Memoire 2012 Decembre

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mémoire Les cahiers d’Afrique du Nord Plurielle Vue d’Alger par Alexandre Rigotard (collection particulière) N°70 - Décembre 2012 1

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  • mmoireLes cahiers dAfrique du Nord

    Plurielle

    Vue dAlger par Alexandre Rigotard (collection particulire)

    N70 - Dcembre 2012

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  • cliquer sur un auteur ou un N de page pour accder au texte

    SommaireditorialJeanine de la Hogue 4

    crivain publicUne ville nomme regret (suite et fin) Jeanine de la Hogue 6

    Ecrivain publicEt que ressuscite Praecilius !Alain Amato 17

    Les chemins de mmoireUne inspiration mditerranenneAnnie Krieger-Krynicki 26

    Des travaux et des joursFerdinand HUARD ( 1854- 1934) 29

    crivain publicUn Boujadi De Maurice Le Glay, prsent par Patrice Sanguy 31

    crivain publicFlorilge de potes tunisiens et franais de Tunisie Annie Krieger-Krynicki 39

    Les chemins de mmoireIl n'est pire chose qu'un coquillage dans un tiroir Ren Jean Clot 45

    Les chemins de mmoireA travers Le Maroc enflamm, une vision colore et ethnologique du Maroc en 1927Ferdinand - Antoni Ossendowski. 47

    crivain publicMarchal Gallieni Le matre de Lyautey Denis Fadda 53

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  • crivain publicLes voix de jadis Pierre Goinard 58

    crivain publicternit du Pass Pierre Goinard 60

    crivain publicLe petit Oued Jean- Benoit 61

    crivain publicLe bon vieux bourricot Jean Benoit 63

    Les chemins de mmoirePaul ACHARD Odette Goinard 65 Repres bibliographiques Janine de la Hogue 68

    Mmoire dAfrique du Nord Ralisation : Jean-Claude Krynicki et Geoffroy Desvignes Les articles signs et opinions mises dans la revue n'engagent que la responsabilit de leurs auteurs. Copyright : toute reproduction mme partielle, des textes et documents parus dans le prsent numro est soumise l'autorisation pralable de la rdaction et de l'auteur. Une contribution volontaire de 10 euros par an est souhaite des lecteurs intresss par nos publications. Mmoire dAfrique du Nord 119 rue de lOuest 75014 Paris

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  • EditorialJeanine de la Hogue

    Mmoire toujoursIl y a, nous le savons bien, un devoir de mmoire. Nous navons

    garde de loublier car il nous est bien cher. Mais il y a aussi ce que jaimerais appeler plaisir de mmoire et, sans vouloir ne se souvenir que des bons moments passs, il nous semble que certains vnements valent bien la peine que lon sen souvienne encore. Cette rflexion amne parler des textes que nous diffusons et rappeler que notre vocation est uniquement de nature culturelle.

    Notre mmoire est slective, cest un choix, un choix fait travers le pass naturellement, la vie des jours de fte, la vie des petits bonheurs au jour le jour et le souvenir de certains personnages. Le rve aussi, pass rv, pass bien rel. Thtre de vie o se tenaient des acteurs importants, ceux dont on parlait dans les journaux, quon ne connaissait pas la plupart du temps. Mais il y avait aussi dautres acteurs, ceux qui faisaient vraiment marcher le pays, qui cultivaient la terre, cuisaient le pain, balayaient les rues, fabriquaient le vin, peuplaient les bureaux, conduisaient les trams, les voitures, faisaient lcole, tapaient dans des ballons. Au fond des gens comme vous et moi, des gens ordinaires qui peuplent nos mmoires et qui mritent bien un coup de chapeau.

    Mais, naturellement, il y a aussi ceux dont nous sommes fiers et dont il nous faut parler encore. Tout cela, au moment de publier notre quatrime numro en ligne, il nous est apparu utile de rappeler nos buts et notre vocation et si, notre revue tant parfaitement apolitique, nous nignorons pas que chacun, titre individuel, a le droit dexprimer son opinion sur les vnements actuels, nous nous sommes faits un devoir de ne jamais en faire tat publiquement dans nos crits. Cest pourquoi dans cet ditorial du quatrime numro de notre revue en ligne, je souhaite

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  • redire avec force que notre association et notre revue ne se permettront jamais dexprimer une opinion politique. Nous souhaitons garder notre revue un caractre culturel, abordant diffrents sujets certes, mais toujours avec une optique de culture, parfois historique ou intellectuelle mais toujours dans la ligne de notre vocation et de nos buts.

    Nous avons rappeler quelques activits littraires que nous avons eues au cours des annes passes, par exemple Claude Farrre et le Maroc, les recherches archologiques en Aurs, Pierre Loti, nos nombreux cafs littraires, nos lectures de textes originaux ou dcrivains connus, nos visites des muses, Belmondo, Matisse etc Nos voyages comme celui de la Rochelle et Rochefort avec la visite de la maison de Loti et du chantier naval de lHermione, un voyage au Havre, ses muses et lespace Vauban.

    Au cours de nos assembles gnrales, aprs un repas pris en commun, nous avions lhabitude dentendre des causeries comme sur Malte, ses relations avec lAlgrie, ou sur la Berbrie ou encore sur la mmoire et bien dautres trs nombreuses au cours de ces annes que nous avons consacres la culture et la mmoire jusqu ce numro 70 o nous avons rserv une large place la posie.

    Aujourdhui en cette fin danne 2012, il me semble que cest le moment dadresser nos vux les plus chaleureux tous ceux qui nous ont suivis durant toutes ces annes passes et ceux qui nous rejoignent depuis peu. Permettez-nous desprer que la revue continuera vous intresser, voire vous distraire.

    Bonne anne et bonne lecture.

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  • Ecrivain public

    Une ville nomme regret (suite et fin) Jeanine de la Hogue

    Nous reprenons ici notre puzzle interrompu. Nous tions dans le square aux oiseaux et aux petits nes. Face lui, pour un trs beau morceau du puzzle, voici le thtre qui a eu bien de limportance pour les habitants de la ville. On lappelait lOpra. Construit en 1853, il fut dtruit par un terrible incendie en 1882 mais fut assez vite reconstruit et agrandi. L se jouaient toutes les bonnes pices et se produisaient les meilleurs artistes du moment, comdiens et chanteurs. Le public avait une trs bonne rputation, svre parfois mais toujours juste, de lavis mme de ceux qui y jouaient. LOpra tait encadr gauche par une clbre brasserie, le Tantonville et, droite par le Cercle Militaire la trs belle architecture.

    De l part une rue arcades, la fracheur bien venue les jours de sirocco, avec ses boutiques, son salon de th - ptisserie. A ne pas oublier, surtout le bruit des trams brinquebalants qui, ds leur entre dans la rue se signalaient en faisant tinter sans arrt leur sonnette, le bruit aussi des gamins accrochs larrire et qui hurlaient de plaisir.

    Porte de Bab el Oued

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  • Sur la gauche notre puzzle fait une escale la Casbah. Ctait une forteresse leve partir de 1516 jusquen 1591 118 mtres au dessus du niveau de la mer et o se trouvait le palais du dey. Cest un ddale de rues enchevtres les unes aux autres et dcrit par de nombreux crivains. On trouvait entre autres la bibliothque, (30 000 volumes), le muse Franchet dEsprey, des jardins o parat-il on levait des autruches et de magnifiques treilles. Tout en haut, on avait ouvert un dispensaire o taient surveilles et soignes les prostitues. En bordure de la Casbah stait install un march aux puces. Tout en bas, rue Salluste, les religieuses de Saint Vincent de Paul avaient leur couvent et un dispensaire trs frquent.

    Place du Gouvernement en 1902

    Au bout de la rue en arcades on dbouchait sur la Place. A lorigine, simple passage devant un vieux palais, le Djenina. Elle a pris peu peu de lampleur, centre vivant dune ville nouvelle. On la tout dabord appele Place dArmes, Place Royale, Place Publique puis Place du gouvernement. Certains lont parfois nomme Place du Cheval. Une superbe statue questre avait t leve l par souscription. A cause du poids de cette statue, on avait d la faire soutenir par un pilier de vingt mtres fix sur roc.

    Peu de gens connaissaient le sous-sol de la place, avec dans lombre, ses piliers gants, ses arceaux massifs et les restes du

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  • Fort de la Mer. Il y avait des sources qui alimentaient des bassins et lon disait mme que le roc tait tapiss de stalagmites. On avait trouv l une inscription latine sur un monument qui faisait allusion la gnrosit dun riche donateur: A Lucius Tadius, fils de Lucius, de la tribu Quirina, surnomm Rogatus. Les dcurions, les diles, les diumvirs quinquennaux de Rusguniae et les habitants de Rusguniae cause de ses mrites et parce quil a fourni du froment et contribu laugmentation de lapprovisionnement public, cette souscription.

    Pour donner plus de charme la place et sans doute aussi de lombre, on avait tent de planter des arbres. Mais le manque de bonne terre avait fait chouer le projet. Par la suite, quelques palmiers et des platanes ont abrit un march aux fleurs.

    De tout temps la place, lombre de son vieux palais, avait t le lieu de mille activits, le lieu aussi de transactions douloureuses, proprits achetes et qui nexistaient pas, tmoin de forfaitures et de ruines.

    A cette poque la place voyait beaucoup de choses que la morale rprouvait. Laventure est toujours plus belle quand on la lit dans les livres. Il y avait alors des aventuriers, des personnes lgres et charmantes qui se faisaient passer pour dauthentiques comtesses ou baronnes.

    Mon puzzle aimerait rappeler le souvenir des hros malgr eux, des bandits occasionnels, de toutes les images de cette Place du Cheval, bien quaujourdhui elle ait perdu sa statue.

    On aimerait raconter les bateleurs, les musiciens, les sorciers et les mendiants, les officiers, les soldats, les lgantes et les flneurs, les fantmes blancs et les burnous qui se pressaient tout autour. Il y avait toujours une animation intense, concerts militaires ou civils, spectacles, bagarres

    Mais il y avait aussi dhonntes gens, un peu perdus dans cette ambiance survolte; ceux qui taient venus, attirs par lespoir dune vie meilleure, nayant pas hsit abandonner une

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  • existence somme toute plus paisible, pour venir l avec leur famille, pleins denthousiasme et dardeur. Et ce qui est plus curieux dans cette aventure cest que bien souvent, ils se sont obstins jusqu la mort, orgueilleux peut- tre de ne pas reconnatre un chec, mais en tous cas hroques. Certains navaient pas quitt la place, sduits par la vie intense, grouillante, propice aux dbrouillards. Tandis que les autres partaient vers leur destin, avec leurs redingotes et leurs chapeaux melons.

    Ce puzzle est un vritable pige mmoire. Les images viennent parfois sans y tre invites. Dautres sont mystrieusement occultes. Celles-l sont peut- tre encore trop proches de nous. Mais au fond, un puzzle, ce nest pas un guide officiel qui nomet aucun monument, aucun site, aucun btiment important! Cest une vocation libre, un rappel dune vie passe. Ainsi cette place a perdu sa statue mais elle peut encore raconter tous ceux qui se pressaient dans les boutiques, les cafs et les gargotes. Dans les dbuts, il fallait tre au Caf Apollon. La librairie Jourdan qui sera la premire maison ddition, tait aussi trs frquente.

    La visite du Prsident Loubet Alger en avril 1903

    Je voudrais aussi faire entrer dans le puzzle la cathdrale Saint-Philippe, ancienne mosque, elle mme leve sur danciens restes de btiments romains. Et qui voque le souvenir du martyr

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  • Gronimo dont on a retrouv les restes. Il fallait, pour y arriver, longer larchevch, un peu en retrait. Plus en hauteur, le march, la grande synagogue, le temple protestant. Avec la mosque El Djedid on a l une rencontre religieuse assez symptomatique.

    Le corps de Gronimo la cathdrale Saint-Philippe

    La rue arcades nous permet datteindre un btiment qui a jou un rle important pour les jeunes de la ville. Il sagit du Grand lyce, plus tard le lyce Bugeaud. A lorigine un lyce avait t cr dans une caserne de janissaires. Puis, en 1858, on avait construit un trs beau btiment qui avait mme un peu amput le charmant jardin Marengo. En face se trouvait la caserne Plissier.

    Tout prs de l, prend une rue fort sinueuse que lon appelait les Tournants Rovigo et qui allait rejoindre les hauteurs. Une rue, arcades elle aussi, et appele Bab Oued (porte du ruisseau) nous amne un faubourg devenu clbre, avec ses bistrots et sa kmia, son parler pittoresque, sa place des Trois-Horloges. Source dinspiration pour des crivains, nostalgie dun bien perdu mais aussi sduction du pittoresque rel du site et des gens.

    Anciennement nomme la Canter (Carrire), le faubourg sest ensuite appel Bab el Oued, bien que le ruisseau ait disparu avec les pierres de la carrire qui avaient servi construire les immeubles de la ville.

    Tout prs de l, le cimetire qui, la manire mtropolitaine, sornait de charmantes chapelles.. .

    La ville, proprement dite, sarrtait l mais se prolongeait par une route en bord de mer, avec des maisons parfois curieusement ornes de tours leur donnant une allure de petit chteau. Pointe Pescade, Deux Moulins, Saint- Eugne marquent la fin de notre puzzle de ce ct. La rgle du jeu nous commande de tourner le dos aux plages accueillantes avec de petits restaurants o lon 10

  • aimait goter les poissons, les hutres et les frites. Tentation difficilement repousse ...

    Repartons alors pour le centre des seize kilomtres qui stendent la vue quand on arrive par la mer. Deux itinraires soffrent nous.

    Nous pouvons retrouver le boulevard jusquau square aux oiseaux et lascenseur qui permettait aux voyageurs quittant la gare de retrouver trams et bus. Sur le boulevard se trouvent la Prfecture et le Palais Consulaire. Si nous empruntons cet ascenseur, nous passons devant la gare et nous rejoindrons ensuite les faubourgs industriels comme Belcourt, Hussein Dey et Maison Carre qui seront la limite de ce ct du puzzle.

    Mais nous devons parfaire notre puzzle en regagnant ce qui est devenu le centre ville, les rues de Constantine avec le Palais de justice, Dumont dUrville, d'Isly, rue trs commerante jusqu la Grande Poste, en passant par la place Bugeaud. Le boulevard Laferrire est une succession de jardins qui prend du Monument aux Morts (des sculpteurs Landowski et Bigonet) pour arriver la place du Forum, l aussi mine de souvenirs et despoirs enfuis.

    Monument aux morts de Landowski et Bigonet

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  • Le lyce Delacroix aux environs de 1910

    Cest alors le Gouvernement gnral, des jardins qui montent jusquau Tlemly devenu une artre trs frquente et que nous retrouverons en une vocation bien plus champtre.

    Revenons la Grande Poste, encore un lieu de souvenirs, puis la rue Charles Pguy jusqu la rue Michelet. Faisons un crochet par la rue Charras o le libraire-diteur Charlot accueillait les crivains dont Camus, quil fut le premier diter.

    Le lyce de jeunes filles qui sappellera tout dabord la Ligue de lenseignement puis lyce Delacroix tait en face du 1 rue Michelet et de la brasserie des Facults. Les Facults et les jardins venaient ensuite au dessus du tunnel quon avait creus l pour amliorer la circulation. Les Facults ont t construites sur un terrain nomm champ des Navets !

    L un caf trs connu, lOttomatic, tait un lieu dobservation, trs pratique pour suivre les alles et venues des jeunes et des moins jeunes qui faisaient ce que lon appelait le persil. Le quartier avait pris le nom dune villa turque, lAgha, et faisait partie de ce quon appelait Mustapha qui ne fut rattache que bien plus tard la ville. On y trouvait de trs beaux marchs.

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  • Le march Meissonnier

    Les morceaux du puzzle se succdent. Lglise, trs moderne, le Sacr- Cur, a remplac une charmante petite glise des tout premiers temps. Plus haut cest le parc de Galland et son muse des antiquits Stphane Gsell, puis cest le Palais dEt du gouverneur o fut abattu lamiral Darlan et le Muse des Beaux Arts qui avait une trs belle statue de la France et qui dominait le Jardin dEssai. Un trs bel htel, le Saint- Georges, avait t construit au sein dun ravissant jardin et de tennis et qui a toujours accueilli une clientle trs choisie.

    Viennent prendre place dans notre puzzle, le Bardo, muse de prhistoire et dethnographie, le Lyce Fromentin, le boulevard Bru avec dadmirables points de vue sur la mer et surmontant Fontaine Bleue et le champ de manuvres. La Redoute, faubourg assez rcent, nest pas loin, puis Hydra et le bois de Boulogne et plus loin, le Ravin de la Femme sauvage qui a donn lieu de nombreuses lgendes. Enfin, nous arrivons en poursuivant notre puzzle la colonne Voirol encore une limite de notre jeu. Mais avant de clore notre parcours, il nous faut ajouter quelques

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  • morceaux au puzzle et redescendre vers un fameux jardin, le Jardin dEssai. Ces quartiers ont t ds lorigine trs favoriss par de nombreux services de transport en commun, depuis les vieilles pataches venues de France aux noms pittoresques de Lion du Dsert, la Gazelle, la Fleur dOranger, le Sol Lucet Omnibus ... Plus tard ce furent les CFRA, trs courus et qui dfilaient devant des restaurants ou guinguettes aux enseignes factieuses: 0 20 100 0 (au vin sans eau !). Cest Belcourt quAlphonse Daudet situe lafft de Tartarin en qute dun lion abattre

    Le Foyer Civique fut orn de vastes ensembles dcoratifs signs dartistes algrois. Au flanc de la falaise, on montrait la grotte de Cervants et son buste, tmoin de ses nombreuses tentatives dvasion.

    La statue de la France par Bourdelle dominant le Jardin dEssai

    Puis nous voil au fameux Jardin dEssai, bord par une plage, trs frquente en dbut de sicle. Cr en 1832 par Auguste Hardy, il fut, comme son nom lindique, destine lacclimatation 14

  • darbres et de plantes destins se rpandre dans le pays. Ctait dabord un endroit prestigieux avec ses grandes alles, vastes avenues parallles plantes de nombreuses essences darbres et de fleurs. Artistes, peintres et musiciens y ont trouv linspiration: Saint- Saens, Renoir, Gide et bien dautres. Un peintre en avait fait son atelier Maxime Noir.

    Aprs ce morceau important de notre puzzle, nous regagnerons les hauteurs de Mustapha Suprieur par le chemin des Arcades en passant par le Muse, lInstitut Pasteur et la Villa Abd el Tif o le gouverneur gnral Jonnart fonda une sorte de Villa Mdicis o furent accueillis des peintres amoureux du pays. Le Ruisseau, Kouba o se trouvait le Grand sminaire. Des cites de conception assez originales ont t construites sur les hauteurs, Diar el Mahoul et Diar es Saada et sont accessibles par tlphrique.

    Nous terminons notre puzzle par une note plus champtre faisant aussi le charme de cette vocation qui, mme si nous ne lavons pas connue, ne peut que nous toucher.

    On lappelait autrefois le chemin des Aqueducs puis le Tlemly. De nombreux vestiges romains sy trouvaient encore au dbut du sicle. Ctait un chemin champtre bord de trs belles villas trs fleuries.

    A lentre, un peu lcart, quelques oliviers ombrageaient un kouba et une fontaine dite miraculeuse, souvenir dun saint homme, trs frquente par les femmes qui dsiraient un mari et venaient boire de leau et faire des ablutions. Les mchantes langues affirmaient que le petit bois dolivier abritait quelques aventures caches. Un vieil homme vivait l dans une petite maison en pierre et cest lui quon laissait ses offrandes. Cest lui qui racontait aussi de belles histoires qui se terminaient toujours bien.

    Aprs avoir quitt le vieil homme, on senfonait dans la verdure, avec quelquefois des chappes sur le mol arrondi de la baie travers les villas, leurs fleurs et leurs treilles. Souvent des chiens jaunes au regard faux poursuivaient les passants de leurs 15

  • aboiements furieux, jusqu ce quune canne leve les fasse fuir honteusement, pourrait- on dire; avec quand mme, avant la fuite dfinitive, un dernier aboi, la gueule leve, pour ne pas perdre, tout fait la face.

    Nous allons bientt clore ce puzzle qui navait pour but que de suggrer certaines images, dvoquer des paysages connus ou pour ceux qui navaient jamais vu cette ville, de leur faire un peu goter cette mmoire que nous voulions partager, ces souvenirs des jours de peines et de joies travers ce droulement dimages.

    Le subterfuge utilis pour cette vocation, le puzzle imagin mapparat en fin de compte bien incomplet. Cette mmoire que lon croyait si fidle se dcouvre pleine de lacunes, incomplte. Il est vrai quen cinquante ans les choses se sont estompes. Lentreprise tait peut- tre ambitieuse mais il reste le souvenir des lieux que nous avons aims et le dsir de ne pas avoir tout oubli. Que le lecteur pardonne tout ce qui manque et ne garde quune mmoire voque dune ville unique.

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  • Ecrivain public

    Et que ressuscite Praecilius !Alain Amato

    Allez mon fils, ce matin je temmne au march. Jai quelque-chose te montrer. Et me voil parti avec mon pre pour le march de Constantine. Celui qui occupait tout le rez-de-chausse situ sous lEsplanade de la place de la Brche. Une halle immense abrite du soleil lt et des intempries lhiver. Nous y accdions par des escaliers o sagglutinaient des portefaix qui proposaient aux mnagres de porter leurs provisions domicile. Ds lentre, une vaste rumeur parvenait jusqu nous. Ctait un march plein de vie et de vacarme. Tout le monde parlait, gesticulait. Dans les traves, ce ntait que bousculade. Dans les stands les vendeurs, polyglottes dans leurs interjections premptoires, essayaient dattirer la clientle avec des intonations de tragdiens.

    Avant dtre encombr par les provisions que ma mre lui avait demandes, mon pre se dirigea vers une des boutiques flanques sur lun des cts de la halle. Un de ses copains y tenait un magasin de grossiste en fruits et lgumes. Oh Nono ! Comment-vas-tu ? Tu peux nous ouvrir ton entrept. Je ten ai parl hier - Ah salut Jules ! Oui ! Fais attention en descendant, a glisse. Nous le suivmes au fond de sa boutique, Il ouvrit une porte. Derrire la porte, tout tait noir. Attends deux secondes, il faut que jallume. Voil, vous pouvez descendre. Nous nous trouvmes au bord dun palier surplombant une immense excavation haute et profonde qui navait plus rien voir avec larchitecture du march. Ctait comme une grotte qui aurait t mure Nous venions de pntrer dans les entrailles du Vieux Rocher. Ici rgnait un silence absolu qui contrastait diablement avec lanimation de la halle.

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  • Un autre monde. Javais limpression dtre perch ltroit sur la faade dun immeuble haut de deux tages. En bas, mme le sol, Nono entassait ses cageots de marchandises dans un environnement o la temprature restait constamment frache. Et sur le ct gauche apparut, dresse comme un i majuscule, une colonne romaine en marbre blanc qui soutenait un chapiteau corinthien. Apparition magnifique, irrelle. Ctait a la surprise de mon pre. Jtais en sixime. Lhistoire de lEmpire romain tait au programme. Il mavait entendu rciter les leons ma mre. Aussi avait-il tenu me faire dcouvrir cette antique relique.

    Nous descendmes un escalier mtallique en colimaon puis nous nous approchmes de la colonne. Elle tait grande. Et en bon tat. Toute lisse et brillante sous la lumire. Mon pre me raconta quelle avait t dcouverte ici en 1935, dans les fondations de la construction du march. Arriv auprs du vestige, je pus lire sur lune des faces du contrefort une inscription latine : Flavius Avianus Caecilius.

    Plus loin, vers le fond de la cavit, dans une pnombre qui rendait la vision imprcise, la vote rejoignait le niveau du sol en formant un espace qui avait t manifestement remblay. Captant mon regard dirig dans cette direction, mon pre me dit. Par l, au sicle dernier, ils avaient trouv un tombeau. Le silence profond, lclairage nu, la fracheur du lieu, cette ruine presque clandestine, abandonne dans cet environnement singulier, imprgnaient lendroit dune ambiance trange. Avec peut-tre en plus, tapie tout au fond, une prsence spulcrale cache. Toutes ces impressions mystrieuses me retinrent daller faire le curieux jusquaux dblais loigns qui gisaient dans la pnombre. Aprs tre remonts, Nono coupa dabord la lumire avant de fermer la porte. En une fraction de seconde la colonne disparut, engloutie dans des tnbres propices hberger une communaut de fantmes.

    Mon pre avait raison. Il y avait bien eu un tombeau dans cet endroit. Jen eu la rvlation vingt ans plus tard en parcourant, la

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  • bibliothque de Rennes, les recueils de la Socit archologique de Constantine.

    Hypoge de Praecilius

    La dcouverte de ce tombeau eut lieu le 15 avril 1855. Au temps de Napolon III, alors que les Franais taient Constantine depuis dix-huit ans. La municipalit tait la recherche dune source deau thermale dont la tradition, remontant 1797, la situait pour faire simple par rapport aux importants bouleversements topographiques intervenus entre cette poque et celle que nous avons connue juste avant 1962 quarante mtres au-dessous de la place de la Brche actuelle et approximativement laplomb de la colonne du coq Gaulois figurant sur cette photo.

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  • Constantine Place de la Brche

    En fait de source, les ouvriers du chantier mirent au jour un caveau romain dune grande superficie et divis en plusieurs salles. Au total une dizaine de sarcophages taient regroups dans cet hypoge. Des mosaques dcoraient le sol. Des fragments de fresque subsistaient sur les murs. Lorsque le tombeau le plus important par ses dimensions et par sa mise en valeur fut ouvert, on constata quil abritait un squelette en bon tat qui, au contact de lair, se dcomposa immdiatement. Peu peu, il ne resta plus que quelques morceaux dtoffe. Les archologues constatrent quil ny avait aucun objet dans le sarcophage, mme pas cette fameuse obole loge dans la bouche du dfunt et destine tre prsente Caron pour le page du Styx.

    Par contre une inscription latine de huit lignes, grave sur une face latrale du tombeau allait savrer importante. Ctait une pitaphe. La voici telle quelle fut transcrite en 1863 dans lalbum du Muse de Constantine, publi sous les auspices de la socit archologique.

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  • Epitaphe de Praecilius

    Le Romain enterr en cet endroit se nommait Praecilius, au temps o la ville sappelait Cirta. La traduction de son pitaphe allait faire plancher plusieurs latinistes de lpoque. Les difficults rencontres par ces spcialistes tait que Cette inscription latine, grave en creux, quoiquon ait eu aucune peine la dchiffrer, nest pas dun beau travail dexcution, et laisse dsirer sous plus dun rapport. Elle dcle une main peu habile, et surtout un lapicide ignorant qui ne savait ni sa langue, ni lorthographe de sa langue qui ne comprenait mme pas bien ce quil tait charg de reproduire. Les lettres qui ne sont pas toujours finement formes, trahissent souvent un ciseau hsitant, cette pitaphe est remplie de fautes attribues louvrier copiste. Car assurment, le dfunt, homme lettr, ayant prpar son pitaphe de son vivant, naurait pas commis de semblables lapsus calami ; le sens gnral, nullement altr dailleurs, suffit seul pour prouver ce que nous avanons. La reconstitution smantique du texte occasionna des problmes dans la

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  • manire daccentuer les mots, de sparer les divers membres de phrases et de ponctuer les priodes

    (1)Paul-Eugne Bache, Le tombeau de Praecilius, Annuaire de la Socit archologique de Constantine 1856

    Lon Renier2 qui tudia le texte trouva quil tait en vers hroques de la facture de Commodien de Gaza (Pote que lon situe au milieu du III me sicle). Aprs ce travail de recadrage, les huit lignes du lapidaire apparurent sous la forme dun pome de treize vers. En outre Lon Renier dcouvrit dans la disposition mme des vers un acrostiche : P.FORTUNATUS. Acrostiche qui peut sinterprter par Praecilius le fortun .

    Les historiens sinterrogrent sur le fait de savoir si Praecilius tait chrtien ou non. Mais il ressort de la lecture attentive de son pome quil tait picurien.

    Vous trouverez ci-dessous une synthse du texte construite partir des quatre traductions dates de 1856, 1863, 1893 et 1903

    2 Lon RENIER (1809 1885) tait membre de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres et professeur au Collge de France

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  • que jai trouves dans les recueils de la Socit archologique de Constantine.

    Moi qui maintenant ne puis plus parler, je raconte ma vie en ces vers.Jai joui pendant bien longtemps de la clart du jour.Je fus Praecilius, de Cirta, o jexerais la profession dorfvre.Je fus toujours un homme vrai et dune bonne foi exemplaire.Tout tous, qui nais-je pas t compatissant ?Tout ma souri, jai toujours joui dune vie luxueuse avec mes chers amis.Aprs la mort de ma chaste dame Valrie, je nai pas trouv sa pareille.Autant que je lai pu, jai men une vie agrable et sainte avec mon pouse.Jai honorablement ft cent fois lheureux anniversaire de ma naissance.Mais vient le dernier jour o mon esprit abandonne ma vaine dpouille.Cette pitaphe que tu lis je lai prpare de mon vivant pour ma mort.La fortune qui me souriait ne ma jamais abandonn.Suivez-moi aprs un destin semblable ; je vous attends ici.

    Praecilius traversa un sicle. Mais lequel ? Sachant que notre personnage se dit de Cirta et que cette ville fut dtruite en 311 par Maxence, puis reconstruite en 313 par lempereur Constantin qui lui donna son nom, on peut avancer que Praecilius vcut sans doute avant cette catastrophe, soit au IIIme sicle. Dautant que les savants qui se penchrent sur son pitaphe admettent que sa faon dcrire correspond au style de Commodien de Gaza, qui aurait t lun de ses contemporains.

    Le sarcophage, retir du tombeau, ainsi que ceux qui laccompagnaient, furent dposs lextrieur de lhypoge, exposs toutes les intempries, au bas des dblais du Coudiat, que les wagonnets de lentreprise de drasement ont amen sur ce point En 1902, Chabassire membre de la socit archologique crira dans une note du bulletin : Jusquen 1859, ce spulcrum familiare fut peu prs respect mais on ne poursuivit pas srieusement les recherches, qui eussent peut-tre abouti la dcouverte dune cinquime salle. Pendant plus de vingt ans cette ncropole fut odieusement outrage, et, depuis

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  • quatre ou cinq annes, les dblais du Coudiat - Aty recouvrent dfinitivement ces pauvres ruines. 3

    Au cours de la confrence publique faite au thtre de Constantine le 30 avril 1903, pour y clbrer le cinquantenaire de la Socit archologique, il fut dit : Notre concitoyen Praecilius, jadis orfvre Cirta, aimable picurien, se construisit une spulture somptueuse que les archologues ne se consoleront jamais davoir vu enfouir rcemment sous les dblais du Coudiat-Aty. 4 Cette confrence fut suivie dun banquet dont le menu nous est parvenu.

    Ainsi le tombeau de Praecilius retourna dans les entrailles de la ville, recouvert par des tonnes et des tonnes de gravats. Mais de Praecilius, il subsiste son message doutre tombe qui fut grav dans la pierre il y a dix-sept sicles.

    Mais nul ntant prophte en son pays, aucun nom de rue ne lui fut donn en hommage, pendant la priode de lAlgrie franaise. Lui, lun des plus anciens habitants connus du Vieux Rocher ! Lui, qui nous dlivra concrtement cette pitaphe qui nous est parvenue malgr lloignement des sicles et les vicissitudes des civilisations.

    Alors, que ressuscite Praecilius, par lintermdiaire de cet article insr en ligne , de la manire la plus moderne qui soit !

    3 M Chabassire. Note sur le tombeau de Praecilius Constantine. Page 176. Bulletin archologique de 1902.

    4 Socit Archologique du dpartement de Constantine. Souvenir du cinquantenaire 1853 1903. 36volume.

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  • Menu du 30 avril 1903

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  • Les chemins de mmoire

    Une inspiration mditerranenneAnnie Krieger-Krynicki

    Aphrodite par Morin-Jean

    La parution dAphrodite, murs antiques en 1896, fut immdiatement salue par les Parnassiens et Albert Samain, un des fondateurs du Mercure de France. A 26 ans Pierre Lous tait clbre. N Gand en 1870, mort Paris en 1925, il devint un familier du salon littraire de Jos- Maria de Hrdia et de ses deux filles Maria et Louise; il pousera plus tard cette dernire. Li brivement Oscar Wilde, il corrigera les preuves franaises de sa Salom qui lui est ddie. Hellniste, il traduira les Posies de Mlagre de Gadara et Scnes de la vie des courtisanes de Lucien de Samosate. Avec Paul Valry et Claude Farrre, lami fidle jusquau bout, il crera La Conque qui publiera Verlaine, Mallarm, Maurice Maeterlinck et Henri de Rgnier. Sassocia la brve entreprise, Andr Gide, son condisciple lEcole alsacienne. Sur ses conseils, en 1894, il effectuera un voyage en Afrique du Nord, dAlger Biskra o Gide avait rsid dans la maison des Pres Blancs, avec un ami pote A. Ferdinand Hrold.

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  • Groupe de femmes par Morin-Jean Danseuses par Morin-Jean

    Il y tombera, comme auparavant Andr Gide, sous le charme de Mryem bent Ali (ou ben Atala ) une Ouled Nal. Dans Si le grain ne meurt, il a fait passer la postrit la danseuse : Mryem est de peau ambre, de chair ferme mais presque enfantine encore. Car elle avait peine plus de seize ans. Je ne puis la comparer qu quelque bacchante, celle du vase de Gaete. A cause aussi de ses bracelets qui tintent comme des crotales et que sans cesse elle agitait. Pierre Lous leur ddiera tous deux, son recueil de posies, pastich de lantique, Les chansons de Bilitis promises au succs. Lune delles sera mise en musique par Claude Debussy (1895). Dans ses lettres, crites de Constantine son ami Gide, il mettait comme adresse complice: Dar- el- Meryem . Il y habitait alors 42 route Bienfait. Il joint ses vocations familires des prix et accessits reus ou rats, un pome LOmbre, trs connu lui aussi et celui des Pcheurs. Sa profession de foi dans sa Potique : Choisis le mot, il nen est quun. Placer le mot : cest crire. Fascin par cette rive mditerranenne, il repartira pour Alger o il vivra Fontaine-Bleue, dans le quartier de Mustapha, de 1896 1897 puis en 1899 avec un dtour par Tunis et Bizerte. Toujours fascin par ses habitants, femmes et hommes auxquels il fera porter par un jeu dartiste, des masques antiques.

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  • Les Pcheurs Cest un lac gris (vert?), toujours effleur par le chant Dun dieu qui lassombrit de toute sa personne.Les joncs que Hads foule et quArtmis moissonneY luisent, plus courbs que lherbe dun champ. Trois satyres debout et noirs sur le couchant Portent le trident mince et la creuse nassonne. Au bord de leau fertile o le cygne frissonne Guettent la carpe brusque et le carquin mchant . Ils pchent mais le bras des naades ondoie, Rassemble tour tour et disperse leur proie, Nage, fuit, trouble leau nocturne, disparat Et le filet qui sort de la blancheur lacustreNe livre aux pauvres doigts des boucs de la fort Quun insecte cras par les pinces dun flustre. Pierre Louys . Constantine 8 aot 1894 ( Mryem tait l )

    Poisson par Morin-Jean Rfrences bibliographiques In Lettre Andr Gide ; NRF (octobre-dcembre, 33. 2 1929)

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  • Des travaux et des jours

    Ferdinand HUARD ( 1854- 1934)

    Ferdinand Huard (1854 1934)

    N Landes dans le Loir et Cher, aprs un dbut de carrire en Cochinchine, il est nomm ladministration des Postes Tunis en 1885. Il participe laventure de lInstitut de Carthage, association tunisienne de lettres, sciences et arts, avec le docteur Carton, auteur de fouilles sur le site. Il est associ au lancement de la Revue tunisienne en 1891 et son premier numro en 1894. A ct de la chronique darchologie seront publis des articles danthropologie, dhistoire locale, dpidmiologie et dagronomie avec des comptes rendus artistiques et de la posie. Sous le pseudonyme de Bulbul - le rossignol - Ferdinand Huard a dj publi Feux dOrient et Reflets et Mirages en 1902, dont la mlancolie aux teintes exotiques, fut apprcie par les Parnassiens et par Alexandre Dumas-fils. Officier des Palmes conomiques, il recevra lors de lExposition Universelle en 1900, le troisime prix de posie. Il sera linitiateur de tous les vnements culturels de la Rgence, action qui sera couronne, le 23 dcembre 1921 par le Prix de Carthage institu pour les artistes ns en Afrique du Nord ou y ayant rsid depuis plus de trois ans. Il fut lev au grade dofficier de lordre des Palmes acadmiques. LInstitut de Carthage dont il fut un des fondateurs avait pour symbole un Pgase entour de branches dolivier avec 29

  • la devise Travail et Concorde. Ce qui correspond aux conceptions philanthropiques de F. Huard qui cra la Mutuelle tunisienne. Un faubourg de Tunis porta dailleurs le nom de Mutuelleville. Mobilis en 1914 comme chef de bataillon au 6e rgiment dinfanterie coloniale, sa citation dans lOrdre de la Lgion dHonneur donne la mesure de cette personnalit accomplie: Excellent officier, dune bravoure, dun entrain et dune nergie incomparables. Commandant depuis le dbut de la campagne un bataillon, sest particulirement signal le 20 aot o il a t srieusement bless en couvrant, la tte dune poigne dhommes, le mouvement de repli de son unit trs vivement presse par un ennemi trs suprieur en nombre. Incompltement guri, est revenu le 7 septembre au front reprendre le commandement de son bataillon. Fidle sa terre dlection, il mourut Tunis en 1934.

    Nos remerciements vont M. Lucien-Henri Gala qui nous a communiqu gracieusement le portrait et la citation de M Ferdinand Huard. Il les tenait de sa grand-mre, Mme Jeanne Chevalier, ne Varga y Lopez de Machuca qui tint en 1890 un salon littraire Tunis o elle reut en particulier notre pote.Annie Krieger-Krynicki

    Bibliographie Revue Tunisienne (Organe de lInstitut de Carthage ) 1994 et

    annes suivantes La Tunisie et le Maroc au fil des pages: Annie Krieger-Krynicki,

    Mmoire plurielle dAfrique du Nord N 37 Hommes et Destins, Acadmie des sciences dOutremer T VIIBiographie de Ferdinand Huard par Guy Dugas in Cahiers

    dAfrique du Nord N13Biographie du Docteur Carton in Cahiers dAfrique du Nord

    N11

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  • Ecrivain public

    Un Boujadi De Maurice Le Glay, prsent par Patrice Sanguy Illustration : collection particulire de Patrick Sanguy

    AU MAROC, IL Y A UN SIECLE Au dbut du XXe sicle, le Maroc est dans lincapacit de

    rembourser les dettes colossales contractes, en son nom, par le sultan Abd-el-Aziz. Par lActe dAlgsiras, (7 avril 1906) les puissances crancires lui imposent une mise sous tutelle. Aux termes dun avenant secret, la France est autorise intervenir militairement dans lEmpire chrifien. Elle peut placer celui-ci sous son protectorat, charge pour elle de dlguer lEspagne ladministration de deux bandes de territoire, lune au Nord, lautre au Sud du pays, Tanger tant plac sous rgime international.

    Le 30 mars 1912, alors que la France occupe dj depuis plusieurs annes la province dOujda limitrophe de lAlgrie, ainsi que la ville de Casablanca et sa banlieue, le Sultan Moulay Hafid, qui a succd son frre, est contraint de signer Fz le trait de protectorat. Malgr linsurrection qui a soulev pendant trois jours la ville de Fs lannonce de la signature du trait, lEmpire voit arriver, sous limpulsion dHubert Lyautey, premier rsident gnral, capitaux, entrepreneurs, fonctionnaires, mdecins, ingnieurs, techniciens, agriculteurs franais. Tous entament, un rythme endiabl, la modernisation du littoral et des plaines, au voisinage des grandes villes. Dans le mme temps, Lyautey entreprend de ramener dans lobissance les trois-quarts du pays, essentiellement peupls de Berbres qui rejettent lautorit du pouvoir

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  • central. Des militaires, issus de lArme dAfrique, sont affects cette tche.

    Cest lun dentre eux, Maurice Le Glay, dabord officier dans la montagne berbre, puis contrleur civil de la ville ctire de Safi, que lon doit les premires vocations littraires de ces campagnards et montagnards marocains quil a appris connatre et apprcier. Dans ses nouvelles, on voit apparatre non seulement un Maroc traditionnel, apparemment immuable et hostile la France, mais aussi des officiers, pleins destime pour des adversaires appels devenir leurs administrs. Le Glay nous les montre tout entiers investis dans un combat dont les rgles ne sont pas enseignes lEcole de guerre et encore considres comme peu glorieuses par leurs collgues de la mtropole.

    Voici, extraits de Rcits marocains de la plaine et des monts (1921), quelques passages rvlateurs du foss, qui spare les officiers de lArme dAfrique, de leurs collgues de la mtropole.

    Le capitaine Duparc, de lartillerie, arrive Casablanca, venant de France. Lanne nest pas prcise, mais le contexte indique que laction se situe avant 1914. Notre jeune officier na lexprience ni du feu, ni des thtres doprations outre-mer. Malgr sa finesse et sa formation, il est encore inexpriment, et plein dides toutes faites sur le monde extrieur. Cest donc, dune certaine faon, un bleu, ou pour employer le terme alors en usage au Maroc, un boujadi . Un boujadi qui va dailleurs trs vite devenir lui-mme un Africain.

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  • Casablanca - la Marine

    UN BOUJADI

    Il dbarquait en Afrique pour la premire fois et y venait sans enthousiasme. Mais, officier consciencieux et esprit cultiv, il eut soin, avant de quitter la France, de se documenter sur le pays o il allait vivre. Il acquit ainsi, en une dizaine de jours dun travail assidu, des ides quil jugea satisfaisantes sur le rgime dit du Protectorat, sur la religion mahomtane dite Islam, sur la gographie, lethnographie de lAfrique du Nord.

    Il apprit quau Maroc la population se divisait en quatre classes : les Maures et les Juifs qui habitent les villes, les Arabes qui remplissent le pays, les Berbres qui sont confins quelque part dans la montagne. Il lut une description intressante du cortge qui accompagne le Sultan la prire du vendredi et admira la vitalit du gouvernement, dnomm makhzen qui, cramponn pendant des sicles aux destines de quelques tribus mograbines, a rsist aux folies dAbd-el-Aziz, lacte dAlgsiras et aux massacres de Fez. Puis il versa une cotisation de cinquante francs 33

  • au Comit de lAfrique Franaise et acheta une grammaire arabe, se promettant de consacrer, aux premiers lments de cette langue, les longues heures du voyage.

    Mais la mer, dhumeur fcheuse, ne lui en laissa point le loisir. Aprs quatre jours de traverse agite et deux jours de bouchonnage devant la barre de Casablanca, aprs la surprise du panier de dbarquement et lpreuve dcisive de la barcasse, il choua dans un htel quon lui affirma Touring Club . Il y passa deux jours au lit. Et de cette couche trangre qui longtemps remua, elle aussi, il entendit, perptuant son cauchemar, le grondement continu et tout proche de la mer furieuse se jetant, affame, sur les blocs de Schneider et Cie.

    Ds quil fut en tat de trouver une paire de gants dans ses cantines, il sen alla, muni dun sabre, se prsenter aux autorits locales. Laccomplissement de cette corve lui fit visiter la ville. Son intelligence native, et dailleurs exerce, lui permit vite de comprendre que ce chaos ntait pas le Maroc, mais le rsultat encore informe du formidable essor conomique , annonc par les bouquins. Etant venu pour vivre, comme il disait dj, la vie du bled, il rsolut de ne pas sjourner Casablanca. Ses impressions se trouvaient au surplus chagrines par ce quil crut tre la confirmation, apporte de France, et quil aurait voulu tre inexacte.

    Duparc appartenait ces milieux trs bourgeois de larme mtropolitaine qui avaient pour larme dAfrique le fraternel mpris, rserv au cadet qui a mal tourn. Celle-ci navait alors donn la France que la totalit de lAfrique mineure. Elle navait pas encore laurole du sacrifice vigoureusement et joyeusement consenti qui la jeta, merveilleuse dentranement, de sant physique et morale, contre les corps darme allemands. Pour Duparc comme pour bien dautres, lofficier dAfrique tait un buveur dabsinthe ou un malheureux, retenu loin des honntes garnisons de province par des dettes ou un banal collage avec quelque sauvageonne.34

  • Il vit donc Casablanca de multiples et bruyants cafs, remplis dun nombre vraiment impressionnant dofficiers de toutes armes, attabls, souvent en compagnie de cocottes, et voisinant avec des civils dorigines diverses. Comme la temprature ly invitait, il sassit lui aussi une table et, aprs quelques secondes dhsitation, se trouva bien.

    Une famille franaise ouvre un commerce

    Il y fut trs vite lobjet des sympathies de camarades qui, reconnaissant son sabre et ses gants blancs quil tait nouveau dans le pays, lentourrent, linvitrent et lui firent fte. Il en fut trs gn, mais en dpit de la froideur dont il voulut se cuirasser, il fut entran jusqu une heure avance, de caf en caf, de bote en bote. Quand vint la dislocation de la bande joyeuse, il tait tout fait cur, navr du lamentable exemple de dsuvrement, de mauvaise tenue et de lgret morale donn par ses camarades dAfrique. Il jugea quil y avait l vraiment quelque chose faire et se promit dy penser.

    Un des officiers le raccompagna jusqu son htel et, engag par la rserve un peu plus grande quil avait cru observer en ce compagnon parmi tous les autres, Duparc ne put sempcher de 35

  • lui faire entendre discrtement que ce quil venait de voir lui paraissait irrgulier. Lautre lui demanda en guise de rponse de quelle garnison il venait.- DOrlans, rpondit Duparc.- Ah oui. Orlans, Beaugency, Notre Dame de Clry, Vendme ! Vendme ! Ma nourrice chantait une ronde o ces noms sonnaient comme des cloches. Cela cest toute la noble et vieille France. Orlans est une bien bonne garnison. Moi, depuis des annes, je roule de Tunis au Sahara, des Touareg aux Bni Snassen, Bou Denib, Fez, au Tadla. Je viens de faire deux ans de colonne sans dbrider, sans boire un bock frais, sans voir un chapeau de femme. Je navais plus de chaussettes et jai demand quinze jours de rpit pour venir ici me faire couper les cheveux et me requinquer un peu. Les autres, cest la mme chose. Bonsoir, cher ami, que le Maroc vous soit propice.

    Et, cordial, il sera la main de Duparc et le quitta. En se couchant, celui-ci pensa ce quil avait vu, ce quil venait dentendre et il eut ce petit malaise damour-propre frquent chez ceux qui ont du cur et qui vient de la crainte davoir t maladroit ou injuste.

    Rabat lui fit une impression diffrente et dj meilleure. Il subit le charme des deux villes encore bien musulmanes. Il admira le grand bras de mer qui les spare et que semble remplir toujours la mouvante cascade de la barre qui grossit son embouchure. Les paillotes de la Rsidence lamusrent et lEtat-major, nombreux, lui offrit des figures de connaissance qui spanouirent lentendre demander un emploi dans lintrieur. On lui donna satisfaction immdiate et Mekns lui fut attribue. Il sortit enthousiasm de chez le grand chef et mu lui-mme des dvouements dont il se sentait capable. Il rendit aimablement son salut au chaouch qui gardait la porte rsidentielle et partit plein dardeur.Bibliographie

    Maurice Le Glay Rcits marocains de la plaine et des monts (Extraits)36

  • Casablanca - les mdecins et les infirmires de l'hpital militaire

    Obsques des dfenseurs de Fs an avril 191237

  • Rabat 1913 - Les officiels attendant l'arrive du Sultan sur le port

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  • Ecrivain public

    Florilge de potes tunisiens et franais de Tunisie Annie Krieger-Krynicki

    Confrenciers, chercheurs, archologues, magistrats comme Dominique Versini , officiers dactive ou en retraite: Eusbe Vassel, vtrinaire (Jules Henry), administrateurs dans le cas de Chekri Ganem et de Ferdinand Huard, ils taient avant tout potes et furent publis dans la Revue Tunisienne, organe de lInstitut de Carthage quils fondrent ou dont ils prolongrent laction culturelle et artistique en Tunisie.

    De Ferdinand Huard dont nous avons bross le portrait, ce pome crit Tunis en 1892, ddi Jules Henry et publi sous le pseudonyme de Bulbul (le rossignol).

    Mektoub - Sonnet fatalisteCe qui doit arriver, arrivera quand mme,Malgr tous nos efforts, malgr sa volont, Chacun de nous subit - quil prie ou quil blasphme - Linluctable loi de la fatalit. Nos destins sont inscrits dans le Livre suprme, Le Prophte la dit et cest la vrit. Allah seul est puissant - quon lexcre ou quon laime ! -Et notre unique espoir est sa seule bont Lhomme en vain se dbat, en vain lhomme sagite, Nous navons dautre but, nous navons dautre gite Que la tombe o nos corps seffondreront un jour. Laissons- nous donc aller au sort qui nous entrane, Et bnissons dAllah la bont souveraine, Qui, pour nous consoler nous a donn lamour.

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  • Cimetire par Morin-Jean (1930)

    De Jules Henry ce sonnet : Devant Byrsa

    Port par Morin-Jean

    Ctait le soir lheure o les houles parleuses, Prs des palais disjoints, redisent doucement Aux chos attrists leurs notes amoureuses, Faites de rimes dor et de pur diamant. Cependant que l- haut des perles lumineuses Jetaient, soleils des nuits, leurs tincellements, Moi ravi, jcoutais les plaintes langoureuses Que londe susurrait sous le bleu firmament. Elle disait : Je suis lesprance immortelle ; Potes qui savez les suaves amours, Bardes du Beau, chantez la croyance ternelle . Et charm par ce chant que soupiraient toujoursSur ce rythme divin, les vagues en cadence, Je me mis chanter le doux pays de France. Tunis 1894

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  • Chekri Ganem, en 1896, lors dune confrence au Thtre Cohen, sur La Chanson arabe au Liban, en Egypte et en Syrie, donna une traduction dun pome tunisien dun amoureux du quittant la tente du chef de la tribu et refusant la promise quil lui destinait : Non, jaime mon coursier aux jarrets de gazelle,Et le doux bruit quil fait en mordillant son morsMest plus doux que celui de tes bracelets dor,Ornant tes pieds de jouvencelle. Je crains tout de la femme et de son abandon, Car la piti test trangreO femme perfide et lgre, Aussi faible que moi ferme sur mon aron !Le cheval na jamais ni mconnu son matreNi pu mentir son collier.Hlas la femme na jamais pu reconnatreUn seul matre pour cavalier !

    Tte de cheval par Morin-Jean

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  • DEusbe Vassel, secrtaire gnral de lInstitut de Carthage, ces vers datant de 1894.

    Joueuses de flte par Morin-Jean

    Nostalgie Ne reverrai- je plus, pays de mes rves, Orient au ciel toujours pur,Lombre de tes palmiers bordant les blanches grves Que caressent les flots dazur ?Sur tes rochers, autel o slancent les cierges De lalos aux flammes dor,Se cambre le profil onduleux des vierges. Ah! dis-je, le reverrai-je encor ?Ah! partir ! Sans regret pour les molles caresses Des ples filles de Paris, Cherches comme jadis les brlantes ivressesAux bras souples de tes houris; Sous mes lvres sentir les frles seins dalmeCisels dans le bronze clairEt lbne soyeux dune tresse embaume, Et ces yeux do jaillissent lclair ;Me croire un des hros quen de folles histoiresTes grands potes ont chants ;DHracls le paen surpasser les victoiresAu fond des harems enchantsSans pouvoir massouvir, sans que le temps me blase Aux Paradis de Mahomet,Me plonger follement dans lternelle extaseQu ses fidles il promet.42

  • Oui ! Toutes ! Les meurtrir dune treinte insense !Dans leur voluptueux moi,Que toutes naient quune me, un corps, une pense ! A moi, ces trsors, tout moi !

    Danseuses aux crotales par Kuan Rgnier (1930)

    Dominique Vesprini, refermant ses dossiers de juge de paix, dbordants de conflits et de discorde, recherchait en vain lapaisement des crpuscules trop brefs de Tunis :

    Soir dOrient (1896) Le soleil au dclin a dilu ses gloiresEn nimbes iriss, estompant les lointains, Baignant dopale et dor les coteaux indistincts.Au fond la mer dacier, tranquille, tend ses moires ; La ville, dvalant ainsi quun escalier Fabuleux, les degrs de ses terrasses plates, Se voile peu peu de teintes dlicates Dont la pleur revt un charme singulier.El Yasmin ! El Yasmin !43

  • Pntrant et gracile, un cri denfant slve en la douceur du soir ;Dans lair alangui passe une haleine subtile,Tide ainsi quun vague arme dencensoir.Parfum ! Jasmin et lys troublants des nuits bnies,Jasmin et lys du ciel anim de rayons, Rayons illuminant les molles agonies,De lombre violette o glissent des frissons ! Comme un immense luth, frmit lme des choses ;Le vent de la prire, au soir religieux ,Murmure des versets, et les divines proses Sexhalent en accents desprance et dadieux .Sur les hauts minarets couronns de lumireLes chants des muezzins disent la mort des jours :Cri de lhomme clamant vers le ciel sa misre,La voix des tours la voix nostalgique des tours !Le firmament stoile, au long des routes grises,Survivants des temps morts, nostalgiques et doux, Les chamelles sen vont, en allongeant leurs cous Fantastiques vers le lointain o vont les brises,Aux exils des ans, les libres saisons !O les dserts brls plus chers que les savanes !Nos rves absurdes dtranges moissons Dans le soir triste ainsi sen vont les caravanes ! Dans le lointain flotte une brume lgreUne fentre souvre et soudain sillumine, Prs du dme entrevu, sur la tour en ruine.

    Palais par Morin-Jean Chamelier par Morin-Jean

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  • Les chemins de mmoire

    Il n'est pire chose qu'un coquillage dans un tiroir Ren Jean Clot

    Le sable fin de la merN'en apporte pas avec toi Pour distraire ta maisonEn souvenir de la mer.Les choses claires du soleil Deviennent noires dans nos villes Coquillages si blancs sur le sable Clarts voles au gouffre bleu Que faites-vous dans les tiroirs De nos meubles bien cirs ?On dirait que vous souffrez D'tre si loin de la plageVous portez le deuil de la mer Dans nos maisons toutes grises. Et, press contre notre oreille, Le bruit de la vague lointaine N'est que l'cho de nos sueurs.Pire tait ce bonheur, reflet d'autres bonheurs Dj vcus, dj uss avec leurs fastes d'or Conservs sous le vernis ou dans l'alcoolPire tait la beaut sans mmoire de son rve Pire tait l'illusion gardienne de ses cendres Pire tait la douceur conduisant au mensonge Et pire le pardon ressassant son chagrin.Mais pire tait l'amour, chair sans lendemain Corps au corps accoupl avec un cur funbre Pour former sur le vide une branche brise 45

  • Pire tait la douleur malheureuse d'aimerLa magie d'une chair calculant ses secrets. Bestialit du sang dans une robe noire.Mais pires les paradis mais pires les vertusQui n'ont pas de chagrin et qui n'ont plus de larmes Tombeau vide veill par un ange de pierreEpreuve justicire leve sur la haineOu le ressentiment de terreurs anciennes.

    Dessin de Ren Jean Clos

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  • Les chemins de mmoire

    A travers Le Maroc enflamm, une vision colore et ethnologique du Maroc en 1927 par Ferdinand - Antoni Ossendowski. Annie Krieger-Krynicki

    Lcrivain polonais, n en 1850, tait devenu une lgende dans le monde anglo-saxon depuis la publication de Btes, hommes et dieux en 1924. Il passait pour le Robinson Cruso du XX sicle aprs son priple dramatique travers les forts de lInissi jusqu la Mongolie o il vcut en ermite pour chapper aux poursuites de lArme Rouge. Ctait un personnage hors normes : Polonais dorigine, chimiste qui fit ses classes la Sorbonne, lors de l'Exposition Universelle en 1900, il participa la commission de la chimie. Il tait en effet un expert renomm en recherches minires, des mines de charbon du dtroit de Behring ou de Core jusqu celles dor et de platine de Sibrie. Dj connu pour ses uvres scientifiques, il intgre comme technicien et conseiller larme du tsar Nicolas II lors de la guerre russo-japonaise de 1905. Dtach auprs du gouvernement local de Sibrie, il prend la tte du mouvement scessionniste de la Sibrie orientale en 1906, ce qui lui vaut aprs avoir t graci de la peine de mort, des mois de camp sibrien puis la prison dans la forteresse Saint-Pierre-Saint-Paul. Chimiste incontournable, il reprend son enseignement lInstitut polytechnique de Petrograd. Pendant la guerre de 14-18, envoy en Mongolie pour recenser les mines, il simprgne de la langue et de la culture. Nomm comme expert au gouvernement de Sibrie jusqu la Rvolution dOctobre, il est alors victime dune vritable chasse lhomme travers la Mongolie jusquau dsert de Gobi. Aprs la guerre, il est nomm attach par le gouvernement polonais son ambassade de Washington. De ses aventures il tirera cet ouvrage, la fois 47

  • ethnographique, philosophique et gopolitique, baign aussi de posie et qui le rendra clbre. Il fait dailleurs toujours autorit par ses connaissances de lAsie centrale et sa civilisation la fois lamaque et chamanique.

    Il conserve cette mme veine dans son rcit de voyage en Algrie et au Maroc, infiniment plus paisible, puisquil leffectua, en compagnie de son pouse, sous lgide du ministre des Affaires trangres de Pologne et du marchal Lyautey. L-bas, il rencontrera dailleurs un certain nombre dofficiers franais, observateurs lEcole de guerre de Varsovie, au temps o il tait lui-mme instructeur. Mais il garde la mme libert de ton, la profondeur et la subtilit qui avait caractris son tude asiatique.. Aux environs de Tlemcen, au village dEl-Eubbad ou Bou Mdine, un rapprochement frappe son esprit: Prs du cimetire, Mohamed ben Mohamed (le guide) nous montre un arbre sur les branches duquel des personnes pieuses accrochaient des offrandes aux esprits. Ctaient tantt de petites pierres, tantt des morceaux dtoffe ou encore des cheveaux de laine, pour apporter la sant aux enfants. Cet arbre me rappela les Monts Tannou Ola, Nan Chan et Khingan (en Mongolie) o les pieux adeptes du lamasme attachaient des morceaux dtoffe aux branches et aux tas de pierres des obos (monuments sacrs) levs pour apaiser les mauvais esprits et obtenir deux la permission de traverser leurs domaines . Lesprit partout le mme suit les mmes voies de la pense . . .

    Peut tre le clbre Abou Medine avait-il raison de croire que les mes de toutes les tribus humaines, depuis la premire jusqu la dernire, naquirent ensemble, au moment de la cration et furent dposes sous forme de germes dans la personne du premier homme, notre anctre tous, Adam!

    Aprs lAlgrie, il visite Rabat et le cimetire des Mrinides Chella: Abou Youssef Yacoub et Abou Hassan Ali y ont leurs mausoles. Cest l que le premier enterra sa femme Omm el Ziz. Cest l quune autre sultane, femme dHassane Ali, fut ensevelie avec son mari. Ctait une chrtienne espagnole qui avait accept 48

  • la loi du Prophte. Lalla Chella gurissait les plaies rien quen les touchant et le son de sa voix mettait en fuite toutes les dsesprances ! Ce coin dlicieux sappelle de son nom, Chella. Au dessus des arbres se dresse un minaret qui brille au soleil de tout lclat de ses revtements polychromes. Au milieu dune vgtation luxuriante disparaissent les ruines de la mosque o, selon la lgende, apparut le Prophte lui-mme et o il pria. Une source jaillit du sol, source aux vertus miraculeuses, car cest ici que Lalla Chella venait puiser de leau pour son poux bien-aim. Les yeux ne peuvent se rassasier de ce beau paysage calme et splendide. De grands arbres vert meraude, dpais buissons, des herbes fraches, des oranges, des grenades, des citrons, des fleurs de toutes sortes font au soleil de brillantes taches de couleur. La vgtation recouvre compltement le temple, les pierres et les colonnes. Les branches semblent vouloir monter de plus en plus haut pour tout cacher sous la verdure. Cette magnifique indiffrence de la nature proclame la puissance et le triomphe de la vie, mais pourquoi une tristesse trange se glisse-t elle dans notre me, assombrissant les couleurs des fleurs, des herbes et de leau, ternissant lclat du soleil?

    Ce nest pas seulement lange du pardon et de la paix qui est venu visiter Chella, mais aussi le dmon de la vengeance! Descendant des anciens Almohades, un audacieux mahdi voulut chasser son tour la dynastie vaincue. Il poursuivit de sa haine les Mrinides, souleva contre eux quelques tribus, mais dsesprant de russir, il dtruisit Chella. Les armes de la Casbah des Oudaas layant repouss, les tombeaux du Sultan noir et de son hritier restrent intacts. Cependant, la nature mme de lAtlas do venaient les Almohades, continua la lutte contre les Mrinides. Les arbres qui sont la beaut de Chella sont les descendants de ceux qui furent apports et plants ici par les chefs montagnards. La vgtation de lAtlas, puissante et vengeresse, attaqua de ses racines vigoureuses les tombeaux des Mrinides ennemis, dans leurs fondations et tendit ses vastes branches jusquau ciel pour cacher au soleil et aux yeux des hommes les mausoles de la

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  • dynastie abhorre Les hommes, les btes et les arbres eux mmes obissent la loi redoutable de la vengeance .

    Note dAnnie Krieger- Krynicki sur les tombeaux des

    Mrinides et les illustrations :Cette dynastie fut fonde par un chef valeureux, Abou Youssef

    Yacoub qui mena sa tribu berbre de cavaliers, de chameliers et dleveurs de moutons, des confins du Tafilalet, entre Figuig et Sijilmissa, la conqute de Taza, Fs, Sal et Rabat. Son frre et successeur, Abou Hassan Ali ( 1331- 1351) bien qualli la tribu des Hafsides, matresse de Tunis, la supplanta et unifia toute lAfrique du Nord. Puis il fut son tour dfait par la peste noire, la famine, les rezzous des tribus rivales et lavnement des Arabes.

    Les illustrations sont tires dun ouvrage Les Monuments mauresques du Maroc, publi sous les auspices de la Rsidence gnrale de France avec un texte de J. de La Nzire, ancien chef du service des industries dart indigne . Dans sa lettre-prface, le marchal Lyautey le remercie de lenvoi de ces belles hliogravures o (il) retrouve avec une exactitude et un art parfait les plus beaux morceaux de nos monuments mauresques. Vous rappelez- vous ces temps dj lointains o nous dcouvrions pas pas ce Maroc qui nous est maintenant familier ? Chaque jour apportait sa dcouverte. Ctait tantt un patio aux colonnes renverses avec sa vasque brise et son jet deau muet, tantt une porte monumentale aux belles arabesques sculptes dans la pierre, tantt une medersa frache et recueillie o les tudiants menaient moins de bruit que les colombes. Ainsi ces cits que Loti avait vues, si farouches et si sombres, sclairaient chaque jour dun nouveau sourire. Et chacune de ces dcouvertes payait notre action, parfois rude et ingrate, dun instant de dlassement et de plaisir dlicat. Mais toutes ces merveilles taient en ruines. Prudemment, amoureusement, nous nous appliqumes les consolider et les prserver de la destruction.

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  • Le marchal Lyautey crivit en 1921 ces lignes dencouragement et de remerciement son ami J. de La Nzire. Mais ainsi que le constata F. Ossen- dowski, sept ans plus tard, la nature avait repris sa lutte inlassable: les plantes contre les pierres et les hommes!

    Bibliographie Ferdinand Antoni Ossendowski : Btes, hommes et dieux

    (traduit de langlais) - Plon 1924Le Maroc enflamm (traduit de langlais) - Flammarion 1927Les Monuments mauresques du Maroc J. de la Nzires -

    Editions Albert Lvy - Paris 1921

    Rabat - tombeau dAbdoul el Hassan - Chella

    Rabat-Porte de Chella - dtail de la tour de droite

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  • Rabat - Porte de Chella

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  • Ecrivain public

    Marchal Gallieni Le matre de Lyautey Denis Fadda

    Le gnral Gallieni par ManuelGallieni, malade, meurt le 27 mai 1916. Le

    Gouvernement lui fait des obsques nationales. En ce centime jour de la bataille de Verdun, son convoi traverse la capitale qu'il a sauve et les Parisiens, lui rendent un hommage plus fervent encore que celui rendu Victor Hugo. En mars, il avait renonc ses fonctions de Ministre

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  • de la Guerre exerces aprs celles de Gouverneur militaire de Paris et commandant des armes de Paris, partir du dbut du conflit franco-allemand. Il avait dispos l de pouvoirs considrables.

    En Afrique, en cette Afrique qu'il a tant aime et o il a failli laisser sa vie de si nombreuses fois, un peulh lui avait prdit qu'avant de quitter la vie il serait Roi de Paris; il le fut. Il gagna la bataille de la Marne et sauva la Capitale. Son rle fut ce point dcisif que Clemenceau, s'exprima, lors de ses funrailles, en ces termes : Le Gnral Gallieni est l'homme dont la prompte dcision nous a donn la victoire de la Marne. Il est le vritable sauveur de Paris. Les funrailles nationales ne sont qu'un commencement de justice . Le soir de la Victoire, il dclarait : Sans Gallieni la victoire et t impossible . Cinq ans plus tard, le Gouvernement dcernait Gallieni la dignit de Marchal de France. Mais avant la reconnaissance et la gloire, il y eut une vie d'une intensit extrme, une longue carrire coloniale.

    Joseph Simon Gallieni est n le 24 avril 1849 Saint-Bat sur Garonne au cur des Pyrnes, tout prs de la frontire espagnole, d'un pre originaire du Milanais. Aprs des tudes au Prytane militaire de La Flche, il intgre Saint Cyr o la guerre va le cueillir. Sous-lieutenant dans l'infanterie de Marine, il combat Bazeilles. Bless, il connat plus de six mois de captivit, en mme temps que le jeune Kitchener, engag volontaire anglais, avec lequel il se liera.

    L'anne 1873 est celle du premier contact avec l'Outre-Mer. Il reste trois ans la Runion avant de gagner Dakar comme capitaine des Tirailleurs Sngalais. Aprs un sjour de sept annes en Afrique occidentale, il part pour la Martinique et y revient comme Gouverneur gnral du Soudan, l'actuel Mali, trois ans plus tard. De 1892 1896, c'est l'Indochine, puis nouveau l'Afrique, Madagascar, o il sjourne, comme Gouverneur gnral, pendant neuf annes, jusqu'en 1905. En Afrique occidentale, le

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  • Gouverneur Brire de l'Isle lui a confi l'expdition capitale qui doit relier le bassin du Sngal au Niger.

    Depuis longtemps les rois rivaux du Niger s'attendaient une telle entreprise mais ils ne savaient si ce seraient les nglais venus de Gambie ou les Franais du Sngal qui arriveraient les premiers chez eux. Les combats sont durs; Gallieni connat le guet-apens de Dio, la retraite travers les Blris, la captivit de Nango mais il amne Ahmadou, le tout-puissant sultan de Sgou, traiter avec lui. Plus tard, pour dfendre la conqute du Haut-Niger, il doit affronter Ahmadou, le dur Samory et le redoutable Mahmadou Lamine, tous trois ligus contre lui; ce sera la victoire de Diana.

    Gallieni s'emploie alors au dveloppement de la rgion : des jardins, des marchs, des dispensaires et des ateliers professionnels sont crs, des routes traces, des voies ferres amorces, des travaux d'asschement entrepris. Kita, le village de pcheurs Khassonks o se construit le fort le plus puissant du Soudan, devient une ville, assainie par des cultures et un gigantesque drainage. Il a un got prononc pour l'agriculture, pour la vigne qu'il cultive avec passion. A Lang-son, en Emyrne comme Kita ou Bamako, partout il fera surgir des cultures et on admirera sur la frontire de Chine et Madagascar, comme sur les bords du Niger, les jardins d'essais qu'il y fera tracer.

    Au Tonkin, en nommant le colonel Gallieni la tte du deuxime territoire militaire, Lang-Son, le Gouvernement lui a demand de venir bout de la piraterie qui menace trs srieusement la colonie. Le Haut-Tonkin est terroris, soumis de faon incessante aux incursions. La paix revient dans le Delta. L'action de Gallieni libre les valles, engage les cultures, les marchs et le chemin de fer.

    Il est remarquablement aid dans sa tche par Lyautey, alors commandant, qu'il a appel auprs de lui. L'entente entre les deux hommes a t immdiate. Tous deux sont des soldats et des 55

  • administrateurs mais aussi des passionns de lecture et d'criture. Pour Gallieni, dont l'uvre sera importante (entre autres, La Pacification de Madagascar , ses Lettres de Madagascar , ses Mmoires), il ne peut y avoir de journe sans lecture, quoi qu'il arrive. O qu'il aille, un ouvrage l'accompagne. Pour Lyautey, Gallieni, ce contempteur des conventions est l'antipode du caporal . Il le rejoint Madagascar sans hsiter, ne s'accordant mme pas, au pralable, un repos en France ; Suez, il passe du paquebot d'Indochine sur celui de Tananarive. Il crira : Je dois au gnral Gallieni ma carrire et le peu que je peux valoir . Sur sa tombe il placera un ex-voto A Gallieni, A mon chef, mon matre en tout, en hommage d'affection et de reconnaissance .

    Madagascar connat un effroyable et sanglant dsordre; le Gouverneur civil appelle son secours un successeur mieux prpar que lui. Le Ministre des Colonies, ne voit pour le remplacer que le vainqueur des Pavillons Noirs. Gallieni maintenant gnral - dont la sant s'est pourtant srieusement dgrade, accepte la mission. La situation est encore plus trouble qu'il ne l'imaginait. La reine Ranavalo est probablement l'inspiratrice de l'insurrection, alors que son pouvoir n'est reconnu que par les Hovas. Il va affronter la famille royale et rprimer trs durement le soulvement. La reine sera exile la Runion puis Alger. Elle quittera son palais dans le riche filanzane offert jadis par Napolon III Rasoherina, la reine laquelle elle a succd et qui avait entretenu les meilleures relations avec l'Empereur.

    L'activit de Gallieni est alors tout entire consacre la rorganisation et au dveloppement : la grande route et le chemin de fer, la rade fortifie de Diego-Suarez confie au gnie terrassier du Colonel Joffre, l'amnagement des ports et des capitales rgionales. Variole, lpre, tuberculose, paludisme, mortalit infantile dciment les populations; une direction de la sant est mise en place, une cole de mdecine, des hpitaux, des cliniques, des lproseries sont crs et les foyers d'pidmie dtruits.

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  • Revenu en France mtropolitaine, il est lev la dignit de Grand Croix de la Lgion d'honneur, il a alors 56 ans et il est gnral de division depuis six ans dj. D'autres hautes responsabilits lui sont confies; Gouverneur militaire de Lyon, il sige au Conseil suprieur de la Guerre et prside le Comit consultatif de dfense des colonies. En 1911, le poste de gnralissime lui est propos; il refuse et recommande sa place Joffre, son ancien subordonn. Il prend sa retraite en avril 1914 mais au lendemain de la dclaration de guerre, le 27 aot, il est nomm gnralissime-adjoint, Gouverneur militaire de Paris et commandant des armes de Paris; il est Ministre de la Guerre en 1915.

    Paris, qui lui a offert un magnifique monument, place Vauban, dont les cariatides sont des allgories des quatre principales tapes de sa vie (le Soudan, le Tonkin, Madagascar et Paris) a aussi donn son nom l'une de ses plus belles avenues, celle qui conduit de l'Htel des Invalides au Pont Alexandre III et porte aux Champs-Elyses.

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  • Ecrivain public

    Les voix de jadis Pierre GoinardLe professeur Pierre Goinard1 a passionnment aim l'Algrie. Il a compos quelques textes forme potique, empreints de nostalgie, exprimant des sensations visuelles, olfactives, auditives, trs vocatrices. En voici deux exemples choisis par Odette Goinard.

    Voix du ventcleste musique des pins chanteurs,qui parlrent notre enfance et notre jeunesseen langage mystrieux de lointains inconnus,mlopes plus rudes, plus leves des palmiers,douce brise marine dans les feuilles lumineuses des oliviers,zphyr des aubes et des soires d't dont le chuchotement s'entend peine, grandes vagues ariennes des bourrasques fracassantes.

    Voix des cigalesnon point grles, saccades, comme en Provence, mais jets stridents, continus, de toutes parts,qui, jusqu'au soir assourdissaient nos ts.

    Voix des oiseauxle tapage des martinets l'aprs-midi,pullulant dans les normes ficus de la ville, les exclamations joyeuses ds l'aurore des oiseaux du printempschantant tous la fois tout le jour,et la nuit faisant silence autour de la voix solitaireet langoureuse du rossignol ;

    1Voir sa biographie dans les cahiers en ligne n 67.

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  • les batteries des cigognes dans les eucalyptus et sur les toits,sur les clochers et, dans les ciels profonds d't,trs haut, des appels d'oiseaux invisibles.

    Voix de nos nuitsle tintement infatigable des grillons, longueur de nuits toiles,accompagns, dans les creux de fracheur estivale, par le coassement des crapauds,l'interjection vibrante, assourdie, intervalles espacs, d'un oiseau de nuit dont le nom m'a toujours t inconnu,les abois des chiens qui, d'un horizon l'autre, se rpondent,et parfois, tout proches, des gmissements fauves de chacals.

    Voix de la merles sirnes et l'activit du port, sonores, attentivement coutes, rpercutes par l'hmicycle frmissant de la ville,les pulsations d'une prsence incessante, mme inconsciemment perue, accompagnant sur notre droite ou notre gauche notre longue route littoralevacarme tonitruant des temptes fougueuses et des dferlements cumants, et les expirations espaces, peine audiblesdes vaguelettes alanguies, aux grands calmes, sur la grve.Notre pays nous parlait tous les moments de l'anne, toutes les heures du jour et de la nuit.Il nous suffisait de faire silence en nous pour couter ses voix.

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  • Ecrivain public

    Eternit du Pass Pierre Goinard

    Dans un tat permanent, la plupart de nos arbres taient imprgns d'un parfum personnel,le cyprs, le pin surchauff, l'eucalyptus,le lentisque et tous arbustes du maquis,nos romarins, nos lauriers, nos santolines,le parfum primordialdes branches hautes et des nids feuillus de notre enfance.Et en des couches plus sous-jacentes encore de notre tre initial,l'odeur du roseau chaud, l'eau salequi sourd quand on creuse la fracheur du sable.

    En chacun de nous, l'un de ces parfumsfait surgir instantanment un fragment du passavec plus de ralit, nette et intense,qu'aucune autre nostalgie,plus vocateur que tout parce qu'il pntre au plus profond, au plus intime de notre tre.Nous les revivons de l'intrieur de nous-mmes.Comment vivre sans ces parfums ?

    Une senteur non rencontre depuis depuis trente ans me souffle au visageet, en mme temps qu'elle, surgit tel tournant de route telle heure, tel qu'il tait,tel que j'tais il y a trente ans..Je le vis tel que j'taisalors qu'il a t depuis, deux fois dtruit.J'ai touch de l'ternel.

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  • Ecrivain public

    Le petit Oued Jean- Benoit

    C'est un Oued S.N.P. ... sans nom patronymique, plus caillouteux qu'aqueux dans un minable lit:il n'a pas son trac sur les cartes d'Afrique parmi les Amizour, les Fayer, les Chouly,les Corso, les Fendeck, les Harrach ou les Zied, le petit oued...

    Il ne se souvient pas tre n d'une source- Foum-Sghrira1, Youm-Alif2, Ras-el-Ma3, Ben-Ouanda4 mais c'est gaillardement qu'il entame sa course,- "Imchiltrik5, boudjadi6!" comme un brave soldat sous les rayons dors du semech7 Mohamed,le petit oued...

    Pour un vieux marabout, il est n d'un mirage ou de l'averse - drue - de trois gouttes de pluie, ou perle de rose roulant d'un saxifrage1 Foum-Sghrira = petite bouche

    2 Youm-Alif = jour A

    3 Ras-el-Ma = tte de l'eau

    4 Ben-Ouanda = fils premier

    5 Imchiltrik = marche la route

    6 Boudjadi = novice

    7 Semech = soleil

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  • l'heure o l'aube prend le relais de la nuit, ou pipi d'oiselet de quelque yaouled8,le petit oued,..

    Son gazouillis se mle aux fltes pastoralesivres de mlopes l'ombre d'un cyprs,au stridulant refrain d'phmres cigales,au takouk9 du coucou sous un ciel empourpr,au meuglement furieux du buf qu'un taon excde, le petit oued...

    Dans son lit presque sec mais gav de poussires montes du Sahara par les grands siroccos,il conserve assez d'eau, sous trois ou quatre pierres, pour tancher la soif de l'humble bourricot,tout joyeux des "saha10!" que braie le solipde le petit oued...

    Mais, au printemps, dj, la terre se craquelle, aux puits, se sont taris les chants de la noria, en voraces nues, ronflent les sauterelles;sous l'il blanc du soleil, mme l'humble sguia aspire au rconfort de quelques gouttes tides... et khlass11 el oued!

    8Yaouled = gamin

    9Takouk = crise de folie

    10Saha = merci

    11Khlass = c'en est fait de...

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  • Ecrivain public

    Le bon vieux bourricot Jean Benoit

    L'oreille rsigne - tresse de jute gris,noisette ou pain brl - il va, mlancolique,le naseau bas, l'il doux, pensif, jamais aigrisous les coups de talon, de lanire ou de trique, les dents blanches du froid, les fours du sirocco, le bon vieux bourricot...

    Pour lui, aucun galop de folle fantasiaquand les grands moukalas font crpiter la poudre, mais la ronde sans trve autour de la noria,ou les meules jamais repues de grains moudre, en grincements rouills qu'excrent les chos, le bon vieux bourricot...

    Sa pitance se borne quelque herbe tondue: le magramenthe amer, les cistes indigestes,le diss aux fils coupants, les chardons bleus mordus sans souci des piquants, quand le fellah fait sieste, et - mais, chut! - les bl verts pleins de coquelicots, le bon vieux bourricot...

    Le voil ahanant sous les coups redoubls,ployant sous dix fagots, chargeant - pour maints voyages caillasse de ballast, vastes couffes de bl,pleines jarres pansues ou quintaux de fourrage...quand il ne trane pas la herse ou les cots,le bon vieux bourricot...

    Aussi, le soir, dort-il sourd aux concerts de cris63

  • - churs glauques des crapauds gargouillant leurs Vigiles,longs sanglots des chacals flairant la bergerie,jappements lancinants et fous des chiens kabyles n'ouvrant l'il qu'au matin plein de cocoricos,le bon vieux bourricot...

    Alors, pour saluer le jour, face au soleil,il pisse un long jet dru et - queue leve - il pte, puis il braie tout son sol, bibliquement, pareil Josu sonnant grands coups de trompette pour faire s'effondrer les murs de Jricho,le bon vieux bourricot.

    Aquarelle de Bridgman

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  • Les chemins de mmoire

    Paul Achard (1887-1962)

    Journaliste, crivain, homme de spectacle, Paul Achard fait partie des pieds-noirs clbres qui ont fait honneur la culture franaise.Paul, Auguste Achard est n Alger le 22 mars 1887, 22 rue Rovigo, de Vincent Auguste, reprsentant de commerce, et de Catherine Hlne Peron.Comme tous les gosses algrois de ce quartier populaire, il va, dans sa tendre jeunesse, l'cole Dordor. La direction le jugeant bon lve, le fait admettre au Grand Lyce. Aprs son bac, il est tent par une carrire littraire et prend une place, laisse vacante, de secrtaire de rdaction aux Annales Africaines Alger. Il lance la maison d'dition les Lettres Franaises.Puis, c'est la monte Paris o il entame une carrire de journaliste. Il progresse vite et se trouve dans les annes trente, parmi les signataires du magazine Voil aux cts d'Andr Salmon, Pierre Hamp, Lon-Paul Fargue, Luc Durtain. L'Ami du Peuple le prend comme rdacteur en chef. Il aborde le roman et le thtre. C'est la russite et il obtient le poste prestigieux de Secrtaire gnral du thtre des Champs-Elyses. C'est lui que l'on doit la dcouverte de Josphine Baker qui passa le 2 octobre 1925 en premire partie de la revue ngre au dit thtre. Thtre, radio, cinma, il aborde avec talent toutes les formes d'art. Paralllement il crit des livres, des chroniques du temps, des romans, dont plusieurs ont un certain retentissement.

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  • A l'ge de 75 ans Paul Achard ne se considrait pas la retraite. Il voulait faire diter un roman d'inspiration algrienne Gavachos et monter une oprette Mademoiselle Bonaparte dont Jos Padia a crit la musique.Il s'est teint en 1962, l'anne du calvaire de sa chre terre natale.Avec Robert Randau1, Charles Courtin, Jean Vignaud, et tant d'autres, Paul Achard a t l'un des crivains pieds-noirs les plus clbres du premier bataillon de l'Algrie littraire .Odette Goinard

    PARMI SES UVRES

    Romans Mes bonnes (1927)L et un il neuf sur l'Amrique (1930) Nous les chiens (1930)L'homme de mer (1931)Salaouetches (1939)La grande preuve (1945)La queue (1945)

    Traduction La Clestine, tragi-comdie de Calixte et Mlibe, de Fernando de Rojas.

    Filmographie La Croix du Sud de Andr Hugon (1931). Scnariste dialoguiste. Romarin (1936). Dialoguiste.Le marchand de sable de Andr Hugon (1931) . Dialoguiste.Le hros de la Marne (1938). Dialoguiste.Malaria (1942). Dialoguiste.Ceux du rivage (1943). Dialoguiste.Les ailes blanches de Robert Pguy (1942). Scnariste dialoguiste. 1 Voir la biographie de Robert Randau sur notre site Mmoire d'Afrique du Nord .

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  • L'affaire du Grand - Htel de Andr Hugon (1945). Scnariste dialoguisteLa Rengate de Jacques Sverac (1947). Scnariste dialoguiste.Les souvenirs ne sont pas vendre (1948).

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  • Repres bibliographiques

    Villas et Palais d'Alger

    Par Marion Vidal-Bu, 2012 - Editions Place des Victoires, 6, rue du Mail. 75002. Paris.

    C'est un livre superbe que notre amie Marion Vidal-Bu vient d'diter.

    Elle a voulu, dans des pages magnifiquement illustres, faire revivre ces maisons dites mauresques , trs caractristiques des demeures d'Alger et de la campagne environnante. Elle nous entrane dans une promenade travers l'histoire du XVIll me sicle nos jours. Elle dcrit, avec prcision et posie, ces rsidences dans leur beaut architecturale, leurs patios dcors de faences, leurs jardins exubrants aux parfums de jasmin et de fleur d'oranger : palais de deys ou de corsaires de la priode ottomane, demeures de Franais ou d'hiverneurs anglais.

    Il s'agit d'un immense travail de recherche, partir notamment de documents privs fournis par les descendants des anciens propritaires de ces demeures.

    Cet ouvrage, unique en son genre constitue un tmoignage prcieux et mouvant d'un pass rvolu.68

  • Rappelons que Marion Vidal-Bu a dit trois livres consacrs la peinture- Alger et ses peintres : 2000.- L'Algrie et ses peintres : 2002.- L'Algrie du Sud : 2003.Odette Goinard

    Fragrance de TunisiePar Lucien Henri Galea - Editions Lulu Presse, www.lulu.com ; 27, 50 euros.

    Il sagit dun recueil de textes originaux (pomes) crits de la main de leurs auteurs sur le livre dhtes de Madame J. Chevalier dans les annes 1880- 1895 Tunis .

    Nous donnerons dans le prochain numro un compte rendu de louvrage dit par M . Lucien Henri Galea auquel nous devons la photo de lun des potes, Ferdinand Huard.

    Annie Krieger-Krynicki69

  • Mon Algrie

    Par Monique Ayoun et Jean-Pierre Stora, 2012, Editions Hugo Image 17,95 euros.

    Voici un livre original o lon trouve soixante-cinq crits dhommes et de femmes d Algrie qui donnent leurs souvenirs de ce pays quil est difficile doublier. Et ils ont tous une manire particulire de se souvenir. Ils sont en colre, pleins de passion ou de posie, simples ou bouleversants, clbres ou anonymes, tendres ou rancuniers, mais tous donnent leur tmoignage, multiple car ils sont tous issus de mondes divers. Il y a les rcits des ans qui ont vcu l- bas mais aussi lhistoire des plus jeunes qui voient lAlgrie avec des yeux diffrents, souvent travers les vies de leurs parents. Trs divers donc, ces rcits sont tous intressants. On a tendance prfrer les textes qui nous ressemblent ou mme ceux qui nous paraissent amers nous touchent. Cela fait une palette dmotions et dopinions. A lire avec amiti, avec douleur parfois.

    Janine de la Hogue

    70

    Jeanine de la Hogue 4crivain public

    Une ville nomme regret (suite et fin)Jeanine de la Hogue 6Ecrivain public

    Et que ressuscite Praecilius !Alain Amato 17Les chemins de mmoire

    Une inspiration mditerranenneAnnie Krieger-Krynicki 26Des travaux et des jours

    Ferdinand HUARD ( 1854- 1934) 29crivain public

    Un BoujadiDe Maurice Le Glay, prsent par Patrice Sanguy 31crivain public

    Florilge de potes tunisiens et franais de TunisieAnnie Krieger-Krynicki 39Les chemins de mmoire

    Il n'est pire chose qu'un coquillage dans un tiroirRen Jean Clot 45Les chemins de mmoire

    A travers Le Maroc enflamm, une vision colore et ethnologique du Maroc en 1927Ferdinand - Antoni Ossendowski. 47crivain public

    Marchal Gallieni Le matre de LyauteyDenis Fadda 53crivain public

    Les voix de jadisPierre Goinard 58crivain public

    ternit du PassPierre Goinard 60crivain public

    Le petit OuedJean- Benoit 61crivain public

    Le bon vieux bourricotJean Benoit 63Les chemins de mmoire

    Paul ACHARDOdette Goinard 65Repres bibliographiques

    Janine de la Hogue 68

    EditorialJeanine de la HogueEcrivain public

    Une ville nomme regret (suite et fin)Jeanine de la Hogue

    Et que ressuscite Praecilius !Alain AmatoLes chemins de mmoire

    Une inspiration mditerranenneAnnie Krieger-KrynickiDes travaux et des jours

    Ferdinand HUARD ( 1854- 1934)Ecrivain public

    Un BoujadiDe Maurice Le Glay, prsent par Patrice Sanguy

    Florilge de potes tunisiens et franais de TunisieAnnie Krieger-KrynickiLes chemins de mmoire

    Il n'est pire chose qu'un coquillage dans un tiroirRen Jean Clot

    A travers Le Maroc enflamm, une vision colore et ethnologique du Maroc en 1927 par Ferdinand - Antoni Ossendowski.Annie Krieger-KrynickiEcrivain public

    Marchal Gallieni Le matre de LyauteyDenis Fadda

    Les voix de jadisPierre Goinard

    Eternit du PassPierre Goinard

    Le petit OuedJean- Benoit

    Le bon vieux bourricotJean BenoitLes chemins de mmoire

    Repres bibliographiques