Mémoire jeunesse et politique (version publique)

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MEMOIRE DE RECHERCHE APPLIQUEE Jeunesse et engagement politique Comment viabiliser l’exercice de la démocratie par les jeunes, considérant l’émergence de modes d’engagement alternatifs ? Année universitaire 2014/2015 Réalisé et soutenu par Anthony APAYA-GADABAYA Tutrice de mémoire : Aurélie DEHLING Conformément aux engagements pris et par respect des répondants, leur nom et fonction ont été retirés de ce mémoire. Il en va de même pour les annexes, considérant le caractère privé des données recensées.

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MEMOIRE DE

RECHERCHE APPLIQUEE

Jeunesse et engagement politique

Comment viabiliser l’exercice de la démocratie par les

jeunes, considérant l’émergence de modes

d’engagement alternatifs ?

Année universitaire 2014/2015

Réalisé et soutenu par Anthony APAYA-GADABAYA

Tutrice de mémoire : Aurélie DEHLING

Conformément aux engagements pris et par respect des répondants, leur nom et fonction ont été retirés de ce mémoire. Il

en va de même pour les annexes, considérant le caractère privé des données recensées.

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Table des matières

Introduction ....................................................................................................................... 2

Une jeunesse révoltée... mais pas résignée .............................................................. 4

1) Ancrage théorique du sujet .....................................................................................4

2) Un contexte national défavorable ..........................................................................7

3) Des tendances aux actes .........................................................................................11

Vers un dépassement des cadres préétablis ............................................................ 17

1) Méthodologie déployée .........................................................................................17

2) Caractéristiques de l’échantillon ..........................................................................20

3) Analyse de contenu thématique et résultats ........................................................23

a) Politique : belle de loin mais loin d’être belle .........................................................23

b) Les jeunes, vilains petits canard de la politique française ........................................25

c) De nouvelles voix... sur la bonne voie ? .................................................................27

Petites mesures ou grands projets .............................................................................. 30

1) Principe 1 : Revoir ses bases ...................................................................................31

2) Principe 2 : Envisager le compromis ......................................................................33

3) Principe 3 : Valoriser le renouveau ........................................................................37

4) Principe 4 : Faire le pari de la stabilité ...................................................................41

Conclusion ........................................................................................................................... 43

Bibliographie ...................................................................................................................... 45

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Introduction

Dans un contexte économique et social déjà tendu, le dramatique épisode des attentats

proférés contre Charlie Hebdo a soulevé un certain nombre de questions, notamment sur les

modalités de réinstauration d’une participation citoyenne. Tournant radical dans l’approche

démocratique ou nécessaire évolution, le fait est que cette étape reste difficile à apprivoiser,

tant elle est peu commune. Alors que l’union s’apparente aujourd’hui à une éphémère illusion,

l’opinion publique n’a de cesse de montrer son désaccord avec la politique, avec les

politiques. Chômage, crise financière (...) ; les maux récurrents de ce début de siècle

conduisent à un rejet croissant des mesures gouvernementales prises, d’où une distanciation

significative entre les hautes sphères décisionnelles et les Français, particulièrement les jeunes

citoyens. Délaissés de la société ou éternels insatisfaits, ces derniers sont au centre de tous les

débats, tant leur implication civique questionne, autant sur le fond que sur la forme.

Mensonge pour certains, prophétie auto-réalisatrice pour d’autres, l’idée d’une rupture

consommée entre les jeunes et la politique fait son chemin, et pourtant, la situation ne saurait

être qualifiée de manière aussi simple. Bien que tous s’accordent sur le fait que l’esprit

politique s’est radicalement transformé au sein de cette tranche d’âge, les avis sont plus

mitigés lorsqu’il s’agit de caractériser cette transformation, aussi avérée soit-elle.

Décriés, stéréotypés, les 18-25 ans font souvent l’objet d’amalgames en matière

d’engagement politique. Si d’aucuns parlent de désintérêt croissant pour la vie publique,

d’autres vont même jusqu’à employer le terme de dépolitisation ; un jugement sans demi-

mesure, qui mériterait toutefois d’être nuancé. En son sens premier, l’engagement politique

désigne toute forme d’implication publique sur des thématiques sociales et politiques.

Autrement dit, cela induit une forme de concertation collective dans une optique de bien

commun. Parler de dépolitisation des jeunes reviendrait conséquemment à nier toute

participation de cet ordre, en reléguant au second rang toute activité autre que celles

traditionnellement représentatives de l’engagement politique. A l’heure où l’abstentionnisme

n’est plus une variable mais une constante, à l’heure où l’adhésion aux partis politiques n’est

plus une preuve de participation, il convient de composer avec cette nouvelle donne et tout ce

qu’elle implique. C’est là la condition sine qua non à la résolution de ce pseudo-problème, si

tant est qu’il en soit réellement un. D’ailleurs, les récentes mesures soulevées par le

gouvernement témoignent de la volonté de synchroniser au mieux l’exercice actuel de la

démocratie (par les jeunes) et les recours originellement utilisés dans le cadre politique.

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Partant de l’existence d’une désunion entre la (les) politique(s) et les jeunes citoyens français,

le constat était simple. Les pratiques institutionnelles ne trouvant plus écho auprès d’une

tranche considérable de la population nationale, la démocratie ne revêtait plus son caractère

primaire ; celui de donner le pouvoir au peuple. En parallèle, l’essor d’outils participatifs

modernes posait la question de la légitimité de ces derniers, notamment par rapport à leur

portée. A ce jour - et depuis trop longtemps - le conservatisme politique ne permet pas

l’exercice optimal des devoirs citoyens chez les jeunes, pourtant enclins à agir. Se pose alors

une question élémentaire, certes, mais paradoxalement complexe ; celle du renouveau du

champ d’action politique français. Comment viabiliser l’exercice de la démocratie par les

jeunes, considérant l’émergence de modes d’engagement alternatifs ?

Pour répondre à cette question, les investigations menées se sont portées sur les principaux

acteurs de la politique jeune ; à savoir les collectifs d’engagement, les groupes de réflexion et

les jeunes membres de partis politiques. Au-delà du constat que l’on connaît, l’enjeu était de

confondre les avis et idées des principaux protagonistes, pour permettre l’émergence de pistes

viables à moyen et long terme. Abstraction faite de la difficulté de mise en œuvre de ce travail

de recherche, les résultats obtenus sont d’autant plus importants qu’ils répondent à un besoin

non satisfait et qu’ils contribuent à l’expression de tendances politiques émergentes.

Après avoir analysé et compilé différents travaux réalisés sur le sujet (études, ouvrages,

articles de recherche), ce mémoire présentera la méthodologie de recherche adoptée ainsi que

les conclusions déduites. En dernier lieu, les solutions envisagées seront présentées, en

considération des entretiens menées et de leur faisabilité.

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Une jeunesse révoltée... Mais pas résignée

1) Ancrage théorique du sujet

Partant d’un constat politique critique, il est devenu monnaie courante de jeter la pierre

aux jeunes, en accusant à tout va leur implication citoyenne. Pourtant, si l’idée que la jeunesse

française s’était détournée de la politique a eu vocation de vérité générale dans l’opinion

publique, le fondement de cette accusation reste encore incertain aujourd’hui. A contrario, les

travaux menés au cours des deux dernières décennies font état d’une interprétation divergente

pour ne pas dire contraire. A l’heure où la sphère sociale connait des bouleversements

structurels profonds, les interrogations se font de plus en plus nombreuses quant à la place

concrète des citoyens. La jeunesse, enjeu futur des politiques actuelles semble ne pas suivre

les voies traditionnelles de la démocratie.

Un comportement qui met à mal les plus hautes sphères décisionnelles, incapables de trouver

un compromis tangible, et conséquemment un moyen de canaliser des flux citoyens instables

et désordonnés. La thématique de la jeunesse et de la politique n’est pas une question

novatrice ; c’est même sans doute le contraire. Faute d’explication rationnelle et de surtout de

solution, la question se veut presque fantomatique, délaissée. Bien entendu, des études

fleurissent pour appuyer la cause jeune, des chiffres corroborent ces mêmes études, mais

qu’en est-il de leur finalité ? Ceci n’est pas l’objet de la question, mais il y a fort à parier qu’il

s’agisse de sa cause directe, d’où l’intérêt de l’évoquer ici.

De manière plus générale, les travaux sociaux et civiques réalisés matérialisent sans conteste

l’amalgame autour de l’engagement des jeunes citoyens. Si les qualificatifs leur étant associés

fustigent la dépolitisation, l’apolitisme, force est de constater que ces notions fourre-tout

révèlent un manque certain de connaissance de la réalité. C’est d’ailleurs ce que dénote

Richard Lorent, dans son livre L’antipolitisme (2011). Considérer que les jeunes se sont

détournés de la voie démocratique reviendrait à les considérer comme apolitiques. Impossible

selon lui, considérant le fait que la prise de parole (et surtout la non-parole) sont des variables

régies par les hautes sphères politiques elles-mêmes. Autrement dit, si la participation n’est

pas celle souhaitée, c’est que le cadre dans lequel elle a été instaurée n’est pas viable. Par

ailleurs, il insiste sur le fait que, ne pas adopter de posture politique traditionnelle est encore

plus significatif que d’en adopter une. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agirait pas d’un

manque de volonté participative, mais d’une volonté encore plus grande.

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Un jugement radical certes, mais plausible, tout comme le confirmait les rapports d’enquête

de Pierre Bréchon, en 1995 et 1998. Comme mentionné plus tôt, le problème de la

participation n’est pas récent, loin de là. C’est entre autres ce qui le rend inquiétant, dans la

mesure où les questions y ayant trait sont visiblement restées sans réponse. Dans Politisation

et vote des jeunes (1995), Pierre Bréchon évoquait déjà la retenue face aux comportements

atypiques des nouvelles générations en matière de politique. A l’époque déjà, celui-ci pointait

la difficulté des jeunes d’adhérer aux processus de décisions trop institutionnalisés. Non pas

qu’ils ne le désiraient pas, mais simplement car leur socialisation politique n’était pas en

phase avec les attentes que l’on (le gouvernement) avait d’eux. Une analyse qu’il affutait trois

ans plus tard, avec Les jeunes et la politique en Europe et en France (1998), rapport dans

lequel il distinguait notamment la politisation de la participation. Désignant respectivement

l’intérêt porté aux questions de société et les actes relatifs à ces questions, ces deux notions

demeurent trop souvent confondues. Elles contribuent directement à renforcer le sentiment de

distanciation des jeunes envers la politique. Un sentiment incorrect selon l’auteur, qui se base

entre autres sur les résultats de l’European Value Survey de 1990. La non-implication

politique est bel et bien présente chez cette catégorie de citoyens, mais tout autant qu’elle

l’était auparavant. L’abstention est également un fait avéré, mais s’est vu compenser par un

panel d’autres formes participatives, d’où l’invalidation de la thèse de dépolitisation selon lui.

Une quinzaine d’années plus tard pourtant, la jeunesse française en est au même point. Pire,

elle est de moins en moins reconnue comme citoyenne, alors que sa politisation et sa

participation se concrétisent progressivement. Un constat prouvé par les récentes études

nationales, à l’image de l’étude Audirep, Perception de la politique par la jeunesse française

(2014). Là encore, les résultats de l’enquête prennent idées reçues à contre-pied. S’il est vrai

que la politique ne fait pas partie de leurs préoccupations majeures (55% la considèrent

comme ‘’importante’’ contre 97% pour la famille), on note toutefois que 49% des sondés s’y

intéressent de manière certaine. Un intérêt principalement véhiculé par la télévision (63% des

sondés suivent régulièrement l’actualité politique par ce biais) mais de plus en plus par la

presse online et les réseaux sociaux (respectivement 36% et 33%). Mais plus que l’intérêt,

c’est la participation qui interroge. Les jeunes ne votent pas beaucoup, que font-ils alors ? En

somme, l’Audirep réaffirme la thèse du renouveau de l’action politique. La flamme politique

est encore sauve, elle est en proie à une modification structurelle.

La participation se retrouve en grande partie au travers de formes d’engagement alternatives,

pour la plupart non instituées, au détriment des formes traditionnelles. Bien entendu, le vote et

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l’adhésion à un parti restent les outils démocratiques les plus cités (92% et 83%) mais ils

s’accompagnent de nombreux autres outils. Il faut dire que 29% des jeunes affirment ne se

retrouver dans aucun parti, d’où le logique détournement de leur implication. C’est ainsi que

la participation à une manifestation, la signature d’une pétition ou le simple fait de suivre

l’actualité politique sont devenus des gestes politiques usuels. A noter également l’essor de

considérations solidaires et socialement responsables. Les associations, causes militantes et

humanitaires ont en effet le vent en poupe, comme le confirment plus de 60% des sondés.

Dans son rapport d’enquête Participation politique et associative des jeunes (2012), l’Injep

conforte cette thèse, en allant encore plus loin. Depuis 20 ans, les associations ont su attirer

plus d’un tiers des jeunes français. Abstraction faite des entités sportives et culturelles, les

mouvements associatifs sont devenus des moyens de participation protestataire. De par leurs

enjeux, mais surtout leur forme libertaire, ces entités deviennent des acteurs sociaux majeurs,

bien que l’attractivité des mouvements politiques et sociaux reste encore limitée (19% du

nombre total d’adhérents en 2008 selon une enquête de valeurs Arval- Injep). Une enquête qui

révèle également la croissance d’autres moyens d’expression et de pression, autrefois

minoritaires. C’est entre autres le cas de la participation à une manifestation et la signature de

pétitions, ayant connu des hausses respectives de 6% et 27% entre 1981 et 2008.

Le rapport d’enquête de l’Anacej Les jeunes et le vote (2014) ne saurait contredire cette

modification de la participation jeune, bien au contraire. Si l’abstentionnisme est pointé du

doigt, il convient en premier lieu d’analyser ses causes. Au lieu du désintérêt, notion fourre-

tout utilisé à tout va, c’est le sentiment de déception qui prédomine chez les jeunes

abstentionnistes (53%). Citant la malhonnêteté des politiques (71%) et l’inadéquation des

débats avec les préoccupations populaires (45%), les jeunes matérialisent ce comportement

par un rejet, plutôt que par un désintérêt.

Une vision négative donc, qui est assumée et qui devrait s’empirer à court terme. 61% des

jeunes prévoiraient une hausse de l’abstention au cours des prochaines années. Un constat

sans appel, qui s’expliquerait par la notion de cynisme selon les résultats de l’étude. Cynisme

dans la mesure où le système s’apparente aujourd’hui à une ‘’mascarade’’ selon les sondés,

face à laquelle la participation ne saurait être efficace, tant il (le système) semble ‘’desservir

l’objectif pour lequel il a été fondé’’. Décalage trop important entre les mesures prises et les

attentes populaires, ou accaparation du pouvoir par des élites ? Quelle que soit la réponse, le

fait est que le ressenti actuel est représentatif du climat de tension entre la sphère politique

traditionnelle et les jeunes citoyens.

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2) Un contexte national défavorable

Etant donné que la société n’est plus productrice de stabilité et de garanties pour les

nouveaux arrivants, il paraît légitime de se questionner sur la résolution de ce problème. Dans

son ouvrage France anti-jeunes (2008), c’est en tout cas ce que prétend Grégoire Tirot,

envisageant même une inévitable guerre de génération, tant la France affectionne ‘’la

politique de l’Autruche’’. Economiquement comme socialement, les nouvelles générations

accumulent un nombre incroyable d’inconvénients qui ne peuvent que contribuer à la

détérioration du tant aimé lien social français. ‘’D’un côté, une jeunesse exploitée et muette,

mais assez souvent consciente de la nécessité des évolutions et des sacrifices à accepter pour

sauver notre système social ; de l’autre, des aînés qui font preuve d’un égoïsme extrême,

masqué par une épaisse couche d’idéologie moisie qui renvoie au défunt concept de lutte des

classes.’’

Le constat est le même pour la grande majorité des jeunes ; qu’ils soient diplômés ou issus de

zones défavorisées : la fracture avec les générations plus anciennes est consommée. Selon

l’auteur, la pseudo-lutte des classes que nous connaissons n’est qu’une façade, cachant le vrai

combat de ce siècle ; la lutte intergénérationnelle. Les plus anciens veulent aller en retraite au

plus vite, les plus jeunes veulent travailler ; idéal sur le papier, sauf que seuls les anciens ont

le moyen de leurs ambitions.

Le poids des seniors est porté sur les épaules des nouvelles générations, alors même qu’ils

n’assument pas encore le leur, d’où l’accroissement de la fracture actuelle. Il est à rappeler

que le maintien de relations de ce type ne permettrait pas d’assurer une ‘’cohabitation

soutenable’’ entre les jeunes générations et leurs aînés. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas

sans savoir que leur situation est fort enviable, eux qui se sont très logiquement délestés de

certaines responsabilités, au détriment de leurs plus jeunes compatriotes. Une situation qui est

d’autant plus mal vécue par les jeunes que ceux pour qui ils sont censés cotiser cumulent déjà

‘’les attributs majeurs de la puissance sociale’’ alors que dans le même temps, l’emploi ne

fait plus dans le social.

‘’Hier, les vieux étaient pauvres ; aujourd’hui, ce sont les jeunes qui le sont. Sale temps pour

la jeunesse française’’. Autre problème récurrent, l’emploi (en l’occurrence le chômage), qui

affecte massivement les jeunes diplômés -ou pas- et les pousse à la dévaluation. Un contexte

qui s’est accentué avec la crise et qui ne saurait trouver de solution à moyen-terme, le nombre

de demandeurs surpassant allègrement les prévisions de recrutement. Par ailleurs, à cette

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précarité structurelle s’ajoute une précarité conjoncturelle, étant donné que leurs emplois

servent de ‘’variable d’ajustement’’ en cas de conjoncture défavorable. Ce sont en effet les

CDD et les intérims qui passent les premiers à la casserole lors de périodes économiquement

tendues. Des anomalies systémiques qui sont inévitablement à l’origine d’un paradoxe au sein

de cette génération. D’un côté, c’est une jeunesse qui est privée de ses attributs d’antan

(liberté, insouciance...) et de l’autre, une jeunesse qui est infantilisée, qui ne sait pas

s’assumer par ses propres moyens. Sans noircir le tableau davantage, certains théoriciens

évoquent la possible impossibilité de parvenir à une solution efficace pour la jeunesse. C’est

le cas de Rémi Thibert, qui publiait en 2014 Une jeunesse fantasmée, des jeunesses ignorées ?

S’apparentant plus à une critique qu’à un constat, cet ouvrage dépeint une jeunesse opprimée,

évoluant sous la coupe d’un gouvernement dépassé par le strict cadre de ses missions

basiques. En tant qu’enjeu social pour les politiques et l’économie, les jeunes représentent

pourtant un enjeu majeur, d’où la nécessité d’une meilleure appréhension de cette catégorie,

de leurs besoins et attentes. Annoncée comme priorité lors de la campagne de François

Hollande, la jeunesse est en réalité une préoccupation sociale ‘’depuis le 18ème

siècle’’, ce qui,

en soi, n’est pas totalement rassurant.

Se décrivant elle-même comme sacrifiée ou perdue, la jeunesse ne saurait se satisfaire de sa

situation, elle qui la vit actuellement comme une ‘’spirale du déclassement’’. En se référant à

diverses études (notamment celles de Cicchelli parue en 2013) et sondages européens, l’auteur

va même jusqu’à évoquer une forme de ‘’maltraitance de la France envers ses nouvelles

générations’’. Avec un niveau de vie en baisse et un sentiment de dépendance envers les

institutions, les jeunes n’ont plus confiance envers une société qui n’en a pas plus en eux… Le

climat socio-économique se détériore (en globalité) pour les jeunes, les séparant un peu plus

des autres catégories, mais aussi entre eux. Les jeunes seraient divisés au sein même de leur

groupe, constituant deux entités distinctes ; ceux qui s’en sortent et les autres. De quoi mettre

à mal les politiques, eux qui peinaient déjà à trouver des solutions adaptées à la catégorie

jeune dans sa totalité. Entre ceux qui réussissent, ceux qui s’impliquent, ceux qui essayent et

les autres, il est en effet complexe d’établir des mesures ciblées, sans se heurter à un taux

d’échec important. Tout le monde souhaiterait que la jeunesse devienne autonome, mais

personne n’y croit, alors doit-on espérer une modification de leur comportement ? C’est sans

doute une des options à envisager, mais pas la plus accessible en tout état de cause.

En attendant une solution stable, il convient de se rendre à l’évidence. C’est ce que prônent

Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland et André Zylberberg dans leur ouvrage La

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machine à trier (2013). Face à un marché du travail inégalitaire et un échec scolaire

insurmontable, la société contribue à diviser les jeunes, laissant la porte ouverte à la

désintégration, à la ‘’déflagration du pacte républicain’’. Alors que la situation des jeunes

Français ne s’améliore guère (ni socialement, ni économiquement), le gouvernement actuel

semble patauger, malgré les mesures prises en faveur de ce public. En favorisant la sélectivité

scolaire, plutôt que l’apprentissage, en survalorisant les diplômes, plutôt que l’expérience, la

société est vectrice de profondes inégalités. Des inégalités renforcées par un ciblage social

incohérent, ne servant pas ceux qu’il devrait. Les alternances sont accessibles à un certain

niveau scolaire, les aides et allocations n’aident pas ceux qui en ont le plus besoin… Bref, le

modèle d’intégration a l’effet inverse à celui escompté.

Qu’ils habitent en banlieues, aient des origines maghrébines ou descendent de parents de

classes sociales inférieures, beaucoup de jeunes subissent le même sort face à l’épopée de

l’intégration. Si c’était déjà le cas il y a une dizaine d’années, la crise de 2008 n’a pas

amélioré les choses, loin de là. Autant les générations les plus âgées s’en sortent péniblement,

les jeunes ne s’en sortent clairement pas. Ceci étant, ces inégalités intergénérationnelles sont

rattachées au système lui-même, dans la mesure où les jeunes jugent unique responsable le

gouvernement (dans son acceptation la plus large). En effet, si la famille et le travail restent

des valeurs fondamentales du processus d’intégration, force est de constater que leur rôle a

évolué négativement, d’où un écart de plus en plus marqué entre ceux qui parviennent à

s’intégrer et les autres. ‘’D’une manière générale, on sait que les Français se méfient de leurs

concitoyens et qu’ils sont peu civiques’’. Pourquoi faudrait-il alors s’étonner que les jeunes le

soient tout autant, si ce n’est plus ?

Dans ce cercle vicieux de la désintégration, il n’est pas surprenant de voir que l’état ne soit

pas aussi fédérateur qu’il le veuille, tant il est vecteur de reproduction des inégalités. Il est

plus compliqué pour des jeunes non diplômés de s’élever socialement, politiquement (…), il

est donc légitime que leur vision soit moins enchanteresse que celle attendue. Pendant que les

diplômés se sentent ‘’libéraux sur les mœurs et portés par un fort sentiment d’intégration’’,

leurs homologues non diplômés privilégient la rigueur des mœurs et un détachement de la

société. Scepticisme quant au marché du travail, dénonciation d’inégalités sociales

croissantes, les jeunes n’ont plus confiance, c’est un fait.

En matière de politique, dire que les jeunes se désintéressent de la politique n’induit pas qu’ils

n’aient pas d’opinion, bien au contraire. Cette attitude se traduit par une défiance envers le

pouvoir politique, envers la démocratie. Pire, cette défiance s’intensifie parallèlement au

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sentiment de désintégration ressenti par les jeunes, majoritairement non diplômés, une fois de

plus… Désinformés, revanchards, ceux-ci se laissent séduire par les courants protestataires,

sans savoir exactement pourquoi, mais toujours dans une optique de reconnaissance.

De manière plus générale, cette distanciation relative au pouvoir se matérialise à travers

l’intermittence des votes, au profit de formes de participations différentes. Il faut dire

qu’outre une participation citoyenne basique, il est très compliqué pour un jeune d’aller plus

loin dans la vie politique, notamment en termes de mandat. Les élus français, plus que leurs

voisins européens ont une moyenne d’âge assez élevée, marquant une première barrière à

l’entrée des jeunes dans la sphère politique. Ajouté à cela le cumul des mandats, et l’on

obtient une barrière quasi-infranchissable à l’intégration politique des jeunes. 85% de députés

cumulards en France, alors que la moyenne européenne n’excède pas les 20%, voilà qui

pourrait répondre partiellement à la situation nationale actuelle. Le problème ne viendrait-il

pas uniquement de la société elle-même ? En plus d’un système scolaire qui échoue, de

valeurs familiales en mutations et d’une conjoncture économique menaçante, les jeunes sont

laissés au bas du podium politique, ce qui ne favorise guère leur implication, tout

logiquement. ‘’Le système fonctionne mal, pourtant il perdure… Une situation ni très

glorieuse, ni très avouable’’.

En revanche, si la grande majorité des jeunes sont confrontés aux mêmes enjeux nationaux,

leur double-division n’en est pas moins abstraite. Contrairement aux idées massivement

diffusées à travers l’opinion publique, les protestations croissent avec l’élévation du niveau

d’études. Un écart de participation qui serait plus important que l’on pourrait l’imaginer selon

l’enquête de valeurs de l’Injep (citée précédemment). Alors qu’en 2008, 24% des jeunes les

moins diplômés (baccalauréat au maximum) adhéraient à des associations, ils étaient 45% la

même année parmi les jeunes les plus diplômés. Il en va de même pour la participation à des

actions protestataires. Une fois de plus, les plus instruits démontrent une plus forte appétence

pour les manifestations (57% contre 30% pour leurs homologues moins diplômés), et plus

généralement pour la défense de valeurs humanistes de tolérance et d’égalité.

Dans un rapport de recherche réalisé en 2009 sous la tutelle de Philippe Aldrin, L’engagement

des jeunes étudiants en politique, c’est de cette catégorie de jeunes instruits dont il s’agit. Là

non plus, il n’est pas question de remettre en cause la montée de courants alternatifs, mais de

les comprendre. Si les jeunes sont plus sujets à l’abstention que les générations précédentes, il

s’agit d’une réponse à la perte de confiance vécue à l’égard de leurs élus. Toutefois, parler de

désaffection semble poussé, les jeunes n’hésitant pas à manifester, s’inscrire dans des

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associations protestataires… Comme le disais Pierre Bréchon, ‘’moins politisés mais plus

protestataires’’.

A noter toutefois que le vote et l’adhésion aux partis politiques ne sont pas désuets pour

autant, ces dernières années ayant vu une floraison de mouvements politiques par et pour la

jeunesse française. Bien qu’ils connaissent un succès mitigé, ces mouvements ont le mérite de

promouvoir une image de jeunes solidaires, responsables et enclins à faire changer les choses,

car c’est là une autre facette du problème. Ne pouvant pas se défaire eux-mêmes de leur

situation personnelle, de nombreux jeunes délaissent la politique par sentiment d’impuissance

face à des enjeux qui les dépassent bien souvent. Un sentiment généralisé, mais qui peut vite

s’altérer en fonction du contexte. C’est ce que prouve l’étude réalisée par IPSOS en 2006,

auprès de 800 adolescents. En pleine période de lutte contre le CPE, 85% des sondés ont

répondu qu’ils pensaient voir le pouvoir de changer les choses, et 81% que l’implication dans

une association était importante. C’est donc en période de crise soudaine que la citoyenneté

jeune serait perceptible ? C’est en tout cas ce que révèle l’ouvrage ‘’Pour une gauche de

gauche’’, relatant l’élan de soulèvement des jeunes en 2002, suite à l’éviction de Lionel

Jospin lors des présidentielles, laissant ainsi la porte ouverte à Jean-Marie Le Pen.

3) Des tendances aux actes

Empruntant des parcours différents de leurs aînés sur la scène politique, les jeunes

générations bouleversent les rapports de force traditionnels. Bien qu’ils boudent les outils

d’expression traditionnels, ces derniers n’en sont pas moins impliqués. Lors du Colloque

Vocation tenu en 2014 à l’Université de Cergy Pontoise, c’est sur ce point qu’a insisté Valérie

Becquet (maître de conférences). Selon elle, l’espace traditionnel d’expression s’est

transformé en une plateforme beaucoup plus vaste, formé de trois subdivisions. En premier

lieu, les mouvements sociaux, dont l’essence révèle la crainte liée au futur. Ne sachant pas

comment envisager un avenir plus serein, les jeunes sont devenus plus sensibles aux questions

sociales et sociétales. Cette incertitude est l’un des piliers de la situation des jeunes citoyens,

et le restera tant qu’il n’y aura pas de réelle avancée en la matière. Seconde entité, les

collectifs d’engagement, à l’image des associations et autres groupements. Nul besoin de

rappeler que l’espace associatif est en plein essor, et qu’il comble le manque de

reconnaissance que la politique ne prétend pas donner à la jeunesse française. Enfin, le dernier

espace d’intervention et non des moindres correspond à l’action publique. Derrière cette

expression se cache l’intervention citoyenne, en son sens le plus direct. Pour espérer se faire

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entendre (et avoir un impact), les actions directes se sont intensifiées. Le vote n’étant plus

synonyme de changement, beaucoup espèrent influencer les décisions politiques par le biais

d’actions plus impactantes, plus directes. Une manière de prouver un désaccord au sein de

l’opinion, souvent dirigé vers une critique du système démocratique lui-même.

Les besoins (et conséquemment les revendications) ne sont plus ceux qu’ils étaient il y a

quelques décennies. Pour autant, le système lui n’a pas changé, favorisant des préoccupations

plus abstraites pour les citoyens. C’est cette fracture qui expliquerait, selon Anne Muxel,

l’évolution des modes d’intervention. Dans son ouvrage L’engagement politique dans la

chaîne des générations (2010), l’auteure décrypte cette phase exploratoire, permettant aux

jeunes de remettre en cause leur système politique. Tributaire de l’héritage social de chacun et

du mouvement exploratoire qui caractérise la jeunesse, la participation se confronte

notamment à la conjoncture économique... Il n’est donc pas opportun de comparer la situation

actuelle à celle d’il y a 30 ans, vu que les bases ne sont plus les mêmes.

La démocratie de ce millénaire est différente de celle d’antan, tant elle accorde une place

grandissante à l’opinion publique, et par extension à la participation citoyenne. Partant de là,

les modes d’expression plus traditionnels (le vote en premier lieu) se désacralisent, non pas

qu’ils soient mis de côté, mais qu’ils deviennent des moyens d’expression parmi d’autres.

Encore très important pour des tranches d’âges plus avancées, le vote perd de son aura auprès

des jeunes, plus enclins à diversifier leur palette d’outils démocratiques. Aussi, s’il fallait jeter

la pierre à quelqu’un, c’est le système qui serait visé, car les jeunes (et les Français en

général) modifient leur comportement à cause d’une perte de confiance envers les institutions.

La classe politique et les représentants n’ont pas bonne presse depuis quelques années ; une

situation qui n’est pas étrangère à ce rejet généralisé de la sphère politique française.

Alors que seulement 1% des jeunes adhéraient en 2010 à un parti politique (ou organisation

syndicale), on ne pourrait toutefois pas parler de non-participation. Le fait est que les modes

participatifs se sont diversifiés, se caractérisant désormais par une certaine ponctualité, une

temporalité marquée et un afflux croissant vers des préoccupations sociales. En plus de

choisir les échéances qui leur semblent importantes (désintérêt pour les rendez-vous locaux,

régionaux), les jeunes montent au créneau lors de situations nationales qui les affectent

personnellement (CPE en 2006, renouveau du FN depuis 2012) ou qui ont trait à des valeurs

qu’ils partagent (égalité et solidarité entre autres).

Page 14: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

C’est cette notion de valeur qui explique le succès des groupements associatifs de tous

horizons. Neutres, non-directives, libres, les associations attirent par leur fonctionnement,

mais surtout par leur aspect désidéologisé. Terrains d’expression privilégiés, elles intéressent

de plus en plus de jeunes, qui n’hésitent plus à y adhérer, au lieu de se conformer aux usages

citoyens basiques. L’engagement est donc bel et bien présent, sauf qu’il s’inscrit de manière

partielle dans une optique contestataire, entraînant un double problème pour les institutions

politiques. En plus de se détourner des modes participatifs habituels, la jeune génération

recourt à des plateformes alternatives pour montrer son désaccord avec la situation du pays,

avec sa situation. Un revers qui s’amplifie de manière exponentielle avec l’essor des réseaux

sociaux, véritables tribunes sociales de l’opinion publique.

Dans un style plus tranché -pour ne pas dire radical- certains auteurs dénotent une critique

profonde de la démocratie. C’est le cas de Marguerite Soulière, Karine Gentelet et Gabriela

Coman, Visages contemporains de la critique sociale (2014). En se référant au nombre

croissant de mouvements protestataires (Occupy, Les Indignés...), l’ouvrage remet en cause

les fondements structurels du système politique français, sans demi-mesure. Légitimée et

autoproclamée comme régime politique idéal, la démocratie fait l’objet de nombreuses

critiques, tant elle lutte face aux difficultés conjoncturelles actuelles. Economie qui flanche,

société qui s’enlise, le constat est sans appel et ne dessert guère les politiques. Peu importe la

famille politique, le programme proposé, les mesures votées, chaque échec se heurte à la voix

de la rue, au soulèvement des réseaux sociaux, et plus globalement à un engagement massif de

communautés citoyennes. La critique sociale contemporaine est en passe de devenir le plus

puissant contre-pouvoir politique qui soit, et ce sous l’œil passif des politiques, trop

préoccupés par des tares plus ‘’importantes’’. Plus qu’un bruit de fond, la critique sociale se

veut influente, fédératrice, et conséquemment risquée pour les plus hautes instances.

Déjà mise en lumière au 18ème

siècle par Koselleck, la critique n’est pas aussi récente que sa

considération le laisserait croire. Moyen émancipateur à l’égard des pouvoirs selon Bourdieu,

elle s’est amplifiée au fil des ans, allant même jusqu’à redessiner les rapports de force entre

l’opinion publique et ses représentants. Prenant son origine dans un ensemble d’attentes

normatives déçues, la critique s’est principalement nourrie de l’évolution de la sphère sociale.

Ces décalages temporels entre l’évolution de la société et les mesures étatiques les régulant

ont entrainé la création de ‘’fossés sociaux’’, vecteurs de malaises et ainsi de contestations

chez l’opinion publique. Une situation encore plus marquée aujourd’hui chez les jeunes, les

décalages les atteignant étant plus importants que ceux atteignant les autres catégories d’âge.

Page 15: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Par ailleurs, si la critique se veut insistante, c’est que les occasions de s’y adonner se sont

démultipliées. Face à la réorganisation spatiale de l’action politique (globalisation ?

Décentralisation ?), le rapport des politiques aux citoyens s’est vu modifié. Les nombreuses

échelles d’intervention illustrent un nouveau mode de gestion de l’action collective, plus

proche des acteurs et conséquemment synonyme de changement. La décentralisation étatique

est en effet allée de pair avec une reconsidération de la participation publique, au profit d’une

gouvernance plus participative. L’analyse va même plus loin en citant une ‘’désétatisation du

système politique’’, caractérisée par une reconsidération du poids de la sphère civile dans

l’exercice du pouvoir. Le constat est simple ; les évolutions structurelles du gouvernement

sont les grandes responsables de la situation démocratique actuelle. En se séparant de certains

pouvoirs, l’état a lui-même choisi de renforcer le pouvoir public, en laissant au peuple une

marge de manœuvre suffisante, voire risquée... L’opinion publique est dans une phase

transitoire, où elle s’engage dans des projets de grande envergure, en se satisfaisant dans le

même temps de petites avancées. L’ampleur des causes défendues n’est plus un facteur

d’implication, le but étant de dénoncer les difficultés et prôner la recherche de compromis.

Se pose alors la question de la canalisation de ces flux participatifs. Si l’on accepte de leur

donner une valeur citoyenne, il convient toutefois de les valoriser, de les hiérarchiser ; c’est la

condition sine qua non à leur intégration politique. Allant plus loin que la simple dichotomie

droite/gauche, la critique sociale peut en effet devenir un véritable cafouillage si elle ne se

confronte pas à un certain cadre normatif ; c’est là que devra intervenir les hautes sphères du

pouvoir. Cela permettrait entre autres la limitation du nombre de mouvements prônant la

‘’désobéissance civile’’. Bien loin de l’image que l’on pourrait avoir, ces mouvements créent

du débat à partir d’actes contestables (sur la forme). Portés par des valeurs comme le droit à la

résistance et l’autonomie de pensée, ces mouvements se justifient par la recherche d’une lutte

contre l’injustice ; injustice associée aux normes non adaptées de l’état.

Quand bien même la démocratie serait inadaptée (ce qui ne veut pas dire qu’elle l’est), il

paraît difficile d’envisager un aussi vaste chantier que celui-ci. En revanche, cela n’empêche

pas la mise en place d’une réflexion sur les modalités d’un renouveau politique, dans le sens

d’une meilleure appréhension de l’opinion des jeunes citoyens. En effet, si la participation

revêt des allures novatrices, il serait sans doute pragmatique de la considérer ainsi.

‘’Il suffit qu’il y ait une minorité solide, active, de jeunes qui considèrent que l’engagement

signifie quelque chose, et à ce moment-là nous aurons une France résistante.’’ Connu et

reconnu pour son incarnation du militantisme, Stéphane Hessel avait soulevé cette question

Page 16: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

avec son œuvre Engagez-vous (2011). Entre réflexion et action, il dresse un bilan négatif de la

situation actuelle et appelle au mouvement. Dans la lignée de son précédent ouvrage

‘’Indignez-vous’’ (œuvre fondatrice de nombreux soulèvements sociaux dans le monde),

Stéphane Hessel propose le traitement d’un certain nombre de thématiques, relatives

notamment à l’engagement des jeunes. Au lieu de critiquer (ce qu’il fait tout de même), il

propose des pistes d’engagement pour une jeunesse qui est plus perdue qu’elle ne devrait, des

actions à mener pour contrer une situation presque dramatique, tellement elle est

handicapante. En plus de s’impliquer de manière réfléchie, ce dernier insiste sur l’importance

pour les jeunes de participer au choix des meilleurs représentants. Pas aussi facile à faire qu’à

dire, puisque la réalisation d’un progrès concret ne pourra se faire que sur le long terme ; ce

que n’envisagent pas tous les jeunes.

Face à la crise (tribut direct d’un système économique dépendant de considérations

financières), le pouvoir politique devrait même prendre les jeunes pour modèle. Etant porteurs

de valeurs solidaires, ceux-ci seraient plus conscients des enjeux qu’ils n’y paraissent. La

solution serait donc logiquement de revoir leur place dans le processus politique ; ce que

Bernard Bier associe à ladite politique de la reconnaissance. Dans son ouvrage de 2007, La

politique de la reconnaissance comme catégorie d’analyse de l’action publique en direction

des jeunes, il est question de politiques de jeunesse, et plus précisément de l’inefficacité de

ces politiques. Si action il y a en faveur des jeunes Français, il est clair que celles-ci sont

insuffisantes, ou alors obsolètes. Pour contrer une détérioration des relations unissant les

jeunes et le système, il convient aujourd’hui de reconsidérer la ‘’politique de la

reconnaissance’’. En son sens commun, celle-ci consiste à évincer la prégnance du modèle

universel républicain au profit de la valorisation d’une société multiculturelle, qu’il s’agisse

de genre, de religion, d’appartenance ethnique et même de catégorie sociale. C’est dans ce

cadre que l’auteur considère la jeunesse comme un groupe à part entière, dans la mesure où

règne une expérience commune parmi les individus de ce groupe.

C’est ainsi que, dès le milieu du 19ème

siècle, des politiques spécifiques ont été déployées à

destination de ces catégories de population : les politiques de jeunesse. Très actives sous

l’impulsion de la vague associative née de l’entre-deux guerres, celles-ci vont très vite

s’attacher à stigmatiser certaines catégories de jeunes, spécialement les jeunes les plus

défavorisés. ‘’Oscillant sans réelle explication dans l’entre-deux des politiques de droit

commun et des politiques de discrimination positive’’, ces dispositifs sont à l’heure actuelle

contestables, tant leur impact est limité. Pourtant, entre l’insertion professionnelle,

Page 17: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

l’intégration et la participation civique, il y aurait de quoi faire. En somme, pour espérer une

amélioration de la situation de la jeunesse française, il faudrait en premier accepter leurs

statuts et besoins pluriels, pour pouvoir proposer des mesures adéquates et efficaces, ce qui

n’est pas le cas actuellement. Plus que de la jeunesse, il s’agit de reconstruire les facettes de la

démocratie, pour les adapter aux nouvelles réalités sociales, bien loin de ce qu’elles ont pu

être jadis.

Et si la question n’a pas encore trouvé de réponse, il semblerait pourtant qu’un compromis

reste envisageable. Selon Rémi Thibert (cité précédemment), les jeunes ne sont pas

réfractaires à l’amélioration de leur condition, comme on pourrait l’entendre. Plus

cosmopolites que leurs parents, ceux-ci s’expriment davantage sur des thématiques de société

(réseaux sociaux obligent), s’impliquent de plus en plus dans le milieu associatif et n’hésitent

pas à communiquer leur besoin de retrouver un certain nombre de valeurs comme la famille

ou la solidarité. Quant à la question de l’implication politique des jeunes, l’auteur relève ‘’une

politisation moins normative et davantage expressive’’. Une affirmation confirmée par l’étude

Audirep de 2014, les jeunes ayant massivement fait savoir que le vote ne pourrait permettre

une amélioration du processus démocratique actuel. Au lieu de ça, C’est la participation au

débat et la mise en avant de l’action solidaire qui seraient selon eux, les vecteurs les plus

efficaces en matière de changement. Un constat qui vient taire les critiques, en proposant par

la même occasion des pistes de réflexion viables et réalistes.

La compilation des œuvres ci-dessus révèle certaines tendances, certains constats quant à la

participation réelle de la jeunesse française. N’étant plus à prouver, elle pose tout de même un

certain nombre de questions, aussi bien sur le fond que sur la forme. En premier lieu,

comment appréhender son évolution, sachant qu’elle se matérialise en partie sous des formes

non conventionnelles ? Aussi, il apparaît évident que ces modes de participation alternatifs

font partie intégrante de la démocratie moderne. Doit-on leur accorder du crédit ? En somme,

le contexte politique français est en phase transitoire, sous l’impulsion de forces

démocratiques émergentes. Quelles sont donc les solutions envisageables à moyen terme ?

Page 18: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Vers un dépassement des cadres préétablis

Dans l’optique de répondre (efficacement) à la question de la viabilisation des modes

alternatifs de participation chez les jeunes, un certain nombre d’investigations ont été

réalisées. En plus de la collecte de données qualifiées, elles ont - entre autres - permis un

traitement optimal de celles-ci et la compréhension des tenants et aboutissants liés à la

problématique.

1) Méthodologie déployée

La question du rapport entre les jeunes et la politique n’est pas innovante en soi.

Abordée sous différents angles, cette thématique a été (et est toujours) traitée dans une

optique de constatation. Autrement dit, la part belle a souvent été donnée à l’observation,

plutôt qu’à la réflexion. Peu nombreuses, les études portant sur les jeunes et leur rapport à la

politique traitent certaines thématiques précises. C’est le cas de l’image des jeunes sur la

scène publique, leur participation aux élections ou encore leur niveau de confiance.

Ceci étant, on ne pourrait cataloguer toutes les études menées, dans la mesure où certaines

d’entre elles évoquent des pistes d’amélioration, bien qu’abstraites en grande majorité. C’est

cette analyse de l’existant qui a justifié le recours à la recherche qualitative. Pour analyser en

profondeur une situation sociale (en l’occurrence celle des jeunes citoyens français) et en

déduire des solutions concrètes, une étude portée sur des statistiques n’aurait clairement pas

été fructueuse. Rien qu’en considérant le panel d’une étude quantitative, il aurait été

compliqué de faire émerger des pistes exploitables, même si les sondés auraient eu des profils

adaptés.

Dans le cas présent, la qualification des profils était une donnée primordiale, d’où le choix de

procéder exclusivement à une méthodologie qualitative. A la différence des enquêtes

quantitatives, les études qualitatives permettent une meilleure appréhension et un plus grand

approfondissement du sujet traité. En plus de dévoiler la perception des interrogés, elles

génèrent une certaine ouverture, impossible par le biais de sondages quantitatifs. Une

ouverture salutaire par rapport à la problématique, étant donné l’absence de réponse exacte,

ou de piste incontestable. En matière de politique, qui plus est en ce qui concerne le

renouveau politique, nul besoin de préciser que les options réalisables sont limitées, et

nécessitent conséquemment un traitement approfondi. La viabilisation de la participation

Page 19: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

citoyenne n’est pas chose aisée, autrement la question ne se poserait plus. La seule manière de

tenter d’y répondre était d’interroger des profils hautement légitimes, plus aptes à comprendre

les enjeux du sujet.

Bien qu’étant basée sur une analyse interprétative, la méthode qualitative ne rejette pas pour

autant les chiffres et autres données statistiques. En ce qui concerne le travail mené, il a

également été fondamental de tenir compte des derniers sondages portant sur la participation

politique des jeunes Français. Ces récentes études ayant déjà apporté certains constats, il

n’était plus nécessaire d’en mener de nouvelles. En plus de celles traitées dans leur globalité

(Audirep, Injep, Anacej), il est à noter que les ouvrages composant la revue de littérature

reposent - pour un grand nombre - sur d’autres sondages et enquêtes quantitatives. Pour toutes

ces raisons, les investigations qualitatives, et plus précisément les entretiens ont été

privilégiés.

Dans une optique d’approfondissement d’un vaste sujet comme celui du devenir des relations

entre la politique française et ses jeunes citoyens, ce sont effectivement les entretiens qui ont

été retenus. S’agissant d’une question vaste et portant sur le futur, les entretiens directifs ont

été évincés, le but n’étant pas de limiter le sondé dans ses propos et sa pensée. La viabilisation

des nouvelles pratiques politiques est (en soi) un sujet créatif, demandant la prise en

considération d’une nouvelle donne. Celui-ci induit une vaste marge de manœuvre

intellectuelle, qui serait inefficace dans le cadre de questions fermées.

A contrario, les entretiens non directifs n’étaient guère plus adaptés, puisqu’ils n’auraient pas

permis un centrage adéquat autour de la thématique, déjà complexe. Aussi idéologiste soit le

thème de la politique, il convenait toutefois de lui apposer un cadre dans lequel s’exprimer.

C’est la raison principale de la non-sélection de ce type d’entretiens. De la même manière, les

focus groupe n’ont pas été mis à contribution, dans un souci d’expressivité de chaque

personne interrogée. Celles-ci n’ayant pas le même niveau de connaissance et de légitimité

par rapport à la problématique, il aurait été contre-productif de les rassembler. La synergie

liée aux échanges ne peut tenir qu’à la tenue d’un rapport de force équilibré entre les forces en

présence, ce qui n’aurait pas été le cas dans le cadre de la présente étude.

Ainsi, le choix de la méthode de collecte de données s’est porté sur la réalisation d’entretiens

semi-directifs. Moins ciblés que les entretiens directifs, ils permettent tout de même de

maîtriser la progression de l’entrevue, avec l’avantage de procurer une confortable marge de

manœuvre. En effet, alors que le répondant s’exprime librement, il est à charge pour

Page 20: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

l’enquêteur de recadrer la discussion pour obtenir les éléments de réponse souhaités. Une

caractéristique d’autant plus importante ici que les personnes interrogées avaient des profils

bien distincts et donc des idées (et propositions) qui l’étaient également. Autant le choix de

profils variés été essentiel pour la validité de l’analyse, il a tout de même posé le problème de

l’analyse des résultats collectés.

Pour les raisons évoquées précédemment, les entretiens opérés ont eu vocation de dispositif

exclusif de recueil de données. En conséquence, leur mise en place et leur réalisation ont été

scrupuleusement réfléchies, notamment dans le choix et la préparation des répondants. Peu

importante au premier abord, la phase amont était en soi fondamentale, étant donné qu’elle

conditionnait les sondés, en leur exposant le cadre dans lequel ils s’inscrivaient. En évitant

toute surcharge informationnelle, il était tout de même indispensable de leur faire comprendre

la visée de la recherche, pour obtenir des résultats porteurs de sens. Avec un sujet tel que celui

de la participation politique, autant dire que la tâche n’était pas aisée, la plupart des personnes

interrogées ayant un avis assez tranché en la matière. Selon leur appartenance (ou pas) à des

partis, selon que ces partis soient de droite ou de gauche, selon leur expérience personnelle,

les répondants avaient toutes les chances de se détourner de la problématique, au profit de

discours plus ‘’politico-politiciens’’. Une variable à éviter, d’où la nécessité d’une mise en

situation optimale et d’un guide (ou trame) d’entretien clair et réfléchi.

En dépit du fait que l’on devinait plus ou moins le type de réponses que l’on obtiendrait,

procéder selon un schéma type restait capital. C’était la condition sine qua non à l’obtention

de réponses viables et surtout à une analyse fidèle. Plus qu’une liste de questions, le guide

était vecteur de cohésion lors de l’entretien, et de sens lors de la phase postérieure à celui-ci.

Dans le cas présent, il était en premier lieu nécessaire de se détacher de toute considération de

valeur et de jugement politique. Cela grâce à une attitude empreinte d’empathie et

d’impartialité, mais surtout par une entrée en matière adaptée. Plus concrètement, l’entretien

reposait sur cinq thématiques transversales, abordées dans un ordre précis et répondant à un

cheminement de pensée logique. Du simple constat à la recherche de compromis, en passant

par l’image et l’engagement réel, ces axes de réflexion ont permis une analyse complète de la

problématique, ainsi que le dégagement de perspectives globales.

Les premières questions - portant sur la situation nationale - avaient vocation à ancrer le sujet

dans un contexte neutre, et faisaient davantage appel à l’observation qu’à l’interprétation.

Cette première étape révolue, les sondés étaient questionnés quant aux idées reçues en matière

de participation politique chez les jeunes. En tant qu’axes de discussion les plus neutres, les

Page 21: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

aborder en début d’entretien avait toute son importance, sans compter qu’ils ouvraient

naturellement la voie à des sujets plus ciblés. La troisième phase de l’entretien portait sur les

nouvelles formes d’engagement elles-mêmes. L’enjeu était de caractériser les tendances

émergentes, mais par-dessus tout de situer les répondants (et a fortiori les organisations

représentées) par rapport à elles. Si l’on se réfère à la problématique générale, à savoir la

viabilisation des nouveaux modes d’engagement, la troisième phase était possiblement (avec

la dernière phase) la plus importante. Elle amenait les sujets à créditer ou non l’engagement

au sens large, en les valorisant selon leur propre échelle de valeurs. C’était par ailleurs un bon

indicateur d’efficience et de portée de la participation des jeunes Français, et par extension de

leur place dans un futur plus ou moins proche. La question du futur était ainsi évoquée en

dernière partie, comme aboutissement de la réflexion menée.

2) Caractéristiques de l’échantillon

Autant le déroulement théorique de l’entretien était primordial, l’efficience des résultats

reposait majoritairement sur le choix de la population interrogée. Se posait alors la question

de l’aptitude et de l’apport relatif de chaque sondé, en matière d’engagement citoyen jeune,

mais également en politique, en son sens le plus large. Au-delà des jeunes eux-mêmes, au-

delà des institutions partisanes, de nombreux acteurs incarnent l’engagement, quelle que soit

leur forme et leur marge de manœuvre réelle. Pour cette raison, le choix des répondants s’est

basé sur cette fragmentation, dans une optique de représentativité maximale. Il aurait bien

évidemment été possible d’interroger uniquement des jeunes, plus ou moins politisés, mais les

résultats n’auraient certainement pas été représentatifs. Non pas qu’ils n’aient pas leur mot à

dire sur le sujet, mais plutôt parce qu’ils n’auraient pas eu la retenue et le recul nécessaire sur

la question, bien qu’ils en soient les principaux protagonistes. De la même manière, interroger

des entités politiques n’ayant pas un lien avéré avec les jeunes n’aurait pas été envisageable,

leur jugement étant sans doute ‘’décalé’’ de ceux des principaux concernés.

La sphère de l’engagement démocratique des jeunes citoyens français est clairement

fragmentée, c’est d’ailleurs une de ses caractéristiques majeures. Parmi les acteurs sociaux y

étant liés, on retrouve par extension une multitude d’acteurs, plus ou moins institutionnalisés.

Alors que les partis politiques avaient la main mise sur l’engagement citoyen - en général - au

siècle dernier, ils ne pourraient aujourd’hui se prévaloir d’avoir maintenu leur influence

passée. A l’heure actuelle, la logique partisane n’est plus qu’un outil comme un autre, de plus

en plus contestée, au profit d’autres tribunes, comme les associations ou les collectifs

Page 22: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

d’engagement. Sans développer le sujet davantage, ces unions représentent aujourd’hui un

contre-pouvoir croissant, avec d’une part la faveur des jeunes et d’autre part une légitimité

croissante. Par ailleurs, l’on a souvent tendance à oublier certaines entités, peu connues mais

pourtant reconnues pour leur intérêt public. C’est notamment le cas des think tanks, centres de

recherche et autres structures impliquées de près ou de loin dans la vie politique jeune.

Les résultats qui seront présentés dans ce mémoire sont le fruit d’une analyse, elle-même

tributaire de la réalisation de 12 entretiens individuels. Comme expliqué plus tôt, le choix des

répondants a été murement pensé, en considération de l’apport escompté de chacun ainsi que

de sa représentativité effective. En somme, tous ont su apporter leur jugement et leurs idées,

selon leur statut, leur couleur politique ou encore leur rapport au gouvernement actuel. Qu’ils

soient élus, sociologues, chercheurs, représentants d’association ou encore partisans, chaque

individualité a contribué à l’instauration d’un pensée représentative.

Il convient également de préciser qu’une grande importance a été attachée au fait d’obtenir

des statuts différents au sein du panel. Là encore, il était question de ne pas tomber dans la

facilité, en juxtaposant au mieux l’échantillon à la population cible. De manière simplifiée, il

est possible de distinguer trois typologies distinctes parmi les interrogés. Assez logiquement,

un découpage entre les partis politiques, les entités de recherche et les mouvements

participatifs s’est opéré.

3) Analyse de contenu thématique et résultats

Motivée par son adéquation avec la nature des données collectées, l’analyse de contenu

thématique a été privilégiée pour dégager les pistes exploitables du sujet. Après avoir isolé les

idées significatives issues des entretiens, il était en effet plus judicieux de les catégoriser, afin

de mieux cibler celles porteuses d’intérêt. Comme mentionné plus tôt, plusieurs axes

découlent naturellement de la question de l’engagement citoyen. C’est cet aspect

multidimensionnel qui a justifié le recours à une analyse à dominante sémantique.

a) Politique : belle de loin mais loin d’être belle...

Si l’on peut s’accorder sur un constat en matière de jeunesse et d’engagement politique, c’est

qu’il n’est pas positif. C’est en tout cas ce qui ressort de la majorité des entretiens menés dans

ce cadre. Plus ou moins nuancés, plus ou moins radicaux, les avis recueillis ne laissent

Page 23: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

toutefois aucun doute persister : la situation est loin d’être idéale. Véritable clash pour les uns,

désintérêt pour les autres, les plus retenus évoqueront tout de même un certain scepticisme.

Une situation assez univoque donc, bien que ses causes apparaissent différentes selon les

sondés.

Parmi les raisons supposées d’un rapport distancié, l’opacité du système demeure un des

vecteurs majeurs. Fermé, immuable, le système politique français (représenté par le

gouvernement et les institutions) fait parler, tant il semble inadapté à la société actuelle. « Ce

ne sont pas les valeurs et les idées véhiculées qui posent problème, mais plutôt le système

global » s’agaçait J.B (Jeunes Ecologistes). Censé fédérer la population dans son ensemble et

œuvrer pour le bien commun - ce qu’il tente de faire - le gouvernement n’a décidément plus

cette image de légitimité absolue, ce qui se ressent à travers l’opinion publique jeune. Mais

plus que le système, ce sont les représentants politiques qui endossent une part majeure de

responsabilités dans le pseudo-échec relationnel considéré. A l’image de leur statut, les élus

politiques semblent contribuer à une distanciation progressive entre les jeunes et la politique

traditionnelle, avec tout ce que cela implique. A ce propos, A.H (Terra Nova) évoquait une

crise de représentativité. A distinguer de la crise de représentation (faculté de représenter un

groupe auquel on ressemble), elle définit la capacité à représenter une population, aussi

hétérogène soit elle. « La représentativité, même si elle ne doit pas être mimétisme, impose

que le corps des élus fasse preuve de réoxygénation, pour qu’on n’ait pas l’impression de voir

toujours les mêmes depuis trente ans ». Car c’est là un autre problème qui est pointé du doigt ;

la professionnalisation de la politique. A l’heure où la grande majorité des jeunes citoyens

affrontent d’énormes difficultés, notamment économiques et sociales, il devient plus difficile

de faire confiance à une caste de personnes qui donnent l’impression de favoriser leur carrière

à la mission qui leur incombe. « Ça commence maire de Neuilly à 25 ans et ça finit président

de la république après avoir fait tous les échelons » affirmait F.L, évoquant entre autres la

moyenne d’âge des députés nationaux (55 ans). Dans la mesure où les hommes politiques

s’inscrivent dans cette optique - ce que l’on ne saurait démontrer, ni démentir - on peut

aisément concevoir le rejet de la politique traditionnelle par les jeunes.

Ajouté à cela une situation sociale et économique qui ne semble guère progresser, la messe est

dite. L’une des principales critiques concerne en effet le statut quo national vis-à-vis des

difficultés rencontrées, dont le chômage de masse et la précarité généralisée. Dans ce contexte

assez difficile, les jeunes et le reste des citoyens attendent une réponse efficace de la part de

leurs représentants, en vain. Sans tomber dans la facilité de la critique, c’est

Page 24: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

incontestablement le sentiment qui émerge chez les jeunes, qui ressentent un abandon, une

inefficacité flagrante au sein des hautes sphères décisionnelles. Le fait est que depuis une

trentaine d’années, la France est engagée dans un processus de réformes, dont le résultat est

contestable, du moins c’est ce qui est ressenti, dans cette phase de crise. Une crise qui n’est

pas aussi simple à appréhender que les jeunes le pensent, comme le rappelait T.V (MRJC) :

« La crise comme on l’appelle, est amenée à durer, donc le chômage de masse aussi. Il ne

faut pas se leurrer en croyant que dans les dix ans ce sera résolu ». Et si la crise devenait

alors une constante ? C’est bien l’idée qui semble s’ancrer dans les esprits, renforçant l’idée

que le meilleur n’est plus à venir, et que le contexte actuel pourrait encore s’empirer... Face

aux incertitudes, cette crise du récit de l’avenir est bien réelle. Cette question qui est, somme

toute, très moderne (fin de la période des trente glorieuses) est encore plus présente dans les

esprits des jeunes citoyens, eux qui ont tout à construire, personnellement et collectivement.

La difficulté de se projeter individuellement est un problème pour la légitimité des politiques,

car de toute évidence, ils n’ont pas les clés en main pour espérer y remédier. « Il y a une

difficulté à se projeter au-delà d’un ou deux ans, ce qui provoque de l’inquiétude chez les

jeunes ». C’est en ces termes qu’évoquait le représentant du collectif Ensemble, le problème

de la confiance accordée aux politiques par la jeunesse française.

Ceci dit, malgré un contexte défavorable, une crise de la représentativité et de l’avenir, les

jeunes ne sauraient endosser seuls, la culpabilité d’un quelconque désintérêt de la politique.

Comme le disait P.B, pour évaluer au mieux l’engagement des jeunes en politique, trois

dimensions méritent d’être prises en compte. Au-delà de la participation politique (indicateur

couramment utilisé pour juger de l’engagement), il convient de s’attarder sur la politisation et

l’orientation politique des jeunes. Dans ces deux derniers cas, les études sont claires ; les

jeunes s’intéressent de manière certaine à la politique, au moins autant que leurs aînés, et ils

savent se positionner en considération de la dichotomie droite/gauche. Cette idée de désintérêt

et de rejet de la politique est donc à prendre avec du recul, considérant la diversification des

formes de participation. « Un de nos slogans à l’époque était : élections, pièges à cons »

racontait F.P, amusé. Selon lui, le rapport entre les jeunes est fortement dépendant des

périodes et des situations nationales. Considérer que les jeunes sont intrinsèquement différents

de ceux des dernières décennies est une erreur, puisque la politique traditionnelle n’a pas

toujours su appâter les citoyens. Des barricades de 1968 aux pétitions en ligne d’aujourd’hui,

on ne pourrait dire que le vote ait toujours eu une place inconditionnelle. La politique n’est

pas un domaine fermé, ce qui rend difficile sa définition. Les jeunes sont toujours impliqués,

Page 25: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

ils continuent de s’engager, mais à leur manière, comme le pense J.M (FFJ). « Ils ont une

manière de vivre la politique différente de ce qui existe déjà, notamment car ils sont plus

critiques que le reste des citoyens ».

b) Les jeunes, vilains petits canards de la politique française

Décriés, stéréotypes, les jeunes citoyens français n’ont pas bonne presse, c’est un fait.

Pourtant, les (plus ou moins) récentes études dressent un bilan contraire à l’image véhiculée

de cette jeunesse, loin d’être égoïste, indécise et incapable de se prendre en main. Pire encore,

si l’on s’intéresse aux causes de ce statut peu enviable, force est de constater qu’en plus d’être

infondées, elles résultent majoritairement du contexte difficile dans lequel les jeunes évoluent.

Autrement dit, si les jeunes ont une si piètre image en matière d’engagement, c’est faute de

revendiquer le changement. Laissés pour compte de la politique depuis trop longtemps, les

jeunes se sont progressivement tournés vers un engagement plus direct, en évitant

l’intermédiation électorale, jugée contre-productive. En désacralisant le vote, en privilégiant

des outils de participation alternatifs, ceux-ci ont bouleversé les principes de l’engagement

historique. « Le vote n’est plus un devoir mais un droit » disait P.B, évoquant

l’individualisation de la société et la baisse des obligations citoyennes. Fondamentalement, ce

qui a changé est la forme même de l’engagement, notamment dans sa profondeur et sa durée.

Si autrefois, on s’engageait au sein de partis et on votait par idéal politique, ce n’est guère le

cas aujourd’hui. Plus ponctuel, plus critique, l’engagement est un processus tout aussi réfléchi

qu’il est fragile, d’autant qu’il ne semble pas rassurer le système dans son ensemble. Cette

angoisse, aussi malvenue soit-elle, traduit de réelles craintes par rapport au devenir des

jeunes, et donc de la société. Quand une société regarde ce qu’elle considère être sa jeunesse,

c’est le visage le visage de l’avenir qu’elle souhaite voir à travers elle. On peut donc excuser

le blocage des institutions à tolérer le changement politique, bien que là encore, il s’agisse

d’un conservatisme néfaste pour l’évolution de la démocratie.

La jeunesse est une priorité politique depuis que les jeunes sont considérés comme un groupe

social à part entière ; et c’est bien le problème. En considérant les jeunes comme un seul et

même bloc, les politiques publiques se sont heurtées à des échecs cuisants, sans toutefois se

remettre en question dans leur approche. Standardisées, déconnectées des réalités, les

politiques publiques en direction de la jeunesse ne pouvaient être qu’insatisfaisantes. Une fois

tombés dans les pièges de l’essentialisme, l’amalgame était ancré et ne s’est ainsi jamais

effacé. Tributaire de cette méprise, l’opinion s’est rapidement rangée derrière ce rapport

Page 26: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

distendu, en gardant à l’esprit une vision biaisée d’un groupe qui n’en était pas un. Très

différents d’un sous-groupe à l’autre, les jeunes Français (comme beaucoup d’autres) vivent

des situations complètement opposées, bien qu’ils subissent globalement les mêmes maux.

Ces situations divergentes entraînent des rapports à la politique qui le sont tout autant, et qui

demandent conséquemment des réponses différentes, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Après avoir fait l’objet de mauvais choix politiques leur étant destinés, ils sont aujourd’hui

blâmés de subir les externalités ayant (en partie) trait à ces choix.

En dehors de ce blocage purement politique, il se pourrait que les médias aient joué un rôle

dans la diffusion de cette image négative. « Les jeunes ont une image négative en politique

car ils ont mauvaise image tout court. La jeunesse est considérée comme dangereuse »

affirmait P.C (Front de Gauche). Forts d’un statut désabusé, c’est pourtant une image rebelle

et négative qui continue de coller au pseudo-groupe des jeunes. Sans rentrer dans le débat de

l’influence des médias sur l’opinion, la question n’en est pas moins actuelle. Instigateurs de

concepts vendeurs comme la fameuse génération Y, les médias ont contribué et continuent de

nuire à l’image des jeunes. « Est-ce qu’on lit dans la presse : pourquoi les quadragénaires ne

votent plus ? Les quinquagénaires sont-ils dépolitisés ? Non, alors que l’interrogation est

grande chez les jeunes ». Bouc émissaires d’une société en berne, les jeunes sont un sujet de

prédilection, notamment dans leurs travers. Diabolisés pour les bienfaits de l’audimat, les

jeunes font l’objet d’un étiquetage, celui d’un sous-groupe social uniformément perdu.

c) De nouvelles voix... sur la bonne voie ?

Eloignés des méthodes traditionnelles, les jeunes citoyens nationaux n’en délaissent pas la

politique pour autant. Face à l’opacité du système et à la faible place accordée à leurs

revendications, beaucoup se sont essayés à des outils participatifs moins institutionnels. Dans

une optique de protestation mais aussi d’ouverture aux plus vastes sujets, la jeunesse s’est

improvisée comme nouvel acteur, comme contre-pouvoir grandissant. Manifestations,

pétitions en lignes, collectifs indépendants, la palette participative offre de nombreuses

possibilités d’engagement, sans revêtir les contraintes partisanes habituelles. Plus libres dans

leurs actions, plus impliqués dans les décisions, plus décisifs dans les résultats, les jeunes

adhèrent plus facilement à ces outils, bien loin des logiques traditionnelles. « La conscience

politique s'accroît notamment grâce à la profusion d'informations. Se rassembler pour lutter

en faveur du maintien de nos acquis sociaux et sociétaux ou bien pour leur changement est

Page 27: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

devenu un moyen de se faire entendre » affirmait L.R (Parti Radical de Gauche), évoquant

l’intérêt croissant pour des thématiques moins « politiques ».

Ces dernières décennies ont en effet vu émerger un certain nombre de sujets propres à

l’humanitaire ou encore à l’environnement. Tribut direct de la mondialisation et de l’essor des

réseaux sociaux, ceux-ci ont en tout état de cause trouvé écho au sein des formes

d’engagement décrites, en faisant dès lors des sujets politiques. Mais n’étaient-ils pas déjà des

sujets des politiques ? Bien entendu qu’ils l’étaient et qu’ils le sont, tout en étant des

considérations de second ordre. Le fait que d’autres acteurs s’en chargent est donc censé être

une chose positive, sauf que cette délégation peut parfois être à l’origine de quelques

désagréments pour les politiques, comme le rappelait F.P. « S’il y a de plus en plus de

considérations sociales, environnementales et humanitaires, c’est pour la même raison qu’il y

a quarante-cinq ans, nous nous sommes battus en premier lieu pour des considérations

morales. On voulait réformer la morale liée à la façon de vivre, car on ne supportait pas le

carcan dans lequel on était ». En lâchant du lest à des acteurs externes, le système politique

s’est exposé à des retombées protestataires, peu prévisibles et difficilement contrôlables.

Pouvoir politico-social, certes, lesdits mouvements alternatifs n’ont pas vocation à infléchir

toutes les décisions inconvenantes à l’égard de certaines situations. Très variable, leur

efficacité ne saurait être analysée, tant elle dépend d’une multitude de facteurs. On pourrait

souligner les grands rassemblements de ces dernières années, comme pour le Contrat

Première Embauche en 2006 ou encore dans le cadre du Mariage Pour Tous plus récemment.

Des mouvements de grande ampleur, ayant fait intervenir une multitude d’acteurs, mais ayant

surtout contribué à une prise en compte des revendications par le gouvernement. A l’inverse,

si les deux cas cités ci-dessus sont des modèles, c’est sans doute car ils divergent des

nombreux échecs essuyés par des tentatives de même ordre. Selon T.V (MRJC), cette

dimension aléatoire est une constante des mouvements sociaux, dans la mesure où ils ne

répondent pas à une logique systémique. « C’est le propre de tout mouvement social de

fonctionner ou pas. Il n’y a pas de logique systémique dans ces mouvements parce que ce

n’est pas organisé ni pensé pour ça ».

Si tous s’accordent à considérer la place de l’engagement alternatif, la tendance est plus à la

perplexité qu’à l’enthousiasme. L’importance des nouvelles formes de participation citoyenne

n’étant plus à démontrer, leur légitimation constitue la prochaine étape démocratique, si tant

est qu’elle intervienne... En matière de sciences sociales, qui plus est politiques, l’avenir une

variable des plus hypothétiques, ce qui rend son analyse quasi-impossible. En revanche, en

Page 28: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

ajoutant au constat actuel un certain nombre d’avancées escomptées, il devient possible

d’indexer les voies à emprunter pour optimiser l’engagement actuel. Au jeu des perspectives,

autant dire que les avis sont assez variés, même si l’on parvient à dégager des tendances

globales, tributaires pour la plupart des pouvoirs institutionnels.

Le premier constat est assez révélateur des responsabilités de chacune des parties (le système

politique et les jeunes), dans la mesure où il décharge la jeunesse de la difficulté du système

actuel à les intégrer. Ceux qui criaient au désintérêt et au rejet de la politique par les jeunes

sont bien conscient aujourd’hui qu’il n’en est rien, et pourtant, le fonctionnement

institutionnel n’a pas été remis en cause. La politique demeure une préoccupation importante

pour les jeunes, c’est un fait. La seule différence est que leur manière d’y contribuer a évolué,

sans trouver de contrepartie structurelle, leur permettant de valoriser cet engagement. C’est

d’ailleurs en ce sens que les pistes évoquées trouvaient leur point d’entrée, avec la

réévaluation du fonctionnement institutionnel actuel.

Attribuer le revers de la participation aux politiques n’est sans doute pas totalement faux, mais

paradoxalement, pas totalement vrai non plus. Le lien de causalité n’étant pas évident,

plusieurs façons de penser s’opposent, d’aucuns considérant la rupture comme nécessaire,

d’autres envisageant un ajustement progressif entre l’alternatif et l’institutionnel. Plus

concrètement, de l’extension de la participation à la révolution, en passant par la

reconsidération des institutions, la viabilisation de l’engagement dispose de portes d’entrées

variées à moyen terme. Plus ou moins solvable, la problématique demeure en tout cas ouverte

au débat, au vu de la variété de réponses ayant été apportées par les répondants.

Comme mentionné plus tôt, si l’engagement est aujourd’hui un problème, il s’agit

partiellement d’une conséquence de l’inefficacité des politiques dirigées vers les jeunes. En

ciblant mal les jeunes et leurs situations, les mesures prises ne pouvaient espérer avoir un

quelconque impact. Désormais que les jeunes ont un nouveau rapport à la politique, la

question de la viabilisation de celui-ci devient indispensable. Première dimension évoquée par

les sondés ; la participation. S’ils ne votent pas suffisamment, leur avis est d’autant plus

important qu’ils sont révoltés par leur situation économique et sociale.

Dans ce contexte, l’instauration d’espaces d’échange et de débat semble être une première

option, satisfaisante à la fois pour les politiques que pour les jeunes citoyens. En plus de

renforcer la dimension traditionnelle de la participation, elle inciterait également les jeunes à

donner leur avis dans un cadre autre que le cadre partisan. Dans le même esprit, la mise en

Page 29: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

avant d’acteurs externes sur la scène politique a régulièrement été évoquée. Considérant le

manque de confiance relatif aux instances traditionnelles, il s’agirait d’une convention viable,

plus proche des méthodes traditionnelles et plus neutre. Néanmoins, si le compromis est

salutaire pour certains, il s’agit d’une équation impossible pour d’autres. La politique, affaire

de décision est par extension un domaine de pouvoir, or les élus n’auraient aucun intérêt à ce

que les choses changent. Sans volonté apparente de la part des instances dirigeantes, le

changement ne pourrait intervenir que par la base, et de manière plus brutale selon P.C : « La

solution, c’est la révolution ». Tant que le rapport de force est déséquilibré, aucun

changement structurel n’interviendra, sauf en cas de mobilisation sociale conséquente. Un mal

pour un bien, c’est visiblement ce que semblent penser certains répondants, désireux de

dépasser les cadres préétablis, en mettant fin à une rupture, jugée évitable.

Page 30: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Petites mesures ou grands projets ?

Aussi basique puisse-t-il paraître, le sujet de la viabilisation de l’engagement des jeunes reste

complexe, considérant le déséquilibre du rapport de force entre les décideurs et les citoyens.

Avec une volonté de changement douteuse d’un côté et maladroite de l’autre, la probabilité

de trouver une situation optimisée paraît limitée, mais envisageable.

Le futur, incertain par définition, est une des principales préoccupations de toute action

présente. Cela est encore plus vrai en politique, puisque la connaissance des tendances à venir

est la base de toute orientation prise. Gage de difficulté, cette science inexacte est souvent

approximative, à en juger les nombreux échecs essuyés, notamment depuis que la crise s’en

est mêlée. Particulièrement virulente d’un point de vue socio-économique, elle a concouru à

complexifier les rapports entre les jeunes citoyens et les voies institutionnelles. Désabusés par

un contexte dégradé, ceux-ci n’hésitent plus à critiquer et s’engager selon des schémas

alternatifs. Une solution transitoire, ni satisfaisante pour eux, ni pour les représentants.

L’étude menée autour de la viabilisation de la participation des jeunes a permis de dégager

certaines pistes de réflexion et d’action. Inscrites dans une temporalité de moyen terme, elles

ont été recoupées au travers de plusieurs scénarii, eux-mêmes divergents les uns des autres par

leur mise en place. Ainsi, les mesures proposées suivent une logique précise, en fonction de

leur simplicité et de leur probabilité d’instauration, tenant compte du paysage politique actuel

et de l’évolution escomptée de la société. De la meilleure appréhension des besoins au

basculement institutionnel, elles couvrent une large palette de potentialités et d’outils, faisant

intervenir les tenants et les aboutissants légitimes du secteur.

Il est important de considérer ces changements hypothétiques sous un angle pratique, en tant

que moyens en vue d’une fin. La politique - contrairement à ce qu’elle laisse paraître - n’est

pas une affaire de théorie ; elle est au cœur de l’action, ce qui rend son analyse fortement

dépendante de conjonctures et tournants spécifiques. Il ne serait pas inconcevable qu’aucune

des idées proposées n’aboutisse, ce qui traduirait paradoxalement l’intérêt de le traiter, dans la

mesure où cela en montrerait les limites. Avec plus d’optimisme, il semble tout de même

probable que certains changements interviennent au cours des prochaines années, ou alors

qu’ils soient intégrés dans les débats nationaux, quelle qu’en soit la manière.

Page 31: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

1) Principe 1 : Revoir ses bases...

Depuis que la question jeune a émergé, force est de constater que les réponses apportées

ont été plutôt limitées, voire inefficaces. En considérant les jeunes comme un seul et même

groupe social, le ciblage et la pertinence des mesures adoptées a été le reflet de la non-

connaissance des besoins réels. La difficulté de penser les jeunes et la politique consiste dans

un premier à temps à les considérer dans l’espace public. Bien loin des idées préconçues à

leur sujet, les jeunes français ont autant de profils qu’il y a de situations sociales. Une donne

qui n’est pas (assez) considérée pour pouvoir espérer améliorer leur situation, que ce soit en

matière d’éducation, de logement ou d’emploi. Cette période d’insécurité sociale, inégalement

vécue par chacun selon des critères variés (qualification, origine...) aurait dû être passée au

crible, ce qui n’a, là encore, pas été le cas. Entre dépendance, émancipation et établissement,

les phases de vie spécifiques aux jeunes traduisent une multitude de réalités, bien loin de

l’image qui leur est régulièrement associée. Prendre en compte ces divergences serait une

étape préliminaire à la résolution de certains problèmes récurrents chez les jeunes.

Sans lien évident avec la participation politique, cette résolution en serait toutefois un pilier,

dans la mesure où la transformation de l’engagement résulte en partie d’une protestation des

conditions sociales et économiques. En apportant des réponses efficientes à des situations

précises, les jeunes s’éloigneraient de ladite impression de crise de résultats, et retrouveraient

la confiance qu’ils n’avaient plus à l’égard de leurs représentants. Néanmoins, l’élaboration

de politiques spécifiques de jeunesse ne serait efficace que si elle entrait dans le cadre d’un

projet de grande envergure. Beaucoup considèrent que l’une des difficultés majeures dans la

réussite de projets politiques est à lier à l’alternance politique, notamment en ce qui concerne

les grands chantiers sociaux. Au détriment des traditionnelles mesurettes adoptées ici et là,

l’ancrage d’un projet solide encouragerait la poursuite des changements entamés, tout autant

qu’ils traduiraient une stabilité pour les jeunes.

Plus qu’un équilibre, cette mesure induirait par extension un retour participatif des jeunes ; un

simple gage d’agrément (ou non) aux décisions soutenues. A force d’entendre que les jeunes

ne participent pas, qu’ils n’éprouvent pas d’intérêt pour la politique, le mensonge devient

prophétie auto-réalisatrice. Pourquoi irai-je voter si tous mes pairs ne le font pas ? Il est un

principe basique de management qui affirme que c’est en donnant de l’importance à une

personne qu’elle le devient. Dire la vérité à la jeunesse - autrement dit qu’elle s’intéresse à la

politique et qu’elle participe - contribuerait certainement à la rapprocher de l’engagement, et

Page 32: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

possiblement aux formes de participation les plus traditionnelles. C’est donc un travail de

fond sur l’image véhiculée des jeunes qui serait à entamer au plus vite, les mœurs prenant un

certain temps à évoluer. On pourrait évidemment souligner la responsabilité des médias dans

ce carcan, ayant volontairement utilisé des maux isolés pour en faire ses choux gras, mais ce

n’est pas le sujet, du moins pas directement. L’uniformisation de l’image du ‘’jeune’’ n’est

certes pas nouvelle, mais elle n’en est pas moins biaisée et néfaste.

Et si une avancée est nécessaire pour redorer le blason de la voie politique, les méthodes

employées pour y parvenir s’apparentent plutôt à un pas en arrière. Annoncé il y a peu, le

service civique a de nouveau été remanié par François Hollande. Instauré sous l’égide de son

prédécesseur, ce substitut amélioré du service militaire avait pour vocation de redonner un

intérêt à la notion de civisme. Fort de ses 85 000 bénéficiaires en cinq ans, le bilan du service

civique ne saurait être considéré comme un flop, excepté si l’on y regarde de plus près.

Rémunéré et donc coûteux, limité et donc peu impactant, le service civique - en ne ciblant que

des volontaires - n’a servi qu’à prêcher une minorité déjà convaincue. Sans doute plus

intéressés par les 573 euros mensuels que par les travaux d’intérêt général, les quelques

dizaines de milliers de jeunes y ayant pris part ne sauraient représenter une quelconque

efficacité de ce dispositif. Fier d’avoir soit disant redonné un sens à l’engagement, la seule

chose que le gouvernement ait faite a été de renommer le contrat emploi jeune…

Le pays des droits de l’homme serait réduit à commissionner ses jeunes citoyens pour qu’ils

prennent part au civisme ; triste constat. Au lieu de procéder de cette façon, pourquoi ne pas

réfléchir à des solutions respectables ? Pourquoi s’entêter à raviver des pratiques désuètes,

alors que la volonté d’engagement est ailleurs ? En faisant contre bonne fortune bon cœur, les

solutions viendraient d’elles-mêmes, à condition d’accepter de se remettre en question. Une

énième preuve du conservatisme français et a fortiori de l’incompréhension des modes

d’approche nécessaires pour cette cible.

Secondaire dans l’absolu, le mode d’approche est en réalité un des facteurs clés de succès

d’un renouveau relationnel. L’image que dégage la politique, en plus d’être inadéquate avec la

cible jeune est d’autant plus mal interprétée qu’elle renforce le sentiment d’élitisme autour de

cette sphère. En période de crise comme c’est actuellement le cas, les politiques n’ont pas

bonne presse, dans la mesure où ils endossent une part de responsabilité dans le contexte

national. En limitant les rapports politiques à leurs formes actuelles, les instances politiques

contribuent à accentuer la rupture avec la société civile, alors qu’il serait autrement plus aisé

de l’éviter. Le simple fait d’employer une charte sémantique et orale appropriée aux modes

Page 33: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

d’expression de la catégorie constituerait une porte d’entrée ingénieuse. L’humanisation, au

sens de vulgarisation de la politique, serait interprétée comme une avancée, car elle briserait

sa dimension inaccessible. Le message, quel qu’il soit, n’a pas de forme précise à adopter, du

moment que son contenu est viable et que la cible est réceptive. Le modeler en vue d’une

communication plus souple et plus dynamique ne le dévaloriserait en aucun cas, ce que

semblent pourtant penser les émetteurs. On ne minimisera pas les efforts qui ont d’ores et déjà

été entamés en la matière, mais ils restent indéniablement insuffisants.

Dans la lignée d’une meilleure connaissance de la physionomie de la catégorie sociale desdits

jeunes, l’élaboration de profils distinctifs serait un prérequis de taille. Puisque parler des

jeunes est aussi insensé que de parler des vieux, l’essentialisme devrait laisser place à

l’ouverture. Tout comme un employé n’a pas (forcément) les mêmes revenus qu’un cadre

supérieur, un étudiant ne sera pas sensible aux mêmes mesures qu’un jeune actif. En omettant

cette diversité d’attentes et de profils, aucune mesure ne saurait être optimisée, aussi réfléchie

soit elle. Sans jamais l’avouer, le gouvernement actuel (et ceux avant lui) ne se sont pas donné

les moyens de procéder à cette réflexion, preuve d’une paresse intellectuelle qu’ils paient

aujourd’hui. La tenue d’une nomenclature basée sur des critères économiques et sociaux

faciliterait la prise de décision et leur application, tout en marquant un point de repère pour les

principaux protagonistes, car c’est aussi l’objectif. En se situant par lui-même dans la société,

un jeune citoyen serait plus apte à chercher des solutions et surtout comprendre celles qui lui

sont proposées.

Le respect de mesures aussi élémentaires que celles-ci constituerait une avancée politique

remarquable. Sans demander la mise en œuvre de moyens colossaux, ni de bouleversements

structurels, ces ajustements de fond éviteraient une dégradation supplémentaire des relations

citoyennes et du pacte républicain.

2) Principe 2 : Envisager le compromis

Inaliénable par certains aspects, flexible par d’autres, la démocratie se doit d’évoluer de

pair avec la société qu’elle représente. Considérant la floraison de revendications

participatives, il paraîtrait logique que le système politique intègre les modifications

contemporaines de l’engagement. Trop désorganisés pour être légitimés, les flux de

participation citoyenne représentent toutefois des parties prenantes de la scène politique,

nécessitant en conséquence une réorganisation consensuelle. Point d’orgue de l’expression

Page 34: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

citoyenne, la dimension participative nécessite, pour être viabilisée, un réaménagement

structurel, entre optimisation des acquis et renouveau. Les structures institutionnelles n’ayant

plus la confiance qui caractérisait autrefois leur légitimité, elles ne sauraient matérialiser le

retour progressif de la participation des jeunes citoyens dans un futur proche. D’ailleurs,

même si elles le pouvaient, rien ne laisse penser qu’elles le feraient, puisqu’elles ne

permettent déjà pas aux jeunes de prendre part au débat.

Partant du constat que le désir d’engagement ne pourrait ni s’exprimer dans le cadre

traditionnel, ni au sein de mouvements inconventionnels, la jonction de ces deux dimensions

représenterait un consensus acceptable. A mi-chemin entre les entités traditionnelles et les

collectifs d’expression alternatifs, ces espaces d’échange et de discussion regrouperaient les

avantages de chaque partie, avec une attractivité renforcée pour les principaux protagonistes.

D’une part, ces espaces interstitiels pourraient fonctionner sur un modèle proche de celui des

institutions, spécialement dans le processus décisionnel et la composition interne. Un moindre

mal pour leur légitimation, étant donné la possible juxtaposition avec des structures plus

traditionnelles. D’autre part, un organe collégial composé de représentants (élus) et de jeunes

membres (sans fonction politique) apporterait une plus grande transparence dans la prise de

décision, en renforçant l’impression d’écoute de part et d’autre.

Sortir les responsables politiques de leur cadre formel aurait une symbolique forte, qui au

final, serait avantageuse pour eux, puisqu’ils obtiendraient l’écho souhaité auprès des jeunes,

sans devoir persévérer dans le jeu risqué de la sourde oreille. Sans réelle comparaison, ce

consensus reprend un projet de Daniel Cohn-Bendit, évoqué lors de son discours de fin de

mandat à la commission européenne. Très simplement, celui-ci arguait que l’Union

Européenne se porterait mieux, si chaque pays membre comblait ses faiblesses structurelles en

s’inspirant de ceux-qui s’en sortaient le mieux dans le domaine concerné. Il est évident que

cette démarche ne l’est pas, mais l’application de ce même processus à dimension réduite ne

serait pas incohérente, bien au contraire.

En restant sur cette dimension spatiale, les récents travaux menés autour de l’engagement

laissent penser que les jeunes citoyens éprouveraient des difficultés à valoriser certaines

échelles décisionnelles. Avec plus de 60% des jeunes votants ayant boycotté les élections

départementales de ce début d’année, la question de la mobilisation infranationale est loin

d’être résolue. Paradoxalement, les questions locales et ne sont pas en reste, à en juger par le

nombre de conseils de quartiers, collectifs régionaux et autres mouvements ayant obtenu la

faveur des jeunes Français. Intéressée mais réfractaire aux voies électorales, la jeunesse se

Page 35: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

perd en actions peu impactantes, alors que dans le même temps, leurs représentants se posent

les mauvaises questions. L’objectif étant ici de ramener les jeunes aux urnes, une étape

intermédiaire semble tout de même nécessaire ; celle de la refonte des instances participatives

à toutes les échelles.

Pour que la cible comprenne les différents enjeux de la décentralisation des décisions, il

faudrait simplifier les connexions existantes entre chaque niveau spatial, et inscrire les projets

sous un angle plus global. Autrement dit, il s’agirait de rattacher les besoins les plus proches

aux objectifs les plus éloignés, en les apposant d’une logique compréhensible par tous, en

valorisant chaque étape de l’engagement. Fastidieuse, il est vrai, cette pédagogie territoriale

est la base de la compréhension de l’engagement à tous les niveaux, et sous toutes ses formes.

Contrairement à ce qu’elles étaient il y a encore quelques décennies, les limites de la

collectivité se sont considérablement distendues sous l’effet de la mondialisation. Plus

proches de considérations globales, les jeunes citoyens se sont (de fait) éloignés des missions

originelles qui leur incombaient, dont l’engagement électoral. Aussi bien moyen que finalité,

le vote ne pourrait progresser que si chaque élection (de second ordre) représentait aux yeux

des votants, l’expression de la contribution à un projet concret.

N’en étant pas encore à ce stade, l’engagement ne pourrait toutefois se limiter à cette unique

facette qu’est la mobilisation. En boudant les voies traditionnelles, beaucoup de jeunes

citoyens espèrent encore exprimer leur désaccord face à un système qui ne les implique pas

suffisamment à leur goût. Contrariés par le sentiment de ne pas pouvoir influer sur des

décisions qui les affectent personnellement, ces derniers déplorent particulièrement leur non-

consultation au travers des différents process décisionnels. Il est vrai que - contrairement à ses

débuts - la démocratie est régie par un fonctionnement assez figé, dominé par une logique dite

de top/down, en référence au sens de prise des décisions.

Le pouvoir, concentré entre les mains du plus petit nombre, néglige trop souvent l’avis des

personnes qui subiront les externalités (positives ou non) des décisions prises. Sans émettre de

doute quant à un fonctionnement qui a fait ses preuves, on pourrait néanmoins espérer une

évolution convergente avec les expectations. Si, au lieu de persévérer systématiquement dans

une logique descendante (top/down), on privilégiait la logique inverse, il est probable que

l’efficacité n’en soit que plus grande. Qui plus est, cela constituerait une preuve

supplémentaire de considération des avis citoyens et de leurs attentes, au moins partiellement.

Page 36: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Le ton est critique mais nécessaire dans une optique d’amélioration de la participation des

jeunes citoyens. Il serait inexact de dire que la jeunesse (et le peuple plus généralement) ne

sont pas écoutés, puisque que c’est l’essence même de la démocratie. Par le biais du vote, ou

plus ponctuellement de référendums, les citoyens sont appelés à s’exprimer sur des questions

politiques, relativement proches de leurs situations. En revanche, si le vote ne laisse aucun

doute quant à sa mise en application, le constat est loin d’être aussi évident selon les formes

de consultation. Ce fut le cas lors du référendum de 2005 visant l’adoption de la constitution

européenne, durant lequel les Français s’étaient montrés opposés à ce projet (55%). Un non

massif, considéré comme ‘’nul et non avenu’’ en 2008, le projet ayant été ratifié par les

dirigeants de l’époque, considérant le Traité de Lisbonne primordial dans la construction de

l’Union Européenne. Plus récemment, et dans un tout autre registre, le chef du gouvernement,

Manuel Valls a ressorti l’article 49-3 de la constitution, afin de boycotter le vote des députés

à propos de la loi Macron. Une manœuvre qui ne concerne en rien les jeunes citoyens, mais

qui révèle une fois encore, l’existence de passe-droits, dans des situations où les décideurs (ici

les députés) pourraient aller à l’encontre des scénarii envisagés par les élus.

Pas de solution miracle dans ces circonstances, mais de possibles aménagements, comme le

respect inconditionnel des avis, surtout quand ils ont été demandés. Que les voix citoyennes

ne trouvent pas toujours de résonance est une chose, mais qu’elles soient volontairement

évincées en est une autre. Sommer les représentants et institutions de respecter leurs propres

règles serait certainement un bon début, la question ne devant même pas se poser. Les jeunes

n’étant pas spécialement confiants envers leurs représentants, une écoute proactive de ces

derniers permettrait de ne pas accentuer une rupture déjà consommée.

Et si les jeunes constatent un manque de mécanismes de conciliation, l’état se défend de son

côté de promouvoir la participation. A coup de campagnes promotionnelles et de discours

solennels, les responsables politiques s’essaient ponctuellement à des appels généralisés à

l’initiative. Relativement rares, ces démarches ne sauraient être représentatives, tant elles sont

limitées et peu parlantes. Maladroites et peu aguicheuses, ces tentatives ne représentent pas

des méthodes efficaces, car trop formelles et déconnectées des mouvements de jeunesse. Non

reconnus, non entendus, ils matérialisent pourtant des idées et projets méritant réflexion, ou

du moins considération. Qu’elles soient politisées ou non, les organisations de jeunesse

permettent aux jeunes de s’insérer dans le débat public, sur des questions diverses mais

actuelles.

Page 37: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Favoriser les initiatives de ce type aurait plusieurs types de retombées positives sur

l’engagement. Premièrement, elles encourageraient plus de jeunes à intégrer et ériger ces

mouvements de second ordre. Une responsabilisation fondamentale à court terme, pour

relancer la dynamique participative, mais aussi à moyen et long termes, dans une logique de

responsabilisation des futurs décideurs. Secondement, la reconnaissance et l’accompagnement

de mouvements jeunes pourrait contribuer à un meilleur encadrement de l’engagement, sous

réserve d’un suivi optimal. Autrement dit, en encourageant certaines organisations à évoluer

dans un sens institutionnel, il serait plus aisé pour les acteurs politiques d’avoir ‘’la

mainmise’’ sur un flux de participation qu’ils ne contrôlent pas encore. A première vue, cela

pourrait s’apparenter à un leurre politique, mais quand bien même c’en eu été un, les jeunes

n’y verraient que du feu, à condition qu’ils aient l’impression de garder le contrôle de ces

mouvements.

Le but n’est évidemment pas que ces mouvements perdent leur indépendance mais qu’ils

revêtent un caractère plus réglementaire, afin que des revendications - qui d’ordinaire

restaient vaines - soient portées au plus haut niveau. Se posent alors les questions de

l’encadrement et de la régulation de ces mouvements, sachant que ces initiatives doivent

rester sous la coupe de jeunes, mais dans le même temps être approuvées par le système. Un

équilibre fragile en matière de gouvernance, qui devra nécessairement favoriser les idées au

statut, sous peine de perte d’attrait auprès des jeunes citoyens français.

Sans sortir du cadre traditionnel de la politique mais en étendant son champ d’application à

la jeunesse, l’incompréhension mutuelle qui prédomine sur les relations bilatérales pourrait

s’amenuiser. Cela nécessite un léger effort organisationnel, mais le passage de spectatrice à

actrice constitue pour la jeunesse, la condition sine qua non à une implication

conventionnelle.

3) Principe 3 : Valoriser le renouveau

Considéré comme salutaire pour certains, dangereux pour d’autres, le dépassement des

cadres institutionnels symbolise la promesse d’un renouveau politique pour les jeunes

citoyens français. Inconcevable il y a peu, ce déblocage s’est imposé depuis quelques années

comme substitut à une crise qui n’en est plus une et comme tribune pour des citoyens déçus.

Dans ce contexte, toutes les institutions, tous les acteurs politiques et leurs outils sont passés

au crible et remis en question, du fait de leur inadéquation à l’évolution de la société.

Page 38: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

En première ligne des obstacles structurels à une évolution conjointe de la politique et de la

sphère socioéconomique, les institutions. Surannées, opaques, ces organisations sont en frein

dans la mesure où elles sont par définition stables dans le temps. Si elles assurent l’intégrité et

l’immuabilité de la démocratie, elles entérinent parallèlement les doutes quant à leur

fonctionnement. Un risque qu’elles sont tout de même prêtes à prendre, car leur remise en

question en traduirait une plus profonde ; celle de la constitution française. Dans l’hypothèse

actuelle, les modifications apportées n’auraient pas cet objectif, bien qu’elles y

contribueraient dans une certaine mesure. Plus concrètement, il s’agirait d’intégrer les jeunes

citoyens dans les instances décisionnelles, en leur permettant de prendre part aux décisions les

plus importantes. L’exemple le plus parlant à ce niveau - et possiblement le seul - est la

participation de certains citoyens aux délibérations pénales. Tirés au sort, ces derniers

s’improvisent jurés, le temps d’une affaire, et deviennent décideurs sur des questions légales.

Sans avoir les qualifications ni le statut associé à cette fonction, des citoyens quelconques sont

écoutés et endossent des responsabilités importantes, car c’est aussi une caractéristique de la

démocratie. A l’image de ce système (le tirage au sort), les jeunes pourraient être convoqués

sur des thématiques plus diverses de manière régulière. Au-delà du fait qu’ils seraient

responsabilisés, les jeunes retrouveraient un semblant de confiance dans les institutions qui

régissent leur société.

Si l’on va au bout de cette logique, la possibilité d’intégrer des acteurs externes aux

institutions dans le cadre de missions régulières paraît concevable. La consultation de jeunes

(et/ou de représentants de collectifs jeunes) sur des questions qui entrent dans le cadre de leurs

problématiques est d’autant plus logique que leur contribution sera utile. Plus impliqués et

plus aptes à participer, ces mandataires de la jeunesse deviendraient des acteurs à part entière,

en plus du rôle d’ambassadeur qu’ils joueraient au sein de leurs organisations et plus

largement dans la société. Avantage majeur de cette intégration de jeunes engagés, ceux-ci

deviendraient systématiquement des ambassadeurs de la politique auprès de leurs pairs. Plus

proches d’eux, plus crédibles que les représentants, ils prêcheraient la bonne parole en lieu et

place de ceux qui n’ont hélas, jamais su le faire...

Hors institutions, d’autres acteurs majeurs ne sauraient s’exempter de toute responsabilité

dans l’altération de l’engagement jeune ; c’est le cas des partis politiques. Considérés comme

symboles majeurs de l’engagement politique il y a quelques décennies, les partis français ne

pourraient aujourd’hui s’enorgueillir d’avoir préservé leur statut. Alors que les principaux

partis (PS et UMP) ne recueillent plus que 30% à 40% de confiance chez les citoyens, il est

Page 39: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

sans doute temps de se poser les bonnes questions, notamment sur le fond. Le changement de

nom envisagé dernièrement par l’UMP s’inscrit partiellement dans cette optique, mais reste

très limité au vu des réformes qui pourraient réellement sauver la forme partisane. Bornés par

des valeurs et lignes de conduite centenaires, les principaux partis politiques ne sont plus en

phase avec la société qu’ils défendent. On peut donc comprendre qu’ils peinent à retrouver de

leur aura, sans compter qu’ils sont associés à l’échec de la résolution de la crise. Inefficaces

pour ne pas dire passives, les organisations partisanes ne rassurent plus, ce qui est directement

à relier à la crise de résultats dont elles font l’objet.

Dans les années à venir, les partis devront adopter un fonctionnement différent pour espérer

regagner en intérêt. En place et lieu d’une thématique centrale qui animait chaque parti

(l’environnement, le social ou encore le libéralisme), il conviendrait d’adopter des idéaux plus

neutres, en s’attachant à promouvoir des domaines divers. Autrement dit, le parti politique

deviendrait une sorte de mécanisme de jonction entre diverses causes, et s’apparenterait plus à

un animateur de réseau qu’à une faction. Véritable liant entre différentes thématiques, il ne

serait plus porteur d’un programme politique, mais vecteur de rassemblement autour de sujets

de société variés. En réponse à un engagement plus ponctuel, ce fonctionnement aurait

l’avantage de toucher les jeunes selon les problématiques qu’ils défendent. Plus proche des

préoccupations des jeunes, l’image des partis et des représentants seraient ainsi modernisée.

Il faut dire que si les partis sont en proie à la désaffiliation, c’est en grande partie à cause de

leurs représentants. Barrière liée aux résultats d’une part, mais aussi et surtout à la personne

des représentants. Comme mentionné plus tôt dans ce rapport, les élus Français ont la

moyenne d’âge la plus élevée d’Europe, que ce soit dans les partis ou à l’Assemblé Nationale.

Faute de barrières structurelles à l’entrée, faute de professionnalisation de la politique, le fait

est que la rupture est belle et bien là. Dans un souci de représentativité, le corps électoral

devrait être réoxygéné, afin que les citoyens - particulièrement les plus jeunes - n’aient pas

l’impression d’avoir toujours les mêmes représentants.

En limitant l’accès aux fonctions les plus hautes, les politiques ont bloqué l’afflux de

nouveaux talents, et conséquemment le renouvellement de toute une classe politique. Un

blocage qui a amplifié la dimension élitiste de l’exercice de la politique, en faisant de la

participation ce qu’elle est devenue... Le renouvellement de cette caste sera indispensable à

court ou moyen terme, étant donné qu’il s’agit du prérequis à la progression du système tout

entier. Quoi que l’on puisse espérer, l’inexistence d’une volonté convergente avec les idées

populaires bloquera toute évolution démocratique. Il faut souligner que la plupart des

Page 40: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

représentants actuels n’ont aucun intérêt à ce que les fonctionnements changent, ce qui

traduirait pour eux une prise de risque personnelle et dangereuse.

Bien que ce ne soit pas une panacée universelle, la lutte contre le non-cumul des mandats

permettrait de redynamiser le paysage politique français. Une manière de libérer de nombreux

postes occupés par les mêmes personnes, mais aussi d’encourager les initiatives jeunes,

encore opprimées par les difficultés à s’insérer en politique. Ce projet de non-cumul des

mandats est encore plus essentiel si on considère une double interdiction, à savoir dans le

nombre et dans le temps. Dans le premier cas, l’augmentation du nombre de places

disponibles entraînerait une multiplication du nombre de candidatures. En effet, plus les

postes pourvus seront nombreux, plus l’impression de pouvoir y accéder sera grande pour les

jeunes, ce qui fera émerger une évolution non-proportionnelle du nombre de vocations. Dans

le second cas, la limitation du nombre de mandats dans le temps réaffirmerait le caractère

missionnaire de l’engagement. La politique se doit de rester une mission, temporelle et

évaluable. Une fois cette mission remplie, ou à plus forte raison échouée, il n’y a aucune

raison pour que l’élu maintienne ses fonctions, sachant qu’il est censé avoir œuvré dans un

sens bien précis. Les jeunes citoyens seront plus touchés que le reste de la population par ces

modifications, dans la mesure où leur situation professionnelle leur permet bien souvent une

marge de manœuvre plus importante. Aussi, il est essentiel de garder à l’esprit qu’un jeune

convaincu suffisamment tôt par l’engagement le restera sans doute de manière durable.

Les problèmes d’image et de process évoqués ci-dessus sont avérés mais pas insurmontables,

pour peu qu’ils soient accompagnés d’une reconsidération des outils politiques basiques. A

commencer par le plus symbolique d’entre eux : le vote. Relativement boycotté et de plus en

plus questionné par la jeunesse, le vote mériterait un certain nombre d’aménagements,

particulièrement au niveau des démarches y étant relatives. Pour qu’il ne soit plus considéré

comme une contrainte administrative, il suffirait dans un premier de simplifier l’inscription

sur les listes électorales. Certains états, très intelligemment, autorisent l’inscription le jour

même du vote, afin que le plus grand nombre puisse s’exprimer, sans qu’aucune lourdeur

administrative ne vienne perturber leur élan citoyen.

L’appliquer en France serait une avancée conséquente, sachant que l’inscription est requise

plusieurs mois avant la tenue d’une élection. Il est évident que sans être plongé dans un

contexte électoral, l’ardeur citoyenne sera plus chétive qu’en période de campagne, surtout

chez les plus jeunes citoyens. A noter que si certains envisagent la mise en application d’un

vote obligatoire, il se pourrait que cette solution n’en soit pas une, dans la mesure où elle

Page 41: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

renforcerait le sentiment d’oppression chez les jeunes. La participation, pour être viable, ne

peut s’exprimer que par une volonté bilatérale, et rendre le vote obligatoire exposerait la

démocratie à un rejet encore plus grand de la part des jeunes. Au risque de se répéter, la forme

est une donnée très importante dans la construction de relations solides avec les jeunes

citoyens.

C’est d’ailleurs l’objet d’un profond bouleversement à opérer, en rapport aux voies de

communication employées. L’un des principaux gages d’échec du système politique dans leur

rapport au jeune est l’incapacité à aller sur le terrain des jeunes. Au lieu de s’entêter à défier

l’évolution des modes de communication et persévérer dans la construction de relations

traditionnelles, l’acceptation de nouveaux supports auraient un impact direct sur

l’engagement. Très engagés sur les réseaux sociaux, les jeunes citoyens recourent à des

canaux plus virtuels pour exprimer leurs opinions politiques. Plus viraux, plus directs, ces

supports correspondent parfaitement à la conception que les jeunes se font de l’engagement,

d’où la nécessité que les acteurs politiques les mettent à profit. Dans le cadre de projets

participatifs, à des fins électorales ou encore pour la diffusion d’idées, internet est devenu une

norme chez tous les citoyens, et plus particulièrement les jeunes. Ce domaine qu’ils maitrisent

et qui ne leur demanderait pas de réel effort participatif ouvrirait la voie à un engagement plus

régulier, sous des formes alternatives dans un premier temps. Une fois ces pratiques ancrées et

acceptées, la concrétisation de l’engagement serait une suite logique, aussi bien pour les

émetteurs de celles-ci (les institutions, partis et organismes divers) que pour leurs destinataires

(les jeunes citoyens).

Actuellement dans une phase transitoire, la société française évolue dans un entre-deux où le

changement n’est plus une option. Dans ce flou politico-social, l’enjeu ne réside plus tant

dans la conception d’une nouvelle donne que dans la manière d’y parvenir. Si la méthode

douce peut paraître souhaitable à prime abord, rien ne laisse penser qu’elle saura

s’imposer...

4) Principe 4 : Faire le pari de la stabilité

Sous ses airs de système inaliénable, le système démocratique n’est pas à l’abri d’une

remise en question plus brusque que ce dont elle fait présentement l’objet. L’histoire a montré

à maintes reprises que la stabilité n’était qu’une constante du changement, et qu’elle ne

représentait en aucun cas une fin en soi. Au regard des événements qui ont récemment

Page 42: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

bouleversé plusieurs pays européens dont la Grèce, les systèmes politiques les plus ancrés ont

été confrontés à leurs limites. Dans un contexte de crise amplifié, la société grecque s’est saisi

de son destin, portée par la montée en puissance d’un parti, Syriza. Lancé en 2004 et

représenté par Alexis Tsipras, ce mouvement secondaire de la scène politique locale s’est

nourri des revendications populaires et de l’immobilisme politique pour renverse l’ordre

établi.

Si la situation de la France ne pourrait être comparée à celle de son voisin grec, la percée d’un

acteur protestataire a concouru à renforcer l’idée selon laquelle la révolution citoyenne

pouvait matérialiser le changement tant attendu. Partant du constat que les intérêts nationaux

seraient relégués au second rang tant qu’aucune pression ne perturberait le fonctionnement

démocratique, les citoyens sont de plus en plus nombreux à identifier l’engagement à la

protestation. Peu intéressée par les raisons de la dégradation de sa situation, la jeunesse s’en

remet plutôt aux perspectives proposées par le gouvernement, visiblement insatisfaisantes,

comme l’attestent le chômage et le logement. Non opposés au compromis, les jeunes n’en

sont pas moins dubitatifs quant à la possibilité d’y parvenir, tant ils peinent à légitimer le

système qui les gouverne. A la fois membres passifs et opposants à leur propre gouvernement,

certains n’hésitent plus à envisager une rupture totale, considérant que le jeu en vaudrait la

chandelle.

Réaménagement constitutionnel pour les uns, nouveau régime républicain pour les autres,

l’idée d’une dislocation politique fait son chemin, bien qu’elle demeure encore vaporeuse à

bien des égards. Un climat de doute généralisé qui n’arrange personne, quoiqu’il justifie

partiellement le regain de popularité des partis d’extrême droite, dont le Front National. En

s’opposant fermement aux pouvoirs en place, le FN s’est modulé un point commun de taille

avec tous les citoyens, en endossant la promesse d’un nouveau visage politique. Sans que cela

n’évoque de relation évidente, force est de constater que le discours a trouvé écho auprès des

jeunes, puisque le parti de Marine Le Pen est actuellement le premier parti jeune de France...

L’octroi de crédibilité aux hypothèses avancées ne se fera qu’a posteriori, comme la politique

le veut. Le changement escompté n’interviendra peut-être pas, où alors plus tôt qu’on le

pense, sous des formes différentes. Ceci dit, le débat autour de l’engagement des jeunes

citoyens est à prendre en considération au plus haut niveau, puisque l’avenir démocratique en

dépendra d’une manière ou d’une autre. La conciliation entre le souhaitable et le réalisable

déterminera les bases de l’engagement futur, et par extension de la démocratie de demain.

Page 43: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Conclusion

Au-delà des orientations politiques, des idées reçues et des rapports de force,

l’engagement demeure la base de tout système démocratique. Contextuelle certes, la

participation politique des jeunes citoyens est aujourd’hui le symbole d’une errance

structurelle à laquelle la société tout entière est confrontée. Lasse d’un contexte en

dégradation progressive, la jeunesse française ne décolère pas, mettant à mal les fondements

mêmes de la démocratie. En contrepartie, la stratégie adoptée (par les pouvoirs en présence) a

été de ne pas en adopter, creusant un peu plus l’écart qui les séparait déjà de leurs publics.

Pour autant, si cette phase de tension transitoire est loin d’être idéale pour les jeunes, elle ne

l’est sans doute pas plus pour les représentants politiques. Ultimes défenseurs d’un système

criblé de failles, ils subissent tant bien que mal les assauts protestataires d’une jeunesse

perdue mais insurgée, ayant trouvé le moyen de se faire entendre hors des cadres

traditionnels. Vectrices d’incompréhension mutuelle, les formes alternatives d’engagement

matérialisent tout de même un flux citoyen entrant, d’où la nécessité de les canaliser et de les

viabiliser.

Essentielle dans l’évolution de la démocratie, la participation des jeunes citoyens posait de

fait la question de sa légitimité, en considération de sa forme actuelle. Conservateur pour ne

pas dire réfractaire au changement, le modèle français a eu - et a encore - beaucoup de mal à

intégrer cette participation atypique, bien loin des voies toutes tracées de l’engagement

traditionnel. Néanmoins, s’il n’est pas encore totalement accepté, l’engagement actuel des

jeunes citoyens est sujet à débat, dans la mesure où il n’évoluera certainement pas dans le sens

traditionnel, au grand dam des politiques actuels. C’est ce constat qui a justifié la

problématique de la viabilisation de l’exercice de la démocratie par les jeunes.

Les études menées dans ce sens avaient pour objectif primaire de comprendre les blocages

politiques nationaux, afin de faire émerger des pistes tangibles. Il s’agissait d’un préalable

essentiel à l’élaboration de solutions efficaces, à même de faire émerger des solutions à la fois

adaptées au fonctionnement politique et acceptables pour les jeunes. L’aboutissement du

travail de recherche s’est matérialisé sous la forme de plusieurs scénarii, classifiés selon leur

difficulté et leur probabilité d’implémentation. A la différence de solutions opérationnelles, il

faut bien comprendre que celles-ci seront dépendantes de l’évolution du paysage politique

national, et que leur forme resteront variable selon la nature du rapport de force.

Page 44: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Globalement, les résultats obtenus sont convergents, puisqu’ils déplorent l’enlisement de la

situation politique nationale, du fait de conditions économiques particulièrement défavorables

aux jeunes Français. Plus ou moins optimistes, les répondants arguent l’importance de

travailler à la mise en place de mécanismes de conciliation des divers acteurs politiques.

L’instauration de ces mécanismes revêtira diverses formes, puisqu’elle s’attachera à modeler

l’image des jeunes, reconsidérer les outils traditionnels et analyser les disfonctionnements

structurels. Par ailleurs, l’étude pointe le danger émanant de l’immobilisme politique qui, a

fortiori pourrait être l’élément déclencheur d’une rupture plus brutale avec les jeunes.

Si la problématique a été abordée sous tous les angles possibles, la réponse apportée ne peut

toutefois qu’être imparfaite. Non pas que les résultats soient biaisés, mais parce que la

viabilisation de l’exercice démocratique ne peut pas être anticipé avec certitude. Aussi, même

si un changement intervenait selon les modalités prévues, on ne saurait évaluer son impact

direct sur l’engagement, dans la mesure où il contribuerait à créer une nouvelle donne socio-

politique. En somme, il est très compliqué de prédire l’avenir politique français sous l’angle

de l’engagement jeune, puisque les facteurs entrant en ligne de compte sont trop nombreux.

Sans brûler les étapes, on peut néanmoins penser que l’engagement jeune prendra un autre

tournant en cas d’alternance politique aux prochaines élections présidentielles ; reste à savoir

dans quel sens...

« Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne vous prenne par la gorge »

Winston Churchill

Page 45: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Bibliographie

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(Broché), Paris, Max Milo

Page 46: Mémoire jeunesse et politique (version publique)

Comment appréhender l’engagement contemporain des jeunes citoyens français ?

Quelles sont les entraves à la légitimation des modes de participation qui sont les leurs ?

Portées par un contexte socioéconomique défavorable, les revendications des jeunes

citoyens ne cessent de matérialiser la fronde grandissante qui s’abat sur la sphère

politique française. Révoltée par des maux qui la dépassent, la jeunesse française se

heurte dans le même temps à la non-considération dont elle fait l’objet en politique.

Au détriment des outils participatifs traditionnels, des voies alternatives se sont

attribuées la faveur de cette pseudo-catégorie sociale, lui faisant dès lors endosser une

image biaisée de dépolitisation. Une situation aussi dangereuse qu’offensante, sachant

que la rupture avec les politiques est déjà consommée.

La présente étude s’est attelée à penser la viabilisation de l’engagement politique des

jeunes citoyens. Applicables à moyen terme, les pistes de réflexion proposées pourraient

contribuer à faire évoluer l’exercice démocratique, c’est du moins tout leur intérêt...