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René Magritte – Reproduction interdite - 1937 Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.1 / 41

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René Magritte – Reproduction interdite - 1937

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.1 / 41

MÉMOIRE DE MÉDIATION ARTISTIQUE

arts plastiques

QUELQUE(s) CHOSE(s) DE LA RENCONTRE

Par Thierry WALD

2016

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.2 / 41

À Lucas, qui m'a ouvert les yeux

« Une rencontre, c'est quelque chose de décisif, une porte, une fracture, un

instant qui marque le temps et crée un avant et un après. »

Éric-Emmanuel Schmitt

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Sommaire

Avertissement........................................................................................5

Remerciements .....................................................................................6

Introduction générale.............................................................................7

1°) La rencontre avec les nouvelles modalités de création....................10

a) Les nouvelles modalités de création à l'Inecat..................................................11

Les yeux fermés ...........................................................................................11Introspection................................................................................................12Le toucher....................................................................................................13Trouver sa place............................................................................................14Physicalité (mise en jeu du corps et du geste en création).......................................15Le sas de décompression .................................................................................16

b) Privation d'un sens en création......................................................................17

c) La rencontre avec de nouvelles matières.........................................................18

2°) De la rencontre avec le handicap vers la personne en création........21

a) Changer son regard.....................................................................................21

b) De la création du masque à la création du monstre..........................................23

c) Rencontre en création par le corps.................................................................25

d) Le geste créateur........................................................................................26

3°) Les nouvelles modalités de la rencontre..........................................30

a) Communication non verbale..........................................................................30

b) Rencontre par le geste ................................................................................30

En guise de conclusion..........................................................................35

Bibliographie........................................................................................37

Annexes................................................................................................38

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Avertissement

Le texte qui va suivre est mon mémoire de médiateur artistique qui parachève le cycle I de

ma formation à l'Inecat (Institut National d'Expression de Création Art et Transformation).

Ce mémoire est le fruit de mes expériences théorique et pratique accomplies à l'occasion

des cours et des ateliers expérientiels dispensés à l'Institut, ainsi que des stages professionnels

réalisés dans les institutions qui m'ont accueilli, entre mars 2013 et avril 2014.

Les propos qu'il contient n'engagent que ma responsabilité et ne sauraient mettre en

cause ni les institutions, ni les personnes morales ou physiques mentionnées.

Pour raison de confidentialité, les noms des personnes accompagnées en ateliers ont été

modifiés.

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Remerciements

Ce mémoire n'aurait pu voir le jour sans la bienveillance des personnes que j'ai

rencontrées lors de ma formation et qui m'ont accompagné sur le chemin de ma reconversion

professionnelle.

Je remercie donc chaleureusement l'équipe des formateurs et intervenants de l'Inecat

pour leurs ateliers expérientiels:

Patrick Laurin, Christophe De Vareilles, Ruth Nahoum, Béatrice Bodio, Véronique

Tat, Annie Languille, François Lazaro, Jean-Paul Bernard Petit,

ainsi que tous les intervenants extérieurs pour les cours théoriques en psychiatrie et psychologie:

Olivier Drunat, Alain Gillis, Bernard Chouvier, Renée-Laëtitia Richaud, Emmanuelle

Gira, Michel Briat, Théodore Rézaire, Claude Sternis, Bernard Cadoux

Merci à François Dingremont pour ses cours sur l'approche anthropologique des arts

plastiques et la qualité des invités qu'il nous a présentés.

Merci à Marie Beaupré, Françoise Engrand et Christiane Chiche pour leur accompagnement

dans la construction du projet professionnel et les conseils en méthodologie.

Merci à Jean Rader pour le partage de ses connaissances du monde de l'entreprise.

Merci à Véronique Gouerou et Gislaine Glasson pour leur accompagnement dans les

démarches administratives.

Merci à Édith Viarmé, directrice pédagogique, pour son écoute respectueuse et son

orientation vers de nouvelles pistes de réflexion.

Merci à Jean-Pierre Klein, directeur de l'Inecat, le capitaine du bateau, qui a su donner une

direction à l'enseignement de la discipline et sans qui les rives du « savoir-être » ne pourraient

être approchées avec autant de subtilité.

Enfin, un merci particulier à Nicole Estrabeau, directrice pédagogique adjointe que j'ai

réellement rencontrée à l'occasion de la préparation des portes ouvertes de 2013, pour sa

clairvoyance et son accompagnement plus que précieux dans l'écriture de ce mémoire.

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Introduction générale

J'ai toujours été fasciné par la diversité des formes animales et les symboles mystérieux

qui s'en dégagent. Sculpteur animalier autodidacte, je vis ma passion depuis 20 ans pour le

plaisir. La formation que j'ai choisie à l'Inecat, m'a permis de crédibiliser et justifier ma pratique

artistique pour me projeter dans un contexte professionnel lié à l'art.

Ma technique personnelle de modelage me permet d'être au plus près de mes sculptures.

Je conçois des structures en carton sur lesquelles j'ajoute de la pâte à modeler par touches

successives 1. Alors que d'aucuns utilisent la sellette traditionnelle du sculpteur qui met de la

distance entre l'artiste et son œuvre, ma technique me permet de prendre mes pièces à bras le

corps, afin de les observer de près sous tous les angles, dans une quête des formes pures et

lisses.

Je me suis souvent surpris dans cette position qui me donne l'impression que je tiens un

enfant dans les bras. Je rencontre des difficultés à me séparer de mes pièces. Je les ai façonnées

durant plusieurs mois et un lien affectif s'est créé. Ce sont mes « bébés ».

Lors de mon dernier atelier d'arts plastiques à l'Inecat qui clôturait ma formation du

premier cycle, j'ai utilisé comme support de peinture, une boîte à chaussures pour ma dernière

production libre. Instinctivement, j'avais pris la boîte dans mes bras et je la peignais, dans la

position décrite ci-dessus. Béatrice Bodio2 remarqua cette façon inédite de peindre en

m'adressant une remarque bienveillante et un regard ému, ce qui me fit comprendre que mon

« Handling » de sculpture s'était transféré à celui de ma peinture.

En tant que sculpteur, le contact physique avec la matière fait partie de mon travail.

Lorsqu'on me demande depuis combien de temps « je fais ça », je m'amuse à répondre «

depuis l'âge de 5 ans ! », mon matériau de prédilection étant une pâte à modeler qui sèche à l'air

libre.

En décembre 2012, lors d'une exposition personnelle de mes sculptures animalières au

musée François Pompon de Saulieu dans la Côte d'Or, je fis la connaissance d'un jeune visiteur

non voyant : Lucas, 14 ans, atteint d'une tumeur au cerveau qui l'avait rendu aveugle à 99%. Les

14 opérations qu'il avait subies ne lui avaient pas permis de retrouver la vue. Nous passâmes de

longues heures ensemble à discuter autour de mes sculptures blanches, caractérisées par

l'absence des yeux. J'avais invité Lucas à les toucher, et c'est du bout des doigts qu'il a examiné

avec attention le contour des formes pures et lisses de mes animaux.

1 Voir la video de présentation sur https://www.youtube.com/watch?v=1GMtu__WW6U2 Médiatrice artistique, intervenante à l'Inecat dans le cursus Arts-Plastiques et dans les ateliers expérientiels

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À sa question « Pourquoi tes sculptures n'ont pas d'yeux ?», je ne pus que marmonner

une réponse embrouillée étouffée par une boule qui me restait au travers de la gorge, n'osant

avouer devant la cruelle réalité des choses « que les yeux ne servaient à rien » de mon point de

vue. 3

À mon retour en région parisienne, je ne savais pas encore que cette rencontre riche en

émotions et en échanges allait changer ma façon de voir les choses et orienter ma carrière

professionnelle.

Quelques mois plus tard, je perdai mon emploi de technicien informatique à la suite d'un

licenciement économique. Une occasion inespérée de m'orienter vers la formation de médiateur

artistique grâce à laquelle j'allais pouvoir me professionnaliser dans 2 domaines qui me tenaient à

cœur : L'art et les relations humaines.

Lors de mon inscription à l'Inecat, le cursus arts plastiques m'avait été proposé, au lieu du

cursus Terre, qui me semblait, a priori mieux correspondre à ma pratique artistique. L'une des

spécificités des ateliers d'arts plastiques de l'Institut est de nous amener sur des territoires qu'on

ne connaît pas, afin de se trouver moins démuni lorsque nous devrons nous ouvrir au monde de

la personne que l'on accompagne 4.

Lucas a été la première personne qui m'a mis en contact direct avec le monde du handicap

visuel. C'est grâce à son contact que j'ai pu mettre un pied dans l'espace protégé qu'est l'INJA5.

J'y suis intervenu pour animer en responsabilité des ateliers dans le cadre de l'un de mes stages

de formation.

Celle-ci m'a permis de découvrir d'autres matériaux, que je ne connaissais pas ou que je

redécouvrais (comme l'argile), à la différence qu'on me demandait de prêter une attention

particulière à tous les sens mis en œuvre pour entrer en contact avec la matière, ce qui m'a

permis d'appréhender celle-ci avec un nouveau « regard ».

Ne plus intellectualiser la création, mais se recentrer sur les sensations qu'elle procure.

« Laisser le mental au porte mental » pour citer Jean-Pierre Klein6. Laisser guider ses mains par

un pain d'argile, sans objectif précis de figuration, et encore moins d'esthétisme... quel plaisir ! Il

y a quelque chose de bienfaisant. Nous n'avons plus la pression de l'objet fini et de son rendu ,

mais la possibilité de laisser parler notre intuition.

« Retrouvez ce plaisir que vous aviez enfant lorsque vous dessiniez sur une feuille »,

suggérait Christophe de Vareilles7 dans son enseignement. Appréhender la matière sous un

nouveau jour, tel était le leitmotiv des ateliers.

3 J'ai immortalisé cette rencontre dans un documentaire personnel intitulé « Le regard au bout des doigts ». Extrait visiblesur https://www.youtube.com/watch?v=7qH5bRPaluY

4 C'est également une façon de nous détourner de nos habitudes qui sont sécurisantes et ne nous permettent pas d'évoluer.5 INJA – Institut National des Jeunes Aveugles – 56 bd des Invalides – 75007 Paris6 C'est la formule qu'il utilise fréquemment lors de ses cours, et notamment lors des supervisions.7 Art-thérapeute, intervenant dans le cursus Arts-Plastiques jusqu'en 2013

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Aussi, les événements, les personnes m'ont marqué comme autant de rencontres cruciales ; c'est

pourquoi j'aborderai dans ce mémoire de médiation le thème de « la rencontre » en 3 parties :

1. La rencontre avec les nouvelles modalités de création

2. De la rencontre avec le handicap à la personne en création

3. Les nouvelles modalités de la rencontre

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1°) La rencontre avec les nouvelles modalités de création

Dans les ateliers de l'Inecat, il est demandé de prêter une attention particulière à la

création en train de se faire ainsi qu'à notre rapport à la matière. Je me souviens d'une consigne

donnée par Béatrice Bodio. Je devais expérimenter une rencontre avec la matière. Je n'avais pas

compris la consigne, et je ne voyais pas où l'intervenante voulait m'amener. Je posais sur mon

support un enduit gras, que je recouvrais d'un peu de peinture acrylique. Je m'apprêtais à

mélanger les deux matières pour les fusionner, lorsque l'intervenante m'interrompit. « Voilà, ne

vas pas plus loin, c'est parfait. Observe le passage d'une matière à l'autre, comment la fluidité de

celle-ci tranche avec la rugosité de celle-là... etc. ».

Je restai perplexe devant ma production et devant la simplicité du geste requis. À plusieurs

reprises, elle orientait mon observation pour me focaliser sur des choses auxquelles je ne prêtais

plus attention. Elle conscientisait les gestes que je faisais machinalement, comme l'ouverture des

volets de la salle. Elle me proposait d'observer la façon dont mes mains allaient se saisir des

poignées du volet, comment les battants allaient ils s'articuler sur un axe et le mouvement qu'ils

allaient décrire en se repliant sur eux-mêmes. Je n'ai plus jamais ouvert les volets de la salle de

la même façon par la suite.

Prendre conscience de son geste en mouvement. Observer comment les éléments entrent

en contact les uns avec les autres, remarquer ce que nous n'avons pas ou plus l'habitude de

regarder, focaliser notre regard et nos sens sur l'acte en train de se faire. Toucher, regarder,

sentir. Au fil des ateliers, ces expériences m'offrirent un nouveau regard microscopique sur ma

façon de créer. La consigne des « nuances » permettait d'expérimenter les passages d'une

couleur à l'autre, avec toujours cette volonté de regarder de très près comment la matière,

presque vivante, réagissait.

Édith Viarmé 8, quant à elle, m'évoquait les traces créées dans un bol de chocolat chaud

que l'enfant aime regarder évoluer et se transformer en paysages ou personnages imaginaires.9

Verser quelques gouttes d'encre dans un verre d'eau est fascinant pour peu qu'on observe les

volutes évoluer avec des yeux d'enfants. Édith me disait que ce simple geste pouvait être

l'occasion d'entamer une médiation artistique avec une personne qui n'aurait plus la possibilité de

tenir un outil.

J'ai compris au cours des séances que l'important était de prendre conscience de ses

habitudes, faute de pouvoir lutter contre elles ou les éradiquer. Tel mouvement répétitif, tel sujet

récurent, telle attitude. Premier enseignement qui me paraît primordial et inédit pour moi : Ne

pas avoir d'idée préconçue de la production que l'on va réaliser. Laisser de côté l'idée. Vivre l'ici et

le maintenant dans un esprit Carpe Diem 10 afin de lâcher-prise. Se laisser porter par la matière

et les sensations qu'elle nous procure.

8 Directrice pédagogique de l'Inecat9 La paréidolie (du grec ancien para-, « à côté de », et eidôlon, « apparence, forme ») est une forme d'illusion d'optique

qui consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale. Cette faculté humaine sera utilisée en atelier pour travailler l'imaginaire.

10 « Cueille le jour présent»

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a) Les nouvelles modalités de création à l'Inecat

Les ateliers d'arts plastiques dispensés d'abord par Christophe de Vareilles puis par

Béatrice Bodio me permirent de prêter une attention toute particulière à mon corps en création.

Tout d'abord, trouver une place à ce corps dans un espace à occuper où chacun va délimiter son

territoire, par la mise en place de son matériel et de ses supports : Table sur tréteaux et

chevalets. L'une autorise la posture assise, l'autre impose la stature droite. Le mot d'ordre est de

s'installer confortablement dans sa zone de travail. Les premières observations relatives à mon

dos voûté ou à mon avachissement sur mon travail surviennent, puis les propositions de changer

de posture, jusqu'à rester 8h debout devant un chevalet. Suggestions pour modifier la position de

mon corps, le rendre plus souple, lui que je trouve si rigide et qui ne m'a jamais offert la

souplesse que j'aurais aimé.

À l'occasion des productions libres, j'avais réalisé un tableau dont le sujet avait été

mûrement réfléchi plusieurs semaines à l'avance. J'avais même réalisé quelques esquisses du

projet final, comme on me l'a appris au collège et comme l'enseignement des arts nous invite à le

faire. Le fameux travail préparatoire sur le carnet d'esquisses. J'étais fier de mon idée. Il

s'agissait de reproduire le célèbre tableau de René Magritte « Ceci n'est pas une pipe », en

supprimant la légende et en ajoutant un phylactère sortant de la pipe indiquant : « Ceci est une

prosopopée » 11. L'objet parlait donc, comme pour répondre avec subtilité au concept latent du

tableau de Magritte. Je trouvais l'idée bonne, mais la réalisation fut laborieuse et peu jubilatoire,

contrairement à d'autres consignes que m'avait données l'intervenante, notamment celle du

collage. Après l'épisode du tableau de Magritte (par ailleurs très compliqué à reproduire

contrairement aux apparences), je décidai de vraiment jouer le jeu de l'ici et maintenant, sans

avoir d'idée préconçue ni m'inquiéter du résultat : me laisser surprendre par ce que produisaient

mes gestes au contact de la matière ou des matériaux et découvrir avec plaisir (souvent) de

nouvelles formes qui naissaient de mes gestes devant moi.

▪ Les yeux fermés

L'atelier de Patrick Laurin12 intitulé « Création & Alzheimer » a été le premier atelier

expérientiel auquel j'ai participé. Autodidacte, je n'avais jamais assisté à un atelier de groupe,

depuis mes années collège. L'une des premières consignes données à l'atelier par l'intervenant fut

de « prendre conscience des points d'appui de son corps », lors d'une phase de mise en condition,

propice à la création et à la formation du groupe 13.

Tout en fermant les yeux, la consigne consistait en une inspection mentale de ses propres

points d'appui, du contact de son corps avec le monde extérieur. Privé de la vue, l'exercice oblige

à intérioriser son regard. Cet exercice fut pour moi tout à fait inédit. Prendre conscience du point

11 Figure par laquelle on fait parler et agir une personne que l'on évoque, un absent, un mort, un animal, une chose personnifiée.

12 Art-thérapeute, intervenant à l'Inecat dans les ateliers expérientiels et le cursus de second cycle jusqu'en 2014.13 Pour Jean-Pierre Klein, cette introspection est un moyen de faire vivre une expérience commune à plusieurs membres

d'un groupe en cours de formation (construction)

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d'appui de ses talons, de ses pieds, de ses jambes, de son fessier, de son dos, de ses bras, de ses

mains, de sa tête... est une expérience tout à fait surprenante, à qui n'a jamais pris soin d'y

prêter attention. On prend conscience des parties de son corps qui sont en contact avec

« quelque chose » (un objet, une autre partie de son corps...).

Prendre conscience de ses points d'appui, c'est prendre conscience de l'existence de son

propre corps. Outre son caractère relaxant, cette phase permet avant tout de prendre contact

avec soi-même, d'entrer dans une forme de méditation. Une connexion individuelle indispensable

avant d'entrer en contact avec la personne que l'on accompagne.

▪ Introspection

Je découvrirai par la suite que ces exercices les yeux fermés permettant l'introspection

corporelle sont récurrents dans d'autres ateliers .

Ils servent parfois de fil conducteur du dispositif comme dans l'atelier « Mandala – Totem »

d'Annie Languille14. L'intervenante propose un voyage intérieur à la découverte des parties de son

corps et de « l'animal qui s'y cache ». Le dispositif propose une alternance entre créations à

l'argile des animaux totems et voyage intérieur à la rencontre de ces (ses) animaux toujours les

yeux fermés.

L'utilisation des bouchons antibruit a été un procédé utilisé à plusieurs reprises dans les

ateliers expérientiels, de façon à se couper de l'environnement sonore extérieur. Au même titre

que fermer les yeux favorise le regard introspectif, se boucher les oreilles permet de se mettre à

l'écoute intérieure de son corps. Une écoute introspective en quelque sorte.

Les exercices de prise de conscience de son corps sont également utilisés et enseignés

dans d'autres disciplines comme la prise de parole en public, où la concentration nécessite avant

tout une phase de relaxation et de lâcher-prise. J'ai constaté 3 points communs à tous ces

voyages introspectifs.

D'abord, ils s'effectuent les yeux fermés, pour favoriser le regard intérieur.

Ensuite, ils partent du bas pour aller vers le haut, ou du centre vers les extrémités.

Enfin, ils invitent la personne à s'ancrer profondément au sol.

La prise de conscience de son corps apparaît comme un élément fondamental dans l'acte

de création et dans l'accompagnement de la personne. Je n'étais pas familier de ces voyages

introspectifs, que je trouvais parfois artificiels, mais que j'intègre très bien aujourd'hui. Autant je

suis capable de me mettre en condition pour me connecter avec moi-même, autant je me sens

incapable aujourd'hui d'accompagner un groupe dans un voyage introspectif.15

14 Art-thérapeute, intervenante à l'Inecat dans les ateliers expérientiels15 Mon inscription en second cycle m'a permis toutefois de m'initier à l'exercice et de me familiariser avec cet

accompagnement qui nécessite un véritable entraînement

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▪ Le toucher

Dans l'atelier expérientiel « Terre » de Ruth Nahoum, je découvrais également une autre

façon surprenante de prendre contact avec mon corps, lors d'une séance de fascia-thérapie à

laquelle l'intervenante nous initiait. La consigne consistait à poser ses mains sur ses cuisses puis

à exercer de légers mouvements de va-et-vient de façon à agir sur « les organes contenus dans

des sacs » (fascia).

Il s'agit d'une approche du toucher et du geste, qui démontre en quoi la peau donne accès

à la profondeur. Au fur et à mesure des mouvements sur les cuisses, c'est tout le corps qui se

met en mouvement, par l’interrelation des organes contenus dans ces membranes.

À la fin de l'exercice, je sentais comme un véritable craquement au niveau de la nuque ce

qui m'effraya. L'expérience m'avait laissé une sensation bizarre, mais elle avait provoqué un

véritable relâchement de tout mon corps, me laissant dans un état second. Je mis plusieurs

minutes avant de revenir à mon état « normal ». Je me rappelle avoir lutté psychiquement au

début de la séance, assimilant ce passage à un état second, à une forme d'hypnose. J'avais

l'impression de ne plus avoir la maîtrise de mon corps et que quelqu'un d'autre, en l’occurrence

l'intervenante, en prenait le contrôle. Elle rassura le groupe en précisant que nous n'avions rien à

craindre et qu'elle garantissait notre sécurité.

La terre ou tout médium malléable peut apporter une immense sensualité, tant le contact

avec cette matière est charnel. Qui n'a pas en mémoire la célèbre scène du film Ghost16 où

l'actrice principale (Demi Moore) entame un modelage à l'argile sur un tour de façon très

suggestive. Cette sensualité, on la retrouve dans le modelage et dans les gestes que l'on

accomplit avec, sur, et dans la matière. Pétrissage, caresse, pénétration dans un matériau à la

fois doux, frais et humide.

L'atelier terre de Ruth Nahoum, m'a permis d'expérimenter cette sensualité, décuplée

lorsque la consigne doit se réaliser les yeux fermés. On observe son geste de l'intérieur, on

explore ces paysages qui se prolongent au bout des doigts. Lorsqu'on rouvre les yeux, la forme

est là. Elle a de puissant qu'on ne savait pas qu'elle serait telle. Un peu comme un enfant qu'on

s'imagine le temps de la gestation, et que l'on découvre à sa naissance. Un cadeau de la vie.

La probabilité d'avoir deux stagiaires de sexe masculin dans un atelier à l'Inecat est très

faible. La probabilité pour que je me retrouve en binôme avec un autre garçon était pour moi

nulle. L'atelier « La réception de l'œuvre d'art en médiation artistique » de Béatrice Bodio allait

me prouver le contraire.

À la première consigne, j'allais devoir toucher la main de mon collègue, en recouvrant sa

paume de peinture blanche. L'objectif de l'intervenante étant de nous sensibiliser à la préparation

d'un fond. « Qu'est-ce qu'un fond ? » demandait-elle à la manière d'un koan 17.

16 Ghost, film américain de Jerry Zucker réalisé en 1990, Avec Patrick Swaize, Demi Moore, Woopy Goldberg17 Paradoxe proposé par un maître zen à la méditation de son disciple (ex. d'un koan classique : le maître frappe dans ses

mains et demande : « Voilà le bruit des deux mains. Quel est le bruit d'une seule main ? »).

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Toucher en caressant la main d'un(e) inconnu(e) n'est pas sans provoquer quelques

sensations et émotions. Ce geste est de l'ordre de l'intime. Il suffit d'avoir vécu une relation

amoureuse pour se souvenir comment notre rythme cardiaque s'accélère lorsque pour la première

fois, nos doigts effleurent la peau de l'autre (ou se font effleurer, car il y a toujours dans ces cas

là quelqu'un qui « fait le premier pas » dans la rencontre).

Ce toucher peut également provoquer un sentiment de rejet. Il n'est pas identique à la

poignée de main, tout aussi proche, si ce n'est plus, dans le contact physique. Dans notre société,

la politesse recommande d'ailleurs de retirer ses gants avant de serrer la main de quelqu'un, afin

d'établir un contact franc et direct. Le contact social avec les mains pourrait faire à lui seul l'objet

d'un écrit complet 18.

Les yeux fermés, j'entamais donc un peu gêné, le recouvrement de la paume de mon

binôme avec une peinture blanche. Étrangement, le contact avec sa peau n'était pas si direct qu'il

le semblait. La peinture jouait le rôle de protecteur entre sa peau et la mienne, comme une fine

pellicule isolante.

Nous savons que les questions posées à l'Inecat ne sont pas faites pour qu'on y réponde,

mais pour qu'elles nous amènent à nous poser d'autres questions, plus profondes. La forme de la

question de Béatrice Bodio était une question de fond justement. La polysémie du mot pourrait

nous conduire dans une interprétation vertigineuse des sens. Le fond comme la partie la plus

basse de quelque chose ? Le fond comme la partie la plus reculée ? Ou plutôt le fond comme ce

qui au-delà des apparences et en dernière analyse se révèle l'élément intime véritable ? Le fond

est également l'élément de base ou d'appui, mais aussi l'élément fondamental, essentiel ou

permanent, qui se découvre sous les superstructures accidentelles ou accessoires 19.

▪ Trouver sa place

À l'Inecat, nous portons une attention toute particulière à l'espace dans ses notions de lieu

et de temps. Le sujet revient quasi systématiquement dans les échanges, notamment dans les

supervisions et les reprises de la pratique.

L'espace, dans le langage courant est un « lieu plus ou moins bien délimité, où peut se

situer quelque chose » 20. En médiation artistique, on confirmera que ce lieu est plus ou moins

bien défini, mais on devra justement s'efforcer d'en préciser les limites, de façon à créer un

espace symbolique, un espace de création, un lieu de tous les possibles, et sécurisé.

La mise en place et le respect du cadre permettent entre autres cette transformation de

l'espace. Fort de cet enseignement, j'ai tenté dans mes différents stages une organisation de

l'espace de façon à faciliter l'installation des personnes et ma circulation pour m'approcher des

participants. Voilà pour la théorie. En pratique, la plupart des espaces auxquels j'ai dû faire face

dans les institutions étaient trop exigus pour me laisser la moindre liberté de déplacement.

18 Lire à ce sujet l'article d'Yves WINKIN, « COMMUNICATION », Encyclopædia Universalis [en ligne]: http://www.universalis.fr/encyclopedie/communication/

19 Définitions d'après le Grand Robert de la langue française20 Ibid.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.14 / 41

De l'atelier improvisé sur un coin de déambulateur dans un couloir, car aucun autre lieu

n'était possible, à l'espace confiné de la cuisine servant de salle de repos pour le personnel

soignant, en passant par la pièce si petite qu'une fois les six participants installés, il n'y a plus

moyen de se mouvoir ni derrière, ni entre les chaises.

C'est dans ces situations que la présence de son propre corps prend toute son importance.

Où se placer entre ces fauteuils roulants larges comme des lits ? Comment se déplacer vers cette

personne apparemment en difficulté à l'autre bout de la table ? Comment ne pas empiéter sur

l'espace de l'autre en tendant un outil à la personne située à ses côtés ? Chaque lieu a sa

spécificité : C'est son adaptabilité (et la mienne) qui va avant tout déterminer ma position. Où

vais-je me placer ? Serai-je assis ? Debout ? Pourrai-je circuler parmi les participants ? Quel sera

mon espace imparti pour tenir suffisamment en équilibre sans empiéter sur l'espace de l'autre,

sans tomber, en étant le plus discret possible ? 21

▪ Physicalité (mise en jeu du corps et du geste en création)

L'atelier « Marionnettes » de François Lazaro, sous-titré « théâtre par délégation et

manipulation primitive » est un autre exemple de création qui met en jeu le corps.

On apprend dans cet atelier à mettre son corps au service de la marionnette, donc de la

création. Le corps de l'acteur 22 doit se faire le plus discret possible jusqu'à disparaître, afin que le

spectateur puisse se projeter dans la marionnette.

Lorsque le corps de l'acteur est trop visible (ce qui fut le cas dans certains de nos

exercices), l'effet ne fonctionne pas. Nous avons expérimenté plusieurs formes de manipulations

et l'une d'elles s'est avérée particulièrement physique : la marionnette à gaine, sous castelet.

En guise de « petit château », un tissu noir est tendu entre deux trépieds. Debout, le bras tendu

au-dessus de la tête avec sa marionnette, la position n'est pas « naturelle ». Elle nécessite un

véritable entraînement physique. Les déplacements derrière le castelet, la plupart du temps à 2,

sont une forme de chorégraphie nécessaire pour rendre le mouvement des marionnettes fluide et

« réaliste » aux yeux du spectateur. Les déplacements du fond vers l'avant (et l'inverse), sur les

côtés, le croisement des personnages, etc. nécessitent un véritable investissement du corps de

l'acteur.

Les premières tentatives montrèrent à quel point nous n'étions pas à l'aise avec la posture

de notre corps. La plupart d'entre nous se contorsionnaient dans des positions absolument

inconfortables. La fatigue du corps et l'inélégance des mouvements en étaient d'autant plus

grandes.

21 Claude Sternis dira très justement « Le luxe, c'est l'espace » in L'animateur d'atelier d'expression – portrait intime en forme de mouton

22 Je pourrais l'appeler « manipulateur », mais ce terme est trop connoté et ne colle pas avec l'esprit de l'atelier de François Lazaro.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.15 / 41

L'intervenant nous conseilla une réadaptation de notre posture, en imaginant un axe

vertical qui traverse notre corps et autour duquel il suffisait de pivoter. En d'autres termes, éviter

que notre centre de gravité ne se décale trop pour conserver l'équilibre. Il utilisa la métaphore de

la mère qui pousse son enfant dans un landau : elle ne se contorsionne pas dans tous les sens

pour diriger la poussette, mais adopte une position « naturelle » qui lui permet d'accompagner

son bébé dans le confort et la sécurité (la sienne et celle de son enfant).

Prendre soin de sa marionnette, comme on prendrait soin de la personne que l'on

accompagne. Tel est le sens de l'atelier. Une véritable métaphore de l'accompagnement. Une

réflexion profonde sur sa posture d'accompagnant. Être présent, mais pas trop. Savoir être en

retrait de façon à laisser la personne prendre sa place [à elle]. « Accompagner quelqu'un, c'est se

placer ni devant, ni derrière, ni à la place. C'est être à côté » a écrit Joseph Templier 23, illustrant

très justement la posture de l'accompagnant.

▪ Le sas de décompression

Avant d'entrer en contact avec la création, ou plus simplement s'immerger dans l'atelier,

un « sas de décompression » est nécessaire. Il s'agit d'un espace-temps qui va permettre de

passer du « hors-atelier » à l'atelier et permettre la décompression nécessaire afin de réguler son

stress et laisser de côté ses préoccupations. À chacun de trouver et d'opérer son propre sas.

Un rituel de l'atelier d'arts plastiques intitulé « l'échauffement » contribue, entre autres, à

la fonction de sas et au rituel d'entrée en création. Cet exercice, en apparence très simple, est en

fait plus compliqué qu'il n'y paraît. Il consiste à échauffer son poignet en faisant des traces à

l'encre de chine sur des feuilles de papier A4 basique, type papier à imprimante 24. La complexité

de l'exercice réside dans la difficulté à retrouver un geste spontané, sans intention particulière.

Très rapidement, le geste se raccroche au mental et à l'éducation. La trace perd de sa

spontanéité. Le geste devient répétitif, en quête d'un objectif esthétisant.

Il est extrêmement difficile de lutter contre des réflexes acquis au cours de notre

éducation. Comment retrouver la spontanéité du trait de l'enfant que des dizaines d'années

d'enseignement et d'éducation ont fini par formater selon les critères et les canons que nous

impose notre société ?

L'échauffement invite donc à oublier ces codes l'espace d'un instant, où le corps va se

détacher une nouvelle fois de l'esprit. Plus qu'un échauffement physique, c'est un échauffement

mental dans le sens de « préparation ».

23 Joseph Templier, prêtre, ancien directeur du mensuel "Panorama", édité par le groupe Bayard.24 Christophe de Vareilles insistait sur l'importance de la neutralité de la feuille qui ne devait pas induire le geste de

l'échauffement, par un grammage trop fort, une granularité trop présente, ou des traces provenant d'un papier recyclé...

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.16 / 41

Cette phase de préparation est d'autant plus importante lorsqu'on accompagne un groupe.

Il est impossible d'accompagner correctement des personnes lorsqu'on est envahi par ses propres

préoccupations. Un vide est nécessaire, afin d'être pleinement disponible et réceptif. C'est ce que

j'ai adopté comme « préparation » par la suite avant d'animer les ateliers. Un temps d'isolement,

en arrivant à l'avance sur le lieu, pour le préparer et m'en imprégner. Une dizaine de respirations

profondes, une décontraction du cou, des membres supérieurs et inférieurs. Cet exercice peut

même se réaliser sur le trajet de l'atelier !

b) Privation d'un sens en création

Fermer les yeux est probablement l'acte volontaire le plus facile et le plus rapide pour

« désactiver » l'un de nos cinq sens que beaucoup considèrent comme le plus précieux : la vue.

Bien que tous les sens soient sollicités en permanence par notre corps, supprimer la vue est

particulièrement déstabilisant. Il suffit d'avoir les yeux bandés au milieu d'une pièce, pour tendre

instinctivement les mains vers l'avant, qui telles des antennes, vont nous informer sur notre

environnement proche et les obstacles qui pourraient entraver nos déplacements. Parallèlement,

notre sens de l'ouïe va se mettre en réceptivité maximale de façon à évaluer les bruits

environnants. Quelques jeux comme Colin Maillard, le Roi du silence, ou Roméo et Juliette

faisaient le bonheur des enfants lors des veillées de centres de vacances à une certaine époque.

Utilisant également la suppression d'un sens, ils avaient l'avantage de travailler la motricité de

façon ludique. Supprimer un sens modifie notre façon d'appréhender les choses et notre contact

avec le monde. L'absence d'un sens augmente l'activité des autres sens.

L'atelier Collage animé par Jean-Paul-Bernard Petit commençait par l'exploration les yeux

fermés d'objets divers dissimulés sous une nappe en tissu. Pendant près de 45 minutes, les

participants partaient à la découverte d'un objet qu'ils devaient ensuite décrire à voix haute aux

autres membres du groupe, toujours privés de la vue. Parmi l'amoncellement d'objets de formes

et de textures diverses, j'avais sélectionné un morceau de carton que je décrivais comme ayant la

forme d'un arc de triomphe. Je le parcourais « sous toutes les coutures » en le palpant, le

sentant, le collant à ma joue... J'évaluais sa résistance, et sa symétrie qui me semblait parfaite.

Lorsque nous eûmes la consigne d'ouvrir les yeux, je fus surpris de constater que mon Arc-de-

Triomphe n'avait rien de symétrique. Un des « pieds » de l'arc avait bien 3 cm de plus que

l'autre ! Alors que mon sens du toucher ne m'avait pas trompé sur le matériau et la texture, il

m'avait induit en erreur sur la forme, que mon cerveau avait probablement idéalisée en

l'imaginant bien symétrique.

La vue est l'un des centres de l'équilibre. La supprimer peut provoquer la déstabilisation du

corps. Intégrer la cécité dans une consigne peut s'avérer dangereux et met la personne en

position de vulnérabilité. Il est de la responsabilité de l'intervenant d'assurer la sécurité des

participants. Lors de l'atelier expérientiel « La réception de l’œuvre d'art en médiation artistique »

animé par Béatrice Bodio, nous suivions les consignes d'une médiatrice culturelle du musée d'Art

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.17 / 41

Moderne de Paris. Elle organisa une Tarentelle endiablée devant l’œuvre magistrale de Matisse

intitulée « la Danse ». Elle nous convia tous à y participer. J'ai encore la tête qui tourne à l'idée

d'y repenser, tant je faillis m'évanouir dans ce tourbillon qui malmenait mon corps et secouait

mon oreille interne. Elle nous proposa ensuite de découvrir l'espace à la manière des aveugles, en

fermant les yeux donc. Béatrice Bodio, réservée sur son jugement jusque-là, proposa de

constituer des binômes, dans lesquels un accompagnant guiderait la personne privée de la vue.

Je trouvais cette intervention tout à fait pertinente et bienveillante à notre égard. Elle modifiait la

consigne pour sécuriser le dispositif improvisé par notre hôte.

La suppression de la vue a été le « handicap » le plus fréquemment utilisé en atelier. Ce

sens, et plus exactement son absence ont pour moi une résonance particulière. Comme je le

signalais en introduction, mes sculptures d'animaux n'ont pas d'yeux. Avec la couleur blanche,

c'est ce qui caractérise mes pièces. Mes « créatures sans regard ne voient ni ne jugent le monde

qui contemple leur innocence » écrivait l'un de mes amis collectionneurs. Dans son Dictionnaire

historique de la Langue française, Alain Rey émet l'hypothèse que le mot aveugle se fonderait sur

le composé latin alboculus, de albus « blanc » employé en latin médical pour qualifier un malade

atteint de la cataracte. Bien qu'incertaine, cette hypothèse me séduit dans le cadre d'une

réflexion sur mon travail de création.

Faire abstraction d'un sens nous renvoie donc au monde du handicap physique, mais nous

avons vu comment cela pouvait interférer sur le psychique. Dans le monde des sourds, j'ai été

impressionné par la vitalité des regards et la vivacité des expressions gestuelles. Dans celui des

aveugles, j'ai été abasourdi par l'environnement sonore dans lequel ils évoluaient.

Un autre constat de l'expérience de la surdité en atelier est la difficulté rencontrée par les

intervenants dans la proposition des consignes. Je n'ai pas assisté à un atelier qui ne posât pas de

problèmes de compréhension lorsque l'intervenant proposait d'utiliser des bouchons antibruit. Il

fallait comprendre la totalité de la consigne avant d'introduire les bouchons, et s'assurer que nous

l'avions bien comprise. Une fois les bouchons en place, comment comprendre la suite de la

consigne ?

c) La rencontre avec de nouvelles matières

J'étais particulièrement intrigué par le support que nous devions apporter à chaque

séance : la toile du peintre (sur châssis de préférence). J'avais personnellement déjà peint sur

des planches de bois de récupération (pour des raisons économiques), mais jamais sur de la toile

achetée dans le commerce.

La toile tendue sur le cadre m'intéressait, car elle proposait une 3e dimension. Une

profondeur et un contenant physique vers lequel je pouvais aller. J'ai donc rapidement été attiré

non pas par la surface à peindre, mais par l'arrière du cadre.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.18 / 41

Ma première production sur toile était une recherche sur le thème du « double face »,

probablement une de mes préoccupations du moment. Un travail sur l'envers du décor. Qu'y a-t-il

derrière le tableau ? On dit que le regard du spectateur pénètre dans le tableau et le transperce

parfois. Je voulais pouvoir traverser physiquement la toile et formaliser cette expérience

singulière.

La surface à peindre représentait en ombre chinoise le portrait d'une jeune fille vue de

profil à travers une fenêtre. L'intérieur du tableau quant à lui représentait une scène d'intérieur en

couleurs, où l'on retrouvait la jeune fille agenouillée de profil, occupée aux tâches domestiques.

Il s'agissait bien sûr de Cendrillon, en guise de clin d'œil à Christophe de Vareilles qui

m'avait fait redécouvrir et apprécier les contes merveilleux dans son enseignement de la pratique

de l'accompagnement.

Cette notion de la traversée du tableau, pour aller chercher ce qui s'y passe au plus

profond de la matière, a été récurrente dans plusieurs de mes productions libres. Les toiles étant

bon marché, je n'ai pas hésité à lacérer au cutter ma toile tendue, qui ne l'était plus.

Le support devenait matière sous forme de lanières que je tressais les unes aux autres,

produisant une œuvre ajourée, changeant d'apparence en fonction de l'angle de vue, permettant

des jeux d'ombres et de lumières. Un effet vibratoire se dégageait de la toile. J'appréciais cette

recherche sur la matière, en décortiquant le support, d'autant plus que l'effet visuel produit me

plaisait.

Cette quête allait se poursuivre dans une troisième production libre où je voulais encore

explorer mon rapport à la surface et à la profondeur dans le domaine de la peinture. J'utilisais

pour ce faire 2 toiles que je collais dos à dos après les avoir peintes. Les morceaux des toiles

lacérées d'une croix en leur centre venaient se superposer l'une à l'autre. Le recto rejoignait le

verso et vice versa. Ce n'était plus Pile ou Face, mais Pile et Face, comme si, dans l'impossibilité

de faire un choix, il me fallait voir l'œuvre de tous les côtés.

La production pouvait s'accrocher dans tous les sens, et j'obtenai ainsi « 8 tableaux en

1 ». Avec le recul, je m'aperçois que l'acte de peindre était secondaire dans mes productions

libres et, globalement, je tendais vers des productions en volume, comme si un réflexe de

sculpteur me rattrapait. J'ai l'impression d'avoir exploré la sculpture dans un autre médium, et je

me demande si toute cette recherche n'était pas quelque part une façon de fuir l'acte de peindre.

« Jouer avec la nourriture » est matière à controverse. C'est ce que nous avons

expérimenté dans un atelier de Béatrice Bodio, dont la consigne principale était d'utiliser des

fruits en tant que matériau de création. Cette consigne souleva un vent de polémique, puisque les

fruits devenaient impropres à la consommation et les productions vouées à la poubelle 25.

L'acte pouvait s'apparenter à du gâchis plus qu'à de la création, mais chacun vécut sa

propre expérience au travers des explorations de cette matière singulière. Je découvris le nombre

extraordinaire de pépins contenus dans une tranche de kiwi. Extrayant un à un chaque grain de la

pulpe verte et gluante, j'obtenais deux médiums que je réagençai différemment pour créer un

arbre sur le fond d'une assiette en carton. L'utilisation de cette matière directement rattachée aux

25 À ce propos, je regrette qu'une étape de déconstruction plus élaborée n'ait pas été proposée par l'intervenante.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.19 / 41

sens du goût et de l'odorat avait soulevé en moi de nouvelles questions. « On ne joue pas avec la

nourriture » comme nous le rappellent la morale et l'éducation. Mais jouer n'est-il pas créer ?

Créer, n'est-il pas jouer ?26

Les productions à base de fruits regroupées sur une grande table devenaient œuvre

collective. Le lendemain matin, nous prenions plaisir à observer l'ensemble. La nuit avait déjà

commencé à altérer les productions. Une des miennes s'était avachie de son plein gré sur une

production voisine. L'intervenante me fit remarquer avec complicité ce changement de la forme et

je commençais à imaginer des choses à propos de cette nouvelle disposition. Soudain, une

stagiaire arriva, constata l'affaissement de ma production, et s'empressa de la relever « avec

bienveillance ». Elle venait de toucher à ma production sans mon consentement. Son geste

arrangeant me dérangea 27.

De ma rencontre avec les nouvelles modalités de création j'ai voulu souligner la singularité

des méthodes utilisées en médiation artistique enseignées à l'Inecat. Elles excluent la quête de

l'esthétisme et permettent de se focaliser sur les sensations perçues lors de l'acte de création.

Elles s'intéressent plus au processus qu'au résultat produit, mais également plus à la personne du

médiateur qu'à la fonction de l'artiste ou du thérapeute. Elles m'ont été précieuses lors de mes

stages où j'ai pu les mettre en pratique lors de mon accompagnement des personnes en situation

de handicap.

26 Voir Winnicot « Jeu et réalité »27 Avant la formation, je n'aurais probablement pas prêté attention à cet événement. Ce geste ne me serait peut-être pas

apparu intrusif si l'intervenante ne m'avait pas concerté quelques minutes auparavant, comme pour me laisser le choix de relever ma production, ou la laisser en l'état, mais en aucun cas elle n'avait influencé mon choix.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.20 / 41

2°) De la rencontre avec le handicap vers la personne en

création

a) Changer son regard

Une récente campagne publicitaire produite par l'association Noémie invitait à « regarder

la différence avec les yeux d'un enfant ». Dans ce clip intitulé « The eyes of a child » 28 le

dispositif met en scène un parent et son enfant invités à reproduire les grimaces de personnes

filmées et projetées sur un écran vidéo. Les deux spectateurs sont séparés par une cloison. Les

premiers plans montrent des personnes valides grimaçantes, que les deux cobayes imitent sans

aucune hésitation. Le dernier plan montre une jeune fille handicapée physique dans un fauteuil,

mettant son doigt dans le nez. Seuls les enfants accomplissent alors le geste qu'aucun des

parents n'ose reproduire. Le spot s'achève par un slogan : « Regardons la différence avec les

yeux d'un enfant ».

Ce très beau clip montre que notre regard est bien une question d'éducation. La formation

en médiation dispensée à l'Inecat nous invite elle aussi à (ré)éduquer notre regard sur l'autre. Les

ateliers nous proposent quant à eux de nous recontacter avec le moment présent, avec les joies

de l'enfance, avec la spontanéité des gestes et le plaisir des sens, inhibés ou annihilés par les

années qui passent inéluctablement.

À l'occasion d'un stage en responsabilité dans une unité spécialisée pour les personnes

atteintes de la maladie d'Alzheimer, je rencontrai Monsieur S. Mon premier contact avec lui fut

sonore. Je l'entendais parfois hurler dans sa chambre après des soignants ou quiconque ne

subvenait pas à ses besoins. Je le vis ensuite sur son lit alors que la porte de sa chambre

s’entrouvrait. Je pus apercevoir l'espace d'une demi-seconde ce qui restait de son visage. Un

cancer des sinus lui avait rongé la moitié de la face. Déjà, l'angoisse de devoir l'accueillir à

l'atelier m'envahit. Je passais régulièrement devant sa chambre sans oser aller à sa rencontre.

Peur ou pudeur ? Les mécanismes du champ / hors champ, si bien maîtrisés dans les films

d'horreur ou les thrillers, agissaient sur moi. J'angoissais à l'idée de passer devant cette porte,

derrière laquelle je pouvais tout m'imaginer. Il resta alité plusieurs jours dans sa chambre, ce qui

quelque part me rassurait et je continuais les ateliers sans sa présence, appréhendant le moment

où peut-être il viendrait à l'atelier. Ce jour arriva. Monsieur S. était seul dans le réfectoire qui

nous servait d'espace de création. Il était en train de se moucher non pas dans un mouchoir, mais

dans l'évier. Je vins le saluer, une boule au ventre. La déformation de son visage rendait difficile

son élocution, mais je finis par comprendre ce qu'il me disait. Il était très calme. Le fait de

pouvoir entamer la conversation avec lui me rassura. L'une des premières choses qu'il me dit fut :

« Ce n'est pas bien de fumer ». J’acquiesçais en compatissant et lui proposais de « jouer » à une

déclinaison du squiggle29. Je ne pouvais m'empêcher d'observer son visage, perturbé par le fait de

28 Vidéo visible sur https://www.youtube.com/watch?v=WB9UvjnYO9029 Terme et technique employés par D.W Winnicott pour son accompagnement des enfants et adolescents, signifiant

« ligne ondulée, gribouillis ». Cet outil de la médiation est très utile pour une première prise de contact entre le médiateur et le participant.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.21 / 41

ne pouvoir le regarder droit dans les yeux, comme gêné par l'impossibilité que mon regard put

trouver le sien. Il avait tendance à baisser la tête30, ce qui peut-être m'aidait à tenter de le

regarder en face. Je fus « rassuré » qu'il n'y eût pas d'autres personnes à l'atelier ce jour-là,

pouvant ainsi commencer un accompagnement individuel, et par là même ne pas perdre la face

devant un groupe qui aurait probablement ressenti ma gêne. Je m'assis à sa gauche. J'étais à

l'opposé du côté défiguré, ce qui me permettait d'accrocher cette partie du visage intègre afin de

commencer notre dessin à quatre mains. Je ne savais pas comment il allait réagir à la

proposition, l'ayant vu précédemment agressif et violent vis-à-vis du personnel. Je ne savais pas

non plus le temps qu'il m'aurait accordé à cette proposition. Nous restâmes 1 h à dessiner

ensemble, sous forme d'un dessin dialogue, où alternativement, chacun d'entre nous traçait sur la

feuille 31. Ce dialogue muet était respectueux. Chacun notre tour, nous posions notre empreinte

en écho à celle de l'autre. Pas d'interruption dans la discussion. Un moment d'échange qui permit

de laisser la confiance s'installer progressivement. Un apprivoisement réciproque : son

acceptation de ma rencontre avec lui, et vaincre ma peur de cette rencontre.

La peur de l'autre, de l'étrange, de ce qui n'est pas comme moi, de ce qui n'est pas moi.

Voir en l'autre ce que je ne voudrais surtout pas être, le craindre jusqu'à le rejeter. Me projeter

inconsciemment pour le fuir consciemment. Avec pitié parfois. Avec dégoût souvent. On n'ose

regarder ce que l'on ne veut être. Rejet d'un autre qui agit sur moi comme un miroir et me

renvoie à mes plus profondes peurs. Peur de me retrouver clochard, je fuis son regard. Peur

d'être handicapé, je préfère m'écarter. Peur de l'étranger, je décide de me renfermer. Mais d'où

viennent ces peurs ?

Un enfant n'a pas peur du feu avant de se brûler. Les peurs viennent à la fois de

l'expérience et de l'inexpérience, de l'apprentissage et de la méconnaissance. Peur parce qu'on l'a

déjà expérimenté. (« Chat échaudé craint l'eau froide », dit le proverbe) Peur parce qu'on ne l'a

pas encore expérimenté.

Un jeune enfant à la peau blanche pourra se mettre à pleurer lorsqu'il verra pour la

première fois de sa vie une personne à la peau noire (et vice versa). On ne peut imputer cette

réaction à une quelconque forme de racisme, fort heureusement, mais à un manque

d'expérience, ce que l'apprentissage et l'éducation permettront de combler tout au long de la vie,

pour le meilleur et pour le pire.

30 Comme le faisait également une jeune fille aveugle et défigurée dont je parlerai plus loin, et que j'interprète aujourd'hui comme un signe de soumission.

31 Voir en annexe Les Productions de Monsieur S.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.22 / 41

b) De la création du masque à la création du monstre

A. est une jeune fille de 11 ans scolarisée à l'Institut National des Jeunes Aveugles. Je la

rencontre la première fois lors de l'entretien avec ma référente de stage à L'INJA. Je suis stressé

par ce rendez-vous qui se déroule dans un environnement très bruyant 32 et abrutissant. Lorsque

j'aperçois soudainement la jeune fille défigurée qui vient à ma rencontre, je suis à la limite du

malaise dans tous les sens du terme. Ses yeux sont atrophiés, une prothèse à la place du nez,

des cicatrices sur le front, un bec de lièvre rend son élocution difficile à comprendre. Je ne sais

pas si j'ai réussi à cacher mes émotions lors de ce premier contact. Quelque part, j'en voulais à

ma référente de ne pas m'avoir prévenu.

Rapidement, la stupeur devant ce visage meurtri fit place à la bienveillance avec laquelle

j'ai tenté d'animer en responsabilité ce premier atelier regroupant 4 jeunes, dont A. et

l'éducatrice. Alors que nous faisions connaissance dans cette première rencontre, la thématique

du vouvoiement et du tutoiement fut abordée lors du temps de parole d'introduction. Je décidai

de proposer la consigne suivante : créer avec de la pâte à modeler, un personnage à qui l'on dit

« Tu » dans un premier temps, puis un personnage à qui l'on dit « vous » dans un second temps33.

J'observais avec attention le groupe et particulièrement A. J'avais du mal à me détacher de

son visage. J'apprenais à la regarder en face. Elle prenait un plaisir évident à pétrir la pâte à

modeler, avec un large sourire. Son handicap physique « disparaissait » progressivement à ma

vue, au fur et à mesure que les créations avançaient.

Son excitation était au paroxysme lorsqu'elle entama le personnage à « qui l'on dit vous ».

Elle affirma enfin, et non sans facétie qu'il s'agissait du chef d'établissement. Elle n'osa jamais

prononcer son nom tant les traitements qu'elle lui faisait subir étaient contraires au règlement

intérieur et à tout le respect que l'on est supposé accorder à quelqu'un que l'on vouvoie surtout

s'il s'agit du représentant suprême de l'autorité.

L'atelier s'acheva dans la bonne humeur sur un lavage des mains, lorsqu'elle me demanda

d'un ton sérieux : « Est-ce qu'on pourra faire des masques ? ». Cette question fut pour moi aussi

déstabilisante qu'avait été mon premier contact visuel avec elle. L'aide précieuse d’Édith Viarmé

contactée par mail le soir même me permit d'apporter une réponse à A.

Lors de la session suivante, je proposais un thème autour du masque, profitant de

l'occasion pour apporter une collection de masques africains et océaniens. Afin de ne pas

répondre trop directement à son désir de créer un masque qu'elle pourrait porter sur son visage,

j'inventais la consigne d'un masque décoratif de petite taille, qui pourrait être posé sur un

support. 34 Son masque était quelque peu surprenant. Elle réalisa une sorte de polygone plat, sur

32 Dès ma première visite à l'INJA, j'avais été frappé par l'environnement sonore particulièrement bruyant dans lequel évoluaient les jeunes aveugles. Les bruits représentent une information sensorielle importante et nécessaire qui sécurise leur environnement.

33 Voir en annexe les productions de A.34 Parmi les concepts utilisés par Jean-Pierre Klein, la stratégie du détour permet de ne pas répondre frontalement à la

manifestation du symptôme. Créer un masque à porter pour une personne défigurée pourrait s'avérer trop direct, tout comme proposer à une personne malade de figurer sa maladie sous forme plastique (ex : travailler sur le corps avec des

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.23 / 41

lequel elle fit plusieurs empreintes avec le bout de son doigt. Dans chaque empreinte évoquant

étrangement des orbites, elle plaça des petites boules en guise d'yeux.

À l'Inecat, nous aimons les références à la mythologie. Comment ne pas penser à Argos

avec ce masque aux yeux multiples ? 35 Au cours des autres ateliers, elle ne cacha pas son goût

pour la thématique du « monstrueux ». Débordant d'imagination, imprégnée de ses lectures de

préadolescente et de films d'horreur qui n'étaient probablement pas de son âge, elle prit un plaisir

évident à mettre en forme des personnages ou des objets issus de son imaginaire.

Un jour, la jeune A. vint à l'atelier après avoir été greffée d'un œil de verre. Cet œil unique

et sans vie me mettait mal à l'aise. Je m'étais habitué à son visage accidenté, mais vivant. Cette

prothèse inerte ne faisait que souligner son handicap physique. Cet œil ne lui permettait pas de

voir. Il permettait à ce que la société puisse la regarder sans s'effrayer. On la recréait

physiquement, pendant qu'à l'atelier elle mettait en forme des représentations « horribles »

comme elle le disait souvent.

Un autre jour, elle arriva emmitouflée sous un bonnet de laine, d'énormes lunettes noires

et un manteau de ski. Je lui proposai de se dévêtir pour se mettre à l'aise, mais elle refusa

catégoriquement, me disant que sa mère l'avait obligée à s'habiller de la sorte. Ce n'était plus un

habillage, mais un camouflage, imposé par sa mère, peut-être pour la protéger des regards

extérieurs.

A. entre aujourd'hui dans l'adolescence. Quand on connaît les difficultés liées à l'image de

son corps pour l'adolescent, je me questionne aujourd'hui sur la façon dont A. va traverser cette

période, devant accepter d'une part la transformation « naturelle » de son corps, et d'autre part,

le regard « culturel » de son entourage.

J'ai suivi A. au-delà de mon stage de médiation artistique, dans le cadre du projet

AMADEUS 36 que j'ai monté à la fin de la formation du premier cycle. Une subvention du groupe

GPMA-GENERALI 37 a permis de financer des ateliers de médiation artistique à l'INJA.

Lors de ces 15 ateliers, A. qui était entrée en adolescence, confirma son appétence pour le

monstrueux. Lors d'un atelier marionnette, elle créa un personnage monstrueux, mi-homme mi-

singe prénommé Tayson et venu se venger des hommes qui lui avaient fait subir maints

châtiments, maintes réprimandes et humiliations. Il était revenu parmi eux pour « violer toutes

les femelles singes et les enfanter ». Elle prit pour son personnage une voix d'outre-tombe

extrêmement bien imitée qui fit frémir son auditoire. J'étais moi-même impressionné par la

qualité de cette création vocale et le discours monstrueux que le personnage tenait. 38

jeunes filles anorexiques). En d'autres termes, ne pas appuyer directement là où ça fait mal. 35 Argos, surnommé Panoptès, « Celui qui voit tout » est un veilleur infatigable. Envoyé par Héra pour garder Io,

transformée en génisse blanche par Zeus puis décapité par Hermés. Le mythe raconte que Héra plaça ses yeux sur la queue du paon.

36 Ateliers de Médiations Artistiques Dispensés En Unités de Soins37 Projet Atout Soleil 2014 - « Art et Handicap » – voir http://amadeuss.free.fr38 La jeune fille est ici entrée en création. Elle est passée du /JE/ au /IL/ que décrit Jean-Pierre Klein dans son concept de

la bonne distance. Elle ne reste pas dans le JE, comme elle le ferait en psychothérapie classique, ni uniquement dans le /IT/ comme elle le ferait dans un atelier artistique classique

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.24 / 41

Après sa représentation, je vis que A. était très satisfaite de sa prestation, et les autres

membres du groupe subjugués par le personnage qu'ils venaient de découvrir. Les ateliers avaient

permis à la jeune fille d'endosser le rôle du monstre sans que cela ne soit plus perçu comme son

handicap, mais comme une qualité d'acteur exceptionnelle. Elle pouvait enfin être et jouer le

monstre, ce que la société ne lui permettait pas.

Ces visages abîmés me firent penser aux « gueules cassées » de la Première Guerre

mondiale. Jane Poupelet, sculptrice contemporaine de François Pompon mit ses talents d'artiste

au service de la réparation des visages des victimes de guerre. Elle travailla pour Le « Studio for

Portrait Mask » qui produisit 220 prothèses entre 1918 et 1919. Aussi imparfaite et parcellaire

qu’elle fût, cette méthode permit à des hommes défigurés de retourner dans la société et parfois

de retrouver leur ancien travail.39 Exclue de la société. Voilà la double peine de la personne

défigurée. Traumatisée par son handicap physique, rejetée par la société.

c) Rencontre en création par le corps

Dans le centre de phonétique appliquée Léopold Bellan j'ai fait la connaissance de So., une

jeune fille de 12 ans, malentendante et trisomique, au caractère bien trempé. Elle possédait une

forte personnalité, et affichait une autorité au sein du groupe. Il lui arrivait d'avoir des crises

assez violentes, au point que l'équipe éducative ne voulait plus l'amener en sortie, si elle n'était

pas accompagnée par sa mère.

Avant d'entrer en activité, scolaire notamment, elle se réfugiait aux toilettes et prenait un

temps avant de daigner rejoindre le groupe. « On ne demandait pas à So. de venir ». C'est So.

qui faisait le choix de venir ou non. La première fois que je la vis et la saluai, elle me répondit par

une magnifique grimace, en me tirant la langue et postillonnant de tout son soûl.

Nous fîmes un premier atelier en groupe durant lequel elle participa en imposant son

autorité auprès des autres. Elle s'empara notamment d'un rouleau à pâtisserie en bois utilisé pour

le modelage, qu'elle ne voulait pas partager et qu'elle finit par jeter à travers la salle.

À la séance suivante, elle n'était pas spécialement enthousiasmée pour participer à l'atelier

collage que je proposais. Je feignis donc de ne pas m'occuper d'elle. Je passais un coup de balai

dans la salle, et m'assis pour consulter un des magazines publicitaires que j'avais apportés, sans

trop faire attention à elle.

Elle commença à jeter un œil derrière mon épaule. Je lui proposai alors de s'asseoir à mes

côtés pour consulter le catalogue. Elle observa avec attention les photographies des différents

produits. Nous tournâmes les pages ensemble. Il sembla qu'elle aurait pu consulter le catalogue

pendant toute la séance.

J'aperçus un trampoline. Je me levai en mimant un acrobate sautant sur un trampoline.

Elle m'imita et se mit à sauter dans toute la classe. Elle revint à sa place et nous continuâmes la

consultation du catalogue.

39 Source : http://alainverstichel.canalblog.com/archives/2011/03/22/20698427.html

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.25 / 41

Elle remarqua une raquette de tennis (qui s'avérait être une tapette à mouche électrique).

Elle se leva alors et alla au bout de la salle, mimant une joueuse de tennis avec une raquette

virtuelle. Elle m'invita à me placer de l'autre côté du terrain, et nous commençâmes une partie de

tennis virtuelle. Nos échanges furent vifs. Elle rit lors de chaque renvoi de balle. Soudain, elle

smatcha et marqua le point. Elle leva les bras en signe de victoire.

Nous reprîmes notre place autour du catalogue. Nous venions de signer notre premier

contrat de confiance. 1 point partout. Égalité. Balle au centre.

Elle s'arrêta sur une image d'un DVD de Spiderman. Je dessinai alors sur une feuille A3, le

début d'une toile d'araignée. Je lui proposai de continuer la toile. Son institutrice se joignit à nous

pour participer à la création de la toile. Nous nous échangeâmes le feutre. So. termina alors

soudainement la toile, comme pour m'empêcher de ne pas la continuer, et « gagner ainsi la

partie ». Je fis une grimace. Elle rit en voyant ma tête. J'accentuai mes grimaces en me prêtant

au jeu. Je fis mine de réfléchir pour trouver une solution. Elle rit aux éclats.

Je dessinai alors lentement un fil qui prolongeait la toile... Elle comprit rapidement ce qui

se trouvait à l'extrémité du fil. Elle poussa de petits cris d'effroi. L'institutrice la rassura en disant

qu'il s'agissait d'une gentille araignée. Celle-ci avait effectivement une tête plutôt sympathique.

Je poursuivis en dessinant un insecte volant, qui se dirigeait dangereusement vers la toile.

Cette scène la fit rire. J''invitai So. à chercher des images dans le catalogue qui auraient pu

compléter le dessin. Elle trouva alors des décorations florales, qu'elle découpa et colla. 35 min

avaient passé. La jeune fille était restée concentrée sur l'activité tout ce temps. Elle parla de

l'araignée à d'autres membres de l'équipe, après l'atelier, montrant que cette séance l'avait

marquée, tout autant que ma rencontre par le corps et non les arts plastiques m'avait surpris.

d) Le geste créateur

L'enseignement de Béatrice Bodio sur la focalisation de mon regard m'a été précieux lors

de ma rencontre avec Madame N. dans le service de neurologie de la Salpêtrière. Comment

vaincre l'appréhension de la préhension grâce à la médiation artistique ? Telle pourrait être la

synthèse de cette rencontre.

Madame N. est âgée d'environ 55 ans, atteinte d'une maladie neurologique, elle est

fortement paralysée des 2 mains, ce qui l'empêche a priori de participer à toute activité manuelle.

Scientifique de profession, ses facultés mentales sont intactes, rendant probablement le contact

avec les autres patients du service de neurologie plus pénible. C'est donc « naturellement »

qu'elle décline mon invitation au premier atelier que j'anime dans ce service de long séjour.

J'avais apporté de la pâte à modeler pour cette première séance. Alors que l'atelier a

commencé depuis une quinzaine de minutes, elle vient nous rejoindre à ma grande surprise,

probablement poussée par la curiosité.

Je l'invite à participer en touchant un échantillon de matière que je place devant elle. Elle

refuse d'emblée, redoutant de salir ses pansements et m'indiquant qu'elle ne peut plus rien faire

de ses mains. Je lui demande alors si elle peut tenir un ébauchoir, propre, comme elle tiendrait un

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.26 / 41

crayon. Anxieuse, elle saisit alors l'outil avec le pouce qu'elle ressert sur sa paume de main. Les

autres doigts soudés les uns aux autres ne semblent plus opérationnels. Voyant qu'elle n'arrive

pas à utiliser l'outil à sa guise, elle dit d'un ton agacé « Vous voyez, je n'arrive à rien faire ! ».

En prononçant ces paroles, elle fait un geste de la main qui vient heurter l'échantillon de

pâte à deux reprises. Comme figés par ce qui vient de se produire, nous observons en silence la

forme allongée ainsi modifiée. Les deux traces qu'elle vient de créer dans son geste d'agacement

me font penser à deux yeux.

Je lui propose alors d'observer la matière avec un autre regard, comme Béatrice Bodio

m'avait invité à le faire. Elle approche son visage de la forme, et au bout de quelques secondes

elle trace d'un geste absolument contrôlé une nouvelle empreinte à l'extrémité de la forme qui

s'apparente désormais à une sorte d'animal au museau allongé. 40

« échantillon » « Je ne peux rien faire » « traçage d'une gueule ? »

À la suite de cette première expérience, je lui propose de travailler avec l'outil sur

une forme aplatie. Sans réticence, elle commence à tracer dans la matière des lignes qui

ressemblent à des symboles. Elle ajoute également des petits morceaux en relief sur sa

production. Je l'informe que la pâte sèche à l'air libre, que sa production changera de couleur et

ne sera plus malléable d'ici quelques heures. Elle demande alors s'il sera possible de la peindre

par la suite, projetant alors la continuation de sa production dans un futur plus ou moins proche.

40 Cette intuition qui précède et accompagne l'acte de création est décrit par Jean-Pierre Klein comme le concept d'Impression.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.27 / 41

Elle viendra par intermittence, souvent réticente au début des séances.

Lors d'un atelier collage que nous avions commencé avec d'autres participants, je l'invite à

se joindre à nous. Ne pouvant ni saisir les ciseaux, ni déchirer le papier de ses mains, je lui

propose de disposer des morceaux déjà déchirés, comme des touches de couleurs qu'elle

viendrait appliquer sur une feuille encollée par mes soins.

Elle commença la consigne, mais rapidement ses mains effleurèrent la feuille. Elle se tacha

la main ce qui provoqua immédiatement chez elle un geste de rejet et une remarque sur le ton de

la revendication : « Mais pourquoi on ne fait pas une œuvre éphémère ? ».

Marx Ernst, célèbre pour ses collages, disait : « Si c'est la plume qui fait le plumage, ce

n'est pas la colle qui fait le collage ». Pourquoi s'encombrer avec de la colle ? Pourquoi n'y avais-

je pas pensé ? Sa suggestion fut révélatrice pour moi et remit en question ma façon de proposer

les consignes. L'important fut qu'elle trouva par elle-même la solution.

Au fil des séances, et lors de mes visites dans sa chambre, nous avons pu échanger au

sujet des arts, ce qui a permis d'établir une relation de confiance. Très réservée sur sa capacité à

manipuler les outils ou les matériaux, elle a repris progressivement confiance en elle. Chacune de

ses participations est apparue comme un dépassement de son handicap. L'espace du temps de

l'atelier, elle a pu reprendre le contrôle de ses mains et surmonter ses angoisses de préhension.

Lors des stages, j'ai parfois minimisé les capacités des personnes à entrer en création et

réaliser les consignes malgré leur handicap. En service de neurologie, j'avais du mal à imaginer

comment proposer un atelier manuel à des personnes qui avaient perdu l'usage d'une main, d'un

bras, de la moitié de leur corps sans les mettre en échec.

C'était sans compter sur la débrouillardise et la persévérance de ces personnes, qui

allaient déchirer des papiers en s'aidant de leur bouche, ou verbaliser extrêmement bien alors

que leur aspect physique m'apparaissait totalement dégradé, et qu'il suffisait de se mettre à leur

niveau pour imaginer un accompagnement adapté et vertueux.

Mme B. participait depuis le début aux ateliers. Elle ne cessait de se dévaloriser, de se

sentir incapable, de se déprécier (« Je ne suis rien sans vous », « je suis nulle », « je ne suis pas

capable »). Elle semblait ne plus vivre que dans la plainte. Toujours insatisfaite des productions

qu'elle réalisait pourtant elle-même en y mettant une énergie surhumaine. Ses mains tremblaient

dès qu'elle s'apprêtait à produire un geste qu'elle voulait contrôler : tracer une ligne, modeler un

échantillon de pâte à modeler, déchirer un morceau de papier.

Lors d'une introduction d'atelier où je proposais un jeu dérivé du portrait chinois (« Si

j'étais... »), elle fut incapable de se trouver « une qualité » alors qu'elle venait d'énoncer des

mots aussi riches qu’edelweiss ou profiteroles si elle avait été une fleur ou un dessert.

À la suite de cet exercice, je proposais de choisir parmi ces portraits un mot qu'elle allait

pouvoir mettre en forme graphiquement. Elle souhaita dessiner un chat. Au moment même où

elle prononçait ces mots, je comprenais le nouvel échec qu'elle allait rencontrer en me disant :

« Je ne sais pas dessiner ».

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.28 / 41

Je l'accompagnais alors pendant plusieurs minutes dans une description orale du chat

qu'elle s'imaginait. « Comment était-il ? », « où était-il ? », « était-il joueur ? », « lové sur ses

genoux ? », « allait-il griffer ou

invitait-il à la caresse ? ». Nous

replongions ensemble dans une

atmosphère imprégnée par l'esprit

du chat, de ce qu'il provoquait

comme sensations.

Je l'invitais à reproduire ce

geste qu'elle imaginait, cette

caresse sur le pelage doux et

soyeux. Au crayon, elle reprit ce

mouvement sur la feuille. Bien

qu'ayant tracé l'essence même du

chat, elle ne fut pas plus satisfaite

du résultat. Mais durant toute la

phase de création, elle n'émit

aucune des plaintes qui semblaient

la caractériser.

«L'esprit du chat »

En présentant plusieurs exemples concrets de rencontres par la médiation artistique, j'ai

essayé de montrer comment ces rencontres ont été rendues possibles par le changement de mon

regard porté sur la personne en situation de handicap. Considérer la personne avant tout comme

une personne à part entière ayant un potentiel créatif parfois insoupçonné, avant de la considérer

comme une personne malade ou handicapée. L'autoriser à être ce qu'elle est, telle qu'elle est,

comme elle le ressent en tant que sujet en création. Changer son regard sur les objectifs de la

création, qui n'a plus la vocation « esthétique » qu'on lui attribue usuellement, pour permettre à

la personne de surmonter ses craintes et le regard qu'on peut porter sur elle. Un regard

désormais dénué de tout jugement qui annihilerait les capacités de la personne à être, à ne plus

être, à choisir, à décider, à accepter, à refuser, à désirer, à créer.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.29 / 41

3°) Les nouvelles modalités de la rencontre

« L'atelier aime le silence et le cri des outils » 41

a) Communication non verbale

Une autre consigne forte que donna Patrick Laurin lors de l'atelier « Création &

Alzheimer » fut : « À partir de maintenant, la communication verbale n'est plus autorisée ». Il ne

nous était pas interdit de communiquer, mais nous devions trouver de nouveaux codes de

communication. Ce moment fut particulièrement agréable à vivre. J'ai constaté dans les ateliers

que je conduisais, cet instant singulier où les paroles font place au silence et où les personnes se

plongent dans la création. C'est un moment où je me retiens de parler et prête une attention

particulière à chaque personne, tentant de repérer les messages de communication non verbale

d'un participant en difficulté, avant que sa parole ne vienne troubler le silence bienfaiteur. C'est

en général à ce moment que je m'approche de la personne et pénètre dans son espace intime. 42

Je tente alors de communiquer avec elle en chuchotant.

Au fil des ateliers menés dans les stages, je me suis forgé un vocabulaire de

communication non verbale, notamment des signes à l'adresse des personnes qui gravitent

autour de l'atelier, quand malheureusement l'espace n'est pas suffisamment protégé. Personnel

soignant, famille, visiteurs de tous horizons... qui peuvent venir interférer. Lorsqu'une personne

extérieure vient perturber par inadvertance l'atelier de façon souvent bienveillante, je lui adresse

en général un signe de la main, paume vers le bas signifiant une forme d'apaisement, comme

pour dire « Prudence, ralentissez, vous pénétrez dans une zone à vitesse limitée ». Parfois, la

paume de ma main se relève fermement vers la personne pour lui signifier « Stop ! » lorsqu'il me

semble que l'intrus a atteint une limite à ne pas dépasser. Le langage du corps accompagne le

message oral. Il le complète, le conforte ou le contredit. Nous comprenons qu'il nous intéresse au

plus haut point dans la médiation artistique et qu'il s'avère être l'une des clés ouvrant le chemin

d'une relation viable avec les personnes que l'on accompagne et dont nous devons comprendre

les codes de communication parfois modifiés.

b) Rencontre par le geste

Si l'espace est le lieu où peut se situer quelque chose, c'est également celui où se

rencontrent les corps à un instant t. Une rencontre où les corps se « touchent » par le fait de se

trouver dans le même espace, sans qu'il y ait contact physique nécessairement. Quand ce dernier

s'établit, de la « simple » poignée de main au saisissement du corps (on m'a demandé d'aider à

soulever des personnes alitées, une technique à laquelle je n'ai pas été formé), c'est une relation

particulière qui s'établit alors.

41 Claude Sternis in L’animateur d’atelier d’expression (portrait intime en forme de mouton)42 Voir Edward .T. Hall, La dimension cachée.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.30 / 41

Il m'arrive de poser ma main sur celle d'une personne âgée pour l'avoir vu faire dans une

relation bienveillante de soignant – soigné. J'ai également pris soin de présenter ma main d'une

certaine façon avant de serrer celle des résidants ou des patients. Ce n'est pas la poignée franche

que j'utilise habituellement pour saluer et me présenter à l'autre dans une relation sociale. Dans

le contexte de l'atelier, lorsque je rencontre un participant (potentiel), j'approche doucement ma

main la paume vers le haut, à une distance proche de la sienne sans la saisir. Je prononce le

« bonjour » de rigueur, suivi de « Monsieur... » ou « Madame... » lorsque je connais le nom et

que je m'en souviens. J'attends quelques instants que la personne accepte ou non de me saisir la

main.

Pour les personnes que je ne connais pas, cela me permet d'évaluer un premier niveau de

la relation. La personne comprend-elle ce geste de ma part ? J'évalue ensuite la puissance avec

laquelle la personne me sert la main. Je suis parfois surpris, notamment avec les personnes très

âgées, de la force et de la vitalité avec lesquelles elles me la serrent. Cela me permet ainsi de

jauger la force physique et psychique du moment. J'appréhende parfois la force que je peux

mettre moi-même dans la poignée de main, afin de ne pas blesser une main qui semble si fragile

et qu'on imagine se briser à la moindre pression.

Cette poignée de main comme prise de contact agit comme un thermomètre au sens

figuré comme au sens propre. L'expression « prendre la température » dévoile ici tout son sens

de prendre connaissance de l'état d'esprit, de la disposition du groupe ou d'une personne. Par

temps froid, il m'est arrivé de serrer les mains de résidants qui ne sortent plus de l'institution.

Sentant la froideur de ma main, elles évaluent immédiatement la température extérieure dans un

frissonnement expressif, qui est souvent l'occasion d'entamer un sujet de conversation banal en

apparence. En modifiant ma façon de serrer les mains, mon geste passe d'un registre social à un

autre registre qui pourrait être celui de la médiation. J'invite la personne à venir à moi. J'initie le

geste, mais ce n'est pas moi qui fais l'action de saisir. Je laisse à la personne la possibilité de faire

l'acte de serrer ma main, ou non.

Avec la formation, et l'expérience des stages, j'ai appris qu'il ne fallait pas s'attendre à

quelque chose d'extraordinaire durant l'atelier, et qu'il fallait souvent revoir ses prétentions à la

baisse. Le fait qu'un monsieur reste à l'atelier pendant 30 min, mais ne veut accepter de réaliser

aucune consigne, malgré de nombreuses sollicitations de ma part, peut être vécu comme un

échec de la médiation. C'est ne pas tenir compte que ce monsieur ne pouvait habituellement pas

rester plus de 5 min dans un groupe, mais que cette fois-ci, il était resté 6 fois plus longtemps !

Ou encore, le fait même qu'une petite fille sourde et muette avec troubles autistiques

vienne s'asseoir à côté de moi, en me saisissant l'avant-bras, pendant que l'éducatrice m'explique

que « cette petite n'a même pas capté [ma] présence dans la salle », est suffisamment

remarquable pour être signalé, et constater qu'il s'est passé quelque chose dans ce premier

contact.

Cette dernière scène s'est passée au Centre de Phonétique Appliquée Léopold Bellan, où

j'ai réalisé mon premier stage professionnel dans le cadre de ma formation.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.31 / 41

Le centre accueille de jeunes enfants sourds et muets avec troubles associés. Je prenais

connaissance de la salle des « petits » où une multitude de jeux et de jouets jonchaient le sol et

remplissaient les étagères. Un éducateur et une éducatrice spécialisés s'occupaient de 4 jeunes

enfants, dont un restait agrippé en gémissant dans les bras de l'éducateur.

J'essayais de faire mieux connaissance avec la petite fille qui m'avait accueilli en me

saisissant le bras. Je m'assis près d'elle au sol en essayant d'attirer son attention avec un jouet

qui traînait là. Cela ne l'intéressait pas. Elle semblait préoccupée par ses chaussures. Elle finit par

se rapprocher de moi et vint s'installer à califourchon sur mes jambes tendues au sol, au niveau

de mes genoux. Elle était dos à moi, et vaquait à ses occupations, immergée dans son monde en

produisant des sons sous la forme d'un babillage qui aurait été amusant s'il n'avait été permanent

et inadapté pour son âge.

Je sentis un malaise à ce contact si direct entre son corps et le mien. Dans le passé,

j'animais des centres de vacances et de loisirs où les contacts avec le corps des enfants, lors des

activités, étaient fréquents. Depuis, « l'affaire d'Outreau » avait défrayé la chronique. La

médiatisation des affaires sordides de pédophilie a marqué les esprits de notre société. La

présence de cette petite fille sur mes genoux me mit mal à l'aise, notamment vis-à-vis du regard

qu'auraient pu porter sur moi les autres adultes, même si l'éducatrice me fit comme

remarque réconfortante : « Elle t'a adopté ».

Préoccupée désormais par ses chaussettes, elle avait laissé ses chaussures de côté et

semblait toujours ne pas prêter attention à ma présence, bien que collée à mon corps. Je saisis

alors ses chaussures dans lesquelles je glissai mes mains, et commençai à les animer en les

faisant marcher sur le sol, à la manière de Charlie Chaplin et de ses petits pains dans La ruée

vers l'or.

Elle arrêta immédiatement ce qu'elle était en train de faire, et voulut saisir ses chaussures.

Je me mis alors à quatre pattes et me déplaçai dans la salle, simulant une fuite des chaussures.

Elle s'agrippa à moi comme pour me retenir, et rattraper ses effets personnels qui avaient

soudainement pris vie. La scène dura 5 minutes, mais c'était la première fois qu'il y avait une

interaction entre elle et moi sous forme de jeu. Le contact était établi, et c'est en ajoutant du

tiers à la relation que je pouvais me détacher d'elle pour enfin la rencontrer. Lorsque le contact

est trop direct, il n'y a pas d'espace de création possible.

Ce stage me donna également l'occasion d'expérimenter d'autres relations au corps avec

ce jeune garçon qui restait souvent dans les bras de son éducateur.

Il avait « 5 ans d'âge civil, et 1 an d'âge mental », pour reprendre les termes exacts de la

directrice du centre. Il ne mangeait pas seul, nécessitait qu'on lui fasse l'hygiène corporelle, et

avait effectivement les besoins d'assistance d'un enfant d'un an. Il paraissait seul dans son

monde, avait les yeux dans le vague et geignait la plupart du temps. Il basculait la tête d'avant

en arrière, jusqu'à parfois se frapper contre le mur ou quelque chose de dur.

Alors qu'il était installé sur les coussins d'un fauteuil bas, mordillant un jouet qu'il avait

porté à sa bouche, je m'approchais de lui pour une première prise de contact. Je pris un jouet,

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.32 / 41

ramassé à même le sol, et tentai d'attirer son attention. Rien n'y faisait. Il y avait tellement de

jouets en accès libre, qu'il connaissait probablement par cœur, que je décidai de confectionner

une petite marionnette en papier. Un tube fabriqué avec une feuille de papier enroulée, sur lequel

j'avais dessiné un visage et découpé en franges43 l'une de ses extrémités pour réaliser les

cheveux.

J'enfilai la marionnette sur mon index et la présentai à mon allocutaire peu loquace, en

l'agitant devant ses yeux. Ceux-ci restaient dans le vague. Ils ne se focalisaient pas sur la

marotte. J'avais l'impression d'être face à un mur. Dans un mouvement involontaire, la tête de la

marotte effleura le bras nu du garçon. Il tressaillit au contact du plumeau de papier. Il avait réagi

à cette forme de chatouille inopinée. Je fis alors courir la marionnette le long de son bras, ce qui

provoqua la mise en mouvement du petit garçon qui devint réceptif à tout ce qui pouvait entrer

en contact avec sa peau.

Cela se confirma lorsque j'assistai en observateur à une séance donnée par un intervenant

extérieur : un musicien de la ville de Paris, dont j'avais trouvé l'intervention remarquable et

proche de la médiation artistique.

Avant cette séance, je me demandais ce que pouvait bien faire un musicien, embauché

pour enseigner la musique, avec un enfant complètement hermétique à l'art de la marionnette.

L'intervenant commença par s'isoler avec l'enfant dans une salle où seuls des tapis de sol

permettaient de s'allonger et de gesticuler sans se blesser, loin de l'amoncellement des jouets de

la salle des petits. Peu attiré par ce nouvel espace, enlacé par quelqu'un d'autre que son

éducateur attitré, l'enfant geignait de plus belle et essayait de se dégager de cet individu qui

tentait de lui faire adopter une posture particulière.

L'intervenant sortit alors un diapason 44 qu'il heurta sur son genou pour le faire vibrer. Il

l'approcha du corps de l'enfant qui s'immobilisa comme par magie. Il fit parcourir alors

l'instrument vibrant près de son corps, le posa sur différentes parties de celui-ci, le fit tourner

autour de sa tête... L'enfant semblait entrer en résonance avec l'instrument. Il ne geignait plus,

mais réagissait comme stimulé par les vibrations sonores. Il se contorsionnait lorsque l'onde le

chatouillait trop, ou il rentrait la tête dans les épaules comme lorsqu'un frisson parcourt le corps.

La séance dura 10 min. Je restais impressionné par cette prestation, et trouvais un lien

évident avec la médiation artistique. L'instrument qu'il avait utilisé était également chargé de

symbolique. Le mot diapason est utilisé dans l'expression « Être, se mettre au diapason de

quelqu'un », c'est à dire se conformer, s'adapter à sa manière de voir, de sentir. Il représente en

cela symboliquement l'outil par excellence du savoir être en empathie avec la personne.

43 Petites bandes de papier ou de tissu. Au sens figuré, la frange est également une limite imprécise entre deux états, deux situations, deux notions...

44 Petit instrument d'acier, en forme de fourche, qui donne le la lorsqu'on le fait vibrer

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.33 / 41

Lors d'une réunion de synthèse qui suivit, alors que l'éducatrice citée plus haut qualifiait

l'enfant « d’électroencéphalogramme plat », j'exposai mon expérience de la marionnette et

rapportai la séance du diapason. À cela, d'autres éducateurs mentionnèrent l'affection particulière

de l'enfant pour les jeux d'eau, durant lesquels ils prenaient peur lorsqu'il restait plongé sous

l'eau, et qu'ils devaient l'en sortir pour éviter la noyade.

Le pédopsychiatre présent à la réunion, apparemment bien expérimenté, conclut

ironiquement que « l'électroencéphalogramme n'était pas si plat qu'il en avait l'air ». L'enfant

avait besoin, à ce stade, de stimulations corporelles, avec des jeux d'eau, de sable ou autre

médium permettant l'exploration du tactile.

Si le temps me l'avait permis, j'aurais probablement mis au point une sorte de tableau ou

tapis tactile avec différents revêtements (peau, plume, papier de verre, etc.) pour stimuler son

sens du toucher.

Cette troisième et dernière partie a montré qu'au fil de mon expérience dans la

médiation artistique, de nouvelles modalités de la rencontre se sont mises en place. D'abord

initiées par les réflexions théoriques abordées dans les cours de l'Inecat, ces nouvelles modalités

ont été mises en pratique dans les différentes rencontres effectuées. Elles sont en relation étroite

avec la posture que l'on adopte en tant que médiateur artistique vis-à-vis des personnes que l'on

accompagne et nécessitent une disposition à l'adaptabilité permanente en fonction de la situation.

Chaque rencontre est singulière. Ses modalités sont renouvelées à chaque fois, à chaque instant.

Ce qui fonctionne avec une personne ne fonctionnera pas nécessairement avec telle autre.

Arborer un large sourire au premier abord peut-être rassurant pour untel, mais sera perçu comme

une agression pour une personne souffrant de troubles psychiques. Chercher les modalités de la

rencontre, tel est peut-être la première tâche du médiateur. Comment initier les choses de façon

à créer les dispositions qui feront qu'il y aura, qu'il y a, qu'il y a eu rencontre ?

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.34 / 41

En guise de conclusion

3 années ont passé depuis ma rencontre avec Lucas.

Mon cursus de médiateur artistique s'est achevé au mois d'avril 2014.

J'ai suivi le second cycle du cursus Art-Thérapie en 2015.

En août de la même année, j'ai signé un contrat d'embauche à durée indéterminée avec

l'hôpital Léopold Bellan . Ce contrat est le fruit de mon travail effectué lors de mes stages et de la

rencontre avec des personnes qui m'ont accordé leur confiance. Qu'elles en soient ici remerciées.

J'ai intégré aujourd'hui une nouvelle équipe pluridisciplinaire de médecins, gériatres,

neuropsychologues, psychologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, kinésithérapeutes, etc.

dans un service spécialisé pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou apparentés

dans un hôpital de jour qui vient d'ouvrir. Tout reste à créer, et notamment les ateliers de

médiation artistique qui s'intègrent à part entière avec la prescription des autres ateliers

(kinésithérapie, psychomotricité, ergothérapie...)

Alors que la responsable du service demandait à chaque professionnel de fournir des

informations relatives aux ateliers et à leurs objectifs, j'ai déterminé comme premier objectif celui

de « La rencontre », non pas qu'il s'agissait du sujet principal de mon mémoire, mais parce-qu'il

m'apparaissait comme la condition sine qua non d'un accompagnement de la personne en

médiation artistique. Comment réaliser un accompagnement de qualité si la rencontre avec la

personne n'a pas lieu ? « Si tu veux apprendre le latin à John, tu dois connaître un peu le latin,

et beaucoup John », avisait l'écrivain anglais G.K Chesterton. Bien que la médiation artistique ne

soit pas un enseignement ni une pédagogie, elle en partage certaines des qualités.

En 2015, était célébré le 70 ème anniversaire de la première édition française du Petit

Prince, écrit par Antoine de Saint Exupéry en 1943. Relire le Petit Prince à l'âge adulte, c'est

renouer avec sa part d'enfance qui ne nous a pas quitté et qui sommeillait en nous. Relier le Petit

Prince à ce mémoire, c'est souligner une thématique commune de ces deux écrits : celle de la

rencontre.

Ce conte philosophique et universel 45 relate les rencontres entre le personnage principal

et plusieurs protagonistes : un aviateur (le narrateur), un roi, un géographe, un business man, un

allumeur de réverbères, des roses, un aiguilleur, un marchand de pilules, un serpent... et un

renard qui retiendra particulièrement notre attention.

Le chapitre de la rencontre avec le renard est un moment clé de l'histoire. Il nous offre

également une réflexion profonde et humaniste sur « l'apprivoisement » mutuel de deux êtres,

montrant que la rencontre est également un processus qui nécessite des étapes et du temps.

45 Traduit en plus de 270 langues et dialectes, c'est l'œuvre littéraire la plus traduite dans le monde après la Bible.

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.35 / 41

— Que faut-il faire ? dit le petit prince.

— Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de

moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le

langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu

plus près…

Le lendemain revint le petit prince.

— Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par

exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être

heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà,

je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens

n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des

rites.

« Apprivoiser » c'est donner de l'importance à la personne que l'on rencontre et faire en sorte

qu'elle soit unique au monde. « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si

importante. » dit le renard qui finit par conclure : « Tu deviens responsable pour toujours de ce

que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose… »

Toute rencontre est une expérience unique en soi, avec ce qu'elle comporte de hasardeux,

de cheminement, de combatif, de face à face, de rapprochement, d'heureux ou de malheureux.

Elle est cette « porte » dont il faut parfois chercher longtemps la clé. Elle est cette « fracture »

qui permet de rompre avec les préjugés. Elle est cet « instant » à partir duquel tout peut advenir.

Illustration à l'aquarelle d'Antoine de Saint Exupéry - 1943

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.36 / 41

Bibliographie

• Ancet Pierre, Phénoménologie des corps monstrueux

• Anzieu Didier, Le moi Peau, Dunod

• Dagognet François, La peau découverte, Collection des empêcheurs de

tourner en rond

• De Saint Exupéry Antoine, Le Petit Prince, Gallimard

• Delamarre Cécile, Alzheimer et communication non verbale, Dunod

• Freud Sigmund, L'inquiétante étrangeté (article)

• Hall Edward T., La dimension cachée, Points - essais

• Jakobson, Essais de linguistique générale, T1. les fondations du langage

• Klein Jean-Pierre, Penser l'art-thérapie, Puf

• Korff-Sausse Simone, Figures du Handicap : Mythes, arts, littérature

• Le Breton David, Sociologie du Corps

• Mauss Marcel, Les techniques du corps (article)

• Rey Alain, Dictionnaire historique de la langue française

• Sternis Claude, L'animateur d'atelier d'expression, Portrait intime en forme

de mouton, Asphodèle (les ateliers du pré)

• Winnicot D.W, Jeu et réalité, Puf

Mémoire de Médiateur Artistique – Quelque(s) chose(s) de la rencontre p.37 / 41

Annexes

Productions de A.

Le personnage à qui l'on dit « Tu » Le personnage à qui l'on dit « Vous». Il est bien plus grand que l'autre.

Le masque

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Productions de Monsieur S.

En vert, mes lignes, en rouge les siennes. En orange mes lignes, en vert les siennes. L'échange a consisté à

tracer des lignes chacun son tour. Un jeu d'alternance et de symétrie s'est créé. À une ligne verticale correspondait une

autre ligne verticale. À une horizontale, une autre horizontale, juxtaposée ou à l'opposé. Au moment du remplissage, je

pensais que le patient allait poursuivre cette alternance en remplissant les cases vierges ce qu'il a fait par moment, mais

il a également recouvert des zones que j'avais déjà remplies.

Le patient répond avec les lignes bleues aux lignes oranges que je trace dans cet échange graphique.

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CURSUS ARTS PLASTIQUES – ATELIERS EXPERENTIELS

1. Arts Plastiques : Christophe De Vareilles / Béatrice Bodio (voir détail page suivante)

2. Alzheimer et Création : Patrick Laurin

3. Mandala Totem : Annie Languille

4. Atelier Terre : Ruth Nahoum

5. Marionnettes, manipulations primitives, théâtre par délégation : François Lazaro

6. Collage thérapeutique : Jean-Paul-Bernard Petit

7. La réception de l'art comme dispositif de médiation artistique : Béatrice Bodio

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