chè-mïnappelle dans FHiftoire Tang-tay-tfoung que la Religion chrétiennepénétra en Chine ,& y fi.itprecb.eepar Olopm &C fes compagnons. On.n'en trouve il eft vrai aucunetrace dans l'Hifloire quoiqu'il" foitdit dans le monument, trouvé dansle Cken-Jî que Tay-tjoungenvoyaau-devant. d'Olope/i & de fes com-pagnons, qui apportoientles vraisLivres faints.

On peut apporter plusieurs rai-fons pour expliquer ce filence del'Hiftoire. La première eft que Ta;y-'tfoung voulut qu'on ne confervâtde fes Ordonnances Edits, &c.,que ce qui pouvoit être utile à fésfujets & à la poftérité. Or commeil eft aifé de s'en convaincre en li-fant l'Hiftoire de ce Prince lesLettrés d'alors extrêmement atta-chés à l'ancienne doâxine du pays& ne voyant qu'avec regret lescLo&rines etrangeres s'etablir dansl'Empire firent tous leurs effortspour en arrêter les progrès.Ils con-

REMARQUE S.

fondoient la Religion chrétienne}par cela feut qu'elle etoit étrangère,avec la Religion que les' Bonzespublioient §£ loin de s'imaginerqu'elle fut utile ils la regardoientcomme funefte en ce qu'elle ten-doit il renverfer des ufages reçusde père en fils depuis un tems im-mémorial. Dans cette perfuafionils n'eurent garde d'inférer dans lerecueil qu'ils firent des principauxEdits du Prince celui qui autori-foit la Religion enfeignée par Olo-pen & fes compagnons.-

Cependant malgré ce filence del'Hiftoire filence qui n'eft qu'ap-parent, comme l'a prouvé M. deGuignes dans le favant Mémoirequi eft à la fin du trentieme textede l'Académie des Belles-Lettreson ne fauroit douter que le grandTay-efoung. n'ait eté favorable à laReligion chrétienne dont il per=mit l'exercice dans la capitale defon Empire on peut même con-je£hirerque.rimpératricefonepou-fe la pratiquoit fecrétement dansl'enceinte de fon Palais. Les ver-tus de cette illuftre Princeffe cequ'elle dit à fon fils lorsqu'elleetoit fur le point de mourir, & unaffemblage de circonftances dontj'aurai peut-être lieu de parlerfourniront quelques lumières furce point qui n'ëil pas d'une petiteimportance..

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7Mémoires d>ur lej" Chaiau, “ )i1

Toirv. V.Pl.J. -race 220.J

ÏANG -TAÇjjteONG, Mnpereur, l'an Je.J.C. 6"26.

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L V.

TANG-TAY-TSOUNG,Empereur.

Un Souverain auquel l'Hifloire accorde l'affemblage de tou-tes les vertus civiles & militaires de toutes les belles qualitésde l'efprit & du cœur & d'une conduite conftamment foute-nue dans l'exercice de ces qualités & de ces vertus, auquel elle

ne reproche pour tout défaut qu'une indifférence un peu tropgrande pour les cérémonies & la mufique c'eft, fans contre-dit, un Prince accompli. Tel fut Tay-tfoung le fecond fils deLi-yuen fondateur de la dynaftie des Jang dont on a déjàcrayonné le Portrait ci-deffus fous le nom de Ly-ché-min.

A une figure des plus aimables Ly-ché-min joignitun efpritfupérieur & une fageffe peu commune. Il fe rendit habile dansla Littérature & pouvoit fans fecours expliquer tous les King.Il eût pu être Orateur & Poëte; mais il fentït de bonne heureque fa naiffance l'appelloit à un autre genre de gloire. Dèsqu'il fut affez fort pour foutenir le poids des armes il apprità s'en fervir & n'oublia rien pour fe rendre habile dans l'artmilitaire. Les premiers fuccès lui firent concevoir le projethardi de placer un jouïfon per-efurle trône des S oui qu'unefoule de petits tyrans effayoient de fe partager entr'eux. On avu, fous le Portrait de Kao-tfou, la maniere dont Ly-ché-mins'y prit pour réuffir dans cette èntreprife. On l'a vu citoyen,

iguerrier, politique il refte à le montrer comme Souverain.

Ce fut le 4 d'Août de fan 6x6 qu'il prit poffeffion du Trône.Les Chinois comptoient alors la huitieme Lune de la neuvièmeannée de Ou-tê. Le refte de cette année eft cenfé être encoredu règne de Kao-tfou.

Le nouvel Empereur avoit l'eftime générale de la nation. Ilavoit gagné l'affeftion des gens de Lettres ? il avoit le cœur

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de tous fes fujets. Sa réputation tant au dehors qu'au dedans

etoit ce femble parvenue au plus haut point. Il ne s'agiffoitplus pour lui aux yeux du vulgaire que de ne pas defcendre.Tay-tfoung ri 'en jugea pas ainfi. Il connoiffoit dans fon Empire

une forte d'hommes, aux yeux defquels les plus brillantes qua-lités difparoiffoient, fi la conduite n'etoit exactement calquéefur le modèle de Yao-chun Tcheng-tang & autres perfonna-

ges de la vénérable antiquité. Ce fut pour fe rendre agréableà ces zélateurs des anciens rits qu'il entreprit la réforme defon Palais.

Il s'etoit gliffé depuis bien des fiecles d'etranges abus aufujet des femmes. Outre celle qui etoit décorée du titre d'Im-pératrice, le cérémonial ( dit le Ly-ki ) accordoit à un Empe-

reur trois Reines ou concubines du premier ordre neuf dufecond ordre vingt-fept du troifieme & quatre-vingt-une duquatrième. Il falloit à l'Impératrice & à toutes fes concubinestitrées des perfonnes du même fexe pour lés fervir & lenombre que chacune d'entr'elLes pouvoit en avoir etoit illi-mité. Il n'y avoit rien non plus de déterminé pour le nombredes Musiciennes des Comédiennes & des autres filles àtalens. Peu-à-peu les Empereurs s'etoient mis fur le pied derecevoir en préfent de la part des Mandarins des Provinces,des filles d'une beauté ou d'un talent extraordinaire. Les Grands& tous ceux qui vouloient avancer leur fortune leur en offroientaufli pour avoir quelqu'un qui pût faire valoir leur fervice &parler pour eux dans l'occàfion. On comprend aifément com-ment le Palais fe rempliffoit en peu de tems d'une marchan-dife qui n'en fortoit plus dès qu'une fois elle y etoit entrée.L'excès avoit été porté fi loin, que fous Ou-ty premier Em-

pereur de la petite dynaftie qui précéda celle des S oui lenombre des femmes renfermées dans le Palais fe montoit àplus de dix mille.

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Il falloit qu'il n'y en eût guère moins lorfque Tay-tfoung-prit

en main les rênes du gouvernement car il commença par enfaire fortir trois mille qu'il renvoya chez leurs parens & troisannées après trois mille encore qu'il renvoya, avec une amplepermiffion de prendre tel parti qu'elles jugeroient à propos.Il eft vrai qu'aucun Hiftorien ne parle du nombre de celles qu'ilgarda mais on peut croire qu'il ne s'en tint pas à la lettre de

ce que prefcrivoit le cérémonial. Quoi qu'il en foit cettepremière aftiond'Etat lui fit plus d'honneurque ne lui en avoientfait ci-devant fes plus brillantes victoires. On le comparoithardiment à Tcheng-tang & à Ouen-ouang; on trouvoit mêmequ'il n'etoit pas inférieur à Yao & à Chun.

Après avoir ainfi purgé le Palais il y établit Sun-ché falégitime epoufe qu'il fit reconnaître Impératrice avec lescérémonies accoutumées en pareille occafion. Cette illuftrePrinceffe etoit digne de fon époux elle aima les livres dèsqu'elle put les connoître elle fit une de fes plus cheresoccupations de la leéture & ne dédaignoit pas de travaillerde fes mains. Après avoir quitté la maifon paternelle elle mittous fes foins à fe conformer en tout aux intentions de fon

epoux.Devenue Impératrice elle veilla fur elle-même plus qu'elle

ne l'avoit jamais fait. Elle devoit difoit-elle donner aux au-tres l'exemple. Tay-tfoung lui avoit donné fon efrime & toutefa tendreffe lorfqu'il n'etoit encore que Prince de Tfn y il lui

continua les mêmes fentimens étant Empereur l'honorade fa plus intime confiance & la confultoit fur les affaires lesplus importantes de l'Etat mais cette Princeffe fe défendoitde dire fon avis. Le gouvernement lui difoit-elle nejl pas de

mon reffort je ne fuis qu'une femme, commentoferois-je m ingérerdans des affaires qui ne me regardent point & qui font au-deffusde ma portée ? Ma tâche ejî de gouverner Finténeur de votre

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maifon; je n'oublierai rien pour m'en acquitter de mon mieuxïheureufefi je puis .en la remplijfant travailler à votre entiersfatisfaclion :t

Tel efl: en abrégé le portrait de l'illuftre Sun-chê qu'il eftbon de connoître d'avance parce que j'aurai occafion d'enparler dans la fuite.

Tandis que tout etoit en fête dans la capitale qu'on y celé-broit avec la plus grande pompe l'avénement de Tay-tfoung auTrône Impérial & l'élévation de fon epoufe à la dignité d'Im-pératrice (i) on apprit que les Tartares Tqu-kiué avoient fait

une irruption fur les terres de l'Empire que le Kcrhan-kielyetoit entré dans le Chan-fi avoit battu le brave Yu-tche-king-tê Goayerneur des frontieres occidentales & qu'il etoitdéjà fur les bords de la riviere Ouei-choui près du pont dePien-kiao au Nord de Tchang-ngan.

Cependant ces Tartares n'oferent pa1fer la riviere ils députè-

rent à l'Empereur pour entrer en composition avec lui & favoir

ce qu'il vouloit leur donner pour les engager à retourner dansleur pays. L'Empereur admit l'Officier qui, avec une har-dieffe qui tenoit de Finfolenee dit que les Ko^han Kié-ly &Toly fe difpofoient à venir faire le fiége de Tchang-ngan avecune armée de plus d'un million d'hommes il ajouta que SaMaj efté Impériale pouvoit prévenir le malheur dont elle etoitmenacée en achetant la paix & qu'il retourneroit vers fesînaîtres pour leur rendre compte de fa réponfe.

L'Empereur lui répondit qu'il ne s'etoit pas attendu que fes

REMARQUES.(i) Elle ne devenoit pas Impé- voit elever à ce rang telles autres

ïatrice par là même que fon époux de fes femmes qu'il auroît voulu«toit Empereur, l'Empereur pou- choifir.

maîtress

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Tome V. R

maîtres après tant d'alliances réitérées & après tant de bien-faits dont il les avoit comblés lui donnaffent fitôt des preuvesde leur mauvaife foi mais qu'il fauroit bien les faire rentrerdans leur devoir & les châtier de leur perfidie. En attendantcontinua-t-il, je vais commencer par vous punir de votre témé-rité, en vous faifant couper la tête. J'irai enfuite porter moi-même ma réponfe au Ko-han.

A ces terribles mots l'Officier, faifi de frayeur fe jetta àfes genoux, & lui demanda la vie. Quelques grands firent

remarquer à l'Empereur que cet Officier après tout n'etoitqu'un fimple député qui avoit obéi à Ces maîtres. L'Empe-reur l'envoya en prifon & donna fes ordres pour faire fortirles troupes qui etoient pour lors à Tchang-ngan. Il comptoitlescommander en perfonne & vaincre avec elles cette multi-tude prodigieufe de Tartares. Il prit les devants avec un petitnombre de cavaliers pour aller reconnoître l'armée ennemie.Il s'avança du côté de la riviere, malgré les repréfentations de

ceux qui l'accompagnoient. A quoi penfe Votre Majeflé lui ditSiao-yu en fe mettant devant fon cheval, pour l'empêcherd'aller plus loin ? S'expofer témérairement fans néceffité nefl

pas une action digne du Fils du Ciel. Un trait lancé par la maindu plus vil des Tartares peut trancher le fil de vos jours,•

quelle gloire en reviendroit-d à votre nom ?Ne craigne^ rien lui répondit l'Empereur ce que je fais

n'efl point téméraire. Les Tartares me connoiffent. Ils ont apprisà me refpecler & à me craindre ma fèule vue leur infpirera la

terreur. Nos troupes qui fartent de la ville par,pelotons pourvenir former le camp leur donneront dans les yeux ( car ilsfont à portée de voir tout ce quifepaffe. ) Ils les croiront beau-

coup plus nombreufes qu'elles ne le font en effet & nofant

tenter le fort d'une bataille dans un pays où tout peut devenirpiège pour eux ils prendront le parti de s'en retourner. C'ejî

,T,

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à préfent oujaffîais qu'il faut montrer de la hardiejfe. Que l'urtde vous me devance & quaàfjî-tôt qu'il fera arrivé fur les bordsde la riviere il crie aux Tartares qui font de l'autre côté quel'Empereur vient en perfonnefaire fes proportions à leurs deux

Ko-han. Je prens fur moi feul tout le refle.Ayant fini ces mots il continua à marcher vers les ennemis

avec la même confiance que s'il fût allé vif ter fon camp. LesTartares qui venoient d'être prévenus de fon arrivée frappésde cet air de grandeur & d'intrépidité qui etoit répandu fur

toute fa perfonne,descendirent tous de cheval, en le voyant,& le faluerent à la maniere de leur pays. L'Empereur élevant

a voix Faites paroître vos Ko-han leur dit-il Ly-ché-min•<,

devenu Empereur, n'a pas oublié à quel ufage peuventluifervirles armes. Qu'ils viennent mefurer leurs forces avec les miennes.Je les attends, oit s ils l'aiment mieux tje pajferai moi-même lariviere pour aller à eux.

Cette maniere de parler & d'agir indigne ce fembîed'un grand Prince & à plus forte raifon d'un Souverain etoitdans le goût du fiecle & n'etoit point déplacée dans un Empe-

reur qui favoit comment il falloit s'y prendre avec des hom-

mes qu'il avoit combattus fi fouvent & avec tant de fuccès.L'événement fit voir qu'il s'y etoit bien pris pour éviter uneguerre qui lui eût été très-préjudiciable dans les commence-mens de fon regne où il vouloit ne s'appliquer qu'à fairefleurir la vertu les fciences & les arts. Les Ko-han ne paru-rent point mais ils lui envoyerent un de leurs principauxOfficiers pour lui faire des excufes de leur part, & le prierde vouloir bien renouveller leur ancienne alliance. L'Empereurfeignit d'abord de ne vouloir entrer dans aucune voie d'ac-commodement, alléguant pour raifon que c'etoient des per-fides qui ne fe faifoient aucune peine de violer les fermensles plus facrés & qu'il n'y avoit aucun fond à faire fur leurs

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jwomeffes les plus folemnelles. Mais enfin feignant de fe laifferfléchir il dit à l'Officier Je veux bien ejfayer encore une fois.Demain, je me rendrai en perfoniie fur le pont de Pen-kiao queles Ko-han s'y rendent auffi s'ils promettent Jincérément de JeContenir déformais dans les bornes du devoir je leur rendraimon amitié & nous tuerons le cheval blanc en figne S alliance.& d'une eternelle paix. L'entrevue eut lieu on fit ferment depart & d'autre & l'on tua le cheval blanc en préfence desdeux armées. Les Soldats des deux côtés firent retentir les airsde leurs cris de joie l'Empereur rentra dans Tchang-ngan auxacclamations réitérées du peuple & les Tartares retournerentdans leur pays auffi contens quoiqu'ils n'erriportaffent rienavec eux que s'ils avoient fait le plus riche butin. C'eft ainfî

que Tay-tfoung eteignit ce commencement d'incendie quimenaçoit d'embrafer tout l'Empire.

Bientôt après les Ko-han pour fe concilier l'Empereurlui envoyèrent trois mille chevaux choifis & dix mille mou-tons. Les députés devoient aller jufqu'à Tckang-ngan faluetl'Empereur au nom de leur maître; mais Tay-tfoung ne voulutad les admettre ni recevoir leurs préfens. Il leur fit dire queles Ko-han auroient dû avant lui renvoyer les Chinois quiavoient eté enlevés en différentes occafions. Les députés repor-terent à leurs maîtres la réponfe de l'Empereur. Les Ko-haneffrayés & voulant prévenir le malheur dont ils fe crurentmenacés firent une recherche exa£te de tous les prifonniersChinois & les renvoyèrent à l'Empereur avec les trois millechevaux & les dix mille moutons.

L'Empereur, pour leur témoigner la farisfaftion qu'il avoitde leur conduite traita leurs Envoyés comme il eût fait lesAmbaffadeurs des plus grands royaumes les admit en fapréfence reçut leurs préfens les combla d'honneurs toutle tems qu'ils furent à la Cour 3 èc les renvoya chargés

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de dons tant pour leurs maîtres que pour eux-mêmes.L'Empire jouiffant alors d'une profonde paix au dehors, le

Prince travailla à le faire fleurir au dedans. Il établit des Aca-démies militaires & des gymnafes pour tous les exercices du

corps. Il fonda des ecoles publiques pour l'enfeignemènt desLettres & de cette doctrine que les anciens Sages avoientpuifée dans les King.

En attendant que les bâtimens qu'il deftinoit à ces différensufages fuffent achevés il voulut préfider lui-même à l'exercicedes armes que pour cette raifon on faifoit de tems en temsdevant une des portes du Palais. Outre les exercices généraux,qui n'avoientlieu qu'une ou deux fois -dans, le cours d'unelunaifon il faifoit faire chaque jour des exercices particuliersdans l'enceinte même du Palais.

Les Grands voyant avec peine une conduite qui dérogeoitfélon eu* à la dignité fuprême crurent qu'il etoit de leurdevoir de faire des repréfentations à l'Empereur & l'und'entr'eux lui parla au nom de tous à-peu-près en ces ter-mes Nous avons une Loi qui parte peine de mort pour quicon-

que ofera paraître dans les lieux qu'habite le Prince avec des

armes tranchantes y Seigneur, votre Majejlé fait venir elle-

même, chaquejour Officiers & Soldats } dans fan propre Palaispour les exercer au maniement de ces fortes d'annes. Il ne fautqu'un mal- adroit ou quelque perfide qui faffe femblant de l'être,pour nous plonger dans te plus grand des malheurs. Ne feroit-il pas mieux de confier le foin que vous vouler^ bien prendrevous-même à quelqu'un de vos Officiersgénéraux que d'expoferainfi votre augujie perfonne fans aucune nêcejjîté ? N'y a-i-il pas

même Seigneur un peu d'indécence dans ce que vous faites F

Si votre Majejîé pour animer fes guerriers à sinfiruire àfonds de leur art veut voir abfolumentpar elle-même les pro-grès qu'ils font dans l'exercice des armes, qu elle les voie s'exercer?

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à la bonne heure mais que ce fort peu loin hors del'enceinte de fon Palais & dans un lieu qui foit à l'abri de toutaccident fâcheux ayantàfes côtés fes gardes. Alors nous Jsronsfans crainte & votre Majeflé parviendra ait but quelle fe pro-pofe fans rien faire qui aviliffe pour ainji dire la Majeflé duTrône. Voilà Seigneur ce que par %èle pour votre gloire &

par attachement à votre augujleperfonne nous ofors vous repré-fenter aujourd'hui.

L'Empereur lui réponditainfi avec bonté Je fuis très-fenfible

au fêle que mes Grands témoignentpour ma gloire & à tattache-

ment qu'ils ont à ma perfonne. Mais je leur dirai qu'ils fe trompentdans la maniere dont ils envifagent les chofes. Enfaifant ce que jefais je n'avilis en aucune manière la Majeflé dit Trône & maperfonne ne court aucun danger. Dès mon enfance j'ai apprisà manier les armes. Je fais aujji bien m'en fervir pour me défen-dre que pour attaquer je fais parer les coups comme je faisles porter; il n'ejl perfonne qui ne me rende cette jujlice. C'ejl

au bon ujage que f ai fu faire des armes que ma famille efl rede-vable de fa grandeur, & l'Empire de la tranquillité dont il jouitenfin après tant de troubles qui l'ont agité. D'ailleurs depuis

que j'ai pris en main les rênes du gouvernement je regarde tousles hommes qui habitent entre les quatre mers comme ne com-pofant qu'une même famille & je les chéris tous comme s'ilsetoient mes propres enfans. Unpere peut-il s'avilir en inflruifantfes enfans ? qu'a-t-il à craindre quand il les aime & qu'il en eflaimé ? Chacun deux n'efl-il pas au contraire un de fes défen-feurs contre quiconque oferoit entreprendre de lui nuire ?

Je pourrois dites-vous encore me décharger fur quelqu'un de

mes Officiers du foin que je veux bien prendre moi-même &

je parviendrait également à la fin que je me propofe. Vous voustrompe^ il efl nécejfaire que je connoijfe mes gens & ce n'ejlqu'en les voyant de près qu'en les exerçant moi-même que je

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puis acquérir cette connoiffance. Je fais alors le fort & le faibled'un clcacun je fais ci quoi chacun deux efl ~<7~rg <S* il nem' arrivera pas dans l'occajîon de les employer à contre fensc'efl parce que j'en ai agi ainjî lorfqueje netois encore que fimpleOfficier ou Général d'armée que j'ai toujours vaincu les enne-mis lors même qu'il fembloit que je dujje être accablépar lenombre. A préfent que je fuis Empereur & que j'ai plus befom

que jamais de connaître ceux que je dois employer irai-je

pour des raifons qui n'ont rien de folide changer une méthodequi ma toujours fi bien réujji & à laquelle feule j'attribuetous mes fuccès ? On ne s'y attendoit pas.

Cette réponfe empêcha les donneurs d'avis de revenir à lacharge mais elle n'a pas empêché les Hiftoriens de blâmer

en cela la conduite de Tay-tfoung. Pour juftifier le Princeil fuffit de dire que le foin qu'il vouloit bien prendre de formerlui-même fes guerriers ne l'empêchoit pas de s'appliquer auxautres parties du gouvernement. Il avoit des tems marqués

pour tout. Il travailloit à l'expédition des affaires avec fes Mi-nières il donnoit audience à ceux de fes Magiftrats qui gou-vernoient le peuple il avoit des entretiens fréquens avec lesSavans & les gens de Lettres de quoi pouvoit-on fe plaindre?

Les différens édifices deftinés à l'éducation de la jeuneffep

s'achevoient dans la capitale. Ceux qui etoient pour les exer-cices du corps furent confiés aux foins des militaires les plusexpérimentés & fon mit dans ceux où l'on devoit enfeignerla Littérature $£ les Sciences les plus favans hommes del'Empire.

L'Empereur fe rendoit alternativement dans fun & l'autrede ces lieux pour y être témoin des progrès des élevés, tousfils ou petits-fils de Mandarins. Il interroge oit les maîtres &les difciples. Dépouillé de cet appareil de grandeur qui'ienvironne le Trône il s'entretenoit avec les uns comme avec

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fes amis il traitoit les difciples comme fes propres enfans.Suivant la coutume de ces tems il falloit que l'Empereur

défignât un de fes enfans pour remplir le Trône après lui. Il

nomma fon fils Ly-tcheng-kien âgé feulement de huit ans.Al'occafionde cette cérémonie, il répandit fes bienfaits dans

tout l'Empire. Il fe reffouvint des prifonniers que les Tartareslui avoient relKtués en dernier lieu & dans la crainte qu'ils

n euffent dans leur patrie quelque fujet de regretter leur capti-vité,il fit faire des informations exaclesfur leur nombre & leur

etat. Il fit diftribuer des terres à ceux d'entr'eux qui avoient etélaboureurs il incorpora dans fes troupes ceux qui avoient été»Soldats il donna des emplois à ceux qui avoient de la capa-cité & des talens il fit aux autres des dons pécuniaires pourles aider à faire valoir leur induftrie.

Il fit du bien à tout le monde j fi l'on en excepte ceux defa famille qui n'avoient d'autre mérite que celui d'être defon fang. Il vouloit empêcher que ceux de fa race contensde jouir des prérogatives attachés à leur rang ne menaffent

dans l'oifiveté & la molleffe une vie qui les rendoit à chargeà l'Etat & inutiles au refle des hommes. Il réduifit à un moin-dre nombre les Princes du fecond ordre & décida que leurnaiffance feule ne feroit plus déformais un titre pour obtenirdes dignités. Depuis que je fuis Empereur dit-il tous mesfujets font mes enfans. Je ne dois pas favorifer ceux qui por-tent mon nom au préjudice des autres. Je me fervirai a" eux

s'ils ont du talent je les récornpenferai s'ils ont du mérite jeles punirai s'ils font des fautes. J'établirai de nouveaux ufagesle moins que je pourrai mais je tieradraz la main à ce ~u'onles obferve. Je corrigerai les abus autant qu'il me fera poffible.J'écouterai les repréfentatwns. J'invite tous ceux qui m'appro-chent a ne me laiffer rien ignorer de ce qui fe paffe.

Il feroit inutile & ennuyeux pour l'Europe de donner ici

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1tout ce que THiftoire a confervé fur ce feul article pour Finf-

truffion de la poftérité Chinoife. Je me contenterai des deuxtraits fuivans parce qu'ils caraâérifentle Prince que j'ai entre-pris de faire connoître.

On lui rapporta que parmi ceux qui rempliflbient les em-plois, il s'en trouvoit un affez bon nombre qui les devoientà la protection, à la faveur, ou à l'argent qu'ils avoient diftribué.,On lui en nomma plusieurs qui etoient dans le cas, & quidifbit-on devoient être févérement punis pour fervir d'exem-ple. L'Empereur après avoir penfé un moment répondit

8 qu'à la vérité les emplois lucratifs ou honorables devoient êtrela récompenfe de ceux qui ont bien mérité de la Patrie mais

que la Loi ne pouvoit anéantir un mal déjà fait qu'elle nepouvoit empêcher que le mal à venir & en conféquence dit-il,je déclare aujourd'hui que quiconque fera convaincu déformaisde s'être procuré les emplois par des moyens illicites fera punide mort. On ne fera aucune recherche d'ici à quelque tems afin

que ceux quifont coupables aient le loifîr de réparer leur faute& £ abdiquer volontairement ce qu'il ne leur efl plus permis deconferver.

On lui rapporta qu'un de fes Généraux avoit reçu des foie-ries en préfent de la part d'un particulier qui attendoit de luiquelque fervice. L'Empereur fut fâché de trouver en défaut

un de fes meilleurs Officiers. Il ne pouvoit lui pardonner fanss'expofer^aux reproches des Cenfeurs, & il ne pouvoit fe réfou-dre à renvoyer un guerrier dontilconnoiflbit le mérite. Ils'avifad'un expédient qui concilia la Loi avec fon inclination particu-liere, & corrigea fon Généralde la maniere la plus efficace &en même tems la plus douce. Il fit choifir dans fes magafins plu-fieurs pièces de foie & les envoya au Général en lui faifantécrire de fa part ce peu'de mots J'ai appris que vous avieç reçu

in prient d'un particulier gui avoit befoin de vous quelquespièces

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Tome V. s

pieces de foie apparemmentque vous avie^ bcfoin vous-mêmedepareilles étoffes. Je vous en envoie que j'ai fait choifir parmiles nzeilleures que j'avois. Je compte que lorfque vous aure^hefoin déformais de quelque chofe vous me le demanderez pré-férablement ci tout autre.

Pendant que l'Empereur travailloit fans relâche affurer lebonheur des peuples foit en faifant de nouvelles Loix foiten fixant de nouveaux ufages en corrigeant des abus ou enabrogeant des coutumes que la licence des tems avoit intro-duites, l'Impératrice donnoit l'exemple aux perfonnes de fonfexe. Elle fut la première qui nourrit les infecles qui font lafoie elle obtint de l'Empereur qu'on multiplieroit les planta-tions de mûriers dans tous les lieux qui etoient de fon domaineelle fit des etabliffemens au dehors pour affurer le débit dela foie.

Tay-tfoung toujours plus fatisfait de lamodefKe de la dou-

ceur & de toute la conduite de l'Impératrice, fe rendoitpar inter-valle auprès d'elle pour y jouir des charmes de fa converfation.Un jour il crut la furprendre agréablement en lui annonçant qu'ilalloit mettre fon frère Tchang-fun-ou-ki à la tête des affaires:J'ai voulu lui dit-il vous l'annoncer moi-même avant de lepropofer au Confeil, dans la crainte que fifavois attendu quel-qu'autre n'eût été plus diligent que moi à vous en injiruire.

A quoi penfe\-vous Seigneur, lui répondit cette vertueufePrinceffe } Vous fave^ l'Hi/loire mieux que moi i ra-ppelle^ dans

votre fouvenir ce quelle raconte des intrigues & des troublesexcités par les parens ou alliés des Impératrices quand ils onteu F autorité en main. La plus grande des graces que vous puijjie^m'accorder, ceflde laiffertous ceux qui m'appartiennent coulertranquillementleurs jours dans une honnête médiocrité fans leurdonner des emplois au-deffus de leur naîffance ou de leur mérite*L'intérêt de l'Etat l'exige de vous.

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Tchang-fun-ou-ki répliqua l'Empereur a de la naijfance

du mérite des fervices & il efl votre frere. Que de titres pourne pas le laiffer dans l'obfcuritê Je ne faurois déférerpour cettefois à ce que vous fouhaite^ fans trahir mes intérêts & ceux despeuples qui me font confiés. L'Impératrice baiffa les yeux &alloit faire de nouvelles inftances lorfque l'Empereur la quittapour aller à la Salle du Confeil où il propofa fon nouveauMiniftre qui fut reçu de toutes les voix avec un applaudiffe-

ment univerfel.Tchang-fun-ou-ki eut bientôt toute la confiance de fon maî-

tre mais l'envie ne le laiffa pas long-tems tranquille. L'annéen'etoit pas encore révolue qu'on préfenta à l'Empereur desvolumes d'accufations contre fon Miniftre. Le Prince femblad'abord n'en faire aucun cas mais Tchang-fun-ou-kicraignantde fuccomber tôt ou tard prit de lui-même fon parti &donna fa démiffion.

Il y a dans l'Hiftoire de petits traits qui font fortir les carac-teres des plus grands hommes. En voici un dont je ne veuxpas priver le Lefteur eclairé. Le voici

Une Pie, dont le plumage contre l'ordinaire etoit abfolu-

unent blanc fans aucun mêlange de noir vint faire fon nidfur l'un des arbres qui etoient plantés dans les cours du Palais.Les Courtifans apperçurent ce merveilleux oifeau & regarde-rent comme un prodige de bon augure qu'il fût venu fairefon nid en face de l'appartement de Sa Majefté ils prépa-

rerent leur compliment de félicitation. L'Empereur les décon-certa par cette réponfe

De tous les augures qu'on peut tirer fous mon règne les feuls

auxquelsf ajoutefoi ,font l'emploi que je fais de perfonnes fagespour m aider dans le gouvernement j & l'attentionque je donne aumaintien des Loix. Si le Prince gouverne bien le peuple vitdans l'abondance s'il gouverne mal, le peuple ne Jauroit être

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heureux. On vit fous les règnes de Rié & de Tclie-ou (i) desphénomènes qui av oient paru fous les règnes d'Yao & de Chun.Dira-t-on que ces quatre Souverains ont egalement biengouvernél'Empire Quine fait que Kié & Tcheou ont eté des mon/iresgui ont déshonoré l 'humanité?

Sous [Empereur Yang-ty des Soui les prétendus auguresheureux furent multipliés à l'infini par les flatteurs de ce Prince.On lui faifoit ejpe'rer les fuccès les plus brillans dans toutes fesentreprifes. Pour moi qui gémiffois de fon mauvais gouverne-ment, je me moquois du Prince en même tems que je m'indi-gnois contre ceux qui abufoient de fa crédulité. Tomberai-jeaujourd'hui dans le même ridicule que je reprochais alors àYang-t y ? Qu'on abatte ce nid du prétendu bon augure & qu'on

ne s'avife plus déformais de me féliciter fur des evènemenspareils.

Il y aveit long-tems qu'il n'etoit tombé de pluie, & il n'yavoit plus de récolte à efpérer pour cette année. Le Ciel eftirrité, dit l'Empereur il faut tâcher de l'appaiferpar la réformede nos mœurs cejl à moi à donner V exemple. Je rends laliberté à cette foule de perfonnes qui n'etoient -dans ma maifon

que pour le luxe & je les renvoie à leurs parens pour qu'ils

en difpofent comme ils jugeront à propos. Que chacun faffe defon côté ce qui convient & bientôt le cours ordinaire de la naturefera rétabli.

Il faut avouer que fi Tay-tfoung n'avoit différé de chalTer du

REMARQUES.(i) KU eft le dix-feptieme &

dernier Empereur de la dynaftiedite la dynaftie Hia. Ses cruautés& (es débauches ont rendu fa mé-moire en exécration à toute la poi-îérité. On en dit de même de

Tcheou, vingt-huitième & dernierEifipereur de la féconde dynaftie,dite la dynailie Chang. Yao & Chunont eté au contraire des modèlesde toutes les vertus.

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Palais toutes les femmes qui y etoient renfermées quand ildevint Empereur que pour ne pas donner à entendre qu'ilagiffoit par vengeance parce qu'elles avoient prefque toutescabalé contre lui du vivant des Princes fes freres il faut

avouer dis-je qu'il ne pouvoit fe fervir d'un prétexte plushonnête qui lui concilioit tout à la fois l'amour du peuple

y

l'eftime de la nation & les éloges de la poftérité.Les Tou-klué & les autres Tartares voifins forcés de vivre

en paix avec l'Empire, fe faifoient la guerre entr'eux. La duretédu gouvernement du Ko-han Kié-ly avoit révolté tous lesefprits. Tout le monde etoit d'avis qu'il falloit profiter de ceseirconftances pour achever de détruire ces peuples.

J'ai fait alliance avec les Tou-kiué répondit l'Empereur& les mêmes fermens qui les lient à moi me lient également àeux. Ejî-ce à moi à leur donner l'exemple d'une infidélité

-1

que je leur ai déjà reprochée plies d'une fois ? Qu'on ne nze donneplus de ces fortes de confeils. Si les Tou-kiué manquent à leurfoi à mon égard je ferai libre alors de les châtier & de leurfaire la guerre. S'ils ont recours à mot comme à leur protecteur

sou comme à leur allié je leur prêterai fecours. Comme je fuisl'allié' de tous,je me déclarerai l'ami de celui d'ent/eux qui fe

trouvera opprimé par les autres.Il fembloit en parlant ainfi avoir prévu ce qui devoit

arriver. Le Ko-han Kié-ly voulant châtier les rebelles fit mar-cher contr'eux le Ko-han To-ly mais celui-ci ayant été entié.

rement défait ne trouva fon falut que dans la fuite & vintfe réfugier chez Kié-ly celui-ci l'accabla d'injures & de mau-vais traitemens. To-ly ne pouvant fe venger par les armes

9& fe trouvant à la difcréti©n de celui qui l'infultoit prit leparti de diffimuler, de recourir à l'Empereur, & de fe déclarerfon vaffal, lui & les fiens.

D'un autre côté les révoltés devenant de jour en jour plus

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redoutables fe donnerent un Chef qu'ils proclamèrent Ko-han à la place de celui dont ils fecouoient le joug & s'adref-ferent à l'Empereur pour le prier de ratifier leur choix. Dansle placet qu'ils adrefferent. à Sa Majefté ils détaillèrent toutesles vexations & les crimes de Kié-ly la fupplierent de lesprendre fous fa protection & de recevoir les hommages qu'ilslui rendoient comme à leur légitime Souverain.

L'Empereur après en avoir délibéré avec fon Confeilrejetta les demandes de Kié-ly qui lui avoit auffi envoyé desAmbaffadeurs accorda en même tems à Sée-ken-y-nan desPatentes de Souverain fous le titre de Ko-han de Tchen-tchou & pour foutenir fa démarche il mit fur pied une armée.

Il n'en falloit pas tant pour répandre la terreur dans le paysde Kié-ly. Plufieurs Chefs de grandes hordes abandonnèrentfon fervice & vinrent fe foumettre au Général de l'Empereur»Cette défe&ion en entraîna plufieurs autres Kié-ly fe vitréduit à fes feuls fujets naturels. Alors n'ofant attendre le GénéralLy-tfing qui s'avançoit à grandes journées pour venir le com-battre, il fe retira derriere une montagne. Ly-tfing prit aveclui trois mille hommes feulement & s'avança pour furprendrele Roi Tartare. Mais Kié-ly décampa à la hâte avec toute fonarmée & fuyant de pofte en porte il fe trouva enfin arrêtépar Ly-ché-tjî autre Général Chinois qui etoit entré en Tar-tarie par les gorges de Yun-tchotmg. Kié-ly alors perdit cou-rage, fe retira dans les montagnes d'où il envoya demanderla paixà l'Empereur. L'Empereurreçut la foumiffion du Ko-han,donna ordre à Ly-tfing de fufpendre les hoftilitcs & d'allermême au-devant de Kié-ly lorfqu'il le fauroit en chemin

7.

pour fe rendre à la Cour. Ly-tjing mieux inftruit que tonmaître des véritables difpofitions du Ko-han prit fur lui decontinuer les hoftilités attaqua l'armée du Paince Tartare 3 &

remporta une viftoire complette. Kié-ly crut fe mettre en

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fureté chez les Tartares Cha-po-lo qui etoient campés à l'ouefldu pays d'Ortous. Sounié/ié leur Chef, craignant d'attirer furlui l'armée Chinoife s'il donnoit afyle au Roi fugitif, le remitentre les mains d'un Officier de Ly-tjîng.

La nouvelle de la prife de Kié-ly s'etant répandue prefque

tous les See-kin Tartares vinrent fe mettre fous la protectionde la Chine. Jamais la capitale n'avoit vu dans fes murs tantd'illuifres étrangers à la fois.

L'Empereur voulant les voir tous enfemble leur affigna unmême jour pour l'audience publique & le fenHn de cérémonie.Arrivés dans la Salle d'audience les Princes Tartares firentles cérémonies refpectueufes en frappant la terre du front àtrois reprifes différentes, & trois fois à chaque reprife.

Le Ko-han Kié-ly n'eut dans cette occaiion que la der-nière place. L'Empereur le fit traiter en prifonnier de guerre,& voulut qu'en cette qualité il n'eût de rang qu'après tous lesChefs de hordes qui étant venus de leur plein gré méritoientdifoit-il cette préférence. Cependant la cérémonie étant finie,il fembla vouloir réparer l'efpece d'affront qui venoit d'êtrefait au --Ko-han. Je fuis fâché Ko-han lui dit-il de vous voirdans l'etat où vous êtes je ne tarderaz* pas de vous en tirer.En attendant je vais donner mes ordres pour qu'on ait pour votrepe'fonne tous les egards qui lui font dus. Se tournant enfuite

vers les Chefs de hordes. il leur dit: See-kin continue^ à êtrefidèles & n'oublie^ jamais ce que vous ave^ fait aujourd'huiyvous trouverez toujours en moi un protecteur & un père. J'auraifoin que chacun de vous foit traité félon fon rang.

Tous les Tartares fe faifant gloire d'obéir ou de s'allier àla Chine & les plus illuftres d'entre leurs Chefs fe trouvantîéunis dans la capitale de l'Empire, Tay-tfoung penfa tout debon à leur donner des Loix. Il affembla ton Confeil plufieursfurent d'avis qu'il falloit retenir tous ces Chefs de hordes qui

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etoient à la Cour, faire mourir ceux d'entr'eux qui avoient etépris en guerre garder exactement les frontieres & ne pass'embarrafferde vouloir dominer fur des nations barbares, qui

ne manqueroient pas de fecouer le joug à la premiere occa-fion. D'autres opinèrent qu'il falloit porter le fer & le feudans les vafies pays de la Tartarie & y exterminer tout cequi avoit figure d'homme afin de pouvoir être tranquille de

ce côté là au moins pendant quelques fiecles. Tay-tfoung plusjufle & plus humain voulut exercer envers les Tartares lesfonctions de Souverain & de pere de la même maniere qu'illes exerçoit envers fes fujets naturels. Traitons les hommes enhommes, leur dit-il & nous les forcerons à nous re.JpeQ.er.

Compatiffons à leurs maux ayons de l'indulgencepour leur foi-blejfe & nous les rendrons reconnoijfans. Gouvernons-les avecdouceur, & ils nous obéiront avec plaifir. S'ilfe trouve des indo-ciles, des ingrats ou des perfides, j'ai a£e{ de forcepour les châtier.

Il donna fes ordres en conséquence. Il voulut que le Ko-han Kié-ly fût traité en tout comme on avoit coutume alors detraiter les Princes étrangers alliés. Il lui donna un Palais desOfficiers des Gardes & tout le cortege convenable à fadignité il lui affigna des revenus, & le nomma un des grandsGénéraux de l'Empire. To-ly fut traité de la même manière,9& obtint les mêmes prérogatives & les mêmes bienfaits.

Quant aux Etats de ces deux Ko-han l'Empereur les érigea

en Provinces foraines fi je puis employer ici ce terme. Ceuxde Kié-ly furent partagés en fix départemens & ceux deTo-ly en quatre. Tous les Tou-kiué eurent permiffion de s'eta-blir dans cette etendue de pays compris entre les limitesorientales du diftriét de Yu-tcheou & les limites occidentalesdu diftriâ: de Ling-tcheou. L'Empereur leur donna des Magif-

trats & des Officiers de leur nation pour les gouverner immé-diatement, Les feuls Officiers généraux furent choifis parmi

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les Chinois. Pour contenir fes nouveaux fujets & leur ôterles moyens de fe livrer à leur inconftance naturelle Tay-tfoung établit de nombreux corps de troupes aux deux extré-mités du pays dont il vouloit bien leur accorder le domaine.Ces corps de troupes pouvoient au premier ordre fe raffem-bler à Tïng-Jlang & à Yun-tchoung & y former deux arméesaffez fortes pour réfifter aux Tartares en cas de rébellionjufqu'à l'arrivée des fecours qui ne tarderoient pas de leur êtreenvoyés. Il reftoit encore quelques mefures à prendre pourmettre le pays à couvert des irruptions des Tartares vaga-bonds, & de ceux d'entre les Tou-kiué qui s'etant difperféslors des différentes guerres s'etoient enfin réunis à Y-ou &

y avoient fondé un Royaume auquel ils avoient donné le nomdu lieu où cette réunion s'etoit faite. L'Empereur leur envoyaun de fes Grands pour les affurer de fa protection & leurintimer fes ordres. Il plaça non loin d'eux une petite arméed'obfervation & ordonna à Ly-ta-leang qu'il en fit Généralde faire des provifions de grains à TJî-keou d'où il les diftri-bueroit aux Tartares dans les cas d'une néceffité urgente.

Il eft inutile de rapporter les différentes guerres dans lefquellesTay-tfoung fut obligé d'entrer contre plufieurs de ces mêmesPrinces Tartares, qui etoient venus lui rendre hommage. Ledétail en feroit ennuyeux. Il me fuffit de dire en général queles armes de ce Prince furent toujours vi£torieufes parce qu'ilavoit de bonnes troupes & qu'il avoit fait choix d'excellensGénéraux pour les commander. Suivons-le dans la paix où il

ne s'occupe que des moyens de faire fleurir fon Empire &de faire du bien aux hommes.

Déjà il avoit retiré d'entre les mains des Tartares tous lesChinois qui avoient eté faits prifonniers. Il avoit auffi corrigéles abus qui s'etoient gliffés dans l'adminiftration de la justice.Une Sentence de mort qu'on lui donna à figner lui donna

occafion

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OCCafion de faire un nouvel etabliffement. Celui que vous ave^condamné dit-il aux Juges ejl en effet digne de mort & je nepuis me difpenfer d'approuver votre Jugement mais je vousdéfends de, le faire exécuter avant trois jours accomplis pen-dant lefquels vous me rappellerez plufieurs fois & le crime ducoupable & le fupplice auquel il ejl condamné. Comme la viede l'homme efl ce qu'il y a de plus précieux fur la terre la Loiqui condamne à mourir ceux qui font coupables de certains crimes

1efl une Loi jujîe. Mais il peut arriver des cas où on l'applique

trop légèrement. C'ejl pourquoi j'ordonne qu'à l'avenir on neprocède à aucune exécution de mort fans m'avoir préfenté aumoins trois fois l'Arrêt qui condamne les coupables, & les rai-forts qu'on a eues de les condamner. Si quelqu'un des Juges trouvequ'on pourrait faire grace qu'il mette par ecrit tout ce qui peutfavorifer fou fentiment & qùd me le préfente. Le jour où l'onexécutera à mort fera regardé comme un jour de deuil. Toutemujlque fera interdite dans mon Palais. Je m abjlhendrai de

manger de la chair & de boire du vin le même ufage aura lieudans le Tribunal des crimes & fera pratiqué par tous lesJuges.

Ce Prince humain ne Ce contenta pas d'un Règlement fifage il voulut s'affurer par lui-même de l'état des lieux oùl'on enfermoit les coupables. Il fe tranfporta dans les prifonspubliques y examina tout avec attention interrogea les pri-fonniers & leur promit qu'il examineroit avec foin leur caufe.

Un jour qu'il exerçoit avec fa bonté ordinaire cette hono-rable fonction il fut furpris en voyant la lifte de ceux qu'ondifoit mériter la mort d'en compter jufqu'à trois cens quatre-vingt-dix. Il les fit venir en fapréfence & leur tint ce difcours

de pere C'ejl à prêfint la faïfon où la terre a lefoin de culture

que chacun de vous s'en retourne che\foi &y travaille jufqii à

la fin de t Automne. Alors vous reviendrez ici & l'on procédera

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à votre jugement pour vous faire punir, fi vous êtes coupa*blés ou vous abfoudre fi vous êtes innocens.

Il etoit vifible que l'intention du Prince etoit de leur faire

grace de maniere cependant qu'ils ne puffent pas fe préva-loir de ce bienfait auffi ne s'en prévalurent-ils point. L'Hiftoire

rapporte que chacun d'eux revint au tems marqué fe confirmerde nouveau prifonnier & s'expofer au danger d'un jugementdéfinitif qui pouvoit leur faire perdre la vie. Si ce fait n'eftpoint exagéré on ne fait qui mérite plus d'être loué ou le

Prince qui accordoit ainfi leur grace à des criminels ou les

criminels qui fe préfenterent d'une maniere fi généreufe pourla recouvrer.

Les hommes, dit l'Empereur à cette occafion, nefont pointdes bêtes féroces ils font capables des plus grandes vertus pquand on fait les leur infpirer il n'efi rien qu'ils ne puiffentfàire quand on fait les gouverner. C'efi à acquérir cet art fublimede bien gouverner les hommes que je m'applique de tout moi-même mais quel fujet n'ai-je pas de craindre que mes défauts ne-foient un ohjlade invincible à ce que je me propofe ? Cefl à

vous continua-t-il en s'adreltant aux Grands à m'avertir demes fautes. Je vous l'ai ordonné, & je vous l'ordonne encoreaujourd'hui.

Au nombre de ces Grands etoit un nommé Ouei-tchenghomme auftere & incorruptible. Rien ne peut mieux faire con-noître la vertu de ce grand Prince que la patienceavec laquelleil ecouta toujours les remontrances de ce cenfeur impitoyable.

Ouei-tcheng avoit confeillé à l'Empereur de diminuer lenombre de fes troupes, & de ne donner aux militaires aucunemploi dans le gouvernement de l'Etat & du peuple. L'Em-pereur avoit fuivi fon confeil & il en etoit arrivé bien desinconvéniens & même quelques emeutes populaires dans desendroits éloignés de la capitale.

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L'Empereur à cette occafion obferva que, malgré fa bonnevolonté & fon inclination à traiter le peuple avec douceur, ilcraignait de ne pouvoir venir à bout de le faire changer.

Vous vous trompei répartit brufquement Ouei-tcheng lepeuple nejl jamais plus porté à la docilité que dans les commen-cemens d'un règne qui l'affranchit des miferes auxquelles il s'efl

vit long-tems en proie. Comme il a paffè par les epreuves du mal-heur, il ejlfouple & prend aifément toutes les imprefjions qu'onveut lui donner. Il efl porté plus que jamais à ecouter les inflnic-tions du Souverain & à en profiter. Si le contraire arrive ceflla faute de ceux qui gouvernent. Regarde^- vous comme unechofe bien difficile, de faire accepter de la nourriture à quelqu'unqui a bien faim en efl de même à i 'égard du peuple aprèsles tems funefles de diffentions & de querres il reçoit avide-

ment tout ce qu'on lui dit en faveur du bon ordre. Il s'en fautbien qu'il ne foit ainfî difpofé après qu'il a joui des douceursetune longuepaix il vit dans l'abondance il fe plonge dansles délices il devient orgueilleux & par conféquent indocileicefl alors qu'il efl difficile de le ramener.

Dans une autre occafîon l'Empereur ayant exhorté fesGrands à ne pas laiffer ignorer les fautes de ceux qui etoient

en place afin qu'il pût les engager à fe corriger Ouei-tchengprit la parole & dit Vous avertir des fautes de ceux que vousaime^ cefl sexpofer à vous déplaire cefl vous mettre vous-même dans l' occafion de faire une faute en palliant en excu-fant même ce que vous devrie\ punir vous avertir des fautesde ceux que vous n'aime^pas cefl une chofe affe^ inutile P puif-

qu'on ne ferait en cela qu'avancer leur difgrace de quelques jours.Quelle preuve ave^-vous de ce que vous me dites là répliqual'Empereur avec bonté ? N'ai-jepasjufquàpréfemlaiffé à tout le

monde la liberté de me parler fincérement fans s'expofer medéplaire ? pourquoi craindroh-on de me dire la vérité?

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Ouei-tcheng lui fit alors une enumération détaillée de tousles faits où il croyoit que l'Empereur avoit donné quelqueindice du défaut qu'il venoit de lui reprocher. A quoi ce bonPrince fe contenta de répondre qu'il ne prétendoit pas fe juf-tifier mais que faute d'attention fur lui-même il pouvoit fortbien fe faire qu'il eût été dupe de fon erreur. Il ajouta qu'iltâcheroit d'être plus attentif dans la fuite.l

On a vu ci-devant qu'après la prife de Lo-yang capitalede l'Empire fous les S oui Tay-tfoung qui n'etoit encoreque Ly-ché-min avoit fait détruire les Palais impériaux parceque leur magnificence n'etoit felon lui qu'un monument deluxe propre à corrompre le cœur d'un Souverain, Devenului-même Empereur, il voulut, après quelques années de regne,rebâtir ce qu'il avoit détruit.

Le zèle de Ouei-tcheng s'enflamma. Il fit à fon maître lesrepréfentations les plus vives. Votre Majeflê ne fe fouvientdoncplus de ces belles paroles qu'elle proféra en faifant mettrele feu au Palais de Lo-yang. Vous netu\ alors qu'un (impieparticulier & ces bâùmens fuperbes que vous fîtes réduire

en cendres ne vous paroiffoient propres qu'à amolir le cœurd'un Souverain. Vous êtes Souverain aujourd'huif vousles rebâtijfe^ nous fommes en droit de conclure que lorfque

vous les condamnâtes autrefois avec tant de rigueur cefl quevous etiei trop éloigné du Trône pour efpérer de les habiter.

Tay-tfoicngne s'offenfa point de cette liberté mais foit qu'ilvoulût donner de l'occupation aux Soldats dans un tems depaix foit qu'il eût réellement envie de tranfporter fa Cour àLo-yang il fit continuer les travaux jufqu'au tems où unefurieufe inondation des rivieres de Kou-choui & de Lo-chouil'obligea de les interrompre. L'Empereur parut alors fe repentiedu peu d'attention qu'il avoit fait aux repréfentations de fonMiniftre. Il donna fes ordres pour le foulagement du peuple du

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âiftri£r de Lo-yang il fit détruire un des Palais nouvellement.conftruits & en fit diftribuer les matériaux à ceux qui avoientle plus fouffert de l'inondation pour les aider à relever leursmaifons écroulées.

Parmi les différens ecritsqui lui furent présentés pour la réfor-me de fa conduite ainfi qu'il l'avoit demandé je choifis celuide Ouei-tckeng, parce qu'ayant jufqu'ici repréfenté ce Minifirefous le point de vue qui lui eft le moins favorable il eft deFequité que je le préfente auffi par fon bon côté. Voici com-ment il s'exprime. Lesfages Princesde F antiquité ne craignoientrien tant que de n'être pas avertis de leurs fautes. Ils encoura-geoient tout le monde à leur parler librement, ,& ils montroientpar leur conduite que les avis qu'on leur donnoit ne leur etoient

pas donnés inutilement. Il paroît Seigneur que votre deffeineft d'imiter ces vertueux perfonnages. Puifque vous fouhaite^qu'on vous parle fans détour je vais vous faire part de quel-

ques-unes de mes réflexions fur le gouvernement en général quevous pourre\ appliquer felon vos lumières au gouvernementparticulier de votre Majeflé.

On a remarqué que les Princes les plus médiocres que ceuxmême qui ont rempli enfuite la terre de carnage & d'horreurs Jeefont quelquefois fait admirer dans les commencemens de leur regne.La raifon en paroît fimp le. Cefl qiten montant fur le Trône ilsfe font défiés de, leurs lumières & qu'ils ont confulté ceux quietoient en etat de les confeiller. Mais quand une fois ils fe font,accoutumés à l'exercice d'une autorité fans bornes, ils s'enorgueilliffent méprifent le refle des hommes & fe livrent aux plaijîrs s

ils font applaudis par les flatteurs qui les entourent 7 & n écoutent

plus les Sages.Un Souverain qui veut porter le pefant fardeau du gouverne-

ment & rendre les peuples heureux doit être difpofê à endurer

toute forte de travaux & de peine 5 & être toujours pré't à fterifier.

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fes inclinations & fon penchant il ne doit jamais commencer untaffaire fans en avoir prévu les fuites & la fin. Placé dans le plushaut point d'élévation & de gloire il ne doit jamais perdre de vuel'état d'humiliation & de mépris dans lequel tout homme peut tomber.S'il efl dans l'abondance s'il jouit de la paix & de tous les avan-tages qui en font les fruits il doit fe précautionner contre les temsde difetie où l'on peut manquer de tout contre les tems de difjèn-

tions & de guerres où l'on ne voit que le trouble & l'horreur ildoit être modéré dans fes plaifirs & n'en prendre jamais aucunqui puiffe tourner au détriment du moindre defesfujets favoirfe priver non -feulement de fes plaifirs & de fon fuperflu maismême d'une partie de fon néceffaire lorfquHl efi queftion du fou.»

lagement du peuple.Tout homme qui peut faire à fon gré le bien ou le mal quipeut

donner des récompenfes ou infliger des peines ejl néceffauement

entouré d'une foule d'autres hommes quifont intéreffés à le tromper.Il doit donc étre extrêmement fur fes gardes pour ne pas tomberdans leur piège. Il doit fe défier en général de tous ceux dont ilreçoit des éloges fur des actions qui n'ont rien que d'ordinaire iecarter ceux qui par une baffe flatterie l'approuvent fans difcer-

nementencourager au contraire ceux qui ne craignent pas de luidéplaire en le défapprouvant quelquefois recevoir avec bonté &

même avec reconnoiffanceles avis de ces hommes aufîeres & fouvent

un peu durs dont il connoît l'attachement à fa perfonne le ^èle

pour fa gloire & l'amour du bien public.La droiture ejl la vertu la plus effentielle dans le commerce de

la vie j elle doit être la vertu favorite d'un Souverain. Je la regarde

comme la bafe d'un bon gouvernement. Un Prince qui la néglige

ou qui s'en écarte femble inviter fes fujets à la diffimuladon & àla fourberie.

ne fuffit pas de donner des récompenfes il faut les donner à

propos il faut les proportionner ilfaut les rendre publiques il

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faut les motiver afin d'engager le grand nombre à faire des efforts

pour s'en rendre digne. Il faut de même enpuniffant les fautes lesfaire connoître telles quelles font pour pouvoir en préferver ceuxqui feroient tentés de les commettre. Un moyen fûr de parvenir àfaire en cela ce qui convient efl de ne jamais ordonner des récom-penfes dans les momens imprévus d'une joie fubite ni des punitionsdans les emportemens de la colere &c.

Tel eft le commencement du long écrit que préfenta Ouei-tcheng. L'Hiftoire nous l'a confervé en partie. Ce que je viensd'en rapporter fuffit de refte pour en donner une idée. L'onvoit que ce Miniftre de Tay-tfoung agiffoit fincérement avecfon maître & Tay-tfoung lui-même en etoit fi convaincuqu'il lui paffoit en faveur de cette fincérité ce ton févere &fouventun peu dur qu'il ofoit prendre avec lui. Il ne s'en offenfaqu'une feule fois, & encore s'en repentit-il quelques momensaprès.

Tay-tfoungavoit propofé en plein Confeil, quelque chofe

que fon Miniflre défapprouva hautement avec une fermetéqui furprit tout le monde. L'Empereur en fut indigné mais ilfut affëz maître de lui-mêmepour n'en rien faire paroître. Aprèsqu'il eut renvoyé l'affemblée il fe rendit chez l'Impératrice

“ayant l'efprit tout occupé du projet qu'il méditoit & en entrantdans l'appartement il lui échappa de dire n' y a pas d'au*-

tre moyen il faut que je l'eloigne. Ces mots furent entendus

par l'Impératrice qui remarqua d'ailleurs quelque altérationfur le vifage de fon époux. P ourroit-on favoir lui dit-ellele fujet de l'inquiétude donfvousparoiffe^ agité ? C'efl ce mifé-

rable Ouei-tcheng lui répondit l'Empereur qui a pris à tâchede me contrarier en tout & par-tout. Il fuffit que je propofe unechofe pour qu'il la déf approuve fans aucune forte de ménagement.Mon parti efl pris je veux le faire rentrer dans la pouffiere d'oùje l'ai tiré.

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L'Impératrice ne répondit rien mais elle donna ordre à

une de fes fuivantes de lui aller chercher fon habit de parade.Qzcevoide\-vous donc faire lui dit l'Empereur furprisJe veux9

lui répondit-elle vous faire mes félicitations dans tout l'appa-reil du cérémonial. Je fais que vous êtes pojfejfeur du tréfor le

plus rare que puiffe avoir un Souverain. Un Courtifan qui ofe

vous réfifier en face un Minijlre qui ofe constamment n'être pasde votre avis au rifque de perdre faplace c'ejl en vérité le plusgrand de tous les biens que vous puijjie^ dejirer & puifque j'enconnois tout le prix je dois vous féliciter avec pompe de l'acquijîtion que vous en ave^ faite. Je vous remercie reprit Tay-tfoung en fouriant vous m'ouvre^ les yeux. Sans vous j'eujfepeut-être fait une faute irréparable pour ne pas favoir régnerfur moi-même. Je connois tout le ^èle de Ouei-tcheng & je lUi

rends mon amitié. Il peut en toute fureté me contredire défor"

mais je ne m'en offenferai point & je l'en ejlimerai davantage.En s'exprimant ainG Tay-tfoung parloit fincérement. La

maniere dont il fe conduifit depuis en eft une preuve fansreplique. Il fut queftion d'envoyer dans les Provinces de l'Em-pire quelques Grands du premier ordre pour en faire la vifïte

au nom de Sa Majeilé on propofa Ouei-tcheng pour être àleur tête. Pour Ouei-tcheng répondit l'Empereur il ne faut.

pas y p enfer. Il ejl abfolument necejjaire qu'il faitfans cejje auprèsde moi. C'ejl le Jeul qui mavernjfe de mes fautes pendant fonabfence qui de vous oferoit me rendre ce fervice ? En effetil retint Ouei-tcheng continua à recouter daigna le vifiterdans fa maladie verfa des larmes-à fa mort & fît graver furfon tombeau un eloge qui ne fit pas moins d'honneur auPrince qui le compofa lui-même, qu'au Minière qui en etoitl'objet. Le miroir ordinaire dit Tay-tfoung en nous rcpréfcn-

tant notre extérieur nous avertit fidèlement des défauts qui s'ytrouvent le miroir de l'Hifloire 5 en nous retraçant les vertus

&

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& les vices de ceux qui nous ont précédés, nous invite à imiterles unes & à fuir les autres. Le miroir de l'homme en nouspeignant les diférentes payions qui prennent leur fource dansnotre cœur nous font rentrer en nous-mêmes poury voir toutce dont nous fommes capables.

Le fage Ouei-tcheng tandis qu'il vé.cut me tint lieu lui feulde ces trois fortes de miroir ilnefiplus. Privé de fon fecours,

que vais-je déformais devenir ? &c.

L'Empereur entre enfuite dans le détail des vertus de celuiqu'il regrette & finit par une courte invitation aux Courti-fans, d'imiter fa droiture fa fidélité fon attachement à laperfonne de fon Souverain, & fon zèle pour la Patrie.

La mort de Ouei-tcheng avoit été précédée par celle deKao-tfou père de Tay-tfoung & par celle de Tchang-fun-chi légitime epoufe du même Tay-tfoung lorsqu'il n'etoit

encore que (impie particulier & déclarée enfuite Impératricelorfque ce Prince monta fur le Trône. A la mort de celui dontil tenoit la vie l'Empereur verfa des larmes finceres. A la

mort de fon epoufe il céda à la bienféance qui exigeoit delui qu'il fupprimât toutes les démonftrations d'une douleurexceffive mais il fe dédommagea de cette contrainte parles honneurs qu'il lui fit rendre ôc par des monumens quipuffent rendre fa mémoire immortelle.

Il y a quelques probabilités que cette impératrice eut quel-

ques notions du Chriftianifme. Ce fut de fon tems qu'il futprêché pour la première fois à la Cour Chinoife par lesPrêtres du Ta-tfin Olopen & fes compagnons l'an de Jefus-Chrift 635 c'eft-à-dire près d'une année avant la mort de

cette vertueufe Princeffe. On peut lire à ce fujet l'excellentMémoire de M. de Guignes intitulé Recherches fur les Chré-tiens etablis à la Chine dans le feptiemeJïecle Tome 30 desMémoires de l'Académie des Belles-Lettres.

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Tay-tfoung eut trois femmes toutes trois célèbres la pre-mière eft la vertueufe Tchang-fun-ché dont on vient de par-ler la féconde eft cette fameufe Impératrice connue fous le

nom de Tfé-tien Hoang-heou dont l'ambition & la cruauté

ont rendu la mémoire à jamais exécrable mais ce ne fut qu'a-près la mort de Tay-tfoung qu'elle donna un libre cours à laperveriné de fon naturel. Elle ne pafîa pendant tout le temsqu'elle vécut avec lui que pour être un prodige d'efprit &de qualités" brillantes elle fut admife au Palais dès l'âge de

quatorze ans & n'y fut admife que comme une rareté quieût été déplacée par-tout ailleurs. La troifieme eft la favanteSïn-hoei fille d'un des Minières d'Etat. Elle fut élevée aurang d'Impératrice & eut le titre de Sage. Comme Tay-tfoung n'avoit en vue que le bien & qu'il etoit toujours engarde conrre lui-même une ailufion un mot fuffifoit pourle ramener & l'engager à fe déftfter de fes premières vues.

Un jour qu'il etoit à la chafle dans un de fes parcs,il expofafa vie contre un énorme fanglier qu'il venoit de bleffer. L'ani-mal furieux revint fur lui. Tay-tfoung ne daigna pas fe détourner

pour l'éviter il mit le fabre à la main & comme le fanglieralloit fe jetter fur lui il lui en déchargea un coup fur la têtequi l'etendit mort. Les Grands de fa fuite avoient tous pâlide frayeur l'un d'eux nommé Tang-kien eroit déjà defcendude cheval pour fauver la vie de fon maître au péril de la.

fienne Remonte^ à cheval lui dit Tay-tfoung en riant. Vous

*ve^ pris t alarme mal-à-propos, Vous qui ave^ combattu Jîfouvent à mes cotés ave^-vous oublié que je fais attaquer & medéfendre ? Je ne l'ai point oublié Seigneur, lui répondit Tang-kien

fans fe déconcerter mais je ne favois pas qiien expofant votrevie contre un fanglier vous vouluJJie7L vous faire un nom par/mles bêtes féroces. Tay-tfbung baiRa les yeux & ne repliqua point.Mais on obferva qu'il s'abilim depuis de cette efpece de chaffe.

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Il avoit été perfuadé pendantquelque tems qu'il n'y avoitpas de meilleur moyen de connoître les abus & de contenirdans le. devoir tous ceux qui avoient part à l'administrationdes affaires que de donner à tous fes fujets la liberté de luiadrefîer directement des écrits fecrets fans fe nommer. LesMinières les Grands & les Magiftrats comme parties inté-reffées, n'avoient pu s'oppofer ouvertement à cette volonté del'Empereur. Ils lui laifferent porter l'Edit bien affurés qu'il netarderoitpas de le révoquer de lui-même auffi-tôt qu'il en auroitvu les inconvéniens. Voici comment ils s'y prirent. lis s'accu-ferent mutuellement de concuffions, de rapines & de quantitéd'autres crimes pour lefquels ils auroient mérité d'être traitésfuivant toute la rigueur des Loix s'ils en avoient été réelle-

ment coupables, & attendirent tranquillementquele Prince dai-gnât leur faire des reproches. Ils n'attendirent pas long-tems.

L'Empereur trop equitable pour les condamner fans lesavoir entendus les interrogea, l'un après l'autre, à mcfure qu'ilrecevoit les libelles fecrets qu'on lui préfentoit. Il ne leur fut

pas difficile de fe juftifier pleinement parce qu'ils avoient eufoin de ne mettre en avant que des accufations calomnieufesdont il leur etoit aifé de démontrer la fauffeté. Ce qu'ils avoientprévu arriva. L'Empereur révoqua un Edit qui donnoit un libre

cours à la calomnie & fembloit fait exprès pour fournir à lahaine &à à la vengeance les moyens de fe fatisfaire fans courir

aucun danger.Il fit un fecond Edit par lequel il exigea que ceux qui

voudroient déformais lui faire des repréfentations euffent à

mettre au bas de leurs Requêtes leurs noms leurs qualités^leurs titres. En moins de trente jours on lui préfenta plus de

Requêtes qu'un homme n'en pouvoit lire dans l'efpace de fix

mois & ces Requêtes rouloient la plupart fur des minuties

ou fur des projets qui n'auroient pu être exécutés que dans

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la fimplicité des premiers tems-de la monarchie. Tay-tfoungcomprit alors qu'il n'avoit rien de mieux à faire que de laifferà des Officiers tout le détail du gouvernement.

Il n'avoit rien tant à cœur que l'accompliffement de fesdevoirs & le foulagement du peuple. 11 avoit fouvent ces bellesparoles dans la bouche Je ne regarde l'Empire que commeune grande & nombreufe famille dont je fuis le Chef; & je crois

que tous ceux qui compofent cette immenfe famille ont droit:1

chacun en particulier à des attentions paternelles de ma part,Yao-chun^ Tcheng-tang O uen- ouang-ou-ouang ont travaillé

au bonheur des hommes. Je fuis leur fuccejfeur je dois fairetous mes efforts pour marcher fur leurs traces. Si ce n'etoit pasune efpece d'héréfie Chinoife de dire que quelqu'un a étéau-deffus de ces -illuftres Princes de la haute antiquité je dirois

que T ang-tay-tfoung a furpaffé fes modèles. Quelques faits pris

au hafard dans l'Hiftoire vont fervir de preuve à ce quej'avance.

Quoiqu'il eût mis auprès de fes fils les plus vertueux & lesplus favans perfonnages de l'Empire il ne laiffoit pas de veiller

par lui-même fur leur éducation. Il s'informoit exactement deleur avancement dans la vertu de leurs progrès dans leursetudes & de la manière dont ils fe conduifoient envers leurmaître. Le célèbre Koung-yng-ta qui etoit chaigé de leurexpliquer les King & l'Hiftoire n'etoit pas content du Princehéritier auquel il etoit devenu odieux par fon trop d'atten-tion peut-être à vouloir remplir les devoirs de fa charge. Ils'en plaignit à l'Empereur, en lui rendant un compte exaâ: detoute la conduite du jeune Prince. Garder^-vousbien, lui dit Tay-tfoung, d'avertir mon fils que vous m'ave^ mis au fait de ce quile regarde. Il n'en profiteraitpas mieux de vos leçons & il voushaïroit davantage. Je le corrigerai s'il efl capable de correciionfans qu'il puiffe foupçonner que vous lui ave\ nui auprès de mol,

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Quelques jours après l'Empereur fe rendit à la chambred'etude des jeunes Princes comme fi c'eût été le hafard quil'y eût conduit il demanda à Koung-yng-ta ou il en etoit defes explications & ajouta qu'il feroit bien-aife de l'entendre.Koung-yng-ta voulut parler debout en préfence de Sa MajeftérVous ny penfe^ pas lui dit l'Empereur vous êtes maître &je ne fuis ici que comme votre difciple. Cefl moi qui devrois metenir debout en vous écoutant. Koung-yng-ta eut beau luirepréfenter il lui fallut obéir & s'affeoir tandis que les jeunesPrinces forcés par la préfence de leur père refterent deboutdans la contenance la plus refpeâueufe. L'explication finieTay-tfoung adreiant la parole à fes fils leur dit Que vousêtes heureux mes enfans d'avoir un tel maître Sij'avois eule même bonlieur que vous je ferais plus fage & plus habile

que je ne le fuis profite^ de votre avantage. Viendra le tems où

vous vousfaure^ un gré infini d'avoir fu vous gêner un peu dansl'âge ou l'on peut tout apprendre. Se tournant enfuite versKoang-yng-ta pour vous donner lui dit-il, une légère preuvede ma fatisjaclion je vais vous faire apporter quelques piècesde foie des plus précieufes qui Je trouvent dans mes magafins.Mes fils vous témoigneront dans la fuite leur reconnoiffancebeaucoup mieux que je ne le pourrais faire moi-même aujour-d'hui. Continuez-leurvos foins avec la même exactitude que vousave^ eue jufqu'à préfent cejl moi qui vous en prie.

Cette leçon rendit les jeunes Princes plus dociles ils enrefpefterent davantage leur maître & à l'exception duPrince héritier dont le coeur etoit déjà gâté ils firent tousde grands progrès dans les fciences & dans la vertu.

Tay-tfoung ne borna pas fes foins à veiller fur l'éducationde fes propres enfans. Il veilla avec une attention prefque egalefur l'éducation des fils de l'Empire pour me fervir de termesconfacrés dans le pays c'eft-à-dire des fils des Princes des

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Grands &"des principaux Officiers tant d'epée que de robe $

qui fembloient défîmes par leur naiffance à être employés dansles affaires importantes de l'Etat. J'ai déjà parlé plus haut dumagnifique college qu'il avoit fait conflruire dans la capitale.Il en avoit donné l'infpeétion générale à l'illuftre Koung-yhg-ta moins par égard pour Ton mérite perfonnel que parcet:l moins par pour lVts aWerim. p narcequ'il etoit de la race du Philofophe de la nation. Il n'etoi|:perfonne qui ne vît avec plaifir un defcendant de Confucius

occuper la première place de la Littérature.L'Empereur avoit fes jours marqués pour aller vifiter ce

collège & y ranimer par fa préfence & fes bienfaits l'ému-lation, tant des maîtres que des difciples. Perfuadé que lesLettres font briller un Empire d'un éclat qui rejaillit fur toutle reile il croyoit qu'il n'etoit pas moins digne d'un Souveraind'entendre des Lettrés difcourir dans une Académie que devoir des Guerriers s'exercer aux armes les uns & les autresconcourant egalement à la gloire de l'Etat. Ce fut la maxime

que Tay-tfoung adopta en montant fur le Trône. Aufli l'on

peut dire que fon règne fut tout-à-la-fois le regne des Savans& des Héros.

Koung-yng-ta raffembla tous les Commentaires qui avoienteté faits en différens tems fur les King ou Livres claffiquesde la nation. Il les mit en ordre les dépouilla de toutes lesinutilités dans lefquelles ils etoient pour ainfi dire, noyés &y ajouta fes propres interprétations.

Liu-tfai fit contre l'Âftrologie judiciaire un Traité particu-lier, dans lequel il examine cette prétendue fcience & endémontre le faux. Il cherche quelles peuvent être les caufes

qui. ont porté les hommes de prefque tous les fiecles à la cul-

tiver, à en faire l'objet d'une étude férieufe & il les trouvedans la curiofité naturelle à tous ceux de notre efpece dans

notre amour pour le merveilleux & dans une crédulité ftupide

pour ce qui nous intimide ou nous flatte.

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Fou-y ecrivit contre les Sectaires. Il réfuta folidement lesprincipaux articles de la doctrine de Fo de Lao-ldun & deYang-tfée. Il' prouva que la doctrine de Yao de Chun deTcheou-koung Si de Confucius ne renfermantaucune des abfur-dités qu'il venoit de réfuter etoit conforme dans fes points auxlumières naturelles de la raifon & etoit l'ancienne & véri-table doctrine Chinoife qui devoit feule avoir cours dansl'Empire & être la feule qui eût l'approbation du gouverne-ment.

Tay-tfoung lui-même ne dédaigna pas de fe mettre au rangdes Auteurs & mérite même en cette qualitéd'être placé parmi

ceux qui ont illuftré fon fiecle. Il compofa un ouvrage fur legrand art de régner. Sa modestie ne voulut jamais confentirqu'on le rendît public.

Les Ordonnances que fit Tay-tfoung en faveur du peuple& qui furent le feul defes ouvrages qu'il permit de rendre public

par la voie de l'imprellion le rendirent de fon vivant l'idolede fes fujets & lui ont mérité une reconnoiffance éternelle.On lui accorde un degré d'eftime prefque égal à celui qu'on

a pour les Yao les Chun les Yu les Tcheng-tang & lesOu-ouang & aujourd'hui fous la dynaftie des Tartares Mani-choux lorfqu'on veut louer un Empereur fur fa bonté & fon

amour pour les peuples on le compare à Tang-tay-tfoung.On ne fkuroit propofer aux Souverains un modèle plus digned'être fuivi.

Il diminua confidérablement les impôts; il retranchaplus de'la moitié des taxes annuelles qui faifoient le revenu le plusconfidérable des Empereurs il n'exigeoiî jamais rien des Pro-vinces où l'intempérie des faifons avoit fait manquer les récol-tes il abrogea toutes les Loix qui etoient onéreufes fans êtreutiles au grand nombre il réduifit prefque à rien celles quin'etoient que gênantes il fixa, le nombre des troupes qui

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devoient être continuellement fur pied il leur afligoa les poliesqu'elles devoient garder les lieux qu'elles devoient habiterles ouvrages auxquels elles devoient être employées hors destems du fervice ordinaire.

Par cet arrangement, le Code civil fe trouva tout renferméfous cinqcens articles. Le Code criminel fous vingt & les coutu-mes qui fans être des Loix en avoient prefque la force furentréduites au nombre de mille cinq cens quatre-vingt-dix.Du refte,il faut entendre ici par coutumes tous les ufages du cérémonial,& les devoirs réciproques des citoyens entr'eux. Les peinesqu'on devoit impofer à ceux qui s'etoient rendus coupables dequelque crime, furent adoucies dans tous les cas & les récom-penfes dues aux aérions de vertu furent multipliées & s'eten-dirent à tous les genres. Il fut réglé de plus que dans tous lescolleges & gymnafes de l'Empire on deftineroit un lieu par-ticulier où les maîtres & les difciples iroient, en des tems déter-minés, faire les cérémonies refpeclueufes en l'honneur deTcheou-koung & de Confucius.

L'Empire qui fans y comprendre les peuples fimplementtributaires avoit alors en étendue dix mille neuf cens dixiys du Midi au Nord & neuf mille cinq cens dix d'Orient

en Occident n'etoit cependant divifé qu'en dix Provinces

mais ces Provinces etoient partagées elles-mêmes en trois censcinquante huit départemens fous lefquels on comptoitdix-huit cens foixante-neuf villes tant du premier que dufecond & du troifieme ordre. Les Ouei les Hiang & les

autres bourgs & villages de différens titres ne font point com-pris dans cette enumération.

La milice prit auffi une forme nouvelle. Elle fut comprifefous huit cens quatre-vingt-quinze corps de même nom maisde trois ordres différens c'eft-à-dire de l'ordre fupérieur deï'ordre du milieu Ô£ de l'ordre inférieur. Ceux de l'ordre fupérieur

etoient

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Tome F", X

etoient compofés chacun de douze cens hommes ceux del'ordre du milieu, de mille & ceux de l'ordre inférieur de huitcens hommes feulement. Les uns & les autres etoient divifésen Koan, en Kiun & en Ho. Chaque Koan etoit compoféde trois cens Soldats à la tête defquels il y avoit un Officierdu titre de Hïao-yu. Cinquante hommes formoient un Kiwi,

y& dix hommes un Ho. Il y avoit des Officiers fubalternes àla tête de ces différens corps.

On conftruifit des magafins on bâtit des greniers, on établitdes haras uniquement défîmes à l'ufage des troupes. Dans lesmagafins on mit en réferve les armes les habillemens, les uften-ïîles & autres chofes femblables on remplit les greniers deriz & de différentes fortes de grains & l'on deftiiia un cer-tain nombre de haras pour fournir des chevaux en nombrefuffifant à toutes les ecuries militaires qu'on etablit dans lesdifférentes Provinces de l'Empire. Des Officiers particuliersnommés par le Tribunal de !a guerre auquel ils etoient tenusde rendre compte de tout furent prépofés pour avoir l'infpec-tion générale fur ces différens etabliffemens. Ils etoientchargés outre cela de veiller à ce que chaque Soldat fût pourvude tout ce qui lui etoit néceffaire tant pour commencer quepour continuer le fervice.

Il fut réglé qu'on n'admettroit au nombre des gens de guerreque ceux qui avoient atteint la vingtieme année de leur âge &qu'on licencieroit irrémiffiblementtout foldat qui auroit 60 ans.A la fin de l'hiver de chaque année on devoit faire une revuegénérale. Les Commiffaires des guerres fe rendoient dans les

départemens refpeétifs affembloient les troupes & leur fai-

foient faire toutes les évolutions militaires pendant environ unmois. Tout foldat devoit favoir fe battre à pied & à cheval,

parce qu'il devoit être cavalier ou fantaffin fuivant les occa-fions. Il devoit par conféquent être au fait des évolutions

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propres à la cavalerie & de celles qui font particulières auxpiétons. Ceux qui montroient le plus d'habileté & qui d'ail-leurs avoient de bonnes atteftations de la part de leurs Offi-ciers, etoient promus à des grades fupérieurs, s'ils etoient déjàcavaliers ou etoient mis au nombre des cavaliers, s'ils n'etoient

que fimples fantaflins; il i-iletoit pas à craindre qu'on fit des paffe-droits, parce que ceux qui etoient chargés de la promotionetoient des Commiffaires nommés chaque fois par le Tribunalde la guerre & confirmés par l'Empereur. Pour ce qui eu desfoldats vicieux négligens & qui faifoient mal l'exercice ils

etoient punis iiiivant qu'ils etoient plus ou moins coupables.La punition la plus ordinaire pour les cavaliers etoit de lesfaire defcendre au rang des piétons & l'on châtioit les piétons,d'abord en leur retranchant pour quelques mois une partie deleur folde & en les caffant enfuite s'ils ne fe corrigeoientpas.

J'ai dit que le total de la milice etoit compofé de huit censquatre-vingt-quinze corps. Six cens trente-quatre de ces corpsetoient pour le fervice de l'intérieur de l'Empire & les deux

cens foixante-un reflans etoient uniquement deftinés à la gardedes frontieres occidentales du côté de Koan-nei, dans ce quifait aujourd'hui les Provinces de Chan-fi & Chen-fi. On nevoulut point confier la garde de la Capitale & du Palais àdes corps particuliers exclusivement aux autres. Ce fervicefe faifoit par tous les corps, tantôt par les uns tantôt par lesautres au choix non des Miniftres mais du Tribunal de laguerre. Cette garde etant renouvellée chaque mois il etoitdifficile que ceux qui les compofoient puffent entrer dans descabales pernicieufes à l'Etat.

Tous ces Réglemens avoient été précédés par d'autres plusfalutaires encore en ce qu'ils tendoient plus directement aubien général de l'humanité. J'en ai déjà rapporté plufieurs, je vais

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DES CELEBRES CHINOIS.1en indiquer quelques autres en faveur de ceux qui ne trouventrien d'inutile dans ce qui peut intérefTer un cœur bienfaifant.

Un de ces Sages qu'il ecoutoit & fur les confeils duquel ilrégloit fouvent fa conduite lui ayant repréfenté que malgrétoutes les précautions qu'il avoit prifes on trouvoit dans les

campagnes, & même dans les villes, des hommes qui. n'avoient

pour vivre d'autre refïource que la mendicité il ajouta quecela ne pouvoit être fans quelque défaut de lumieres ou d'at-tentiondans le gouvernement & il finit en priant Sa Maj.eftéde faire les plus férieufes réflexions fur un point fi important.

Tay tfoung entendant ces mots changea- de couleur

comme s'il eût eu à fe reprocher quelque injuftice ou quel>-

q,ue négligence coupable dans la pratique de fes devoirs. Ilfieji que trop vrai dit-il, que les, maux qui. affligent le peuple

ont leur fource dans la manière dont il eji gpuverné. Les fujets*de Yao & de Chun etoient heureux parce que Yao & Chunles gGiivernoient bien. Ils etoient. les peres plutôt que les Son-

varains de ceux qui leur etoient fournis. Je veux à leur exemple

être le pere de mon peuple. Les hommes font tous bons à- quel-

que chofe il ne s'agit que de connoître leurs taiens & de f avoir

les employer.Après de mûres délibérations, ils porta piufieurs Edits par

ïefquels il affuroit de la maniere la moins à charge à l'Etat

une honnête fubfïflance à ceux même qui par défaut de fanté,

ou parce que le travail.leur manquoit, vivoient dans la mifere.Il enjoignit à tous les Mandarins grands & petits de lui

envoyer de tems en tems la lifte de ceux qui, dans leur diftrift,fe feroient diftingués dans quelque genre que ce fût depuis1.'homme de Lettres jufqu'à l'artifan, & au plus vil manœuvre.Il affigna fur les deniers publics des fonds pour l'entretien desmalades & des vieillards pour l'encouragement des taiens

pour le défrichement des terres. Il ordonna aux Mandarins de

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propofer des récompenfes pour exciter l'émulation & pouroccuper ceux qui n'avoient pas de profeffions déterminéesil fit deffecher des marais creufer des canaux pour l'arrofe-ment en un mot il n'oublia rien pour procurer la fertilité &l'abondance.

Pour engager les peres de famille à bien élever leurs enfans9

& pour infpirer de bonne heure aux enfans la pratique du pluseffentiel de leur devoir il exigea une lifte exaéte de tousceux qui s'etoient déjà diftingués & qui fe diftingueroient dansla fuite par leur Piété filiale. Les Mandarins eurent ordre dedonner par provifion à chacun d'eux cinq grandes mefuresde riz & de leur permettre d'écrire en gros caraftere fur lefeuil de leurs portes ces deux caraâeres Piété filiale feréfervant à lui-même le foin de les récompenfer plus libéra-lement, après qu'il fe feroit mis au fait de tout le détail deleur conduite.

Il affigna une mefure de riz à toutes les femmes chaquefois qu'elles deviendroient meres d'un garçon pour leur faireentendre qu'il adoptoit pour fien le fils qu'elles venoient demettre au monde & qu'il fe regard oit comme chargé depourvoir à fa fubfiftance. Il détermina pareillement qu'on diflri-bueroit, en fon nom une certaine quantité de riz aux vieil-lards de différens âges deux mefures à ceux qui etoient par-venus à la quatre-vingtieme année trois mefures à ceux quicompteroient quatre-vingt-dix ans & trois mefures avec deuxpieces d'etoffes à tous les centenaires.

Un Souverain qui traite ainfi fes fujets mérite que chacund'eux lui dreffe des autels au fond de fon cceur. C'eft ce quefirent les fujets de Tay-tfoung. Ils porterent à fon égard lesfentimens de tendreffe & de reconnoiffance auffi loin qu'ilspouvoient aller. Cependant il fe trouva deux monftres quioferent former le projet de lui arracher la vie. L'un de ces

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monftres fut fon propre fils celui qu'il avoit défigné pour êtrefonfuccefleur. Ce fils indigne, dont le nom etoit Ly-tcheng-kien,

etoit né avec un naturel vicieux. Il avoit effayé d'abord de fefouftraire-à l'autorité de Koimg-yng-ta & de fes autres maîtres,dont la vigilance lui etoit à charge mais la faveur dont cesSages jouiffoient auprès de Tay-tfoung fon pere lui firentperdre toute efpérance de réuffir à les écarter. Il prit le partide la diffîmulation.Les jeunes Seigneurs qu'on lui avoit donnés

pour compagnons d'études & de fes autres exercices en firentde même. Leur modeftie affectée leur docilité apparentetrompa leurs furveillans.

Tay-tfoung fans favoir précifément pourquoi fentoit quefa tendreffe pour fon Prince héritier s'affoiblifToitde jour enjour.Ses careffes fe tournoient comme malgré lui vers fes autresenfans & en particulier vers Ly-tai qu'il avoic décoré du titrede Prince de Quel. Le Prince héritier en conçut de l'ombrage& craignit que fi fes désordres venoient à éclater l'Empereur

ne prît ce prétexte pour fe choifir un fucceffeur qui fût plusfel-on fon goût. Cette crainte lui infpira le deffein de faire affaf-finer fon frere Ly-tai j il mit dans fa confidence fes amis quietoient la plupart les complices de fes autres crimes.

Le Prince héritier s'attacha quelques braves avec lefquelsil avoit des entretiens fecrets fous l'ombre de quelques petitsemplois. Ly-yeou Prince de Tji le Général Heou-kiun-tjî& quelques Officiers leurs créatures inftruits de ces liaifonsfecretes avec des hommes qui n'etoient pas d'un rang à êtreadmis à la familiarité de l'héritier de la couronne en conclu-

rent qu'il y avoit quelque projet. Ils crurent pouvoir s'offrird'eux-mêmes pour être employés par le Prince à quoi il juge-roit à propos.

Le Prince de 7/zVetoit attiré la difgrace de l'Empereur parune conduite équivoque. Le Général avoit par-devers lui

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quelques belles aérions & l'avantage d'avoir combattu plusd'une fois avec valeur à côté de fon maître mais comme ilavoit: des .prétentions bien au-deffus de fes mérites, il vouloitalleu de pair avec les grands hommes fes contemporainsTay-tfoung: lui avoit donné une place dans fon, Confeil il fe

crut outragé de ce qu'on ne lui donnoit que des emplois depaix. Ce fut ce qui l'engagea à fe donner au Prince héritier& à fe lier d'intérêt avec le Prince de TJt qu'il favoit avoir,ainfi que lui des raifons pour n'être pas content.

Le Prince héritier n'en vouloit qu'à celui de fes freres quilui faifoit ombrage mais Heou-kiun-tjî lui fit envifager les dan-gers de cette entreprife, de quelquemaniere qu'elle s'exécutât;Tant que- C Empereur vivra lui dit-il vous aure^ toujours àCraindre de n'être pas fon fucceffeur. Si vous voule^ régnertnenyerfe^-d 'un feul coup tous les objlacles qui s' oppofent à voire.élévation.

Ce difcours fit impreffion fur l'efprit du Prince héritier &la crainte de ne pas fuccéder à fon pere le fit confentir à tout.Après de longues: délibérations il fut réfolu que le Prince1héritier fe diroit dangereufement malade afin d'engager l'Em-

pereur à lui faire une vifite que le Prince de TJî le GénéralMeou-kiuri'tsy& leurs amis les plus affidés fe tiendroient cachésauprès de fon lit que les braves dont on avoit eu foin de s'affu*

r.er., feroient diftribués aux environs de l'hôtel de manière.qu'ils, puifent fe réunir & tomber tous à la fois fur les gardes,de Sa Majefté & qu'enfin dès que Tay-tfoung fer oit entré chezle prétendu malade, on confommeroit le plus grand des crimes.

Cet horrible complot etoit à peine formé qu'il fut révélédans toutes, fes circonftances par un des principaux conjurés.J'ai déjà dit que la conduite équivoque du Prince de TJi avoiteté la premiere caufe de fa difgrace. Il etoit libre en apparence 5

mais il avoit des, furveillans qui rendoient compte de toutes

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fes démarches. Ses fréquens entretiens avec le Prince héritierfirent naître quelques foupçons l'Empereur le fit arrêter.

Le malheureux crut que la conjuration etoit découverte& que fes complices avoient été arrêtés ainfi que lui il n'at-tendit pas qu'on l'interrogeât il avoua tout de lui-même &rendit un compte exaft de tout ce qui s'etoit tramé. On fefaifit de tous les coupables à l'exception du Prince héritier.Les conjurés convaincus furent condamnés au dernier fuppliceTay-tfoung qui s'etoit réfervé de prononcer lui-même fur le fortdu Prince héritier, ne voulut fe décider qu'après avoir pris l'avisde fes Grands. Vous fave\ tous, leur dit-il quel ejî le crime de

mon fils. Quelle doit être fa punition ? Que chacun de vous medife librement ce qu'il penfe.

A ces mots tous ceux qui etoient du Confeil bahTerent les

yeux,& aucun d'euxne répondit. L'Empereur infifla.Les Grandsperfifterent dans leur filence. Un Mandarin nommé Lay-tfi

voyant que ceux qui devoient parler avant lui s'obftinoient àfe taire prit enfin la parole & dit Jufqu'à préfera Seigneur,

vous ave^ rempli tous les devoirs d'un bon pere continuera êtrefur cela comme fur tout le refte un exemple pour vos peuplesdégrade? votre indigne fils mais laiffe\-lui la vie. Ses remordslui feront expier fon crime mieux que ne feroient les bourreaux.

Tout le Confeil y applaudit. Je laiffe donc la vie à mon fils,dit Tay-tfoung en laiffant couler quelques larmes je le dégradede tous les droits & prérogatives de fa naijfance & je le metsart rang dit peuple. Qu'il f oit enfermé pour le refie de fes jours.

Ainfi finit cette funefte tragédie dans laquelle il n'y eutde fang répandu que celui des coupables. C'etoit pour laSeconde fois qu'on avoit attenté à la vie de Tay tfoung.Quelques années auparavant un Etranger comblé de biens& d'honneurs par ce Prince ne paya tous ces bienfaits quepar la plus noire des trahifons. On peut fe rappeller ce que

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j'ai dit plus haut à l'occafion des Tartares Tou-kiuê. Après les avoirfubjugués, Tay -rfozc~z~ ne:les diitinguaplusde fes fujets naturels,

que par les bienfaits dont il les comblent chaque jour. 11 appellaà la Cour les principaux d'entr'eux & les revêtit des dignitésles plus honorables. Un nommé KU-che-ckouai frere du Ko-lzan To-ly fut un de ceux à qui l'Empereur témoigna le plus.de bonté & de confiance. Il le fit un des Grands de l'Empire,Capitaine des Gardes de rune des portes de fon Palais &Infpefteur de fes Ecuries.

La conduite de Kié-che~chouai trompa d'abord les plusclairvoyans & l'Empereur lui-même croyoit n'avoir pas à faCour d'Officier plus dévoué à fon fervice ni qui fût plus atta-ché à fes devoirs. Kïé-che-chouai etoit un fourbe qui n'atren-doit que l'occafion d'affouvir la haine dont il etoit dévoré.

LCe barbare ne voyoit dans fon bienfaiteur que l'ennemi de fa

face & ne le regardoit que comme l'oppreffeur de fa nation.Un jour qu'il etoit de garde au Palais il crut que le moment

etoit enfin arrivé. Quarante Tartares affidés furent introduitsfur le foir. Il fe met à leur tête & va pour forcer la gardeChinoife de la première des cours intérieures. Les Chinois fedéfendent. Le bruit de cet attentat vole d'une porte à l'autre& ceux qui les gardent viennent au fecours. Les agreffeursfurent bientôt repouffés. Quelques-uns d'entr'eux tombent fousles coups quelques autres font pris. Kié-che-chouai fe voyantfans reffource fort à la hâte demande le meilleur cheval desecuries comme pour exécuter un ordre preffant de l'Empe-

reur, & prend la fuite. On l'atteignit, & on le livra au Tri-bunal des crimes.

Interrogé pourquoi il avoit voulu commettre un fi exécrableattentat s'il avoit des complices & quels ils etoient ilrépondit qu'il n'avoit eu d'autres vues que de venger fa nation;qu'il n'avoit d'autres complices que les quarante Tartares qui

avoient

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Tome V. Y

avoient combattu avec lui dans le Palais qu'il etoit inutile depouffer plus loin les interrogatoires & qu'etant pleinementconvaincu qu'il etoit digne des derniers fupplices il prioit fesJuges de .le faire exécuter le plutôt qu'il feroit poffible. On luiaccorda fa demande.

A cette occafion les Grands & les principaux Mandarins de'la capitale repréfenterent à Sa Majefté que vu le danger qu'ily avoit à laiffer aux Tartares la liberté de s'etablir dans l'Em-pire, il etoit de fa fageffe de prendre le prétexte de ce quivenoit d'arriver pour les obliger tous à en fortir. Ceux d'en-

tre les Tou-kiué qui etoient accoutumés à la manière devivre & à la douceur du climat de la Chine ou ils avoientdéjà formé des etabliffemens firent les plus vives inftatices

pour obtenir la permifîîon d'y refter elle leur fut refufée. LesTou-kiué forment de la Chine & allerent s'etablir fur les bordsfeptentrionaux du fleuve Hoang~ho,

ïl etoit difficile que cette nation, inquiete & belliqueuse,pût vivre long-tems en paix. Tantôt ils fe déchiroient entr'eux

par des guerres cruelles tantôt ils fe liguoient pour faire la

guerre aux Chinois. L'Empereur fe vit contraint de les châtierplus d'une fois il dédaigna d'aller en perfonne contre cesbarbares fe déchargeant fur Ly-tfing & fur fes autres Géné-

raux du foin de les dompter.A voir ce Prince livré tout entier aux foins du gouvernement

de fes Etats entrer dans les détails quand les affaires avoientquelque chofe d'important s'entretenir avec les Savans &cultiver lui-même les Lettres dans fes momens de relâche

31

on eût dit qu'il ne penfoit plus à cette efpece de gloire qui

ne s'acquiert que par les armes. Cependant cette ardeur quil'avoit dévoré pendant fa jeuneffe n'etoit .pas éteintedans fon cœur elle y etoit comme un feu caché que le moin-dre foufïle pouvoit rallumer, & qui fe ranima au fujet de la

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Corée. Cette prefqu'ifle etoit alors gouvernée par un ufurpa-

teur auquel le plus grand des crimes avoit frayé le chemin àla fouveraine puiffance. Il avoit fait maffacrer fon Roi &avoit mis fur le Trône un des neveux de ce Prince mais c'etoitlui-même qui gouveraoit defpotiquement.Ce fcélérat fe nom-moit Tfiuen-kou fou-ouen, & le fantôme de Roi qu'il avoit elevéavoit le nom de Kao-tfang.

Tfiuen-kou- fou- ouen prétendit faire approuver ce qu'ilavoit fait, par l'Empereur de la Chine, & eut l'audace dedemander que Kao-tfang fût reconnu pour légitime Roi. Unepareille demande offenfa Tay-tfoung mais il crut devoir dif-fimuler fon reffentiment parce que les deffeins qu'il avoitfur la Corée n'etoient point encore à leur point de maturité.Il ne vouloit rien commander, fans être en état de fe faireobéir ainfi fans faire aucune mention de la Corée il envoyaà Kao-tfang des Patentes de Prince de Leao-toung ce paysetoit alors fous la domination des Coréens. Kao-tfang oupour parler plus jufle, Tfiuen-kou-fou-ouen reçut fort mal l'en-voyé Chinois; l'Empereur diffimula encore & s'il en parlaà fes grands ce ne fut que pour les préparer à entendre

ce qu'il avoit à leur propofer quand le tems en féroit venu.Les circonflances qu'il attendoit arriverent les AmbafTa-

deurs du Roi de Sin-lo préfenterent à l'Empereur une fup-plique où ils Ce plaignaient des Coréens d'une manière à exci-ter l'indignation de Sa Majefté, & rejettoient fur eux lesretards des tributs qu'ils devoient à l'Empire.

L'Empereur envoya en Corée porter fes ordres à Kao-tfang^auquel il enjoignoit de vivre en paix avec le Roi de Sin-lo &fur-tout de ne pas mettre d'obftacle à fa communication avecl'Empire. Tfluen-kou-fou-ouenne fit rendre aucune forte d'hon-neur à l'Envoyé il lui parla même d'une maniere mépri-fante & lui dit que l'Empereur de la Chine n'avoit aucunordre à intimer aux Coréens.

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Après un pareil affront Tay-tfoung fe crut affez autoriféà la guerre il en fit les préparatifs mais les cenfeurs lesgrands, les mandarins & tous ceux qui avoient droit de par-ler, élevèrent la voix pour le détourner d'une pareille entre-prife Quelle gloire difoient-ils peut-il en revenir à ungrand Prince qui a dompté tant de Nations, de fubjiiguer

encore le petit Royaume de Corée ? Quel deshonneur au con-traire pour-l'Empire, fi nos armées venoient à avoir du défà-vantage. Jufquà préfent les armes de Votre Majejlé ont etéviclorieufes ,• craigne^ Seigneur, de trouver le terme de vos fuc~ces dans une expédition qui a eté funefie à la plupart de ceuxqui l'ont tentée avant vous.

L'Empereur continua fes préparatifs. Les repréfentationsfe multiplioient fon parti etoit pris. Cependant pour appai-fer les clameurs il fit publier un manifeste dans lequel ildétailla les raifons qui l'engageoient à prendre ce parti. Toutle monde fe fit alors un devoir de feconder les vues de l'Em-

pereur, comme fi tout le monde avoit toujours été de mêmeavis que lui.

Tfiuen-kou-fou-ouen ne tarda pas à être inftruit- il futeffrayé de l'orage qui fe formoit fur fa tête & pour le détour-

ner, il envoya à Tay-tfoung une Ambaffade folemnelle enréparation du peu d'égard qu'il avoit montré ci-devant pourles ordres de Sa Majefté & chargea les Ambaffadeurs d'or& d'argent & de tout ce qu'il y avoit de plus précieux &de plus rare dans la Corée pour être offert à l'Empereur

en forme de tribut.Tay-tfoung dédaigna un tribut qui ne lui étoit offert que

par la crainte & renvoya fans avoir voulu leur donneraudience les Ambaffadeurs Coréens avec les préfens dontils étoient chargés. II partit lui-même pour Lo-yang, où il devoitaffembler tes troupes. Son premier foin en arrivant dans cette

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ancienne capitale de l'Empire fut de s'informer s'il ne refîoît

pas encore quelques Officiers qui euffent eté de l'expéditionde la Corée fous l'Empereur Soui yang-ly. Il s'en trouva unde tous grades, avec qui il eut des conférences particulièresfur le pays qu'il fe propofoit de conquérir & fur les diffé-

rens chemins qui y conduifoient. Il voulut favoir fur-tout defes vieux guerriers, à quoi ils attribuoient le peu de fuccès deeette première guerre ils s'accordèrent tous à lui dire que lepays étoit défendu par des places très-fortes & par d'ex-cellentes troupes. Ils lui exagérèrent même ces difficultés,

pour le diffuader d'une entreprife dans laquelle il alloit com-promettre fa gloire.

Ce qui auroit enrayé tout autre ne fervit qu'à ranimer deplus en plus le courage de Tay-tfoung. Il nomma les quatreGénéraux qui devoient fervir fous lui deux étoient Chinois,& les deux autres Tartares. Les deux Chinois eroient Ly-che-tfé & Tchany-kieg & les deux Tartares Ly-fce-mouKi-pi-ho-ly un cinquième Général nommé Tchang-leang

9devoit commander l'armée navale.

Au commencement du printems de la neuvieme année deTcheti-koan c'eft-a-dire l'an de Jefus Chrift 645, Tay-tfoung partit de Lo-yang à la tête d'une partie de fes troupes.Pendant toute la route il eut foin de faire obferver une exaftedifcipline & d'empêcher que le foldat ne fe livrât à la débau-che &à la rapine dans les lieux où il étoit obligé de s'arrêter.

Après avoir traverfé une partie du Ho-nan il paffa leHoang-ho puis s'avançant vers le Nord il arriva après plu-fieurs jours de marche à la ville de Yé; delà après avoirdonné quelques jours de repos à fes troupes il prit fa routevers Ting-tcheou où il n'arriva qu'à la rroifieme lune. Ce futlà qu'il fit fes arrangemens pour le -gouvernement de l'Empirependant fon abfence. Il avoit fubftitué fon troisième fils à

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fon fils aîné qu'il avoit dégradé ainfî qu'on l'a vu plus haut,de fa dignité de Prince héritier il le nomma Régent del'Empire & lui donna Kao-che-lien Tchang-hing-tchengKao-ki-fou & Ma-tcheou pour l'aider à foutenir un far-deau auquel il n'étoit pas accoutumé. Il le laifïa k Ting-tcheou même où il voulut que s'établît cette nouvelle Cour,parce que dans les circonstances où il alloit fe trouver elledevoit être à portée de recevoir en cas de befoin les ordresdu Souverain, & de lui faire favoir ce dont 'il lui importoitd'être inftruit.

Il donna enfuite fes ordres pour le départ monta à che-val, fit dénier fes troupes devant lui, & fe mit à fon poile,pour ne plus le quitter fes yeux s'animèrent d'un nouveaufeu & l'on vit renaître dans fes actions toute l'activité defa jeuneife. Ses vieux foldats en treflaillirent de joie & s'é-crièrent avec transport. Dix mille dix mille années encoredix mille ans à nctre augujiî Empereur.

A la quatrieme lune toutes les troupes fe trouverent réu-nies à Siun-tou & à Sin-tchmg où elles etoient arrivées

par difTérens chemins. Celles que commandoit Ly-che-tjiarrivèrent les premieres. Cet habile général trompa la vigi-lance des Coréens qui gardoient les frontieres, en leur- don-

nant le change. Il feignit de vouloir forcer le pafiage deHouai-yusn-lehen pour attirer la plus grande partie de leursforces de ce côté-là mais revenant fur fes pas il prit fa routepar Young-tao vint à Toung-ting où il paffa la rivière deLeao avant même que- les ennemis puffent fe, douter de fondeffein & fe préfenta devant la ville de Siuen-wu.

Les Coréens fe renfermèrent dans leur ville & s'y prépa-'rerent à une vigoureufe réiiftance.

Ly-tao-tfoung avec quelques mille hommes de Cavalerie:>

alla droit à Sin-tckeng, & en fit le blocus. Tchang-kien, après

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avoir paffe la rivière beaucoup plus bas que les autres entirant vers le midi prit fa route du côté de Kien-ngan battitl'armée des Coréens tua quelques mille hommes & fit

un plus grand nombre de prifonniers. L'Empereur fe réfervala capitale du Leao-toung, & les deux généraux TartaresLy-fee-mou & IÇi-pi-ho-ly allerent faire diverfion du côtédu Nord de cette même ville.

Cette campagne s'ouvrit par les fuccés les plus brillans.Ly-che-tfi laiffant derriere lui Siuen-tou, alla inveftir Kai-meousil y avoit dans cette place une garnifon de fept cens hommes,elle'ne fit prefque aucune réûftance & fe rendit dès les pre?miers j ours.

Tchang-kang qui commandait les vaiffeaux débarqua noaloin de la ville de Piche-tcheng qu'il afliégea. Cette placeentourée de murailles très-hautes & forte par fa propre fitua-tion, n'étoit acceffible que du côté de l'occident. Ce fut

par là que Tchang-leang en commença l'attaque; il commandaTcheng-ming-tchen & Ouang-ta-ou pour monter des pre-miers à l'affaut. Ces deux Officiers y allerent avec tant d'in-trépidité & de bravoure qu'ils emporterent l'epée à la main

une place qui pouvoit coûter plus d'un mois de fiege. Legénéral la fit détruire & fit prifonniers dix mille de fes habi-

tans, tant hommes que femmes.Tay-tfoung à la tête du gros de l'armée n'avançoit pas

auffi vîte qu'il l'auroit fouhaité; les chemins etoient rompus &prefque impraticables; après quinze jours de travaux & depeines il fe difpofoit à donner à fes troupes quelques repos,quand on lui annonça qu'une armée de Coréens, forte de qua-rante mille hommes, s'avançoit à grandes journées pour fejetter dans la place qu'il avoit trop peu de monde pour s'yoppofer & que cependant il falloit de quelque manière quece fût empêcherun fecours qui pouvoit retarder long-tems lefuccès de fes armes.

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Tay-tfoung prit fon parti fur le champ, & au lieu de fairerepofer fes troupes, il fut les engager à demanderelles-mêmesqu'on les menât à la rencontre des ennemis. Il profita de leurbonne volonté hâta la marche & précéda d'environ vingt-quatre heures l'arrivée des Coréens. C'etoit tout ce qu'il luifalloit pour affurer le fuccès de fon principal deffein & defes autres opérations de la campagne.

Dès le lendemain à la pointe du jour il fit partir Ly-tao-ifoung pour aller reconnoître les ennemis & quelques heu-

res après, comme s'il eût prévu ce qui devoit srriver ilpartit lui-même avec. un corps d'élite donnant ordre au grosde l'armée de le fuivre au petit pas.Ly-tao-tfoung n'avoit avec lui que quatre mille hommes decavalerie & avec ce petit nombre il ofa engager le com-bat. Il alloit être la viérime de fa témérité, fans l'extrême dili-

gence de Tay-tfoung qui arriva à propos pour le Soutenir, &qui le dégagea bientôt dès qu'il fut foutenu lui-même parfes troupes qui arriverent fucceffivement. L'aftion devint alorsgénérale. Les Coréens firent des prodiges de valeur maisenfin ils furent obligés de plier y Tay-tfoung fit avancer fon

corps de réferve qui acheva de les mettre en déroute.Après cette viâoire ?'ay-tfoun~- ne douta pas que la

place fous les murs de laquelle il venoit de la remporter, nefe rendit à la première fommation. Il fe trompa. Le Gouver-

neur, qui etoit homme d'honneur & de courage, répondit

avec refpeft mais avec fermeté qu'il n'ignoroit point ceque pouvoit faire une armée victorieuse commandée parl'Empereur en perfonne mais qu'il favoit auffi ce que fondevoir exigeoit de lui dans les circonftances où il iè trouvoit,& qu'on pouvoit être fûr que tant qu'il auroit un fouille devie il fe défendroit de fon mieux. L'Empereur ne put s'em-pêcher d'approuver la conduite de ce brave Officier, dont

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il fit publiquement l'éloge il donna ordre à Ly-che-tfl defe difpofer pour le fiege & lui en laiffa la direction.

Ly-che tjî déploya tout ce qu'une longue expérience luiavoit appris fur un art dans lequel il excelloit mais les afllégésfe défendirent fi bien & firent des forties fi à propos

qu'après douze jours de tranchée ouverte il ne fe trouvaguère plus avancé que le premier jour. Nonobitant ce peude progrès Tay-tfoung conclut à un affaut général r contrel'avis de Ly-che-tfi qui prétendoit qu'on ne pouvoit envenir là fans s'expofer à perdre inutilement beaucoup demonde.

Il fit publier dans tous les quartiers de l'armée qu'il s'a-giffoit d'un affaut général il donna ordre que chacun, fansdiftinâion de rang eût à apporter des terres aux pieds desmurailles de la ville jufqu'à ce qu'on eût atteint la hauteurdes crénaux.

Ce travail fut entièrement achevé fur la fin du troifiemejour. Le lendemain .Tay-tfoung-à la tête de ce qu'il avoitde meilleures troupes monte des premiers à l'afiaut, tenantle fer d'une main, & je ne fais quel feu de l'autre rien nepeut réfifter à fon intrépide valeur. Animé par fon exemple,fes foldats le fuivent; ils renverfent tout ce qui fe préfentela place eft emportée. Les Coréens perdirent dans ce fiegedix mille des leurs, & Tay-tfoung vingt-cinq mille des fiens;mais il fit cinquante mille prifonniers parmi lefquels il y avoitplus de dix mille hommes de bonnes troupes, il rafa les muraillesde la ville & changea fon nom en celui de Leao-tckeou.

Il marcha enfuite à Pe-yen-tcheng dont il entreprit le fiege.Les deux généraux Ly-che-mou & Ki-pi-ho-ly l'y fuivirent avecleurs Tartares. Tay-tfoung voulut qu'ils combattiffent à fescôtés, afin difoit-il de leur faire partager fa gloire & fespérils. Flattés d'un pareil honneur ces Tartares ne cher-

cherent

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cherent qu'à s'en rendre dignes par des prodiges de bravoure.A la premiere fortie que firent les affiégés Ly-fee-mou,

fut percé d'un trait qui le renverfa de fon chejval il bandalui-même fa plaie, remonta à cheval, & continua à com-battre avec une fureur qui eut bientôt epuifé fes forces. Ses

gens le dégagèrent & l'emportèrent malgré lui dans fa tente.M-i-pl-ho-ly ne fut pas plus heureux. Il reçut un coup de lance& fut pris prefque auffi-tôt. Les Coréens en fe retirant l'em-menoient dans leur ville lorsqu'un Officier Chinois, du nom-bre de ceux qui etoient attachés à la peïfonne de l'Empe-

reur, fe fit jour le fabre à la main, &. le leur enleva aumoment. qu'ils alloient rentrer.

Les opérations du fiege furent pouffées avec tant d'atlivité

que la garnifon fit propofer une fufpeniion d'armes,' &;

demanda à capituler ce qui leur fut accordé. Mais les habi-

tans fe flattant de la vaine efpérance d'être fecourus s'yoppoferent.

Tay-tfoung leur fit dire qu'il livreroit leur ville au pillage&. qu'il les traiteroit en rebelles s'ils ne fe rendoient auxconditions qu'il vouloit bien leur impofer. Une grêle de traitslancés du haut des murs contre fes foldats, fut toute la réponfequ'il en eut. Dans les premiers mouvemens de ton indignation,il fit publier dans tous les quartiers de fon armée qu'il don-noit la ville à fes foldats les exhortant à faire de leur mieux

pour s'en rendre bientôt les maîtres. Bientôt la plupart des

ouvrages extérieurs furent emportés.Les affiégés comprirent alors toutes les conféquences de la

faute qu'ils avoient faite ils demandèrent grace promettantd'ouvrir les portes de leur ville & de fe foumettre à toutpourvu qu'on les mît à couvert de la premiere fureur dufoldat.

Vous mériteriez leur répondit l'Empereur de fubir toutes

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les rigueurs du fort auquel vous vous êtes expofés en me man*quant de parole. Cependant je veux bien vous faire grâce s raffureç

de ma part voj concitoyens. Qu'ils fe tiennent tranquilles cha-

cun che^ 'foi & qu'aucun ne fe montre au-dehors jufqu'à ce

que j'aie mis ordre à tout.Ly-ché-tfi qui etoit à côté de l'Empereur ne put enten-

dre fans furprife un pareil difcours. Eh quoi Seigneur, luidit-il ave^-vous fi-tôt oublié ce que vous ave\ promis à vosfoldats ? convient-il de reprendre ainjï vos dons

Général lui répondit l'Empereur les plaintes lesgémijfemens les cris lugubres de tant d'infortunés qui n'auroientplus devant les yeux que la mifere*, l'infamie ou la mort fefont entendre jufqu'au fond de mon cœur. Il ne tient qu'à moide prévenir tant de maux & je fouffrirois qu'ils arrivent celane fera point. Dites à mes foldats que mes tréfors & mes maga-fins renferment de quoi les dédommager. Cefi une dette que jecontracte aujourd'hui avec eux & que /acquitterai fidèlement',vous pouve^ les en affurer de ma part. Les intentions de TErn-

pereur furent annoncées perfonne ne murmura.On entra paifiblement dans la ville on- s'y conduifit en

ami. C'étoit alors le tems des grandes chaleurs & la blef-fure de Ki-pi-ho-ly alloit en empirantl'Empereur l'alla vifi-

ter. Dans ce moment, on préfenta à Sa Majefté le Coréenpar qui ce Général avoit eté bkffé. Tous les Officiers Tartaresdemandoient fa mort. Tay-tfoung fans la leur accorder, nila leur refufer, dit à Ki-pi-ho-ly je vous laiffe le maître dufort de cet homme. Vous pouve^ difpofer de lui de la manière

que vous jugere^ à propos. Seigneur lui répondit Ki-pi-ho-ly9

ce Coréen efl un brave homme ila défendu fa Patrie & fervï[on Souverain il ne mérite que desJe lui par-donne moi-même dit l'Empereur puifquc vous lui pardonne^& je lui rends fa liberté. Qu'il en profite pour rejler à mon fer-

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Z ijil

i>ice ou pour fe retirer où bon lui femblera. Il efl le maître.Tay-tfoung ne refla dans Pe-yen-tcheng qu'autant de tems

qu'il en falloit pour régler les chofes. Il en partit fur la fin dela fixieme lune & alla mettre le fiege devant Ngan-che-tcheng.

Cette ville une des plus importantes, & comme la princi-pale clef de la Corée etoit très-fortinée les murailles, revê-tues d'un double rang de briques, étoient epahîes & très-hau-tes une armée formidable s'avançoit pour la couvrir & arrê-ter les progrès des armes Chinoifes.

L'ardeur de Tay-tfoung & des fiens ne »fe ralentit pas àla vue de tant d'obftacles qu'il devoit furmonter. Les Coréensallerent à la découverte & vinrent bientôt lui dire que l'en-nemi paroiffoit. Auffi-tôt il prend avec lui Tchang-fiin-ou-ki &quelques autres Officiers généraux & efcorté de deux outrois cens cavaliers, il monta fur un lieu élevé pour décou-vrir l'armée,

L'Empereur après ravoir confidérée revint dans fon camp,où il fit les difpofitions fuivantes.

Il donna à Ly-che-tji quinze mille hommes & lui fit

occuper les hauteurs du côté de l'Occident pour arrêter lespremiers efforts de l'ennemi, & attaquer lui-même s'il n'etoit

pas attaqué le premier. Il envoya Tchang-fun-ou-ki avecdouze mille hommes derriere une montagne pour venir pren-dre l'ennemi en queue, quand il en feroit tems. Il prit pourlui le corps principal, compofé de quarante-mille hommes

avec lefquels il devoit fe tenir caché dans les vallons pourvenir par le Nord attaquer en flanc. Les drapeaux, étendards,

tambours & autres inftrumens devoient donner le fignal

auffi-tôt que Ly-che-tfi auroit engagé l'aclion.Cependant les Coréens arriverent. Ils crurent, en voyant

les quinze mille hommes de Ly-che-tfi que c'etoit là l'ar-

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mée entiere ils réfolurent de l'attaquer. Un Officier pru»dent & expérimenté repréfenta à Kao-yen-cheou fon géné-ral, que c'etoit prendre un mauvais parti que celui de livrerbataille, dans des cire onftan ces, où fans répandre une; gouttede fang il pouvoit faire périr l'ennemi de faim & de mifere

ou l'obliger à fe retirer. D'ailleurs ajouta-t-il nous con-noiffons le Prince de TsiN ( c'eft ainfi qu'il ofoit appeller l'Em-pereur) il n'a pas fon pareil quand il s'agit de conzbattre.La fortune ne s' efi point encore lajfée de le favorifer dans tout cequ'il a a entrepris. -N'attaquons pas de front un ennemi fi redou-table les vivres lui manqueront bientôt il ne fauroit s'en

procurer fans retourner fur fes pas. Laiffons-le fe confumer

peu-à-peu cefi ce que nous avons de mieux à faire; Olt plutôtcejl l'unique moyen qui nous refîe pour nous délivrer d'unennemi qui n'attend qu'une imprudence de notre part pour nousfubjuguer.

Ce difcours ne fit aucune impreffion fur l'efprit de Kao-yen-cheou. Ce général fe prépara à attaquer Ly-che-tfi qui defon côté attendoit de pied ferme les Coréens» Ly-che-tfi nefit d'abord que fe défendre. Il avançoit s'etendoit fe

replioit fur lui même faifoit différens mouvemens pourdonner à ceux qui etoient en embufcade le tems d'arriver.

L'Empereur avoit déjà vu les fignaux mais il ne fe mon-troit pas encore parce qu'il attendoit que Tchang-fun-ou-kifût à portée d'attaquer en même tems que lui. Enfin il vit des

nuages de poufliere s'élever dans l'endroit précifément qu'ilavoit indiqué pour le rendez-vous. A l'inftant il fait déployerfes étendards il fait retentir tous les inftrumens guerriers ilfond fur les ennemis qu'il prend en flanc tandis que Tchang-fun-ou-ki les prend en queue & que Ly-ché-tji les combatde front. Les Coréens effrayés fe fauvent à la débandade &vont répandre la terreur par-tout.

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L'Empereur ne doutoit point que la ville ne dût lui ouvrirfes portes à la premiere fommation. Il fe trompa. Le Gouver-neur lui fit répondre qu'il avoit des vivres pour fe nourrir

3& des armes pour fe défendre & qu'il n'oublieroit rien pourfe rendre digne de la confiance de fon maître.

Tay-tfoung crut qu'il ne parloit ainfi que pour fauver les

apparences. Il fit donc inveflir la place & fit fommer uneféconde fois le Gouverneur. Celui-ci fit tirer fur ceux qui luietoient envoyés. Il fallut commencer les opérations du fiege.L'Empereur y employa tout fon art, & y ht ufage de toutesles machines qui etoient connues de fon teins il conftruifitdes tours il éleva des terraffes tout fut inutile. Les affiégésfe défendirent en défefpérés ils travaiîloient nuit & jour, foità réparer les brèches foit à confîruire de nouveaux ouvragesde défenfe ils faifoient de fréquentes forties & il n'etoir prei-qu'aucun jour qu'ils ne combatîiffent d'une manière ou d'une

autre. Tout habitant etoit foldat. Le Gouverneuranimoit tout,tiroit parti de tout il tint pendant foixante jours contre tousles efforts d'une armée viétorieufe, commandée parles Capitai-nes les plus habiles & les plus expérimentés qu'il y eût alors.

L'Empereur réfolu d'emporter la place à quelque prixque ce fût lui fit donner un affaut général on combattit de

part & d'autre avec un acharnement qui n'avoit point encoreeu d'exemple. Les troupes Chinoifes alloient entrer quandl'imprudence d'un Officier .leur fit perdre tout leur avantage.Cet Officier qui s'appelloit Fox-fou-ngai comptant que laville etoit prife abandonna fon poile pour courir au butin.

Le Gouverneur qui avoit l'œil à tout s'apperçut bientôtde la faute il envoya un nombreux détachement qui s'em-

para du pofte. Les Coréens redoublèrent d'efforts & les Chi-nois, repouffés par-tout furent contraints de revenir à leur

camp. Fou-fou-ngai fut condamné à perdre la tête.

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Tay-tfoung alors affembla ton Confeil pour délibérer s'ilfalloir continuer le fiege. Tout le monde fut d'avis de terminerla campagne, & de lever le fiege. Ce qui fut exécuté le jourKouei-ouei de la neuvieme Lune de la dix-neuvieme annéede Tchen-koan c'eft-à-dire le treizieme Oftobre de l'an 645de l'Ere Chrétienne. Pendant qu'il faifoit défiler l'armée leGouverneur de la place parut feul fur l'un des battions & fitfigne qu'il avoit quelque chofe à dire. L'Empereur s'avançalui-même avec quelques-uns de fes Officiers jufqu'à la portéedu trait. Alors le Gouverneur fe mit à genoux, fit les céré-monies ordinaires aux perfonnes qui prennent congé de ceuxdont le rang eft au-deffus du leur & fouhaita à Sa Majefté

un voyage des plus heureux.L'Empereur, loin de s'orîenfer d'une cérémonie quiparoiffoit

déplacée & qui pouvoit tenir de la dérifion prit ou fitfemblant de prendre cet adieu en bonne part. Il remercia leGouverneur lui fit donner cent pièces de foie & lui fitdire que d'une maniere ou d'uneautre, il comptoit qu'il ne feroit

pas long-tems fans le revoir qu'il pouvoit être fur qu'ayantété témoin de fa prudence de fa bravoure, de fon amourpour fa Patrie & de fa fidélité envers fon Souverain il auroittoujours pour fa perfonne toute l'eftime qui lui etoit due.

En s'eloignant d'une ville qu'il regardoit comme l'ecueil defa gloire Tay-tfoung fit un trifie retour fur lui-même. Iltémoigna un regret amer d'avoir entrepris cette guerre.

La première attention de l'Empereur en arrivant avec fonarmée à Yng-icheou fut de faire rendre les devoirs funebresà tous ceux qui avoient péri dans cette guerre. Il ordonna

que leurs cendres fuffent dépofées à Lieou-tcheng & qu'on fitcouler fur elles le fang d'un bœuf que les Mandarins du titrede Yeou-fee égorgeroient eux-mêmes.

Tous ceux qui durant le cours de cette campagne avoient

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fait des prifonniers les avoient envoyés à Yng-tcheou pour yêtre gardés. Les Officiers généraux prierent Sa Majeflé deconfirmer la répartition qu'ils en avoient faite dans l'écritqu'ils lui préfentoient Alle^ leur dit l'Empereur traiter enmon nom de la rançon de tous ces prifonniers. Je donnerai fans

en rien rabattre tout ce qu'on demandera pour le prix de chacund'eux. Je veux que tout le mondefoit content mais il faut queje le fois auffi & je ne faurois l'être fi tous les Coréens qui

ont été pris pendant cette guerre ne mè font rendus exclujîvementtout autre.

Il n'y eut perfonne .qui ne fe conformât aux intentions del'Empereur. Les prifonniers au nombre de 14000 mille lui furentcédés il leur rendit la liberté avec permiffion de refler à laChine. Il leur fit diftribuer des toiles & de l'argent, pour lesaider à commencer un etabliffement s'ils vouloient refter oupour leur fervir le long de la route s'ils prenoient le partide s'en retourner il fit enfuite des largefîes confidérables àtoute l'armée. Les réjouiffances publiques que l'on fit pen-dant trois jours confécutifs & les bénédiftions dont les fiens& les Coréens devenus libres, le comblèrent à l'envi, auroient

pu diffiper fon chagrin s'il avoit pu oublier fa difgrace. Ilarriva dans fa Capitale à la première lune de la vingtièmeannée de fon règne c'eft-à-dire l'an de Jefus-Chrift 646.

Rendu à fes fujets après une année d'abfence Taj-tfoungreprit les rênes du Gouvernement qu'il avoit laiffées entre lesmains de fon fils & s'appliqua plus que jamais à faire fleurirl'Empire. Tous les peuples vinrent lui rendre hommage parleurs AmbafTadeurs. Le Tyran de Corée lui même envoyafes députés mais il eut l'audace de mettre fon nom à côtéde celui du grand Tay-tfoung & de vouloir traiter avec lui

comme d'égal à égal. Un pareil procédé parut d'une infolenceextrême. Il falloit ou le méprifer ou le punir. Tay-tfoung crut

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qu'il etoit de fa dignité de fe déterminer pour ce dernier. Il

renvoya les Coréens fans leur avoir donné audience & fitpartir Ly-che-tfi à la tête d'une bonne armée pour aller châ-tier l'infolence de celui par qui.il fe croyoit outragé.

Ly-che-tfi part, & arrive en Corée. Il ne s'amufa pas àfaire des fieges, ni à livrer des batailles. Il dirige fa routedroit à P ing-j ang bat & met en déroute les troupes qu'il

trouve fur fon chemin s'empare fans peine des fauxbourgsde Ping-jang les pille y fait mettre le feu & content d'a-voir fait trembler le Tyran fur fon Trône & d'avoir répandu

par-tout la terreur, ilrevient fur fes pas & rentre dans la Chine.Ayant laiffé derriere lui toutes les places fortes, il ne pouvoitdifférer fon retour fans rifquer de le rendre impomble outout au moins d'une extrême difficulté.

Il paroît que Tày-tfoung ne crut pas les Coréens affez punispuifqu'il fit conilruire dans le Kïang-nan des vailfeaux dansle deffein d'aller porter encore une fois la guerre dans leur

pays mais la mort ne lui laiffa pas affez de tems pour exécuter

ce projet. Depuis fa malheureufe expédition, il n'avoit pref-

que jamais joui d'une bonne fanté. A la langueur fecrete quile min oit infenfiblement feoignoit la fatigue d'un gouver-nement exact où rien ne fe faifoit que par fes ordres parcequ'il vouloit êtreinftruit de tout, & tout faire par lui-même.

A la troifieme Lune de la vingt-troifieme année de fon

regne c'eft-à-dire Tan de Jefus-Chrift 649 il comprit quefa maladie etoit férieufe. Il fit appcller le Prince héritier

pour lui donner quelques avis fur la manière dont il devoit feconduire quand il feroit fur le Trône.

Mon fils lui dit-il ,foye^jufie mais foye^ bon. Régne^ furvous-même } aye^ un empire abfolu fur vos pajfions & vousrégnerez fans peine fur les cœurs de vos fujets. Votre bon

exemple, mieux que les ordres les plus rigoureux leur feraremplir

S

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Tome Y ` A a

remplir avec exactitude tous leurs devoirs. Puni rarement &

avec modération mais répande^ les bienfaits à pleines mains.Ne renvoyé^ jamais au lendemain une grace que vous pouve[accorder le jour même > diffêre\ au contraire les châtimens jufqu à

ce que vous foye^ ajfuré par vous-même qu'ils font juflementmérités. Il faut que vous prenie^ quelqu'un des anciens Empe-

reurspour modèle de votre conduite. N'en choifîjfe^ qu'un maischoijîjfeç bien. Gardez-vous bien de vouloir m'imiter. La répu-tation dont je jouis ne doit pas vous faire illujïon. J'ai misl'Empire dans notre famille. J'ai dompté les rebelles j'ai misles Tartares fous le joug j'ai rendu à l'Etat. tout fon lujlrec'efi en faveur de tout cela qu'on a bien voulu ne pas faireattention à mes défauts. Il n'en feroit pas de même à votre égard.Ne pouvant pas vous rendre recommandable par lés mêmesactions puifque tout ejî déjà fait vous ne deve^pas efpérerla même indulgence.

Comme il vit que le Prince s'attendriflbit il s'attendritlui-même & fut quelques momens fans parler. Puis adreffantla parole aux deux Minières Tchaneun-ou-ki & Tchou foui-leang, il leur dit Je vous recommande mon fils. Aide[-le de

votre mieux à foutenir le fardeau dont je le charge. Il efl natu-rellement bon il a toujours rempli à mon égard tous les devoirsd'un fils refpeUueux. Il remplira de même tous ceux d'un peretendre envers fes fujets. Oui mon fils continua-t-il en s'adref-fant au Prince vos fujets font vos enfans ne ceffe^ jamais deles traiter comme tels. Recevez toujours en bonne part les avisqu'on vous donnera de quelque part qu'ils viennent maisdéfère^ à ceux de Tchang-fun-ou-ki& de Tchou-foui-leang. Leurexpérience & leur habiletéfuppléront à ce qui vous manque.Tchang-fun-ou-ki ma aidé de fes confeils & de fon bras pourconquérir l'Empire & le mettre dans îetat floriffant où il eflaujourd'hui. N'écoute^ jamais ce quonpourroitvous dire contre

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lui. Ses belles actions & la faveur dont il a constamment joui »

ne peuvent manquer de lui avoir fait des envieux qui n'attendent

que le moment de ma mort pour fe déchaîner contre lui. Jegarantis moi-même tout ce qu'il a faitjufqu 'à préfent. Ne revene^jamais fur fa conduite palpe.Tchou-foui-ieang cejlàvousaujjî que ce difcours s'adrejfe ne cejfe^ jamais de regarderTchang-fun-ou-ki comme un des hommes à qui F Empire. doit leplus. Il fut le compagnon de mes travaux & de ma gloire il fut

mon ami. Soye^ lefien & concoure^ l'un & F autre au bon gou-vernement de l 'Etat en réumjfantyos lumieres pour eclairer monfils. Tchou-foui-leang ecrivit les dernieres volontés de fon maî-

tre, en fit la lefture à haute voix & y appofa le fceau del'Empire de la maniere que cela fe pratiquoit alors.

Pendant cet intervalle le Prince héritier etoit à côté defon père dans une contenance qui dénotoit la plus vive dou-leur. L'Empereur attendri voulut lui parler encore mais laparole expira fur fes lèvres & bientôt après il expira lui-même

entre les bras de fon fils.

Ainfi mourut à la cinquante-troiHeme année de fon âge& la vingt-troiiieme de fon règne un des plus grands Princesqui ait gouverné la monarchie des Chinois» A la premiere nourvelle de cette mort toute la Chine- retentit de gémiffemens& de plaintes, les larmes coulèrent de tous les, yeux. LesAmbaffadeurs des nations voifin.es & les. autres Etrangers quife trouvèrent pour lors dans la capitale témoignèrent à lamaniere de leur pays le regret dont ils etoient pénétrés. Lesplus dijltngués coupèrent leur longue chevelure fe piquèrent levifage avec un fer pointu fe faignerent aux oreilles & répan-dirent leur fang aux environs du cercueil de l'illujîre mort.

Un des points qui eft regardé dans le cérémonial commetrès-important, eft de s'abftenir de toute guerre pendant lestrois années du deuil. Le nouvel Empereur qui favoit que

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ceî!e qu'on avoit faite aux Coréens & qu'on etoit fur lépoint de renouveller n'etoit pas du goût de la nation ne crutpas pouvoir fe difpenfer dans les circonftances de parokre auxyeux defes fujets exaâ obfervateur des Rits.

Les Princes Tartares qui fe trouvoient à la Cour voulurentdonner dans cette occasion des marques de leur attachement& de leur reconnoiffance. Achenacher & Ki-pi-ho-ly deman-derent qu'il leur fût permis de s'immoler fur fon tombeau pouraller le fervir dans l'autre monde, comme ils l'avoient fait danscelui-ci. L'Empereur leur répondit qu'il ne pouvoit leur accor-der ce qu'ils demandaient fans fe rendre lui-même défobéïffant

aux ordres de fon père qui avoit prévu leur demande & quainfi illezir difenioit d'attenter à leurpropre vie. Tata Roi de Man-y,le Kohan Kiély, & quelques autres au nombre de quatorze,tous chefs de Hordes fe firent fculpter en pierre, & placerent

ces quatorze fiatues en dedans de' la porte dit Nord dite la

porte des Sée-ma ou des Guerriers pour fervir de preuve â lapoflérité que leur attachementpour le Prince dont ils gardoientla fépulture, etoit un attachement eternel (l).

R E M A R q U E S.(i) Je ne puis m'èmpêcher de

relever ici une bévue qu'a faite lePere de Mailla en difant que lesPrinces Tartaresfirent faire en com-mun la Jiatue de Tay-tfoung qu'ilsfirent placer en dedans de la portefeptentrionale &c. Un peu d'atten-tion aux moeurs du pays auroitappris au Pere de Mailla i°. quela porte du Nord étant la moinshonorable il eût eté très-indécentd'y placer la ftatue d'un Empe-reur. î°. Qu'il n'a jamais eté d'u-fage à la Chine de mettre la ftatued'un Empereur ni de qui que ce .a.A a ij

foit dans fa propre fépulture. Lesftatues qu'on y eleve font cellesdes Guerriers qui font cenfés gar-der le tombeau,& des MiniftresMagilirats ou Lettrés qui font cen-fés rendre hommage aux cendresqui y font renfermées.

Comme il eft affez fouvent faitmention des Tou-kiué, il n'efl: pashors de propos-de rapporter ici cequ'en difent les Auteurs Chinois.Les Tou-kiué ont une mime origi.ru

que les autres Tartares^ Leur chefAchenaché forma, un petit Royaume

ait Midy du la montagne Km-chan.

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Après les funérailles on plaça la tablette du défunt dansla Salle des ancêtres, & on lui donna le nom de Tay-tfoungqui fignifie le grand ayeul. C'eft fous ce nom feulement qu'ileft défigné dans l'Hiftoire depuis le tems où il monta fur leTrône jufqu'à celui de fa mort. Il portoit auparavant celui deLy-ché-min ou de Prince de TJin.

Il ne reftoit plus au nouvel Empereur pour remplir dans

toute leur étendue les devoirs de la Piété filiale qu'à affigner

aux femmes qui avoient appartenu à fon pere fous différenstitres un lieu particulier où elles puffent vivre dans la décencede leur rang. Il prit le parti de les enfermer toutes- dans unedifice auquel il donna le nom de Ngan-ye-fang en fran-çois lieu où fortfait profejfion de tranquillité. Cejl à l'occafonde cette efpece de monajlere dit un critique. Chinois 'queles monaJleres des Bon^ejfes doivent leur premiere inflitu-iion. Auparavant il n'y avoit que des hommes qui ofajfentfefoujlraire aux devoirs de 'la fociété pour pajfer leur vie dans lecélibat mais l'exemple des Dames de Kang-yé-fée_/zi (2) naître

REMARQUES.dans le pays de Tlirfàn. Oh connoitce peuple depuis le tems du grand Yu& de la dynajîie Hia dont il ejl lefondateur. On les appeïloit alors dunom de Siuen-yu. Sous la dynajîieChang qui fuccêda à celle des Hia

on les appella Koiii-fang. La dynaf-t'te des Tcheou changea leur nom deICoui-fang en celui de Yen-yun. Sousl'a dynajîie des Han on les appellaHioxtng-hou 6" les Chiei qui je ren-dirent maîtres de la partie feptentrio-nale de F Empire, du tems des cinq pe-tites dynajlies leur donnerent le nomde Tou-kiué fous lequel ils etoientconnusdu iems des Tang dont Tay-{foxing ejl le fécond Empereur.

Ces Tou-kiué fe divifirent entreeux lorfqiHils furent en affe[ grandnombre pour former deux Royaumes.Les uns allerent vers le Nord & s*yetablirent. Les autres setendirent ducôté de l'occident. Les uns & les au-tres fe firent fouvent des guerres cruel-les, ils fe réunirent quelquefois contrela Chine mais ayant eté prefquetoujours vaincus ils ont portédans la fuite tout C effort de leursarmes du côté du couchant &c.

(2) L'etabliflement de Kan-ye-fée ne fi.it pas le feul qui fe fit alorsen faveur des perfonnes du fexe.Tout ce qui reflôit de cette troupenombreiiiede femmes qu'on trouva

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P'tdêe de Ni-kou & perfuada que les perfonnes du fexe pou~voient egalement, enfe confacrant au culte de Fo fe foujlraire

pour toujours aux devoirs pénibles de mères de famille pourvivre plufieurs enfemble dans l'oifîveté & le célibat,

L V I.YU-TCHÉ-KOUNG Guerrier.

Yu-tché-koung connu dans FHiftoire fous le nom de Yu-îchè-kïng-té ou fimplement de King-té etoit Tartare d'ori-gine. Accoutumé dès fa jeuneffe à braver les intempériesde l'air dans les exercices de la chaffé ou à la guerre

9il en avoit contracté une force de corps qui le rendoit propreà toutes fortes de fatigues & une intrépidité qui le rendoitfupérieur à tous les dangers.

Sur la fin du regne du dernier Empereur des Soui lorfqueles révoltes eclatoient dans toutes les parties de l'Empire, un

REMARQUES.dans les différens Palais de l'Em-pereur Yang-ty des Soui fut raf-femblé dans des lieux de retraiteoù on leur bâtit des Temples pourbrûler des odeurs & où il leurfut permis d'honorerd'unculte par-ticulierl'objetqu'elles encroyoientle plus digne, ou qui feroit le plusde leur goût. On trouve cette anec-dote dans le livre qui traite desdifférens etabliffemensdes Bonzesdepuis les Han & des Bonzeffesdepuis les Tang.

J'ai oublié de dire en fon lieuque Tay tfouig pour confacrerla mémoire des grands hom-mes de tout genre qui brilloientfous fon regne fit conftruire une

Salle à laquelle il donna le nomLing-yen-kou. Il y plaça les Por-traits de Tchang-fun-ou-ki Ly-hiao-koung, Tou-jou-hoei Ouei-tchengFang-hiuen-ling Kao-ché-lien Yu-tché-king-tê Ly tfzng Siao-yuTouen-tchi-Jiuen Lieou-houng-kiK-LU-lou-toung Yn-kai-chan TJai-chao, Tchang-fun-chun-tê Tchang-leang, Htou-kiun-tfi Tchang-koung-kin, Tcheng-tchê-tjié Yu-chi-nanLieou-tcheng-hoei Tang-kkn Ly-che-tjîy Tfin-chou- .pao, parce qu'ilsetoient plus connus, & qu'ils pou-voient fervir de modèle dans legenrequi les diftinguoit. C'eft fousla quatrième année de Tay-tfoungque l'Hiitoire rapporte ce fait.

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petit Tyran, du nom de Lieou-ou.-tch.eou voulut profiter de.

ces troubles pour fe faire une Principauté dans le Chan-ji.-

Les Tou-kiué du Nord lui donnerent du fecours tant pourcontre-balancer la puiffance des Tang qui commençoit à les~nrr.,t~t"~r ftyP d`tn~ le de=iPÿn -I-- C'~0't"~1,rt;r Pt~ x ti vinquiéter que dans le deiTein de s'agrandir eux-mêmes auxdépens des Chinois. Yu-tché-kuig-tê fe joignit à eux & allafervir fous Lieou-oa-tcheou. Celui-ci en fit un de fes Généraux,qui rangea différentes villes fous fon obéiffance & le mit'en

etat de fe faire un Royaume affea confidérable pour aller depair avec les plus floriffans de la Tartarie. Les Tou-kiué lui'

donnerent le titre de Ko-han & lui rendirent tous les hon-

neurs dus aux Souverains.Le nouveau Ko-han grofliffoit chaque jour le nombre de

fes fujets -r il eut jufqu'à trois armées fur pied. L'Empereur desTang qui etoit occupé à ranger fous fon obéiffance les plusbelles Provinces de l'Empire fembloit dans les commence-mens ne vouloir prendre aucune part à ce qui fe paffoit ducôté du Nord mais quand il fut,une fois maître de ce qu'illui importoit le plus d'affujettir il tourna fes armes contreLieou-ou-tcheou. Il etoit tems qu'il s'oppofât à un Concurrentqui foutenu par les Tartares & fécondé par la valeur & l'expé-rience d'un Capitaine tel que Yu-tché-king-tê eût eté bientôt

en etat de lui difputer l'Empire.Il fait partir Ly-chi-min à la tête de l'elite de fes Guerriers.

Ce jeune Héros que la viftoire fuivoit par-tout, eut tout lefuccès qu'on avoit lieu d'attendre de lui. Il battit dans toutes lesoccafions les troupes du Ko-han & ce qu'il regarda commela plus grande & la plus utile de fes viftoires il gagna le

cœur & l'eftime de Yu-tché-king-ti.L'anfix cent vingt de l'Ere Chrétienne, troifieme du regne de

Ou-tê, le Prince Ly-ché-min ayant remporté' une vidtoire com-plète fur l'armée de Lieou-oU'tchecu commandée par les

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Généraux Siun-fiang & S oung-kin-kang fe, montra lî granddans cette occafion que les vaincus eux-mêmes le regarde-rent comme le premier homme de guerre de fon fîecle. Plu-iieurs demandèrent à être incorporés dans fes troupes pouravoir l'avantage de fervir fous lui.

Yu-tché-king-tê à la tête de huit mille hommes, venoit aufecours des fiens. Les trouvant défaits il ne pouvoit com-prendre comment Ly-ché-min avoit pu le prévenir. Il fentitdès-lors que l'Empire du monde etoit réfervé à ce Héros

comme au plus digne de le gouverner. Il ne s'etoit mis aufervice de Lieou-ou-tchcou que parce qu'il falloit prendre

un parti dans un tems où tout etoit en armes. Lieou-ou-tc/ieou,foutenu par les Tartares etoit d'ailleurs à fa portée. N'ayantaucun intérêt particulier à le foutenir il l'abandonna dès qu'ille vit abattu de manière à ne pouvoir plus fe relever. Qu'eût-il pu faire avec fes huit mille hommes contre la fortune deLy-ché-min ? Il prit le feul parti qu'il eût à prendre; il quitta lerebelle & fe mit à la diferétion du Héros.

Ly-chè-mln le reçut avec diftinclion il incorpora fes trou-pes dans fon armée r & lui laiffa le commandement des mêmeshommes avec lefquels il s'etoit donné à lui.. L' acquijîtion queje viens de fail-e, de Yu-tché-king-tê dit-il,

mefait plus de

plaijîr que la double victoire que je viens de remporter ;& jecompte qu'elle me fera plus utile. Yu-tché-king-tê n'eut plusd'intérêt que celui de fon maître. Il devint l'exécuteur de tousfes ordres fon fidele gardien Son intrépide défenfeur. Il lutfauva deux fois la vie dans les combats.. Deux fois encore ille dégagea d'une foule d'ennemis qui etoient fur le point del'enlever. Rien ne mettoit obftacle à fon courage rien n'etoitau-deffus de Ces forces quand il s'agiffoit du fervice & dela gloire de celui à qui il s'etoit voué.

De la part de Ly-ché-min l'attachement etoit réciproque»

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Ly-ché-min toutefois etoit Prince > fils du Souverain. Yu-tché-king-tê fans autre titre que fon mérite perfonnel etoit fonami & prefque fon egal à la Cour ainfi qu'à l'armée.

Lorfque le Prince héritier & Li-yuen-ki fon cadet vouèrentattenter à la vie de Ly-ché-min leur frere ils crurent que rien

ne leur feroit poffible s'ils ne détachoient pas de ton fervicele brave Yu-ché-king-té. Ils n'oublierent rien pour en venir àbout. Ils le firent folliciter ils lui firent efpérer la plus bril-lante fortune ils envoyerent même dans fa maifon un charriotchargé d'or en le priant de l'accepter comme un gage de leuramitié & comme un foible commencement de ce qu'ils vou-loient faire- pour lui. Le fidele King-tê renvoya le préfent &redoubla de vigilance auprès de fon maître, Soye^ fur vosgardes, lui difoit-il vos frères vous tendent des pièges ils enveulent à vos jours. Déjà ils ontfait des efforts pour vous noircirdans l'efprit de £ Empereur votre pere & puif qu'il faut que jevous le dife,ils en font venus jufqu à envoyer che^ moi des tréfors.Mon brave King-tê lui réponditLy-ché-min ton cœur efl plus

-haut que les montagnes il efl impénétrable comme l'acier. Necrains rien pour moi mon pere me connoit & je n'ai rien à

me reprocher. Pour ce qui efl de mes frères ils ne font bonsqu'à nouer des intrigues avec les femmes du Palais. Sachant

que tout le militaire efl fous mes ordres & que d'un feul motje puis armer dix mille bras il ne leur viendra pas même enpenfée de vouloir ufer de violence à mon egard.

Perfuadé de cette idée Ly-ché-min vivoit dans la plusgrande fécurité. Mais tous fes amis trembloient pour lui. Yu'tché-king-tê plus que tous les autres veilloit fans celle à ladéfenfe de l'on maître.

Letemsvintenfin où laperfidie des Princes parut à découvert.Il n'y avoit pas deux partis à prendre il falloit, ou fe laiffermaffacrer ou fe défendre. King-tê ne s'oublia pas dans cette

occafion.

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occafion. Il difpofa des foidats pour lui prêter main-forte encas de befoin s'arma de pied en cap & avec cet air fier& intrépide qui faifoit trembler l'ennemi devant lui il ferendit avec Ly-cké-min dans le lieu même où les conjurésdevoient exécuter leur complot.

Dans ce combat d'un nouveau genre la victoire ne futpas long-tems douteufe. Ly-chê-min abattit de fa propre mainle Prince héritier fon agreffeur Yu-ché-king-tê perça d'un defes traits le Prince Li-yuen-ki.

Après cette fanglante fcène il s'agiffoit d'annoncer à l'Em-pereur la mort tragique de deux de fes fils. Yu-tché-king-têofa fe charger de cette commiffion. Sachant bien qu'il s'ex-pofoit à devenir la trille viftime des premiers mouvemens &de la douleur d'un pere il entre dans le Palais tout armé &dit à l'Empereur que de trois fils qu'il avoit le momentd'auparavant il ne lui en reftoit plus qu'un. Prêt à donnerfa propre vie pour celle de Ly-ché-min il entreprend de lejuftifier & il en vient à bout. J'ai détaillé fous le Portrait deKao-tfou la maniere dont tout cela fe paffa.

L'Hiftoire finit par ce trait le récit de ce qui concerne cebrave & ne fait prefque plus mention de lui durant tout le

cours des deux regnes fous lefquels il a vécu. Comme il etoitetranger qu'il n'etoit qu'homme de guerre qu'il n'a pointcommandé d'armée en chef & que toutes fes aftions font,pour ainfi dire confondues dans celles du grand Tay-tfoungdont il etoit comme le bras droit pour toutes les opérationsmilitaires, les Lettrés de la première .claffe n'ont pas daignés'occuper de lui. On ne trouve des détails fur fes hauts faits

il

que dans des Auteurs du dernier ordre. Comme ce qu'ils endifent n'efl: pas marqué à un coin de vraifemblance qui puiffe

engager à les en croire fur leur parole je m'abftiendrai deles rapporter ici.

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J'ajouterai feulementque le Souverain & la nation entiere;

en plaçant le nom de Yu-tché-king-tê à côté des plus illuftres,

ont en quelque forte vengé ce grand Guerrier de l'indifférence

que les gens de Lettres ont témoignée à fon égard. Le Sou-verain le décora de fon vivant le créa Prince des Royaumesde Ou & de Ngao & la nation après fa mort lui a affigné

une place parmi les efprits tutélaires de la Chine. Pour rendre

un hommage éternel à fa valeur à fa fidélité à fa vigilancequi quatre fois empêchèrent le grand Tay-tfoung de fuc-comber fous les efforts des ennemis qui le mirent à couvertde la trahifon de fes frères, & des embûches de fes envieux,elle lui a confié le foin de défendre les maifons contre lesbrigands & les malfaiteurs. Aujourd'hui même on place lePortrait de Yu-tché-koung fur les principales portes d'entrée& ce Portrait, peint dans tout l'appareil militaire, eft capable.d'effrayer les méchans.

LVIiFANG-HIUEN-LING Miniftre.

Fang etoit le nom de fa famille fon nom propre HLuen-ling & fon furnom Kiao. Il naquit à Lhig-tjt. Il fit tant deprogrès dans fes études qu'il fut reçu Doaeur à dix-huit ans.L'étude de la fageffe, de la politique & même de l'art mili-taire, ne l'occupa pas moins que celle des Lettres.

Son mérite perça bientôt jufqu'à Ly-clié-nzin. Chargé parKao-tfou fon père de la partie du Gouvernement qui avoitrapport aux Lettres, ce Prince jetta les yeux fur Fang-hiuen-ling pour exécuter les projets qu'il avoit formés.

Fang-hiuen-ling fit honneur au choix du Prince. Il fit plus

avec fon Jeul pinceau & par fes écrits en faveur de la maifort

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1Bb ij

des Tang qui occupoit tout récemment le Trône que nefirent les Ly-timg les Ly-ché-tfi & les autres Guerriers fameuxà la tête d'un million de combattans, C'eft Tay-tfoung lui-mêmequi l'honore de cet eloge non pas que Fang-hiuan-ling nefût auffi fe fervir des armes. Pendant un grand nombre d'an-nées qu'il commanda furies frontieres avec le titre de Général,il fut contenir les Tartares empêcher leurs excurfions &même les repouffer bien avant dans leurs terres. Enfin il paiTa'

par tous les emplois militaires & civils & ce qui fe trouverarement dans le même homme il les remplit tous avec dis-tinclion.

Ce fut lui qui introduifit à la Cour les Chrétiens Neftoriensqui vinrent à la Chine fous la conduite d'Olopen & fon peutcroire qu'il les favorifa de tout fon crédit.

Parvenu à la foixante-onzieme année de fon âge il futatteint d'une maladie qui fit craindre pour fes jours. Le grandTay-tfoung daigna le vifiter plufieurs fois mais comme iln'etoit pas de la décence qu'un Empereur fe tranfportât fou-

vent dans la maifon d'un de fes fujets ce Prince fit trani-

porter le malade dans l'une de fes maifons de plaifance nom-mée Yu-hoa-koung, fous prétexte que l'air qu'on y refpiroit

etant meilleur que celui de la ville il pourroit plutôt s'y réta-blir que dans fa propre maifon. Son véritable motif commeperfonne n'en douta fut qu'il vouloit profiter encore de feslumieres.

Touché des bontés de fon maître Fang-hiuen-lingne crutpas pouvoir lui mieux témoigner fa reconnoiffance qu'en luidifant avec fincérité ce que perfonne n'auroit peut-être ofélui dire. A peine eut-il pris poffeffion de l'appartement quel'Empereur lui cédoit dans fon Palais de Yu-hoa-koung qu'ilprofita du peu de forces qui lui reftoit pour faire fes derniersadieux d'une maniere utile. Il affembla fes enfans & leur dit

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U Empereur m'a comblé de fes bienfaits- jufqu'à ce jour enemployant mes foibles talens pour jon fervice. Je n'aifait quelui témoigner une partie de la reconnoijfance que je lui dois.La maifon des Tang occupe aujourd'hui le Trône de maniere

à le conferver bien des fïedes pourvu que les fages réglemens

qu'elle a faits pour maintenir le bon ordre tant au dehors qu'audedans } continuent à être obfervés. Tout l'Empire ejl en paix

tous nos voifins font tranquilles & foumis à l'exception de

ceux qui font au-delà^ de la mer à l'Orient de la Chine. L'Em-

pereur sobfiine à vouloir châtier les Coréens & c'ejlpour cettefeule raifon qu'il ?î a pas encore pofé les armes. Tous les Grandsle défapprouvent mais aucun d'eux n'ofe s'oppofer ouvertementà fes deffeins. Je fais' ce que tout le monde en penfe. Puis-je

me difpenfer de faire un dernier effort pour tâcher de faire ren-trer en lui-même un Prince qui ne veut que connaître fa faute

pour s'en corriger ? Celle que je ferois moi-même en gardant leJîlence me Jeroa juflementreprochée au-delà du tombeau. Ecrive^

ce que je vais vous dicter. Je lui prêf enter ai cet ecrit la premierefois qu'il me fera l'honneur de me venir vifiter.

« Il n'y a point de honte dit Lao-tfée, à /avoir fe contenter:» l'on fe met à couvert de bien des maux quand on fait céder» à propos. Vous devez être content Seigneur du grand

» nom que vous vous êtes fait & de la gloire que tant de

» belles aftions vous ont juftement acquife il eft tems de» mettre fin à vos conquêtes & de ne plus etendre les fron-» tieres de vos etats. Un exemple pris dans vos fages régle-

» mens même vous expliquera ce que je veux dire & vous» en fera fentir le vrai.

Vous avez déterminé qu'avant de juger un criminel, pré-

» fumé digne du dernier fupplice on vînt jufqu'à trois fois

» à la révifion des pieces & qu'après le jugement porté on» vous avertît jufqu'à cinq fois avant que de vous faire fîgneï

Page 205: Memoires concernant les chinoise 5

» un Arrêt de mort. Vous avez réglé que le jour de l'exécu-

» tion, il n'y auroit aucune mufique, qu'on garderoit le jeûne

» & qu'on fe conduiroit dans tout le refte comme dans les» jours de deuil. En cela Seigneur vous avez donné des

preuves que vous regardiez la vie des hommes comme ce» qu'il y a de plus précieux dans le monde.

» Eh quoi vous qui avez pris tant de précautions pour» affurer la vie d'un criminel fuppofé que fon crime ne fût

» pas tout-à-fait de nature à la lui faire perdre vous qui êtes

» fi attentif d'ailleurs à procurer aux hommes tout ce qui peut» contribuer à les rendre heureux vous ne craignez pas d'expo-» fer à une mort certaine plufieurs milliers d'innocens en». entreprenant de nouveau une guerre qui n'eft néceffaire ni» pour votre gloire particuliere ni pour le bien général de

»vos fujets ?

» Ah Prince ne permettez pas que l'appât d'une fauffe» gloire étouffe dans votre cœur ces fentimens de bienfaifance

>t& d'humanité qui en occupoient ci-devant toute l'étendue»

» Les Coréens ne cherchent qu'à vivre en paix avec le Royau-

» me du milieu. S'ils ont manqué à fon égard ce n'eft que» du tems des Soui. Depuis que vous êtes fur le Trône ils» n'ont rien fait qui ait pu leur attirer votre indignation. Ce» dont fe plaignent ceux de Sin-to n'eft pas digne de votre» attention.Pourquoi vouloir venger une querelle de la dynaflie

» que vous avez remplacée ? pourquoi vouloir favorifer à vos» dépens une haine étrangère ?r

»Vous ne pouvez leur faire légitimement la guerre que» pour quelqu'une de ces trois raifons. Si les Coréens font

» afîez mal avifés que de vouloir fe fouftraire à la préémi-

» nence qu'ils doivent reconnoîtrë en vous il vous eft permis» de faire marcher vos troupes contr'eux afin de les 'faire

» rentrer dans le devoir. S'ils viennent infulter vos frontieres

Page 206: Memoires concernant les chinoise 5

» & faire des ravages dans les poffeffions de vos fujets, vous» pouvez envoyer vos guerriers pour tâcher de les détruire» comme on détruit les malfaiteurs. Si en les lainant tran-» quilles vous êtes comme certain qu'ils profiteront du repos

que vous leur lainez pour vous nuire dans la fuite & por-» ter de grands préjudices à l'Empire fans qu'il foit poffible

» alors de les éviter rien de plus jufte que de faire tomber fur

» des hommes iniques les maux dont ils vous accableroient,» iî vous ne preniez les devants.

» J'ofe Seigneur vous le dire ici les cirçonftances où

» vous vous trouvez vis-à-vis des Coréens ne font pas de» celles qui puiffent vous autorifer à lever avec des frais im-

» menfes de nombreufes armées pour aller porter la guerre» chez eux. Laiffez-les donc en paix. Licenciez vos troupes

» & pour leur ôter tout fujet de défiance faites brûler tous» ces vaiffeaux conftruits par vos ordres dans le deffein que» vous avez formé de les attaquer auffi par mer. Une pareille

» conduite après tous les préparatifs que vous avez faits

» vous fera infiniment plus glorieufe que toutes les victoires

» que vous pourriez remporter. Les peuples etrangers qui

» pourroient vous foupçonner d'avoir trop d'ambition dépo-» feront leur doute & vous en refpe&eront davantage

5

» & vos fujets que vous laifferez jouir tranquillement de

» toutes les douceurs de la paix vous regarderont comme» leur protecteur & leur pere. Ils infpireront de bonne heure

» à leurs enfans tous les fentimensd'une tendre reconnoiffance.

->>En leur racontant les merveilles de votre règne ils leur par-

*> leront auffi de votre modération & ne manqueront pas de

*»leur dire que vous avez facrifié jufqu'à vos penchans pour

» leur procurer le bonheur dont ils jouiffent. Voiià Seigneur,» ce que j'ai cru devoir vous repréfenter avant que. de me» féparer de vous pour toujours. Je vais rentrer dans la terre;

Page 207: Memoires concernant les chinoise 5

» fi j'obtiens en mourant ce que j'ofe vous demander ici,» avec toutes les inftances dont je fuis capable la joie que» j'en reffentirai rendra mon corps même incorruptible dans

» le. tombeau ».L'Empereur vint, ce jour-là même vifiter fon malade,

Fang-hiuen-ling lui remit cet écrit & en le lui remettant,il lui en dit à-peu-près le contenu, autant que fes forces

purent le lui permettre. Comme il s'attendrifïbit en parlant& que fes paroles etoient entrecoupées par fes fanglotsTay-tfoung s'attendrit lui-même jufqu'aux larmes. Il connutdans ce moment, mieux qu'il ne l'avoit fait jufqu'alors, toutle prix de celui qu'il alloit perdre, il en fut pénétré jufqu'àne pouvoir parler. Il prit les mains de Fang-hiuen-ling leslui ferra, en figne d'approbation, & fe retira tout de fuitepour s'épargner la douleur de le voir expirer. Ce fut là ledernier entretien qu'il eut avec fon fage Miniftre. Ce ref-peftabie vieillard rendit peu après les derniers foupirs ilfut pleuré par fon maître.

Tay-tfoung avoit contraclé avec lui, une double alliance,en époufant une de fes filles à laquelle il donna le titre deReine, & en donnant une Princeffe de fon fang pour légi-time époufe à fon fils. C'eft en considération de cette alliance

que Fang- hiuen ling fut élevé à la dignité de Prince deLeang mais il ne dut qu'à fon mérite perfonnel, la confidéra-tion, l'eftime, &, je puis dire, l'affeâion cordiale dontles liens ainfi que les étrangers l'honorèrent toujours.L'Empereur ajouta à tous les titres dont iljouiffoit de fonvivant celui de Ouen-tchao qui fignifie Prince de l'Eloquence

5

& voulut que fon corps fût enterré à Tchae-ling non loinde l'endroit où repofoient les cendres de Kao-tfou fon père ic'etoit infinuer qu'il vouloit qu'on le regardât dans les fieclesà venir comme le fecond fondateur de fa dynaftie.

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On remarque que ce grand homme, pendant plus de

trente ans qu'il a exercé les premiers emplois de l'Empire,n'a jamais nui volontairement à qui que ce fût. On ajoute,ce qui eft, encore plus rare qu'il n'eft jamais forti- defa bouche aucune parole dont on pût raifonnablement s'of-fenfer. Si en vertu du crédit qu'il avoit fur l'efprit de fon maî-

tre, & pour remplir des obligations impofées par les diffé-

rentes charges dont il etoit revêtu il lui arrivoit quelque-fois de s'oppofer à l'élévation de. quelque fujet indigne il nefe croyoit pas pour cela en droit de tarir à fon égard la fourcedes graces. Perfuadé qu'un homme qui eft incapable de rem-plir certains emplois peut être propre à en remplir d'autres

sil ne lui donnoit point une exclufion générale convaincuqu'un mot de trop devant celui qui peut tout fuffit pour per-dre quelqu'un il ne difoit que ce qu'il ne pouvoit taire, fans

manquer à fon Prince à la Patrie ou à fon devoir. Maximeexcellente qui devroit être gravée dans tous les cœurs & mife

en pratique plus particulièrement encore par les hommesd'Etat.

di,L V I I L

TOU-JOU-HOEI, Miniftre.

Le nom de fa famille etoit Tou, fon nom propre Jon-hoei^

& fon furnom Ke-ming. Il etoit originaire de Tou-ling. II

avoit naturellement beaucoup d'efprif & s'etant appliqué debonne heure à l'étude il devint un des plus favans hommesde fon fiecle. Le hazard féconda fon mérite, & fit feul toutefa fortune car il n'etoit pas homme à fe faire valoir, encoremoins à employer la brigue pour s'elever.

Il commença par être Mandarin fubalterne dans le tribunaldes Rits. Quelques Grands eurent occafion de le connoitre

&

Page 209: Memoires concernant les chinoise 5

& crurent qu'il etoit fait pour remplir des -emplois plus impor..

tans. Ils lui en procurèrent de différens genres & ils eurentla fatisfa6tion de l'y voir fe conduire avec un défintéreffe-ïnent une intégrité & une facilité qui firent honneur à leurchoix. Ce qu'ils admirerent le plus en lui fut le talent d'em-ployer toujours à propos les moyens les plus prompts & lesplus efficaces pour faire réunir une entreprife.

Tou-jou-hoei etoit outre cela d'une fermeté & d'une conf-tance à toute épreuve. Il contribua beaucoup tant par fesecrits que par fes confeils à affermir la puiffance des Tang,dans le tems que leur dynaftie commençoit à s'elever fur lesdébris de celle des Soui. Tay-tfoung qui fe connoiflbit enmérite & qui favoit tirer parti des talens l'appella à la Courdès qu'il fut monté lui-même fur le Trône. Il le mit à la têtedes affaires conjointement avec Fang hiuen- ling. Ces deuxgrands Miniftres etoient faits pour être ensemble & pour fefervir de contre-poids l'un à l'autre. Fang-hiuen-ling n'avoitd'autres défauts que celui d'être un peu trop bon & Tou-jou-hoei etoit ferme jufqu'à la févérité. Ces deux défauts danscfeux Miniftres qui travailloient de concert, tournoientà l'avan-tage de l'Etat en fe corrigeant l'un par l'autre. Fang-hiueifling etoit merveilleux pour enfanter des projets utiles, & Tou-jou-hoei qui pour l'ordinaire fe chargeoit de l'exécutionetoit admirable pour les faire réuffir. Le premier faifoit detrès-beaux régièmens & le fecond les faifoit très-bien garder.La poftérité les regarde encore comme deux des plus grandsMiniftres qu'ait eus la Chine. Elle place toujours leurs nomsà côté l'un de l'autre quand elle parle des hommes illuftresqui ont fleuri fous les Tang.

Tay-tfoung fit. à Tou-jou-hoei le même honneur qu'il avoitfait à Tang-hiuen-ling en donnant en mariage à fon fils une.Princeffe de fon fang Se en l'elevant lui-même à la dignité

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de Prince de Lai. Tou-jou-hoel mourut âgé de quarante-fix

ans.L 1 X.

LY-T S I N G, Guerrier.

Le nom de fa famille etoit Ly fon- nom propre Tfmg &fon furnom Yo-che. Il naquit à San-yuen de la Province duCken-jî. Dès ton enfance il donna des marques d'un couragepeu ordinaire à cet âge. Il ne craignoit aucun de ces animauxqui peuvent faire du mal. Quand on le menaçoit du tigre ildemandoit qu'on le lui fît voir pour effayer difoit-il s'il nepourroit pas le tuer. Un de fes oncles maternels nommé Han-tjin-hou militaire charmé des difpofitions de fon neveuvoulut fe charger de fon éducation pour le faire entrer quandil en feroit tems dans la carriere où il etoit lui-même.

Dès que Ly-tfing eut pris quelque teinture des Lettres onlui mit entre les mains les Livres qui traitent de l'Art militaire;il les dévoroit & faifoit de lui-même, fes réflexions & fes

remarques. Il fit en peu de tems de fi grands progrès qu'ilne fe trouvoit aucun article dans les ouvrages de Sun-tfée &de Ou-tfee dont il ne fût en état de rendre raifon. On enconclut dans fa famille qu'il etoit fait pour la guerre. Il nes'agiffoit plus que de le mettre dans l'occafion d'exercer fontalent.

Son oncle Ha.n-tfin.-hou lui procura une place d'Officierdans le grade inférieur. Son application à fes devoirs fonexactitude à les remplir, lui attirèrent bientôt l'eftime des Chefs,qui dans prefque toutes les occafions lui donnoient une pré-férence marquée fur fes egaux fur-tout lorfqu'ii s'agiiîbit d'unfervice un peu délicat. Il acquit bientôt par l'expérience unefupériorité à laquelle on crut pouvoir confier les emplois les?lus irnpoitans.

Page 211: Memoires concernant les chinoise 5

Sur la fin du règne de Yang-ty Empereur des Soui ondonna à Ly-t/ingls commandement d'un petit corps de troupesfur les frontieres, du côté de la Tartarie. Sa vigilance lui fittdécouvrir des liaifons qui cornmençoient à fe former entre lesTartares & les amis de Li-yuen. Il entra en défiance &éclaira de plus près une conduite qu'il tenoit déjà pour fufpe&e.Il ne fut pas long-tems fans être au fait de ce qui fe tramoiten faveur du Comte de Tang. Il crut devoir en avertir fonmaître. Il lui ecrivit fur cela une Lettre fort détaillée danslaquelle il marqùoit affez clairement tous les degrés par lef-quels Li-yuen devoit s'élever jufqu'au Trône.

Que peut la prévoyance humaine contre les Arrêts de celuiqui regle tout ? Li-yuen etoit deftiné à régner. Tout concou-roit à lui donner l'Empire & ce qui paroiffoit devoir l'en éloi-

gner, etoit fouvent, même contre fa propre attente ce quile mettoit en voie pour y parvenir. Il lui arriva dans cetteoccafion ce qui lui etoit arrivé dans plafieurs autres non moinscritiques. Sa bonne fortune para le coup qui devoit" le perdre.Le Courier à qui Ly-tjîng avoit confié fa Lettre fut arrêtédans fa route par les grandes eaux qui avoient inondé leschemins. Quelques gens de guerre à la folde de Li-yuen furentarrêtés dans le même lieu pour la même raifon. En s'entrete-

nant enfemble le difcours tomba fur les troubles qui agitoientl'Empire & fur les Chefs des différentes faâions. Le Courier,fans peut-être favoir pourquoi s'avifa de mettre Li-yuen aunombre des perturbateurs. Les Soldats indignés d'entendre ainft

parler de leur Général lui euffent fur le champ fait payerfon indifcrétion s'ils n'avoient craint qu'en maltraitant unhomme chargé des dépêches pour la Cour ils n'orTenfafîent

celui-là même qu'ils vouloient venger. C'ejl à notre Générallui-même, dirent-ils au Courier en s'affurant de fa perfonne

T.

1ue vous rendre{ raifon de ce que vous vene% d'avancer fi

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témérairement & fans fe mettre en peine de ce qu'il pouvoit yavoir d'irrégulier dans leur conduite ils le conduifirent commeils eufient conduit un prifonnier vers celui qu'ils règardoient

comme fon Juge.Li-yuen vit le Courier l'interrogea & voulut fe mettre au

fait par fes propres yeux de ce que Ly-tfîng pouvoit dire defi important à l'Empereur. Il ne fut pas peu furpris en lifant

une Lettre dont il faifoit feul le fujet. Il fe donna bien de gardede l'envoyer à fa deflination & profita des connoiffancesqu'elle lui donnoit cependant le trouble & les révoltes croif-foient de jour en jour dans toutes les parties de l'Empire Ly-tfing fut appellé à Tckang-ngan & Li-yuen fe mit à la têted'un parti. La fortune continuant de favorifer ce dernier ildevint bientôt le plus fort. Il ne combattoit difoit-il, que pourfoutenir la Maifon Impériale, en détruifant l'un après l'autreles rebelles qui cherchoient à la détruire. Il la foutenoit enapparence mais il n'etoit point avoué il prenoit des villes, maisily mettoit'desgarnifons qui ne dépendoient que de lui & quiluietoient entiérement dévouées. Il afliégea Tchang-ngan où lePrince Yang-yeou commandoit alors & s'en rendit maître, II

défendit à fes foldats fous peine de la vie de faire aucunmal aux habitans fe réfervant à lui-même le foin de punir

ceux d'entr'eux qu'il favoit être coupables. Il vouloit parlerde ces Mandarins en particulier qui avoient détruit d'unemaniere indigne la fépulture de fes ancêtres.

Ly-tjîng, comme je l'ai dit avoit été appelle à Tchan-ngan,& il y etoit encore quand cette ville fut prife. Il n'etoit pasdu nombre de ceux qui avoient profané la fépulture des ancê-tres de Li-yuen mais il avoit voulu perdre Li-yuen lui-même,en ecrivant la Lettre qui fut interceptée & Li-yuen, qui nel'avoit pas oublié le fit arrêter comme les autres. Il les fitvenir en fa préfence & après leur avoir fait en général les

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reproches dont il les croyoit dignes, il les condamnatous à la

mort. Ly-tfing elevant alors la voix Comte dit-il à Li-yuenfi vous n'avez pris les armes ainjî que vous le- publie^ que pourappaifer les troubles de /7~e & foutenir la Maifon Impé-riale qui ejl fur le penchant de fa ruine de quel droit ofe\-vouscondamner à la mort des Officiers qui font actuellement fousl'autorité de leur Prince & fervent la Patrie Jî ce n'efi avecfuccès du moins en rempliffant de leur mieux les emplois dontils font chargés ? Et pour m en tenir ici à ce qui me regarde per--fonnellement je vous défie de trouver dans ma conduite de quoi

me faire unjufie reproche. Si des injures perfonnellés ont excité

votre haine; il efi indigne d'un homme d'honneur de profiter dela force qu'il a en main pour s'en venger. Ce n'efi point en répan-dant du fang que vous parviendrei au but que vous vous êtespropofé.

Ly-ché-min qui etoit préfent & qui fe connoiflbit en hom-

mes, juge,a du prix de Ly-tfing par la noble hardiefle aveclaquelle il venoit de s'exprimer. Il le prit fous fa proteâiondemanda fa grace & l'obtint parce qu'il la demandoit en pré-fence de toute l'arTemblée comme un prix de fes propres fer-vices. Puis fe tournant vers Ly-tfing je compte fur votre ami->

tié lui dit-il en lui tendant la main & je vous mettrai dansl'occafion de m'en donner des marques, en remplijfant comme

vous ave^fait jufquici les eniplois que je vous confierai.Peu de jours après Li-yuen fit proclamer Empereurle jeune

Prince Tang-yeou fans pour cela dégrader Yang-ty. Il fe con-tenta de prendre pour lui-même les titres de Prince des Tang,premier Miniftre & grand Général de l'Empire & Ly-ché-min

:fit donner à Ly-tfing une place honorable dans le Tribunalde la guerre.

Dans ce pofte où il falloit plus de combinaifon & d'efpricde détail que de bravoure Ly-tfing fe mit au fait de tout ce

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qui concernoit le militaire. Il apprit à cormoître le fort-& lefaible des différens corps la capacité des Officiers qui lescommandoient, & jetta les fondemensdecette théorie profondequi le rendit le premier homme de fon ilecie dans ce qu'onappelle l'art des refïources.

Il contribua par fes confeils à hâter la deftruclion de ceQuang-che-tchoung qui s'etoit fait proclamer Empereur à Lo-

yang. Ce qu'il fuggéra etoit fi bien imaginé, fi bien détaillé& d'une il facile exécution que Ly-che-m'm ne crut pas pou-voir mieux faire que de le mettreen pratique. IU'elevamême

au grade d'Officier général & fenvoya commander fous lePrince Ly-hiao. Ce fut alors que le génie de Ly-tjing fe déve-loppa dans fon entier.

Ly-hiao prit une fi grande confiance en lui qu'il ne faifoitrien fans l'avoir auparavant confulté. Après Ouang-che-tchoung

9le concurrent le plus redoutable qu'eurent les Tang, étoit Siao-Jîen Prince de Leang. Les Etats de ce nouveau Prince etoientdans le Kiang-nan & défendus .par le grand fleuve qui adonné fon nom à cette contrée. Il n'etoit pas aifé de l'aller atta*quer chez lui encore moins de l'y forcer. Ly-tjing propofaau Prince dix manieres d'en venir à bout & le Prince trouvale projet fi beau qu'il en fit part à l'Empereur. Sa Majeflél'approuva & chargea de l'exécution Ly-hiao conjointement

avec Ly-tjing. Ainfï dans. le même tems que Ly-che-min sein-paroit de Lo-yang capitale de l'Empire fous les Soui enmettant en œuvre ce qui lui avoit été fuggéré par Ly-tjing leprince Ly-hiao en fuivant la direction du même Ly-tjing ?

te difpofoit à fe rendre maître des Etats de Leang.Cejlpar le Kiang dit Ly-tfing au Prince cejl par cefleuvee

que Siao-lîen regarde comme une barrière impénétrable qu'ilfaut aller à lui. Faljons conjïruire des barques armons-les eu

guerre t & je vous réponds dufuccès. Ly-hiao le crut conftruifiç

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des bateaux & s'embarqua fur le Kiang donnant à Ly-tfmg

toute la conduite de cette importante emreprife.Le Kiang etoit fi fort débordé qu'on avoit peine à distin-

guer fon lit d'avec les eaux qui inondoient la campagne. LesOfficiers généraux etoient tous #avis qu'on attendît mais lafermeté de Ly-tfing l'emporta Prince dit-il à Ly-hiao lacélérité dans £ exécution efl la plus ejfenuelle de toutes les qualités

que doit avoir un Général. Nous n'avons pas un moment à per-dre finous voulons réujjtr partons, A l'inftânt il fait donner'le fignal. .

Ce ne fut qu'avec des peines incroyables qu'ils tinrent boutde remonter le fleuve. Ils arriverent enfin dans les Etats de Siao-fien. Ils forcerent en paflant les fortereffes de King-mew& deY-ton-, les détruifirent & firent la garnifon prifonnïere '& enpeu de jours ils fe trouverent près <¥Y-ling;

Siao-jz-en qui n'avoit pas cru poffible qu'on vînt l'attaquerf

avoit envoyé fes foldats à la culture des terres & n'avoit

retenu que ceux qui etoient néceiTaires pour fa garde & pourles garnifons des. principales villes: À la première nouvelle qu'il

eut de l'arrivée de l'armée des Tring il affembla à la hâte .lé

peu de troupes qui lui reftoit fortit de la ville pour s'oppofe.r

à l'ennemi, ou tout au moins pour lui en impofer', & donnafes ordres pour le-rappel de fes gens de guerre difperfés. -'

Ly-hiao prôpèfôit d'attaquer fur le champ ;Siao-Jten.'Ly-tJîngs'y- oppoiil en difaet qu'il etoit très-dangereux d'aller1, pourainfi dire en défordre epuifé de fatigues contre des gensfrais qui- fe battroient en défefpérés ayant à défendre leurpatrie, leurs pères & leurs enfans Répofons-nous ,di(oit-i[ eta-bliffons notre camp rangeons-nous en bataille puis nous nousbattrons. Je connois parfaitement' ceux contre qui noies devonscombattre. Ils font terribles dam- le choc lorsqu'ils n'ont pas eule iems de réfléchir pouf craindre mais la réflexion leur fait

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perdre courage & cejl fârement les vaincre que de fe montrerquelque tems à eux en difpojîtion de les attaquer. Je ne vouscomprends point lui répondit le Prince, il y a peu de jours quevous nous dijîe^ que la célérité dans t exécution ejl une des pre-nzieres qualités du Guerrier ;& vous voulei aujourd'hui qu'on,

traîne en longueur. Je m en tiens à votre premiere maxime &jemarche. Arrêtez, Prince, dit Ly-tfîng vous alle^ vous fairebattre, & perdre tout le fruit d'une campagne que vous pouve^finirirès-glorieufement en différant feulement d'unjour. Vous ne deve%

pas confondre la célérité avec la précipitation aveugle. La pre-miere ejl une. qualité eflimable une vertu dans un Général lafeconde efl un vice dont les effets font toujours funefles.

Ly-hiao n'ecouta rien donna fes ordres & fit force d'avi-

rons pour aller aux ennemis laiffant à Ly-tjîng le foin de l'ar-riere-garde. Ce que celui-ci avoit prévu arriva. Ly-hiao futbattu & mis en défordre. Heureufementque Ly-tfing avec fortarriere-garde vint rétablir le combat. Siao-jîen fut battu à fon

tour & obligé de fe retirer dans fon port. Après cette victoireLy-tjing vint fe pofter fous la ville de Kiang-ling dans uneefpece d'anfe que formoit le fleuve du côté du Midi. Il y prit

une quantité prodigieufe de petits bateaux que les propriétairesavoient abandonnés pour fe mettre en fureté dans la ville.

Ly-tfing propofa au Prince de détacher tous ces bateauxainfi que les barques armées en guerre qu'il avoit pris furSiao-jîen lors du combat d'y en ajouter quelques-unes des{iennes Si. de les abandonner au courant du fleuve. C'efl unmoyen aj outa-t-il de nous rendre en peu de tems maîtres de

tout le paysfans être obligés de faire des jîèges & de livrer descombats & voici comment

Les foldats qui gardent les fortins & les redoutes le long durivage jufqu'à Koui-tcheou etonnés de voir tant de bateauxyuides flotter aux gré des eaux, ne doUteront point que Kiang-»

lin,g

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Hng nefoit pris. Ils- en répandront par-tout la nouvelle & les'troupes qui etoient mandées pour aller à fon fecours riufantpoint, pour s y rendre, de la diligence qu' elles pourraient employer,afin, de ne pas s' expo fer à tomber entre nos mains, nous laifferont

tout le tems qu'il nous faut pour la prendre en effet. Outre celala renommée grofjijfant les objets & empirantfur les premieresnouvelles, répandra bientôt par-tout que c'en ejlfait du Royaumede Leang alors les Gouverneurs des villes regardant commeinutile de vouloir soppofer à la bonne fortune des Tang fetendront à nous àmejure que nous nouspréfenterons ou plutôtviendront s'offrir d'eux-mêmes pour fe faire quelque mériteauprès de nous en nous épargnant la peine d'aller à eux.

A ce difcours tous les Officiers généraux fe récrierent. Aquoi bon dirent-ils prendre des voies extraordinair es quanden fuivant la route battue nous pouvons facilement parvenir auhut? Pourquoi vouloir nous priver des avantages réels que l'ac-quifition de plus de dix mille barques ou bateaux nousprocurefur l'efpérance très-mal fondée d'un bien qui n arrivera pasProfitons pour notre ufage particulier de tous ces navires dedifférente efpece dont nous fommes en poffeffion. Cette contrée

etant une des plus commerçantes de t Empire il neji pas dou-

2eux que nous ne trouvions dans ce qu'ils renferment- de quoi

nous enrichir nous & nos foldats ne f oyons pas fi mal avifés

que de donner aux ennemis ce que nous pouvons garder pournous-mêmes ,• & faifons la guerre en guerriers. Voilà Prince,conclurent-ils en s'adreffant à Ly-hiao quel efi notre fenûment.Et moi répondit Ly-hiao je fuis réfolu de laiffer agir Ly-tfing comme il £ entendra. Je me fuis trop mal trouvé en dernierlieu de n'avoir pas fuivi fon avis pour ofer m'expofer à unnouveau repentir. Alle\ Ly-tfîng intimer en mon nom tous les

ordres que vous jugere^ à propos.Ly-tfing exécuta fon projet & tout arriva comme il l'avoit

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prévu. Les Soldats qui avoient été mandés par Siao-fien effrayéspar tous les bruits qui fe répandoient n'oferent te mettre en

.chemin & après quelques jours Siao-fien craignant tout pourlui-même affembla ton confeil pour prendre une dernièreréfolution. Seigneur lui dit Tchen-ouen-pen vous n'ave^ rien

de mieux à faire que de vous foumettre aux Tang. Je penfe comme

vous répondit Siao-fien. Etant de Viliuflre famille des Leang,je voulois rétablir leur Royaume mais le Ciel en ordonne autre-ment. Je ne gagnerais rien à différer t & j'expof crois mon peupleà toutes les horreurs qu'une guerre malheureufe entraîne après elle.Tout ce qui défend Kiang-ling ejl pris toute communication avecle refîe de mes Etats m'efl ôtée. Allons de ce pas avenir mes ancê-

tres, offrons-leur un bœuf pour victime & allons implorer en faveur

de mon peuple la clémence du vainqueur.Le lendemain Siao-fzen ayant pris des habits de deuil & le

bonnet de toiie fur fa tête fortit de la ville accompagné -defes Grands & alla fe préfenter à la porte du camp que Ly-hiao venoit d'établir dans le deffein de commencer le fiege. Jsviens me mettre à votre diferétton dit-il à Ly-hiao fi vous ave^ àfaire mourir quelqu'un que ce j oit moi. Je fuis le feul coupable.

Mon peuple n'a d'autre crime que d'avoir cédé à la force. Epar-gne^-le ,-c'efl la feule grâce que je demande en me foumettant àl'Empire des Tang. Vous ire^ à Tchang-ngan répondit Ly-hiao & F Empereur décidera de votre fort. Il donna fur le champfes ordres pour l'y faire conduire en fureté & entra dans laville pour en prendre poffeffion.

Ceux de fon Confeil à l'exception de Ly-tjîng vouloientqu'elle fût livrée au pillage au moins pendant quelques jours.Ils en firent la demande avec de fi grandes inftances queLy-hiao etoit fur le point d'y confentir quand Tchen- ouen-penle fupplia de vouloir bien lui permettre de dire ton avis. Cefage Miniftre de Siao-Jien qui etoit venu à la fuite de fon maître

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pour fe foumettre aux Tang, ne fut pas envoyé comme lui àTchang-ngan. Ly-hiao le gardoit afin de fe mettre au fait parfon moyen de tout ce qui concernoit les Etats de Leang ceCage Miniftre jdis-je,. ayant obtenu permiffion de parler avectoute la liberté néceffaire s'exprima ainfi

SilesJTangfe rendent maîtres avec tant de facilité des Villes &des Provinces qui etoient ci-devant fous la domination des Souiceji qu'ils ont commencépar fe rendre maîtres des cœurs. Le peuplefoulé de mille manieres fous le regne précédent non par l'Empe-

reur, mais par ceux qui. gouvernoient fous fon nom n'attendoit

que l'occajîon favorable pour lecouer un joug odieux. Li-yuenfécondé par fon illuflre fils Ly-ché-min faifant efpérer un gou-vernement doux équitable & calqué fur celui des plus grands Empe<

reurs a fait naître cette occafion. Vous êtes témoin de Vempreffe-

ment avec lequel la plus grandepartie de l'Empire s'ejl déjà rangéefous fes glorieux etendarts. Voudne^-vous en permettant un pillagequi dans la réaliténe Jera pas d'un grand profit à ceux qui le feront

& qui très-certainement ne produira aucune forte d'avantage à votremaître voudrie^-vous dis-je lui enlever des cœurs qui lui fontdéjà acquis ?

Je connois les peuples du Kiang-nan ils aiment naturellementleur Prince ,.ils lejervent avec fidélité ilneflrien qu'ils ne fajfent

pour lui plaire quand ils en font bien traités. Ils facrifieroient toutjufqu'leur propreperfonne pour remplir,^jufqu' au dernier, tousles devoirs de Jujets mais quand une fois ces mêmes hommes fecroient maltraités injuflement ils deviennent indociles & mutins

ils cabalent & n'attendent plus qu'un Chef pour fe révolter.

Vos foldats ont effuyé des travaux immenfes pour venir jufqu' ici,Ilejî jufte de les récompenfer. Livres-leur la ville au pillagemaisil faudra les y laiffer toujours armés pour contenir fans ceffe les

habuans dans le devoir & appellerd'autres armées pour demeurer

de même dans les autres villes après que vous les aure^ conquifes j

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car ne croye^ pas quelles fe donnent comme nous avons fait fil'ony apprend que nous avons eté traités avec la même rigueur quefi vous nous avie^ pris d'a~'aut & dans le tems qrce l'illr~re Ly-ché-rain fait trouver l'art de faire baifer avec tendrejfe les chaînesdont il lie les nouveaux- fujets qu'il acquiert chaque jour à fa mai-fon, faites de votre côté faites détejler le joug que vous, impofe^

en fon nom.Cé difcours prononcé avec force & appuyé par quelques

autres raifons qu'ajouta Ly-tfing eut tout fon effet fur l'efpritdu Prince Ly-hiao. Il conclut que fes foldats entreroient dansla ville en amis, & dérendit fous les plus rigoureufes peines,qu'il fût fait le moindre dommage aux habitans. Les Officiersgénéraux demanderent qu'au moins on donnât aux troupes les

terres maifons & tout ce qui avoit appartenu à ceux desfujets de Siao-ficn qui etoient morts les armes à la main encombattant contre les Tang.

Ce que vous demande^ dit Ly-tfing en les interrompant efl

une injttjlice pins criante encore que celle que vous vouhe^ d'abord.Tous les Guerriers qui font morts en ddfendant les intérêts de celuiqu'ils regardaient comme leur Souverain font morts victimes deleur devoir. Ils méritent que nous honorions leur mémoire de noséloges & que nous pleurions fur leurs cendres, comme nous ferionsfur celles de nos propres compagnons, Pendant que tout etoit enrumeur dans l'Empire, & que les Soui abandonnaient pour ainfldire le Trône pour être la proie du premier venu ewit-ce auxparticuliers qu'il appai-tenoit de difeuter les droits de tous ceux quï

y prètendoient ? Il leur falloit un Chef, ils fe font donnés à celuiqu'ils ont cru légitime. Déplorons leur erreur mais en même tems[oyons pleins d'ejlime pour leur fidélité & refpeilons leur mémoire.

Je fuis de votre avis dit le Prince à Ly-rfîng. Je me déchargefur vous du foin de faire garder le bon ordre. Faites enfortequon fe félicite de nous avoir pour maîtres.

Page 221: Memoires concernant les chinoise 5

Ly-tjîng fit entrer les troupes dans la ville & tout s'y paffa

avec la même tranquillité que fi elles euffent eté à Tclzang-

ngan même fous les yeux de l'Empereur. De cette prodigieufequantité -de denrées & de marchandises de toute ejpece dont cetteville une des plus grandes alors & des plus commerçantes de laChine, etoit remplie tant de joldats armés n'enlevèrent pas deforce la moindre chofe. Le commerce fut rétabli comme en pleinepaix & tout alla foti train ordinaire mieùx encore qu'au-

paravant.La nouvelle de cette conduite fe répandit en même tems

que celle de la prife de Siao-Jîen & de la capitale de fes Etats,& attira plus de fidèles fujets à la nouvelle dynaftie quen'euffeut pu faire dix batailles gagnées. Les Gouverneurs deplus de cinquante Villes ou Citadelles vinrent d'eux-mêmesles uns après les autrespour fe foumettre aux Tang. Ly-tfi-tché,Gouverneur général de Koui-tcheou pour le Roi de Leang

amena lui-même toutes les troupes de fon département pourêtre incorporées dans celles de Ly-hiao. Tous les Commandansparticuliers depuis Koui-tcheou jufqu'àen firent demême, ,&Ly-tJîngsetzm. mis en campagne, tout ce qui reftoitfut bientôt conquis. C'e:lt ainfi que par l'habileté d'un feulhomme la nouvelle dynaftie fubjugua,fans prefque répandrede fang, celle des Provinces de l'Empire, qui par fa fituaùonfes richeffes & les arrangemens qu'elle avoit déjà pris pou-voit fe maintenir long-tems dans l'indépendance & faire unRoyaume à part. Outre les cinquante villes ou fortereffes

c'eft-à-dire outre les villes du premier ordre & les placesfortes dont j'ai parlé plus haut il y avoit encore dans ce queSiao-Jîen avoit pris pour en former les Etats de Leang, quatre-vingt-feize villes du fecond ordre, lefquelies avoient, chacunedans leur diftrift refpeôif des villes du troifieme ordre desbourgs & une quantité de villages proportionnée à l'étendue

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du terrein qu'elle gouvernoit. Le nombre des habitans de tousces endroits fans y comprendre ni les gens de guerre ni lesBonzes ni ceux qui faifoient leur féjour fur les eaux fe mon-toit, fuivant rémunération qui en fut faite alors à plus detrois millions fix cens mille ames.

L'Empereur qui jufques-là n'avoit employé Ly-tjing qu'enconsidération de Ly-ché-min qui l'a voit pris fous fa proteftion,changea en bienveillance & en eflime les fentimens d'aver-iîon & de haine qu'il avoit conçus contre lui lorfqu'il n'etoit

encore que Li-yuen. Il fe déchargea fur lui du foin de con-tenir dans le devoir tout le pays de Ling-nan & de fes envi-

rons, & l'honora du titre de Gouverneur général de Chang-echou-koue. Ly-tfing fe montra plus que jamais digne de laconfiance de fon maître par la maniere dont il s'acquitta d'unemploi fi important. Non-feulement il contint fous le joug lespeuples déjà fournis il en foumit d'autres encore &' remitfous l'obéiffance les différens partis de révoltés qui infeftoientles Provinces méridionales de l'Empire.

Lorfque Ly-ché-min fut monté fur le Trône Ly-tfing futélevé au comble des honneurs militaires. Il le fit grand Général,& l'envoya en cette qualité contre Kié-ly l'un des Ko-handes Tartares Tou-kiué. Dans une feule campagne il termina

une guerre qui eût pu avoir les fuites les plus funeftes fous unGénéral moins habile que lui. Il montra dans cette occafion

que les rufes militaires font fouvent plus utiles que la valeurlorfqu'on a à combattre des ennemis fans bonne foi. Il fortità la tête de trois mille Cavaliers par les gorges de Ma-ys'empara pendant la nuit de la fortereffe de Ting-fiang & fe

trouva par-là maître d'entrer dans les Etats du Ko-han quandil lui plairoit. Il n'attendoit que foccafion favorable d'exécuterfon projet lorfqu'un Envoyé de l'Empereur vint lui donnerl'ordre de fufpendre toute hoftilité & d'aller même au-devant

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du Ko-han qui vouloit difoit-on fe tranfporter à Tchang-

ngan, pour rendre hommage à Sa Majefté. Il lavoit par fesefpions que le Ko-han ne cherchent qu'à tromper l'Empereur.Il prit fur.lui d'aller contre les ordres reçus. Il fit plus il trompacelui qui vouloit le tromper & détruifk fans perdre pourainfi dire un feul des fiens ,1a partie de la nation des Tou-kïué,qui etoit la plus formidable ( Voyez ce fait rapporté ci-deffus,

pag. 1 4 & fu-iv. )“

Après avoir mis les frontieres à l'abri des incultes des Tar-

tares, ilfe rendit à la Cour où il fut reçu par l'Empereur commeil le méritait.. Les honneurs dont Sa Majefté le combla allerentfi loin qu'ils excitèrent l'envie. On travailla fourdement à luinuire. Quelques-uns de fes foldats s'etoient procuré des pro-visions dans une occasion ou deux avec quelque violence.Ils avoient volé quelques moutons ou quelques poules dansles villages par où ils avoient paffé. Il n'en fallut pas davan-

tage pour fervir de fondement aux difcours les plus calom-nieux on ne parla bientôt plus dans les cercles que des défor-dres commis par les gens de guerre fur les frontières. Après

que les efprits eurent été ainfi préparés les envieux s'adreile-

rent à un Cenfeur homme de Lettres & l'engagèrent àaceufer le Général auprès de l'Empereur. Le Cenfeur crutqu'il etoit de fon devoir de faire ce qu'on lui fuggéroit &

préfenta à Sa Majefté un placet conçu à-peu-près en cestermes

On Je plaint de tous côtés des défordres caufés par les troupesde Ly-tfing. Il eji à croire que ce Général ne fait garder aucunediscipline. Je demande à Votre Majefté qu'il f oit livré au Tri-bunal auquel il appartient de connaître de ces fortes d'affaires

>

afin qu'après avoir pris des informations exacles fur fa con-duite on puijfe le juger fuiv ant la Loi.

L'Empereur reçut le placet & y répondit fur le champ parl'ordre fuivant

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Je défends mes Cenfeurs de me porter des accufxtions juri-diques contre mes Généraux. Je fuis au fait de leur conduitemieux que perfonne. S'ils font des fautes je fauraï les punir

comme ils l'auront mérité.Ly-tfing fut bientôt inftruit de ce qu'on avoit tenté pour le

perdre. Il crut qu'il etoit de fon honneur de fe juftifier. Il ferendit au Palais & fe préfenta à l'Empereur comme un crimineldevant fon Juge.

Je vois ce qui vous amene,Àdif le Prince dès qu'il Fapperçut,foye\ déformais plus exact à faire garder la difcip'line. Un Général1doit le principal de fes foins à réprimer la licence dufoldat. Jevous pardonne tout le pàjfé qu'il n'en foit plus queflion. Dutems des Soui le Général Ché-ouan-pao vainquit le Ko-hànTu-teoù & déiruifit toute fa horde. Mfe rendit à la Cour aprèsfa glorieufe expédition l' Empereur ne lui donna' aucune récom-penfe à peine daigna-t-il le distinguer du refle de fes Cour-tïfans. Quelque tems ce mime Général fe rendit coupablede je liefais quelle faute qu'on eût pli pardonner même dans

tout autre & on le condamna irrémïffiblement la mort. Ce

?iejlpoint ainfi que je veux en agir envers vous. On vous aceufe

de liepas faire garder une exacte difeipline à vos foldats je vousai puni de cette faute par les reproches que je viens de vous

faire il ejl jufie que je récompenfe vos mérites. Je vous donne

une place dans mon Confeïl où vous Jlégere^ en qualité de

Minifire quand vous Jere^ ici. J'ajoute à ce bienfait mille piecesde foie que vous recevre^tomme une légère marque de ma recon-hoijfance (i).

R E M A R Q U E S.(i) Il efl: bon de faire attentionen lifant ceci que les Empereursde la Chine, ayant des droits furtoutes les Manufactures de leur

Empire reçoivent chaque annéeen tribut une quantité prodigieufede pieces de foie de toutes les cf-'peces. Ces foieries leur fervent à

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Il femble que ce grand Prince ne pouvoit rien faire de plus

en faveur de fon Général. Il l'avoit décoré des titres les plushonorables jufqu'à lui donner celui de Prince de Ouei ilvenoit de l'afïbcier au miniftere pour lui donner part à toutesles affaires; il favoit élevé à la dignité de grand Général, oude Généraliffime de fes troupes il lui avoit fait des dons enargent en foieries & en autres chofes de prix il avoit prisfon parti contre fes accufateurs cependant il avoit fur le cœurqu'un homme qu'il regardoit comme le Guerrier le plus accom-pli de fon Empire ternît fes belles qualités par un défaut detrès-grande conféquence celui de favorifer les foidats au pré-,judice du peuple. Mais après qu'il eut fait fes réflexions &qu'il eut comparé ce qu'il favoit de la conduite paffée de Ly-tfing avec l'accufation qu'on intentoit pour la première fois con-tre lui il foupçonna ce que ce pouvoit être. Il ne craignit

pas d'en trop apprendre il voulut au contraire tout favoir &examiner par lui-même toute cette affaire à fond.

Il fit appeller fecretement le Cenfeur & l'interrogea enJuge févere qui veut que juftice ie fafle mais qui veut enmême-tems que le crime foit bien prouvé. Il conclut des répon-fes du bon-homme qu'il n'avoit formé fon accufation que furles difcours calomnieux répandus par ceux à qui le mérite &la faveur de fon Général faifoient ombrage. Il attendit le jouroù il avoit coutume de donner audience à tous fes Grands

REMARQUES.faire leurs libéralités aux Princesétrangers leurs vafTaux quand ilsviennent à la Cour, ou à ceuxqu'ils envoient pour rendre hom-mage en leurs noms. Elles leur fer-vent encore à récompenser ceux deleurs lujets qui ont acquis quelquemérite ou qu'ils veulent honorer.Un Empereur Ghinois donnoitmille

& deux mille pieces de foie à unGrand àjun homme de Lettres &à tout autre comme les Rois deFrance donnentmille & deux milleecus de penfion. Ce même ufagea encore lieu aujourd'hui fous lesEmpereurs Tartares mais cepen-dant avec moins de profusion.

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affemblés.Après avoir ecouté tout ce qu'on avoit à lui pr opofer;& donné fes ordres en conféquence il diftingua Ly-tjîng dela foule & lui dit Général on a répandu depuis quelque temsbien des bruits injurieux fur votre compte vous en aure^ fansdoute oui quelque chofe puifqu'ils font parvenus jufqû'à moi

& cela vous aura caufé du chagrin. Soyei tranquille je fais àquoi je dois m'en tenir. J'ai découvert ce qui a donné occafionà la calomnie & fi je le voulois,je pourrois connoître les calom-niateurs. Mais n'y penfons plus. Tâche^ vous-même d'oublier ce'lui auroitpu vous faire de la peine dans ce que je vous dis lorsde la premiere accufation je vous fais préfent de deux millepieces de foie en réparation des reproches que je vous fis fans

que vous les euffîe^ mérités,Il n'en falloit pas tant pour arrêter tous les bruits injurieux

qu'on avoit affefté de répandre fur le compte de Ly-tfing &pour confondre la calomnie. Ly-tfing jouit tranquillement de fagloire & partagea les faveurs & la confiance de fon maîtreavec tout ce qu'il y avoit de plus refpeftable à la Cour. Ilaffifloit au Confeil avoit part à toutes les délibérations maisfajoute l'Hiftorien il ri y brilloit pas par fon eloquence. Il etoità côté des Minifires à-peu-près comme un homme de bois &

quand il lui arrivoit de vouloir parler, fa langue s'embarraffohdans fon palais comme celle d'un homme begue. Ce n'eft pasqu'il ne fût très-inftruit des affaires du gouvernement, & qu'iln'eût pu donner de très-bons avis. Il fe croyoit déplacé à côtéde ces hommes d'État Lettrés qui fachant par cceur l'Hrftoire& les King, avoient toujours quelques traits à en citer pourfaire valoir ce qu'ils avançoient.

Quoi quil en foit Ly-tfing n'etoit rien moins que bèguequand il parloit de guerre avec l'Empereur, ou avec fes Offi-ciers il n'etoit point non plus comme un homme de bois, quandil commandoit une armée. Il etoit dans fon centre lorfqu'rl

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E ij

fe voyoit au milieu d'un camp il développoit fon génie lorfqu'ils'agiffoit d'un fiege ou d'une bataille. Comme l'Empire n'avoitplus de guerre au dehors & que tout etoit tranquille audedans ,1e perfonnage d'un Général devoit être un perfonnagemuet. Tel fut celui de Ly-tfing l'efpace d'environ quatreannées de fuite.

La huitième année de Tcheit-ko-han c'eft-à-dire l'an634 de l'Ere chrétienne Tay-tfoung voulut faire une nou-velle divifion de l'Empire en Provinces, & travailler.à uneréforme générale dans les différens ordres des Mandarinsqui y etoient employés. Il choifit Ly-tfing pour être à latête des treize Commiflaires qu'il nomma pour remplir cetobjet. La réputation de droiture d'intégrité d'impartialitéd'amour du bien public & d'attachement à fon maître lui fitdonner la préférence fur tous les autres. Alle^ lui dit l'Empe-

reur dans la derniere audience d'inftruftion qu'il lui donnaavant fon départ, alle^ mettre dans un nouvel ordre les Pro-vinces qui partagent mes Etats. Commence^ par prendre les infor-mations les plus exactes fur les mceurs & les talens de ceux qui

gouvernent fache^ le bon & le mauvais Je chacun d'eux. Def-cende^ enfuite dans le détail de tout ce qui regarde le peuple

écoute^ avec bonté toutes les plaintes qu'il vous portera & exa-miner. avec impartialitéfur quoi elles font fondées. S'il ejlfur-thargé n'oublie^ rien pour le foulager s'i!y a des abus cor-rigeç-les. Par-tout 'où vouspaffere^ traite^ avec refpscl les fages& les vieillards faites fortir les talens de ceux qui par mo-dejiie & par trop de timidité n'ofent fe produire au grand jour ,mettez-les dans l'occafion de fe faire connoître & faites-les va-loir vous-même de votre mieux. Donne\ du fecours aux indi-gens, & n'attende^ paspour cela qu'ils vous expofent leur miferejil doit fuffire qu'elle vous foit connue. Conduife^vous en. unmot, de telle maniere, que quelquepart que vousfaye^ & quoi que

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ce foit que vous fajfie^ on croie me voir en vous voyant onpuijfe me reconnaître dans vos actions. Voilà tout ce que j'avaisà vous dire y parte^.

Ly-tfing s'acquitta de fa commiflîon avec beaucoup de zèle& un plein fuccès mais comme il etoit déjà fur le retour del'âge les foins pénibles qu'il fut obligé de fe donner fans pren-dre prefque aucun repos epuiferent fes forces. Il tomba dans

un état de langueur quine lui permit plus de vaquer aux affaires

comme auparavant. Ne pouvant pas s'acquitter des devoirs quelui impofoient les différens emplois dont il etoit chargé il endonna fa démiffion pure & fimple, fans demander ni pour lui-même, ni pour fa famille, le moindre dédommagement. Tay-tfoung j charmé d'un procédé fi noble lui dit en acceptant fadémiffion Je ne veux pasvous contraindre à gardervos charges.Vos infirmités ne vous permettent pas de les exercer y & fi jem'obfiinois à vouloir'vous les laiffer vous vous obfiinerie^ de

votre côté à vouloir en remplir à la rigueur toutes les fonctions.

Ce n'ejl que dans le repos que vous pouve\ recouvrer vos forces.Tene^-vous tranquille cke^ vous & donnez-moi le plus fouvent

que vous pourre^ des nouvelles de votre fanté. Vous êtes faitpour fervir en tout de modèle. Vene^ me voir quelquefois mais

que ce fait hors des tems du cérémonial. Nous ferons alors l'unl'autrefans contrainte.

1

La fanté de Ly-tfing allant chaque jour de mieux en mieux,l'Empereur lui dit Afin qu'on ne croie pas "au dehors que vousêtes difgracié alle^ de trois jours l'un ait Tribunal des Minifires

}

pour traiter les affaires avec eux il ne faut cependant pas quecela vous gêne. Peu de tems après il lui rendit l'un après l'au-tre, tous fes emplois à mefure qu'il le voyoit en état de pou-voir les remplir fans s'incommoder.

Il y avoir déjà quelques années que les Tartares domptés,mu volontairement fournis fe tenaient tranquilles chez eux.

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Tay-tfoung avoit cru pouvoir licencier la plus grande partiede fes troupes & renvoyer les foldats dans leurs familles poury jouir, comme le refte de fes fujets de toutes les douceursde la paix. Les frontières etoient dégarnies parce qu'on n'avoitpas fujet de craindre que les peuples voifins euffent la téméritéde venir, les infulter. Ce fut précifément cette trop grande fécu-rité de la part des Chinois qui enhardit les Tou-kou-houn à fairequelques tentatives. Ils quitterent leur pays de Ko-ko-nor, fran-chirent les hautes montagnes qui féparent leurs terres d'aveccelles de l'Empire & entrerent dans la Chine par plufieursendroits tout-à-la-fois lorfqu'on s'y attendoit le moins.

Outré de leur infolence Tay-tfoung réfolut de les détruire.Il affembla fon Confeil pour av.ifer aux mefures qu'on devoitprendre & pour favoir quel feroit celui.de tous les Générauxqu'il mettroit à la tête des autres car, dit-il Lynflng efl tropvieux pour faire une campagnejipénible. Délibère?^ entre vous ?& faites-moi favoir ce que vous aure^ conclu.

Ly-tfing auquel le feul bruit des armes etoit capable deredonner toute la vigueur de fes premiers ans, s'offrit de lui-même, .& demanda avec inflance qu'il lui fût permis d'aller

contre les Tou-kou-houn^L'Empereur.. qui ne doutoit point defa fîncérité & qui avoit une entière confiance en lui futcharmé de le voir déterminé à fervir encore. II le nommaGouverneur général du département de Si-Aai,, fous lequel onavoit rangé le pays dé Ko-ko-nor lui renouvelk; le titre deGénëraliffime de fes armées & lui donna pour Lieutenans

PSiuë-oucm-kiun, Ly-ta-leang Heou-kiun-tjî & Ly-tao-tfoung

tous Officiers du premier mérite.Auffi-tôtique l'armée fut formée Ly-tflng fortit des fron-

tieres & alla chercher l'ennemi qui les avoit déjà quittées aupremier bruit de l'arrivée prochaine des troupes Chinoises. Il

ne fut pas long-rems fans le rencontrer. Il lui livra bataille le

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vainquit & l'obligea à chercher fon falut dans une promptefuite. Celui que les Tou-kou-houn avoient alors pour Ko-hans'appelloit Fou-yun. C'etoit un Prince foible & dans un âgefort avancé. Ne pouvant gouverner par lui-même un de fesGrands nommé TLen-tchou-ouangs'etoit emparé de toute l'au-torité, & gouvernoit fous fon nom. C'eft ce Tien-tchou-ouangqui dans l'efpérance de s'enrichir par le pillage avoit com-mencé cette guerre laquelle comme on va le voir eut lesfuites les plus funeftes pour fa nation.

Après leur défaite les Tou-kou-houn s'enfoncerent le plusqu'ils purent dans les terres & pour empêcher Ly-tfing deles pourfuivre ils mettoient le feu par-tout où ils paffoient.Tous les fourrages fe trouvant par-là confumés il etoit dif-ficile que la cavalerie Chinoife pût long-tems fubfifler. Cettedifficulté n'arrêta pas Ly-tfing. Quand nos chevaux dit-il,n auront plus rien à manger nous les mangerons eux-mêmes.Allons exterminer des Barbares qui ne maitqueroient pas derevenir fur leurs pas qua;zd nous nous ferions retirés. Il partageafon armée en deux grands corps, fe mit à la tête du premier

avec Siuéoua;i-!dun & Ly-ta-eang & mit Heou-kiun-tfz &Ly-tao-tfoung à la tête du fecond. Il s'agiffoit de mettre lesennemis entre deux feux & de leur couper le chemin quel-

que part qu'ils voulurent aller après avoir eté battus.Ly-tfing s'avança par le Nord, & les atteignit à Nieou-fin-

toui. Il les battit & les mit en fuite. Il les pourfuivit jufqu'àTchè-choui-yuen où il les battit encore. Pour ce qui efl deHeou-kiun-tfi comme il avoit pris fa route par le Sud, il futobligé de traverfer l'espace de deux mille lys fans rencon-trer perfonne. Il fouffi.it dans ces lieux incultes & déferts toutce que la difette de toutes chofes & une extrême fatigue

peuvent faire endurer de plus cruel. Il arriva enfin au pays deOu-hai où les Tou-kou-houn s'etoient retirés comme dans un

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lieu où ils ne croyoient pas qu'il fût poffible de les aller cher-cher. Il y eut là une bataille des plus fanglantes. Les Tou-kou-houn fe battirent en défefpérés & auroient peut-être gagnéla vicloire fi Ly-tjlng qui avoit pris une autre route ne fûtarrivé à propos dans le voifinage du lieu où l'on fe battoit. Cettenouvelle ranima-le courage des Chinois, & Heou-kiun-tjl quivouloit avoir part à la gloire de cette campagne profitant deL'ardeur dont les fiens etoient animés leur fit faire des effortsincroyables. Les ennemis commencèrent à plier & bientôtaprès fe débandèrent & fe fauverent à toute bride du côtéde leurs anciennes habitations pour tâcher de s'y fortifier

avant que les Chinois puffent les y aller combattre, car l'hyverfaifoit déjà fentir fes rigueurs mais ils ne connoiffoielit pasLy-tfîng. Ce Général accoutumé depuis long-tems à tous les

travaux de la guerre ne craignoit ni la neige ni les frimasn arrivoit au moment qu'ils prenoient la fuite & comme s'ileût affifté à leurs délibérations il favoit déjà où ils avoientréfolu de fe retirer (2).

Il ejl inutile dit-il à Heou-kiun-tfi& à fes autres Généraux,quevous prenie^ des arrangemens pour le retour. ILferoit honteux

REM A R QUE S.(i) Les Tartares Tou-kou-houn

habitoient anciennement le paysqui.eft à l'Orient de la riviere deLeao. Ils y avoient erigé un Royau-me fous le nom de Royaume deYen. Ils fe difoient deicendans desanciens Mou-joung. Vers l'an deJefus-Chrift 3 17 un de ces Princesayant eu quelque fujet de mécon-tentement, quitta le pays & alladans l'Occident avec un aflez grandnombre de familles pour y pou-voir faire ûri etabliflement confi-dérable. La horde des Tartares

qui habitoit le Kokonor fe fournitvolontairement à lui & le recon-nut pour fon chef. Ces deux peu-ples réunis fous un même Souve-rain, fe rendirent redoutables mê-me à la Chine ou ils venoientde tems en tems faire des excur-fions. On les avoit châtiés plusd'une fois mais jamais ils ne fit-rent réduits à implorer la clémencedesvainqueurs,comme ils le firentcelle de Ly-tfîng pour obtenir den'être pas entiérement détruits.

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pour nous de laijfer notre ouvrage imparfait. Pourfuivonsles Tou-kou-houn jufqu'à leurs derniers retranchemens. Jecompte fur l'affection de mes foldats. Il nejl aucun péril qu'ilsli affrontent, quand ils me verront à leur tête. Je compte aujjî

que vous n'aurer pas de peine à mefulvre. Demain nous partirons.En effet le lendemain les deux corps d'armées réunis fous

la conduite du feul Ly-tfing fe mirent en marche ils tra-verfereat le pays de Ki-cké au Sud-Ouefi de Ho-koan-hiencôtoyèrent la fameufe montagne d'où fort le Hoang-ho s'affu-

rerent de tous les paffages & après avoir parcouru l'efpaced'environ mille lys, en tirant toujours versTOwe/?, ils arriverentenfin dans le chef-lieu de la domination du Ko-kan-fou-yun.Ce Prince etoit dans fon camp avec toute fa Cour & les prin-cipales forces de fa nation car quoique les Tou-kou-houneuffent alors quelques villes ils aimoient mieux vivre fousdes tentes en pleine campagne que de s'enfermer entre des

murs. Ainfi au lieu de faire un fiege Ly-tfing eut à forcer uncamp. Rien n'etoit impoffible à des foldats qui fe croyoientinvincibles lorfqu'ils etoient commandés par Ly-tfing. Arriver,voir & vaincre fut prefque une même chofe pour eux..

Après avoir renverfé les bataillons qui défendoient l'entréedu camp ils y entrèrent pêle-mêle avec les fuyards, & s'em-

parerent de toutes les tentes qui formoient la premiere enceinte.Ils maffacrerent quelques milliers d'hommes & prirent deux

cens mille tant chevaux que bêtes de fomme & autre bétail.Cette première enceinte etoit terminée par une colline &au-delà de la colline etoit un vallon qui conduifoit à de plushautes montagnes. Ly-tfing ne voulut pas s'engager plus avant,fans avoir donné quelque repos à fes troupes.

Cependant les Tou-kou-houn qui fe voyaient hors d'efpoird'échapper eurent recours à la fourmilion & aux prieres.Choun fils du Ko-han Fou-yuti n'avoit eu aucune part au

mauvais

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Tome V. `~°" F f

^mauvais procédé de fon pere. Il etoit outre cela l'ennemi fecretdu Miniftre Tien-tchow-ouang qui a voit envahi; toute l'auto-rité. Il crut qu'en le faifant maffacrer il pourroit:fléehir.levainqueur fauver fa nation & rentrerpeut-être, dans tous* fesdroits. Il s'en expliqua avec quelques amis qui s fondèrent defa part les principaux chefs de famille Ôttous étant convenusque la mort de Tien-tchou-ouang etoit néceiTaire pour obtenir!a paix & affurer la tranquillité publique on envoya chez luides Satellites qui le mirent en pieces fans autre formalité. Fou-

yun, dont on n'avoit point pris l'ordre pour cette exécution;,craignit qu'on ne voulût attenter à fa propre perfonne commeon venoit de faire à celle de fon. Miniftre. Il prit le meilleurde Ces chevaux & s'enfonça dans les gorges pour .aller cher-cher un afyle chez les peuples du Nord (3).

Par les droits de fa naiffance Choun fe trouvant alors chefde fa horde fe fournit lui & les fiens à la domination de laChine. Ly-tfing accepta fa foumiffion & permît qu'il fûtproclamé Ko-han bien entendu néanmoins que tout ce quivenoit de fe faire feroit ratifié par l'Empereur. Sa Majefté leratifia en effet, à l'exception -du titre de Ko-han qu'elle nevoulut pas laiffer au fils de- Fou-yun parce que celui-ci n'etokpoint encore mort.

R E M A R Q U E S.(3)Toute la horde des Tou-kou-

houn ne reconnut pas Choun filsde Fou-yun pour Ko-han. Unepartie s'enfonça dans les monta-gnes en attendant quelque occa-iion favorablepour faire valoir fesdroits. Choun demanda du fecoursaux Chinois. Ly-ta-leang à la têtede quelques mille hommes detroupes Chinoifes l'aida àfe main-tenir fur le Trône mais il ne putempêcher que quelques mécon-T TV

tens ne le maffacraffent. L'Empe-reur, informé de cet attentat con-tre un Prince qu'il proîégeoit en-voya Heou-kiu/i-tji avec un petitcorps d'armée pour faire donnerun Chef aux Tou-kou-houn. L'in-tention de Sa Majefté etoit qu'onnommât No-ho-po fils de Choun. Ilfut élu & l'Empereur pour luiconcilier le refpect de fa nation,voulut bien l'honorer du titre deKo-han.

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C'eft ainfi que futterminée ,k la gloire de l'Empire, une guerredont on avoit d'abord fujet de craindre les plus funeftes effets.La valeur l'expérience & la bonne conduite de Ly-tfing ren-dirent îes fuccès durables parce que les Tou-kou-houn pref-

que entièrement détruits furent hors d'état de pouvoir fe rele-

ver de long-tems & de maniere à canfer quelques alarmes.Il etoit dans l'ordre qu'après tant de fatigues le grand

Général jouît enfin, du repos. L'Empereur lui confirma tous les

titres. dont il jouhToit alors toutes les prérogatives des em-plois qu'il avoit exercés comme s'il les exerçoit encore. Illui donna pour tous les tems fans exception les entrées libresauprès de fa perfonne fans l'aftreindre à profiter de l'honneurqu'il lui faifoit ni à aucune forte de formalité.

L'envie avoit fait autrefois tous fes efforts pour le perdre& elle avait échoué la vengeance fe mit fur les rangs &

fut encore moins heureufe. Dans l'une de fes campagnes, Ly-tfing avoit ofé mettre au confeil de guerre un de fes Lieute-

nans Généraux nommé Kao-tfeng-cheng parce qu'il etoitarrivé trop tard au lieu du rendez-vous. Il lui avoit fait fubir tousles interrogatoires & n'eût pas héfité à le faire mourir à latête du camp s'il l'avoit trouvé coupable mais par bonheur

pour cet Officier fon délai avoit été occafionné par un de

ces accidens qu'il lui avoit été impoffible de prévoir. Il futjugé innocent & continua fon fervice. Cependant l'affront qu'ilcroyoit avoir reçu laiffa de profondes traces dans fon cœur,& depuis long-tems il cherchoit quelque prétexte pour fufciter

une afiaire à Ly-tfing. Il le trouva dans les vifites fréquentes

que les Officiers Tou-kou-houn rendirent à ce Général, pen-dant le tems qu'ils furent à la Cour Si dans la maniere affec-tueufe avec laquelle ils en etoient reçus.

Il etoit naturel que Ly-tfing fit amitié à des hommes dontil etoit le protecteur déclaré & qui ne connoiffoient guere

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que lui dans unpaysoùillesàvoitattirés lui-même.Cetteréiîexionauroit dû fuffirc ce femble pour le mettre à couvert de toutfoupçon défavantageux.Cependantcomme l'un des principauxeffets des paffions eft d'aveugler ceux qui s'y livrent JCao-tfeng-cheng s'imagina qu'il pourroit faire trouver un myflered'iniquité dans une conduite qui n'avoit rien que de très-con-forme aux Loix les plus ordinaires de la fageffe il accufa Ly-tfing de s'entendre avec les ennemis de l'Etat, & de trameravec eux des complots de révoltes. Il alla plus loin il ofainfinuer que ce même Héros qui avoit prefque anéanti la nationdes Tou-kou-houn prenoit des mefures efficaces pour s'enfaire elire Roi depuis qu'on avoit divulgué la mort de Choun

qu'on difoit avoir eté maflacri par fes propres fujets.Une accufation de cette nature auroit dû être etayée par

des preuvesfans réplique,& Kao-tfeng-chengnen avoit aucune.Elle devoit tout au moins être fondée fur les apparences &les apparences toutes trompeufes qu'elles font quelquefois nedifoient abfolument rien. L'Empereur crut néanmoins qu'il etoitde fon devoir d'examiner cette affaire par lui-même maisaprès les difcuffions les plus exaâes s'etant convaincu quece qu'on imputoit à Ly-tfing etoit une pure calomnie il crutqu'il etoit également de fon devoir de punir rigoureufementle calomniateur. Il le condamna au même fupplice auquel eûteté condamné Ly-tfmg s'il s'etoit trouvé coupable.

Kao-tfeng-cheng condamné à mort, trouva de puiffans pro-tecleurs qui intercédèrent pour lui. Les Princes du fang aux-quels fe joignirent les perfonnes les plus diftinguées de la Cour,demandèrent fa grace. Ils firent valoir fon mérit% perfonnel& tous fes fervices. L'Empereur leur répondit froidement Leshommes d'un mérite diflingué ne font pas rares dans l'Empire

par les Joins que j'ai pris pour les faire devenir tels le r.ombrede ceux qui ont rendu des fervices réels non pas fimplemznt à"rFfij

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quelques Princes de mon fang, mais à l'Etat -ejl encore, plus-grand. Pour qui feroient les Loix Ji tant de gens pouvaientimpunément les en freindre ? Je nefauroispardonner à Kao-tfeng-cheiig fans me rendre moi-même coupable. Tout ce que je puis-faire en votre confédération c'eji de commuer la peine de mort

en celle d'un exil perpétuel, au-delà des frontières. Qu'on nem'en parle plus (4).

Kao-tfeng-cheng partit en effet pour le lieu de fon exil &Ly~tjîng âgé pour lors d'environ 70 ans trouva dans fa phi-k>f©pfcie & dans les bienfaits de fon maître de quoi fe confolerde n'avoir plus les forces néceffaires pour fervir fEmpire les

armes à la main. Il s'enferma dans fa maifon, où il s'occupapendant tout le tems qu'il vécut encore à mettre par écritle précis des converfations qu'il avoit eues avec l'iîluftre Tay-tjottng fon modèle & fon Souverain fur la feience militaire.Cet ouvrage fruit de l'expérience & des méditations les plusprofondes des deux plus grands hommes de guerre de leurfiecle ,eft intitulé Dialogues entre Tay-tfoung & Ly, Princede Ouei. J'ai dit plus haut que Ly-tjîng, en récornpenfe de fonmérite avoit été elevé à la dignité de Prince de Ouei dignitédont il jouit jufqu'à fa mort qui arriva la 79e année de fon âge,

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peu de jours avant celle du grand Tay-tfoung Fan de l'Erechrétienne 649.

(4) Malgré toute fa proteôionil fallut que Kao-tfeng-cheng allâtexpier fon crime dans des lieux oùil fut employé à des ouvrages pu-blics comme un vil efclave carc'etoitalors la coutumed'employerainfi ceux à qui on laiffoit la -\iie

9

REMARQUES.quoiqu'ils enflent mérité la mtort,Un pareil exemple renouvellé fe-roit très-propre, finon à empêcherentièrement la calomnie du moinsà diminuer beaucoup le nombredes calomniateurs.

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L X.t

L Y-T S I Guerrier.

Il eft des hommes que la nature femble avoir formés toutexprès pour la profeiïïon qu'ils ont embraffée. Ils font pourainfi dire en naiffant ce qu'ils doivent être le refte de leursjours l'application & l'expérience n'ajoutent prefque rien autalent. Le guerrier dont j'ai à parler ici, etoit un de ceshommes.

Le nom de fit famille etoit Siu. Il naquic à Ly-hou villagedu diftrict de Tfao-tcheou dans le Chan-tong. Le nom de Ly,fous lequel il s'efl: rendu célèbre lui fut donné par Kao-tfou,Fondateur de la DynafKe des Tang, comme fi ce Prince,en lui donnant fon propre nom eût voulu l'adopter dans fa

.famille, en recoiinoiiïance des fervices importans qu'il enavoit reçus.

Sur la fin du regne des Soui, lorfque tout l'Empire etoit

en proie aux différentes factions qui vouloient l'envahir unfameux voleur, nommé Tchê-jang fe forma auffi un parti. Ilfe mit à la tête de quelques brigands comme lui, & parcourutla province du Chan-tong, où il fit de grands ravages, met-tant à des contributions exorbitantes, tous les villages paroù il pafloit. Il porta la terreur par-tout, & en groffiffant peuà peu fa troupe il vint fe prefenter devant Ouei-icheng pouren faire le fiége.

Ly-tjî, qui entroit alors dans la dix-feptieme année de fonâge & dont les inclinations etoient toutes guerrieres enten-dant raconter ce qui fe faifoit par Tchê-jang, crut qu'il pou-voit, en attendant mieux, s'enrôler fous fes étendards. Il faut

remarquer que ce Tchê-jangavoit eté Mandarin & condamnéà être coupé en pièces pour des crimes qu'on lui avoit fup-

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pofés. L'Offlcier qui avoit le foin de garder les prifonniersconvaincu qu'il ne méritoit pas la mort l'avoit fait evader

peu de jours avant l'exécution. Tchê-jang, forti de prifon, n'eutd'autre reffource, pour vivre que celle de dévalifer les paf-fans. Il eut bientôt des camarades & quand il fe vit affezde monde pour tenter les grandes aventures de petit voleurqu'il etoit, il fe fit voleur en grand, fous le nom de chef departi. Ce fut fous un pareil chef que Ly-tjî fit fes premieres

armes. Il fe diftingua bientôt de tous les autres par une bra-voure & une prudence qui furent admirées de Tchê-jang lui-même, lequel fe déchargeoit fur lui de ce qu'il y avoit de pluspérilleux & Ly-tjl réuffiffoit fi bien dans tout ce qu'il tentoit,

pour le fervice commun de fa bande qu'il fut élu d'une

commune voix, chef en fecond.Dans ce même tems, un autre Mandarin nommé Ly-mi

pour fe fouftraire aux perfécutions de ceux qui gouvernoient'la Cour d' Yang-ty avoit pris la fuite & s'etoit réfugié chez

un Seigneur, qu'il croyoit être du nombre de fes amis mais

cet ami refufa de lui donner retraite, pour ne pas s'expoferf

difoit-il, à périr lui-même avec toute fa famille, en favorifant

un homme qui s'etoit rendu fufpeft au Gouvernement. Ly-mife retira chez un autre ami celui-ci lui fit encore un accueil plusfroid, & le menaça de le déférer s'il ne fe retiroit pas promp-tement.

Rebuté de tous les côtés, Ly-mi changea de nom & deprovince & fe fit Maître d'Ecole. Il fut bientôt découvert& obligé de changer encore de demeure enfin il prit le partide fe révolter ouvertement. Il afTembla quelques amis, & allade village en village, difant par-tout, que le Ciel irrité contrela famille des Soui, avoit réfolu de lui ôter l'Empire, & queles révoltes qui eclatoient, dans prefque toutes les provinces,etoient un figne evident que le tems de cette révolution etoit

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arrivé. Par ces difcours, fouvent répétés il groffit peu à peufa troupe & fe trouva à la tête d'une petite armée.

Ly-mi n'etoit encore occupé qu'à difcipliner ceux qui fedonnoiènt à lui, quand la fortune fut fur le point de lui donnerl'Empire en le mettant à la tête du parti le plus redoutablequ'il y eût alors. Le jeune Ly-tfi qui s'ctoit rendu tout piaf-fant fur l'efprit de Tckê-jang fon chef, lui perfuada d'aban-donner les environs de Ouei-tckong pour fe rendre tdans deslieux plus fertiles. Pourquoi, lui dit-il, vous obftine^-vous àvouloir piller votre patrie ? vous devric^, au contraire, employer

toutes vos forces pour la défendre contre ceux qui voudrotent£ attaquer. D'ailleurs cefl un pays pauvre où il n'y a pas grandefortune à fàire pour des gens. comme nous. Les pays de Soung& de Tcheng nous offrent des richejjes immenfes. Les Marchands

y font en grand nombre & le commerce y efl très-floriffantcefl-lci que nous devons aller.

Tckê-jang fuivit fon confeil & s'en trouva bien. Il fit unbutin confïdérable prit quelques unes des villes qui étoientfans garnifon, y établit fes magafins d'armes & fes greniers,& fe trouva en état de pouvoir tenir la campagne en Générald'armée. Il apprit que Ly-mi etoit à Young-kieou occupé à

exercer les payfans & les villageois qu'il avoit enrôlés pouren faire des foldats. Sur cette nouvelle il alTembla fon Confeilde Guerre pour délibérer s'il falloit aller contre Ly'ini ous'il falloit mieux tourner fes armes d'un autre côté. Ly-tfi pritla parole & dit: Mon avis ejl que nous allions, le plutôtpoffêle, vers l'endroit où efi Ly-mi, non pas pour le combattre,mais pour nous joindre à lui. Nous ne fommes encore qu'unepoignée de gens, la plupart fans expérience & fans difeipline.Les Gouverneurs de deux ou trois villes n'ont qu'a s'entendre& venir enfemble, à la tête de leurs troupes pour nous difjl-per & nous détruire. Prévenons ce malheur } & renforçons-nous

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le plus que nous pourrons. Du rejîe Ly-mi efl homme de guerre-il a de la naiffance il a eté grand Mandarin la plupart desOfficiers en place font de fa connoiffaiice ou ont eté fesamis. On faura qu'il ejl en etat de fe faire craindre. Bien des

gens qui fémblent à préfent ne point penfer ci lui viendront,chaque jour, grojjîr fon armée. Soyons les premiers à donnerl'exemple. Allons le trouver, reconnoiffons-lepour notre Général,& combattons fous fes ordres c'eji je crois ce que nouspou-

'vons faire de mieux i j'ejpere que nous n aurons pas lieu de nousen repentir.

Ly-tfî etoit un de ces hommes qui n'ont, pour ainfi dire.,qu'à ouvrir la bouche pour perfuader. Son port majeflueux.,

tfa voix fonore un air de bonté répandu fur une phylïonomiedes pins intéreffantcs l'annonçoient favorablement à ceux-

mêmes qui etoient d'un fentiment différent du fien. Il avoit-àpeine fini de parler, qu'un murmure d'approbation fe fit en-tendre dans toute l'aflemblée. Tché-jang craignant de fe voir

abandonné de ceux qui ne dépendoient de lui que parce qu'ilsàv oient bien voulu s'y foumettre ou peut-être perfuadé qu'iletoit de fon intérêt particulier de fuivre un confeil que legrand nombre fembloit déja approuver, consentit de bonnegrace à joindre fes troupes à celles de Ly-mi, & à céder à ceCapitaine une prééminence dont il le croyoit digne. Il chargeaLy-tji de négocier cette affaire, & Ly-tfî s'acquitta de facommiffion avec un plein fuccès & à l'entière fatisfa£tiondes deux partis.

La première expédition que Ly-mi & Tchê-jang firent de

concert, fut contre les troupes de Ouang ché tchoung. -Ce,

Ouang-ché-tchoung étoit Gouverneur de Lo-yang, & avoitdonné la chaire à Tché-jang, quand celui-ci ne portoit encoreque le nom de voleur. Il Tavoit battu encore plufieurs fois

“depuis qu'ayant un parti formé il fe faifoit appeller Général

d'armée j

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Tome K G g

d'armée mais Tchê-jang combattant fous les étendards de Ly-mi, fut vainqueur à fon tour. Le jeune Ly-tjî fe diftinguadans cette occauon, comme il avoit toujours fait, & con-tribua, plus que perfonne, au gain de la bataille.

Cette même année la province du Ho-nan & celle duChan tong furent entièrement inondées & toute la récoltefut perdue. L'Empereur Soui-yang-ty craignant que la mi-fere où les peuples de ces deux provinces alloient être réduits,ne fût pour eux une occafion ou un prétexte de révolte, fit

un Edit par lequel il ordonnoit que tous ceux qui manqueroientde reffources pour fe procurer du riz euffent à fe rendre àLy-yang où fes greniers d'abondance etoient encore pleins,»que là on diftribueroit du grain gratis à tous ceux qui endemanderoient pour fe fuftenter avec leurs familles jufqu'à.la récolte prochaine.

On a remarqué à la Chine, & l'hiftoire le confirme quequand une Dynallie eft fur le point de finir, tout ce que peuventfaire les Souverains les mieux intentionnés pour tâcher del'arrêter fur le penchant de fa ruine ne fert qu'à précipiterfa chute. C'eft ce qui fait dire aux Chinois qu'une familleque le Ciel a placée fur le trône, ne peut s'y maintenir, qu'au-

tant de tems que ce même Ciel voudra bien fy laijfer.

Rien n'etoit mieux, ce femble, que ce que vouloit fairel'Empereur Soui-yang-ty, pour le foulagement de fes peuples,dans les circonftances fâcheufes où r on etoit alors fecourirles malheureux donner la fubfiftance à des hommes qui fontfur le point de manquer de tout c'eft dans un Souverain,remplir le premier & le plus effentiel de fes devoirs; c'eft,dans un Empereur Chinois, fe montrer digne de porter l'au-gufte titre de Fils du Ciel c'etoit ce que prétendoit Yang-ty;mais fes intentions furent mal remplies. Les Mandarins qu'ilchargea du foin d'ouvrir les greniers & de diftribuer les grains,

.z,

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etoiene, pour la plupart, de ces ames dures, que les fen-timens de la commifération ne peuvent pas même effleurer.Ils avoient chaque jour quelque nouveau prétexte pour fereculer à l'empreffement des demandeurs, dont le nombre aug-mentoit prodigieufementchaque jour. Dans l'espace de moinsd'un mois, plus de vingt mille perfonnes moururent de faim

aux environs de Ly-yang.Les cris que pouffèrent, tant de malheureux, avant que de

rendre les derniers Soupirs, fe mêlerent aux plaintes & auxmurmures de ceux qui ayant été ou mal Satisfaits,,*ou fatis-faits trop tard, s'en retournoient dans leurs villes, dans leursvillages ou dans leurs campagnes, pour fecourir, s'il en etoitencore tems, ceux de leurs familles qu'ils y avoient laiffés. Ly-tfi instruit de ce défordre propofa à fon Général la con-quête de Ly-yang Nousy trouverons, lui dit-il de quoi ap-provifionnernotre armée & en donnant le fuperjlu à tous cesmiférables qui fe font raffemblés dans ces lieux pour ytrouver de quoi vivre, nous en engagerons un grand nombre à

s'enrôler fous nos etendards. J'ai tout lieu de croire que nous ac-querrons plus de foldats, par ce moyen, que nous ne pourrions

en faire d'ici à dix ans, quand même desfuccès multipliés feroientprévaloir notre parti.

Ly-mi & tous fes Officiers trouvèrent que Ly~tjî avoit raifon,Ils lui donnerent quelques troupes légeres à commander, pouraller reconnoître le pays, & le gros de l'armée s'avança aupetit pas pour le foutenir, au cas qu'il fût attaqué & horsd'état de faire face. Ly-tjî, plein d'ardeur & d'elpérance,vola vers Ly-yang. Il y régnoit une û grande confufion qu'ils'en rendit maître avant que Ly-mi & Tchê-jang fuffent arri-vés avec le gros de l'armée. A l'arrivée de ces deux Chefs,on procéda à la distribution des grains. Ly-tfi profita de cetteoccafion pour haranguer tous les malheureux qu'il etoit chargé

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de-fecourir. Il le fit en militaire, c'eft-à-dire, en peu de mots;mais avec cette grace qui lui etoit naturelle il s'attira millebénédictions & gagna tous les cœurs. Ly-tfi vient de nousrendre à .la vie répliquèrent ces infortunés, il trouvera bien les

moyens de nous la conferver. Que pouvons-nous faire de mieuxque de nous mettre àfon fervice, & de le fuivre par-tout où ilvoudra bien nous mener.

Votre bonne volonté me flatte infiniment, leur répondit Ly-tfi mais il y en a, parmi vous qui ne font pas propres aumétier des armes; il y en a d'autres qui, à raifon de leur âge,de leur foiblejfe ou de leurs infirmités ne fauroient endurer lesfatigues & les travaux qui nous attendent il y en a enfin &cefl, je crois le grand nombre qui ont un père & une mere,des femmes & des enfans à nourrir. Que tous ceux qui n'ont

aucun des trois empêchemens que je viens de nommer, & quioutre cela font robujles & dans le defir de bienfaire ,fe pré-fentent. Dès-à-préfent nous les admettons au nombre de noscompagnons pour ce qui efi des autres, ils peuvent retournertranquillement dans leurs familles nous faifons la guerre poureux & fi nos fuccès font tels que je l'efpere ils auront leur

part, dans notre bonne fortune.Cette propofition fut reçue avec un applaudiflement uni-

verfel. Ceux qui fe crurent en état de porter les armes, &qu'on jugea être tels, furent incorporés dans les troupes; &

avec ce nouveau renfort, l'armée des alliés fe trouva fortede plus de deux cens mille hommes effeftifs.

Il n'en falloit pas tant pour conquérir tout l'Empire, fi Ly-

mi avoit été un autre Ly-clié-min; mais ce Général fe con-tenta de fe faire une principauté qui etoit bornée à l'orient,

par la mer; à l'occident, par la riviere de Jou% dans le Ho-nan j9

au midi, par le fleuve Kiang, & au nord par le pays deOueii c'eft-à-dire qu'elle comprenoit le Ho-nan, le Chan-

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long & le Pê-tché'ly d'aujourd'hui, jufqu'en Tartarie ce quifuffifoit fans doute pour former un affez beau royaume. Il

ne prit pas cependant le titre de Roi; il fe fit appeller Princede Oue'u

Cependant Ouang-ché-tchoung travailloit en apparence,avec plus de fuccès, pour établir fa chimérique grandeur:Il

ne combattit d'abord qu'en faveur de la maifon des Souidont il avoit placé un des rejettons fur le trône pour fervirde mafque à fon ambition mais quand il crut que fon au-torité etoit affez bien établie pour fe déclarer ouvertement,il fit mourir ce fantôme d'Empereur, & eut l'audace de fefaire proclamer lui-même. Il eut à fe défendre, tout à la fois,

y

contre les Tang & contre Ly-mi.Celui-ci eut la foibléffe de devenir jaloux de Ly-tjî: l'eflime

la considération & même la confiance dont il favoit qu'iletoit honoré, lui firent craindre qu'il ne lui prît encore enviede fe faire chef à fon tour. Néanmoins comme cette crainten'avoit aucun fondement folide elle n'etouffa pas, dans fon

cœur tous les fentimens favorables dont il etoit rempli pourlui. Il favoit que c'etoit à fes confeils & à fa bravoure qu'iletoit en partie redevable de la gloire & de la fortune dontil jouiffoit. Il crut, -fans manquer à la reconnoiffance pouvoirl'éloigner de l'armée en lui donnant un emploi plus hono-rable que celui qu'il rempliffoit auprès de fa perfonné.

Il fe mit lui même à la tête de fes troupes & nommaLy-tji Gouverneur-Général de fes Etats, pendant tout le temsqu'il feroit abfent. Il alla contre Ouang-ché-tchoung lui livrabataille & fut battu. Il le fut encore dans deux ou trois

autres occafions. Craignant enfin de tomber entre les mainsd'un ennemi qui ne l'auroit pas épargné & voyant bien

que les Tang alloient être maîtres de l'Empire, il prit le partide les reconnoître & de fe mettre fous leur protection. Il en-

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voya "un de fes Officiers de confiance à Ly-yuen pour luifaire part de fon projet, & lui dire qu'il alloit le joindre& fe donner à lui avec toute fon armée le priant de vouloirbien le recevoir au nombre de fes vaffaux.

Ly-yuen & Ly-ché-min fon fils, reçurent l'Officier avectoutes les démonftrations de l'amitié la plus fincere, le ren-voyerent, comblé de careffes & le chargerent de dire, de leurpart, à fon maître j qu'il n'avoit qu'à venir jouir, auprès deleurs perfonnes, de toutes les diftinftions dont il etoit digne.Ly-mi ayant appris la réception qu'on avoit faite à fon envoyé,s'avança, fans défiance vers Tckang-ngan. Quand il en futà la diflance d'environ une journée, Ly-yuen envoya au de-

vant de lui quelques Seigneurs des plus distingués de fa Cour;honneur qu'il eût fait à peine à un Souverain, reconnu légi-timement pour tel ce qui flatta infiniment la vanité de Ly-mi. Il fe laiffa prendre à ces dehors impofans, & s'imaginaqu'il alloit être renvoyé, dans fa principauté, avec le titre deRoi de Ouei & déclaré le premier vaffal de l'Empire. Il netarda pas à être convaincu que c'étoit très-mal à propos qu'ils'etoit flatté de tous ces honneurs.

Arrivé à Tchang-ngan on le traita avec plus de diftin&ionqu'il n'eût voulu. Ly-yuen le logea dans un de fes palais &lui donna fes propres gardes pour répondre de fa perfonne.Quelques jours après, il incorpora les foldats de l'armée quil'avoit fuivi dans les différens corps des troupes de Ly-ché-min le mit au rang des Princes étrangers en lui affignant

pour apanage un royaume qui n'exifioit pas lui permit defe qualifier Comte de Hing; & afin qu'on pût éclairer de plus

près toutes fes démarches il le nomma grand Maître du Pa-lais. Ly-mi très-mécontent de la conduite qu'on tenoit à fonégard diffimula fon chagrin de peur qu'il ne lui arrivât pis

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encore; mais il conçut dès-lors le deffein de fe révolter aûfli-tôtqu'il en trouveroit l'occasion.

Pendant que ces chofes fe paffoient à Tchang-ngan, le fideleLy-tfi continuoit à gouverner les Etats de Ouei, au nom decelui qui les lui avoit confiés. Sa réputation de fageffe & debravoure etoit déja fi bien établie que les Tang eux-mêmescomptant qu'il garderoit pour lui, une principauté à la con-quête de laquelle il avoit eu tant de part & dont il etoitactuellement en poffeffion,-fous le titre de Gouverneur, ne pen-foient point encore à l'aller inquiéter. Ils vouloient auparavanteteindre, l'un après l'autre, tous les autres partis; & en atten-dant, ils le laiffoient exercer en paix une autorité dont il nelui arriva j amais d'abufer.

Quand il apprit la fauffe démarche que venoit de faire Zy-mi, fans avoir daigné le confulter il fe contenta de blâmerfon imprudence, & réfifta toujours avec force, aux confeilsqu'on ne ceffoit de lui donner, de fe déclarer lui-même Princede Ouei. Je ne fuis que le Lieutenant de Ly-mi, répondoit-il,,je ferais indigne d'occuper la place à laquelle vous me confeille^d'afptrer fi favois feulement la penfée de vouloir l'occuper aupréjudice de celui à qui elle appartient de droit peut-être queles circonflanceschangeront, G? ^ê Ly-mipourra revenirencore;en attendant je continuerai à garderfes Etats de la même ma-niere que je faifois ci-devant, quand il jouiffoit de route faliberté.

Plufieurs mois s'ecoulerent ainfi, fans que Ly-mi lui donnâtde fes nouvelles. Les fuccès du Comte de Tang, déclaré Lieu-tenant-Général de l'Empire fous Xçung-ty, qui n'etoit qu'unfantôme d'Empereur, perfuaderent à tout le monde que la mai-fon des Tang alloit remplacer celle des Soui. Ly-tfi compritparfaitement qu'il feroit déformais impoffible à fon maître de

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fe remettre en poffeffion de fes Etats, & de s'y maintenir îong-

tems, fuppofé qu'il pût les recouvrer. Il forma un projetdigne d'une ame auffi généreufe que la fienne. Il fit faire ledénombrement de toutes les familles qui etoient fous la dorni--nâtion^ du, Prince de Ouei fit un: catalogue exaft de toutesles villes bourgs & villages de fes Etats, auquel il joignit undétail circonftancié des productions du pays du commercequi s'y faifoit, & des revenus que le Souverain pouvoit enretirer fans grever le peuple. Il confia cet écrit à un hommesûr, & l'envoya fecretement à Ly-mi, auquel il ecrivit à-peu-près en ces termes « Vous m'avez conftitué votre Lieu-

se tenant pour garder vos Etats & les gouverner pendant votre» abfence. Jufqu'à préfent je me fuis acquitté de mon mieux

» de ce double devoir je ne reçois point de vos nouvelles,» depuis que vous vous êtes donné aux Tang j'ignore quels

» font vos deffeins. S'il m'etoit permis de, vous dire, fans

» détour, ce que je penfe je vous inviterois à réfléchir férieu-

» fëment fur l'état où fe trouve aujourd'hui l'Empire. Il paroît

» que le Ciel a rejetté la famille des S oui pour lui fubftituer

» celle des Tang. Yous êtes comme un honnête prifonnierà» la Cour de Tchang-ngan ne pouvant faire un pas fans être» obfervé je regarde comme une chofe impoffible qu'on vousM permette de revenir jamais ici, & il eu. très-difficile que» vous puiffiez vousyreiidre furtivement. A votre place, je

» me foumettrois de bonne grâce aux ordres du Ciel qui»femble favorifer en tout le Comte de Tang; & puifque vous» avez fait la démarche de' vous donner à lui, vous ne devezrien oublier pour lui prouver que cette démarche a été fin-

» cere de votre part. Je vous fournis un moyen sûr de faire

» votre cour d'une manière qui ne peut tourner qu'à votre pro-» fit. Préfentez-vous même au Comte de Tang l'état exact

3

» que je vous envoie, de tout ce qui concernevotre principauté

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» de Ouei, & dites-lui, en même tems, que vous m'ordon-

» nerez quand il lui plaira de lui remettre toutes les places

» qui font fous ma garde. Si vous avez d'autres vues, donnez-

»>moi vos ordres je fuis prêt à tout, quand il s'agira de vous

» obéir. Comptez que je ne me démentirai jamais de la iidé-

» lité que je vous dois ».L'envoyé arriva heureufement & fit fa commiffion avec

tout le fecret qu'elle exigeoit. Ly-mi perfuadé qu'il n'avoitrien de mieux à faire, pour ôter aux Tang toute efpece defoupçons que de fuivre le confeil que lui donnoit Ly-tfi3 alla

trouver le Comte de Tang-, & affeétant un défintéreffement& un air de fatisfaftion qui n'etoient rien moins que finceres,Il lui dit Je viens de recevoir unè lettre de Ly-tu dans laquelleil me rend compte de tout ce qui regarde les Etats de Ouei& demande mes ordres fur ce qu'il doit faire c'efl à vous àordonner; je ne fuis à préfent que le plus fidele de vos fujets.Lifel

Le Comte lut, & plein d'une tendre admiration il ne puts'empêcher de laiffer couler quelques larmes. Que vous êtesheureux dit-il à Ly-mi, de vous être acquis un ami de ce mé-

rite ce qu'il fait à votre egard, prouve que fa fidélité efl à touteépreuve. Ecrivez-lui en lui ordonnantde venir lui-même recevoir

mes ordres & partager avec vous mon amitié.Ly-mi fit fa lenre, & comme fi elle n'avoit point eté con-

certée avec le Comte il la rendit fecretement à renvoyéde Ly-tfi, qu'il fit partir avec le même fecret. Elle etoit conçueen ces termes « Les affaires ont bien changé de face depuis

» que je vous ai quitté. Voyant que le Ciel fe déclaroit en» faveur des Tang auxquels il eft fur le point de donner l'Em-

» pire, je fuis venu volontairement & librement me ranger» fous leurs étendards. Je leur ai livré ma perfonne & fait

» hommage de tout ce qui m'appartenoit ci-devant ou pour» mieux

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DES CELEBRES CHINOIS.I*1. 1 *J 1S 1 1 191» mieux dire, de tout ce que j'avois démembré de l'Empire.

» Rendez-vous ici le plutôt que vous pourrez; je vous y invite,» & fi pour vous y engager il vous faut abfolument,un ordrede ma. part, je vous l'ordonne venez ».

aLy-tfi à qui on porta cette lettre, la reçut avec beau-coup de joie, parce qu'elle s'accordoit avec fes idées. Depuisque la. renommée lui avoit annoncé les exploits militaires deLy-chi-min il avoit toujours defiré de pouvoir fervir fous cegrand Capitaine, ne fût-ce qu'en qualité de foldat. La fidé-lité qu'il avoit vouée d'abord à Tckê-jang & enfuite à Ly-mi}Favoitempêchéfeule de fuivre en cela fon inclination. Charméde pouvoirenfin fe fatisfaire fans manquer à fon devoir&fansimprimer, fur fon nom, aucune tache d'infidélité ou d'inconf-tance, qui pût en ternir l'éclat, il partit fans délai pour ferendre où il etoit appellé. Arrivé à Tchang-ngan il fut con-duit au palais impérial avec une fuite telle qu'on eût pu ladonner à un Prince étranger qui feroit venu rendre hommage.Ly-yuen qui, fans porter encore le titre d'Empereur en fai-foit les fonctions dans toute leur étendue & en avoit déjàtoute l'autorité, lui fit une réception des plus honorables ille difpenfa d'une partie du cérémonial, & voulut qu'il traitâttoujours avec lui comme font les amis entr'eux.

Ly-tfi profita de la liberté qu'on lui donnoit pour faire va-loir le don de plaire que la nature lui avoit fi libéralement dif-tribué. Il gagna fi bien le cœur de Ly-yuen, que ce Princel'adopta, pour ainfi dire, dans fa propre famille, en lui per-mettant de porter le nom de Ly, qui etoit celui de la mai-fon des Comtes de Tang. Jufqu'alors Ly-tfi n'avoit été connuque fous les noms de Siu-ché-tfi on l'appella dans la fuite

vLy-cké-tfi, & après fa mort, Ly-tfi. A cette faveur, la plus con-fidérable qu'il eût encore accordée,Ly-yuen en ajouta d'autres.Il nomma Ly-tfi Prince du royaume de Lay lui donna le

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Gouvernement général de Ly-tcheou, & en fa confklération& à fa prière employa Ly-mi hors de la capitale, en luiconfiant plufieurs corps de troupes à commander, & la garded'un pofte des plus importans fur les frontieres.

Ly-mi ri'avoit pas été long-tems fans fe repentir de s'êtredonné aux Tang il profita de fa liberté pour cabaler & nouerdes intrigues avec fes anciens foldats. Sous prétexte de vifi-terles frontières de fon diftri6t, il s'avança à quelques jour-nées du lieu où campoient quelques Tartares, pour tâcherde s'aiTur'er auprès d'eux d'une retraite, au cas qu'il eût le

malheur d'être découvert. Comme Ly-yuen n'avoit pas entié-

rement dépofé tout foupçon-fur fon compte, il lui avoit donnédes fuïveillans fecrets qui dévoient rinftruire de toutes fes

démarches. Il fut bientôt que Ly-mi etoit un fourbe qui tra-vailloit à fe faire un parti & à s'affurer de la protection desTartares. Il lui envoya ordre de revenir, pour l'employerdif oit-il dans les affaires du Gouvernement. Loin d'obéir

aLy-mi ie révolta ouvertement il leva des troupes, pilla plu-fieurs villages, ravagea les campagnes, & prit fa route parles montagnes du côté du midi Il prétendoit fe rendre maîtrede Ly-yang où Ly-tjt fon ancien ami venoit d'être en-voyé, & où il s'etoit ménagé des intelligences avec plufieursOfficiers. Il comptoit aller enfuite groffir le parti de Ouang-ché-tckoungk Lo-yang il eut réuffi peut-être dans fon projet s'ils'etoit conduit, dans les commencemens, avec plus de modéra-tion. Un des Lieutenans-Généraux,commis à la garde des fron-tieres, ayant appris fa révolte,n'attendit pas des ordres delaCouv

pour aller contre lui. Il fe mit à la tête de quelques détache-

mens, & alla en toute diligence fe poiler à l'entrée d'une

gorge par où il foupçonna que le rebelle devoit paffer. Il

ne fe trompa point Ly-mi avoit pris cette routé & fut fortétonné quand il vit des troupes qui gardoient ce paffage. Il

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voulut les forcer il eut le malheur d'être pris. Sur-le-champ

on lui coupa la tête & on la montra à fes gens qui tous mirentbas les armes & fe rendirent à difcrétion.

La tête'de Ly-mi fut envoyée dans une boîte à Tckang-ngan,& Ly-yuen la fit porter à Ly-yang où il favoit que ce rebelleavoit des intelligences, afin que Ly-tjî, qui y commandoit,la fit voir aux troupes pour leur fervir d'exemple, & faire ren-trer en eux-mêmes ceux qui pourroient avoir conçu quelquedeffein de révolte.

Ly-tjî, en recevant des mains de l'envoyé cette lugubreboîte qu'on ouvrit en fa préfence détourna les yeux, pouffa

un profond foupir & Iaiffa couler quelques larmes. Il exécutal'ordre qu'on lui donnoit d'expofer publiquement cette tête,& ecrivit à Ly-yuen en ces termes

« Je me fuis conduit fuivant vos intentions. La tête de Ly-» mi eft expofée, & j'ai tout lieu de croire que perfonne ici» ne fera tenté de fuivre fon exemple. Je veille à tout vouspouvez être tranquille.

» Perfuadé que vous n'êtes pas moins porté à récompénfer

» ceux qui vous fervent avec fidélité qu'à punir les perfides» qui vous trahiffent j'ofe me flatter que vous voudrez bien

» m'accorder la grace que je vais vous demander avec toute» l'inftance dont je fuis capable comme une récompenfe de

» ce que j'ai déjà fait, & de ce que je ferai dans la fuite

pour votre fervice.» Ly-mi a été mon ami, mon Général & mon Souverain.

s»II eut toujours mille bontés pour moi je veux lui témoi-

gner après fa mort, une reconnoiffance dont il ne m'a pas» été poffible de m'acquitter à fon égard lorfqu'il vivoit. Je

» vous prie d'ordonner qu'on me livre fes offemens je les

» réunirai à fa tête, & je ferai rendre ici, à fa malheureufe» dépouille les honneurs funébres dans tout l'appareil xnili-

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» taîre. Ly-mi s'eft rendu coupable j je déteftefon crime. J'ai

» appartenu à Ly-mi par bien des titres; je ne faurois m'em-» pêcher de donner des larmes à fa mort j'efpere qu'à tous»s les bienfaits dont vous m'avez déjà comblé vous ajouterez

» celui que je follicite aujourd'hui avec une pleine confiance

» de n'être pas refufé ».Une pareille lettre, dans les circonftances eût peut-être

irrité tout autre que Ly-yuen mais ce Princeavoit l'ame tropgrande pour défapprouver des fentimens qui ne refpiroient

que la vertu. Oubliant le crime du rebelle, il ne fit attentionqu'à la générofité de Ly-tjî en lui permettant d'honorer dela maniere qu'il jugeroit à propos, la mémoire d'un hommequi méritoit fon exécration. Il ordonna aux Mandarins dulieu où l'on avoit tranché la tête à Ly-mi de faire chercherfon cadavre, & de le faire porter avec décence jufqu'àLy-yang, pour être remis entre les mains de celui qui y com-mandoit.

Auffi-tôt que Ly-tjî eut nouvelle que les triées reftes de fouancien Général etoient fur le point d'arriver, il fit prendre deshabits de deuil à toutes les troupes de la garnifon, les fit mettrefous les armes dépofa la tête de Ly-mi dans un magnifiquecercueil, & s'etant mis lui même à la tête de fes gens de

guerre il fortit de la ville & conduifit la pompe funebre juf-qu'au lieu où il avoit fait élever le tombeau. Il avoit donnéfes ordres pour que le convoi y arrivât d'un côté, dans lemême tems que les offemens y arriveroient de l'autre. Ceux-ci furent réunis à la tête dans un même cercueil, & l'on pro-céda à l'enfeveliffement de la même maniere que fi Ly-mietoit mort dans le lit d'honneur.

Ce que fit Ly-ifi dans cette occafion, lui gagna fans retourle cœur des Tang, & lui attira l'admiration de tout l'Empire:on le regarda par-tout comme un modele de fidélité & Ly-

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yuen fe crut fi bien fondé à compter fur fa droiture, commeil comptoit fur fes qualités guerrieres, qu'il ne craignit pas delui confier les affaires les plus délicates & les fecrets les plusimportans dans ces commencemens de fon régne. Il l'appellaauprès de fa perfonne & le retint quelque tems pour pro-fiter de fes confeils il le donna enfuite à fon fils Ly-ché-min

pour lui fervir de fecond dans fes expéditions militaires.Avec le fecours de ce feul homme, Ly-clzé-min eut bien-

tôt détruit la Cour orientale, & anéanti le parti de Teou-kien-têiil eut bientôt réduit Ouang-ché-tchoung en fe rendant maîtrede Lo-yang & de tout le Chan- fi. Ne pouvant être en mêmetems par-tout il envoyoit fes Généraux faire, en fon nom,des conquêtes; & Ly-tfi etoit toujours un de ceux qui comp-toient les batailles par les viftoires, qui lui prenoient des villes& qui le faifoient tout à la fois refpefter & craindre de toutceux qu'il avoit fournis.

Devenu Empereur Ly-ché-min voulut reconnoître les im-

portans fervices que lui avoit rendus fon fidele Ly-tjz-. Il lefit Gouverneur de tout le pays de Han lui donna le titre deGénéraliflime & fe déchargea fur lui du foin de tenir enrefpeft les hordes remuantes des Tartares Tou-kiué. Il ajoutaà tous fes autres emplois celui d'Infpeâeur général des fron-tieres occidentales,& lui afligna Ping-tcheou dans le Chan-fi,pour être le lieu de fon féjour, quand il ne feroit pas obligéde faire la guerre. Il remplit ce pofle, le plus important qu'il

y eût alors, pendant feize années de fuite, & le remplit avectant de gloire & de fi brillans fuccès en battant les Tartares

toutes les fois qu'ils fe hafardoient à faire des excurfîons furles terres de l'Empire, qu'il contraignit enfin cette nationinquiète à refier tranquille chez elle. C'eft ce qui fit dire plus

d'une fois au grand Tay-tfoungque le feul Ly-tfi etoit. une plus

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forte barrière contre l'irruption des Tartares que la grandemuraille même.

Quand ce Prince entreprit la conquête de la. Corée, il choifitLy-tji pour commander fous fes ordres l'une de fes armées. On

a vu le détail de cette expédition fous le portrait de Tay-tfouhg mais je n'ai pas fait mention d'une aventure qui efl:

trop honorable à Ly-tfi, en même tems qu'elle fait le plus beleloge du Prince, pour ne pas la placer ici.

On peut fe rappeller que Tay-tfoung etant fur le point de

mettre le fiege devant Ngan-che-tcheng, l'une des plus fortesplaces qu'il y eût alors en Corée apprit qu'une armée formi-dable d'ennemis venoit au fecours de cette Ville dans le deffeinde lui livrer bataille il avoit donné quinze mille hommes àLy-tfi pour arrêter les premiers efforts de cette armée il pritpour lui le corps de réferve pour l'attaquer en flanc, & envoyaTchang-fun-ou-kifaire un grand détour afin devenir la prendre

en queue. Il donnoit fes derniers ordres fuivant ce plan, quandLy-tfi fut tout-à-coup faifi d'une maladie qui faillit à l'emporter.Un des Médecins de quartier, voyant que l'Empereur etoitconfternéde cet accident, lui dit qu'il favoitun fecret, au moyenduquel il rendroit en peu d'heures la fanté au malade, fi fon maln'etoit pas de nature à ne pouvoirguérir.

L'Empereur lui demanda fon fecret, en lui ordonnant des'en fervir en fa préfence. Une pincée de cendres, faites avec labarbe d'un homme fain, lui dit le Pharmacien, efl tout monfecret& le remede qui le tirera d'affaire. Je fuisfain, repliqua l'Em-pereur, fallut-il toute ma barbe je. la facrifierois volontiers

pour contribuer à la guérifon de ce grand homme. Sur le champil coupa une partie de fa barbe la mit entre les mains duMédecin, qui la réduifît en cendres, & ces cendres délayées

avec un peu d'eau, furent données au malade comme un fpéci-

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fïque qui devoit lui rendre promptement la fanté. En effetune ou deux heures après avoir avalé ce remede falutaireLy-tfi parut fe porter auffi bien qu'avant fon accident.

Je.rapporte ce fait fur la foi de l'hiftoire qui ne le raconteelle-même que comme une preuve de la bonté dont Tay-tfounçhonoroit cet illuftre Guerrier. Elle n'entre dans aucun détailfur la nature de cette maladie fubite & extraordinaire guériefi promptement par un remede plus extraordinaire encore.Peut-être que ce n'etoit qu'une apoplexie, & que les cendresde la barbe, avalées dans un peu d'eau, ouvrirent les voies paroù la nature fe décharge & par-là même donnèrent au fang& aux efprits toute la facilité d'une libre circulation. Quoi qu'il

en foit, Ly-tfi fe trouva en état de contribuer plus qu'aucun

autre au gain de la bataille qui fe donna non loin de la villede Ngan-tcké-tcheng.

Avant de commencer le fiege de cette même ville, l'Empe-

reur voulut témoigner à tous fes Officiers généraux combien iletoit fatisfait de leur conduite. Il leur donna dans fa tente unde ces feftins d'où il bannit tout' cérémonial & toute contrainte,& où il ne voulut que la liberté, la cordialité, l'aimable aisance& la bonne chere tel en un mot qu'il en donnoit autrefois,

1après une victoire à fes compagnons & à fes amis, lorfqu'iln'etoit encore que iîmple Général d'armée. Ce grand Princefut lui-même l'ame de ce feftin il en fit toute la joie par fonattention à rappeller à chacun'des convives, &-les belles aftionsqu'il poùvoit avoir faites ou ces petits traits de bonne con-duite, de bravoure ou de telle autre vertu, qui, pour n'avoir

pas eté d'un grand eclat, paroiffoient être déja enfévelis dans

un profond oubli.Comme Ly-tfi etoit un de ceux qui avoient acquis le plus

de gloire, ce fût un de ceux auffi qui eut le plus de part auxéloges de Sa Majefté. Mon cher Ly-tfi lui dit l'Empereur

,>>

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avec une efpece de tranfport qui tenoit de l'enthoufiafme, moncher Ly-tché-tii que je ferois heureux fi je pouvais me flatterque vous m'êtes autant attaché que vous l'etie^ autrefois à Ly-mi!S

vous lui ave^ été fidèle, tant qu'il a vécu vous'lui ave% donnédes marques non equivoques de votre amitié au-delà même dutombeau. Promettez-moi que vous enfere^ de même à mon égard

& qu'après ma mort vous fervire\ celui de mes enfans qui rem-plira ma place, avec la même fidélité & le même emprejfementque j'ai toujours eprouvés de votre part. En difant ces mots illui tendit la main.

Ly-tfi voulut répondre mais les fanglots & les larmes fejoignant aux vapeurs du vin qui commençoient déja à agirfur lui lui couperent la voix. Il porta fon doigt dans la bou-che & le mordit jufqu'à en tirer du fang, puis en l'avançant

vers l'Empereur il lui dit en bégayant, à mefure que le fangcouloit jufquà la derniere goutte, Seigneur, jufqu'à la der-niere goutte. Il n'en put pas dire davantage la fenfibilité quilui gonfla le cœur hâta le dernier effet du vin, & il s'affoupit.C'efi ma faute dit l'Empereur je devois favoir que Ly-ché-tfin'efi pas buveur, & je l'aifait trop boire. Il le fit étendre dansrendroit où il couchoit lui-même, le couvrit de l'un de fes

propres habits afin que perfonne ne fût tenté de lui manquerde refpeft en le voyant dans cet etat, & continua à difcourir

avec les autres.Le lendemain Ly-tfi apprit à fon réveil tout ce qui s'etoit

paffé. Il voulut fe jetter aux pieds de l'Empereur pour luidemander pardon d'une faute dont il n'etoit pas coupable, &le remercier en même tems de 'fes bontés. Cefi moi qui fuis en

faute lui dit l'Empereur d'avoir expofé votre fanté; une autrefois je vous ménagerai davantage. Penfons pour le préfent àquelque chofe de plus férieux. Régle\ vous-même toutes les.opérations du feg~e, je vous en lai~'e le foin.

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Tome V. Hi.

Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit fous Tay-tfoung enparlant de ce fameux fiege on a vu comment il s'etoit ter-miné. Ly-tfi continua à fervir fon Maître comme il l'avoittoujours fait. Cependant Tay-tfoung fe trouvant fur le pointde mourir, crut devoir mettre fa fidélité à de nouvelles epreu-ves il i'eloigna de la Cour, en recommandant au Princehéritier de le rappeller auffi-tôt qu'il feroit monté fur le trônefuppofé qu'il eût obéi fans marquer aucun refientiment à l'or-dre qu'il luidonnoit d'aller remplir à l'extrémité de l'Empire unemploi beaucoup au-defious de fon mérite, & inférieur à tousceux qu'il avoit remplis jufqu'alors.

Comme Ly-tfi n'avoit jamais eu d'autres vues que de fervirfidellement l'Empereur & l'Empire il obéit fans murmure &

partit fans délai ce qui engagea Kao-tfoung fils & fuccef-feur du grand Tay-tfoung à appelîer auprès de fa perfonne légrand homme dont fon pere mourant lui avoit recommandéde fe fervir, fi dans les premiers mois de fon regne, il ne luidonnoit aucun fujet légitime de foupçonner fa fidélité. C'eûteté un grand bonheur pour l'Empire que Ly-tfi n'eût jamais

reparu à la Cour. S'il ne fe fût fenti appuyé de fon fuffrage,Kao-tfoungn'eût jamais ofé réfifter à fes Miniftres aux Tri-bunaux, & à fes Grands qui tous s'oppofoient à ce qu'il ele-vât à la dignité d'Impératrice la cruelle Ou-ché.

Ly-tfi n'ayant pas l'art de lire-dans l'avenir, ne pouvoitprévoir que cette femme feroit un monitxe, qu'il eût beaucoupmieux valu etouffer que de le porter fur le trône. Il ne voyoit

en elle qu'une femme, qui par ton efprit, ton favoir & lesautres qualités extérieures qui rendent aimable avoit fait les

délices du grand Tay-tfoung, l'efpace de treize années entie-

res, fans qu'elle eût jamais donné lieu par fa conduite oupar fes difcours, à la moindre plainte de la part de qui quece fûtj clans l'intérieur du Palais, où les femmes des Empe-

rr, tr T ·

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reurs font toujours concentrées n'ayant à traiter qu'en-tr'elles, ou avec leurs Suivantes ou avec les Eunuquesqu'on leur donne pour les fervir. D'ailleurs les femmes n'ayantinflué en rien fous les deux regnes précédens, de Kao-tfou &de Tay-tfoung il fe perfuada trop aifément qu'il en feroit demême fous le regne de Kao-tfoung. Voilà ce qu'on pourroitdire pour la juftification de Ly-tjî s'il pouvoit être juftinéd'avoir, contre le fentiment universel ofé feul favorifer lapaffion du Prince.

Kao-tfoung lui témoigna combien il etoit chagrin de nepouvoir fe fatisfaire fur un point qui n'étoit, difoit-il, d'aucuneconféquence pour l'Empire mais qui etoit de la dernière con-féquence pour fa tranquillité particuliere. Ly-tji lui répondit

en militaire qui veut abréger la longueur des formalités, & quiefl accoutumé de longue main à fe faire obéir Donner.,

“Seigneur le titre d'Impératrice à celle de vos femmes que vousjugere^ a propos de choijir. C'efl une affaire de famille que vouspouve^ terminer indépendamment de vos Miniftres & des Grands.Si vous craigne.^ qu'on refufe de reconnaître celle que vous aurezchoijîe j'irai s'il le faut intimer moi-même vos ordres.

Ces paroles forties de la bouche d'un homme qui jouiffoitde l'eftime de toute la nation;, & qui avoit le cœur de tousles gens de guerre enhardit l'Empereur & fit plier fous favolonté ceux mêmes qui lui avoient réfillé ci-devant avec leplus- d'intrépidité. Ou-ché fut nommée Impératrice, & tous lesordres de l'Etat la reconnurent paifiblement pour telle. Cedernier trait de la vie publique de Ly-tji a faffi pour rendre famémoire exécrable à cette efpece d'hommes, dont la débile

vue ne fauroit voir qu'un objet à la fois & qui ayant etéfortement frappé de la laideur d'un feul vice n'apperçoiventpas même la beauté de mille vertus qui font à côté mais lapoftérité impartiale a rendu jullice à ce Héros. -II etoit, dirent

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les plus graves Hiftoriens, d'un caraftere affable & naturelle-

ment doux. Il avoir l'éloquence de la figure & de la voix &affaifonnoit tout ce qu'il difoit, d'une certaine grace qui per-fuadoit, pour ainfi dire malgré qu'on en eût. Il etoit généreuxjufqu'à oublier entièrement les injures; libéral jufqu'à ne ferien réferver du butin pris fur les ennemis il diftribuoit tout àfes foldats; modefte jufqu'à fe refufer la gloire la mieux méri-tée, il la renvoyoit toute à fes Généraux quand il n'etoitqu'Officier, & à fes Officiers quand il etoit Général. Dansle commerce de la vie il etoit d'une fidélité à toute epreuve.Plus d'une fois il fe mit au-deffus des regles de la prudence

pour favorifer fes amis. Enfin ajoutent les mêmes Hifto-riens, il n'eut jamais d'autres ennemis que ceux de l'Etat

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il n'eut d'envieux que ceux qui ne l'avoient jamais vu.Aimé fucceffivement des trois premiers Empereurs desTang il fut porté fous leurs regnes au comble de la gloire,des richefles & des honneurs, fans qu'il les demandât, fansqu'il les recherchât, fans qu'il parût même les defirer. Chéri& prefqu'adoré des gens de guerre jamais il n'eprouvade réfî-fiancedans l'exécution des ordres qu'il leur donna; jamais il n'en-tendit de murmures de la part de ceux qui obéiflbient. Un motde fa bouche les faifoit monter gaiement à l'affaut commen-cer ou finir le combat, porter ou fufpendre les coups, s'abftenirdu pillage, avancer ou reculer, franchir même les montagnes

y.& paffer les rivieres.

Cet illuftre Guerrier pouffa fa carriere jufqu'à l'âge de qua-tre-vingt-nx ans. Quand il fe vit fur le point de mouri.r, il fitvenir Ly-pl fon frere cadet & en préfence de fes enfans & de

toute fa famille il lui dit Monfrere vous ave^ toujours vécufans reproches & je n'ai reçu de vous que des fujets de fatis-faclion. Je vous laïffe maître de tous mes biens pour en difpoferraprès ma mort ? enjaveurde celui de mes fils que vous en croire^

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le plus digne. Je ne veux pas qu'aucun d'eux puiffe m'accuferd'avoir aimé fun defes frères plus que lui, piïïfque je les aime

tous également. Et vous mes en/ans continua-t-il en s'adref-fant à fes fils aye^ fans cejfs devant les yeux le trifle fort desfils de Fang-hiuen-ling & de Toti-jou-hoei. Ils furent comblésd'honneurs en conjzdération des fervices de leurs pères ils ontahufé des bontés qu'on eut pour eux leur mciuvaife conduiteles a précipités dans l'abyme. Ils ont péri miférablement n'imite^

pas leur pernicieux exemple vous ne voulez^ pas que le mêmemalheur vous arrive.

Serve? l'Etat & le Prince avec le déjîntéreffement & la fidélité

que vous ave^ pu remarquer en moi. Vous êtes héritiers de mestitres comme de mon nom il n'y a en cela aucun mérite de

votre part. La même autorité qui a bien. voulu m'accorder désdifiinSionsJi honorables & qui, par un excès défaveur dont

Tous ne faurie^ être trop reconnoiffans a permis qu'elles fuffenthéréditaires dans ma famille peut vous en priver fans injufiicefi vous vous rende^ indignes d'en jouir par vos vices ou parune conduite équivoque.

Mende^fervice^à tout le monde autant que vous le pourre^fans manquer à votre devoir n'oublier^ rien pour vous faireaimer. On efl aveugle fur les de quelqu'un qu'on aime,on interprète en bien toutes fes actions & l'on ne cherche pointà lui nuire.

Ne vous laiffe^ jamais éblouir par l'éclat de la fortune & desprofpérités. Au milieu des plus grands fuccès & du plus parfaitbonheur apparent penfe^ que les difgraces & la foule desmalheursfont peut-être déjà fur le feuil de votre porte pour inon-der votre maifon. Lorfqud s 'élèvera dans votre cceur des fenti-

mens de préfompuon de ou d'org ueil qui tendront à vousperfuader que vous êtes au-deffus des autres ou que vous vale?t

mieux queux fouvene^-vous alors que votre pere a commencé

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DES CELEBRES CHINOIS.1 1 1-par être voleur & que fa première profeffion a cté celle de

brigand. Celafufftra je penfe pour vous rappeller à vous-même.Je vous Uai dit bien des fois & je vous le répete aujourd'huiafin que. Vous ne l'oublie^ jamais. Voilà mes en fans ce quej'ai cru devoir vous dire avant que de nie féparer de vous pourtoujours.

Ce fut-là en effet la derniere inftru&ion qu'il leur donna.Le mal devenu rebelle à tous les remedes dans un iujet dequatre-vingt-fix ans, l'enleva à la neuvième lune de la fecondeannée de Tfoung-tchang. Cette année eft la vingtième du regnede Kao-tfoung & répond à l'an de J. C. 66^.

Quand on eut annoncé à Kao-tfoung la mort de cet illuftreGuerrier, ce Prince dit en foupirant qu'il venoit de perdre unedes plus fermes colonnes de l'Empire. Il voulut qu'on gravâtfur fon tombeau ces quatre cara£r.eres Ly-tfi Tcheng-ou

comme étant le feul eloge digne de lui. Eloge court mais quidit plus que n'auroient pu faire les plus longs difcours. Le nomde Ly-tfi, & celui de Guerrier parfait, qui eft exprimé parles -deux caraéïeres Tcheng-ou font prefque devenus fynony-

mes & la poftérité qui rend juftice à tout le monde, regarde

encore aujourd'hui Ly-tfi comme un modèle qu'on doit fepropofer d'imiter quand on a embraffé la proieffion des armes.Cette même poftérité également équitable, quand elle blâme

comme quand elle loue reproche à Ly-tfi d'avcir pouffé laflatterie au-delà de ce qu'elle pouvoit aller elle ne cite cepen-dant que deux traits pour juftiiîer la qualification de flatteurqu'elle lui donne & ces deux traits ne font que deux réponfes

que cet iliuftre Guerrier fit à l'Empereur, fon maître & ionbienfaiteur.

La première de ces réponfes fut à l'occalion du choix queKao-tfoung vouloit faire, comre le fentiment unanime des

Minières & des Grands d'une de fes femmes pour relever

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au rang d'Impératrice. Je l'ai rapporté plus haut. La feconde

eut lieu dans une audience publique que Kao-tchoung donnoità fes Grands & aux Mandarins de fes Tribunaux.

Autrefois dit ce Prince mes Mandarins & mes Grands nern épargnaient pas les avis, tant pour le bon gouvernement -del'Empire que pour ma conduite particulière & depuis quelque

tems je m'apperçois que tout le monde fe tait. Seroit-ce lacrainte de me déplaire qui impoferoit ce filence ? je veux qu'onfoit perfuadé que je recevrai toujours bien les avis qu'on medonnera quand ils ne feront pas déplacés.

Ly-tji prit feul la parole & dit, au nom de tous Si nousne vous faifons plus de représentations c'ejl que nous ne favonsplus fur quoi les faire. Votre Majejlé fe conduit fi bien elle

gouverne fi bien l'Empire, qu'il ne nous rejle que des eloges àlui donner.

Ce n'etoit-là, à le bien prendre qu'un pur compliment,qui ne méritoit pas, ce femble, d'être fi fort blâmé. C'eflcependant pour l'avoir fait que des Ecrivains très-célebresprétendent que le nom de Ly-tji ne devroit pas fe trouverparmi ceux des grands hommes. Il ne m'appartient pas de déci-der s'ils ont tort ou raifon; je ne fais ici que l'office d'Hiftorien.Le Lefteur faura bien apprécier fon genre de mérite, & luiaffigner la place qui lui convient.

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~l'einoire.~ sUr~ler C~z.izoz.r““/ tt Mémoires surles ChinoisPq<Je \1

Torn. Vi PLU. Paye 2.ÔS.i

(lUtTSK-TIRN- Hoang--heou^t/ff/-a^7«i '2.

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LXI.TSÊ.TÏEN-HOANG-HÉOU, Impératrice.

Beaucoup d'efprit dans une tête qui roule de grands projets,joint à un cœur pervers qui a des paffions violentes à fatis-faire, eu un glaive à deux tranchans entre les mains d'unfurieux. La trop célebre Tfê-tien, dont je vais efquiffer rhif-toirc, ou plutôt les horreurs, fervira de preuve à ce quej'avance.

Elle etoit fille de Ou-chê-ou Commandant des troupes dela viile de King-uheou dans le Hou-koang & s'appelloitdutnom de fon pere, Ou-ché. Elle naquit avec des difpofitionsextraordinaires pour apprendre tout ce qu'on voudroit luienfeigner. Un efprit fubtil une mémoire des plus heureufes

une facilité de parler peu commune aux perfonnes même defon fexe furent les premiers dons de la nature qu'elle fut fairevaloir, dans un âge où les autres enfans favent à peine pronon-cer quelques mots. Déjà elle répétoit tout ce qu'elle entendoitdire & le répétoit affez exactement pour s'attirer l'approba-tion & les eloges de ceux qui l'environnoient.

On ne fut pas long-tems fans s'appercevoir qu'elle etoitplus fenfible à ces approbations & à ces eloges qu'à tout cequ'on pouvoit lui promettre d'ailleurs pour l'engager à faire

ce qu'on exigeoit d'elle. Si on louoit fur fa retenue quelqu'enfantqui ne fe livroit pas trop aux amufemens elle etoit pendant

tout le reile de cette journée d'une raodeftie à charmer. Si onen louoit un autre fur fa manière pofée de marcher & des'enoncer on la voyoit marcher pofément elle-même, &tâcher de parler avec lenteur malgré fa vivacité naturelle &fa volubilité de langue. C'eft ainfi que fans lui rien prefcrire

y

fans même lui adreffer la parole, on tiroit d'elle tout ce qu'on

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vouloir. Elle faifoit l'amusement de la famille & I'admirationde tous les voifins.

Son pere, homme de guerre, ne penfoit à rien moins qu'àfaire de fa fille une lettrée ou une favante. Elle devint cepen-dant l'une & l'autre de la même manière qu'elle fût devenuechanteufe ou comédienne, fi on l'avoit mife dans Toccafion déle devenir. Dans la maifon il y avoit des maîtres pour l'inf-truftion de fes frères & parmi ces maîtres celui qui expli-quoit les livres, etoit un de ces favans qui, pleins des fagesmaximes de l'antiquité les rappeiloient à tout propos, pourles inculquer dans l'efprit de leurs élevés. De tems en tems il.

leur faifoit réciter, devant le pere & la mere quelques lam-beaux d'auteurs, qu'il avoit eu foin de leur faire apprendre &le pere & la mere payoient toujours de quelques éloges, la.

diligence de leurs enfans.Ou-cké fe mit en tête de mériter auffi des eloges, dans le

même genre qui en attiroit à fes freres. Elle alloit écouter à la.

dérobée les leçons du maître & ne les oublioit point. Aprèsquelque mois, quand elle crut en favoir affez pour fe faireadmirer elle demanda à être examinée à fon tour fur cequ'elle favoit; elle en obtint la permiffion. Alors elle débita plu-fieurs textes des King & toutes les explications que le maître

en avoit données avec beaucoup de grâce & fans hériter fur

un feui mot.On conclut, dans la famille qu'il falloit l'appliquer férieu-

fement à l'étude. On lui mit des livres entre les mains & onl'affocia à fes freres, fous la difcipline du même précepteur.Ses progrès furent des plus rapides dans moins de deux ans,elle fut par cœur tout les King, & etoit en état de lesexpliquer. On lui fit apprendre les livres de Tfée ou des Phi-lofophes, & après eux on lui fit lire Phiftoire. Elle paffa ainfîjufqu'à l'âge de quatorze ans dans la maifon paternelle, uni-

quement

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quement occupée du foin de cultiver fon efprit par la lecture& l'étude. Sa réputation ne demeura pas renfermée dans laville elle vola dans les provinces de l'Empire & par-tout onrnettok la fille de Ou-ché-hou au nombre des enfans célèbresqui ont honoré leur fiecle.

La vertueufe Impératrice Tcha.ng-fiin.-chc étant morte, Tay-îfoung en conçut un chagrin qui faillit aie conduire lui-même

au tombeau. Ceux qui approchoient de fa perfonne favoientque les charmes d'une converfation douce & brillante toutà la fois, & infrruclive etoient ce qu'il regrettoit le plus dansla perfonne qu'il venoit de perdre. Il avoit coutume de ren-trer chaque jour dans fon domefcique après avoir terminéles affaires de l'Empire & de s'y délaffer des foins péniblesdu Gouvernement en s'entretenant avec fa chère Tchang-fun-cké. Ses amis, car ce grand Prince, tout Empereur qu'iletoit, avoit des amis, & des amis qui lui etoient fincérementattachés fes amis comprirent que le feul moyen de calmer fadouleur & de le tirer de la profonde mélancolie dans laquelleil etoit enfeveli, etoit de lui trouver quelque jeune perfonnequi eût les mêmes qualités de celle qu'il regrettoit. Ils avoientouï parler de la fille du Commandant de King-tch&ou ils enparlerent à Tay-tfoung, comme d'un petit prodige, & Tay-tfoung Ht écrire à Ou-ché-hou de l'amener à la Cour, pour êtreplacée dans le palais à la fuite de quelque Reine. Ou-ché-hou n'eut rien de plus preffé que d'obéir à un ordre dont ilfe flattoit de retirer les plus grands avantages pour fon eléva-tion mais fon epoufe ne penfoit pas comme lui. Elle eût voulu

que fous quelque prétexte il eût remercié l'Empereur del'honneur qu'il vouloit lui faire. Notre fille efi perdue pour nous,lui difoit-elle une fois entrée dans le Palais, elle n'en foniraplus, & nous n'aurons pas même la liberté de lui faire fizvoirde nos nouvelles & de recevoir des Jîennes } & en parlant ainfï^

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continue l'Auteur qui rapporte cette anecdote elle verfoit des

larmes. La jeune perfomie craignant que fon père ne felaijfât perfuader, preffa le plus quelle put, les préparatifs dudépart & reprit ajfe^ vivement fa mère de ce qu'elle vouloits'oppofer difoit-elle à la grandeur future de fa maifon.

Arrivée à la Cour, elle fut préf entée à Tay-tfoung qui

fur fon maintien, fes réponfes & fes reparties lui donna

après la première converfation, le titre de Tfai-jin, qui fignifie

fille de mérite. Quelque rems après il ajouta, à ce titre, le

mot de mei qui fixoit en quelque forte le genre de méritequi la caracrérifoit le mieux, car mei fignifîe-là celle qui, parfa converfation & fa préfence infpire la belle humeur & ladouce joie. Depuis ce tems on ne l'appella plus dans le

Palais, que du nom de mei qu'onajouta à celui de fa famille,quietoit Ou & l'Empereur pour lui affurer un état honora-ble, la mit au nombre de fes femmes du fécond ordre.

Ce commencement de fortune donna lieu à Ou-tnei de feflatter qu'elle pourroit devenir quelque chofe de plus. Elles'infinua dans les bonnes grâces de toutes celles avec qui elleavoit à vivre elle etoit foumife, docile, pleine de petites atten-tions envers toutes celles qui etoient d'un rang fupérieur elleetoit modefte avec, les égales, & pleine de bontés pour toutesles autres mais fou principal but etoit de plaire à l'Empe-

reur lui même. Elle mit en œuvre tout ce que fon efpritput lui fuggérer d'artifices pour lui infpirer de la tendreffe& captiver fon cœur. Ce fut en vain le grand Tay-ifoungadmi-roit fon efprit aimoit fa converfation, & ne la voyoit quecomme on voit ces fortes de chefs-d'œuvre faits de maind'homme, dans leiquels on trouve toujours quelque chofe denouveau à confîdérer. C'eft ainfi du moins que Kao-tfoungle publia dans la fuite, lorfqu'il voulut mettre au nombre defes femmes celle qui avoit appartenu fous ce titre, à fon

père.

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Ce qui pourroit en quelque forte fervir de preuve à l'af-fertion de ce Prince & diminuer un peu de fon crime, c'eilque Ou-mel lui donna des enfans, & que pendant les i annéesque cette femme fut avec ion pere elle ne lui en donnaaucun quoique Tay tfoung en eût de fes autres femmes.Cette preuve, toute faible qu'elle eft, parut fufïifante pour auto-rifer la paffion de Kao- tfoung àfe fatisfaire.

Les premieres étincelles de cette funefic paffion s'allumèrentlors de la derniere maladie de Tay-tfoung. J'ai dit, fous le por-trait de ce grand Empereur que le Prince héritier ne quittoitpas le lit de fon pere & qu'il le fervoit avec tous les foins& toute l'attention d'un fils qui a véritablement la piété filialegravée dans le cœur.

Oti-mei venoit, de fon côté, rendre fes devoirs au malade& tâchoit de le diflraire de fon mal en Pamufant par le récitde quelques traits d'hifloi-re qu'elle favoit lui être agréables.Le jeune Prince la voyoit, l'ecoutoit avec plaifir & ne ren-doit jamais quelque fervice à fon pere, avec plus d'affeftionque quand Ou-mel partageoit ce foin avec lui. Tay-tfoungmourut le Prince héritier monta fur le Trône & les Damesdu Palais qui avoient appartenu à l'Empereur mort, à titrede femmes du premier, fecond & troifieme ordres couperentleurs cheveux, pour la plupart, & allèrent fe renfermer dansle fameux monaftere de Kan-yé-fee où l'on mit la tablettede Tay-foung, à côté de celle de Kao-tfou fon pere, qui yfut placée à l'occafion que j'ai dite, en parlant de l'ère fti on

de ce monaftere.Kao-tfoung commença la premiere année de fon règne par

la nomination d'une Impératrice. Son choix tomba fur la Prin-ceffe Ouang-ché fa légitime epoufe. La nouvelle Impératricen'avoit point encore eu d'enfans, quoique mariée depuis plu-fieurs années elle avoit la douleur de voir des femmes du

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fecond ordre donner des fils & des filles à fon epoux &infulter impunément à fa ftérilité.

Celle de tes rivales qui excita le plus fa jaloufie, fut unejeune Reine, nommée Chou-fei, pour laquelle l'Empereur paroif-foit avoir plus de tendreiTe que pour aucune autre. Cette Chou-fci fîere déjà d'avoir le cœur de ton maître devint infup-portable quand elle put fe flatter d'être mère elle n'avoit ce-pendant accouché que d'une fille mais c'en fut affez pourqu'elle olât fe difpenfer de rendre à l'Impératrice les honneursqui font dus à fa dignité. Les chofes en etoient là, quand aprèsla troisième année du deuil l'Empereur à la tête de toutefa famille voulut aller brûler des parfums devant la tablettede fon pere qui etoit dans le Miao de Kan-yé-fce. Les Damesreclufes vinrent recevoir la famille Impériale à la porte duMiao & firent après elle, les cérémonies qui font d'ufage.

Ou-ché prit cette occafion pour faire favoir qu'elle ctoitlà. Au milieu de fes profternations devant la tablette, ellepleura d'une maniere fi forte que l'Empereur tourna la têtede fon côté la vit & changea de couleur. L'ImpératriceOuang-chê s'en apperçut, & comme elle avoit fouvent en-tendu l'éloge de cette femme, de la bouche de fon époux,qui en parloit comme d'un prodige, elle prit dès-lors fur foi,de l'engager à fortir de ton monaftere, pour rentrer dans lePalais. Il falloit un prétexte, l'Impératrice n'en manqua pas.Il falloit le confentement de 1 Empereur, & l'Empereur accorda

tout ce qu'on voulut. Il falloit que Ou-ché voulût elle-mêmeaccepter un emploi auprès de l'Impératrice & Ou ché nedemandoit pas mieux que de quitter fa folitude pour tenterune feconde fois ce qu'elle n'avoit pas pu exécuter fous legrand Tay-tfoung.

C'eft ainfi que ces trois perfonnes animées chacune pardes vues différentes concoururent de concert à violer les

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droits les plus facrés. L'Empereur efpéroit de pouvoir fatis-faire enfin la paiïion qu'il avoit conçue pour une des femmesde ton pere celle ci n'avoit en vue que fon ambition &l'Impératrice fe flattoit qu'en oppofant ce nouvel objet à foninfoiente rivale elle pourrait s'en venger enfaite de la ma-niere qu'il lui plairoit quand une fois l'Empereur fe feroitrefroidi à ton égard.

Ou-ché laiffa croître les cheveux mais comme ils ne croif-foient pas afTez vite -àà on lui en fit tenir de pofliches,qu'elle ajufta fur fa. tête du qu'elle put. Elle fut con-duire au Palais & donnée à l'Impératrice comme une perfonnedont elle pouvoir tirer de grands avantages pour le Gouver-nement qui etoit de fon reflort dans l'intérieur.

Cette Princeffe fut au comble de la joie en recevantOu-ché: elle n'avoit garde de prévoir qu'elle recevoit, dansfon fein une vipère qui lui donnerait le coup de la mort.Elle la combla de carefies lui afiîgna un appartement au voi-du iien & la nomma des Dames de fa compagnie.Ou-ché devint bientôt Finféparable de fa maîtreiïe elle paiibitles journées entières avec elle, & ne la qnittoit que bien avantdans la nuit. L'Empereur multiplioit tes vifites & venoit païTer

dans l'appartement de ton epoufe, qui etoit prefque devenucelui de Ou-ché toutes les heures qu'il n'employ oit point auxaffaires d'Etat. La converfation de la nouvellement arrivée, famodeftie qui paroiffoit n'être point affectée fon attention à

ne rien dire que d'obligeant à celles qui la voyoient, char-leurs Majeftés & prévinrent tout le monde en fa faveur;mais l'Empereur, quant à ce qu'il s'etoit propofé, n'eut pasû bon marché d'elle qu'il fe l'etoit imagine.

Cette artifi cieufe femme etoit avec lui, dans la réferve la

plus févere en même tems qu'elle n'oublioit rien pour lecharmer & le féduire. Quoique je n'aie jamais partagé le lit

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de votre pere lui difoit-elle j'ai eté cependant à lui fous U

titre de l'une de fes femmes m efl-il permis d'être à vous? Vousejî-il permis de nie prendre, fous le même titre, fans vousdeshonorer ? ceft à vous de faire de fé/ïeufes réflexions fur unedémarche qui ne fauroit manquer d'être défapprouvée. Je fuis

votre efclave je fuis attachée à la perfonne de l'Impératrice}examine^ tun & l'autre ce qui convient &, donne^ moi vosordres.

Comme Tay-tfoung n'avoit laiffé aucune preuve qu'il eutvécu avec Ou-ché comme avec fa femme, Kao tfôuzz5 tâchade perfuader à tout ie monde que cette même Ou-ché n'avoit

reçu de fon pere le titre dont elle avoit joui que pour pou-voir, fans manquer à la décence s'entretenir avec lui toutesles fois & auffi long-tems qu'il lui plairoit d'où il conclutqu'il pouvoit auffi fans manquer lui -même à la décencedonner à cette même perfonne, dont l'efprit & la converfa-tion l'enchantoient un titre équivalent à celui dont elle jouif-foit auprès de fon pere. L'Impératrice appuya de fon fuffragequi etoit d'un très-grand poids dans les affaires de cette nature,tout ce que difoit l'Empereur, & Ou-ché fut élevée au rangde Reine, fous le nom de Tchao-y fans que perfonne dansle Palais, s'avifât d'y mettre opposition ou même de le trouvermauvais.

Dans les commencemensde fon élévation elle parut encoreentièrement dévouée aux intérêts de l'Impératrice elle luirendait compte de tout, elle ne faifoit rien, en apparence,que par fes ordres; & fi l'Empereur, dans fes entretiens par-ticuliers, lui avoit dit quelque chofe en fa faveur, elle nemanquoit pas de le lui rapporter de la manière la plus obli-geante. Toutes fes batteries etoient alors tournées contre lafavorite Chou-fei. Celle-ci qui n'avoit plus le cœur de l'Em-peretfr depuis que Ou-ché le lui avoit enlevé, ne îaiffoit pas

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de continuer fes manieres hautes & même infolentes enversl'Impératrice. Ces deux femmes etoient ibuvent en altercation& fe difoient l'une à l'autre des paroles très-dures.

Ou cke fe fer vit habilement de leurs diffentioiis pourperdre la Ckou-fei en paroiffant ne chercher que la jufticè& le bon ordre; elle rapportoit à l'Empereur jufqu'aux moindrescirconftances de leurs démêlés & l'es rapports etoient tou-jours affaifonnés de cette fatyre fine & de ces demi-mots quifont d'autant mieux leur effet, qu'ils cachent avec plus de foinla paffion qui les diclre. L'Empereur fans avoir pour l'Impé-ratrice cette tendrefle qu'il lui avoit montrée dans les com-inencemens de leur union avoit confervé pour elle une con-fiance d'ami & tout le refpeft du à fon fang d'ailleurs elle

etoit du. choix du grand Tay-tfoung fon père, & etoit d'unemaifon à laquelle celle des Tang avoit de grandes obligations.Il fut indigné que C/iou-fei n'étant que femme du fécondordre s'émancipât jufqu'à maltraiter de paroles, celle quiavoit droit de lui commander & de la punir n elle n'obéiffoit

pas. Ce qu'il regardoit ci-devant comme une bagatelle danslaquelle il ne devoit point entrer lui parut alors une fauteénorme qu'il ne devoit pas diiïimuler. Il réprimanda la concu-bine, l'obligea à des réparations & comme elle manqua dedocilité, il la relégua dans un coin du Palais & ne la vit pius.Ou ché triomphante régna chaque jour plus defpotiquementfur le cœur de fon maître depuis qu'il n'y avoit perionnequi pût Je lui difputer ou le partager avec elle.

Juf qu'ici l'on n'a vu que des intrigues de femmes c'eft main-

tenant que les perfidies le carnage & les horreurs vont com-mencer. En fuivant rapidement la cruelle Ou-ché dans la car-riere des crimes, nous ne jetterons un coup d'oeil que fur les

principaux. Auffi-tôt qu'elle fe crut fans concurrente par ladifgrace de la feule femme qui pouvoit lui faire ombrage elle

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fe mit en tête de devenir Impératrice. Le projet etoit hardi &la réuffite en paroiffoit prefque impoffible toutes les difficultésfe préfenterent à fon efprit & ne la rebuterent point. Elle fe

crut affez forte pour faire face à tout & pour vaincre desobftacles qui de leur nature, paroiffoicnt invincibles.

Elle commença par entreprendre de faire ôter à fa bien-faitrice, la dignité dont elle jouiffoit du consentement & àla fatisfaclion de tous les ordres de l'Empire. Il falloit pourcela qu'elle le fît vouloir à l'Empereur qui par un ufageconfacré à la nation, ne peut caffer un Impératrice fans delégitimes raifons difcutées en plein confeil & approuvées parle grand nombre. Il qu'elle l'engageât à fe roidir contre

toutes les oppositions des Miniftres des Grands & des Man.darins des premiers tribunaux, parmi lefquels l'Impératriceavoit des parens des amis & des alliés, qui etoient difpofésà périr plutôt que de fouffrir en filence une injufiice contrelaquelle ils etoient obligés de réclamer fuivant le devoir deleurs charges. Ou-ché vint à bout de tout cela.

Elle fe mit à l'enquête de tout ce qui pouvoit avoir quelque

rapport avec ceux qu'elle avoit réfolu de perdre. Au moyende fes Eunuques qui, fous prétexte de viiîter leurs parens oude s'acquitter des comnnfïïons dont on les chargeoit, fe répan-doient de tous côtés & ramafïbient indifféremment tous lesbruits de ville elle en fut bientôt plus qu'il ne lui en falloit

pour agir sûrement. Elle redifoit à l'Empereur tout ce qu'elleavoit appris, & fes rapports etoient faits avec tant d'artifice,

yqu'il etoit très-difficile qu'ils ne portaffent le coup mortel à

ceux qui en etoient l'objet. Elle ecarta ainfi .l'un après l'autre,la plupart des grands qu'elle avoit quelque fujet de redouter,& eut le crédit de leur faire fubftituer fes parens ou les amisde fes parens. Ce qui la rendoit pour ainu dire toutepuiffante c'eft que l'Empereur à l'exemple de Tay-tfoung

fon

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Tome V, = Ll

fou pere, vouloit gouverner par lui-même mais comme iln'avoit ni les lumieres ni la fageffe du grand Prince qu'ilvouloit imiter, il avoit befoin de quelqu'un de confiance quil'éclairât & le dirigeât dans fa conduite. Il trouvoit dans Ou-ché qu'il aimoit une perfonne intelligente qui avoit le talentde démêler, dans une affaire, quelque compliquée qu'elle pûtêtre, ce qu'il y avoit d'effentiel à favoir, qui s'exprimoit avecclarté & une précifion qui ne laiffoient rien à defirer & quijoignoit à ces qualités eilimables l'apparence d'un zele desplus vifs, pour la gloire de celui dont elle avoit toute la ten-dreffe; auffi devint-elle pour lui l'oracle qu'il confultoit entoute occafion.

Ou-chè devint mere vers la fin de la premiere année defon union avec Kao-tfoung mais ce ne fut que d'une fille.Il ne lui en coûta pas beaucoup de l'immoler à fon ambition.Pendant fes couches, l'Impératrice qui l'honoroit encore defon amitié, parce qu'elle ignoroit toutes fes intrigues, vint luifaire une vifite de félicitation. Elle voulut voir l'enfant nou-veau né, le prit entre fes bras & le carefla comme elle eûtfait le n'en propre, fi elle avoit été aifez heureufe pour enavoir un. Après qu'elle fe fut retirée l'accouchée prit fonfruit l'étrangla de fes propres mains & le remit doucementà fa place.

Peu d'heures après l'Empereur vint lui-même pour la féli-citer à fon tour. Elle le reçut avec un air riant qui fembloitindiquer la joie la plus parfaite, le remercia de l'honneur qu'illui faifoit & l'invita à voir la petite fille qu'elle venoit de luidonner. Elle fit femblant de la vouloir prendre & l'ayantdécouverte elle pouffa tout-à-coup un cri des plus perçans& dit ce peu de paroles entrecoupées de fanglots Cruellejaloufie voilà l'effet de la rage que tu infpires. Elle continua àfanglotter fans vouloir s'expliquer plus clairement.

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L'Empereur qui vit fon enfant mort, & la mere qui felamentoit, fans ofer dire ouvertement ce qu'elle penfoitfbupçonna qu'il y avoit-là quelque myftere d'iniquité, dont il

crut qu'il lui importoit de s'eclaircir. Il interrogea les Femmes& les Eunuques qui etoient ce jour-là de fervice mais il n'en

reçut pas les eclairciffemens qu'il fouhaitoit. On lui dit feule-

ment que peu de tems avant qu'il ne vint, l'enfant etoit pleinde vie & fe portoit très-bien puifque l'Impératrice elle-mêmel'avoit tenu entre fes bras & l'avoit careffé que depuis cemoment, ne l'entendant ni pleurer, ni fe plaindre on avoit

cru qu'il dormoit & que c'etoit-îà tout ce qu'on favoit de cefunefte accident, auquel on n'avoit aucun lieu de s'attendre.

Il n'en fallut pas davantage pour faire conclure à l'Empe-

reur, que la jaloufte avoit immolé cette innocente viclime. Ilconfola la mère & lui promit que cet horrible attentat feroitvengé de manière qu'elle en feroit fatisfaite. Quoiqu'il n'eût

aucune preuve que l'Impératrice fût coupable, il prit dès-lors la ferme réfolution de ne rien oublier pour la faire dégra-der juridiquement.

Ce ne fut pas fi-tôt qu'il put en venir à bout, il s'écoula plusd'une année & la barbare Ou-ché eut le tems de lui donner

un fils avant même que l'affaire pût être entamée. La con-duite de la Princeffe qu'on vouloit perdre, etoit irréprocha-ble elle ne donnoit aucune prife à la calomnie il fallut atten-dre quelque chofe du tems & des circonstances. Cependant,

3la cruelle Ou-dé fe dédommageoit de n'être point Impératriceen titre, par l'autorité prefque fans bornes qu'elle exerçoit furl'efprit de fon imbécille Maître.

Elle lui avoit perfuadé qu'il etoit à propos & même nécef-faire qu'elle fût inftruite des affaires les plus effentielles dugouvernement. Elle lui perfuada encore de lui donner uneplace à côté de fon trône derriere un rideau, pour quelle

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DES CELEBRES CHINOIS.1

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pût entendre tout ce qui fe difoit au Confeil & dans la falled'Audience. Les premieres fois qu'elle parut fur cette nouvellefcene elle joua un perfonnage abfolument muet, fe conten-tant de touffer & de cracher par intervalles pour faire favoirqu'elle etoit-là. Elle ecoutoit tout ce qui fe difoit le retenoità merveille & quand -l'Empereur s'etoit retiré elle lui enfaifoir en particulier la récapitulation & lui fuggéroit ce àquoi il devoit fe déterminer dans les affaires où il n'avoit pasjugé à propos de prendre fon parti fur le champ.

Après qu'elle eut été bien affurée que les Minières, lesGrands & les Mandarins des premiers Tribunaux, etoientinstruits de fon rôle elle devint plus hardie, & parla de temsen tems, foit pour fouiller à l'Empereur ce qu'il devoit dire,'foit pour donner elle-même fon avis. Perfonne n'ayant réclaméjusqu'alors, elle crut qu'elle pouvoit aller plus loin. Elle tirale rideau fe montra à découvert & diâa des loix en Souve-raine. Tout le monde gémiïîbit en fecret, mais tout le mondefe tut.

L'affaire de la dégradation de l'Impératrice fut mife fur lebureau par l'Empereur mais comme il n'avoit de raifon unpeu folide à alléguer, que la ftérilité de cette Princeffe lepremier Miniftre Tchang-fun-ou-ki les Miniftres Yu-tché-ning, & Tchou-foiù-Leang, plufieurs Grands du premier ordre& quelques Mandarins eurent le courage de lui réfifter euface, en préfence de celle qui le faifoit agir & dont ils

avoient à redouter la vengeance.L'Impératrice, dit Tchou-foui-leangavec intrépidité, eji

d'une des plus illuflres familles de l'Empire. Elle vous a etédonnée pour epoufe légitime par le grand Tay-tfoung votrepère & vous voudriez la répudier Vous l'ave\ elevée vous-même au rangqu'elle occupe, & vous voudrie^C en faire defcen-

dre i lafagejj'e de fa conduite vous défend de rompre les noeuds

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qui vous lient à elle tous les ordres de l'Etat l'ayant folemnel-lement reconnue pour leur Souveraine & leur mere, il ne vousejl plus permis de la dépouiller de ces augujles titres fans leconfentement de ces mêmesordres de l'Etat qui applaudirentalors à votre choix. Si elle a des crimes, nous n' attendons qued'en être inflruitspour réclamer nous-mêmes votre jujlice contreelle mais ji elle n'a que des vertus pourquoi confentinons-

nous à l'ignominie dont vous voule^ la couvrir? Ne vous objli-

ne\ pas, Seigneur à vouloir imprimer à votre nom une tacheineffaçable ceffe^ de vouloir nous rendre complices d'un crime

que la pojlénté vous reprockeroit ainfi qu'ci nous.L'Empereur craignant qu'il ne lui dit des vérités encore

pLus dures, ne lui permit pas d'aller plus loin. Il rompit l'affem-blée & fe retira avec des marques de colère. Le lendemainil revint à la chargé, comptant que fes Miniftres & fes Grandsauroient fait leurs réflexions & qu'ils fe feroient déterminésenfin à le fatisfaire. Il fe trompa l'intrépide Tchou-foui-leangprit encore la parole, & dit au nom de tous Si Votre Majefié^

pour des raifons particulières dont elle nefauroit nous faire parts:J

veut abfolument nous donner une autre Impératrice à la place decelle que nous honorons comme telle aujourd'hui à la bonne-heure mais Seigneur que ce ne fait pas la Princeffe Ou-ché,On fait dans tout l'Empire qu'elle etoit comptée autrefoisparmiles femmes de Tay-tfoung votre pere. La placer au rang fublimeoù vous voule^ l'élever s c'eji dire à tout le monde ce que toutle monde devroit ignorer. La liberté que je prends de vous parlerpubliquement j comme je le fais } mérite la mort je m'y attends.Voilà la marque de ma dignité que je mets à vos pieds ordon-

ne^ de nzon fort. Et en difant cela, il jette la tablette qu'ilîenoit à la main, & fe met à genoux pour attendre fon arrêt."L'Empereur le chaffa de fit préfence, & ordonna qu'on le fitfortir du Palais,

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Ou-ché qui avoit cru ne devoir rien dire dans une affairedont elle etoit fecretement l'unique motrice ne put retenirplus long-tems les mouvemens d'une colere qui ne cherchoitqu'à eclater. Eh quoi, Seigneur, dit-elle en s'adreffant àl'Empereur, vous vous contente^ de faire chajfer du Palais unvil efclave, qui manque fi infolemment au refpecl qu'il doit à.

Votre Majefié. IZ mérite d'être mis en pièces j & Jî vous n'ordon-

ne^ fur le champ qu'on le conduife au fupplice vous courerrifque de n'être pas long-tems le maître.

L'Empereur alloit prendre un parti violent, quand Tchang-fun-ou-ki l'arrêta par ces mots Souvenez-vous Seigneur, desdernières paroles de votrepere mourant. Il ne crut rien faire deplus avantageux pous vous & pour le bon gouvernement de-

l'Empire, que de vous laiffer Tchou-foui-leang pour l'un de

vos Minijlres en vous recommandant d'être docile à fes avis.Si Tcliou-foui-leang a péché dans la manière & le ton dont ilvous a parlé je ne prétends pas L'excufer mais cette fauten'ayant pour principe qu'un ^ele tout-à-fait défintéreffé pour votrefervice & pour la gloire de votre nom elle riefl pas du nombreede celles qui méritent la mort. Je vous demande fa grace.

L'Empereur ne repliqua rien mais Han-yuen l'un desGrands qui etoient préfens ne craignit pas de rallumer uncourroux qui à peine s'eteignoit. Il prit la pofture d'um fuppliant

fe mit à deux genoux & pria l'Empereur, par ce qu'il devoit

au grand Tay-t/oung fon pere, par ce qu'il devoità l'Empire,& par ce qu'il fe devoit à lui-même de fe laiffer fléchir enfaveur de l'augufte Princeffe qu'il vouloir dépofTéder. Il dit

tout ce qu'on peut imaginer de plus pathétique pour tâcher detoucher fon cœur. Raifons prières larmes tout fut inutile,

t& l'affemblée fut encore rompue fans avoir rien conclu.

Han-yuen réfolu de périr plutôt que d'abandonnerla bonne

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caufe fit une derniere tentative il compofa pendant la nuit

une fupplique qu'il préfenta le lendemain. Cette fuppliquel'une des plus fortes & des plus energiques qu'on eût encoreofé produire fe terminoit ainfi Vous n'êtes pas à favoir,

aSeigneur quelles femmes ont eté de tout tems la fource empoi-fonnée d'où font découles les plus terribles maux qui ont inondél'Empire. C'efi par les femmes qu'ont péri les-plus célèbres de

nos Dynaflies. Sans la perfide Ta-ki, les Chang auroient donné

plus long-tems des loix aie monde fans l'infâme Pao-fee,l'illuflrc Dynaflie des Tcheou fubfifieroit peut-être encore. Nousfommes menacés de voir renouveller de nos jours ces temsaffreux dont lefeulfouvenir fuffit pour faire verfer des larmes, àquiconque s'intérejfe à la gloire de l'Empire & au bien de l'huma-nité. Craigne^, Seigneur, qu'en vous obfiinant à vouloir fatis-faire votre paffion pour une femme malgré les prieres réitéréesde vos plus fidèles fujets, vous n'expofie^ votre famille àfubirfdès à préfent le trifie fort qu'ont éprouvé celle des Chang &

des Tcheou.Cette fupplique ne fut pas la feule qu'on préfenta ce jour-lâ

même. La plupart de ceux, qui, par le devoir de leurs char-

ges, etoient en droit de faire des repréfentations profiterentdes circonflances où les fentimens etoient unanimes pourtâcher de faire rentrer l'Empereur en lui-même. Ce Prince enfut tellement emu qu'il etoit fur le point de fe défifter dansla crainte qu'il n'arrivât du trouble dans l'Empire mais Ou-chéfut le raffurer, en lui difant que parmi toutes les repréfenta-tions qu'on lui avoit faites il n'y en avoit aucune de la partde ceux qui etoient à la tête des troupes.

Cette réflexion fit revenir l'Empereur à fon premier fenti.ment. Il voulut d'abord s'affurer de Ly-tfi il le fit venir enparticulier, & lui témoigna la peine où il etoit de ne pouvoir

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fe fatisfaire fur un article qui lui tenoit infiniment au cœurcelui de fe choisir une Impératrice à fon gré. Ly-tfi qui necrut pas la chofe d'une fi grande conséquence qu'elle l'etoiten effet lui répondit Qu'indépendamment de fes Grands &de fes Minières il pouvoit choifir celle de fes femmes qu'iljugeroit à propos pour l'elever au rang d'Impératrice, & qu'ilne devoit regarder ce choix que comme une affaire de familledans laquelle ceux du dehors ne doivent point entrer. Il ajoutaque û Sa Majefté craignoit qu'on ne refusât de reconnoîtrefolemnellement celle qu'il auroit choifie il fe chargerait lui-même d'intimer fes ordres, & qu'il fauroit bien empêcher letumulte.

En parlant ainjî dit le célebre Fang-che ce Militaireecaertifan effaça d'un feul trait les bonnes imprefjions que lesavis falutaires de tout ce qu'il y avoir de plus fage dans l'Em-pire commençaient à faire fur le cœur de fon Maître, & eteignitjufqu'à la dernière étincelle ce rejie de lumière à la lueur delaquelle il pouvoit fe conduire encore.

En effet, Kao-tfoung ayant pour foi, dans ce qu'il vouloitfaire, le fuffrage du Héros de la nation, dépofa toute crain-

te, & ne garda plus de mefures. Il ordonna & fut obéi.L'Impératrice fut dépofée Ou-ché prit fa place & futpaifiblement reconnue. Ceux qui s'etoient oppofés avec le plusd'ardeur & de force à cet evénement funefte avant qu'ilarriva prirent le parti de fe taire & de demeurer tranquillesaprès qu'il fut arrivé mais leur tranquillité & leur iîlence neles fauverent pas de la mort. Ou-ché devenue Impératrice

malgré tous leurs eforts pour l'en empêcher les regarda

comme des viffimes qu'elle devoit néceffairement immoler it

fa vengeance. Elle fe prépara à ce crime par des crimes encoreplus noirs. `

La Princeffe qu'on venoit de dégrader fi honteufement9

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tâchoit de fe confoler de fon infortune dans le fein de laretraite & du repos. Ou-cké, qu'on appelloit alors Ou-heoufit entendre à l'Empereur, que par le moyen de quelques Eunu-

ques, elle entretenoit des liaifons avec quelques Grands &plufieurs Mandarins parens alliés ou amis de fa famille

pour les engager à exciter des troubles dans l'Empire. Quecela foit ou non dit-elle à l'Empereur, il efl de la prudence deVotre Majefîê de prendre fes précautions contre les artificesd'une femme qui fe croit méprifée & qui Je fent Joutenue parun grand nombre de perfonnes en place. Il faut lui interdire toutcommerce avec ceux du dedans comme avec ceux du dehors

la renfermer dans quelqu'appartement reculé & la faire garderà vue. Sans cette fage précaution il y a tout lieu de craindrequ'elle ne porte à une révolte ouverte des efprits qui ne fontdéja que trop animés. Comme la Princejfe Siao-che, que vousave[ autrefois honorée de votre tendrejje nefl pas moins irritée

contre Votre Majejié elle s'ejl liée d'intérêt avec tous les mécon-

tens, & agit de concert avec l'ancienne Impératrice. Elle nemérite pas un meilleur fort.

Le crédule Empereur fe laiffa perfuader & fit enfermer lesdeux Princeffes. Cependant, comme il n'y avoit aucune preuvecontre elles, & que l'amour n'etoit pas entièrement éteintdans fon cœur, il alla fecretement les voir, pour leur dire

que la conduite dure qu'il tenoit à leur egard, n'etoit quepour empêcher de plus grands maux, & qu'il fe propofoit deleur rendre bientôt une liberté dont il etoit perfuadé qu'ellesn'abuferoient en aucune façon.

Ou-heou inftruite de cette vifite & de tout ce qui s'y etoitdit, en devint furieufe mais elle diffimula. Elle attendit quel'Empereur fût attaqué de ces accidens, qui lui ôtoient pen-dant quelque tems l'ufage de fes fens & qui, en affoibliffant

fon

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fon cerveau, h. rendoient plufieurs jours de fuite incapa-ble de s'appliquer à rien de férieux. Alors elle envoya ceuxd'entre fes Eunuques qui etoient les miniftres ordinaires de fesvengeancès& de fes cruautés avec ordre de couper les pieds& les mains aux deux prifonnieres, & de les lui apporter.Elle les fit jetter dans du vin, pour en préparer, difoit-elle

un ragoût à celui qui auroit pu fe laiffer féduire encore parleurs appas. A cette barbarie elle en ajouta une autre enordonnant de couper la tête aux deux victimes de fa fureur

toutes mortes qu'elles etoient déjà car elles n'avoient furvécuqu'un jour à la cruelle exécution qui les avoit mutilées. Aprèsqu'elle eut ainû" affouvi fa rage, elle eut l'audace d'en donnerelle-même la premiere nouvelle à l'Empereur, & ce lâchePrince n'eut pas même la force de la défapprouver.

KcLo-tfoung s'etoit déja choifi depuis bien des années unP rince héritier pour être après fa mort fon fucceffeur autrône. Ce Prince héritier etoit fils de l'Impératrice dégradée.Ou-heou entreprit de le faire caffer & de lui fubftituer un defes propres fils. Cette affaire comme etant d'une bien plusgrande importance pour l'Empire que la cafîation & le choixd'une Impératrice avoit auffi beaucoup plus de difficultés.D'ailleurs le Prince héritier n'avoit donné jufqvi' alors aucun fujetde mécontentement il n'avoit pas même témoigné le moin-dre denr de vouloir venger fa mère. Tous les ordres de l'Etatl'ayant folemnellement reconnu il etoit naturel de s'attendre

que tous les ordres de l'Etat feroient tous leurs efforts pour lemaintenir dans tous fes droits. Ou-heou prévit tous ces obltacies& les brava. Son audace fut. le bouclier qu'elle oppofa auxtraits qu'on lança contre elle & fa fureur les repouffa contreceux-m'êmes qui les lui lançoient. Quantité de. braves genspérirent d'autres furent exilés plufieurs caffés de. leursemplois & mis an rang du peuple ne traînèrent plus que des

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jours infortunés dans le fein de lamiiere. Celui qui devoit légi-timement hériter de l'Empire, fui débouté de fes droits,déclaré indigne de fuccéder à fon pere, & dépouillé ignomi-nieufement de toutes les autres dignités, qui l'euiTeiu au moinsfait jouir des prérogatives attachées au rang de Prince, & des

revenus néceffaires pour foutenir ce rang.Ly-koung, fils de Ou-heou jeune enfant quientroit à peine

clans la quatrième année de fon âge fut elu Prince héritier,<.

& l'Empereur le lit proclamer & reconnoître pour tel, avectoutes les cérémonies qui font d'ufage en pareille occafion.L'Hiftorien remarque, comme une chofe qui n'a prefque pointd'exemple qu'il ne fe trouva aucun Mandarin, qui par flatte-rie ou baffeffe d'ame ofât donner quelque marque de joie.Tous au contraire, pour faire voir que ce qu'ils faifoient n'etoitque pour plier fous la dure loi de la néceffité témoignèrentle regret le plus amer, fe profternerent, & firent les autrescérémonies de la même manière que s'ils avoient été devant

un cercueil. Il ajoute qu'en finiffant ils fanglotterent &verferent des larmes comme on a coutume de le faire lors dugrand deuil.

Cependant Tchang-fim-ou-ki le frere de ce premier Minif-

tre Tchang-fwi-tjiuen les autres Miniftres Tchou-foui-leang& Han-yuen jouiffoient encore en apparence de tout leurcrédit. Quoique depuis plufieurs années Ou-heou cherchâttoutes les occafîons de leur fufeiter quelque affaire, elle n'avoitpas même pu trouver un prétexte plaufible qui pût la faireparvenir à fon but. Elle comprit que tant qu'ils feroient réunisdans un même lieu & qu'ils exerceroient les mêmes emplois,ils feroient toujours en état de fe faire craindre, ou tout aumoins de fe prêter mutuellement des fecours contre les' calom-niateurs qu'elle prétendoit faire agir pour les perdre. Elle mit

tous fes foins à les féparer.

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Elle fit accufer Tchou-foui-leang de tenir des affembléesfecretes avec Han-ymn & Tal-tfi. Elle fit courir le bruit qu'ilsavoient réfolu d'employer les troupes qui etoient à Koueï-tcheou pour l'exécution d'un defiein dont il ne tranfpiroitencore rien, & elle fit enforte que ce bruit parvînt jufqu'auxoreilles de l'Empereur. Quand elle fut que l'Empereur ctoitinformé elle le lui dit elle-même comme un fecret dont il nedevoit faire part à perfonne de peur que, fi ceux qu'onfoupçonnoit etoient véritablement coupables, ils ne priffentdes mefures, ou pour fe fouftraire à fon indignation, ou pourprécipiter l'exécution de leurs pernicieux deffeins Commen-

çons, ajouta-t-elle, parles éloigner de la Cour, & nous eclair-eirons enfuite cette affaire avec toute la prudence qu'elle exige.

L'Empereur la crut, & pour agir conformément à ce qu'ellelui fuggéroit il envoya Han-yuen à Tchen-tcheou Lay-tji àTai-tcheou & Tchou-joui-leang à Ngai-tcheou en qualité defimples Infpecleurs dans leurs diftricls refpeclifs. Il refloit

encore Tchang-fun-ou-ki que Ou-heou n'avoit pas ofé com-pliquer dans l'affaire des autres, pour ne pas s'expofer à perdretout le fruit de fes perfidies car Tchang-fun-ou-ki étant onclematernel de l'Empereur ayant été l'ami & le compagnon dugrand Tay-ifoung qu'il avoit aidé de fon epée & de fesconfeils dans la conquête de l'Empire il falloit quelque chofede plus que de amples foupcons pour le faire difgracier. Descirconilances auxquelles Ourheou elle-même ne s'attendoit

pas fi-tôt donnerent lieu à l'accusation calomnieufe qu'elleméditoit depuis fi long-tems.

Un Officier du Prince héritier, dégradé, avoit été lié autre-fois avec Tchang-fun-ou-ki. Cet Officier fut convaincu d'avoirtramé des complots de révolte fous prétexte de vouloir ven-ger fon Maître. Ou-heou fit inférer dans la lifte de fes compli-

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ces, le nom de Tckang-fun-ou-ki.Elle engagea, outre cela, unnommé Hiu-king-tfoung de faire une accufation dans les for-

mes, par une requête qu'elle fe cliargea de préfenter elle-même à l'Empereur. Kao-tfoung ne pouvoit fe perfuader quefon oncle voulût le trahir; cependant, comme il etoit confiantqu'il avoit eu autrefois des liaifons avec le coupable il necrut pas la chofe tout-à-fait impoffible. Sans vouloir eclaircirdavantage un myfterc qu'il eût fouhaité pouvoir envelopperdes plus épaules ténèbres, il fe contenta de caffer Tchang-

fun-ou-ki de tous fes emplois & de l'exiler à Kien-tcheou*Tchou-foui-leang etoit mort peu de tems après être arrivé àNgai-icheou il falloit pour rentière fatisfa&ion de Ou-heou

que Tchang-jun-ou-ki Han-yuen y Lay-tji Yu-tchê-nïng &quelques autres qui s'etoient oppofés avec moins de ménage-

ment à fon élévation, mouruffent auffi. Elle leur fuppofa fi fou-

vent des crimes, elle ufa de tant d'artifices pour les rendrevraifemblables, que l'Empereur donna enfin l'ordre cruel. Tous

ces grands hommes périrent, les uns par le fer, les autres parle poifon, & les plus diftingués par le cordeau. On en comptevingt-deux parmi ceux feulement qui occupoient les premièresplaces dans le gouvernement.- Tout trembla bientôt- au feul

nom de cette furie.,Les accès de cette efpece d'epilepfie à laquelle l'Empereur

etoit fujetj devenaient plus, fréquens & plus longs, &.le'ren~doient de jour en jour plus incapable de toute application.Les affaires ne fe. traitoiem plus que dans l'appartement deOu-heou qui les terminoit à fon gré j elles commencerent àprendre am >mieilleur train. Ou-heou déjà raffafiée de fang

s'abitint pour quelque tems de carnage. N'ayant plus perfonnaqui pût la contrarier. ou la; traverfer dans fes deffeins elle

voulut entreprendre, deie faire aimer eu faifant fleurir l'Empire.

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Elle traita bien les Grands, elle fit de bonnes loix elle etablitdes ufages utiles, elle fut contenir tout le monde dans les bor-

nes du devoir.Les poftes les plus importans tant dans le militaire que

dans le civil, avoient été donnés peu-à-peu à des gens qui luietoient entièrement dévoués. C'etoient pour la plupart des

parens, alliés ou amis de fa propre maifon. Outre l'intérêt par-ticulier qu'ils avoient à la contenter pour pouvoir conferverleur fortune il etoit de la bienféance qu'ils fiffent honneur àfon choix. Aufli n'oublierent-ils rien dans ces commencemens

pour gagner l'ellime publique en s'acquittant de leurs devoirsrefpeftifs. Les Magiftrats dans les Tribunaux, rendirent lajuftice avec intégrité & les Guerriers fe rendirent formidables

aux ennemis de l'Etat.Le Général S ou-dng-fang fe rendit maître de fèpt Hordes

de Tartares qui compofoient les Etats de Pe-ijî, dérruifit lacapitale de cette contrée prit deux cens trente-fept villes &fe faifit de la perfonne de leur Roi, qu'il envoya enchaîné àla Cour de Ou-heou.

Tchaig-jin-tai à la tête d'une autre armée, repouffa lesHouï-ho les Toung-lo & les Pou-kou qui etoient venusporter leurs ravages fur les frontières de la Chine. Il les battitdans plus d'une occafion & les contraignit à recevoir la loi.Tous les autres Royaumes de Tartarie renfermés dans cequ'on appelle en général le Si-yu fe fournirent volontaire-

ment, &r Ou-heou fit bâtir dans ce pays huit villes du premierordre & foixante-feiz.e du titre de Tcheou ou de villes dufecond ordre. Le même Général,, Tcheng-jin-tai fubjugua1le de lencore le Royaume de Tié-la.

De fi grands fuccès au-dehors un gouvernement dans l'in-térieur de l'Empire, calqué pour ainli dire fur les meilleursmodèles ne furent pas capables d'étouffer entièrementla haine

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qu'on portoit à Ou-heou. La fatyre ofa même L'attaquer &la plaifanterie infultante fe joignit à la fatyre pour décrier fa

perfonne & fes mœurs.Le Prince Ly-hïen frcre de l'Empereur avoit à fon fervice

un Lettré du premier ordre, nommé Quang-po. Ce Ouang-po& le Prince compoferent enfemble pour s'amufer, une pièceallégorique mêlée de vers & de profe, qu'ils intitulèrent lapoule de Tcheou-ouang. Ils rirent beaucoup de cette poule &

comme les allufions en etoient fines, ils crurent trop aifémentpouvoir, fans danger, en faire rire quelques amis.

Ou-heou avoit beaucoup d'efprit elle fe reconnut aifémentdans la poule, & reconnut l'Empereur dans Tcheou-ouang. Il

ne lui avoit pas été difficile de fe procurer une copie de lapièce car les amis après en avoir ri, voulurent en faire rired'autres amis, & quelques indifcrets parmi ces derniers enavertirent l'Impératrice. Elle s'en plaignit comme d'une infulte,mais à Kao-tfoung feulement à qui elle la lut en lui expli-quant dans le vrai fens, tout l'odieux de la fatyre. Ly-hïen quiavoit le titre de Lou-houang n'eut plus que celui de Pei-ouang,& le Lettré Ouang-po fut caffé de tous fes emplois. L'un &l'autre furent envoyés en exil.

Ce ne fut-là pour Ou-heou qu'une vengeance d'attente. Elle

en méditoit une contre tous ceux de la maifon Impériale,qu'elle vouloit chaffer du trône pour y faire monter ceux quiportoient fon propre nom. En attendant elle fit voyager l'Em-

pereur, fous prétexte de le diftraire mais dans la réalité pourtâcher de fe diftraire elle-même en fortant de tems en temsd'un Palais où elle croyoit voir fans ceffe à fes côtés l'ombrede l'ancienne Impératrice qui lui reprochoit fes crimes. Elle fitrebâtir le Palais de Lo-yang & tranfporta la Cour dans cetteville à laquelle elle fit donner le nom de Cour Orientale.

Ses voyages tous les foins du Gouvernement dont elle

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etoit feule chargée,les foins particuliers qu'exigeait d'ellela furin-tendance de l'intérieur du Palais & de ce grand nombre defemmes qui lui etoient ioumiieSj n'abforboient pas tellementfon tems,' qu'elle n'en eût encore de refle pour l'employeraux opérations de la magie.

Un Cénobite de la Secle de Tao, nommé R'ou-hing-tchenpaffoit pour être des plus habiles dans cet art. Il faifoit, difoit-

on, les chofes les plus Surprenantes. Ou-heou curieufe detout favoir, le fit introduire fecretement dans le Palais par unde fes eunuques de confiance, nommé Ouang-fou-chentr. LeMagicien lui plut & devint bientôt l'homme de l'Empirequi avoit le plus de crédit fur fon efprit. Toute liberté lui futdonnée d'aller & de venir dans l'intérieur du Palais commeil le jugeroit à propos. 11 etoit des heures entieres enfermé avecl'Impératrice n'ayant pour témoin de fes âftions que l'Eu-nuque Ouang-fou-cheng.

Une conduite fi contraire aux bienféances les plus ordinaires,n'etoit fufceptible d'aucune bonne interprétation. Tout le monde

en gémiffoit & l'Empereur lui-même tout porté qu'il etoit àexcufer Ou-heou ne put s'empêcher d'en être indigné maisil n'eut pas la force de s'oppofer aux volontés de celle quicaufoit ton indignation. Un jour qu'il s'entretenoit avec Ckang-koan-y, l'un des Grands que les devoirs de fa charge appelloientauprès de fa personne, il lui ouvrit fon cœur & lui fit partde fon chagrin.

Chang-koan-y, qui etoit un homme plein de droiture dità l'Empereur que le feul moyen de remédier à tout etoitd'empêcher que l'Impératricene fe mêlât déformais des affaires

aui n'étoient point dû reffort de fon {exe; mais ajouta-t il7

c'eft une chofe irnpoffible tant qu'elle gardera le rang qu'elle

occupe il faut la dégrader & en mettre une autre à fa place,C'eft à quoi je veux me déterminer, répondit l'Empereur, &

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je vais dès à préfent en drefler l'ordre. Retirez-vous je vousferai avertir quand il en fera tems.

Il eft difficile qu'un Souverain puifle être quelque tems abfo-lument feul. Un Eunuque du nombre de ceux qu'on nommede la préfence entendit quelque chofe de ce diïcours & courutfur-le-champ en faire le rapport à celle qui en avoit eté le fujet,fans cependant lui nommer le Grand qui s'êntretenoit avecl'Empereur parce qu'il ne favoit pas vu.

Ou-heou pénétrée jufqu'au fond de l'ame de ce qu'ellevenoit d'apprendre, fe tranfporta, fans perdre un momentde tems, dans l'appartement de l'Empereur; & de ce ton ,.&.

avec les manieres qui lui avoient autrefois gagné le cœur de

ce Prince elle lui dit tout en l'abordant Je viens d 'apprendre}

Seigneur, d'une autre bouche que de la vôtre, ce que vous ri au-

riez certainement pas du me caclzer. On m'a dit que vous etie^

las de régner; & que vous travailliez efficacement a vous fairereléguer tout au moins dans une prifon pour le refle de vosjours, fi on veut bien vous laiffer la vie.

A ce début le timide Kao-tfoung fut comme pétrifié àpeine ofa-t-il lever les yeux fur celle qui lui parloit. Ou-heou,changeant alors de ton Eh que ferie^-vous fans moi ? con-tinua t- elle qui veillerait avec une véritable affection fur laconfervatiom de voire famé ? qui vous avertiroit Jincérementde ce qui fe pafje dans votre Empire ? qui foutiendroit vos

foibles mains pour diriger les rênes du Gouvernement Etes-

vo us feulement en etct de lire fans fe cours un placet unefmph requête ? poic\'e7y vous fans mourir d ennui afjlflerjufquau bout à une cérémonie où il ne faut que payer de votrepréfence Dans l'état où la maladie vous a réduit vous efl-

il permis d'entrer dans la difcuffwn qu exigent les affaires fansvous expofer à des accidens plus fâcheux que tous ceux quevous ave^ ejjuyés jufquà préfent ? Ingrat vous mériteriez que

je

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TomeV. Nn

je vous abandonnajfe à vous-même & que renfermée dans tln-térieur du Palais fans fortir de mon appartement je miffe

toute mon ambition non à vous fervir, mais à vous plaire commela ntoindre de vos femmes. Vos freres ne demanderaient pasmieux; ils n'ont plus qu'un pas à faire porrr arriver jufqu'auTrône. Abrégez-leur vous-même ce court efpace c'ejl une chofedigne de vous.

L'Empereur, faifi de crainte, eut la foiblelîe de s'exeuferà-peu-près comme l'eût fait un enfant, pour tâcher de fe fouf-traire au châtiment dont on le menaçoît il fit plus, il eut lalâcheté de rejetter fur Chang-koan-y tout l'odieux de la ré-folution qu'il avoit prife. Je ne penfois pas à vous dépofér,lui dit-il en tremblant, cefi Chang-koan-y qui me fa confeillé,& fy aurais réfléchi férieufement avant que d'en venir à l' exé-

cution. Une affaire de cette nature nefl pas F affaire d'un mo-ment de dépit.

Ou-keou fit femblant d'être fatisfaite mais dès-lors elle ré-folut la mort du Grand qui avoit voulu la perdre & prit fibien fes mefures, pour tout le refte, que perfonne ne fut plusadmis auprès de l'Empereur qu'elle ne fût préCente ou qu'elle

ne l'eût permis. Elle voulut que toutes les affaires, de quelque

nature qu'elles fuffent, paffaflent par fes mains, & lorfquequelque incommodité l'empêchoit de fe montrer ou de donneraudience on renvoyoit à un autre jour ce qu'un Miniftreauroit pu terminer fur-le-champ fans lui en parler.

Il y avoit déjà quelque tems que la cruauté de Ou-heoufembloit être affoupie elle fe réveilla tout-à-couppour fairecouler des ruiffeaux de fang. Cette femme barbare avoit àfe venger de Chang-koan-y elle avoit à fe prémunir contreceux de la maifon Impériale qui pouvoient faire enfin ouvrirles yeux à l'Empereur elle fe défloit du Prince héritier fon

propre fils dont Fefprit eclairé la fageffe & les bonnesrr, rn 1T

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moeurs lui donnoient lieu de craindre qu'il ne voulût régnerfans elle s'il montoit fur le Trône après la mort de Kao-tfoung. Elle commença par Chang-koan-y.

Cet' homme intègre, qui tenoit un des premiers rangs dansFEmpire, avoit été attaché autrefois au Prince Ly-choung,fils de l'Impératrice dépofledée & héritier préfomptif de lacouronne avant fa difgrace. Ou-hnou engagea Hiu-king-tfoung à l'accufer d'avoir voulu exciter une fédition & de tra-mer encore des complots de révolte avec quelques Princes defa1 maifon, & tous ceux qui compofoient ci-devant la Cour deLy-tfoung afin de placer ce Prince dégradé fur un Trônedont Sa Majefté pour des raifons qu'elle n'avoit pas laifféignorer en fon tems, avoit jugé à propos de l'exclure.

Sur cette accufation Ou-heou fit écrire par l'Empereur unordre à Ly-tfoung fon fils, de s'étrangler de fes propres mainsdans le lieu de fon exil, & fe chargea elle-même de fairepérir les autres. Chang-koan-y Ouang-fou-cheng & quelques

autres furent mis en prifon pour être interrogés. Leur procèsfut bientôt instruit on les trouva coupables & ils furent misà mort. Leurs femmes & leurs enfans furent donnés pour efclaves

aux perfonnes du Palais que l'Impératrice voulut gratifier. L'undes Miniftres, du nom de Lieou, regardé comme fufpeft, parcequ'il etoit ami de Chang-koan-y fut caffé de tous fes em-plois & envoyé en exil. Grand nombre de Mandarins desdifférens ordres, fubirent un fort plus ou moins cruel, félonqu'ils etoient plus ou moins odieux à la furie qui avoit le braslevé pour frapper. La mort, l'exil & la prifon de tant de per-fonnes en place, biffoient des vuides qui etoient remplis fur-le-champ par les parens & les créatures de Ou-heou qui par-là même fe trouva en état de ne plus rien craindre. Elle netarda pas à convaincre tout l'Empire qu'elle ne craignoit rien

era effet. A la fcélérateffe dont elle avoit déjà levé l'étendard,,

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elle ajouta ce que les Chinois appellent le comble de l'impiété.De tout tems les Empereurs de la Chine ont eté les grands

Pontifes de leur nation. Comme tels, ils peuvent feuls offrir

ea cérémonie des facrifices au Ciel, à la Terre aux Efpritsdu premier ordre & aux Ancêtres mâles. Ces facrifices prennentdifférens noms, fuivant le lieu où ils fe font les cérémoniesqui s'y pratiquent, & l'objet auquel ils ic rapportent.

Ou-heou pour préparer les fujets de l'Empire à ne pass'effrayer de la voir régner feule, quand le tems en feroit venu,voulut les accoutumer d'abord à la voir, fans indignation,partager avec fon mari les fonctions religieufes qu'il n'ap-partient d'exercer qu'à celui qui porte le titre de Fils du Ciel.Elle préfenta à l'Empereur une requête dans laquelle, au moyende quelques fophifmes elle tâche de perfua.der que, tout ainfi

que dans une famille particuliere le pere & la mere partagentde concert tous les foins qui tendent au bien-être de leursenfans de même dans la grande famille de l'Empire, l'Im-pératrice qui en eft appellée la mere, doit partager avec l'Em-

pereur, toutes les fonctions qui fe rapportent au bonheur desfujets qui font fes enfans. Or, conclut-elle, comme les facri-fices qui s'offrent au Ciel, à la Terre, aux Efprits aux An-cêtres n'ont d'autre objet que celui d'attirer les profpéntés oude détourner les malheurs, je demande qu'il me foit permis dé-formais de pouvoir, par des facrifices, intéreffer le Ciel & laTerre, les Efprits & les Ancêtres en faveur de mes fujets qui

ne font pas moins mes enfans que ceux que f 'ai mis au monde.Je demande encore qu'il me foit permis de c/ioijîr parmi lesperfonnes de mon fexe celles que je croirai capables de pou-voir m'affifler lors de ces cérémonies afin qu'elles faffent à monegard ce que les Comtes & les autres Officiers, Aides-Sacrifica-

teurs font à l'égard de votre Majeflé. J'attends avec refpec7 fesordres fuprêmes.

N n ij

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Avant de dicter à l'Empereur la réponfe qu'elle en vouloit,elle eut foin de rendre fa requête publique & de la faire courirdans tout l'Empire, pour favoir jufqu'à quel point on défap-prouveroit fa démarche. La crainte ferma toutes les bouches,

yà l'exception de celles de fon propre fils le Prince héritier,& de quelques autres Princes de la famille, qui laifferent echap-

per des plaifanteries dont ils ne tardèrent pas à être punis,comme du plus grand des crimes.

Voyant que les Lettrés laiffoient leurs pinceaux oififs 8c

que les Tribunaux gardoient le filence, Ou-heou fit enfindonner l'Edit, par lequel il etoic permis à l'Impératrice d'offrirdes facrifices avec la même pompe que l'Empereur lui-même.Elle fit compofer un Rituel particulier & fit ajouter le mêmenombre d'appartemens pour elle & pour fes femmes que ceuxqui etoient à fufage de l'Empereur & des fiens, dans tous leslieux confacrés fpécialement aux cérémonies des facrifices.

Le defir extrême qu'elle avoit de mettre en exercice cellesde fon nouveau Rituel la détermina à faire voyager l'Empe-

reur, prenant pour prétexte que le mouvement & le chan-

gement d'air contribueroit au rétabliffement de fa fanté quis'altéroit chaque jour de plus en plus. La fameufe montagne deTay-chan fut affignée pour terme du voyage. Tout fut bientôtprêt. On fe mit en chemin à la dixeme lune & l'on arriva

vers la fin de la douzième.Le premier jour de l'année fuivante, l'Empereur fuivi du

plus nombreux cortege qu'il eût eu jufqu'alors ( car outrefa Cour ordinaire il s'etoit fait accompagner de tous les An>baffadeurs des Princes étrangers Tartares & autres, & d'unefoule de Mandarins de difTérens ordres tant de Lettres qued'Armes, qui n'avoit pas coutume d'affifter à ces fortes de céré-monies), s'avança jufqu'au pied de la montagne du côté dumidi là il offrit fon facrifice en l'honneur du Chang-ty, Le

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fecond jour il monta fur le fommet, portant refpeclueufementle Yu-tié (i ). Parvenu à l'endroit du fommet qu'il avoit fait pré-parer il dépofa le Yu-tié dans la caifïe de pierre, taillée pourcet ufage., &à l'aide de fes affiftans, il enterra fecretementcette caiffe dans le lieu creufé pour la contenir. Le lendemainl'Empereur s'etant tranfporté fur la montagne Ché-cheou-yoffrit à l'Efprit de la Terre (2) comme il favoit fait à celui duCiel.

REMARQUES.(:) Le yu-tié dit un des Gloffa-

teurs de l'Hifloire etoit un inftru-ment de pierre de yu blanche,long d'un pied trois pouces, ayanttrois pouces en epaiffeur & toutautant en largeur. L'Empereurecrivoit fur ce yu-tié le fujet pourlequel il offroit le Sacrifice & cequ il demandent au Ciel de luiaccorder yu-tié ché-kan. Le yu-lié etoit de deux fortes celui quel'Empereur portoit lorfqu'il alloitfacrifier fur les montagnes du Midi& du Nord etoit de trois pieces.Celui dont il fe fervoit lorsqu'ilalloit facrifier fur les montagnesde l'Orient & du Couchant, etoitde deux pieces feulement.

Le cht-kan que j'ai appellecaiffe ii pierre etoit une pierretaiilée fur la montagne même,ayant cinq pieds en quarré &creulëe dans le milieu. C'eft dansce vuide que l'Empereur dépofoitleyu-tié, de la manière fuivante.Il lioit les deux ou les trois piecesenfemble avec cinq cordons d'or,fur fefquels il appofoit fon fceau.Il enveloppoit le tout d'un amal-

game, fàit avec de l'or du mer-

cure & de l'argille & le poroitdécemment dans le vuide de lagrande pierre, qu'il achevoit deremplir avec le même amalgame.On enterroit enfuite cette pierredans un lieu de la montagne quin'etoit connu que de l'Empereur& des Officiers qui l'avoient aidé.Voilà en fubftance quelle etoit lafameufe cérémonie àuFoung-tchencontre laquelle les zélateurs de lapureté des anciens rits ont tantdéclamé. On prétend qu'elle doitfon origine à TJîn-che-hoang-ty& que c'eft ce Prince qui le pre-mier l'a employée dans les Sacri-fices qu'il offroit fur les monta-gnes. ·(i) L'Efprit de la terre eit appelledans cet endroit de l'HiftoireHoang-ty-ki c'eft-à-dire Efprit dela terre jaune & cet Efprit eftinférieur aux Efprits du Ciel. L'Ef-prit du Ciel ou qui préfide au Ciel,efl appelle dans le même endroitHao-tïm-chting-iy c'eil à direvajii Cul Empereur fuprêmt oubien Ciel fublime Empereur fu-preme.

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Ces trois journées, extrêmement pénibles pour JCao-tfoung,furent celles qui procurerent à Ou-lieou la plus douce fatis-fa£tion qu'elle eût goûtée en fa vie. Elle monta fur le Tan (3)& fit la fonôion de facrificatrice de la même maniere que leFils du Ciel avoit fait celle de factificateur. A l'inflant quel'Empereur fiftiffoit les cérémonies, tous tes Officiers & autresMandarins de fa fuite, fe retirerent avec précipitation, pourfaire place aux Eunuques & aux Femmes de la fuite de l'Im-pératrice qui venoient difpofer toutes choses pour le fecondfacrifice que cette Princeffe devoit offrir.

Ce fecond facrifice quoiqu'offert dans le même lieu & avecles mêmes cérémonies que le premier, n'avoit ni cet air dedécence ni cette noble fimplicité qui caraftérifent de touttems les facrifices offerts fur le Tan. De fimples nattes fou-

tenues par quelques pieux, fuffifoient pour mettre les anciensEmpereurs à l'abri des injures de l'air. Cet ufage s'etoit reli-gieufement confervé jufqu'alors, & Kao-tfoung s'y confor-moit encore mais pour des Femmes & des Eunuques, ilfalloit quelque chofe de plus. Ou-heou fit changer en pavillonmagnifique devenu en cette occafion une enfeigne nonequivoque de fon fexe & de fon orgueil, ce qui, le momentd'auparavant n'etoit qu'une humble cabane aflbrtie au per-fonnage de fuppliant. Une tente faite avec des pieces de foiedes couleurs les plus brillantes & à fleurs brochées d'or desrideaux dé brocart pour fermer cette tente des quatre côtés,prirent la place des trop ruftiques nattes & des couffins del'etoffe la plus précieufe furent fubftitués à cette couche de terrecouverte d'une tendre mouffe fur laquelle l'Empereur faifoit

REMARQUES.(3 ) Le Tan etoit un amas de terre emmoncelée en rond,

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fes prosternations. C'eft ainfi que cette femme impie fouilla

par fes hommages facrileges, le culte rendu fur le Tan.Pour rendre cet événement mémorable à jamais, elle voulut

le confacrer par des graces & des dons. Elle fit accorder uneamniflie dans tout l'Empire, la plus ample qu'il y eût eu depuislong-tems elle obtint pour le peuple l'exemption de toutfubfide pour cette année & il y eut une promotion généraledans tous les ordres de Mandarinat, tant de Lettres que d'Armes:promotion qu'on pourroit^tppeller redoublée puifque du cin-quieme ordre on paffa tout d'un coup au troifieme, & dutroifieme au premier. La publication de tous ces bienfaits futterminée par le feftin de cérémonie dans le goût de ceux quedonnoient les anciens Empereurs & par la nouvelle dénomi-nation qu'on donna aux années du regne. Lafeconde des annéesdites Lin-té venoit de finir. On appella celle qui commençoitla premiere de Kien-foung, c'eft-à-dire des bienfaits injîgncs.

Malgré fon impudence & tout fon pouvoir malgré le frontd'airain dont elle s'etoit armée, elle ne laiffoit pas d'être fen-£ble à la fatyre & de la redouter elle craignoit que les Lettrésdéfceuvrés ne s'avifaffent de vouloir faire rire le public à Ces

dépens. Pour fe les rendre en qaelque forte favorables, outout au moins pour fufpendre les effets de l'indignation qu'ilspouvoient avoir conçue contre elle à l'occafion de ce quivenoit de fe paffer elle affefta plus que jamais un grand-refpecl pour Confucius. Elle profita de la circonilance du

voyage de l'Empereur pour donner des marques de ce pro-fond refbect à la face de tout l'Empire.

En revenant de Tay-chan à la Capitale, elle fitpaffer toutela Cour par la ville de Kiu-fou-hien, près de laquelle eft letombeau du Philofophe de la nation. Elle fit des largefles à

tous les Lettrés qui y faifoient leur Séjour & à ceux en parti-culier qui y etoient chargés de l'entretien de la refpeétablefépul-

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ture, dont elle ordonna les réparations en y ajoutant des em-belliflemens dignes de celui qu'elle vouloit honorer; mais enattendant que de pareils ordres puffent être exécutés elle

engagea l'Empereur à faire en perfonne les cérémonies ref-peftueufes fur le tombeau tel qu'il etoit. Sa Majefbé s'y tranf7

porta avec tout l'appareil de fa grandeur, offrit un cochon& un mouton & écrivit de fa propre main ces. deux caraUeres

Tay-cki comme qui diroit, au grand Maître de la Doctrineititre honorable dont elle voulut qte Confucius fût appelledans la fuite, préférablement à tout autre fous lequel on au-roit pu le défigner.

Après avoir, pour aind dire, fait ainfi fa cour aux Lettrés ?

Ou-heou voulut la faire également aux Se claires dont le nombre

s'etoit prodigieufement accru depuis que Tang^kao-tfou avoit

eu la foibleffe de vouloir parler pour être de la même famille

que Ly-laO'kiun. Ce Ly-lao-kiun autrement dit Lao-jan ouLao-tfee etoit originaire de Po-tcheou dans le Kiang-nan«Pour confacrer ce lieu de fa naiffance on y avoit érigé unmagnifique Temple en fon honneur. Ou-heou y conduifit laCour, car c'etoit elle qui conduifoit tout, & l'Empereur aprèsavoir fait les cérémonies refpeftueufes devant la repréfenta-tion de celui qu'il regardoit comme l'un de fes ancêtres, luidonna le titre d'Empereur fous le nom de Tay-chang, Siuen-

yuen Hoang-ty titre qu'on pourroit rendre en françois parces mots: Empereur, au-dejjus des Empereurs fans en excepter-Siuen-yuen qui porta le premier titre de Hoang-ty. Après quel-

ques jours de repos, la Cour fe remit en route & arriva à Lo~

yang dans le courant de la quatrieme lune.On comptoit alors, comme je l'ai dit plus haut, la pre-

mière année de Kienfoung ou des bienfaits infignes. Cetteannée célèbre déja par tout ce qui s'etoit paffé d'extraordi-naire les trois premiers mois qui s'en etoient écoulés, le devint

encore

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Tome F. -Oe

encore davantage, fur-tout parmi le peuple, par la nouvellemonnoie qui commença à avoir cours. Ou-heou fit fondre despieces dont l'empreinte portoit d'un côté les deux caractèresKien-fo'ung & de l'autre les deux caractères T/îuen-pao quifignifientmonnoiecomplette ainfi appellée parce que la valeurd'une des nouvelles pieces etoit décuple de celle des piecesanciennes. Celles ci difparurent entièrement avant l'annéerévolue, & l'on ne fit plus ufage que des monnoïes com-plettes des bienfaits infignes dans toute l'étendue de l'Empire.Pour pouvoir donner à fon orgueil un effor fans obftacles

>Ou-heou avoit bien voulu fufpendre quelque tems les effetsde fa cruauté. C'eft dans ce tems de fa tranquillité apparentequ'elle méditoit les plus grandes atrocités contre ceux de lamaifon Impériale & contre quelques-uns de ceux-mêmesquipor-toient fon nom elle commença par ces derniers.

Elle n'avoit pas oublié que -fon pere outre fa femme légi-time, avoit encore deux concubines, & que fa mere n'etoitque la derniere de celles qui partageoient fon lit. Elle s'etoitrappellé plus d'une fois que celle qui lui avoit donné le journ'avoit pas été traitée avec affez de refpecl: par quelques-unsde fes freres dont elle etoit regardée comme une efpece defemme de fervice qui avoit trouvé l'art de fe faire aimer deleur père. Jufqu'alors la considération qu'elle avoit eue pour•fon pere favoit empêchée de faire éclater fa vengeance contredes perfonnes dont elle favoit bien qu'il n'auroit pu voir ladifgrace ou la mort, fans en concevoir le plus violent chagrin.Outre cela elle avoit eu befoin pour remplir certains portes,& fe rendre de plus en plus redoutable d'augmenter le nom-bre de ceux qui lui etoient entiérement dévoués mais quandfon autorité fut fi bien affermie qu'elle ne craignit plus de laperdre & que fon pere fut mort elle ne ménagea plus

rien.o,,

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Pour faire périr ceux de fon fang, avec quelque apparencede juftice, il lui falloit au moins des prétextes. Elle voulutquelque chofe de "plus, c'eft-à-dire des raifons qui puffent

en quelque forte la contraindre à ufer envers eux de toute lafévérité des loix. Elle les mit dans l'occafion de lui en fournirabondamment, en leur donnant des charges & des emploisqu'ils etoient hors d'etat de remplir & les mettoient dans uneefpece de néceffité de faire des fautes. Elle les fit dénoncer pardes accufateurs à gages, qui ajoutoient beaucoup de calom-nies à quelques vérités.

Ce fut par ce moyen infâme qu'elle vint à bout de fairecondamner comme criminels Ou-ouei-leang & Ou-hai-yunfes deux freres aînés, qu'elle fit déclarer indignes de porterfon nom & de pofféder jamais aucune charge, & qu'elle fit

profcrire ou mettre à mort une foule de parens alliés & amisde ces infortunées victimes qu'elle immoloit à fa vengeance.Plufieurs perfonnes de fa race & de fon fexe qu'elle avoitfait venir au Palais pour y exercer auprès de fa perfonne des

emplois honorables, fubirent auffi le fort le plus cruel; parceque l'Empereur par confidération pour elle, paroiffoit lesdiftinguer des autres. Elle craignoit qu'elles n'infpiraffent à cePrince des fentimens plus forts que ceux de la fimple bienveil-lance & de l'amitié.

On-ché n'etoit pas fi occupée de fes cruautés qu'elle nes'appliquât à maintenir le bon ordre dans l'Empire elle ne felivroit pas fi abfolument à chercher les moyens de détruire fes

ennemis perfonnels qu'elle ne penfât férieufement à humilier

ou à détruire les ennemis de l'Etat. Elle fit lever de nombreu-fes armées. Ly-tfi qui en commandoitune, prit dix-fept villesdu Royaume de Corée. Siué-jin-koui qui commandoit l'au-

tre, battit les Tau-fan & plufieurs autres Tartares qu'il forçaà fubir le joug & ces deux Généraux s'etant réunis, firent

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enfin la conquête de tout le pays des Coréens, ou le grandTay-tfoung à la tête de toutes les forces de l'Empire avoitautrefois échoué.

Toutefois malgré fa vigilance il y eut dans quelquesprovinces de l'Empire des troubles qu'il lui fut impoffible deprévenir parce qu'ils etoient occafionnés par des hommes quife procuroient à force ouverte les fecours de premier befoin.La grande quantité de grains qu'on avoit fait piffer au-dehors

pour l'entretien des armées, avoit epuifé les greniers & deuxannées d'une fécherefTe extrême avoient empêché qu'on nepût les remplir de nouveau. Dans les lieux un peu eloignés dela Cour le peuple etoit contraint de fe nourrir d'ecorce d'ar-bres & de racines en attendant des fecours qui ne pouvoientarriver qu'en petite quantité, & qui arrivoient toujours troptard pour fatisfaire à tems le befoin preffant. Il s'affembloitpartroupes auprès des maifons des riches qu'il pilloit quelquefois.Il couroit les campagnes il s'ameutoit; mais ces émeutesetoient bientôt appaifées & Ou-heou en profitoit habilement

pour avancer toujours vers fon but.A l'exemple des grands Empereurs, qui, dans le tems de

féchereffe d'inondation, de difette ou de toute autre calamitépublique s'accufoient auprès du Ciel d'être la feule caufe desmalheurs du peuple elle s'accusa de la même maniere d'êtrela caufe du terrible fléau dont le Ciel fe fervoit alors pourchâtier l'Empire. En conféquence elle préfenta un placet àl'Empereur par lequel elle fupplioit Sa Majefté, de vouloirbien par amour pour fon peuple, la décharger du gouverne-ment, & lui permettre de couler le refte de fes jours dans lafolitude de l'intérieur de fon Palais.

Ce placet devenu public lui attira beaucoup d'éloges maisfit peu de dupes. Elle etoit trop connue pour qu'on crût

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quelle fouhaitoit iîncérement ce qu'elle demandoit. L'Empe-reur-, comme l'on s'y attendoit bien lui répondit par un écritqui fut auffi rendu public, & dans lequel, après lui avoir donnédes louanges au-deffus même de.la bienféance, il lui ordonnede continuer à gouverner comme ci-devant:, & à contribuer.comme elle avoit toujours fait à la félicité de fes fujets.

Cependant le Ciel ne fut pas toujours d'airain.. L'annéed'après fut des'plus fertiles, & Ou-heou qui venoit de perdrefa mère, profita de la joie publique pour lui faire -décerner letitre d'honneur le plus relevé après celui. d'Impératrice. Elle

commença par obtenir pour fon père mort depuis plufieursannées le nom & toutes les prérogatives de la dignité de Roi.Elle fit enfuite donner à fa mère le nom de Reine ou d'epoufelégitime d'un Roi. Ces honneurs ftériles en apparence luietoient néceffaires pour avoir à elle une falle des Ancêtres, oùelle pût, fans effaroucher les zélateurs des rits, faire avecappareil les cérémonies refpe£hieufes dans les tems preferits

pour cela. C'etoit un pas de plus qu'elle faifoit pour arriver.plutôt à fon terme.

Elle fe préparoità en faire un fecond; elle vouloit pour elle-même un titre, tel qu'il n'y en avoit point encore eu dansl'Empire mais elle redoutoit infiniment le pinceau des Lettrésoififs. Avant que d'en venn>là elle tâcha debien mériter dela Littérature & de fe rendre agréable à tous ceux qui en.compofoient le corps.

On fe plaignoit depuis quelque tems, que ceux qui avoientcté employés par Hiu-king-tfoiing pour rédiger les Mémoires

concernant l'etablifTenient de la Dynaflie régnante, y avoient.inféré quantité de chofes apocryphes fur la feule foi desbruits populaires, quelques-unes manifeftement fauffes d'au-«es qui ne méritoient pas d'être placées dans un ouvrage fait

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pour infiruire la poftérité d'où l'on concluoit qu'il etoit nécef-.faire de faire travailler à la correction de cet Ouvrage impor-tant par des perfonnes fûres, capables d'exécuter avec fuccès

une entreprife qui exigeait beaucoup de critique & la plusexaéle impartialité.

Ou-heou crut qu'en dirigeant l'attention des gens de Lettresvers cet objet, elles les empêcheroit de faire affez d'attentionà fa conduite particuliere. Elle fit donner un Edit,. par lequeltous ceux qui etoient dépofitaires de quelques écrits ou quiavoient des connoiffances particulières, de ce qui s'etoit pafféfur la fin du regne des Soûl, dans quelqu'endroit de l'Empireque ce fût, etoient.invitésà faire difcuter & rédiger ce qu'ilsav.oient ou ce qu'ils favoient par les Lettrés du pays même

9dont quelques-uns pouvoient avoir été témoins oculaires &dont. le grand nombre etoit pour le. moins infiruit par unetradition fondée fur le vrai..

Le même Edit ordonnoitaux Mandarins des lieux refpeclifstde faire parvenir jufque dans la Capitale, aux frais de laCour ceux d'entre les Lettrés qui auraient été choifis pourfaire ce voyage ,afin de les mettre à.portée de faire valoir cequ'ils avançoient dans leurs écrits.

Sa Majefté détermina qu'on ne laifferoit rien paffer-fansl'approbation du premier corps de la Littérature, à la têteduquel elle mit le Général Lïeon-jin-koià pour préfîder à cettecommiffion, quand le tems de la remplir feroit arrivé.

Ou-heou n'attendoit- plus qu'une occafion favorable poucdonner à fon orgueil un aliment qu'elle auroit dû rejetters

adans le cas même où une baffe flatterie le lui auroit prodigué»

A la huitième lune de la quatrieme année de Hien-heng,

cette PrincefTe à qui la plus faine partie de la nation n'avoitaccordé que par force le titre fimple d'Impératrice ofa fefaire, appeller Impératrice célefle. Elle Fofa & tout l'Empire

y.

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fans oppôfîtion fans réclamation ne lui donna plus que cetitre parce qu'en même tems elle en fit donner un femblableà fon imbécile époux. Dans la fuite de cette hiftoire, don-nons-lui nous-mêmes ce nom, puifque l'hiftoire de fon pays lelui donne.

L'Impératrice célefte avoit encore bien du fang à répandre

avant que de pouvoir régner feule fur cette partie de la terrequ'elle avoit choifie l'aîné de fes propres fils nommé depuislong-tems pour fucceffeur au Trône etoit un Prince qui don-noit les plus hautes efpérances. Il etoit doux, m.odefle magna-nime, & fur-tout plein d'humanité; plus d'une fois il s'etoitintéreffé pour les malheureux auprès de fa mere & avoit faitde vains efforts pour adoucir fa férocité envers deux de fesfœurs filles de cette infortunée Princeffe qui avoit parta-gé le fort de l'ancienne Impératrice. Ces deux innocentesviétimes etroitement renfermées dans le Palais y etoientexpofées aux traitemens les plus rigoureux de la part de cellequi croyoit leur faire une grande grace de les laiffer vivre.

L'héritier préfomptif de la Couronne ayant tenté inutilementplufieurs fois d'obtenir de fa mere qu'elle voulût bien marierfes fœurs qui commençoient à vieillir, ou à quelque grandde l'Empire, ou à quelque Prince étranger s'adreffa enfin àl'Empereur lui-même. La barbare Célejîe en fut inftraite lejour même, & le jour même, faifant appeller deux des plusbas Officiers qui etoient de garde au Palais, elle donna à cha-

cun d'eux l'une de ces deux filles de l'Empereur pour epoufe.Peu de jours après, le Prince héritier lui-même mourut, fans

que perfonne eût fu feulement qu'il etoit malade n'ayantdonné jufqu'alors aucun figne de la plus légère indifpofition

ce qui fit croire à tout le monde qu'il avoit été empoifonné.L'Empereur, pour honorer la mémoire d'un fils qu'il aimoit

tendrement, voulut qu'on mît fa tablette dans la fàlle des

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Ancêtres, avec ce titre modele de la piété Filiale, Hiao-king-hoang-ty.

La mort de ce jeune Prince, auquel l'Empereur fubftituaLy-hien, le fecond des fils qu'il avoit eus de Ou-hsou futbientôt fuivie de l'exil de deux autres Princes de la maifonImpériale dont l'un neveu & l'autre fils de l'Empereur. Lepremier fut accufé de tenir des affemblées fecretes & l'autred'avoir fait une fatyre contre la Célejle. Ces deux accufationsetoient {ans fondement mais comme ces deux Princes avoientbeaucoup de mérite & etoient aimés de l'Empereur, ils gtoientdevenus odieux à l'Impératrice c'etoit leur véritable crime.

Le nouveau Prince héritier qui jufqu'alorsn'avoit eu aucuneconnoiflance des affaires, regarda comme fon premier & fonprincipal devoir de s'y appliquer & il réuffit trop bien pourfon malheur. Sa mere en prit.de l'ombragea, & craignit ques'il montoit jamais fur le Trône il ne voulût régner feul. Ellechercha à s'en défaire ou tout au moins à le faire caffer. Ne

trouvant rien dans fa conduite qui pût lui donner lieu à le

mettre mal dans l'efprit de l'Empereur elle* lui fuppofa descrimes.

Un des Grands de l'Empire nommé Ming-tchoung-yenhomme eftimé, & qui avoit rendu des fervices à l'Etat, fataffaffiné l'on ne fut par qui ni comment. L'Impératrice parles ordres de qui cela s'etoit peut-être fait répandit par labouche des minières de toutes fes volontés, que le Princehéritier etoit hauteur de ce meurtre. Elle eut l'audace d'êtrefon accufatrice auprès de l'Empereur & d'envoyer dans lePalais du jeune Prince faifir quelques-uns de fes gens fous

prétexte de vouloir les interroger. Son intrigue etoit déjanouée on trouva quelques cuirafTes un affez bon nombre dechevaux & quelques armes. L'Impératrice fit paffer tout cela

pour des marques évidentes que fon fils vouloit régner avant

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le tems. Elle fut fi bien faire valoir ce qu'elle difoit que rEm-pereur la crut & fe détermina à dégrader fon fils. Ou-heou fit

nommer Ly-tché fon troifieme fils.

Jufques-là elle n'avoit répandu de fang, à l'occafion de cetteaffaire que celui de quelques Officiers qu'elle avoit fait paffer

pour avoir inspiré les fentimens de révolte, dont Ly-hien s'etoitrendu coupable mais elle trouva l'occafion fi favorable pouraffouvir fa cruauté, qu'elle en profita contre tous ceux qu'elleprévoyoit pouvoir mettre dans la fuite quelque obftacle à fesdefTeigs elle les fit arrêter l'un après l'autre leur' fit faire leurprocès & Suivant qu'ils lui paroiffcientplus ou moins à crain-dre, ils etoient convaincus d'être entrés plus ou moins: avantdans la prétendue confpiration qui s'etoit faite contre les joursde l'Empereur. Une multitude incroyable de Grands deMagiftrats d'Officiers de Guerre & de Mandarins de tousles ordres fut immolée à l'ambition de cette femme barbarequi croyoit applanir par4à le chemin du Trône à ceux de fon

nom. Elle voyoit la fanté de l'Empereur s'affoiblir de jour enjour, elle fe hâta d'abattre les foutiens qui pouvoient etayer lamaifon des Tang contre fes efforts.

Après l'horrible carnage qu'elle venoit de faire, elle peuplala: Cour & les Tribunaux-de gens qui lui etoient aveuglémentfournis. Elle mit auprès du Prince héritier, des Maîtres & desOfficiers qu'elle avoit à fes ordres. Elle fit nommer pour pre-mier Miniftre unPei-yen, -fa créature; elle s'affura de la per-sonne de Ly-hien, ancien Prince héritier, qui-jouiffant encore-de fa liberté dans le lieu où elle favoit fait exiler, pouvoit fe

mettre à la tête d'un parti. Elle appella dans la Capitale fous-différens prétextes ceux d'entre les Généraux qu'elle croyoitlui être les moins dévoués elle fit mourir le fils du Prince Ly-

ming, & engagea celui-ci à fe défaire lui-même. Il ne luioreftoit qu'à rendre méprifable ou odieux celui de fes fils qui

etoit

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etoit nommé pour fuccéder au Trône. Elle le mit dans l'occa-fion de faire des fautes & elle 'obtint ce qu'elle fouhaitoit.Pendant un voyage qu'elle fit faire à l'Empereur & qu'elle fitavec lui', le jeune Prince gouverna l'Empire conjointementavec des Minières qui ne l'aimoient pas. Tout le refte fe devineaifément. Il y eut des altercations, des mots peu refpe&ueuxd'une part, & trop durs de l'autre des mécontentemens réci-

proques, des fentimens toujours oppofés. Les affaires languif-foient, rien ne fe terminoit & toute la faute en retomboitfur le Prince, qui, ennuyé de tant de tracafferies, prit leparti de laiffer faire, & de profiter de la liberté qu'il avoit

pour fe livrer aux plaifirs de fon âge. La Cour revint, & laCélefle profita de tout ce qui s'etoit paffé pendant fan abfencede la Capitale pour faire dire par mille bouches que fon fils

n'avoit aucun talent pour gouverner. Cependant les forces del'Empereur diminuoient fenfiblement. Les accidens devenusplus fréquens l'avoient rendu prefqu 'aveugle & comme hébété.Enfin à la douzieme lune de la trente-quatrieme année defon regne de l'ère chrétienne 683 fentant que fa fin appro-choit, il fit appeller fes Minières & leur difla tes dernieresvolontés en ces termes Je laiffe l'Empire à celui dç mes filsque j'ai nommé Prince héritier mais je veux qu'il confulte entout l'Impératricefa mère & qu'il nefajfe rien fans fon confen-

tement. Peu de tems après il expira.Après avoir rendu les devoirs funebres à fon pere le Prince

héritier, fous le nom de Tchoung-tfoung prit poffeffion del'Empire & fit reconnoître pour Impératrice la PrinceffeOuei-ché fa légitime epoufe. Deux mois s'etoient à peine ecou-lés que le nouvel Empereur voulut élever Ouei-fiuen-tchenfon beau-pere, à l'une des premières dignités de l'Empire.Pei-yen fon Miniftre à qui il fit favoir fes intentions s'yoppofa de toutes fes forces, en lui difant qu'il falloit auparavant

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confulter l'Impératrice fa mere. Le Prince indigné qu'on ofâtle contredire fur un point qu'il regardoit comme peu impor-tant s'emporta de paroles & dans les mouvemens de fa'colère, il lui échappa de dire qu'il etoit feul maître & qu'il neprétendoit pas être contredit quand même il voudrait fe démettre'de l'Empire en faveur de Ouei-fiuen-tchen fon bè'au-pere danslequel il reconnoiffoit toutes les qualités qu'il falloit pourrégner.

Pei-yen ne répliqua point, mais il alla fur le champ chez1 Impératrice

mère à qui il raconta ce qui venoit de fe paffer.'Celle-ci qui ne s'attendoit pas à trouver fi-tôt l'occafion qu'ellecherchoit -de détrôner un fils qui paroiffoit vouloir régnerindépendamment d'elle, fe hâta de profiter de celle qui fe pré-fentoit. Elle ordonna à Pei-yen d'indiquer pour le lendemain

une affemblée générale de tous les ordres de l'Etat de faire

mettre toutes les troupes fous les armes & de changer lagarde du Palais. Tout cela s'exécuta avant que l'Empereur enpût être informé.

m

Le lendemain l'affémblée eut lieu. L'Empereur & l'ïfnpéra-'trice fa mère s'y rendirent, comme s'il n'eût été queftion que'de traiter les affaires de chaque jour, fuivarit la 'coutume éta-blie par Tày-tfoïing. A peine tout le monde eut pris place,que l'Impératrice mere prenant la parole, dit En vertu de maqualité de mère & par V autorité qui m'a eté donnée par le jeu'Empereur mon époux je déclare mon fils Tchoung-tfoung'déchu' de tous fes droits comme etant indigne de régner, & je

nomme Ly-tan foh frère 7 pour remplir fa place. Je laiffe cepen-dant à l'indigne fils que je dépofe le titre de Prince de Liu-'ling qu'on le conduife à F appartement que je lui deftine.. Pei-yen,

chargez-vous de ce foin.Tchoung-tfoùng frappé de ces'parôles'cofnme d'un coup de

foudre lui demanda en tremblant quel etoit le crime qui lui

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attiroit une difgrace à laquelle il avoit fi peu lieu de s'attendre.Ame baffe lui répondit fa mere [amour que vous ave[ pourvotre femme vous a aveuglé jufqu'au point de vouloir vousdémettre' de l'Empire en faveur defon pere & vous ofe deman-der quel eji votre crime ? qu'on £ emmené & qu'on le mette fousbonne garde, pour l'empêcher de faire quelque faute, pour laquelleje ferois forcée de le punir Juivant toute la rigueur des loix. Ellefut obéie & de tant de Princes de Grands & de Mandarinsqui etoient préfens, aucun n'ofa ouvrir la bouche pour pren-dre la défenfe d'un Souverain qu'on traitoit fi ignominieu-fem ent.

Qu'on me permette d'interrompre mon récit par uneréflexion que j'ai fouvent faite, en lifant l'hiftoire de cettefemme. Elle a entrepris & exécuté impunément les chofes lesplus extraordinaires & les plus oppofées à l'efprit général &aux mœurs de fa nation. Elle a ufûrpé Je droit excfurif qu'ontles Empereurs de facrifier folemnellement au Ciel elle a eudes falles particulieres pour honorer publiquement fes Ancê-

tres elle fit donner des grades de Littérature à ceux qu'onexaminoit fur la doftrine du Livre de Lao-kiun comme àceux que l'on examinoit fur celle des King; elle s'arrogea destitres que perfonne n'avoit ofé prendre avant elle; elle fit toutcela & les zélateurs des anciens rits fe turent & ce redou-table corps de Lettrés qui avoit bravé autrefois toutes lesfureurs de TJîn-che-hoang-ty par les repréfentations les plusfortes, & fouvent réitérées plia humblement devant elle &ofa à peine fe venger par quelques plaifameries de toutes lesinfultes qu'elle lui faifoit.

Elle fit périr plus de monde elle feule que n'en firent périrles Empereurs les plus cruels. Elle dévafta la maifon Impériale

par l'exil, la prifon & la mort; elle fit des plaies horribles à

tous les corps de l'Etat; & lestrifles relies de la maifon Impériale,

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& tous les corps mutilés de l'Etat la fervirent à l'envi avec unzele qu'on a de la peine à concevoir. Les Princes prirent àcœur fes intérêts les Tribunaux refpefterent fes ordres & lesfirent exécuter à la rigueur les Guerriers gagnèrent desbatailles & reculèrent dans quelques endroits les limites del'Empire les Lettrés Fencenferent pour la plupart, & firentfortir, des feules preffes Impériales plus de mille volumesd'ouvrages utiles fans compter ceux qui furent compofés parles Sectaires qu'elle protégeoit & le peuple vécut affez tran-quille pour ne pas fe plaindre de fon fort. Il me femble quepour l'arTemblagertle ce contrafte étonnant il failoit que cettePrinceffe joignît un efprit fupérieur à une politique des plusprofondes; qu'elle eût une hardieffe au-deffus de fon fexe pourentreprendre, & un courage à toute épreuve pour exécuter

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qu'elle alliât dans fa perfonne des qualités incompatibles, pourfe fervir à propos des unes ou des autres, fuivant qu'elles luietoient néceffaires pourparvenir à fes fins. La manière dont elledétrôna fon fils & tout ce que j'ai rapporté d'elle jufqu'à pré-fent, peuvent en fervir de preuve. Ce qui me refte encore àdire en fera la confirmation.

Aufli-tôt après que Tchoung-tfoung eut difparu de la falle,Ou-heou appella fon fils Ly-tan le fit affeoir fur le Trône,lui donna pour Impératrice Lieou-ché fa légitime epoufe &

pour Prince héritier Ly-tckeng-ki l'aîné de fes fils. Ainfi dans

une même féance elle fit tomber un Empereur, elle en éleva

un autre, elle donna la dignité d'Impératrice & nomma unPrince héritier pour fuccéder au Trône, & tout cela pour pou-voir régner feule & tranfmettre enfuite l'Empire à ceux defon propre nom.

La mort de Ly-hien, ancien Prince héritier, exilé à Pa-tcheou fut le premier" événement qui conftata fon nou-veau règne. Ci-devant elle avoit donné le commandement de

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cette place à un Officier de confiance nommé Kwou-chen-tfi,avec ordre à lui de veiller fur la conduite du Prince. Coiumece Prince avoit été dégradé fans raifon & qu'il y a voit dansl'Empire bien des gens qui lui avoient été entièrementdévoués,elle craignit qu'on ne tramât quelque complot en fa faveur.Pour fe délivrer de cette inquiétude, elle fit dire à Kieou-chen-tji que fon prifonnier avoit affez vécu & qu'il etoit temsque d'une manière ou d'une autre, il terminât fa carriere.

Le Commandant fit part au Prince des ordres qu'il avoitreçus & lui .confeilla en ami de s'exécuter lui même pouréviter qu'on ne cherchât des prétextes pour le faire mourir

par le fûpplice des criminels. Le Prince le crut aifément furfa parole & fe donna la mort.

Quand Ou-heou en apprit la nouvelle, elle donna les démonf-trations de la douleur la plus fenfible, comme fi elle n'yavoit eu aucune part. Elle fit femblant de croire que ce Princes'etoit apparemment porté à cette extrémité parce qu'il avoitreçu quelque violent chagrin de la part du Commandant dePa-tcheou, à la garde duquel on l'avoit confié. En confé-quence elle caffa le Commandant, & donna au Prince mort lestitres les plus honorables mais perfonne ne fut la dupe defon hypocrifie. Le rétabliffement de Kieou-chen-tfi, qui eutlieu peu-à-près, eût fuffi feul pour détromper ceux qui auroientpu la croire innocente.

N'ayant plus rien à craindre du côté de Ly-hien elle tournafes vues du côté des,deux jeunes Empereurs. Elle donna à Ly-tan,qu'elle faifoit appeller l'Empereur Joui-tfoung, un palais féparéde celui qu'elle habitoit, lui ôta toute la communication avecceux du dehors & le fit garder à vue.

Elle fit transférer Tchoung-tfoung, qui etoit le véritable Em-

pereur, des prifons des environs de la Capitale, à celle deFang-tcheou & de celle de Fang-tchcou dans une plus etroite

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encore près de Kiun-tcheou,le faifant changer ainfi de demeure

pour rompre les mefures de ceux qui voudroient faire quelquestentatives, dans le deffein de l'enlever & de le rétablir fur unTrône dont elle favoit qu'elle l'avoit fait defcendre injurie-

ment.Croyant ainfi avoir pourvu à tout, elle ne garda plus au-

cune mefure & tout fe fit déformais en fon nom. Cette année

première du règne de Tchoung-tfoung fut défignée par trois

noms différens. Les deux premières lunes, les Edits Décla-rations, Arrêts des Tribunaux & autres écrits publics portoientau commencement ou à la fin ces mots Du regne de Tchoung-tfoung, premiere année de See-cheng; depuis la troifieme lunejufqu'à la neuvième on écrivit: Du regne de Joui-tfoung,

ppremiere année de Ouen-ming, & depuis la neuvième lune

a

on ne data plus que du règne de Ou-heou ou de l'Impératrice

mère, premiere année de Koang-tchê &c.Maîtreffe abfolue & affife fur un Trône qu'elle avoit du

moins en apparence, partagé jusqu'alors ou avec fon épouxou avec Fun de fes fils, elle mit férieufement la main à l'oeuvre

pour n'y faire affeoir après elle que quelqu'un de fa race &de fon nom. Afin qu'on s'accoutumât peu à peu à regarder lamaifon de Ou fur le pied d'une maifon Impériale elle fit conf-truire fept falles différentes ce qui eft la prérogative des feulsEmpereurs, où elle pût aller faire les cérémonies en l'honneurde fes propres ancêtres. Voulant imiter les Fondateurs de Dy-nafties elle donna à fon père, à fon aïeul, à fon bifaieul & à d'au-

tres, des titres d'Empereurs de Rois & de Princes, afin de pou-voir leur rendre & leur faire rendre les honneurs proportionnésà toutes ces dignités.

Ce fut en vain que Pei-yen, fon Miniftre, voulut s'y oppofer

par des repréfentations fondées fur ce qu'elle devoit à la bien-féance, à la maifon Impériale des Tang & aux intérêts parti-

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culiers de fa propre maifon, à la ruine de laquelle elle travailioit

en croyant travailler à fon élévation & à fa gloire. Vousqui favei fi bien CHifioire lui dit-il en fmiffant un allez longdifcours', rappelle^ dans votre fouvenir, ce qui arriva du teinsdes Han à l'Impératrice Lu-heou elle perdit entièrement fafamille en voulant la trop elever.

Et vous qui êtes fi éclairé lui répondit dédaigneufementOu-keou faites attention que tout ce que vous vene7{ de diretombe ci faux. Lu-heou élevait ceux de fes parens qui etoient

en état de la féconder dans fes dejfeins parce qu'ils etoient

encore pleins de vie & en les élevant, elle leur attirait autantd'ennemis ou de jaloux qu il y avoit de perfonnes qui afpi-roient aux emplois qu'elle leur donnoit. Pour moi je n'eleve

que des morts & je ne leur donne que des dignités imaginaires*Qui pour-roit être ajfe? infenfé pour en être jaloux ? Ne m'enparle? plus & quand vous aure^ quelque chofe déformais à merepréjenter aye\ foin d'un peu mieux choifir vos comparaifons.

Cette comparaifon etoit cependant très-jufte & Ou-keouavoit trop d'efprit & fe connoiffbit trop bien pour n'en pasfentir toute la jufteffe. Dans l'efpace de moins d'une annéeelle plaça dans le miniftere dans les armées & dans les Tri-bunaux plus de quinze de fes parens quijemplacerentles deuxpetits-fils du célèbre Ly-tfi. Les Princes Ly-king-yé & Ly-king-yu les grands Tang-tché-ki Lo-vin-ouang Tou-kieou-jin, Ouei-fee-ouen & d'autres fe trouvant réduits au rangdu {impie peuple fe rendirent à Yang-tcheou .& après'avoir confulté fecretement entre eux, commencerent la pre-

'miere guerre civile. Ils feignirent. d'abord un ordre de l'Im-pératrice qui caffbit le Mandarin, Gouverneur du lieu } &

'ordonnent de le faire mourir.Comme on etoit accoutumé dans l'Empire à voir arriver

de pareils ordres fans s'y être attendu, perfonne ne .douta

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de la réalité de celui-ci, & on laiffa tranquillement rnaffacrerle Gouverneur. Les conjurés s'emparerentde la ville, ouvrirentles prifons, prononcerent la grâce de tous ceux qui y etoientdétenus & en firent des foldats. Il fe trouva quelqu'un quireffembloit affez au Prince Ly-hien on fit courir le bruit quece Prince vivoit encore & que ceux qui commandoient les

troupes à Yang-tcheou l'avoient reconnu &-feroient tous leursefforts pour le placer fur le Trône, ou, pour le moins, pourle fouftraire aux perfécutions de la cruelle Ou-heou. Cet arti-fice leur réunit & dans l'efpace d'une quinzaine de jours, Ly-king-yé & Ly-king-yu & les autres fe trouvèrent à la tète d'unearmée de plus de cent mille hommes.

Pour empêcher qu'on ne leur donnât dans l'Empire l'odieux

nom de rebelles, ils publierent qu'ils ne prenoient les armesque pour mettre le véritable Empereur fur le Trône, & firent

un manifeite dans lequel ils faifoient un détail de toutes leshorreurs dont Ou-keou s'etoit rendue coupable envers la familleImpériale & tout ce qu'il y avoit de. plus illuftre dans l'Etat.Les termes les plus durs & les plus injurieux à fa. perfonnen'etoient point épargnés.

Ce manifefte couiut bientôt tout l'Empire & Ou-heou nefut pas la derniere à. le voir. Elle le lut fans montrer fur fonvifage aucune altération & en le rendant à l'homme de con-fiance qui la lui avoit apporté II y a du feu, dit-elle, &

il ejl fort bien écrit ? Qui croye\-vous parmi les rebellescapable de F avoir compofé ? Il eft probable, lui répondit-on

squ'ils l'ont fait de concert; mais le Jîyle paroit être celui de Lo-pin-ouang. C'ejl un homme qui a beaucoup d'efprit, repliqua-t-elle froidement, je fuis fâchée d'avoir ignoré fon talent,

$j'aurais ju tirer parti d'un tel homme. Qu'on appelle Pei-yenJ'ai à conjulter avec lui fur les moyens d'appaifer cette révolte,

Pei-yen fe rendit à l'appartement de Ou-heou qui luidemanda

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demanda fon avis fur ce qu'il y avoit à faire dans les circonf-

tances. Celui-ci lui répondit, un peu cruement, qu'il ne voyoitqu'un feul moyen, quietoit d'ôter aux rebelles le prétexte qu'ilsavoient pris pour s'autorifer à prendre les armes. Rétabliffe^ajouta-t-il, votre fils fur le Trône, laijfe^lui tenir les rênes duGouvernement & tout rentrera dans l'ordre.

Lâche lui dit Ou-heou en le regardant avec indignation,je j'aurai bien me tirer d'embari-asfans vous. Elie avoit com-mencé à ne plus tant compter fur rattachement de Pei-yen

il

depuis que ce Miniftre s'etoit oppofé à ce qu'elle fit bâtirfept falles pour y révérer fes ancêtres à la maniere des Em-

pereurs. Ce qu'elle venoit d'entendre de fa propre bou-che, acheva de le perdre dans fon efprit. Quelques joursaprès elle le fit accufer d'intelligence avec les ennemis del'Etat, & le fit exécuter publiquement comme coupable ducrime de haute trahifon. L'infortuné Pei-yen eut la tête coupée

pour s'être expliqué avec fîncérité dans une affaire fur laquelle

on lui demandoit fon avis; tous fes biens furent confifqués

ceux de fon nom qui etoient revêtus de quelque emploi, furentcaffés & exilés; fes amis, ceux qui avoient été placés par lui,fubirent fucceffivement le même fort. Tous ces crimes n'etoientqu'un amufement pour Ou-heou & ne l'occupoient tout auplus que quelquesinftans. Elle travaillent à etouffer promptementles premières etincelles d'un feu qui pouvoit embrafer bientôttout l'Empire, pour peu qu'il fût négligé. Elle réuffit au-delà defes efpéfances.

Le Général Ly-hiao-y qu'elle envoya contre les rebelles àla tête d'une armée de plus de deux cens mille hommes debonnes troupes les battit les mit en déroute, & pacifia tout.Leurs principaux Chefs périrent en combattant, ou fe dé-firent eux-mêmes pour éviter le'fupplice ignominieux qu'onleur auroit fait fubir s'ils avoient été pris ou furent mafla-.

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crés, par leurs propres gens, en voulant fe lauver par la fuite.Ly-king-yé & Ly-king-yu furent du nombre de ces derniers.Un de leurs Officiers nommé Ouang-na-Jîang dans Fefpé-rance d'obtenir fa grace pour fon crime de révolte & quelquesrécompenfes du côté de la Cour, en faifant quelque chofe quilui fût agréable, les prit en traître & les affaffina l'un & l'autre,à l'aide de plufieurs foldats qui dépendoient immédiatementde lui. Il obtint en effet ce qu'il fouhaitoit. Ou-heou lui accordal'abolition de fon premier crime & lui confia la garde d'unpofte important en récompenfe de ce dernier; mais elle nepardonna pas à Ly-hiao-y d'avoir trop de mérite & de s'êtreacquis tant de réputation par la manière dont il termina cetteguerre. Ce Général fut à peine arrivé à la Cour qu'on penfaà l'en eloigner. L'Impératrice fous quelque fpécieux pré-texte, dont elle ne manquoit jamais, l'envoya comman-der les troupes dans une des extrémités de l'Empire furles frontieres du See-Tclzouen. Eiie ne l'y laiffa pas long-temstranquille. Elle le fit accufer de vouloir fe révolter & enconféquence elle le caffa de fon emploi en lui laiffant difoit-elle, !a vie à raifon de fes fervices paffés. Ly-hiao-y qui n'a-voit rien fait qui pût donner lieu à une calomnie de cette nature.,mourut peu après de chagrin.

Depuis la mort de Pei-yen? Ou-heou ne voyoit perfonneà la Cour avec qui elle pût parler d'affaires avec une cer-taine ouverture de coeur car ce n'etoit point avec fes parensqu'elle vouloit parler de fes parens même & elle vouloit avoirquelqu'un de confiance qui pût lui rapporter la manière bonne

ou mauvaife dont ils fe conduifoient au dehors. Elle fit choix

pour celad'unjeuneBonze, homme de beaucoup d'efprit, à quile méprifable talent de favoir s'intriguer, pour parvenir à fesfins par des voies également dédaignées par l'homme de génie& par le fage, avoit déjà fait quelque réputation dans laCapitale.

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Qqiï

Ce Bonze s'appelloitHoai-y. L'Impératrice pour lui donnerquelque confédération lui fit bâtir un magnifique Monafteredont elle le nomma Supérieur.Elle lui accorda toutes .les entréeslibres, pour venir au Palais, la nuit comme le jour, & lui donnaplace au confeil. Ce qu'elle fit là en faveur de ce Bonze 'donnelieu aux déclamateurs Chinois de l'accufer de magie &d'im-pudicité mais ils n'en apportent d'autres preuves que les entre-tiens fecrets dont elle l'honoroit fouvent pendant une partiede la nuit.

Je n'entreprendrai pas de juftifier Ou-keau je dirai feule-

ment qu'elle efl coupable d'affez d'autres crimes qui la rendentexécrable, fans lui en imputer qu'elle n'eœt peut-être pas. Onpourroit ajouter que toute fa magie confiftoit dans les rapports

que lui faifoit fon Bonze & dans la multitude de fes efpionsqui ne lui laiffoient rien ignorer de ce qui fe paifoit au dehors,que pour ce qui eft des autres infamies, il n'eft pas vraifem-blable qu'une femme âgée déja de plus de foixante ans gou-vernant par elle-même de vafies Etats, ayant à fe foutenir

tout à la fois contre les ennemis du dehors & contre ceux dudedans, s'occupât d'autre chofe que de ce qui avoit rapportà la fureté de fa perfonne & à fon ambition. D'ailleurs il eilprouvé par l'Hifl:oire qu'elle n'epargnoit pas plus fon Bonze

que les autres quand il s'agiffoit du bon ordre. Elle lui fit donner

une fois la baflonade dans une des cours du Palais à l'occa-fion de quelques défordres qui furent commis par ceux duMonaftere dont il etoit chargé. ïl me paroît que ce n'eft point

par de pareilles preuves qu'on peut conclure que ce Bonze etoitfon amant.

Cependant les Princes du fang qui voyoient avec douleurqu'ils n'etoient prefque plus comptés pour rien dans l'Empire,prirent enfin le parti de demander à force ouverte, le ré-tabliffementde Tchong-tfoung, qui etoit le légitime Empereur

s

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pviifqu'il avoit été nommé par Kao-tfoung fon pere, & reconnuiblemneliement par tous les ordres de l'état. Ils fe fauverent dela Cour au nombre de plus de dix & levèrent des troupeschacun de leur côté. Ils auroient peut-être réuffi s'ils s'etoiententendus mais comme chacun vouloit être chef & qu'aucund'eux n'avoit ni les talens ni l'expérience que demandoit uneentrepriie de cette nature, ils furent détruits l'un après l'autre.L'activité de l'Impératrice ne leur laiffa pas le tems de fe réunir

pour réparer la faute qu'ils avoient faite de ne pas agir de

concert. Ils furent tous pris & punis de mort. Ou heouprofita de l'occafion pour élaguer plus qu'elle n'avoit encorefait, les différentes branches de la famille des Tang. Elle etei-gnit impitoyablement toute la race des Princes qui avoient prisles armes. Elle enveloppa dans la même profcription celles deleurs alliés & de leurs amis ou comme déjà coupables oucomme pouvant le devenir; celles d'une foule de Mandarins& d'Officiers qui avoient été ou à leur fervice ou protégés

par eux; celles enfin de tous ceux qu'elle pouvoit foupçonnerde vouloir lui nuire. C'eft ainfi que finit la deuxieme guerrecivile. Tous les titres dignités ou emplois un peu importansqui vaquerent par la mort de tant de perfonnes, furent donnés

aux parens de l'Impératrice & à ceux qui leur etoient entié-

rement dévoués.Après cette horrible tragédie où la fcene fut inondée de fang,

elle joua au commencement de l'année fuivante une comédiequi n'effraya pas moins la grande partie des fpeétateurs.Elle traveftit fon fexe & avec les habits de cérémonie &

toute la pompe des Empereurs, elle offrit folemnellement legrand facrifice ayant pour affiftans à fes deux côtés le PrinceKi-tan, à qui elle donnoit ie nom d'Empereur, & le fils deKi-tan qu'elle avoit nommé Prince héritier de l'Empire. Immé-diatement après le facrifice, avant que de fe transporter à la

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falle des ancêtres, elle accorda une amniftie générale& ordonnaqu'elle feroit publiée dans tout l'Empire. Elle fortit du lieu desSacrifices & fe rendit à celui où l'on rend hommage aux morts,où elle fit les cérémonies refpectueufes avec tout l'appareilqu'on employoit fous les Tcheou dont elle avoit déjà faitadopter les rits. Pour imiter en tout les Tcheou il ne lui man-quoit que de faire un grand Général. Elle en nomma un &

ce fur fon Bonze Hoai-y auquel elle donna, outre cela, letitre de Prince du troifieme ordre autre preuve qu'elle n'a-voit ce Bonze auprès d'elle que pour favoir tout, difpofer de

tout & être maîtreffe abfolue de tout au moyen d'un hommequi dépendoit d'elle pour tout.

Elle n'avoit adopté le cérémonial des Tcheou que pour donnerle nom de cette illuftre Dynaftie à la Dynaftie qu'elle pré-tendoit fonder. Dans cette vue elle fit paroitre un Edit parlequel elle déclaroit que la Dynafrie régnante ne s'appelleraitplusdéformais que la Dynaftie des Tcheou voulant abolir ainfijufqu'au fouvenir de la maifon des Tang. Nous avons dit-*

elle, adopté le cérémonial des Tcheou pourquoi n en prendrions-

nous pas le reJbeSable nom ? Je ne vois en cela aucun incon-vénient. Si cependant quelqu'un trouve qu'il y en a qu\l mettefes raifons par écrit, je promets cl y avoir égard.

Son intention en voulant qu'on lui fit des repréfentationsfur un article dont elle etoit bien réfoiue de ne pas fe départir jetoit de connoitre par-la quels etoient ceux d'entre les Grands& les Mandarins qui etoient véritablement affectionnés à lamaifon Impériale afin de les faire périr d'une manière ou d'une

autre. Son artifice lui réuiîit. Elle reçut des placets de tous lesendroits de l'Empire & elle eut le chagrin de voir que dansprefque tous ces placets on l'invitoit à conferver à la Dynaftieion véritable nom & à rétabitriurleTrône l'Empereurrégnante fon véritable nom & à rétablirfur le Trône l'Empereurqu'elle en avoit fait defcendre fans de légitimes raifons. Elle

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fit couler encore des ruiffeaux de fang; mais ce ne fut pasafTez pour elle elle voulut que ces ruiffeaux fe changeaffent

en fleuves.Elle imagina une maniere d'être inftruite de la conduite

bonne ou mauvaife de tous ceux qui etoient en place, afin,"j

difoit-elle d'extirper peu à peu tous les abus qui s'étaientgliffés dans le Gouvernement&de pouvoir fe corriger elle-mêmedes fautes dans lefquelles elle tomboit contre fon intention. Elledonna une permiffion générale à tous fes fujets d'accufer fansrifque, ceux qu'ils croiroient ne pas remplir leurs devoirs avecla fidélité, le défintéreffement & FexaÊtitude qu'exigeoientles

emplois dont ils etoient chargés. Elle fit placer à l'une des portesdu Palais un coffre de fer dont elle avoit feule la clef, ongliffoit par une fente qui etoit pratiquée à ce deffein fur cecoffre les billets qu'on vouloit lui faire parvenir & chaquefoir on l'ouvroit en fa préfence, après l'avoir porté dans fon

appartement. Elle paffoit une partie de la nuit à fatisfaire facuriofité par la lefture de toutes ces repréfentations anonymes.,dont elle fe fervoit enfuite pour aller à fes fins.

Il eft inutile de dire que par ce moyen, elle fourniffoit àla haine à la vengeance & à la baffe envie, l'occafion defe fatisfaire impunément. Elle avoit trop d'efprit pour ne pasle voir elle-même mais elle etoit bien aife d'avoir fans ceffe

entre fes mains de quoi pouvoir févir contre ceux qu'elle vou-loit perdre, fans qu'il parût que c'étoit elle qui les perdoit.

Quand elle fut fuffifamment inftruite de tous les défauts de

ceux qui etoient en place elle fit main baffe fur tous ceuxqui lui faifoient ombrage.

Après un maffacre qui mit les principales familles de l'Em-pire en deuil elle fe fit repréfenter par un de fes Miniftres

tous les inconvéniens qui réfultoient de la liberté qu'elle avoitdonnée de lui préfenter des ecrits anonymes. Elle en convint

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& avoua même qu'à cette occasion elle avoit fait périr biendes perfonnes dont elle reconnohToit actuellement l'innocence.Ainjl ajouta t elle dans le nouvel edit qu'elle donna, jelaijfe encore à mes fujets la liberté de s'adrejjer à moi de lamême maniere qu'auparavant avec cette différence que chacunfe fera connoitre, en mettant [on nom au-deffus de l'ecrit dont ilfera l'auteur. Qu'on ait foin de ne rien avancer qui ne foit exacte-

ment vrai & qu'on ne puiffe prouver quand on fera requis de lefaire. On fera mourir irrémijfiblement les calomniateurs & ceuxqui aceuferontfans preuves fuffifantes.

Malgré la févérité de cet Edit, il te trouva encore ditFHiftorien huit cent cinquante perfonnes qui oferent courirles rifques. Elles furent convaincues d'avoir accufé à faux &Ou-heou leur tint parole. Elle les fit exécuter publiquement àmort ainfi qu'elle i'avoit promis.

Enfin raffafiée de carnage elle fe priva pour quelque tems.des alimens qui nourrifioient fa cruauté pour fe repaître de

ceux qui pouvoient nourrir fon orgueil. Les Bonzes de la feftede Fo, avoient fait un Livre, dans lequel ils prétendoient quel'Impératrice Ou-heou etoit fille de Fo lui-même. Ils ajoutoientqu'elle etoit deftinée par fon pere à être la Fondatrice d'unenouvelle Dynaftie qui devoit remplacer celle des Tang, &qu'ainfi elle etoit fans- contredit &fans concurrent, la feulelégitime Souveraine de l'Empire.

Ou-heou qui avoit peut-être fait compofer ce Livre le reçutdes mains d'un Bonze de grande réputation nommé Fa-ming

il

avec beaucoup de refpeâ: mais avec encore plus de plaifir.Elle le fit répandre dans tout l'Empire comme un Livre quicontenoit une doctrine toute célefte & par reconnoiffance

pour les Difciples de celui dont on lui difoit qu'elle etoit lafille elle fit bâtir dans toutes les provinces de vaftes & magni-fiques Miao pour leur fervir de demeure. Elle accepta fans

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pudeur les titres <£ Impératrice efprit, d'Impératrice immortelled'Impératrice defcendue du Ciel, de Mi-lê fille bien-aimée deFo & autres femblables, dont elle ne rougit pas de s'appellerelle-même dans quelques Edits qui avoient rapport aux affairesgénérales de l'Empire.

Elle fit elever avec des frais immenfes un Temple du nomde Ta-ming-tang c'eft-à-dire Temple du grand Clair-voyant^au nord duquel elle fit bâtir le Temple dit du Ciel, Ticn-tang.Dans le premier elle fit placer une ftatue de bronze, dont lahauteur etoit de deux cens pieds. On peut juger par-là de lahauteur du vaiffeau qui la contenoit. Mais cette élévation.n'etoit rien en comparaison de celle du temple du Ciel. Le Tem-ple du Ciel dit l'Hiftorien etoit partagé en cinq étages. Quand

on etoit arrivé au troijïeme étage & qu'on regardoit de-là ù>, Ta-ming-tang qui n etoit quà quelques pas il falloit regarder

en plongeant comme pour voir quelque chofe de très-profonde"

ment enfoncé.

Ces deux Temples furent confumés par les flammes, peude tems après avoir eté achevés mais l'Impératrice les fitrebâtir plus magnifiquement qu'auparavant malgré tout cequ'on put lui dire pour l'engager à fe défifter d'une entreprifequi epuifoit fes tréfors & ne ferviroit qu'à la rendre méprifa-ble aux yeux de la poftérité.

Outre ces deux Temples, elle eleva encore plufieurs autresfuperbes edifices en l'honneur des différentes idoles que fesBonzes lui propofoient à révérer car il paraît par PHiftoire

que tout culte lui etoit bon, pourvu qu'il ne l'ecartât pas desfins qu'elle fe propofoit.

Cependant on etoit indigné dans tout l'Empire d'une magni-ficence fi mal placée. On la regardoit comme une prodigalitéqui n'avoit point d'exemple depuis la fondation de la Monar-chie & l'on fit fur cela des repréfentations réitérées qui furent

toutes

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toutes fans effet à l'exception de celles de Ty-jin-kié alorsGouverneur de la province du Ho-nan. Ce Ty-jin-kié etoit unPhilofophe, que fon indifférence pour ce qu'on appelle leshonneurs & la fortune mettoit au-deffus de toute crainte. Ilrepréfenta à Ou-heou qu'il n'y avoit déjà que trop de Miaodans l'Empire; & que dans la feule province confiée à fesfoins le nombre en etoit exorbitant. Sur quoi il demandoitqu'il lui fût permis de ne conferver de tant de Miao que ceuxdont l'utilité etoit reconnue.

L'Impératrice appointa fa requête, & Ty-jin-kié profitade la permifîion qu'on lui donnoit, en toute rigueur, & dansla plus grande étendue du terme. 11 ne conferva dans toute laprovince du Ho-nan que quatre Miao confacrés à un culteparticulier au pays à favoir, les Miao du grand Yu deTay-pe de Ki-tcha & de Ou-yuen. Tous les autres furentlivrés aux flammes & réduits en cendres au nombre ditl'Hiftorien de plus de mille fept cens tant grands que petits.

Qu'on me permette de faire ici une réflexion en faveur dufentiment de ceux qui croient que la religion chrétienne etoittrès-floriffante à la Chine dans le feptieme fîecle.

Le Gouverneur du Ho-nan fait réduire en cendres plus demille fept cens Miao dans fa feule province fous i'autoritéd'une Impératrice qui faifoit bâtir elle-même des Miao &qui continua à en faire bâtir encore qui protégeoit les Bonzes,& qui prenoit pour elle-même des titres confacrés aux Idoles

que l'on révere dans les Miao. Il me paroît qu'il y auroit-là

une inconféquence bien grande dans la conduite d'une Prin-ceffe, qui agiflbit pour l'ordinaire fi conféquemment û cesMiao avoient eté confacrés au culte reçu depuis bien des fiecles

dans le pays.On fauve l'inconféquence en difant que ces Miao etoient

deftinés à des cultes étrangers mais comme parmi ces cultes

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étrangers, ceux qui vendent immédiatement des Indes, etoientdéja pour ainfi dire naturalifés à la Chine où ils avoienteté admis du tems des Han, on peut ajouter que ces Miaoetoient probablement confaCrés à un culte plus récent tel quecelui qui avoit eté apporté trente-trois ans auparavant parOlopen & Ces Compagnons d'où l'on peut conclure très-bien

que ces dix-fept cens edifices, réduits en. cendres, etoient

auparavant des Eglifes & des Chapelles à l'ufage des Chré-tiens, dont le culte etant celui du vrai Dieu etoit oppofé

aux différera cultes monstrueux & bifarres de celle qui gouver-noit alors la Chine & qu'ainfi cette Princeffe a pu fansinconféquence,fupprimer, abolir & détruire des Miao oppofésà fon culte en même tems qu'elle multiplioit le nombre de

ceux qui etoient deftinés au culte des Idoles qu'elle révéroit.Ce n'eftici, comme je l'ai déjà dit, qu'une fimple réflexion.Je laiffe aux Savans le foin de tirer parti de ce trait d'histoire.On le trouvera dans les Annales chinoifes fous la fixieme lunede la cinquieme des années marquées du nom de Sce-ckeng,immédiatement après l'annonce d'une eclipfe de foleil. Cetteannée répond à l'an de J. C. 688.

A la magnificence des Miao Ou-heou en joignit une autreplus digne d'elle & de la place qu'elle occupoit. A l'exempledu grand Yu elle fit fondre neuf grands Ting ou vafes d'airainfur lefquels elle fit graver la Topographie de l'Empire, tel qu'iletoit de fon tems. Elle y ajouta la divifion des provinces, les

noms des capitales & des principales villes, le détail de cequ'elles produifoient & la nature des fubfides particuliersqu'elles fourniifoient chaque année au Tréfor impérial & auxmagafins publics. Elle fit placer à côté de ces Ting par formede fupplément de grandes tables de même métal fur lefquel-les elle fit graver une explication détaillée de tout ce quin'etoit que défigné fur ces mêmes Ting. Et, ce que n'avoit pas

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fait le grand Yu elle fit elever deux efpeces de pilaftresdont l'un de fer & l'autre de bronze, de la hauteur de centcinquante pieds, fur une epaiffeur de douze, pour faire paffer,difoit-elle, jufqu'à la poflérité la plus reculée l'hiftoire de Songlorieux règne hiftoire qu'elle fit compofer en abrégé parOu-fan-fee le plus cher de fes neveux celui à qui elle deftinoitl'Empire. Cette prétendue hiftoire n'etoit qu'un eloge outré desprétendues belles qualités d'une Princeffe dont tout l'Empiredételloit les vices & une fauffe exposition des tragiques evé-tiemens qui avoient fait verfer tant de larmes & dont tantd'illuftres familles portoient encore le deuil. Cette expofitiontrompeufe & cet impudent éloge furent néanmoins gravésen très-beaux carafteres fur l'airain. Ou-keou voulut elle-mêmeen compofer l'inscription ou le titre, ce qu'elle fit à-peu-prèsen ces termes Monument étemel pour conflater la vertu de la~<?KV~e Z?y/za/?~ ~M ~7't~ TcheOU 1 a y~M. y~CR~Ï/ZCanouvelle Dyticflie des grands Tcheou qui a fous fa puijfanceF Empire de tout l'univers. »

Deux maffes de métal, ayant chacune vingt pieds de hau-teur fur cent foixante-dix de circonférence & préfentant laforme d'une montagne etoient les piedeflaux.de l'un & l'autrede ces monumens.

Outre le nombre prodigieux de ftatues qu'elle avoit érigéesdans les différens Miao elle en fit ériger un très-grand nombre

pour repréfenter ceux qui avoient, difoit-elle bien mérité del'Empire fous fon règne. A- en croire les déclamateurs elleepuifa pour les ouvrages quelle fit faire en métal tout l'or & lecuivre qu'elle avoit en fa difpoftion & quand elle ne trouvaplus où en acheter, ellefit faifir les ujlenfiles qui étaient à tuf âge

dit peuple pour être employés à ces monumens de fon orgueil.Pendant l'efpace de plufieurs années elle occupa ainfî plus

de dix mille hommes, tant artiftes qu'ouvriers. Elle ne laiffa

pas pour cela croupir dans une oifiveté honteufe les Guerriers

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PORTRAITS44& les Lettrés elle tira parti de leurs fervices & fut les

employer à propos. Elle envoya les premiers faire la guerreen Tanarie contre les Tou-kiué, lesKi-tan, & les Thibétains;elle fit compofer par les féconds des Livres, qui euffent étéutiles s'ils n'avoient été infectés des erreurs des Sectaires &û on les avoit dépouillés de tous les menfonges qui déparoientla vérité. Les Guerriers furent alternativement vainqueurs &vaincus. Il leur arriva ce qui arrive dans presque toutes les

guerres; ils eurent beaucoup de défavantage & très-peu deprofit mais de leurs pertes même Ou-heou fut tirer fa propregloire & la honte des ennemis.

Elle acheta la paix avec les Tou-kiué & les Thibétains endonnant au Roi de ceux-ci une Princeffe du fang chinois enmariage & en gratifiant ceux-là de quarante mille mefures degrains, auxquelles on ajouta trois mille cuirafles quarante àcinquante mille livres de fer non travaillé &c cinquante millepieces de fofe de différentes couleurs. Les uns & les autres,d'ennemis qu'ils etoient de la Chine, étant devenus fes alliés,tournèrent leurs armes communes contre les Ki-tan & lesecraferent.

Les Lettrés firent l'hiftoire des grands hommes de leurfiecle c'eft-à-clire de ceux qui avoient été ou les exécuteursdes cruautés de l'Impératrice ou les lâches rniniftres de toutesfes volontés ou des adulateurs toujours prêts à encenfcr tousfes vices. Ces mêmes Lettrés que l'on appella par dérifiondans la fuite les Lettrés ds la porte de derrière, parce que pourrecevoir leur grade de Littérature, ils avoient eu la foibleffede fe faire examiner fur le Tao-té-kingde Lao-kiun ces mêmesLettrés dis-je, compoferent encore fur la piété Filiale fur lesrits ,furla morale, & far l'hiftoire en général, quantité d'ouvra-ges qui eurent cours de leurs tems; mais dont aujourd'hui onconnoît à peine les noms.

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Au milieu de ces différentes occupations, & des foins péni-bles d'un gouvernement qui rouloit tout entier iv.ï e!lc5 Ou-heou amufoit de tems en terns le public de l'efpérance qu'ellealloit ennn céder l'Empire à ionfils, Elle porta même la ciifli-a Olt cnnn cec cr mplrc a lün 11l5, porta rncwe ia ([1111-

mulation jufqu'à fe retirer pendant quelques jours après avoirpublié un manifefte dans lequel elle s'exeufoit en quelqueforte de n'avoir pas fait plutôt ce qu'elle faifoit alors. Mais

ajout oit-elle, le bien de l'Empire le demandait ahijî. Je favois

que mes en fans etoient fans expérience & naturellement ennemisdes affaires ,• pouvois-je les livrer à eux-mêmes dans un tansoù fetois comme sûre qu'ils auroicnt fait le malheur de leursfujets en remettant leur autorité entre les mauis de quelquesMini/Ires qui en aur oient abufè. Il n'en efl pas de même aujour-d'hui r Empereur Joui-tfoung le cadet de mes fils a acquisde la maturité & quelque expérience. Je me décharge avec plaifirfur lui d'un fardeau que je porte depuis tant d'années & qu'ilefl jufie qu'il porte à Jon tour. Je tâcherai de le lui rendre le plus

léger qu'il fera pofjible en l'aidant de mes conjeils tant que jeVivrai.

Comme Joui-tfoung n'etoit pas le véritable Empereur, elleetoit bien iure que !a démiffion qu'elle faifoit en fa faveur, neferoit pas reçue favorablement dans l'Empire & elle fe con-fervoit par-là un prétexte toujours plaufible pour reprendre lesrênes du gouvernement quand il lui plairoit iî fon fils avoirvoulu férieufement les prendre en main lui-même, quand ellefaifoit fembîant de vouloir le lui livrer.

Joui-tfoung connoiffoit trop bien fa mère pour fe laifferprendre à l'appât de fes belles paroles. il crut entrer dans fes

vues en faifant fembîant de fon côté de ne vouloir pas del'Empire tant qu'elle vivroit & en la fupp liant de continuer àle gouverner comme elle avoit fait ci-devant. I! répondit à ladéclaration publique par laquelle ia mère lui cédoit l'Empire

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par une autre déclaration qu'il rendit publique auffi, par laquelleil s'ôbfh'noit à le refufer.

Ces fcenes comiques qui ne faifoient rire perfonne etoientvariées par des intermedes tragiques qui faifoient verfer biendes larmes à ce qu'il y avoit de plus refpeélable dans l'Empire.Quatre Princes du fang un Miniftre environ une douzainede Grands, fous prétexte de quelques complots de révolte,furent punis de mort en différens téms, & entraînèrent dans lemême précipice, avec eux, une foule de Mandarins & d'hom-

mes de toutes les conditions.Malgré le filence de Fhiftoire fur la véritable raifon de tant

de meurtres & les inventives des déclamateurs qui ne la

trouvent que dans l'infatiable cruauté de la Princeffe qui les

ordonnoit il eft à préfumer que ceux qui périrent n'etoient

pas rout-à-fait innocens de ce dont on les accufoit. Tant dePrinces, tant de Grands, tant de Mandarins maffacrés précé-demment, donnent lieu de croire qu'il y avoit des hommesqui vouloient venger leur mort; & Pinjufte difgrace de celuiqu'on regardoit comme le véritable Empereur, & qui fetoit

en effet puifqu'il avoit été nommé par Kao-tfoung fon pere,& reconnu folemnellement pour tel, fait croire encore qu'iln'eft pas hors de vraifemblance que quelques Princes du Sang,quelques Grands & quelques Mandarins, aient fait des briguesfecretes pour tâcher de délivrer leur légitime maître & le

placer fur un Trône qui lui appartenoit.En faifant cette réflexion je ne prétends en aucune façon

prendre le parti de la barbare Ou-heou contre ceux quis'acharnent à la décrier. Je veux infinuer feulement que fans

la vigilance extrême dont elle faifoit le principal de fes foins,Ou-heou eût été bientôt chaffée d'un Trône qu'elle enlevoit àla maifon des Tang, pour le faire paffer dans fa propre mai-fon. C'eft ce qu'enfin elle entreprit de faire ouvertement quand

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elle crut être aiTez forte pour ne rien craindre mais elle avoità faire à des Chinois, c'eft-à-dire à la nation du monde quiquitte prife le plus difficilement quand elle a une fois pris fonparti.

Elle avoit deux neveux qui partageoient également fa ten-dreffe & elle n'avoit différé fi long-tems de nommer l'un d'euxfon Prince héritier, que parce qu'elle craignoit d'affliger l'au-

tre par cette préférence. Après bien des réflexions elle fedétermina pour Ou-fan-fee le plus jeune des deux, & le pro-pofa à fon Confeil. Ty-jin-klé qui etoit alors celui de toustes Mini Ares qu'elle ecoutoit le plus volontiers, lors même qu'iletoit d'un fentiment différent de celui qu'elle avoit, s'oppofade toutes tes forces à la nomination d'un nouveau Prince héri-rier, par un difcours qui eft rapporté dans l'hiftoire & dontvoici le précis. li dit à l'Impératrice avec fa franchife accou-tumée, qu'elle ne pouvoit point ôter l'Empire aux Tang fi

elle confultoit la juftice & .qu'elle ne de voit pas le leur ôter,quand même elle le pourroit fi elle confultoit les intérêts defa maifon. Ce font les Tang, dit-il, qui ont conquis L'Empire

c'efl le grand Tay-tfoung qui l'a mis dans l'état floriffant où

nous le voyons aujourd'hui. Quel droit ave^-vous de vouloirrôteràfes defcendans ? EJl-ce par reconnoijfance de ce qu'il aeté le premier à vous introduire dans le Palais, &' ci vous donneroccafion de faire briller votre efprit & de faire valoir votremérite qui l'un & l'autre euffent été enfouis fans le difcerne-

ment de ce grand Prince, qui fut le démêler & en tirer parti ?

Efl-ce par reconnoijfanceencore pourK.a.o-tCoung, votre époux7

qui charmé de toutes les belles qualités dont vous ëtes douée,

vous donna toute fa tendrefje & voulut partager fon Trône avecvous ? Quand il vous ~/E' 1-an,y d'I>zzpéraztrice qrcarzd ilvous pria en mourant d'aider fon fils dans le gouvernement del'Empire était-ce pour vous mettre la force en main & vous

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engager à le lui enlever. Mais fuppofons que vous ayie^ placéle Trône des Tang votre neveu Ou-fan-fee, croyez-vous"que les fujets de l'Empire l'y laiffei-oient long-tems tranquille ?ju&e{ C avenir par le pajjé. Quels ruiffeaux de fan g nave^-

y,

vous pas eté obligée de faire couler pour pouvoir vous-même vous.y maintenir pour moi je crois que vous travaille^ efficacement,fans le vouloir à faire éteindre votre race jufqu'à la. dernière,

étincelle.Ce difeours forti de la bouche d'un homme dont elle con-

ïioiffolt la candeur & la droiture, la fit rentrer en elle-mêmemais ce qui acheva de la déterminer fut une réflexion commejettée au hafard par le même Ty-jin-kié avant que de feféparer d'elle. Croyez-vous lui dit-il que celui de vos neveuxque vous aure^fait Empereur, aura pourvous, après votre monttoute la reco/inoijfance que vous en attende-^ ? Croyez-vous da

bonne- foi qu'il vous donnera la préférence fur fa propre mère, &fqui plus eft fur j "on pere lui-même. ? vous aurie^ tort de vous enflatter. Il élèvera fon pere à la dignité d'Empereur, & fa mercà celle d'Impératrice & leurs noms feront inferits les premiersdans la falle des Ancêtres. Ce fera beaucoup s il fait placer le

vôtre à l'un des côtés.Les autres Miniftres & la plupart de ceux qu'elle confultoit,

furent du fentiment de Ty-jin-kié. Elle voyoit outre cela, parles représentations qu'on lui faifoit de tems à autre pour l'en-

gager à rappeller l'Empereur Tchoung-tfoung qu'elle ne pou-voir s'oppofer au vœu général de la nation, fans rifquer de

faire exterminer tôt ou tard fa famille. Elle fe déïifta enfin d\inprojet, pour l'exécution duquel elle avoit commis tant de cri-

mes niais en cefTant de vouloir placer fa propre famille fur le

Trône elle voulut la mettre fur les voies de s'y placer d'elle-

même un jour, iorfque les circonftances feroient plus favo-rables.

Page 330: Memoires concernant les chinoise 5

j.

Il y avoit déjà plus de vingt perfonnes de fon nom qu'elleavoit élevées au rang de Prince, tant du premier que des fécond^& troifieme ordre. Tous les autres etoient en poffeffioa despremières charges de l'Empire, elle travailla à leur affurer leuretat & à empêcher qu'on ne les inquiétât après qu'elle neferoit plus. Dans cette vue elle publia un Edit dans lequelaprès avoir protefté de fes bonnes intentions lorsqu'elle fedétermina à répudier fon fils Tchoung-tfoung & à le fairedefcendre du Trône; elle ajoute que n'ayant rien vu depuis

ce tems, dans la conduite de ce Prince, foit dans les différentesprifons où elle avoit cru devoir le tenir renfermé foit dans lelieu de l'exil où il etoit depuis quelques années qui ne fût unepreuve de fon amendement elle ne vouloit pas s'oppofer pluslong-tems à ce que la Nation paroiffoit fouhaiter avec tant d'em-prefTement, & qu'ainfi elle rappelloit Tchoung-tfoung auprèsd'elle pour l'inftruire dans l'art de régner.

Elle le rappella en effet; mais fans lui permettre encore deprendre connoiflance des affaires du gouvernement. Pour luidonner cependant quelques preuves de fa bonne volonté ellele nomma Prince héritier, afin qu'il lui fuccédât de plein droit

>

en cas d'accident & pour pouvoir le faire reconnoître de nou-veau comme véritable & légitime Empereur, quand elle juge-roit à propos de le faire. Elle eut la fauffe politique de vouloir

que fon fils quittât le nom de Ly qui etoit celui de la maifondes Tang, pour prendre celui de Ou qu'elle portoit elle-même.Ce qui déceloit fes véritables intentions, quelque foin qu'elleprît d'ailleurs de les cacher.

Tchoung-tfoung n'héfita point à faire tout ce qu'elle voulut& à ces conditions il rentra dans fes bonnes graces du moins

en apparence. Elle de fon côté le nomma Généraliffime del'armée qui devoit aller contre les Tartares & lui donna Ty-j'm-kui pour commander fous lui.

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A peine fut-on dans l'Empire que Tchoung-tfoung etoitrappellé & qu'il alloit être rétabli fur le Trône de fes pèresqu'on fit de tous côtés des réjouiffances extraordinaires, quiconvainquirent Ou-keou qu'elle avoit eu tort de fe flatter depouvoir fubftituer fa propre famille à celle des Tang. Ce fut;

bien autre choie encore quand on apprit que ce Prince devoitaller en perfonne contre les Tartares. Il n'y eut prefque pointde famille, qui, pour preuve de fon attachement, ne voulûtque quelqu'un des liens allât fervir fous lui. Le nombre de

ceux qui demandoient à être enrôlés fut fi grand, qu'aprèsavoir fait un choix des hommes qui paroiffoient les mieuxfaits, les plus robuftes & les plus propres au métier des armes,l'armée fe trouva augmentée de plus de cinquante mille guer-riers, prêts à verfer jufqu'à la dernière goutte de- leur fangpour la gloire de celui qu'ils vouloient avoir pour maître. Ou-keou fut allarmée d'un empreffement qui l'avertifïbit de cequ'elle avoit à craindre, fi fon fils etoit une fois à la tête de

tant de braves gens, déterminés à tout entreprendre au moin-dre figne qu'il leur donneroit de fa volonté. Pour fe mettrel'efprit en repos & etouffer dans fon principe tout ce qui pou-voit faire naître l'idée de tenter une révolution elle arrêtaTchoung-tfoung à la Cour, fous prétexte que fa fanté avoitbefoin d'être ménagée & que les fatigues de la guerre etoienttrop contraires à la délicatefie de fa complexion pour ofer lamettre à de fi fortes epreuves. Elle donna le commandementde l'armée à Ty-jin-kié, qui n'eut que la peine d'aller & derevenir. Les Tartares ayant appris qu'on venoit contre euxavec des forces fi confidérables abandonnèrent les frontie-

res, & s'enfoncèrent bien avant dans les montagnes 6k dansles déferts.

Après avoir pourvu à fa propre fureté Ou-heou penfa qu'iletoit tems de pourvoir à la fureté de fa famille après fa mort.

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S s ij

Elle la recommandoit fans ceffe à fes enfans c'eft-à-dire ààTchoung-tfoung à Joui-tfoung & à la Princeffe Tay-pingleur fœur. Ses enfans lui promettoient tout mais ces prqmef-i'es qu'un feul infant de mécontentement ou de dépit ofîmême des raifons d'Etat, en certaines circonftaiîces, pour-

voient rendre vaines '& de nul effet, ne la fatisfaifoient pas.EUe voulut des fermens & les fermens les plus facres.

Elle prit un jour fes deux fils & fa. fille & les conduit à lafalle. des Ancêtres. Là elle leur fit jurer, en prefençe de là repré-fe.nta.non de leurs Aïeux, qu'ils n'attenteraient jamais fous

aucun prétexte, à la vie de ceux de la maifon de Ou qu'ils leslaïfferoient jouir tranquillement de leurs dignités & dé leursbiens & qu'ilsprendraient leur défenfe contre quiconque vou-droit les opprizner ou les calomnier.

Elle fit graver ce ferment fur une table de fer qui fut pla-cée dans la falle même afin que l'Empereur futur & ies defcen-dans puffent s'en rafraîchir le fouvenir, toutes les fois qu'ilsviendraient faire les céréiîionies refpcclueufes en l'honneur deleurs Ancêtres. Malgré tant de précautions Ou-heou ne croyait

pas avoir encore affez fait en faveur de fa famille. Elle atten-doit que quelques circonftances lui préfentaffent l'occafion d'enfaire davantage, & en attendant elle etoit toujours feule dépo-fitaire de l'autorité fuprême dont elle ne vouloit fe dépouillerqu'à la mort. On en murmuroit dans l'Empire & quoiqu'ellefût très-inftruite de ce qu'on en difoit elle continuent à fe con"duire de la même manière que fi elle l'eût parfaitementignoré.Les Grands lui faifoient de continuelles repréfentations & de

vive voix & par ecrit, pour l'engager à fe décharger .fur fon

fils d'un poids que fon âge d'environ quatre-vingt ans nelui permettoit plus de porter. Elle fe contentoit de répondrequ'elle ne demandoit pas mieux que de faire ce qu'on lui

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fuggéroit, mais qu'elle av oit des raifons de ne pas le fairefi-tôt. `

Cette Princeffe toute âgée qu'elle etoit, gouvernoit encorepar elle-même elle avoit encore la même préfence d'efpritla même exactitude à fe faire inïtxuire de tout, la même fer-meté, & les autres qualités bonnes & mauvaifes quelle avoitlorfqu'elle commença à régner. A fa cruauté près, dont elleavoit infiniment rabattu, elle etoit à-peu-près la même quedans fes jeunes ans pour la manière de fe conduire elle-même,& de conduire les autres où elle vouloit.

Sa grande pénétration & fon extrême vigilance ne l'empê-cherérit pas d'être trompée. Outre fes neveux qui avoiénttoute fa tendrefle elle avoit donné une entière confiance àdeux Seigneurs du nom de Tchang. Les deux Tchang, fiersde la faveur dont ils jouiffoient auprès de l'Impératrice-j negardoient aucun ménagement ils irriterent contre eux la plu-

part des Courtifans. Leur conduite, par rapport à leur Bien-faiftrice n'etoit pas d'ailleurs fans reproches & par leursdifcours peu mefurés ils trahiffoient fans peut-être le vou-loir, mais feulement pour fe donner du relief, des fecrets quin'auroient dû être qu'entr'eux & celle qui les leur confioit

'en un mot, ils firent naître des foupçons qu'ils tramoient fecre-

tement, & de concert avec l'Impératrice, pour placer enfinfur le Trône l'un des neveux de cette Princeffe. Un homme enplace repréfenta en général à Ou-heott qu'il y avoit dudanger pour fa perfonne & pour l'Empire, de lainer aux deuxTchang une entière liberté de venir à toute heure dans lePalais; liberté ajouta-t-il, dont il n'eit pas impoffible qu'ilsabufent. C'etoit en dire affez pour préparer Fefprit de l'Impé-ratrice à ce qu'il vouloit lui infirmer contre eux. Il avoit déja

entre fes mains plus qu'il n'en falloit pour perdre ces deux hom*

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mes, s'ils etoient interrogés juridiquement. Il travailla à lesfaire arrêter. Il fit courir des billets anonymes dans lefquels ildonnoit à entendre que les deux Tchang cabaloient contre lamaifon Impériale.

Ces billets firent tout leur effet. Ceux qui avoient entendules difcours indifcrets des deux freres; ceux à qui on les avoitrapportés ceux qui etoient jaloux de leur crédit ceux enfinqui ne craignoient déjà que trop ce qu'on vouloir leur fairecraindre furent aifément perfuadés que les Tchang etoientdes traîtres qui alloient allumer le feu des guerres civiles &mettre l'Empire en combuftion.

Alors Tfoui-fiuen-ouei ( c'eft le nom de cet homme en pla-ce ), fe rendit chez le Prélîdent du Tribunal des crimes, &lui repréfenta ce qui etoit de fon devoir. Celui-ci qui en favoitfur le compte des Tchang plus qu'on ne pouvoit lui en direhomme plus qu'oclogénaire d'une intégrité à toute épreuveinfiniment attaché à la maifon Impériale qu'il avoit vu com-mencer, & qui avoit paffé par les emplois les plus importàns,depuis le tems du grand Tay-tfoimg reçut avec plaifir l'ouver-

ture que lui faifoit Tfoui-fiuen-ouei. Il engagea Sozmg-king

l'un des Mandarins de fon Tribunal à préfenter à l'Impératrice

une accufation dans les formes contre les deux Tchang.L'Impératrice ne put pas reculer. Elle fit arrêter elle-même

les accufés pour être conduits en prifon, & Se purger du crimedont on les accufoit. Elle ne vouloit par-là qu'effacer de l'efpritdu public tout foupçon qu'ils etoient d'accord avec elle cardès le lendemain elle les envoya chercher en triomphe, commes'ils avoient été parfaitement innocentés.

Le vieux préfident choqué d'une conduite fi irréguliere dela part de l'impératrice fut convaincu plus que jamais, qu'elle

ne tarderoit pas de mettre un de fes neveux fur le Trône desTang files fideles fujets de l'Empire ne ie hâtoient d'y placer

Page 335: Memoires concernant les chinoise 5

Tchottng-tfoung. Il crut qu'il etoit tems d'employer la force

pour obtenir ce qu'on faifoit efpérer depuis fi long-tems

en vain.Il alla trouver Ly-to-tfo qui etoit grand Général, & qui

avoit à fa difpofition toutes les troupes comme pour lui faireAmplement une vifite. Après les premiers complimens, il lahTa

couler quelques larmes & avec toutes les démonftrations dela douleur la plus vive & cet air vénérable qu'imprimoit furfa perfonne fon grand âge & le caraftere dont il etoit revêtu,il lui dit Vous pofféde^_ une des premières charges de l'Empire

vous ave^ de grands biens & vous jouiffe^ de la double conjz-

dération que les dignités & les richeffes attirent à qui croyez-vous que vous êtes redevable de votre bonheur? efî-ce à la mai-fon des Tang ï eft-ce à celle des Ourépondez-moi avec cette

franc hife & celte Jincènté dont les gens de guerre font pra-Mwn-

Le Général qui comprit où il en vouloit venir, pouffa unprofond foupir, & lui répondit que c'etoit à Tang-kao-tfoung,

fon augufte Maître, qu'il etoit redevable de tout ce qu'iletoit & de tout ce qu'il avoit. Et continua le Vieillard, nau-rie^-vous pas quelqu envie de témoigner votre reconnoiffance ci

cet augujle Maître votre bienfaiteur dans la perfonne de fesfils, qui font opprimés depuis fi long-tems & d'une manière fiindigne ?

Ly-to-tfo fut quelques momens fans répondre puis fe jet-

tant au col du Vieillard Mon père lui dit-il, difpofe?^ de moi r

je fuis prêt à tout pour le fervice de mes légitimes Maîtres.Il faut reprit le Vieillard, remettre Tchoung-tfoung fur le

Trône. Tous les Princes tous les Tribunaux le fouhaitenuC'efl le vœu commun de toute la nation. Nous n'avons befoin

que de quelques troupes pour aller prendre le Prince dans fonPalais & le conduire en triomphe au Palais Impérial 3 exiger

Page 336: Memoires concernant les chinoise 5

que l'Impératrice fa mère lui remette les fceaux de t Empire &

quelle ne fe mêle plus du gouvernement. Pour ve,-zir â borct de

tout cela nous n avons de fang à répandre que celui des deuxTchang, qui par leurs crimes ont déja mérité la mort. Maispour ne rien faire que la pojîénté puiffe nous reprocher j'auraifoin de faire prévenir l Empereur & de lui demander fes ordresauxquels nous nous conformerons quels qu'ils puiffent être.

Ce généreux Vieillard dont le nom etoit Tchang-kien-tchê

mais d'une autre maifon que les deux autres Tchang, munidu confentement & de l'approbation du grand Général fit

avertir fecretement l'Empereur Tchoung-tfoung de ce qu'ilavoit réfolu de faire, & lui demanda, ou fon agrément ouune défenfe de paffer outre fuppofé qu'il n'approuvât pas fonprojet.

L'Empereur charmé de fa fidélité Se de fon zele, lui fitrépondre qu'il approuvoit tout, lui ordonna d'agir de concertavec fes amis mais avec le plus de fecret & le plus prompte-ment qu'il croit poffible de peur que l'Impératrice fa merequi avoit des efpions par-tout, ne vînt à être informée d'unprojet qu'elle ne manqueroit pas de leur faire expier à tous parles fupplices & par la mort. Que pour lui, dans l'etat où il fetrouvoat il ne pouvoit que refter dans i'inaclion fe tenir tran-quille, paroître ne fe mêler de rien, laiffer faire, & fe prêterenfuite à tout quand il en feroit tems.

Sur ces paroles de l'Empereur, Tchang-kien-tchè n'héritapoint. Il alla chez tous fes amis & chez les Grands en particu-culier qu'il favoit être plus fpécialement attachés à la maifonImpériale leur communiqua fon projet, & les invita à fe join-dre à lui pour courir enfernble tous les rifques de l'exécution.De tous ceux à qui il parla dit FHiiîorien il ne s'en trouvaaucun qui ne lui donnât fon approbation & qui ne fût charmé

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de s'expofer à r-èpandre jufqu'à la derniere goutte de fon fangpour une fi bonne caufe.

Le jour pris pour le dénouement de cette intrigue étantarrivé, Tchang-kien-tché à la tête de fes amis & d'en-viron fix cens hommes de bonnes troupes que le grandGénéral lui avoit donnés, fe rendit au Palais par un chemin,tandis que le grand Général lui-même accompagné d'ungrand nombre d'Officiers, & efcorté par un corps choifi parmi

ce qu'il y avoit de meilleurs foldats, y conduifoit l'Empereur

par un autre. Ils arriverent les uns & les autres à-peu-près dansle même tems. Ils forcèrent la garde, fe rendirent maître des.

portes, & pénétrerent jufques dans l'intérieur, fans que per-fonne ofât s'oppofer à eux. La. préfence du Prince héritier

comme on appelloit alors 7 choung-tfoung contint tout lemonde dans le réfpecl.

Au premier bruit qui fe répandit qu'on avoit forcé la garde

& qu'on etoit maître du Palais Ou-heou fortit avec intrépi-dité de fon appartement, pour fe mettre au fait par elle-mêmed'un événement qu'elle avoit peine à croire. Les deux Tchang

accoururent auffi avec quelques Eunuques car aucun foldat

ne voulut leur obéir, pour tâcher, s'il leur avoit eté poffiblede repouifer la force par la force. AufTi-tôt qu'ils furent apper-çus ils furent maffacrés aux pieds même de l'Impératrice à

qui on ne donna pas le tems de prendre leur défenfe ni dedire un feul mot en leur faveur. Cette Princeffe regardantalorsfon fils avec cet air de fierté qu'elle avoit coutume de prendre

avec lui quand elle lui intimoit fes ordres, lui dit Vous vene^de faire jnaffacrer ces deux; hommes que vous Iiaijfic^. Les voilà

morts que voulez-vous davantage ? retirez-vous, & faites reti-

rer tout ce monde.L'un des Grands qui etoient préfens s'approchant avec

refpeft

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Tome V.* Tt

refpeét de l'Impératrice Dans quel lieu, lui dit-il, voulez-vous

que l'Empereur fe retire Il eft dans fon propre Palais, dans cePalais que l'Empereur ~'ao-cfoungfonpere lui a 1ai41`é; en luidonnant l'Empire. Ilya long-tems qu'il eft en âge de régner. îi nevous refte plus, Madame qu'à lui remettre en mains les rênesdu gouvernement. Il eft Empereur, il a toutes les qualités qu'ilfaut pour être bon Empereur. Toute la nation délire avecemprefTement de le voir. enfin régner; c'eft à vous à rempliraujourd'hui fes voeux.

Ou-keou comprit par ce début qu'il n'y avoit plus moyen dedonner le change à des hommes armés. Elle s'exécuta debonne grace conduifit fon fils à la fille, du Trône lui remitles fceaux de l'Empire, & fe retira dans un des Palais deftinés

pour les femmes; mais en fe retirant elle eut encore le créditde fe faire donner le plus augufte des titres celui de Tsé-ùen-Iioang-keou c'eft-à-dire de déléguée du Cielpour gouverner leshommes & ce fut fon fils même qui eut la lâche complaifancede le lui donner.

On ne fait lequel on doit le plus admirer des deux oul'Impératrice Ou-cAé, qui dans l'abyme profond où on la pré-cipite, conferve fa préfence d'efprit, fait trembler encore fonfils d'un feul de fes regards, imprime le refpecl: & une forte deterreur à un millier de guerriers armés, donne la loi & triom-phe pour ainfi dire en tombant ou l'Empereur Tchoung-tfoung qui, ayant à venger vingt-deux années d'injures per-fonnelles, & le meurtre déplus de trente perfonnes de fon

nom & de fon fang oublie l'exil la prifon & tous les autresoutrages dont on Fa raffafié; laiffe impunis tous ces horri-bles maffacres dont le. feul fouvenir fait frémir encore j& en confirmant à fa mere le titre de déléguée du Cieldont elle ofe fe parer folemnellement femble approuver

.n

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lui-même ce tiffu d'atrocités de tous les genres dont elle fouillafon règne & tout le cours de fa longue vie.

Il falloit, dit un célèbre Critique qui a glofé fur l'hiftoirej,il falloit au lieu de ce titre inajeftueiux dent Tchoung-tfoung

nl eut pas honte de décorer cette femme qui fera l 'opprobre éternelde la nation, la faire traîner dans la fal-le des Antêtres & làaprès lui avoir reproché les neuf fortes de crimes dont elle s'etoitrendue coupable Uegorger-devant les noms Uugujles qui rtpri-fentoient les Tang, à la place de ces animaux qi'dn immole

pour viUitnes lors des facrifices Mais Ou4ieou itoit lamère de Tchoung-tfoung. T rifle Jîtuatien pour un fils qui

ayant à venger fin père & fer anse très, ne peut les venger quefur celle dam il a. reçu la. vieL'année où Tchoung-tfaung remodta fur le Trône de fes

pères efr. celle que l'hiftoire marque Comme la vingt-deuxièmede fon regne, la première de Chen-loung & la fept centcinquième de l'ère chrétienne.

Ou-heou renfermée dans le Palais qu'elle avoit choifi pourdemeure ne vécut que quelques mois après fa difgrace. Elle

mourut la même année égée de près de 82 ans. On lui renditaprès fa mort tous le9 honneurs dus à fon rang & fa mémoire

s

toute exécrable qu'elle eft aux yeux de la nation chinoifeJ

durera autant que celte de fes plus illufttes Empereurs.

RÈ M A R Q E/ E S.Je crois que fi dans la fii&e

quelque Miffionnaire patierft &laborieux vouloit fe donner lapeine de lire tout ce qui a eté ecritcontre l'Impératrice Tsê^tkn-hoang-heou par les Lettrés du fiecle oùelle vivoit & par ceux des fieclespoflériexirs il pourroit trouver

bien des e clair ciffemens & desanecdotes pour l'hiftoire du Chrif-tianifme dans le fepîieme fiecle. Le

Mémoire de M. de Guignes luiferviroit pour avoir la clefde biendes expreffionschinoifes auxquel-les, faute de cette clef, on donneun tout autre fens qu'elles n'ont,

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Ttij

LXILT Y-J 1 N.-K 1 É, Minière.

Le nom de fa famille etok.7y fon nom propre Jin-kié, && fon furnom Hoai-yng. Dès fon enfance il donna des mar-ques d'une folidité d'efprit & d'une fagelTe peu communes.Dans l'école où il faifoit fes études il arriva qu'un de fescondifciples fut tué. Les gens de Juflice fe tranfporterent furles lieux pour reconnoître le corps.& faire leurs informations.

A leur arrivée tous les ecoliers fe levèrent à l'exceptionde Ty-jin-ki& qui continua à etudier -comme auparavant,

1,

ce qui furprit tous les affiftans. On le reprit de fon incivilité &de fon peu d'egard pour les perfonnes en place. II réponditmodeflement mais d'un ton ferme que ce n'étaitpoint à lui àqui en vouloient ces perfonnes. m place qu'il n'avoit pas crumal faire, & qu'il lui paroifloit très-raifonnable de ne pas quit-

ter la compagnie des Sages avec lefquels il apprenoit beau-coup, en étudiant leurs Livres pour celle des Mandarins &des gens de Juflice avec lefquels il n'avoit rien à appren-dre, quelque attentif qu'il pût fe rendre à toutes leurs for-malités.

Cette réponfe fut remarquée & les parens du jeune hommefondèrent fur lui les plus flatteufes efpérances. Après avoirfini fes études il prit fes grades & eut occafion de fe faireconnoîlre de quelques-unsde ces Lettrés titrés, qui le produi-firent auprès d'un Grand de l'Empire, nommé Yen-ly-pen

qui, après l'avoir examiné quelque tems, crut découvrir enlui des vues profondes, & un caraftere propre à les faire valoir.Il obtint pour lui un Mandarinat à Ping-tçheou.

Dans l'exercice de fa charge Ty-jin-kié s'attira l'eftimeuniverfelle il fitplus, il fe fit aimer. Le peuple le regardoit

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comme fon pere les affligés comme leur confolateur, &toutle monde comme fon ami. On le promut bientôt à un gradefupérieur après lequel on le fit Gouverneur de Yeoit-tcheou.

Comme il n'etoit pas de ceux qui Semblent changer decaraclere en changeant d'état & de fortune & qu'il etoit lemême par-tout par-tout auffi l'on avoit pour lui l'eftime lavénération & la confiance qu'il méritoit. Le Minifiere crutqu'un homme de ce cara£tere pourroit être utile à la Cour il

y fut appellé, & eut une de ces charges qui donnent un libreaccès auprès du Prince & le droit de lui faire des repréfenta-tions, tant de vive voix que par écrit.

Ty-jin-kié fe conduift à la Cour comme il avoit fait par-tout ailleurs. Il s'y fit aimer de tout le monde & acquit ledroit de s'élever contre les abus, de protéger l'innocent, des'oppofer même aux volontés du Souverain, fans qu'on luifût mauvais gré de cette liberté, parce qu'on etoit periuadé

que du moins fes intentions étoient toujours bonnes. En voici

une preuveL'EmpereurTang-kao-tfcungvenoit de donnerl'ordrede faire

mourir deux Officiers-Généraux qui étant de quartier pour lagarde de lafépulturedefes ancêtresjs'etoient avifés défaire cou-perunarbre de ce lieu,regardé commefacré. Ty-jin-kié demanda.

grace & dit à l'Empereur qu'il y avoit de l'indécence & dela cruauté à vouloir donner la mort à deux braves Officiersquiavoient,dans plus d'une occa:!1on, rendu des fervices effentielsà l'Etat,' pour avoir eu l'imprudence de faire couper un arbre.Ils ont fait une jante j'en conviens mais c'ejl une faute qui

ne mérite tout au plus que. la privation d'une année du. revenude leur charge.

Eh quoi lui répondit l'Empereur en colere puis je êtrecenfé avoir la P ie'té filiale Jî je ne punijfois pas très-févérementquiconque ofe manquer de refpeB à mes ancêtres. Ces deux Officiers

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Ont fait abattre un arbre qui ombrageoit un de leurs tombeaux

puis- je les laijfer vivre nonMUs mourront.Eh Seigneur lui répliqua Ty-jin-kié les taupes & les

rats manquent bien autrement de refptcl à vos ancêtres puis-qu'ils vont les ronger jufques dans leurs cercueils. Croyez-moi,faites une guerre ouverte à tous ces animaux envoyé^ desarmées fous terre pour les exterminer tous autrement vous fere^cenfé n'avoir pas la Piété filiale.

>

L'Empereur fit Tes réflexions & pardonna aux deux Officiers,qui en furent quittes pour la privation d'une année du revenude leurs charges.

Après la mort de Kao-tfoung l'Impératrice Ou-heou s'em-

para du Trône au préjudice de les enfans, comme on vient dele voir. Ty-jin-kié fut élevé à la dignité de Miniftre. Dans

ce pofte dangereux en tout tems mais plus encore fous le

regne d'une Souveraine telle que l'etoit Ou-heou il fut con-ferver fa faveur, fans manquer à fon devoir. Ses repréfen-tations, fes requêtes fes placets etoient toujours reçus favo-rablement, parce qu'ils n'etoient que l'effet de fon zèle pourle bien général de l'Etat, & que fes difcours etoient toujoursaffaifonnés de cette louange fine qui portant fur le vrai plaîtd'autant plus qu'elle paroît moins recherchée & qui en blâ-

mant réellement ce qui mérite d'être blâmé en fait fortir ?

comme par occafion ce qui eft louable.Sous un regne où la vérité coûtoit tant à dire quand elle

avoit certains articles pour objet parce qu'elle n'etoit payée

que par l'exil ou par la mort, Ty-jin-kié fut prefque le feul de

tous les Minières qui ofat conftamment dire la vérité 5 &

cette vérité qui coûta la vie à tant d'autres, fut précisément

ce qui le fit eftimer & lui fraya la route pour parvenir plutôt& plus fûrement jufqu'au comble des honneurs.

La cruelle Ou-heou, toujours contrariée par ce fage, l'ecou-

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toit toujours volontiers & fi elle ne déferait pas aux avisqu'elle en recevoit quand ils etoient oppofés à fes deffeins

3elle rabattoit du moins quelque chofe de fa cruauté.Ty-jin-kié profita de fa faveur pour placer les favans &

ceux qui s'etoient montrés les plus fidèles envers leur légitimeSouverain. Parmi les grands hommes qui eurent part à fesbienfaits, on compte Hoa-yuen-fan King-kaai Yao-tfoung& plusieurs autres dont on peut voir les noms dans l'Hifloire»

Cependant malgré tout ion zele pour la Maifon Impériale.& toutes les repréfentations qu'il ne ceffoit de faire, pour en-gager l'Impératrice à ne plus la perfécuter, il àvoit la douleurde voir que cette barbare Princeffe perfiftoit à vouloir fairepaffer le Trône à ceux de fa propre maifon. L'EmpereurTckoung-tfoung & le Prince fon frere etoient exilés & horsd'état de pouvoir rien entreprendre pour eux-mêmes. La plu-part de ceux qui avoient parlé en leur faveur avoient périmiférabieHient, & Ty-jin-kié lui-même s'etoit vu plufieurs foisà la veille de fubir le même fort, ou, tout au moins, d'êtredifgracié. Cela ne l'empêchoit pas de profiter de toutes lesoccafions pour tâcher de fervir fon maître ou pour défendrefes droits auprès de celle qui l'opprimoit.

Un jour qu'il entroit chez l'Impératrice Ou-heou pour faireles devoirs de fa charge Je vous attendois avec impatience

:Jlui dit cette Princeffe en le voyant j'ai fait cette nuit un rêvedont je voudrais bien favoir H explication, V^ous autres docteurs

vous Javeç tout vous ave^ lu tous les livres il ne vous ferapas difficile de me tirer de peine car je vous avoue que ce rêve

3

tout rêve qu'il efl ne laiffe pas que de m'inquiéter.J'ai vu en fonge un oiieau dont la figure approchoit de celle

d'un perroquet. Sur fon plumage brilloient toutes les couleurs.Je ne pouvois me laffer de l'admirer mais il avoit les deuxaîles rompues & ne pouvoit prendre fon effor pour voler.

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Je lui portois compaffion je craignois pour lui. Qu'eft-ce

que tout cela veut dire ?a

Madame, répondit Ty-jin-kié ianshéfiter, cet oifeau mer-veilleux, c'eft vous les deux aîles rompues défignent vosdeux fils (l'Empereur & fort frere) rappellez l'un & l'autre,placez-les où il convient l'oifeau merveilleux aura fes aîles

pour fe fouftraire à la pourfuite du milan, & vous aurez toutce qu'il faut pour vous attirer Htjlifne & l'admiration de l'uni-

vers.Si cette réponfe ne fit pas rappeller fiir-le-champ l'Empe-

reur & fon frere elle empêcha que l'Impératrice mère ne fît

monter fur le Trône un des fils de fon propre frere commeelle en avoit déjà conçu le deffeitt. Ceux de la famille Impé-riale qui étoient iflftruits de la bonne volonté de Ty-jin-kiél'honorèrent toujours de leur eftime & de leur bienveillance.

Après la mort de Ou-heou & de Tc-hoimg-tfoung Ty-jin-kié fut élevé par l'Empereur Joui-tfoung à la dignité de Princede Léang vers l'an de J. C. 711. Il eft connu encore fous le

nom de Quen-hoei qui eft le titre honorifique qu'on lui donnaaprès fa "mort.

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L X I I I.TANG-HÏUEN-TSOUNG, Empereur.

On a vu fous le portrait de l'Impératrice Te-tien, commentles Empereurs Tckoung-tfoung& Joui-tfoung furent alterna-tivement chaffés du Trône par cette Princeffe. On a vu encorecomment Tckoung-tfoung fut rétabli cet Empereur, fur lequelles bien intentionnés avoient fondé les plus flatteufes efpéran-

ces ne tint rien moins que ce qu'il avoit promis. Il le conduifitû ma!, qu'il fit prefque regretter le regne cruel de fa mere.

A l'exemple de Kao-tfoung fon pere, il fe laiffa gouvernerpar Ouel-cké fon epoufe laquelle ainfi que l'avoit fait Ou*

heou, s'affit d'abord à côté de lui fur fon trône & s'empara

peu après de toute l'autorité.- Mais comme elle n'avoit, ni legénie ni les talens de celle qu'elle vouloit imiter il lui falloit.quelqu'un qui fuppléât à ce qui lui manquoit de ce côté-là.Elle s'affocizi une perfonne de fon fexe, du nom de Ouan-eulh,Cette Ouan-eulh etoit une femme bel-efprit & favante quiecrivoit très-bien & qui avoit fait une étude particulière de

tout ce qui concernoit le gouvernement.Ces deux femmes fe mirent à la tête de toutes les affaires

de l'Empire. Elles etoient les diftributrices des grâces ellesdonnoient & ôtoient les emplois fuivant leurs caprices ouleurs intérêts elles gouvernoient en Souveraines. Ou-fan-féel'un des neveux de l'Impératrice Ou-heou celui-là même quecette Princeffe avoit réfolu de placer fur le Trône trouva lefecret de fe faire aimer tout à la fois de l'une & de l'autre. Ilprofita de l'afcendant qu'il avoit fur elles pour tâcher defe remettre fur la voie qui devoit le conduire à la dignitéiuprême.

Ses intrigues tant au dedans qu'au dehors du Palais«,

n'etoient

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4a

n'etoient pas fi fecretes qu'elles ne fuffent fues par quelquesGrands & par plufieurs d'entre les principaux de ces Magif-

trats, dont l'emploi eft de veiller fur le bon ordre. Les uns& les àutres crurent qu'il etoit de leur devoir d'en avertirl'Empereur. Ce Prince ne fit aucun cas de leurs avis. Ils revin-rent à la charge, préfenterent requêtes fur requêtes pourdemander l'eloignement de Ou-fan-fée. Leur zele fut regardécomme indiferétion témérité & calomnie dont le but etoitde mettre la divifion dans la maifon Impériale. Il n'eut d'autresrécompenfes que les châtimens dont on a coutume de punirles plus grands crimes. Les donneurs d'avis furent pour la plu-part mis à mort, ou envoyés en exil.

Une injuftice fi criante loin de faire taire ceux qui etoienten droit de parler, ne fit que ranimer leur courage & leurdonner de nouvelles forces. Ils parlèrent fi haut que l'Empe-

reur fit femblant de vouloir fe rendre à leurs repréfentations.Il promit qu'il nommeroit des Juges pour connoître des affairesde ion Palais. Ou-fan-fée & fes deux MaîtrelTes craignant

que la vérité ne fût enfin découverte par celui à qui ils avoienttant d'intérêt de la cacher eurent le crédit de faire eloignerde la Cour fous différens prétextes tous ceux dont ils défef-péroient de pouvoir corrompre l'intégrité. Pour ce qui eft dc

leurs aceufateurs ils les firent exiler. Mais dans la crainte que.du lieu même de leur exil, ces graves perfonnages, quijouiiîbient de 1'eftime publique ne puffent encore leur nuire

eu par eux-mêmes ou par leurs amis ils les firent maffacrer

en produisant un faux ordre de l'Empereur.Tous ces crimes, quoique commis, en apparence dans les

ténèbres etoient pour ainfi dire publics. Le Prince héritier neles ignorait pas mais intimidé par les coupables, qui avoient

en main toute l'autorité il n'ofoit en parler à l'Empereurdont il connoiffoit le foible. Il crut qu'il lui etoit permis

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d'employer les voies de fait, pour venger tout à la fois îedeshonneur de fon pere l'infamie de fa mère & tous lesdroits de la juftice violés par le perfide On-fan-fée.

Dans cette perfuaiîon, il s'adreffa à Ly-to-fo qui en qua-lité de grand Général avoit toutes les troupes de la capitaleà fes ordres il prit jour avec lui pour aller à la tête de quel-

ques braves mafia crer Ou-fan,-fée dans fa propre maifon.Ly-to-fo entra dans les vues du Prince & pour affurer à cetteexpédition le fuccès le plus complet il commanda mille cava-liers, pour exécuter, leur dit-il un ordre fecret de l'Em-pereur.

Le jour fixé étant arrivé, le Prince & le Général fe rendi-rent à la maifon de Ou-fan-fée ils en font garder toutes les

avenues, pour empêcher qu'on ne vînt au fecours de celuiqu'ils vouloient faire périr, ou que quelqu'un des tiens nes'échappât pour allerdonner avis de ce qui fe paffoit, ils entrentavec une centaine d'hommes déterminés font main-baffe fur

tous ceux qu'ils rencontrent, & ayant pénétré jufques dansl'appartement de celui qu'ils avoient défigné pour principaleviérime ils l'immolent à la vue de tes femmes & de fes enfans,qu'ils égorgent de même impitoyablement.

Après cette horrible boucherie ils s'en retournent en triom-phe, comme s'ils eurent remporté quelque victoire fur lesennemis de l'Etat. Ils prennent le chemin qui conduifoit auPalais, dans l'intention de rendre compte eux-mêmes de cequ'ils venoient.de faire mais ils avoient été prévenus. L'Em-

pereur venoit d'être inftruit qu'une troupe de gens armés

conduits par le Prince héritier & le Général Ly-to-fo aprèsavoir rempli de carnage la maifon de fon favori s'avanç oient

vers le Palais en ordre de bataille. Dans les premiers mouve-mens de furprife & de colère que lui caufa une nouvelle fi

peu attendue, il s'etoit tranfporté fur une des galeries de ton

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Palais qui avoit vue fur la rue. Là il fe convainquit par fes

propres yeux de la vérité de ce qu'on venoit de lui annoncer.Auffi-tôt elevant la voix Traîtres dit-il, eji-ce pour com-

mettre des ajfaffinats que je vous entretiens ? C'ejl contre vosperfides conducteurs que vous aune^ dû tourner vos armes queje ne vous ai mi/es entre les nzains que pour exécuter mesordres. Vous êtes des rebelles que je [aurai bien châtier fuivantvos mérites.

A ces mots, tous ces gens de guerre qui n'avoient cru agir

que par ordre de leur Souverain, furieux d'avoir été trompés, &plus encore de fe voir donner le nom de rebelles, tombèrentfur le Prince le Général & quelques-uns des principaux Offi-ciers, & les mirent en pieces..

Ainiï finit le premier afte d'une tragédie dont le dénoue-

ment devoit placer fur le Trône le Prince dont j'ai à tracer leportrait. Je ne crois pas m'ecarter de mon fujet, en continuantà fuivre le fil de l'hiftoire, jufqu'au tems où il régna. La mortde Ou-fan-fée plongea l'Impératrice & fa confidente Ouan-culh dans une mer de douleurs car outre qu'elles avoient per-#du l'objet de leur tendreffe, elles perdoient encore celui, qui,prefque feul, foutenoit tout leur crédit au dehors. Il leur reftoit

encore le premier Miniftre Tfoung-tchou-ke & quelques autresGrands leurs créatures; mais ce qu'il y avoit de plus refpefta-ble & de plus fage dans l'Empire leur etoit invinciblementoppofé. Il y avoit tout à craindre pour elles de la part de cesfages, qui, par leurs repréfentations réitérées pourroient tôt

ou tard éclairer l'Empereur fur les défordres, de tous les gen-res, dont elles ne cefToient de fe rendre chaque jour pluscoupables.

Pour fe mettre à l'abri de tout revers elles complotterentla mort de l'Empereur, & prirent dès-lors leurs arrangemenspour ôter l'Empire à la maifon des Tang, & le donner à celle

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de Ou. Leurs intrigues tranfpirerent & un grand Mandarin,nommé Lang-ki en avertit l'Empereurdans un Mémoire, oùil détailloit tout ce qu'il favoit de la conspiration, & de laconduite particuliere de l'Impératrice de Ouan-eulh & dupremier Miniftre.

Lang-ki avoit préfenté fon Mémoire dans le plus grandfecret. Il comptoit que l'Empereur profiteroit des lumieresqu'il lui donnoit pour eclaircir des myfteres dont il lui impor-toit fi fort d'être inftruit mais ce Prince foible je devrois direimbécille donna lui-même ce Mémoire à l'Impératrice enlui difant de fe juftifier. Je vais travaillerà ce

que vous fouhai-

te^ lui dit-elle, en prenant l'écrit & alla fur le champ donnerfes ordres pour faire mourir Lang-ki. Ce fut-là toute fa juftifi-cation qu'elle donna, & l'Empereur ne lui en demanda pasdavantage.

Un autre Grand du nom de Yen-kin-young que le dangerde fubir un fort pareil n'intimida point ofa préfenter un Placetà l'Empereur, plus fort encore que celui de Lang-ki. Il accufa

l'Impératrice de fon dérèglement dans les mœurs de fes• injuftices dans le gouvernement & de différens complotsqu'elle tramoit contre .tous ceux de la maifon Impériale. Ilfourniffbit fur chaque article des preuves il claires que l'Em-

pereur en parut emu. Il en parla à fon Miniilre lequel a giflant

en tout de concert avec l'Impératrice, n'eut rien de plus preffé

que de l'inftruire de cette nouvelle aceufation. L'un & l'autrefuppoferent un ordre de l'Empereur qui condamnoit l'intré-pide Yen-kin-young a être étranglé & envoyèrent des fatel-lites-pour l'exécuter.

Cependant l'Impératrice & fes adhérens n'etoient pointtranquilles. L'Empereur paroiffoit entrer en défiance & unautre Placet pouvoit enfin lui ouvrir entièrement les yeux, &lui faire prendre une forte réfolution. Ils tinrent entr'eux ua

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Confeil fecret & conclurent que, le plus fur & l'unique, dansles circonstances critiques où ils fe trouvoient, etoit de fairepérir l'Empereur. L'impératrice fe chargea elle-même de l'exé-cution. 'Dès le lendemain elle nt mettre du poifon dans unepiece de pâtifferie dont le Prince mangeoic volontiers & 1#

fit fervir ce mets qui eut un effet des plus prompts. Ainfi mourutle lâche Tckoung-tfoung. A l'âge de cinquante-cinq ans lacinquième année de ion rétabliffement fur le Trône & lafept cent dixieme de l'ere chrétienne. L'hiftoire, pour ne pasmettre une femme & une femme ufurpatrice au nombredes Souverains qui ont gouverné la Chine met fur le comptede _ce Prince toutes les années du règne de Ou-hcou fa mere& le fait régner ainft l'efpace de vingt-fix ans. Sa mort ne fut

pas d'abord divulguée. A l'exception de quelques Eunuquesde fervice, du premier Miniftre & de quelques Grands quietoient ou les complices ou les fauteurs de ces crimes l'im-pératrice la cacha à tout le refte de l'Empire & fe contentade publier que l'Empereur etoit dangereufementmalade.

Sous ce prétexte elle fit entrer dans le Palais le premierMiniftre Tfoung-tchou-ke & tous ceux dont elle avoit befoin

pour faire intimer & exécuter fes ordres au nom de l'Empe-

reur, réputé malade. Elle caffa de leurs emplois tous ceuxdont elle pouvoit craindre quelque chofe cV mit à leur place

ceux des Grands qui lui etoient entièrement dévoués. Elle ren-força la garde du Palais & des autres polies les plus importans

& après toutes ces mefiires elle fit publier le testament fuppoféfait par l'Empereur dans lequel Ly-tchowig-mao ton fils

qui entrait alors dans la feizieme année de ion âge etoitdéclaré ton fuccefTeur au Trône fous la direction de l'Impé-ratrice fa mère.

Perfonne n'ayant réclamé contre des difpolîtions que l'oncroyoit être celles du Souverain, l'Impératrice publia la mort

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de l'Empereur, fit proclamer Ly-tchoung-mao & prit elle-même les rênes du gouvernement fur le modele de l'Impéra-trice Ou-heou qu'elle Ce propofoit d'imiter en tout. On ne luilaiffa pas le tems d'exécuter fes pernicieux projets.H Le Prince Ly-tan frere de l'Empereur mort, & qui avoit%tè lui-même placé autrefois fur le Trône par Ou-heou fa mèrefous le nom de Joui-tfoung avoit des enfans, dont l'ambitionplus forte que la fienne ne s'etoit point endormie. Ly-toung-ki, fort troifieme fils, celui-là même dont j'ai à tracer le por-trait, fous le nom de Niuen-tfoung, avoit fuivi pas à pas toutesles démarches de l'Impératrice Ouei-ché, & etoit parfaitement

au fait de la conduite & de toutes les noirceurs de cetteméchante femme. Il favoit en particulier l'empoifonnement del'Empereur & n'ignoroit aucune des circonflances du complotqui fe tramoit en faveur de la maifon de Ou au préjudice defa propre maifon. Il forma le hardi projet de venger la mortde l'Empereur en exterminant l'infâme cabale qui la lui avoit

procurée & de placer enfuite fon pere fur un Trône qu'on.

alloit faire pafler dans une famille etrangere. Il avoit à fesordres quelques troupes qu'il avoit formées lui-même, & quipaffoient pour être les meilleures troupes de l'Empire; il s'affo-

cia quelques amis, & gagna une partie des gens de guerre,prépofés pour la garde du Palais.

Une infulte qu'on fit à fon pere en lui ôtant la place qu'ilavoit au Confeil, lui fit précipiter l'exécution de fon entre-prife, dont le fecret confié à plus de cent perfonnes pouvoità chaque inftant échapper à quelque indifcret, ou être révélé

par l'appât de quelque récompenfe. Il choifit l'entrée de lanuit comme le tems le plus favorable pour pofler des foldats.Il en mit aux environs du Palais au voifinage de toutes les

maifons de ceux qu'il avoit profcrits & près des portes de laville, pour empêcher qu'on ne les ouvrît. Après tous ces

1\

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arrangemëns, il s'avança lui-même à la tête de fes braves, &entouré d'une foule d'Offi-liers & d'un grand nombre de fesamis tous difpofés à verfer jufqu'à la derniere goutte de leurfang pour fa défenfe il arriva jufqu'à la principale porte duPalais.

Ceux d'entre les Officiers de garde qui etoient instruits, lui

en ouvrirent les portes fe joignirent à lui & engagerentleurs compagnons à les imiter. Ils pénétrèrent fans beaucoupde réfiftance jufque dans i'intérieur. Un {impie foldat ayantrencontré l'Impératrice qui au bruit qu'elle avoit entendu,etoit fortie de fon appartement, pour voir par elle-même dequoi il s'agifîbit lui coupa la tête d'un coup de fabre. Unautre foldat en fit autant à l'infâme Ouan-eulh & ces deuxtêtes ayant eté portées à Ly-toung-ki ce Prince défendit àfes gens de paffer outre. Il leur affigna de nouveau les portesqu'ils devoient garder & fortit du Palais pour fe rendre à lamaifon du premier Miniftre Tfoung-tthou-ke & à celles de

tous les complices de l'Impératrice il fit tout paifer au fil del'epée fans en excepter les femmes ni les enfans.

Après cette expédition Ly-toung-ki alla le jetter aux piedsde fon père à l'infu duquel il avoit tout fait, & le pria de luipardonner de lui avoir fait un fecret de fon entreprife. Ce quevous ave^fait lui répondit fon père y "aurais dû le faire moi-même puifqud ny avoit pas d'autre nzoyen de conjerver l'Em-pire dans notre famille. Veille^ feulement à ce qu'il ny aitpoint de défordres dans la ville. Je me décharge fur vous de cefoin. Le Prince partit à l'inftant, & donna de fi bons ordres

que dans bien des quartiers de la ville on ignora même ce qui's'etoit paire pendant la nuit. Les marchands ouvrirent les bou-tiques, les Magiftrats fe rendirent dans leurs Tribunaux, &les artifans fe mirent à leurs travaux comme à l'ordinaire.

Le jeune Prince Ly-tchoung-mao que l'Impératrice Ouei-ché,l

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fa mère avoîî fait reconnoître Empereur, craignant *qu'on nelui arrachât la vie pour avoir le Trône fur lequel on l'avoit faitaffeoir, vint de lui-même fe mettre à la difcrétion de iononcle Ly-tan & lui céda volontairement tous fes droits.Ly-tan accepta l'Empire, en prit poîTelîîon dès le jour même,

J& régna fous le nom de J oui-tfoung c'eft le nom du moins

que lui donne l'hiftoire.Comme c'etoit à Ly'-toung-ki le troifieme de tes fils, qu'il

etoit redevable de (on élévation & que ce fils avoit d'ailleurs

toutes les qualités requiies pour être dans la fuite un bon Empe-

reur il voulut le nommer ion Prince héritier. Ly-toung-kilui repréfenta que l'un de fes aînés vivoit encore & le fuppliade ne pas priver ce cher frere d'une prérogative que l'ordrede la nature fembloit devoir lui affurer. Joui-tfoung etoit furle point de fe rendre quand Ly-tcheng-ki fon fils aîné fitles plus grandes initances en faveur de fon cadet, dont lemérite perfonnel & ce. qu'il avoit fait en dernier lieu pourempêcher que l'Empire ne paffât dans une famille étrangère

ne pouvoient être clignement récompenfés que par la dignitéde Prince héritier, que lui affuroit pour la fuite lapofleflionde ce même Empire.

Ly-toung-ki vouloit abiolument refufer mais l'Empereurufa de fon double droit de pere & de Souverain pour l'obli-

ger à accepter un honneur dont il etoit fi digne. Il le nommafolemnellement fon fucceffeur au Trône & le fit reconnoître

par tous les ordres de l'Etat avec les cérémonies accou-tumées.

•Tout l'Empire applaudit à ce choix à l'exception de la

.Princeffe de Tay-ping fceur de l'Empereur. Cette femmearnbitieufe eût fouhaité qu'un Prince foible comme Joui-tfoung,n'eût pas eu fans ceffe à côté de lui un héritier préfomptif de

la couronne auffi. inftruit des affaires & aum éclairé quei'etoit

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TomeK Xx

l'etoit Ly-toung-ki afin de gouverner elle-même fous le nomd'un frere à qui elle avoit l'art de faire vouloir tout ce qu'ellevouloit. N'ayant pu empêcher l'élévation de Ly-toung-ki ellecabala pour le faire caffer, mais fes intrigues ayant été décou-vertes, l'Empereur fe tint fur fes gardes pour ne pas fe laifferfurprendre..

La Princeffe de Tay-ping ne fe rebuta pas par fon peu defuccès elle n'en fut que plus ardente àpourfuivre la caffationdu Prince héritier. Elle repréfentoit fans ceffe à l'Empereur laprétendue injufiice qu'il faifoit à fon fils aîné en le fruflrantfans raifon légitime du plus beau des droits de fa naiffanceelle parloit du Prince héritier comme d'un ambitieux qui vou-loit régner du vivant même de fon pere, & dit à cette occa-fion des chofes fi plaufibles, que l'Empereur en fut ébranlé.

Cependant, comme il etoit perfuadé que le Prince héritieretoit le feul de fes enfans qui eût les qualités nécefîaires pourbien gouverner il ne voulut rien faire à fon préjudice fansêtre bien fûr qu'il etoit véritablement indigne de fes bontés. Ilappella fecretement Ouei-ngan-ché l'un de fes Miniftres &lui dit J'apprens avec regret que le Prince héritier mon fils

}travaille de toutes fes forces à fe faire des créatures. Les Grandsfe rendent en foule che^ lui & fa Cour efi déja plus nombreufc

que la mienne. veille^ fur fa conduite afin qu'il n entreprenne

rien qui puiffe me forcer à le punir.Le Miniftre comprit parfaitement tout le fens de ces paroles,

& ne douta point qu'elles ne fiuTent l'effet des artifices de laPrinceffe de Tay-ping. Il prit le parti du Prince héritier, défen-dit avec force fes intérêts & ofa rappeller à l'Empereur. lesobligations particulieres qu'il avoit à ce fils. L'Empereur pouf-fant un long foupir, ce que vous dites efi vrai lui repli qua-t-ii

j'ai eu ton de métré Laiffi aller à des foupçons injurieux àcelui de mes enfans qui a le plus à cœur les véritables intérêts

-NI

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de notre mai fon. Ne parle^ à perfonne de l'entretien que j'ai euavec vous.

S'il ceffa de foupçonner ion fils la Princeffe fa fœur

ne ceffa pas pour cela de lui en parler fur le même ton qu'au-

paravant. Elle afTefta même plus qu'elle n'avoit fait jufqu'alorsde s'ingérer dans les affaires du gouvernement, & d'être tou-jours d'un avis contraire à celui du Prince elle porta les chofesfi loin, que les Grands fe crurent obligés de repréfenter àl'Empereur, qu'il etoit de la derniere conféquence pour lagloire de ton règne, d'empêcher toute divifion dans la familleImpériale que les intrigues de la Princeffe Tay-ping, lafœur ne tendoient à rien moins qu'à mettre le trouble dansl'Etat en s'obftinant à vouloir faire tomber le Prince héritier

9

qu'elle avoit déja gagné Ly-tcheng-ki fils aîné de Sa Majeftélui avoit fait naître l'envie de chercher à rentrer dans fes droits,& qu'enfin elle commençoit à avoir un parti à la Cour & dansles Tribunaux. Ils concluoient par demander fon eloignement& celui des deux freres du Prince héritier, comme étant le

feul moyen d'etouffer dans leurs germes les terribles malheursqui etoient fur le point d'eclore.

L'Empereur ne fe rendit pas d'abord il ne pouvoit fe réfou-dre à fe féparer d'une fœur avec laquelle il avoit été élevé dèsl'enfance & qui avoit été la compagne volontaire de fon exil,& fa confolatrice dans le tems de fes difgraces. Cependant

comme il etoit perfuadé que fes Grands avoient raifon, &qu'il aimoit véritablement l'Etat, il fit, peu de tems après le

facrifice qu'on exigeoit de lui. Il envoya fa fœur à Pou-tcheou,

en qualité de Gouvernante il donna à fon fils aîné le comman-dement des troupes qui etoient dans le diftrift de Toung-tcheou?& à Ly-cheou-ly le cadet de fes enfans, le commandementde celles qui etoient dans le diftrift de Pen-tcheou, Pour donner

au Prince héritier une preuve non equivoque de la confiance

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Xx ij

qu'il avoit en lui, il lui donna toute fon autorité dans l'admi-niftration des affaires afin qu'il pût les traiter comme il lejugeroit à propos, fans craindre d'être défapprouvé. Ce n'etoit-là que le prélude de la ceffion totale de l'Empire qu'il etoitréfolu de lui faire dans peu.

L'abfence de fes' deux fils mais plus encore celle d'unefœur tendrement chérie, dont la converfation, pleine d'en-jouement, lui etoit devenue comme néceffaire par la longuehabitude où il etoit de s'entretenir chaque jour avec elle, laiffadans foii palais un vuide dont il s'appercevoit, pour ainfi dire,à tous les momens. Il en devint trifte, & la mélancolie fitfur lui des effets dont le Prince héritier ne tarda pas à s'ap-percevoir. Il en devina la caufe & la piété filiale qui rem-pliffoit toute l'étendue de fon cœur, ne lui permit pas de lalaiffer fubfifïer il foilicita auprès de fon père le rappel dela Princeffe de Tay-ping. L'Empereur ne fe fit pas beaucoupprier, & la PrinceiTe revint à la Cour mais ce fut pour ycabaler encore.

Le Prince héritier qui etoit l'objet contre lequel fe diri-geoient tous les traits de cette cabale, crut devoir diffimuler.Il fit femblant d'ignorer toutes les intrigues qu'on formoit contrelui, & jamais il ne fe plaignit à fon pere d<e celle qui leperfécutoit fi injuftement. Il fit plus; il voulut lui céder laplace, & demanda, comme une grace, d'être déchargé del'adminirlxation des affaires. Loin de lui accorder fa demande,l'Empereur lui fit part de la réfolution qu'il avoit prife de luicéder entiérement l'Empire & lui ordonna de fe prépa-

rer à la cérémonie de la proclamation, pour laquelle il ne tar-deroit pas d'indiquer un jour après qu'il auroit confulté avecfes Grands fur cette importante affaire.

Le Prince parut confterné à ces paroles il s'excufa dumieux qu'il put pour ne pas fe charger d'un fardeau qu'il difoit.

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n'être pas en etat de porter encore. Il refufa, pleura, s'obftînamême jufqu'à ce que fon pere eût pris le ton de maître &loi eût commandé en Souverain qui vouloit être obéi. Quelleefpece de piété filiale ejl la vôtre lui dit-il en finiffant fansdoute qu'à la vue de mon cercueil' il fera plus doux pour vous,de prendre poffeffion du Trône comme d'un bien qui vousappartient que de le recevoir aujourd'hui de ma main commeun gage de ma tendreffe pour vous ou comme un effet de malibéralité à votre égard? Nort, mon cher fils, ne croye^pas qu'endefeendant du Trône pour vous y placer je veuille aban-donner pour cela l'Empire. Je ferai comme fit autrefois Chun,après qu'il eut livré les rênes du Gouvernement au Grand Yuje vous donnerai des avis finceres, quand vous m'en demanderezje vous reprendrai de vos fautes fans que vous me le de-mandie?l je ferai toujours à votre egard la fonction de pere,& à l'égard de mes fujets celle de protecteur & d'ami. Ne meréplique^ plus lene^-vous prêt à tout je veux être obéi.

Le Prince voyant que ce feroit inutilement qu'il feroit de-

nouveaux efforts fe réfigna aux volontés de fon pere &l'Empereur indiqua une affembiée générale de tous les Man-darins depuis le premier ordre jufqu'au cinquième inclufîve-

iment.Le jour fixé etant arrivé, & tous ceux qui devoient corn-

pofer l'affemblée s'etant rendus dans la falle d'audience duPalais, l'Empereur s'y rendit lui-même & leur parla à-peu-près en ces termes Vous fave^ tous comment f ai été élevé;

vous n'ignore^ pas que l'Impératrice Ou-heou ma mère ma.l.ïiffê.) tant qu'elle a vécu dans une ignorance profonde de

tout ce qui pouvoit avoir quelque rapport aux affaires du gou-vernement. Je n'en ai pas été plus, inflruit fous le règne de monfrere Tchoung-tfoung. Concentré dans mon domeftique foitdans le lieu de mon exil, foit dans l'enceinte de mon Palais,

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je me faifois un point capital, non feulement de ne me mêlerde rien mais d'ignorer même ce qui fe paffoit au dehors, afind'ôter tout prétexte à la calomnie. La longue habitude du reposme l'a rendu comme néceffaire & je Jens que, malgré les efforts

que je jais pour vaincre mon inclination, mon penchant m'en'traîne vers mon ancienne maniere de vivre.

Le Prince héritier mon fils a tous les talens qu'il fautpour bien gouverner. Il efl- defimé à être votre maître qu'ille foit dès aujourd'hui, ou quelques années plus tard, c'efl enfoi une chofe ajje^ indifférente mais ce qui riejl pas indiffé-

rent c'ejl qu'un Empereur ait auprès de fa perfonne fur-toutdans les commencemens de fort règne, quelqu'un qui puiffe luitparler fincérement dans les occafions où il auroit befoin d'êtreinflruiu Je ferai volontiers cette fonction à l'égard de monfils, auquel je fris réfolu de céder l'Empire. Quoique j'aietout lieu d'être perfuadé que vous applaudira^ tous à la dé-marche que je vais faire, cependantfi quelqu'uny trouvoit desinconvéniens pour empêcher ou en retarder l'exécution, il peutdire ici fon femiment en toute liberté.

Le profond fiience qui régnoit dans cette nombreufe affem-blée pendant que l'Empereur parloit, ne fut point interrom-

pu après qu'il eût cefTé de parier, point de représentationsa

pas la moindre parole malgré les invitations réitérées de cePrince pour que chacun lui dife, fans contrainte, ce qu'il pen-foit. Après avoir attendu quelque tems voyant que perfonne

ne prenoit la parole il continua ainfi Votre fiience m efl un

garant fûr de votre approbation je fuis charmé que votre façon

de penfer ne diffère pas de la mienne dans un point auffi effen-

tiel que celui dont il s'agit j que nous aurons touslieu d'être également fatisfaus. Qu'on ait foin de tout préparer

pour la cérémonie. il fut exactement obéi & le jour, Keng-ifée de la huitième lune de l'année qu'il avoit dénominée Tay-

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ht, c'eft-à-dire, le 8 Septembre de l'an 712 de Jefus-Clirift, il abdiqua folemnellement l'Empire en faveur de celuide fes fils, auquel il etoit lui-même redevable de fon elé-vation. Lenouvel Empereur prit le titre ordinaire de Hoang-tySe donna à fon pere celui de Tay-chang-hoang-ty,c'eft-à-dire,d'Empereur au-dejfus de l'Empereur le refle de cette annéefut dénominé Sien-tien. Je marque exactement ces bagatelles,

tant parce qu'elles fervent à conftater l'authenticité du monu-ment de la Religion Chrétienne, trouvé près de Si-ngan-jou

que parce qu'elles entrent dans le plan que j'ai formé d'exa-miner en critique les différens points de l'Hiftoire que je trou-verai avoir quelque rapport avec ledit monument ( 1 ).

La joie fut univerfelle dans tout l'Empire quand on yapprit la nouvelle que le Trône ébranlé depuis tant d'années,étoit enfin occupé par un jeune Prince, capable de le fou-

tenir & de l'illuftrer & ce fut cette joie même qui achevade déterminer la Princeffe de Tay-ping au plus affreux des

crimes. Elle vit avec un chagrin extrême qu'on alloit mettredes bornes à fon ambition, & qu'elle alloit ceffer d'être ladiftributrice des graces, fous un Prince qu'elle haïffoit & dont

REMARQUES.( 1 ) Le monument de la Reli-

gion chrétienne fe trouve tout aulong dans le China lllujlrata duP. Kircher. Il y eu dit que dutems de Sien-thn des Lettrésfubalternesattaquerent la Religionchrétienne. Voici les propres pa-roles, Jitr.-thn-mao-hia-du-ta-jîao-chang-pang-yu-Jî-kao c'eft-à-dire

Jzcn-tkn-mao fur la fin de Fanniedénommée fien-tien ( fur la finde 712. non pas de 713 commeil eft dit dans le China Illujîmta').

Hia-che des Lettrés dit dernier orUre,Ta-fiao-chan-pang infulterent à laReligion par des grojjcs railleries &

un grand nombre d? outrages Yu-fi-kao, dans la ville de Si-kao prèsde ( Si-ngan-fou ). Je traduis lesquatre carafteres la-Jîao-dian-pangdans leur vrai fens quoique no.ilittéralement on poxirroit lesexprimer ainfi en latin magmsïrrifionibus conviais & detre&atio-nibus lacejjlrunt ( fancïam religlo-

nem ).

Page 360: Memoires concernant les chinoise 5

elle avoit tout lieu de croire qu'elle n'etoit pas aimée. Elle neput fe diflimuler que le nouvel Empereur ne favoit ménagéejufqu'alors que par refpeâ pour fon pere & pour ne pas luidonner à elle-même des prétextes pour le perfécuter avec quel-qu'apparence de juftice. Elle comprit enfin par les démonf-trations de joie de tous les ordres de l'Etat qu'il feroit dé-formais impoffible de faire defcendre du Trône ce Prince

yquand même Joui-tfoung voudroit y remonter. Sur cela elleprit fes mefures pour faire périr l'Empereur.

Elle tenta d'abord de le faire empoifonner mais ce moyenn'ayant pu lui réuffir parce qu'il lui fut impoffible de faire en-trer dans ce noir complot, aucun de ceux qui approclioient dela perfonne du Prince, & que tous au contraire etoient fortattentifs à fa confervation, elle crut qu'elle pourroit employer

avec fuccès la force ouverte plufieurs grands Officiers luietoient redevables de leur forrune la plupart des Mandarinsdes grands Tribunaux etoient ou fes créatures ou fes protégés,elle les fit entrer dans ton projet. La révolution devoit fe fairele 14 de la feptieme lune.

Heureufement le fecret tranfpira. L'un des Grands attachésà la perfonnede l'Empereur, lui demanda une audience fecrete& il l'inftruifît de tout ce qu'il favoit. A ce récit l'Empereurpouffaunprofondfoupir&laiffa couler quelques larmes Je fais

ce que la juftice demande de moi dans ces circonflances dit-il;mais par refpetl pour mon pere je n'oferois me déterminer àfaire mourir la Princeffe de Tay-ping. Que deviendroù-il s'iletoit privé di fa faur ? Que penferoit-U de moi Ji je lui arra-chois ce qui fait fes plus cheres délices ? Non; je ne puis m ydéterminer cherchons enfemble quelque moyen de difftper laconjurationfans répandre de fang.

Seigneur, repliqua l'Officier, vous êtes perdu fans reffource(î vous diffère^ d'un jour feulement la punition des coupables$

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ils ne prétendent difent-ils que vous détrôner pour donner à

votre frère aîné une place que tordre de la naiffancc lui avait,dcjlinée. Les conjurés font d'autant plus portés à commettre cecrime qitils le regardent comme une action de jufiiee. Toutesleurs mefures font déjà prifes ils ont à leur tête outre laPnncejje de Tay-ping, deux Généraux d'armées & trois de vosMinijîres. Le jour de la révolution ejl fixé au quatorze. Ils U

devanceront s'ils favent qu'ils font découverts. Vous ne man-querez pas à la piété filiale en faifant périr la perfide qui veutboulcverfer tout par h plus grand des crimes. La véri-table piété filiale, dans la place eminente que vous occupe^,

7confifie à maintenir l'ordre à contenir dans le devoir tout cequi efl entre les quatre mers & à conferver t 'Empire que votrepère lui-même vous a cédé, & que vous lui ave^ conquis encoreune fois ne diffère^ point à prendre lesfeules mefures quipeuventmettre vos jours en furetéje vous demande cette grâce au nomde vos ancêtres. Les troupes qui font la garde derrière le Palaisfont plus que fujfifantes pour arrêter les chefs & les fairepérir.On fe faifira à loifir des autres pour les faire juger juridique-

ment.L'Empereur aptes avoir réfléchi quelques moyens con-

vint de la nécefôté indifpenfable où il fe trouvoit réduit d'uferde fon pouvoir & de faire périr, le plutôt poffible des fujets

qui vouloient le détrôner & lui arracher la vie. Il envoya à laPrinceffe de Tay-ping des fatellices pour lui intimer l'ordre de

mourir & en même tems il chargea ceux des Princes & cies

Grands auxquels il avoit plus de confiance de fe mettre à la

tête de trois cens hommes & d'aller faire main-baffe fur les

principaux d'entre les conjurés. Tout cela s'exécuta fans le

moindre trouble. Les autres complices furent livrés aux Tribu-

naux, & après la conviction & l'aveu qu'ils rirent eux-memesde leurs crimes, ils fubirent tous le dernier fupplice.

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Tome V. Y. Y

Délivré de fes ennemis domeftiques Hiuen-tfoung penfa àfe prémunir contre les ennemis du dehors. Il indiqua une revuegénérale dans la plaine qui eu. au pied de la montagne deLy-chan. Il fe rendit en perfonne à Sïn-faung & après quetoutes les troupes eurent eté raffemblées, il fe tranfporta furles lieux & fit faire en fa préfence l'exercice des différentesévolutions militaires etablies par le grand Tay-tfoung. Il yavoit deux cens mille hommes, à peine s'en trouva-t-il cin-quante mille qui fuffent fuffifamment inftruits. L'Empereur femit en colère contre tous les Officiers, auxquels il reprochaleur négligence & ordonna que Kou-yuai-tchzn premierPréfident du Tribunal de la guerre, fût mis en pièces fous legrand étendard, en punition de ce qu'il n'avoit pas rempli lesdevoirs de fa charge. Les Grands lui repréfenterent que Kou-yuen-tchen avoit rendu de grands fervices à l'Etat, & que la

maifon Impériale lui etoit redevable en particulier d'une partiede fon luftre.

A la tonne /zea/-«ffcrépondit l'Empereur, en reconnoiffancede fes fervices je lui fais grace de la vie; mais pour le bonexemple, je le caffe de tous fes emplois, & je l'exile à Sin-tckeou. Plufieurs grands Officiers en faveur deiquels on nepouvoit pas réclamer des fervices rendus à la patrie ou au Sou-verain, furent punis par la mort ou par l'exil, fuivant qu'ils fetrouvoient plus ou moins coupables. Après cet aâe d'unefévérité peut-être outrée, l'Empereur fit des réglemens parrapport aux troupes. Il ordonna en particulier que tout foklatqui auroit atteint fa foixanrieme année feroit licencié &défendit qu'on enrôlât perfonne avant l'âge de quinze ansaccomplis.

Il jugea que puifque les gens de guerre s'acquittoient fi mal

de leurs devoirs, il pourroit bien en être de même des autresordres de l'Etat & il conclut à une réforme générale. Il com-

T1 TJ- ~^7" ir

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mença par fe donner de bons Miniftres & compofa fonConfeil de tous les Grands dont la réputation etoit Solidementétablie. Avec le fecours des uns & des autres il entreprit decorriger les abus qui s'etoient gliffés dans le gouvernementdepuis le tems du grand Tay-tfoung. Il diminua le nombre desMandarins, tant dans la capitale que dans les provinces; ilremit en vigueur les anciennes loix, en fit des nouvelles, con-formément aux circonftances & aux moeurs préfentes de lanation il donna des noms nouveaux aux dignités & auxcharges & détermina le genre d'affaires dont dévoient con-noître ceux qui en etoient pourvus. Il donna des titres hono-rifiques aux Grands, aux Mandarins, & aux principaux Officiersde guerre il remit les etudes en vigueur & récompenfa ceuxd'entre les Lettrés dont le mérite etoit reconnu il diminua lenombre des Bonzes & en renvoya plus de douze mille dansleurs propres familles pour y être employés aux profeffionsauxquelles la liaiffance les avoit deftinés & fit abattre ungrand nombre de temples confacrés au cSîte de Fo fit fondreles fr.at.ues de cette idole défendit d'en faire de nouvelles Se

renverfa même toutes celles qui avoient été elevées avec desfrais immenfes par l'Impératrice Ou-heou dont il n'épargna

pas même le Ting célèbre placé près du temple du Ciel, oupour mieux dire entre le temple du Ciel & la falle desAncêtres ( i ).

( -l ) Le même monument ditque l'Empereur Hiuen-tfoung ap-pella des Prêtres de la Religionchrétienne auxquels il ordonnad'aller faire leurs prières dans leHing-king-koung qu'on peut fup-pofer avoir été une Eglife à Pufagedes Voici les propres

REMARQUES.paroles du monument, fan, tfai.,ta, tjien koue y cou ,fing, ki ho,tchen hing, hïang hoa ouang gc

tchao tfun tchao feng to IranJ'eng, pou tun ttng y tf jinyu ta, te, kï ho yii tjing king,kouang ,Jîeou koii-t/ig, te en voicil'explication,

Page 364: Memoires concernant les chinoise 5

Il fit des loix fomptuaires pour réprimer le luxe défenditTufage des pierreries & des métaux précieux dans les ameu-

REMARQUES.San-tfai la troifieme année;

Ta-tjin-kaul-yeou-fing il y eut unReligieux du Royaume du grandTfin ( c'eft-à-dire des Indes ).Ki-ho nommé Ki-ho. Tchen-hingfe dirigeant par les étoiles. Hiang-hoa ouang-gi prit fa route vers lefoleil ( c'eft-à-dire vers l'orient ).Tckao-tfun, & vint rendre hom-mage à l'Empereur. Tchao l'Em-pereur donna l'ordre fuivant. Seng-lo-han que le Religieux Lo-han{Lo-han fignifie peut-être Jean ).Seng-pou-lun ( fignifie peut êtrePaul ). Teng, & les autres y-tji-jin au nombre de fept perfonnes;yu-ta-te-ki-ho avec ki-ho perfon-nage de grande vertu; Yu-hing-koung fe rendent au Palais deHing-king-Jîeou-koung-tè pour s'ap-pliquer à leurs œuvres méritoires,(c'eft-à-dire y vaquer à l'exer-cice de leur Religion). Il paroîtpar ce texte que le MiffionnaireKi-ho arriva à la Cour la troi-fieme année de Tien-pao c'efl-à-dire, de Jefus-Chrift744. 2". Qu'ilfut placé dans le Palais de Hing-king, avec quelques anciens Prê-tres, qui etoient arrivés à la Ch'ineavant lui, tels que Lo-han Pou-lun& les autres au nombre de fept;d'où l'on conclut qu'il y avoit-làune Eglife deftinée aux exercicesparticuliers de ces Prêtres etran-gers.

Ce que dit l'hiftoire de ce Pa-lais, ou maifon Impériale de

Hitng-ktng-koung peut fervir à.etayer cette conféquence.

Hing king n'etoit auparavantqu'une maifon particuliere nom-mée H'uig-king-fang les Princes,freres de l'Empereur s'y ren-dolent quelquefois avec l'Empe-reur lui-même, comme à un lieude délaffement ce qui leur donnalieu de bâtir dans l'enceinte du ter-rein appartenant au Hing-king-fang, des maifons oit ils puflentfe repofer avec décence & ôterpar-là tout prétexte aux repréfen-tations que les Cenfeurs n'auroientpas manqué de leur faire fur lesfréquentes vifites qu'ils rendoientà des étrangers.

Comme tous les appartemensà l'ufage des Empereurs ont letitre de Koung, lorsqu'ils font fé-parés, on appella les maifons nou-vellement bâties du nom de Hing-king-koung.

Ce H'mg-king-koung dit la glofede l'iiiftoire fous la feptiemelune de la deuxième année de Kai-yucn (714 de J. C. ), etoit cinqlys de diftance au lud-eft de Si-ngan-fou, il etoit compofé de deuxPalais féparés l'un de l'autre pardes jardins. L'un de ces Palais por-toit le nom de Hoa-ngo-JIang-hocic'eft-à-dire lieu où Von voit edorcles plus brillantes fleurs & l'autreetoit appellé Kin-tcheng-ou-penc'eft-à-dire lieu où l'on £ étudie àbien gouverner.

Page 365: Memoires concernant les chinoise 5

blemens & dans les habits, régla la forme des équipages 8cfut le premier à donner à fes fujets l'exemple de la modeftie &de la frugalité. L'Hiftorien raconte de lui, à cette occafion

9qu'il fit réduire en cendre tous les bijoux, les meubles précieux,

y& les riches équipages qui etoient raffemblés dans fon Palais,

comme chofes inutiles & préjudiciables même au bien réel del'Etat. Il diminua le nombre des femmes, qui n'etoient auprèsde lui que parce qu'elles habitoient déja le Palais quand il

monta fur le Trône, ne retint que celles qui n'etoient plus enâge de pouvoir fe marier, ou qui etoient fans reflburces &abrogea la coutume qui.s'etoit introduite d'offrir chaqueannée au Souverain un certain nombre de jeunes filles Chinoi-fes parmi les plus belles qui fe trouvoient dans les différentesprovinces de l'Empire. Cettecoutume, ou plutôt cet abus, avoitdégénéré en une licence effrénée de la part des Mandarins. Ilouvrit fes tréfors, & fit diftribuer des fommes immenfes pourle foulagement des pauvres peuples; il s'appliqua à toutes lesparties du gouvernement, & ce que l'hiftoire rapporte avecencore plus de complaifance il vint à bout de maintenir la

paix & l'union dans fa propre famille.Il avoit quatre freres & un Coufîn qui auroit pu faire valoir

fes prétentions fur l'Empire, comme fils légitime de l'EmpereurTchozmg-ifoung il les contint tous dans leurs devoirs, & gagnaleur affeclion à force de citreffes & de bienfaits; il ne voulut

REMARQUES.Le nom de rling-king-fan défi-

gne en général un lieu où la feli-cité s'eleve ( in quo affurgit félici-tas ) c'eft l'explication littéraledes caraÛeres ne pourroit-onpas conclure que ce fut de ce nomque les Religieux étrangers appel-

lerent leur Eglife. Tout ce que jeviens de dire dans cette remarqueconfronté avec le monumentprouve qu'il y avoit des Chrétiensdans un lieu où l'Empereur fereridoït fenivent &. que ce Princeles honoroit de fa bienveillance,

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pas qu'ils eurent d'autres Palais que les tiens ils mangeoientdes mêmes mets & à la même table; ils faifoient ensembleleurs parties de chaire & de promenade, & tout etoit com-mun entr'eux de la même manière qu'entre les fils de famille

avant qu'ils aient atteint l'âge de puberté. L'âge feul régloit lapréféance & les égards qu'ils fe devoient réciproquement.

Si l'hiftoire fe répand en eloges fur les belles qualités deHiuen-tjoung elle ne difiïmule pas fes défauts elle lui repro-che comme un crime capital dans les commencemens de fon

règne où il ne montroit encore que des vertus d'avoir établidans l'intérieur de fon Palais, une académie de mufique, dontil fe fit le chef, en donnant lui-même des leçons de chant àplus de cent jeunes filles qui en etoient les feules aftrices &

des actrices de fon choix. Il s'amollit tellement dans ces exer-cices, qu'il prit peu-à-peu du dégoût pour les affaires, &qu'enfin il ne fe mêla prefque plus du gouvernement ( 3 ).

L'hifloire lui reproche encore d'avoir mis les Eunuques enhonneur, en donnant à l'un d'entr'eux nommé Kao-ly-chéla dignité de Général d'armée qu'il etoit à la vérité très-capa-ble de remplir avec fuccès, comme il le prouva dans plusd'une occasion, mais qui fraya à tous les autres Eunuques uneroute pour parvenir aux autres dignités, 6k à toutes les charges

REMARQUES.( 3 ) Un Gloflateur fait à cette

occafion la remarque liiivante Ilcjl certain dit-il, que Hiuen-tfoungetoit un Prince accompli, avant Û épo-

que fatale de fon changement. Ilcommença par unjïmpk amufement& finit par le.s plus grands défordres.Il aimoit la mufique il la favoittrès-bien mais au lieu de ne la cul-tiver que pour fe récréer car inter-valles il s'en fit une occupation

férieufe il paffa les bornes de ladécence il devint Maître à chanter.Etoit-ce-la nne occupation ou mêmeun amufement digne du Fils du Ciel?aVoilà ce que deviennent les plusgrands hommes, quand ils m favs.nipas meurt un frein à leurs paffions

:>ils en font tyrannifés jufqifà leurobéir dans les chofes lis plus indignes& les plus i'iijfcs.

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de l'Empire ce qui caufa dans la fuite les plus affreux défor-dres, & perdit fans reffources l'illufire famille des Tang (4).

Mais ne quittons pas encore les brillantes années du règnede HLuen-tfoung & n'interromponspas l'ordre des evénemens.Le hafard, plutôt que la prudence & la bravoure de fes trou-pes en produisît un qui lui fournit plus de la moitié de laTartarie, & répandit dans ces vaftes contrées la terreur de fes

armes & de fon nom. Voici le fait.L'armée du Roi de Tou-fan ou du Thibeth, s'etant emparée

du pays àePa-han-na, qui etoit fous la proteftion des Chi-nois le Prince dépoffédé eut recours à fes protecteurs &vint fe réfugier dans le Ngan-Jî auprès de Tchang-hiao-foungqui en etoit Gouverneur avec le titre de Général. Celui-ci

crut l'occafion trop favorable pour ne pas en profiter. Il raffem-ble à la hâte toutes les troupes de fon département, fe met àleur tête fe fait fuivre de tous les transfuges de Pa-han-naauxquels fe joignirent d'autres Tartares, & va porter la guerreau Roi du Thibeth. Il prit fa route vers Kiu-tfée droit àl'oueft traverfa trois ou quatre cens lieues de pays fe renditmaître de deux ou trois cens tant villes que bourgades &fournit tous les Tartares qui fe trouvèrent fur fon chemin. LeRoi de Ta-che & huit autres Princes chefs de Hordes

REMARQUES.(4) Les Eunuques s'empa re-

rent peu à peu du gouvernementils firent Généraux d'armée &Miniftres d'Etat. Ils ne donnoientles emplois qu'à leurs créatures &?( d'autres Eunuques & firent tantpar leurs intrigues & leurs com-plots que la famille des Tangperdit enfin l'Empire. Le règne deïliuen-tfoung fut la première épo-que de leur elévati&n. Leur crédit

s'accrut peu à peu de telle ma-niere qu'il fut comme impoiïïbieenfuite de les faire rentrer dansleur néant. Il faut dire néanmoinsque parmi les Eunuques il s'en efr.trouvé que leur attachement à lamaifon Impériale & leurs bellesqualités perfonnelles rendirent il-luftres mais ils furent en très-petit nombre.

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craignant pour leurs Etats vinrent fe foumettre d'eux-mêmes

au Gênerai Chinois, & lesThibétains demanderent la paix auxconditions qu'on voudroit bien leur impofer. Tchang-Aiaa-tfoung la leur accorda aux feules conditions d'être déformaisvaffaux fideles de l'Empire & de ne pas inquiéter leurs voifins.Il fit graver fur un marbre tous les evénemens de fa glorieufeexpédition, & revint dans fon gouvernement de Ngan-Jî, oùil reçut de la part de fon maître les eloges & les récompenfesqu'il méritoit à fi jufte titre. Ceux d'entre les Tou-kiué & autresTartares qui avoient fecoué le joug, rentrèrent dans le devoir,& briguerent à l'envi la proteétion de la Chine.

Au milieu de tant de profpérités l'Empereur eut le malheurde perdre fon pere. Joui-tfoung mourut à la fixieme lune de laquatrième année de Kaï-yuen c'eft-à-dire l'an fept centfeize de l'ère chrétienne. Ce Prince etoit vertueux & bon. Ilavoit des qualités qui euiient pu le rendre un grand Empe-reur, fi l'eioignement des afraires, dans lequel il avoit etéélevé ne l'eût rendu comme incapable de s'y appliquer. D'ail-leurs il etoit parvenu à l'Empire dans un âge où il etoit très-difficile de fe plier à un genre de vie laborieux 6k péniblequand on a paffé fa jeuneffe dans l'inaction & l'oifiveté.

Il abdiqua l'Empire pour fe livrer aux douceurs d'une vietranquille & il n'eut point lieu de fe repentir de fon abdica-tion. Hiuen-tfoung fon nls &fon fucceffeur eut toujours pourlui tout le refpeét & toute la tendrefle que la piété filiale &la plus vive reconnoiflance peuvent infpirer à un cœur géné-

reux. Il pleura fincérement fa mort & lui rendit les devoirsfunebres avec une pompe extraordinaire. Quelques Auteurslui reprochent d'avoir pour ainfi dire dégradé la tablette deTchoung-tfoung fon oncle pour rendre de plus grands hon-

neurs à celle de Joui-tfoung fon père. Deux Mandarins duTribunal des rits lui repréfenterent que les fept Trônes placés

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dans te Tai-maio ou falle des Ancêtres étant remplies onne pouvoitplacer honorablementla tablette de Joui-tfoung yfansdéplacer quelqu'une de celles qui y etoient déja.

Qu'on mette la tablette de mon vertueux pere la place decelle de Tchoung-tfoung répondit l'Empereur il efi jufie quedans le lieu defliné au culte de mes Ancêtres je puijje rendrehommage à celui dont je tiens immédiatement la vie quand jeferai les cérémonies refpeclusufes en l'honneur d'eux tous. Il futobéi j & la tablette de Tchoung-tfoung tranfportée avec décen-

ce dans un lieu particulier hors du Tay-miao céda le Trônequ'elle occupoit à la tablette de Joui-tfoung, qui y fut placée

avec toutes les cérémonies uhtées en pareille occafion. Avantla fin de fon deuil, l'Empereur s'acquit la vénération de fesfujets, par des aâions qui le firent regarder comme un modelede pitié filiale & comme ayant l'amour de la vertueufeantiquité gravé dans le cœur.

Il entreprit le voyage de Lo-yang pour vifiter les tom-beaux de ceux de fes Ancêtres, morts avant que l'Empire nefùt dans fa famille. Il les fit relever & embellir, & établit unenombreufe garde pour en avoir foin. Il ordonna à torçg les Gou-

verneurs des villes du fécond & du troifieme ordre, de donnerchaque année, à la douzième lune, le feftin de cérémonie auxVieillards de leurs diirri£ts qui avoient mené une vie exemtede tout reproche & il voulut qu'on fuivît en cela les ufagesqui fe pratiquoient anciennement il reçut à cette occarîon lescomplimens de la plupart des grands Mandarins de l'Empire

5

qui ne manquerent pas de comparer fon règne à celui deChun de Yu & de Tang-ouang.

Parmi ces faifeurs de complimens, il fe trouva deux Man-darins, qui moins bien avifés que les autres oferent .compa-rer l'Empereur à quelques-uns des plus célebres Sefiraires, &

en prirent occafion de faire l'éloge d'une doctrine qui n'etoit

pas

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pas celles des anciens Chinois. Hiuen-tfoung lut leur écrit avecattention & fit cette réponfe, qui fut alors applaudie & quil?eft encore aujourd'hui par tous les véritables Lettrés.

Jlpàroit par les vers de TcHfèng-fun & de Kouo-fun-tcheout

que ces deux Mandarins fozzt plus attachés à la doSrine desS éclaires qu'aux devoirs particuliers que leur impofent lesemplois dont ils font revêtus. Cette doctrine peu décente dans desperfonnes en place ejî entiérement hors de propos dans les cir-conjlances préfentes cependant puifque ces deux hommes enfont un fî grand cas qu'ils femblent la préférer à toute autre til faut leur en faciliter la pratique, en les privant de leurs char-

ges. Qu'on leur mette entre les mains les Livres des Tao -fee &

qu'on lesfaffe Bonnes.Cette conduite de Hiuen-tfoung ajoute l'Hiftorien qui rap-

porte ce trait, efî tout-à-fait conforme à celle que le GrandTay-tfoung avoit tenue auparavant à l'egard de Siao-yu, lorf-

que cet .homme en place lui demanda permijjion de fe retirer,pour pouvoir mener une vie tranquille dans quelque maifon de

Bonnes, Ce font des exemples qu'on ne doit pas oublier, afinde ne point fe laiffer entraîner par le torrent des fuperflidons.

Ce n'eft pas dans cette occafion feulement que Hiuen-tfoung prit Tay-tfoung pour fon modele il tâcha de l'imiterdans fa manière de gouverner & dans la plupart de fes vertuspacifiques. Comme lui, il réforma les abus; il fit revivre plu-fieurs des anciens ufages qui par laps de tems, etoientprefqueentièrement oubliés; il fit mettre le calendrier dans un meil-leur ordre; il donna des récompenfes au mérite il encoura-gea les talens il employa les fages il écouta volontiers les

avis de ceux de fon Confeil & de tout homme en place &fe rendit docile à les fuivre lorfqu'ils etoient conformes à la

raifon, ou aux ufages confacrés dans l'Empire. Quelques

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exemples, pris au hafard dans l'Hiiloire ferviroîit de preuveà ce que j'avance.

Des Marchands étrangers, venus par la mer du Sud, avoientapporté quantité de chofes précltufes, &:dubient qu'ils etoientdans le deffein de fe rendre au Royaume des Lions pour ychercher des médecins & des remedes on crut devoir inf-truire l'Empereur de l'arrivée de ces étrangers & lui faire

un détail des curiofités qu'ils avoient apportées. L'Empereur

nomma Yang-fan-tchen qui etoit alors un des Cenfeurs del'Empire, pour aller vérifier, par lui-même., la vérité de cequ'on lui annonçoit & pour s'informer, en particulier, de

ce que c'étoit que cet Empire nommé le Royaume des Lions,t

& quelles fortes de remedes & de médecins on alloit y cher-cher. Le grave Magiftrat, choqué d'une commiffion qu'ilcroyoit déroger au caractère dont il etoit revêtu, ofa pré-fenter à l'Empereur le placet fuivant

Il riy a pas long-tems Seigneur que vous ave^profcrit le

luxe dans toute l'étendue de S Empire. Vous avec donné le

premier l'exemple de la modeflie que vous exige^ de vos fujets.On a brûlé par vos ordres à la porte même de votre Palaisquantité de meubles précieux de bijoux, & des raretés de toutesles fortes aurieç-vous quelque regret à ce que vous fîtes alors& votre intention feroit-elle de trouver parmi ce qu'ont apporté

ces étrangers de quoi remplacer ce que vous fîtes dévorer parles flammes?fi cela ejl Votre Majejlé peut choifir dans facapitale quelqu'un qui foit expert en matiere d'achat & de vente.Il pourra remplir à votre fatisfaclion la commiffion dont vousvoule^ me charger & pour laquelle je vous avoue franchementque je nefuis pointpropre. Vérifier des marchandifes n efl pointle fait dun cenfeur de l'Empire fon devoir efl de veiller furl'Etat & fur le Prince qui le gouverne. S'il etoit quejlion de

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quelque chofe qui eût rapport au bonheur dès peuples ou à la.gloire de Votre Majeflé, f affronteras tous les dangers j'expo-jerois mille fois ma vie plutôt que de reculer mais ce rîefl pasici le cas. Votre Majejlé voudroit [avoir quelles fortes de reme-des & de médecins l'on va chercher dans le Royaume de Che-tfée. Notre empire ejl plein de médecins & abonde en excel-lens remedes que nous importe de connoître ceux des paysétrangers ?

L'Empereur approuva la liberté du Cenfeur, & lui répon-dit avec bonté que fes repréfentations etoient raifonnables &faites à propos; fur quoi il donna fes ordres pour qu'on expé-diât au plutôt ces marchands étrangers fans vouloir permettrequ'on lui offrît aucune des raretés qu'ils avoient apportées.

S'il adhéroit fans réplique aux repréfentations qu'on luifaifoit, quand il les croyoit raifonnabks & conformes auxloix, il rejettoit pour l'ordinaire toutes celles qui n'avoient pourobjet que des ufages abolis & prefque entièrement oubliés

ou des minuties que le pédantifme vouloit faire valoir. Cepen-dant, pour ne point rebuter ceux-là même qui ne craignoient

pas d'abufer de fa patience, il recevoit leurs requêtes les fai-foit examiner en fa préfence par ceux de fon Confeil & nedonnoit fa réponfe qu'après avoir pris leurs avis; on jugeraparle trait fuivant de fa maniere de procéder dans ces fortesd'occafions.

Il avoit promis au Roi du Thibeth, de lui donner en mariage

une Princeffe de fon fang. Ce Roi envoya des Ambaffadeurs

pour fommer l'Empereur de la parole qu'il lui avoit .donnée,& lui fit demander en même tems les Livres Che-king, Chou-

king, Ly-ki & Tchun-tfieou l'Empereur reçut très-bien les

Ambaffadeurs, & leur accorda tout. Un Lettré., attaché paremploi à la garde des Livres regardant comme une indécencemonffrueufe qu'on envoyât à un Roi barbare les Livres claffi-

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ques de la nation crut devoir s'y oppofer de toutes fes forces.Il préfenta une requête dont voici les propres paroles, renduesen notre langue.

Autrefois le Roi de Toung-ping, dont la famille etoit alliéeà celle des Han qui gouvernoit alors l'Empire, demanda avecinjlance qu'on lui donnâtnos Livres d'HiJloire & de Philofophie.11 fut conjlamtnent refufépar l'Empereur fon parent & fon ami.Aujourd'hui le Roi du Thibeth qui efl £ ennemi juré de

notre nation, demande nos Livres Che-king Chou-king Ly-ki, 6' Tchun-tfieou & Votre Majejlé ne fait aucune difficultéde les lui accorder n'efi~-ce pas-là lui prêter des armes pour nozrscombattre ? Si les Tou-fan, fes fujets, lifent une fois nos Livres

1)

leur entendement ~'0MV/ j il.s acquerront nos fciences & avecelles l'efprit de prévoyance & de rujes ils n'en deviendront queplus infolens & plus ^redoutables pour nous en un mot ilsapprendront l'art denous vaincre & peut-être de nous fubjuguer.Je fupplie Votre Majejlé de ne pas donner à nos ennemis des

flèches avec lefquelles ils ne manqueroient pas de nous per-cer &c.

L'Empereur ne penfoit pas comme ce Lettré, & n'etoit

guere d'humeur à rétraâer une parole donnée. Cependant

pour ne pas mécontenter le donneur d'avis, par une réponfe

peu favorable, donnée précipitamment il propofa l'affaire enplein Confeil, & voulut que chacun dît fon iendment avec

une liberté entiere.Pei-koang-ting prit la parole, & dit vLes Tou-fan révoltés

depuis bien des années ne font que deJe foumettre. Ils deman-dent humblement notre alliance & nos inflruBions. Les refufer

ç

ou ne.leur.accorder qu'une partie de ce qu ils fouhaitent ceferoitles- révoltir encore. Je penfe donc qu'il ejl très-à-propos de les

fatisfaireî & de leur envoyer le Chou-king, le. Che-king &

tous ccux de nos Livres qui pourront leurfaire plaijîr. Ils y

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puiferont les principes de la grande doctrine qui efl fans bornes& en deviendront meilleurs. Que ne pouvons-nous faire un pareilpréfent à tous les peuples barbares Bientôt toute la terre feroitpeupléè de figes & nous n'aurions pas la peine d'ajfemblerfifouvent de nombreufes troupes, pour réprimer l'infolence & larapacité de nos injufles agreffeurs. Yu-hieou-lié ( c'eft le nomdu Mandarin lettré qui avoir préfenté la requête ) ne faitpas attention aux avantages réels que V étude des fciencespro-cure aux hommes. Si quelques-uns en deviennent plus artifi-cieux plus rufés & p[us médians le grand nombre y apprendles règles d'une bonne vie, celles de la ftgejfe & de la vertu.

Ce difcours fut approuvé de toutes les voix & l'Empereurfit donner aux AmbafTadeurs du Roi de-Thibeth les Livresclaffiques de la nation, en leur recommandant d'en faire unbon ufage. Yu-heou-lié & quelques autres Lettrés de cettetrempe en murmurèrent, on ne fit pas même femblant d'êtreinftruit de leurs murmures. On fit un peu plus d'attention auxplaintes que fit peu de tems après tout le corps de la Littéra-ture, à l'occafion d'un prétendu affront fait à Confucius &

aux Philofophes qui s'etoient le plus distingués après lui. Lefait eft affez curieux pour mériter d'avoir ici fa place.

Hiuen-tfoung regardoit les Lettres & les Armes comme les

deux principales colonnes qui foutiennent le grand edifice du

gouvernement. Sans l'une ou l'autre cet edifice s'ecrôuleroit,& ne laifferoit que de ma gnifiques ruines pour atteler fonexiftence à la poftérité. Sur ce principe il voulut que cesdeux profeffions fuffent egalement honorables & marchandent

pour ainil dire de pair. Les Lettrés avoient leur Ouen-miao

dans lequel deux fois chaque année au printems & enautomne ils fe rendoient pour faire les cérémonies refpcérueu-

fes au grand Confucius leur ancien Maître dans la doctrine.L'Empereurdétermina que les Guerriersauroient leur Ou-mico

}

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dans lequel ils fe rendroient aufli deux fois chaque année auprintems & en automne pour faire les cérémonies refpec-tueufes au grand Tay-koung, qu'il leur afligna pour premierMaître dans l'art militaire qu'ils profeffoient. Il donna ordre

que dans toutes les villes où il y avoit des falles où l'on hono-roit Confucius on en élevât de tout à fait fembiables où l'onhonoreroit Tay-koung & comme les portraits ftatues outablettes du Philofophe de la Nation etoient accompagnésdes portraits, ftatues ou tablettes de ceux d'entre les Philo-fophes qui avoient marché de plus près fur fes traces il fitchoix de dix d'entre les plus célebres Guerriers des tems paffés

& voulut que leurs portraits ftatues ou tablettes fuffent pla-cés dans les nouvelles falles où l'on devoit faire les cérémoniesrefpeftueufes devant les portraits, ftatues ou tablettes du grandTay-koung. Par cet arrangement tout devint égal entre ceuxqui cultivoient les Lettres & ceux qui avoient embraffé laprofeffion des Armes.

Dès que cet ordre eut été publié tous les Lettrés furent enrumeur. Ils firent tous leurs efforts, par des fuppliques réité-rées, pour en empêcher l'exécution ils repréfenterent quecette nouveauté tendoit manifeftement à la ruine de l'Empire.Jamais dirent-ils, nous n'avons manqué d'excellens Guerriers,& c'efl précifément dans le tems que nous en avons eu le plus

que l'Empire a eté fur le penchant de fa ruine & que les Dynaf-ties fe font eclipfèes. La licence des guerres nefl que trop confor-

me aux inclinations de la plupart des hommes. Pourquoi, parune dijîincîwn inouie jufquà nos jours vouloir fomenter dansle cœur de vos fujets un germe qu'il faudrait tâcher d' étouffer ?

N'était-ce pas afl'e^ pour les gens de guerre de voir* les por-traits de ceux quife font le plus dïflingués dans leur art placésparmi les grands hommes en général, dans des falles particu-lieres ? Cet etabliffement d'un nouveau rit en leur faveur, ne

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peut être que préjudiciable à fEtat. Dans nos anciens Gymnafes

on s'exerçoit aux armes, en même tems qu'on apprenoit leslettres. Cet ufage s'obferve encore aujourd'hui mais il ferabientôt 'aboli & nous verrons alors des écoles particulieres d'efcrime s'elever de tous côtés. L'ombre dit grand Tay-koung rou-gira dans le féjour des morts quand elle apprendra qu'oubliantfa principale qualité de Philofophe & de Sage nous ne l'hono-

rons plus que fous celle de Guerrier, &c.L'Empereur ne s'offenfa point de ces repréfentations il

eut même la complaifance de ne pas les làifler fans réponfeMon intention dit-il, ne fut jamais de comparer Tay-koung àConfucius encore moins de mettre en oppofition ces deux grandshommes. Je les refpecîe l'un & l'autre comme ils doivent êtrerefpeciés & les honneurs que je veux faire rendre ait premier

>

ne préjudicieront en rien aux honneurs que les Lettrés rendentdepuis fi long-tems au Maître par excellence de la Nation$qu'ils lui continuent leurs hommages qu'ils faffent plus qu'ilstâchent d'imiter fes vertus & qu'ils profitent le plus qu'ils pour-ront de fa doctrine mais puifquils ont un fi beau modèle àfiiivre, qu'ils ne trouvent pas mauvais que les gens de Guerreaient auffî le leur.

L'ordre de l'Empereur fut mis en exécution, & les fallesfurent elevées. On y plaça la ftatue de Tay-koung & avecelle celles des dix plus illuftres Guerriers, depuis la Dynaftiedes Tcheôu jufqu'à la Dynaffie régnante. Il eft bon que les

noms de ces grands hommes trouvent ici leur place. Dans lefond de la falle etoit Tay-koung, ayant à fa gauche Tien-jan-

ku, Sun-ou Ou-ki Pe-ki & Yo-y & à fa droite Tchang-

leang Han-fin, Tchou-ko-leang Ly-tfing & Ly-tfi.Pendant les vingt-deux premieres années de fon regne,

Hiuen-tfoung livré tout entier aux foins du gouvernement,n'avoit guere montré que des vertus. Il avoit fait choix de

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bons Minières il avoit confulté les Sages, & avoit été docileà leurs avis il avoit réformé les loix, & avoit fait un codeparticulier conformément au tems & aux mœurs il avoitfait travailler à la réforme du calendrier; il avoit fait revivreles ufages les plus utiles de la vertueufe antiquité il avoitmaintenu ies fujets dans une profonde paix; & sil fut obligéde faire quelquefois la guerre aux différens peuples de la Tar-tarie, il l'avoit terminée le plutôt qu'il lui avoit eté poflible

ou par la viftoire ou par des traités toujours honorables, fans

jamais rien exiger de fes peuples au-delà des contributionsordinaires dans les tems de la plus profonde paix; auffi à peinefavoit-on alors dans l'Empire qu'il y avoit fur les frontieres desarmées chinoifes qui repouffoient les Tartares ou qui aîloientles combattre chez eux. On fe reffentit fi peu de fes différen-

tes guerres, que jamais les chofes de la vie n'avoient eté dans

une fi grande abondance & à plus vil prix, que les Sciences& les Arts ne fleurirent jamais avec plus d'eclat que le travailn'avoit jamais eu plus d'encouragement, & les fuccès plus derécompenfes & que jamais les caufes tant phyfiques quemorales n'avoient mis moins d'obftacle à la population.

Dans le dénombrement que l'Empereur, après avoir divifél'Empire en quinze Provinces, fit faire, la vingtieme année deKai-yuen ( l'an 7 2 de J. C. ) de ceux de fes fujets qui etoientfournis aux cens il fe trouva fept millions huit cens foixante-un mille deux cens' trente-fix familles faifant entr'elles le nom-bre de quarante-cinq millions quatre cens trente~un mille deux

cens foixante-cinq bouches. Dans l'efpace de vingt-deux ansle nombre des familles augmenta d'un million fept cens cin-quante-huit mille dix-huit familles, & de fept millions quatrecens quarante-neuf mille deux cens vingt-trois bouches cequi eft prouvé par le dénombrement qui fut fait la treiziemeannée de Tisn-pao ? c'eft-à-dire l'an de J. C 754? on trouva

alors

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alors que le nombre des familles etoit de neuf millions' fix

cens dix-neuf mille deux cens cinquante-quatre & celuides bouches de cinquante-deux millions quatre-vingt-huitmillequatre cens quatre--vingt-huit. Dans ce nombre ne font pointcompris les Princes, les Grands, les Mandarins, ni les perfon-nes attachées à leur fervice, ni les gens de Guerre, ni lesLettrés ni les Bonzes, ni les Efclaves.

Tout profpéra dans le gouvernement, tant que l'Empereuren tint lui-même les rênes mais quand amolli par la volupté,il eut négligé le foin des affaires les femmes & les eunuqueseurent bientôt écarté le petit nombre de Sages qui l'aidoient àporter le pefant fardeau dont il etoit chargé, pour s'emparerd'une autoriré dont ils abuferent de la manière la plus indigne.C'eft par-là que commencerent tous les malheurs qui ternirentfa gloire, & qui faillirent à le précipiter du Trône.

L'amour exceffifqu'il portoit à l'une de fes femmes nom-mée Yang~koei-feï l'engagea à répudier l'Impératrice & àfe faire une étude de toutes les intrigues & des petits riens desfemmes enfermées dans fon Palais. La confiance aveugle qu'il

eut en fes flatteurs lui fit approuver tous les défordres quel'abus de l'autorité introduifoit infenfiblement dans les Tribu-

naux & dans fa Cour même & fon entêtement à vouloir ele-

ver aux plus hautes dignités un etranger perfide qui le trahif-foit, lui fit méprifer les avis falutaires & les repréfentationsréitérées de tout ce qu'il y avoit de Grands, fincérement atta-chés à fon fervice des Princes de fon fang & de £on proprefils l'héritier préfomptif du Trône.

Ngan-lou-chan eft le nom de ce traître que l'Empereuravoit pris en affection & qui fut fur le point de lui enleverl'Empire. C'etoit un Tartare foldat de fortune, qui ne favoitni lire ni écrire mais qui poffédoit à un haut degré la plupartdes qualités guerrieres. La horde dont il etoit ayant été

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fubjuguée par d'autres Tartares, il vint fe réfugier en Chine& obtint un emploi fubalterne dans les troupes. Un des Offi-ciers généraux chinois, charmé de fa bonne mine de fa bra-

voure, & de fa prétendue fincérité l'adopta pour fon fils, &fe fervit de tout fon crédit pour lui frayer la route qui conduit

aux honneurs, il en vint à bout.Ngan-lou-chan devint lui-même Officier général & prouva

par fa conduite qu'il n'etoit pas indigne de ce pofie. Il fe diftin.

gua dans plusieurs occafions importantes & mérita une atten-tion particuliere de la part du Souverain. L'Empereur le vit,le mit au nombre de fes Courtifans & en fit bientôt fon favoride prédilection. Il le combla de biens, & après l'avoir faitpaffer fucceffivement par les dignités les plus honorables ill'eleva enfin à celle de Prince & lui accorda toutes les préro-gatives de ce haut rang.

Ngan-lou-chan n'etoit cependant qu'un monftre indigne devivre. Il ajouta la trahifon à l'ingratitude & pouffa l'une &l'autre jufqu'à vouloir détrôner fon bienfaifteur & fon Maître.On ne tarda pas à découvrir qu'il entretenoit des intelligences

avec les ennemis de l'Etat. On en avertit l'Empereur mais cePrince prévenu en faveur du Tartare regarda tous les rapportsqu'on lui faifoit comme des pures calomnies, ou comme desfoupçons dénués de tout fondement. Il eut même l'imprudencede le nommer Gouverneur général des Provinces du Ho-pequi confinent à la Tartarie, Qi de lui confier le commandementdes troupes. L'un de fes Mmiftres nommé Ly-lin-fou quis'entendoit avec Ngan-lou-chan ne contribua pas peu à luifaire commettre une faute qu'il rendit irréparable par fonobstination à ne vouloir pas la reconnoître. Les mieux inten-tionnés de fon Confeil à la tête defquels etoit le Prince héri-tier, informés que Ngan-lou-chan penfoit à fe révolter pré-fenterent une requête laquelle n'eut pas plus d'effet que les

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autres repréfentations qu'ils avoient faites auparavant Vousêtes jaloux mal à propos de ce pauvre Etranger, leur réponditl'Empereur il ejl plus fincérement attaché à mon fervice quevous tous enfemble je fuis sûr de lui.

Si Ngan-lou-chan répliqua l'un des Grands a la fidélité que

Votre Majejîé lui fuppofe, il n aura garde de défobéir aux ordresqu'elle voudra lui donner. Appelle^-le Seigneur auprèsde votre perjbnne s'il ne fait aucune difficulté de quitter l'armée

pourvenir à la Cour, onpourra croire alors qu'etant fans défian-

ce, il efl aufjîfans mauvais dejjein.L'Empereur y confentit & donna fes ordres pour le rappel

de Ngan-lou-chan celui-ci inftruk par le Miniftre Ly-lin-foufon ami & fon complice, de tout ce qui s'etoit paffé, obéitfans réplique & fe rendit en diligence où il etoit appellé.Cette conduite qui paroiffoit n'avoir rien d'équivoque,diffipa

tous les foupçons qu'on tâchoit de faire naître dans l'efprit defon Maître. Ce Prince en le voyant, ne put contenir fa joie:Non dit-il, en préfence de fes Courtifans il riy a aucunefineffe dans ce gros ventre Tartare. L'Hiftorien remarque àcette occafion que Ngan-lou-chan etoit fort gros & qu'iln'avoitrien dans ion extérieur qui ne dénotât un homme fimple& même groffier ce qui fut caufe en partie que l'Empereur

ne fut détrompé fur fon compte qu'après que fa révolte eûtentiérement eclaté comme il arriva bientôt après cette entre-vue. Content de fon obéi%pce & perfuadé qu'il n'avoit pasde fujet plus fidele l'Empereur eut la foiblefle de le renvoyerdans fon gouvernement, & de le remettre à la tête des troupesqui etoient fur les n-ontieres. Il reconnut bientôt fa faute maisil ne la reconnut que lorfqu'il lui fut impoffible de la réparer.Ngan-lou-chan n'avoit eu d'abord d'autre intention que cellede fe faire un petit Etat aux environs de la Chine & il n'au-roit rien entrepris du vivant de l'Empereur, s'il avoit pu tenir

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ion ambition fecrete il n'eclata fi-tôt que parce qu'il fe vitdécouvert. Auffi-tôt qu'il fut arrivé dans le. lieu de fon gouver-nement, il s'attacha à difcipliner fes troupes à en augmenterle nombre à s'en faire aimer. Il mit dans fes intérêts quelqueshordes de Tartares qui lui promirent toutes fortes de fecours& qui lui fournirent des hommes & des chevaux en affez grandnombre pour en compofer une armée au défaut des foldatschinois dont il n'etoit pas encore^ fûr.

Quand il fe crut en état d'entreprendre, il publia que l'Em-

pereur lui ordonnoit d'aller à ton fecours, à la tête de fonarmée, pour le délivrer de la tyrannie de fes Minores quis'etant emparés de toute l'autorité bouleverfoient tout dansl'Empire, fans qu'il fût poffible de les châtier, ou de les faire

rentrer dans leur devoir. Sa hardieffe la réputation de fîncé-rité dont il jouiffoit, les faveurs fans nombre qu'il avoit reçuesde la part de fon Maître en impoferent à la multitude.

A la tête de plus de cent mille hommes, Ngan-lou-ckan fe

met en marche, paffe le Hoang-ho, s'empare des villes quifont fur fa route, y met garnifon & fe trouve maître de toutle Ho-pe avant même qu'on eût penfé, du côté de la Cour, àfe mettre en défenfe.

L'Empereur revint enfin de la profonde léthargie danslaquelle il etoit comme enféveli, mais ce fut pour s'y replon-

ger bientôt après. Il crut avoir tout fait en nommant des Géné-

raux pour aller contre le Rebelle ^& attendit tranquillementdans fon Palais au milieu de fes Femmes & de fes Eunuques;qu'on vînt lui annoncer des vi&oires. Il y avoit des traîtresdans le miniftere & parmi ceux de fon Confeil; il y en avoitauflî qui etoient très-bien intentionnés & qui le fervoientfidellement. Il fe livroit tantôt aux uns & tantôt aux autres &comme leurs intérêts etoient différens il en recevoit desimpreflions qui etoient toujours oppofées. Ainïî on lui faifoit

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donner des ordres & on les lui faifoit révoquer on l'engageoità mettre en place des Officiers, qu'il caffoit bientôt après de

tous leurs emplois. Les uns lui donnoient les plus flatteufesefpérances, & les autres lui faifoient appréhender les plusaffreux revers; tout etoit en confufion & dans le plus granddéfordre.

Cependant Ngan-lou-chan gagnoit des batailles & prenoitdes villes. Il conquit en peu de mois toute la province du Ho-nan, prit la ville de Lo-yang, où il établit là Cour dans ledeifein de fe faire proclamer Empereur; fe faifit de la fortereffede Toung-koan & fe prépara à aller mettre le iîege devantTchang-ngan qui etoit alors capitale de tout l'Empire.

A ces nouvelles j l'Empereur confterné crut que tout etoitperdu, il abandonna Tclzang-ngan, pour aller mettre les jours

en fûreté dans l'une des Provinces les plus reculées de fesEtats. Il eut à effuyer dans fa fuite tout ce qui peut affliger leplus cruellement un cœur fenfiblc. Les peuples dont on exigeoitdurement & à la hâte les provisions, les fervices, & tout cequi etoit néceffaire pour faciliter la route à l'armée qui lui fer-voit d'efcorte fe répandirent en murmures & en impréca-tions Ses propres gardes pouffèrent l'infolence jufqu'à maifa-

crer fous fes yeux l'un de fes Miniftres qu'ils regardoient

comme le premier auteur de tous les troubles il fe vit aban-donné d'une partie de fes troupes & forcé par l'autre à porterun Arrêt de mort contre la fameufe Yang-koei-fei celle de Ses

femmes qu'il aimoit le plus; & pour comble d'affliétion ceuxde fes Grands dont.la fidélité ne s'etoit point démentie juf-qu'alors, l'abandonnèrent pour fe mettre à la fuite du Princehéritier fon fils, auquel ils le contraignirent, en quelque forte;de céder l'Empire & cela, lui difoient-ils par pur zele pourles intérêts de fa Maifon qui etoit fur le point de fe le voirenlever par un perfide Etranger.

Page 383: Memoires concernant les chinoise 5

Au milieu de tant de difgraces Hiuen-tfoungreconnut fesfautes & fe déchargea fur fon fils du foin de les réparer, illui envoya les fceaux de l'Empire, & le déclara Empereur. Lenouvel Empereur, en montant fur le Trône donna à fon pèrele titre de Tay-chang-hoang ou d'Empereurau-dejjus de l'Em-

pereur régnant. Hiuen-tfoung finiflbit alors la quarante-troifiemeannée de fon règne ( c'etoit l'an de Jefus-Çhrift 756 ).

Cetevénement fut un fujet de joie pour tout l'Empire onreprit courage les fideles fujets des Tang vinrent de tous côtésfe ranger fous les etendarts du nouvel Empereur Sou-tfoung

$& ce Prince fecondé par l'iUuftre Général Kouo-tfee-y

teteignit peu à peu un incendie qui avoit failli tout confumer.Le rebelle Ngan-lou-chan après avoir été battu plusieursfois fut aflaffiné par fon propre fils, & fon parti fut entière-ment diffipé.

Âuffi-tôt que la tranquillité eut été rétablie Sou-tfoungrappella fon père Hiuen-tfoung du Fou-kïen où il s'etoit reti-ré, lui fit une Cour plus brillante que la fienne, & eut pour lui

tous les égards qu'on eft en droit d'attendre d'un fils qui a laPiété filiale gravée dans le coeur.

L'ancien & le nouvel Empereur moururent dans la mêmeannée, c'eft-à-dire Fan de Jefus-Chrifl: 763. Hiuen-tfoungetoit parvenu à la foixante-dix-huitiemeannée de fon âge, ton

corps fut dépofé à Tay-ling. Quoique ce Prince ait terni lafin de fa vie par des vices qui l'euffent rendu odieux à la-pofté-rité, s'il n'avoit eu que des vices on n'a pas laiffé de le

mettre au rang des grands Empereurs, parce qu'en effet il fitde grandes chofes. Il fut le proteâeur déclaré de tous ceuxqui fe diftinguerent tant dans les Lettres que dans les armes.Le monument de Si-ngan-fou allure qu'il le fut auffi de laReligion chrétienne. Il fit quantité d'etabliffemens utiles ildonna au premier corps de la Littérature, connu aujourd'hui

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fous le nom de Han-lin-yuen toute la forme dont il eu. fufcepti-ble, & qu'il a confervée jufqu'au tems où nous vivons. Iladoucit les Supplices des criminels abrogea entièrement ceuxde couper en pieces & de faire mourir fous le bâton. Il aimoitfes fujets comme fes enfans, & il ne manqua jamais de foula-ger leurs befoins, quand ils lui furent connus. S'il eût vécuquinze à vingt ans de moins, on pourroit le comparer auxplus illuftres Princes de la Monarchie chinoise. Ses défauts &fes vices n'ont pas empêché qu'on ne lui donnât le, titre deTang-ming-hoang-ty ce qui fignifie brillant Empereur desTang, ou Empereureclairé des Tang, titre que la poftéritéqui rend juûHce à tout le monde, a cru devoir lui conferver.Je pourrois ajouter, en Unifiant que la Religion chrétienne aété très-floriffante fous fon regne qu'il a bâti des Temples enl'honneur du vrai Dieu & qu'il a honoré les Prédicateurs del'Evangile d'une maniere très-particulière. Ce que je trouvedans l'Hiftaire confronté avec ce que dit le monument deSL-ngan-fou eft pour moi une preuve fans réplique C[u.eHmen-tfoung a bien mérité des Chrétiens.

L X I V.

Y A O-T S 0 U N G Miniftre.A,

Yao-tfoung connu dans l'hiftoire fous le nom de Yao-yuen-tché & dans les Livres de Littérature fous celui deOuen-hien qu'on lui donna après fa mort, naquit à Chan-tcheou. Il aima l'étude toute fa vie, & s'y appliqua conframmentquand il ne fe devoit pas à des occupations plus importantes.Il cultiva les Lettres mais il les cultiva en fage qui>veut s'eclai-

rer 6k s'inftrùire. Il aimoit la vertu & pratiqua fans jamaisfe démentir tous les aufteres devoirs qu'elle impofe fincérité,droiture entière cordialité entre les amis trois mots qui for.moient comme fa devife.

Page 385: Memoires concernant les chinoise 5

Il fut jufqu'à cinq fois Confeiller dans différons Tribunauxt& il y avoit apparencequ'il ne feroit pas promu à des emplois

plus distingués lorfque le hafard le fit Préfîdent par intérimpà la place de celui qui devoit exercer cette charge. Comme

il etoit fans ambition, il ne cherchoit point à fe faire des pro-teaeurs mais fon mérite & fes talens eurent occafion de fedévelopper pendant le tems qu'il exerça la préfîdence. Onparla d§ lui à l'Empereur Hiuen-tfoung, &on le lui fit envifager

comme un homme de reffourcetrès-capable de remettre enetat les affaires les plus mal en ordre.

L'Empereur avoit befoin d'un pareil homme pour régler ledépartement de Toung-tcheou il choifit Yao-tfoung & l'en-

voya dans cette ville en qualité de Gouverneur général. Yao-tfoung rétablit l'ordre & rendit compte par ecrit à fon Maî-

tre de tout ce qu'il avoit fait; il ajouta dix articles, danslefquels il renfermoit tout ce qu'on pouvoit imaginer de plusutile pour le pays & de plus avantageux pour l'Etat.

L'Empereur ayant lu fon ecrit, l'appella à la Cour, & le

plaça dans le Miniftere on lui donna le département desfrontières il s'acquitta fi bien de fon emploi qu'en peu de

tems les places furent réparées les garnifons recrutées lesmagafins remplis d'armes & de provifions de toutes efpeces

& le peuple à l'abri de toute infulte tant de la part des Tar-tares au dehors, que de la part des gens de guerre au dedans,jouit de tous les avantages de la paix.

Celle des qualités qui brilloit le plus dans Yao-tfoung, etoit

une préfence d'efprit admirable il etoit en etat de rendre rai-fon fur le champ de tout ce qui regardoit cette partie duminiftere qui lui etoit confiée & lorfqu'il répondoit aux inter-Togations que l'Empereur lui faifoit de tems en tems il lefaifoit avec tant de clarté de nobleffe & de précifion s qu'il

fatisfaifok à tout. Ce qui le mit bientôt dans la plus hautefaveur

P

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Tome'V. ° Bbb

faveur & lui donna le droit de dire hardiment fa. penfée fans,?,li

craindre de déplaire à fon Maître, qui Fecouta toujours avecplaifir lors même qu'il lui donnoit des avis fur fa conduite

en voici un trait je l'ai choifi parmi plufieurs autres & il ferale feul que je rapporterai.

L'Empereur Hiuen-tfoungetoit naturellement bon; mais fabonté dégénéroit quelquefois en foiblefle à l'égard de ceuxqu'il honoroit de fa confiance, & fe laifïok tromper par les

apparences. Yao-tfoung qui voyoit les chofes tout autremententreprit de corriger fon Maître & il en vint à bout. Un jouril tira de fon fein un ecrit qu'il lui remit en le priant de le lire

avec attention, & de réfléchir férieufement fur ce qu'il renfer-fnoit. Cet ecrit etoit conçu à-peu-près en ces termes:

En m appellant auprès de votre personne vous n'ave^ pasprétendu Seigneur que fy fuffe muet comme une Jlatue ouqueJzjfe le pcrfonnage d'un vil flatteur. Votre intention aété fans doute de vous fervir de moi pour la gloire de votrerègne & le foidagement des peuples. Pour concourir de monmieux à remplir ces nobles intentions ai cru devoir vous repré-fenter les cinq articles fuiv ans dont 1'obfervation exacle ejl de

la dernière importancepour vous.l°. Donne^ plus rarement que vous ne faites des emplois

honorables à vos favoris ne leur en donne^ jamais de ceux quidonnent autorité fur le peuple.

2°. Diflribuer vos dons avec difcernement les rêcompenfesdoivent être proportionnées aux fervices il vaudroit mieux ne.

pas donner que de donner à la faveur plutôt qu'au mente.

3°. Appelle^ auprès de votre perfonne ceux qui ont ajfe^ de

lumières pour vous éclairer, & affe^de courage pour vous repren-dre de vos fautes.

4°. Refufe^ tous les préfcns qui vous font offerts par les

Page 387: Memoires concernant les chinoise 5

• Mandarins des Provinces; ces fortes de préfens ne font pourl'ordinaire que lafubflance du pauvre peuple.

50. Ne vous familiarife^ pas trop avec le commun de vosGrands. Choififfe^-enparmi eux quelques-uns qui J 'oient dignes de

votre confiance par leur vertu, & qui ne foient point flatteurs

vous pourrez en faire vos amis, les élever jufqu à vous &

vous abaiffer jufqu à eux.L'Empereur lui fut gré de fa remontrance & en profita.

Yao-tfoung continua à fervir fon Maître avec zele, fidélité &défmtéreflement. La plus eltimable de fes qualités dirent lesHiftoriens etoit de favoir tirer parti de tout pour la gloire del'Empire & le foulagement des peuples. Il n'avoit aucun fyftêmefixe, continuent-ils, mais il mettoit à profit toutes les circons-tances pour parvenir à fon but. Très-iatisfait de fes fervicesl'Empereur lui donna en récompenfe la Principauté de Leang-ouen-hien avec titre de Comte.

Vers le milieu de la neuvieme année de Kai-yuen c'eft-à-dire, l'an de Jefus-Chrift 721 il tomba dangereufementmalade & comprit qu'il n'etoit pas eloigné de fa fin. Il aflem-bla autour de fon lit fa famille eplorée &-lui tint ce difcours,que l'hiitoire n'a pas dédaigné de tranfmettre à la poftérité. Levoici tel qu'on le lit fous la neuvieme année de Kai-yuen.

Fo recommande la pureté la retraite la charité & la miféri-corde ces vertus font comme la bafe de. fa docirine elles enfont au moins les points capitaux. C'efl ce qui a fervi d'appât

pour tromper les fimples ils ont embrajfé cette docirine ils ontécrit des Livres de Prieres qu'ils récitent en l'honneur de celuiqu'ils en regardent comme l'Auteur ils lui ont érigé des flatuesauxquelles ils rendent hommage & fe perfuadent par-là qu'ilsattireront fur leursperfonnes & fur leurs famillgs les profpéritès& le bonheur. Gardez-vous bien mes enfans de vous laijferféduire.

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Dans le Royaume de Tcheou on abolit la doctrine de Fo

on renverfd fesjlatues ? on brûla fes Livres & ait lieu d'em-ployer fon tems & fes foins à lui rendre hommage, & à luiadrejjer des prières Jlériles on s'appliqua à foyer des armes& à s'exercer à les manier. Dans le Royaume de Tfi au contrai-re, on eleva un grand nombre de temples & de tours en P honneurde Fo. L'on fit grand cas de fa doctrine on lui adreffoit fansceffe des vœux pour obtenir d'en être protégé mais on négligeale gouvernementles loixfurent fans vigueur. Quarriva-t-il ?La guerre s'alluma entre ces deux Royaumes les Tcheouvain-quirent les Tfi détruifirent leur Royaume & agrandirent leleur fur les ruines de celui qu'ils anéantirent. Pour vous, mesenfans ne vous laijfe^ jamais entraîner par le torrent des mau-vais exemples que les Ta-ho-ché & les Ho-chang n'aientjamais accès auprès de vous fous prétexte de les employer àdemander pour vous le bonheur. Vous l 'obtiendrez ce bonheur tJîvous mene^ une vie exemte de tout reproche fi vous ne vousoublie^ jamais vous-mêmes. Attachez-vous à la doctrine immua-ble qui ne fauroit périr.

Telles furent les dernieres paroles qui fortirent de la bouchede ce fage Miniftre dans un teins où la Religion chrétienneetoit flonffante à la Chine, & avoit des protecteurs à la Cour.Il n'eil pas hors de vraifemblance que cette doclrine immua-ble, à laquelle Yao-tfoung ordonne à fes enfans de s'attacherpréférablement à toute autre ne foit la Religion chrétienneelle-même. Quoi qu'il en foit, Yao-tfoung mourut, finon enChrétien, du moins en homme qui s'etoit toujours conduit àla lueur du flambleau de la raifon.

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L X V.

S 0 UN G-K IN G, Savant.

Soimg etoit le nom de fa famille il avoit pour nom propreKing, & pour furnom Ken-kiè. Il vécut toujours d'une maniereirréprochable & fa conduite etoit un modele à propofer. Ilfut d'abord Mandarin dans un lieu affez obfcur emploi qui nel'occupoit pas affez pour l'empêcher de vaquer à l'étude &de cultiver la poéiîe dont il faifoit fes délices.

Il compofaune pièce, dont le titre etoit Mei-hoa-fou c'eft-à-dire, eloge de la fleur Mei-hoa c'eft une des plus bellespieces qui fe foient faites en ce genre. On y trouve tout à lafois la noblefle des idées la clarté du ftyie la pureté du lan-

gage, & le choix des expreffions. Sa maniere n'eft pas infé-rieure à celle de Siii-yu-tché, & va de pair avec celle de Nan-tchao. C'eft par cette piece que commença fa fortune ilvenoit d'y mettre la derniere main, quand un Grand de l'Em-pire, nommé Sou-oucï-tao homme de Lettres & en faveur,paffa dans le bourg où demeuroit Soung-king. Celui-ci luirendit fes devoirs fuivant l'ufage & au lieu du préfentd'etiquette qu'il devoit lui offrir, il lui préfenta fon Mei-hoa-fou en lui difant Celui-ci du moins ejl de mon cru. Si j'avoispu tirer de moi quelque chofe de mieux je vous en ferois égale-

ment mon Jîncere hommage. S ou-ouei- tao fut fi content, & dupréfent & de la manière dont il lui etoit offert, qu'il prit dès-lors fous fa protection un Auteur dans la converfation duquelil apperçut d'ailleurs un mérite des plus diftingués. De retourà la Cour, il parla du Poëte comme d'un homme auquel onpouvoit confier les emplois les plus diftingués. Soung-king futélevé fucceffivement à différentes- charges qu'il exerça avectant de fagefle & d'applaudiffement que l'Empereur voulut

Page 390: Memoires concernant les chinoise 5

l'avoir auprès de fa perfonne, il le fit Confeiiler d'Etat &enfuite Miniftre.

Dans ce dernier pofte, Soung-kLng lié d'amitié avec Yao-tfoung .dont il eroit le collegue mit tous fes foins à faire fleu-rir la partie du gouvernement qui lui eroit confiée. Il vécuttoujours d'une maniere irréprochable, & fa conduite pouvoitêtre propofée comme un modele même aux plus fages iletoit chafte magnanime, intrépide quand il s'agiffok de pro-pofer ou de faire quelque chofe qui eût le bien communpourobjet inflexible quand il s'agiffoit de corriger un abus & defaire rentrer dans l'ordre ceux qui s'en etoient ecartés fincere

envers fon Maître dont il ne s'avisa jamais de pallier lesdéfauts enfin jufte envers tout le monde fans aucun egardpour les recommandations de quelque part qu'elles puffentvenir c'eft ce qui faifoit dire de lui qu'il etoit conftruit

autrement que les autres hommes. La nature, difoit-one

lui a donné un cœur de pierre & des entrailles de fer vou-lant exprimer par-là fon incorruptibilité à toute épreuve. Onfavoit d'ailleurs qu'il compatiffoit aux miferes du peuple &qu'il n'oublioit rien pour les lui adoucir; qu'il etoit toujoursporté à rendre fervice pourvu que cela pût fe faire fans man-quer à fon devoir, & qu'il ne travailloit que pour le bienpublic. Ce fut lui qui fnggéra à l'Empereur l'idée de fonder unhofpice où ceux que leurs affaires appelloient à la capitalepuffent trouver tous les fecours néceffaires en cas de maladie

ou de défaut d'argent. Ce fut lui encore qui obtint de l'Empe-

reur, que ceux qui etoient prépofés pour ecrire l'hifroire tra-vailleroient alternativement dans le bureau des Miniftres pourl'expédition des affaires. Il etoit p.crfuadé qu'un Hiftorien qui

ne feroit qu'homme de Lettres ne les cnvifageroit jamais fousleur véritable point de vue, & qu'il les préfenteroit même fortfouvent tout autres qu'ellesne font. IL croyoit aufii que pour

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PORTRAITSw M nbien écrire les faits il ne fufïifoiî pas d'en avoir eté témoinl

mais qu'il falloit outre cela être inftruit de ce qui les avoitoccasionnés & en avoir démêlé les véritables fuites. Or, difoit-il, le bureau des Miniflres etant le centre où abouàffent toutesles affaires de £ 'Empire c'eji-là feulement qu'il peut fe formerde bons Hifloriens.

Un homme en place du caractère de ~o?/y!g-~M~ devoitnéceffairement faire des mécontens il en fit même parmi fescollegues, au fentiirent defquels il s'oppofoit fouvent avecforce. L'Empereur le voyant d'un âge fort avancé (il avoitfoixante-dix ans ) lui confeilla de fe retirer. Saung-king nedemandoit pas mieux, il fe démit de tous fes emplois à ladixieme lune de la vingt-unième année de Kaï-yuen ( l'an deJefus-Chrift 733 ) fe retira à Lo-yang & mourut quatre ansaprès, la vingt-cinquieme année de Kaï-yuen ( l'an de Jefus-Chrift 737 ), dans la foixante-quinziemeannée de fon âge.

L X V I.YEN-TCHEN-TSING,Savant.

Le nom de fa famille etoit Yen, fon nom propre Tchen-tfing & fon furnom Tfing-tcheng. Il fe diftingua par fa capacitédans les fciences par fon habileté dans l'art des Poëtes parfa fidélité envers l'Empereur fon maître, par fon attachementà la famille Impériale & par fon intrépidité à affronter lesdangers lorfqu'il s'agiffoit du bien de l'Etat.

Après avoir reçu les différens grades de Littérature il paiïa

par les différens degrés de Mandarinat. Il etoit Gouverneurde la ville de Pïng-yuen lors de la fameufe révolte de Ngan*lou-chan. Déjà les armées de l'Empereur avoient été battues,grand nombre de villes avoient été prifes par le Rebelle, ous'etoient rendues à lui pour fe fouftraire-aupillage & à la fureur

Page 392: Memoires concernant les chinoise 5

des foldats. Des provinces entieres reconnoiffbientdéjà Ngan-lou-chan pour maître, & on etoit fur le point de voir unerévolution totale. La bonne conduite le zele & la fermetéde Yen-tchen-tjîngarrêterent fes progrès.

Ngan-fou-chan. le méprifoit fi fort qu'il ne voulut pasmême envoyer des troupes contre lui. Il paiïa devant Ping-yuen fans en entreprendre le fiege & fansmêmes'arrêter.Le Gou-

verneur de cette place, dit-il à fes Officiers, fait tous Les livrespar cœur il fait très-bien des vers & compofe avec éloquence

til ne fait combattre que le pinceau ci la main nous aurons faville quand nous voudrons allons au plus preffé. Ce fut ce-pendant ce Lettré qui interrompit le cours de fes vi&oires &qui lui enleva dix-fept villes avec fon feul pinceau. Yen-tchen-tjîng écrivit avec force à tous les Gouverneurs qui avoientrendu leurs places, pour les engager à fecouer un joug étran-

ger, à ranimer le courage du peuple & à faire tous leursefforts pour rentrer fous l'obéuTance du légitime Souverain.Il répandit par-tout des copies de fes lettres; il follicitoit ilprioit, il preffoit, il donnoit des efpérances; il fit fi bienenfin que tous les fideles fujets de l'Empire fe raflemblerent

en plufieurs corps d'armées, & donnerent par-tout la chaffe

aux rebelles.L'Empereur Hiuen-tfoung dont il avoit été un des maîtres

pour la poéfie & l'éloquence, ne crut pas pouvoir mieux récom-penfer fan zèle qu'en le rappellant auprès de fa perfonne. Il lui

donna les emplois les plus diftingués & le nomma Prince deLou-kiun. il l'appelloit publiquement le foutien de fa famille

& le reftaurateur de l'Empire.Un fi haut degré de faveurfoutenu par beaucoup de mé-

rite & une conduite irréprochable, ne pouvoit manquer defaire ombrage & d'exciter l'envie. On effaya toutes fortes de

moyens pour tâcher de le perdre dans l'efprit de l'Empe-

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reur; on affe£toit de le lui faire envifager comme un pédant quir.'etoit: bon qu'à expliquer des livres ou à compofer quelquespieces d'éloquence & de poéfie l'on difoit fans celle qu'iln'entendoit rien aux affaires, & qu'il n'etoit propre qu'à lesfaire échouer on alla plus loin, on lui fuppofa des fautes dupremier ordre; mais tout cela fut inutile. L'Empereur l'excu-foit fur tout, & continua à l'aimer & à le combler de bien-faits & d'honneurs. On changea de batteries après la mort deHitien-tfoung & de Ou-tfoung & l'on réuffit.

Quoique la plupart des révoltés fuffent rentrés fous le joug^,

il en reçoit encore affez fur-tout du côté de la Tartarie,pour donner de l'inquiétude à Te-tfoung qui venoit de mon-ter fur le Trône. Ce nouvel Empereur etoit réfolu de lever

une nombreufe armée pour l'envoyer contre Ly-hi-lie, quiinfeftoit les frontières, & maffacroit fans miféricorde, qui-

conque lui réfiftoit ou ne payoit pas promptement les con-tributions auxquelles il etoit taxé. On perfuada à l'Empereur

que la force etoit inutile pour réduire un homme qui avoit

toute la Tartarie devant lui quand même il ne fe trouveroit

pas à la tête d'une greffe armée toute compofée d'hommesaguerris & accoutumés à vaincre. On ajouta qu'en employant

ia voie de la négociation on pourroit engager ce tyran féroceà rentrer dans fon devoir. On fit un grand eloge des talensde Yen-tcken-tjîng & l'on conclut que fi SaMajefté l'envoyoit

vers Ly-hi-lie pour l'engager à fe foumettre, il réuffiroit in-failliblement.

L'Empereur qui eftimoit infiniment Yen-tchen-tjîng & quietoit bien-aife d'ailleurs de ne pas commencer fon regne parune guerre qui pouvoit avoir des fuites très-funeltes pour toutl'Empire, fi elle ne réuffiffoit pas fut charmé de cette ouver-ture, & fe perfuada fans peine ce qu'il fouhaitoit. Il crut quel'éloquence de Y en-tchen-tjîng triompheroit de la férocité du

rebelley

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rebeiie & fe détermina à le lui envoyer avec un plein pou-voir de terminer tout, à l'amiable comme il le jugeroit à-propos. Yen-tchen-tjîng fe difpofa à exécuter les ordres del'Empereur, malgré les repréfentatiorïs de fes amis qui luiconfeilloient de refufer une commiffion qui ne pouvoit quelui être funeile. C'eji pour vous eloigner de la Cour & pourvous faire périr de maniere ou d'autre, lui dirent-ils, que vosennemis ont inventé ce Jlratagême exeufe^-vousfur votre grand-âge. Je n'en ferai rien, leur répondit-il, il faut que j 'obéijfe

& plus la commiffion ejl périlleufe moins il m'eji permis de

mexeufer: ci l'âge où je fuis je dois fervir £ exemple. Je péri-rai, à la bonne heure mais f aurai la confolaiion d'avoirterminé le cours de ma longue vie au fervice de mon Souve-rain, & de fgner s'il le faut, ma fidélité cie mon fang.

Il partit en effet vit Lj-hi-lie fit tous fes efforts pour le

gagner: mais en vain ce barbare loin de fe rendre, voulutexiger de lui des refpefts qui ne font dus qu'à la perfonne del'Empereur ce que n'ayant pu obtenir il le fit maffacrerinhumainement, fans egard pour fon âge qui etoit de 76 ans

ni pour la dignité dont il etoit revêtu, l'an de Jefus-Chrift 780.

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L X V I I.T O. U-F O U Poëte.

Ton-fou, autrement dit Tfee-mei naquit à Klng-tcheoude la province de Chen-jî. Il paffa fa jeuneife dans une pau-vreté extrême. Comme il avoit beaucoup d'efprit, fes parensle firent etudier. Il fe livra à l'etude avec toute l'ardeur dontil etoit capable mais il parut n'y réuffir que très-médiocre-

ment. Il fe préfenta pluueurs fois à l'examen pour obtenir les

grades mais ce fut en vain ce qui le rendit encore plus àcharge à fa famille & le priva des foibles fecours qu'il enrecevoit auparavant.

Convaincu par fon peu de fuccès, qu'il n'etoit pas propreà expliquer, ou commenter les King, il renonça aux grades& à tous les avantages qu'il en efpéroit pour l'avancement defa fortune. Il avoit appris à faire des vers, il devint Poëte. Il

ne fut pas long-tems fans s appercevoir que laPoéfie etoit fon

genre & qu'il etoit fait pour y réunir. Il s'y livra & com-pofa plufieurs pieces qui lui firent un nom clans la républiquedes Lettres. Quelques Seigneurs le prirent fons leur protection& le firent connoitre. Enhardi par fes fuccès fon génie fedéveloppa & s'étendit. Il embraffa pour ainii dire tous les

genres à la fois. Il devint cloquent, fublime délicat & brillant.Ses amis croyant qu'il pouvoir paroître avec honneur dans laCapitale de l'Empire lui facilitèrent les moyens de s'y tranf-

porter & d'y vivre quelque tcms fans avoir befoin de fecours

étranger.Tou-fou fe rendit à Tchang-ngan où l'Empereur tenoit alors

fa Cour. Quelques lettres de recommandation qu'il avoit appor-tées de fa province lui ouvrirent l'entrée de plufieurs grandesmaifons où il eut occafion de faire des connoiffances utiles»

Page 396: Memoires concernant les chinoise 5

On le produisît dans les meilleures compagnies; il eut l'art d'ybriller fans pédanterie de s'y faire aimer fans prodiguerl'adulation, & de s'attirer l'eftime générale fans faire desjaloux. Il etoit tout à la fois homme de cabinet & Poëtehomme de fociété & Littérateur.

Parmi les différentes produirions de fon génie, il s'en trouvatrois fur-tout qui enleverent tous les fuffrages c'etoient troisPoèmes de ceux que les Chinois appellent Sou le premieretoit intitulé Tay-tjîng-koung-fou c'eft-à-dire les Palais fanstaches Eloge Poétique le fecond avoit pour titre Hiano-miao c'efl-à-dire les Temples des Sacrifices & le troifiemefàifoit la dcfcnpdon & l'éloge de l'Autel rond Kiao. On préfentaces trois pièces à l'Empereur Hiuen-ifoung qui en fut charméil voulut voir l'Auteur le reçut avec bonté eut avec lui uneaffez longue converfation & en le renvoyant il lui dit qu'il lenommoit Mandarin du titre Ki-fien-yuen-tai-tché chargehonorable, mais très-peu lucrative. Elle eût comblé les vœuxd'un homme à fon aife mais elle etoit un vrai fardeau pour unhomme qui avoit à peine de quoi vivre. Il fallut néanmoins

que Tou-fou s'en accommodât, ce qu'il fit avec répugnance

parce qu'elle le privoit des fecours' pécuniaires qu'il recevoit

auparavant de fes protecteurs & de fes amis.Quelque tems après il fut appellé à la Cour pour y exercer

un emploi plus honorable que celui qu'on lui faifoit quitter,quoique moins lucratif encore. Il avoit la facilité de voir leSouverain & de s'entretenir familièrement avec lui. L'Em-

pereur le goûtoit lui faifoit faire des vers mais il ne l'en-richiffoit pas. Ennuyé de vivre d'efpérance Tou-fou pritle parti de parler enfin clairement; il compofa un Soung

dans lequel, après avoir fait reloge de fes propres ancê-

tres, il s'adreffa à l'Empereur & lui dit La Littérature efi

le patrimoine de ceux de ma race je fuis Littérateur à la

Page 397: Memoires concernant les chinoise 5

</0!/M ,.¡,j~/2 ~OMVC~gMt-Monzième génération je doute qu'il s'en trouve plujîeurs dans

toute l'étendue de votre vajle Empire qui puijfent en dire au-tant. Depuis la fepaeme année de mon âge jufquà la qua-rantième que je cours à préfent, je n'ai fait autre chofe qu étu-dier, lire, ecrire, compofer des pièces d'éloquence & faire des

v.ers. J'ai acquis quelque réputation, mais point de bien; je fuisdans la plus grande mifere. Quelques herbes falées & un peu de

ri^font toute ma /ZOK/M/'C tous /72~J ~MC/n~nj confzflent dan,e

l'habit que j ai fur le corps. Si Votre Majefléneje hâte d'y mettreordre elle doit s'attendre, au premier jour à entendre' dire

que le pauvre Tou-fou ejl mon de froid ou de faim il ne tientqu'à elle de s* épargner ce tri/le récit, ou en me fecourant fi elle

me croit utile à fan Jervice, ou en me renvoyant jï je ne lui fuisbon à rien.

L'Empereur eut egard à cette jufle repréfentation il affignaà fon Poëte une penfion fuffifante pour le faire vivre à faife,& la lui fit payer d'avance en lui promettant de plus grandsbienfaits pour l'avenir. Tou-fou ne profita pas long-tems de lalibéralité du Prince cette année même arriva la révolte deNgan-tou-chan & l'Empereur ayant abandonné fa capitale,

pour aller fc mettre en fùrc-té dans l'une des Provinces reculéesde fes Etats, Tou-fou ne jugea pas à propos de le fuivre. Leschaînes qui rattachoient à la Cour etoient trop pefantes pourun homme qui n'aimoit rien tant que la liberté il profita de

cette occafion pour les rompre & fe fauva de fon côté dans

un lieu inacceffible aux recherches; il y vécut quelques moisdes fruits qu'il alloit cueillir &. des racines fauvages qu'ilpréparoit lui-même. Son corps etoit devenu d'une maigreurextrême & fon habit n'etoit plus qu'un haillon. Dans cet etatil apprit que S ou-tfoung venoit de monter fur le Trône à laplace de Hiuen-tfoung qui abandonnoit les rênes du gouverne-ment. Il crut que ce nouvel Empereur le verroit avec plaifir

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il alla l'attendre fur le grand chemin par où il favoit que cePrince devoit paffer mais il y fut à peine arrivé qu'unparti de rebelles qui faifoit ravage aux environs fe fait'it defa perfonne & l'emmena au gros de l'armée de Ngan-tou-chan il fe nomma pour n'être pas maltraité & quelques Offi-ciers fe fouvenant d'avoir oui parler de lui comme d'un hommecélèbre dans l'Empire, voulurent le produire auprès du Géné-ral. Quelques-uns de vos gens dirent-ils à Ngan-tou-chan ontpris fur le grand chemin le plus grand Poète de l'Empire fi vousvoulez-le voir nous vous l'amènerons ici j & fi vous voule^ legarder il pourra vous amttfer dans vos heures de délaffement.

Quel animal efî-ce qu'un Poète répartit Ngan-tou-chan, &

quels tours fait-il faire- ? Un Poëte, lui répondit-on efl unhomme qui fait des vers & qui exprime en termes choijis & enphrafes mefurées ce que nous n exprimons nous autres qued'wie manière commune & en termes triviaux j & ce Poèterepliqua Ngan-tou-chan fait-il mieux fe battre que nous? s'ilefl bon Guerrier je le verrai volontiers & je lui donnerai deï emploi i fi ce nefi qu'un ajujleur de paroles je n ai pas befoui

de lui il ne f croit que m anbarraffer ici.Sur ce difcours d'un Général Tartare qui ne favoit ni lire

ni écrire on laiffa Ton-fou entre les mains de ceux qui l'avoientpris; & Tou-fou profitant de la négligence qu'on avoit à legarder, par le peu.de cas qu'on faifoit de lui, trouva le moyende s'échapper & fe rendit à la Cour. L'Empereur Sou-tfoungle vit avec piaifir le retint auprès de lui, & le fit un de fes

Cenfeurs. Dans ce nouveau polie Tou-fou plus honoré qu'il

ne l'avoit été j ufqu'alors ie lia d'amitié avec la plupart desGrands. Il avoit en tant que Poète acquis le droit d'avoirdes caprices il ufoit afiez fouvent de ce droit & perfonne nes'en formalifoit. Il etoit obligé, par office d'avertir quelque-

fois le Souverain,, & il s'acquittoit de ce devoir en homme

Page 399: Memoires concernant les chinoise 5

au-deffus de toute crainte, fans que l'Empereur le trouvât

mauvais.Cependant, la maniere trop libre dont il s'exprimoit quel-

quefois, en parlant au Prince, dans des momens où tout autreque lui fe feroit tu, faillit à le perdre pour toujours. Sang-koan, l'un des Miniftres d'Etat, avoit mérité la difgrace defon Maître & il fut cafle. Tou-fou prit hautement fa défenfe,& ofa même blâmer l'Empereur de fon trop de févérité enversun homme qu'il avoit honoré de fa confiance & fur lequel il

s'etoit déchargé d'une partie du gouvernement. Il ejî contre la-

bonne politique Seigneur lui dit-il, de difgracier un Minière

pour de petites fautes fi ceux qui vous fervent font toujoursdans la crainte, vous ne fere^ environné que de vils flatteurs,qui vous applaudiront jtifques dans vos excès les plies crians.Lafaute dont San-koan s'efl rendu coupable envers vous n'étant

pas de celles qui intireffent l'Etat ne méritoit tout au plus qu'uneréprimande de votre part. Vous l'ave^ caffé fans prendre confeil

de perfonne de quel nom voulez-vous qu'on appelle cette con-duite ? Si on lui donne celui qui convient on dira que c'efi le

caprice, ou quelque paffion qui vous a fait agir &c.Le ton de cette remontrance etoit trop dur pour être ecou-

tée de fang froid. L'Empereur s'en offenfa & dans le premiermouvement de fon indignation il ordonna que Tou-fou feroitlivré au Tribunal des crimes pour y être jugé comme un fujetqui manquoit de refpeft à fon Souverain. Tchang-kao pre-mier Miniftre qui etcit préfent à cette fcene para le coup

en faifant entendre à l'Empereur, que s'il maltraitoit ainfi ceuxqui lui donnoient des avis, perfonne n'oferoit plus déformaislui faire la moindre repréfentation, & qu'il ignoreroit, dansles occafaons effentielles ce qu'il feroit néceffaire qu'il fût.L'Empereur s'appaifa & révoqua l'ordre mais peu de temsaprès il donna à fon Cenfeur indifcret un emploi honorable

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qui l'eloignoit de la Cour. Il le fit Gouverneur d'une ville dufécond ordre qui fe nommoit alors Hoa-tcheou.

Toù-fou partit pour fe rendre à fon porta il fut fort furpris

en y arrivant, du défordre extrême qui régnoit dans tous leslieux de fon diflrift. Il comprit que s'il entreprenoit d'y remé-dier, il devoit s'attendre à effuyer bien des chagrins, au rif-

que même de perdre fon tems & fa peine fans pouvoir réufîir.La liberté dont il avoit toujours fait fi grand cas, fc préfenta

en même tems à fon efprit, revêtue de tous fes arrraits; iln'hérita pas fur le parti qu'il avoit à prendre. lie jour déftiné ààprendre publiquement pQffeiîîon de fa charge après que i'af-femblée eut eté formée, il fe dépouilla de tous les ornemensqui le faifoient connoître pour ce qu'il etoit les plaça fur unetable, leur fit en préfence de tout le monde une profonderévérence & s'eclipfa. Cette manière de s'excufer d'un emploi

pour lequel il ne fe fentoit point propre, avoit eté autrefois

en ufage & Tou-fou profita de fa qualité de Poète à caprices

pour la faire revivre fans qu'on s'en formalifât trop.Il fe retira à TJing-tcheou où il ne vouloit pas fe faire con-

noître, de peur qu'on ne l'arrêtât. Il n'avoit point d'argent

pour fe procurer de quoi vivre il fe mit à courir les champs,& y vécut de fruits fauvages & de quelques racines qu'ilalloit apprêter lui-même dans la cabane du premier payfan.Cependant, comme l'hiver approchoit il penia aux moyensde fe procurer de quoi pourvoir à la fubfiilance pendant cetems où il lui feroit impoffible de trouver en pleine campagnede quoi fe nourrir. Il ne lui vint point d'autre expédient quecelui de vendre à quelque homme de Lettres pécunieux, cellesde tes pièces de poéfîe qu'il n'avoit point encore rendues publi-

ques. Il fe rendit à la vilie, & eut bientôt trouvé ce qu'il cher-choit, mais il trouva auriï ce qu'il ne cherchoit pas. Il fut

reconnu, & le principal Mandarin du lieu écrivit en Cour_,

Page 401: Memoires concernant les chinoise 5

que Tou-fou etoit dans les lieux de ion difcricT: où il rnenok

une vie indigne du nom qu'il portoit, & de la réputation dontil jouiffoit dans tout l'Empire. Il demanda s'il devoit l'arrêter,

ou lui donner quelques fecours. Pour toute réponfe ce Man-darin reçut pour Tou-fou un brevet par lequel l'Empereur lenommoit Commiffaire général de tous les greniers du diftricl

a

avec ordre de lui dire que Sa Majefté le placeroit ailleursquand il feroit ennuyé du féjour de TJing-tcheou. Le Mandarinfit ce qu'on lui ordonnoit, il profita de la premiere occaflonqui ramena Ton-fou à la ville pour lui remettre le brevet dontil etoit chargé pour lui mais Tou-fou qui ne vouloit pointd'emplois qui pût gêner le moins du monde fa liberté refufade l'accepter Vous voies trompe^ dit-il au Mandarin, ce n'efl

point à moi que ce brevet s'adrejfe je ne fuis pas votre homme

faites vos diligences pour le trouver. Le Mandarin eut beaudire, il rie lui fut pas poffible de vaincre fon obftination.

Tou-fou fe voyant connu à TJing-tcheou abandonna lesenvirons de cette ville, & fe retira à Kien-nan, où il vécut dela même manière à-peu-près qu'il avoit fait à TJing-tcheou

>•

mais il n'y fut pas fi long-tems fans être découvert. Un Sei-

gneur, nommé Yen-ou qui etoit là commandant des troupes,& Gouverneur général de tout le pays fut bientôt inftruit partes foldats, qu'un aventurier, qui paroiffoit vouloir déguiferfon nom, avoit choifi Kien-nan pour le lieu de fon féjour.Yen-ou coiinoiffoit Tou-fou de réputation il fe douta que cepouvoit être lui il fit fecretement fes informations & fondoute s'etant tourné en certitude il fe transporta fans cortegedans le petit réduit qui fervoit de logement à Tou-fou. Je fuisle Commandant du lieu lui dit-il en l'abordant, & vous êtesTou-fou. Je viens vous offrir mon amitié eu ma haine c'eji àvous de choifr vous voule^ mon amitié, il faut m'accorderla vôtre 6' venir loger chez moi; nous vivrons enfemble comme

fr-ercs5

Page 402: Memoires concernant les chinoise 5

frères & nous aurons grand foin de ne pas nous gêner mutuel-lement. Vous mangere7L à ma table ou en particulier commevous le voudre^i vous vous retirerez dans votre appartementquand vous' voudre\ être feul j'en ferai de même. Vous ne meverre^ qu'autant que cela vous fera plaifir je vous dirai de moncôté de me laiffer tranquille quand mes affaires le demanderontainji ou que je ne ferai pas d'humeur à converfcr. Vous me lire^

vos pieces de vers quand vous le jugere^ à propos; je les ecou-cerai quand elles me feront plaifir & je vous prierai de voustaire Ji elles m'ennuient. Voilà mes conditions les acceptez-vous ?Au défaut de mon amitié N'allé^ pas plus loin interrompitTou-fou vous êtes un trop galant homme pour vouloir haïrquelqu'un qui ne vous a point fait de mal j'accepte avec recon-noijfance le don que vous me faites ji génèreufement de votreamitié y dès ce moment je fuis tout à vous rendons-nous de ce

pas à votre hôtel & cimentons notre alliance par un bon repasiil y a 'ong-tems que je n'en ai fait de tel.

Yen-hou conduifit chez lui l'ami dont il venoit de faire l'ac-quifition, lui affigna des domeftiques pour le fervir, & quel-

ques appartemens commodes qui ne furent qu'à fon ufage9

pour tout le refte il lui tint la parole qu'il lui avoit donnée dele laiffer parfaitement libre. Il fit plus, il voulut affurer à celuidont il fe faifoit le protecteur & l'ami un rang & une fortunequi fùTent difparoltre aux yeux du public cette inégalité qu'il

y avoit entr'eux. Pour cela il ecrivit à l'Empereur, & le fuppliade vouloir bien nommer Tou-fou à une place de Confeillerhonoraire dans le Tribunal des ouvrages publics, afin qu'il pûtpréfider, en cette qualité, aux entreprifes qu'on alloit com-mencer pour la réparation des maifons impériales des grandschemins, des greniers & des murailles des différentes villesde fon département. Il affura Sa Majefté qu'il auroit l'œil à

tout pour que tout fe fit dans l'ordre. L'Empereur lui accorda

Page 403: Memoires concernant les chinoise 5

fa demande & Tou-fou fe trouva fans l'avoir follicité fans

le favoir même, revêtu d'une charge avec des appointe-

mens qui le faifoient aller de pair avec ce qu'il y avoit de plusdifHngué dans la province où il faifoit fon féjour.

Rien ne pouvoit être plus à fon gré qu'un emploi de cettenature pour lequel il ne faifoit que prêter fon nom. Il ytrouva tout à la fois, l'honneur, le profit, & fur-tout l'indé-pendance, dont il faifoit plus de cas que de toute autre chofe.Aufli commença-t-il dès-lors à jouir véritablement des douceursde la vie, après en avoir bu à long traits toutes les amertumes.Il fe livroit aux divertiffemens & aux plaifirs de la table faifoitdes parties de promenade ou compofoit des vers, tandis quefon illuftre protecteur furchargé par le grand nombre d'affai-

res attachées à fon propre emploi, veillait pour lui à toutescelles dont il auroit dû s'occuper.

Un bonheur fi peu attendu, je devrois dire, fi peu méritédura tout le tems que Yen-ou vécut encore c'eft-à-dire l'ef-

pace de fix ans mais après la mort de ce Seigneur, les affaires

ayant changé de face, & Tou-fou n'etant point en état defaire les tiennes par lui-même il abandonna tout & fe mit à

voyager.Après bien des courfes, il fe fixa à Ley-yang non loin de

Hen-chan célèbre montagne de la province du Hou-koang.Il y vécut à-peu-près comme il avoit fait à Tfing-tcheou à cettedifférence près qu'il s'y trouva à l'abri de la mifere par laprévoyancebienfaifante de Ken-ou, qui en mourant, ordonnaà fes héritiers de faire toucher à l'inconftant Poète une penfionannuelle par le Mandarin du lieu qu'il choifir oit pour êtrecelui de fon féjour.

Vers le milieu des années dénommées Ta-fy du regne dufecond Tay-tfoung huitième Empereur des Tang, c'eft-à-dire, vers l'an de J. C. 77 2, Tou-fou voulut aller examiner quel-

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ques mafures qu'on difoit être les reftes d'un edifice antiquequi etoit déjà fur pied du tems du grand Yu il falloit pafferla riviere pour fe rendre à l'endroit, & cette riviere par la

crue de fes eaux, avoit déja inondé quelques environs letems couvert menaçoit d'un orage prochain. Le Manda-rin qui le logeoit dans fa propre maifon à la prière deshéritiers de Yen-ou fit fon poffible pour lui perfuader de diffé-

rer ce petit voyage tout fut inutile il partit, & arriva nonfans beaucoup de peine, à l'autre côté de la riviere, qui com-mençoit à n'avoir plus de bords. Par furcroît de malheur, ilfurvint une pluie des plus abondantes qui acheva de tout inon-der, & de faire de la campagne un étang. Tout ce que putfaire l'imprudent Tou-fou ce fut de grimper jufqu'à un Miaoabandonné qui etoit fur le penchant de la montagne il s'ytrouva à l'abri de l'orage mais non pas à l'abri de la faim, carle Ciel continuant à décharger fes eaux & la riviere groffif-fant de plus en plus il ne lui fut pas poffible d'aller chercherfa nourriture ailleurs. Il vécut pendant dix jours de quelquesracines crues qu'il arracha d'entre les fentes des rochers.

Cependant le Mandarin ne le voyant pas revenir fit fesdiligences pour l'aller chercher il fit lier des planches les unescontre les autres, & en forma une efpece de radeau, furlequel il ne dédaigna pas de s'expofer lui-même, pour aller aufecours d'un homme dont il faifoit cas. Il manda les bateliersles plus expérimentés & les plus courageux & traverfa aveceux la riviere & les campagnes inondées. Il arriva enfin à l'en-

droit où etoit Tou-fou qu'il trouva tout exténué & à demi

mort de faim; il lui fit prendre quelques rafraîchiffemens &le fit porter à fa maifon de Ley-yang. t;

La joie qu'il eut d'avoir fauvé la vie à cet homme célèbre

lui fit faire une imprudence qui rendit inutiles toutes les peinesqu'il venoit de prendre. Il donna un grand repas & Tou-fou

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fe mit à la tête des conviés. L'abondance des mets & fur-toutle bon vin, lui firent oublier que fon eitomac affoibli par dixjours d'une abftinence forcée n'etoit pas encore en état defaire fes fonctions. Il mangea beaucoup & but encore davan-

tage il fe retira pour prendre fon repos, le lendemain on le

trouva mort.Ses Ouvrages difperfés, çà & là, dans les porte-feuilles

des curieux, furent ramafîes avec foin, & donnés peu après

au public. Ses pieces fugitives ainu" que celles de Ly-pê font

encore aujourd'hui les délices des gens de Lettres comme il yen a fur toutes fortes de fujets, on en trouve dans prefque

toutes les maifons fur les buffets dans les f alles dans les cui-fines même, & fur les eventails.

L X V I I I.L Y-P E, Poète.

Voici encore un Poëte de la même trempe à-peu-près9

que celui dont je viens d'expofer, en peu de mots, les talens& les caprices. Tou-fou & Ly-pê etoient contemporains ils

eurent l'un & l'autre les bonnes graces du Prince dont ils nefurent pas profiter & jouirent d'une réputation que le temsn'a point encore afToiblie. Les poéfes de Tou-fou & de Ly-pêdit un de leurs Panégyriftes,fontpar rapport à celles des autresAuteurs célèbres ce que feroient des flambeaux dont la hau-teur jeroit de mille toifes, par rapport aux torches ordinaires.

-Ly-pê naquit à Y-tcheou ville da fecond ordre non loinde la montagne Min-chan, de la province du See-tchouen; fa

mere lui donna le nom de Tay-pê qui fignifie le grand bril-lant, parce que dans le tems qu'elle le conçut, il lui fembla

que l'étoile brillante qui précède le lever du foleil s'arrêtoit furfa tête.

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DES CELEBRES CHINOIS.1 1 1~Après avoir fait fes etudes d'une maniere peu commune &

expliqué tous les King avec fuccès il fe dorna a la poéfie

pour laquelle il fe fentoit né il réuffit également dans legenre gracieux & dans le fûblime il compofa des fou\ desfoungtk des chanfons fur toutes fortes de fujets & commençaà fe faire un nom dans fon propre pays. Lié d'une étroite ami.tié avec un homme de Lettres, nommé Ou-kiun, qui jouiffoitde l'eftime publique, ils convinrent enfemble de fe rendre, àla capitale & d'offrir leurs fervices.à quelque homme enplace qui pût les produire auprès de l'Empereur Hiuen-tfoung-niing-hoang-ty proteâeur de tous les talens.

La premiere des années, dénominées Tien-pao c'eft-à-direl'an de Jefus-Chrift 742 ils allerent à Tchan-ngan, où et'oitalors la Cour. Ly-pé fut introduit chez le favant Ho-ické-tchan^tqui exerçant alors auprès de l'Empereur une charge qui exi-geoit une affiduité confiante fut bien aife d'avoir dans famaifon quelqu'un avec qui il pût s'cntretenir de fcience &delittérature à fon retour du Palais. Il ne fut pas long-tems fansfaire de Con hôte le meilleur de fes amis, il lui faifoit lire fespieces d'éloquence ou-de poéfie^ lui donrioit des fujets à com-pofer, & fut fi charmé de la beauté de quelques-unes de fespieces, qu'il lui dit un jour, dans un accès d'admiration Vousn'êtes pas un homme vous êtes un efpnt qu'on a renvoyé du Cielfur la terre pour faire honneur aux hommes. Il ne s'en tint pasà des fentimens ftériles il travailla à faire la fortune de fon

.•ami. Il en parla à l'Empereur comme d'un prodige & lui fitnaître l'envie de le voir. J'ai dans mamaïfon dit-il à ce Prin-

ce une des merveilles de votre règne ;c' eji un Poète r tel -peut-

être qu'il n: 'en :apoint encore paru de fémblable il réunit toutes'les -parties qui font le grand homme-eïi ce -genre. Je n'ai ofé

erzP~ë/'P~Of (Ï ~or/ ll~dcaj ~l à cazrfe d'un ~Mf t/0/zt ilen parler plutôt à Votre Majeflé à caiife d'un défaut dont il

paroit difficile quilfe corrige il aime le vin & en boit quelquefois

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avec excès; mais que fes poéfles font belles juge^-en vous"même Seigneur, continua-t-il en lui mettant entre les mainsquelques vers de Ly-pê.

L'Empereur lut ces vers.& en fut charmé. Amenez-moidit-il, ce Ly-pê je veux le voir je fais condefcendre auxfoi-bleffes de l'humanité je ferai tous mes efforts pour le corrigerde fon vice, qu'il vienne. Ho-tché-tchang fit part à fon ami del'ordre qui l'appellent auprès de la perfonne du Souverain &le conduisît à la Cour. Je1Jcux vous avoir auprès de moi luidit l'Empereur en le voyant, mais à une condition cefl quevous ne vous enivrere^ point. La condition efl un peu dure,

trépondit Ly-pê, je fens que je tromperois Votre Majejïé fi jelui promettois de la tenir; tout ce que je puis promettre cefldene jamais me préfenter devantelle quand j 'aurai un peu trop bu,L'Empereurfourit, & lui donna dès-lors une place parmi lesLettrés de la Cour, avec lefquels il lui ordonna de travailler.Il prit tant de goût à fa converfation, qu'il ne fut pas long-temsfans l'admettre dans fa plus intime familiarité. Il lui affigna unappartement dans celui de fes jardins, nommé Theng-hiang-tingj où il alloit fe délaffer après avoir terminé les affaires del'Empire. Là, délivré de la gêne du cérémonial, il s'entretenoit

avec fon fujet comme avec fon égal; il lui faifoit faire des

vers & fur-tout des couplets de chanfons qu'ils chantoientenfuite enfemble; car l'Empereur aimoit affez la mufique, &Ly-pê joignoit à fes autres talens, celui de chanter proprement& avec grace; & quand le Poëte etoit occupé à compofer,le Souverain préparoit lui-même la collation, & le faifoit man-ger à fa. table. Les Eunuques de la préfence & quelquesCourtifans, voulurent repréfenter à ce Prince qu'il en faifoit

trop, & qu'une pareille conduite pourroit l'avilir aux yeux defes fujets. Tout ce que je fais, leur répondit l'Empereur, pourun homme d'un aujjl beau génie ne peut que m'honorer auprès

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de ceux qui penfent bien pour ce qui eji de.r autres, je mépnfele jugement qu'ils peuvent faire de moi. Ce grand Prince poufiafouvent la complaifance j.ufqu'à lui fervir de fecrétaire & àécrire fous fa diftée quand Ly-pê ne pouvoit ecrire lui-nsême,car s'il tint la parole qu'il avoit donnée à l'Empereur il profi-toit auffi de la reftriftion qu'il y avoit mife.

Il y avoit alors à la Cour huit hommes de Lettres qui fediflinguoient des autres par leurs débauches de table ainfique; par leurs talens. A la tête d'eux tous eLoient Ho-tché-fc~M~ & Ly pê; après eux. on comptoit ~y-ty-tclze Jou-yang Ouang-kin Tfoui-tchoung-tché Sou-kin-tckang-hiun

1& Kao-foui. Ces huit agréables compagnons fe réuniffoientde tems en tems faifoient des vers fe mettoient à table &Luvoient. Comme leurs inclinations etoient à-peu-près lesmêmes ils prirent un nom commun & fe firent appellerTJîeou-tchoung-pa-hien c'efl comme nous dirions en françoisles huit f âge s de la bouteille ( I ).

L'Empereur inftruit de ces petites débauches, faifoit fem-blant de les ignorer & ne diminuoit rien de la bienveillancedont il honoroit en particulier Ly-pê il etoit même fur lepoint de lui donner une charge considérable du Palais quand

un Eunuque trouva le moyen de l'en empêcher. Cet Eunuque

REM A R Q U E S.

( i ) Le feul titre de TJîeou-tchoung-pa-hïen ou de l'un desJiuh Sages de la bouteille, dont feparoit chacun de ces huit hommesde Lettres prouve que les Lettréschinois etoient fort déchus de cettegravité qui les dilîinguoit ancien-nement du refie de la nation..11faut obferver cependant que ceshuit prétendus Sages n'etoient pas

du nombre de ces Lettrés, quietoient prépofés pour expliquerles King, ou enfeigner la moralede Confucius c'etoient des Poë-tes & les Poëtes font à-peu-prèsles mêmes par-tout. J'aurai occa-fion de parler bientôt d'une autrepetite fociété en confirmation de

ce que j^avance. Voyez ci-aprèsfous le portrait de Pe-kiu-y.

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s'appeiloit Kao-lj-ckc il etoit en faveur & recevoit les hom-

mages de tous les Courtisans les Miniftres même etoientpleins de déférence pour lui. Le feul Ly-pè fembloit ne pasdaigner s'appercevoir de fon crédit il arriva même que cePoëte étant avec l'Empereur dans le jardin de Tcheng-hiang-

ting, & paroiffant ne pouvoir marcher qu'avec peine parcequ'une chauffure neuve lui tenoit le pied trop à l'étroit l'Em-

pereur lui dit de fe mettre à l'aife & ordonnaà l'Eunuque Kao-

iy-tchè de le dé chauffer ce que celui-ci fit fur le champ., fans

que Ly-pê qui ruminoit alors quelques vers, pour remercier le

Prince de fa trop grande complaisance, fe mît en devoir del'en empêcher fans qu'il lui dit même un feul mot de civilité.L'orgueilleux Eunuque en fut outré de dépit & en confervalong-tems la rage dans le cœur ( z ).

( a ) L'Eunuque Kao-ly-ché etoithomme de mérite & en faveur, ilcommanda quelque tems les ar-mées, & fut même décoré du titrede Généraliffime. C'eft fous cetitre qu'il efl défigné dans le mo-nument de la Religion chrétiennetrouvé près de .Si-ngan-fou. Voicice qu'on y lit, en commençant aucaraftere infcrit 29 de la quinziè-me ligne dans le P. Kircher Titn-pdo-tckou -au commencement desannées dites Tien-pao ( c'eft-à-dire vers l'an de Jefus-Chrifl742,& non pas 747, comme il eu ditdans le P. Kircher. L'an 747 eft lafixieme de Tien-pao depuis latrentiemeannée du regne de Hiuen-tfoung-ming-hoang-ty jufqu'à laquarante-troifieinedunjême regne,les années furent dénôniinéesûtn-

REMARQUES.pao il n'efî: pas à préfumer quel'Auteur du monument fe foit fervidu caraâere ickou qui fignifie

commencement pour déligner lafixieme des quatorze années ditesilen-pao-ling^)l'Empereur ordonnata-tjiang-kiun au grand Général,kao-lyche; kao-ly-chc-foang de por-ter avec refpeft ou chcng-Jîc-tchenles portraits des cinq ires-fages ( Em-

pereurs fes prédéceffeurs ) cesEmpereurs font Kao-efou fonda-teur de la Dynaftie. Tay-tfoungfecond Empereur. Kao tfoungtroifieme Empereur. Tchoung-(/oB/zg,quatriemeEmpereur, ( Joui-tfoung cinquième Empereur .im-médiat de Ming-hoang-ty ). See-nei-ngan.rtcké,po\\T être places dansl'intérieurdu temple. Il eu à croireque l'Empereur n'envoya les por-

L'occafion

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L'occafion de fe venger lui parut favorable quand il appritque l'Empereur penfoit à elever Ly-pê. Celui-ci avoit compofé

REMARQUES.traits de fes Ancêtres, pour êtreplacés dans le temple de ces Prê-tres étrangers, que pour avoiroccafîon de s'y rendre lui-mêmefans donner lieu aux plaintes desZélateurs de l'ancienne doctrinechinoife qui n'euffent pas man-qué de lui reprocher fort trop dePenchant pour une do urine etran-gère ou fa trop grande affectionpour ceux qui l'approchoient.Tousles hommages qu'il fit rendre aprèscela dans l'Eglife des Chrétiensfurent cenfës des hommages ren-dus à la repréfentation de fes An-cêtres. On ne pouvoit dans ce casque le louer de fa Piété filiale;tout cela eil dans les Mœurs chi-noifes.

L'Eunuque Kao-ly-chè qui adonné lieu à la remarque- qu'onvient de lire me donne occafîond'ajouter ici qu'il fut un de ceuxqui s'enfermèrent avec l'Empereurîî'men-lfoung-ming-hoang-ty dans lePalais de Hing-king après que cePrince ayant cédé l'Empire à fonfils quand il fe retira dans le See-tchouen, fut retourné dans la capi-tale. Tché-ti-eulh-nicn dit l'hilîoi-re, Ckè-eulk-yué Cliang-hoang-hoan-Jî-king kiu tekou-hing-king-koung c'eft-à-dire à la douzièmelune de lafecondedes années déno-minées tché-té(l'an de Jefus-Chrifl757 ) l'ancien Empereur ( Hium-tfoting-ming-hoang-ty pere de Sou-tfoung Empereur régnant ) revint

la Cour occidentale c'eft-à-dire}à Tckang-ngan qui eft la ville de

Si-ngan-fou d'aujourd'hui & pritfon logement dans le Palais deHmg-king.

J'ai dit plus haut ce que c'etoitque ce Palais de Hing-klng. Il yavoit des Prêtres de la Religionchrétienne, avec lefquels £ ancienEmpereur vivoit très familiére-ment il paroît même que ce Prin-ce fe montroit fouvent à la multi-tude des Chrétiens puifqu'unedes raifons que le Miniftre apportaà Sott-tfou/zg, pour le faire con-fentir à ne pas permettre que fonpere logeât ailleurs que dans lePalais impérial, fut que ce Princedonnoit fa confiance à des pcrfomzesdu dchors qui frêquentoient en touttems le Hing-king-koung il ajoutaqu'on voyoitii.\ï Grandstdss Officiersgénéraux & une multitude, de peupleJe rendre dans le même lieu où ils/oiiijfoie/u de la prèfmci de t 'ancienEmpereur & de £ entretien de Kao-ly-ché, 6* des autres Eunuques quietoirnt ri fon fervice. Ce Minièreconcluoit qu'il pourroit en arriverdu trouble dans l'Empire, non paspar la faute de l'ancien Empereurmais par celle de Kao-ly-tché &des autres qui gouvernoient cePrince, Sic. En lifanttout cc quieft rapporté à cette occafîon dansl'hiftoire j'ai conclu qu'il y avoit-la une Eglife de Chrétiens très-fnYoniézde l'ancien Empereur Hium-

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des couplets qu'on pouvoit interpréter en fatires contre laYang-koti-fei cette fameufe Reine pour laquelle l'Empe-

reur avoit une rendreffe fi aveugle. Ces vers à la main,l'Eunuque va trouver la Reine & lui dit Cet infolent Ly-pêqui ejt Jl avant dans les bonnes grâces de f Empereur s'ejl avifé

de faire contre vous les vers les plus fatinques du monde &

cependant l'Empereur qui ne l'ignore pas, va l'elever à rune despremières charges du Palais on diroit prefque que c'efl pour le

récompenfer de ce qu'il a dit dit mal de vous. Il n'en fallut pasdavantage la Reine irritée crut qu'il etoit de fon honneurd'empêcher la promotion & Ly-pê plus choqué d'êtrefoupçonné d'avoir voulu infulter fon Maître, que d'avoir man-qué une fortune qu'il n'ambitionnoit point prit peu-à-peu untel dégoût pour la Cour, qu'il réfolut de rompre entièrementtoutes les chaînes qui l'y attachoient. Il pria l'Empereur avectant d'inftance de lui permettre de fe retirer, & il revint fi

fouvent à la charge, que ce Prince lui accorda enfin fa deman-de. Mais pour lui donner des preuves de l'eftime dont il l'ho-noroit, de maniere à lui procurer de la confidération, il lui fitpréfent d'un affortiment complet de fes propres habits, faveurqu'il n'accordoit que rarement à des Princes qui avoient bienmérité de l'Empire, ou à des Grands qui avoient rendu desfervices effentiels à l'Etat. A ce préfent honorable, il en ajoutaun autre pour l'enrichir il lui fit livrer mille onces d'or pur,en lui difant ces paroles flatteufes Parmi ce que j'aurois puvous donner, j'ai cru que l'or etoit ce qu'il y avoit de plus digne

REMARQUES.sfoung-mirtg-hoang-ty. Voyez ce quieu dit dans les Annales chinoifes

1)fous ces cara&eres majuscules quej'ai cités plus haut.

Tout ce que je ne fais qu'indi-quer ici par occafion fe trouve-là dans le plus grand détail.

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de vous être offert profite^ de ce don pour couler des joursheureux & continuera iliujlrer mon règne par la beauté de vosecrits.

Un pareil difcours de la propre bouche de ce Prince bien-faifant & magnifique auroit dû pénétrer de la plus vive recon-noiffance celui à qui il s'adreffoit mais Ly-pé ne prouva quetrop, par la conduite qu'il tint enfuite, que les qualités ducceur dans un grand Poëte n'egalent pas toujours celles del'efprit. A peine fut-il libre, qu'il fe livra tout entier à l'ivro-gnerie jufqu'à oublier toutes les regles de la bienféance la plusordinaire, il fe mit à courir les provinces & mena pendantquelques années la vie vagabonde d'un homme qui n'avoit nifeu ni lieu.

Un de fes divertiffemens le plus ordinaire etoit de fe rendrefur le foir dans quelqu'une de ces tavernes, qui font aux envi-

rons des villes. Il mettoit alors tes habits qu'il avoit reçus del'Empereur, s'affeyoit gravement fur un tabouret, comme fur

un trône; & fe faifant rendre hommage par fes compagnonsde débauches, il exigeoit de chacun d'eux un tribut, quietoit une ou plufîeurs taffes de vin qu'ils lui préfemoient à

genoux de la même maniere que les ambaffadeurs desPrinces étrangers préfentoient leur tribut à l'Empereur. Ilfaifoit durer cette fcene jufqu'à ce que les vapeurs du vin i'euf-fent mis hors d'etat de pouvoir parler & de boire. Comme fesOuvrages lui avoient fait des admirateurs dans toutes les partiesde l'Empire on lui paffbit tout jufqu'à fes folies les plusindécentes.

Cependant un homme en place qui l'avoit connu lorfqu'iletoit à la Cour entreprit de le fixer. A force de careffes &de bienfaits il en vint à- bout en partie, Ly-pê fe logea chezlui, & accepta même un emploi dans fa maifon. Ce Seigneuretoit fort lié avec l'un de ces Princes qui levèrent l'étendard de

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la révolte, il fe révolta lui-même, & combattit contre fonlégitime Souverain. Il peut abfolument fe faire que Ly-pêquoique ton ami ne fût point entré dans fes fentimens maisles apparences etoient contre lui. Après, que la révolte eut étééteinte & que les principaux d'entre les coupables eurent périles armes à la main, ou fous le fer des bourreaux, on fit lesrecherches les plus exaétes pour découvrir tous les complices& les fauteurs de la rebellion. Le nom de Ly-pê fut infcritparmi ceux de ces derniers, & en conféquence il fut condamnéà mort. La Sentence auroit été exécutée fi le fameux Kouo-tfee-y qui venoit de fauver l'Empire par fa bonne conduite &

par fes victoires n'eût intercédé pour lui il demanda fa

grace avec tant d'inftance qu'on ne crut pas pouvoir la luirefufer il obtint que la peine de mort à laquelle Ly-pê etoitcondamné feroit commuée en un exil perpétuel à Yê-leang.Après quelques mois il obtint pour lui une abolition entiere &le fit même rappeller à la Cour.

Ly-pê fe mit en chemin, & prit la route d'eau, comme laplus commode. Arrivé à Tfai-cké-ki dans le Kiang-nan, ilvoulut étant à. moitié ivre fe tenir debout fur un des côtésde la barque il ne fut pas affez ferme fur fes pieds, tombadans le fleuve & fe noya. Il etoit alors dans la foixantiemeannée de fon âge, c'etoit la premiere du règne du fecondTay-tfoung laquelle répond à la fept cent foixante-troifiemedeJefus-Chriit..

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L X V I I I.K O U O-T S E E-Y Guerrier.

Kouo etoit le nom de fa famille, fon nom propre etoitTfee-y il naquit à Tcheng-hien ville du troifieme ordredépendante de Hoa-tcheau de la province du Çken-Jî. Il étu-dia affez pour parvenir à être Bachelier d'armes mais dèsqu'il eut obtenu ce grade il ne penfa plus qu'à fe rendre habiledans l'art qui fait les Guerriers & il entra dans les emploismili-taires, qu'il remplit tous avec diftinffion. Il commença parles plus bas, & s'eleva peu-à-peu par fon mérite jufqu'à être"Généraliffime des armées, premier Miniftre, Lieutenant-Géné-ral de l'Empire & enfin Prince de Soung-yang.

-•' La treizième année de Tien-pao c'eft-à-dire l'an de Jefus-Chrift 754, eft la premiere epoque de fon elévation; ,'juf-qu'alors il n'avoit eté que fimple Oflicier fubaiterne, du nombrede ceux que nous appelions en France Lieutenans & Capitai-

nes, & il ne s'etoit encore diftingué que par fa probité fesbonnes mœurs & fon attention extrême à remplir, dans ladernière exactitude, tous les devoirs de fon état.

Cette exaéKtude lui avoit attiré Faverfïon d'un Officier dumême grade qui fe nommoit Ly-koang-pi homme bravede fa perfonne très-inftruit de l'art de la guerre, mais un peutrop livré à certains défauts, affez, ordinaires à ceux de cetteprofeflion. Il croyoit voir un censeur continuel de fa conduitedans les vertus de Kouo-tfee-y ii le provoquent fans ceffe pardes railleries, des farcafmes, & même par des injures. Le fageKouo-tfee-y n'y répondoit que par un redoublement de polirteffes & par une patience inaltérable. Ils etoient alors l'un &l'autre dans un lieu qu'on appelloit Chouo-fang dans le diftriflde la province du Pê-tche-ly d'aujourd'hui.

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La révolte du fameux Ngan-lou-chan avoit déjà eclaté, &le nombre des rebelles augmentent chaque jour. Leurs troupescouvraient déjà la campagne, & le Pê-tche-ly etoit menacéd'une invafion. Kouo-tfee-y qui etoit attentif à tout, appritqu'un de leurs partis devoit venir faire le dégât dans les envi-

rons il ne fe contenta pas de redoubler de vigilance il vou-lut aller attaquer. Il obtint la perraiffion de foitir à la tête desfoldats qui etoient fous fes ordres pour battre l'extrade il fur-prit les rebelles pendant la nuit en fit un carnage affreux &

amena prifon niers ceux qui, ayant échappé au fer, lui deman-derent la vie. Il eft bon de remarquer que le nombre.des fienS

n'alloit pas à deux cens hommes, & qu'il conduifit à Chouo-fang plus de cinq cens prifonniers.

Cette aftion lui valut une récompenfe & le mit en voiede déployer tous fes talens. L'Empereur le nomma Comman-dant en chef de toutes les troupes de Clwuo-fang & de fesenvirons, avec ordre de les mener à Tchao-ouei pour difputerle paffage aux rebelles il lui donna outre cela une permifliontrès-ample de lever de nouvelles troupes & de fe faire fuivre

par tous ceux qui voudroient s'enrôler fous lui.A la nouvelle de cette promotion, tous les Officiers du lieu

fe rendirent chez Kouo-tfee-y pour lui faire leurs complimensLy-koang-pl s'y rendit comme les autres, mais il fut fi honteux& fi embarraffé de fa perfonne qu'il ne lui vint autre chofe

en penfée, que de balbutier quelques méchantes exeufes fur laconduite qu'il avoit tenue ci-devant envers celui qui devenoitfon fupérieur. Kouo-tfee-y qui vit fon embarras ne le laiffapasachever il courut à lui l'embrafTa & lui dit ces parolesremarquables, que l'hifloire a cru devoir conferver pour l'inf-tmÉtion de la poflérita Je ne vous veux aucun mal de toutesles infultes que vous pouve^ rn avoir faites vous m'ave^ haïfans fujet fefpere que je ferai ajfc^ heureux pour vous forcer à

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m aimer. En me donnant toute autorité fur vous l'Empereur n'afait que me f ournir les occajîons de vous rendre fervice. Jëf con-

nais vos talens mieux que perjonne je ne les mettrai en ufage

que pour le bien de l'Etat & votre avantage particulier fecon-de^-moi de votre mieux faifons enfemble tous nos efforts pourtâcher d'exterminer les rebelles qui infeflent l'Empire. Je vouschoifîs pour mon fécond courons àTchao-ouei où l'Empereurm'ordonne d'aller.

Kouo-tfee-y ayant pris pour Lieutenant Ly-koang-pi partità la tête de cinq cens hommes & groffit ce nombre le longde la route, de tous les foldats qui gardoientlesdifférens poftesqu'il crut pouvoir dégarnir fans conféquence. Il etoit à peinearrivé au lieu de fa defh'nation qu'il apprit que Ché-fee-mïng

rl'un des Généraux du rebelle Ngan-lou-chan s'avançoit avecune armée de plus de foixante mille hommes. Voici l'occajïonde nous fignaler dit-il à Ly-koang-pi, allons au-devant desrebelles pour les combattre; tout ejî perdu fi nous fommes battus

mais tout efl perdu de même fi nous refions ici. Lesjecours qu'onpourroit nous envoyer ne fauroient arriver affe^ tôt pour nousempêcher d'être forcés.,• mais fi nous fommes vainqueurs, commeje tefpere nous aurons fauvé l'Empire.

Ly-koang-pi qui ne demandoitpas mieux que d'exercer fon

courage, fut de même avis ils allerent en toute diligence à la

rencontre de l'ennemi, le furprirent, lui tuerent près de trentemille hommes & mirent le refte en fuite. Ce qu'il y a deplus furprenant c'efl: que Kouo-tfee-y n'avoit pas plus de fix

mille hommes, mais auffi ces fix mille hommes etoient desfoldats, au lieu que l'armée des rebelles n'etoit compofée

que de gens ramafîes qui ne gardoient aucune difcipli-

ne quoi qu'il en foit cette feule action raffermit la mai"fon des Tang fur le Trône, & empêcha la révolution totalequi etoit fur le point d'éclater. Ngan-lou-chan qui etoit aux

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portes de la capitale & qui s'en fût bientôt rendu maître, vule désordre extrême qui y régnoit s'eloigna. Sou-tfoung pritles rênes du gouvernement, que fon père abandonnoit, & lesaffaires fe rétablirent peu-à-peu.

Le nouvel Empereur récompenfa Kouo-tfee-y comme il le

devoit il lui donna le titre de Comte & le nomma l'un desGénéraux des troupes de l'Empire Ly-koatig-pi eut fa partdes bienfaits du Prince, & fut promu au grade d'Officiergénéral. Ce ne fut plus depuis qu'une chaîne de victoires &de fuccès Kouo-tfee-y fit rentrer trois provinces entieres fousFobéiffance du légitime Souverain, chaffa les Tartares desfrontières de la Chine & les contraignit de s'enfoncer bien

avant dans leurs déièrts.La mort des deux Empereurs Hiuen-tfoung Mlng-hoang-

ty, & Sou-tfoung fon fils qui arriva dans le courant d'unemême année n'arrêta point le progrès des armes de Kouo-tfee-y, il continua à combattre & à exterminer les différenspartis des rebelles. Tay-tfoung qui etoit monté fur le Trône

après la mort de Sou-tfoung fon père crut lui devoir donner

toute fa confiance il 1 éleva à la dignité de Généraliffime des

troupes de l'Empire lui donna le gouvernement de trois pro-vinces, & le fit fon premier Miniftre. Tous les ordres de l'Etatapplaudirent à une élévation fi bien méritée on ne l'appellent

que le fléau des ennemis le pacificateur des peuples, & l'angetutélaire de l'Empire. Il etoit l'idole des gens de guerre, & ilpouvoitdifpoferd'eux tous, comme un père de famille difpofede fes enfans.

Cependant, du centre du Palais il s'éleva un nuage, quirenfermoit la foudre dont quelques Eunuques, jaloux de foncrédit, vouloient l'ecrafer. L'un d'entr'eux nommé Yu-tchao-

nguen s'efforça de perfuader à l'Empereur qu'il etoit dange-

reux de laifler Kouo-rfee-y à la tête des troupes dans descirconitances

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circonilances ou ce Général, maître pour ainfi dire de tousles eipnrs pouvoit exécuter avec facilité, le projet dans lequelle perfide Ngan-lou-chan venoit d'echouer. Les autres Eunu-ques appuyoient ce difcours par des raifons plaufibles & pardes mots à double entente femés adroitement dans les diffé-

rentes occafions.Quoique l'Empereur n'eût aucun fujet de fe défier du Gêné-

raliflime il crut néanmoins devoir prendre fes précautions. Ill'appela à la Cour, fous prétexte du befoin qu'il avoit de feslumieres pour le gouvernement de l'Etat. Kouo-tfee-y etoitalors occupé contre les Tartares qui etoient revenus fur lesfrontières & faifoient de nouvelles tentatives pour rentrer furles terres de l'Empire. Il fentit combien fon appel alloitnuire aux affaires mais regardant l'obéiffance qu'on doit auSouverain comme le premier de fes devoirs il remit le com-mandement de l'armée à celui qu'on lui fubffituoit & partitfans faire la moindre repréfentation.

A fon départ les troupes perdirent courage & fe mutine-rent les foldats jetterent leurs armes & proteflerent qu'ils neles reprendroient, pour en faire ufage, que quand Kouo-tfee-y feroit à leur tête pour les commander. Les Officiers

eurent beau les prier, les menacer, les folliciter tout futinutile ils ne les firent rentrer dans le devoir, qu'en les affu-

rant que le Généraliffime alloit bientôt revenir. Ils ecrivirent

en commun à l'Empereur, lui repréfenterent les chofes commeelles etoient & lui dirent en Unifiant que tout etoit perdufur les froi3tieres fi Kouo-tfee-y ne revenoit promptement àl'année. Cette lettre eut fon effet Kouo-tfee-y à peine arri-vé, eut ordre de repartir Je comptais me fervir de vous ici

j,

lui dit l'Empereur en le renvoyant mai vous m'êtes encoreplus néceffaïre à l'année on m'écrit mes foldats s'obftuientà ne vouloir pas combattre fi vous n'êtes à leur tête alle.~ ced

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commander j'efpere que je vous re verrai dans pet/ tout couvertd'une nouvelle gloire.

Je vais partir, lui répondit Kouo-tfee-y prêt à revenir furmes pas au premier ordre que vous ni en donnerez car de quel-

que maniere que je vous jerve toutmefl egal, pourvu que j'ytrouve des occajions de vous donner des preuves de mon zele.Ces dernières paroles, dont la fincérité etoit fi. bien prou-vée par la conduite qu'il avoit tenue jufqu'alors lui acquirentfans retour l'affection de fon maître. Il efl bon de recueillir depareilles anecdotes elles peignent les moeurs, & font con-noître les hommes beaucoup mieux que le récit des actionséclatantes qui font prefque toujours les mêmes à quelquescirconftances près. Kouo-tfee-y arrivé à l'armée livra bataille& fut pleinement victorieux.

Il eft inutile que je faire ici l'enumération de tout ce qu'il afait comme guerrier, il me faudroit faire f'hiftoire générale del'Empire fous trois regnes entiers, pendant lefquels il a égale-ment brillé. Le Trône raffermi, les ennemis du dehors toujoursrepouffés les rebelles du dedans rentrés fous i'obéiflance, fontconnoître fes talens militaires & peignent le héros quelquestraits de fa vie privée feront connoître fon mérite perfonnel,comme homme d'Etat & comme citoyen, & achèveront depeindre l'homme tel qu'il etoit. De tons ceux que me fourni*l'hiftoire, je n'en choifis que trois.

Un jour il demanda à l'Empereur une grace qui lui fut refu*fée tout le monde en fut furpris, & les plus indifférais mêmene comprenaient pas comment dans un tems où Kouo-tfee-yrendoit de fi grands fervices à l'Empire l'Empereur avoit oféle mortifier, en lui refufant une bagatelle qu'il auroit accor-dée au moindre de tes courrifans car il ne s'agiffoit que d'unemploi affez médiocre, que le Généraliffime demandoit pourun de fes amis. Vous avez tort répondit Kouo-tfee-y ? à ceux

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qùi vouloient l'engager à témoigner fon mécontentement outout au moins à fe plaindre l'Empereur m'a la graceque je lui ai demandée & il ci fort bien.fait. Je fuis en faute& j'ai eu ton d'avoir voulu m ingérer dans ce qui ne me regar-doit pas. Quand je fuis à la tête des armées j'ai un pouvoirfans bornes fur tous mes Officiers & tous mes foldats j'en ufefans que l'Empereur le trouve mauvais je donne alors les emploismilitaires; je les donne à qui je veux & l'Empereur approuvetoujours ce que j'ai fait. J' aurais bonne grâce de me plaindre àpréfent de ce qu'il me refufe une chofe que je naurois pas dului demander. S'il m' accordait tout que lui refieroit-ilpour lesautres ? J'ai bien fend l'Empire dites-vous & j'ai affermil'Empereur fur fon Trône chancelant fi cela e/2, je n'ai faitque mon devoir & je n'ai garde de que j'aie acquispar-là le droit d'exiger des graces. Laiffons ces manières depenfer qui font de tout bon fujet. L'Empereur lemaître il fait ce qu'il lui plaît c'efi à nous à nous conformerde bon cœur à fes volontés &c.

Un des plus puiffans comme des plus redoutés des Eunu-

ques du Palais ce même Yu-tchao-nguen dont j'ai parléplus haut avoit fait dans plufîeurs occasions tcut ce qu'ilfalloit pour perdre Kouo-tfee-y dans Pef prit de l'Empereur.Toutes fes intrigues & tous fes efforts avoient eté inutiles il

en etoit au défefpoir mais ilen attendant quelquecirconirance favorable dont il i'e promettent bien de profiter.Outre fa dignité de grand Général Kouo-tfee-y avoit encorele gouvernement de Ho-tciwung où il etoit obligé d'aller de

tems en tems pour certaines affaires de police auxquelles les

troubles paffés avoient donné lieu.Pendant un de fes voyages fes amis crurent appercevoir

qu'il fe formoit un complot contre lui, ils l'en avertirent à fon

retour, mais Kouo-tfee-y nzn tint compte. Cependant l'Eunuque

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Yu-tchao-nguen à l'exemple des autres Seigneurs de la Cour,voulut donner un feftin à Kouo-tfee-y comme pour fe réjouir

avec lui de ce qu'il etoit revenu en bonne famé il l'invita à ferendre à un jour marqué dans un Micio qu'il avoit fait bâtir àquelque diftance de la ville. Ce Miao etoit comme une efpecede château fort, dans lequel & aux environs duquel Yu-tchao-

ngtien commandoit en maître Kouo-tjee-y accepta l'invita-tion. Ses amis en étant inftruits l'avertirent d'être fur fes gar-des, & de ne pas fe fer à un pernde qui avoit tenté li fouventde le perdre. Kouo-tjce-y les remercia de l'avis mais il ajoutaqu'il avoit donné fa parole, & qu'il n'y manqueront pas. LesOfficiers qui etoient à fes ordres, à la tête de plus de trois

cens foldats armés, voulurent accompagner leur Général pourveiller à fa fureté mais Kouo-tfee-y s'en étant appercu, les

renvoya, en leur difant d'être tranquilles fur ton fort, il ren-voya même ceux qui faifoient ton cortege ordinaire ne vou-lant être fuivi que de trois ou quatre clomeftiqucs fans armes.

Arrivé au Miao l'Eunuque qui l'attendoit vint le recevoirà la porte pour lui faire honneur furpris de voir un grand R

Général de l'Empire fi peu accompagné il voulut en favoirla raiion, il la lui demanda Je m attendais lui dit-il, à vousrecevoir ici avec quelques-uns de vos anus & un bon nombrede vos Officiers & je vous vois [cul pourquoi cela ?

Je vous en dirai tout franchement la raifon répondit le Géné-ral, on ma averti que vous ne ni'mvitie^ que pour me faireaffaffiner je ne faurois me perjuader que vous aye?{ eu unepareille idée; & c'efi pour détruire un Joupçon qui vous ejlfiinjurieux que je viens cLinjï fzul me. bvrer entre vos mains. Delui-même, ai-je dit aux donneurs d'avis Y u-tchao-n^uen n'ofe]1

roit attenter à ma vie fon crime ferou puni par les fupplices lesplus horribles car je tiens un rang trop difhngué dans l'Empire

spour que quelqu'un piaffe s'imaginer qu'on ni affaffineroit impu-

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nêtnent. Si l'Empereur lui a donné ordre de tremper fes mainsdans mon fang pourquoi c/iercherocs-je à me foujîraire ri unarrêt de mort qui ne trouverait tôt ou tard que trop dJ exécuteurs?En voulant- éviter un piège je rnexpoferois ci mille autres & jetomberais néceffairement dans quelqu'un.

L'Eunuque entendant ce diicours ne put retenir feslarmes Vous êtes, dit-il à Kouo-tfee-y L'homme le plus fuicere& le plus loyal qui f oit dans £ Empire. vous êtes véritablementdigne de toute la réputation dont vous jouijje?. Si par la conduite

que j'ai tenue à votre égard j'ai donné heu aux foupçons qù on

a conçus de moi, celle que je tiendrai dans la fuite mefera

regarder comme quelqu'un qui vous ejl entièrement dévoué. Je

vous demande votre aminé, ne me la refufe^ pas dès ce momentla mienne vous ejl toute acquife &c.

Le troiiîeme trait que j'ai à rapporter, achèvera de carafté-rifer ce grand homme.

L'Empereur Tay-tfoung fe voyant fur le point de mourirfit venir celui de tes fils qu'il avoit défigné pour être fon iuc-ceffeur j &i en préfence de toute la Cour il lui déclara quefon intention en lui laiffant l'Empire etoit qu'il le gouvernâtfuivant les confeils de Kouo-tfec-y dont il avoit éprouvé,dans toutes les occaiïons la fidélité la valeur & la fagefTe

il ajouta, que pour cette raifon outre tous les titres dont iletoit décoré il lui donnoit encore celui de Lieutenant-généralde tous fes Etats.

Après la mort de Tay-tfoung le nouvel Empereur Té-

tfour.g qui fuivant les ordres de fon père ne gouvernoit quepar Kouo-tfee-y recevoit avec bonté tous les placets que tonfidèle Minîiîrc faifoit paffer jufqu'à lui, de la part des Manda-

rins des provinces qui les lui adrefloient. Il répondoit à tous,fous la dictée de Kouo-tfee-y ou pour mieux dire, Rouo-tfec-y répondoit en fon nom, & toujours de manière à encou-

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rager ceux qui lui faifoient des repréfentations, lors mêmequ'il ne devoit avoir aucun égard à ce qu'ils lui repré-fentoient.

Le Mandarin d'une ville du diftricl de Plng-yang-fou crutvoir dans les airs des nuages extraordinaires dont la beauté lefrappa il fe perfuada aifément que c'etoit-là une occaiîon defaire fa cour. Dans cette flatteufe idée, il mit à contribution

tous les Livres des pronoftics fouilla dans les monumenshiftoriques de l'antiquité pour y trouver des exemples enconfirmation de ce qu'il imaginoit & dépenfa tout ce qu'ilavoit d'efprit pour compofer un placet, fur lequel il fondoitdéjà des efpérances d'une fortune qui devoit le conduire auxpremières charges de l'Etat.

Kouo-tfee-y à. qui le placet fut envoyé pour être préfentéà l'Empereur, y répondit ainfî an nom de Sa Majefté. Je juisbien aije que mes Mandarins minjlruijent de tout, cefl unsmarque qu'ils veulent concourir avec moi au bon gouvernementde £ Empire & ni' aider autant qu'il ejl en leur pouvoir à

porter le pejant fardeau dont je fuis chargé. Je leur dirai cepen-dant que ce ri ejl point dans les airs ni dans ce qui peut arriverdans la nature qu'ils doivent chercher de quoi bien augurer de

mon règne. Qu'ils examinent fi au dehors nous famines en paix

avec nos voifins ,• fi au dedans les peuples jont Joumis & con-tens s Ji les figes font à la tête des affaires Ji les differens emploisfont donnés à ceux qui peuvent les bien remplir ji la vertu &

le mérite font récompen/és y fi les vices & les déréglemens fontpunis. Voilà fur quoi il ejl permis de faire les pronoftics d'unbon gouvernement du règne le plus heureux. Ce font-là les

augures les plus fûrs ce Jont les fuis que f admets & fur lef-

quels il m ejl permis de compter. Toutes les fois que mes Manda"

rins voudront bien me donner des avis qui aient rapport a.

quelqu'un de ces ol,-jets, ils ~ezlve;zt être a~ ïrés de ln~x uccc,

Page 424: Memoires concernant les chinoise 5

fioiffance. Je ferai attention à tout ce qu'Us m: diront & j'yaurai tous les égards poffîôles. Pour ce qui efï Ls chofes extra-ordinaires qui peuvent arriver dans la nantis coimns elles}i influera en rien fur la.1 conduite des hommes & qu'elles m

font d'aucune conféquence pour le gouvernement quand ellesnintéreffent pas les peuples je donne mes ordres pour qu'ons'abjîienne déformais de m'en avertir; il Jutliui qu'on, les infèredans les regiflres publics des lieux oà elles feront arrivées, dela même manière qu'on y injerei~, les evénemens ordinaires fanspronojlicadons & fans glofe &c.

Je finis ce qui regarde Kouo-tfee-y par le court mais magni-fique éloge qu'en fait un Hiitorien chinois. Ce grand homme

dit-il mourut à la quatre-vingt-cinquièmeannée de [on il^n laquatrième du de Tc-tjoung (l'an de Jelus-Chrirc 783 ).Il fut protégé du Ciel à cauje defes vertus iljut aune des livrâ-

mes à cauje de fes belles qualitésy il fut craint au dehors parles ennemis de l'Etat à caufe de la valeur il fut refpecté audedans par tous les fujets de t kmpire à caufe de fon intégritéincorruptible, de ja jujli.ee & déjà douceur il fui le fouûen

le confeil & l'ami defes Souverains il fut comblé de riche [fes &

d'honneurs pendantle cours de fa longue vie il fut univerjelle-ment regretté à jamort & laijj.i après lui une pojlénté 110m-M(Illît re~zreté à j"c>i,,îcï-t & a~/J:l apre" _iLl mz,: 't'~ l1om-breufe qui fut héritière de fa gio ire & de [es mérites, commeelle hérita de fes richejfes & de fon nom. Tout l'Empire porta le

~M:~ ~e ??:c~ 6' et; f.t't'M~ /c ~'e Ct'7 y;~ /f;j' &;?/Mdeuil de fi mon & ce deuiljut le même que celui que les enfa.ns

DO/~en~ l .C </&'C6'!Y,.C f/P.f t~1 ."t'CM /C ~7 t~portent après la mon de ceux dont ils ont reçu la vies

il dura,

trois années entières.je oourrois ajouter pour la gloire de cet iiluftre Chinois

qu'il eft prefque certain .qu'il a connu & honoré le vrai Dieua"1'h it fes1 {' ¡Ir,puisqu'il a contribué de fon crédit & de fes richefles à eieverdes Temples en fon honneur qu'il protégea ceux de lesMinières qui étaient venus des pays lointains pour t'annoncer

Page 425: Memoires concernant les chinoise 5

8c établir fon culte, & qu'il fe fervoit même dans les arméesdes confeiîs de L'un des principaux d'entr'eux ainiî qu'on lelit dans le monument de Si-ngan-fou. L'Empereur, y eft-ildit, ordonna au Prêtre Y-fee d'aller à Chouo-fang ( où etoitalors le théâtre de la guerre entre le Pé-tché-ly & le Chanfi)t

avec Kouo-tfee-y Miniftre du titre de Tchoung-chou-lingp

Prince de Sen-yang Comte de l'Empire, pour l'aider de fes

confeiîs. Voici les propres paroles Tchoung-chou-hng F en-

Yang, Kïun-ouang Koue-koung, Tfée-y Tchou-tfoungJoiuiP-you Clwuo-fang-y e.

Le texte chinois eft plus long, je n'en prends que les parolesqui ont rapport à Kouo-tjae-y & je ne les rapporte ici quepour ceux qui feroient tentés de vouloir les vérifier.

L X I X.

TANG-SIEN-TSOUNG, Empereur.

Il femble que la félicité des peuples & le bonheur de laMaifon Impériale des Tang, furent attachés en quelque forteà la vie de Kouo-tfee-y. Tant que vécut ce grand homme,

sles Tartares furent toujours vaincus & repouffés, les rebelles

rentrèrent les uns après les autres dans l'obéifTance & les

Eunuques n'oferent s'écarter trop ouvertement des bornes dudevoir j mais à peine eut-il les yeux fermés, que ces troisfortes d'ennemis qu'avoit l'Empire reprirent de nouvelles for-

ces, & faillirent tout de nouveau à le renverfer.Tê-tfoung qui régna encore dix-fept ans après la mort de

Kouotfee-y fe trouva dans la dure néceffité de mettre fur lepeuple des impôts jufqu 'alors inconnus, pour payer les nom-breufes armées qu'il fut obligé d'avoir prefque toujours furpied dans les différentes provinces de l'Empire les Eunuquesfe rendaient de jour en jour plus puifTans. Cet Empereur

quî

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qui n'avoit pas oublié les vues de ton fage Miniftre vint àbout de faire rentrer dans le devoir une partie de ceux quis'en etoient écartés mais il laifla encore beaucoup à faire à

ceux qui viendraient après lui. Il mourut à la foixante-quatrie-me année de fon âge & eut pour fucceffeur Chuti-tfoung fonfils. Celui-ci fe voyant infirme & hors d'etat de gouvernerabdiqua, après quelques mois, en faveur de Tchoung fonfils âgé de vingt huit ans Prince recommandable par favaleur & fes vertus. C'eft celui à qui l'hiftoire donne le nomde Sien tfoung ou Hien-tfoung il fut le onzième Empereurde la Dynaftie des Tang.

Il etoit favant judicieux ferme dans fes réfolutions vail-lant à la tête de fes armées, fage dans le confeil fâchantemployer les gens de mérite chacun dans leur genre. Il avoit

pour fes fujets une tendreffe paternelle & leur en donnoit des

preuves dans les tems de difette & de calamité publique. Il

ouvroit alors fes greniers & fes tréfors: il choififfoit parmi lesGrands de fa Cour ou parmi ceux qui etoient attachés à fonfervice, les perfonnes d'une intégrité reconnue, &les envoyoitdans les différentes provinces pour faire des libéralités en fon

nom: il ft revivre les beaux jours des plus illuftres de fes Ancê-tres, & on eût pu le comparer au grand Tay -tfoung, s'iln'avoit terni la gloire de fon regne par la fuperflition & parune condescendance aveugle pour quelques-uns de fes favoris.La fuperflition le porta à recevoir folemnellement une reli-

que de Fo, 6c k lui faire rendre des honneurs publics ce quilui aliéna la plus faine partie de la nation. Il fe déchargea d'unepartie de ton autorité fur des traîtres qui abuferent de leurcrédit pour troubler l'Etat & le mettre à deux doigts de fa

perte.Il régna quinze ans, & en vécut quarante-trois. L'Eunuque

Tchen-tche-houng & quelques autres l'empoifonnerent &

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répandirent dans le public qu'il s'etoit donné la mort à lui-même en prenant le breuvage de l'immortalité. L'année defa mort eit la huit cent vingtième de l'ère chrétienne fon

corps repofe à King-ling. Il eut pour fuccefleur Mou-tfoungl'un de fes fils, qui enfanglanta le Trône par la mort detons ceux qui s'etoient oppofés à fon élévation. Comme l'Em-pire etoit en paix au dehors il licentia la plus grande partiede fes troupes & groffit par-là le nombre des rebelles quicontinuoient à remuer fourdement.

Mou-tfoung mourut encore empoifonné à la trentiemeannée de fon âge après trois ans & demi de rcgne. LesEunuques placerent King-tfoung fon fils fur le Trône, & l'enfirent defcendre peu après pour donner toute l'autorité àl'Impératrice fa mère mais craignant que ce jeune Prince netrouvât moyen de fe venger ils l'affaffinerent un foir, querevenant d'une partie de chaffe ii rentroit dans fon appar-tement pour changer d'habits il etoit à la feconde annéede fon regne. Son frere Oucn-tfoung prit poffeffion de l'Em-pire, & le gouverna quatorze ans avec beaucoup defageffe autant que les circonftances critiques où il fetrouvoit pouvoient le permettre. Les Eunuques qui etoienttout-puiffans & qu'il vouloit abaiffer ayant appris qu'il tra-moit quelque chofe contre eux avec fes Miniftres ne luidonnèrent pas le tems d'exécuter fes projets ils prirent eux-mêmes leurs mefures pour fe rendre de jour en jour plus indé-pendans. Ils maffacrerent les Miniflres toute la garde duPrince, & ceux des Grands dont ils croyoient avoir fujet defe défier. Oucn-tfoung fe voyant fans autorité & commeprifonnier dans fon Palais, mourut de chagrin. Un de fesoncles fils de Mou-tfoung prit les rênes du gouvernementil eût pu rétablir les affaires fi fon règne avoit été plus long.Il etoit bon foldar & grand capitaine il vainquit à la tête

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de les troupes les Tartares & les chafla de la province duChan-fi dont ils occupoient les frontières & les plus importan-tes places, il le choifit d'excellens Minières, il favorifa les

gens de Lèttres il établit une loi, par laquelle tous les grandsOfficiers & les Magiftrats des premiers Tribunaux de la capi-tale feroient appellés de cinq ans en cinq ans ou de fept ansen fept ans, pour rendre compte de leur adminiftration. Il établitencore une efpece de confeffion que les Mandarins des diffé-

rens Tribunaux doivent faire au Souverain lui-même. Ceuxqui font en charge doivent s'accufer dans cette confeffionqui eft encore en ufage aujourd'hui, de toutes les fautes qu'asont commifes relativement à l'emploi dont ils font chargés.L'Empereurdonne une pénitence proportionnée à la griévetédes délits les uns font caffés & les autres font abaiffés feule-ment de quelques degrés. Comme il ne s'agit dans cette con-feffion que des fautes extérieures ceux qui font coupablesn'oferoient les pallier ni les excufer, parce qu'ils ont tout lieude croire que le Prince eft déja inftruit de ce qui les con-cerne. Ce fage Empereur ne vécut pas affez long-tems pourachever de ranger les Eunuques à leur devoir il mourut aprèsfix ans de règne •, & ces mêmes Eunuques qu'il n'avoit puentièrement dompter, eurent encore affez de pouvoir pourexclure fon fils du Trône & y placer le petit-fils de Hien-tfoung j onzième Empereur de la Dynaftie c'eft celui à quil'hiftoire donne le nom de Siuen tfoung dont on verraci-après le portrait,

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L X X.

P Ê-K I U-Y Savant.

Pê etoit le nom de fa famine il avoit pour nom propreK'm-y & pour furnom Lo-tien. On dit de lui que le feptiememois d'après fa naiffance il favoit déjà ouvrir un Livre, &

que fa mere lui défigna deux caraâeres qu'elle lui appritdès lors à connoitre. Ses parens ne négligerent point des dif-pofitions fi heureufes Pê-kiu-y profita fi bien des leçons defes maîtres qu'après avoir paffé fucceilivement par tous lesgrades de la Littérature, il reçut celui de Doâeur au com-mencement de la dix-feptieme année de fon âge.

Vers le milieu des années dénommées Yucn-ho c'eft-à-dire, vers l'an de Jefus-Chrift 812, l'Empereur Hlen-tfoungle fit Mandarin du titre de Tfo-ché-y. Son application à l'etudelui fit négliger quelques-uns des devoirs de fa charge & enpunition de fa négligence il fut abailTé de quelques degrés.Cette légere humiliation le corrigea pour quelque tems & il

ne donna à l'étude que ceux de fes momens qu'il ne devoit pasà des occupations plus importantes. Il eut différens emplois

9qu'il remplit à la fatisfaftion de ceux qui les lui. avoiemprocu-rés, parce qu'il fut toujours d'une intégrité à toute épreuve& que dans tout ce qu'il faifoit, il avoit l'honneur pour princi-

pe, 3 & le bien public pour objet.Cependant l'état de contrainte dans lequel il etoit obligé de

vivre etoit trop oppofé à les goûts pour qu'il ne cherchât

pas à s'en délivrer il n'attendoit pour cela que de fe voir enétat de pouvoir vivre commodément, fans le recours d'autrui.Il acheta une petite maifon, & acquit peu-à-peu quelquesfonds de terre près Hiang-chang & quand il fut fur le

retour de l'âge il renonça aux charges & à tous les emplois

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pour aller dans cet afyle jouir de lui même & de faliberté.

Il y fut à peine arrivé qu'il mit tous fes foins à chercher cequ'il efi il difficile de trouver je veux dire des amis. Parmi legrand nombre de ceux qui s'offrirent à lui il n'en choifit quequatre auxquels il crut pouvoir fe livrer. Le premier etoitun Bon ze nommé Jou-man qui deflervo.it un Temple fituéfur le penchant de la montagne. Ce Cénobite etoit d'uneconverfation agréable & plus inftruit que ne le font pourl'ordinaire ceux de ià profeffion il aimoit la botanique y &le

lieu de fa résidence le mettoit dans l'occasion de cultiver fongoût. En fe liant avec lui d'une etroite amitié Pê-kiu-y fe

procura plufieurs avantages il alloit & venoit dans leMonaf-tere avec autant de liberté que dans fa propre maifon. Il pou-voit, outre cela, parcourir avec fon Bonze tous les coins &recoins d'une montagne fameufe par fes productions natu-relles & par les efprits qui felon la crédulité populaire, y fai-foient leur féjour.

Ouei-tchou & Lieou-mong-tê l'un & l'autre du nombrede ces Lettrés qui n'ayant pu entrer dans les grandes chargesdont ils fe croyoient dignes, s'etoient retirés dans le fein deleurs familles, où ils cultivoieilt la poéfie briguerent l'ami-tié de leur nouveau voifm. Pê-kiu-y les admit avec plai-fîr parce qu'il trouvoit dans leur fociété le double avan-tage de parler littérature & de mettre en ufage le talentdes vers qu'il poffedoit lui même à un degré eminent.Un quatrième vint fe préfenter il s'appelloit Hoang-fo'u-

ming-tc/ié c'etoit un homme de plaifir un buveur aima-ble, qui racontait avec graces qui portoit la joie par-tout où il alloit. Pê-kiu-y fe crut trop heureux d'avoir faitl'acquifition d'un ami de ce caraftere il avoir le plaifir deboire avec lui & s'amufoit de tes récits. Tels furent les

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quatre amis de ce folitaire d'un nouvel ordre, il les vififoitalternativement & recevoit leurs vifites. Il fe bâtit une petitemaifon de plaifance, ou pour mieux dire un petit, hermitagedans la montagne même de Hiang-chan. Là tantôt avec lesdeux Poètes, & tantôt avec le buveur, fans fe mettre enpeine de la maniere dont les autres hommes vivoient entr'eux,fans fouci, comme fans inquiétude il s'amufoit avec fonbuveur & quelquefois à faire des vers; & quand le beau temsl'invitoit à la promenade, ou qu'il fentoit le befoin de faire del'exercice il alloit trouver fon Bonze, & parcourait avec lui

quelque recoin de la montagne qu'il n'avoit point encorevifité.

Il avoit pris la précaution de changer de nom pour empê-cher que fes parens, ou fes anciens amis, ne vinffent troublerle repos dont il jouiffoit. Il fe faifoit appeller le Docteur det agréable ivrejfe Tfoui-yn-jîen-cheng il préféroit difoit-il

cette dénomination aux titres les plus pompeux & ce n'etoit

que par elle qu'il vouloit qu'on le défignât. Sa maniere devivre & les pièces de vers qui couroient de tems en temsfous le nom fingulier du Dofteur de l'agréable Ivrejfe le ren-dirent bientôt fameux. Quelques Lettrés de différentes provin-

ces, eurent la curiofité de voir un homme qui s'annonçoitd'une manière fi bizarre. Ils fe rendirent à Hiang-chan & huitd'entr'eux, à-peu-près du même âge que lui charmés d'un

genre de vie qu'ils regardoient comme le feul qui pût les ren-dre heureux, réfolurent de l'embraffer ils vinrent fixer leurféjour à Hiang-chan & s'y firent des logemens aux environsde celui de Pè-kiu-y où ils vécurent à l'exemple du Docteurde l'agréable ivrejfe dans l'indépendance& le repos. Ils s'afTem-

bloient fréquemment tantôt chez l'un tantôt chez l'autrefe mettoient à table buvoient, mangeoient & faifoientdes vers.

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Dès qu'ils etoient tous rendus au lieu de l'affemblêe l'und'entr'eux propofoit le fujet fur lequel devoit rouler l'entretiende ce jour-là & ce fujet etoit toujours décent, quoique fufcep-tible de tous les agrémens de la poéfie. Chacun tenoit à fontour le pinceau pour écrire ce dont on etoit convenu unani-mement. Quand à la fin du repas c'eft-à-dire à la fin de lajournée on tr^uvoit qu'il manquoit quelque chofe à la pieceon y revenoit un autre jour, jufqu'à ce qu'elle fût en etat deparoître alors on la livroit à cet ami de table de Pê-kiu-y

1)

dont j'ai parlé plus haut, & cet agréable débauché en faifoitla leélure dans les différentes compagnies', fous le titre de

piece nouvelle des neuf vieillards de Hiang-chan c'eft le nomque prenoient ces neuf Docteurs par contrafte aux neuf Sages

que les Seftaircs atiuroient s'être rendus immortels dans lemême lieu.

Quoique les noms de ces neuf perfonnages n'aient rien pareux-mêmes qui puiffe piquer la curiofité de l'Europe, cepen-dant, comme la gravité de l'hifloire chinoife n'a pas cru indi-

gne d'elle de les tranfmettre à la poftérité j'ofe l'imitejr iciPê-kiu-y reconnu pour chef, Hou-young & Ki-kan Affe£-feurs de Pê-kiu-y. Après eux, à la gauche, etoient Tcheng-km, Lieou-tcheng & Lou-tcheng & à la droite, Tchang-hoen Ty-kïen-mo & Lou-tchin ce rang n'efl autre quecelui de leur âge refpeftif car pour tout le refte ils gardoiententr'eux une égalité parfaire ils ne travailloient jamais qu'en

commun, & toujours lorfqu'ils etoient à table. Leurs petitespièces frappées au coin du bon goût fe répandoient bientôtde tous côtés, on ne tarda pas à en connoitre les Auteurs &les noms des neuf vieillards de Hiang-chan, ainfi que leur

genre de vie ayant percé jufqu'à la Cour l'Empereurvoulut en voir le chef, c'etoit alors Ou-tfoung qui etoit fur

le Trône Pê-kiu-y fut mandé il fe rend à la Cour, voit

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l'Empereur en eft très-bien reçu, mais il reçoit en même temsl'ordre cruel d'abandonner fa chère folitude de Hiang-chan.Pour lui adoucir en quelque forte l'amertume de cet ordre

le Prince lui donna les richeffes qu'il méprifoit & l'elevaaux honneurs dont il faifoit encore moins de cas.

Devenu tout d'un coup riche & Préfident fecond de l'un

des grands Tribunaux de l'Empire Pê-kiu-y fe conduifît enface & avec toute la gravité d'un homme de loi; il renonçaentièrement à la poéfïe mais non pas tout-à-fait au vin car

pour ne pas perdre le fouvenir des agréables momefis qu'ilavoit coulés dans fa folitude, il fit elever dans le jardin le plusreculé de la grande maifon dont l'Empereur lui avoit fait pré-fent une montagne faftice en repréfentation de la montagnede Hiang-chan ce jardin etoit comme un lieu facré, dontl'entrée etoit interdite aux profanes il n'y introduifoit que feshuit compagnons lefquels ayant été appellés peu après fondépart, avoient eu part comme lui aux bienfaits du Prince, &faifoient leur féjour dans la capitale. Le premier & le quinzede chaque lune jours auxquels tous les Tribunaux vaquentil leur donnoit fecrétement un repas dans le goût de ceuxqu'ils prenoient enfemble, lorfqu'ils demeuroientà Hiang-chan.Il s'y rendoit lui-même chaque jour à des heures réglées &

y paffoit tout le tems qu'il n'etoit pas obligé de donnerà la charge dont il etoit revêtu,& dont il rempliffoit tousles devoirs avec la plus rigoureufe exactitude. Au-deffus de la

porte qui fermoit en dedans ce féjour folitaire, il avoit mis

cette fimple inicription Tfoui-yn-fîen-cheng c'eft-à-dire auDocieur de F agréable ivrejje.

Rien ne tranfpiroit au dehors de tout ce qui fe pairoit dansfon domestique, il fe montroit en public avec la décencedu plus grave des Magiftrats il etoit d'une droiture & d'uneinflexibilité à toute épreuve quand il s'agiffoit du devoir.

Comme

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Tome V. H h h

Comme il etoit fans ambition, & que ce n'ecoii que par unordre fupérieur qu'il avoit accepte la féconde place de laMagistrature dans le Tribunal des caufes criminelles, il etoitauffi fans crainte & fans refpeft humaiii. La juftice & les loixparloient par fa bouche & lui dicloient tous fes Arrêts. Quandon lui demandoit quelque chofe qui fembloit ne pas s'accorderavec les principes de cette équité qui n'a acception de per-fonne il répondoit aux folliciteurs, de quelque qualité qu'ilsfuflent Je fuis comme l'arbre Tan-kouei droit uni maisinflexible on peut me brifer mais non me faire plier.

Pê-kiu-y ne vécut que cinq ans depuis fon arrivée dans lacapitale il mourut univerfellement regretté de tous ceux quil'avoient connu, la foixantieme année de Hoei-tchang c'eft-à-dire, l'an de Jefus-Chrift 846 il etoit dans la foixante-quin-zieme année de ton âge. L'Empereur Ou-tfoung fon bien-faiteur mourut à-peu-près dans le même tems il eft à croire

que ce Prince qui l'avoit comblé de biens & d'honneurs defon vivant, n'eût pas manqué d'honorer fa mémoire par quel-

que monument digne de fa magnificence s'il lui avoit furvécufeulement de quelques années. Il avoir fait tirer fon portrait &ceux de fes huit compagnons, & les avoit placés dans unefalle de fon Palais, qui n'avoit d'autre dénomination que cellede falle des neuf vieillards de Hiang-chan. Mais ce que la

mort l'empêcha de faire fut exécuté par fon fucceffeur, d'unemaniere plus conforme peut-être au fujet que celle qu'il auroit

pu imaginer lui-même. Sien-tfoung placé fur le Trône9

regarda comme un des articles effentiels au gouvernementcelui qui tendoit à encourager les talens il aimoit fur-rout lapoéhe & avoit lu avec admiration quelques pièces de Pê-kiu-y il fit chercher avec foin toutes celles dont cet aimablePoëte etoit inconteftablement l'Auteur on en trouva de quoiformer un Livre qui auroit contenu mille pages.

m Il T1 ?_ t~

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L'Empereur ne les fit point imprimer, il les fit graver avecfoin fur autant de tables de pierre qu'il y avoit de iùjets diffé-

rens; & toutes ces pierres il les fit placer féparément auxdifférens endroits de cette montagne faftice que Pê-kïu-yavoit élevée dans fon jardin à l'imitation de la véritable mon-tagne de Hian~kan il enrichit ce monument d'un genretout nouveau, de quantité de ces productions naturelles qui

ne fe trouvent que dans les montagnes & dont la curiofité defes prédéceffeurs avoit fait, à grands frais une ample collec-tion dans ton Palais il accompagna le tout d'un magnifiquedoge, qu'il ne dédaigna pas de compofer lui-même & qu'ilecrivit de fa propre main.

C'eft ainfi qu'en ne voulant qu'honorer d'une manière fingu-liere un homme îîngulier il lui erigea le plus beau trophéequ'on eût encore vu jufqu 'alors. La maifon de Pê-kiti-ydevint une efpece de temple,, dans lequel on fe rendoit de

toutes les provinces de l'Empire pour payer au brillant géniequi l'avoit animé, le tribut d'admiration dont il etoit digne& pour prendre en même tems, dans la lecture de tes agréa-bles ecrits, des leçons pratiques du goût le plus épuré. En faitde chanfons fines de petits contes & de poéfies légères onn'avoit rien, diioient les connoiffeurs qui pût être mis enparallele avec les productions du Docteur de l'agréable ivrejfe

1

fur-tout quant à la variété & à ia délicateffe des fujets. LaNation entiere confirma bientôt ce jugement par PempreîTe-

ment qu'elle eut à s'en procurer des copies. On achetoit lapermiffion de les tranfcrire fur les lieux une once d'or &l'on donnoit une once d'argent pour les avoir de la fécondemain. Les étrangers qui venoient alors faire leur commerce àla Chine, n'etoient pas moins empreffés que les nationaux àen faire l'acquifition; ils les echangeoient avec une fatisfaclion

peu commune contre les plus précieufes de leurs marchandi-

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Ces. On affure en particulier que ceux d'un Royaume quiportoit en ce tems-là le nom de KL-lin-koue au-delà desfrontières méridionales du Yun-nan après s être chargés desplus belles étoffas de foie & des meilleurs thés du Royaume,du Milieu croyoient cependant s'en retourner prefqu 'à vuidequand ils n'emportoient pas avec eux dans leur patrie quel-

ques lambeaux des ouvrages de Pê-kiu-v ( i ).

L X X I.L I E O U~T S O U N G Y UEN, Poète.

Il etoit originaire de la province du Chan-jî, il naquit àHo-ifoung fur les bords orientaux de la riviere Jaune. Il confacrales premieres années de fa vie à l'étude de la poéfie parceque fes parens reconnurent en lui un goût fi décidé pour cegenre de littérature qu'ils aurcient cru forcer fon inclination,s'ils i'avoient fait commencer comme le commun de ceux quiveulent s'avancer par les lettres. Dés l'âge de quinze ansLieou-tfoung-yuen favoit déjà la plupart des bons poëtes par

cœur il s'étoit attaché filr-tout à ceux qui avoient fleuri fousle règne des H an occidentaux. Cependant malgré la facilitéétonnante qu'il avoit à faire des vers (car ils ne lui coûtoientd'autre peine que celle de les écrire fur quelque fujet qu'il

REMARQUES.( i ) Les pays qui font au midi

de la province du Yim-nan com-pofent les Royaumes que l'onappelle aujourd'hui la Cochin-chine & le Tong-king & qui nefirent pendant un tems qu'un feul& même Royaume fous le nomde Ki-lm-koue c'eft-à-dire leB.oyaume des coqs & des forêts,

parce qu'il y a beaucoup de forêts& que ces forêts font pleines defaifans & de cette efpece d'oifeauxque nous appelions coqs de bruye-re. Les caractères chinois y fontdu même ufage qu'à la Chine &'peut être y repréfentent ils desimages encore plus brillantes quechez les inventeurs.

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s'exerçât) il comprit qu'il lui (eroit impofiibie non-feulementdefurpafler, mais même d'égaler quelques-uns de Ces contempo-rains qui jouiflbient de la plus brillante réputation en ce genre.Sans abandonner entièrement la poéfie il commença fon coursd'étude fur les King & fur la Morale pour fe mettre enetat d'obtenir les grades fans lefquels il lui eût eté très-difficile d'être promu aux emplois qui ouvrent la carrieredes dignités.

Son ardeur jointe à la facilité de fon génie lui eut bientôtapplani la route il fut fait Bachelier & enfuite Docleur. On

remarqua dans les différentes pieces qu'il compofa, pour les

examens qu'il eut à fubir un genre d'éloquence qui lui ctoit

propre & qui furpaffoit tout ce qu'on avoit vu jufqu'alors. Ilclifoit tout ce qu'il falloit dire pour convaincre, & il le difoit

'J l' l el S A 1comme il falloir le dire pour persuader. Sa manière même deformer des cara&eres talent très-eitimable & très-recherchéà la Chine portoit avec loi une certaine empreinte d'élégance& de liberté de pinceau qui charmoit les yeux de tout lemonde.

Ouang'chou-ouen & Ouei-.che-y l'un & l'autre miniftres

d'Etat, fa vans de la premiere claffe & examinateurs d'office,apprécièrent le mérite de Lieou-tfoun^-yuen en lui donnantla préférence fur tous fes concurrens & le récompenferent enquelque forte en obtenant pour lui une place de gouverneur,d'une ville du troifieme ordre qu'on appelloit alors, Lan-uen-hien.

Dans ce poire il eut occasion de fe faire connoitre de plus

en plus. Il fe regarda bien moins comme le gouverneur & lejuge, que comme le pere du peuple qui lui étoit confié.

Les requêtes qu'il préfenta de tems en tems au gouver-neur général de la province ,'foit pour lui demander de déli-

vrer fon peuple de certaines corvées qu'on exigeoit foit

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pour obtenir l'exemption de quelques impôts foit pour faireentreprendre des ouvrages publics aux dépens de l'Etat, dansle deffein d'occuper les oififs & les pauvres de fon diftricï enleur procurant quelque utilité réelle le firent eftimer de tousles mandarins, des lettrés fes mpérieurs,, & lui donnèrent entrée

aux premières dignités de l'Empire.J'ai exécuté les ordres de votre Majeflé ecrivoit le gou-

verneur général en rendant compte des affaires de la province.j'ai exigé les nouveaux impôts & toutes les villes qui font fous

mes ordres à l'exception de Lan-tien-hien ont faiisfait à toutdelà manière dont je pouvois le defirer. Jedis à l'exception de

Lan-tien-hien car non feulement je n'ai rien tiré d'elle ni de fesenvirons mais j'ai été contraint de lui faire des avances con-fidêrahhs & de puifer dans le tréfor public pour des répara-tions de la dernière importance. C'était l'affaire la plus effen-tielle de l'Etat & celle qu'il falloit terminer avant toutes lesautres & le plus promptement qu'il ctoit pojjible. Cejl fous cepoint de vue que Lieou-tfoung-yuen me l'a fait envifager dansLes différentes fuvphques qu'il ma préfentées je les envoie à

votre Majefié afin qu'après les avoir lues elle puiffe ju^erpar elle-même fi j'ai bien ou mal fait d'adhérer aux demandesdu Gouverneur de Lan-tien-hien. Je ferai bien trompé fî ellen'approuve en cela ma conduite.

Les Miniftres Ouang-chou-ouen & Ouei-tché-y lurent cesfuppliques ils les préfenterent à l'Empereur & lui direntqu'un Mandarin de ce mérite étoit déplacé dans une petiteville de province & qu'il pouvoit être d'un très-grand fecours

pour le Gouvernement. C'étoit alors Té-tfoung qui etoit furle Trône & Ton comptoit la dix-neuvieme année de Tchen-

yuen qui répond à fan de J. C. 803. «Ce Prince rendit juftice à Lieou-tfoung-yuen il fappella

à la Cour & le nomma Cenfeur général de l'Empire charge

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très-honorable mais en même tems très-périlleufe & très-

peu lucrative.Celui qui en étoit pourvu avoit droit de rcpréfentation fur

tous les obiets. Il devoit outre cela veiller fur les autres Cen-feurs les accufer s'ils ne rempliffoient pas leurs devoirs les

redreffer quand ils repréfentoient mal ou hors de propos,& faire valoir leurs censures & leurs raifons quand l'objet deleurs représentations intéreffoit la perfonne du Prince lagloire de l'Empire & le bien général de la Nation.

Lieou-tfoung-yuen s'acquitta de fon emploi à la fatisfac-tion de tout le monde. La façon dont il envifageoit les affai-

res, etoit ii lumineufe la maniere dont il faifoit valoir fes rai-fons, etoit il perfuafive qu'il fe faifoit des amis de ceuxmêmes dont il répriniok les fautes. L'Empereur & les Minif-

îres le regarderent comme un fujet auffi eclairé que fidele; lesCenfeurs particuliers & les Mandarins des provinces, commeun Magiftr at intègre mais plein de bonté & le peuple commefon protecteur & ton père. Les Lettrés partageoient avecplaifir la gloire d'un de fes membres, & admiroient fans jaloufie

tout ce qui fortoit de fon pinceau.Deux ans après l'élévation de Lieou-tfoung-yuen, mourut

l'Empereur Te-tfoung auquel fuccéda Chun-tfoung qui negarda que quelques mois la dignité fuprêrne. Ses infirmitésle rendoient incapable de régner. Le Miniftre Ouang-chou-oucnfur lequel rouloient toutes les affaires du Gouvernement, pro-fita de l'occafion pour avancer la fortune de fon ami. Il le fitfécond Président du premier des grands Tribunaux de l'Em-pire, en lui laiflant la charge de Cenfeur général. Chun-tfoung

ayant cédé l'Empire à fon fils Hlen-tfoung le Miniftre Ouang-chou-ouen & le Cenfeur général Lieou-tfoung-yuen furentplus en faveur que jamais, lis profterent de leur crédit & dela bonté dont ce Prince les honorcit pour placer ceux d'en-

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tre les Lettrés dont les talens étoient diitmgués. Ce fut ce quicaufa leur difgrace tant qu'ils ne ,firent pas de bien auxhommes les hommes les laiflerent jouir en paix de leur faveurmais quand une fois ils eurent ouvert la fource des bienfaits

pour la faire couler vers tous ceux qu'ils en croyoient dignes,ils fe firent des ennemis de tous ceux qui fe regardèrent commeméprifés ou oubliés. A la Chine comme par tout ailleursl'amour-propreperfuade aux moins habiles qu'ils peuyent allerde pair avec les plus éclairés & qu'ils les Surpaient même àbien des égards. Cet effain de gens de Lettres dont le plusgrand mérite confifte à entendre les King, vit avec indigna-tion qu'on donnât à d'autres une préférence dont chacun d'eux

en particulier fe,croyoit digne. De l'indignation, on paffa àla haine & de la haine aux accufations & à la calomnie.Quelques grands & plufieurs Eunuques les enhardirent & les

appuyèrent fous main & quand leur trame eut été entiére-

ment ourdie ils leverent le mafque & présentèrent à l'Em-

pereur une fupplique dans laquelle ils accufoient Guang-chou-

ouen & Lieou-tfouno-yuen de s'arroeer tous les droits dela dignité fuprême de ne mettre dans les emplois importans

que ceux qui leur étoient Servilement dévoués, de déterrerdans le fond des provinces fous prétexte de faire valoir lestalens, des hommes inconnus qu'ils appelloient à la Cour pours'en faire des appuis & des panégynftes & cela pour par-venir plus Sûrement à leur but qui etoit de fe maintenir dansl'indépendance & de gouverner Seuls ils prioient Sa Majeftéd'examiner par elle-même la conduite de Lieou-tfoung-yuen

& celle de Ouang-chou-ouen.

L'Empereur, à ce que prétend FHiftorien reçut ce placet,

avec plaiiîr parce qu'il lui fournifioit un prétexte plaulîbled'éloigner deux hommes aux avis deSquels il le trouvoit commeforcé de déférer dans toutes les occalions ce qu'il commen-

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çoit à regarder comme une efpecc de joug qui lui devenoitde jour en jour plus insupportable quoi qu'il en toit, les deuxamis furent enveloppés dans la même difgrace caffés de leuremplois & exilés de la Cour. Cependant comme il n'y avoitcontre eux que des accufations vagues l'Empereur voulutgarder à leur égard quelque forme de juftice. Il leur donnaà l'un & à l'autre le gouvernementd'une ville du fecond ordre.Lieou-tfoung-yuen fut envoyé à Lieou-tcheou. Comme fa répu-tation l'y avoit devancé il y fut reçu avec les démonftra-tions de la joie la plus feilfible. Les Mandarins de tous lesordres, tant de lettres que d'armes allèrent au-devant de lui,dès qu'ils apprirent qu'il approchoit & l'introduilirent dansla ville aux acclamations de tout le peuple. Le corps des lettréss'affembla & conclut à le reconnoître pour maître. Tous les

gradués qui fe trouvoient alors à Lieou-tcheou fe rendirent àfon hôtel à un jour déterminé. Ils fe profternerent devant le nou-veau Gouverneur frapperent la terre du front, & lui protef-

terent qu'ils fe regardoient comme les très-dociles & fes très-reconnoiffans difciples, lefuppliant avec toute l'inflance dontils etoient capables de ne pas dédaigner la qualité de leur.maître.

Lieou-tfoung-yuen plus flatté de cet hommage que de

tous les honneurs dont il avoit joui à la Cour, fe rendit auxempreffemens du corps refpeftable qui vouloit l'avoir pourchef. Il eft bon de remarquer que reconnoître quelqu'un pourfon maître n'efl point à la Chine une vaine cérémonie ou unpur compliment, c'efl une efpece de contrat, par lequel ledifciple ne s'engage pas feulement à la foumiïfion & à la défé-

rence dues à celui qui eft cenfé l'inftruire dans les Lettres &la Morale, & le guider dans le fentier des bonnes mœurs;mais encore à une reconnoiffance qui l'oblige à fecourir fonMaître dans le befoin Se s'il le faut à partager avec lui ton

bien

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bien & fa fortune. L'obligation que l'on contra&e par cetteefpece de contrat, a autant de force ici, qu'en a en Europe

ce qu'on appelle une dette d'honneur & un Lettré qui a puformer quelques difciples eft comme fur qu'il ne manquerajamais des chofes néceffaires à la vie.

A l'exemple des Mandarins & des Lettrés tes {Impiescitoyens voulurent donner à leur Gouverneur une marque del'attachement qu'ils lui vouoient ils le fupplierent de ne pasdédaigner d'accepter le titre de leur compatriote & lui défé-rerent, d'une commune voix le nom de Seigneur de Lieou-tfoung, leur ville, voulant fignifier par-là qu'ils fe donnoient àlui autant qu'il etoit en leur pouvoir de le faire. Une diilinftionfi flatteufe dont on n'avoit pas vu d'exemple depuis bien desiiecles engagea Lieou-tchoung à ne rien négliger pour s'enrendre digne il fe coiiduifit à Lïeou-tcheou comme il avoir faità Lan-tien-hien & par fa maniere de gouverner par fesfoins infatigables & fes attentions paternelles il fe rendit pourtoutle monde un objet d'eftime,detendreffe & de vénération. Ilne jouitque peu d'annéesd'une gloire fibien méritée, &àlaquelle'les perfonnes en place ne devraient jamais ceffer d'afpirerl'application confiante aux devoirs de fa charge l'étude &peut-être plus que tout cela le chagrin de Ce voir éloigné dela Cour, fans cfpérance d'y être rappelle, le minèrent infen-fiblement & terminerent le cours de fa vie lorsqu'il necomptoit encore que la quarante-feptiemeannée de ton âge.Il laifïa deux enfans, dont le plus âgé n'avoit pas cinq ansaccomplis.

Sa famille voulut que fou corps fût porté dans la fépulturede tes Ancêtres les Mandarins de Lieou-tcheou firent tousles frais du tranfport les Lettrés députèrent quelques-unsd'entr'eux pour l'accompagner & affifter à fes funérailles

quoiqu'il fallût faire un voyage très-long & le peuple à qui

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on ôtoit la confolation de pouvoir révérer fes cendres, plaçafa tablette dans un petit lVlïao où deux fois chaque année ilalloit faire les cérémonies qui font d'ufage pour les Ancêtres.

L X X 1 I.HA N Y U Savant.

Han-yu furnommé Toui-tche naquit à Teng-tcheou du

pays de Nan-yang c'eft-à-dire à Sieou-ou-hien d'aujour-d'hui, ville du troifieme ordre de la dépendance de Hoai-Jlmg-'fou de la province du Ho-nan il etoit defcendant, àla feptieme génération de Han-mao Prince de Ngan-ting.Il n'avoit que trois ans quand il perdit fon pere & fa mere l'unde fes coufins, qui etoit Mandarin à Ling-koan le prit chezlui & fe chargea de fon éducation mais peu de temsaprès il mourut lorfque Han yu entroit dans fa feptiemeannée. Sa veuve avoit pris de l'amitié pour le jeune orphelin,elle le garda chez elle, & en prit foin comme de fon proprefils elle n'oublia rien de tout ce qui pouvoit contribuer à fon

avancement dans la morale les lettres & les exercices propresaux perfonnes de fa condition.

La nature avoit donné à Han-yu un efprit des plus pénétrans& une mémoire prodigieufe; il fit en très-peu de tems desprogrès etonnans il apprit les fix king il etudia l'hiftoire fepréfenta pour les différens examens, & obtint tous les gradesjufqu'à celui de Dofteur. Il ne fut pas long-tems fans être pla-cé il commença par les petits Mandarinats, dont il remplitles fonctions avec éclat.

La dix-neuvieme année de Tchen-yucn c'eft-à-dire l'anhuit cent trois de l'ère chrétienne l'Empereur Tê-tfoung l'ap-pella auprès de fa perfonne & le nomma Cenfeur général.Han-yu fans expérience encore n'etoit plein que de la

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morale des king, & il avoit plus de zele pour ce qu'il appel-loit le bien public que de politique pour fe maintenir dansles bonnes graces du Souverain. Il fut à peine en poffeffion defa charge qu'il voulut en faire les fondions à l'égard du Sou-verain lui-même. Les Eunuques avoient établi dans l'enceintedu Palais une efpece de foire ou de marché public, à l'imita-tion des marchés & des foires qui fe tenDient dans la ville

on y vendoit, achetoit, echangeoit des marchandifes desmeubles &c. Les Princes, les Grands les Courtifans lesEunuques les Femmes même de l'Empereur alloient s'ypourvoir de tout ce qui pouvoit leur être utile ou leur faireplaiiîr. Han-yu ne vit dans cet ufage qu'un abus indécent, il femit en tête de le corriger; il fit, en qualité de Cenfeur, fesreprésentations mais il les fit un peu trop fortes, & en termesqui n'etoient pas affez mefurés. Pour toute réponfe il reçut unordre qui l'envoyoit dans une province reculée gouvernerle peuple d'une ville du troifieme ordre. Sa charge de Cenfeurfut donnée à Lleou-tfowig-yuen.

Son courage & fa fermeté lui gagnerent l'eflime de tous leszélateurs fa difgrace lui fit des amis de tous ceux qui n'ofoient

approuver trop ouvertement fa conduite. Il arriva dans fonpetit gouvernement avec la réputation d'un homme qui pré-féroit fon devoir à tous les avantages de la fortune. C'en futaffez pour le faire refpefter de tous ceux qui lui etoient fou-rnis. L'intégrité de fon administration jointe à des moeursirréprochables le rendit l'idole du peuple. L'eftime qu'onavoit conçue de lui etoit fi grande que lorfque les peres &les meres dans leurs tranfports de tendreffe vouloient fouhai-

ter du bien à leurs enfans ils difoient PuiJJle{-vous rejjembler

à Han-yu. Les troubles qui agitoient alors la plupart des pro-vinces de l'Empire, & qui obligeoient par-là même à entrete-nir prefque par-tout des gens de guerre, pour contenir les

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rebelles & les mutins, engagèrent le Gouverneur de la pro-vince à demander à l'Empereur que Han-yu fût envoyé àKiang-ling en qualité d'Infpecleur des troupes qui gardoient

ce poile important. Cette commiffion ne dura que quelquesmois après lefquels Han-yu fut fait Gouverneur d'une villedu troifieme ordre de la province du Ho-nan. De cet emploiil paffa bientôt à un autre, & de cet autre à un troifieme. Ilfut caffé & remis en place puis caffé encore & rétabli de

nouveau. Ennuyé de fe voir ainfi traité, fans y avoir donnéoccaiion à ce qu'il croyoit il compofa un Ouvrage qu'ilintitula Kin-hio-kié c'etoit un expofé des affaires généralesde l'Empire un détail particulier de celles auxquelles il avoiteu part & une unification de la conduite qu'il avoit tenue.Il préfenta cet Ouvrage aux grands Mandarins fes fupérieurs

9

& ceux-ci, après favoir lu conçurent une iî grande eftime

pour fon Auteur, qu'ils le propoferent au Miniftere commeun homme capable d'exercer les plus grandes charges del'Etat.

Les Minillres qui le connoiffoient profitèrent de cetteoccafion pour le faire rentrer en grace ils obtinrent pour luila charge de Confeiller de l'un des grands Tribunaux de lacapitale j & le firent nommer outre cela Révifeur des Mémoi-

res qui devoient fervir de matériaux aux Hiftoriens futurs. Onajouta à ces deux emplois celui d'examiner les différens

genres de mérite de ceux qui devoient être promus, & peuaprès on l'admit au Miniftere en qualité d'Adjoint ou de Con-feiller d'Etat. Cette dernière charge n'etoit pas faite pour lui,il formoit des projets, qu'il cà1quoit pour l'ordinaire fur le

gouvernement des fages Empereurs de l'antiquité & il enfalloit qui fuffent appropriés aux circonftances. Dans ce tems-là ceux du pays de Tfai fe révoltèrent on envoya des troupespour les mettre à la raifon. Han-yu fit fur cela fes repréfenta-

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tions à l'Empereur & ce qu'il propofoit etoit û bien conçu& iî bien préfenté que le Souverain etoit fur le point de lefaire exécuter. Les Minirires l'en détournèrent en lui faifantcomprendre que cette magnifique théorie etoit impraticabledans le tems où l'on vivoit ils allèrent plus loin, ils lui per-fuaderent que Han-yu etoit déplacé qu'il etoit fait pour lesLivres & non pour les affaires en conféquence l'Empereur letira du miniftere, & le nomma Précepteur des Princes fesenfans; mais comme cet emploi quoique très-honorable, nedonnoit aucun rang dans l'Empire, ni aucune autorité à celuiqui en etoit pourvu Pei-tou qui etoit alors premier Miniïîreobtint que Han-yu feroit outre cela Président fécond dans leTribunal des crimes il le mit dans l'occafion de fe perdre encomptant lui fournir celle de s'elever.

Une des prérogatives des chefs des grands Tribunaux e/r.

de pouvoir faire des repréfentations au Souverain, quand ils'agit des mœurs publiques, ou de ce qui pourroit donneratteinte aux ufages de la nation. L'année précédente avoiteté des plus mauvaifes, on ne fit aucune récoke dans la plupartdes provinces de l'Empire & la difette avoit donné lieu àdes émeutes populaires. Un Mandarin, Seftateur de Fo pritcette occafion pour tâcher de procurer quelque gloire à fonIdole il dit à l'Empereur que dans la ville de Foung-tjîanr-fou, du Chen-fi le Temple Fa-men-fée poffédoit tous les oiTe-

mens d'un des doigts de Fo; que de trente en trente ans onexpofoit cette relique à la vénération publique, & qu'alors

une fertilité des plus abondantes régnoit dans tous les environs,& bien loin encore au-delà.

Sur cette repréfentarion l'Empereur envoya quelques Offi-ciers & Eunuques de fa préfence, avec ordre d'apporter lefditsoffemens ou de fervir d'efeorte à ceux qui les apporteroient.La relique arriva au commencement de la quatorzième annéee

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de Yuen-ho c'eft-à-dire l'an 8 1 de l'ère chrétienne ellefut dépofée d'abord dans le Palais Impérial, où on la gardatrois jours pendant lesquels le Souverain & ceux qui com-pofoient fa Maifon les Miniftres & tous les Courtifans, luidonnèrent à l'extérieur, toutes les marques de la vénérationla plus profonde. Du Palais du Prince on la tranfporta fuccef-iivement dans tous les Miao de la capitale & c*eft-là quedepuis les Chinois fe rendent à l'envi pour faire des prières& des vœux, & demander les uns la fanté, les autres lesricheSes & tous le bonheur d'être protégé par celui qui etoitalors le principal objet de leur culte; tout etoit en rumeurdans la ville, & chaque jour etoit comme un jour de fête,célébré par tous les ordres de l'Etat.

Dans cette circonftance, les plus zélés partifans de l'an-cienne doftrine n'oferent élever la voix, ils fe contentoientde murmurer dans l'enceinte de leurs familles, ou en préfencede quelques amis. Le feul Han-yu eut affez de courage pours'oppofer publiquement à un abus, qu'il appelloit le renver-fement des mœurs. Il compofa un écrit qu'il préfenta à l'Em-

pereur, & qui etoit conçu à-peu-près en ces termes, quel'hiftoire a confervés & que je vais traduire fidellement d'aprèselle ( i ).

Fo n'etoit qu'un homme auquel ceux du Royaume de Y-ty

ont rendu aprèsfa mort un culte religieux. Depuis Hoang-tyjufqùau tems du grand Yu; depuis Yu jufqu'à Tang-ouang

sfondateur de la feconde Dynaflie & depuis le tems où vivoit

ce grand Prince jufquà celui de Ouen-ouang, & de Ou-ouang9les hommes jouifjtient d'une longue vie i le peuple couloit fes

REMARQUES.( 1 ) Dans les Livres chinois fieurs noms tels que Yn-tou-kouèt

les Indes font appellées de plu- Y-tj-koué, Tim-tcliou-koué &c.

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jours dans la joie, parce qu'il etoit bien gouverné, & qu'ils'occupoit de la pratique de fes devoirs ( I ) On navoit pointencore entendu le nom de Fo encore moins celui d'une religiondont on lui- attribue l'etablijfement. Fo n'exifloit pas encorece ne fut que fous le regne de Ming-ty ( fécond Empereur desHan orientaux, qui monta fur le Trône l'an 58de l'ère chré-tienne ), que la doBrine de ce Fo pénétra dans l'Empire. Depuisce tems on n'y vit plus que guerres cruelles troubles & défola-tion on ne voit pas des Princes qui aient régné un grandnombre d'années. Depuis les Soung jufquaux Leang ( c'eft-à-dire, depuis l'an 420, jufqu'à l'an 502 ), qui efl l'efpace de

tems où la religion de Fo a jette les plus profondes racines &a eu le plus de Sectateurs lefeul Leang-ou-ty, qui commençaà régner cette même année régnapendant 48 ans; mais commeil fe dévoua indignement au culte de Fo il pafja. la moitié de

fa vie dans la mifere & finit par mourir de faim dans l'appar-

tement où îufurpateur Heou-king Vavoit enfermé. C'efl endemandant à Fo le bonheur, qu'il jut précipité dans le gouffredes malheurs. Tellefut la récompenfe de fon culte fuperjlitieuxj'ofe en rappeller ici le fouvenir à Votre Majeflé.

Fo etoit un homme du Royaume de Y-ty qui ignoroit les

principaux devoirs que doivent remplir ceux de notre efpeceje veux dire ces devoirs du Prince envers les fujets & desfujets envers le Prince du pere envers des enfans & des enfans

REMARQUES.( 1 ) L'hiftoire ajoute que la

vie des hommes jufqu'au temsde Outn-ouang etoit beaucoupplus longue qu'elle ne l'efl de

nos jours & qu'une des rai-fons pourquoi elle a été abré-gée > eft que les hommes fe livrent

à leurs pafïïons & à des faiiffisdocirines.

Nous voyons dans nos Livresfaints que c'efl à-peu-près vers cetems-là que les hommes ne jouiC-fent plus de la prérogative dontavoient joui leurs peres,

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envers le père devoirs dont l' accompliffement dijilngue thommede la bnite. Mais quel qu'ait eté Fo de fon vivant, que nousimporte? Je juppofe pour un moment qu'il vécût encore, &

qu'il vînt à la Chine pour rendre hommage au grand Prince quila gouverne, tout ce que vous pourriez faire de plus honorable

pour lui ferait de l'admettre en votre préfence, de lui donnerlefejlin de cérémonie de lui faire des préfens & de nommerquelques Grands pour le reconduire avec honneur jufquauxfrontières de fon pays & veiller à fa sûreté le long de la route*V^ous lie certainement pas qu'il féduisît le peuple,

en lui enfdgnant une doctrine remplie defauffetés abfurdes. Ehquoi parce qiiû ejl mort depuis un grand nombre d'années

a-t-il acquis le droit à une féduclion dont vous l'auriez punit

s' il y eût travaillé fous votre regne, quand il vivoitCroyez-moi Seigneur au heu de donner tant de marques de

refpecls pour des offemens à demi-pourris au lieu de les expoferdans votre propre Palais à la vénération de ceux qui vous fervent,livrez-les aux Mandarins des rus avec ordre de les brûler publi-

quement ou de les jetter dans la rivière vous arrêterez par-làles progrès d'une fafeination qui malheur eujement devient cha-

que jour plus incurable les générations à venir vousfront redevablesd'avoir été préfervées d'un mal qui feroit pour

elles comme il l'efl pour ceux qui vivent aujourd'hui unefourecintarijfable de malheurs. Si Fo a quelque pouvoir que les effetsde fi colère retombent tous fur moi.

La lecture de ce placet irrita tellement l'Empereur contreHan-yu, qu'il ordonna jur le champ qu'il fût livré au Tribunaldes crimes pour y être jugé dans toute la rigueur des loix

conzme unfujet qui a manqué effentiellement à fon Prince. LesMinières Pei-tou & Tfoui-kiun fe projlernerent & lui deman-dèrent à deux genoux la grâce du prétendu coupable. Han-yu

9lui dirent-ils, efl un homme opiniâtrement attaché à l'ancienne

doctrine»

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doclnne il a toute la rudeffe de ceux qui n'ont de commercequ'avec leurs Livres, mais il efl plein de bonne volonté & fesintentions font les meilleures du monde. En, s émancipant comme

il ta faif, il a cru re remplir que fou devoir & n'a pasfoupçonnéqu'il offenferoit Votre Majejli. Nous vous fup plionsSeigneur de vous contenter de l'éloigner de la Cour fi vous lepunijje^ juridiquement pour vous avoirfait des représentationsla crainte fermera toutes les bouches fufpendra tous les pin-ceaux vous ignorereç ce quife pajfera dans l'Enzpire.

L'Empereur fe radoucit, & Han-yu ne fut point livré auxJuges mais il fut caffé de tous fes emplois & envoyé à Tfao-tcheou pour y être Gouverneur du peuple. Ce n'ejl pas faire

un petit éloge de ce grand homme ajoute l'Hiftorien que dedire que parmi tant de Lettrés qui etoient en place qui occu-poient même les premicres dignités de l'Empire qui ne croyoient

pas plus à la doclrine de Fo que lui il fut le feulqui eût ajje^

de courage pour expofer fa fortune & fa vie en fe déclarant

ouvertement contre un abus deflrucleur infenjible mais efficace}

des mœurs & de la doclnne de la nation.Arrivé à Tfao-tclteoit l'intrépide Han-yu s'y conduilît

comme il avoit fait ailleurs il mit tous les foins à remplir (es

devoirs & donna le refte de fon tems à l'étude. Le premierfruit de les veilles fut un Ouvrage dans lequel il prouve latradition non interrompue de l'ancienne 8c véritable doctrinechinoife depuis Yao jufqu'à Mong-tfee Yao dit-il, tranfmità Chun la doclnne qu'il avoit apprife des Anciens de Chun

cette doctrinepaffa fans altération juf qu'au grand Yu fondateurde la première de nos Dy?iafliss du grand Yu elle paffa jufqu'àTcheng-tang, fondateur de la Dynafàe des Chang lequel la

fit paffer à fon tour jufqu'à Ouen-ouang Ou-ouang &

Tcheou-koung ces illuflres chefs de la troiflane Dynaflie

par les foins de Tcheou-koung elle fut confervée dans toute fa

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pureté jufqii an tems où Confucius par fis écrits Immortels,yparfis exhortations & par [es exemples la fit briller d'un éclat

que tous les fiecles à venir ne fiauroient effacer de la mémoire deshommes. Mong-tfee fit en quelque fione revivre Confucius

mais après lui la faine docénne commença a être névlivée lesfiauffes Secles prévalurent dans l'efiprit des peuples celle de Fofur-tout eut des partifans innombrables i & ce mal s'efi fi. fort

accru, que dans le tems préfent à compter depuis les Princesjuf qu'aux plus vils des artijans il nefi prefque perfonne qui nerende hommage à £ o & qui ne lui adrefje des prières ou pourobtenir le bonheur ou pour être préfervé des infortunes.

Han -yu écrivit à l'Empereur pour lui rendre compte del'état des chofes dans la petite ville dont il lui avoit confié le

gouvernement. Il le remercia en même tems de toutes lesbontés dont il l'avoit honoré jufqu'alors & cfa lui offrir

comme une eipece de jufHfication de fa conduite paffee9

l'ouvrage qu'il venoit de compofer. L'Empereur loin de s'offen-fer de cette liberté, ne regarda Han-yu que comme un de

ces hommes partifans outrés des mœurs antiques qui ontacquis le droit d'invectiver contre les moeurs préfentes enrécompenfe de leurs bonnes intentions & d'une conduite

exempte d'ailleurs de tout reproche. Il lut avec plaifir ionOuvrage en admira le ityie & fe repentit d'avoir confinédans le fond d'une province un fujet qui pouvoit être plus utileà l'on fervice s'il etoit employé dans la capitale. Il profita dela première occafion pour le rappeiler & lui donna l'Inten-dance générale fur ce qui avoit rapport au Collège Impé-rial cJetoit-là en effet l'emploi qui lui convenoit le mieux jauffi. s'en acquitta-t-ii avec un fuccès qui avoit peu d'exem-ples. Il ranima l'émulation parmi les ctudians; il fit naître ceiledes maîtres & une foule de productions littéraires de tousles genres, fut ie fruit des foins quJil fe doanoit pour tirer partides talens.

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Kkk ij

Avant que de fe mettre en poffefiion de fon nouvel emploi,Han-yn s'etoit informé de la conduite particulière des mœurs& de la capacité de tous ceux qui devoient être fous fes ordres,afin que fuppofé qu'il fe fût gliffé quelques abus il pût tra-vailler tout en entrant en charge, à les déraciner, ou à les cor-riger. Il avoit appris dit rHïftorien que parmi les maîtres ils en trouvoit un d'un mérite diftingué mais d'une phyfio-nomie tout-à-fait difgracieufe mettant outre cela dans fonparler, dans fa contenance & dans fes manières, tout ce qu'ilfalloit pour rebuter ceux avec qui il vivoit Les Manda-rins prépoies pour maintenir le bon ordre les maîtres &tous les autres commenç ans enflent mieux aimé ie priver deleurs repas que de le prendre à côté de lui ou en fa compa-gnie. Les ecoliers mêmes oubliant quelquefois le ref-peft qu'ils lui devoient en faifoient entre eux un objetde railleries & le îujet de leur dérifion. Han-yu corrigea les

uns & les autres, fans qu'il parût qu'il y eût pour cela undeflein formé de fa part.

Le jour de fa premiere vifite on lui fervit le repas ordi-naire auquel n'ofa fe trouver le maître dont nous parlons.

manque ici dit Han-yu il faut F attendre à table

comme ailleurs j'aime que tout le monde foit à fon devoir.Le dégoûtant Lettré ne tarda pas il paroître. Han-yu le reçutavec toutes les démonflrations de la plus parfaite eftime lefit placer à côté de lui lui adreffa fouvent la parole le louafur fon mérite perfonnel & en particulier fur ton exactitude

à remplir fes devoirs, & finit par ces mots obligeans II y aionor tems que je vous connois de réputation. Je fais que

vous êtes un favant de la première claffe mais un favant dont

la mode/lie eçale la feience que vous êtes un phdojophe maisun de ces philofophes qui pratiquent le premier les lecons de lafageff'e qu'ils donnent aux autres. Je vous avois donné mon

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ejlime avant de vous avoir vu aujourd'hui cjue je fuis emvloyi

au fervice de l'Etat pour le même objet que vous je vous donne

mon amitié & je vozis demande la vôtre.Tous ceux qui etoient préfens regardèrent les paroles &

toute la conduite de leur nouveau chef, comme une leçonqui leur etoit faite & ils en. profitèrent. Non feulement ils

n'eurent plus cet eloignement odieux pour ceiui dont la figure& les manières leur avoient ir.fpiré ci devant du méprismais ils fe rapprochèrent de lui, & chacun d'eux voulut êtrefon ami. Je marque ici cette petite Anecdote, parce qu'elleconfirme cette vérité, que les hommes font à-peu-près les mê-

mes par-tout.A la tête du Collège où tout ce qu'il y avoit de plus favant

dans l'Empire étoit réuni, Han-yu mit tous fes foins à fairefleurir les Lettres. Il travailloit lui-même & faifoit travaillerles autres. Ne fe mêlant plus des affaires d'Etat il n'etoitplus dans le cas de déplaire par des représentations fouventodieufes à celui qui les écoute & toujours périlleufes pourcelui qui les fait. L'Empereur plus content de jour en jour defes fervices voulut lui donner des marques de fa fatisfaclion

5& le nomma Préfident du Tribunal de la Guerre. Il efc bonde remarquer que ce Tribunal nJa d'autre charge que cellede veiller à ce que les gens du métier ne foient pas grevés &ne grevent pas les autres à juger des différends qui peuvents'elever entre eux, à faire enforte que les emplois foient tou-jours remplis à propofer au Souverain ceux des Officiers quidoivent être promus, & à demander la caffation de ceux quipar leur mauvaife conduite feroient regardés comme indignesde fervir à faire payer exactement les appointemens de cha-cun, à empêcher qu'il ne fe gliffe des abus & à corrigerceux qui feroient déjà introduits, à donner des ordres auxMandarins des provinces pour l'approvifioniiement des trou-

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pes quand elles font en corps d'armée & autres chofes depolice générale dont tout homme de feus de quelque étatqu'il foit eft en état de juger.

La féconde année du regne de Mou-tfoung c'eit-à-direl'an de J. C. 822 les troupes de Tchen-tcheou fe révoltèrentmaffacrerent Tien-houng tcheng leur commandant, mirentOuang-ting-cfeou à fa place & firent favoir aux révoltés des

autres provinces qu'ils avoient à leur exemple fecoué le joug,dans l'efpérance qu'ils les aideroient à fe maintenir quand ils

en feroient requis. Le grand nombre des villes qui s'etoientdéjà fouftraites à l'autorité légitime avoit forcé le mimfîereà entretenir plufieurs corps d'armée pour travailler à les réduire& empêcher les progrès d'un mal qui devoir bientôt n'avoirplus de remede. Tous ces corps d'armées étoient occupés& on ne vouloit point dégarnir la Capitale ni aucune desvilles voifines où les troupes etoient encore plus néceffairesqu'ailleurs. On prit le parti de la négociation & l'on crutque Han-yu étoit l'homme qu'il falloit pour réufîir. L'Empe-

reur le nt appelier & lui dit Je vous charge d'une commif-

fon pénlleufe mais il y va de mon fervice & du bien de l'E-tat, & je fais combien Fuji & l'autre vous jont à cœur. Alle^à T chen-tdaeou pour faire rentrer les rebelles dans leurs devoirs

cajfel mette\ en place, châtie^, récompenfe? promette^ jevous donne toute mon autorité & je ratifie d'avance tout ce

que vous fere7L. Je ne puis pas vous mettre en état de vous j "aire

obéir de force je n'ai que peu de foldats à vous donner Triais

je fuis perfuaii que votre éloquence fera plus que ne fer ou unearmée.

Seigneur, lui répondit Han-yu la confiance dont votreMajefté 771 honore, efi capable j'eule de me faire faire des7 pro-Il~la~e~cé

172 rolror-e e~ c,zl5aolefczzte ae me fàire ~aue ues pro-diges. Obéir à fou Prince efï le premier devoir d'un fujetyexpofer fa propre vie en lui obeiffant n'ejl'1 que l'accoinplijfe-

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ment de ce même devoir. J'irai à Tchen-tcheou & fl je ne puisvenir à bout d'infpirer aux rebelles des fcntimens de repentir,je perdrai fans doute la vie mai je mourrai content puif-

que ma mort prouvera mon zele pour le bien de l'Etat & monattachement inviolable à la perfonne de mon Souverain. Il artitfans vouloir d'autre cfcorte que celle qu'on avoit coutume dedonner aux principaux Officiers du Tribunal- dont il etoit lefécond Préfîdent iorfqu'ils etoient députés pour quelque com-miffion extraordinaire.

Quand il fut à peu de diftance du lieu de fa commiffion ilfit prendre le devant à l'un des principaux de fa fuite avecordre de divulguer à Tcken-tcheou que H.in-yu nommé com-rmlTaire pour informer fur le meurtre du Commandant, etoitfur le point d'arriver. A cette nouvelle lequeles foldats s'etoienr choifis fortit de la ville à la tête d'un

corps de troupes pour reconnoître par lui-même fi le Com-miflaire etoit allez accompagné pour faire craindre un fiege

car il s'attendoit que l'Empereur le feroit attaquer & il s'etoitdéjà préparé à tout événement. Han-yu qui n'etoit qu'à peude diiîance parut bientôt. Dès qu'il apperçut cette troupede gens de guerre venir à lui il leur fit figue de s'arrêterdéfendit fes propres gens de le fuivre & s'avança feul versceux qui paroiffoient vouloir l'enlever. Je viens à vous leurdit-il non pas en homme de guerre pour vous combattre mais

en Mimjlre de paix pour ajfurer votre bonheur en vous fug-pérant les moyens de rentrer en grace avec votre maître contrelequel vous vous êtes révoltés mal-à-propos. J'ai plein pouvoir

poz/y ?7!0/z cc~c ~?. ~H~ ~Mc;2~e7 ?pour terminer à mon cette affaire. Q_ue prétende^ vous ?Quelles font vos vues ? Il faut qiion vous ait terriblement

vexés pour que vous vous foye^ portés ci manquer ainfi au premier& au plus effentiel des devoirs qui lient les hommes les unsaux autres celui de l'obéijfance que les j'ujets doivent à leur

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DES CELEBRES 'CHINOIS.1 Il 1 11 1légitime Souverain. Vous êtes les defcendans de ces hommes

qui obétQoient avec tant d'exaBitudc de fidélité & de joie àYao à Chun ait grand Yu à Tcheng-tang & à Ou-ouang

& vous votileç imiter ces nations barbares qui ne mettent aucunfrein à leurs pajjlons qui ne de loix cjue cellesdu caprice? Vous ave^ fait une faute rentrer^ en vous-mêmespour la ditejler & j'en obtiendrai pour vous le pardon,

Soldats répondez-moi. Aime^-vous mieux le nom de rebelles

au.e 1! honorable titre de fideles fujets ? Atnic^-vous mieux être~oumis ct urz particulier fans carac`ler-e qrt'à l'artjr fle ~`els du

Ciel parler^.

A ces mots tous les foldats^, comme s'ils l'avoient concertéd'avance entre eux fe mirent à deux genoux 8c cricrent de

toutes leurs forces Vive dix mille ans noire aicgufie

Empereur ? nous ne voulons que ha pour naître nous ne vou-lons obéir qu'à lui. Le Commandant entraîné par l'exemple

fit comme fes foidats & fut le premier à demander grâce.Han-yu fut conduit comme en triomphe clans la ville, où lerefi'e de l les 1-)17!nC*lt,11«~7 lerelie de la garnifon les principaux citoyens & le peuple le

recurent avec tous les honneurs dus à fon caractère & toutesles1"1' 1deli'1lî, Illes déroonftrations de la joie la plus parfaite. Il commença

par accorder, aunom de l'Empereur une ammine générale &procéda enfuite juridiquement aux informations iur le meurtredu Commandant. I! avoiteu foin, avant toutes choies, de per-fuader aux troupes que tout ce qu'il alloit faire n'étoit quepour la forme il avoit obtenu des Officiers qu'ils confenti-roient a erre caftes moyennant une promefîe qu'il ieur avoit

de lc~ "1 ou 1--s f~i;re i-étéililir1, dfaite de les faire placer ailleurs ou de les faire rétablir dansl'endroit même ainfi tout ie palTa avec la plus grande tran-quillité à la iatisfaction de tout le monde & fans rien faire

qui pût avilir lu Majefré fbuveraine.Après avoir rétabli le bon ordre à Tchai -tcheou Han-yu

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revint dans la Capitale il rendit compte de fa conduite àl'Empereur, obtint la ratification des promefles qu'il avoit faites

au nom de Sa Majefté & reçut les applaudiffemens de toutela Cour, qui ne pouvoit fe laffer d'admirer un homme de Let-

tres, dont le courage joint aux talens de la perfuafion, avoittriomphé de toute la férocité des rebelles en beaucoup moinsde tems que n'en auroient employé des armées nombreufes,

pour parvenir à la même fin.L'Empereur ne s'en tint pas à lui donner des éloges ftériles

il le récempenfa d'une maniere digne de fa grandeur, &proportionnée au Service il ajouta de nouveaux titres à ceuxdont il l'avoit déjà décoré, le nomma Président du premierdes grands Tribunaux de l'Empire & continua à l'honorerde fa bienveillance, tant qu'il fut en état d'en jouir.

Plein de gloire & comblé des faveurs de fon Maître Han-

yu ne s'en livra pas moins à l'étude qu'auparavant. Il avoitcompofé, à l'occafion que j'ai rapportée plus haut, le Yuen-tao-teng-pien c'eft-à- dire Origine de la véritable doftrinechinoife, ouvrage dans lequel il inventive contre les Seftes& en particulier contre celle de Fo. Il acheva de mettre enordre l'hiftoire des Ouei & des Tfz;z qu'il mit à la fuite desOuvrages de Sce-ma-tjîen & ce Yang-hioung fuivant laméthode qu'avoient fuivie ces deux grands hommes. Yang-hioung etoit méprifé de la nation, parce qu'il s'etoit attaché àl'ufurpateur Quang-mang & qu'il avoit comblé d'éloges unTyran dont il auroit dû dévoiler les crimes. C'eft pour cetteraifon que fon hifloire toute méthodique toute bien faitequ'elle etoit d'ailleurs, etoit refiée dans l'oubli; Han-yu encorrigea les défauts & en fit un Ouvrage digne de l'immorta-lité. Il eût enrichi la république des Lettres par quantité d'au-

tres productions utiles, s'il lui avoit été donné de vivre pluslong-tems il mourut dans la cinquante-feptieme année de fou

age

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âge, l'an de J. C. 814. Outre ce qu'il publia de fon vivant,f

on trouva parmi fes ecrits des réflexions fur l/hiftoire desdétails fur les mœurs des Anciens, & plufieurs Traités demorale, qui l'ont fait regarder comme un digne fucceffeur deConfueius & de Mong-tféc quoiqu'entre-.lui & ce dernier il

y ait un intervalle de plus de mille ans. Les Lettrés comparentfa io&nne à la grande montagne de Tay-chan & fes mérites à

ceux du grand Yu. Deux cens foixante ans après fa mort lafeptieme année de Tuen-foung l'Empereur Chen-tfoung dela Dynaitie des Soung, lui donna le titre de Prince de Tckang-ly, & fit placer fon portrait dans la falle de Confucius laneuvieme année de Kia-tjîng c'eft-à-dire l'an de Jefus-Chrift 1530 -Che-tfeung-fou-ty douzième Empereur de laDynaftie des Ming lui donna le titre de Tfée l'un des plushonorables que puiffent porter les illuftres morts, qui n'ont paseté Souverains & qui ont éclairé les hommes. CJeiî: ainfî queConfucius dont le nom de famille etoit Koung par l'additiondu titre de Tfée a eté appellé Koung-tfée & ainfi des autres,tels que Mong-tfée Sun ou Tfée &c. A ce titre de Tfée lemême Empereur Cke-tfoung fou ty ajouta celui de Sien-jou, qui fignifie ancien Savant ou Savant de l'ancien tems& voulut qu'on l'appcllât Sien-j ou-kan-tfée dénomination quifuffit feule pour faire donner à tout Chinois l'idée d'un Phi-lofophe, comparable par fa doâxine & fa fageffe aux Philo-fophes de la vertueufe antiquité.

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L X X I I I.M O N G K I A O Poëte.

Mong-kiao furnommé Toung-yé naquit à Ou-kang de

parens très-pauvres il donna dès fon enfance des marques defon efprit ce qui engagea fes parens à faire des efforts pourlui procurerune bonne éducation. Ils le firent etudier dans lesecoles particulieres car il ne leur fut pas poffible de l'en-

voyer dans la capitale pour y prendre des grades. Mais Mong-kiao ne vifoit point à être Dofteur, il etoit né Poëte, & ilfuivit ton penchant dès qu'il lui fut permis de s'y livrer. ïiavoit ce qu'on appelle la fureur des vers & quand cette fureurle prenoit il couroit la campagne, comme s'il eût perdu l'ufagede la raifon. C'etoit dans ces fortes de courfes qu'il compofoit laplupart de fes pieces. Quelques perfonnes de condition quieflimoient fa perfonne & fon talent, ayant voulu l'engager às'abftenir de courir ainfi il fe retira à la campagne où iljouit de toute fa liberté. Ceux qui vouloient entendre laleclure de quelques-uns de ies Ouvrages l'alloient vifiter dansla petite maifon qu'un de les bienfaiteurs lui avoit cédée &refloient avec lui tant qu'ils jugeoient à propos, pourvu qu'ils

ne le gênaffent point quand il lui prenoit fantaifie de courir& qu'ils y euffent apporté de quoi fe nourrir; car le Poëten'avoit rien au-delà de ce qu'il lui falloit pour vivre très-fobrement.

Après bien des années d'une vie ainfi retirée il voulut voir

par lui-même fi les curiofitcs naturelles qui fe trouvent dansles provinces de l'empire, etoient telles en effet qu'on lesdétailloit dans les Livres. Dans l'un de fes voyages il eutoccafion de fe faire connoître de Han-yu. Ce favant protecteurde tous les genres de 2nerit.es prit en affection notre Poëte

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& s'en fit aimer, jufqu'au point de lui perfuader de changerfa manière de vie il l'engagea à étudier de nouveau les King& à fe préfenter à l'examen pour recevoir fes grades dansl'intention' de lui procurer des emplois honorables.

Mong-kiao renonça pour quelque tems à la poéfie & fe fitexaminer; il etoit âgé de cinquante ans quand il obtint ledoétorat on ne tarda pas à le placer. Le pofte de Gouverneurpour le peuple de Ly-yang, ville du troifieme ordre, dans laprovince du Ho-nan vint à vaquer on le lui donna. Ly-yangavoit dans fes environs quantité de bofquets & de magnifiques

eaux, qui, en portant la fertilité dans les champs, rendoientla campagne toujours riante. Une fi agréable fituation réveillales idées poétiques du nouveau Gouverneur & fa verve fej anima il laiffa le peuple fe conduire à fon gré, & les affairesfe terminerent par les bas Officiers qui etoient fous fes ordres.Il fe levoit de grand matin fortoit de la ville, & tantôt furle bord de quelque ruiffeau tantôt fous quelques ombragesfrais, il fe livroit à fon génie & paffoit la journée à faire des

vers.Cette maniere de vivre eût pu être tolérable dans un fimple

particulier; mais elle etoit plus que répréhenfible dans unhomme en place qui etoit redevable de fon tems à tout unpeuple aufîi on ne fut pas long-tems fans en murmurer des

murmures on paffa à la cenfure & de la cenfure aux accufa-tions. Les grands Mandarins de la province au Tribunal def-quels cette affaire fut portée & qui refpeftoient le talent deMong-kiao crurent que pour fermer la bouche aux accufa-

teurs, il fuffifoit de lui ôter la moitié de ce qui lui revenoit defa charge, & de nommer quelqu'un qui fans avoir le titre deGouverneur de Ly-yang-hien en feroit réellement les fonc-tions, fous le nom de Mong-kiao', avec lequel il partageroitles revenus & le profit.

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1 A"Ce tempérament ne fut pas du goût des rigides observa-

teurs des loix peu touchés des charmes de la poéfie ilsn'etoient nullement d'avis qu'on dût faire grace au Poëte furfes défauts personnels ils n'envifageoient Mong-kiao quecommeune efpece de fou,& ils voyoient dans ce fou un homme

en place qui fe dégradoit par une conduite indigne de fon

rang. La loi, difoient-ils, ne fait acception de pérfonne Mong-kiao ne remplit aucun des devoirs de fa charge il faut qu'il enJoit dépouillé. Ils répétèrent fi fouvent la même chofe, qu'ilsobtinrent enfin ce qu'ils demandoient i Mong-kiao fut renvoyé

fmais le Commandant général des troupes de Hing-yuen le prità fon fervice & lui donna la charge dinfpe&eur dont il feréferva de faire lui-même les fondions. Il laiffa le Poëte jouirde toute fa liberté & comme il ne le gênoit en rien, il ne fegênoit pas non plus pour lui demander des vers fur tous les,

fujets qu'il imaginoit.Ces deux hommes fembloïent être faits l'un pour Tautre

ils vécurent enfemhle dans une union que rien ne fut capabled'altérer. Le Général paifoit au Poëte tous fes caprices; & lePoëte profitoit de toutes les occafions pour célébrer le Général.

Les poéfiés de Mang-kiao ne font pas un corps d'ouvrages

on les trouve difperfées dans différens recueils. Les connoif-feurs en font grand cas & prétendent qu'on. y trouve tout-à-la-fois le feu du génie le brillant des. images, la pureté duftyle & la clarté des expreilions. Le portrait de Moag-kiaofait cortège à celui de Han-yu .• ou lui donna, après fa mort

s,le titre de Tcken-yaa-f.en-ch.eng ce qui fignifie à-peu-prèsLittérateur fans prétention } quoique des plus hnllans^

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C'efi: encore ici un Poëte qui ne doit fa célébrité qu'à lamaniere finguliere dont il vécut, & à l'amitié dont FiiluftreHan-yu voulut bien l'honorer. Il naquit à Lang-kien & entratrès-jeune dans le Miao de Sa-tjien,, où il exerça la profeffionde Bonze. Il apprit à lire & à ecrire fans le fecours d'aucunMaître il calquoit avec foin les caractères qu'il trouvoit dansles Livres de fon Monaftere, & en demandoit enfuite l'expli-cation. Comme il avoit beaucoup d'efprit & une mémoire fortheureufe il fe rendit en peu d'années un des plus habilesBonzes de fon tems. En embraffant cet état, il avoit pris

“fuivant la coutume un nom différent de celui qu'il portoit j.

car les Bonzes font cenfés avoir renoncé non-feulement aumonde, mais encore à leur propre famille dont ils quittent lenom pour en prendre un qui, du confentement de leursSupérieurs défigne ou le genre de vertu qu'ils veulent princi-palement acquérir ou celui des vices qu'ils s'efforcent avecplus de foin de déraciner de leurs cœurs ou telle autre chofequi puiiTe les rappeller fans ceffe aux obligations qu'ils fe fontimpofées en fe faifant Bonzes. Ainfi l'un s'appellera le Sen-fuel, un autre 1' 'Orgueilleux un troifieme -YAfpiram à la vertu& ainfi des autres.. Qu-pen qui iîgnifie homme inutile kommsfans aucuneforte de talent eft le nom qu'avoiî pris Kia-tao.

Si ce choix vint de lui-même r c'eft une preuve qu'il favoifcSi ce choix vint de lui-mêmey

c'eft une preuve qu'il fa.voi6:

fe rendre j.uftice s'il fut ainfi nommé par fes Supérieurs cene fut probablement qu'après s'être convaincus qu'il etoit p.ar-ffaitement inepte à tous .les emplois qu'on auroit pu lui eonfiefdans le Monafteve. Il etoit en effet d'une ignorance fi profondede l'ufage des chofes les plus ordinaires qu'il mettoit du boi$

LXXIV.KIA-TAO, Poëte:

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où il falloit des pierres, & qu'il alloit chercher du riz quandon avoit befoin d'eau il etoit outre cela fi diftrait qu'il ne ferendoit jamais où il falloit qu'il fût &'qu'il s'y rendoit enfuitelorfqu'il n'auroit pas dû s'y montrer. On prit le parti de necompter fur lui pour rien, & on le laiffa vivre à fa liberté. v

Il profita de fon loifir pour Ce livrer au penchant qui l'en-traînoit vers la Poéfie. Dès qu'il en eut appris-les règles, tousles momens dont il pouvoit difpofer, furent employés à fairedes vers, ou plutôt à les écrire car lors même qu'il paroiffoitfaire toute autre chofe il n'etoit occupé que de vers. Cettemanie etoit chez lui fi forte qu'elle lui ôtoit pour ainfi direla liberté, & le portoit à des actions fi contraires à l'urbanité& à la décence qu'on n'eût pas manqué de les punir très-févérement dans quelqu'un qu'on auroit regardé comme ayantfufage de fa raison. Un jour que monté fur l'âne du Monaftereil alloit je ne fais où il rencontra fur fon chemin l'un des

Grands de l'Empire, fuivi d'un nombreux cortege de gens àcheval. La coutume reçue exigeoit qu'il mît pied à terre, outout au moins qu'il fe rangeât, pour laifier paffer celui à qui

cet honneur etoit dû. Le Poëte ne fit ni l'un ni l'autre occupéqu'il etoit d'une idée poétique il ne s'apperçut pas même de

ce qui fe paffoit à côté de lui & gefticuloit avec l'une de fes

mains comme s'il eût voulu frapper à une porte ou la pouf-fer pour qu'elle s'ouvrit fon âne qu'il laùToit aller à fon gré,marchoit, tantôt à côté du Grand & tantôt devant commefi celui qui le montait eût eu quelque envie de difputer le ter-rein. Les gens de la fuite du Grand, indignés de voir unhomme de cet état manquer ainfi de refpeft à leur Maître

qui etoit l'un des premiers Seigneurs de la Cour etoient furle point de faire tomber une grêle de coups de fouets fur ledos du pauvre Poëte, pour le punir de ce qu'ils croyoient être

un excès d'impudence de fa part mais leur Maître leur fit

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fîgne de n'en rien faire & dit à celui qui etoit le plus près defa personne d'attendre qu'ils fuirent arrivés à la porte de fonPalais, dont ils n'etoient pas loin pour arrêter ce Bonze & lelui amener, parce qu'il vouloit l'interroger lui-même il futobéi.

Ne craigne?^ rien dit-il au Bonze en* le voyant, je ne veuxpoint vous faire de mal, je veux feulement que vous meparUe?K

avec Jîncénté ce que vous avez fait tantôt n'e/l point ci deffeinde m infulter j'en, fuis très-convaincu vous etie^ agité comme

un homme qui efl hors de foi; ave^-vous quelque fujet de cha-grin auquel on puifje remédier ? parlez-moi franchement. Jeregarde tous les hommes comme mes frères & je n'ai pas deplus grand plaijîr que celui de leur faire dit bien; mettez-moidans i'occafion de fuivre mon penchant.

Je n'ai pas prétendu vous infidter répondit le Bonze jeeri ai aucun fujet de chagrin & je fuis très-content de mon fortfetois tout occupé d'une piece de vers que j'ai fur le métier &

fhéfît ois fur le choix d'une expreffion {par un beau clair de lune

le Bon^e arrive pouffe la porte ou frappe â la Irorré ) voilàle vers que je jaijois quand on m'a conduit ici. Je nefavoisjljedevois mettre pouffe la porte ou frappe à la porte. Je ne disrien que de très-fîneere & je n'aurais garde de vous en impofer.

Voilà dans la plus exaciece qui ma fait commettre unefaute dont je mériterois punition fi elle avait été volontaire.

Je fuis bien aife de ce petit accident lui répliqua le Manda-rin parce qu'il me procure l'avantage de tous connaître. Il faut

que nous^oyions amis vene.7x cke^ moi toutes les fois qu'il vousr l' If' cplaira vous y ferez_ iouj ours bien reçu f aime la Poéfie &

je rnamuf quelquefois à faire des vers. A votre place je préfé-rerais ( frappe à la porte à pouffe la porte ) la première

expreffion efl plus naturelle & ne s'écarte pas de la décence.Y viii,i ne Plis r É'/i e.Pendant la. nuit toutes les portes font pu doivent être iermecs ? &c.

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Dès ce jour le Mandarin & le Bonze Ou -peu lierententr'eux un commerce littéraire qui fit connoître ce dernier,& lui attira quelque coniîdération même à la Cour. Le célebreHcLii-yu protecteur de tous les hommes à talens, ayant luquelques pieces de la compofirion du Bonze voulut être fonami, malgré ion mépris pour tous ceux qui fuivoient les maxi-

mes d'une Secle qu'il haïfloit; il alla le voir lui perfuadad'étudier les King, de quitter fon état, & de prendre fesgrades.

Ou-pen abandonna quelque tems la Poéfîe pour fe livrer àdes etudes plus férieufes. Une occafion imprévue réchauffatout-à-coup fa verve & monta fon imagination. L'Empereuravoit donné l'ordre de détruire le Miao dans lequel Ou-penfaifoit fcn féjour, & les Bonzes qui le deffervoient devoientfe difperfer dans d'autres Miao, ils en furent très-confternés.Ou-pen quoique déjà réfolu de rentrer dansle fiecle, fut affligé

comme les autres il exhala fa douleur & celle de fes confre-

res dans une complainte en très-beaux vers que fes amis firentparvenir jafqu'à l'Empereur. L'Empereur en fut touché &laiffa fubfiiter le Miao; il fit plus, il voulut voir le Miao ouplutôt le Poëte en faveur duquel il le laiffoit fubfiiter. Il s'ytendit incognito avec quelques-uns de fes Courtifans de laconnoirTance du Poëte. L'un d'entr'eux qui favoit que Ou-penetoit fujet à des diftraclions & à des caprices crut qu'il- feroitbon de l'avertir fecretement que l'Empereur etoit du nombrede ceux qui venoient le voir. Il fut facile à Ou-pen de diltiiï-

guer quel etoit l'Empereur parce que de tous ceux qui etoientpréfens il n'y avoit que l'Empereur qu'il n'eût jamais vu.

La converfation roula d'abord fur la Pôéfïe en général onen vint enfuite au genre particulier dans lequel excelloit Ou-

pen & on le pria de lire quelques-unes de ces petites piecesqu'il faifoit avec tant de goût. Le Poëte fe prêta de bonne

grace

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grace à ce qu'on exigeoit de lui, & il fit la le&ure d'un conteaffez plaifant qu'il avoit fait autrefois, & qu'il n'avoit difoit-il, encore communiqué à perfonne; ce conte fut fort applaudi.Ou-pcn 'flatté des éloges qu'on lui donnoit ce que vous vene\d'entendre nefi rien dit-il à fes admirateurs, en comparai/ond'une pièce que j'ai ébauchée, & que je finirai à mes premiers

momens de loijîr car je me do?ine tout entier à des études féneu-fes, & je ne fais plus de vers que par manière de délaffement.N'importe que cette pièce [oit finie ou non répliqua l'Empe-reur, life^-nous-la telle qu'elle efi & tour en parlant ainlî ils'avança vers l'endroit où etoit la table, & prit quelquesfeuilles eparfes qu'il y trouva.

Ou-pen oublia dans le moment ce qu'il devoit à fon Souve-rain, il lui arracha brufquement d'entre les mains les feuilles,& lui dit, d'un ton plein de colère Eh Seigneur, ce nefi pasdans la cellule d'un miférable Bon^e que vous devne^ être àF heure qu'il efi. Occupez-vous à bien gouverner l'Empire &

n'avilijfe^ pas votre dignité par une conduite indigne d'un Sou-verain.

A Finftant tous ceux de la fuite du Prince faifis de frayeur,craignant un éclat qu'ils croyoient pouvoir déshonorer leurMaître fe proftemerent à deux genoux & demanderent

grace pour le coupable. L'Empereur, après s'être remis de lafurprife&de l'émotion, qu'avoient excitées dans lui des paro-les auxquelles il n'etoit pas accoutumé répondit avec bonté

Tout efi permis aux Poètes je pardonne à Ou-pen, mais à

une condition c'efi qu'il mettra la dernière main à fa pièce &

qu'il me l'enverra au plutôt car je veux abfolument la lire. Après

ces mots il fortit d'un lieu peu fait pour la majefié du Fils duCiel, dit un Hiftorien. Je rapporte ce trait parce qu'il peutfervir à caraftérifer en même tems, & l'Empereur, & lePoëte. Le premier pardonna fmcérement au Poëte & celui-ci

y

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de fon côté, fit ce qu'il put pour réparer une faute, que lafeule impétuofité de fon caractère lui avoit fait commettre. 11

acheva fa piece & les vers qu'il ajouta pour s'accufer &s'ex-Cufer d'une manière très-fine de l'indiferétion à laquelle cettemême pièce avoit donné lieu lui fit plus d'honneur dans l'ef-prit du Prince que fa faute ne lui avoit fait de tort.

Ou-pen après avoir etudié les King, fortit de ton Monaf-

tere, renonça pour toujours à la doclrine des Seclaires dontil avoit reconnu le faux, & prit tous les grades jufqu'au dofto-

iat incluhvement. Han-yu qui etoit devenu fon ami le fitplacer à Tchang-kiang-hïen d'où il paffa fucceffivement àd'autres emplois honorables qu'il remplit tous de maniere à

ne pas donner lieu à ton protecteur de fe repentir de les lui

avoir procurés.Son portrait eft un de ceux qu'on place aux côtés de celui

de Han-yu il eft le pendant du portrait de Mong-kiao.

L X X V.

TANG-SIUEN-TSOUNG, Empereur.

Il y avoit déja quelque terns que les Eunuques s'etoient mis

en poffeflion de faire nommer des Empereurs à leur gré. Leurcrédit, depuis que Mou-ifoung avoit eu l'imprudence de licen-cier la plus grande partie de ies troupes, etoit toujours allé

en augmentant. Les emplois que leur état d'Eunuque leurdonnoit dans l'intérieur du Palais, tant pour la garde des fem-

mes, que pour veiller à l'entretien des bâtimens, jardins &autres lieux où elles pouvoient fe rendre, les avoit toujoursfait regarder comme un mal inévitable. Sous des Maîtres quifavoient commander & fe faire obéir ils n'ofoient s'écarterde leurs devoirs mais fous des Maîtres foibles ils etoient eux-mêmes les Maîtres. Ils obtinrent d'être employés au dehors;

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ils furent revêtus des premieres dignités de l'Empire j ils acqui-rent des richefles immenfes ils furent les interprètes desvolontés du Souverain, & les diftributeurs des grâces. Teletoit le degré de puiffance où ils etoient parvenus à la mortde l'Empereur Ou-tfoung. Ils profitèrent d'un crédit que per-fonne n'eut le courage ou pour mieux dire n'etoit en etatde leur difputer pour exclure du Trône celui qui devoit natu-rellement l'occuper.

Le fils de l'Empereur qui venoit de mourir etoit encoretrès-jeune ceux qui etoient alors dans le Minfftere & quieuffent gouverné, etoient de ces hommes fermes & attachésà leurs devoirs, ils s'etoient déclarés d'ailleurs contre les Eunu-ques dans toutes les occasions, & s'etoient oppofés autantqu'ils l'avoient pu, à ce qu'on leur confiât de grands emplois.Les Eunuques n'en etoient que trop initruits ils cabalerent

pour mettre fur le Trône un Prince qui leur fût dévoué ils

jetterent les yeux fur le treizieme fils de l'Empereur Hun-tfou.no; Ce Prince paffoit dans leur efprit pour être entièrementdans leurs intérêts parce que dans quelques occasions il s'etoitadreffé à eux plutôt qu'aux Minières pour obtenir quelques

graces du Souverain. Ils croyoient outre cela qu'il avoit del'eloignernent pour les affaires parce que jusqu'alors il nes'etoiï .'nêlé de rien; ils fe flattèrent qu'ils gouverneraient fousfon nom.

La trop grande jeunerTe du légitime héritier de la couronne,fut b prétexte dont ils fe fervirent pour parvenir à leurs fins.

Les Grands, gagnés par des promeffes ou intimidés par des

menaces, fe déterminèrent à proclamer l'oncle du jeune Prin-

ce. Siuen-tfoung, fans s'y attendre fans l'avoir même defiréfut choifi pour gouverner l'Empire.

Les Eunuques qui avoient travaillé à fon élévation furentbientôt dans le cas du repentir il tint lui-même les rênes du

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gouvernement, conferva tous ceux d'entre les Miniftres quiavoient témoigné le plus de zele pour foutenir les droits defon neveu contre fes propres intérêts fit choix de bons Magif-

trats pour rendre la juftice à fes peuples diminua les impôts,autant que les circcnflances pouvoient le permettre, & com-mença par miner peu à peu la puiffance des Eunuques, qu'ileût eté dangereux d'attaquer d'abord à force,ouverte.

Hou-tao fon premier Miniftre traça le plan fur lequel ilfalloit fe régler, pour empêcher que ces mêmes Eunuquesn'influaflent déformais dans les affaires générales de l'Empire

pour leur fermer toute entrée au Confeil, pour les exclure desemplois militaires, & enfin pour en diminuer le nombre. Ceplan fut lu & approuvé dans un Confeil fecret que tint l'Em-

pereur à ce fujet l'un des membres de ce Confeil vouloitqu'on aliât plus loin & qu'on exterminât fans miféricorde

tous les Eunuques qui n'eroient pas actuellement occupés auxfonctions ferviles de l'intérieur du Palais ajoutant que fi l'ontardoit davantage à en venir à cette extrémité le mal feroit'abfolument fans remede.

Siuen-tfoung ne put fe réfoudre à fuivre ce confeil N'yeût-il parmi les Eunuques qu'un feul innocent dit-il au Con-feiller, je ne veux pas me rendre coupable de fa mort. Or,combien parmi eux ne s'en irouve-t-il pas qui fora fideles &

jîncérement attachés à mon fervicc ? Nous parviendrons au but

que nous nous proposons enfuivant le plan de Hou-tao il n'enfaut pas davantage.

Cependant les Eunuques qui voyoient leur crédit tomberinfenfiblement fe douterent des deffeins qu'on avoit forméscontr'eux ils furent en général qu'on avoit formé le projet deles détruire, ils fe tinrent fur leurs gardes.

Un grand nombre de Mandarins tant de Lettres que d'Ar-

mes, etoient dans leurs intérêts parce qu'ils leur etoient

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DES CELEBRES CHINOIS.1 1. m f'" r ·redevables de leurs fortunes. Il fe forma un parti qui devint

redoutable au Miniftere & à l'Empereur lui-mâme dans untems où l'Empire fourmilloit pour ainfi dire de rebelles aux-quels les 'mécontens pouvoient s'unir. Le gouvernement futobligé de diffimuler & les chofes allèrent de mal en pis. C'eft

proprement à cette époque que commença la décadence dela Dynaftie des Tang. Si Siuen-tfowig avoit eté moins modéré,& qu'il eût pu fe déterminer à exécuter le confeii qu'on luidonnoit le petit nombre d'Eunuques qu'on auroit laiffé vivre,auroient été hors d'état de troubler l'Empire. Son humanitépouffée à l'excès, difent les Hiftoriens & fon trop de pru-dence, perdirent l'Etat fans reffource en lahTant aux brouil-lons tout le loifir de cabaler, & en les mettant dans l'occafionde fortifier leur cabale. Malgré cette faute, qu'on ne luipardonne qu'en faveur du motif qui la lui fit commettre

“Siuen-tfoung eH regardé comme un des grands Empereurs dela Dynaftie des Tang & la poftérité qui apprécie avec impar-tialité les vertus comme les v ices n'a pas hérité à lui donnerle nom refpectable de Tay-tfoung comme fi elle le comparoità l'illuftre {ils de Kao-tfou qu'elle appelle le grand Tay-tfoung

Siuen-tfùung prit, dit-on, le breuvage de l'immortalité7

après lequel il mourut dans les douleurs les plus aiguës &dévoré par une multitude innombrable de vers qui fe forme-

rent dans fon fein. S'il etoit permis de faire ici une conjecturefur ce qui occafioma la mort de ce grand Prince, je diroisqu'il eft plus que vraifemblable, qu'au iieu du prétendu breu-

vage de l'immortalité les Eunuques lui firent avaler du poifon.Il etoit da ns la cinquantième année de fon âge, & dans latreizième de ton regne fon 'corps fut dépofé à Tcken-ling.L'année de fa mort répond à l'an de Jefas-Chrift 859 & celleoù il monta fur le Trône à l'an 847.

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L X X V I.MINOUANG, Guerrier.

Je ne dirai que deux mots de cet illuftre Guerrier, parceque fi je voulois entrer dans le détail de fes belles aftions, il

me faudroit néceffairement décrire des batailles & fairel'hiftoire générale du tems où il vivoit; tems de troubles, oùl'Empire fur le penchant de fa ruine alloit être la proie duplus fort. Déjà il s'etoit formé trois Royaumes & quatreautres petits Etats; la plupart des Gouverneurs de provincecantonnés chez eux n'obéiffoient à l'Empereur que dans leschofes où ils trouvoient leurs intérêts particuliers la voix duMaître n'etoit plus affez forte pour fe faire entendre ni fonautorité aflez abfolue pour fe faire obéir.

Min-ouang fut toujours inébranlablement attaché à fon légi-time Souverain peut-être eût-il obtenu l'Empire fi commetant d'autres, moins puiffans que lui, il avoit voulu fe mettrefur les rangs pour le difputer mais il etoit d'une race où lafidélité etoit regardée comme la premiere des vertus. Sonaïeul avoit été Tréforier général de la province du Sou-hleri;fon pere le fut de même & fut enfuite Gouverneur de lamême province & Ouang-chea-tché( c'eft le nom que portoitMin-ouang avant d'être élevé à la dignité de Prince ) fut éga-lement Gouverneur de la même province, & eut outre celale titre d'Infpecleurgénéral du pays Ouei-ou.

Pour fe mettre en poffemon de fon Gouvernement, il fallutqu'il le conquît fur les rebelles, qui s'en etoient emparés ildonna dans cette occafion des preuves de valeur & de pru-dence qui lui gagnerent l'eflime générale des fideles fujets del'Empire. Il fe maintint dans le Sou-kien contre toutes les forcesréunies des différens partis & l'Empereur difoit que fi la

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Maifon des Tang avoit feulement trois. Gouverneurs du mérite& de la fidélité de Ouàng-chen-tché elle conferveroit infailli-blement l'Empire. Par malheur, Ouang-chen-tché fut parmi lesGrands, le feu! appui de fon Souverain; & l'Empire fut enlevé

aux Tang par le fondateur de la premiere des cinq petitesDynafties poftérieures auquel l'hiftoire donne le nom deLeang-tay-tfou. Ce Leang-tay-tfou qui par fes trahifons mul-tipliées avoit forcé fon Souverain à defcendre du Trône poury monter lui-même aimoit dans les autres une vertu qu'ilavoit arrachée de fon propre cœur. Charmé de la conduite deOuang-chen-tché non- feulement il lui laiffa le Gouvernementde la province dont il etoit en poffeffion mais il lui donna cemême Gouvernement à titre de Principauté avec les patentesde Min-ouang. Min eft le nom 'que portoit alors le Sou-kien.

Mln-ouang, devenu Prince, n'en devint pas plus fier, nimoins attaché à fes devoirs il ne changea rien à fon anciennemaniere de vivre il avoit été jufque-là le bienfaiteur de tousceux qui etoient commis à fes foins il les avoit fecourus dansleurs befoins fc réduifant lui-même au pur néceffaire. Devenu.leur Souverain il devint leur pere il redoubla d'attention

pour les rendre heureux, autant qu'il etoir à fon pouvoir de lefaire. Ce fage Prince gouverna dix-fept ans le petit Etat qu'onlui avoit donné pour appanage fans fe démentir un momentde l'exacte pratique de tous fes devoirs. Il mourut la troifiemeannée de Toung-koan c'eft-à-dire, Fan de Jefus-Chrift 925& Tchoang-tfoung fondateur de la petite Dynaftie des Tangpoftérieurs voulant donner un témoignage authentique del'eftime avoit pour les vertus & les brillantes qualités de

cet illuïrxe vaffal continua à fon fils le titre & les prérogativesde Prince de Min il voulut de plus que cette Principauté fûthéréditaire dans la famille de Ouang-chen-tché,

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L X X V I I.

NANTANG-LY-HEOUTCHOU Empereur.

Ce Prince n'eft rangé parmi les célèbres que parce qu'il aeté le dernier des Tang qui ait eté Souverain. Il deicendoit del'Empereur Hien-tfoung par le fameux Ly-pïen qui s'emparadu Kiang-nan la feconde année du règne du fondateur de la

petite Dynaftie des TJin poftérieurs, c'eft-à-dire l'an de Jefus-Chrift 937 & qu'il gouverna fous le titre de Roi de Ou. Ly-pien étant mort fon fils Zy-king lui fuccéda. Ly-king fut perede Ly-yu, auquel il laifla fon Royaume c'eft ce Ly-yu quel'hiftoire appelle IS an-tang-ly-heou-tchou comme qui diroitle dernier des Maîtres que la Maifon des Tang a donnés à lapartie méridionale de l'Empire elle ne lui donne pas le titred'Empereur, parce que les fondateurs des petites Dynaftiesqui avoient fuccédé à celle dont il fut !e dernier rejeton fontregardés comme légitimes fuccelTeurs d'un Empire qui fut cédéjuridiquement à Leang-tay-tfou.

Ly-heou-tchou gouverna fon Royaume de Ou,. comme s'iln'avoit point eu d'ennemis à craindre & fa trop grande fécu-rj té le perdit. Perfaacié que. le fleuve Kiang etoit une barriereimpénétrable il laiiTa diiputer l'Empire à ceux qui y préten-doient il ne voulut entrer dans aucune guerre & n'avoit

pas au-delà de dix mille hommes de troupes réglées fur pied.Les TJîn les Han & les Tcheou laifferent le Kiang-nan enpaix parce que le Prince qui en etoit Souverain rendoit hom-

mage à leurs Empereurs, auffi-tôt qu'ils avoient eté reconnuspour tels. Le fondateur de la Dynaftie des Soung, étendit fes

vues plus loin que ne l'avoient fait fes prédéceffeurs. Aprèsavoir détruit tous les petits Etats qui s'etoient formés dans les

tems de troubles, il penfa à détruire auffi le Royaume de Ou,5u-a

Page 474: Memoires concernant les chinoise 5

Tome F. Nan

qu'il regardoit comme une province qui faifoit partie de fonEmpire. Mais avant de commencer la guerre, il fit propofer àLy-yu de quitter le titre de Roi de Ou, & de fe mettre à fadifcrétiori l'affurant qu'il en uferoit à fon égard comme unpère avec fon fils. Ly-yu loin d'adhérer aux volontés del'Empereur reçut avec mépris la proportion qu'on lui faifoitde fa part. Il auroit dû en même tems fe préparer à bien rece-voir un ennemi parce qu'il devoit prévoir qu'il feroit bientôtattaqué il n'en fit rien tranquille dans fon Palais il paffoitfon tems à fe faire expliquer par des Bonzes, tout le détail dela doclrine dont ils faifoient profeffion. Il ne mit aucune defes places en état de défenfe & lorfque quelqu'un lui faifoitdes repréfentations fur ce qu'il convenoit de faire dans les cir-conllances il fe contentoit de répondre que le Kiang etoitune barriere que fes ennemis, quelque puiffans qu'ils furent

y

ne forceroient jamais.Cependant l'Empereur des Soung fe mit en état d'exécuter

fes menaces. On conftruifit par fes ordres un grand nombre debarques fur lefquelles fes troupes pafferent le fleuve fans

trouver aucun obflacle. Rien n'arrêta le fuccès des armes Impé-riales le Général Tfao-ping, fur lequel l'Empereur s'etoitdéchargé du foin de cette guerre battit les troupes du PrinceOu lui prit l'une après l'autre fes principales villes & vint

mettre le fiege devant fa capitale. Avant que de fe déterminerà faire donner l'affaut le généreux Tfao-ping fit propofer auPrince de fe rendre afin d'épargner le pillage & d'éviter les

fuites funeftes de la prife d'une ville fi belle fi riche, & fi bienpeuplée. Le Prince comptant trop légérement fur un fecours

qui n'arriva pas reçut cette proposition avec mépris; mais ilne tarda pas à s'en repentir. Tfao-ping fit donner l'affaut &

emporta les ouvrages extérieurs de la place. II n'alla pis plus,

loin ce jour-là, fous prétexte de faire repofer fes troupesy.1

Page 475: Memoires concernant les chinoise 5

mais dans la réalité pour laiffer au Prince le tems de prendrele feul parti qui lui convenoit; celui de fe rendre,

En effet, quand Ly-yu fe vit fur le point d'être forcé ilaffembia tous fes Grands fortit de la ville à leur tête & felivra au Général, à condition qu'on conferveroit à l'Empereur

cette floriflante ville dans l'etat où elle etoit, & qu'on ne feroit

aucun mal aux habitans. Tfao-phig qui ne demandoit pasmieux accorda tout, & fit partir pour la Cour le Roi de Ou,avec quarante-cinq des principaux Officiers de ce Prince.Ainfi fut éteinte jufqu'à la derniere étincelle une des plusilluftres Maifons qui aient gouverné l'Empire chinois. Cetevénement a pour date Tan de Jefus-Chrift 975.

A Pékin~ figné AMI0 T Miffionnaire de la Chine.

Page 476: Memoires concernant les chinoise 5

P O U R compléter ce cinquième Volume on y a jointquelques Notices fur differens objets.

1.

VIN, EAU-DE-VIE, ET VINAIGRE DE CHINE.

Uiiufquifqiic in arte fua fapiens eft. Ecclef. chap. 58.L*E vin de Chine, qui eft une vraie bière date de près devingt fîccles avant l'ère chrétienne il eft fait de grain &en caufe une confommation qui pourroit devenir funefteà la chofe publique dans un pays ou tous les travaux &toutes les induftries de l'agriculture ne fuffifent qu'à peinepour nourrir fes innombrables habitans. Or, à fe borner aufimple récit de ce qu'a fait ici Je miniftere public, depuisplus de trente fiecles pour que le vin ne confumât que lefurabondant des grains nos plus grands politiques admire-roient comment il a fu modifier, tempérer changer & réglerfa conduite il l'a fait avec tant de fageffe & de condefcendan-

ce, de force & de douceur qu'il y a toujours prefque éga-lement réuffi. Peut-être même auroient-ils bien des queftionsà faire fur le parti qu'a pris la Dynaftie régnante de faire

une loi qui défend le vin & l'eau-de-vie car enfin cetteloi n'ayant fait tomber ni la fabrique ni le débit de l'un &de l'autre & fon infraction étant fi notoire quel en a pu êtrele but i quel en eft l'effet ? quelle en peut être l'utilité ? Mais

cette notice ne prendra pas fon effor fi haut fideles auxvues & aux demandes de l'homme citoyen à qui nous ofonsla préfenter nous nous bornerons à des détails de pratique &

d'ufage qui peuvent avoir leur utilité.Voici de quoi il s'agit le vin de Chine eft une efpece de.

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biere puifque c'eft une boiffon alimenteufe faite par lafermentation & cuiflbn avec de l'eau & du grain. La façondont on s'y prend n'eft pas conforme à celle d'Europe cettefaçon ne peut-elle pas nous aider à fimplifier à perfectionner,

ou du moins à rendre la nôtre moins difpendieufe ? Les procé-dés qu'on y fuit quels qu'ils foient connus & examinés avecfoin par des gens habiles ne feront-ils pas jaillir quelquesrayons de lumiere qui en feront trouver de plus fûrs, deplus ùfuels & de plus médités ? Les fautes même les igno-

rances & les méprifes qu'on pourroit remarquer dans une rou-tine trop refpeftée ne pourront-elles pas conduire à des con-noiffances plus précifes plus analyfées & plus fûres fur unethéorie qui demande encore bien des recherches ? La manieredu moins dont les Chinois font leur eau-de-vie & leur vinaigre

ne facilitera-t-elle pas ces recherches à notre phyfique à notrechymie & à notre fcience économique ? On a voulu nous lefaire efpérer; mais fût-ce une méprife nous aurons fait cequi dépend de nous pour témoigner notre bonne volonté.Plus même des détails de cette efpece font étrangers à nosétudes & à nos goûts, comme à nos occupations & à notreétat plus nous demandons avec confiance qu'on veuille bienn'y voir que notre defir d'obliger, & qu'on nous pardonne lesfiutes qui auront pu nous échapper malgré tous nos foins.

Manière de faire le vin chinois.

On nomme ici mere du vin une efpece de levain dont

on fe fert pour procurer & affurer la fermentation du graindans l'eau & à l'eau où elle fe fait les qualités alimenteufes& fpiritueufes qui en font une bonne boiffon. Ce levainappelle kiu-tfée, en chinois, & connu dès les premiers fiecles,fe peut faire en tout tems. On croit cependant qu'il réuffitmieux avant les chaleurs de l'été & avant les grands froids

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de l'hiver. La matière du kiu-tfée eft de la bonne farine debon froment, où l'on a laiffé tout le fon. On met cette farinedans une huche, & on la relevé des deux côtés, pour faireun vuide au milieu puis ayant verfé de l'eau chaude en petitequantité on délaie cette farine & on continue ainfi à y ver-fer de l'eau, & à la pétrir jufqu'à ce que l'on en ait fait unemaffe que l'eau ait toute pénétrée & qu'elle foit d'une con-fiftance plus ferme que la pâte à faire le pain. On fait decette maffe des briques, ou pains quarrés longs de quatre àcinq livres, dans des moules de bois, deftinés à cet ufage. Aproportion que ces pains fortent du moule on les range furdes planches de façon qu'ils ne fe touchent pas les uns les

autres. Ces planches font enfuite mifes fur leurs etageres dansde grandes armoires, ou dans une chambre qu'on peut fermerauffi bien qu'une armoire pour que l'air extérieur ne puiffe pasy pénétrer, & refroidir celui qui fait fermenter & bêcher les painsde kiu-tfée. Onreconnoîtque la fermentation eft finie à la couleur

rougeâtre qu'a acquife le centre de ces pains on les expofealors au grand air pour qu'ils deviennent auffi fecs que du bif-cuit, & puiffent être rangés en piles dans un magafin où onles garde pour le befoin. Quand ils font bien faits loin deperdre à vieillir, ils n'en font, dit-on, que plus excellens

les mites même qui s'y mettent, ne leur nuifent pas; cepen-dant on tâche de les en garantir par les herbes aromatiques; &odorantes qu'on met entre les piles.

La levure ou levain que nous venons de décrire demandebeaucoup de foins & une grande pratique. Si le kiu-tfée eftmal fait, le vin ne fauroit être bon, de quelque maniere qu'ons'y prenne fi le kiu-tfée eft médiocre le vin fera médiocre j

y

mais fi le kiu-tfée a bien réuffi il efi aifé de faire d'excellentvin. Voici en peu de mots la façon & maniere la plus ancien-

ne 3 la plus approuvée s & la plus ufitée.

Page 479: Memoires concernant les chinoise 5

On prend vingt livres de mil rond mondé & on les lave

en grande eau; puis on verfe cette eau par inclination, & onen met de nouvelle, en affez grande quantité pour que le milqu'elle doit furmouter d'environ un pied & demi y fuit

comme enfeveli & fubmergé. Comme c'eft pour lui ôter fon.

âprcté on l'y laiffe tremper deux à trois jours on l'en retireenfuite avec une cuiller percée & on le fait cuire à la vapeurde l'eau bouilla nte pendant une heure à-peu-près. Quand ileft cuit on l'étend à l'air fur des claies pour le faire refroidir

p

puis ayant pilé réduit en pouffiere & pâlie au tamis de crin

quatre livres de kiu-tfée on les mêle bien avec le mil cuit &refroidi dans un baril défoncé & le plus fouvent dans ungrand vafe de terre verniffée appellé kang en chinois &jarre par les marins. Ce mélange fe fait en verfant peu-à-peude l'eau froide fur le mil qu'on tourne, remue & renverfe

en tout fens avec l'efpece de pelle longue & peu large qu'on

a imaginée pour cela du refte comme la quantité d'eau qu'onverfe décide très-prochainement du plus ou du moins de forcedu vin tout le monde ne fuit pas la même règle. La plus géné-rale cependant eft de n'en mettre qu'autant qu'il en faut pourque le mélange fe faffe bien, & devienne comme une bouillieclaire. Quand il eft fait on met un couvercle fur le vafe pourle garantir de la pouffiere & faciliter la fermentation duCette fermentation eft plus ou moins prompte,

9felon la faifon & le tems mais d'ordinaire elle demande dixà douze jours, & ne fe fait bien qu'autant qu'on remue &braffe le mil plufieurs fois le jour. Quand elle eft finie le

marc fe précipite au fond du vafe & la liqueur qui s'eil cla-rifiée furmonte peu-à-peu & fumage totalement. 11 femblequ'on pourroit la verfer par inclination cependant il eftd'ufage de mettre auffi le marc dans la chauffe par où on lapafTe. Pour la fixer dans cet état & la conserver, il 0e s'agiç

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plus que de la faire bouillir environ une heure à un feu modé-ré, & d'ôter l'écume dont elle fe couvre ce dernier foincependant n'eft pas néceffaire mais il eft effentiel d'attendrequ'elle foit bien refroidie avant de la verfer dans les urnes deterre ou de porcelaine qu'on lui a deftinées. On l'y conferveratant qu'on voudra fi elles ont de bons couvercles bien juftes& mieux encore û on l'a luté avec un mélange de terre graffe& de farine,

Quoique ce que nous venons de dire fuffife pour faire con-noître la théorie & la pratique des Chinois pour leur vin

7il ne fera pas hors de propos de revenir fur notre expofé pardes éclairciffemens des obfervations & des détails, qui quoi-

que peu importans peuvent avoir leur utilité.Le kiu-tfée n'étant qu'une farine de grain fermenté aigrie

& féchée on a fait du kiu-tfée avec du feigle, de l'orge del'avoine, &c. on en a fait avec différentesfarines, mêlées dansdes proportions fort arbitraires on en agfait, en mêlant à lafarine de froment & aux autres non-feulement de la farine depois, de feves, &c. mais même des herbes odorantes ou médi-cinales des amandes & des pignons, des feuilles & des écor-

ces d'arbre des fruits même féchés & réduits en pouflîere»On en a fait enfin en délayant la matière avec des liqueurspréparées & en accélérant la fermentation ou en la retar-dant finonliérement. Il nous fuffit d'indiquer toutes ces varié-tés, d'avertir que plufieurs anciennes pratiques font perdues j& de dire que les Chinois ne connoiflent pas afTez la nature

pour articuler ce que peuvent produire ces mixtions félon

les proportions dans lefquelles elles font faites ni mêmejufqu'oii elles augmentent les bonnes qualités du vin & lui

communiquent différentes vertus. Le kiu-tfée étant un levainvéritable nous invitons les gens du métier à examiner s'il

importe d'y biffer le fon avec la farine, quelle fer oit la meiir

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leure façon de le préparer & jufqu'où on pourroit tirer partipour nos ufages, de la commodité qu'on a de le garder plu-fieurs années. La médecine chinoife fait ufage du kiu-tfée deSeigle, de celui de froment & de celui de millet. Le premiereft très-vanté contre la diffenterie & plufieurs maladies d'efto-

mac & de ventre.Outre le kiu-tfée il y a une autre efpece de levain qui fe

fait avec du riz., ou du froment ou du Seigle, &c. Il nes'agit que de faire germer dans l'eau l'efpece de grain qu'on achoifie. Quand la germination eft faite on retire ce grain del'eau & on le fait fécher ou au foleil, ou à la chaleur d'uneétuve & après l'avoir agité pour en détacher les germes def-féchés dont on le monde en le vanant, on le réduit en farine

& on fait avec cette farine tamifée des briques comme cellesdu kiu-tfée & d'un auffi bon ufage. Ce levain nommé y a

-1

paroît être fort prifé des anciens & n'être peu employé, queparce qu'il donne plus de peine & produit moins.

Plus nous avons ouvert de livres anciens & modernes furla manière de faire le vin chinois plus nous avons trouvé deregles & de pratiques fort différentes les unes des autres.Cependant, comme il en eft ainfi pour le vin de raisin, non-feulement d'un royaume à l'autre les vins d'Italie-, de Grece,d'Efpagne des Canaries & d'Allemagne, fe faifant fort diffé-

remment les uns des autres; mais même d'une province denotre France à l'autre les vins de Bourgogne de Champa-

gne, de Grave, &c. fe faifant chacun à fa maniere il fautêtre de bonne compofition, & convenir, qu'outre que la péné-tration humaine n'a pas encore trouvé le mieux des chofes ildoit y avoir bien des plus & des moins, felon la matiere qu'onemploie & l'ufage qu'on en prétend faire. Non-feulement ceque nous avons dit ci-deflus fur la façon de laver le mil & dele faire tremper, fur la quantité du kiu-tfie, & le tems de la

fermentation

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Tome V. 1 U A O 0 0

fermentation & de la cuiffon peut être modifié quand on fefei't ou de vin ou d'orge, ou de froment, ou de gros rail &c.,ou de ces différais grains mêlangés. Mais quand on veut faireun vin plus ou moins fubtlantiel plus ou moins doux plus oumoins fpiritueux plus ou moins délicat, plus ou moins degarde, il efl tout fimple qu'on s'y prenne d'une autre façonceci foit dit pour l'acquit de notre exactitude & comme uneproteftation que nous n'avons prétendu qu'indiquer la pratiquela plus ufitée dans le Pe-tche-ly où nous fommes. Quant à détail-ler les autres la tâche feroit en vérité trop longue & trop peuutile pour ofer nous en charger. Nous obferverons néanmoins,1°. que la fermentation du grain & du kiu-tfée étant finie, ilil y en a qui verfent par inclination la liqueur qui fumage &évitent de faire paffer le marc par la chauffe 2.0. que la plu-part jettent dedans quand ils la font cuire ou des herbeschoifîes ou des aromates ou du miel, ou du fucre, ou des.fruits, foit verds, foit confits foit fimplement féchés au foleil.A ce propos nous remarquerons que pour diflinguer cesdifférentes fortes de vin, on leur donne le nom de ce que l'ony a ajouté. De-là viennent les noms de vin de coings, vin decerifes vin deraifins, vin de cannelle, vin de gingembre, vinde meliffe vin d'a-arone vin de pignons, &c. du refce ceque nous difons ici du vin de railîns n'eft qu'un éclairciffe-

ment fur ce que nous avons raconté ailleurs, pour ceux qu'unedemi-lueur de fcience pourroit féduire & perfuader que cetteefpece de vin eft celle dont ont parlé les Hiftoriens & nonpas le vrai vin de raifin 30. qu'il y a plufieurs de ces vinsqui font très-délicats & ont été pris pour des vins d'Occident

par des Européens. Comme on les enterre dans des urnesbien fermées & qu'on les garde ainfi vingt & trente années

le tems doit les travailler, & aucun Phyficien n'a articulé, quenous fâchions, quel goût il peut donner à une liqueur comme le

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vin chinois. Quoi qu'il en foit, plufieurs de ces vins, à ce quenous entendons dire très-fouvent, font des confortatifs & desreftauransadmirables. Les Chinois les boivent toujours chauds,& cet ufage univerfel eft très-ancien, peut-être mériteroit-ild'être examiné 4o. que la nature & les qualités de l'eau dont

on fait le vin chinois, influent tellement fur fa bonté, qu'il feroitde mauvais goût peu fain & ne pourroit pas fe garder fi onne prenoit pas les précautions de la faire bouillir d'avance,

9

pour la purger de fes mauvaifes qualités dans certains cantons.Dans d'autres au contraire tout le rcfte égal elle donne unvin de meilleure garde plus délicat & très-fain. Cela a misles Chinois dans le cas de faire bien des recherches fur l'eaude pluie de neige, de fontaine de rivière &c. ce qu'ilen réfulte de plus clair c'eft qu'il y a des eaux qui dévelop-pent mieux les principes alimenteux Spiritueux &c. du

grain, & s'en chargent en plus grande quantité, & font plus

ou moins bonnes felon l'efpece de grain dont on fait fonvin j°. que la pratique où l'on eil ici de mettre le vin dansdes urnes de terre, eft trop univerfelle & trop ancienne pourn'être qu'une routine aveugle, ainfi que 1'ufage d'enterrer cesurnes pour que le vin fe conferve mieux & fe perfectionne envieilliflant peut-être qu'on feroit bien aife d'en avoir fait deseffais fur notre biere notre cidre, ou même notre vin. Pour

ce dernier, au lieu de citer les Grecs & les Romains nousdirons tout bonnement que l'on met ici dans des urnes, le vinqu'on fait pour l'Autel & que l'on s'en trouve très-bien cequi eft un bon préjugé car le vin ne fe conferveroit probable-

ment pas dans des barriques.Avant de finir cet article il faut que nous difions un mot

de l'inftrumént ou plutôt du vafe dans lequel on fait cuirele mil à la vapeur. Il confifte précifément en un ou plufleursgrands tamis, qui s'emboîtent les uns fur les autres dont le

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bas s'adapte à la chaudiere où eft l'eau bouillante & lehaut fermé par un couvercle qui y renferme la vapeur, quiechauffe & cuit le mil. Quoique nous en ayons déjà envoyéla peinture nous la joindrons à cette Notice parce que nousn'avons pas eu nouvelle qu'on l'ait reçue non plus que biend'autres. Les Chinois cuifent leurs riz leurs petits pains leursfruits, &c. à la vapeur. Cette maniere de cuire, qui eft fim-ple facile peu difpendieufe & fûre mériteroit peut-êtred'être plus connue dans les cuifines & les ménages.

Maniere de faire l'eau-de-vie chinoife.

A en croire le dernier Editeur du pen-tjao kangmou l'in-vention de l'eau-de-vie de grain n'eft pas ancienne en Chine& ne remonte que jufqu'à la Dynaftie des JTuen, c'eft-à-direjufques vers la fin du treizieme fiecle. D'un autre côté, noustrouvons l'eau-de-vie de raifin célébrée par des vers du feptie-

me iîecle & indiquée dans des livres de Médecine du onziemefiecle, & peut-être plus anciens comme un excellent remede

pour lès plaies contuGons, & plufieurs maladies internes.Voilà de quoi perfuader de plus en plus qu'une invention neconclut rien pour l'autre, & que les nations les plus éclairées

ne favent pas franchir le court intervalle de celles qui, commedit Yang-mei tiennent au même tronc & en font les branches.Pour une fois que la réflexion & la méditationconduifent d'unedécouverte à fa voifine il y en a trois, où c'eft le hafard & letâtonnement. Le premier qui fit de l'eau-de-vie de grain icine fongeoit dit-on qu'à effayer s'il pourroit tirer parti d'unvin vieux qui avoir un mauvais goût il s'en croyoit à peinelui-même, quand au lieu d'un vin amendé & bonifié il trouvaque l'alambic lui donnoit une vraie eau-de-vie. Quoi qu'il enfoit de ce fait, il eil prouvé, par les Livres du tems, qu'onn'a fu d'abord faire de l'eau-de-vie qu'avec du vin & qu'ici.r.

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comme en Europe il a fallu rous les cris de l'intérêt pourréveiller l'attention des gens les plus habiles les obliger à ferendre compte de ce qu'ils faifoient, & leur apprendre à mieuxprofiter de leurs lumières. Ce n'eft que peu-à-peu que nous enfommes venus à faire de l'eau-de-vie avec du marc de raifin

avec de la lie de vin, &c. Combien même de cantons où l'onn'y fonge pas? combien d'autres où empêtré dans une mifé-rable & ancienne routine, on donne toutes les façons au cidre,au pommé au poiré à l'hydromel, à la biere, ekc. dont onveut tirer de l'eau-de-vie fans foupçonner qu'on pourroir enomettre plufieurs, & réuffir tout auffi bien. Les Chinois enétoient-là pour leur vin, il n'y a qu'un lîecle & y feroient

encore fans l'accident qui arriva à un payfan du Ckan-tong5-

dont le mil qu'on avoit négligé de remuer fe moifit au lieu defermenter. Voyant qu'il n'en pouvoit plus tirer de vin, il fon-

gea à en tirer de l'eau-de-vie, ce qui lui réunit & a donnénaiffance à la pratique d'aujourd'hui.

Tout aveugle que paroît la tolérance des Mandarins furla fabrique & la vente de l'eau-de-vie elle a fi bien fait, quedans les provinces du Nord on la tire du gros millet ou iorgo â

& dans celles du raidi d'un riz fauvage appellé kiang-mi

ou des cannes de fucre car on doit compter pour rien cellequi fe fait avec du froment, du vrai riz, du petit mil, &c.& la feule qui fût en ufage il n'y a pas 1 o ans. Ceux qui font leplus d'eau-de-vie étant de bons payfans qui ne favent pas lire, ils

ont la mal-adrefïe de négliger beaucoup de chofes qui font fonrecommandées dans les livres, fous prétexte qu'ils réuffiîlentfort bien fans elles. Comme, félon eux, il ne s'agit que d'obtenir(-le leur '1 oudeleur -,iicde leur millet ou de leur kiang-mi, une fermentation qui dégage

c qu'ils contiennent de plus fpiritueux & en charge l'eau ouils les ont mis, tout ce qui la leur procure leur fuffit. Ceux quiveulent plus épargner la dépenfe que le tems fe contentent

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de mettre leur grain dans un kang, avec affez d'eau bouillante

pour le faire renfler & le furmontcr encore de quelques pou-ces. Le troifieme jour ils jettent dedans, ou du kiu-tfée pilé

ou du marc aigri de grain, jadis fermenré, ou de la lie devinaigre & le remuent deux ou trois fois le jour, jufqu/à ce

que la fermentation foit finie, & que le grain s'et.iiu précipitéil huTe furnager une liqueur claire & limpide qu'on met dansl'alambic après un mois environ & qui donne près de fa moi-tié d'eau-de-vie. Quelques-uns torréfient leur grain dans ungrand vafe de fer au fortir duquel ils le jettent dans le kang

yl'y biffent tremper dans l'eau, fans autre foin que dele remuer;& quand il a fermenté ils mettent le tout dans la chaudière del'alambic du refle on fait parler ce grain par l'eau avant de letorréfier. D'autres ont beaucoup d'autres façons plus iimples

encore mais qu'on ne nous a pas affez garanties pour que nousofions en rendre compte. Voici celle qui eit la plus communedans cette province on fait cuire en grande eau fon grosmillet; quand il eft pâteux & auffi mol que le riz qu'on mange

on le met dans un kang après l'avoir fait refroidir en été &tout chaud en hiver on etend defius une quantité proportion-née de kiu-tfée on l'arrofe avec de l'eau où l'on a détrempé& délayé autant de kiu-tfée qu'on en a mis demis puis oncouvre le kang. Après un ou deux jours on fe met a remuer& braffer ce mélange & on continue juiqu'à ce que la fermen-tation étant faite le marc fe précipite en bas. Dès qu'il y aune moitié de la liqueur clarifiée on la porte dans un autrekang, & on attend encore un ou deux jours pour le refte

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puis on laiffe le tout le mûrir & fe fortifier dans un vafe bienfermé. Vingt jours fuffifent en été mais il en faut jufqu'à qua-

1rante & même cinquante en hiver h l'on a bien réuili, on aurade bonne eau-dc-vie & en quantité.

L'eau-dc-vie chinoife a un goût fort défagréable malgré

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cela le peuple s'en accommode & la boit chaude & en plusgrande quantité qu'on n'oferoit dire. Bien plus, il y en a qui

ne boivent que celle qui a été repaffée à l'alambic & quieft fi forte qu'elle brûle preCque comme de l'efprit-de-vin.Les gens comme il faut ne font ufage de l'eau-de-vie que dansles liqueurs encore veulent-ils qu'elle foit faite de bon vin,& traitent d'abus homicide la tolérance qui en laiiïe boire d'au-

tre. Dans le vrai, on ne peut pas difconvenir, que fi elle eftprofitable aux gens de travail qui en boivent en petite quantité,elle caufe bien des maladies aux autres. Nos Pharmaciens euro-péens fe font tous accordés à dire qu'elle eft auffi bonne oumême meilleure que celle de vin de raifin pour tout ce quieft extérieur.

Manière de faire le vinaigre chinois.

Le meilleur vinaigre de Chine eft fait avec le vin ou labiere dont il a été parié ci-deffus ou plutôt en fe fervant desmêmes matériaux & des mêmes procédés on fait devenirvinaigre la liqueur qui alloit donner du vin ainfi, tout ce qui

a été dit fur les différentes façons de faire du vin, peut ferviregalement pour faire du vinaigre. La différence dans la manièrede procéder, ne commence qu'au moment de paffcr la liqueurfermentée par la chauffe alors au lieu de la tirer au clair onverfe dans le kang fept à huit livres de fon de froment délayé

en bouillie avec de la liqueur qu'on en a tiré ou encoremieux avec du vinaigre & on remue agite & braffe bienle tout pour en parfaire le mélange qui produit une nouvellefermentation quand elle efl finie c'eft-à-dire après deux outrois jours le marc fe précipite & la liqueur qui furmonte eft

toute aigrie, mais pas aifez pour être vinaigre. On la tire toutedu kang par un trou, qu'il doit avoir au bas comme une cuveà faire le vin puis on la reverfe fur le marc en ajoutant

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deux livres d'eau fraîche afin qu'elle puiffe mieux le pénétrer& paffer au travers pour fe fortifier. Lorfqu'elie a ainfi pafîequatre fois, ou même trois, elle efl devenue un très-bon vinai-gre, il ne, s'agit plus que de l'expofer au foleil, dans un vafequi n'eft couvert que d'un crépon de chanvre contre les mou-ches deux mois fuffifent en eté mais il en faut jufqu'à trois& quatre en hiver. On connoît que le vinaigre eft fini à labelle couleur rouge qu'il a prife, & à la manière dont unegoutte, qu'on laiffe tomber dans l'eau, y perle & ne s'étendpoint; il ne s'agit plus que de le mettre dans les vafes où l'onveut le garder, en y mettant, fi l'on veut, ou du gingembre

ou du poivre, ou de la cannelle &c. pour lui donner un goûtplus agréable. Les pauvres gens de la campagne qui ne cher-chent qu'à épargner ufent d'induftrie & tirent leur vin &leur vinaigre du même kang c'eft-à-dire qu'au lieu de pafferleur vin par la chauffe en la maniere qui a eté dite ils le ver-feat par inclination puis ils vcrfent de l'eau bouillante où ils

ont délayé du fon fur le marc qui eft reflé & la font paffer &repaffer jufqu'à ce qu'elle foit devenue un affez bon vinaigres'ils y ajoutent après un peu de fel & de piment il eft d'unfort bon ufage.

Ajoutons encore une autre façon de vinaigre, qui peut faire

plaifir aux gens de la campagne elle fe fait des reftes de painde chaaue jour qu'on laiffe durcir, fe fécher & fe moifir mêmedans un grand panier où l'on les jette. Quand au bout de plu-

fieurs mois on en a une certaine quantité, on ôte avec unebroffe la moififîure qu'ils peuvent avoir, & les mittes qui peu-vent s'y être mifes on les fait fécher au foleil, & on les pile

de façon à les réduire en une poudre grofiiere. Sur quatrelivres de cette poudre, qu'on a jettée dans un kang, ou baril

défoncé, on verfe environ huit livres d'eau bouillante où l'on

a fait fondre une livre de fel; & après avoir bien braffé fon

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mélange on couvre le vafed'un crépon, & on l'expcfe au Grandfok'ii. t,a idilbn décide du plus ou du moins déteins qu'il faut;mais quand le marc s'eft précipité, & que la liqueur qui fur-

nage cil devenue rouge le vinaigre ert fait, il ne s'agit plus quede le paffer par ia chauffe & de lui faire faire un bouillon

pour le mieux conferverj c'eft le vinaigre qu'on appelle tjîtig-tjiang. Quant aux autres efpeces, qui iont en bon nombre

nous nous bornerons à remarquer, que comme elles font pourla plupart très-anciennes & fuppofent une connoiffance bienanalyfée de Y acidification un faifeur de Recherches philof o-

phiques fe croirait en droit d'en tirer bien des coniéquen-

ces. Pour nous, il nous fuffira d'obferver que plus nous rappro-chons de faits & de dates plus nous voyons que les Chinois

ont eu la primauté d'aîneffe en bien des genres & que lesMiffionnaires ont fait paffer en Europe plus de leurs découver-

tes qu'on ne dit.P. S. Comme nous avons donné ailleurs la notice des four-

neaux & etuves chinoifes nous y renvoyons & avertiffonsqu'elles font d'un grand fecours pour faciliter affurer & accé-lérer bien des chofes, quand on fait, ou du vin, ou de l'eau-de-vie, ou du vinaigre, en la maniere que nous avons décrite.Ce n'efl pas à nous à rien infinuer en ce genre mais enfin iln'eit pas hors de vraifemblance qu'on pourroit les adapter chez

nous à bien des ufages, ne fût-ce que pour diminuer la con-iommation du bois. Les Chinois fe fervent de la paille dugrand millet pour chauffer leur alambic qui de fon côté eft lifimple ou plutôt fi ruftique que nous n'oferions en faire ladefcription.

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Tome V. Ppp

11.

.RAISINS S E C S DE H A- ML

Caiium ligaturai uva paffœ. I. Reg. ch. 45,JLj

A médecine de Chine connoit-elle les raifins fecs ou paffés>en fait-elle ufage i Oui, & fort anciennement.

Les raifins à en croire les favans ont eté connus en Chine r

& célébrés dès la plus haute antiquité. A les en croire encoreon ne peut entendre que de la vigne, ce qui eft dit dans leTcheou-ly fur ce que devoient faire les Mandarins, chargésdes jardins de l'Empereur. Or le Tcheou-ly paffe pour êtrel'ouvrage du célèbre Tcheou-kong, frère de Vou-ouang quimonta fur le trône en 1122 avant Jefus-Chrift. Quoi qu'il enfoit de ce point & des vers du Chi-king aufli, qui paroiffentregarder la vigne & les raifins il eft hors de tout doute qu'il

y a eu des vignes dans le Chan-Ji & le Cheiz-fi, bien des fiecles

avant l'ère chrétienne on en vint même à en planter affez pourfaire beaucoup de vin. Sée-ma-tjîen dit par occafion d'un par-ticulier, qu'il en avoit fait dix mille mefures. Que les idées del'Europe s'en etonnent tant qu'elles voudront il eft certainqu'il fut un tems où l'on planta affez de vignes dans les provin-

ces de Chan-fi, Chen-Jl Pe-tche-ly Chan-tong Ho-nan &Hou-kouang, pour que le vin de raifîn qui avoit la propriété,dit l'hiftoire de fe conferver un grand nombre d'années &qu'on enterroit pour cela fdans des urnes, fut très-commun& caufa beaucoup de défordres. Les chanfons qui reftent de

toutes les Dynafties depuis les Yuen jufqu'aux Han, font foi

que le vin de raifin a toujours été fort au gré des Chinois,L'Empereur Ouen-ty, de la Dynaftie de Ouei, le célèbre avec

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un enthoulîafme lyrique, digne des Anacréon & des Horace js& on voit dans la grande Botanique Liv. 13 3 que le vin deraifin etoit le vin d'honneur que plusieurs villes offroient auxGouverneurs & Vice-rois & même à l'Empereur. En 1373Tai-tfou, fondateur de la dernière Dynaftie, accepta, pour ladernière fois, celui de Taï-yuen du Chan-fi & défendit qu'onlui en préfentât davantage. Je bois peu de vin dit ce Prince,& je né veux pas que ce que feu bois caufe le moindre embarrasà. mon peuple. A s'en tenir au peu qu'endifent les Hiftoriens ?

la vigne a effuyé bien desrévolutions. Toutes les fois qu'il ya eu ordre d'arracher les arbres qui embarraffoient les champsdes moilïbns elle n'a point été exceptée autant même quenous pouvons nous en fouvenir dans ce moment il nousparoît qu'elle a été fpécialement nommée plufieurs fois. Mais

ce qui eft bien certain, c'eft qne l'extirpation & le déracine-ment des vignes furent pouffes fi loin fous certains règnesdans la plupart des provinces qu'on en perdit totalement lefouvenir. Quand dans la fuite on put en replanter à s'en tenirà la façon dont s'expriment quelques Hiftoriens on diroit quela vigne & le raifin commençoïent à y être connus pour lapremière fois. Voilà apparemment ce qui a fait avancer àquelques modernes, que la vigne n'avoit été connue à la Chine

que très-tard & qu'elle y avoit été portée de l'Occident.Comme le gouvernement s'eft toujours fait ici une affairecapitale de multiplier de plus en plus toutes les efpeces degrains de fruits d'herbages & de légumes toutes les nou-velles acquittions en ce genre lors même qu'elles ne regar-dent qu'une province font entrées dans les Annales commede grands evénernens & elles y font racontées d'une manièrequi peut en impofer à ceux qui ignorent ce qu'elles ont ditantécédemment. And, à remonter jufqu'à TJîn-cki-hoang &à defcendre de fiecle en fiecle jufqu'à la Dynaftie régnante

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on voit, au fujet de la vigne, qu'on en a porté en Chine diffé-

rentes plantations de Samarcande, de la Perfe du Thibet,,'

de Cachgar, du Tourfou, de Ha-mi & des autres pays aveclefquels la Chine a eu des relations. Enfin, fans parler derems plus reculés encore les annales font mention clairementde vigne de raifin & nommément de vin de raifîn fous. le

regne de l'Empereur Vou-ty des Han, qui monta fur le trônel'an 1 40 avant l'ère chrétienne. Bien plus depuis ce Prince

on peut confïater l'ufage du vin de raifin Dynaftie parDynaftie & quafi regne par règne jusqu'au quinzième ficelétellement qu'on en a fait un article à part dans le 133e Livrede la grande Botanique Kou-kbi tou-chin. En cas qu'on n'eûtpas ce bel ouvrage à la bibliothèque du Roi, le P en-tfao-kang-

mou, qu'on y a fûrement, pourra y fuppléer. Ce qu'on y ditdans les notes ftiffit de refte pour constater qu'on a parlé d'ima-gination & à l'aventure, lorfqu'on a mis û tard l'entrée de lavigne en Chine. Nous ne laurions trop dire en détail où en eu.maintenant ici la plantation de la vigne tout ce que nouspouvons en articuler de plus positif, c'eft que les EmpereursKang-hi Yong-tching & Rien-Long, qui eft fur le trône, ontfait venir beaucoup de nouveaux plants des pays étrangers &s'en font fait un mérite dans leurs ouvrages que les trois pro-vinces du Chan-tong du Ho*nan & du Chan-Jî paroiffentavoir réparé leurs anciennes pertes; que celle du Pe-tche-lyfameufe de tout tems par fes vignes en a beaucoup jufques-

là qu'on y compte quatorze dnlrifts renommés pour leursraifins, qu'on conferve bien avant dans l'été & qu'on vendici dans les rues à un prix fort médiocre que les deux grandesvilles de Tai-ytien & de Ping-yang, de la province du Chan-fi,font fameufes dans tout l'Empire par la grande quantité de rai-fins fecs qui fort de leurs environs pour les pharmacies &pourles tables, Si on avoit befoin de nouveaux détails pour être

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perfuadé que Le fol & le climat ont des influences égalementfingulieres, inexplicables & confiantes fur les raifins & leursqualités, on pourroit en fournir d'ici de bien des efpeces, &fort éloignées de nos idées car qui fongeroit que Pe-king

etant auffi méridional que Madrid & Naples, il y faut enterrerles vignes l'hiver pour les fauver du froid & les faire monteren treille pour que le raifin puiiïe mûrir ?

Pour venir maintenant à notre fujet les raifins fecs oupaffés dont on fait le plus de cas en Chine font les raifins deHa-mï petit royaume tributaire de l'Empire, au fud-oueftde Pe-king. A remonter dans la plus haute antiquité, & aumoins plus de 1800 ans avant l'ere chrétienne, la loi avoitdécidé que tous les Princes tributaires enverroient chaqueannée en tribut, ce que leur pays produifoitde meilleur & deplus curieux. En conféquence de cette loi qui s'eft toujoursmaintenue, quand la fin de l'année approche, Pe-king fe rem-plit p eu-à-peu des envoyés de tous les pays qui environnent laChine. La venue de tous ces étrangers effc quelque chofe deplus qu'un fpeftacle pour cette grande ville elle lui procuretout ce qu'elle peut defirer des peuples les plus éloignés car,outre que pour la fureté des tributs qui doivent tous arriverbien confervés & en état d'être préfenîés à l'Empereur cha-

que envoyé apporte toujours une plus grande quantité dechaque chofe qu'il ne faut & comme il n'a pas de douane à

payer, & qu'il effc défrayé fur toute la route, dès qu'il eftentré dans les terres de l'Empire il fait paffer avec lui bien desmarchandises fur lefquelles on ne fonge pas à le chicaner, puisil vend en chemin ce qui Fembarrafferoit trop à conduire juf-qu'à la capitale. Que les hommes d'état examinent ce qu'eilpar-là la fin de l'année pour Pe-king; car les envoyés etran-gers jouiffant d'autant de franchifes à leur retour qu'à leur

venue ne manquent pas de s'en retourner auffi chargés qu'ils

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etoient venus. Nous nous bornerons à remarquer que les raifinspafles etant ce qu'on prife le plus dans les provinces & à lacapitale parmi ce que portent les envoyés du royaume deHa-mi ils ne manquent pas d'en faire paffer une très-grandequantité, toujours bien moindre cependant qu'on ne lavoudroit.

Les raifins fecs de Ha-mi font de deux efpeces; la premiere,qui eft finguliérement prifée de la médecine chinoife nousparoît parfaitement femblable à celle que la nôtre connoît fousle nom de Corinthe. La feconde, qui eitplus recherchée pourles tables, nous paroît plus petite & plus délicate que nospaffevilles de Provence nous envoyons de l'une & de l'autreafin qu'on puiffe les examiner, & voir ce qu'elles peuventavoir de particulier fi tant eft cependant que les précautionsque nous avons prifes fuffifent pour les bien conferver carelles auront près de deux ans lorfqu'elles arriveront en France.Mais il n'eft pas poffible de les y faire parvenir plutôt, parceque les envoyés de Ha-mi n'arrivant kPe-king que vers la findeDécembre on n'eft plus à tems pour profiter du départde nosvaifîeaux qui font à Canton & font voile dans cette faifon.

Nuus en avons fait exprès la comparaifon. Les Livres chi-nois font parfaitement d'accord avec MM. Lemeri & Geofroi,fur les vertus & qualités des raifins fecs ou pafles mais ils attri-buent plus de force à ceux de Ha-mi qu'à ceux de Chinejufqu'à dire que la dofe en doit être plus petite ils ajoutent

que finfufion des premiers eft un excellent remede i°. pourfaciliter i'éruption de la petite vérole vers le quatrième jour,

9quand le malade eft ou paroît trop afFoibli i°. pour exciter

une douce fueur dans certaines pleuréfïes & fievres malignes

quand le tems en eft venu, & que l'on n'en voit aucun indice.La dofe varie félon l'âge l'état & la force du malade & lefuccès de ce remede dépend fur-tout de l'à-propos mais quandil eft bien adminiftré il réuffit fi fouvent & fi pleinement, qu'on

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ne fauroit douter de fa vertu. lis ajoutent encore qu'à juger desraifins de Ha-mi par les plants qu'on en a apportés ici, & qui onttrès-bienpris, parce qu'ils ont eté plantés d'abord dans les jardinsdu Palais & comme fous les yeux de l'Empereur ils paroiffentêtre d'une excellente efpece. Ceux qu'on nomme de Corinthe

tqui font les derniers venus, ont un fucre & un parfum admi-rables même ici. Du refte quoique le Ha-mi fdit moins méri-dional que plufieurs de nos provinces, le climat en eft bienplus favorable à la bonté des raifins car, comme on l'a puvoir dans les obfervationsde l'Empereur Kang-hi il ne pleutjamais à Ha-mi il n'y a même prefque jamais ni brouillard,ni rofée & la terre n'y eft arrofée que par la neige qui tombe

en hiver, & par l'eau de cette neige fondue qu'on recueille

au pied des montagnes & qu'on economife après avec beau-

coup de foin & d'induilrie. Dans le Chan-Jî on fait paffer à la va-

peur du vin bouillant, ou même on fait faire deux ou trois bouil-lons dans du vin où l'on a mis un peu de miel blanc purifié, lesraifins qu'on veut faire fécher il ne paroît pas qu'on en ufeainfi à Ha-mi on fe contente d'attendre que les raifins foientbien mûrs puis après les avoir expofés en grappe à un foleilardent, on les egraine & on finit de les faire fécher. Quelqueféchés qu'ils foient, ils fe rident fans fe vuider ni s'applatir &les bons font quaii croquans comme du fucre candi.

I I I.NOTICES DUROYAUME DE HA-MI.LE royaume de Ha-mi eft fi nouvellement connu en Occi-dent, que nous croyons devoir en dire ici quelque chofed'après les Annales, qui en ont parlé fort au long à différentesreprifes comme de tous les autres royaumes tributaires del'Empire.

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Le royaume de Ha-mi qu'on a fort bien piacé dans lesnouvelles cartes fut habité dans les premiers âges par despeuples errans nommés Jong. Sous Mou-ouang des Tcheouc'eft-à-dire vers l'an 950 avant l'ère chrétienne, ils vinrentrendre hommage & offrirent des fabres pour tribut ils fenommoient alors Kouen-ou ils furent enfuite appelles Y-ou,& ne furent plus connus que fous ce nom. Sur la fin de laDynaftie des Tcheou l'Empire divifé & epuifé par les guerresciviles n'ayant pas pu fecourir ces peuples ils tomberentfous la puiffance des Hiong-nou qui femblent avoir eté lesHuns, &qui formoient alors une puiffance formidable. Vou-tydes Han, qui monta fur le trône l'an 130 avant Jefus-Chriftreconquit le royaume de Ha-mi avec beaucoup d'autres paysau nord & à l'occident de la Chine. L'hifbire parle à cetteoccasion du vin de raifin de Ha-mi. La Dynaftie des Han occi-dentaux étant tombée en décadence, le pays de Ha-mi quietoit devenu un département de la province du C/ien-Jz paffade nouveau fous la puiffance des Hiong-nou & ne fut recon-quis que la dix-huitième année du regne de Ming-ty des Hanorientaux l'an 75 de Jefus-Chrifr. encore ne fut-ce pas pourlong-tems. En 1 3 1 cependant fixieme année du regne deChun-ty de la même Dynaflie, l'Empereur y avoit un Offi-cier pour le gouvernement. Sous les petites Dynafties fuivan-

tes, le pays de Ha-mi fut, tantôt uni à la province de Chen-JÎ,

tantôt indépendant d'elle, & tantôt indépendant même del'Empire. Pour peu qu'on veuille faire attention à la pofition de

ce pays, féparé de la Chine parle Cha-mo on verra d'abord

que le peuple qui l'habitoit ayant confervé fon anciengénie, &

ne tenant à la Chine ni par fes mœurs ni par fes ufages ni parfa langue ni par fa manière de vivre, en un mot par tout ce qui

fait la vie civile, devoit fecouer le joug à la première occafion.

Vers l'an sSio ce fut une révolte ouverte & décidée mais cette

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révolte fut commune à prefque tous les peuples tributaires deChine, parce que le voluptueux Empereur Yang-ty les avoit

tous infu'tés & méprifés. Tai-tfong fecond Empereur de laDynafHe des Tang, envoya un de fes Généraux pour faire

rentrer le pays de Ha-mi fous fon obéiffance vers 63o, qua-trieme année de fon regne. Ce grand Prince donna une atten-tion particuliere à cette nouvelle conquête qui fut nomméeY'ou-lou. Il y érigea jufqu'à trois diftricls & en lia tellementle gouvernement civil & militaire à la province de Chen-jî, &des autres pays voifins que le refte de fon regne & pendantplufieurs des fuivans, tout y fut tranquille& en paix. C'etoit parHa-mi que pafîbient les caravanes qui venoient de l'Occidentà la Chine & qui alloient de la Chine en Occident. Sous les

petites Dynafties précédentes, les Empereurs fe contentoientde fe faire apporter du vin de Ha-mi dans des outres, dont onchargeoit des chameaux. Tai-tfo?ig dit i'hifloire ayant fubju-gué le royaume de Kao-tchang ( c'eft-à-dire Ha-mi ) fefitapporter des plants de l'efpece de vigne ma-jou & les fit planterdans j'es jardins outre cela il voulut avoir la manière de fairele vin dont il ufa à fon profit &' à fon déf avantage. La mollefle& le luxe ayant affoibli peu-à-peu la Dynaftie des Tang, lesMahométans qui avoient fait de grands progrès dans tous les

pays qui font entre la Perfe la mer Cafpienne & le Cha-mo

s'avancerent jufqu'à Ha-mi & en firent la conquête. Quandla révolution fut finie, il paroît que le pays de Ha-mi eut unRoi ou Prince particulier, mais dépendant des Tartares, quidominerent fucceffivement dans les immenfes régions d'au-delàdu Cha-mo depuis le Nord jufqu'aux Indes. Les Yuen ou Tar-tares Mongoults réunirent de nouveau le pays de Ha-mi à laprovince de Cken-Jz, & cela dura jufqu'en 1360 que l'Empe-

reur l'erigea en royaume, à charge d'hommage & de tribut.L'Empereur Yang-lo de la Dynaftie des Ming diffimula ce

qui

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qui s'etoit pafle durant les derniers troubles, & ayant obligéle Roi de Ha-mi à lui envoyer fon tribut il le décora d'unnouveau titre, & lui accorda le fceau d'or en 1404. Quelquesannées après il y eut des troubles à Ha-mi pour la fucceflionau trône. La Chine parut d'abord y vouloir prendre intérêt imais des affaires plus importantes occupant les foins du minif-tere il négligea celle-là, & ne fit intervenir fa médiation &ton autorité que par intervalle, encore finit-il par l'abandonnerentièrement. Les Rois du Tou-eulk-fan qui etoient eux-mêmesTributaires de la Chine, firent la conquête du royaume deHa-mi aiafi que de plufieurs autres pays voifîns. Cette nou-velle puiffance ne put pas le foutenir long-tems Les habitansde Ha-mi fe révolrerent contre ces faux-maîtres & nrentdes conquêtes fur eux. Par malheur le nouveau Roi qu'ilss'etoient donné ne fut pas fe maintenir il fut vaincu & tuédans un fanglant combat contre le Roi du Tou-eulk-fan qui

ne tarda pas de l'être auffi lui-même. Depuis cette derniererévolution le pays de Ha-mi fut dans l'anarchie ou gouverné

par un Prince particulier. Celui qui l'etoit en 1696, trente-cinquième année du regne de l'Empereur Kcmg-hi foit poureviter la guerre dont il etoit menacé, foit pour fe ménager laproteclion de la Chine reconnut fon vaffelage & envoya àPe-king des chameaux des chevaux & des fabres pour fontribut. L'Empereur Kang-hi le reçut à la manière accoutumée,& fit un diplôme qui régla le rang qu'auroit le Roi de Ha-miparmi les Princes tributaires de l'Empire, quand il viendroitrendre hommage, quel feroit fon tribut à quoi il feroit obligé

en tems de guerre & comment il feroit agréer fon fuccefleur.Tout cela a tenu jufqu'à préfeut.

Nous ne nous fommes pas contentés d'ouvrir des livres,

nous avons voulu nous entretenir avec plufieurs perfonnes qui

ont traverfé le royaume de Ha-mi & qui y ont féjourné. Elles

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fe font toutes accordées à nous dire que ce qui y eft beau

pays eft véritablement un pays de délices où l'on trouvetout en abondance. La terre y produit continuellement tout cequ'on peut defirer en grains en fruits, en légumes & en her-bages. Le riz qu'on y cueille eft admirable au dire même desChinois. Les grenades, les oranges, les pêches les raifins

“les prunes &c. y ont une faveur un goût & un parfum exquis;les jujubes même y font juteufes, & d'un goût fi ambré, queles Chinois leur ont donné le furnom de jujubes parfumées.Quant aux melons, qui ont la propriété finguliere de pouvoirêtre confervés frais bien avant dans l'hiver, à en juger parceux qu'on porte ici à l'Empereur, ils font véritablement excel-lens & d'un goût délicieux, comme nous l'avons déjà mandéautrefois. Nous fommes bien perfuadés comme l'a ecrit deParis un Ecrivain célebre, qu'on pourrait elever de ces melons

au potager du Roi, nous ajoutons même que cela feroit à défi-

rer, parce qu'ils font plus fains que les nôtres mais commentfaire parvenir en France des graines en état d'être femées (i) ?

Si la Cour de Petersbourg cnvoyoit ici un courier en hiver

comme elle a fait bien des fois, il feroit aifé de lui en donnerqui pourroient arriver affez tôt à Paris pour être femées à lafin du printems. Si ce confier portoit lui-même en venant,des pattes d'anemones, des griffes de renoncules des oignonsde jacinthes de tulipes, &c. qui ont toujours échoué par lavoie des vaiffeaux, & qui feroient tant de plaifir à l'Empereur,

:>

ce feroit un moyen d'obtenir toutes les facilités qu'on vou-droit.

Le royaume de H a-mi n'a proprement de ville que fa capi-tale, dont il a pris fon nom elle a une petite demi-lieue de

(i) Il en eft arrivé en 1778 qui ont été femées en 1779 & qui ontpaffablement réuffi.

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circuit, eft environnée de hautes murailles, & s'annonce deloin par la beauté de fes deux portes dont l'une eft à l'Orient& l'autre au Nord. Les rues en font bien distribuées & bienalignées; mais les maifons qui font prefque toutes de terre &des rez-de-chauffée ont peu d'apparence. En revanche, commecette ville eft fous un beau ciel, placée dans une jolie plainequ'arrofe une petite rivière, & qu'elle eft environnée au Nordpar une chaîne de montagnes, fon féjour ne peut être quetrès-agréable & très-fain. De quelque côté qu'on y arrive onne voit dans les environs que des jardins qui réunifient toutce qu'une terre fertile & cultivée peut offrir de plus agréabledans un climat fort doux. Mais ces environs ne s'étendent pasloin & aboutuTent de piufîeurs côtés à des plaines prefqu'ari-des, où l'on nourrit d'excellens chevaux, & de plus excellens

moutons encore. C'eft de l'efpece de ceux dont la queue eftplate large, & pefe jufqu'à trois livres. Il paroît que le paysde Ha-mi eft très-bien partagé en foffiles curieux & en miné-

raux précieux. Les Chinois en ont tiré long-tems beaucoupd'or & de diamans. Aujourd'hui ils en tirent i'efpece d'agatequ'ils prifent le plus. Quant aux habitans de ce petit etat qui

font aujourd'hui les defcendans de plus de vingt peuples diffé-

rens, à en croire Ty-tong-tchi, ils font braves durs à la fati-

gue, bons foldats, & très-adroits dans tous les exercices du

corps mais ils font inconftans prennent feu aifément &deviennent féroces & fanguinaires dans leur colère. Dans les

guerres dont nous avons parlé ils fe défendoient jufqu'à l'ex-

trémité, puis fe fauvoient fur les rochers efcarpés.

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ï I I.R E M E D E S.

Quod remedium habebunt. Job. ch. 6.

1 j e remedes appartiennent tous au public c'eft attenter à

fes droits que de lui en faire un fecret. Quoiqu'on foit plus excu-fable de fe taire fur ceux dont on n'eft pas foi-même l'inven-

teur, nous irons au-devant des plus petits reproches; & aurifque de parler de chofes qu'on connoît mieux que nous, nouscopierons ici fans hériter la compofition de deux excellensremedes que nous tenons de fource.

Le premier de ces remedes fe nomme ici pao-king-cke &eft très-recherché de tout le monde pour la petite vérole larougeole, la fievre pourprée, & pour toutes les maladies engénéral où il y a du venin, ou un trop grand affoibiïffementdans le malade. Il ne nous convient pas d'en dire davantage;mais nos Hyppocrates & nos Galiehs verront d'abord parl'énoncé de la compofition de ce remede, quelles doivent êtrefes vertus, à quelles maladies il convient, & à quelle dofe ilfaut le donner au malade félon fon âge fon etat & tes forces.Nous nous hafarderons néanmoins à leur obferver commetémoin oculaire, qu'un de nos Néophites qui etoit célebrepour le traitement de la petite vérole en faifoit un très-grandufage pour fortifier le malade & préparer l'eruption des bou-tons. Nous avons vu auffi qu'il a très-bien réufli dans desfievres malignes terribles & a comme tiré les malades desderniers friffons de la mort. On en demande fouvent pour lesfemmes en couches, & il paroît qu'elles s'en trouvent 'toujoursbien.

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Maniere de faire le pao-hing-che.

Prenez du corail blanc & rouge 10 onces.Rubis jacinthe 4 onces.Perles 4 onces.Emeraudes 5 onces.

Mufc 6 gros.Bol d'Arménie 3 onces &dem.Terre de S. Paul ou de Malthe 3 onces & dem.

Réduifez-les en poudre, mêlez-les bien enfemble & délayez-les en constance de boules avec de la gomme & de l'eaurofe, puis roulez-les fur une feuille d'or battu, pour qu'elles enfoient couvertes & faites-les fécher.

Le fécond de ces deux remedes; comme bien moins difpen-dieux, & d'un ufage plus prompt, plus préfent & plus univer-fel, peut devenir plus populaire & entrer dans les provifionsdes ménages les plus ordinaires. Il fe nomme kou-tfeou vin

amer, drogue amere on le donne en petite quantité c'eft-à-dire, une cuillerée mais on peut en augmenter la dofe oumême en faire prendre une féconde, une troifieine fois, félonla nature de la maladie & l'etat du malade. Le kou-tfîou eft

un excellent remède pour les apoplexies de bile les indi-geftions, les coliques, les fièvres intermittentes, &c. il eftfur-tout admirable pour entretenir en fanté. quand on leprend le matin à jeun & qu'on boit quelque tems après du thé

de la fauge ,&c. pour l'aider à faire fon chemin. Un de nosNéophites Capitaine des gardes de l'Empereur étant tombé

d'apoplexie en revenint du Palais doit la vie au kou-tfiouqu'on lui fit prendre fur le champ. Il feroit facile de faire unlong catalogue de guérirons différentes mais ces fortes derecommandations le noient en parlant la mer. Quand un remède

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eft arrivé en Occident on en juge par l'effet que doiventproduire les chofes dont il eft compofé & on en juge très-fagement.

Manière de préparer le kou-tfiou.

Prenez de l'eau-de-vie la plus faite i liv. & dem.Aloës 3 gros.Mirrhe 3 gros.Encens 3 gros.Safran un demi-gros.

Faites-les infufer au foleil un mois ayant foin d'agiter labouteille de tems en tems, puis tirez au clair. Comme le kou-tfiou eft très-bon pour les coupures contufions, plaies, ulcè-

res, &c. il y en a qui ajoutent de nouvelle eau-de-vie, enpetite quantité, fur ce qui refte de la premiere infufîon le fontinfafer de nouveau, & trouvent que cela fuffit pour 1'ufageordinaire. La bonne façon, c'efl; de mettre double dofe d'eau-de-vie & de drogues, puis de n'en tirer au clair que la moitié

pour prendre intérieurement & de garder le refte pour êtreappliqué extérieurement.

P. S. Ces deux remedes nous font venus ici des Indes

où ils ont été inventés. Le premier, connu fous le nom depierre de Gafpard Antonio a été inféré dans la Pharmacopéede Manuel Rodrigues Koelho imprimée à Lisbonne en 1734.Mais on verra d'abord que la recette qu'il donne eft une recetteconjecturale, au lieu que celle que nous donnons eft la vraie.

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ï V.

TEINTURE CHINOISE.Non conferetur cum tinflis Indix coloribus. Job. ch. 10.

\^£ u o i Q u'o N ne trouve point de détails dans les kings furles matieres premieres des anciennes teintures on y voit clai-rement néanmoins qu'on les tiroit du regne végétal. Le chapi-tre Yu-kong du Chou-king, indique nommément deux endroitsoù croiflbient les plantes qui donnoient le noir & le rouge. LeChvking le Ly-ki & le Tcheou-ly parlent de la faifon danslaquelle on doit cueillir le tfang-lan le hong-lan & les

autres herbes dont on tiroit le rouge, le violet, le bleu, &la couleur de bois. Or, l'ancienne gloie porte que les Anciensavoient pour principe que c'etoit des plantes qu'il falloit tirerla matière des teintures pour le coton & la foie. Elle ne fait

pas mention à la vérité, ni de la laine ni du chanvre maisc'eft parce qu'on ne portoit la laine qu'en fourrure, & qu'onréfervoit la toile de chanvre pour les habits de deuil. Cet ancienprincipe eft encore aujourd'hui celui qui prévaut chez tousceux qui ont le fecret d'en faire ufage ils tirent des plantes &des arbres toutes les matieres de leurs teintures.

L'antiquité avoit des tems marqués pour la récolte des plan-

tes qu'on employoit dans la teinture, & cela faifoit époquedans fon année agraire jufques dans l'enceinte du Palais. Iln'en eft plus ainfi aujourd'hui mais le gouvernement pourtenir toujours à l'antiquité par quelque endroit a continuéd'exiger le tribut annuel- de certaines plantes pour les manu-factures impériales & dans le dernier ouvrage publié lùrl'apiculture il a fait faire un article à part de la culture des

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plantes dont on fe fert dans la teinture & pour montrerencore mieux l'intérêt qu'il y prend il a voulu qu'il fût faitmention de toutes celles dont on fe fert dans les différentesprovinces. Il nous a paru remarquable qu'au lieu de décrire lespratiques de la culture d'à préfènt, on fe borne à citer lesAnciens. L'esprit de cette conduite c'eft d'annoblir, de confa-

crer cette culture par fon antiquité & ce qui n'eft pas moinsutile de tourner l'attention publique vers les anciennes prati-

ques plus fimples plus fûres plus populaires, & malheureu-fement prefque oubliées. Quoi qu'il en foit du fuccès de cesfoins à cet égard on cultive ces plantes dans tout l'Empire,&C leur récolte annuelle fuffit dans chaque province.

Quant à la manière d'extraire les parties colorantes desplantes de préparer le coton & la foie pour les recevoir &

les conferver long-tems les principes des Anciens & lesconlequences qu'ils en tirent, parouTent clairement indiquésdans plusieurs textes authentiques. La nature qu'ils epïoient &

fuiv oient comme à la pifte ainii que dit Mei-ling leur avoitappris; 1°. que ce n'etoit que par infufion, ou par trituration& compreffion qu'on peut tirer les fucs colorans des plantes&, ce qui eft très-digne de remarque, que plus on les travaille,plus on les altere plus on les conferve plus on les affoiblit

20. que les fils & les etoffes ne peuvent bien recevoir toute lateinte des matieres colorantes, qu'autant qu'on les a mis dans

un état approchant de celui des plantes c'eft-à-dire qu'on les apénétrés d'humidité & imbibés d'un fuc, ou âcre ou acide oufalé qui les déploie & les fixe 30. que plus la façon de teindrefe rapproche de celle de la nature, plus elle conferve aux cou-leurs, leur force & leur eclat d'où il fuit qu'elle doit être àfroid & fixée par une chaleur qui imite celle du foleil.

Ici l'on nous demandera fans doute des détails mais quelquesrecherches que nous ayons faites dans les livres que nous ^§ons

j3l!

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Tome F, L Rrr~'o;rae jl ~a r ~°

pu ouvrir, nous n'avons rien trouvé d'affez conftaté pour oferl'attribuer aux Anciens. Qu'on n'en foit pas furpris les détailsetoient une tradition commune & toujours fubfiftante danschaque pays; & comme les plantes colorantes dont on faifoitufage, varioient félon les provinces, le peu qu'on en trouvedans les livres n'eft pas affez articulé pour nous raffurer contrenos doutes & nos méprifes.

Pour bien comprendre ce que nous voulons dire par trait'tion commune &c., il faut favoir que fous les trois premieresDynaflies la teinturerie n'etoit pas un art de profeffion. Onteignoit dans chaque famille fes toiles & fes foieries. C'etoit latâche des perfonnes du fexe ainfi que d'élever les vers àfoie de filer le coton, de faire les étoffes, §c de coudreles habits. Voilà à quoi fervoit leur vie retirée & leur affran-ehifïement de tous les travaux agraires chez les plus pauvrescolons. Il ne faut pas croire néanmoins que ces occupationsne regardaffent que les familles du peuple La femme d'unLettré, difoient les Anciens, doit fournir à fin mari, de foutravail, tous les habits qu'il porte. Il en etoit de même desdames du Palais.

Mais que fait-on de la manière des Anciens, de préparerles matieres premieres des teintures ? Pour bien s'expliquer, ilfaudroit faire connoître exactement les plantes dont on lestiroit, & nous ne trouvons rien à cet egard de fur &LaBotanique chinoife a multiplié les noms de même que la nôtre& cela caufe les mêmes obfcurités. Les plantes dont on fe fertaujourd'hui pourroient être un fupplément, mais nous ne fom-

mes pas à portée de faire des recherches fatisfaifantes parceque la province où nous fommes efl la plus mal partagée euce genre & cela demanderoit un loifir que nous n'avons pas.Nous nous bornerons à raconter ce que nous avons pu trouverdans les livres j &: quelque défectueux & tronqués que foient

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nos détails, nous efpérons que les perfonnes intelligentes ytrouveront des chofes à étudier & à imiter.• Commençons par le Rouge on le tire à préfent de cinq à

fix plantes différentes; mais la plus eftimée eft le hong-hoa

que nous croyons être le carthame on en feme des champsentiers & quand les fleurs font à leur point ce qui demande

un coup-d'ceil intelligent, on les recueille proprement, on lespile jufqu'à les réduire prefque en pâte & après y avoir verfé

un peu d'eau de fontaine ou de pluie pour en délayer le fuc,on les preffe dans un fac pour en extraire toute la couleur quieft jaunâtre. Si on ne fa pas déjà fait on pile de même des

prunes ou des cerifes ou des jujubes &c. aigres & fauva-

ges on les délaie avec de l'eau, où l'on a fait bouillir. du riz;puis après les avoir mifes à la preife, & tiré tout leur fuc onle laiffe un peu fe décanter & puis on le mêle avec celui duhong-hoa. Quelques-uns mettent des branches d'aurone dansle vafe du mêlange le plus effentiel eft de proportionner laforce de l'un & l'autre fuc. Quant à la maniere de conferverle beau rouge qu'ils donnent, les uns font evaporer toute l'eau& le gardent en tablettes les autres attendent qu'il foit épaiffi ?

& y font tremper à différentes reprifes, du coton ce qu'ils

avouent demander plus de foins & être moins commodepour la teinture mais ils prétendent que la couleur fe conferveplus belle & c'eft auffi l'avis des femmes qui fe fervent de

rouge elles préfèrent le coton aux tablettes.Nous avons envoyé le ti-hoang il y a quelques années

& nous avons raconté comment on en tiroit du Jaune de tein-

ture. On fe fert auffi de plusieurs autres plantes mais il faut

avouer que l'on fe fert plus univerfellement des fleurs du fauxacacia qui croît par-tout fans aucun foin elles donnent untrès -beau jaune. Quand elles font prêtes à s'épanouir, onles recueille on les détache de leur calice, & on les fait

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SUR DIFFÉRENS OBJETS.f'8-1 l' l'fécher à un foleil ardent ou encore mieux dans une cafferole

de fer où on les tourne & retourne, comme fi on vouloit lesriffoler puis on les humefte avec du fuc d'autres fleurs qu'ona pilées & où l'on a mis du fel. Après les avoir bien maniées,

on en fait des boules qui doivent être féchées au nord. Il y ena qui, au lieu de fel, fe fervent de chaux, ou même fecontentent d'en faupoudrer leurs fleurs, après l'avoir tamiféebien fin.

Ce n'efr. que dans les provinces méridionales qu'on cultivele nimi-lan nous n'en avons pas vu il paroît que c'eft le véri-table anil de l'Amérique. Dans les autres provinces on tire leBleu des teintures de différentes plantes. Celle de Pc-king eft

une efpece de perficaire, au dire de quelques Européens.Selon le plus ancien texte que nous ayons trouvé il faut atten-dre que les feuilles aient leur crue pour en tirer une bonnecouleur. On les divife après la récolteen deux parts, dontl'unequ'on pile eft réduite comme en pâte & après l'avoir délayéedans de l'eau pour en mieux tirer tout le fuc on arrofe de cefuc l'autre part qu'on n'a fait que triturer, ou plutôt concaffer& ecrafer puis quand on voit que la preffe en fera fortir toutle fuc, on jette deiîus de la chaux bien tamifée on le mêlangebien avec l'indigo & on parle le tout dans un fac mais

comme la couleur bleue qu'on tire eft trop claire, on laifleprécipiter la fécule qui la donne & on fait couler l'eau parinclination puis après avoir aéré un peu cette fécule on enfait des tiang eu pains. Quelques-uns ne mettent leur chaux

que dans le fuc, & comme pour mieux faire précipiter lafécule; mais il paraît que le bleu en eft moins beau & moinsfin. La quantité de la chaux paroît être un centieme du poidsdes feuilles d'indigo pilées. Les livres modernes en mettentdavantage refte à voir fi c'eft au profit de la couleur.

Les Anciens regardoient la préparation du fil & des etoffes

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à la teinture comme ce qui en affuroit plus prochainementle fuccès par malheur on n'en trouve point le détail. Quelquesrecherches que nous ayons faites tout ce que nous avons puen découvrir fe réduit à deux regles la premiere, de leshumefter d'une eau préparée la féconde, de les tordre lesfouler & les battre comme pour les rendre plus pénétrablesà la couleur. Les Anciens paroiffent avoir été perfuadés que le

coton ni la foie ne prenoient jamais bien aucune couleur s'ilsn'etoient pas humides. Ils croyoient outre cela, ainfi que nousl'avons infïnué d'abord que pour mieux imiter la nature dansles plantes & les fleurs la liqueur dont on mouilloit le

coton & la foie devoit avoir la force de développer & defixer la teinture. Comme ce n'eft pas un fyiléme que nous pré-tendons établir & accréditer mais un fait ancien dont nousrendons compte nous n'avons garde d'entrer dans aucunedifeuffion. Que ceux-là s'en chargent qui improuveront ouapprouveront cette ancienne pratique nous nous bornerons à

remarquer qu'on adoticiffoit le coton avec des terres graffesqu'enfuite on le paflbit par une leflive claire des cendres de fes

propres feuilles &racines, ou de celles de la planre colorante.Au lieu de terres graffes on fe fervoit d'ecailles d'huîtres & demoules réduites en pouffiere, & délayées avec de l'eau demiel pour les fils & les étoffes de foie puis on les trempoit dans

une leffive de cendres de mûrier ou de foie. Du refte toutesces lefïives etoient faites à froid à ce qu'il p ar oît & unique-ment pour recueillir les fels dont elles etoient chargées. Onrecommande beaucoup d'avoir foin qu'elles foient claires &limpides. Dès que le coton & la foie etoient fortis de la tein-ture, on les tordoit on les fouloit on les rebattoit encore fi

on vouloit les y remettre. On avoit dans les familles une grandepierre plate delHnée à cet ufage pour les foieries & les grosbattoirs ronds, dont fe fervoient les perfonnes du fexe fontfameux chez les Poëtes chinois.

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Les teintures anciennes ont été louées & célébrées ici

comme celles de Tyr en Occident mais il n'y a plus moyende favoir quelle en etoit la pratique & julqu où elles ontmérité les admirations qu'on leur a prodiguées. Tout ce quenous avons pu recueillir des plus anciens textes nous a donnélieu de conclure t°. qu'elles etoient à froid la plupart;2°. qu'on les répétoit plufieurs fois qu'on y laiffoit tremper lafoie & le coton jufqu'à Jept jours & fe.pt nuits (t/i-ge tfi-yê)yc3eit-à-dire dans le langage des Anciens près d'une femaiueentière 3°. qu'après la teinture on expofoit les fils & étoffes

au grand foleil ou plus fouvent encore à la vapeur d'une eaubouillante préparée. A propos d'eau préparée nous avonsoublié de dire plus haut qu'on mettoit du fel dans les leffivesdont nous avons parlé & que l'eau où l'on avoit fait bouillirles huîtres etoit regardée comme une efpece de rayonnagequi préparoit excellemment les foieries à la teinture.

Quand on recueilleroit tout ce que nous avons dit fur les ma-tieres colorantes,les préparatifs&la teinture des Anciens (leurscouleurs fuflent-ellesauflibelles, auffi tenaces, & aufil éclatâmesque le veut la tradition) toutes leurs pratiques ne pouroient plus

nous fervir. Ce n'eft pas à un Miffionnaire à en chercher lepour-quoi, encore moins à examiner en quoi & jufqu'où il feroit àfouhaiter que la Simplicité des anciennes mœurs nous permîtd'en faire ufageen France. Mais qu'on nous permette de remar-quer que la teinture des cotons & des foies étant l'affaire de tousles ménagesparticuliers, quelque multipliésque fuffenr les foinsqu'elle demandoit, ces foins y etoientbeaucoup plus faciles qu'ilsne faux oient l'être dans nos grandes manufactures j auffi n'avons-

nous recueilli ce que nous en avons trouvé, que pour nousconformer à des deiïrs dont la reconnoiflance nous fait desloix. Tant mieux fi on y trouve quelques bagatelles dontpuiffe s'éclairer notre manufaclurerie. Nous fommes (1 éloignés

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de vouloir rien furfaire que nous fomraes les premiers à

avouer, que fl on en excepte encore les familles aifées des bellesprovinces & quelques atteliers de l'Empereur la nouvelleteinture a fupplanté l'ancienne dans prefque tout l'Empire. Lacouperofe l'alun, le bois d'Inde, &c. dont les Anciens nevouloient pas faire ufage ont pris le deffus & abregent letravail à notre manière car la teinture marchande que laChine a tirée, pour le fond, de la Perfe & de l'Inde, vers la findu feptieme fîecle fe rapproche beaucoup plus de la nôtre

que l'ancienne. Les échantillons que nous joignons à cettenotice aideront à la faire connoître fi tant eft que les Mémoi-

res qu'avoit ecrits autrefois le feu P. d'Incarville fe foient per-dus. Si les graines qu'il fit parvenir à M. de Juffieu ainfi qu'ilfut écrit de Paris, ont réuffi au Jardin du Roi, il a dû être aiféd'en faire Feffai & de voir fi le bleu qu'elles donnent fuffit

pour nos manufactures ce qui feroit bien à fouhaiter, vu le

peu qu'elles coûtent de travail à cultiver, & de foin à mettreen œuvre.

C'etoit le feu P. Benoît qui avoit demandé dans une autreprovince les échantillons de foie en fil, fur lefquels nous invi-

tons à juger de l'état de la teinture marchande d'aujourd'hui.Si on l'a cru coupable de négligence ou d'oubli, on ne lui apas rendu la justice qu'il méritoit. Ce refpectable & zélé Mif-fionnaire epargnoit fi peu fes foins en tout lieu, en tout tems,& en toutes chofes qu'il y fuccomba & augmenta nos mal-heurs de celui de fa perte hélas on nous décrie on nousnoircit, on nous déshonore à Canton, en une infinité de maniè-

res comment veut-on après cela que nous puiffions nouscharger des moindres bagatelles pour nos protecteurs & nosbienfaiteurs même les plus illuftres ? Mais dévorons nos dou-leurs. Aux échantillonsde foie en fils, nous en avons ajouté

en toiles de coton les mêmes précifément qu'on a au village

Page 513: Memoires concernant les chinoise 5

& dans les campagnes. Qu'on n'y cherche pas la teinture cen'eft pas elle que nous avons fongé à y faire voir & trouvermais comment la Chine s'attache à taire defcendre tous les

arts vers le 'peuple & à l'en faire jouir jufqu'au fond des

campagnes. Nous difons jouir car pour nous en tenir à notrefujet, ces toiles teintes en couleurs voyantes font û com-munes & à fi bon marché que les plus pauvres en habillentleurs femmes j leurs filles, leurs enfans, & n'oferoient leur

permettre de fe montrer fans cela ni à la nouvelle année, nidans les autres tems de fête. Qu'on ne dite point que nousnous appuyons fur une bagatelle qui ne mérite pas mêmed'être remarquée laiffant aux hommes d'Etat comme il

nous convient, ce qui a trait au peuple & au gouverne-ment, nous croyons devoir obferver au profit des artsd'après ce que nous voyons ici en tout genre que rien ne lesconferve, ne les etend ne les fimplifie & ne les perfectionne

comme ce qui les rapproche de la multitude & les popularife.Il ne nous fiéroit pas de nous exprimer plus clairement maisqui n'a pas fu que le grand Empereur Kang-hi reprochoit àl'Europe de mettre trop de fuperflu dans le néceflaire & des'ôter l'abondance pour le peuple? A faire tant d'ecarlatesmagnifiques pour le Levant & pour les deux Amériques ona oublié tous les rouges pour les hameaux.

Pour revenir à notre teinture des Anciens nous trouvonsdans ce moment qu'ils recom'mandoient comme une choiecapitale & eilentielle de tenir à la vapeur d'une eau bouillantepréparée les étoffes & fils qu'on avoit retirés de la teinture,ainfî que nous l'avons dit ci-deffus; & une vieille giofe ajoutequ'un foleil ardent peut y fuppléer, & qu'au défaut du foleil

on peut recourir à un kang, ou eîuve comme celle dont il aété parlé dans l'effai fur les greniers. Qu'on examine juiqu'oii

cette petite remarque peut être de quelque ufage. Les Anciens

Page 514: Memoires concernant les chinoise 5

avoient encore une pratique pour rendre leur teinture noire,celle de latin fur-tout plus belle plus folide & plus brillante.Quand leur fil etoit teint en noir, ils lui donnoient un baind'eau chaude, & le faifoient fécher au foleil. Or voici com-ment ils préparoient ce bain fur cent livres d'eau par exem-ple, prêtes à bouillir, ils verfoient huit onces d'amidondélayéesd'abord en pâte avec trois onces & demie d'huile de chanvre

ou de navette, ou de lin, &c., puis en bouillie très-claire avecl'eau qu'on y ajoutoit; & après avoir mélangé cette bouillie

avec l'eau prête à bouillir, & lui avoir fait faire un bouillon,on la tiroit pour la preffer dans une groffe toile, & enfuiîe ytremper fon fil. On nous a affuré que cette antique manière etoit

encore en ufage dans plusieurs manufactures de l'Empereur &même citez plufieurs fabricans.

P. S. Nous avons joint aux échantillons des fils de foie, depetites trèfles, dont on fait ici beaucoup d'ufage auffi y ena-t-il de toutes les largeurs & couleurs. Les chinoifes qui trou-vent la broderie en chaînette trop longue & trop ennuyante,abrègent le travail au moyen de ces petites treffes qu'ellescoûtent fur la foie d'après un deffein & avec lefquelles ellesfont des broderies de plufieurs façons qui font très-jolies 8ç

réufîir oient peut-être en France.

Page 515: Memoires concernant les chinoise 5

v~ABRICOTIER.

Et oleum ne leferis. Apoc. ch. 6.

\^S Ndiftingue ici trois efpeces d'abricotiers; i °. l'abricotier

à fleurs doubles i°. l'abricotier à fruit; 30. l'abricotier fau-vage.

L'abricotier à fleurs doubles, que M. Duhamel dit n'avoirjamais vu, eft ici très-anciennement connu & cultivé dans les

parterres. Les Poëtes ont célébré à l'envi ceux des beaux jar-dins de Lo-yang de Si-ngan-fou & de Nan-king. On compteordinairement quatre familles principales d'abricotiers à fleursdoubles les mille feuilles les jaunes-pâles les blancs de lait,& les ordinaires dont le bouton paroît d'abord rougc, &dont la fleur blanchit en s'epanouiflant. Il y des abricotiers àfleurs doubles nains il y en a de moyens & de grands. Lespremiers qu'on trouve plus aifément font deftinés à fleurirdans les appartemens durant l'hiver, & fur-tout à la nouvelleannée les autres font plantés fur les collines & les monticulesdes jardins où ils font un très-bel effet au printems.

L'abricotier à fruit nous a paru à-peu-près le même qu'enFrance pour la groffeur la figure, la couleur & le goût. Lesjardiniers en comptent plufieurs familles; favoir:

Le K'm-hing qui eft rond, a la chair jaune mûrit le pre-mier, & eft d'un très-bon goût. L'Empereur Vou-ty de laDynaflie des Han, qui commença à régner l'an 130 avantJefus-Chrift, en faifoit très-grand cas. On parvint fous fou

regne à en avoir d'auffi gros que des poires } ôc d'auffi jaunes

que des oranges.

Page 516: Memoires concernant les chinoise 5

Le Choui-hing, qui efi très-juteux & d'un parfum exquis.Le Pe-hing dont la chair eft blanche & d'un goût affez

médiocre.Le Ly-hing, qui conferve toujours un œil verdâtre & un

petit goût aigre.Le Kin-kouan-kinen qui eft couleur de chair très-charnu,

d'une eau excellente & un peu applati.Le Mou-hing qui eft véritablement applati, verdâtre &

toujours un peu acide.Enfin le Pa-tan qui vient originairementd'au-delà du Cha-

mo, dont le fruit eft petit, peu charnu, & qui n'eft prifé qu'àcaufe de fon amande qui eft affez groffe, douce & très-agréa-ble à manger.

L'abricotier fauvage qui eft fans doute en France, méri-teroit peut-être d'être tiré de fon obfcurité & d'attirer l'atten-tion des cultivateurs. On en diftingue ici trois familles il y ena deux qui fe reffemblent beaucoup la troifieme a fon fruitapplati & un peu pointu nous enverrons des noyaux dechacune. Leur amande donne ici une fort bonne huile elle

nous tient lieu d'huile d'olive pour la cuifine & pour la table»Mais fi on ne vouloit pas l'admettre à ces ufages, on lui feroitfûrement un accueil pour les lampes. Les payfans chauffentleurs etuves avec ce qui refte de noyaux, & en recueillent lescendres avec foin pour leurs engrais. Comme l'abricotier fau-

vage eft tout blanc de fleurs au printems, ne demande aucuneculture, fe contente du plus mauvais terrein, & pouffe affeztard pour ne pas craindre les gelées on l'admet jufquesdans les jardins de l'Empereur où on lui abandonne les plusmauvais terreins les expofitions les plus défavorables, & les

gorges des collines les plus enfoncées.Il feroit fort fuperflu d'entrer dans le détail de ce qui fe

pratique ici pour la culture de l'abricotier. Nous nous borrie-

Page 517: Memoires concernant les chinoise 5

SUR DIFFÉRENS OBJETS.

Sssij

rons à obferver d'après un ancien livre, que fi l'on veut feprocurer l'abricotier à belles fleurs doubles il ne faut que enter& réenter fur ente tailler l'arbre à profit de pouffe encharger la racine d'une groffe pierre, qui l'affaiffant par fonpoids, l'oblige à piquer en bas, & ameublir la terre des envi-rons avec de bon terreau. Quelque bien que réuffiffe l'abrico.tier dans les provinces méridionales, le fruit en eft très-infé-rieur à celui des provinces du Nord les plus orientales & lesplus voifines de la mer & d'ailleurs beaucoup moins fain &beaucoup moins beau. La grande Botanique de l'Empire faitune mention fpéciale des abricots de différens petits diftriftsdu Pe-tche-ly & elle a l'attention d'indiquer quelle eft l'ef-pece qui réuffit le mieux dans chacun. Plus l'on a fait ici derecherches, d'obfervations & d'expériences, plus on en aconclu décidément, qu'en fait de fruits, il y a des choix desfaveurs & des prédileclions de la nature qu'aucune iiidtiilrie

ne peut, ni fuppléer, ni egaler, & que les rechercher, les

trouver & s'y attacher eft le me plus ultra du cultivateur.Quand il faut enter un abricotier, dit-on ici, fi l'on ne cher-

che qu'à Satisfaire faj curiofité & à fe donner un fruit plus beauà voir & plus agréable à manger on y réuffira en l'entantfoit fur prunier, foit fur pêcher, ou cerifier; mais fi on cher-che réellement à perfectionner fon fruit, fans en altérer la

nature il faut greffer & regreffer un abricotier venu de noyau.Comme nous ne prétendons que rendre compte de ce quenous trouvons, & point du tout le garantir,. nous abandonnons

aux curieux & aux Physiciens, le foin de difcuter ce point

que les Chinois étendent à tous les autres arbres à fruit, furlefquels ils ont fait des tentatives & des expériences fans nom-bre, jufqu'à enter la vigne fur le jujubier, & l'abricotier fur

Foranger. Mais pour qu'on ne nous impute pas de leur faire

dire ce qu'ils ne difent point, nous avertirons qu'ils convien-

Page 518: Memoires concernant les chinoise 5

nent & avouent qu'on fe procure de très-beaux fruits par lemélange des efpeces mais ils ajoutent comme un fait, quec'eft aux dépens de leur vraie bonté, qu'on n'atteint qu'en entant& réentant la même efpece.

Il y a des précautions à prendre pour fe donnerun bon femisd'abricots. La première, & celle que nous trouvons le plusrecommandée, eft de choifir une bonne efpece, & puis d'atten-dre qu'ils tombent de l'arbre à force d'être mûrs. La fecondeeft de trier les plus beaux de ces abricots ainfi tombés de matu-rité, puis de les enterrer avec leur chair dans une foffe profon-de & pleine de bon fumier. Le printems de l'année fuivanteétant venu on déterre fes noyaux & on en forme un femis-'

qui doit être fort clair. Il y en a qui difent que l'abricotierperd toujours à être tranfplanté parce que fa racinè piquant

peu en terre la transplantation augmente ce défaut mais

tous conviennent qu'un abricotier, même de femis, gagne àêtre enté & réenté plusieurs fois, que le plein vent lui efr plus

avantageux, que les fruits perdent toujours lorfque les arbres

ne font pas affez efpacés, & que l'expofition de l'Orient, fur la

pente d'une colline ou monticule eft celleï qui lui eft la plusfavorable à tous égards. Ici qu'on nous permette de dire la chofe

avec toute vérité, & uniquement pour faire l'acquit de notreamour pour le bien public. C'eft à tort qu'on a prétendu que lapréférence que les Chinois donnent aux collines côtes & mon-tagnes pour leursvergers,n'etoit qu'une préférenced'economie.Plus nous avons examiné la chofe de près & avec foin plus

nous nous fommes convaincus qu'ils ne cherchoient en cela

que le profit des arbres & fur-tout à affurer la bonté de leursfruits. Nous ne pouvons pas nous empêcher de remarquer,qu'à s'en tenir à ce qu'on trouve de plus certain & de mieuxarticulé dans l'hiftoire fur les jardins 81 les vergers des anciensEmpereurs en remontant plus de douze fiecles avant Jefus-

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Chriil, on voit clairement que les côtes, les collines & les

montagnes ont toujours eté les lieux les plus célebres parl'abondance, la beauté & la bonté de leurs fruits.

Les abricots font ici, comme chez nous, un des premiersfruits de l'été. Quelque abondante qu'en foit la récolte, elle

ne l'eft jamais autant que le peuple le fouhaite. Les livres s'ac-cordent affez à dire que les abricots font fains, fi l'on en ufeavec fobriété & qu'ils ne font dangereux que pour les enfans,ou pour ceux qui ont l'eftomac trop foible. LesChinois en font,comme nous, des confitures feches&de liquides, mais ils atten-dent qu'ils foient bien mûrs. Outre cela. ils en expriment lefuc, le font cuire le clarifient, & en préparent des efpecesde paftilles qu'on garde comme l'on veut, & qui fonduesdans de l'eau, font excellentes pour défaltérer les voyageurs

1,

& rafraîchir les gens de travail. On fait fécher pour le mêmeufage les petits abricots qu'on nomme de montagne en endétachant la chair du noyau, & en la faifant tremper à plu-fieurs reprifcs dans du jus d'autres abricots bien mûrs, ou mêmede cerifes. Ces abricots, ainfi féchés au foleil, fe gardent pourêtre mangés le printems fuivant bouillis dans de l'eau avecdu miel ou avec du fucre mais fur-tout pour êtrcbouiiiis jufqu'àconfomption dans une grande quantité d'eau, où l'on mêleaprès un peu de vinaigre, pour fervir de boiflon rafraichif-fante au peuple & aux gens de la campagne. Comme elle efttrès-faine les perfonnes aifées en font auili uf age en y ajou-

tant un peu d'ecorce d'orange & de fucre fin.

Les livres de drogues & de botanique font l'honneur àl'abricotier d'attribuer force vertus à fes fleurs, à fes feuilles,à fon fruit, à fon ecorce à fes jeunes rejetions & à fes raci-

nes 5 mais apparemment que cela ne doit s'entendre que pourles gens de la campagne, & pour ceux qui mènent une vieaufîi fimple & auiïi frugale que la leur. Ce feroit fe moquer,

Page 520: Memoires concernant les chinoise 5

de propofer de pareils remèdes à ceux dont l'eftomac effc

aguerri aux epiceries & aux affaifonnemens multipliés d'unecuifine favante. Quant aux amandes des abricots cellesfur-tout de l'efpece fauvage peut-être pourroient-elles êtrede quelque ufage dans notre médecine. A en croire cellede Chine elles font un remede très-fûr & très-préfent

contre la morfure des chiens enragés fi on les mâche bien,& qu'on les applique ainfi fur la plaie fans délai. Mâchéesauffi mais à jeun & encore mieux par un enfant ellesnétoient & ferment promptement les ulcères de lait qui feforment fur les mammelics des nourrices. On fait encoreavec ces amandes des emulfions & des orgeats qu'on ditêtre très-efficaces pour dégager la. poitrine & en amortirle feu arrêter une efquinancie qui commence dégager les

vifceres & rafraîchir le fang. Une amande brûlée à la lampe,

au bout d'une aiguille & mife après auffi chaude qu'on

peut la foutenir fur une dent en calme la douleur fur lechamp. La peau réduite en cendres, & prife à dofe conve-nable dans du vin chaud arrête les hémorragies les plus vio-lentes. Il y en a qui font revenir ces amandes dans de l'eau

tchaude pour les dépouiller de leur peau, puis ayant coupé lepetit bout où efi: le germe ils les font bouillir deux heuresdans de l'eau de ruifleau avec une egale quantité de pe-ho-clie & de ou- hou puis fécher au foleil. Ces amandes difent-ils mâchées à jeun, au nombre de fept à huit, fortifientl'eftomac tuent les vers renouvellent le fang, &c. La grandeBotanique que j'ai fous les yeux ne finit pas fur les vertusdes amandes des abricots fauvages elle articule en particulier

que l'emulfion de ces amandes eft le contrepoifoii naturel de

ce qui a cté gâté par le plomb & l'etain. Mais de tous les ufa-

ges qu'on en fait ici celui d'en exprimer l'huile eft le plusutile & le feul pour lequel nous ofions demander quelque

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attention. Nous la demandons avec d'autant plus de confiance

que l'abricotier fauvage peut réuffir à merveilles dans les plusmauvais cantons de nos provinces les plus feptentrionalcs. Durefte quand cette huile eft faite à froid elle eft très-belle ?bien fupérieure à celle de noix, elle peut fuppléer l'huiled'olive même pour le fervice de table & eft certainementd'un très-bon ufage comme nous le dirions plus haut. Sile préjugé ricanne fur cet enoncé nous efpérons que lezele & l'amour du bien public n'en feront pas moins empreffésà confulter l'expérience & à faire des efTais. Car enfin, l'efpeced'abricotier dont il s'agit ici, croiffant par-tout, & ne deman-dant aucune culture femble d'autant plus propre à devenirun fecours pour les pauvres payfans qu'il donne beaucoup defruit. Qu'on ne s'imagine pas du moins que ce foit-là un pro-pos hafardé pour accréditer une nouveauté. La forme feule

que nous donnons à nos notices depuis tant d'années & les«Sujets auxquels nous nous attachons, fuffifent de refte pournous défendre contre un pareil foupçon. Mais ce qui nousen défend mieux, & doit rafîurer les plus défians c'eil quenous ne nous fommes hafardés à faire cette indication queparce que quelque ftériles & quelque méprifables que foientles montagnes fauvages qui font à l'occident de ,P<?-M~' larécolte des abricots fauvages & l'huile qu'on tire de leursamandes mettent les payfans qui les habitent auffi à leur aife

que ceux de la plaine. Que ceux qui aiment à raifonner fur les

faits, & à en tirer des conféquences faflent leurs réflexions,fur celui-ci. L'hiftoire particuliere de la province du Chen-Jî,.

.1

raconte que fur le milieu du quatorzieme fiecle un Médecincélèbre & très-charitable ne prenoit point d'honoraire pour fes

ordonnances & fes remedes; mais attendri fur la mifere despayfans de fon village & voulant la foulager, il exigeoit de

fes malades qu'ils plantaffent chacun un abricotier fauvage fui

Page 522: Memoires concernant les chinoise 5

une colline nue & ftérile qui appartenoit à la commune. Après

une quinzaine d'années la colline étant toute couverte d'abri-cotiers, le bon Médecin affembla les gens du village, & leurdit les abricotiers qu'on a plantés à ma priere fur la collinede l'Efl: la couvrent maintenant de leur ombre, & en font unendroit charmant. La commune a eu l'honnêteté de m'encéder la jouiffance je la rends à la commune qu'elle fecharge d'entretenir la plantation que je l'ai engagée à faire.L'huile qu'elle en retirera fuffira non-feulement pour payerun Médecin & les remedes dont auront befoin les malades de

notre village, mais encore pour affurer une fubfidance hon-nête aux pauvres vieillards aux veuves & aux orphelins.

Qu'on nous paffe ce mot il peut arriver que notre Franceréuffira à cultiver des arbres & des plantes des pays étrangers;mais elle ne parviendra jamais à fe procurer une abondanceuiiiverfeiie & confiante que par la culture des arbres & desplantes qui y croiffent naturellement & ( ce qui mérite uneférieufe attention ) fe rapportent plus prochainement plusdirectement, & plus aifément aux befoins communs. Ce quiefl propre à chaque climat, dit excellemment Tfao-ping,demande moins de foins pour la culture y vient meilleur &

efl d'un produitplus sur & plus abondant les fermiers mêmeles plus mif érables cejfent de l'être fi l'on y fuit £ indicationde la nature & ennchijfent prefque autant les propriétaires queles meilleurs cantons. Que ceux qui fe laiffent trop éblouir parde fauffes apparences nous permettent de leur obferver queles arbres étrangers, qui ont eu ici tant de vogue dans les diffé-

rentes provinces où a cté la Cour, n'ont pu s'y foutenir, &qu'ils y ont totalement péri. Bien plus quoique la Chine quiréunit prefque tous les climats de l'Europe ne faffe qu'un feulEmpire, la facilité que cela procure pour cultiver dans uneprovince ce qui croît dans l'autre ne tente perfonne. Les

expériences

Page 523: Memoires concernant les chinoise 5

expériences pafTées ont appris qu'il falloit s'en tenir dans cha-que canton à ce qui y réuffit comme de ibi-même.

Avant de finir cette notice nous révélerons ici à nos Pein-tres en détrempe & en miniature, un petit fecret de ceux deChine. Nous avouons bonnement que nous ne l'avons pas véri-fié par nous-mêmes mais nous l'avons trouvé dans d'ancienslivres & des Peintres de notre connoiffance nous l'ont confir-mé de façon a nous perfuader qu'on peut y ajouter foi. Le plusbeau & le plus fin blanc de cerufe, ayant pour l'ordinaire unpetit ceii bleuâtre qui en amortit l'éclat, & une efpece d'huilequi le rend difficile à employer, on a fongé à y remédier. Lemoyen qu'on a imaginé comlfte à le laver & relaver plufieursfois avec du lait d'amandes ameres d'abricot fauvage. Ce laitCe fait en mâchant à jeun ces amandes qu'on a dépouilléesde leur peau, & en les délayant enfuite dans une quantitéproportionnée d'eau de fontaine un peu chaude. H faut que lafalive du mafticateur entre pour beaucoup dans l'efficacité de

ce lait, puifque Fhiftoire des Peintres obferve que s'il n'eft pasà jeun, ce lait aura peu d'effet, au lieu que s'il efl à jeun &d'un tempérament bilieux, une feule lotion fuffira pour donnerà fa cerufe toute la blancheur & tout feclat qu'il peut defirer.

La manière de s'en affurer confifte à délayer la cerufe dans del'eau de fontaine puis à la laiffer fe précipiter. Si elle eft bienpurifiée l'eau refte aufîi claire & aufïl limpide que fi on n'yavoit pas délayé de cerufe mais on ne parvient à cela qu'aprèsl'avoir bien lavée & ôté tout ce qui y etoit refté d'abord du

lait des amandes d'abricot. Mais en voilà affez. fur cette baga-

telle, c'eft à nos Peintres à tirer parti de cette indication &à faire leurs recherches fur l'application qu'on pourroit faire de

cette pratique à d'autres couleurs.

Page 524: Memoires concernant les chinoise 5

fr iV 1 Îk

A R M O I S E.Pars ejus in herbâ terra. Dan. ch. 4.

X-j 'armoise eft connue en Chine de toute antiquité elleefr. nommée y-tfao ( l'herbe des Médecins ) par excellence. On

en diflingue ici trois eipeces, l'epineufe l'ordinaire & la fau-

vage. Quelques livres parlent d'une quatrieme efpece qu'on

trouve fur les plus hautes montagnes des provinces du midi,& ne croît en bien des années qu'à la hauteur d'un pied. Songrand mérite, à ce qu'il paroît c'eft d'avoir une bonne odeur,& de jouir d'une efpece d'immortalité. On la met dans lesvafes pour orner les cabinets & quand elle a été bien féchéeà l'ombre, elle fe conferve auffi long-tems que les fleurs arti-ficielles nous n'avons pas pu nous en procurer.

L'armoife que nous nommons epïntufe a réellement desepines au bout des dentelures de fes feuilles elle croît fur les

montagnes. La plus eitimée & réellement la plus cotonneufe,eft celle qu'on cueille fur les montagnes qui font en-deçà &au-delà de la grande muraille. On bat ici ces feuilles,quand elles font feches, avec une bâte de bois, jufqu'à ce quele parenchyme en foit féparé & après les avoir préparées

avec de l'eau de falpêtre on s'en fert en guife d'amadou t

on n'en a pas d'autre à Pe-king, & il vaut bien le nôtre. Lesanciens Chinois, à en croire quelques glofes du Chi-king tefervoient de cette matière cotonneufe de l'armoire epineufe

pour faire des matelas, pour piquer des habits, & même pourfaire des toiles. La matiere du papier ell devenue fi rare enFrance, que nous oferions prefque indiquer cette armoife &

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on l'a, pour y fuppléer. On s'en eft fervi ici autrefois à cetufage & on n'a discontinué fans doute que parce qu'on atrouvé d'autres matieres plus à la main. A propos de papier,eSt-il effentiel que le lin & le chanvre aient paffé par laforme de chiffons pour pouvoir entrer dans nos papeteries ?Les Chinois blanchiffent leurs bamboux pourquoi ne blanchi-rions-nous pas la filaffe de lin & de chanvre ? Les droits de laroutine & du préjugé font-ils imprescriptibles ? A quoi tient-ildu moins qu'on n'emploie à faire du papier d'embaiage com-me les Chinois, de la filaffe de chanvre, ne fût-ce que cellequi fe perd dans nos corderies ?r

L'armoife ordinaire croît dans toutes les provinces de laChine, comme dans toutes celles de notre France. Or noustrouvons dans les anciens comme dans les nouveaux livres,que l'on ne doit employer dans les remedes que celle de Kl-tcheau ou de Ming-tcheou. Sur quoi j'observerai que l'on a icila même attention pour toutes les plantes, ecorces, fruits &racines qui entrent dans les remèdes. Notre médecine n'yregarde pas de fi près pour les plantes indigènes qu'elle nouspermette de la renvoyer fur cet article à fes propres maximes

au fujet des plantes exotiques. Il eft bien furprenant qu'avec

toutes nos connoiflances de Botanique nous foyons encore àfavoir où croiffent en France les meilleures plantes dont fefert notre médecine. Si elles ont plus de force & de vertu dans

un endroit que dans l'autre ou plutôt il elles n'ont toute leurforce & leur vertu que dans certains endroits où le fol & leclimat leurs font plusfavorables, comme on l'a toujours pré-tendu ici cela ne mériteroit-il pas qu'on y fît attention Le

gouvernementdonne ici l'exemple. Les provifions de l'apothi-cairerie du Palais font tirées detoutes les provinces de l'Em-pire, & cela accrédite le commerce le plus utile qu'il puifîe yavoir entre les unes & les autres. Ce qui nous a fur-tour déter-

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miné à faire cette observation, c'eft que nous voyons; i°. queles Chinois s'accordent tous, de Dynaftie en Dynaftie àattribuer à des plantes que nous avons, bien des vertus quenous n'y reconnoifTons pas. Eft-ce erreur de leur part ouignorance de la nôtre ? Qui le décidera ? Ne peut-il pas fe fairequ'ils jugent bien & nous auffi parce que nos plantes n'ont

pas autant de force que les leurs? peut-être les nôtres mieuxchoifies vaudroient-elles les leurs ? i°. que fans parler du gin-xkeng, qui croît dans tant de provinces, & n'eft véritablementgin-ckeng que dans les tfao-tong il eft fi notoire ici que lesplantes crûes en tel ou tel endroit, font les feules dont on doivefe fervir que leur prix n'a jamais pu faire tomber cette idéedans un pays où l'on eft fi attentif fur toutes les dépenfes.

On ne fait ufage ici que des feuilles & des graines de l'ar-ïnoife on attribue aux premieres les mêmes vertus que nouspour les maladies des perfonnes du (exe & des femmes encouches mais nous n'avons pas vu que nous faffions ufage defon fuc lorfqu'elle eft encore verte comme on fait ici pourles crachemens de fang fubits, &c. on cueille ces feuilles ici

vers le folftice d'eté. Que nos Savans en cherchent la raifonsmais nous trouvons dans les anciens livres que dès le troiliemefiecle de Fere chrétienne, on a commencé ici à cueillir l'ar-moife avant le foleil levé à en fufpendre aux portes & fur ledevant des maifons & à lui attribuer la vertu de réfifter auxmaléfices. Les Poëtes du feptieme fiecie chantent la manièredont les rues de la capitale en etoient ornées & embaumées le

cinq de la cinquième lune, qui a pu concourir avec la fête deS. Jean. On emploie auflî la graine d'arrnoife contre les cra-chemens de fang on en divifé la dofe en deux portions, l'uneeft réduite en cendres & mife dans l'eau où l'on a fait bouillirl'autre. Ces cendres, dit-on, prife en guife de tabac, arrêtentles hémorragies du nez. Nous n'ofons indiquer comment on

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fait ufage de l'armoife contre les diflenteries & 1 enteries quiproviennent d'epuifement dans les pleuréiies dans L-s affoi-bliffemens d'eilomac &c., cela demanderoit trop de préli-minaires', mais nous croyons devoir obferver que dans ces cas& bien d'autres, on ne fe fert que de cette plante à l'exem-ple des Anciens ce qui diftingue les plantes vraiment médici-nales, à qui il a eté donné de guérir certaines maladies fansêtre aidées par d'autresdrogues ou plantes. L'infuîîon des tiges& bourgeons d'armoife eft recommandée aux vieillards aulieu de thé.

L'armoife fauvage croît dans les montagnes aux lieux lesplus fauvages. Sei feuilles font plus profondément découpées& echancrées que celles de l'armoire ordinaire elle eft auffiplus foyeufe ou cotonnée. Les Anciens en faifoient très-grandufage. S'il faut en croire tous les livres leur médecine opéroit

par des principes bien fïnguliers & cependant jufîifiés dans lapratique. Dans toutes les provinces feptenrrionaies, le grandremede pour la plupart des maladies, confiitoit en des piquuresprofondes fur iefquelles on brûloit une petite boule de cotond'armoife. Ces piquures etoient faites avec des aiguilles d'or

ou d'acier, & ne devoient pas donner de fang. La fcience duMédecin confiftoit à en déterminer l'endroit le nombre &

la profondeur on préparoit ce coton d'armoife comme nousavons dit plus haut qu'on prépare aujourd'hui l'amadou

mais au lieu de falpêtre on fe fervoit d'une préparation defoufre. î! etoit erïentiei que ce coton d'arrnoi'e fût bien vieux

tout feu n'etoit pas propre à allumer ces boutons falutaires onfe fervoitdel miroirs de glace .x c'etok les meilleurs ou demiroirs de métal. On fait geler de l'eau dit l'ancien texte,dans un vafe rond & convexe la glace préfentéc au jolcil enréunit les rayons & allume l'armoije. A en croire bien des char-latans, on a encore le fecret des Anciens pour guérir amfi

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plusieurs maladies mais les gens de lettres n'en conviennentpas. Les livres de médecine, imprimés au Palais, paroiffentlaiffer la chofe douteufe mais c'eir la décider que d'exprimerle fecret en un langage qui tient du grimoire par l'on obfcurité ?

D'ailleurs ce fecret fuppoferoit une grande connoiffance deFanatomie & il faudroit s'aveugler pour ne pas voir quece qu'on a des Anciens fur cette belle fcience eft noyé dansdes rêves & des additions ridicules. On fe fert de ce cotond'armoife à Pe-king & dans les provinces pour faire des bou-

tons de feu qu'on applique au lieu de ventoufes, dans les apo-plexies, les léthargies, &c. Les livres chinois indiquent, commeun bon remede contre la fciatique de porter une ceinture

non de feuilles d'armoife mais du coton dont nous venons deparler. Ils confeillent de même d'en piquer des bas pour lesrhumatifmes aux jambes, ou d'en faire de petites pieces pour les

autres parties. L'armoife deftinée à cet ufage ne fe cueille qu'en

automne & on choifit celle dont le velouté eft moins long &

plus fin. ^(VÏÏT^X/>• rt h1"> ir&T'J£in<du cinquième Volume*1. b'i