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MEMOIRE DE RECHERCHE Pour l’obtention du Master II
Comptabilité Contrôle Audit voie Recherche
Année universitaire 2011-2012
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions
institutionnelles et jeu des acteurs
Frédérique LETORT Master 2 Mention Finance Comptabilité Contrôle, Spécialité Comptabilité Contrôle Audit Directrice de recherche : Mme Dominique BESSIRE, Professeur en Sciences de Gestion
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 2
- REMERCIEMENTS -
La rédaction de ce mémoire n'aurait pas été possible sans le soutien et les conseils de Mme
Dominique Bessire, ma directrice de recherche. Qu'elle en soit vivement remerciée.
Je remercie également l'ensemble de l'équipe pédagogique du Master 2 Recherche, grâce à
laquelle cette année de formation s'est révélée extrêmement enrichissante.
Je souhaiterais aussi remercier Pascal Fabre, Professeur en Sciences de Gestion, qui m'a incité
à m'engager dans la voie de la recherche, et dont l'aide et les conseils se sont révélés précieux
dans l'élaboration de ce mémoire.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 3
- TABLE DES MATIERES -
INTRODUCTION .................................................................................................................... 5
I. Les raisons de l'intérêt porté à la comptabilité de gestion dans les communes : la
prégnance d'un contexte idéologique .................................................................................... 15
A. La remise en cause de l'Etat-Providence : de la théorie des choix publics au New Public
Management ........................................................................................................................ 16
1. Les prémices : la théorie des choix publics.............................................................. 16
2. Le New Public Management : l’expression de la crise de légitimité des
organisations publiques................................................................................................ 20
B. L'émergence d'un isomorphisme institutionnel : l'idéal-type de l'organisation publique
efficace et efficiente............................................................................................................. 30
1. Le managérialisme : une demande croissante d'outils de gestion............................ 30
2. La performance : le nouvel objectif "imposé" des organisations publiques............ 40
II. De l'adoption à l'appropriation de la comptabil ité de gestion dans les communes : les
contraintes du terrain ............................................................................................................ 50
A. La transposition d'un outil de gestion du secteur privé au secteur public : des objectifs
particuliers dans un contexte spécifique............................................................................... 51
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1. La comptabilité de gestion : un outil adapté au secteur marchand........................... 51
2. Les particularités des communes : une nécessité à prendre en compte................... 57
B. L'appropriation de la comptabilité de gestion dans les communes : conditions et
contraintes ............................................................................................................................. 69
1. Les facteurs de succès : entre contingence et implication des acteurs..................... 70
2. Les trois rationalités des organisations publiques : des contraintes et des tensions
pour les communes....................................................................................................... 80
CONCLUSION ....................................................................................................................... 90
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 95
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 5
- INTRODUCTION -
Le thème de ce mémoire est la comptabilité de gestion dans les communes, c'est un
sujet que j'ai découvert assez récemment par l'intermédiaire de Pascal Fabre, Professeur en
Sciences de gestion. Il y a deux ans, j'ai eu l'opportunité grâce à lui de co-encadrer des
étudiants en Master 2 Management Public Local qui travaillaient sur ce thème dans le cadre
d'un mémoire collectif. Au terme de ce travail réalisé par les étudiants, j'ai constaté que ce
sujet appelait beaucoup de questions. Il m'est apparu que la comptabilité de gestion dans les
communes était quelque chose "qui n'allait pas de soi". En effet, une grande diversité de cas
de figure a émergé à la suite de l'étude qualitative1 menée par les étudiants. Les résultats
obtenus ont montré que les collectivités n'avaient pas de système uniforme de comptabilité de
gestion, et que les pratiques allaient du simple calcul de coûts directs jusqu'au système global
(sans oublier l'absence totale de comptabilité analytique dans certains cas !) ; par rapport à
l'état de l'art, ces constats allaient dans le sens des résultats avancés par Gibert en 19952.
A partir de là, plusieurs questions ont émergé : pourquoi certaines communes
utilisent-elles la comptabilité de gestion et pas d'autres ? Quelle peut être son utilité pour
les communes ? Pourquoi la comptabilité de gestion (ou comptabilité analytique) prend
différentes formes, allant du simple calcul de coûts au système global ?
La comptabilité de gestion peut se définir comme un système d'information comptable
permettant la prise de décision dans l'organisation. En 1990 le Conseil National de la
1 11 collectivités territoriales interrogées : 7 communes et 4 communautés d'agglomération.
2 Gibert P (1995), La difficile émergence du contrôle de gestion territorial.
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Comptabilité (CNC) en donne la définition suivante : "La comptabilité de gestion est un mode
de traitement des données qui doit fournir, d'une manière générale, des éléments destinés à
faciliter la prise de décision". Le terme "comptabilité de gestion" s'est substitué au terme
"comptabilité analytique" défini en 1982 par le Plan Comptable Général (PCG) : " La
comptabilité analytique est un mode de traitement des données qui permet de reclasser par
destinations ou par fonctions les charges et les produits que la comptabilité générale a
enregistré par nature, ceci afin d’en faire l’analyse pour une période donnée". La similarité
entre comptabilité de gestion et comptabilité analytique est inhérente au mode de traitement
des données. Cependant, l'objectif de la comptabilité de gestion s'avère plus large et plus
stratégique. Tandis que la comptabilité de gestion interroge la prise de décision, la
comptabilité analytique est centrée sur l'analyse des coûts. Néanmoins, certains auteurs
jugent la définition du CNC trop restrictive. Lebas (1992) estime que la prise de décision n'est
pas une finalité spécifique à la comptabilité de gestion, cette dernière a une vocation
stratégique. Elle s'inscrit en effet dans le continuum des comptabilités et doit permettre la
satisfaction des besoins perçus par les managers dans une perspective interne à l'entreprise.
A l'origine, la comptabilité de gestion s'adresse aux entreprises. Le PCG, référentiel
comptable des entreprises françaises, en donne le premier une définition. Dès 1957, une
méthode est mise en relief, les sections homogènes. Qu'en est-il des communes ? La
commune est une collectivité territoriale de proximité instituée par le décret du 14 décembre
1789. Jusqu'à la loi du 5 avril 1884 qui reconnait son émancipation politique, juridique et
financière, la commune était soumise à la tutelle de l'Etat. La loi de 1884 pose le principe de
la compétence générale de la commune : "le conseil municipal règle, par ses délibérations, les
affaires du ressort de la commune" (article 61). La loi de décentralisation du 2 mars 1982
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précise les compétences de la commune, et définit des missions élargies en matière
d'urbanisme, d'enseignement et culture et d'animation économique.
L'intérêt de la recherche
Jusqu'ici, le thème de la comptabilité de gestion dans les communes semble peu
mobilisé par les chercheurs. En élargissant le terrain d'étude aux collectivités territoriales, le
constat est quasiment identique. La littérature sur ce thème est assez récente (années 1980),
mais hormis quelques auteurs comme Meyssonnier, Gibert et Demeestere, celle-ci est peu
développée.
Pourtant, dans le contexte de la décentralisation (1982), les collectivités territoriales, gagnant
en autonomie, ont été amenées à utiliser les outils de gestion du secteur privé : comptabilité
analytique, tableaux de bord... Dans les années 1980, on constate un certain engouement pour
la comptabilité de gestion dans les communes, puis une certaine stagnation (Meyssonnier,
1993a), voire ensuite une régression de l'outil : "après une période de bouillonnement
relativement intense qui a vu les initiatives fleurir dans de nombreuses villes et départements,
le mouvement a eu tendance à se stabiliser, voire à régresser pour la comptabilité analytique"
(Beaulier & Salery, 2006, p. 70). Cette évolution interpelle, d’autant plus que pour l'instant la
littérature ne semble pas avoir apporté de véritable réponse à ce phénomène.
Intérêts managériaux
Comme nous le verrons plus loin dans ce mémoire, depuis une trentaine d'années les
collectivités territoriales utilisent de plus en plus les outils de gestion du secteur privé. Face à
une contrainte financière croissante, les besoins des communes en instrumentation de gestion
sont réels, mais cette transposition peut-elle être "automatique" ? Les organisations publiques
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ont des finalités différentes de celles des entreprises, il importe donc de déterminer de quelle
façon les outils de gestion, et plus particulièrement la comptabilité de gestion, doivent être
utilisés afin que cette transposition ne soit pas un échec pour l'organisation.
Problématique
L'objectif de ce mémoire est de déterminer pourquoi les communes ont fait le choix
d'utiliser la comptabilité de gestion, outil de gestion transposé du secteur privé. De façon plus
précise, quels sont les éléments contextuels et historiques qui ont favorisé cette implantation ?
Pourquoi certaines communes parviennent à pérenniser cet outil et d'autres pas ?
Dans le traitement de ce sujet, j'ai choisi d'analyser les mécanismes d'adoption et
d'appropriation de l'outil de gestion à travers les objectifs des communes et les conditions
favorisant ou contraignant l'appropriation de l'outil. Le sujet aurait pu être traité sous un autre
angle : celui des modèles de diffusion des outils de gestion dans les organisations. J'ai préféré
ne pas aborder cet aspect car il existe plusieurs modèles de diffusion de l'innovation (comme
par exemple le modèle de Rogers). Toutefois au regard de la littérature concernant la
comptabilité de gestion dans les communes, je n'ai pas trouvé d'éléments empiriques
permettant de faire lien avec un modèle de diffusion de l'innovation managériale.
La problématique de ce mémoire est donc de déterminer quels sont les facteurs,
environnementaux et internes, favorisant et contraignant l'adoption, puis
l'appropriation de la comptabilité de gestion dans les communes.
La méthodologie suivie
Afin de répondre à cette problématique, ma méthodologie est de faire une revue de
littérature approfondie sur le sujet de la comptabilité de gestion dans les communes. J'ai choisi
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de ne pas effectuer d'étude terrain sur ce thème mais plutôt de m'appuyer sur celles qui ont été
faites jusqu'ici par des chercheurs et traduites dans des thèses et des articles. Ce choix est
motivé par deux facteurs ; tout d'abord, ne pouvant pas, pour des contraintes professionnelles,
effectuer ce mémoire à plein temps, j'ai préféré consacrer le temps qui m'était imparti à faire
une revue de littérature qui est à la base de tout travail de recherche en Sciences de Gestion ;
ensuite, j'ai préféré conserver l'étude terrain pour la thèse sur laquelle ce mémoire devrait
logiquement déboucher.
Les études empiriques qui servent de base à ma réflexion sur ce sujet sont donc issues
de la littérature de ces trente-cinq dernières années (voir Tableau 1).
Le premier ouvrage abordant le thème de la comptabilité de gestion dans les communes est le
livre de Jean Bouinot "La nouvelle gestion municipale - Comptabilité et management d'une
commune" en 1977, qui se base, entre autres, sur l'expérience "pilote" d'implantation d'une
comptabilité analytique à Orléans.
Le premier article de recherche recensé concernant la comptabilité de gestion dans le secteur
public est celui de Burlaud & Gibert en 1984 "L’analyse des coûts dans les organisations
publiques : le jeu et l’enjeu". Les auteurs s’interrogent sur la possibilité et la nécessité de faire
des analyses de coûts dans les organisations publiques, sans développer le cas particulier des
communes. En conclusion, les auteurs insistent sur la difficile transposition technique de
l’analyse des coûts au secteur public, et sur le fait que les objectifs de l’analyse semblent
différents de ceux traditionnellement avancés.
Cet article de Burlaud & Gibert (1984) marque le point de départ de cette revue de
littérature ; les études sur ce thème apparaissent ensuite peu nombreuses, les plus anciennes
datant du début des années 1990. La thèse de François Meyssonnier en 1993 sur le contrôle de
gestion communal apporte la première enquête de terrain à grande échelle sur ce thème
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(échantillon : 82 communes), suivie par la thèse d’Olivier Roussarie (1994) "Les outils de
contrôle de gestion utilisés dans les services publics urbains" avec une enquête terrain portant
sur 15 communes. Olivier Roussarie affirme que les services municipaux utilisent des
méthodes de calculs de coûts assez homogènes, en particulier dans les services fournissant des
activités payantes.
Ensuite, des auteurs comme Gibert et Demeestere feront de l’analyse des coûts publics
un thème récurrent de leurs recherches. Gibert produit un article particulièrement intéressant
en 1995 "La difficile émergence du contrôle de gestion territorial". Dans cet article, il
constate un paradoxe : les consultants sont très sollicités pour développer le contrôle de
gestion dans les communes, mais les outils du contrôle de gestion sont finalement peu insérés.
C'est le cas de la comptabilité analytique, souvent mise en place de façon complexe mais dont
les résultats sont peu utilisés.
Demeestere poursuit ce développement dans son article "Que peut-on attendre d'une
comptabilité de gestion dans le secteur public ?" en 2000, en s'interrogeant sur le rôle des
experts et des dirigeants publics dans la mise en place d'une comptabilité de gestion. L’auteur
conclut sur l'importance de ne pas dissocier la conception de l'outil de celle de la démarche
d'utilisation de cet outil.
Plus récemment, apparaissent des articles de recherche focalisés sur l’étude d’une commune,
que ce soit par une recherche-intervention (Fabre & Bessire, 2008) ou par une étude
historique (Bargain, 2011 et 2012).
Fabre & Bessire (2008) s'interrogent sur la façon de construire un système de calculs
de coûts efficace et efficient pour une collectivité territoriale, tout en assurant sa pérennité. Ils
concluent sur la nécessité d'opérer des choix contingents intégrant les dimensions politiques,
économiques et opérationnelles de la collectivité.
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A ce stade, un constat s'impose : cela fait plusieurs années qu’il n’y a pas eu de
recherches menées sur un échantillon important de communes en ce qui concerne
l’utilisation par celles-ci de la comptabilité analytique. Certes, Aurélien Bargain prépare
depuis 2009 une thèse sur la comptabilité de gestion communale dont l’intitulé est "Du
recours aux mises en œuvre de la comptabilité analytique dans les communes françaises :
retour sur un outil controversé", mais son étude empirique porte seulement sur trois études de
cas : Angers, La-Roche-sur-Yon et Nantes.
Le tableau 1 (Etudes et éléments empiriques mobilisés) récapitule les ouvrages et les
articles de recherche abordant le sujet de la comptabilité de gestion dans les communes ;
figurent également dans ce tableau les études, les enquêtes et les documents professionnels
ayant un caractère significatif sur ce sujet. Ce tableau ne se veut pas une synthèse exhaustive
de la documentation sur la comptabilité de gestion dans les communes, mais plutôt un
récapitulatif des éléments trouvés sur ce sujet et qui ont donné du sens à cette réflexion.
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Tableau 1 - études et éléments empiriques mobilisés (par ordre chronologique)
Légende :
• En bleu, les thèses et articles de recherche
• En noir, les guides et documents à vocation professionnelle et pratique
• En rouge, les études, enquêtes et rapports d'organismes extérieurs
Sources Collectivités territoriales étudiées
Bouinot J. (1977), "La nouvelle gestion
municipale - Comptabilité et management d'une
commune", Ed. CUJAS.
Ouvrage généraliste s'adressant aux communes,
mais aussi à un public plus large car rédigé par un
universitaire. Le chapitre sur le contrôle de gestion
et la comptabilité d'équipement s'appuie sur
l'expérience de la ville d'Orléans.
Carles J. & De Kerviler I. (1988), "La
comptabilité analytique appliquée aux services
communaux", La Documentation Française,
Collection Décentralisation.
Guide pratique à destination des collectivités
s'appuyant sur des exemples concrets de 13
communes ayant mis en œuvre une comptabilité
analytique.
Meyssonnier F. (1993), "Le contrôle de gestion
communal : bilan et perspectives", thèse de
doctorat.
Enquête réalisée auprès de 82 communes.
Analyse plus approfondie réalisée sur 12
communes.
Meyssonnier F. (1993), "Quelques
enseignements sur l’étude du contrôle de
gestion dans les collectivités territoriales",
Revue Politiques et Management public, volume
11, n°1.
Enquête réalisée auprès de 82 communes
Analyse plus approfondie réalisée sur 12
communes (enquête terrain utilisée pour la thèse
de l’auteur).
Rey J.-P. (1994), "Implanter le contrôle de
gestion", Dossiers d'Experts, Ed. La lettre du
cadre territorial.
Guide pratique à destination des collectivités
territoriales : 8 pages expliquant l'intérêt et la
façon de calculer des prix de revient.
Gibert P. (1995), "La difficile émergence du
contrôle de gestion territorial", Revue Politiques
et Management public, volume 13, n°3.
Exemples de collectivités territoriales ayant mis
en place des outils de contrôle de gestion, dont la
comptabilité analytique.
Roussarie O. (1995), "La comptabilité
analytique dans les services municipaux : des
méthodes de calcul à adapter à la diversité des
activités de l'organisation", Actes du 16e
Congrès de l'AFC, Montpellier.
Enquête réalisée auprès de 15 communes (de
20 000 à 50 000 habitants) et 45 services du 13
mai au 25 novembre 1992 (enquête terrain utilisée
pour la thèse de l’auteur : "Les outils de gestion
utilisés dans les services publics urbains").
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Carlier B. & Ruprich-Robert C. (1996), "Le
contrôle de gestion", Dossiers d'Experts, Ed. La
lettre du cadre territorial.
Guide pratique à destination des collectivités
territoriales : 20 pages expliquant les différentes
méthodes de calculs de coûts et détaillant la
méthode des "Tableaux Prestations Moyens".
Rapport du Comité directeur des autorités
locales et régionales (CDLR), Conseil de
l'Europe (1997), "L'utilisation des indicateurs de
performance dans les services publics locaux",
Communes et régions d'Europe, n° 63.
Bilan sur l'utilisation de la comptabilité analytique
en France (p. 77-78).
Etudes de cas sur la restauration scolaire en France
(p. 92-95), sur la gestion de la ville d'Issy-les-
Moulineaux (p. 99).
Pariente P. (1998), "Intérêt des approches
contingentes en contrôle de gestion : le cas des
collectivités locales", Revue Politiques et
Management public, volume 16, n°4.
Enquête réalisée entre 1992 et 1993 (réactualisée
en 1995) auprès de 50 communes de taille
moyenne.
Demeestère R. (2000), "Que peut-on attendre
d’une comptabilité de gestion dans le secteur
public", Revue Politiques et Management
public, volume 18, n°4.
Exemples provenant de recherches ou de missions
d’expertise menées auprès d’entreprises publiques,
d’établissements publics, d’administrations
centrales et de collectivités locales.
Axys Consultants (mai 2005), "La comptabilité
analytique au sein des Administrations".
Enquête d’opinion réalisée auprès de 70 directeurs
financiers et du contrôle de gestion dans les
Administrations (18% exercent dans des villes).
Demeestère R. (2007), "L’analyse des coûts :
public et privé", Revue Politiques et
Management public, volume 25, n°3.
Etude d’organisations publiques ayant développé
des modèles d’analyse de coûts, dont une
municipalité.
Fabre P. & Bessire D. (2008), "Les apports
d’une recherche-intervention en collectivité
territoriale : l’exemple de l’implantation d’une
comptabilité de gestion dans une ville de taille
moyenne", Actes du Congrès des IAE, Lille, 11-
12 sept. 2008.
Etude mono-site : recherche-intervention portant
sur l’implantation d’une comptabilité de gestion
dans une commune de 20 000 habitants.
Cour des Comptes (2009), "Rapport public
annuel : Les évolutions du pilotage et du
contrôle de la gestion des collectivités locales"
Communes utilisant la comptabilité analytique
explicitement mentionnées : Angers, Nantes.
Fabre P. (2010), "L’affectation des ressources
aux associations partenaires : la nécessaire
Enquête auprès de 250 services opérationnels
(Culture, Sport, Politique de la Ville) sur l’intérêt
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 14
politisation des outils de gestion", Management
et avenir, 2010/10, n° 40, p. 254-274.
de l’instrumentation de gestion (Comptabilité de
gestion et indicateurs) pour l’affectation des
ressources aux associations partenaires.
Lamrani E. (2011), "Du contrôle de gestion à
l'évaluation des politiques publiques : Le cas de
la direction de la culture dans une mairie", 3ème
Journée d’étude en contrôle de gestion de
Nantes, « Le contrôle de gestion des activités de
service », Université de Nantes, 4 février 2011.
Recherche-intervention au sein de la direction de
la culture d’une mairie de plus de 140 000
habitants portant sur le déploiement de la
méthode ABC /ABM.
Bargain A. (2011), "Histoire d’un outil de
contrôle de gestion dans une collectivité locale :
le cas de la comptabilité analytique à la ville
d’Angers (1983-2005)", XVIe Journées
d’Histoire de la Comptabilité et du
Management, Nantes, 23-25 mars 2011.
Etude mono-site : étude historique sur
l’implantation de la comptabilité analytique à
Angers.
Bargain A. (2012), "Retour sur un échec : le cas
de la comptabilité analytique à la commune de
La Roche-sur-Yon (1988-1992)", Actes du 33e
Congrès de l'AFC, Grenoble, 21-23 mai 2012.
Etude mono-site : étude historique sur
l’implantation de la comptabilité analytique à La
Roche-sur-Yon.
Dans une première partie, nous verrons par quel mouvement historique et idéologique,
les organisations publiques ont été conduites à adopter les méthodes de management des
entreprises. Ensuite, dans une deuxième partie, nous étudierons les objectifs et les contraintes
des communes dans le processus d'adoption et d'appropriation de la comptabilité de gestion.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 15
I. LES RAISONS DE L'INTERET PORTE A LA COMPTABILITE DE
GESTION DANS LES COMMUNES : LA PREGNANCE D'UN
CONTEXTE IDEOLOGIQUE
Afin de comprendre les questions actuelles autour de la comptabilité de gestion dans
les communes, il est indispensable de replacer cette étude dans le processus historique
d’évolution du secteur public.
Laufer (2008) s’appuie sur le critère du droit administratif pour distinguer trois périodes :
- 1800 à 1880-1900 : critère de puissance publique et règne de l’Etat-Gendarme ;
- 1880-1900 à 1945-1960 : critère de service public et règne de l’Etat-Providence ;
- Depuis 1945-1960 : crise du système de légitimité et crise de l’Etat-Nation.
Le terme "management public", aujourd’hui largement répandu, apparait initialement
contradictoire (Laufer & Burlaud, 1980). Ainsi, le terme "management" s’appliquait
initialement aux entreprises et non au secteur public : "ensemble des techniques
d’organisation et de gestion de l’entreprise"3. Plus récemment, le terme management est
étendu aux autres organisations : "l’action, l’art ou la manière de conduire une organisation,
de la diriger, de planifier son développement et de la contrôler" (Thiétart, 2003). Pour Laufer
(2008, p. 38), qui reprend la définition avancée par Chester Barnard, le management
correspond "à la forme de langage administratif qui s’est développé tout au long de l’histoire
des bureaucraties publiques et privées dans les Etats-Nations occidentaux". A partir de cela,
se pose la question de la limite entre le secteur privé et le secteur public, ou de ce qui
3 Arrêté du 29 novembre 1973 relatif à la terminologie économique et financière
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 16
distingue le management des organisations privées de celui des organisations publiques. La
théorie de la publicitude (ou "publicness") de Bozeman (2007) tente d’apporter une réponse à
la question de la différence entre organisation privée et publique. Selon la perspective de la
"publicitude dimensionnelle", les organisations sont contraintes par deux types différents
d’autorité : l’autorité politique et l’autorité économique. Selon Bozeman, presque toutes les
organisations relèvent plus ou moins de ces deux autorités.
Néanmoins, Laufer (2008) estime que le management public est spécifique car il "correspond
aux méthodes utilisées pour légitimer les actions administratives face à l’opinion publique".
Plus récemment, et selon d’autres auteurs, le management public peut s’appréhender de deux
façons (Huron & Spindler, 1998), de façon restrictive comme le "management des services
publics", et de façon plus extensive comme le "management du pouvoir politique", qui permet
de mettre davantage en avant la nature politique du pouvoir et des responsabilités.
Par quel processus le management a-t-il peu à peu envahi la sphère publique ?
On peut considérer que ce processus a débuté avec la diffusion de la théorie des choix publics
dans les années 1960, s’est ensuite développé avec le courant du New Public Management et
la remise en cause des formes de gestion du secteur public, ainsi que le managérialisme.
A. La remise en cause de l’Etat-Providence : de la théorie des
choix publics au New Public Management
1. Les prémices : la théorie des choix publics
La théorie des choix publics est un courant économique qui s’intéresse à l’action de la
puissance publique qui se substitue au marché car celui-ci est jugé défaillant ou moins
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performant. Le texte fondateur de ce courant est The calculus of consent publié en 1962 par
James M. Buchanan et Gordon Tullock.
Ce courant économique, d’inspiration libérale, s’inscrit dans la critique de l’économie du
bien-être, car admettre que le marché est imparfait ne doit pas conduire nécessairement à
augmenter l’intervention de l’Etat.
L’hypothèse fondamentale de cette théorie des choix publics est qu’il existe un pont important
entre le comportement des individus agissant sur le marché économique et de ceux agissant
sur le marché politique ; d’après Buchanan & Tullock (1962), les mêmes individus agissent
dans les deux situations. En effet, le fonctionnaire, le bureaucrate, l’homme politique sont des
agents économiques comme les autres cherchant à maximiser leur utilité (pouvoir,
revenus…). Parallèlement à cela, chaque consommateur de bien collectif veut faire peser le
coût de celui-ci sur les autres : c’est le problème du "cavalier libre" ("free rider"). Dès 1954,
Samuelson oppose les biens collectifs aux biens privés : les premiers étant des biens
indivisibles payés par tous car utiles à tous (comme la Défense par exemple).
L’école des choix publics a également développé l’idée que le système démocratique
ne produit pas de bonnes décisions pour la collectivité. Pour Buchanan & Tullock (1962), le
mode de décision idéal est l’unanimité mais celui-ci produit des coûts de transaction trop
importants pour pouvoir y parvenir. La règle majoritaire n’est pas conforme à l’intérêt public
car elle ne permet pas d’adopter les mesures les plus efficaces socialement. En effet, le
phénomène du "marchandage politique" ("logrolling" ) conduit à l’adoption de règles ou de
dépenses dont le coût social est supérieur aux gains réalisés et le phénomène des groupes
d'intérêt (ou groupes de pression) renforce cette tendance : le coût des mesures est dispersé
sur un grand nombre d’individus alors que le gain est concentré sur un petit nombre.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 18
Par exemple, dans une commune, l'électeur de base participe rarement directement à la vie
politique, mais il sera plus sensible à l'action d'un groupe plus "bruyant" comme une
association de parents d'élèves, un groupement de quartier ou une association sportive.
La théorie des choix publics peut contribuer à expliquer certains choix des maires en faveur
de groupes catégoriels, qui ont pour conséquence l'augmentation croissante des dépenses
publiques, et donc des impôts locaux.
Les économistes de l’école des choix publics ont analysé la bureaucratie et ont dégagé les
hypothèses suivantes :
- Les bureaucrates agissent avec rationalité pour atteindre leurs objectifs ;
- Les objectifs des bureaucrates sont complexes et comprennent des objectifs collectifs
(désir de satisfaire l’intérêt général) et des objectifs personnels (pouvoir, revenu,
commodité, prestige...) ;
- Les fonctions sociales dans chaque organisation sont influencées par la structure et les
comportements de chacun de ses acteurs.
Le bureaucrate aura donc tendance à vouloir maximiser ses propres préférences, ce qui induit
un biais bureaucratique pour la collectivité : l’augmentation des budgets sans lien réel avec
les fonctions sociales assignées aux organisations publiques. En effet, le bureaucrate a une
meilleure connaissance des coûts de son service que l’administration centrale, et par
commodité (et résistance au changement), le bureaucrate aura tendance à déclarer que les
économies budgétaires sont irréalisables. Pour les économistes de l’école des choix publics,
les idées keynésiennes (principalement celles concernant la relance économique par les
déficits publics) ont été complètement adoptées par les organisations publiques, et ont fini par
biaiser les comportements.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 19
L’école des choix publics s’inscrit donc dans une optique libérale, critique de l’économie du
bien-être, et s’inquiète de la dérive possible des finances publiques. Tullock (1978) propose
des solutions inspirées du fonctionnement des marchés de la sphère marchande : priver les
services du gouvernement de tout contrat d’exclusivité, donc supprimer les monopoles
publics ; introduire la concurrence dans les services de l’Etat.
En conclusion, l’école des choix publics s’avère être la première critique de
l’économie du bien-être et de l’action de l’Etat quand celui-ci se substitue au marché.
Les points intéressants à retenir du "public choice" par rapport à notre thématique sont les
suivants :
- Les fonctionnaires, hommes politiques et bureaucrates se comportent comme des agents
économiques de la sphère marchande en cherchant à maximiser leur utilité , mais avec
une différence importante : le contexte institutionnel les fait agir avec de l’argent qui ne
leur appartient pas ;
- Les économistes du "public choice" émettent l’idée (largement développée
ultérieurement) que l’on peut appliquer au secteur public certains mécanismes de
marché du secteur privé, comme la mise en concurrence par exemple.
L’école des choix publics s’est développée dans les années 1960 et 1970. Avec la crise
économique consécutive au Premier choc pétrolier de 1973, les idées du « public choice »
trouveront un écho grandissant dans ce qu’on appellera par la suite le « New Public
Management » (NPM).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 20
2. Le New Public Management : l'expression de la crise de
légitimité des organisations publiques
Les fondements
Le New Public Management (NPM)4 est un courant d’idées qui se développe dans les
années 1980 dans les pays anglo-saxons. Hood (1991, p. 3-4) définit le NPM comme
"l'ensemble des doctrines administratives sensiblement similaires qui a dominé le programme
de réforme bureaucratique dans de nombreux pays membres de l'OCDE depuis les années
70". Historiquement, le développement du NPM se fait parallèlement au retour en force du
libéralisme dans les pays développés, comme par exemple aux Etats-Unis, avec les "années
Reagan" (1980-1988), sous l’influence de l’Ecole de Chicago de Milton Friedman. La crise
consécutive au Premier choc pétrolier de 1973 entraîne un resserrement de la contrainte
financière dans la plupart des pays industrialisés et la nécessité d'un contrôle accru des
dépenses publiques. En effet, dans la plupart des pays de l'OCDE la crise a pour conséquence
une augmentation du chômage, d'où des dépenses sociales accrues, et une inflation
grandissante, qui impacte également les dépenses publiques (en France, la dette publique
passe de 21,2% du PIB en 1978 à 86 % du PIB en 20115).
Au Royaume-Uni, le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher (1979-1989)
mettra en avant le rôle réduit de l’Etat dans l’économie. D’autres pays, comme l’Australie et
la Nouvelle-Zélande, mettront également en œuvre des politiques néolibérales. D’une façon
générale, "le point commun de ces réformes est de chercher à introduire des marchés ou des
4 Appelé aussi Nouveau Management Public, ou Nouvelle Gestion Publique.
5 Source : INSEE.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 21
quasi-marchés au sein des institutions de l’Etat-Providence de manière à en renforcer
l’efficience" (Merrien, 1999, p. 95).
L’engouement des pays industrialisés pour le NPM semble résulter de quatre phénomènes
différents et conjoints (Merrien, 1999) :
• Des problèmes économique importants et généralisés (dette publique, déficit
commercial…) ;
• L’influence grandissante des idées libérales et managériales ;
• Des réseaux d’experts proposant la vente de solutions managériales ;
• Des responsables politiques prêts à saisir ce type d’opportunité.
D’un point de vue théorique et économique, le NPM a plusieurs influences, celle de la
doctrine néolibérale de Friedrich von Hayek et de Milton Friedman, ainsi que celle de l’Ecole
des choix publics de James Buchanan et Gordon Tullock (évoquée précédemment).
La remise en cause de la bureaucratie wébérienne
Le NPM s’inscrit également en critique du modèle bureaucratique de Max Weber. Ce
modèle est typique de la gouvernance des organisations publiques dans lesquelles l’exercice
du pouvoir est basé sur l’application de règles (légitimité rationnelle-légale) et l’exercice du
contrôle, sur le savoir. La bureaucratie wébérienne respecte les principes d’égalité formelle,
de hiérarchie verticale, de formalisme (contre l’arbitraire) et de conformité (la référence est
l’écrit). Weber avait identifié les limites du système bureaucratique comme le risque de
nivellement des compétences, la ploutocratie et l’impersonnalité. Un autre auteur, Merton
(1957), met en avant la rigidité de la bureaucratie et le risque de déplacement des buts dans
une organisation où les règles peuvent être appliquées pour elles-mêmes. Quant à Gouldner
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 22
(1959), il met en évidence les risques liés à l’application stricte des règles, comme l’apathie et
le marchandage avec la hiérarchie, et donc une certaine forme d’inefficience.
Malgré tout, ce modèle d’organisation bureaucratique, avec sa rationalité et sa
prévisibilité, garantit l’égalité de traitement des citoyens, usagers de l’administration, sur la
base de règles écrites, clairement établies et connues (Merrien, 1999 ; Bezes, 2007). Ce
principe d’égalité de traitement des citoyens se retrouve dans toutes les formes d’Etat-
Providence, or ce dernier voit sa légitimité complètement remise en cause par la doctrine
libérale. D’une façon générale, le fonctionnement bureaucratique des organisations
publiques est jugé négativement, alors que les valeurs et les modes de fonctionnement de
l’entreprise privée sont mis en exergue (Merrien, 1999).
Les principes du New Public Management
D’une façon générale, le libéralisme prône la non (ou moindre) intervention de l’Etat
dans l’économie, et considère que les mécanismes du marché peuvent s’appliquer au secteur
public dans le but de rendre celui-ci plus efficace et efficient.
Les principes du NPM vont s’appuyer sur deux questions essentielles (Hood, 1995) :
• Dans quelle mesure le secteur public doit-il être distinct du secteur privé ? (quatre
premiers éléments de Hood ci-dessous)
• Jusqu’à quel point le pouvoir discrétionnaire des dirigeants doit-il être encadré par des
règles ?
D’après Hood (1995), sept éléments composent la doctrine du NPM :
- Découper le secteur public en unités par produits (centres de coûts) ;
- Mettre en concurrence les organisations publiques, ainsi qu’avec les entreprises
privées, dans le but de diminuer les coûts ;
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 23
- Développer les méthodes de management issues du secteur privé ;
- Utiliser les ressources publiques de façon plus efficiente et plus disciplinée ;
- Introduire des méthodes de contrôle avec des responsables "visibles" et usant d’un
pouvoir discrétionnaire ;
- Mettre en place des normes de performance ainsi que des indicateurs pour la mesurer ;
- Insister sur les résultats à obtenir.
Ces sept éléments introduisent des concepts de gestion issus du secteur privé : centres de
coûts, concurrence, management, efficience, contrôle, performance, indicateurs, résultats. La
frontière entre secteur privé et secteur public ne doit plus être marquée, elle devient plus floue
et plus mouvante.
Schéma 1 - Le "New Public Management" : de nouveaux modèles pour le fonctionnement des
organisations publiques ? - Source : Bartoli, 2009.
Différentes conceptions
Efficience Dérégulation
Marché Contrôle financier
Décentralisation Flexibilité Réseaux
Contractualisation
Conduite du changement
Mouvement "local / central"
Leadership "Accountability"
Spécificité service public "Hybridation"
Méthodes public / privé
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 24
Dans ce mouvement général de remise en cause du fonctionnement et des structures du
secteur public, le NPM prend des formes variées suivant les pays. Les changements les plus
extrêmes conduisent à de véritables logiques de marché, tandis que les formes les plus
modérées veulent maintenir les spécificités du secteur public (voir schéma 1 - Le "New
Public Management" : de nouveaux modèles pour le fonctionnement des organisations
publiques ?). En France, les réformes mises en œuvre sont plus "soft" que dans les pays
anglo-saxons et l'accent sera mis sur la spécificité et les valeurs du service public (Bartoli,
2009).
Les effets du NPM en France
Antérieurement au NPM, la France a mené, à partir de 19686, une politique de
rationalisation des choix budgétaires (RCB), inspirée de la "gestion budgétaire par objectifs"
de l'administration fédérale américaine (Planning Programming Budgeting System ou PPBS),
dans le but de développer des outils de planification et d’évaluation, ainsi que la direction par
objectifs dans les administrations (Zampiccoli, 2009). Cette politique représente la première
étape vers la reconnaissance de la performance des méthodes de gestion du secteur privé
(Chaty, 1998). Cette nouvelle orientation s'appuie sur le calcul économique (évaluation des
coûts et des avantages, prise en compte du temps, du risque et de l'incertitude dans le choix
d'un investissement). La RCB s'appuie sur trois axes : les études analytiques, les budgets de
programmes liant objectifs et moyens et la modernisation de la gestion sur le modèle de
l'entreprise privée (Champaux & Malo, 2011). Faute d'objectifs précis et de manque
d'expérimentation, la RCB n'aura pas le succès escompté, son utilisation sera limitée (la mise
en place d'outils de gestion sera très partielle). Puis, la RCB sera finalement définitivement
6 La RCB est lancée en 1968 par Michel Debré, Ministre des Finances.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 25
abandonnée en 1984. L'objectif principal de la RCB était d'améliorer les choix de dépenses
publiques en s'appuyant sur les trois axes précédemment cités, sans pour autant remettre
en cause le mode de fonctionnement de l'administration (Champeaux & Malo, 2011).
Néanmoins, c'est dans le cadre de la RCB que les premières expériences de comptabilité
analytique voient le jour dans les communes à la fin des années 1970 (Meyssonnier,
1993a). La première commune à mettre en œuvre une méthode de comptabilité analytique est
Orléans (voir encadré ci-dessous). L'approche se fait par les équipements ; dans les communes
(suivant le mouvement initié par Orléans) la mise en place d'une architecture globale a pour
but de planifier les investissements à long terme, de prévoir leur maintenance et leur
renouvellement et d'avoir une vision globale du patrimoine. La priorité était donc le budget
d'investissement, dans une logique s'inscrivant dans les principes fondant la RCB
(Meyssonnier, 1993a).
L'expérience pilote de la ville d'Orléans, 1979-1980 (Meyssonnier, 1993a)
Ville reconnue pour la rigueur de sa gestion, Orléans décide de mettre en place une
comptabilité d'équipement avec l'aide de Jean Bouinot, universitaire spécialiste des
collectivités locales. L'objectif est de trouver des normes de comparaison des coûts par
équipement, entre différentes communes et à partir d'une même méthodologie. Le contexte est
alors particulièrement favorable : un maire impliqué dans la gestion et la proximité
d'universitaires spécialistes des collectivités locales.
Le système mis en place était lourd en fonctionnement et en maintenance informatique, il est
tombé peu à peu en désuétude, puis totalement avec le changement de l'équipe municipale en
1989.
Les années 1980 voient d’importantes évolutions dans le secteur public français (voir
tableau 2 - les étapes marquantes de la gestion publique en France dans le cadre du NPM).
Tout d’abord, les lois de décentralisation (1982-1983), qui valident le principe de libre
administration des collectivités territoriales, incitent celles-ci à développer de nouvelles
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 26
pratiques gestionnaires et managériales pour assurer leurs nouvelles missions (urbanisme
notamment). De fait, les communes voient leur autonomie accrue, ce qui leur permet de
mettre en œuvre des pratiques de gestion innovantes. Ensuite, la circulaire "Rocard"7 marque
le point de départ du développement du contrôle de gestion dans le secteur public
(Zampiccoli, 2009).
Tableau 2 - Les étapes marquantes de la gestion publique en France dans le cadre du NPM
Mesures prises Contenu / Objectifs
Arrêté du 13 mai 1968 relatif à la mise
en place de la Rationalisation des
Choix Budgétaires (RCB)
Evaluation a priori des programmes d’action publique,
amélioration de la procédure budgétaire, modernisation de la
gestion .
Abandon officiel en 1984.
Loi du 2 mars 1982 et loi du 7 janvier
1983 : lois de décentralisation (lois
Deferre)
Suppression de l’approbation préalable par le représentant de
l’Etat concernant les intentions d’action des mairies.
Transfert de compétences sur certaines missions.
Principe de libre administration des collectivités
territoriales .
Loi du 26 janvier 1984 relative à la
fonction publique territoriale
Conférer le statut de fonctionnaire aux agents territoriaux.
Circulaire Rocard du 23 février 1989
« Renouveau du service public »
« Projets de service », mise en œuvre de centres de
responsabilité, évaluation a posteriori des politiques
publiques.
Circulaire Juppé du 26 juillet 1995 Réforme de l’Etat et des services publics.
Loi organique n° 2001-692 du 1er août
2001 : Loi Organique relative aux
Lois de Finance dite LOLF
Réformer le cadre de la gestion publique pour l’orienter vers
les résultats et la recherche de l’efficacité, renforcer la
transparence des informations budgétaires .
10 juillet 2007 : lancement de la
Révision Générale des Politiques
Publiques (RGPP)
Analyse et évaluation approfondie des politiques
publiques.
7 Circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 27
Selon Meyssonnier (1993a), dans les années 1980 et en ce qui concerne la comptabilité
analytique, la priorité passe du budget d'investissement au budget de fonctionnement. Il
importe désormais de pouvoir connaître le coût des prestations, des services rendus par la
commune : "l'approche moderne n'est plus planificatrice, normalisatrice, introvertie sur
l'appareil communal, elle doit être managériale, descriptive de l'activité quotidienne et
extravertie, tournée vers les clients-citoyens-usagers" (Meyssonnier, 1993a, p. 191).
L'exemple de la ville d'Angers (Meyssonnier, 1993a)
En 1983, avec le recrutement d'un contrôleur de gestion, la ville d'Angers décide de construire
une architecture exhaustive de comptabilité analytique couvrant la totalité de l'organisation.
1200 centres de coûts sont définis, la comptabilité analytique couvre tous les services et
permet de calculer des coûts par centre et des résultats analytiques d'exploitation. Le système
est accompagné de tableaux de bord. En 1987, le système est complètement opérationnel, et
fonctionne comme un outil d'aide à la décision.
La LOLF, votée en 2001 et mise en application en 2006, marque une évolution
importante dans le fonctionnement de l’administration publique en rénovant profondément
l’architecture du budget de l’Etat. Dorénavant, la structure budgétaire est décomposée par
destination de crédits reliés à des missions (décomposées en programmes confiés à un
responsable) et non plus par nature de crédits (ou de dépenses). La LOLF préconise une
orientation vers la performance en promouvant une culture du résultat. L’accent est donc
mis sur les objectifs des programmes : un système d'indicateurs doit permettre d'en suivre
les réalisations et d'en apprécier les résultats (Champaux & Malo, 2011). Pour cela, l'Etat
modifie en profondeur son système comptable sur le modèle du secteur privé. Jusqu'ici l'Etat
était doté d’une comptabilité de caisse qui privilégiait le suivi des opérations budgétaires et
qui avait donc comme inconvénient de ne pouvoir tenir compte d’éléments prévisionnels
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 28
comme les dettes et les créances. De ce fait, pour permettre une meilleure connaissance des
droits et des obligations de l’Etat, la LOLF impose le passage à une comptabilité
d’engagement. En 2004, avec le "Recueil des normes comptables de l’Etat", ce dernier se dote
de normes comptables directement influencées par les normes IAS/IFRS8, IPSAS9 et le PCG,
et d’un cadre conceptuel. La modernisation de la comptabilité de l'Etat comprend également
une comptabilité destinée à analyser les coûts des actions engagées dans les programmes.
Il est à noter que la LOLF ne concerne pas la procédure budgétaire des collectivités
territoriales qui demeurent sous le « principe de libre administration ».
La LOLF a pour conséquence une mise sous tension de l'administration publique :
les actions doivent être justifiées vis à vis des usagers, des contribuables et des citoyens ;
contrairement à la RCB, la LOLF a l'ambition de modifier le fonctionnement de
l'administration en y introduisant des méthodes issues des entreprises.
En 2007, la Révision Générale des Politique Publiques vient renforcer la volonté de
changement de culture de l'administration initiée par la LOLF, mais cette fois-ci la procédure
est plus informelle et n'a pas la force incitative de la loi organique.
Les limites du NPM
Selon Laufer (2008), le NPM ne fait qu’exprimer la crise de légitimité des
organisations publiques, or le NPM est généralement présenté comme la solution à tous les
problèmes rencontrés par ces organisations.
Dans les principes du NPM dégagés par Hood (1995), les notions d’efficience, de normes de
performance et d’indicateurs sont prédominantes. D’après Laufer (2008), de tels principes
8 International Accounting Standards / International Financial Reporting Standards.
9 International Public Sector Accounting Standards.
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impliquent que l’on puisse définir les objectifs des organisations publiques de façon
satisfaisante, c'est-à-dire de façon chiffrée et quantitative afin de permettre le contrôle par les
indicateurs. Ce raisonnement entraîne plusieurs questions : les objectifs sont-ils toujours de
nature quantitative ? Sont-ils à la base toujours clairement définis ? Les indicateurs de
performance sont-ils légitimes pour mesurer les objectifs ?
Effectivement, en réponse « immédiate » à ces questions, on ne peut pas ignorer les
aspects qualitatifs des services publics. La clarté des objectifs peut se discuter (selon Hofstede
(1981), les objectifs ont un caractère ambigu) et les indicateurs de performance diffusés
(comme les classements des lycées ou des hôpitaux par exemple) sont régulièrement
contestés… Il apparaît donc que la définition d’objectifs chiffrés ne va pas forcément de soi,
et que, même si ceux-ci sont définis quantitativement, se pose ensuite le problème de la
mesure de ces objectifs. Laufer & Burlaud (1980) y voient le principal obstacle au
développement du management public : l’absence de consensus sur la mesure des objectifs.
Néanmoins, le management public s’est incontestablement développé en étant associé à l’idée
d’efficacité, mais pour Laufer (2008), ce développement est davantage motivé par des raisons
d’efficacité symbolique, liées à la crise de la limite public / privé, que par des raisons
d’efficacité pratique.
D’autres auteurs, comme Merrien (1999), mettent en avant les effets pervers
inattendus du NPM, comme le fait pour les responsables de privilégier l’efficience de leur
organisation au détriment des besoins de la société. En effet, en déléguant leurs missions à des
agences autonomes, les organisations publiques perdent le pouvoir de planifier et de
coordonner leurs actions. La mise sous tension des organisations publiques a modifié leur
légitimité, celle-ci n'est plus représentée par des valeurs collectives, mais par l'efficience
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(Champaux & Malo, 2011). D’une façon générale, peut-on vraiment dire que les mécanismes
du marché sont plus légitimes à rendre les organisations publiques efficientes ?
B. L'émergence d'un isomorphisme institutionnel : l'idéal-type
de l'organisation publique efficace et efficiente
Le NPM a fait évoluer les organisations publiques pour répondre à trois logiques
d'action (Pesqueux, 2010) : l'efficacité économique, la qualité de service rendu à l'usager et
l'efficience (ou optimisation des moyens employés). Pour satisfaire à ces logiques d'action, les
organisations publiques doivent mettre en œuvre des outils de gestion.
1. Le managérialisme : une demande croissante d’outils de
gestion
L’un des fondements du NPM est « l’importation » des méthodes managériales du
secteur privé dans le secteur public. Le managérialisme s'inscrit dans ce mouvement, c'est
une idéologie selon laquelle l’utilisation de méthodes managériales rationnelles conduit à
une utilisation plus efficiente de leurs ressources et à l’atteinte d’objectifs (Gangloff,
2009). Selon Chanlat (2003), le managérialisme est "un système de description,
d’explication et d’interprétation du monde à partir des catégories de la gestion", autrement
dit, il s’agit d’appliquer à toutes les organisations le modèle de gestion des entreprises privées,
considéré comme une garantie de performance.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 31
Dans cette idéologie, les valeurs de l’entreprise sont considérées par la société comme
"supérieures" à celles des organisations publiques ; celles-ci sont donc poussées à adopter les
méthodes et les techniques du secteur privé, et en premier lieu les outils du contrôle de
gestion.
Selon Chatelain-Ponroy (2010), l'évolution de la société vers le managérialisme est un
des trois facteurs environnementaux qui ont influencé le besoin d'outils de contrôle de gestion
dans les organisations non marchandes.10
La genèse du managérialisme : un paradoxe de l’Histoire (Djelic, 2004)
A première vue, on a l’impression que le secteur public a tout à apprendre du secteur
privé en ce qui concerne le management. Or, est-ce vraiment le cas ? Marie-Laure Djelic
(2004) développe une thèse intéressante à ce propos. La diffusion des pratiques américaines
de management après la Deuxième Guerre Mondiale serait due à l’action de l’Etat français
dans un but de modernisation des institutions économiques. On peut considérer les Etats-Unis
comme le berceau du management ; ce sont dans les grandes entreprises américaines des
années 1920 que les méthodes et les outils du management se sont d’abord développés.
Après-guerre, le modèle américain a été reconnu par l’élite française comme celui à suivre. A
cette époque, l’Etat français évolue dans un contexte économique et social qui lui donne les
moyens d’influencer la sphère privée (nationalisations, contrôle du secteur bancaire,
Commissariat Général au Plan). La création de l’Ecole Nationale d’Administration en 1945
permet de former des fonctionnaires convaincus du rôle primordial de l’Etat dans la
modernisation de l’économie et de la nécessaire diffusion des techniques de management
10
Les deux autres facteurs étant les réformes structurelles de modernisation de la gestion publique et les restrictions budgétaires.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 32
provenant des Etats-Unis. L‘essaimage de ces techniques sera facilité par la mise en place des
missions de productivité dans les années 1950. Grâce au support financier du Plan Marshall,
plusieurs milliers de Français ont été envoyés aux Etats-Unis pour étudier les méthodes de
management. Il en résulta une prise de conscience générale sur la professionnalisation de la
gestion des entreprises à travers les techniques et les méthodes utilisées pour rationaliser le
management et la prise de décision.
Il apparaît donc, selon Djelic (2004) et de façon paradoxale, que la diffusion des
techniques de management en France dans le secteur privé fut initialement impulsée par des
acteurs publics.
Dans le cadre de la théorie néo-institutionnelle, la diffusion de ces pratiques
managériales dans les années 1950 peut s’analyser comme le résultat de pressions
institutionnelles provenant de l’Etat dans le but d’homogénéiser les comportements
organisationnels des entreprises en faveur d’un modèle américain considéré à ce
moment-là comme le meilleur.
L'idéologie du managérialisme aura finalement fait un aller-retour : partie du secteur public
pour influencer le secteur privé, elle y revient pour imprégner les organisations publiques
avec les valeurs de l'entreprise.
Les principes du managérialisme
Dans l’idéologie du managérialisme, l’entreprise privée et ses méthodes de
management sont considérées comme un modèle idéal. Selon Avare & Spomem (2008), la
notion de performance occupe une place centrale de même que la rationalité instrumentale et
les concepts d’auditabilité et de responsabilité. L'évolution idéologique de la société vers le
managérialisme pousse les organisations publiques à se tourner vers les valeurs de
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 33
l'entreprise. De plus, dans un contexte budgétaire difficile, avec des déficits souvent
importants, les organisations publiques ont des besoins en outils de contrôle et de pilotage
afin d'améliorer leur performance financière.
La notion de performance peut traduire à la fois un succès, le résultat d’une action et l’action
en tant que telle. On distingue généralement deux critères de performance : l’efficacité
(l’atteinte des objectifs) et l’efficience (minimiser les moyens employés pour obtenir les
résultats). En ce qui concerne les entreprises, les objectifs étant implicites (la rentabilité),
l’accent est donc mis sur les moyens à utiliser. Pour les organisations publiques, il s'agit de
limiter les déficits budgétaires (efficacité) tout en assurant des services publics répondant aux
besoins de la population (efficience), ce qui engendre une tension entre ces deux éléments.
La rationalité instrumentale est la prolongation logique de la notion de performance. Il s’agit
d’adapter les moyens aux objectifs, de faire en sorte d’améliorer la rationalité de la prise de
décision, ce qui passe par l’adoption de dispositifs de gestion pour la plupart de nature
quantitative (comptabilité, finance). Depuis les années 1980, les réformes de la gestion
publique sont porteuses de dispositifs de gestion et de management inspirés du secteur privé.
L'un de ces dispositifs est le contrôle de gestion11. En effet, dans le cadre du managérialisme
"la performance des organisations et des individus doit être mesurable et auditable" (Avare et
Sponem, 2008, p. 117). Cela implique que chaque individu est responsable et capable de
rendre des comptes ; la comptabilité joue donc un rôle important avec le principe
d’accountability (capacité à rendre des comptes).
11 D'après Zampiccoli (2009), le concept "contrôle de gestion" est mis à l'agenda institutionnel avec la circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau des services publics ; le concept (ou le terme) est ensuite régulièrement repris dans les textes ultérieurs.
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Le managérialisme dans les communes : le maire "manager"
Depuis les années 1970, les communes ont des contraintes budgétaires de plus en plus
fortes, et, sous l'influence des principes du NPM, elles ont développé peu à peu une culture
managériale, empruntée au secteur privé. Avec les lois de décentralisation (1982), le pouvoir
local est "réhabilité". Ainsi, les collectivités territoriales acquièrent plus d'autonomie et de
liberté, mais également plus de responsabilités. La structure du périmètre de leur intervention
a été modifiée (Chaty, 1998), cette intervention obéissait auparavant à une logique sectorielle
(politique culturelle, sociale, associative...), désormais elle est plus globale et territoriale (le
citoyen est dans l'attente d'une réponse globale à ses besoins). Pour parvenir à cet objectif,
l'élu doit gérer et coordonner plusieurs partenaires privés (entreprises, associations) et publics
(services municipaux, administrations de l'Etat), autrement dit l'élu doit répondre aux attentes
respectives des différentes parties prenantes. "L'élu local, autant que le responsable d'un
service déconcentré, devient l'acteur et le garant de la "performance" de son unité
administrative, à travers la définition d'objectifs, la mesure des résultats et le développement
de réseaux de partenaires" (Chaty, 1999, p 90-91).
La gouvernance managériale fait ainsi son entrée dans les communes, le maire est
assimilé à un "manager", et l'usager à un "client" ; dans un tel contexte, il devient légitime
d'utiliser les outils et les méthodes de management du secteur privé. "L’objectif principal
reste néanmoins d'introduire des effets incitatifs (par la rémunération des agents) et
d'accentuer la responsabilité des structures (en généralisant l'évaluation et le rendre
compte)" (Champaux & Malo, 2011). Ainsi, le contrôle de gestion a été, dès ses origines,
construit pour être un dispositif de gouvernance (Bouquin, 2011).
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La comptabilité de gestion peut être considérée comme partie intégrante du dispositif de
gouvernance de la commune par son rôle d'évaluation de la performance (qui rejoint le
principe d'accountability) et son rôle de contrôle.
L'expression d'un isomorphisme institutionnel
Peut-on considérer que la comptabilité de gestion est une pratique institutionnalisée
dans les organisations publiques ? Peut-on dire qu'il s'agit d'une activité durable et
socialement acceptée mise en place pour des raisons autres que la seule rationalité
économique ?
Si l'on se réfère à Lemarchand & Le Roy (2000), l'introduction de la comptabilité de gestion
dans les entreprises ne résulte pas d'un objectif unique de calcul économique ; c'est le résultat
d'un consensus entre industriels, organismes patronaux et gouvernement dans le but socio-
économique de limiter la concurrence sur les prix dans les années 1930 et 1940, autrement dit
le choix effectué est le résultat d'un processus social. La pratique de la comptabilité de gestion
s'est ensuite largement diffusée dans les entreprises, jusqu'à être aujourd'hui une pratique
institutionnalisée dans ces organisations.
Le choix de la comptabilité de gestion par les communes est-il motivé par la
rationalité économique, ou bien est-il le résultat d'une institutionnalisation ? La
comptabilité de gestion est-elle aujourd'hui une pratique institutionnalisée dans les
communes ?
Pour répondre à cette première question, il est nécessaire de mobiliser la théorie néo-
institutionnelle (TNI). L'article fondateur de cette théorie est celui de DiMaggio et Powell en
1983, et les développements qui suivent s'appuient sur leurs apports.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 36
En prélude de cet article, DiMaggio & Powell (1983) se réfèrent à Weber (1971) qui
considérait, qu'avec la bureaucratie, l'humanité risquait de s'enfermer dans la "cage de fer" de
la rationalité. Les administrations publiques sont depuis longtemps considérées comme des
bureaucraties, c'est-à-dire comme des organisations rationnelles en réponse à la complexité
des problèmes modernes. Les bureaucraties, au sens de Max Weber (1971), se caractérisent
par un exercice du pouvoir légitime, par l'application de règles formelles, par un exercice du
contrôle fondé sur le savoir et par le principe d'égalité formelle. La bureaucratisation, d'après
Weber (1971), est la conséquence de la concurrence des firmes sur le marché, de la
concurrence entre les Etats et d'une demande de protection égale devant la loi. C'est, selon
l’auteur, un processus irréversible car cela permet de contrôler les individus de la façon la
plus optimale. Les organisations tendent à se bureaucratiser et donc à se ressembler.
La problématique de Di Maggio & Powell (1983) est d'expliquer pourquoi les
organisations tendent à se ressembler, ce qui marque une rupture avec les questionnements
sur l'explication de la diversité des organisations (comme Hannan & Freeman, 1977). Di
Maggio & Powell (1983) avancent l'idée que les organisations sont, au début de leur cycle de
vie, diverses mais qu'ensuite elles tendent à s'homogénéiser au sein d'un même champ
organisationnel. La notion de champ organisationnel peut se comprendre comme une aire
reconnue de vie institutionnelle. Le concept d'institution ne se définit pas aisément,
néanmoins selon Huault (2009) la définition donnée par Jepperson (1991)12 peut être retenue :
"l'institution est un schéma d'interprétation, un ensemble de représentations acceptées
socialement, un système de règles conduisant à la reproduction de routines au sein d'un
champ." Le processus d'institutionnalisation (ou de structuration) d'un champ organisationnel
12
Institutions, institutional effects and institutionalism, in Powell W., DiMaggio (Eds), The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press, pp. 143-163.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 37
est identifié par DiMaggio & Powell (1983) en quatre phases : 1) l'augmentation des
interactions organisationnelles dans le champ ; 2) l'émergence de structures inter-
organisationnelles dominantes et de coalitions ; 3) l'augmentation du niveau d'information à
traiter ; 4) la prise de conscience des participants de leur appartenance commune à un
domaine d'activité.
Dans ce contexte la diffusion des innovations est davantage motivée par la recherche
de légitimité que par la recherche de performance. Si l'on considère que les communes, en
tant qu'organisations publiques, représentent un champ organisationnel, cela peut apporter un
éclairage intéressant à notre étude : l'adoption de la comptabilité de gestion dans les
communes répond-elle plus à un besoin de légitimité de l'organisation qu'à une
recherche de performance ? En effet, les études empiriques effectuées dans ce domaine
montrent que le mouvement d'adoption de la comptabilité de gestion dans les communes
est daté, et comme nous le verrons plus loin, l'efficacité de cet outil de gestion n'est pas
toujours avéré.
Pour DiMaggio & Powell (1983) le concept qui permet le mieux de décrire ce
processus d'institutionnalisation d'un champ organisationnel est l'isomorphisme, et plus
particulièrement l'isomorphisme institutionnel, jugé plus pertinent dans ce contexte que
l'isomorphisme concurrentiel (décrit par Hannan & Freeman, 1977).
DiMaggio & Powell (1983) distinguent trois mécanismes pouvant entraîner des
changements institutionnels : l'isomorphisme coercitif, l'isomorphisme mimétique et
l'isomorphisme normatif. L'isomorphisme coercitif est le résultat de pressions formelles ou
informelles exercées par les organisations du champ organisationnel dans le but de répondre à
des attentes culturelles de la société, mais aussi pour se conformer aux normes, règles, lois
édictés par la société ou par l'Etat. Meyer & Hannan (1979) constatent que les structures
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 38
organisationnelles reflètent peu à peu les règles dominantes édictées par l'Etat ou la société.
Dans le cadre de notre étude, on peut se demander si les démarches de performance
définies par l'Etat français en 2001 avec la LOLF13 n'ont pas été imposées aux
collectivités territoriales par ce processus d'isomorphisme coercitif. En effet, de façon
formelle la LOLF s'applique uniquement à l'Etat, mais de façon informelle, l'Etat incite
les collectivités territoriales à adopter des démarches de performance similaires. Mais
préalablement et de façon beaucoup plus autoritaire, avec la nouvelle instruction
budgétaire et comptable M1414, l'Etat a obligé les communes à évoluer vers une
comptabilité beaucoup plus proche des pratiques du secteur privé.
L'isomorphisme mimétique est la conséquence de l'incapacité des organisations à
trouver des solutions nouvelles face à un problème dans un environnement incertain. Pour
Cyert & March (1963) le mimétisme est une solution à moindre coût face à un problème aux
causes ambigües ou aux solutions peu évidentes. Les organisations tendent à se modeler sur
d'autres organisations similaires de leur champ qui sont perçues comme plus légitimes. La
mise en œuvre d'une comptabilité de gestion dans une commune est-elle un moyen
d'améliorer sa légitimité par rapport à d'autres communes "performantes" en ce
domaine ? Les études empiriques (Meyssonnier, 1993a ou Bargain, 2011) montrent que
la ville d'Angers, "pilote" en la matière, a influencé d'autres communes à adopter une
comptabilité analytique en coûts complets.
L'isomorphisme normatif provient principalement de la professionnalisation, et deux
de ses aspects sont considérés comme source importante d'isomorphisme : les dispositifs
d'éducation formelle et la croissance des réseaux professionnels par lesquels les nouveaux
13 Loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, abrégée en LOLF.
14 Loi n°94-504 du 22 juin 1994.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 39
modèles se diffusent. De tels mécanismes créent ainsi des individus interchangeables
occupant des positions similaires dans les organisations, et qui réagissent de façon identique
face à une même situation. En ce qui concerne la diffusion de la comptabilité de gestion
dans les communes, on peut s'interroger sur le rôle joué par les professionnels de la
comptabilité, en sachant que depuis plusieurs années la fonction publique territoriale
tend à se professionnaliser. L'exemple de la ville d'Angers est une fois de plus
révélateur : c'est sur l'impulsion d'un contrôleur de gestion recruté dans le secteur privé
en 1983 que la décision est prise de mettre en place une comptabilité analytique
(Meyssonnier, 1993).
De plus, les expériences des communes "pionnières" servent de base à l'élaboration de
guides pratiques à destination des professionnels et des fonctionnaires territoriaux. C'est le cas
en 1988 avec le guide "La comptabilité analytique appliquée aux services communaux"
élaboré par deux experts-comptables et publié avec le soutien du Ministre de l'Intérieur chargé
des collectivités locales, et du Ministre délégué chargé du budget. Dans ce cas précis, on peut
considérer que l'isomorphisme normatif coexiste avec un isomorphisme coercitif, car
l'ouvrage est préfacé par les ministres Alain Juppé et Yves Galland qui incitent fortement les
communes à s'emparer de l'outil "comptabilité analytique" : "Ce guide ne prétend pas donner
aux utilisateurs des directives contraignantes ou rigides, qui se révéleraient finalement
inopérantes, une adéquation aux besoins et aux contraintes des services concernés devant
résulter des décisions de chaque collectivité. C'est pourquoi le présent ouvrage n'a aucun
caractère normatif. En revanche, nous souhaitons qu'il constitue [...] un nouvel outil de
gestion adapté aux multiples et importantes responsabilités auxquelles ont à faire face les
équipes en charge de la vie des communes.."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 40
A contrario et pour relativiser le rôle joué par les professionnels, Gibert & Thoenig
(1993, p. 15) considèrent que "la propagation des innovations est un enjeu fort marginal
pour les écoles administratives".
L'introduction de la comptabilité de gestion dans les communes semble donc être le
résultat de pressions institutionnelles. Maintenant, peut-on pour autant dire que la
comptabilité de gestion est une pratique institutionnalisée dans les communes ? La réponse
semble moins évidente à formuler car pour cela il faudrait démontrer que la comptabilité de
gestion est une activité durable et socialement acceptée dans les communes, or certains échecs
connus (Orléans, La Roche-sur-Yon) sont de nature à remettre en cause cette idée.
D'autre part, il importe également de prendre en compte certaines critiques à l'encontre
du néo-institutionnalisme. L'une des principales critiques (Hirsch & Lounsbury, 1997) est
relative au manque de prise en compte de la capacité stratégique des acteurs de l'organisation.
Il paraît difficilement concevable d'ignorer que le jeu des acteurs peut influencer l'introduction
d'un outil de gestion et son utilisation dans l'organisation. C'est ce que nous évoquerons dans
la deuxième partie de ce mémoire avec la théorie de la traduction, celle-ci montrant comment
les acteurs de l'organisation ont la capacité de transformer et d'adapter les outils de gestion à
leurs besoins.
2. La performance : le nouvel objectif "imposé" des organisations
publiques
Selon Gibert (2008, p. 18), "le mode de légitimation dominant pour les organisations
est la performance. Une organisation est légitime parce qu’elle est performante, c'est-à-dire
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 41
qu’elle atteint ses objectifs avec une consommation de moyens relativement restreinte. Le
management public est alors orienté vers la recherche, et plus encore l’affirmation, de la
performance de l’ensemble du système public." Une façon de légitimer sa performance pour
les organisations publiques est de se doter d’outils de gestion des entreprises privées. En effet,
ces outils permettent de mettre en évidence les résultats et donc la performance des
entreprises. La comptabilité de gestion peut alors constituer un moyen de justifier la
performance d’une organisation publique.
Le concept même de performance est source de multiples débats et interrogations.
Pour Bartoli (2009), quatre difficultés sont inhérentes au concept de performance :
• Le sens à donner au concept lui-même ;
• La définition de la performance attendue pour l'organisation considérée,
autrement dit, comment définir dans notre étude la performance des
organisations publiques ;
• Les modalités d'obtention de la performance ainsi définie ;
• L'identification des critères et indicateurs de performance, autrement dit
l'évaluation de la performance.
Ce sont donc ces quatre difficultés inhérentes au concept de performance que nous allons
maintenant expliquer.
La notion de performance
L'étymologie du terme "performance" est un peu surprenante puisqu'elle se réfère aux
"résultats, actions accomplies par un cheval de course" (XIXe siècle)15 ; dans son sens
primaire, la performance a trois significations : le succès, le résultat obtenu et l'action
15
D'après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 42
entreprise. Initialement, le terme était employé uniquement dans le domaine sportif, il se
diffusa ensuite dans le domaine économique au XXe siècle. Néanmoins, comme le souligne
Bessire (1999), le terme "performance" en contrôle de gestion n'est pas toujours utilisé avec
rigueur et discernement. En effet, la performance a plusieurs acceptions selon les auteurs et
son sens ne va pas de soi bien que le terme soit de plus en plus employé. Cependant, Bessire
(1999) relève des points de convergence dans l'utilisation du terme "performance" : ce terme
est utilisé dans un contexte d'évaluation, donc d'estimation de valeur ; la performance a
plusieurs niveaux ou dimensions quoique différents selon les auteurs (par exemple : social,
économique, politique, systémique...). La performance est en relation avec la cohérence et la
pertinence, elle oscille entre subjectivité et objectivité.
Comment définir la performance dans les organisations publiques ?
Comme nous l'avons vu précédemment, le NPM introduit la notion de performance
dans les administrations publiques. En France en 2001, la LOLF reprend cette notion de
performance à travers l'orientation de la gestion publique de l'Etat vers les résultats et la
recherche d'efficacité. Mais, comme le signale Steckel (2010), l'Etat a d'abord "testé" la
modernisation budgétaire et financière sur les collectivités territoriales, notamment avec
l'instruction budgétaire et comptable M14 des communes en 1994 (par exemple en
introduisant les principes de la comptabilité d'engagement, et les prémices d'une comptabilité
de gestion). En effet, la M1416 introduit une nomenclature fonctionnelle : " conçue comme
un instrument d’information destiné à faire apparaître, par activité, les dépenses et les
recettes d’une commune. Contrairement à une approche de la comptabilité analytique, qui
permet de dégager les coûts et les prix de revient de chaque service communal ou de chaque
16 D'après l' Instruction budgétaire et comptable M14.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 43
équipement, la nomenclature fonctionnelle permet uniquement de répartir, par secteur
d’activité et par grande masse, les crédits ouverts au budget d’une commune. "
La recherche de la performance pour les organisations publiques passe donc par une
transposition des outils de gestion venant du secteur privé, et en premier lieu de la
comptabilité financière. Le tableau 3 (50 ans d’évolution de la comptabilité publique en
France) décrit la chronologie des évolutions de la comptabilité publique en France et les
mesures nouvelles (en bleu) marquant une convergence vers les règles comptables du secteur
privé.
Tableau 3 - 50 ans d'évolution de la comptabilité publique en France
Textes Champ d’application
Ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi
organique relative aux lois de finances
Cadre financier et budgétaire de l’Etat
Décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 Règlement général sur la comptabilité publique
de l’Etat et des collectivités territoriales
Loi n°94-504 du 22 juin 1994 Dispositions budgétaires et comptables relatives
aux collectivités territoriales
Instruction budgétaire et comptable M14
Introduction d'une nomenclature fonctionnelle
Loi organique n°2001-692 du 1er août 2001
relative aux lois de finances (LOLF)
Cadre financier et budgétaire de l’Etat
(remplace dispositions datant de 1959)
Budgétisation orientée vers les résultats à partir
d'objectifs définis
Loi n°2003-132 du 19 février 2003 Règles budgétaires et comptables applicables aux
Départements
Instruction budgétaire et comptable M52
Arrêté du 21 mai 2004 (modifié par arrêtés du 17
avril 2007, 13 mars 2008 et 11 mars 2009)
Recueil des normes comptables de l’Etat
Mesure des coûts et de la performance
Arrêté du 29 avril 2009 Création du Conseil de normalisation des
comptes publics
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 44
Le concept de "performance publique" est fréquemment utilisé et mobilisé par l'Etat,
mais il n'en existe pas de définition précise ; la littérature en donne donc plusieurs
interprétations, dans sa définition et dans ses modalités de gestion.
Pour Chatelain-Ponroy & Cellier (2005, p. 7), la performance se traduit en général par
la réalisation des objectifs de l'organisation ; ainsi la LOLF précise que "les performances de
l'action publique doivent désormais être présentées en associant à chaque programme des
indicateurs permettant d'apprécier les résultats recherchés et ceux obtenus." Donc, pour
rejoindre les critères convergents de Bessire (1999), la performance se situe clairement ici
dans un contexte d'évaluation, avec un caractère multidimensionnel (objectifs multiples) et
subjectif (performance appréciée par différents acteurs de l'organisation).
Chatelain-Ponroy & Cellier (2005, p. 9) insistent sur la particularité des organisations
publiques qui "réalisent le plus souvent une mission en « distribuant » un produit qui ne peut
être défini que de façon abstraite, et pour lequel il est, par conséquent, extrêmement difficile
de mesurer le volume d’activité et donc de définir des coûts." La difficulté de la mesure de la
performance dans les organisations publiques s'exprime par le décalage entre la mesure de la
"production" ("output", par exemple produire des heures de cours) plus facilement
quantifiable, et l'impact de cette production ("outcome", par exemple améliorer la formation
des jeunes) qui dépend du contexte socio-économique et qui est plus difficilement mesurable.
Pour Lorino (1999), la définition et le pilotage d'une organisation publique pose deux
problèmes : définir les besoins légitimes auxquelles elle doit répondre (source de valeur) et
déployer le couple "valeur-coût" dans l'organisation. Or, Lorino (1999, p.24) constate que les
besoins à satisfaire ont évolué : "les modes de pilotage traditionnels de la performance
publique en France étaient fondés sur des hypothèses de stabilité et de simplicité (degré élevé
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 45
de standardisation) du besoin social. Les mutations engagées aujourd'hui renvoient à un
constat : les deux catégories d'hypothèses (stabilité, standardisation) ne sont plus vérifiées.
Désormais, la demande sociale adressée au secteur public est, tout à la fois, fortement
différenciée (personnalisation) et rapidement évolutive. Dans ces conditions, les modes de
pilotage traditionnels s'avèrent inefficaces (ne fournissent pas de prestations totalement
pertinentes par rapport aux besoins) et inefficients (n'assurent pas une économie de
ressources satisfaisante)."
Les modalités d'obtention de la performance publique et son évaluation
Comme nous venons de le voir, il n'existe pas de définition unanimement reconnue de
la performance publique. Existe-t-il alors des modèles d'obtention de la performance
publique ? Là aussi, il ne semble pas y avoir de consensus à ce sujet. Carassus et al. (2011)
recensent différents modèles de gestion de la performance publique, et les classent suivant
deux approches : économique et partenariale.
Selon l'approche économique, Carassus et al. (2011) distinguent :
- le modèle de Gibert (1980), ou le modèle "inputs-outputs-outcomes", avec des
indicateurs non financiers pour les "outcomes" et des niveaux d'activité pour les
"outputs" ; l'efficience est mesurée par le ratio outputs / inputs et l'efficacité par les
outcomes ;
- le modèle de Hood (1995) : les sept principes du NPM définis par Hood (vus
précédemment) vont dans le sens de la recherche de performance ;
- le modèle de Bouckaert & Politt (2004), qui s'appuie sur un système de pilotage
représentant les dimensions internes et externes de la performance ;
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 46
- le modèle de Demeestere (2005) qui reprend le modèle de performance du secteur
privé "économie-efficience-efficacité", et qui propose de remplacer "l'économie" par
la pertinence (pour les actions engagées).
Les modèles partenariaux s'appuient sur l'approche des parties prenantes, autrement dit
privilégient les bénéficiaires de la performance, et résultent notamment de l'adaptation du
Balanced Scorecard de Kaplan & Norton (1992). L'intérêt de ces approches est qu'elles
mettent en avant la mesure des "outcomes", autrement dit des impacts sur les usagers /
bénéficiaires des résultats, en s'attachant à la mesure de la satisfaction.
Pour Chapet (2007), l'approche par les parties prenantes a le mérite de clarifier différents
enjeux : ceux liés à l'usager (perception de la qualité du service), au contribuable (niveau de
contribution consenti), aux agents (détermination des compétences nécessaires et des
dispositifs d'apprentissage), aux citoyens... Cette approche est particulièrement intéressante
dans la conduite des projets, et de façon plus générale dans la conduite participative de
l'action publique. Néanmoins, Chapet (2007) note les limites de cette approche notamment
en ce qui concerne la prise de décision rendue plus difficile par la prise en compte des intérêts
multiples des parties prenantes : "L'approche par les parties prenantes a donc l'immense
avantage d'aborder la décision publique du point de vue du recensement des « problèmes
publics » mais n'est pas en elle-même, d'un très grand secours pour arbitrer des solutions
susceptibles de consolider tout à la fois, la légitimité du pouvoir politique et la cohésion de la
communauté politique " (Chapet, 2007, p. 7).
Carassus & Gardey (2009) s'intéressent aux démarches locales de performance
inspirées par la LOLF ; celles-ci se traduisent tout d'abord par la définition d'objectifs de
performance, puis ensuite par la mise en œuvre d'indicateurs de performance. Les auteurs
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 47
s'appuient notamment sur les résultats d'une enquête17 de l'AFIGESE-CT18 en 2008. Cette
enquête révèle que "les outils mobilisés, permettant un pilotage rationnel de l'organisation,
sont de nature stratégico/budgétaire, évaluative, et responsabilisante" (p. 16). Carassus &
Gardey (2009) insistent sur la dimension prioritairement budgétaire et financière (moyens
engagés, coûts) des indicateurs de performance.
Carassus et al. (2011) reprennent les différents modèles d'obtention de la performance
publique (évoqués plus haut) et mettent en évidence par une étude empirique19 le caractère
multidimensionnel de la performance dans les organisations publiques. Cinq dimensions sont
caractérisées : territoriale, de service public, organisationnelle, humaine et financière. Dans
l'analyse des résultats obtenus, Carassus et al. (2011) relèvent que trois critères de mesure de
la performance publique sont davantage mis en avant par les répondants : le niveau de
satisfaction des citoyens, le niveau de capital humain et le degré de réalisation des actions
engagées.
Il est intéressant de noter que ces critères ne sont pas de nature budgétaire et comptable,
contrairement aux résultats de l'enquête de l'AFIGESE-CT de 2008 (évoquée ci-dessus).
Ces résultats apparaissent donc successivement contradictoires, que faut-il en penser ?
Tout d'abord on peut dire que la notion de performance publique est encore en recherche de
détermination, et qu'aucune définition n'est figée. Ensuite, on peut supposer que la
performance publique a fait l'objet en premier lieu d'une délimitation restrictive (fondée sur
17 Enquête réalisée sur 360 collectivités territoriales françaises (dont 45% de villes).
18 Association Finance-Gestion-Evaluation des Collectivités Territoriales.
19 Questionnaire administré sur 350 collectivités territoriales françaises de plus de 50 000 habitants en 2009 (147 réponses exploitées).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 48
les indicateurs comptables et budgétaires, transposés du secteur privé), qui s'élargit ensuite
progressivement pour tenir compte des spécificités de l'action publique.
Ces éléments apportent un éclairage supplémentaire à notre étude : par rapport aux
entreprises, les critères purement comptables et financiers (comme par exemple les
coûts déterminés par la comptabilité de gestion) semblent de moins en moins exhaustifs
dans la mesure de la performance des organisations publiques. Ce facteur pourrait
contribuer à expliquer la relative régression de la comptabilité de gestion dans les communes
ces dernières années.
Conclusion de la première partie
Pour conclure sur l'intérêt porté à la comptabilité de gestion dans les communes, il semble
donc que trois facteurs environnementaux aient joué un rôle majeur dans le développement
des outils de contrôle de gestion dans les communes.
Selon Chatelain-Ponroy (2008), ces facteurs environnementaux sont (voir schéma 2 - les
facteurs environnementaux générant une demande d'outils de contrôle de gestion) :
- L'évolution de la société vers l'idéologie du managérialisme (et de façon plus large
l'influence du NPM), ce qui a poussé à l'adoption de démarches de performance et d'outils de
gestion empruntés au secteur privé ;
- Les réformes structurelles de modernisation de la gestion publique engagées par les pouvoirs
publics ;
- Les restrictions budgétaires liées au resserrement de la contrainte financière.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 49
Schéma 2 - Les facteurs environnementaux générant une demande d'outils de contrôle de
gestion - Source : Chatelain-Ponroy, 2008.
Après avoir mis en évidence et étudié les facteurs externes générant une demande de
contrôle, il s'agit maintenant d'analyser comment ce besoin de contrôle est traduit, en nous
focalisant sur l'adoption et l'appropriation de la comptabilité de gestion dans les communes.
Managérialisme
Réforme de la gestion
publique
Restrictions budgétaires
Besoin de contrôle
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 50
II. DE L'ADOPTION A L'APPROPRIATION DE LA COMPTABILITE DE
GESTION DANS LES COMMUNES : LES CONTRAINTES DU
TERRAIN
Nous avons vu précédemment que les pressions environnementales, dans le contexte
du NPM et sous l'idéologie du managérialisme, ont incité les communes à adopter la culture
managériale du secteur privé, et en particulier à transposer les outils du contrôle de gestion,
très souvent dans un objectif de légitimité. L'adoption du contrôle de gestion a, semble-t-il,
une portée instrumentale vis à vis de l'environnement. Qu'en est-il de sa portée en interne ?
Selon Chatelain-Ponroy (2010, p. 83), "les outils du contrôle de gestion doivent d'abord faire
la démonstration de leur utilité au service de l'éclairage des choix politique et stratégique
(dimension visible, "externe" de l'iceberg) avant de pouvoir pénétrer dans les organisations et
y produire les changements organisationnels nécessaires (dimension invisible, "interne" de
l'iceberg)."
En ce qui concerne la comptabilité de gestion adoptée par les communes, quelle est
son incidence sur l'organisation ? Quels sont les effets attendus ? Cet outil de gestion génère-
t-il des changements organisationnels dans la commune ?
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 51
A. La transposition d’un outil de gestion du secteur privé au
secteur public : des objectifs particuliers dans un contexte
spécifique
La comptabilité de gestion est un outil du contrôle de gestion initialement conçu pour
les entreprises, sa transposition au secteur non marchand pose des problèmes d'adaptation. Il
est donc nécessaire de prendre en compte les particularités des communes.
Les communes, en tant qu'organisations publiques, sont depuis longtemps familiarisées avec
la notion de contrôle, car le contrôle de régularité date de l'instauration de la Cour des
comptes en 1807 (Burlaud, 2009), mais ce n'est que plus récemment qu'elles utilisent les
outils d'une autre forme de contrôle, le contrôle de gestion.
1. La comptabilité de gestion : un outil adapté au secteur marchand
La comptabilité de gestion : éléments historiques
Historiquement, la comptabilité de gestion apparaît nécessaire en même temps que la
comptabilité générale car elle permet la décomposition économique du résultat global de
l’entreprise afin de comprendre son origine (Dupuy, 2009). La comptabilité de gestion est
également étroitement liée à la notion de coûts. La terminologie "comptabilité de gestion"
n’est pas complètement fixée puisque les auteurs et praticiens parlent aussi de "comptabilité
analytique" ou "d’analyse de coûts".
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 52
La Révolution industrielle marque l’apparition des calculs de coûts dans les entreprises
(Nikitin, 1992)20. En France, au début du XXe siècle, les calculs de coûts se diffusent dans les
entreprises car ils contribuent à déterminer le calcul du prix de vente. Le développement des
méthodes de production inspirées de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) contribue
également à la diffusion de techniques de calcul de prix de revient (Lemarchand, 2004). En
effet, en 1926, la Commission Générale d’Organisation Scientifique du Travail (CGOST,
appelée Cégos) est créée, elle a pour objectif de faire connaître les méthodes d’Organisation
Scientifique du Travail. La détermination des prix de revient devient rapidement une question
centrale pour la Cégos, un comité est mis en place sur ce thème. Il est important de déterminer
une méthode de calcul uniforme des prix de revient afin de limiter la concurrence sur les
marchés. En 1927, le rapport de ce comité, rédigé par le Lieutenant-Colonel Rimailho,
présente une méthode de calcul des coûts, qui sera plus tard reprise sous le nom de "méthode
des sections homogènes" dans le premier Plan Comptable Général de 1947, puis dans celui de
1957.
Cette méthode s'impose progressivement en France dans les entreprises, dans l'enseignement
et dans les cabinets d'experts-comptables. Le PCG propose en 1982 une nouvelle version de la
méthode des sections homogènes, sous l'appellation "méthode des centres d'analyse".
Dans les entreprises, les objectifs assignés à la comptabilité de gestion ont évolué au
fil du temps (voir tableau 4 - les quatre étapes historiques dans l’extension des domaines de
la comptabilité de gestion d’après la FMAC). De simple activité technique (avant 1950), elle
est devenue partie intégrante des processus de gestion de l’entreprise autrement dit une
pratique institutionnalisée.
20
L’auteur suppose que la concurrence entre firmes est également un facteur expliquant le développement du calcul des coûts.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 53
Tableau 4 - les quatre étapes historiques dans l’extension des domaines de la comptabilité de
gestion d’après la FMAC (Financial and Management Accounting Committee) - Source : adapté
de Horngren et al. (2009)
Période Domaine
Avant 1950 Détermination des coûts et contrôle financier par les techniques budgétaires et
la comptabilité analytique
1965 Planification et contrôle de gestion par l’utilisation des notions de centres de
responsabilité et d’analyse des décisions
1985 Réduction du gaspillage des ressources utilisées par les entreprises
A partir de 1995 Création de valeur par l’emploi efficace des ressources, par la prise en compte
des critères de détermination de la valeur par le client et par l’innovation
Un outil privilégié du contrôle de gestion
Le contrôle de gestion n'appelle pas de définition simple et suivant les auteurs il peut
être vu comme un processus, un mode de management, une façon de contrôler les
comportements. L'appellation provient de l'expression anglo-saxonne "management control"
dont la traduction en "contrôle de gestion" suscite encore des débats et des interrogations
(Bouquin, 2011).
Une des définitions les plus communément admises est celle d'Anthony (1965, p. 17) : "le
contrôle de gestion est le processus par lequel les managers obtiennent l'assurance que les
ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente pour réaliser les
objectifs de l'organisation."
Pour Burlaud & Simon (2006), le contrôle de gestion est un système de régulation des
comportements de l’homme quand sa profession s’exerce dans le cadre d’une
organisation ; le contrôle de gestion est finalisé (il est au service d’une stratégie) et s’appuie
sur un ensemble de techniques qui ont en commun de concourir à un contrôle à distance des
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 54
comportements, sur la base d’indicateurs quantifiés. D’après Hofstede (1981), le contrôle
de gestion (dans sa forme héritée du taylorisme) s’avère bien adapté au contrôle des
comportements quand quatre conditions sont réunies : caractère non ambigu des objectifs,
possibilité de mesurer les résultats, possibilité de prévoir les effets des actions correctives et
répétitivité de l’activité (ou possibilité de capitaliser l’expérience). Ces différentes conditions
étant rarement réunies, le contrôle de gestion doit cohabiter avec d'autres formes de contrôle
(Burlaud, 2009) comme par exemple : le contrôle par la hiérarchie, l'audit, le contrôle par le
marché, le contrôle clanique…
Si on considère le contrôle de gestion comme un processus, il peut s'appréhender
comme une "boucle" (Löning et al., 2008) permettant un apprentissage progressif
(planification à partir des objectifs, mise en œuvre, suivi des réalisations et actions
correctives) inspiré de la roue de Deming ("plan, do, check, act").
A l'origine du processus se trouvent les objectifs de l'organisation, sans eux il ne peut y avoir
de contrôle de gestion, mais la multiplicité des objectifs, parfois contradictoires, et leur
ambiguïté peut générer des difficultés dans la mise en œuvre du contrôle de gestion. Ensuite,
le processus a besoin de ressources (humaines, matérielles, financières) pour mettre en œuvre
les actions, et d'outils pour mesurer les résultats obtenus.
Beaulier & Salery (2006) délimitent la place du contrôle de gestion dans les
organisations publiques au triptyque "objectifs / moyens / résultats". Leur représentation est
proche de celui de Demeestere (2005) évoqué dans les approches économiques des modèles
d'obtention de la performance publique (voir schéma 3 - Le cycle de la gestion publique).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 55
Schéma 3 - Le cycle de la gestion publique - Source : Beaulier et Salery (2006)
Comment définir et caractériser les outils du contrôle de gestion ? Selon De Vaujany
(2006), un outil de gestion correspond à un ensemble d'objets de gestion (signes,
techniques ou savoir-faire local et élémentaire) intégrés et codifiés dans une logique
fonctionnelle (ou toute autre logique d'acteur) et respectant un certain nombre de règles de
gestion (discours ou pratique à destination des membres de l'organisation à visée normative).
L'outil de gestion est finalisé, a un caractère instrumental et contextuel.
Les outils classiques du contrôle de gestion sont les calculs de coûts, les budgets, les tableaux
de bord qui répondent à des besoins de prévision et de pilotage.
Les calculs de coûts procurent des informations nécessaires à la prise de décision de la
hiérarchie ; ceux-ci peuvent se faire soit a priori (coût préétabli) soit a posteriori (coût
constaté ou coût réel), sur différents objets de coûts (fonction, activité..), avec différentes
méthodes qui ont évolué au fil du temps. Parmi ces méthodes, nous pouvons citer : sections
homogènes, centres d’analyse, méthode ABC pour les coûts complets ; coût variable, coût
spécifique, coût marginal pour les coûts partiels (voir schéma 4 - Les trois caractéristiques
d'un coût).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 56
Schéma 4 - Les trois caractéristiques d'un coût - Source : PCG 1982.
Les objectifs traditionnellement assignés à la comptabilité de gestion
Le plan comptable général 1982 définit les objectifs de la comptabilité analytique :
"La comptabilité analytique est un mode de traitement de données dont les objectifs essentiels
sont les suivants ; d'une part :
- connaître les coûts des différentes fonctions assumées par l'entreprise ;
- déterminer les bases d'évaluation de certains éléments du bilan de l'entreprise ;
- expliquer les résultats en calculant les coûts des produits (biens et services) pour les
comparer aux prix de vente correspondants.
D'autre part :
- établir les prévisions de charges et de produits courants (coûts préétablis et budgets
d'exploitation par exemple) ;
- en constater la réalisation et expliquer les écarts qui en résultent (contrôle des coûts et des
budgets, par exemple).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 57
D'une manière générale, elle doit fournir tous les éléments de nature à éclairer les prises de
décision. "
Les objectifs sont donc de différentes natures :
• La comptabilité analytique doit alimenter la comptabilité générale en informations
financières (le PCG 1999 spécifie les règles d'évaluation des actifs : par exemple au
coût de production pour les immobilisations produites et les stocks de produits) ;
• La comptabilité de gestion doit permettre d'apprécier la performance de
l'entreprise (expliquer les résultats, connaître les coûts des différentes fonctions) ;
• Elle doit aider à la prise de décision et au pilotage de l'entreprise (coûts
prévisionnels, contrôle des coûts, fixation des prix de vente).
2. Les particularités des communes : une nécessité à prendre en
compte
Des contraintes particulières pas toujours prises en compte
Dès 1988, les communes sont sensibilisées à la mise en place d'une comptabilité
analytique par la diffusion d'un guide professionnel21 élaboré par deux experts-comptables,
Carles et De Kerviler et avec la collaboration de communes22 ayant expérimenté le dispositif.
21 "La comptabilité analytique appliquée aux services communaux", La Documentation Française, 1988.
22 Châtillon, Chartres, Issy-les-Moulineaux, La Roche-sur-Yon, Montbéliard, Nancy, Rezé, Orléans, Saint-Ouen-L'Aumône, Sucy-en-Brie, Turennes, Troyes, Tourcoing.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 58
Ce guide, préfacé par deux ministres23, figure parmi les recommandations d'un groupe de
travail (composé d'élus et de fonctionnaires territoriaux) chargé de réfléchir à l'amélioration
de la gestion des services publics locaux.
Dans la démarche à suivre, Carles & De Kerviler (1988) indiquent des précautions à prendre :
adapter la comptabilité analytique aux caractéristiques de la collectivité, mener une
concertation étroite avec le personnel, concilier une conception globale et une mise en place
progressive, éviter toute sophistication excessive. Néanmoins, même si les auteurs
reconnaissent l'existence de caractéristiques propres aux collectivités, la méthode préconisée
est uniforme. En effet, la méthode des coûts complets par les centres d'analyse (PCG
1982), autrement dit un système global au niveau d'un service (ou d'une division) de la
commune, est la seule méthode évoquée dans ce guide.
Dans un premier temps, le système global est le seul préconisé, ce qui signifie que l'on
"plaque" un système appliqué aux entreprises sur les collectivités. Petit à petit cette approche
est progressivement remise en cause. Pour Sandretto (1985), "nombreux sont les managers
incapables de reconnaître la relation qui doit exister entre la comptabilité des coûts et son
environnement et qui, souvent, consacrent des sommes considérables à des systèmes
inadaptés à leur processus de production."
Baranger (1995) met en évidence les éléments contingents des organisations qui
déterminent les méthodes de calcul et d'analyse des coûts, en partant du constat que toute
organisation évolue dans un environnement spécifique, et a des besoins qui lui sont propres.
L'internationalisation de l'environnement, l'augmentation de la concurrence, l'évolution des
23 Y. Galland, ministre délégué chargé des collectivités territoriales et A. Juppé, ministre délégué chargé du budget.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 59
méthodes de management sont autant de facteurs qui ont fait émerger les méthodes de calcul
de coûts (voir tableau 5 - L'évolution des méthodes de calculs de coûts et leur origine).
Tableau 5 - L'évolution des méthodes de calculs de coûts et leur origine - Source : librement
inspiré de Baranger, 1995.
Légende : EU : Etats-Unis, F : France, J : Japon
Repères chronologiques et
historiques
Méthodes de calculs de coûts complets
Méthodes de calculs de coûts partiels
Autres approches en matière de coûts
Début du 20e siècle : mouvements pour des méthodes de calcul de coûts uniformes dans l'industrie. Influence de l'Organisation Scientifique du Travail
- "Full costing" (EU) - Coûts standards (EU)
Coût variable ou "direct costing" (EU)
Sections homogènes (F) - PCG 1957
Années 1950 - 1960 Méthode GP (F) (principes repris ensuite avec méthode UVA)
- Coût direct (EU / F) - Coût spécifique ou "direct costing évolué" (EU / F)
Approche "projet" dans l'industrie
- Coûts cibles ou "target costing" (J) - Analyse de la valeur (EU) Années 1980 Méthode des centres
d'analyse (F) - PCG 1982
Approche "processus" Méthode ABC (EU) - Coûts de la qualité (EU) - Coûts cachés (F) - Système croisé (F)
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 60
Baranger (1995, p. 1) constate une grande diversité des méthodes de calculs de coûts face à
une grande diversité de situations auxquelles les organisations sont confrontées : "Il apparaît
dès le départ que les méthodes n'ont d'intérêt qu'en fonction des situations et des problèmes
de management auxquels elles sont confrontées, c'est-à-dire de leur pertinence pour celui qui
cherche une solution et décide." Sandretto (1985) affirme également que le choix d'un
système de calcul de coûts dépend de facteurs comme l'environnement, la stratégie face
à la concurrence, le cycle de vie du produit, la structure des coûts...
Baranger (1995) pose le principe que le choix de la méthode de calculs des coûts est
fonction de la nature de l'organisation (entreprise industrielle, de distribution ou de
services ; organisation à but non lucratif) et de différentes variables de management
(culture et valeurs, objectifs, stratégie, structure, management opérationnel).
Les organisations à but non lucratif (OBNL) comprennent les communes, mais aussi les
administrations de l'Etat, les organismes publics (hôpitaux, universités), les autres
collectivités territoriales (conseils généraux, conseils régionaux), les coopératives et les
associations. Les OBNL représentent une grande diversité de situations et Baranger (1995)
propose, comme meilleure solution, une organisation par "marchés" (en fonction de l'objet de
l'organisation, et non dans un sens commercial).
En 2006, Fabre & Bessire affinent cette catégorisation (voir tableau 6 - Influence du
secteur d'activité sur le système d'analyse des coûts) en créant une typologie, et mettent en
évidence pour les OBNL la diversité importante des prestations fournies. Celles-ci
proviennent, notamment en ce qui concerne les communes, des multiples activités exercées.
De plus, l'absence de normes, c'est-à-dire de marché pour la prestation produite, rend difficile
la comparaison entre le coût engagé et la valeur créée.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 61
Tableau 6 - Influence du secteur d'activité sur le système d'analyse des coûts (exemples de
secteurs hors industrie) - Source : Fabre et Bessire (2006)
Services centrés sur l'exploitation d'un
savoir-faire
Services centrés sur l'exploitation d'un
équipement
Entreprises de distribution
Organisations à but non lucratif
(organismes d'Etat) Prestation unique et homogène (unitaire et standard
Différents produits ou services proposés autour d'une prestation de base
Revente en l'état de biens
Prestations rendues de nature très variable (idem service)
Secteurs ou services concernés : - Formation - Réparation / entretien - Ingénierie et conseil - Restauration
Secteurs ou services concernés : - Hôtellerie - Transport - Téléphonie - Parc d'attractions
Secteurs ou services concernés : - Détaillants - Grossistes
Secteurs ou services concernés : - Mairies - Universités - Hôpitaux
Importance de la main d'œuvre directe (process proche de la production unitaire ou standard selon les cas)
Importance des charges fixes : amortissement et main d'œuvre
Importance des achats et des frais de stockage
Importance des charges fixes : amortissement et/ou main d'œuvre Prix des prestations non significatif
Préoccupation essentielle : le contrôle des coûts main d'œuvre
Préoccupation essentielle : le seuil de rentabilité
Préoccupation essentielle : la maximisation de la marge sur coût direct
Préoccupation essentielle : le coût par usager
Types de coûts Coûts standards horaires par catégorie de personnel Suivi de la main d'œuvre directe
Types de coûts Seuil de rentabilité Coût et marge des produits et services annexes
Types de coûts Calcul des marges sur coût direct : par produit, par client grossiste), par rayon (détaillant) Prise en compte dans les coûts du coût du crédit client et du coût de possession du stock
Types de coûts Détermination de coûts standards (servant de pseudo chiffre d'affaires) Détermination de coûts directs par prestation et d'un coût direct par utilisateur
L'ambiguïté de la production des organisations publiques
Les entreprises ont pour vocation de produire et de vendre des biens et / ou des
services marchands à des clients identifiés. Pour les communes, et pour les organisations
publiques en général, les choses sont beaucoup plus complexes, les communes gèrent de
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 62
nombreux effets redistributifs : il existe une multitude de services et celui qui consomme
n'est pas toujours celui qui paie (Burlaud & Simon, 2003). Face à une multitude de services
produits, la répartition des charges devient extrêmement complexe, voire impossible24 !
Pour calculer un coût, il faut pouvoir définir l'objet de coût auquel il se rapporte : un bien,
un service, une fonction, une activité, etc. Un coût n'a de sens que par rapport à un périmètre
et à un objet de coût ; de plus, le caractère polymorphique des coûts dans le secteur
public est souvent sous-estimé : coûts variables / fixes, explicites / cachés, réversibles /
irréversibles, directs / indirects, etc.. (Gibert, 200725).
Les communes ont plusieurs possibilités pour fabriquer ces biens et ces services : en
régie (gestion directe), par des associations, par des sociétés d'économie mixte ou par des
entreprises privées (par des mécanismes de délégation ou de partenariats public / privé).
En situation de gestion directe et en ce qui concerne la nature des services fournis, les
communes connaissent en général trois cas différents :
• Fabriquer des biens et des services marchands pour des bénéficiaires identifiés (par
exemple : la distribution d'eau potable, la collecte d'ordures ménagères) ;
• Fabriquer des biens et des services non marchands pour des bénéficiaires identifiés
(par exemple : prestations de restauration scolaire, de crèche) ;
• Fabriquer des biens et des services non marchands pour des bénéficiaires non
identifiés (par exemple : l'éclairage public, les espaces verts).
24 Burlaud et Simon (2003) citent l'exemple d'une Direction départementale de l'équipement où plus de "500 produits" sont dénombrés.
25 D'après les notes de P. Fabre à la Journée d'étude de l'Institut de management public , exposé de P. Gibert :
"Tous les coûts sont permis mais peu sont utiles."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 63
Dans ces trois cas, la détermination des coûts sera différente : on peut concevoir qu'il est plus
facile de calculer le coût d'un service pour un bénéficiaire identifié que lorsqu'il ne l'est pas.
Burlaud & Gibert (1984) mettent en avant une autre particularité de la comptabilité de gestion
dans les organisations publiques : le caractère souvent abstrait du service produit. Ils
prennent comme exemples les cas de l'hôpital et de l'enseignement : "Pour un hôpital, c'est
l'amélioration de l'état de santé du malade entre sa date d'entrée et sa date de sortie ; pour un
établissement d'enseignement, ce sera l'élévation du niveau des connaissances et de la
capacité de réflexion entre le début et la fin de l'année universitaire. Faute de pouvoir
mesurer de telles «productions», on calculera le coût d'une journée d'hospitalisation, d'une
heure de cours, etc. Mais, ce faisant, on ne calcule que le coût d'un « moyen de production »
et non d'un produit" (Burlaud & Gibert, 1984, p. 99).
Cet exemple met en évidence la double fonction de production des organisations
publiques : la réalisation, ou "output", est la production d'un service (heures de cours par
exemple) et l'effet attendu de cette production, ou "outcome", est l'impact souhaité (élévation
du niveau des élèves par exemple).
Cette idée peut être résumée par le schéma 5.
Schéma 5 - la double fonction de production des organisations publiques - Source : Burlaud et
Simon, 2003.
Inputs
Réalisations
ou outputs
Impacts
ou outcomes
Fonction de production 2
Fonction de production 1
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 64
Pour Beaulier & Salery (2006, p. 76), "certaines activités et leurs résultats sont extrêmement
difficiles à mesurer et donc se prêtent plus difficilement aux techniques développées par le
contrôle de gestion." Les auteurs prennent comme exemple le suivi et la mesure des actions
culturelles d'une commune. La mise en place d'un contrôle de gestion dans ce domaine
appelle plusieurs questions : comment mesurer une action culturelle ? Quels indicateurs
choisir ? Comment mesurer les résultats, surtout s'ils sont difficiles à définir et s'ils
apparaissent plusieurs mois (ou années) après l'action ?
On voit bien à travers ce dernier exemple quelle est la complexité des productions des
organisations publiques. Il apparaît que Beaulier & Salery (2006) confondent réalisations et
impacts ce qui illustre bien la difficulté qu'a le contrôle de gestion à appréhender ce type
d'objets de coûts.
Les finalités spécifiques de la comptabilité de gestion dans les communes
Nous avons vu précédemment que la comptabilité de gestion répondait à des finalités
clairement identifiées pour les entreprises : décomposition du résultat, fixation des prix (ou
tarification), contrôle et pilotage. Peut-il en être de même dans les communes ?
Au regard des premières analyses sur cette question, l'objectif assigné à la comptabilité
analytique est un contrôle de gestion autoritaire s'appuyant sur la tarification, la
normalisation et la sanction (Laufer & Burlaud, 1980). La comptabilité analytique a donc
des objectifs de calcul de prix de revient (tarification), de comparaison des coûts de
prestations rendues par différents organismes (normalisation) et de mise en évidence des coûts
anormaux (sanction). Laufer & Burlaud (1980) sont néanmoins conscients des limites de
l'outil dans le contexte des organisations publiques des années 1980 : l'insuffisante
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 65
décentralisation des responsabilités26, la difficulté à définir les produits et les services
fabriqués, les problèmes posés par le traitement des charges et les insuffisances de la
comptabilité27.
Les objectifs assignés à la comptabilité de gestion ont, par la suite, fait l'objet
d'analyses plus développées.
Pour Burlaud & Simon (2003), les objectifs techniques habituellement présents dans les
entreprises semblent peu pertinents pour les organisations publiques. En effet, l'utilité de la
comptabilité de gestion pour la prévision budgétaire ne semble pas démontrée du fait du
"caractère relativement insaisissable de la fonction de production n°2, celle qui fait passer
des réalisations à l'impact" (Burlaud & Simon, 2003, p. 346), les impacts (outcomes) sont
impossibles à quantifier et donc intraduisibles dans un budget. La tarification de biens et de
services semble être un objectif plus réaliste, quand il s'agit de biens divisibles et non
collectifs. Mais elle se heurte au problème que la tarification des services publics n'est pas
uniquement basée sur leurs coûts, mais souvent en priorité sur des considérations fiscales (par
exemple : la délivrance de passeport ou de permis divers). De plus, la tarification publique
répond à des objectifs de redistribution, voire à d'autres objectifs macro-économiques, et dans
ce cas la fixation du prix ne dépend pas des coûts.
Un autre objectif de la comptabilité de gestion, fréquent dans les entreprises, est le
contrôle des coûts, qui repose sur l'établissement de standards. Pour Burlaud & Simon (2003,
p. 347), "ce qui frappe dans l'Administration, c'est précisément l'absence quasi générale de
standards de coûts". Cette absence s'explique par la difficulté à définir les objets de coûts et 26 L'ouvrage de Laufer et Burlaud est antérieur aux lois de décentralisation de 1982.
27 Par exemple, à cette époque, la comptabilité publique ne calcule pas les amortissements nécessaires à la comptabilité analytique.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 66
par leur caractère abstrait (comme expliqué précédemment), et si l'objet de coût n'est pas
défini, il devient encore plus difficile de lui attribuer une consommation normale de
ressources.
La ville d'Angers semble néanmoins avoir suivi des objectifs techniques en
mettant en place une comptabilité analytique dans les années 1980 (Bargain, 2011, p. 7) :
"le recours à la comptabilité analytique semble se justifier de lui-même au regard de ses
objectifs et des buts fixés par la direction générale : une comparaison des coûts à la fois dans
le temps, d'un service ou d'un équipement à l'autre, à des standards, à des objectifs ainsi
qu'aux prix pratiqués à l'extérieur (que ce soit à l'échelle d'une entreprise ou d'une autre
ville)."
Les objectifs de la comptabilité de gestion dans les communes sont donc davantage socio-
organisationnels que techniques (Burlaud & Simon, 2003, p. 349), car la comptabilité de
gestion "remplit en revanche un certain nombre de fonctions réelles ou symboliques sur
lesquelles se fonde son utilité."
La littérature met en évidence les différents objectifs socio-organisationnels
spécifiques aux organisations publiques.
Demeestere (2000) reprend l'hypothèse avancée par d'autres auteurs (comme Berry,
Covaleski et al., Ansari et Euske, Lapsley) par laquelle la comptabilité de gestion sert à
satisfaire à des obligations et à légitimer les activités et le sérieux de la gestion d'une
organisation publique vis à vis de l'extérieur.
Cette idée rejoint le point de vue de De Vaujany (2006) sur la valeur des outils de gestion
dans les organisations. L'auteur met en évidence trois types de valeur des outils de gestion :
valeur-caution, valeur d'assimilation et valeur d'appropriation construite. Lorsque la
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 67
comptabilité de gestion sert à légitimer les activités ou le sérieux de la gestion elle a pour
objectif d'avoir une valeur-caution. Pour de Vaujany (2006, p. 121), cette perspective
s'inscrit dans la lignée des travaux institutionnalistes de Di Maggio et Powell car
"l'appropriation de l'outil de gestion est ici pensée en terme d'adoption et de légitimité sociale
induite au sein du champ institutionnel. Que l'outil soit peu voire pas du tout utilisé est
finalement peu important."
Gibert (2008) s'inscrit également dans cette perspective en affirmant que les organisations
publiques cherchent à se légitimer par leur management, et plus précisément par la recherche
de la performance. Selon lui, "l'accountability, l'obligation de rendre des comptes (lorsqu'elle
dépasse le simple compte-rendu de la régularité financière des dépenses), n'est rien d'autre
que le rappel des contraintes de la revendication à être légitime." (Gibert, 2008, p. 18). Pour
les organisations publiques, un moyen de démontrer leur performance, c'est-à-dire
l'atteinte des objectifs avec une consommation de moyens restreinte, résulte de la mise
en œuvre d'indicateurs de performance, dont la comptabilité de gestion fait partie.
Un autre objectif spécifique de la comptabilité de gestion est la valorisation des
prestations rendues à des associations (Demeestere, 2007), pas seulement au sens de la
tarification, mais aussi dans un but de sensibilisation des utilisateurs au coût de leurs
demandes. Dans ce contexte, les outils de gestion (comme la comptabilité de gestion) peuvent
être de véritables outils d'aide à la négociation et des instruments de valorisation (Fabre,
2010).
Burchell et al. (1980) ont défini quatre rôles pour la comptabilité en fonction de la
connaissance par les organisations des relations de cause à effet et de l'ambiguïté des objectifs
(voir tableau 7 - Incertitude, prise de décision et rôles de la comptabilité) :
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 68
• "l'answer machine" où la comptabilité est utilisée de façon mécanique pour
prendre des décisions ;
• la "learning machine" où la comptabilité sert à analyser dans un but de
compréhension de l'organisation ;
• la "rationalization machine" où la comptabilité est utilisée pour légitimer des
décisions déjà prises ;
• "l'ammunition machine" où la comptabilité est instrumentalisée et utilisée de façon
sélective pour défendre certaines causes.
Tableau 7 - Incertitude, prise de décision et rôles de la comptabilité - Source : Burchell et al.,
1980.
Ambiguïté des objectifs Faible Elevée
Incertitude sur la relation de cause à effet
Faible
Answer machines Ammunition machines
Elevée
Answer machines ou learning machines
Rationalization machines
Dans l'optique de Fabre (2010), la comptabilité de gestion est instrumentalisée et on
rejoint le concept "d'ammunition machine" où, dans le contexte des communes, les objectifs
sont souvent ambigus, les décisions fortement politiques dans le but de satisfaire, de façon
sélective, les intérêts de certaines parties prenantes.
Fabre (2010) montre que la comptabilité analytique peut être utilisée comme un instrument
de négociation avec les associations ; de la même façon, la comptabilité analytique peut aider
à négocier des financements avec des partenaires extérieurs comme la Caisse d'Allocations
Familiales par exemple (Bargain, 2011).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 69
La comptabilité de gestion peut servir d'instrument de valorisation des efforts fournis
(Fabre, 2010), avec cet objectif on retrouve également le rôle "d'ammunition machine"
(Burchell et al., 1980). La valorisation des services rendus est parfois nécessaire vis-à-vis de
la population afin de mettre en avant les efforts fournis par la collectivité (Fabre & Bessire,
2008). C'est ce que remarque également Bargain (2011, p. 9) au regard des partenaires : "la
valorisation des prestations internes via la comptabilité de gestion permet d'afficher aux
différents partenaires, à la Direction Générale et aux élus, le montant des prestations en
nature accordées par la ville pour démontrer son effort global."
Nous avons donc vu que l'implantation d'une comptabilité de gestion dans une
commune répond davantage à des objectifs socio-organisationnels que techniques. Nous
allons maintenant voir comment la comptabilité de gestion peut trouver sa place dans
l'organisation.
B. L'appropriation de la comptabilité de gestion dans les
communes : conditions et contraintes
L'adoption de la comptabilité de gestion constitue une première étape pour la
commune, mais qu'en est-il par la suite ? Nous avons mis en évidence le rôle éminemment
politique de la comptabilité de gestion dans les communes (légitimation, instrument de
négociation et de valorisation), mais ensuite, une fois son adoption décidée par les élus, qu'en
est-il de la vie de l'outil dans l'organisation ? L'outil devient-il pérenne, ou son utilisation est-
elle remise en question ?
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 70
Il convient donc, à ce stade, de mettre en évidence les facteurs pouvant expliquer la
réussite, ou l'échec, de l'implantation d'une comptabilité de gestion dans une commune.
L'approche uniquement instrumentale de la comptabilité de gestion peut se révéler réductrice,
il convient donc d'enrichir cette approche par les notions d'adaptation et d'appropriation.
Pour Chatelain-Ponroy (2010, p. 95), il est nécessaire de prendre en compte les multiples
dimensions de l'outil et d'être "[...] à la recherche du sens que les acteurs donnent aux
systèmes de contrôle et des modalités d'adaptation et d'appropriation par les acteurs de
nouveaux outils mis en place dans les organisations."
1. Les facteurs de succès : entre contingence et implication des acteurs
Quels sont les facteurs conditionnant la réussite d'un système de comptabilité de
gestion (ou de calcul de coûts) dans une commune ? Nous pouvons distinguer deux types de
facteurs conditionnant la mise en place ou la conception de l'outil de gestion. Tout d'abord, il
y a les aspects contingents liés à la notion d'adaptation, autrement dit la prise en compte
des particularités des communes dans la mise en place de l'outil. Mais, il convient aussi de se
pencher sur le rôle des acteurs concernés par l'implantation de l'outil de gestion, pour De
Vaujany (2006), l'appropriation de l'outil doit s'appréhender avec le point de vue des
concepteurs-formateurs, et avec celui des utilisateurs de l'outil.
La nécessité d'une approche contingente
Les approches contingentes en contrôle de gestion s'appuient sur les travaux
fondateurs de Burns et Stalker, de Lawrence et Lorsch et de Woodward dans les années 1960.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 71
L'élément central des théories de la contingence est l'environnement, et l'adaptation de la
structure ou de la stratégie des organisations à celui-ci. D'après les théories de la contingence,
les différents paramètres du contexte de fonctionnement de l'organisation (environnement,
taille, âge, technologie,..) déterminent ses choix en matière de structure et de stratégie.
Les approches contingentes en contrôle de gestion sont apparues plus récemment et
remettent en cause le caractère formel du contrôle et les modèles universalistes (Pariente,
1999).
"Ces constats peuvent être synthétisés en montrant qu'il s'agit d'adapter le contrôle à des
organisations complexes dont les caractéristiques essentielles sont :
- la taille,
- le caractère non répétitif des tâches d'où une complexité de variété,
- la qualification de la main d'œuvre,
- le caractère déterminant de la main d'œuvre dans les moyens,
- le caractère majoritairement indirect des coûts,
- le fait que la fonction de production ne soit pas déterminée par la technique, mais
qu'elle soit tout autant déterminée par des variables financières ou sociales (Pariente, 1999,
p. 83).
Les outils du contrôle de gestion n'auraient donc pas un caractère universel, et ce
d'autant plus s'ils s'adressent à des organisations complexes relevant du secteur non-
marchand. Chatelain-Ponroy (2008, p. 51) formule le postulat suivant : "Pour instrumenter les
bureaucraties professionnelles non lucratives sans remettre en cause leur nature propre, les
outils traditionnels du contrôle de gestion doivent être adaptés aux spécificités de ces
organisations et intégrer les rationalités politique, économique et professionnelle."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 72
Chatelain-Ponroy (2008) rejoint ainsi le modèle proposé par Hofstede sur l'adaptation des
modes de contrôle de la performance. Suivant la réponse à quatre questions (Les objectifs de
l'activité sont-ils ambigus ? Les résultats sont-ils mesurables ? Les effets des interventions du
management sont-ils ou non déterminables, le processus de transformation est-il analysable ?
L'activité est-elle répétitive ?), un mode de contrôle (parmi six possibles) peut être déterminé.
Les six mode de contrôle définis par Hofstede (1981) sont le contrôle routinier, le contrôle par
experts, le contrôle par essai et par erreur, le contrôle intuitif, le contrôle par jugement et le
contrôle politique. A partir de ses recherches sur les systèmes de contrôle de gestion muséaux,
Chatelain-Ponroy (2008) démontre que les systèmes choisis dans ce contexte dépendent de
variables contingentes.
Deux exemples concernant la mise en œuvre d'une comptabilité de gestion illustrent
l'importance de la prise en compte des facteurs contingents.
En premier lieu, la recherche-intervention de Fabre & Bessire (2008) dans une ville de
20 000 habitants montre l'importance de la prise en compte des éléments contextuels. Les
auteurs ont choisi une méthode adaptée, facile à utiliser, prenant en compte les spécificités du
contexte et ayant des coûts de fonctionnement acceptables. L'opération a atteint ses objectifs
puisque "l'outil s'est révélé pleinement opérationnel et les calculs qui en sont issus servent
régulièrement au dialogue avec la population. [..] Le succès de l'opération ici a été la
résultante d'une combinaison de choix fortement contingents aux dimensions politique,
économique et opérationnelle de l'organisation étudiée et de solutions originales,
développées, il faut le souligner, dans un contexte favorable" (Fabre & Bessire, 2008, p. 14).
En second lieu, l'exemple de la comptabilité analytique de la commune de la Roche-
sur-Yon (Bargain, 2012) illustre, a contrario, ce qui peut se passer lorsque les éléments
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 73
contingents sont ignorés. En 1989, la mairie de la Roche-sur-Yon sollicite un cabinet de
conseil pour mettre en place une comptabilité analytique dans le but de connaître le coût des
prestations et les coûts globaux par centre de responsabilité, par service et par direction. Le
cabinet de conseil instaure un système global techniquement ambitieux : "la longue procédure
de traitement anime un réseau analytique complexe. [..] rien que pour l'édition des états de
gestion cinq jours sont nécessaire" (Bargain, 2012, p. 14). Au final, le projet est un échec car
la ville met fin à sa collaboration avec le cabinet de conseil en 1992, ne renouvelle pas le
contrat du contrôleur de gestion et abandonne le projet. Une des raisons28 pouvant expliquer
cet échec est la complexité technique du système, et surtout le fait que le choix du dispositif
s'est porté sur celui mis en place dans le groupe Lafarge quelques années auparavant (un
des membres missionnés par le cabinet de conseil avait travaillé dans ce groupe). Peut-on
véritablement "plaquer" le système de comptabilité de gestion d'une entreprise privée sur celui
d'une collectivité locale ? Quel lien existe-t-il entre un cimentier et une commune ?
L'expérience montre ici que le choix d'ignorer les particularités de l'organisation est un
important facteur d'échec.
Les apports de la théorie de la traduction
La théorie de la traduction peut apporter un éclairage intéressant sur l'implantation des
outils de gestion dans les organisations publiques (Dreveton & Rocher, 2010). Les éléments
fondateurs de cette théorie ont été posées par Michel Callon et Bruno Latour dans les années
1980.
28 Une autre raison avancée par l'auteur est la méconnaissance des principes de la comptabilité analytique par les responsables de centres de responsabilité, et de façon générale par les porteurs du projet.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 74
L'objectif de la théorie de la traduction (ou théorie de l'acteur-réseau) selon Dreveton &
Rocher (2010, p. 85) est "de mettre en lumière le processus d'implication des acteurs autour
d'une innovation et le consensus nécessaire à l'acceptation et la diffusion de cette dernière."
Par rapport à notre sujet, cette théorie peut expliquer en quoi le rôle des élus et des
fonctionnaires territoriaux est important dans le processus de mise en place d'une
comptabilité de gestion car "l’acceptation d’un outil de gestion est lié à la constitution d’un
réseau d’acteurs qui "portent" l’outil, le diffusent, tout en le façonnant et le transformant, afin
de "traduire" leurs intérêts dans cet outil" (Dreveton & Rocher, 2010, p. 84).
Le comportement des acteurs dans ce contexte semble important car dans certains cas
ils peuvent conditionner la réussite ou l'échec du projet d'implantation de comptabilité de
gestion. Par exemple, Bargain (2012, p. 13) met en avant la "résistance technique des
fonctionnaires" comme facteur d'échec à La Roche-sur-Yon. Quant à Demeestere (2007,
p. 111) pointe le "manque d'appropriation de l'instrument par les acteurs censés l'utiliser."
Enfin, Gibert (1995) remarque quant à lui que la résistance au changement est souvent sous-
estimée dans la mise en œuvre du contrôle de gestion territorial, et que la présence d'un
contrôleur de gestion dans la commune n'est pas la garantie du succès si celui-ci n'est pas
soutenu par la Direction générale.
Comment les acteurs vont-ils parvenir à s'impliquer autour de l'outil de gestion (ou
innovation) ? L' innovation est ici considérée comme le résultat d'un processus où l'outil de
gestion est transformé ou "traduit" par les acteurs.
Callon & Latour (1981, p. 279) définissent la traduction comme "l’ensemble des négociations,
des intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou
une force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre
acteur ou d’une autre force." Callon (1986) détaille le processus de traduction et identifie
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 75
quatre étapes : la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement, et enfin la mobilisation des
alliés (Dreveton & Rocher, 2010) :
- La problématisation consiste à formuler un problème à partir de l'identification
d'un besoin concernant les intérêts de plusieurs acteurs ;
- L'intéressement est la phase consistant à regrouper les acteurs autour de la
problématisation ;
- L'enrôlement consiste à fédérer les acteurs par différents moyens : négociations,
ruses ou coups de force ;
- La mobilisation des alliés est la dernière phase ; le projet est "porté" par quelques
acteurs intéressés et enrôlés, mais le comportement des acteurs représentés pose question :
comment vont-ils réagir face au développement de l'innovation ? Callon & Latour (1981)
considèrent qu'ils sont totalement acteurs du projet en l'intégrant (ou pas) à leur
environnement, voire en le modifiant.
Ce processus de mobilisation des acteurs semble particulièrement crucial dans les
organisations publiques, et donc les communes, où il existe un nombre important d'acteurs
pour lesquels le consensus est difficile à obtenir. Gibert (1995) soulève le problème de la
sous-estimation de l'importance de la conduite du changement dans la mise en œuvre du
contrôle de gestion territorial, et de ce fait du manque d'implication des différents
acteurs (directeurs généraux, cadres).
Dreveton (2008) prend l'exemple de la mise en place d'un outil de contrôle de gestion
à l'ADEME29 pour montrer le rôle central des représentations sociales des acteurs. Cet outil de
gestion, un outil de calculs des coûts, est destiné aux collectivités locales et concerne donc de
multiples organisations et leurs acteurs. Pour ne pas entraver la construction de l'outil (suivi
29 Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (organisation publique).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 76
analytique des coûts du service déchets), Dreveton (2008) insiste sur la nécessaire
confrontation des représentations des acteurs afin d'obtenir un consensus. Selon l'auteur,
"l'interaction entre l'outil de contrôle de gestion et les représentations des acteurs est un
facteur de succès des processus d'instrumentation" (Dreveton, 2008, p. 125). Dans les
organisations publiques, Dreveton (2008, p. 149) identifie deux vecteurs importants : "d’une
part, le processus de construction doit autoriser la participation des acteurs concernés par le
projet en créant des lieux d’échanges à forme variable. D’autre part, il est nécessaire de
joindre au projet des acteurs extérieurs afin de réaliser des « traductions » nécessaires à
l’émergence des représentations sociales collectives."
Dans le processus de traduction, les acteurs doivent adapter, intégrer et modifier l'outil selon
leur environnement, ce qui peut s'apparenter à une forme d'appropriation.
L'appropriation des outils de gestion
Etymologiquement30, l'appropriation (apropriacion au XIVe siècle) signifie "action
naturelle par laquelle les aliments pénètrent dans l'organisme" ; dans notre contexte, on
pourrait considérer que l'outil de gestion doit être "digéré" par l'organisation ! Actuellement,
l'appropriation se comprend comme "l'action d'adapter quelque chose à un usage déterminé"
ou comme "l'action de s'approprier une chose, d'en faire sa propriété". Selon De Vaujany
(2006), de ces deux sens du terme "appropriation" découlent deux points de vue, tout d'abord
celui des concepteurs de l'outil de gestion (qui l'adaptent à un usage) et celui des utilisateurs
(qui par l'usage de l'outil vont se l'approprier). Pour De Vaujany (2006), l'appropriation des
outils de gestion est un processus contingent, ouvert, continu, long et complexe.
30
D'après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 77
Tableau 8 - Trois regards sur l'appropriation - Source : De Vaujany (2006)
Cette complexité nécessite l'activation de trois regards (ou perspectives) : " le processus
d'appropriation peut être compris selon trois perspectives interdépendantes sociopolitique,
psycho-cognitive et rationnelle" (De Vaujany, 2006, p. 114).
Au regard des constats faits précédemment, la comptabilité de gestion dans les
communes semble s'intégrer dans une perspective sociopolitique. En effet, nous avons vu que
la comptabilité de gestion est un outil de valorisation des prestations rendues (Demeestere,
2007, Fabre, 2010). Il s'agit également d'un outil de rhétorique (ou de négociation) selon
Bargain (2010) et bien sûr d'un outil d'influence dans la mesure où l'outil sert les objectifs des
politiques.
De Vaujany (2006) développe deux théories de l'appropriation des outils de gestion : la
théorie de la "conception à l'usage" et la théorie de la "mise en acte".
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 78
Selon la théorie de la "conception à l’usage" (De Vaujany, 2006, p. 118), "c’est au fil des
apprentissages, des conflits pour sa maîtrise, de la dialectique autonomie-contrôle que l’outil
prend finalement corps." L'outil est donc internalisé par l'organisation et la conception de
l'outil est totalement intégrée à son usage.
Selon la théorie de la "mise en acte", il y a interaction des acteurs et des outils, l'appropriation
est un vaste processus interactif engageant des prescriptions réciproques, autrement dit après
la conception l'outil est approprié par des acteurs qui à leur tour vont le modeler à leur usage.
L'apport de ces théories de l'appropriation nous permet de montrer l'importance du
rôle des acteurs dans l'implantation d'un nouvel outil de gestion dans une organisation.
Quelles typologies pour les communes ?
Recenser les facteurs de succès de l'implantation d'une comptabilité de gestion conduit
à se demander s'il existe une configuration organisationnelle idéale pour les communes. Il
semble difficile d'apporter une réponse compte tenu du peu d'études réalisées, et surtout de
l'importance des facteurs contingents dans la mise en œuvre d'une comptabilité de gestion.
De façon plus précise, par rapport à notre sujet d'étude, est-il possible de classer les
communes ?
Peut-on dégager des configurations typiques comme celles de Miles et Snow par exemple ?
Miles et Snow (1978) proposent, à partir de l'analyse des pratiques, des configurations
d'organisation et d'adaptation à l'environnement ; celles-ci sont au nombre de quatre :
• Les "défendeurs" qui veillent à maintenir leur domaine d'excellence par la maîtrise des
coûts et la qualité ;
• Les "prospecteurs" qui privilégient l'innovation ;
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 79
• Les "analystes" qui se présentent comme une forme hybride des deux précédentes
configurations ;
• Les "réacteurs" qui suivent et copient sans adaptation de leur organisation.
De façon intuitive et par rapport aux choix faits en matière de contrôle, on peut supposer
raisonnablement que des communes appartiennent aux catégories "prospecteurs" et
"analystes", mais aucune étude empirique ne peut confirmer ce point de vue.
Néanmoins, Meyssonnier (1993b) propose une typologie des communes (voir
tableau 9) en fonction des choix effectués en matière de contrôle de gestion communal et
d'éléments contingents (identité communale, environnement, style de gestion des dirigeants..).
Cette typologie est réalisée à partir de l'analyse de 12 communes, ce qui semble un nombre
insuffisamment représentatif, et le modèle s'avère donc peu généralisable.
Tableau 9 - Typologie des communes en fonction des choix effectués en matière de contrôle de
gestion - Source : d'après Meyssonnier (1993)
Modèle rationaliste
visant l'efficience des services
Modèle managérial axé sur l'efficacité
Modèle comportemental
fondé sur les relations
humaines et la communication
Modèle planificateur
Modèle "thatchérien"
Contrôle de gestion axé sur la comptabilité analytique
Contrôle de gestion structuré par les tableaux de bord
Participation et implication des employés essentielle Peu de mesure et d'évaluation des performances
Pilotage de gestion à partir des choix budgétaires et de la planification des décisions
Privatisation des services Recours aux mécanismes du marché
Ville-type : Angers
Ville-type : Blagnac ou Saint-Denis
Ville-type : Conflans-Sainte-Honorine
Ville-type : Metz
Ville-type : Nîmes
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 80
Cette typologie est un peu ancienne, et comme le souligne Meyssonnier (1993b, p. 140) : "il
ne faut pas oublier que ceci représente la situation à un moment donné (fin 1991) et que les
choses évoluent rapidement dans les communes en fonction des changements d'hommes ou
des événements".
Il serait intéressant de vérifier si ces cinq modèles se vérifient encore pour les villes citées (ou
pour d'autres), notamment en ce qui concerne le modèle rationaliste basé sur la
comptabilité de gestion. La ville d'Angers semble toujours ancrée dans ce modèle (Bargain,
2011), mais la véritable question est alors de savoir si d'autres communes ont également suivi
cette voie.
2. Les trois rationalités des organisations publiques : des contraintes et
des tensions pour les communes
La littérature traitant du contrôle de gestion dans les organisations publiques
(Chatelain-Ponroy, 2010 ; Beaulier & Salery, 2006) met en avant les obstacles rencontrés
dans l'implantation du contrôle de gestion, et également les échecs.
En ce qui concerne la comptabilité de gestion dans les communes, nous avons vu que cet outil
de gestion semblait de moins en moins se diffuser (Beaulier & Salery, 2006). Quels peuvent
être les freins à cette diffusion ?
Les obstacles et les contraintes peuvent être classés en trois catégories, fonction des trois
types de rationalité des organisations publiques. Selon Cellier & Chatelain-Ponroy (2005),
contrairement aux entreprises du secteur privé qui s'inscrivent dans une logique
essentiellement économique, les organisations publiques sont confrontées à trois types de
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 81
rationalité : politique, professionnelle (ou opérationnelle) et économique (voir tableau
10). La mise en place du contrôle de gestion, et de ses outils, se heurte à la coexistence de ces
trois rationalités, aux objectifs parfois contradictoires.
Tableau 10 - Les trois grands types de rationalité des organisations publiques - Source : adapté
de Cellier & Chatelain-Ponroy (2005)
Rationalité Politique Economique Professionnelle Définition Exprimée par les
missions de services publics. Volonté des élus de satisfaire leurs administrés.
Nécessité de réguler, de contrôler les dépenses publiques.
Portée par les acteurs opérationnels, prestataires de services.
Objectif Efficacité Efficience Qualité
Selon Chatelain-Ponroy (2010), ces trois rationalités révèlent des antagonismes : tensions
entre rationalité économique et rationalité politique (difficultés à satisfaire les missions de
services publics en rationalisant les dépenses), tensions entre rationalité économique et
rationalité professionnelle (résistance des opérationnels face à la montée du contrôle qui
réduit leur autonomie).
Les obstacles à la diffusion du contrôle de gestion (et donc de la comptabilité de gestion) dans
les communes résultent de ces trois rationalités, qui elles-mêmes découlent des spécificités du
secteur public.
Les contraintes d'ordre politique
Les élus jouent un rôle important dans l'implantation d'un nouvel outil de gestion : la
mise à l'agenda dépend de leur volonté. Lors d'une recherche-intervention dans une ville de
20 000 habitants, Fabre & Bessire (2008, p. 3) soulignent que le projet de mise en place d'une
comptabilité de gestion est initié et porté par "l'ambition d'une équipe municipale".
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 82
Un des obstacles souligné par Gibert (1995) est la difficulté à définir ce que l'on veut mettre
sous contrôle : quelle est la finalité du système de contrôle de gestion ? Quels sont les
objectifs ?
Selon Beaulier & Salery (2006), un des obstacles au développement du contrôle de
gestion est le fait que celui-ci repose sur la seule volonté des responsables. Les collectivités
territoriales (donc les communes) étant soumises au principe de "libre administration", rien
n'oblige celles-ci à mettre en œuvre des démarches de contrôle de gestion, et a fortiori de
comptabilité de gestion.
Pour que le contrôle de gestion se déploie, il est donc nécessaire qu'il y ait une véritable
volonté "exprimée" des élus ou une "stratégie politique" (Beaulier & Salery, 2006). Cette
"stratégie politique" en faveur du contrôle de gestion nécessite que l'action publique soit
déclinée en objectifs / moyens / résultats. Pour Beaulier & Salery (2006), cette déclinaison,
qui ne pose pas de problèmes dans le secteur privé, entraîne des réticences dans le secteur
public.
Tout d'abord, la formalisation des objectifs peut s'avérer problématique car "bien
souvent on peut constater des décalages plus ou moins importants entre le programme de
l'exécutif tel qu'il a été affiché au moment de l'élection et les objectifs réellement poursuivis
par ces mêmes élus, confrontés au principe de réalité dès qu'ils se retrouvent en charge"
(Beaulier & Salery, 2006, p. 74). Comme le souligne Gibert (1995), les objectifs flous sont
parfois plus arrangeants !
En l'absence de formalisation des objectifs, le contrôle de gestion perd de son intérêt (on
mesure quoi par rapport à quoi ?). La formulation claire et précise des objectifs entraînant
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 83
donc des risques politiques, ceux-ci demeurent donc souvent flous et ambigus avec les
conséquences que cela entraîne en termes de modes de contrôle. Comme nous l'avons vu avec
Hofstede (1981), l'ambiguïté des objectifs et la délicate mesure des résultats obtenus
expliquent la difficulté à mettre en place des processus de contrôle de type cybernétique, d'où
l'exercice de contrôles de type politique (voir schéma 6 - Arbre de choix des modes de
contrôle d'Hofstede).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 84
Schéma 6 - Arbre de choix des modes de contrôle d'Hofstede (1981) - Source : Chiapello (1996)
Activité
Les objectifs sont-ils ambigus ?
Les outputs sont-ils mesurables ?
Peut-on lever cette ambiguïté ?
L'activité est-elle répétitive ?
Peut-on trouver des mesures d'approximation ?
L'activité est-elle répétitive ?
Les effets des interventions sont-ils connus ?
Contrôle politique
Contrôle par expert
Contrôle par essais et erreurs
Contrôle intuitif
Contrôle par jugement
Contrôle routinier
O
O
N
N
O
O
N
N
N
O
N
O
Processus non cybernétiques
Processus cybernétiques
O
O
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 85
Les autres éléments de la déclinaison de l'action publique sont les moyens et les résultats. Là
aussi, les politiques n'ont pas forcément intérêt à afficher une grande transparence dans la
quantification et la répartition des moyens, ainsi que dans l'affichage des résultats (Beaulier &
Salery, 2006).
Selon Fabre (2010), les outils de gestion ont pour objectif d'aider les communes à la
négociation avec les partenaires (attribution de subventions aux associations par exemple) et
de valoriser les efforts fournis vis-à-vis de ces mêmes partenaires. On retrouve donc ici le
concept "d'ammunition machine" de Burchell et al. (1980). Les outils de gestion fournissent
ainsi des informations, en matière de coûts par exemple, qui "vont être utilisées de façon
sélective, afin de défendre les intérêts d'une des parties prenantes" (Fabre, 2010, p. 266).
L'utilisation des informations de gestion peut constituer un danger potentiel pour le politique,
les élus doivent décider de sa diffusion ou non. En effet, si ces informations deviennent
transparentes, elles peuvent desservir les intérêts des politiques en révélant des disparités
entre les partenaires (Fabre, 2010).
L'élu n'a donc pas forcément intérêt à favoriser le développement d'outils de gestion qui
diminueraient son pouvoir de négociation vis-à-vis de certains partenaires en l'obligeant à
justifier des disparités dans la répartition des ressources.
La mise en évidence de l'efficacité, c'est-à-dire la comparaison entre résultats et
objectif, n'est pas toujours souhaitable pour les politiques car "l'objectivation d'un écart quasi-
automatique entre ces deux données peut générer une insatisfaction dans la population,
fournir une arme à une opposition politique, décourager les services en charge de la mise en
œuvre, et aboutir à un résultat plus négatif encore que l'absence de mesure" (Beaulier &
Salery, 2006, p. 75).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 86
Les contraintes économiques
Les collectivités territoriales, et particulièrement les communes, ont des marges de
manœuvre financières de plus en plus limitées depuis une trentaine d'années.
Le développement du contrôle de gestion, et spécifiquement de la comptabilité de gestion, est
cohérent avec l'objectif de régulation, voire de réduction, des dépenses publiques. Néanmoins,
un des écueils fréquents est le coût d'obtention des coûts. Les communes ont parfois la
tentation de mettre en place des systèmes du type "usines à gaz".
Le rapport coût / avantages de la comptabilité de gestion est-il toujours favorable à la
commune ?
Gibert (1995, p. 216) estime que ce rapport est défavorable en cas de non utilisation des
résultats produits : "La complexité - inévitable - d'une comptabilité analytique ne devrait être
dérangeante que dans les cas de figure où l'on utilise peu ses résultats. C'est le rapport
utilité / coût du système d'information mis en place qui est, le cas échéant, critiquable, non le
coût lui-même, nécessairement élevé, qui constitue la contrepartie d'une certaine fiabilité de
l'information."
Certaines communes sont tombées dans ce piège. C'est le cas d'Orléans qui a mis en place un
système lourd en fonctionnement et en maintenance pour lesquels les résultats obtenus ont été
très peu utilisés, le système a donc finalement été abandonné (Meyssonnier, 1993a).
Meyssonnier (1993a, p. 144) souligne qu'"une comptabilité analytique rénovée en coûts
complets peut être très utile aux communes mais son coût est assez important et nous ne
sommes pas persuadés qu'il faille conseiller aux communes de développer un contrôle de
gestion communal en commençant par cet outil."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 87
Les contraintes opérationnelles
La rationalité opérationnelle (ou professionnelle) émane du personnel prestataire de
service (Cellier & Chatelain-Ponroy, 2005), ce qui amène les questions suivantes : comment
est rattaché hiérarchiquement le contrôle de gestion ? Comment est-il perçu par les agents
territoriaux ?
Dans les entreprises, il est d'usage de rattacher la fonction contrôle de gestion à la direction.
Dans les communes, ce n'est pas aussi simple et plusieurs solutions sont possibles pour
intégrer la fonction contrôle de gestion.
D'après Beaulier & Salery (2006), il y a trois possibilités :
• Privilégier la dimension transversale du contrôle de gestion et ne rattacher la
fonction à aucun service en particulier ; de ce fait, le contrôle de gestion dépend
directement du Directeur Général des Services (DGS), voire du maire ;
• Mettre en avant la proximité du contrôle de gestion et du contrôle budgétaire ;
dans cette optique, la fonction sera placée sous la responsabilité du Directeur
financier ;
• Placer le contrôle de gestion "à part" en créant une direction dédiée sous la
responsabilité d'un Directeur Général Adjoint (DGA).
Le contrôle de gestion ne s'insère pas de façon naturelle dans l'organigramme de la commune,
et "en l'absence de consensus sur le positionnement de la fonction, les avantages liés à la
création du contrôle de gestion sont quelquefois inférieurs aux inconvénients générés par les
effets adjacents de son installation et l'arbitrage sur le positionnement qui traduit de forts
enjeux de pouvoirs" (Beaulier & Salery, 2006, p. 72).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 88
Beaulier & Salery (2006) soulignent également la difficulté des collectivités territoriales à
recruter du personnel qualifié dans le domaine du contrôle de gestion, les contrôleurs de
gestion ayant plutôt tendance à aller dans le secteur privé ; c'est donc un obstacle
supplémentaire à l'utilisation du contrôle de gestion.
La résistance au changement de la part des professionnels est également un obstacle
fréquemment rencontré (Chatelain-Ponroy, 2010). Pour Gibert (1995), elle est fréquemment
sous-estimée lors de la mise en œuvre du contrôle de gestion.
Selon Fabre & Bessire (2008), il peut y avoir une forte résistance des agents
territoriaux par rapport au contrôle de leur activité rendu nécessaire par la mise en place
d'une comptabilité de gestion. Ce contrôle s'avère nécessaire pour suivre les consommations
de ressources (feuilles de travail dans les services techniques par exemple). Face à la
résistance des agents, les responsables et les élus hésitent à mettre en place les instruments de
suivi nécessaires par crainte de conflit social : "dès lors on arrive à une contradiction
insoluble : connaître les coûts sans savoir ce que font les gens" (Gibert, 200731).
Le terme "contrôle de gestion" est aussi parfois mal perçu par les agents territoriaux :
"dans le secteur public local, cette confusion sémantique32 a considérablement desservi la
fonction malgré les nombreuses tentatives pédagogiques pour expliciter la différence avec les
corps d'inspections" (Beaulier & Salery, 2006, p. 71).
31 D'après les notes de P. Fabre à la Journée d'étude de l'Institut de management public , exposé de P. Gibert : "Tous les coûts sont permis mais peu sont utiles."
32 Le terme "contrôle de gestion" est la traduction de l'américain "management control", or "control" devrait en fait se traduire par "maîtrise" et non "contrôle."
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 89
Pour Demeestere (2007), la conduite du changement induit certains risques avec les
acteurs de l'organisation :
• Le manque d'appropriation de l'instrument par les acteurs censés l'utiliser,
soit parce que le système est "imposé", ou bien parce que celui-ci ne correspond
pas à la représentation que s'en font les acteurs ;
• Les objectifs de la réforme ne sont pas partagés, soit parce que les buts
n'apparaissent pas nécessaires, soit parce que celle-ci est perçue comme un
danger ;
• L'absence d'incitations pour mettre en œuvre le système.
Pour Demeestere (2007, p. 111), ces risques renvoient à des questions de conduite du
changement, non spécifiques au secteur public, mais "ces démarches d’analyse des coûts
sont plus nouvelles dans le secteur public que dans le secteur privé et nécessitent donc des
changements culturels importants."
Conclusion de la deuxième partie
Nous avons observé que le "cheminement" de la comptabilité de gestion dans les
communes est un processus complexe. La transposition de la comptabilité de gestion, outil de
gestion provenant du secteur privé, n'est pas sans difficultés, car les communes ont des
productions plus difficiles à modéliser que celles des organisations marchandes. Les finalités
entre ces deux types d'organisation, privées et publiques, sont également différentes.
Ces éléments divergents impliquent donc de prendre en compte les aspects contingents des
communes, le rôle des acteurs et les contraintes liées aux rationalités politiques, économiques
et opérationnelles des organisations publiques.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 90
- CONCLUSION -
L'histoire de la comptabilité de gestion dans les communes rend compte d'un
cheminement chaotique. Les années 1980 voient un emballement des communes pour cet
outil, ensuite le mouvement s'essouffle, voire régresse dans les années 1990 (Beaulier &
Salery, 2006).
Gibert (1995) analyse ce mouvement comme une volonté initiale d'afficher le changement en
faveur de nouveaux outils de gestion, même s'il n'est pas réellement vécu. Ainsi, la
comptabilité de gestion fait l'objet d'une certaine ambivalence dans les communes, "elle parait
exercer une sorte de fascination-répulsion chez les responsables territoriaux. Répulsion
quand elle leur parait représenter le type même d'"usine à gaz" dont il faut éviter de se doter.
Fascination quand, malgré cela, on voit se développer les systèmes de comptabilité
analytique ou que l'on voit ceux qui s'en sont dotés sans grand profit faire plus qu'hésiter à
les abandonner." (Gibert, 1995, p. 213).
Nous avons vu, dans la première partie de ce mémoire, que les pressions
environnementales "conduisent" les organisations publiques à adopter les outils du contrôle de
gestion, dont notamment la comptabilité de gestion. Selon Chatelain-Ponroy (2010, p. 76), la
démarche est déterministe car "en matière de développement de dispositifs de contrôle, les
organisations n’adopteraient pas une démarche volontariste mais subiraient la pression de
l’environnement et chercheraient à y répondre".
Quelles sont alors les réponses apportées par les organisations publiques, et plus précisément
par les communes ?
Dans un souci de légitimité (Gibert, 2008), les communes vont se doter des outils de
gestion des entreprises privées. En ce qui concerne la comptabilité de gestion, dans un
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 91
premier temps, les communes vont transposer les systèmes globaux de coûts complets, type
"usine à gaz" (Gibert, 1995). Or ce type de réponse ne tient pas compte des facteurs de
contingence propres aux communes. Certains échecs, comme ceux d'Orléans (Meyssonnier,
1993a) et de La-Roche-sur-Yon (Bargain, 2012), mettent en lumière la réponse inadaptée des
systèmes globaux de comptabilité de gestion face aux besoins diversifiés des communes. Le
système en coûts complets ne semble pas avoir sa pertinence dans ce contexte, à quelques
exceptions près comme celle d'Angers (Bargain, 2011).
Dans les entreprises, la comptabilité de gestion est un outil largement accepté et
institutionnalisé (Lemarchand, 2000), autrement dit il s'agit d'une pratique durable et
résistante au changement. Peut-on considérer qu'il en est de même dans les communes ?
Au vu des différentes études empiriques mobilisées, il semblerait que l'institutionnalisation de
la comptabilité de gestion soit toujours en cours dans les communes, car les pratiques sont
loin d'être homogènes, et ce contrairement au cas des entreprises où cette institutionnalisation
est achevée.
Le processus d'institutionnalisation se poursuit donc dans les communes : la
comptabilité de gestion n'est pas encore un outil de gestion adopté de façon générale et
durable, mais il semble que la phase de transposition "aveugle", avec sa vision purement
instrumentale, ait été dépassée. Après les nombreux échecs des systèmes globaux en coûts
complets ou "usines à gaz" (Gibert, 1995 ; Bargain, 2012), les communes entrent dans une
phase de mise en place de comptabilité de gestion (ou de système de coûts) plus simple ou
plus "ad hoc" (Fabre & Bessire, 2008).
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 92
Le schéma 7 (La comptabilité de gestion dans les communes : quelle évolution ?) synthétise
le cheminement de la comptabilité de gestion dans les communes dans le contexte
idéologique et réglementaire des 45 dernières années.
Schéma 7 - La comptabilité de gestion dans les communes : quelle évolution ?
RCB1968 Lois de décentralisation1982 LOLF2001
Phase d’institutionnalisation
Phase d’appropriation ?
Bouinot -La nouvelle
gestion municipale
1977Thèse
Meyssonnier1993
Thèse Bargain2009
Courant du « Public Choice » New Public Management Managérialisme
Pour reprendre la "métaphore de l'iceberg" de Chatelain-Ponroy (2008, 2010), le
contrôle de gestion dans les organisations publiques a une partie visible "externe" qui
témoigne de l'adoption des outils de gestion, dans un objectif de légitimité, et une partie
cachée "interne" qui correspond à l'appropriation des outils de gestion, permettant le
changement organisationnel.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 93
Est-on passé dans les communes d'une phase d'institutionnalisation de la comptabilité
de gestion à une phase d'appropriation ? Il semblerait que non, car d'une part, la phase
d'institutionnalisation n'est pas terminée, et d'autre part, les communes sont soumises aux
tensions existant entre leurs trois rationalités, politique, économique et opérationnelle. Selon
Chatelain-Ponroy (2010, p. 89), "la conjonction de trois rationalités, parfois antagonistes,
nous suggère une grande incertitude quant à la fonction et aux rôles que doit y remplir le
contrôle de gestion dans ces organisations."
Quelle est, à ce jour, la situation de la comptabilité de gestion dans les communes ? La
littérature récente apporte peu de réponses. Hormis Bargain (2011, 2012), focalisé sur les cas
de trois communes (Angers, Nantes et La-Roche-sur-Yon), les chercheurs n'apportent pas de
réponse globale à cette question. Il manque une étude à grande échelle sur le contrôle de
gestion communal, telle que l'a fait Meyssonnier (1993a), pour déterminer le degré de
diffusion de la comptabilité de gestion et la véritable utilité de celle-ci.
L'objectif initial de ce mémoire est de réaliser une revue de littérature sur la
comptabilité de gestion dans les communes, mais aussi de faire émerger une (ou des)
question(s) de recherche en vue d'une future thèse. A ce stade, je peux dégager les questions
suivantes :
• Que représente la comptabilité de gestion pour les communes ? Quels sens donnent les
acteurs à cet outil de gestion ?
• A-t-on véritablement besoin de la comptabilité de gestion dans les communes ?
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 94
Dans l'optique d'une future thèse, il faudrait tout d'abord compléter cette revue de
littérature. Il conviendra notamment d'explorer la littérature étrangère afin de déterminer les
pratiques dans le domaine de la comptabilité de gestion. Par ailleurs, il sera pertinent d'étudier
les modèles de diffusion des innovations managériales.
Le design de la recherche pourrait s'articuler autour de deux phases :
• Première phase : mise en œuvre d'une stratégie de recherche qualitative par la méthode
de l'étude de cas (sur des communes jugées représentatives) ; recueil de données par
entretiens avec des contrôleurs de gestion ou des directeurs financiers ; analyse et
exploitation des données recueillies.
• Deuxième phase : mise en œuvre de méthodes quantitatives pour essayer d'obtenir une
généralisation de certains résultats de la première phase. La principale difficulté ici
étant de déterminer l'échantillon des communes à interroger et, dans chaque cas, de
savoir à quel interlocuteur adresser le questionnaire.
Ce mémoire constitue par conséquent un premier pas vers le processus de recherche. Il
m'aura permis de mettre en relief les principales pistes à poser à l'agenda du chercheur.
La comptabilité de gestion dans les communes : entre pressions institutionnelles et jeu des acteurs F. Letort – M2 CCA - Mémoire de recherche Page 95
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- RESUME -
L'objet de ce mémoire est d'effectuer une revue de littérature approfondie sur la diffusion et
l'utilisation de la comptabilité de gestion dans les communes. La problématique de ce
mémoire est de déterminer quels sont les facteurs, environnementaux et internes, favorisant
et contraignant l'adoption, puis l'appropriation de la comptabilité de gestion dans les
communes.
Depuis une trentaine d'années, le management et ses outils imprègnent peu à peu la sphère
publique. Dans le contexte idéologique du New Public Management et du managérialisme, les
organisations publiques, ont dû adopter des démarches de performance et emprunter les outils
de gestion du secteur privé. En ce qui concerne la comptabilité de gestion, il s’agit de mettre
en évidence les pressions environnementales qui ont contribué à son adoption par les
communes. La transposition technique de la comptabilité de gestion, du secteur privé au
secteur public, se révèle être un processus délicat et contraignant, en raison des finalités
spécifiques des communes et des particularités des services produits par celles-ci. Par
conséquent, le rôle des acteurs dans l'implantation de ce nouvel outil de gestion est essentiel,
comme nous l’indiquent les théories de la traduction et de l'appropriation. Mais il s’avère que
la diffusion de la comptabilité de gestion dans les communes est fréquemment contrariée par
des obstacles d’ordre politique, économique ou opérationnel.
Mots-clés : comptabilité de gestion, New Public Management, managérialisme, communes,
institutionnalisation, performance, appropriation, contingence.