Mémoire sur David Carson

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Réalisé en 2nde année de BTS Communication visuelle. Graphiste post-moderne passionné de typographie, David Carson joue sur la destructuration et les limites de la lisibilité.

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3Sommaire

Biographie

Détruire la gr i l le : prat ique et t ravaux

The End of Pr int : analyse d ’un t ravai l

Transmettre l ’émotion

4-5

6-17

18-29

30-37

- Sommaire -

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biographie

Biographie

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Naissance à Corpus Christi au Texas.

Premiers contacts avec le graphisme à l’Université d’Arizona avec Jackson Boelts.Directeur artistique du magazine Ray Gun (musique).

Fonde son propre studio.

Publie son premier livre The End of Print.

Travaille pour Pepsi, Nike, Microsoft, Giorgio Armani, NBC, American Airlines, Kodak, Sony, Suzuki, Toyota, Warner Bros, CNN, MTV, Nissan, Quiksilver, Intel, Mercedes-Benz et bien d’autres encore.

Publie son second livre 2nd Sight.

Travaille avec le professeur John Kao de Harvard sur un documentaire intitulé The Art and Discipline of Creativity. Reçoit le prix du graphiste de l’année.

Publie son troisième livre Fotografiks récompensé du prix du meilleur usage de la photographie dans le graphisme. Reçoit le prix du graphiste de l’année pour la deuxième fois consécutive.

Publie son quatrième livre Trek. Ferme son studio de New York pour suivre ses enfants à Charleston en Caroline du Sud.

Directeur Artistique du Gibbes Museum of Art de Charleston. Dirige une chaîne commerciale pour UMPQUA Bank à Seattle. Reçoit le prix du plus célèbre graphiste du monde.

Directeur Artistique de Bose Corporation.

Travaille de nouveau pour Quiksilver. Produit les affiches du Festival du Film de Saint Sébastien en Espagne. Crée la couverture de Time based Art été 2011. Invité comme juge aux European Design Awards à Londres.

A reçu plus de 170 prix pour son travail.

1956

1980

1992-1995

1995

1995-1998

1997

1998

1999

2000

2004

2010

2011

1989-2004

Biographie

biographie

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la grille

Détruire la grille

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Dans la création d’un graphisme pour une couverture de magazine, un article ou un site web, la chose la plus

importante qu’un graphiste doit prendre en compte, explique David Carson, est toujours la cible, son langage visuel et ce qu’elle a vu dans sa vie. Il faut s’interroger : comment communiquer et renforcer visuellement ce qui est écrit ou dit et comment rester dans la course en investissant ce champ-là en particulier ». A l’inverse de nombreux graphistes qui ont tendance à sous estimer leur public comme dans les grandes agences de publicité, Carson suppose un niveau d’intelligence et d’interaction de la part

du spectateur qui, avec le matraquage visuel actuel, a su affiner son regard. Le graphisme de Carson est influencé par le surf, la board culture et ses idées de liberté. Son environnement ainsi que son expérience ont toujours influencé son travail, non pas directement mais indirectement, par les formes, les couleurs… et ses choix de travaux. Selon lui, il est important que les graphistes mettent une part d’eux-même dans leur

travail car si n’importe qui peut acheter les même logiciels et apprendre à faire un graphisme « sûr et raisonnable », personne ne peut retirer à qui que ce soit son univers, son éducation ou ses expériences. Lui-même ne travaille que sur un programme basique : Quark. Il n’a pas pour habitude de considérer que les logiciels sophistiqués font les bons graphismes. Il aime à répéter que tout vient du graphiste lui-même et que s’il n’a pas l’oeil, aucun logiciel ne pourra le lui apporter. « Ce n’est pas à l’ordinateur de décider des distances à laisser entre les colonnes, il faut pouvoir prendre ces décisions ». Tous possédons un sens intuitif du graphisme. Il faut découvrir ce qui nous rend unique à travers notre travail, créer les règles qui fonctionnent pour soi. Carson dit apprécier quiconque essaie de faire quelque chose de différent et de communiquer dans son propre langage, il ne suit pas de graphistes contemporains particuliers. Quand une dimension personnelle et subjective intervient, c’est là que naît le visuel de valeur, le visuel intéressant. Carson n’hésite pas à s’inspirer des objets du quotidien, à prendre en compte ce qui l’entoure, « si tu les rejettes comme de vulgaires déchets, tu vis dans un monde visuel assez morne ». L’important pour le spectateur est de lui apporter une perspective différente de la sienne sur le monde.

« Ce n’est pas à l’ordinateur de décider des distances à laisser entre les colonnes, il faut pouvoir prendre ces décisions. »

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Transworld SkateboardingPendant qu’il donne des cours à l’Université de San Diego entre 1982 et 1987, Carson devient le directeur artistique du magazine Transworld Skateboarding de 1984 à 1988. Le magazine explose dès ses premiers numéros. Rédigées par les skateurs et largement financées par la pub, les 200 pages couleur de chaque numéro deviennent le terrain des premières expérimentations de Carson.

Beach Cul tureSa passion pour le surf va influencer ses choix de travaux ainsi que ses travaux eux-mêmes. Elle va notamment le mener sur la côte ouest des Etats Unis où il aide au lancement du magazine Beach Culture (1989-1991), considéré par certains comme le magazine le plus innovant de tous les temps. Et pourtant, sans Carson, il se serait appelé Surfer Style, et aurait été un dérivé annuel de Surfer Magazine permettant à celui-ci de placer les annonceurs textiles de façon massive. Mais lorsque le graphiste endosse le rôle de directeur artistique, il convainc son éditeur de changer son titre, son contenu et sa fréquence de parution. Trop avant gardiste, Beach Culture s’arrêtera au bout de 3 ans (et 6 numéros), mais influencera considérablement les titres à venir : Carson révolutionne son approche du design en particulier à travers la typographie, un des aspects fondamental du graphisme de communication. Un travail de Carson, Surfer Sheet, possède en ce sens un fort pouvoir communicant.

Surfer MagazineDe 1991 à 1992, après Beach Culture, son éditeur recycle Carson en lui confiant son plus gros titre : Surfer Magazine. Le secteur est-il extraordinairement ouvert d’esprit ou Carson bénéficie-t-il de son statut de surfeur professionnel, c’est toute la presse de surf culture qui va transformer son approche. À cette époque, il développe son propre style, sa signature, en utilisant une typographie « sale » et des photos peu banales. On l’appellera plus tard « Le Parrain du Grunge ». Le style franc et direct des couvertures offre un fort contraste avec celles qu’il réalise plus tard pour le magazine How. Dans ce dernier, son usage unique de la typographie remplit chaque couverture comme une introduction intéressante au contenu.

- Magazines -Les magazines partent de l’idée qu’une maquette doit guider le lecteur : pour Carson, l’audience et ses attentes ont changé. Il intègre la typographie aux compositions, maltraite les photos, brise les règles établies, à tel point que certains numéros auxquels il collabore seront à la limite de la lisibilité.

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Ci-contre : premières de couverture d’un

numéro du magazine Beach Culture

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Première de couverture d’un numéro de Beach Culture, 1990.

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Par la suite, il a aidé au lancement du magazine Ray Gun, concevant les trente premières publications. Carson va ouvrir la voie à une nouvelle génération de photographes et d’illustrateurs. La direction artistique cesse de servir l’information, pour devenir un contenu à part entière. Les articles sont mis en page d’après la police de caractère dingbat (police), les rendant illisibles. Certains journalistes se sont très vite plaints que leurs articles étaient trop difficiles à lire.

« Les gens m’ont souvent reproché de manquer de respect envers l’écriture lorsque je travaillais pour le magazine Ray Gun. Je crois plutôt que c’était l’inverse. En effet, je lisais les articles et j’essayais de les interpréter de manière à attirer l’attention sur eux. Mon objectif au départ n’est pas de créer quelque chose de laid ou de rendre le produit final difficile à lire, ni d’en faire un concept primé ou joli. Au contraire, j’essaie d’interpréter la chose : qu’est-ce que je viens de lire ? qu’est-ce que je viens d’entendre ? explique Carson. J’ai toujours abordé les défis de communication de cette manière, en trouvant le meilleur moyen de faire passer le message à l’aide du langage visuel le plus efficace et le plus percutant possible. »

A la 30ème parution, ces mêmes journalistes se plaignaient s’ils devenaient trop faciles à lire. La mise en page venait signaler qu’il y avait ici quelque chose de valable à lire et les auteurs des articles attendaient avec impatience de voir comment leurs mots avaient été interprétés. Ce magazine ciblant les jeunes en parlant musique et style vestimentaire a reçu plus d’attention pour le graphisme de Carson que pour son contenu textuel relativement conventionnel.

Après cette période très fructueuse dans la vie de Carson, son travail commence à attirer un public plus large : lui et son oeuvre ont fait l’objet de plus de 180 articles de magazines et de journaux partout dans le monde, y compris un numéro dans le Newsweek dans lequel il était écrit : Il a changé l’image du graphisme. Le Creative Review Londonnien parle de lui comme « le plus célèbre graphiste de la planète ». Le principal commentaire qui revient dans ces publications est comment se démarque Carson pour son habilité de communication dans les média papiers avec un nouveau langage graphique, celui qui fonctionne au-delà des mots.

« Les gens m’ont souvent reproché de manquer de respect envers l’écriture. Je crois plutôt que c’était l’inverse. Je lisais les articles et j’essayais de les interpréter de manière à attirer l’attention sur eux. »

Ci-contre : premières de couverture de trois numéros du magazine

Ray Gun

Ray Gun

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Double page d’un numéro de Ray Gun

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À gauche, à droite et en haut à droite : premières de couverture de quatre numéros de Ray Gun

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Les publicités pour les lunettes de soleil Ray-Ban sont un bon usage des jeux de mots visuels. Le produit s’appelle Ray-Ban Orbs, et dans ce cas, nous pouvons remarquer qu’il utilise les lunettes pour le « O » du mot. Cette idée est reprise pour des affiches, des publicités dans la presse et des cartes postales. Comme nous pouvons le voir dans un coin de ces publicités, Carson aime montrer au lecteur qu’il est le graphiste et insiste pour que la plupart de ses publicités porte son nom. Il a vu dans cette utilisation très personnelle de la publicité

une opportunité de faire connaître son nom et de montrer au public qu’il est le lien entre les marques majeures, (sa clientèle inclut les plus grandes marques Américaines telles que Pepsi Cola, Nike, Levi-Strauss, Microsoft, Budweiser, Giorgio Armani, Ray-Ban et NBC). Nous pouvons aussi remarquer que son nom est plus marquant que le logo de Ray-Ban alors qu’il apparaît seulement en dessous. Carson sent peut-être à ce moment-là que son nom est plus qu’un simple soutien.

- Publ ici té -Ray-Ban

Ci-dessus et ci-dessous : affiches publicitaires pour les lunettes Ray-Ban Orbs.

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Une autre publicité intéressante, cette fois avec une lourde influence typographique, celle de la Cuervo Gold Tequila. Le texte, dans cette publicité, est très lisible, parce que Carson sentait le besoin de fournir beaucoup d’informations tout en gardant l’intérêt du lecteur par un ajustement du corps et de l’espacement de la typographie.

« J’ai disséqué une grenouille, j’ai souvent pensé à la mère de mon meilleur pote, je sais faire cuire un oeuf, j’ai été renvoyé des bains publics pour avoir fait des avances, j’ai été mis sur la touche, je sais tourner l’impuissance à

mon avantage, je sais ce que c’est de tenir la chandelle, j’ai fait du parachute, du parapente et de la plongée, j’ai mangé du chinois douteux, j’ai vu mon équipe gagner la médaille d’or et j’ai rencontré mon héros, j’ai pris le bon et le mauvais, j’ai dit quelque chose que je regretterai pour le restant de ma vie, et je n’avais jamais goûté à Cuervo Gold Tequila... jusqu’à maintenant. T’en as déjà goûté ? ».

La première ligne est très forte et l’ensemble du texte nous attire de plus en plus profondément dans le message jusqu’à se heurter au mot de la fin.

Cuervo Gold Tequi laÀ droite : affiche publicitaire pour Cuervo Gold Tequila.

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Quiksi lver

Dans ce récent travail, on s’accorde à voir une amélioration en terme d’harmonie colorée. Il s’agit en réalité d’un contraste parmi les quantités astronomiques de photographies en couleur dans un contexte de magazine de surf au contenu surchargé. Un tel contraste force le spectateur à regarder l’image d’une nouvelle façon pour peu qu’il cherche à la déchiffrer. À un autre niveau, le visuel passe un message positif de la compagnie qui essaie de nouvelles choses, tout en gardant le sentiment que le produit reste le même : unique, meneur et non suiveur.

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En haut : planche de surf pour QuiksilverCi-dessus : publicité pour Quiksilver

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- L ivres -Les livres attirent tout particulièrement Carson. Il aime à en casser les grilles, les codes, les règles.

« Je n’ai jamais appris ce qu’il ne faut pas faire, je fais ce qui me semble le plus sensé. Il n’y a pas de grille, pas de format. Je pense que l’agencement final est ainsi plus intéressant que si j’avais juste appliqué les règles formelles du graphisme. »

Carson n’a pas publié ses livres pour casser les codes et les règles, il espère seulement qu’ils seront une base d’inspiration pour d’autres qui prendront alors leur propres directions. Son premier livre avec Lewis Blackwell The End of Print , est le livre de graphisme le plus vendu de tous les temps, traduit en 5 langues et vendu à plus de 200 000 exemplaires.

En haut et ci-dessous : 2nd Sight, grafik design after the end of print, 1997

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L’arrivée massive de l’ordinateur dès le début des années 1980 a rendu systématique la production de textes électroniques, reléguant

l’écriture manuscrite à un champ marginal et de désuétude. Il en est de même pour la correspondance privée s’effectuant désormais largement à travers les célèbres e-mail et faisant disparaître toute la charge émotive que peuvent transmettre choix du papier et du stylo, forme de l’écriture, ratures, mots empressés ou posés… On observe alors vis-à-vis du texte, un traitement visuel

assez pauvre, en contradiction avec les tendances de l’époque qui, avec le matraquage visuel, demandaient alors, et à plus forte raison aujourd’hui, une richesse visuelle en ce qui concerne la diffusion d’un message. Le public craint de voir disparaître l’imprimerie dans sa dimension traditionnelle, celle qui accordait de la valeur au choix du papier, des encres et des jeux de caractères. C’est cette angoisse que Carson a voulu évoquer dans le titre de son premier ouvrage paru en 1995 et révisé en 2000 : The end of print.

the end

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The end of print

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Dans cet ouvrage, Carson met en page ses propres productions et des textes de Lewis Blackwell selon ses propres principes qu’il a toujours développés dans ses travaux : il rompt avec les normes pour transmettre avant tout une charge émotive. Ainsi, il nous présente un livre dont la mise en page se joue du conventionnel et rien n’en est épargné. Le titre n’existe tout simplement pas. À sa place un faux titre disparaît derrière un collage. On ne trouve ni numérotation de pages, ni date de publication. De nombreuses pages ne comptent aucune marge, ainsi, le texte se voit parfois tronqué. Sur certaines pourtant, sans demi-mesure, apparaît une marge supérieure trop large. Les textes sont malmenés, les colonnes ne se distinguent plus les unes des autres quand disparaît la gouttière, les lignes se chevauchent parfois ou se rompent, l’espacement entre les lettres devient irrégulier dans une composition erratique. Jeux d’échelles, taches, collages, griffures…Carson torture les textes mais il joue également de la désorganisation. Il intervertit les lignes et fragments de mots, interrompt ici une phrase de façon brutale pour y retrouver plus loin la suite sans aucune justification si ce n’est celle d’attirer l’attention sur le visuel et sa composition et en oublier le texte qui devient alors prétexte. Il éparpille de cette façon des mots sur une page, superpose des blocs de texte avec un léger décalage

pour produire un effet vibrant, alterne les corps de police du 8 au 36, utilise le bloc de texte comme un fond dans lequel il découpe une silhouette. Comme les ratures des correspondances manuscrites, Carson barre systématiquement certaines lignes, dissuadant le lecteur de les lire, ou au contraire, l’y persuadant. Il joue encore avec la lisibilité et ses limites en composant de longs paragraphes uniquement en lettres capitales, sans interligne, tel un véritable « bloc ». Les images et illustrations sont tout aussi malmenées. Carson les déforme, les multiplie, joue de l’image choc et du flou, il tronque les perspectives, abat toute idée de cadrage… Carson provoque, remue ces codes qu’il n’a jamais appris, doutant que quelques « trucs de cuisine » puissent amener à une belle image ou une belle mise en page, pour autant, il ne cherche pas l’illisibilité comme un but à atteindre quand il créé

un visuel. Carson veut prendre en compte sa personnalité et celle du récepteur pour aboutir à l’expression d’une émotion vraie. Tout est sujet de travail sur l’émotion. Il garde en permanence le contrôle sur le résultat final.

Tout est sujet de travail sur l’émotion.

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Ci-dessus : page 1 de The end of print

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Ci-contre : page de The end of print

Ci-dessus : première de couverture de la réédition de The end of print en 1995Ci-contre : première de couverture de The end of print

Pages suivantes : pages de The end of print

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Un contrôle certainement du à son intuition, celle qu’il clame, celle en laquelle il place toute sa confiance quand il surf sur la crête des vagues. L’intuition dans le graphisme c’est ce que l’inconscient a retiré et conclut de ses expériences visuelles. Ainsi, le tout, cette impression de chaos, repose en réalité sur un équilibre fragile. Et, paradoxalement, il en ressort une certaine harmonie. Carson ne cherche pas à supprimer la grille pour supprimer la grille, il sait simplement l’oublier quand il le faut pour laisser sa place à la spontanéité. Il nous sort des espaces rigides pour des espaces sensibles et nous y emmène grâce à une désorientation qui n’épargne aucun aspect des règles de typographie établies. Sur un autre niveau de regard, on

s’aperçoit enfin que l’image se fait différente, unique. La première impression que dégage tout d’abord ses mises en page est celle de se retrouver face à une série de tableaux colorés. Il cherche par là à désactiver nos automatismes de lecture, à nous dérouter, nous prendre par revers, en un mot, à nous intriguer. La stratégie semble marcher au vue du nombre de grandes marques ayant fait appel à ses services. Après avoir capté notre regard, il s’agit de retenir l’attention suffisamment longtemps pour voir le message et l’intégrer. La singularité des visuels ne manque pas de titiller la curiosité du récepteur qui, par habitude, voudra comprendre le message qu’on cherche à lui transmettre. Carson dit qu’il ne faut pas sous estimer l’intelligence du public. Ce respect pour lui, l’arrête face à l’énigme et lui donne l’envie de déchiffrer le message. Là, alors que le récepteur se pose face à l’image, il découvre rapidement les premiers indices : des mots, disséminés ici et là. S’enclenche enfin le travail de lecture qui ne manque

pas d’être ardu car le graphiste aime à nous piéger en remettant en question toutes nos habitudes. C’est ainsi que les interlignes, gouttières, marges et autres se prêtent à la fantaisie comme nous l’avons vu plus tôt. Dans le cas du magazine, chaque page nous réserve son lot de surprises graphiques afin d’empêcher toute installation d’une routine pouvant ennuyer le lecteur. Carson, d’ailleurs, ne refuse pas les codes établis pour en créer de nouveaux. Il n’y a pas de code, ainsi, chacun reçoit les images à sa façon. En cassant ainsi les codes, Carson est bien conscient des problèmes de lisibilité qu’il engendre. Si ses mises en page chaotiques de Beach Culture lui ont valu plus de 150 prix,elles ont également fait fuir les annonceurs

publicitaires au point de mettre un terme à ladiffusion après six numéros seulement. Ray Gun se séparera de Carson comme BeachCulture, quelques années plus tard. Toutefois, Carson ne considère pas qu’être lisible c’est communiquer. Communiquer, c’est également fait réagir d’un point de vue affectif. À partir de là, la typographie cesse d’être transparente et devient un langage visuel avec toutes les tonalités du langage auditif à ceci près qu’il n’est pas aussi éphémère que ce dernier. La typographie attire l’attention sur elle afin que l’on retienne aussi bien le message que le médium qui a permis de le transmettre, voire davantage. Elle s’affirme pour transmettre, en réalité, toutes les facettes d’un message qui ne peut pas être uniquement informatif, quitte, justement, à perdre un peu de ce contenant informatif. Ainsi, Carson ne rejette aucun des signes visuels, quels que soient leurs formes, y compris les ratures, les brouillons, les raclures. Les exclure, c’est exclure également une partie du message, comme la charge émotive

The end of print

Carson ne cherche pas à supprimer la grille pour supprimer la grille, il sait simplement l’oublier quand il le faut pour laisser sa place à la spontanéité.

À gauche : page de The end of print

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que nous évoquions plus tôt dans les lettres manuscrites. Son monde visuel s’enrichit de ce que certains rejettent comme de vulgaires déchets. Il s’enrichit du non conventionnel et participe à la déroute du récepteur. Il s’en saisit et créé ainsi le choc visuel, le choc affectif qui s’imprime dans les esprits. En cassant ainsi les codes, il permet au lecteur de désautomatiser les procédés de lecture. Il l’amène à trouver son propre chemin pour déchiffrer le visuel et ce faisant, à retenir son

attention sur toutes les possibilités que permet la typographie. Si elle a d’abord été conçue comme un médium neutre, au service du texte, Carson s’en est emparée pour ses aspects plastiques plutôt que techniques. De bousculer ainsi cette première perception de la typographie, il devient susceptible de faire scandale dans une société où la lecture, activité quotidienne, tend à n’être réduite qu’à la seule transmission d’une information.

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À droite et pages suivantes : pages

de The end of print

Ci-dessus : page de The end of print

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transmettre

l’émotion

Transmettre l’émotion

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transmettre

l’émotion

Transmettre l’émotion

Dans son travail, Carson s’atta-chait à interpréter visuelle-ment le texte qu’il lisait ou le sujet associé à l’article. Il dit

vouloir transmettre une émotion. Dans les études menées sur les échanges entre êtres humains, le chercheur amé-ricain A. Mehrabian, professeur au dé-partement de psychologie de UCLA , établit que le paralangage (le ton de la voix et l’ensemble du non verbal) a plus d’impact (respectivement de 38 % à 55 %) que le contenu, les mots donc (à 7 % seulement). Suite à ses études en sociologie, il n’est pas étonnant de constater que Carson s’est d’abord

attaché à l’émotion à transmettre pour mieux retenir l’attention du récepteur. Cependant, si les contenus textuels des magazines qu’il a mis en page étaient plutôt conventionnels, il est des situa-tions où le texte transmet véritablement de l’émotion. Prenons le cas des poésies qui s’attachent aux images que les mots déclenchent en nous, aux images des mots eux-mêmes et à la musicalité qui éveille elle aussi des émotions chez le lecteur. Certains poèmes, et nous pou-vons prendre l’exemple de Guillaume Apollinaire, ont également traité de la mise en page comme une image, le bloc texte devenant une silhouette.

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32 Transmettre l’émotion

L’ information via l ’émotion

Si on rapproche la typographie dans le lan-gage écrit, de la tonalité de la voix par exemple ou autre vecteur de l’émotion dans le langage oral, on comprend qu’elle parti-cipe à la transmission de cette information. L’émotion, pour autant, si elle est toujours présente, doit parfois l’être dans une moindre mesure, de façon contrôlée. Lorsqu’il faut argumenter pour soutenir son point de vue par exemple. Les chiffres de Mehrabian ont été déclarés « exagérés et suspects » par des spécialistes du langage non verbal tels que Judee Burgoon, David Buller et Gill Woodall. Selon eux, il ne s’agit que d’une « moitié de vérité ». Leur examen de plus de cent études a démontré que les recherches de Mehra-bian minimisent l’importance des mots. L’impact relatif du langage non verbal et verbal dépend beaucoup du contexte de l’entretien. En effet, le degré de persuasion nécessaire influe considérablement l’impact des deux types de langage sur une présen-tation. Par exemple lors d’une présentation importante (argumentaire, conférence...) la répartition des sources d’impact s’inverse. Le langage du corps passe de 55% d’impact à 32%, le ton de la voix de 38% à 15% et le mes-sage de 7% à 53%.

L’ information via la raison

L’homme n’est pas qu’un être d’émotion. Il est aussi un être de raison. Carson l’a bien compris même si certaines de ses expérimentations

ont dépassé la limite du lisible. Il savait qu’il communiquait pour des magazines adres-sés aux jeunes, adeptes de la board culture ou bercés de rock’n’roll. Le ton s’y prêtait. Et peut-être faut-il justement les voir comme un champ d’expérimentations mêlant l’art ap-pliqué (recherche de mise en page...) à l’art plastique quand la mise en forme du texte rend le contenu indéchiffrable. Le problème qui se pose sur le rôle de la typographie et les réponses qu’apportent Carson et d’autres figures du post-modernisme comme nous le verrons plus tard, semble avoir déjà été soule-

vé par un autre mouvement, avant-gardiste, du début du XXème siècle, qui a su jouer du collage, du découpage et de la surenchère de mots dans ses oeuvres. Nous voulons bien sûr parler ici du dadaïsme. Marcel Duchamp nous donne sa vision du mot et de la lettre, de la phrase et du texte en tant qu’éléments purement plastiques : « Plus de distinction gé-nérique/spécifique/numérique entre les mots (tables n’est pas le pluriel de table, mangea n’a rien de commun avec manger). Plus d’adaptation physique des mots concrets ; plus de valeur conceptique des mots abs-traits. Le mot perd aussi sa valeur musicale. Il est seulement lisible (en tant que formé de consonnes et de voyelles), il est lisible des yeux et peu à peu prend une forme à signifi-cation plastique. (…) On peut donc énoncer (les mots) ou les écrire dans un ordre (quel-conque) ». Ces travaux, pour autant, restent du domaine de l’art plastique.

- Émotion -Texte et image transmettent de l’émotion car l’homme, en tant qu’être humain éprouve toujours des sentiments même dans les lieux où l’on a tendance à croire qu’ils n’y ont pas leur place (le milieu profession-nel en particulier). L’émotion est là bien qu’à des degrés différents. Plus contrôlée, plus « étouffée » au bureau, plus libre en famille... Elle se communique par tous les médiums, si on tient à la communiquer.

« Le mot est lisible des yeux et prend une forme à signification plastique. »

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Ci-contre : Affiche dessinée par Kurt Schwitters et Théo van Doesburg pour la « Kleine Dada Soirée »

Ci-contre : Hannah Hoch - Cut with

the Kitchen Knife Through the First

Epoch of the Weimar Beer-Belly

Culture, 1919

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34 Transmettre l’émotion

Ci-contre : publicité pour Nike, Neville Brody

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35Transmettre l’émotion

La forme au service du fond

Dans l’art appliqué, nous nous trouvons dans un cas de communication, et ainsi, en matière de mise en page, le fond demeure primordial. La forme est également importante mais elle doit être au service du fond. Chacun de ces canaux trouve son importance pour transmettre pleinement un message. Si on ne comprend plus le fond, on perd le message. La typographie et la façon dont on la traite conditionnent donc l’accès au texte (en terme de lisibilité). La typographie, si l’on reprend la défi-nition du terme, est une rencontre entre un contenu linguistique et un signe plas-tique, entre une idée en somme, et sa mise en forme. La forme de la lettre fait référence à une culture, une époque et un contexte. Lorsqu’on typographie un mot, une phrase ou un texte, on en dé-tourne, en quelque sorte, la signification puisque l’on ajoute au contenu linguis-tique une interprétation traduite de fa-çon plastique. La mise en page, le trai-tement de cette typographie, amènent à leur tour une interprétation. Interpré-ter jusqu’à la limite du lisible amène de l’émotion au discours, une émotion dont l’impact permettrait de se rappe-ler le message. Interpréter sans se pré-occuper des codes, pose également une énigme au récepteur. Lorsqu’il a

déchiffré le message, il obtient une sa-tisfaction qui laissera sa trace dans son esprit. Le visuel est alors d’une certaine prégnance et c’est cette prégnance qu’ont recherché plusieurs grandes marques avec lesquelles Carson a tra-vaillé. Attirer le regard puis laisser une trace dans les esprits sont les objec-tifs des visuels publicitaires que l’on retrouve dans les travaux de Carson et d’un autre graphiste auquel on le com-pare souvent : l’anglais Neville Brody. Directeur artistique de The Face, maga-zine de musique populaire, il aborde ses mises en page en privilégiant l’aspect typographique considérant qu’il est une sorte d’extension visuelle à la charge émotive d’un message. Chaque trace doit, selon lui, être traité du point de vue émotionnel car chaque trace sus-cite quelque mouvement intérieur de l’ordre de l’affectif chez le récepteur et qui est le plus souvent retenu. April Greiman, autre graphiste perçant dans les années 1990, combine sans aucun préjugé les différents supports média : trame vidéo, pixel et typographie so-phistiquée. Elle poussera ainsi le design à la pointe de la technologie numé-rique. Brody et Greiman, avec quelques autres, sont considérés comme des pré-curseurs dans l’utilisation de l’outil infor-matique dont ils se servent pour inventer leurs propres langages.

Ci-contre : première de couverture de The face, Neville Brody

Ci-contre : double page de The Face, Neville Brody

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On peut également rapprocher le travail de Carson de celui de Rudy VanderLans du ma-gazine Emigré, revue américaine bi-annuelle sur le design graphique qui paraît de 1984 à 2005. Le magazine, édité sans aucun budget, sert d’abord de support de diffusion aux ex-périmentations de la fonderie de caractères du même nom, Emigré Graphics. La fonde-rie naît avec l’essor de la PAO et la sortie du premier Macintosh d’Apple. Le travail des typographes de la fonderie, au même titre que celui des graphistes pour le magazine, s’inscrit dans le courant novateur du post-mo-dernisme. Selon les numéros, les stratégies vi-suelles se diversifient. Il faut par exemple plier des pages pour obtenir un article en entier. Les premières couvertures présentaient de très grands corps de police où parfois une seule lettre pouvait tenir dans le format. Cer-taines pages mélangent des textes justifiés, centrés et ferrés à gauche. D’autres numéros encore ont vu le foliotage s’imposer en grand au milieu même des pages. Le travail de ces figures du post-modernisme graphique tra-duit des volontés personnelles et subjectives. Ce courant, qui débute au milieu des années 1970, bouleverse les règles établies par le mo-dernisme avec l’école Suisse. Les graphistes arborent un nouveau statut et affirment leur personnalité à travers leurs travaux, en ré-ponse à la standardisation de la société de consommation qui apparaît alors. La trans-gression des règles établies amène parfois à des extrêmes d’illisibilité. Le post-modernisme

problématise le sens et se veut le plus ouvert possible à l’interprétation. Barry Deck, d’Emi-gré Graphics, en résume l’esprit : « Ce qui m’intéresse dans une police est qu’elle ne soit pas parfaite. Une police qui reflète plus le langage imparfait d’un monde imparfait habité par des êtres imparfaits ».

Int r iguer pour marquer

Tandis que l’art du XXème siècle tend à conceptualiser ses visuels et à s’éloigner tou-jours plus de la représentation figurative du monde réel, nous remarquons, dans le travail de Carson, un paradoxe reflet de notre socié-té qui se voit pressée par des tendances op-posées : celles d’une culture savante et celle d’une culture populaire. Ainsi, quand l’art, dans ses représentations classiques, offrait une vision figurative du monde, le langage écrit demeurait abstrait. Aujourd’hui, l’art se fait conceptuel quand le langage écrit tend à se rapprocher de l’image. La typographie pour autant, ne devient pas une image dans le sens où nous l’entendons, c’est-à-dire celle, « photographique », dont la fluidité de sens n’encourage pas la réflexion, l’interpré-tation. Elle garde ainsi l’attrait de l’image et la promesse d’un jeu plus intellectuel de dé-chiffrement. Si le lecteur se laisse prendre au jeu de la résolution de l’énigme, un tel usage de la typographie a des chances de laisser sa trace dans les esprits.

À gauche : double page du magazine ÉmigréCi-contre : première de couverture du magazine Émigré

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Ci dessus : premières de couvertures du magazine Émigré

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