Médias audiovisuels : contenu et concurrence · L’autre facteur de changement essentiel est bien...

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Les actes des ateliers

Atelier de la concurrence du 30 septembre 2008

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contenu et concurrence

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Les actes des ateliers

Présidé par : Louis Vogel, président, université de Paris II Panthéon-Assas et Laurent Benzoni, professeur

de sciences économiques, université de Paris II Panthéon-Assas, cabinet Tera consultants

Accueil .................................................................................................................................................. 3

Virginie Beaumeunier, sous-directrice de la concurrence à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

Introduction ........................................................................................................................................ 4

Louis Vogel

Le point de vue du juriste ............................................................................................................... 6

Jean-Bernard Blaise, professeur émérite, université de Paris II Panthéon-Assas

Le point de vue de l’économiste ................................................................................................... 11

Laurent Benzoni

Débat .................................................................................................................................................... 15

Table ronde : Quelle nouvelle donne concurrentielle

dans l’économique du numérique ? ............................................................................................. 16

Elisabeth Flüry-Hérard, conseillère, Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)

Philippe Distler, directeur général, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

Jean-Michel Counillon, secrétaire général, TF1

Frédéric Mion, secrétaire général, Canal+

Karine Blouet, secrétaire générale, M6

Maxime Lombardini, directeur général, Free

Martin Rogard, directeur France, Dailymotion

Conclusion ........................................................................................................................................... 25

Louis Vogel

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Atelier du 30 septembre 2008

L’atelier débutera par deux rappels. Le premier, présenté par Jean-Bernard Blaise, concernera les fondamentaux juridi-ques et le deuxième, traité par Laurent Benzoni, insistera sur les fondamentaux économiques. Ensuite, nous aurons une table ronde intitulée : « Quelle nouvelle donne concurrentielle dans l’économie numérique ? ».

Trois éléments de réflexion nous paraissent particulièrement importants pour la discussion.

Tout d’abord l’audiovisuel public connaît un changement fondamental avec le retrait des chaînes publiques du marché publicitaire. Ceci n’implique pas le fait que cette situation n’a aucun impact économique sur le secteur privé. Les chaînes publiques restent concurrentes des chaînes privées en ter-mes d’audience et ont également un impact par l’acquisition des droits de diffusion. Vous le savez, une réflexion est en cours à Bruxelles sur la doctrine des aides d’Etat en matière audiovisuelle. Aussi, les nouvelles modalités prévues pour le financement de l’audiovisuel public en France confèrent une importance particulière à la définition du contenu des mis-sions de service public. Il est vrai que cette définition intéresse aussi la mise en œuvre des règles de concurrence puisque le contenu de service public peut entrer en ligne de compte dans l’appréciation, par l’autorité de concurrence, des exclusivités dont dispose un opérateur public.

Cela nous amène au deuxième sujet essentiel de réflexion : celui des exclusivités. En effet, les exclusivités de diffusion sont au cœur du modèle économique des opérateurs audiovisuels. L’enjeu essentiel réside, bien entendu, dans les contenus pre-miums qui sont les facteurs d’audience et les moteurs d’abon-nements. L’exclusivité est ce qui fait la valeur du droit pour le producteur du contenu et donc, son revenu. Les autorités de concurrence ont émis très tôt un regard critique sur les risques anticoncurrentiels des exclusivités, l’accumulation de droits exclusifs pouvant entraîner un verrouillage du marché. En outre, l’impossibilité d’accéder aux contenus premiums peut constituer une barrière à l’entrée. Pour autant, il n’y a pas eu, jusqu’à présent, d’interdiction en soi ou de percée de ces exclusivités, mais plutôt une approche pragmatique au cas par cas.

Les autorités de concurrence ont essentiellement exigé des opérateurs qu’ils atténuent la portée des exclusivités sans aller jusqu’à leur imposer un abandon pur et simple. Nous avons vu que ces atténuations portaient essentiellement sur le champ ou sur la durée de ces exclusivités. Cet atelier examinera no-tamment dans quelles mesures le cadre classique de l’analyse des exclusivités par les autorités de concurrence appelle des reformulations à la lumière des évolutions les plus récentes du marché telles que nous les avons évoquées précédemment.

Enfin, le troisième axe de réflexion n’est pas exhaustif. Il concerne les nouveaux diffuseurs sur Internet comme les si-tes de partage et d’échange. Nous pouvons nous demander si l’analyse concurrentielle des exclusivités doit ménager une place particulière à ces acteurs émergents. Il est vrai que leurs coûts de diffusion sont différents de ceux de leurs diffuseurs traditionnels. Devons-nous les considérer comme de nouveaux

AccueilVirginie Beaumeniersous-directrice de la concurrence, DGCCRF (1)

Je vous souhaite la bienvenue, au nom de la DGCCRF, pour cette deuxième édition des ateliers de la concurrence 2008 et vous prie d’excuser Bruno Parent, en déplacement avec le mi-nistre aujourd’hui.

Je suis particulièrement contente de voir que vous êtes nombreux aujourd’hui. L’audience est toujours importante, mais l’on constate que le pouvoir d’attractivité de la télévision et du cinéma reste inchangé, même si, nous le verrons ulté-rieurement lors du débat, il existe d’autres opérateurs suscitant une attractivité concurrente.

Je me contenterai de quelques mots introductifs pour sou-ligner l’intérêt de ce sujet et je laisserai à Maître Vogel le soin de faire la vraie introduction sur le fond.

Le sujet « Les médias audiovisuels : contenu et concurrence » proposé par d’éminents membres du comité de pilotage des ateliers, nous a paru particulièrement intéressant au regard d’une actualité, si ce n’est brûlante, en tout cas renouvelée. Dire que le monde de l’audiovisuel était simple auparavant et qu’il est devenu complexe aujourd’hui, est sans doute une banalité, mais je crois que cela recouvre quand même une certaine réalité. Auparavant, les marchés, notamment télévisuels, étaient assez simples. Ils proposaient la télévision gratuite ou la télévision à péage, mais aujourd’hui, avec l’évolution technologique et, notamment, les progrès de la convergence, nous voyons que ces définitions sont quelque peu bouleversées.

En effet, nous constatons que les opérateurs de télécom-munications portent un intérêt croissant au contenu audiovisuel puisqu’ils y voient désormais, au moins pour certains d’entre eux, un enjeu stratégique. Les modèles économiques ont sans doute encore vocation à évoluer, mais nous voyons bien qu’il existe maintenant une frontière assez floue entre les contenus et les contenants ou les tuyaux qui amènent ces contenus.

L’autre facteur de changement essentiel est bien entendu Internet puisque les contenus audiovisuels participent au succès d’une nouvelle génération de blogs, de sites Internet, de réseaux communautaires ou de réseaux de partage de vi-déos. Tous ceux qui ont des adolescents dans leur entourage comprendront tout à fait ce que signifie cette nouvelle forme de concurrence intermodale (expression employée dans les transports), car on remarque que cette jeune population zappe énormément, qu’il s’agisse de la télévision ou d’Internet.

Evidemment, ces évolutions sont susceptibles d’entraîner de nouvelles tensions pour l’accès au contenu attractif. Donc, nous verrons si cela appelle de nouvelles approches, des adap-tations de la pratique décisionnelle et des infléchissements de jurisprudence des autorités de concurrence.

1 Virginie Beaumenier a été nommée rapporteur général de l’Autorité de la concurrence par arrêté du 3 mars 2009

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L’audiovisuel semble, du point de vue de l’évolution des structures concurrentielles, suivre le chemin de la grande dis-tribution. Vous le savez, les grands distributeurs qui contrô-laient le linéaire ont fini par devenir des producteurs de mar-ques distributeurs : l’opérateur qui contrôle l’accès au client final finit par dicter ses conditions à l’amont et ne se contente pas de jouer son rôle de distributeur mais entend devenir lui-même producteur de MDD dans la distribution, de chaînes à sa marque dans l’audiovisuel. Les rapports entre les contenus et la concurrence ont, de tout temps, donné lieu à des frictions dans le secteur audiovisuel. Ces frictions ont essentiellement concerné le financement des contenus et l’accès à ces conte-nus. La question du financement demeure d’actualité. Elle a été évoquée, mais je crois qu’aujourd’hui, le bouleversement du modèle économique a incontestablement exacerbé les ten-sions et le besoin de régulation dans le domaine de l’accès. Ce seront les deux volets de mon intervention.

I - Concurrence et financement des contenus audiovisuels

Le financement des contenus audiovisuels, je n’en dirai qu’un mot parce que Jean-Bernard Blaise reviendra sur les grandes décisions qui ont émaillé la jurisprudence tant du Conseil de la concurrence que de la cour d’appel de Paris. Le droit s’est focalisé autour de deux problématiques majeures : la publicité audiovisuelle et la redevance.

A - La publicité audiovisuelle

La publicité étant une source de financement essentielle, elle peut évidemment être envisagée du point de vue concurrentiel comme la source d’un pouvoir de marché anticoncurrentiel. C’est donc sous l’angle de la définition du marché que la pu-blicité audiovisuelle a été appréhendée dans le cadre d’affaires, soit d’abus de position dominante, soit de concentration.

La question que se posent traditionnellement les autorités de concurrence est la suivante : existe-t-il un marché de la pu-blicité audiovisuelle au sens strict ou faut-il parler d’un marché plus général de la publicité pluri-média ? Jusqu’à présent, les autorités de concurrence ont toujours retenu un marché de la publicité audiovisuelle, que ce soit l’Autorité de la concur-rence dans ses décisions TF1 de 1999 et 2001 ou le ministre de l’économie en matière de contrôle des concentrations, no-tamment dans ses décisions TMC de 2004 ou CF2i de 2006, la publicité sur les chaînes gratuites ou payantes formant un seul et même marché. Pour beaucoup, cette analyse classique ne paraît plus en phase avec la réalité du marché de la publicité qui est de plus en plus un marché pluri-média compte tenu de la pression concurrentielle exercée par chaque média sur l’autre. Indépendamment de la définition du marché, il est certain que le pouvoir de marché d’une chaîne ne peut plus, aujourd’hui, être purement et simplement corrélé à sa part de marché sur le marché de la publicité.

En réalité, l’analyse des autorités de concurrence, dans le secteur de la presse - et notamment dans une décision Ouest

acteurs d’un marché en mutation ou plutôt comme des francs-tireurs qui font peser une menace sous la forme de concurrence déloyale, voire de parasitisme ? Mais si nous considérons que ces opérateurs sont des nouveaux acteurs de marché, nous pouvons nous demander quels sont les rapports de force qui existent entre eux. Nous pouvons penser en particulier au rôle et à la puissance de marché des principaux moteurs de recher-che. Nous voyons donc, effectivement, que les autorités de concurrence ont des questions à se poser sur l’appréhension de la rivalité concurrentielle entre ces nouveaux opérateurs et les acteurs traditionnels du secteur audiovisuel.

Voilà les principaux points qui pourraient être évoqués cet après-midi. Je suis sûre qu’il y en aura d’autres. J’espère que le débat sera à la hauteur de vos attentes.

Je laisse maintenant la parole à Louis Vogel qui va entrer dans le vif du sujet.

IntroductionLouis Vogelprésident, université de Paris II Panthéon-Assas

Le secteur audiovisuel connaît actuellement, du point de vue concurrentiel, un bouleversement sous l’effet conjugué de l’évolution des techniques et de son corollaire, l’arrivée de nou-veaux acteurs. Le paysage audiovisuel français n’a aujourd’hui plus rien à voir avec celui d’il y a encore quelques années.

L’offre audiovisuelle a été démultipliée. Nous sommes passés de six chaînes analogiques hertziennes, que l’on peut qualifier d’historiques, à une multitude de chaînes diffusées sur le câble, le satellite, l’ADSL, la TNT, le téléphone mobile et maintenant Internet. Nous sommes passés d’une télévision uniquement linéaire à de nouvelles formes de consommation telle que la VOD (la vidéo à la demande). Nous sommes passés d’une époque où les foyers français regardaient la télévision sur leurs postes à une époque où l’on peut également regarder la télévision sur son ordinateur ou sur son téléphone mobile.

Cette révolution numérique, très rapide, s’est accompa-gnée de l’arrivée de nouveaux acteurs qui ont transformé l’économie du secteur. La convergence des médias, évoquée il y a quelques instants, c’est-à-dire la constitution d’offres al-liant télécommunications et télévision comme les offres Triple Play (Internet, voix sur IP, télévision) ou même maintenant Quadruple Play (en y ajoutant un service de communications mobiles), a permis l’apparition de nouveaux entrants : les opé-rateurs de télécommunications, les TelCo. Ces opérateurs de télécommunications ne se sont pas contentés de jouer leur rôle de transporteur, mais ont ajouté d’autres fonctions à cette fonction de base. Ils sont d’abord devenus des agrégateurs de bouquets de chaînes de télévision. Au-delà, grâce à leur puissance financière, ils sont en train de remonter la chaîne de valeur et de se positionner, au côté des groupes audiovisuels, dans l’acquisition de contenus et en particulier de contenus à forte valeur ajoutée comme le cinéma ou le sport.

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opérateurs télécoms bouleverse ce schéma classique. France Télécom, avec un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros et un bénéfice net de 6,3 milliards d’euros, a une puissance financière très largement supérieure aux opérateurs tradition-nels de la télévision. Cette puissance financière lui permet de négocier des droits premiums cinéma et sport. On sait que France Télécom a ainsi acquis, en vertu de contrats pluriannuels, les droits des nouveaux films, séries et catalogues de Warner, HBO, Fidelity Films et une partie de Gaumont pour alimenter ses six nouvelles chaînes cinéma. France Télécom a négocié un accord exclusif de catch up TV avec France Télévision.

En matière de droits sportifs, France Télécom a acheté une partie des droits de diffusion télévisée du Championnat de France de football de Ligue 1 pour 203 millions d’euros alors qu’il ne dispose que de 50 000 abonnés à son offre Orange Foot. En comparaison, Canal+, qui a cent fois plus d’abon-nés – plus de 5 millions – a acheté le reste des droits pour 465 millions d’euros. Free et Neuf Cegetel sont également de nouveaux acteurs sur ce marché. La question qui se pose alors est la suivante : n’y a-t-il pas ici un risque de prédation à l’achat, d’effet de levier par subventions croisées et donc, un risque d’abus de position dominante, la position dominante étant détenue sur le marché de la téléphonie fixe et l’abus réalisé sur le marché des achats de droits ?

2 - La concurrence des opérateurs sans réseau

Récemment, sont apparus sur Internet de nouveaux types d’opérateurs qui ne sont ni des opérateurs de contenu comme les producteurs ou les chaînes, ni des opérateurs de réseau comme les opérateurs de télécommunications. Dailymotion et YouTube mettent à la disposition des internautes des vidéos à partager. La presse a rendu compte du contentieux opposant TF1 à Dailymotion et YouTube, la chaîne les ayant assignés pour contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme en leur reprochant de diffuser, sans son autorisation, des vidéos dont elle détient les droits. Dailymotion vient de signer un accord avec trois sociétés d’auteurs françaises, ce qui mon-tre bien que la concurrence ne se limite plus aujourd’hui aux opérateurs de télécommunications, mais que de nouveaux opérateurs sont apparus.

B - La distribution des chaînes

En matière de distribution des chaînes, deux points de vue s’opposent : celui des chaînes et celui des distributeurs.

1 - Le point de vue des chaînes

Les chaînes font essentiellement valoir leur dépendance vis-à-vis des distributeurs. Une des questions traditionnellement soumises à l’Autorité de la concurrence ou au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est la négociation de la rémunération sous menace de déréférencement. La jurisprudence est extrê-mement fournie. Il s’agit des affaires Planète, I-Télé contre TPS, LCI contre Canal Satellite, Eurosport contre NC Numéricable. L’arrivée de nouveaux supports de diffusion, ADSL et TNT, et la commercialisation d’offres nouvelles Triple Play ou Quadruple Play ont renouvelé les points de friction entre chaînes et distri-

France de 2005 qui a autorisé la constitution de monopoles locaux dans la presse - est parfaitement transposable au sec-teur audiovisuel. Malgré une part de marché élevée, il n’y a pas risque d’effets unilatéraux dans le secteur audiovisuel du fait du pouvoir de marché des annonceurs et des agences et du déclin du média télévision au profit d’autres médias tels que l’Internet.

B - La redevance

La question de la redevance est traditionnellement abordée par le prisme des aides d’Etat. La Commission a finalement validé sous conditions, en 2005, la redevance. La principale condition qui pose problème en pratique est celle de la com-pensation par l’Etat du coût des activités de service public qui ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir ce coût. Quel est le périmètre des activités de services publics ? La loi de 1986 définit un périmètre extrêmement large qui couvre pratiquement la totalité des programmes des chaînes publiques ou privées. La question de la redevance demeure donc posée, que ce soit dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel ou des contentieux aujourd’hui pendants devant les juridictions com-munautaires. Comme on le voit, la question du financement est toujours d’actualité, mais elle est concurrencée, aujourd’hui, par celle, plus essentielle, de l’accès aux contenus.

II - Concurrence et accès aux contenus

L’accès aux contenus concerne, en amont, l’achat des droits et, en aval, la distribution des chaînes.

A - L’achat des droits

Les acteurs du marché audiovisuel ont toujours été en concurrence pour l’achat des droits, mais cette concurrence est aujourd’hui renouvelée de deux manières : du fait de l’ar-rivée des opérateurs télécoms ; par la concurrence des opé-rateurs sans réseau.

1 - L’arrivée des opérateurs télécoms

Avant l’arrivée des opérateurs télécoms, la concurrence sur le marché de l’achat des droits était limitée aux groupes audio-visuels et concernait l’acquisition de droits clairs ou payants en vue d’une diffusion hertzienne par câble ou satellite ou en paiement à la séance. Les groupes audiovisuels concluaient, avec les détenteurs de droits, des accords de diffusion géné-ralement exclusifs, avec un périmètre de droits plus ou moins large et d’une durée plus ou moins importante.

Dans ce contexte, l’exclusivité a toujours été considérée comme une donnée structurante de ce secteur, notamment parce qu’elle permet de se différencier et de rémunérer, comme ils le demandent, les détenteurs de droits pour autant qu’elle respecte certaines limites. Pour l’Autorité de la concurrence, l’exclusivité n’est pas, en soi, anticoncurrentielle, mais peut le devenir du fait des clauses incluses dans le contrat. L’arrivée des

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buteurs. La chaîne souhaite une exposition maximale dans le bouquet de base pour maximiser les revenus de la publicité, ce que ne souhaite pas toujours le distributeur. Le distributeur, quant à lui, peut être tenté d’utiliser la chaîne comme un pro-duit d’appel, ce qui ne correspond pas nécessairement aux in-térêts de la chaîne. Une autre forme de contentieux dérive du respect des exclusivités. Si la chaîne a consenti une exclusivité de commercialisation ADSL à un opérateur, elle ne souhaitera être commercialisée par les autres que sur les autres supports comme la TNT, par exemple. Or, ceci peut s’avérer compliqué en présence d’un distributeur qui offre à ses abonnés une box mêlant plusieurs techniques de diffusion. Ce conflit a donné lieu à l’affaire Neuf Cegetel contre Eurosport portée devant le juge judiciaire et le CSA.

2 - Le point de vue des distributeurs

Les distributeurs mettent l’accent sur la liberté de com-mercialisation. Ils veulent vendre les chaînes conformément à leur propre politique commerciale et non à la politique com-merciale des chaînes. Ils veulent avoir accès aux chaînes les plus attractives afin d’étoffer le contenu de leur offre Triple Play ou Quadruple Play. Cette question est d’une très grande actualité. Elle a été évoquée de façon très approfondie dans la décision du ministre de l’économie Vivendi Canal+ TPS dans laquelle le groupe Canal+ a dû s’engager à mettre à disposition certaines de ses chaînes et certaines chaînes de TPS au profit de distributeurs tiers pour faciliter les entrées. Comme l’a révélé la presse, cette question est également au cœur de l’auto-saisine du Conseil de la concurrence et elle fera sans doute l’objet de règlements de différends devant le CSA comme l’atteste la décision du CSA de juillet 2008 enjoignant à Métropole Télévision de permettre à AB Sat de distribuer la chaîne M6.

L’univers de l’audiovisuel est donc aujourd’hui assez troublé et sème le trouble, finalement, dans le droit de la concurrence lui-même. Faut-il mettre fin aux exclusivités ? Faut-il y mettre fin pour tous ou pour certains ? Faut-il tenir compte du nombre des exclusivités ? Les exclusivités sont-elles, au contraire, un moyen de concurrence légitime permettant de rétablir l’équili-bre du marché face à des nouveaux entrants superpuissants ? Comment surveiller l’effet de levier des opérateurs télécoms ? Peut-on penser à une surveillance a priori ? Peut-on continuer de vivre avec des définitions de marché qui apparaissent dé-passées par l’évolution des techniques ?

Autant de questions que nous tâcherons de traiter aujourd’hui d’abord grâce aux exposés généraux de mes deux collègues de Paris II. Le premier, de Jean-Bernard Blaise, est juridique. Il fera le point de la jurisprudence relative aux mar-chés et aux comportements. Le second, de Laurent Benzoni, est économique. Il analysera la nouvelle donne concurrentielle sur ces marchés. Ces exposés seront suivis d’une table ronde faisant intervenir les principaux acteurs et les régulateurs.

Pour les autorités de régulation : Elisabeth Flüry-Hérard, conseillère pour le CSA, Philippe Distler, directeur général, pour l’ARCEP.

Pour les opérateurs classiques du marché : Frédéric Mion, secrétaire général de Canal+ ; Karine Blouët, secrétaire générale de M6 et Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1.

Pour les nouveaux opérateurs : Maxime Lombardini, directeur général de Free et Martin Rogard, directeur France de Dailymotion.

Je cède tout de suite la parole à Jean-Bernard Blaise.

Le point de vue du juristeJean-Bernard Blaiseprofesseur émérite, université de Paris II Panthéon-Assas

Merci Monsieur le Président. Le sujet est impressionnant et difficile. Le nombre et la qualité de l’auditoire montrent l’intérêt suscité par l’audiovisuel, intérêt qui ne cède en rien à l’actualité et aux avatars du secteur financier, mais ici, au moins, nous allons parler d’économie réelle. Dans cette brève introduction, je voudrais mettre l’accent sur les trois caractères du secteur audiovisuel.

D’abord, le secteur audiovisuel est soumis au droit de la concurrence. Comme l’avait autrefois relevé le Conseil de la concurrence à propos du cinéma, l’activité audiovisuelle re-lève à la fois de l’art, de l’industrie et du commerce. Elle a une nature particulière, mais qui ne l’empêche pas d’être soumise aux règles de la concurrence. Le Conseil de la concurrence ne fait ici que rejoindre un courant général partagé, qui affirme que, dans la mesure où elles sont l’objet d’une activité éco-nomique, la création, l’exploitation des œuvres de l’esprit et des œuvres protégées par un droit d’auteur sont pleinement soumises au droit de la concurrence.

Le deuxième caractère est que le contenu des œuvres fait appel, par nature, au phénomène de l’exclusivité. Pourquoi ? Parce que le contenu, ici, ce sont des œuvres protégées par un droit d’auteur, par un droit de propriété littéraire et artisti-que, un droit exclusif comprenant le droit de reproduction, le droit de représentation. Le titulaire du droit peut également fixer la destination de l’œuvre, c’est-à-dire le type d’utilisation auquel la licence ou la cession est destinée. Par conséquent, l’exclusivité est au cœur du secteur de l’audiovisuel.

Troisièmement, nous nous apercevons en regardant la ju-risprudence, spécialement celle du Conseil, mais aussi celle de la Commission européenne, que l’application du droit de la concurrence révèle plus un contrôle des pratiques commerciales que de véritables restrictions de concurrence au sens classique. La communication audiovisuelle est rarement le lieu de restric-tions de concurrence caractérisées gravement sanctionnées. En tout cas, s’il existe des ententes horizontales, elles sont occultes et soigneusement dissimulées. Donc, il existe peu de restrictions de concurrence apparentes, de type cartel de prix,

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partage de marché ou fixation des quantités. Les autorités de la concurrence s’intéressent davantage aux accords verticaux et aux abus de position dominante. Elles sont naturellement conduites à scruter les pratiques commerciales des opérateurs en raison de l’existence des droits exclusifs ; pratiques qui, a priori, ne sont pas particulièrement répréhensibles, mais qui, dans les circonstances de chaque affaire, peuvent révéler des restrictions de concurrence. La détermination des marchés sera l’objet d’une première partie et j’aborderai ensuite la quali-fication et la sanction des comportements anticoncurrentiels dans le domaine de l’audiovisuel.

Concernant la détermination des marchés des contenus audiovisuels par les autorités de la concurrence, la constatation est classique et connue : nous sommes en face de marchés fragmentés et souvent fragmentés à l’extrême. La détermina-tion du marché pertinent en droit de la concurrence est d’une grande importance pratique. Dans le cas de l’abus de position dominante, le marché est un point de passage obligé pour situer la position dominante, car il s’agit de la seule façon de poursuivre des comportements unilatéraux d’entreprises qui, sinon, ne sont pas saisissables. Dans les affaires d’ententes, la détermination du marché commande le seuil de part de marché et, l’application de la règle de minimis – les accords d’importance mineure - mais aussi, l’application éventuelle des règlements d’exemption par catégorie en dessous des seuils de 20 % ou 30 %. La détermination du marché com-mande surtout la qualification du pouvoir de marché ou l’es-timation du pouvoir de marché qui, aujourd’hui, en droit de la concurrence, est un des facteurs majeurs de l’appréciation des restrictions.

Or, pour toutes ces raisons pratiques, les autorités de la concurrence qui cherchent naturellement, comme toute ins-titution, à étendre leurs compétences et à contrôler le plus de pratiques possible sont évidemment amenées à fragmenter les marchés de la façon la plus étroite afin de justifier leurs inter-ventions. La détermination du marché géographique n’appelle pas d’observation particulière. Dans la quasi-totalité, sinon, dans la totalité des affaires qui sont venues devant le Conseil, le marché en cause est le marché national, le marché français. Pour des raisons culturelles – linguistiques essentiellement – la distribution et la diffusion se font à l’échelle nationale. Il se peut que la distribution ait aussi un aspect mondial ou un aspect européen. Je pense en particulier aux séries américaines, aux films d’autres Etats, mais, en fait, les réseaux de diffusion sont nationaux et cela confère un caractère national à l’exploitation tout au long de la chaîne. Je consacrerai donc l’essentiel de mon propos ici, aux marchés et à la détermination de ce que l’on appelle le marché de produits, c’est-à-dire la rencontre de l’offre et de la demande d’un produit ou d’un service.

La détermination du marché du produit par les autorités de concurrence présente une caractéristique forte : l’extrême segmentation des marchés de l’audiovisuel. Un marché étroit permet à l’autorité de concurrence de justifier le contrôle in concreto de comportements commerciaux. Cette segmen-tation s’est faite de deux façons. Tout d’abord, en fonction du contenu de la communication et, bien entendu, aussi en

fonction du support de la communication audiovisuelle. La segmentation est une constante du droit de la concurrence, mais elle est spécialement poussée dans le cas des marchés de l’audiovisuel. J’avance l’hypothèse que la tendance à la fragmentation caractérise l’approche de marchés nouveaux en constante mutation technologique et sur lesquels se dé-veloppent des pratiques de domination. Pour mieux saisir ces marchés nouveaux, instables et aux contours mouvants, je crois que le réflexe de l’autorité de concurrence est de déter-miner les marchés les plus étroits possible afin de cerner les problèmes au plus près.

A propos de la segmentation en fonction du contenu, on peut observer deux types de segmentations pratiquées par l’Autorité de concurrence : la segmentation en fonction du stade de commercialisation et la segmentation en fonction de la nature du contenu. S’agissant du stade de la commerciali-sation, le Conseil, dans son avis sur la concentration Canal+ TPS, distingue soigneusement les trois marchés qui structurent toute la chaîne audiovisuelle : le marché amont, c’est-à-dire les relations entre le fournisseur et l’éditeur ; le marché inter-médiaire autrement dit les relations entre les éditeurs et les distributeurs et le marché aval qui correspond aux relations entre les distributeurs et les consommateurs. Une seconde segmentation se combine avec la première en fonction de la nature du contenu. Deux exemples de segmentations très poussées, mais qui sont présents dans tous les esprits et que je ne fais que rappeler.

Tout d’abord, la retransmission des événements sportifs. En 1989, le Conseil de la concurrence avait déjà pris en consi-dération la spécificité des événements sportifs concernant le football français. La Commission européenne retenait, quant à elle, le marché des compétitions de football se déroulant de façon régulière tout au long de l’année. Nous savons aussi qu’en 2003, le Conseil de la concurrence a retenu l’existence d’un marché sans doute encore plus étroit. Vous vous rappe-lez que la Ligue de football avait attribué à Canal+ l’exclusi-vité des droits de retransmission du Championnat de Ligue 1. TPS, concurrent de Canal+ dans le secteur de la télévision payante par satellite, attaquait Canal+ pour abus de position dominante.

Le Conseil, dans sa décision, n’a pas exclu qu’il puisse exis-ter, je cite : « Un marché particulier des droits du Championnat de France pour la diffusion de la télévision à péage ». Le Conseil a retenu comme décisif le fait que le championnat est une épreuve régulière se déroulant tout au long de l’année, mais aussi l’intérêt du public pour les équipes françaises et le prix des droits soit 70 % de la valeur de la retransmission des matches présentant un caractère régulier. Le Conseil a même estimé que le Championnat de Ligue 1 pouvait constituer un produit essentiel pour la télévision à péage. Le second exem-ple est également tiré de la rivalité entre les chaînes TPS et Canal+ sur le marché de la télévision à péage. Canal+ prati-quait le préachat de films sur le marché amont de l’acquisition des droits sous la condition d’obtenir l’exclusivité de diffusion télévisuelle. Pour condamner l’exclusivité qui couvrait toute la période de l’exploitation en télévision à péage, le Conseil de la

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concurrence a isolé le marché des droits de diffusion des films français récents pour la diffusion à la télévision à péage.

Triple délimitation donc : d’abord, les droits sur les films français et plus particulièrement les droits sur les films français récents et les films destinés à la télévision à péage. Canal+ était de toute manière en position dominante sur le marché large-ment entendu de la télévision à péage, par abonnement ou à la séance. Mais quel était l’intérêt de la définition étroite du marché ? La détermination d’un marché plus étroit permettait de cibler de façon plus précise l’abus de la position dominante donc elle ne servait pas seulement à cerner l’existence d’une position dominante, mais aussi à cibler l’abus de la position dominante qui consistait, justement, en une pratique d’évic-tion ou d’exclusion des concurrents du marché étroit. La cour d’appel de Paris, saisie d’un recours contre cette décision, a confirmé l’analyse.

Le deuxième mode de segmentation s’opère en fonction du support de communication. Il nous invite à nous interroger sur les rapports entre le contenu et le support de la commu-nication audiovisuelle. A l’occasion de la concentration déjà citée – Canal+/TPS – le Conseil de la concurrence a présenté un tableau très détaillé et très explicite des divers marchés et il distingue les marchés du contenu (retransmissions sportives, films de cinéma, émissions pour les enfants) et les marchés des supports (la télévision gratuite, la télévision à péage, l’ADSL, la téléphonie mobile). Mais cette présentation est quelque peu trompeuse parce qu’en réalité, ce qui caractérise l’audiovisuel, qu’il s’agisse du marché aval ou même du marché amont, c’est une interpénétration constante du contenu et du mode de diffusion, c’est-à-dire du contenu et du support. Le secteur du support est en constante mutation. Les marchés évoluent, ils se transforment. Les développements rapides sont difficile-ment appréhendés par l’autorité de concurrence. Il n’est pas étonnant que nous nous trouvions actuellement dans une phase d’incertitude. Après avoir donné quelques exemples de la combinaison du contenu et du support, je tenterai de montrer l’incertitude des autorités de concurrence face à l’al-ternative contenu/support.

Commençons par quelques exemples de la combinaison du contenu et du support. Nous rencontrons d’abord une com-binaison du contenu avec un support matériel. Les autorités de concurrence ont facilement admis l’existence d’un marché spécifique des vidéogrammes et notamment des vidéocasset-tes. Dans la décision 99-D-85, le Conseil reconnaît l’existence d’un marché amont de la gestion des droits d’exploitation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, mais en aval, il retient deux marchés spécifiques : l’édition vidéographique et la publicité télévisée des vidéogrammes. Dans sa décision 05-D-70, le Conseil a prononcé des sanctions pour pratiques de prix imposés sur le marché des vidéocassettes préenregis-trées destinées aux enfants.

Le deuxième exemple de combinaison est la diffusion par câble. Dans les années 80, les exploitants du câble ont créé leur propre société d’édition de programmes qui est entrée en concurrence avec les éditeurs indépendants de programmes thématiques. Les indépendants ont accusé les exploitants du

câble de favoriser les sociétés de programmes dépendant de leur groupe. Le Conseil de la concurrence a alors isolé, aux fins d’analyse, le marché pertinent des programmes de télé-vision réservés à la diffusion sur les réseaux câblés, c’est-à-dire là où se confrontent l’offre de programmes thématiques francophones et la demande des exploitants du câble établis en France. La décision 99-MC-02 de 1999 concernait la rési-liation par France Télécom Câble de contrats de diffusion de la chaîne Planète et le remplacement de celle-ci par la chaîne Odyssée. Le Conseil n’a pas exclu que la résiliation constituait un abus de position dominante de France Télécom Câble sur le marché des programmes confectionnés par les éditeurs de programmes et proposés au câblo-opérateur moyennant le paiement d’une redevance. Il s’agit bien d’un marché de programmes donc, d’un marché de contenu, mais le marché retenu est celui des programmes destinés à la diffusion par câble. Par conséquent, le support intervient comme critère déterminant du marché.

Enfin, la diffusion par satellite. Nous pouvons observer deux niveaux : le niveau intermédiaire, la diffusion des chaînes par satellite qui mettent en présence les éditeurs de programmes et les éditeurs de chaînes qui choisissent les chaînes qui seront diffusées en numérique au sein de leurs bouquets et propo-sées ensuite aux consommateurs. Le Conseil a énuméré les raisons pour lesquelles la diffusion de programmes payants par satellite se distinguait de la diffusion par câble et de la diffusion par voie hertzienne la couverture du territoire qui n’est pas la même selon le support, les obligations de passer par un distributeur de chaînes qui existe ou non ou encore des régimes administratifs différents.

Il y a un certain nombre de raisons qui ont, pour le Conseil de la concurrence, justifié la fragmentation de ce marché en fonction du support. Au niveau amont, qui est celui de l’achat des droits aux producteurs de films et aux producteurs d’œu-vres audiovisuelles, la considération du support est également déterminante. Les contrats de cession sont conçus - en vertu du droit de destination qui appartient aux auteurs ou aux ti-tulaires des droits - en vue de la diffusion sur un type de sup-port particulier : voie hertzienne, câble, satellite, Internet. Les titulaires de droits utilisent systématiquement ici leur droit de destination. De leur, côté, les diffuseurs ne se réservent les droits que pour une diffusion selon une technique particulière en principe. Nous le voyons bien dans l’exemple de la diffusion des films français récents conçus pour le cinéma et diffusés par les autres canaux. Le marché en amont de l’acquisition des films est lui-même segmenté en fonction du support.

Le Conseil de la concurrence s’est appuyé sur cette réalité pour isoler le marché des droits de diffusion des films fran-çais pour la diffusion à la télévision à péage par abonnement. Donc, cela veut dire que même sur le marché amont, les auto-rités de la concurrence ont structuré le marché en fonction du mode de diffusion et pas seulement en fonction de la nature du contenu. Dans la décision relative aux droits de retrans-mission des matches de football du Championnat de France, le marché retenu était plus précisément celui des droits pour la diffusion à la télévision à péage. Je ne nie pas la réalité des

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différences qui existent entre les différents supports de com-munication, mais je m’interroge sur les conséquences que les autorités de la concurrence en tirent au point de vue de l’ab-sence de substituabilité des modes de diffusion entre eux, en tout cas, par rapport aux consommateurs.

Est-ce que l’intérêt que porte le consommateur final à l’œuvre elle-même et au genre auquel elle appartient n’est pas plus important que le moyen par lequel ce contenu est reçu ? Cette question a été longtemps niée jusqu’à une épo-que récente, mais on commence évidemment à se la poser. Cette fragmentation excessive des marchés de l’audiovisuel pourra-t-elle encore être tenue ?

Je voudrais terminer cette première partie en évoquant le problème de l’alternative entre le contenu et le support. Les moyens techniques de la communication audiovisuelle connaissent, vous le savez, des développements tellement rapides et tellement surprenants qu’il devient difficile, parfois, d’en appréhender les contours et d’en saisir l’incidence sur l’apparition de nouveaux marchés. Il arrive que l’autorité de concurrence soit saisie par le doute. Je donnerai deux exem-ples que vous connaissez sans doute déjà.

Lors de l’apparition de la télévision par ADSL et les offres multiservices, le Conseil de la concurrence a évoqué l’existence de deux marchés distincts en se référant d’abord à la distinction classique et ancienne dont il reconnaît la permanence en esti-mant que les facteurs à cet égard n’ont pas changé. Le Conseil pose en principe que le marché de la télévision payante ne se confond pas avec le marché de la télévision gratuite. Puis, dans un deuxième temps, il s’interroge sur l’existence d’un nouveau marché généré par l’ADSL. D’une part, il n’exclut pas qu’il puisse exister un marché émergent des offres multiservices de communication par ADSL intégrant l’Internet haut débit, la télévision, le téléphone et d’autres contenus. Mais, d’autre part, il n’exclut pas non plus que la télévision par ADSL ne constitue qu’un nouveau support de diffusion audiovisuelle, c’est-à-dire le support constitué par le réseau cuivre de la télé-phonie et ne constitue pas un marché autonome. L’hésitation à déterminer de nouveaux marchés en fonction des nouveaux supports est ici manifeste. Cette décision annonce peut-être l’abandon futur de la distinction entre les différents supports de communication audiovisuelle.

Le deuxième exemple concerne la télévision dite de rat-trapage ou catch-up. Le Conseil de la concurrence le définit comme le service de télévision permettant de regarder en dif-féré et à la demande, un programme préalablement diffusé en linéaire. Ce service permet aux téléspectateurs de visionner les programmes qu’ils auraient manqués lors de leur diffusion ordinaire. Ce catch-up est accessible par différents moyens : le poste de télévision, l’ordinateur et le terminal mobile. En l’espèce, était contesté un accord d’exclusivité conclu entre France Télévision et France Télécom. Le Conseil avoue être dans l’incertitude et il en donne les raisons : le caractère très récent du service de catch-up, les incertitudes qui pèsent sur les caractéristiques de l’offre et de la demande de ce service et le contexte de la convergence des activités traditionnelle-ment distinctes, c’est-à-dire l’accès à la télévision payante, la

distribution des programmes des chaînes ou encore l’ADSL. Le Conseil renonce à choisir entre les deux marchés sur lesquels pourrait se situer la télévision de rattrapage : le marché de la télévision payante interactive ou le marché de l’accès haut débit aux offres multiservices des opérateurs ADSL. Le Conseil estime qu’en l’espèce, le choix n’est pas nécessaire. Donc, il esquive le problème de la détermination du marché parce que, de toute façon, l’abus de position dominante n’est pas caractérisé. Le Conseil, dans la même décision, va renoncer à dire s’il y a ou non position dominante sur le marché : n’ayant pas défini le marché il ne peut définir la position dominante. Là aussi, il existe un constat d’ignorance ou d’incertitude. Il va simplement se concentrer sur l’existence d’un abus pour nier celui-ci.

Sur ces marchés, la démarche classique du Conseil de la concurrence consiste ensuite à rechercher les comportements anticoncurrentiels. L’examen des décisions du Conseil révèle que celui-ci, assez sévère dans les années 90, se montre de plus en plus libéral et procède à une appréciation économique qui tend à l’emporter sur l’approche juridique traditionnelle. A une phase de relative sévérité, a succédé une approche plus libérale. Cette évolution se traduit dans la qualification des comportements anticoncurrentiels et dans leur sanction.

S’agissant des comportements anticoncurrentiels, l’ap-préciation juridique est de plus en plus supplantée par une approche purement économique. L’examen des décisions du Conseil de la concurrence depuis 1986 montre que les compor-tements sur les marchés de l’audiovisuel consistent rarement en restrictions de concurrence grossières. Comme je l’ai dit, on ne rencontre pas de cartel classique de prix, de quantités ou de partage de marché. Il est même très rare que l’autorité de concurrence soit saisie d’une entente horizontale entre opé-rateurs concurrents. Il est arrivé que des plaignants dénoncent au Conseil l’existence de soi-disant ententes horizontales, mais le Conseil a généralement constaté que la preuve n’en était pas rapportée avec suffisamment de certitude. Dans une af-faire de 2004, l’Union syndicale de la production audiovisuelle reprochait à TF1 et à M6 de s’être entendues pour imposer diverses restrictions aux producteurs indépendants à l’occasion de la coproduction. Le Conseil a déclaré que si les contrats de coproduction de TF1 et de M6 présentaient certaines similitu-des et traduisaient un parallélisme de comportements, cela ne suffisait pas à démontrer l’existence d’une entente horizontale entre les deux opérateurs. Le Conseil de la concurrence s’in-téresse donc plutôt aux accords verticaux pour l’exploitation des œuvres et aux pratiques unilatérales des opérateurs en position dominante. En dehors du cas un peu particulier du boycott des chaînes de télévision – La 5 et M6 – dans les an-nées 90, les accords verticaux sont parfois des accords de prix imposés, mais surtout des accords d’exclusivité.

Les pratiques de prix minimums imposés ont été sanction-nées dans le cadre de la vente des vidéocassettes pour enfants. Le Conseil de la concurrence a appliqué ici sa jurisprudence bien connue sur la preuve de la pratique de prix imposés en appliquant le triple test, c’est-à-dire la diffusion des prix par le fournisseur, la pratique de prix similaires par les distributeurs

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et la mise en place d’un système de contrôle par le fournis-seur. Le Conseil a estimé que la preuve de la pratique de prix imposés était, en l’espèce, rapportée. En outre, la pratique constituait un abus de position dominante. Une sanction pé-cuniaire a donc été appliquée. Les recours ont d’ailleurs été rejetés par la cour d’appel de Paris et par la Cour de cassa-tion. Mais, au total, la pratique de prix de revente imposés est rarement constatée sur le marché de l’audiovisuel. Ce n’est pas, semble-t-il, une pratique fréquente ou une pratique ap-préhendée de façon fréquente.

La plupart des restrictions de concurrence résultant d’ac-cords verticaux consistent en des clauses d’exclusivité de diffu-sion. Dans l’affaire de la diffusion audiovisuelle des films préa-chetés par Canal+, le contrat de préachat conférait à Canal+ une exclusivité de diffusion. Le Conseil de la concurrence a rappelé que le contrat d’achat d’un droit exclusif n’est pas en soi contraire au droit de la concurrence, mais que l’exclusivité allait, dans le cas particulier, au-delà de ce qui était nécessaire. En effet, l’exclusivité débutait avec la deuxième année suivant la sortie du film en salle et faisait obstacle à l’exploitation par un tiers sous la forme de paiement à la séance qui était assi-milé par la règlementation à l’exploitation sous la forme de vidéocassettes. Selon le Conseil, l’exclusivité était, dans ce cas, disproportionnée parce qu’elle faisait obstacle à toute autre forme de télévision payante avant et pendant la période du-rant laquelle Canal+ pouvait exploiter l’œuvre diffusée par abonnement. Le Conseil a enjoint à Canal+ de modifier ses contrats types et de supprimer toute clause qui aboutissait au gel des droits de diffusion.

Dans le cadre de la diffusion des films récents par la télé-vision à péage, le contrat de pré-achat comportait également une clause d’exclusivité. Pendant 24 mois, les droits exclusifs de diffusion du film en télévision payante étaient réservés à une filiale de Canal+. Les producteurs ne pouvaient donc pas, pen-dant 24 mois, s’adresser à TPS, concurrent de Canal+, pour faire diffuser le film. Le Conseil a estimé qu’il y avait une restriction de concurrence qui n’était pas justifiée parce que l’exclusivité allait au-delà de ce qui était nécessaire. A propos de la publi-cité des vidéogrammes, le Conseil a également estimé que TF1 faussait la concurrence en subordonnant son financement à la cession à l’une de ses filiales, à titre exclusif, de l’édition des vidéogrammes commercialisant l’œuvre financée. Dans cette affaire, le Conseil a également estimé que TF1 avait abusé de sa position dominante en consentant à sa filiale des conditions tarifaires favorables pour la publicité des vidéogrammes.

A partir de 2003, le Conseil a adopté une approche plus économique et sans doute plus libérale à l’égard des accords d’exclusivité. Dans l’affaire de la télévision de rattrapage, il était reproché à France Télévision d’avoir confié à France Télécom l’exclusivité de la diffusion de rattrapage de ses émissions. Selon le plaignant, l’exclusivité interdisait aux opérateurs autres que France Télécom de pratiquer la télévision de rattrapage sur les émissions de France Télévision. Le Conseil a rappelé que les exclusivités de diffusion, qu’elles soient appréhendées sous l’angle de l’abus de position dominante ou sous l’angle de l’accord vertical ne sont pas interdites en elles-mêmes sauf

lorsqu’elles créent une barrière artificielle à l’entrée, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant l’exclusivité. En l’espèce, le Conseil a estimé que tel n’était pas le cas. Il a examiné le champ de l’exclusivité qui était limité. Ensuite, bien que France Télécom fût en position dominante, des par-tenariats pouvaient être conclus avec d’autres diffuseurs pour la diffusion en rattrapage par des fournisseurs d’accès ADSL. Puis, la durée de l’exclusivité n’était pas excessive : elle était limitée à 36 mois partagés en deux phases. Enfin, l’exclusi-vité permettait de valoriser le service de rattrapage dont on ne connaît pas encore le degré d’attractivité auprès du public. Le Conseil a estimé qu’en l’espèce, l’exclusivité répondait à une logique économique et, de ce fait, il a prononcé un rejet de la saisine.

Quelques mots sur les pratiques unilatérales : les prix pré-dateurs, le refus de fourniture et le couplage. Dans le passé, le Conseil de la concurrence a qualifié plusieurs abus de po-sition dominante comme le refus par TF1 de communiquer ses conditions contractuelles ; le refus par Canal Satellite de référencer les chaînes en clair ; des affaires de discrimination comme dans l’attribution par la Ligue de football profession-nel des droits sur le Championnat.

Le Conseil de la concurrence a récemment assoupli sa position. Dans la décision 05-D-13 de 2005 relative aux pra-tiques de Canal+ sur les marchés de la télévision à péage, il a considéré que les reproches de prix prédateurs, de couplage et de remise « fidélisante » qui avaient été évoqués par la sai-sine n’étaient pas fondés et il a prononcé un non-lieu. Dans l’affaire du catch-up, il était également reproché à Orange et à France Télévision, des abus de position dominante. Faute de définir les marchés, le Conseil n’a pas pu établir l’existence d’une position dominante de ces deux groupes. En revanche, il a estimé que le partenariat n’engendrait, en l’espèce, aucun abus et il a également pris une décision de rejet de la saisine. On ne pouvait reprocher à France Télévision d’avoir créé une obligation de cession des droits de diffusion au préjudice des producteurs indépendants parce que ceux-ci restent libres de procéder ou non au rattrapage et ils peuvent y avoir intérêt ou ne pas y trouver d’intérêt. On reprochait une pratique de couplage à Orange qui intégrait gratuitement l’offre de diffu-sion en rattrapage à son offre ADSL multiservices.

Le Conseil a répondu que l’offre multiservices constituait un seul produit indivisible, dont les éléments sont indissocia-bles, à moins de prendre des abonnements séparés. Mais, dans ce cas-là, il n’y a plus multiservices, bien sûr. De toute manière, le couplage n’est pas en soi illicite. Ses effets poten-tiellement anticoncurrentiels peuvent être contrebalancés par les gains d’efficacité pour les consommateurs. Nous sommes là dans une approche purement économique de la restriction de concurrence et de l’abus de position dominante.

A propos des sanctions, je ne ferai que deux brèves ob-servations. D’abord, depuis 2003, en dehors de l’affaire des vidéocassettes pour les enfants, le Conseil n’a pas prononcé de sanction pécuniaire dans le domaine des restrictions de concurrence relatives au contenu des œuvres audiovisuelles. La plupart des décisions sont des décisions de rejet. Auparavant,

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le Conseil avait d’ailleurs surtout pratiqué des injonctions. Aujourd’hui, la pratique des engagements tend à se dévelop-per et pourrait supplanter les sanctions pécuniaires tradition-nelles. Enfin, dans la fusion TPS/Canal+, le Conseil a donné un avis favorable à la concentration malgré l’apparition d’une position dominante manifeste, mais l’a contrebalancé par un catalogue extrêmement détaillé d’engagements de compor-tements de la part de Canal+.

Après avoir parcouru ou essayé de décrire cette stratégie du Conseil de la concurrence en face des restrictions de concur-rence, je me demande si le Conseil a suffisamment appréhendé, dans ce domaine, les aspects structurels du secteur. Selon une logique tout à fait classique, le Conseil consacre une longue partie de ses décisions à la détermination des marchés. Ensuite, il examine les comportements qu’il passe au crible, mais il est extrêmement rare, sinon dans la description générale du sec-teur, qu’il fasse allusion à des problèmes structurels dans le domaine de l’audiovisuel. Or, la vraie raison des difficultés que l’on rencontre actuellement ne se trouve-t-elle pas là ? Nous avons des marchés dans lesquels de nombreux petits produc-teurs indépendants sont face à face et puis, en face, quelques grands opérateurs qui, souvent, ont tendance à se développer tout au long de la chaîne de distribution et, par conséquent, à pratiquer une intégration verticale du secteur. Serait-ce dans cette direction qu’il conviendrait désormais d’orienter la re-cherche des décisions de concurrence ? Je pose simplement la question et je vous remercie de votre attention.

Le point de vue de l’économisteLaurent BenzoniProfesseur de sciences économiques, université de Paris II Panthéon-Assas, cabinet Tera consul-tants

Permettez-moi d’introduire mon propos par une très lon-gue citation : « Le délai ménagé entre l’annonce et la présen-tation au Parlement d’un projet de loi sur la communication audiovisuelle offrait l’occasion de préparer de façon distanciée l’examen des problèmes sur lequel le législateur devrait se pro-noncer. La Commission des affaires culturelles du Sénat a confié cette tâche à un groupe de travail constitué en son sein. Ce qui frappe d’emblée est l’impact de la révolution numérique. Celle-ci modifie la communication audiovisuelle en profondeur. Tout est remis en cause : les marchés, les structures industrielles, l’impact social et culturel de la communication, sa dimension civique. Comment le politique, et spécialement le législateur, réagira-t-il à ces bouleversements ? Sa mission est-elle de pren-dre acte du progrès comme il se présente ou de définir un pro-jet, de gérer le changement ou de le conduire, de contempler de loin les tempêtes ou de faire des choix ? L’élaboration du présent rapport a été guidée par une conviction : la mission du politique est de décider non d’enregistrer ». Ces lignes sont

extraites d’un rapport datant de 1998 (Rapport d’information de Jean Cluzel, fait au nom de la commission des finances n° 456- 27 mai 1998). Ces lignes ont été rédigées il y a donc plus 10 ans pourtant elles paraissent toujours d’une actualité criante. Lorsque le thème de cet atelier avait été proposé au comité de pilotage, l’objectif était à la fois de tirer un premier bilan de cette révolution numérique commencée il y a au moins dix ans et surtout de comprendre les mutations en cours pour en tirer d’éventuels enseignements pour le futur.

Effectivement, l’actualité a quelque peu rattrapé le thème de l’atelier, car lorsque ce thème avait été validé par le comité de pilotage, nul n’anticipait qu’une loi audiovisuelle serait en discussion au parlement dans les semaines suivant la tenue de cet atelier.

Il convient néanmoins de revenir sur l’évolution de l’audio-visuel depuis 1998 et sur les mutations de cette révolution nu-mérique annoncées dans le rapport du Sénat en rappelant le contexte de l’époque. Ce qui était alors qualifié de révolution numérique dans les médias audiovisuels correspondait au lan-cement de bouquets de programmes diffusés par satellite de façon numérisée en l’occurrence CanalSat et TPS. Ces lance-ments commerciaux réussis succédaient à des échecs industriels lourds de politique industrielle : satellites de puissance (TDF1 et TDF2), télévision haute définition en norme D-2-MAC. Depuis, que s’est-il passé ? Une phase de croissance pour les bouquets en question puis l’émergence et l’accélération récente de la diffusion d’infrastructures de télédiffusion numérique. Les trois infrastructures de base de diffusion de la télévision étaient : l’hertzien terrestre, le câble et le satellite. Dernier arrivé, seul le satellite était numérisé. A partir de 2004, une nouvelle infrastructure émerge : la télévision par Internet (TVIP) tandis qu’est lancée la numérisation progressive de l’hertzien terrestre et du câble. On assiste alors à une diffusion très rapide de ces technologies de telle sorte que fin 2008 plus de 50 % des foyers français sont en contact avec le média audiovisuel à travers une infrastructure numérique.

Pour le consommateur, la révolution numérique s’est ainsi traduite par une augmentation considérable de l’offre de chaînes disponibles en langue française. Ainsi en 1987, ce qu’il est convenu d’appeler le Paysage Audiovisuel Français (PAF) se compose principalement de cinq chaînes nationales et d’une chaîne payante.

En 1996, à l’aube de la révolution numérique, une cin-quantaine de chaînes sont disponibles à travers les réseaux câblés et les réseaux hertziens terrestres régionaux : 16 chaî-nes en clair (8 chaînes nationales et 8 chaînes locales) et déjà 35 chaînes payantes accessibles par les réseaux câblés. En 2008, si l’on s’en tient aux seules chaînes conventionnées au CSA, 283 chaînes sont identifiables : 49 chaînes en clair (18 nationales, 31 locales), 126 chaînes payantes en langue française, 108 chaînes non francophones. L’explosion de l’offre de chaînes de télévision induite par la révolution numérique est donc particulièrement spectaculaire.

Face à cet accroissement de l’offre, la télévision dispose, en France, de trois sources de revenus pour se financer : les

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annonceurs, pour les recettes de publicité (3,4 milliards d’euros en 2006), les ménages, pour les recettes de la redevance (2 mil-liards d’euros en 2006) qui échoient à la télévision publique et les abonnements à la télévision payante à concurrence de 4,2 milliards d’euros en 2006.

Quelle a été la dynamique de ces revenus ? Le mar-ché de la publicité télévisuelle n’est pas ce grand marché en croissance que l’on croit, il est en réalité stagnant. Après une croissance moyenne de 6 % par an sur la décennie 1990-2000, les recettes de publicité ont globalement stagné en valeur constante. La multiplication des chaînes en clair qui se finan-cent par la publicité s’est donc opérée dans un contexte de stagnation des recettes. Avec 13 % de l’ensemble des dépen-ses de publicité, la dépense en publicité télévisuelle est beau-coup plus faible en France que dans bon nombre d’autres pays européens. Les autres médias (radio, presse, etc.) représentent 23 % et le hors média (publicité non adressée, promotion sur point de vente, etc.) représente le solde, soit 64 %.

Le marché de la télévision payante est devenu un marché mûr à croissance nette faible. Les revenus de la télévision payante en France croissaient à un rythme de plus 5 % par an avant 2000. Depuis 2000, l’évolution des revenus n’est plus que de 2 %. Le nombre d’abonnés ne croît plus beaucoup de telle sorte que l’essentiel de la croissance des recettes de télé-vision payante doit être assuré par la croissance des dépenses des abonnés et non par le recrutement de nouveaux abon-nés. La télévision payante présente les attributs d’un secteur à maturité avec une concurrence de plus en plus prégnante entre les infrastructures de diffusion qui permettent de dif-fuser la télévision. En effet, le satellite qui a assuré le lance-ment et tiré la croissance de la télévision numérique payante enregistre aujourd’hui un désabonnement net au profit de la télévision par Internet.

En 2006, la télévision payante comptait 10,5 millions de foyers abonnés soit un taux de pénétration de 42 %.

Troisième source de recettes : la redevance. Elle a crû de 4 % par an avec une redevance par foyer qui a tendance à sta-gner, mais l’assiette a continué à s’élargir grâce à la croissance démographique et à l’augmentation du nombre de foyers as-sujettis (meilleur taux de recouvrement de la redevance).

Dans cet environnement défavorable de marché dans tous les secteurs de l’audiovisuel, croissance très importante de l’of-fre face à un très net ralentissement des recettes, le secteur a subi une pression à la hausse sur ses coûts. Deux facteurs ont contribué à l’inflation des coûts : l’augmentation des obligations qui pèsent sur les chaînes et la concurrence entre chaînes pour acquérir en exclusivité les contenus à forte audience potentielle (contenus premiums tels les droits spor-tifs, les séries à succès, etc.).

En ce qui concerne les obligations, prenons à titre d’exem-ple, celles qui pèsent sur les chaînes en clair disposant d’une autorisation nationale hertzienne terrestre. 16 % du chiffre d’affaires de l’année N-1 doivent être consacrés à des com-mandes en matière d’œuvres audiovisuelles, 3,2 % de l’an-née N-1 en matière d’œuvres cinématographiques et elles

sont assujetties à une taxe « CNC » de 5,5 %. Ainsi, le total des flux de financements « obligés » des contenus a atteint 792 millions d’euros et Canal+, chaîne payante, a contribué, de son côté, pour 255 millions d’euros au financement des œuvres cinématographiques produites en France. Au total, 1 milliard d’euros de financement des contenus provient des chaînes de télévision.

Si la télévision se porte mal, il est évident que les contenus rencontreront à terme des problèmes de financement. Aussi, 70 % des œuvres audiovisuelles françaises sont financées par les chaînes de télévision françaises et 45 % du financement du cinéma français vient de la télévision française. A titre de comparaison, le cinéma américain ne dépend qu’à concurrence de 5 % des recettes des chaînes de télévision américaines… La sur-représentation de la télévision dans le financement du contenu est l’une des conséquences d’une politique audiovi-suelle française qui s’est essentiellement focalisée sur l’aug-mentation des obligations pesant sur les chaînes hertziennes. Une seconde conséquence de cette politique se retrouve dans les coûts des œuvres audiovisuelles qui ont été multipliés par 4 en 10 ans ou le coût d’un téléfilm qui a été multiplié par 5 sur la même période.

Autre facteur d’inflation sur les coûts : la multiplication des chaînes. Cela induit une concurrence drastique sur l’ac-quisition des droits de diffusion des contenus à fort potentiel d’audience. Se déclenche alors un mécanisme comparable à celui décrit et analysé dans le fameux article de Sherwin Rosen, The Economics of superstars paru en 1981 dans l’American Economic Review. Cet article montre comment la rareté des « talents » qui engendrent l’audience se traduit sur le marché des droits par un pouvoir de négociation assimilable à un pouvoir de marché légal car fondé sur le droit au monopole que confère la propriété intellectuelle. Dès lors, le « talent rare » peut exercer pleinement son pouvoir de marché pour maximiser ses revenus au point de capter à son profit une large part de la valeur ajoutée de la filière au détriment des autres maillons de la chaîne situés en aval, en particulier les chaînes de télévision.

La démonstration est faite pour les meilleurs sportifs de haut niveau qui captent, par leurs exigences de revenu et si aucun contre-pouvoir ou garde-fou n’est posé, l’ensemble de la création de valeur associée à l’exploitation de leur talent. Ainsi, constate-t-on que les chaînes de télévision supportent des coûts très élevés et croissants pour diffuser les matchs de football les plus appréciés par le public au point que, souvent, les droits de diffusion acquittés pour diffuser ces matchs ne sont pas couverts par les recettes directes générées par les matchs en question.

Il en va de même dans l’industrie cinématographique où les « stars » finissent par capter une part très substantielle du surplus dégagé par les films dans lesquels elles apparaissent ou pour les animateurs vedettes de télévision aux cachets en hausse constante. Le pouvoir de monopole incontournable que confère le droit de propriété intellectuelle, associé à la difficulté de créer à l’envie des contenus qui génèrent de l’audience, exerce ainsi une pression d’autant plus grande sur les prix des

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programmes que le nombre de demandeurs (les chaînes de télévision) croît rapidement, ce qui est le cas en France.

Faible croissance des recettes d’abonnement et de rede-vances, stagnation de la demande (recettes publicitaires), ac-croissement très important de l’offre de chaînes de télévision, baisse des coûts de diffusion mais fortes pressions à la hausse sur les coûts des programmes sont les éléments structurels à long terme du secteur de l’audiovisuel en France au moment où il entre dans l’ère du tout numérique. Dans ces circonstances, l’économie industrielle prédit une chose simple : la concen-tration et non pas la dispersion. La concentration est bien ce phénomène observé à travers la fusion de Canal Satellite et de TPS2. La concurrence n’était pas soutenable à long terme.

C’est dans ce contexte particulier de logique de concentra-tion que deux événements majeurs sont survenus au cours des deux dernières années : le lancement de la télévision numéri-que de terre et le décollage de l’Internet haut-débit avec des offres Triple Play ou offres dites multiservices incluant l’accès à la télévision en clair ou payante.

Ce deux évènements vont percuter tous les acquis écono-miques et par conséquent jurisprudentiels du secteur.

Quels étaient les acquis ? Un univers binaire et relativement complémentaire avec d’un côté la télévision en clair, financée par les recettes de publicité pour les chaînes privées et, pour les chaînes publiques, un financement mixte recettes de publicité/redevances, et de l’autre côté la télévision payante, financée principalement par les recettes d’abonnement et marginale-ment par les recettes de publicité. Ces deux univers étaient structurés autour de chaînes de valeur ayant peu de points de frottement.

En amont de la télévision payante se situent les détenteurs de droits et en aval, les abonnés de la télévision payante. Aux étapes intermédiaires, se situent les éditeurs de chaînes pre-miums et thématiques et les distributeurs commerciaux de la télévision payante. A chacune de ces étapes se rencontrent sur autant de marchés les acteurs de l’offre et de la demande. Les engagements qui ont été pris lors de la fusion entre Canal Satellite et TPS se sont articulés autour de cette segmentation des marchés.

Quel est le futur de ces deux univers dans l’économie nu-mérique ? Schématiquement, et pour faire simple, le payant devient gratuit et le gratuit devient payant. Les détenteurs de droits sont tentés de descendre vers l’aval pour valoriser directement leurs « produits » tandis que les distributeurs commerciaux sont tentés de monter vers l’amont pour inté-grer la valeur ajoutée apportée par les droits. Par ailleurs, les marchés pertinents de la publicité, segmentés par les autorités de concurrence en fonction des différents médias (télévision, radio, affichage, etc.), voient leurs frontières s’effacer rapide-ment. Les régies publicitaires et les agences de conseil vendent ainsi de plus en plus du « contact client » simultanément sur

2 Voir : Feu vert sous conditions pour le rapprochement entre CanalSat et TPS, concurrence & consommation, n° 148-149, octobre-novembre-décembre 2006, p. 3-4, La Documentation française, 14 €.

plusieurs médias et non pas une audience proposée sur un média spécifique en fonction de la caractéristique particulière de ce média, par exemple la caractéristique de puissance pour la télévision mesurée par le nombre de paires d’yeux qui peu-vent être contactées exactement au même moment (audience à un moment du temps).

Approfondissons ce dernier point à la lumière de l’émer-gence particulièrement rapide de l’Internet. Les acteurs du monde de l’Internet rivalisent désormais avec les chaînes de télévision nationales et historiques en termes de contacts quotidiens. Google France délivre aujourd’hui plus de 8 mil-lions de contacts quotidiens, soit un chiffre équivalant au nombre de téléspectateurs que peut capter TF1 aux heures de prime time, MSN dépasse France 2, Orange surpasse M6 et Dailymotion talonne France 3.

Avec l’Internet, le couplage sur plusieurs médias, dont l’Internet lui-même, permet plus que jamais d’accroître les performances des plans médias.

Schématiquement, un annonceur peut rechercher trois gran-des caractéristiques pour optimiser ses dépenses de publicité sur les médias. D’abord, rechercher la puissance, c’est-à-dire maximiser le nombre de contacts qu’il peut toucher au même moment. Ensuite, rechercher la fréquence, c’est-à-dire multi-plier les contacts sur une même cible pendant la durée de la campagne publicitaire. Enfin, optimiser le ciblage, c’est-à-dire toucher les seuls contacts intéressés par le produit ou le ser-vice objet de la campagne de publicité. La télévision nationale généraliste, en fonction de son audience, peut afficher une puissance incomparable, mais la caractéristique de fréquence est beaucoup moins bonne que celle de la radio par exemple et ses possibilités de ciblage sont restreintes. Dès lors qu’elle suit une ligne éditoriale dite « généraliste » elle touche tous les types de publics3.

Les autres médias peuvent présenter, du point de vue des annonceurs, des avantages supérieurs à la télévision. Ainsi, la presse magazine propose un ciblage qui peut être très fin donc particulièrement attractif du point de vue des annon-ceurs. La radio offre un niveau de ciblage moindre mais plus de puissance. Par conséquent, en couplant une campagne de publicité sur la presse magazine et la radio, un annonceur peut bénéficier à la fois des capacités de ciblage de la première et de la puissance de la seconde. Ainsi couplés, les avantages de la presse magazine et de la radio peuvent constituer une offre suffisamment compétitive en rapport qualité/prix par rapport à la télévision nationale généraliste.

Ce type d’offres couplées dites « cross-média » tend à se généraliser.

Sur le premier exemple présenté, six marques de presse sont couplées à quatre marques de radios, ce qui engendre un prix globalisé d’une campagne hebdomadaire de 169 k€ pour toucher 19 millions de lecteurs et 20 millions d’auditeurs par

3 Une télévision thématique centrée sur le « sport », l’« information », etc. présente des caractéristiques de ciblage plus importantes qu’une télévision généraliste. En revanche, ce qui est gagné en ciblage est perdu en puissance.

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semaine. Dans le deuxième exemple, l’augmentation de la fré-quence est obtenue par un couplage entre plusieurs magazines et l’Internet. Il ressort ainsi que de grandes régies plurimédias peuvent concurrencer très avantageusement les chaînes de télévision les plus puissantes en audience grâce à des offres couplées cumulant des offres sur des chaînes de télévision de faible audience relative, la radio, la presse et Internet.

Face au développement de ces nouvelles concurrences est-il encore pertinent de parler de marchés publicitaires par type de média comme cela est aujourd’hui le cas dans la juris-prudence concurrentielle tant nationale qu’européenne ? La publicité télévisuelle, par exemple, n’est-elle pas un support parmi d’autres au sein du marché de la publicité cross-média, regroupant finalement tous les médias impliqués par les of-fres de couplage ? Cette question mérite d’autant plus d’être posée que l’audience de la télévision se fragmente, c’est-à-dire que cette puissance qui faisait la force de ce média pour les annonceurs perd de son avantage concurrentiel au fur et à mesure que le nombre de chaînes croît. En outre, les tests économétriques mettent en évidence une relation non linéaire entre audience et recettes publicitaires de telle sorte que dix fois 1 % d’audience procure beaucoup moins de recettes que 10 % d’audience. Cela atteste que les annonceurs achètent bien cette caractéristique de puissance qu’offrent les écrans pu-blicitaires des télévisions généralistes. Aussi, lorsque l’audience télévisuelle se fragmente, comme c’est le cas dans un contexte de multiplication des chaînes, les recettes de publicité télévi-suelle ont tendance à se contracter. Les gains en recettes des petites chaînes entrant sur le marché ne compensent pas les baisses de recettes des chaînes historiques. Ce phénomène s’observe toutes choses restant égales par ailleurs. Or, les cho-ses sont loin de rester égales par ailleurs.

En effet, la saturation des marchés et la stagnation des recettes traditionnelles de l’audiovisuel, la fragmentation de l’audience interviennent dans un environnement où s’est en-clenchée la révolution du « Quadruple Play » (accès télépho-nique, Internet, télévision et mobile) et du « Triple screen » (téléviseur, ordinateur, mobile). Il n’est pas inutile de rappeler que, pour une dépense mensuelle de 90 euros TTC/mois en 2000, un consommateur français pouvait prétendre avoir un abonnement à la téléphonie fixe avec quatre heures de com-munications locales et internationales, un accès à Internet avec une bande passante de 56 kilobits pour 6 heures par mois de connexion, un accès à la télévision gratuite et un abonnement mobile mensuel d’une heure trente.

En 2008, pour la même dépense, le consommateur dis-pose d’un terminal domestique multiservices wifi incluant un magnétoscope numérique (la « box »), une ligne téléphonique avec des communications illimitées vers tous les postes fixes en France et 90% des destinations internationales, l’accès à Internet illimité avec une bande passante allant jusqu’à 20 mé-gabits, un accès télévisuel à plus de 200 chaînes dont 50 chaî-nes gratuites plus les 18 chaînes de la TNT via un tuner TNT inclus dans la box permettant en outre de recevoir les chaînes de télévision en haute définition, un abonnement mobile de 2 heures incluant des communications illimitées vers tous les

opérateurs fixes ou mobiles sur de larges plages horaires (soir, nuit et week-end), le surf Internet et les mèls illimités ainsi que l’accès à des services de télévision mobile.

Derrière la révolution des prix et des services se profile une intégration croissante des univers des médias et des té-lécommunications. Un opérateur de télécommunications est aujourd’hui à même de drainer vers ses abonnés tous les flux de contenus, de communication et d’informations (la presse en ligne, la vidéo, la musique, les blogs, la télévision, la radio). Dans cet univers, la perception des consommateurs est celle de la gratuité des services une fois acquitté l’abonnement men-suel « tout compris » puisque l’abondance est présente pour un prix qui ne se modifie plus. Il ressort alors une certaine ba-nalisation des programmes audiovisuels au sein de bouquets de chaînes surabondants et un accès illégal aux nombreuses copies disponibles sur le « web » tant des morceaux de musi-que, que des films de cinéma et des programmes audiovisuels : séries, émissions de plateau, informations, etc. L’audience Internet connaît ainsi une croissance exponentielle grâce à cette pléthore de programmes disponibles et vient concur-rencer directement les médias traditionnels telles la radio ou la télévision. Le phénomène est bien évidemment accentué, par la systématisation des actes de copie illégale qui banalisent les contenus les plus attractifs (films et séries) avant qu’ils ne soient disponibles sur les écrans de télévision, ce qui contribue à la baisse de l’audience de l’ensemble des chaînes.

Le temps consacré à l’Internet par les foyers français re-présente d’ores et déjà 37 % du temps consacré à la télévi-sion. De surcroît, 15 % du temps consacré à l’Internet l’est déjà sur la vidéo en ligne. L’Internet n’est plus seulement un moyen de « surfer » sur le web, il est devenu un moyen d’ac-céder à des images animées et de les regarder ; il vient ainsi concurrencer le média télévisuel. Evidemment, la croissance des débits disponibles sur les réseaux de télécommunications engendre cette croissance de la consommation des images animées et motive au premier chef l’intérêt des opérateurs de télécommunications et des fournisseurs d’accès à Internet pour la distribution des contenus audiovisuels.

Mais dans la concurrence entre fournisseurs d’accès Internet, la capacité de différenciation que peuvent offrir des programmes audiovisuels « exclusifs » conduit certains de ces acteurs à se lancer en direct dans l’acquisition de droits ou à demander à acquérir les droits des distributeurs commerciaux de programmes audiovisuels et de chaînes de télévision en place, sans supporter les investissements spécifiques propres à la production cinématographique ou à l’édition de chaînes de télévision. Cette concurrence nouvelle entre distributeurs commerciaux de l’audiovisuel et fournisseurs d’accès Internet conduit à confronter des acteurs disposant de puissances financières très inégales sur les marchés amont des droits. Ainsi les cash-flows des acteurs de l’audiovisuel comparés à ceux de quelques-uns des acteurs des télécoms révèlent cette disproportion selon que l’on se trouve dans le monde des té-lécommunications ou dans celui des médias. Il ne s’agit pas d’un phénomène franco-français. Si les groupes audiovisuels nationaux sont effectivement petits au regard de leurs concur-

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rents internationaux, un groupe comme Newscorp, affiche un cash-flow de 2,3 milliards d’euros en 2006 six fois inférieur à ceux des groupes Vodafone ou France Télécom.

Ce mouvement correspond-il à un cas classique d’entrée de nouveaux acteurs sur un marché ? Si oui, il s’agit d’un si-gne de dynamique concurrentielle normale. Mais il existe de fortes objections à cette analyse.

Les offres de Triple Play des opérateurs de télécommuni-cations sont, par essence, des offres qui « lient » des services d’accès au réseau d’infrastructures (téléphone, Internet, télé-vision). Dès lors, les acteurs du marché d’accès aux infrastruc-tures se positionnent sur le marché de l’achat des droits pour proposer directement des services audiovisuels aux consom-mateurs. Il s’agit d’une mutation tout à fait nouvelle, un peu comme si Eutelsat, Astra ou TDF s’étaient mis à commercialiser des services de télévision auprès des consommateurs ou bien si les câblo-opérateurs avaient opté pour une intégration dans le domaine de l’offre et l’édition de contenus. Surgissent alors de réelles problématiques de concurrence.

En effet, si un opérateur d’infrastructures se réserve l’ex-clusivité des contenus qu’il acquiert sur le marché des droits, l’exclusivité produit-elle plus d’effets pro-concurrentiels qu’an-ticoncurrentiels, en particulier vis-à-vis des autres distributeurs commerciaux ? La stratégie d’exclusivité ne sert-elle pas un dessein de forclusion, c’est-à-dire, s’agissant d’acteurs disposant de ressources financières très importantes, d’un paiement po-tentiellement très (trop ?) élevé des droits acquis en amont qui permettrait d’évincer des concurrents en aval. Ces concurrents sont alors tout autant les autres distributeurs commerciaux de contenus que les autres opérateurs d’infrastructures.

Si de tels cas commencent à se poser aux autorités de concurrence, les pratiques sous-jacentes à cette stratégie devront être révélées. Il ne peut y avoir dans ce domaine de réponse a priori. En effet, au regard des effets de « supers-tar » il est difficile, voire impossible, de juger du caractère trop élevé du prix d’un contenu. Or, une stratégie de for-clusion classique consiste en l’action d’un acteur surpayant un input sur un marché amont pour en priver ses concur-rents ou les appauvrir sur le marché en aval. Il est sûr que le détenteur de droits en amont trouvera toujours que la transaction s’est effectuée à un prix raisonnable et jamais à un prix excessif ; en outre il sera fondé pour l’affirmer et le démontrer. D’ailleurs, il est intéressant de voir que, dans l’affaire évoquée par Jean-Bernard Blaise sur la catch-up TV, les détenteurs de contenus ont trouvé que le prix était raisonnable. Donc, s’il n’est pas possible d’élaborer un test évaluant le caractère raisonnable du prix d’un contenu, les stratégies de forclusion par paiement excessif des droits au travers d’exclusivités sera difficile à démontrer.

Une autre piste méthodologique serait de proposer un test de « réplicabilité » à l’instar de ceux mis en œuvre dans la pratique de ciseaux tarifaires. Il s’agit d’évaluer si, dans des circonstances similaires, des opérateurs concurrents auraient la possibilité d’être économiquement viables en acquérant les contenus au prix pratiqué par l’opérateur suspecté de pratiques

d’éviction à l’encontre de ses concurrents. Cela soulèverait aussi des problèmes méthodologiques puisqu’il faudrait procéder à des allocations de coût entre des services qui, par défini-tion, sont systématiquement liés. Un test de prédation serait lui aussi complexe à mettre en œuvre, car l’achat d’un droit peut-être, d’un point de vue économique, considéré comme un coût fixe. S’il s’agit d’un coût fixe, le test de prédation sera difficile à mettre en évidence. Maintenant, si le menu tarifaire accepté par le détenteur du contenu est purement linéaire, c’est-à-dire que le distributeur paie en fonction du nombre d’abonnés, le test de prédation pourrait être effectué afin de vérifier si le prix de revente du droit s’effectue a minima au coût net évitable auquel il a été acheté par l’opérateur d’in-frastructures.

Pour clore cet exposé, je souhaiterais évoquer un passage du livre de Warren sur les Fous du Roi. Warren nous dit : « La loi, c’est une petite couverture pour une personne sur un lit à deux personnes où on dort à trois par une nuit froide. Il n’y a même pas assez de couverture pour couvrir tout le monde et on a beau tirer dans tous les sens, quelqu’un est toujours sur le point d’attraper une pneumonie. La loi, c’est le pantalon acheté l’année dernière pour un petit garçon en croissance et cette année les coutures craquent, les mollets sont à l’air. La loi est toujours trop courte et trop étroite pour un marché en mutation. Le mieux est-il de laisser agir et, ensuite, d’arranger la loi pour couvrir les mauvais agissements ? Or, le temps que la loi figure dans les codes et le marché aura déjà fait quelque chose de différent. Finalement, que faire ? Laissons parler les acteurs du marché ».

Louis VogelLes deux orateurs ont posé des questions parallèles puisque

Jean-Bernard s’est demandé si la fragmentation excessive du marché pouvait encore être tenue aujourd’hui. En écho, Laurent s’est demandé si l’on peut, dans le contexte actuel, parler d’un marché pertinent de la publicité audiovisuelle. Ensuite, sur le second point, l’exclusivité, qui est au cœur du système, est-elle encore justifiée dans le cas des gros opérateurs qui viennent d’ap-paraître sur le marché ? Est-elle pro ou anticoncurrentielle ? Nous sommes donc repartis dans le débat exposé par Jean-Bernard en première partie. Si l’on considère qu’il y a un risque de caractère anticoncurrentiel de l’exclusivité dans ces hypothèses, comment juger du caractère trop élevé du prix payé par ces opérateurs ? Je crois qu’il s’agit de questions essentielles.

DébatArnaud Lucaussy, SFR indique que le service public est

voué à être financé à 100 % par l’impôt tout en étant acqué-reur de droits. Il rappelle que certains droits peuvent donner lieu à un niveau de prix difficile à quantifier et demande donc quelle peut-être l’appréciation concurrentielle d’un tel système dans lequel l’impôt financera un achat de droits au titre du service public qui diffuse du sport.

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Jean-Bernard Blaise répond qu’il s’agit d’un cas de finan-cement d’un service public et qu’il s’agit donc de vérifier si le financement ne constitue pas une aide d’Etat. Aussi, pour que ce financement ne constitue pas une aide d’Etat, il convient de s’assurer que les obligations de service public sont propor-tionnées au financement en question. La première étape sera de se demander ce qu’est le service public de l’audiovisuel et quels sont les contenus qui en relèvent. Cette question doit être débattue. Il indique que, au niveau des règles européennes, les Etats peuvent définir par eux-mêmes ce qu’est le contenu du service public et organiser les modalités de la définition du contenu du service public. Il cite le cas britannique et ex-plique que ce cas est discuté à la Chambre des Lords. Cette dernière interdit, par exemple, à la BBC d’acheter les droits de la Formule 1 parce qu’elle considère que la Formule 1 n’est pas un programme de service public contrairement au football. Aussi, une fois que le périmètre du service public est défini, l’argent fourni permet de financer les obligations de service public. Il cite également le cas de la Belgique où les diffuseurs et des associations de consommateurs définissent le cadre. En France, le cadre est aujourd’hui défini par France Télévision ce qu’il considère comme étant quelque peu limite du point de vue du droit.

Katel Gauthé, NRJ Group, demande ce qu’il va advenir des obligations qui pèsent sur les chaînes dans leurs conven-tions avec le CSA. Elle demande si ce même type d’obliga-tions pourrait exister pour les opérateurs de télécoms qui se comportent comme des éditeurs de contenu.

Jean-Bernard Blaise répond qu’une première taxe a été affectée aux opérateurs de télécommunications. Il précise qu’il s’agit de la taxe CNC d’un montant de 5,5 % pour les opérateurs qui distribuent de l’audiovisuel. Le motif est que les fournisseurs d’accès Internet facturent la moitié de leurs abonnements au taux réduit de T.V.A de 5,5 % et l’autre moi-tié au taux de 19,6 %. Donc, comme ils ont bénéficié de cette taxe à 5,5 % et qu’ils distribuaient des services audiovisuels, mécaniquement, ils se sont vu imposer la contrepartie de cette T.V.A à 5,5 % qui est la taxe CNC de 5,5 %. Par ailleurs, il précise que pour le reste des obligations, le CSA doit pouvoir apporter une réponse.

Elisabeth Flüry-Hérard répond qu’à partir du moment où un opérateur se définit comme un éditeur de services de télévision, il est soumis à l’ensemble de la réglementation et des obligations qui sont celles des éditeurs de services de télévision. Donc, si l’opérateur veut créer une chaîne, il doit demander une convention au CSA qui appliquera le régime défini par la loi, les décrets et sa propre jurisprudence.

Benjamin Ligny, journaliste, Les Echos, demande si la convention avec le CSA est obligatoire dès le premier jour d’émission de chaîne.

Il souhaite aussi savoir quel est le lien entre la convention avec le CSA pour les investissements de cinéma et le fait d’avoir un accord avec les professionnels.

Elisabeth Flüry-Hérard répond que la convention avec le CSA est obligatoire, même s’il a pu arriver que des chaînes

commencent à émettre quelques jours en avance étant donné que des démarches marketing avaient été faites et qu’il était devenu difficile de reculer la date de lancement.

Concernant la deuxième question, elle explique que les décrets prévoient un certain nombre d’obligations pour les chaînes de cinéma qui doivent être précisées par le CSA s’ap-puyant sur les négociations qui ont lieu entre les ayants droit et l’éditeur.

Olivier Sautel, Microéconomics, admet que le test de prédation présenterait effectivement une difficulté au niveau du coût variable et du coût fixe, mais également une difficulté au niveau du prix puisque le contenu est intégré à une offre multiservices et n’est pas forcément tarifé de manière indépen-dante. Il cite la chaîne de football distribuée par Orange : elle est facturée 6 euros par mois, mais elle nécessite également un abonnement à l’offre Triple Play d’Orange. Il demande quel est, dans ce cas-là, le prix payé pour avoir l’offre de football étant donné qu’elle est couplée à d’autres services.

Par ailleurs, concernant le déséquilibre financier des acteurs et le modèle de concurrence, il demande s’il ne s’agirait pas de penser que le fait que les opérateurs de télécommunications s’imposent ne serait pas forcément un problème et imposerait un nouveau modèle de concurrence, avec de très gros acteurs, qui engendrerait la disparition des acteurs historiques comme cela a été le cas dans la grande distribution.

Laurent Benzoni répond que concernant le test de pré-dation, il attend de voir se présenter le cas. Concernant la deuxième question, il pense que l’analogie n’est pas nécessai-rement bonne avec la grande distribution parce qu’il ne s’agit pas du même cas de figure. En effet, dans le domaine de la grande distribution, il n’est pas possible d’empêcher un client de s’approvisionner ailleurs alors que cela est justement le cas au niveau de l’exclusivité en matière d’audiovisuel.

Quelle nouvelle donne concurrentielle dans l’économie du numérique ?Elisabeth Flüry-HérardConseillère, Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)

Le sujet aujourd’hui posé à l’heureuse initiative de Louis Vogel et Laurent Benzoni est un sujet d’une vive actualité de-puis plusieurs mois, et même au-delà.

Il existe notamment l’actualité forte d’un contentieux pour lequel le CSA a été consulté et a donné un avis. Cet avis est na-turellement confidentiel et je n’évoquerai donc pas les questions susceptibles d’y être mentionnées. Je concentrerai peut-être

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mon propos sur la vision sectorielle du CSA sur les changements intervenus ces dernières années. Je m’excuse auprès de vous si un certain nombre d’éléments rappellent fortement les propos très intéressants de Laurent Benzoni. Cela prouve que si nous nous trompons, nous sommes deux à le faire.

Je souhaiterais évoquer les conséquences de la révolution du numérique telles que les voit le CSA : multiplication des vecteurs de la télévision, de plus en plus de contenus disponibles et la transformation du marché et de la chaîne de valeurs. Puis, j’exa-minerai ensuite avec vous les réactions des acteurs des médias, des autorités de régulation et des opérateurs de télécoms.

Le premier aspect de la révolution du numérique est l’ex-plosion du nombre de vecteurs de diffusion depuis 2003. Vous voyez très clairement que la coupure a eu lieu en dé-cembre 2003 quand l’opérateur Free a lancé sa première offre multiservices Triple Play. En réalité, il faut reconnaître que le Triple Play a précédé la TNT qui a été lancée en 2005. Ces deux révolutions précèdent d’autres évolutions supplémentaires. A partir de 2007/2008, nous avons assisté à l’avènement de la télévision mobile en 3G et de la fibre optique. En 2009, nous ajouterons la télévision mobile DVBH.

Le deuxième élément à noter est non seulement l’explo-sion du nombre de supports, mais, aussi leur succès énorme et très rapide. C’est ce que montre la courbe d’évolution des abonnés à la télévision par ADSL, par opérateur : 3,4 mil-lions au 31 décembre 2007 .

Vous voyez également l’explosion de la diffusion de la TNT. Fin juin 2008, 10 millions de foyers étaient équipés d’au moins un adaptateur TNT. La part des ménages équipés at-teint désormais 39 % en ayant commencé, comme vous le savez, en décembre 2005. Il s’agit d’un changement profond par rapport au rythme de l’innovation technologique. Je vous rappelle que pour que le câble atteigne 1,5 million d’abonnés il a fallu un temps extrêmement respectable.

Par ailleurs, la révolution numérique, c’est aussi l’explo-sion du nombre de contenus. Jusqu’en 2005, seules existent les chaînes traditionnelles. En 2005 apparaissent les chaînes de la TNT gratuites puis, payantes. Aujourd’hui, le nombre de chaînes locales explose. Elles seront une cinquantaine fin 2008. Apparaissent également la télévision haute-définition, le développement de la télévision mobile personnelle en 3G aujourd’hui et en DVBH à partir de la fin de 2009. Et surtout, les contenus non linéaires explosent. Personnellement, ce der-nier aspect est celui qui me frappe le plus ces derniers mois. Je pense que la télévision de « rattrapage » a été la grande nouveauté de l’année 2008. Mais nous voyons également croî-tre très rapidement la vidéo à la demande par abonnement et la vidéo à la demande au point de se poser la question de la survie du DVD à terme.

Le troisième aspect de la révolution numérique : les offres multiservices. Nous avons une utilisation et une numérisation du protocole IP avec des offres convergentes : le Triple Play.

Quelles sont les conséquences de cette évolution ? Nous sommes en présence d’une puissante évolution de la chaîne

de la valeur. Vous connaissez le schéma habituel de la pro-duction de contenus proposés par des opérateurs audiovisuels pour l’édition de service de télévision (marché amont) distri-bués ensuite par des distributeurs (marché intermédiaire) qui proposent une offre de service aux clients finaux.

Le réseau d’accès haut-débit et plus exactement l’inter-vention des opérateurs de télécommunications a coïncidé avec un mouvement assez fort de remontées de la chaîne de valeurs. Ce mouvement de remontée de la chaîne de valeurs est-il propre à l’audiovisuel ? C’est une question. Je ne connais pas suffisamment le secteur pour le savoir, mais je suis frap-pée par le fait que, dans le domaine des télécommunications, l’offre croissante des équipementiers en termes de contenus semble indiquer que ce mouvement de remontée de la chaîne de valeurs n’est peut-être pas spécifique au domaine des té-lécoms. En tout état de cause, il est clair que le réseau d’ac-cès haut-débit, à travers le lancement d’offres multiservices, a très vite souhaité remonter vers la distribution de services. Par ailleurs, nous commençons à voir un mouvement vers l’édition de services.

Les opérateurs télécoms expliquent ce souci de remonter la chaîne de valeurs par la nécessité d’une différenciation par les contenus. Il est clair qu’à partir du moment où, sur le marché, un certain nombre d’opérateurs ont fait des offres à 30 euros, la différenciation devait se faire par la composante des conte-nus. Vous avez l’exemple de Neuf Musique, mais vous en avez beaucoup d’autres parmi les différents opérateurs.

Quelles ont été les réactions des acteurs devant cette situation ?

Les fournisseurs d’accès accèdent à de nouveaux conte-nus, notamment les chaînes gratuites de la TNT pour les pro-poser gratuitement aux utilisateurs finaux. Il est clair qu’une offre gratuite de 50 chaînes par un FAI rend peut-être moins attirante la souscription d’un abonnement pour des chaînes payantes. Par conséquent, la télévision gratuite doit faire face à la concurrence de nouveaux acteurs puisque les acteurs traditionnels deviennent 18 ou 19. Aussi, l’explosion de la consommation de contenus non linéaires, surtout parmi les jeunes, représente de plus en plus une concurrence forte, no-tamment en termes de temps passé devant la télévision. Là, l’évolution est vraiment très frappante en termes d’attractivité du média vis-à-vis des annonceurs puisque le jeune public est particulièrement attiré par les services non linéaires. Donc, effectivement, il existe une menace sur les revenus de la télévision traditionnelle.

Les acteurs des médias ont procédé à des concentrations dans le domaine de la télévision payante. Nous n’avons pas assisté à des concentrations dans le domaine de la télévi-sion gratuite, mais il y a eu une prise de participation de TF1 dans le groupe AB.

Les autorités de concurrence et notamment la décision du ministre des finances a constitué une tentative d’approche équi-librée devant ces intérêts visiblement violemment divergents. Il

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s’est agi d’un feu vert pour les fusions et les acquisitions de parts minoritaires. Concernant la télévision payante, la mise à disposition des distributeurs tiers de certaines chaînes du groupe Canal+ a été décidée. Enfin, pour le contenu non couvert par le dégroupage, il s’est agi de donner l’accord pour les exclusivités ADSL et donc d’inciter les FAI à se lancer dans l’édition de contenus. Afin de résoudre les problèmes potentiels, le CSA a reçu un pouvoir de règlement des litiges entre une chaîne et son distributeur ; ce pouvoir était appa-remment nécessaire puisque depuis que le décret est paru, le CSA a rencontré environ une vingtaine de litiges.

Aujourd’hui, Canal+ contrôle la plus grande partie des contenus premiums ou à valeur ajoutée, conformément à ce qui était autorisé par la décision du ministre des finances. Sur ces contenus, le rôle des FAI est celui d’un transporteur puisque les abonnés aux offres de télévision payante doivent souscrire deux abonnements : un abonnement pour le service Triple Play et un abonnement pour le service de télévision payante.

S’agissant des opérateurs de télécommunications, il me semble qu’il y a eu trois réactions. La première était d’utili-ser les possibilités offertes par les décisions des autorités de la concurrence. La première possibilité la plus évidente a donc été le dégroupage, mis en œuvre avec des résultats variables selon les offres de chaînes dégroupées. La deuxième possibilité qui a été utilisée et qui a été soumise à l’examen du CSA dans un règlement de litige, est l’affaire Neuf contre Eurosport, c’est-à-dire la tentative d’utiliser la règle de non-exclusivité pour les chaînes de la TNT donc, l’interdiction d’avoir des exclusivités en télévision payante pour les chaînes de la TNT afin d’enri-chir l’offre ADSL. Cette tentative de Neuf a été considérée par Canal+ et par les autorités judiciaires comme un contournement de ses droits exclusifs. Le CSA n’a pas réglé le litige puisqu’il a été retiré. En outre, une troisième possibilité est celle choi-sie par Orange, c’est-à-dire de remonter la chaîne de valeurs avec des offres existantes ou qui sont en préparation comme Orange Foot, Orange Cinéma Séries et le développement sur le satellite. Enfin, le dernier type de réaction est d’utiliser les possibilités de la fonction de transporteur à travers, par exem-ple, des accords avec le groupe Canal+. Il s’agit, par exemple, des offres promotionnelles que Free a récemment proposées pour la télévision payante.

Les stratégies actuelles des opérateurs télécom

Pour risquer une conclusion personnelle sur le sujet sans engager le CSA, nous observons un élément intéressant et révolutionnaire à travers l’explosion du nombre de contenus, car elle a plusieurs conséquences extrêmement positives du point de vue des missions du CSA. La première conséquence est que l’offre proposée aux téléspectateurs est infiniment plus importante. La deuxième conséquence est que, du point de vue du pluralisme des opinions et notamment du point de vue du pluralisme politique, cette explosion de l’offre a élargi considérablement la possibilité d’exprimer les opinions et d’accéder aux opinions d’autrui. Enfin, la troisième consé-

quence, pour les producteurs de contenus, est que la faim de contenus n’a probablement jamais été aussi importante. Par contre, une conséquence est moins positive. En effet, il est clair que cette évolution peut avoir pour conséquence d’af-faiblir les acteurs traditionnels qui, pour l’instant, soutiennent très majoritairement l’économie dudit secteur. Malgré tout, le pluralisme des contenus est un fait majeur et extrêmement important. Je pense que cette explosion de l’offre de contenus n’est pas sans lien avec les réflexions qui se sont récemment développées et qui risquent de continuer à se développer sur les seuils anti-concentration. Peut-être qu’aujourd’hui, nous devons développer une réflexion sur les seuils anti-concentra-tion tenant compte de cette nouvelle donne.

Merci.

Philippe DistlerDirecteur général, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

Vous connaissez tous maintenant la structure de la chaîne de la valeur audiovisuelle « classique » qui est constituée par un empilement de différents marchés : le marché de l’acqui-sition de droits où se rencontrent la demande de programmes des éditeurs de chaînes gratuites ou payantes, généralistes ou thématiques et l’offre des détenteurs de droits ; le marché de la commercialisation de chaînes qui propose l’offre des éditeurs et des distributeurs qui est fortement structurée par l’achat d’ex-clusivités pour certains types de contenus premiums comme le sport ou le cinéma ; le marché de la distribution audiovisuelle où se rencontrent l’offre des distributeurs de bouquets et la demande des consommateurs ; enfin le marché de la diffusion technique qui est le jardin des opérateurs de télécoms où se rencontrent la demande des distributeurs de bouquets et l’offre des opérateurs de communication électronique susceptibles d’acheminer le signal jusqu’aux clients finaux.

Dans le passé, avec la technologie analogique, tout était extrêmement simple puisque des opérateurs spécialisés qu’ils soient hertziens, câble ou satellite, avaient développé des réseaux dédiés pour assurer la diffusion technique des services audiovi-suels. Ces opérateurs étaient également, à l’exception partielle du câble, pas ou peu actifs en tant que distributeurs audiovisuels ou assembleurs de bouquets. L’essentiel de la chaîne de la valeur était donc contrôlé par les acteurs de l’audiovisuel.

Tout a commencé à changer avec l’explosion des techno-logies numériques. Les réseaux de communication électro-nique qui étaient principalement des réseaux téléphoniques mono-service sont devenus capables de transporter tout type de flux, tout type de services (voix, données, images). L’augmentation rapide des débits a permis une diffusion de plus en plus large de services, qu’il s’agisse de contenus audio-visuels ou d’autres types de services portés par Internet, qui sont devenus accessibles dans des conditions économiques et techniques tout à fait intéressantes pour les consommateurs à travers ces réseaux.

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C’est ce qui a mis en contact deux univers spécifiques, obéissant à des logiques différentes. D’une part, les réseaux de communication électronique fonctionnent par construction sur la base de l’interopérabilité des réseaux, des terminaux et des services et sur le principe du any to any, c’est-à-dire que tout abonné d’un opérateur doit pouvoir communiquer librement avec tout abonné d’un autre opérateur et accéder à l’ensemble des services quel que soit le réseau qui les héberge. Il s’agit de la substance même de l’activité d’opérateur de télécom-munications que de permettre cette communication libre et ouverte. D’autre part, les marchés amont de l’achat de droits sont très largement structurés par les contrats d’exclusivité pour certains types de contenus qui gouvernent l’économie du secteur. Très naturellement, la question de savoir si ces deux logiques sont compatibles peut se poser. Je n’ai évidemment pas de réponse simple à cette question. Aussi je prendrai une analogie très réductrice pour essayer de l’aborder : l’analogie du livre. Un éditeur paie très cher l’exclusivité du dernier Harry Potter. Or, n’importe qui peut se procurer ce livre chez son libraire habituel ou chez tout autre libraire. L’éditeur déten-teur de l’exclusivité a évidemment intérêt à ce que son livre soit distribué par tous les libraires ou tous les réseaux de dis-tribution afin de toucher le maximum de clients. Ceci résulte du fait qu’en général, l’éditeur n’a pas lui-même d’activité de distribution significative. Il existe donc une séparation verticale entre l’édition et la distribution.

Cette analogie illustre deux différences qu’il convient de souligner en matière de télécommunications. La première est un truisme : le secteur des communications électroniques est concentré. Donc, au lieu d’un grand nombre de librairies où vous pouvez acheter votre Harry Potter, tout se passe dans le secteur des communications électroniques comme s’il n’existait que quelques réseaux de libraires ; les plus grands disposant alors d’un pouvoir de marché spécifique. En outre, dans le secteur des communications électroniques, le degré de liberté du client est relativement limité. Le client final choisit un ré-seau avec lequel il passe un contrat d’accès et un contrat de fournitures de services. Comme vous le savez tous, changer de réseau est une décision assez lourde, d’exécution relativement compliquée, même si l’ARCEP et le ministère déploient tous les efforts pour la simplifier. Ainsi, le ou les plus gros réseaux peuvent juger qu’il est de leur intérêt de posséder l’exclusivité de la distribution de certains contenus, voire du catalogue de certains éditeurs, de façon à renforcer leur attractivité vis-à-vis des réseaux concurrents en jouant sur ces contenus premiums pour susciter les abonnements de clients finaux.

Un autre élément entrant en ligne de compte et plus com-plexe : les nombreux contenus audiovisuels ou de services Internet ne s’achètent pas à la pièce, mais après regroupe-ment. En aval des éditeurs, opèrent des assembleurs de ca-talogues ou de services permettant au client final d’accéder à un ensemble pré-assemblé de contenus, par exemple, un bouquet de chaînes de télévision plutôt que de rechercher in-dividuellement les contenus qu’il souhaite, quitte à conclure un contrat qui le lie avec ces prestataires de services pour une certaine durée. Ces grands assembleurs peuvent disposer d’un pouvoir de marché certain, d’autant plus fort qu’ils maîtrisent

la relation contractuelle avec le client final. Un pur fournis-seur de contenus pourrait donc avoir intérêt à ce que ceux-ci soient accessibles sur le maximum de réseaux techniquement adaptés pour autant que sa rémunération soit proportionnée à l’exposition que lui offrent les réseaux distributeurs. Par ailleurs, je pense que l’on peut constater, si l’on regarde ce qu’il se passe dans d’autres pays et en particulier aux Etats-Unis, qu’il s’agit vraiment de deux métiers différents et que la synergie opérationnelle entre la production de contenus et la gestion de réseaux est vraisemblablement extrêmement faible. En témoignent les discussions récurrentes sur les projets de désintégration verticale de certains acteurs intégrés comme le groupe Time Warner aux Etats-Unis.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout cela ? Sous l’hypothèse que, dans chacun de ces secteurs, prévaut une situation raisonnablement concurrentielle, il est assez naturel que s’établisse une séparation entre producteurs de contenus et opérateurs de réseaux. En conséquence, il n’y a pas de nécessité d’intervention d’une autorité publique sur les relations entre les producteurs de contenus et opérateurs de réseaux. Malheureusement, il est fort probable que cette hypothèse optimiste ne soit pas tout à fait vérifiée. Certains opérateurs télécoms qui ont un pouvoir de marché significa-tif, comme Orange, ont commencé à intervenir sur le mar-ché de l’achat de droits et de contenus premiums. De façon symétrique, il existe des acteurs puissants sur le marché des contenus audiovisuels.

Cette analyse peut aussi s’appliquer à d’autres fournisseurs de services comme les moteurs de recherche qui ont égale-ment un pouvoir de marché sur le marché de la publicité. Ces pouvoirs de marchés peuvent s’exercer au détriment des ac-teurs du même secteur et/ou au détriment des acteurs d’un autre secteur. La limitation du premier effet à l’intérieur d’un secteur relève à la fois des autorités sectorielles (de l’ARCEP) et des autorités horizontales de concurrence. En revanche, la limitation du deuxième effet relève, à mon sens, exclusivement des autorités horizontales de concurrence.

Les instruments classiques dont dispose une autorité de concurrence horizontale sont bien adaptés à l’objectif de maintien d’une concurrence raisonnable au sein d’un même secteur, même si l’interaction entre la taille du marché et les économies d’échelle peuvent parfois conduire à des arbitra-ges délicats. Toutefois, il me semble que ces instruments sont moins adaptés à la limitation des effets de levier entre secteurs. Donc, si un gros assembleur de contenus est en mesure soit d’accorder l’exclusivité des contenus qu’il contrôle à un opé-rateur de réseau particulier, soit d’offrir un accès ouvert à tous les opérateurs de réseau, mais à des conditions déséquilibrées. Alors est compromise, soit la concurrence normale entre opé-rateurs, soit la capacité de ceux-ci à investir pour améliorer les performances de leurs réseaux. Il en est de même si un gros opérateur de réseau devient lui-même acheteur exclusif et assembleur de contenus pour son propre usage.

En l’absence d’une séparation verticale entre les fournis-seurs de contenus au sens large et les opérateurs de réseau, la régulation économique de l’ensemble est considérablement

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compliquée. Jusqu’à présent, je crois que cette séparation verticale prévalait assez largement en Europe, à quelques ex-ceptions près. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, notamment parce que les principaux câblo-opérateurs sont également des producteurs assembleurs importants de contenus et c’est peut-être une des raisons qui expliquent, au moins en partie, l’importance du débat outre-Atlantique concernant l’obliga-tion de « net neutralité ».

Comme le disait Laurent Benzoni, poser la question est simple ; trouver une solution est plus compliqué. Je ne vous apporterai effectivement pas de solution à cette question. Mais, si l’on partage l’objectif d’assurer, en vertu du principe de base du fonctionnement des réseaux de communication, c’est-à-dire l’accès des utilisateurs finaux de chaque opérateur à l’essentiel des contenus et services, il serait prudent d’in-citer les acteurs à ne pas trop tenter de faire jouer les effets de levier entre les marchés des contenus et les réseaux. Ceci pourrait supposer à la fois l’interdiction aux gros opérateurs de réseau d’intervenir activement dans le secteur des contenus ou alors, comme un pur acteur, du secteur des contenus et l’obligation symétrique pour les gros assembleurs de contenus d’offrir un accès ouvert, égal et économiquement réaliste à tous les opérateurs.

Merci.

Jean-Michel CounillonSecrétaire général, TF1

Nous avons beaucoup parlé des opérateurs de contenus et des opérateurs de réseaux. Entre les deux, il y a le métier d’éditeur de contenus que j’aimerais évoquer maintenant, car il est confronté à la montée en puissance des uns et à la puis-sance acquise des autres. Vous aurez compris que la notion de monopole à la vente rend compte de la puissance de vente de certains opérateurs ou vendeurs de contenus. Le métier d’édi-teur de contenus, le plus ancien, mais aussi le plus fortement régulé, vient désormais se loger entre ces deux acteurs fonda-mentaux de la convergence. Pourquoi, me direz-vous, parler de régulation à propos de concurrence ? Parce que le droit de la concurrence constitue déjà un cadre significativement régula-teur et que toute nouvelle régulation supplémentaire conduit à l’accumulation…et à la sédimentation réglementaires… Or, dans un univers où les différents opérateurs concurrents sur un même marché ne sont pas soumis au même niveau de contraintes, une telle situation engendre inévitablement de réelles distorsions de concurrence.

Depuis plus de vingt ans, la régulation s’est introduite à chacune des phases et des fonctions du métier d’éditeur : le choix d’une politique d’achat et de commercialisation des programmes, ou encore l’exercice de la liberté éditoriale ont notamment été placés sous haute et constante surveillance réglementaire. Cette sur-régulation trouvait à l’époque une sorte de justification dans la puissance économique et finan-cière des éditeurs de contenus bénéficiant alors d’une posi-tion de quasi-monopole ou d’oligopole mixte. Dès lors, les

Pouvoirs publics ont entrepris d’encadrer ces flux financiers et d’en orienter la redistribution. C’est ainsi que la limitation d’accès à la ressource publicitaire par plafonnement du temps de diffusion de publicité et l’instauration de quotas de diffu-sion d’œuvres audiovisuelles francophones et européennes ont pu lourdement entraver la puissance d’investissement des éditeurs dans la fabrication de programmes de télévision tout en compromettant la performance commerciale des pro-ductions françaises. Symétriquement, les obligations de com-mandes de production applicables à ces mêmes éditeurs ont instauré une régulation stricte de leurs approvisionnements en termes financiers et qualitatifs conduisant in fine à leur véritable expropriation des produits qu’ils étaient contraints de financer. C’est ainsi que, depuis vingt ans, les éditeurs ont perdu la maîtrise de leurs contenus !

Il y a donc péril en la demeure et urgence à moderniser enfin les règles du jeu. Ce chantier de la modernisation juri-dique de notre secteur est aujourd’hui ouvert par la mise en conformité de notre droit national avec les dispositions de la Directive européenne Services de médias audiovisuels (SMA). Mais ce sera un travail de longue haleine dans un pays comme la France où le simple alignement de notre droit sur le droit européen est considéré comme… un cadeau fait aux éditeurs. Le temps presse pourtant, car les éditeurs de télévision ont été confrontés à ce que j’appelle trois grands chocs : techno-logique, industriel et politique.

Le choc technologique traduit la montée en puissance de l’ADSL, de la ligne téléphonique et de l’Internet à haut débit. Pourquoi ? Parce que, tout d’un coup, alors que les éditeurs de télévision maîtrisaient complètement les relations avec leurs clients (le téléspectateur ou l’abonné), ces nouveaux opéra-teurs sont devenus des interfaces entre le client et l’éditeur. Certains d’entre eux, économiquement puissants et disposant de bases d’abonnés ont pu jouer les médiateurs ou les arbitres entre le client et l’éditeur. Ils ont pu imposer de recomposer les offres et, finalement, ont obtenu d’avoir une sorte de droit de vie ou de mort sur les chaînes de télévision.

Mais cela ne s’arrête pas là puisque ces mêmes opérateurs de réseau, devenus également des distributeurs commerciaux, drainent vers eux des cash-flows assez importants, liés à des ac-tivités télécoms. Ils peuvent devenir soit éditeurs soit acheteurs de contenus. C’est ce que l’on a vu récemment avec Orange dont la puissance est aujourd’hui à 1 contre 10. Par exemple, son résultat net – 6,5 milliards d’euros – lui permet de rache-ter trois fois TF1 compte tenu de sa capitalisation boursière. A l’évidence, nous ne sommes pas du tout à la même échelle d’enjeu. Dans ce contexte, nous allons voir à quel point la dé-finition des marchés pertinents s’avère in fine, déterminante. Nous devons donc prendre acte de l’apparition dans les marchés en aval, d’un nouvel intermédiaire. Il peut être un arbitre, un concurrent, voire le financier du marché de l’édition. Notons que ces nouveaux opérateurs sont aussi le vecteur qui introduit le piratage dans les foyers... Le phénomène est encore émer-gent, mal régulé et mal contrôlé. Mais une chose est sûre : il conduit inévitablement à un appauvrissement de la chaîne de la valeur de l’édition et de la réinjection des cash-flows dans

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les contenus. Ce défi technologique marginalise les groupes médias par rapport aux groupes télécoms.

Le choc industriel traduit le défi majeur pour les diffuseurs de la fragmentation de l’audience. Au moment où s’est dé-ployée l’ADSL en France, la TNT a été lancée. C’est un bien en tant que tel puisqu’il s’agit d’améliorer la numérisation des fréquences et donc, l’optimisation de la bande-passante. Reste à savoir quelle utilisation politique en sera faite. S’il s’agit d’affaiblir les opérateurs historiques, c’est l’ensemble de la chaîne de la valeur qui se trouvera irrémédiablement compro-mise. Or, aujourd’hui, nous sommes passés d’un univers de six chaînes à un univers de vingt chaînes. C’est une mécanique en marche que nous n’avons pas à critiquer en tant que telle. Simplement, son effet immédiat est de fragmenter l’audience et donc de diluer les cash-flows générés par cette audience. Or, il va de soi qu’une audience fragmentée procure moins de revenus qu’une audience concentrée. Dès lors, apparaît un phénomène mécanique de paupérisation du marché.

Le choc politique est également important. Il a été décidé qu’en 2011 la diffusion analogique hertzienne terrestre serait arrêtée. Cette décision est positive car il s’agit de réaménager les fréquences, de dégager des capacités et de disposer d’un di-vidende numérique. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, le réseau analogique hertzien terrestre des grandes chaînes historiques couvre 99 % de la population alors que le réseau numérique terrestre couvrira au mieux, 95 % de cette popula-tion. Le passage de l’analogique au numérique sera donc une opération particulièrement délicate avec un risque significatif de perte d’audience potentielle pour les opérateurs historiques. Aussi, la montée en puissance du numérique, parallèlement à la diffusion analogique, est un phénomène très onéreux pour les opérateurs historiques à un moment où leurs revenus sont fortement fragilisés du fait de la fragmentation de l’audience liée au défi industriel et de la marginalisation potentielle des éditeurs dans un univers des télécoms contrôlé par les opé-rateurs de réseau.

Quelles conséquences pouvons-nous en tirer en termes d’analyse de marché ? Nous sommes passés d’un univers vertical où les médias étaient coexistants, mais non mélangés entre eux, à un univers de convergence dans lequel toutes les images transitent par tous les tuyaux. Si nous reprenons la seg-mentation faite par Laurent Benzoni et Louis Vogel précédem-ment, ceci signifie que, dans les marchés aval, les cash-flows générés par certains opérateurs télécoms sont bien supérieurs à ceux générés par les opérateurs de télévision. Ceci va bien évidemment avoir une répercussion sur le métier de l’édition, en pouvoir de marché, et sur le métier d’approvisionnement en contenus. Donc, nous pouvons tirer comme première conséquence que, sur le marché amont des contenus, une concurrence est en train de s’exercer pleinement entre des acteurs de poids différents. Aussi, ce n’est pas parce que cette concurrence est émergente qu’elle n’est pas réelle.

Deuxième conséquence : la notion de marché pertinent telle que dégagée par les autorités de concurrence en termes de génération de ces cash-flows est de plus en plus difficile à cerner. Précédemment, nous avons vu que, dans le métier de

l’édition, nous avons connu une époque où le marché de la publicité télévisuelle était un marché pertinent, extrêmement structuré et segmenté sur lequel on identifiait totalement un pouvoir de marché de certains acteurs par rapport à d’autres. Aujourd’hui, nous constatons que l’arrivée du plurimédias est un phénomène banalisant les acteurs, les uns par rapport aux autres, dans la démarche vis-à-vis des annonceurs. Donc, nous pouvons tirer comme conclusion préliminaire qu’il n’existe plus de segmentation aussi pertinente qu’avant dans les marchés amont des acquisitions de contenus, que le métier d’éditeur de contenus est aujourd’hui pris entre les grands opérateurs de réseaux et les grands fournisseurs de contenus et que les marchés connexes, comme la publicité télévisée, sont des marchés en pleine mutation dans une offre élargie sur des logiques de plurimédias.

Frédéric MionSecrétaire général, Canal+

Je m’empresse de dire que je ne suis ni spécialiste du droit de la concurrence, ni d’économie de la concurrence même si le groupe auquel j’appartiens fait l’objet d’une actualité concurrentielle importante. Le point de vue que je souhaite présenter ici est donc celui du praticien sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur : les exclusivités de distribution de chaînes dans le cadre des accords que nous passons sur le marché intermédiaire.

La notion d’exclusivité est au cœur du métier d’opérateur de télévision payante puisque la télévision payante consiste à offrir aux téléspectateurs ce qu’ils ne sont pas susceptibles de trouver ailleurs, c’est-à-dire des contenus exclusifs. La pro-blématique de l’exclusivité se pose à la fois lorsque l’on est éditeur et que l’on souhaite faire l’acquisition de contenus qui distingueront la chaîne que l’on édite des autres - c’est le métier que nous effectuons en particulier sur le premium avec Canal+ Le Bouquet – mais elle se pose de la même façon lorsque l’on constitue des bouquets de chaînes multithémati-ques que l’on distribue sur l’ensemble des plates-formes. Notre besoin vital en la matière est de différencier notre offre multi-chaînes de celle de nos concurrents. Sur ce second marché de la distribution de bouquets multi-chaînes, la concurrence est croissante du fait du développement de technologies numé-riques. Cette concurrence vient même de là où on ne l’attend pas nécessairement, c’est-à-dire des offres gratuites. La grande nouveauté des dernières années a été la multiplication des contenus disponibles dans ce cadre-là, qu’il s’agisse de vrais bouquets gratuits (TNT) ou de faux bouquets gratuits (offre de base des opérateurs Triple Play) qui exercent une véritable pression concurrentielle sur nos offres. Dans ce contexte de concurrence accrue, détenir des exclusivités de distribution est décisif pour continuer à distinguer nos produits de ceux de nos concurrents et, en définitive, faire notre métier.

De notre point de vue, ce modèle de distribution exclusive présente des vertus, pas simplement pour le groupe Canal+, mais également pour l’ensemble de la chaîne de valeurs. Ce modèle est vertueux pour les éditeurs parce que l’exclusivité

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est le seul modèle permettant à des éditeurs de chaînes à forte valeur ajoutée de continuer à exister. Le montant versé à un éditeur dans le cadre d’une distribution exclusive est très généralement supérieur au montant que le même éditeur pourrait exiger dans le cadre d’une distribution non exclusive sur plusieurs bouquets. Cette réalité ressemble quelque peu à ce qui a été dit précédemment concernant la fragmenta-tion des audiences. Seule une distribution exclusive peut per-mettre à certaines chaînes de poursuivre leur existence. Un modèle de distribution non exclusif reviendrait, de facto, à faire disparaître un certain nombre de chaînes au détriment du consommateur.

Aussi, ce modèle de distribution exclusive est, du coup, favorable également aux consommateurs. Il leur permet de continuer à accéder à une offre aussi riche que possible de contenus de qualité et de le faire dans un cadre ordonné et thématisé. Le rôle du distributeur, en la matière, est de trier et de présenter les contenus possibles de façon attractive et ordonnée et donc, de faciliter la tâche aux consommateurs de télévision payante. J’ajoute que le rôle du distributeur de télévision payante est également de faire en sorte que le coût des offres ainsi distribuées soit le plus bas possible.

Enfin, ce modèle de distribution ne nous paraît pas poser de difficulté particulière du point de vue des plates-formes de distribution elles-mêmes parce que nos offres – qu’il s’agisse de notre offre premium Canal+ Le Bouquet ou de notre offre multi-chaînes Canal Sat – sont présentes sur l’ensemble des plates-formes et chez l’ensemble des distributeurs de sorte que nous n’introduisons pas de biais du point de vue du consom-mateur en fonction de la technologie utilisée ni en fonction du support de distribution. De fait, nous pouvons constater que le vecteur le plus vigoureux de développement de la télé-vision payante aujourd’hui est l’ADSL ; notre présence n’ayant pas empêché le développement des bouquets propriétaires concurrents du nôtre qu’ils peuvent mettre en valeur comme alternative au bouquet que nous proposons.

Le point du raisonnement où la question des exclusivités peut poser des difficultés et devenir problématique, est le mo-ment où un opérateur qui se trouve être transporteur ou dis-tributeur de télévision payante décide d’entrer dans le marché de l’acquisition des contenus en mobilisant des revenus issus d’une activité autre que la distribution de contenus. Il est alors en situation d’acquérir ces contenus à des conditions qui peu-vent paraître non économiques parce qu’il n’a pas l’obligation d’amortir le coût des acquisitions ainsi réalisées sur le métier de la distribution de télévision payante. Il amortit ses coûts sur un autre métier : la distribution d’offres multiservices.

La seconde difficulté tient au fait que cet opérateur réserve les offres qu’il constitue à ses seuls clients sur la téléphonie et sur Internet au détriment de l’ensemble des clients des autres opérateurs sur le même marché du Triple Play. Donc, il constitue, à son profit, une forme d’écosystème fermé dans lequel le consommateur est obligé d’entrer s’il veut accéder à un certain type de contenus et dont il ne pourra sortir, sauf à renoncer précisément à accéder à ces contenus. Là, nous voyons comment un opérateur utilise la télévision payante

comme produit d’appel pour asseoir ses parts de marché ou les accroître sur un tout autre marché qui est celui de l’accès à l’Internet haut débit.

Karine BlouëtSecrétaire générale, M6

Les chaînes « en clair » semblent un peu conservatrices . En fait, M6 a un point de vue particulier en matière de conver-gence parce que M6 est arrivée sur un marché de contenus où existaient déjà des opérateurs historiques et a donc dû trouver sa place. Aussi, M6 a été un des premiers diffuseurs à réagir à la problématique de la fragmentation des audiences en essayant de présenter des offres de contenus délinéarisées en particulier avec le lancement d’une offre de télévision de rattrapage M6 Replay, avec succès.

Les diffuseurs évoluent dans un univers où la circulation des œuvres et l’accès aux contenus sont extrêmement régle-mentés. Il faut bien avoir à l’esprit la question de la préserva-tion des équilibres, du pluralisme des contenus et du soutien à la création assuré, pour l’essentiel, par les diffuseurs. Cette réglementation nous oblige à investir une très grosse partie de notre chiffre d’affaires – 16 % - en œuvres audiovisuelles d’expression française. Que se passe-t-il quand nous ache-tons une œuvre ? Il s’agit de préfinancer, via un système qui s’apparente au minimum garanti, une part très importante de l’œuvre. Donc, il s’agit de prendre un risque financier et un risque artistique. Dans ces conditions, nous estimons normal d’acheter une chronologie de l’œuvre, c’est-à-dire une fenê-tre associée à cette exclusivité avec une diffusion gratuite et, éventuellement, des exploitations payantes. Ces exploitations s’organisent en fonction de fenêtres et nous souhaitons, à partir du moment où nous avons pris le risque, être l’organisateur de ces fenêtres. Nous ne sommes d’ailleurs pas contre le fait qu’une œuvre puisse, le cas échéant, et sous certaines condi-tions précises, être exploitée peu de temps après notre fenêtre de diffusion en clair ou simultanément, mais à condition que nous en maîtrisions l’exploitation tout en sachant que nous partagerons les recettes ultérieurement avec le producteur.

Il est important de rappeler que nous avons des obligations d’investissement parce qu’elles se trouvent aussi sur une pa-lette assez large d’œuvres qui, pour l’instant, intéressent peu ou moins les nouveaux opérateurs de contenus qui sont quand même essentiellement intéressés par les œuvres à fort contenu attractif. Il est important de maintenir ce système de fenêtres. Aussi, sommes-nous en discussion sur la réforme des décrets production qui concernent toutes ces exploitations d’œuvres.

Donc, nous essayons vraiment de maintenir ce point de vue pour que la situation actuelle ne soit pas trop perturbée et que nous ne soyons pas sacrifiés sur l’autel de la circulation des œuvres et de l’accès aux contenus. Je rappelle quand même qu’aujourd’hui, nous finançons plus des trois quarts d’une fiction, par exemple, ce qui ne représente même pas 1 % du financement de la fiction par rapport au préfinancement VOD. Il est important de le rappeler parce que certaines plates-formes attendent qu’il

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y ait un succès en diffusion avant de demander un droit pour se situer entre les deux diffusions télévisuelles sans avoir pris aucun risque sur le financement de départ. Nous souhaitons donc que la réglementation protège les diffuseurs et nous désirons éviter un tri des programmes au détriment du diffuseur.

Par ailleurs, nous souhaitons que la réglementation s’opère petit à petit en tenant compte de la fragmentation de l’audience, de la consommation délinéarisée de conte-nus. Par exemple, il nous paraît tout à fait important que la transposition de la directive européenne permette d’inclure, dans le champ de la réglementation, les services non linéaires. Simplement, nous pouvons penser qu’elle ne s’appliquera pas de façon aussi réglementée et aussi excessive que dans le cas de la diffusion pour les chaînes. Je ne pense pas qu’il s’agira d’imposer aux plates-formes en ligne les mêmes contraintes que celles que nous vivons actuellement en termes d’obligation d’investissements dans les œuvres ou en matière de publicité, ou en termes de règles de diffusion. Je rappelle qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas diffuser de films plusieurs soirs par se-maine. Nous sommes extrêmement réglementés quand nous diffusons de la publicité. Nous sommes quand même au cœur d’un univers trop réglementé et cette réglementation ne me paraît pas transposable aux services non linéaires. En outre, il se trouve que nous avons des services non linéaires et que nous y portons donc une attention particulière. Tout cela plaide pour un allègement de la réglementation qui pèse sur les diffuseurs traditionnels, et un respect de la chronologie des médias, dans la mesure où les diffuseurs continueront longtemps de prendre l’essentiel du risque sur le financement des œuvres.

Maxime LombardiniDirecteur général, Free

Pendant des décennies, les télécoms et les médias se sont ignorés et les quelques incursions des opérateurs télécoms dans les médias n’ont pas été de grands succès. Nous avons quelques exemples. France Télécom qui a été actionnaire de TPS, Telefonica actionnaire propriétaire d’Endemol, d’une chaîne espagnole et il en va de même pour Telecom Italia. La réalité est que l’on continue à mettre très régulièrement en opposition les deux secteurs. Nous l’avons vu sur le débat du dividende numérique ou sur des histoires de piratage. Il s’agit d’une assez grande hypocrisie confortable, car lorsque les choses vont mal, on a toujours tendance à aller chercher de l’argent auprès des opérateurs de télécoms.

En outre, entendre parler de l’intervention des télécoms dans les contenus est surprenant. Prenons un seul exemple concret d’achat d’un droit pour une chaîne en clair par un opérateur de télécoms. Je n’en vois pas. Je pense que sur les 18 derniers mois, pas un seul droit destiné à la télévision en clair n’a été acheté par un opérateur de télécoms. Je ne pense pas que les chaînes en clair soient aujourd’hui privées de leurs droits par les opérateurs de télécoms. Concernant la télévision payante, les choses sont différentes. Ainsi, l’opérateur histo-rique achète des droits, ce qui pose une question véritable sur deux droits : les studios américains et la Ligue de football.

S’agissant du reste, les télécoms et les médias sont des mé-tiers très différents donc, il n’est pas possible de penser que les chaînes sont réellement concurrencées par les opérateurs de télécommunications.

Par ailleurs, il est courant de penser que les télécommu-nications profitent de l’audiovisuel sans contrepartie. Que trouvons-nous dans les offres à 29,90 euros proposées par les opérateurs ? On y trouve les 18 chaînes de la TNT qui sont disponibles pour tout le monde sans passer par un abonne-ment à 29,90 euros. On y trouve également une trentaine de chaînes locales, dont les 23 décrochages régionaux de France 3 ; une quinzaine de chaînes étrangères et deux ou trois chaînes de télé-achat. Cela met-il en danger les chaînes ? Je n’en suis pas sûr.

En outre, apparaît le grand fantasme des cash-flows. J’adore les charts où l’on voit la capitalisation d’Orange à côté de celle de TF1 ou de M6. Je constate que les diffuseurs continuent à distribuer 65 % de leurs résultats en dividendes à leurs actionnaires. Donc, s’il y avait un problème de cash-flows, cela se saurait. Aussi, il n’est pas sensé de comparer des capitalisations boursières.

Ensuite, je ne suis pas d’accord avec le fait que les opéra-teurs ADSL aient un droit de vie ou de mort sur les chaînes.

Après, j’adhère à totalement aux propos de Jean-Michel Counillon quand il dit qu’il existe un modèle qui a fait beau-coup de bien à l’exception culturelle française, c’est-à-dire un oligopole. Il s’agit du marché qui convient le mieux à la télé-vision parce qu’elle vit mal en concurrence étant donné qu’il existe peu de droits et de talents. Ainsi, le téléspectateur qui était cantonné à quatre chaînes en a de plus en plus. Donc, quand il est libre, il est un peu moins présent sur les quatre grandes chaînes. Néanmoins, ce n’est pas dû aux opérateurs de télécoms. Ils n’ont rien volé. Il existe aussi une vérité qui est souvent ignorée : les opérateurs de télécoms contribuent très largement à la production. Ainsi, Free seul contribue plus à la production que toutes les chaînes TNT réunies au travers de la contribution au COSIP (Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels) - 12 millions d’euros en 2008 – au travers de ce que nous versons au titre du Code de la propriété intellectuelle ou au titre du droit de représentation – 14 millions d’euros en 2008 – et au travers de copies privées, car nous insérons des disques durs dans nos box – 4 millions d’euros par an.

Au-delà de tout cela, nous avons de très bonnes relations avec les chaînes puisque nous sommes le premier distribu-teur de Canal+ Aussi, un abonné Canal+ qu’il passe par Free ou par le satellite, supporte des quotas et finance le cinéma français. Donc, les abonnés issus de l’ADSL ne sont pas pires que les autres.

Je pense que cette opposition est un peu stérile ; en réa-lité, il existe une vraie complémentarité entre les télécoms et l’audiovisuel. Nous avons commencé à la développer au tra-vers de la distribution des chaînes. Ainsi, nous distribuons les chaînes de M6, les chaînes de TF1, les chaînes de Canal+ et les chaînes d’AB. Aussi, nous n’éditons rien et nous n’avons donc

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pas vocation à prendre la place de l’un ou de l’autre. Enfin, nous avons un rôle important à jouer afin de moderniser la té-lévision, car elle était uniquement un diffuseur jusqu’à présent. Les réseaux ADSL permettent de proposer des éléments plus modernes et plus à la demande au moyen de disques durs, du stockage local ou la voie de retour. Canal+ à la demande est un service qui fonctionne bien permettant de conserver les téléspectateurs qui, sinon, sont de moins en moins fana-tiques du prime time et des rendez-vous obligatoires. Donc, je pense qu’il existe une vraie complémentarité. Je ne dis pas cela pour me défausser et essayer d’échapper au débat visant à savoir si les opérateurs de télécoms prennent ou non la place des autres. Néanmoins, le fait qu’il y ait un gros acteur sur le marché pose tout de même des questions.

En réalité, il existe cinq principes qui sont probablement déjà applicables avec le droit commun de la concurrence. Le premier est de se dire que les opérateurs télécoms ont le de-voir de donner un accès équitable à toutes les chaînes et à tous les services en termes de distribution sous réserve des contraintes techniques et des capacités. Le deuxième principe est que tous les programmes doivent être accessibles sur tous les réseaux, soit à l’unité, soit au travers d’offres packagées. Ainsi, il nous paraît condamnable que la journée du samedi de Ligue 1 soit réservée aux abonnés souscrivant l’offre Triple Play d’Orange. Accepter un principe de ce genre ouvre la porte à des choses dangereuses. Le troisième principe est que la va-leur créée doit être partagée équitablement. Ainsi, Canal+ est présent partout, mais nous considérons que nous ne sommes pas assez rémunérés au titre de la distribution des produits. Il s’agit donc que les distributeurs soient rémunérés de façon convenable. Le quatrième principe nous paraît important étant donné que la loi l’a souvent oublié ces derniers temps : il faut un traitement équitable de tous les distributeurs. Enfin, le dernier principe est la lutte contre le piratage qui doit être envisagée dans le respect des libertés individuelles parce qu’il nous a paru, notamment au travers de la discussion des ac-cords dits Olivenne et dans la transposition au travers du projet de loi, que l’on s’éloignait de grands principes généraux du droit en donnant à des autorités indépendantes un pouvoir de sanction un peu disproportionné. Il ne faut pas oublier la notion d’offre légale.

Finalement, si l’on respecte ces cinq principes, aucun pro-blème n’existe entre les médias et les télécoms et de nouveaux textes ne sont pas nécessaires pour réglementer le secteur.

Merci.

Martin RogardDirecteur France, Dailymotion

Dailymotion - une société qui a moins de deux ans d’exis-tence - est honorée d’être présente ici aux côtés des « masto-dontes ». Nous sommes entre les deux secteurs. Nous sommes un hébergeur de contenus apportés par nos utilisateurs en direct ou par des éditeurs de différents types. Nous évoluons au milieu d’acteurs beaucoup plus importants que nous en

termes de taille ou de cash-flows. Il est vrai que la publicité sur Internet est un phénomène assez récent, mais nous sommes tout de même honorés de l’intérêt que nous portent certains acteurs présents aujourd’hui.

La question qui peut se poser est effectivement celle de l’exclusivité. Chez Dailymotion, nous n’avons pas la même position qu’un groupe comme Canal+, ce qui est tout à fait normal, dans la mesure où nous sommes présents sur le marché publicitaire et où nous ne sommes pas dans une logique d’abonnements. Sur Internet, concernant une offre gratuite, nous pensons que l’exclusivité n’est pas indispen-sable. Aujourd’hui, nous le démontrons tous les jours par le biais des nombreux accords que nous pouvons signer. Nous le démontrons d’abord par la liberté laissée aux internautes et donc, aux consommateurs d’apporter des contenus sur la plate-forme de leur choix et, évidemment, ils se retrouvent face à l’océan de toutes les plates-formes et de tous les sites Internet. Les utilisateurs peuvent aussi choisir à quel endroit ils déposent leurs contenus personnels. Ce principe se décline avec deux autres typologies de contenus présents sur notre plate-forme.

Premièrement, il s’agit des utilisateurs les plus créa-tifs de Dailymotion, que nous labélisons sous le vocable « MotionMakers ». Nous avons essayé de créer un programme dans lequel nous prenons un certain nombre de droits sup-plémentaires sur ces contenus. Evidemment, nous nous som-mes demandé si nous devions prendre des droits d’exclusivité. Notre analyse est que le modèle de l’exclusivité sur Internet est extrêmement difficile à faire respecter puisque l’on se re-trouve dans un univers mondial dépourvu de législations na-tionales. En outre, ce n’est pas le souhait du consommateur, la différence se fait par le service, par la qualité de notre of-fre ; il s’agit de ne pas frustrer l’internaute. Donc, le domaine d’une exclusivité par la frustration ne fonctionnerait pas. Ainsi, même lorsque nous prenons des droits supplémentaires et que nous sommes en droit d’exiger une contrepartie, nous faisons le choix, au contraire, d’une ouverture en essayant de garder ces utilisateurs par des mécanismes qui consistent en un meilleur service, la qualité en haute définition, la possibi-lité de faire travailler un certain nombre de ces utilisateurs qui nous apportent des vidéos.

Nous ne faisons donc pas le choix d’une exclusivité forte. Il s’agit également d’un élément que l’on retrouve dans le programme officiel de partenaires appelé official user. Dans ce cas, nous nous retrouvons avec des acteurs de différentes tailles qui profitent d’un coût de diffusion s’abaissant, deve-nant quasi nul, pour proposer leurs programmes à un public qui devient mondial. Aussi, les gros acteurs comme Viacom, Turner ou Warner ont une stratégie de syndication des conte-nus sur des plates-formes comme Dailymotion. Ce sont des producteurs qui n’ont aucun problème à trouver des accords avec des acteurs qui distribuent leurs contenus tels que des opérateurs directement Internet ou des services communau-taires ; leur objectif étant de maximiser la syndication et la circulation de ces contenus. Une politique d’intégration ver-ticale, via la valorisation exclusive de leur propre service ne

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Médias audiovisuels : contenu et concurrence

Atelier du 30 septembre 2008

leur paraît pas opportune, ce qui explique qu’il n’existe pas de crispation à notre égard.

Nous avons donc assez peu de difficultés à signer des ac-cords. Je l’explique par le fait que nous sommes un pure player et que sur la question de l’interactivité sur Internet, je crois que la façon de présenter le contenu fait la différence. Aujourd’hui, si on observe le succès d’une plate-forme comme Dailymotion à côté d’acteurs qui ont des contenus très premiums, c’est peut-être parce que la mise en scène, les fonctionnalités com-munautaires et le fait que nous plaçons résolument l’individu au centre de notre offre fait la différence.

Je pense que dans les prochains mois, les stratégies ver-ticales pourront être amenées à évoluer en France comme cela été le cas aux Etats-Unis. En effet, il y a deux ou trois ans, certains acteurs avaient cette même volonté de procéder à des intégrations verticales très fortes entre la production des contenus et leur diffusion sur Internet. Depuis peu, nous ob-servons que nous sommes beaucoup plus dans un modèle de syndication où l’on garde des droits. Effectivement, nous sommes intéressés par la remontée des recettes, mais nous pouvons les syndiquer sur les plates-formes les plus puissan-tes sur le marché Internet parce que, justement, elles ont une spécificité importante.

Je dirais tout de même un mot d’un acteur que nous avons oublié, même s’il a été évoqué par Laurent Benzoni : Google. Aujourd’hui, nous nous retrouvons face à des questions de concurrence étant donné que cet acteur contrôle 90 % du marché des moteurs de recherche sur Internet. Dailymotion est plutôt un acteur qui a un trafic naturel assez important, mais une part importante de son trafic provient des moteurs de recherche. Aussi, les portails de TF1 ou de M6, par exem-ple, doivent avoir un accès via les moteurs de recherche qui est encore plus important. Donc, celui qui contrôle la distribution dans ce cas est Google. Il présente aujourd’hui une position ultra dominante et il a la possibilité de jouer sur la distribution des contenus sur Internet. Ceci nous interpelle d’autant plus que c’est la première fois que Google s’inscrit dans un mar-ché qui présente une certaine forme d’intégration verticale. Google a donc intérêt à favoriser, en distribution, son service de vidéo YouTube. Nous sommes clairement dans un domaine où il y a une utilisation d’une position dominante pour favo-riser un service. Nous sommes, en tant que petite entreprise française, face à une situation difficile.

Par rapport à tout cela, nous avons plutôt tendance à nous dire que, dans ce paysage en pleine recomposition, il est assez sage d’attendre et de faire preuve de prudence avant de vou-loir à tout prix modifier les règles. Aujourd’hui, la réglementa-tion est bien faite et je ne demanderai pas de modifications, comme il est souvent d’usage dans ces colloques, mais plutôt que l’on nous laisse tranquilles, tout en appliquant, bien sûr, les règles existantes de la concurrence.

DébatKarine Blouët précise que des séries comme Kaamelott ou

Caméra Café sont extrêmement piratées. Ainsi, il a été constaté que chaque jour, des centaines d’extraits ou d’épisodes en in-tégralité se retrouvent sur Dailymotion en contenu piraté.

Par ailleurs, elle admet que les opérateurs de télécommu-nications sont moins intéressés par le fait de concurrencer l’achat de contenus avec les diffuseurs en clair, mais indique qu’il existe une tentation très forte du côté des producteurs d’offrir leurs contenus à des opérateurs de télécommunica-tions pendant la fenêtre de diffusion de M6.

Un intervenant se dit soulagé qu’il ait été question de Google à la fin de la présentation. Il lui semble qu’il s’agit d’un acteur central dans le débat. En effet, les coûts de diffu-sion sont loin d’être gratuits. Ils le sont pour Google, mais ce sont les opérateurs de réseaux qui les supportent. Pour lui, il existe un lien fort entre la diffusion des contenus et l’espèce de blanc-seing donné à Google et à d’autres entités comme Dailymotion afin de bénéficier de cet accès sachant que les consommateurs sont de plus en plus dans une logique de gratuité. Donc, les opérateurs de réseaux ne peuvent pas né-cessairement répercuter sur les consommateurs le prix de la construction du réseau.

ConclusionLouis Vogel

De nombreuses questions ont été posées, notamment dans les deux exposés introductifs, par le juriste et l’économiste. Un juriste ne peut pas se satisfaire de questions, car le droit est un art pratique et, en réalité, si l’on part de l’hypothèse qu’un problème de concurrence se pose, deux types de remèdes – esquissés par les participants aux débats - se dessinent.

Des remèdes très lourds ont notamment été évoqués par les représentants des deux régulateurs : les seuils anti-con-centration, ou la désintégration verticale, que l’on essaie de mettre en place aux Etats-Unis pour empêcher un opérateur dominant sur un marché de s’attaquer à un autre marché. Il s’agit donc de supprimer le pouvoir de levier à la base.

Il existe également des remèdes comportementaux. Là, j’ai été sensible à l’évocation de la situation tout à fait différente dans laquelle se trouve l’opérateur de télécoms lorsqu’il utilise l’exclusivité puisqu’il crée une sorte d’écosystème, ce qui fait penser aux marques distributeurs : le grand distributeur qui a sa propre marque ne la distribue que dans ses propres maga-sins et ne la donne pas à distribuer à tout le monde. Donc, je crois qu’il existe une grande différence de situation entre les opérateurs télécoms et les autres.

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Médias audiovisuels : contenu et concurrence

Atelier du 30 septembre 2008

Pour distinguer entre opérateurs, il existe une possibilité du point de vue juridique qui consisterait en une apprécia-tion différenciée des clauses d’exclusivité. Ce qui serait per-mis dans certains contextes de marché ne le serait pas dans d’autres. L’appréciation différenciée de la clause d’exclusivité est tout à fait traditionnelle dans la jurisprudence des auto-rités de contrôle. Une approche économique contextuelle permettrait de les autoriser dans certains cas, de les interdire dans d’autres.

La situation n’est donc pas absolument désespérée du point de vue juridique et il y a quelque chose à faire si l’on croit toutefois qu’il faut faire quelque chose.

Pour finir, je voudrais remercier les deux régulateurs et le bouquet d’opérateurs qui ont bien voulu nous faire part de leurs impressions et de leurs réactions.

Merci à tous.

Taux de pénétration des infrastructures de télévision numérique en France

Source : TERA Consultants d’après CSA, GfK, Médiamétrie

0%

5%

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mill

ions

d'e

uros

con

stan

ts (2

006)

recettes nettes des éditeurs

Rupture

Evolution des recettes nettes de publicité télévisuelle

Les investissements en télévision des 50 principaux annonceurs TV sont décroissants depuis 2002.Ils représentent 57% du total des investissements publicitaires en télévision en 2006 (contre 65% en 2002).

3382

+6% /an

0% /an

2836

(en euros constants)

Source : données UDA pour la période 2000-2006,1993-2000 : estimation TERA

13%

23%64%Hors

médias Autres médias

TV

20

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36

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Estimation des recettes de la télévision payante en France

Évolution des revenus d’abonnements (M€)

Source : données opérateurs

Évolution des revenus mensuels par abonné

La télévision payante compte 10,5 millions de foyers abonnés fin 2006, soit un taux de pénétration de 42 % des foyers TV, stable depuis 2002

(satellite 3,8 millions, câble 3,6 millions, C+ analogique 1,9 million, DSL 1,2 million).

+2% /an depuis 2000

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+5% /an depuis 2000

1

Recettes publicitaires&

redevance

Productiond’œuvres d’expression

française Revenus abonnements

premiums

3,8 milliardsd’euros

746 millions d’euros

1,5 milliard d’euros

301 millions d’euros

Œuvres EOF

Œuvres cinématographiques

=1 milliard d’euros en 2005

255 millions d’euros

792 millions d’euros

Financement des œuvres d’expression

originale française

(EOF)

TF1F2F3F5-

ARTEM6

C+

Depuis 2000, les chaînes analogiques diffusées en hertzien terrestre ont injecté dans l’industrie des programmes plus de 5 milliards d’euros contribuant ainsi à :

70% du financement des œuvres audiovisuelles d’expression originale française (EOF)45% du financement du cinéma (co-production et préachats)La série EOF passe voit son coût multiplié par 4 en 10 ans et le téléfilm par 5.

Le financement des œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises par les chaînes de télévision « historiques »

Obligations et prélèvements calculés sur le chiffre d’affaires des grandes chaînes ….– Obligation de commandes en matière audiovisuelle : 16% de l’année N-1– Obligation de commandes en matière cinématographique : 3,2% de l’année N-1– Taxe CNC : 5,5% du chiffre d’affaires

Le pouvoir de négociation des contenus « stars »L’exemple des droits de la ligue 1 de football en France

1 seul vendeur face à de multiples acheteurs cherchant à se différencier

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Mobile

Divers

L2

L1 magazines

L1 PPV/VOD

L1 rencontres

Mon

tent

des

dro

itsen

mill

ions

d’e

uros

Un univers « binaire » et relativement complémentaire

Marché aval de la TV payante

Marché intermédiaire

Marchés amont de droits

17 engagements29 engagements4 engagements

Abonnés TV payante

Distributeurs de TV payante

Éditeurs deTV payante

Détenteurs de droits

Marché aval de la publicité TV

Marchés amont de droits

Engagements structurels et comportementaux

Annonceurs Régies Publicitaires

Détenteurs de droits

Pas d’engagements

Pas d’engagements

Téléspectateurs

Éditeurs deTV en clair

Univers du payant

Univers du gratuit

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8 000 000

9 000 000

Puissance comparée en France des acteurs Internet et des chaînes de télévision « historiques »

Source : TERA Consultants d’après Médiamétrie, Xiti et Comscore

Autres TV

Ordonnée :- Chaînes nationales : nombre moyen de téléspectateurs en prime time (dernière semaine de sept. 2007)- Autres TV : nombre de téléspectateurs dans la journée (dernière semaine de septembre 2007)- Acteurs Internet : nombre quotidien d’utilisateurs (août 2007)

Acteur TV

Acteur Internet

Un exemple d’augmentation de puissance par le couplage cross-média

1

Cash-flows à fin 2006

Comparaison des « cash-flows » de grands groupes de télécommunications et de grands groupes de médias (2006)

14762 M€14762 M€

Groupe Vodafone

13863 M€13863 M€

Groupe France Télécom

9194 M€9194 M€

Groupe Telecom Italia

1217 M€1217 M€

Bouygues Télécom

2318 M€2318 M€ 1 673 M€1 673 M€ 787 M€787 M€ 323 M€323 M€

Groupe News Corp. Groupe Bertelsmann Lagardère Media Groupe TF1

14200 M€14200 M€

Groupe Deutsche Telekom

89 M€89 M€

Canal +

1 588 M€1 588 M€

Mediaset

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ELLes conséquences de la révolution du numériqueMultiplication des vecteurs de diffusion depuis 2003…

2005 - 20062005 - 2006

SatelliteSatellite

CâbleCâble

xDSLxDSL

TV analog. hertzienneTV analog. hertzienne

TNTTNT

Avant 2003Avant 2003

SatelliteSatellite

CâbleCâble

TV analog. hertzienneTV analog. hertzienne

2003 - 20052003 - 2005

SatelliteSatellite

CâbleCâble

xDSLxDSL

TV analog. hertzienneTV analog. hertzienne

DÉCEMBRE 2003

L'OPÉRATEUR « FREE » LANCE LA PREMIÈRE OFFRE MULTISERVICES (« TRIPLE PLAY ») A 30 € PAR MOIS,

SUIVIE PAR FRANCE TÉLÉCOM

DÉCEMBRE 2003

L'OPÉRATEUR « FREE » LANCE LA PREMIÈRE OFFRE MULTISERVICES (« TRIPLE PLAY ») A 30 € PAR MOIS,

SUIVIE PAR FRANCE TÉLÉCOM

A partir de 2009A partir de 2009

SatelliteSatellite

CâbleCâble

xDSLxDSL

TV analog. hertzienneTV analog. hertzienne

Fibre optiqueFibre optique

TV mobile 3GTV mobile 3G

TV mobileDVB-H

TV mobileDVB-H

TNTTNT

2006 - 20082006 - 2008

SatelliteSatellite

CâbleCâble

xDSLxDSL

TV analog. hertzienneTV analog. hertzienne

Fibre optiqueFibre optique

TV mobile 3GTV mobile 3G

TNTTNTG/P G/P G/P

G gratuitP payant

P P

P

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PPP

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PPPP

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G/P G/P G/P G/P G/P

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ELLes conséquences de la révolution du numérique… qui rencontrent un succès rapide (TV sur ADSL)

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2003 2004 2005 2006 2007

AutresSFR/Neuf CegetelOrange/France TélécomFree

3,44 M

1,8 M

0,6 M

0,2 M 0,01 M

Nombre d’abonnés à la télévision par ADSL,

par opérateur au 31 décembre

Source : Enders analysis

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ELLes conséquences de la révolution du numérique

10 millions de foyers français étaient équipés d’au moins un adaptateur TNT* à fin juin 2008 (soit 39% des foyers)

Source : Médiamétrie

Foyers équipés d'au moins un adaptateur TNT

885

8 955

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7 094

5 908

5 031

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3 167

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11 000

Oct-nov-déc 2005

Janv-fév-mars 2006

Avr-mai-juin 2006

Sept-oct2006

Nov-déc2006

Janv-mars2007

Juillet 2007 Octobre2007

Janvier2008

Janvier -Mars 2008

Avril - Juin2008

Nombre de foyers(en milliers)

39%

(*) – Ce chiffre comprend l’ensemble des foyers équipés d’un ou plusieurs adaptateurs intégrés à un poste de télévision ou avec un boîtier à raccorder au téléviseur, permettant de recevoir la télévision numérique terrestre. Les résultats du futur Observatoire de l’équipement des foyers seront inférieurs à ceux-ci dans la mesure où seuls les équipements effectivement raccordés à une antenne hertzienne seront comptabilisés. On estime à 6% le nombre de foyers disposant d’un adaptateur intégré mais recevant le télévision par un autre mode que l’hertzien (câble, satellite, ADSL).

… qui rencontrent un succès rapide (TNT gratuite)

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ELLes conséquences de la révolution du numérique

TV localenumérique TNT

TV localenumérique TNT

TV mobile personnelle(3G/DVB-H)

TV mobile personnelle(3G/DVB-H)

Jusqu’en 2005

Diffusion analogique

Chaîne payante

Depuis mars 2005

TNT

Chaînes payantes

11

22

TV haute définition numérique TNT

TV haute définition numérique TNT

de plus en plus de contenus disponibles

Contenus non linéaires

Contenus non linéaires

Vidéo à la demandeVidéo à la demande

Vidéo à la demande par abonnement

Vidéo à la demande par abonnement

Télévision de rattrapage

Télévision de rattrapage

Contenus générés par les utilisateursContenus générés par les utilisateurs

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ELLes conséquences de la révolution du numérique

FIXED TELEPFIXED TELEP

RÉSEAU TÉLÉPHONIQUE PUBLIC COMMUTÉ

RÉSEAU TÉLÉPHONIQUE PUBLIC COMMUTÉ RÉSEAU INTERNETRÉSEAU INTERNET

TVTV

RÉSEAU TERRESTRERÉSEAU TERRESTRE

RÉSEAUCÂBLÉ

RÉSEAUCÂBLÉ

RÉSEAU TÉLÉPHONIQUE

PUBLIC COMMUTÉ

RÉSEAU TÉLÉPHONIQUE

PUBLIC COMMUTÉRÉSEAU INTERNETRÉSEAU INTERNET

OFFRES CONVERGENTES + + OFFRES CONVERGENTES + +

RÉSEAU TERRESTRERÉSEAU TERRESTRE RÉSEAU CÂBLÉRÉSEAU CÂBLÉ

NUMÉRISATION ET UTILISATION DU PROTOCOLE IP

LES UTILISATEURS FINAUX DOIVENT SOUSCRIRE PLUSIEURS ABONNEMENTSLES UTILISATEURS FINAUX DOIVENT SOUSCRIRE PLUSIEURS ABONNEMENTS

LES UTILISATEURS FINAUX NE SOUSCRIVENT QU’UNE OFFRELES UTILISATEURS FINAUX NE SOUSCRIVENT QU’UNE OFFRE

OFFRES CONVERGENTES

OFFRES NON CONVERGENTES

Transformation du marché : les offres multiservices

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ELLes conséquences de la révolution du numérique

Intégration verticale des groupes de

médias

Distribution de services

Edition de services

Productionde contenus

Lancement d’offres

multiservices

Téléspectateurs

Réseau d’accès

haut débit

Droits du football

Production de contenus

Cinéma

Évolution de la chaîne de la valeur

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ELLa réaction des acteurs des médias

Les FAI accèdent à de nouveaux contenus (chaînes gratuites de la TNT) afin de les proposer « gratuitement » aux utilisateurs finaux

Les FAI accèdent à de nouveaux contenus (chaînes gratuites de la TNT) afin de les proposer « gratuitement » aux utilisateurs finaux

CONSÉQUENCES POUR LA TÉLÉVISION GRATUITE

Développement du multichaînes (avec la TNT) et concurrence de

nouveaux acteurs

Le contenu non linéaire devient de plus en plus populaire parmi

les utilisateurs finaux

CONSÉQUENCES POUR LA TÉLÉVISION GRATUITE

Développement du multichaînes (avec la TNT) et concurrence de

nouveaux acteurs

Le contenu non linéaire devient de plus en plus populaire parmi

les utilisateurs finaux

CONSÉQUENCES POUR LA TÉLÉVISION PAYANTE

Abonnement à Canal+ (premium) = 39 €

Offres multichaînes à partir de 20 €

vs. Triple play = 30 €

CONSÉQUENCES POUR LA TÉLÉVISION PAYANTE

Abonnement à Canal+ (premium) = 39 €

Offres multichaînes à partir de 20 €

vs. Triple play = 30 €

MENACE SUR LES REVENUS DE LA TÉLÉVISION TRADITIONNELLE (PUBLICITÉ ET ABONNEMENTS)

MENACE SUR LES REVENUS DE LA TÉLÉVISION TRADITIONNELLE (PUBLICITÉ ET ABONNEMENTS)

Les menaces

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ELLa réaction des acteurs des médiasConcentration : la fusion CANAL+ - TPS

ANNONCÉE : FIN 2005

EFFECTIVE : JANVIER 2007

FUSION

7M ABONNES

7M ABONNES FRANCE

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FRANCE

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ELLa réaction des autorités

FEU VERT POUR LES FUSIONS ET LES ACQUISITIONSFEU VERT POUR LES FUSIONS ET LES ACQUISITIONS

POUR LE CONTENU NON COUVERT PAR LE « DÉGROUPAGE » FEU VERT POUR LES EXCLUSIVITÉS ADSL ET EN CONSÉQUENCE

INCITATION POUR LES FAI À SE LANCER DANS L’ÉDITION DE CONTENUS

POUR LE CONTENU NON COUVERT PAR LE « DÉGROUPAGE » FEU VERT POUR LES EXCLUSIVITÉS ADSL ET EN CONSÉQUENCE

INCITATION POUR LES FAI À SE LANCER DANS L’ÉDITION DE CONTENUS

MISE À DISPOSITION DES DISTRIBUTEURS TIERS DE CERTAINES CHAÎNES DU GROUPE CANAL+ (« DÉGROUPAGE)

MISE À DISPOSITION DES DISTRIBUTEURS TIERS DE CERTAINES CHAÎNES DU GROUPE CANAL+ (« DÉGROUPAGE)

11

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AFIN DE RÉSOUDRE LES PROBLÈMES POTENTIELS, LE CSA A RECU UN POUVOIR DE RÈGLEMENT DES LITIGES ENTRE UNE CHAÎNE ET SON

DISTRIBUTEUR (ARTICLE 17-1 DE LA LOI DU 30 SEPTEMBRE 1986)

AFIN DE RÉSOUDRE LES PROBLÈMES POTENTIELS, LE CSA A RECU UN POUVOIR DE RÈGLEMENT DES LITIGES ENTRE UNE CHAÎNE ET SON

DISTRIBUTEUR (ARTICLE 17-1 DE LA LOI DU 30 SEPTEMBRE 1986)

Une tentative d’approche équilibrée

DEP – Pierre PETILLAULT, Didier GUILLOUX, Bernard CELLI – 20/10/2006Septembre 2008C

ON

SEIL

SU

PER

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DIO

VISU

ELLes conséquences sur les acteurs des médiasLe contrôle des contenus

CANAL+ CONTRÔLE LA PLUS GRANDE PARTIE DES

CONTENUS PREMIUMSOU À VALEUR AJOUTÉE

CANAL+ CONTRÔLE LA PLUS GRANDE PARTIE DES

CONTENUS PREMIUMSOU À VALEUR AJOUTÉE

SUR CES CONTENUS, LES FAI DOIVENT SE CONTENTER DU RÔLE

DE TRANSPORTEUR

SUR CES CONTENUS, LES FAI DOIVENT SE CONTENTER DU RÔLE

DE TRANSPORTEUR

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+ DR

OITS SU

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LES CO

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+ DR

OITS SU

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LES UTILISATEURS D’OFFRES MULTISERVICES ADSL DOIVENT

SOUSCRIRE 2 OFFRES DISTINCTES

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SOUSCRIRE 2 OFFRES DISTINCTES

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Premium channelsAttractive thematic

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OFFRE CANAL+ SUR ADSL

Chaînes premiumsChaînes thématiques

attractives

DEP – Pierre PETILLAULT, Didier GUILLOUX, Bernard CELLI – 20/10/2006Septembre 2008C

ON

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VISU

ELLa réaction des opérateurs télécom

UTILISER LES POSSIBILITÉS OFFERTES PAR LES DÉCISIONS DES

AUTORITÉS DE CONCURRENCE

UTILISER LES POSSIBILITÉS OFFERTES PAR LES DÉCISIONS DES

AUTORITÉS DE CONCURRENCE

AFFIRMATION DE LA FONCTION DE TRANSPORTEUR

(ACCORDS AVEC GROUPE CANAL+)

AFFIRMATION DE LA FONCTION DE TRANSPORTEUR

(ACCORDS AVEC GROUPE CANAL+)

REMONTER LA CHAÎNE DE LA VALEURREMONTER LA CHAÎNE DE LA VALEUR

Les stratégies actuelles des opérateurs telecom

“DÉGROUPAGE”“DÉGROUPAGE”

NON-EXCLUSIVITÉ DES CHAÎNES DE LA TNT

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