MEDECINE DE L’HOMME

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MEDECINE DE L’HOMME Revue du Centre Catholique des Médecins Français CCMF Nouvelle série N°10 - Mai 2013 Editorial Michel de Boucaud La psychothérapie institutionnelle : un regard humaniste sur la psychiatrie Georges Beligné Précarité et psychiatrie Maryse Lépée Le péril imminent dans le dispositif du 5 juillet 2011 deux ans après : quelle incidence sur les soins ? Mondoloni A., Alamowitch N., Vacheron MN Regard sur la psychiatrie au Liban Sami Richa et Michel Scheuer Tribune libre Motion contre la banalisation de la mort en Belgique Paul Deschepper Notes de lecture Les évolutions actuelles de la psychiatrie

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MEDECINE DE L’HOMMERevue du Centre Catholique des Médecins Français

CCMF Nouvelle série N°10 - Mai 2013

Editorial Michel de Boucaud La psychothérapie institutionnelle : un regard humaniste sur la psychiatrie

Georges BelignéPrécarité et psychiatrie Maryse Lépée

Le péril imminent dans le dispositif du 5 juillet 2011 deux ans après : quelle incidence sur les soins ? Mondoloni A., Alamowitch N., Vacheron MN

Regard sur la psychiatrie au Liban Sami Richa et Michel Scheuer

Tribune libre Motion contre la banalisation de la mort en Belgique Paul DeschepperNotes de lecture

Les évolut ions actuel les de la psychiatr ie

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CCMFCentre Catholique des Médecins Français

Conseil national du CCMF• Président : Dr. Bertrand Galichon (Paris)• Vice-président  : Pr. Christophe de Champs (Reims)• Secrétaire Général  : Dr. Stanislas Faivre d’Arcier (Paris)• Trésorier : Pr. Christian Brégeon (Angers)• Aumônier National : Père Jacques Faucher• Autres Membres  : Dr. François Blin (Saint Witz), Pr. Michel de Boucaud (Bordeaux), Dr. Françoise Gontard (Paris), Dr. Solange Grosbuis (Garches), Dr. Bernard Guillotin (Paris), Pr. Jean Michel Rémy (Garches), Dr. Dominique Yeme (Dijon).

Comité de Rédaction de Médecine de l’Homme

Directeur de la publication : Dr. Bertrand Galichon.Dr. Bernard Ars, Père Olivier de Dinechin, Dr. François Blin, M. Etienne de Blois, Pr. Michel de Boucaud, Pr. Christian Brégeon, Pr. Christophe de Champs, M. Philippe Cottard, M. David Doat, Père Jacques Faucher, Dr. Solange Grosbuis.

Historique✦Septembre 1884  : Le Dr. Le Bele, du Mans,

disciple de Claude Bernard, fonde la première association de médecins catholiques, sous le nom de « Société Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien ». Le Dr. Le Bele répond ainsi au désir d u P a p a L é o n X I I I , d a n s s o n encyclique « Humanum Genus » (20 avril 1884), demandant aux catholiques de s’unir contre le rationalisme et le matérialisme athées qui imprègnent la société. Par la suite, de nombreuses

associations sont créées en France et dans divers pays, mais leurs actions restent dispersées.

✦1907  : En France, une association nationale est créée. Des associations du même type voient le jour en Europe et à travers le monde ;

✦1924 : Le Dr. Octave Pasteau, de Paris, organise, avec l’approbation du Pape Pie XI, un Secrétariat central des sociétés nationales de médecins catholiques.

✦1930  : Les Congrès de Budapest (1930) et de Paris (1934) amorcent la formation de la FIAMC (Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques) qui sera officiellement créée en 1966 au Congrès de Manille. En 1962, au congrès de Lourdes, création de la FEAMC (Fédération Européenne des Associations de Médecins Catholiques).

✦20 Octobre 1963  : Les membres de «  la Société Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien » réunis en congrès à Nantes réorganisent leur association qui devient le CCMF (Centre Catholique des Médecins Français).

✦Après 1968  : La revue trimestrielle « Médecine de l’Homme  » est publiée jusqu’en 2001. Un bulletin trimestriel de liaison la «  Lettre de l’Espérance » vient la relayer.

✦En 2010, sous format électronique, ce bulletin est remplacé par la «  Lettre Saint Luc  » et la publication trimestrielle la revue « Médecine de l’Homme » est reprise. Le site «  ccmf.fr » outre l’accès à notre revue permet aux internautes d’accéder à une base de données, de connaître l ’ agenda du CCMF, de fa i re par t de manifestations qu’ils organisent et enfin d’adhérer au CCMF.

✦En 2011, le CCMF participe à la création de la Conférence Chrétienne des Associations de Professionnels Dans la Santé (CCADPS).

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SOMMAIRE

Editorial : Le protocole, de la contrainte de la règle au vivre ensemble Pr. Michel de Boucaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

La psychothérapie institutionnelle : un regard humaniste sur la psychiatrie Dr. Georges Beligné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Précarité et psychiatrie Maryse Lépée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Le péril imminent dans le dispositif du 5 juillet 2011 deux ans après : quelle incidence sur les soins ?

Mondoloni A., Alamowitch N., Vacheron MN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20

Regard sur la psychiatrie au Liban

Sami Richa et Michel Scheuer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29

Tribune libre : Motion contre la banalisation de la mort en Belgique Dr. Paul Deschepper . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Notes de lecture

B. Galichon et D. Doat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Elena Lassida, Le goût de l’autre Michel Maffesoli et Brice Perrier, L'homme postmoderne

Xavier Dijon, La raison du corps

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Les évolutions actuelles de la psychiatrie

Pr. Michel de Boucaud,

Les domaines de la Psychiatrie concernent de plus en plus les populations, les médecins et les professions de la santé et de l’éducation. En ce début du XXIème Siècle il est nécessaire et intéressant de regarder les différents champs de la Psychiatrie en considérant les principales caractéristiques des évolutions contemporaines et les différentes orientations théoriques et pratiques. Certes, il n’est pas possible de prendre en compte l’intégralité des secteurs d’une discipline qui s’accroit constamment. Mais à partir de la vision d’ensemble présenté en introduction M. Bourgeois nous pourrons mettre en évidence quelques évolutions actuelles.

Il s’agit d’abord de bien distinguer la Psychiatrie et la Psychopathologie qui est la discipline nous apportant les données d’une compréhension profonde et globale des troubles psychiques. Les relations sont étroites entre ces deux domaines, mais il est important de bien comprendre leurs différents niveaux.

La psychiatrie vit actuellement une très grande mutation en relation avec les évolutions antérieures de ces vingt dernières années. Certes les expressions cliniques des principaux troubles psychiatriques connus depuis longtemps ne se sont pas bouleversées. Mais l’ont constate à notre époque des évolutions syndromiques et des pathologies nouvelles en relation avec de nombreux facteurs d’ordre scientifique et sociétal. Les évolutions concernent de nombreux domaines : les secteurs institutionnels et organisationnels, la conception des nosographies, les approches méthodologiques, les différentes pratiques cliniques, les procédures des traitements psychopharmacologiques, les champs des psychothérapies des personnes et des couples, des enfants et des familles. Les grands progrès des sciences Biologiques et Génétiques, neurophysiologiques et neurologiques, avec toutes leurs applications dans les recherches et les explorations fonctionnelles ont apporté bien entendu des évolutions considérables dans les pratiques et dans les conceptualisations. Le développement des neurosciences, des domaines biologiques et des recherches cognitivistes ont apporté une certaine évolution de la compréhension des troubles mentaux. Les courants contemporains veulent développer la compréhension des relations entre les troubles psychiques et les phénomènes de société. Les temps actuels cherchent à bien connaître en profondeur les expressions et les enjeux des troubles de l’enfant. La pathologie de la petite enfance, et notamment l’autisme, font l’objet d’une grande attention. Et l’on parle volontiers à propos de la Pédopsychiatrie de multidiscipline et de polémique ! Les troubles de l’adolescent sont l’objet de très nombreuses études (violence, troubles alimentaires, psychopathologie du sport, etc.). Les cliniciens actuels se sentent bien concernés par les problématiques de l’enseignement et de la Famille, par les dynamiques de la transmission des affections psychiques tout au long des générations. Les addictions prennent une large place. La psychiatrie de l’adulte est très diversifiée selon des secteurs bien particuliers. Les cliniciens et les thérapeutes ont le souci d’actualiser une approche personnalisée où l’intersubjectivité est une dimension importante.

L’éclairage des neurosciences avec ses méthodes objectivantes est souvent sur le devant de la scène. Les approches quantitatives séduisent beaucoup les chercheurs et les

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cliniciens dans le souci d’une plus grande efficacité. Les interprétations scientifiques précises, dont l’intérêt est indéniable, prennent une très grande place dans les compréhensions psychiatriques et psychopathologiques. Et nous sommes là dans ces domaines au cœur même de la problématique actuelle de la psychiatrie qui génère comme on le sait des critiques, des contestations des conflits, voire des récriminations et des lamentations. Car dans une telle discipline qui doit prendre en compte le psychisme, le corps et l’esprit il s’agit de toujours considérer ces trois dimensions de l’homme, ce qui n’est pas évident actuellement dans beaucoup de domaines. Les interprétations segmentaires des troubles psychiques sont capables de mener au réductionnisme. Les approches méthodologiques scientifiques peuvent réduire la compréhension des troubles psychiatriques à des mécanismes segmentaires qui ne font comprendre qu’un aspect des problèmes. Certes ces positions ont été de tous les temps, mais l’importance des progrès actuels vient certainement accroitre ces difficultés. Il s’agit donc pour la Psychiatrie et pour les psychiatres de toujours considérer les troubles psychiques d’une façon globale et intégrée au sein même de la personnalité.

C’est précisément le rôle de la Psychopathologie de favoriser ces attitudes globalisantes et intégratrices. On distingue actuellement quatre grands courants psychopathologiques  : la psychopathologie génétique et du développement (l’enfant et l’adolescent), les différents courants psychanalytiques, la psychopathologie phénoménologique, et la psychopathologie psycho-structurale (P.Janet – Henri Ey, etc.). Nous avons vu actuellement s’individualiser des courants plus spécifiques concernant la compréhension des troubles et les thérapeutiques comme les conceptions systémiques et cognitivistes qui trouvent d’ailleurs leur place dans les quatre courants précisés ci-dessus. Mais dans toutes les situations, la référence à la personnalité est indispensable pour bien comprendre les troubles psychiatriques.

Mais c’est la conception de la personne qui est évidemment prépondérantes dans ses dimensions somatiques, psychiques et noétiques où la spiritualité a totalement sa place. Et nous n’avons pas dans cette publication à faire l’économie de cette question ! De ce point de vue, il nous faut affirmer clairement que la psychiatrie de la France a depuis longtemps des difficultés (en fait depuis deux siècles). La psychiatrie a en France un problème avec la spiritualité qui est en train d’évoluer depuis une vingtaine d’années. Les attitudes sont très diverses, allants de l’indifférence et du refus à l’opposition forcenée, de la conception d’une coupure entre le psychisme et toute la vie spirituelle, à une attitude neutre, bienveillante et réservée vis-à-vis de tout ce qui est considéré comme spirituel. Ces positions qui ont été longtemps dominantes sont plus fortes en France et dans les pays Latins. Les Nations germaniques et Anglo-saxonnes sont depuis longtemps plus ouvertes et plus tolérantes. Et ce n’est pas pour rien que les grands psychiatres spiritualistes comme L. Binswanger et V. Frankl ont pu développer leurs œuvres à partir d’un contexte culturel différent. Et la Psychiatrie Française bénéficie actuellement en ce début du XXIème siècle de la profondeur de ces courants dans la clinique et dans les psychothérapies. Le problème de la spiritualité dans la vie psychique avec toutes ses modalités, ses expressions et ses distorsions dans les troubles psychiques constitue évidemment une réalité considérable que nous ne ferons qu’évoquer et que nous ne traiterons pas dans ces numéros. L’essentiel est de bien considérer que la structure de la personnalité est constituée de trois dimensions essentielles qui concernent la Psychiatrie comme d’ailleurs toutes les disciplines de la Médecine, le CORPS, Le PSYCHISME et l’ESPRIT.

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Nous avons choisi d’aborder les champs de la psychiatrie en deux temps, dans deux numéros distincts. Nous partirons d’une présentation de la Psychiatrie française, dans son histoire, son évolution et son avenir. Nous aborderons quelques thèmes d’actualité : Les évolutions législatives de la Psychiatrie qui concernent le statut des patients. Les relations entre les situations de précarité qui s’accroissent et la psychiatrie. Et après un regard passionnant qui nous fera découvrir la situation de la Psychiatrie dans un pays cher à la France – Le Liban - nous commencerons à aborder les questions cliniques et thérapeutiques spécifiques en écoutant les accents de la Psychothérapie institutionnelle et de ses évolutions actuelles. Les thèmes concernant les addictions, les relations entre la Psychiatrie et les neurosciences, les problématiques de l’identité, le vécu de la spiritualité dans la souffrance psychique nous amèneront à continuer d’explorer quelques aspects de la complexité des champs psychiatriques car : « A COTE DE LA CONSCIENCE ET DE LA SCIENCE IL Y A LA VIE » (Henri BERGSON).

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La psychothérapie institutionnelle : un regard humaniste sur la psychiatrie

Dr. Georges Beligné Aujourd’hui, le malade mental fait peur car il dérange. Il est synonyme d’étrangeté, de bizarrerie, de pauvreté, d’incurie, de dangerosité, bref, de

communication impossible, d’aliénation. Il fait peur, inquiète et questionne l’humain,

lui-même aliéné dans son confort et ses pensées, aliénation en miroir qui ne s’interroge plus sur le sort de l’autre en souffrance.

L’aliénisme apparait au début du XIXème dans le but de prendre en charge les malades mentaux. Au fil du temps, cela deviendra la psychiatrie. Les patients, dont la

« pathologie se renforce du jeu des comportements induits par l’institution » (Henri EY),

sont moins l’objet de ségrégations, de mises sous dépendance. A l’enfermement et aux chaines du début fait suite une tentative d’ouverture puis une offre d’ouverture sur la

cité. Depuis Pinel jusqu’au secteur, la désaliénation progressive instaurée aux dix-neuvième

et vingtième siècles est un formidable éveil à la compréhension de la folie. L’apport de la

réflexion psychanalytique sur l’inconscient et l’apport de la pharmacologie servent de leviers à la prise en charge des patients atteints de pathologies psychiatriques graves et

invalidantes.En 1980, arrive en France le DSM III, première version traduite en français de la

classification des pathologies mentales. Il devient un outil de traitement du seul

symptôme, ayant une approche désubjectivisée du patient, ne permettant plus d’inscrire la personne dans son histoire et sa vie mais seulement dans les troubles présentés.

Définitions

Le terme « institution » désigne un type de liens ou de règles qui encadrent ces

liens. Les exemples les plus courants sont le mariage ou la république. Ici, il s’agit des liens entre deux groupes, l’un à vocation soignante et l’autre groupe nécessitant des

soins.

«  La thérapeutique institutionnelle consiste à articuler, dans une structure

sociale concrète, les techniques d’ambiance et les techniques psychothérapiques en un système global de soins psychiatriques. Cette articulation se réalise par le biais de

systèmes de médiation contrôlés médicalement entre l’ensemble du personnel de l’hôpital et l’ensemble des malades. » (Thérapeutique institutionnelle par J. AYME, Ph.

RAPPART et H. TORRUBIA in EMC 10-1964 37930 G 10 p.1)

Le modèle : Avant tout, voici les paroles d’un patient de la Clinique de la Chesnaie en

janvier 2013.

« La Clinique institutionnelle, c’est un état d’esprit. Le patient n’est pas un numéro ou un animal. Il s’agit d’être ensemble, de collectivité, d’entraide et cela se fait par les contrats (activités thérapeutiques) ».

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La psychothérapie institutionnelle est une conception des soins qui émerge

autour de la deuxième guerre mondiale avec le psychiatre espagnol François TOSQUELLES. Condamné à mort par Franco, il réussi à fuir l’Espagne et finit par

trouver refuge à l’hôpital psychiatrique de Saint Alban sur Limagnole, en Lozère. Après

avoir repassé ses études de médecine et sa spécialisation, il peut y exercer à nouveau le métier de psychiatre. La découverte de l’Asile avec des patients attachés, au moment des

restrictions de la seconde guerre mondiale, le pousse à libérer les malades de leurs entraves et de leur donner la possibilité de devenir co-acteurs de leurs traitements et de

leur guérison avec la reconstruction de liens en participant à la gestion de la vie

quotidienne avec les soignants et des maquisards présents dans l’hôpital. La présence de ces maquisards est importante car il y a un tiers qui entre dans l’institution. Ce tiers n’est

pas soignant de formation mais sa participation, son avis et sa présence apportent un regard et une parole qui touchent et qui soignent les patients et l’institution.

Le modèle de la psychothérapie institutionnelle est la base de ce qui donnera naissance au principe de la sectorisation née dans les années 1960. Au sein du secteur

public, dans une zone géographique définie, le secteur est un lieu d’hospitalisation auxquelles sont associées des structures d’accueil extérieures, comme des centres

médico-psychologique ou des hôpitaux de jour.

Le patient est au centre d’une prise en charge qui se veut complète et bénéficie d’une équipe soignante et de structures existantes à son service. Cela crée une

constellation transférentielle sur laquelle il peut s’appuyer quelque soit son état clinique, tout au long de son trajet.

Qu’il soit hospitalisé ou à l’extérieur, il s’agit de la même constellation au

quotidien. C’est la partie essentielle des soins, cette mise à disposition, pour les patients, d’institutions qui soient solides et souples. Les équipes doivent donc travailler sans cesse

sur ces réflexions et sur leurs qualités d’accueil. C’est pour cela que de nombreux dispositifs de parole sont proposés dans l’institution afin que l’apparente liberté dont

dispose le patient soit contenue et gérée de manière adaptée, avec un rapport à la parole

qui va bien au-delà des protocoles actuels.La dimension administrative de l’institution doit aussi faire l’objet d’un travail. On doit

faire en sorte que l’autorité ne soit pas uniquement verticale mais que chaque soignant ait la possibilité d’être un espace d’accueil pour chaque patient, que chaque patient

puisse trouver une position de sujet, que chaque soignant ait une réelle valeur d’objet

d’accueil où le patient pourra intégrer ses qualités personnelles dans un échange transférentiel de qualité.

Le patient doit être acteur de ses soins, au cœur de sa problématique. Nous tentons de lui greffer du désir, de le sortir de cette aliénation interne qu’est

l’apragmatisme, situation qui revient à une absence totale de symptôme. Le patient ne

fait plus de bruit vers l’extérieur, cela doit inquiéter le soignant. Nous espérons redonner du lien, de la cohérence, éviter qu’une amélioration soit synonyme d’enracinement dans

l’institution, enracinement qui serait le signe d’une démission du patient face à l’extérieur.

Les principes de la psychothérapie institutionnelle :

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La psychiatrie est tout d’abord un espace de rencontre, une rencontre entre

des soignants et des patients, une rencontre entre des êtres vivants. Le symptôme, appel

à l’autre, est une demande de rencontre. Le supprimer, c’est l’entendre mais le nier, car pensé comme dérangeant. Pour qui ?

N’apporter pour seule réponse au symptôme que du biologique, du normatif et du correctif, c’est oublier l’essence même de l’homme.

Il est de plus en plus courant d’observer que l’espoir posé de manière un peu exclusive

sur la psychiatrie biologique s’amenuise et fait place au doute. La volonté de ces dernières années de considérer l’exercice de la psychiatrie comme une discipline

scientifique est un leurre dont il faut se prémunir. Réduire la psychiatrie à la science médicale (neurobiologie, génétique, chimiothérapie) en excluant les approches

environnementales, psychologiques et sociologique, est hasardeuse pour une

considération de l’être humain souffrant.Il est fondamental d’aller chercher chez chaque personne sa partie saine et de traiter

avec.

Retenons donc que la psychothérapie institutionnelle est une question

d’hospitalité. Elle a été pensée à l’origine pour la prise en charge des patients psychotiques. Elle se veut lieu d’accueil, d’hospitalité, aux grands malades du service

public. Ceci implique des séjours longs en temps plein, et des soins qui se poursuivent au

delà de l’hospitalisation temps plein.On y accueille des personnes en errance psychique, au corps abimé, privées de relations

au monde, enfermées dans ses conflits internes et protégées par le délire et l’aliénation. Il y a dans cette hospitalité une manière assez radicale mais nécessaire de traiter

l’accueil des patients par la mise à distance d’un environnement affectif éprouvé quand il est en souffrance et en échec.

Car l’enjeu majeur est la lutte contre les aliénations dans toutes leurs

formes et origines possibles  : les aliénations par les idées comme le racisme ou la xénophobie, par le rejet de l’autre, la peur des fous, l’enfermement physique mais aussi

moral, sociétal, le discours sécuritaire et normatif actuel.

Mais l’institution est aussi aliénante. Ce qui caractérise la psychothérapie institutionnelle, c’est la fonction de sujet accordée aux patients et aux soignants de

l’institution. C‘est autour de cette fonction de sujet que va se générer ce qui est désaliénant. Les soignants doivent être en permanence à l’écoute de leurs positions,

attitudes et contre transfert pour que le soigné ne soit touché que partiellement par la

position aliénante de l’institution. Le maintien permanent du cadre et des limites attaque la position aliénante de l’institution. Ceci est nécessaire pour que le patient

puisse quitter le lieu.L’institution est un lieu d’accueil de long séjour mais pas un lieu de vie sans limite au

risque de voir des patients s’enraciner, se sédimenter.

La guérison ou la stabilisation d’un symptôme est possible par la chimiothérapie

et par la prise en charge contenante en milieu spécialisé. Le principe de la psychothérapie, centré autour de l’échange de la parole, est institué comme le

traitement fondamental qui peut apporter de réels bouleversements dans l’évolution

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d’un processus déstructurant et destructeur de la personnalité et de la pensée. Plus le

processus est attaquant, plus il nécessite de temps et de personnes, par le biais d’une

institution, pour que le patient puisse évoluer sur un temps suffisamment long, émaillé de rechutes et de positions dépressives, de décompensations et de petites victoires de

resocialisation.Les participations du patient à la gestion de sa vie quotidienne et à sa psychothérapie ne

se font qu’à l’aide de la parole. La parole permet de recréer des interactions sociales.

Le travail de questionnement permanent des soignants, les espaces de parole, les réunions pluriquotidiennes, la vigilance permanente sur les patients en milieu ouvert

sont autant d’outils où la parole est sollicitée et mise en jeu pour aider le patient à récupérer son histoire.

En parallèle des soins dans l’institution, il apparaît important que les patients sortent sur la cité afin de maintenir le contact avec la vie du « dehors ». C’est ainsi que

nait la notion de club thérapeutique. Le club organise des rencontres culturelles dans

l’institution, des voyages, une mise en relation avec l’extérieur pour que le patient ne s’enferme pas, qu’il fasse des liens, qu’il se souvienne. Le club aide également, en

collaboration avec l’hôpital de jour, à la réinsertion de patients dans des appartements associatifs.

La psychothérapie institutionnelle montre que si le patient est intégré dans un tissu

social, il peut s’améliorer plus facilement. S’il peut participer à sa propre prise en charge, cela donne des effets bénéfiques sur l’institution.

L’institution est un lieu ouvert, sans murs sur l’extérieur ni clés. Ce lieu n’a pas

de limites géographiques. Ce sont les habitants (patients et soignants) qui en délimitent

les contours, qui les constituent à la condition qu’ils se « causent », qu’ils fassent cause commune. Bien entendu, ne peuvent rester dans ces institutions ouvertes que ceux qui

acceptent cette règle des limites. La position tierce citée au début permet de sans cesse retravailler le cadre et

de remettre en question le fonctionnement de l’institution. Les tiers sont aussi bien les

jardiniers ou hommes d’entretiens de l’institution que des intervenants extérieurs professionnels ou non.

L’évolution actuelle : De la même manière que les enfants apprennent aux parents à l’être, la

confrontation aux patients nous apprend à devenir soignants. Il y a actuellement une évolution de la société mais aussi de certaines

pathologies. Les troubles schizophréniques existent toujours mais on observe en parallèle

de plus en plus de pathologies de type états limites, entre névrose et psychose où il semble exister un défaut de limites internes.

La CIM 10 et le DSM, les systèmes d’information médicale, la surinformation des patients, la volonté de transparence et de « coller un diagnostic à tout prix à tout le

monde » font aussi des dégâts en ancrant des symptômes de plus en plus tôt dans le réel,

comme la déclaration, sur une bouffée délirante, d’une entrée dans la psychose, dans la schizophrénie. Donner un tel diagnostic précoce, c’est l’inscrire dans la chair, c’est

aggraver les conflits entre le réel et l’imaginaire du patient. C’est aussi attaquer sa

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pensée, le culpabiliser, culpabiliser la famille. Dans ce monde étonnant pour lui de la

psychothérapie institutionnelle, nous pouvons lui donner le temps de se concevoir différemment, protégé de l’extérieur mais en lien total avec lui. Les patients qui arrivent à

redémarrer leur existence peuvent continuer leur chemin avec les moyens mis à

disposition par l’institution.

Il y a également de plus en plus de troubles secondaires psychiatriques liés aux produits toxiques (cannabis, alcool, cocaïne, héroïne, ecstasy). La plus forte

concentration de ces derniers, la banalisation et leur prise de plus en plus précoce comme

anxiolytique par des jeunes en difficulté psychosociale modifient le travail et la prise en charge des équipes soignantes.

Conclusion : Il s’agit d’articuler un certain savoir et la réalité de l’expérience que l’on acquiert.

Ce qui fait cette force de l’institutionnel, c’est la capacité de relier les gens dans ce qu’ils mettent en acte et dans leur capacité à réfléchir à leurs actes conscients et inconscients,

dans la réalité de la relation transférentielle.

L’institution favorise un travail en commun entre soignants et soignés. Il y a une

continuité qui s’établit dans la vie du patient entre l’institution et l’extérieur, entre les représentants de l’institution, lui-même et l’extérieur. Cette continuité est fondamentale

car elle permet de rouvrir des espaces de représentation psychique, de verbalisation de ce

qui se passe à l’intérieur du patient et qui est caché dans le mutisme ou derrière le délire. Cette capacité à mettre des mots sur ce qui se vit est fondamentale car elle redonne au

patient la dignité d’une personne habitée par les mêmes sentiments et les mêmes espoirs que tout un chacun.

Le délire et l’aliénation peuvent, au même titre que le travail, régler les conflits internes

des patients sur les différentes scènes de l’institution. Ce qui est visé en fin de compte, c’est la capacité à se réinsérer au plan social, donc la capacité à reprendre un travail.

L’institution, comme le patient, a besoin de temps pour construire quelque chose

qui permettra qu’émerge un changement. Comme dans une famille, l’institution est

souvent le lieu de la répétition du jeu transférentiel familial. Sans le temps nécessaire à la compréhension et à la construction des bases qui donneront au patient le désir de se

soigner, rien ne pourra évoluer. On voit bien que le patient est au cœur d’un processus soignant où il est lui

même son propre but, et que ceci ne peut se faire sans qu’il soit en lien et s’appuie sur une

constellation qui lui permet de sortir de son aliénation.

Ce but est différent pour chaque patient et chaque patient pourra y prendre peu à peu ce qu’il peut. La position des soignants est aussi d’accepter l’inégalité entre les

soignés, l’imperfection des soins et des prises en charge en fonction des résistances. Il

s’agit toujours de rencontre et si la rencontre ne se fait pas, le collectif soignant doit toujours avoir à l’esprit une certaine humilité qui permettra d’orienter le patient vers une

autre structure ou de le laisser évoluer selon le vieil adage « Primum non nocere ».

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Précarité et psychiatrie

Maryse LépéePrésidente URIOPSS Ile de Franceet présidente de l’association « Aux captifs, la libération »

Si les personnes en situation de précarité ne présentent pas de pathologie qui leur sont propres, il n’en demeure pas moins qu’elles ont, en règle générale, un état de santé plus détérioré que l’ensemble de la population, qu’ils s’agissent de troubles somatiques ou psychiatriques. Ce phénomène est observé tant par les acteurs du social que du secteur sanitaire (psychiatrie notamment) dans les situations qu’ils rencontrent quotidiennement dans leurs établissements respectifs.

Pour les personnes en situation de précarité, la pauvreté est l’un des déterminants centraux de leur état de santé. Elle a de multiples conséquences  : diminution réelle de l’espérance de vie, hausse des taux de tabagisme et des taux de consommation d’alcool, risque accru de maladies infectieuses, surconsommation de médicaments…

Elle engendre également des effets sur l’état psychique des personnes avec une plus grande prévalence de la dépression, du suicide et des troubles du comportement.

Pour ces personnes en situation de précarité, l’accès aux soins est secondaire…il vient bien après l’expression de l’accès à la formation, à l’emploi, à l’hébergement ou au logement. La demande n’est pas exprimée la plupart du temps et ce sont les travailleurs sociaux – non formés à ces pratiques de santé – qui doivent détecter les besoins réels de chaque personne rencontrée dans la rue, accueillie et hébergée dans des structures sociales adaptées.

De ce fait, la santé des personnes en situation de précarité et d’exclusion sociale constitue un enjeu de santé publique dans une société où les inégalités sociales conduisent à des inégalités croissantes de santé. Cet enjeu sera essentiel à prendre en compte dans la prochaine loi de santé publique dans un pays dans lequel la pauvreté et la précarité augmentent très rapidement.

En effet, la publication récente le 21 janvier dernier du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale faisant suite à la conférence nationale de lutte contre la pauvreté des 10 et 11 décembre 2012, souligne à quel point la pauvreté augmente rapidement en France : elle concerne 14,1% de la population en 2010 soit une progression de 1,2 point en 8 ans.

Or – et c’est un vrai paradoxe – les deux politiques publiques de la santé et de la solidarité sont essentiellement « verticales ». Elles font l’objet de financements différents, l’une par l’assurance maladie, l’autre par l’Etat ; ce qui ne facilite pas les passerelles.

La récente loi « Hôpital – Patients – Santé – Territoires » du 21 juillet 2009, s’attache à développer la transversalité sur les territoires avec des parcours de santé entre les deux secteurs sanitaire (prévention, soins ambulatoires et hospitaliers) et médico-social…mais elle consacre «  brutalement  » la scission entre la santé qui relève de la compétence des Agences Régionales de Santé et la solidarité qui relève de la compétence institutionnelle des Directions Régionales et Départementales de la Solidarité et de la Cohésion Sociale.

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Et cependant, la prise en charge et l’accompagnement des personnes démunies qui présentent des troubles psychiatriques sont nécessairement globaux et transversaux.

C’est ce qui explique que (dans un contexte difficile) de plus en plus de professionnels de terrain développent des partenariats « astucieux » de nature transversale dans le cadre de nouveaux dispositifs au croisement du social et de la psychiatrie associant une prise en charge psychiatrique et sociale.

Tel est l’objet de cet article, qui va s’attacher tout en exposant la réalité du terrain, les contingences historiques, à dégager les pistes nouvelles d’évolution d’un partenariat en émergence entre précarité et psychiatrie au profit du bien commun et de l’intérêt particulier de chaque personne précaire confrontée à divers troubles psychiques ou psychiatriques sévères.

Quelques repères chiffrés pour situer l’importance des populations concernées

L’enquête Samenta, menée par l’observatoire du Samu social et l’INSERM, démontre que dans l’agglomération parisienne, le tiers des personnes sans chez soi et à la rue, présentent des troubles psychiatriques sévères (13,2% de troubles psychotiques, 12,2% de troubles anxieux et 6,5% de troubles psychiatriques sévères de l’humeur). Ces personnes sont régulièrement victimes de violences. Ces prévalences sont beaucoup plus élevées que dans la population générale. C’est ainsi que le rapport valorise le fait que le risque de rupture sociale pour les personnes atteintes de troubles psychotiques est dix fois plus important que dans la population générale.

Dans une publication datant de janvier 2011, l’INSEE estime à 133 000 le nombre de personnes sans domicile en France métropolitaine. Parmi elles, 33  000 dorment dans un lieu habituellement non prévu pour l’habitation – rue, abri de fortune – 66 000 sont accueillies dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale et 34 000 personnes dans des dispositifs d’hébergement financés par l’aide au logement temporaire.

De même, il est estimé que 18% des personnes incarcérées sont atteintes d’état dépressif majeur, 12% d’anxiété généralisée et 4% de schizophrénie nécessitant un traitement soit environ 4 fois plus qu’en population générale.

Par ailleurs, dans une récente enquête menée par l’InVS et la FNARS sur l’état de santé, l’accès aux droits et l’accès aux soins des personnes en situation de prostitution rencontrées sans les structures sociales et médico-sociales, il ressort que 26% des personnes enquêtées déclarent avoir ressenti un sentiment de déprime au cours des 12 derniers mois, et 32% un sentiment d’anxiété. Plus généralement, les pensées suicidaires sont beaucoup plus présentes chez les personnes en situation de prostitution enquêtées – 29% - qu’en population générale. Telles sont globalement l’ampleur et la diversité des populations concernées par notre thème de réflexion.

Il est indéniable de constater que problèmes sociaux, précarité et pathologie mentale et psychiatrie se conjuguent en se renforçant mutuellement. Les interactions entre précarité et psychiatrie sont réelles, complexes, elles ne font pas l’objet de consensus ni de connaissances scientifiques solides. C’est ainsi qu’en Ile de France, plus d’un tiers des personnes sans logement personnel déclare souffrir d’au moins une maladie chronique, dont environ 10% de maladies psychiques.

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Une situation de cloisonnement entre santé mentale, psychiatrie et souffrance psychique

La notion de santé mentale regroupe des situations diverses, pas toujours stables, parmi lesquelles les spécialistes distinguent les troubles mentaux caractérisés d’une part et la souffrance psychique d’autre part.

Les troubles mentaux font l’objet d’un diagnostic médical par un psychiatre. Leurs pathologies sont chroniques répétitives et nécessitent des soins adaptés au long cours.

L’apparition et le développement des problèmes de santé mentale sont à l’origine du concept de «  souffrance psychique  ». Selon le rapport Parquet de 2003, la souffrance psychique « produit une altération plus ou moins grave des compétences, du désir de vivre ensemble et nécessite une prise en charge en santé mentale. Elle ne se retrouve pas seulement chez les personnes en situation d’exclusion et de précarité, mais revêt chez elles une importance considérable car elle gêne leurs efforts de réinsertion dans la société ».

Ses modalités d’expression sont très variées et c’est l’accumulation de ces manifestations qui caractérise la souffrance psychique  : les états anxieux, la solitude affective, sociale et relationnelle, les conduites agressives d’évitement et de repli, la baisse de l’estime de soi, les conduites addictives de compensation, le déni de sa propre souffrance, les troubles dépressifs…

Les personnes concernées ne demandent pas, la plupart du temps, de soins adaptés. De ce fait, ce sont les professionnels de la psychiatrie et du social, les acteurs associatifs et publics qui sont demandeurs de prises en charge et de dispositifs adaptés pour ces publics – situation paradoxale !

Les pratiques des acteurs sont bouleversées dans ce schéma hors du commun. La psychiatrie tout d’abord, est amenée à élargir son champ d’intervention à la santé mentale et non plus seulement aux seules pathologies mentales. Elle doit être en capacité de devoir répondre à l’explosion d’une nouvelle demande de soin liée aux dépressions, aux nouvelles formes d’anxiété…alors que ses moyens ne cessent de diminuer. Inversement les travailleurs sociaux ne peuvent qu’être interpellés par des manifestations psychiatriques des publics qu’ils accompagnent  ! Ces difficultés psychiatriques entravent les projets de réinsertion sociale et l’orientation vers des structures d’hébergement.

Ces difficultés sur le terrain sont d’autant plus insupportables par les professionnels de la santé et de la solidarité que les partenariats entre les secteurs sanitaires, médico sociaux et sociaux ne sont pas suffisamment développés, notamment dans le champ de la santé mentale.

Pour résoudre ces difficultés, l’instauration de nouveaux modes de travail vers une approche transversale de parcours de santé ou parcours de vie est nécessaire. C’est la «  révolution tranquille  » qui attend l’ensemble des acteurs socio-sanitaires sur les territoires d’action pour les prochaines décennies, notamment dans le secteur de la santé mentale.

Mais comment expliquer une telle rigidité verticale des institutions et des acteurs socio-sanitaires, au regard des évolutions historiques ?

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Quelques repères historiques pour expliciter la verticalité entre les secteurs de la santé et de la solidarité

Joseph Wresinski a présenté en 1987 au Conseil Economique et Social son rapport sur la « grande pauvreté et précarité économique et sociale ». Ce rapport a rendu possible l’émergence d’une nouvelle conception des politiques de lutte contre la pauvreté, dont la loi de lutte contre les exclusions de 1998 reste l’un des principaux éléments. Un chapitre quatre très court – était dédié à la santé. Le fondateur d’ATD quart monde soulignait, à cette époque, de façon très innovante que «  l’inégalité en matière de santé selon le milieu social, se traduit jusque dans l’espérance de vie ».

Aussi, la loi de 1988, créant le RMI, puis la loi de lutte contre les exclusions de 1998 et surtout la mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle en 1999 se sont attachées à faciliter l’accès aux soins des personnes démunies. Le volet santé des programmes départementaux d’insertion en matière de RMI, la politique de la ville puis les programmes régionaux pour l’accès à la prévention et aux soins – PRAPS – sont venus conforter et développer cette nécessité de l’accès aux soins et aux droits des populations démunies.

Santé et social tentent de se rapprocher…de faire ensemble pour les plus démunis. Or, telle n’a été le sens de l’évolution de l’hôpital sur le plan législatif !...les 2 lois hospitalières de 1958 et 1970 et la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales consacrent le clivage et la séparation entre les deux domaines de la santé et du social.

La loi de lute contre les exclusions de 1998 en créant les permanences d’accès aux soins des plus démunis – PASS – a amorcé un réel changement de cycle. Toutefois, il faut attendre l’adoption de la loi du 2 janvier 2002 sur les institutions sociales et médico-sociales et la loi Hôpital – Patients – Santé – Territoires –HPST – du 2 juillet 2009 pour concrétiser l’émergence d’un rapprochement entre le sanitaire et le médico-social. Mais, dans le même temps en 2009, le secteur social est définitivement séparé de la santé avec la création dans le cadre de la révision générale des politiques publiques – RGPP – d’une part, des Agences Régionales de Santé – ARS – et d’autre part, des Directions Régionales de la Jeunesse, de la Solidarité et de la Cohésion Sociale –DRJSCS.

Dans ce contexte institutionnel où le cloisonnement et la verticalité caractérisent l’évolution des politiques publiques de la santé et de la solidarité depuis très longtemps, où les passerelles sont difficiles à mettre en place entre pratiques sanitaires, sociales et médico-sociales, il est facile de comprendre que les acteurs du social et de la psychiatrie peinent à se connaître, se reconnaître et se comprendre tant par l’absence de langage commun que de liens fonctionnels. Ils sont pourtant motivés par un objectif commun dans leurs actions quotidiennes  : faciliter la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques, tant dans leur accès aux soins que dans leur accompagnement social et leur hébergement.

Vers quels dispositifs vont-ils alors orienter leurs patients qui présentent ces caractéristiques essentielles de relever à la fois de la santé et du social ?

Les dispositifs «  classiques  » de prise en charge dans le social et la psychiatrie des personnes démunies atteintes de troubles psychiatriques

Dans le secteur du social, les personnes en difficultés sont hébergées la plupart du temps dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale – CHRS – Elles font

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l’objet d’un accompagnement social global porté par les travailleurs sociaux et qui fait l’objet d’un contrat individuel avec chaque personne accueillie. Cet accompagnement vise à les orienter vers le droit commun, en leur faisant acquérir ou retrouver une vraie dynamique d’autonomie en matière de formation, d’emploi, de logement…et de santé. La dimension du temps est essentielle dans ce parcours d’insertion, des ruptures sont fréquentes et les capacités de résilience de chacun sont différentes.

Sur ce sujet particulier de la santé, le centre d’hébergement s’attache à signer des conventions de partenariat avec le secteur de psychiatrie de proximité, le centre médico psychologique le plus proche ou l’équipe mobile psychiatrie-précarité la plus rapprochée, afin de faciliter la prise en charge des personnes qu’il accueille et qui sont atteintes de troubles psychiatriques.

Ces équipes mobiles, composées de psychiatres, d’infirmiers et de travailleurs sociaux, vont au devant des personnes en situation de précarité souffrant d’une pathologie psychiatrique ou d’une souffrance psychique, quelque soit le lieu où elles sont repérées. Elles soutiennent les intervenants sociaux des centres d’hébergement confrontés à des situations de « décompensation » ou plus simplement de vulnérabilité psychique, et qui sont insuffisamment formés.

Le «  faire ensemble  » des psychiatres, des personnels soignants et des personnels sociaux permet de décoder et d’analyser la demande et de mettre en œuvre les premières mesures d’écoute, de soutien et de soins.

Cette description parait simple et naturelle à mettre en place….telle n’est pas la réalité du terrain  ; tout d’abord parce que les travailleurs sociaux n’ont pas encore tous «  le reflexe santé » avant de démarrer un parcours d’insertion individuelle avec chaque personne accueillie, que les secteurs de psychiatrie sont surchargés et que la prise en charge de ces malades isolés et récalcitrants représente de réelles difficultés supplémentaires.

Mais de nouveaux dispositifs de prise en charge au croisement entre la psychiatrie et le social se mettent en place, ils sont innovants et pleins de promesses. Quels sont-ils précisément ?

Les dispositifs innovants dits «  passerelles  » de prise en charge entre le social et la psychiatrie des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

Les SAMSAH – PSY sont destinés plus particulièrement aux personnes atteintes d’un handicap psychique (Service d'Accompagnement Médico-social pour Adultes Handicapés psychiques). Ces structures ont pour vocation, dans le cadre d’un accompagnement médico-social adapté comportant des prestations de soins, de réaliser des missions d’intégration sociale et professionnelle. Ils définissent, mettent en œuvre et coordonnent l’ensemble des prestations socio-sanitaires (psychiatriques en l’occurrence) pour favoriser l’autonomie de chaque personne.

Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – CAARUD – et les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie – CSAPA – participent également à cette mission d’accompagnement social vers l’emploi et le logement tout en assurant une prise en charge à la fois médicale et psychologique.

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Les appartements de coordination thérapeutique – ACT – proposent un hébergement à titre temporaire pour toute personne en situation de fragilité psychologique et sociale, nécessitant des soins et un suivi médical pour des pathologies chroniques invalidantes (sida, hépatite, cancer, sclérose en plaque...).

Les lits halte soins santé – LHSS – offrent un hébergement, une prise en charge médicale (soins médicaux, paramédicaux et suivi thérapeutique), un accompagnement social et une éducation sanitaire.

Une expérimentation de 45 lits d’accueil médicalisé – LAM – est en cours, elle propose d’articuler pour des malades plus «  lourds » que ceux des LHSS des missions d’hébergement, d’accompagnement social et de suivi médical.

Des résidences accueil, sur le modèle de maison relais, sont destinées à l’accueil des personnes démunies souffrant d’un handicap psychique et suffisamment autonomes pour accéder à un logement privatif. Un suivi sanitaire est assuré par les services du secteur psychiatrique dans le cadre de partenariats formalisés – CMP – de proximité notamment.

Les ateliers santé ville – ASV – peuvent également, dans le cadre de la coordination des acteurs locaux autour de projets ou priorités de santé, prendre en charge le traitement de la souffrance psychique ou psychosociale des personnes démunies se trouvant en grandes difficultés.

Tels sont les dispositifs innovants en cours de montée en charge qui permettent dans une logique transversale, d’accompagner sur le plan social et sur celui de la maladie psychiatrique les personnes pauvres et démunies. Les professionnels sanitaires et sociaux font alors « alliance » pour faire ensemble au service des personnes pauvres, démunies et fragilisées par des troubles psychiques ou psychiatriques. Les deux logiques sanitaires et sociales se rejoignent dans une dynamique vertueuse consistant à « prendre soin » des personnes démunies.

Trois autres initiatives innovantes méritent d’être valorisées.

Il s’agit de l’expérience « un chez soi d’abord » qui se déroule en 3 ans 2011 – 2014 sur 4 sites  : Lille, Marseille, Toulouse et Paris. De quoi s’agit-il  ? Ce programme expérimental repose sur l’accès à un logement, aux soins et à un accompagnement socio-éducatif vis-à-vis de personnes sans abris venant de la rue, présentant des troubles psychiatriques de type schizophrénie ou bipolaires ou addictions. Ce programme reconnaît une place réelle aux usagers les mettant en situation de sous locataire de leur logement pour devenir ensuite locataire en titre. Il leur permet également de devenir acteur de leur santé par un processus de rétablissement. Sur chaque site expérimental, une équipe dédiée pluridisciplinaire de 14 professionnels s’assure du suivi du projet individualisé de chaque personne accueillie (100 par site expérimental) en allant vers chacune dans son logement et en l’accompagnant sur le plan social (insertion vers une formation, un emploi…) et sur le plan santé (accès à la prévention, aux droits, à l’éducation pour la santé…).

Ce programme expérimental sur 4 sites a pour objectif de mesurer ce qu’il apporte aux bénéficiaires comme réponses en terme de lutte contre les inégalités sociales et en matière de santé. Il inverse les logiques de soin et d’insertion, il priorise le logement comme premier outil d’insertion, il part du principe qu’il est plus facile de modifier les outils de prise en charge des publics démunis atteints de troubles psychiques que de

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vouloir modifier les bénéficiaires de prestations pour qu’ils s’adaptent aux outils méthodologiques.

Si cette expérience obtient des résultats favorables en 2014 – comme aux USA – Canada – Portugal ou Danemark – cette situation démontrera qu’il est impératif de revoir fondamentalement nos politiques de solidarité avec leurs pratiques cloisonnantes et morcelantes et que le temps est venu de mettre en place les nécessaires et indispensables articulations entre le sanitaire – psychiatrie – et le social.

Dans le même état d’esprit innovant, citons la création :- de groupements d’entraide mutuelle – GEM : ce sont des lieux conviviaux

d’accueil, d’échange, d’écoute sans être des centres de soins. Il s’agit d’aider les personnes atteintes de troubles psychiques à rétablir et renouer des liens sociaux.

- de conseils locaux en santé mentale – CLSM – dont l’objectif est de définir sur un territoire déterminé, les objectifs prioritaires d’un projet de santé mentale en associant les professionnels de la santé, les acteurs sociaux, les bailleurs sociaux et les usagers – dont les personnes démunies.

Eléments de conclusion

Telles sont les principales évolutions en cours dans les secteurs de la précarité et de la psychiatrie qui vont toutes dans le même sens  : décloisonner ces deux secteurs, les faire mieux travailler ensemble dans une dynamique territoriale de transversalité et de réels parcours de vie pour les malades démunis atteints de troubles psychiques ou psychiatriques.

Tel est l’objet dans chaque région du programme régional d’accès à la prévention et aux soins piloté par l’Agence Régionale de Santé.

Soyons vigilants à la mise en œuvre de ce programme, soyons acteurs de cette mise en œuvre qui consiste essentiellement à adapter l’ensemble du système de santé – psychiatrie notamment – aux réalités sociales de proximité qui constituent des obstacles réels d’accès aux soins pour les personnes démunies.

Soyons également vigilants pour la réalisation concrète au niveau des territoires des mesures de renforcement et de développement des « dispositifs passerelle » entre précarité et psychiatrie annoncées dans le cadre du plan quinquennal contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale du 21 janvier dernier.

Les pouvoirs publics ont été sensibilisés sur ces problèmes de verticalité entre les politiques publiques de la solidarité et de la psychiatrie, à nous professionnels de la santé et de la cohésion sociale à obtenir les résultats concrets correspondants pour améliorer la qualité de la prise en charge des personnes fragiles atteintes de troubles psychiatriques. Il en va de notre mission et de notre responsabilité citoyenne et professionnelle de faire évoluer la situation actuelle.

Soyez remerciés par avance pour votre mobilisation, à caractère solidaire et fraternel à l’égard des plus démunis de notre société.

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Bibliographie brève de l’auteur :

Maryse Lépée a toujours exercé sa carrière dans le domaine sanitaire et social en qualité notamment :

de directeur départemental de la DDASS de Seine St Denis de 1989 à 1994, de directeur régional de la DRASS de Picardie de 1999 à 2002 de directeur adjoint de l’ARH Ile de France de 2003 à 2007

En retraite depuis 2007, elle continue à s’investir dans le secteur de la santé et de la solidarité en présidant l’URIOPSS Ile de France qui rassemble l’ensemble du secteur associatif du sanitaire, du médico social et du social, et en présidant également l’association « Aux Captifs, la libération » qui accompagne à Paris les gens de la rue et les personnes en situation de prostitution. Elle co-anime aussi le groupe « santé – précarité » de la Fédération Nationale des Associations de Réinsertion Sociale – FNARS. Elle participe en qualité d’administratrice aux travaux du Conseil d’Administration du Secours Catholique.

Résumé :

Les intervenants sociaux et les professionnels soignants de la psychiatrie témoignent depuis longtemps de leurs difficultés respectives à accompagner les personnes en précarité souffrant de troubles psychiatriques. A l’origine de ces difficultés, il convient de citer la méconnaissance réciproque des publics, et le cloisonnement entre le secteur social et le domaine de la psychiatrie (absence de langage commun, peu de partenariats, financements différents…). Autant de difficultés que les acteurs sociaux et sanitaires ne peuvent résoudre seuls.

Mais heureusement, cette situation est en train de changer. Des dispositifs transversaux se mettent en place, des expérimentations sont en cours pour mieux articuler les acteurs sociaux et sanitaires…et ceci, dans le cadre d’un accompagnement socio-sanitaire, global et transversal – type parcours de vie – en faveur des publics précaires et pauvres, atteints de troubles psychiatriques.

Des évolutions favorables et positives qu’il faut savoir encourager, conforter et soutenir avec conviction.

Notes bibliographiques complémentaires :

Souffrance psychique des sans abri – vivre ou survivre – Dr Alain Mercuel – édition Odile Jacob

Précarité et Santé Mentale – repères et bonnes pratiques – FNARS – Maryse Lépée et Henri Peltier, co-présidents du groupe national d’appui « Santé » de la FNARS

Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale – plan gouvernemental du 21 janvier 2013

L’Etat du mal-logement en France – 18ème rapport annuel présenté le 2 février 2013 – Fondation de l’Abbé Pierre

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Le péril imminent dans le dispositif du 5 juillet 2011 deux ans après : quelle incidence sur les soins ?

Mondoloni A 1 ; Alamowitch N 2 ; Vacheron MN 3

1. Assistante spécialiste secteur 75G13 hôpital Sainte Anne Paris2. Directrice des affaires juridiques et des usagers, hôpital Sainte Anne Paris3. Praticien hospitalier, chef de service secteur 75G13 hôpital Sainte Anne Paris

Résumé de l’article.

Le dispositif du 5 juillet 2011 (loi n° 2011-803 du Code de la Santé Publique) a été voté dans l’urgence et a connu une application difficile dès l’été 2011, du fait de la jurisprudence tant nationale qu’Européenne. Fragile équilibre entre le respect des droits des patients et la contrainte aux soins, elle marque un tournant dans la prise en charge, en introduisant le contrôle systématique des hospitalisations complètes continues par le juge des libertés au quinzième jour dans le cadre d’un débat contradictoire, en créant les soins ambulatoires sous contrainte et en autorisant l’hospitalisation en péril imminent sans tiers. La maladie psychiatrique génère souvent un certain isolement, et ce malgré l’existence éventuelle d’une famille. Comment certaines mesures telles que le péril imminent (PI) peuvent-elles induire une modification des pratiques soignantes, induisant de nouveaux rapports avec le patient mais aussi l’entourage ?

Introduction : pourquoi un changement ?

La possibilité de donner des soins sans consentement est au centre de la pratique psychiatrique depuis que la maladie mentale a été individualisée (1). Trois lois, régissant l’hospitalisation sous contrainte de la personne malade mentale se sont succédées en France : la loi du 30 juin 1838, effective pendant plus d’un siècle et demi, la loi du 27 juin 1990 pour se conformer au contexte européen et qui devait être révisée au bout de 5 ans, et la loi du 5 juillet 2011. La loi du 5 juillet 2011 « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », a été applicable à partir du 23 juillet 2011.

La refonte de la loi s’imposait du fait de la pression de la jurisprudence européenne qui impose le principe d’autonomie de la personne et de protection de ses libertés. Trois points essentiels posaient en effet problème  pour la Cour européenne des droits de l’homme : le délai de traitement des demandes de sortie immédiate ne devant pas excéder 15 jours  ; la nécessité d’information et l’obligation de recueillir les observations de la personne malade ou en cas d’impossibilité, le constat écrit de celle-ci  ; l’articulation des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif. Le Conseil constitutionnel a parallèlement déclaré, après deux questions prioritaires de constitutionnalité, en 2010 et 2011, une double inconstitutionnalité, pour l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et pour l’hospitalisation d’office (HO), afin de garantir la liberté d’aller et venir du patient (article 66 de la constitution) par l’intervention du Juge des libertés et de la détention (JLD) (2). Il a donné comme date d’inconstitutionnalité le 1er août 2011. Cette loi qui n’avait pu être révisée dans les 10 années qui avaient précédé, devait alors être adoptée et appliquée dans l’urgence, l’été 2011. L’évolution de la loi correspond certes au progrès des pratiques psychiatriques et à la nécessité d’une harmonisation légale mais elle

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intervient aussi dans un climat sécuritaire, à la suite d’évènements dramatiques mettant en cause des malades mentaux. Elle permet de lever des obstacles à l’accès aux soins, tente de garantir leur continuité et de permettre un suivi attentif des patients pour leur sécurité et pour celle des tiers tout en renforçant les droits des personnes malades.

Dans ce travail, nous rappelons brièvement le cadre du nouveau dispositif du 5 juillet 2011 et le programme de soins. Nous abordons les implications cliniques de la mesure très novatrice qu’est le péril imminent à partir de l’application de cette nouvelle mesure de placement sur les admissions à l’hôpital Sainte-Anne à Paris

I. Le cadre de la loi.

Le dispositif de juillet 2011 est construit autour de trois aspects novateurs :

- Le contrôle exercé par le juge des libertés au 15 ème jour d’hospitalisation complète continue et au sixième mois.

- La possibilité de proposer des soins ambulatoires sans consentement

- La possibilité d’hospitalisation sous contrainte sans tiers, dans le cadre du « péril imminent ».

Elle impose une collaboration nouvelle entre plusieurs acteurs  : le JLD au centre du nouveau système législatif, l’ARS et le directeur d’hôpital dont la responsabilité est renforcée (3). L’avocat est lui aussi dans une position nouvelle dans la mesure où il lui est demandé de défendre un client qui a besoin de soins en contrôlant la régularité formelle des décisions le concernant (4).

1. Les modalités d’hospitalisation complète continue sous contrainte.

Une hospitalisation sans consentement doit être envisagée uniquement quand le malade est dans un moment critique de sa maladie, avec l’échec de la contenance par son entourage. En effet le consentement du patient doit être recherché dans tous les cas, et l’hospitalisation libre privilégiée. Un enjeu vital est souvent présent, que ce soit dans un moment de crise suicidaire ou lors d’une décompensation psychotique. Le malade est cliniquement dans l’impossibilité de consentir. Le rédacteur des certificats doit garder en mémoire que les soins sans consentement ne sont admis que si l’on démontre l’incapacité du sujet à s’autodéterminer.

Deux modalités d’hospitalisation sans consentement sont prévues par la loi: - les soins psychiatriques à la demande d’un tiers (ex-HDT) qui peuvent être en mode « normal

» (deux certificats médicaux et une demande de tiers), en mode « péril imminent » sans tiers, ou en procédure d’urgence (un seul certificat médical et la demande du tiers) ; Ils se font sur décision du directeur de l’établissement (ASPDT)

- les soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat en cas de troubles mentaux nécessitant des soins et un comportement compromettant la sûreté des personnes ou une atteinte à l’ordre public, au vu d’un certificat médical initial (ASPRE).

Dans tous les cas, dans les 24 h un examen somatique doit être effectué et inscrit au dossier médical ; un certificat médical à 24 h et un à 72 h doivent être réalisés, ces deux derniers devant être effectués par des psychiatres distincts en cas d’admission en péril imminent ou en soins urgents.

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2. Les soins ambulatoires sous contrainte : le programme de soins.

Le dispositif du 5 juillet 2011 introduit une possibilité de soins ambulatoires sous contrainte après proposition par le psychiatre traitant d’un programme de soins comportant les modalités des soins (hôpital de jour, accueil à temps partiel, consultations, visites à domicile. . .) leur rythme et la modalité du traitement. Ce programme de soins est proposé au patient après la période d’observation d’hospitalisation complète continue de 72 heures, que l’hospitalisation soit complète continue à la demande d’un tiers ou à la demande du représentant de l’état. Ce programme doit être rédigé sans détails et surtout sans engagement non tenable par l’équipe d’accueil prenant la responsabilité de la prise en charge du patient. Un double du programme de soins qui mentionne l’adresse du patient doit lui être remis. Le programme de soins a comme finalité d’adapter la loi à l’évolution des soins et des thérapeutiques en psychiatrie, d’améliorer l’accès aux soins, et assurer leur continuité. Il s’agit d’un document informatif qui engage le soignant, le patient et son entourage, sans limitation de durée, ce qui peut poser problème dans la mesure où il n’y a pas contrôle systématique par le JLD alors qu’il s’agit pour le patient d’une restriction à la liberté d’aller et venir. Néanmoins le patient peut à tout moment formuler une requête auprès du JLD comme l’a précisé le conseil constitutionnel en avril 2012.

II. Le péril imminent

1. Le contexte du péril imminent.

L’absence récurrente de tiers faisait l’objet de remarques critiques constantes depuis le jugement du conseil d’Etat du 3 décembre 2003 en référence à une situation du centre hospitalier spécialisé de Caen, quand il était rappelé que seules les personnes ayant des relations antérieures à l’admission avec le malade pouvaient valablement rédiger la demande d’hospitalisation. Il était ainsi rappelé que la pratique visant à solliciter le directeur de garde de l’hôpital somatique n’avait plus lieu d’être, quand un tiers ne pouvait être retrouvé pour signer une HDT. Dans ce contexte, le détournement de l’HDT vers l’hospitalisation d’office avait été régulièrement dénoncé. Or la possibilité d’hospitaliser le patient sans tiers est fondamentale lorsque le psychiatre est confronté à la nécessité de donner des soins et de protéger une personne isolée, non consciente de ses troubles, et en péril imminent. Par ailleurs,

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cette mesure était très attendue par les associations de famille, certaines familles refusant de demander l’hospitalisation de leurs proches par crainte d’une détérioration des liens affectifs.

2. Définition juridique du tiers

Le tiers est un membre de la famille du malade ou une personne justifiant de l’existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins, et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci. Le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé qui répond à cette définition peut agir en qualité de tiers. Les personnels soignants exerçant dans l’établissement d’accueil ne peuvent pas agir comme tiers. La demande établie par le tiers comprend les noms, prénoms, profession, âge et domicile des personnes faisant l’objet de soins, ainsi que les mêmes pour celui qui la rédige (Article L 3212-11 1er et 3ème du Code de Santé Publique). Elle doit également préciser le degré de parenté ou la nature des relations existant entre elles avant la demande de soins (R 3212-1 3ème). Le tiers a le droit d’être informé de l’évolution de la mesure  (transformation en levée), d’une requête du patient auprès du Juge des Libertés et de la Détention (JLD), et de l’audience dans le cadre de la saisine systématique lors d’une hospitalisation complète continue de 15 jours. Il peut saisir le JLD. Il peut demander la levée de la mesure de soins psychiatriques, mais le directeur n’est pas dans l’obligation d’accepter si un certificat médical datant de moins de 24 heures atteste que l’arrêt des soins entraînerait un péril imminent pour la santé du patient.

3. Admission en soins psychiatriques en péril imminent, sans tiers

Pour qu’une personne fasse l’objet de soins sans consentement en péril imminent, deux conditions médicales doivent être simultanément réunies :

- Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement

- Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous une autre forme que l’hospitalisation complète (article L3212-1 du Code de la Santé Publique).

Pour que le directeur de l’établissement d’accueil prononce l’admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent, les deux conditions cumulatives suivantes doivent être réunies :

- L’impossibilité d’obtenir une demande de soins par un tiers

- L’existence d’un péril imminent pour la santé de la personne dûment constaté par un certificat médical établi par un médecin n’appartenant pas à l’établissement d’accueil, à la date d’admission.

Dans les 24 heures, le directeur informe sauf impossibilité, un membre de la famille de la personne qui fait l’objet de soins, la personne chargée de la protection juridique ou à défaut toute personne justifiant de l’existence de relations antérieures avec elle et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celle-ci. Cette recherche est fondamentale, dans la mesure où les soins sans consentement représentent une

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atteinte aux droits fondamentaux des patients, à savoir la privation de liberté. Cette personne, si elle est trouvée, ne devient pas un tiers pour autant, et s’il s’oppose à la mesure de soins, ne peut obtenir satisfaction que par la voie juridictionnelle. Nous l’avons dit, le directeur peut désormais s’opposer à la demande de levée de soins demandée par un tiers si l’arrêt des soins entraîne un péril imminent pour le malade.

4. La définition du péril imminent.

D’après la foire aux questions du ministère de la santé, dans sa mise à jour de janvier 2013, la définition de la notion de péril imminent émise par la Haute Autorité de Santé (HAS), dans ses recommandations pour la pratique clinique d’avril 2005 est toujours valable. L’ HAS précise que dans le cas de péril imminent, « le certificat doit faire apparaître les risque de péril imminent, c’est-à-dire l’immédiateté du danger pour la santé ou la vie du patient ». En d’autres termes il faut pouvoir mettre en évidence un risque grave à l’intégrité du malade.

5. Les conséquences cliniques.

a. Les données objectives

Nous exposons dans ce travail les données recueillies au sein de l’hôpital Sainte Anne à Paris où nous exerçons. Cet hôpital psychiatrique accueille les adultes des secteurs du 5-6-14-15-16ème arrondissement soit un bassin de population de 655 500 habitants et une capacité d’environ 700 lits de psychiatrie (intra et extra hospitaliers). Il accueille également des soins somatiques (médecine physiques et rééducation, neurologie, neurochirurgie, réanimation) et deux intersecteurs infanto-juvéniles. Il est marqué par une très forte implication dans la prise en charge de l’urgence avec la présence du CPOA et de 4 SAU (Cochin, Saint Joseph, Ambroise Paré, et l’hôpital Européen Georges Pompidou) dans lesquels les secteurs de psychiatrie sont très engagés. Enfin les secteurs sont caractérisés par des structures d’hospitalisation et des structures extra-hospitalières permettant d’éviter le recours à l’urgence et la rupture des soins avec des centres médico-psychologiques ouverts sur de larges amplitudes horaires, des hôpitaux de jour et centres d’accueil à temps partiel, des cliniques relais et des équipes mobiles intervenant sur les lieux de vie des patients.

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Les chiffres  : l’évolution du pourcentage des différents modes d’hospitalisation sous contrainte sur 3 ans à l’hôpital Sainte Anne à Paris (2010-2012)

Tableau 2 : hospitalisations totales au CHSA à Sainte Anne pour l’année 2012

b. Discussion.

Les chiffres ne concernent que Paris, ville où l’accès aux soins est sans doute plus aisé qu’en province, et sont sensiblement comparables à ceux de la région parisienne. Ils ne concernent que 18 mois d’application de la loi, avec l’année 2011 marquée par les premiers mois sous le régime de la loi de 1990 et les derniers mois sous le régime du

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dispositif de 2011. Le recul n’est donc pas suffisant pour effectuer une analyse précise et fine de la répercussion de la loi. On note cependant une augmentation globale des entrées sous contrainte dès 2012 (50 entrées de plus qu’en 2011, chiffre important pour le petit effectif de l’hôpital Sainte Anne en plein Paris, où l’accès aux soins est facilité). Cette augmentation n’était pas constatée en 2011 et laisse supposer que la loi est mieux connue et donc plus utilisée. Le nombre de certificats à produire comme le passage devant le JLD, ne diminuent pas les hospitalisations sous contrainte. Par ailleurs on peut se demander si l’hospitalisation sous contrainte n’est pas un moyen détourné de faciliter les admissions de patients à l’hôpital, parfois plus difficiles en service libre en raison d’un manque de lits.

On note une baisse des décisions préfectorales : 8% en 2012 versus 11% en 2011, celle-ci s’effectuant au profit des périls imminents. Les périls imminents ne concernent finalement au regard des chiffres qu’une faible partie des patients hospitalisés sans consentement, mais sont en hausse importante entre 2011 et 2012 (20%), cette augmentation des PI n’étant pas uniquement le fait de la baisse des mesures préfectorales mais reflétant aussi une meilleure connaissance de la loi. Cette progression est à suivre pour veiller au respect des conditions limitatives prévues par la loi. On peut donc supposer un report d’une partie des HDT sur le PI, avec hospitalisation rapide en psychiatrie via les urgences souvent surchargées et mal conçues pour accueillir des patients psychiatriques de façon prolongée, sans se donner les moyens d’une recherche de tiers, celle-ci devant être effectuée dans les 24 heures par le directeur. On peut également noter les PI par refus de la famille ou de l’entourage d’effectuer la demande de soins. Le nombre d’hospitalisations à la demande d’un tiers avec deux certificats est en nette diminution, ce qui est probablement dû au fait que le CPOA qui accueille la grande partie des patients n’est plus considéré comme extra-territorial depuis l’application du nouveau dispositif, beaucoup d’hospitalisations se faisant ainsi en soins urgents avec un certificat médical et une demande de tiers.

Peu de mesures de PI ont été levées par le juge. Deux l’ont été, car les curateurs n’avaient pas été avertis de l’hospitalisation des patients dans les 24 premières heures :

-­‐ L’une à Dijon au motif que le curateur de la personne hospitalisée n’avait pas été prévenu par le directeur de l’hospitalisation de la patiente dans les 24 heures ayant suivi son admission le 23/11/2012

-­‐ L’autre le 10/09/2012, par le TGI de Créteil, le curateur n’ayant pas été avisé de la procédure de contrôle, celle-ci étant dès lors irrégulière.

Certaines hospitalisations ont été levées à Sainte Anne avec passage en programme de soins mais non sur le motif du péril imminent.

Les avantages du PI.

Le PI présente un certain nombre d’avantages que les chiffres de notre échantillon sur l’hôpital Sainte Anne à Paris ne reflètent pas. Il permet l’accès aux soins des personnes isolées et désocialisées, des personnes en voyage pathologique, ou de situations où l'identité du patient reste inconnue, enfin celles où il est impossible d'identifier un proche ou un membre de la famille ou de savoir où le contacter (patient silencieux, absence de papiers, etc.). Cependant, tous les cas ne peuvent être envisagés ici, la rédaction de la loi

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visant justement à permettre de faire face à des situations particulières et imprévisibles pour éviter d'imposer une formalité impossible à respecter. Il évite ainsi un certain nombre d’hospitalisations à la demande du représentant de l’état davantage motivées pour raisons sociales et non sur des risque pour la sécurité des personnes, qui sont souvent plus stigmatisantes pour le patient, plus prolongées et parfois plus difficiles à lever. Il protège l’entourage dans certains cas, où le patient est réellement en nécessité d’hospitalisation du fait du risque d’atteinte à son intégrité mais avec une famille ambivalente ou hostile aux soins ou une famille désignée comme persécuteur.

Les inconvénients du PI.

• Le risque du PI est son utilisation abusive dans les services d’urgence afin de permettre une hospitalisation rapide, demandée par les séniors de médecine, sans procéder à une évaluation clinique fine du patient et de son environnement, et sans rechercher de tiers, la charge en incombant au directeur de l’hôpital. Cependant dans ce dernier cas, le tiers trouvé n’a alors aucune possibilité de demander la levée de la mesure en dehors de la voie juridictionnelle plus lourde. Enfin dans certains endroits, le risque est également de favoriser le soin sans consentement afin de «  forcer  » une

hospitalisation lorsque le manque de lits est important dans un hôpital et que seules les admissions sous contrainte sont possibles. Le fait que le juge des libertés et de la détention ait les compétences administratives depuis janvier 2013 risque de modifier ces pratiques dans la mesure où il exercera un contrôle de la privation de liberté du patient mais également la forme des placements.

• Le PI effectué alors qu’il existe un entourage mais que celui-ci refuse de demander les soins, peut fragiliser le travail d’élaboration autour de l’information sur la maladie, la nécessité des soins et d’un traitement, et l’importance de l’implication de l’entourage dans le projet de soins. Le psychiatre devient alors le seul responsable impliqué dans la décision des soins et de l’hospitalisation. L’alliance avec le patient risque d’être compromise, le discours pouvant rester centré du moins au début sur les droits des patients et leurs voies de recours. De plus la définition du péril imminent reste floue et à l’appréciation du médecin. On peut se demander en cas de litige, avec une famille qui refuse d’effectuer une demande placement et un passage à l’acte auto ou hétéroagressif par la suite, si celle-ci ne va pas se retourner contre le psychiatre en invoquant le péril imminent.

• Dans certains cas l’ASPRE est plus indiquée que le PI lorsqu’un persécuteur est désigné par le patient délirant ou lorsqu’il existe une réelle dangerosité vis-à-vis d’autrui. Le fait de pouvoir hospitaliser en PI et non en ASPRE risque de compliquer la prise en charge de ces patients pour lesquels le recours à un tiers symbolique, porteur d’autorité, a un sens et évite la confrontation trop directe avec le patient. En général le PI est préféré du fait de la lourdeur administrative des mesures préfectorales lorsque le patient présente une amélioration clinique et que l’on souhaite établir un programme de soins ou effectuer une levée de la mesure d’hospitalisation.

• Enfin dans certains situations de patients désocialisés, le PI peut favoriser l’accès aux soins mais non la continuité dans la mesure où il est nécessaire de

6. Circulaire DGS/SQ2/DH/DAS n 99-84 du 11 février 1999 relative à la mise en place de protocoles de prise en charge de la douleur aiguë par les équipes pluridisciplinaires médicales et soignantes des établissements de santé et institutions médico-sociales. (Texte non paru au Journal officiel)

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mentionner l’adresse du patient sur le programme de soins. Le patient désocialisé, sans domicile déterminé, ne peut pas rester à l’hôpital une fois la crise aigue passée. Il est toujours confronté à ses problèmes sociaux, notamment d’hébergement et risque de ne pas suivre les soins s’il n’est pas dans le cadre d’un programme de soins. La loi n’envisage pas la prise en charge sociale d’aval qui favorise la continuité des soins

Conclusion

Le dispositif du 5 juillet 2011 marque un tournant dans la pratique clinique de la psychiatrie, avec la nécessité d’une information précoce, la plus complète possible du patient mais adaptée à son état clinique. La prise en compte du respect des droits fondamentaux des patients était nécessaire, de même que l’harmonisation avec le droit européen. Certaines mesures sont conçues pour favoriser l’accès aux soins comme l’ASDT urgent et le péril imminent. Espérons que ces deux mesures ne soient pas détournées de leurs objectifs afin de favoriser une augmentation de soins contraints, et que les psychiatres restent dans une obligation de moyens et non de résultats.

Bibliographie

• Senon J-L, Voyer M. Modalités et impact de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2011 : de l’impérieuse nécessité de placer le patient au centre de nos préoccupations. Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.004

• Rome I. Liberté individuelle et soins sans consentement. Le contrôle systématique du juge instauré par la loi du 5 juillet 2011. Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.007

• Compain A. La place des Agences régionales de santé (ARS) dans l’application de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.008

• Danet J. La loi du 5 juillet 2011. Place et questionnement de l’avocat dans l’application de la loi. Ann Med Psychol (Paris) (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.003

• La réforme de la loi relative aux soins psychiatriques sur le site sante.gouv.fr : textes législatifs et juridiques et foire aux questions de janvier 2013

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Regard sur la psychiatrie au Liban

Sami Richa Chef de Service de Psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de Franceet Michel Scheuer

Vice-Recteur de l’Université Saint-Joseph

I. HISTORIQUE

Le Liban, pays modèle en matière de coexistence culturelle et religieuse, est un des pays le plus performants en matière de soins médicaux et de formation médicale dans le Proche-Orient. 168 hôpitaux (138 privés et 30 publics) de court et moyen séjour étaient recensés au Liban en 2006, selon le Syndicat des hôpitaux du Liban (1).Ils totalisent une capacité maximale de 15.422 lits.  Plus de la moitié (51%) de ces établissements hospitaliers se trouvent dans les régions du Mont-Liban et de Beyrouth (1).

L’histoire de la Psychiatrie libanaise se confond avec celle de deux hôpitaux, l’Hôpital d’Asfourieh et l’Hôpital Psychiatrique de la Croix.L’Hôpital de Asfourieh, fondé par un missionnaire protestant suisse en 1900, Théophilus WALDMEIER, fut le premier hôpital à admettre au Liban des malades mentaux (2).La première période de 1901 à 1936 reposait sur trois thérapies  : le sommeil (« the bed treatment  »), la tranquillité («  the isolating room  ») et l’hydrothérapie («  hydropathic treatment) en plus d’un office religieux le samedi. Les malades venaient de toutes les régions, non seulement du Liban mais aussi d’Alep, de Damas, de Homs, de Bagdad, de Jérusalem, de Jaffa et de Naplouse (2).La deuxième période avec des traitements spécifiques s’étala de 1937 à 1960. Les malades bénéficiaient dès lors d’une plus grande médicalisation de leurs soins (thérapeutiques de choc et psychopharmacologie) et l’hôpital agrandi avait déjà une collaboration avec la Faculté de Médecine de l’Université Américaine de Beyrouth. Toutefois, pour des considérations multiples, l’hôpital ferma ses portes en 1982 (2).

L’Hôpital Psychiatrique de la Croix a été fondé en 1919 par un moine capucin libanais, le «  Père Jacques » déclaré bienheureux par l’Eglise catholique en juin 2008  ; il l’a transformé en asile en 1937, et en hôpital psychiatrique en 1951(3).Doté de plus de 1000 lits, cet hôpital assure depuis des soins alliant électroconvulsivothérapie, psychopharmacologie, psychothérapies de tous genres, thérapies occupationnelles et art-thérapie.

Actuellement, le pays compte deux hôpitaux classés comme hôpitaux psychiatriques  : l’Hôpital Psychiatrique de la Croix (3), l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques du Moyen-Orient, situé au nord de Beyrouth, et qui comprend cinq grands pavillons d’hospitalisation ainsi que l’Hôpital Al Fanar dans le sud du pays (4).D’autre part, bon nombre d’hôpitaux généraux comportent des services de psychiatrie pouvant accueillir des patients pour différents types de prise en charge, entre autres l’Hôtel Dieu de France,  le Mount Lebanon Hospital, l’Hôpital St Charles, le Bellevue Medical Center, l’American University Hospital, l’Hôpital Serhal,  Ain Wa Zein Hospital et le St George Hospital (5). A noter que la quasi totalité de ces hôpitaux se trouvent dans la capitale et ses banlieues. Ces hôpitaux privés offrent une soixantaine de lits dans des services autonomes de psychiatrie. Une tendance à généraliser l’ouverture de services de psychiatrie dans les hôpitaux généraux est en train de prendre forme au Liban.

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1. Syndicate of Hospitals in Lebanon - www.syndicateofhospitals.org.lb

2. Les premières décennies de psychiatrie au Liban (1900-1960)Jean DUCRUET, Travaux et Jours, no74, automne 2004

3. www.hopitalpsychiatriquedelacroix.org.lb

4. www.iloubnan.info

5. Alcoologie au LibanDr Charline Hachem, Dr Sami RichaAlcoologie et Addictologie, 2011; 33(2):149-152

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Enfin, l’Asile Islamique des vieillards ou Dar Al Ajaza Al Islamia, fondé en 1954, comporte un ensemble de 800 lits dont une grande partie est consacrée à la Psychiatrie, en plus de différents services de Médecine et de Gériatrie (1).

II. LA FORMATION UNIVERSITAIRE EN PSYCHIATRIEAu Liban, il existe une cinquantaine de psychiatres, essentiellement concentrés sur Beyrouth et le Mont-Liban, inscrits à la Société Libanaise de Psychiatrie (SLP), soit pour une population de quatre millions d’habitants, 1,25 psychiatre/100.000 habitants. Toutefois, ce nombre se rapprocherait plutôt de la soixantaine, puisque certains psychiatres ne sont pas encore inscrits à la SLP.De plus, deux à trois nouveaux spécialistes s’inscrivent annuellement à l’Ordre Libanais des Médecins, complétant ainsi leur formation en psychiatrie.Pour cette dernière, il existe un programme de spécialité, le Comité d’enseignement post-doctoral de la Faculté de Médecine de l’Université Saint-Joseph, qui admet un ou deux nouveaux internes par an suite à un concours d’admission (6). Par ailleurs, certains internes suivent le programme de l’Arab Board de Psychiatrie à l’Asile Islamique des vieillards et d’autres sont formés à l’Université Américaine de Beyrouth, à l’Université de Balamand et à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, toutes les trois étant des universités privées, ainsi qu’à l’Université Libanaise, université de l’Etat libanais. Un ou deux spécialistes arrivent de l’étranger, essentiellement formés en France et aux Etats-Unis (6).

L’Université Saint-Joseph est une université privée francophone située à Beyrouth et fondée en 1875 par les Pères jésuites. Elle s’inscrit dans la tradition multiséculaire de la Compagnie de Jésus, née de la rencontre d’Ignace de Loyola avec quelques compagnons d’étude à l’Université de Paris. La passion d’Ignace et de ses compagnons : travailler pour la plus grande gloire de Dieu « ad maiorem Dei gloriam ». Et cette « gloire de Dieu » s’incarne notamment dans le service des souffrants, des malades, des accidentés de la vie. Depuis les débuts de la Compagnie de Jésus, sur tous les continents, des jésuites vont s’engager dans l’enseignement, la recherche et la pratique de la médecine, l’accompagnement des étudiants de médecine, l’action sociale auprès des malades et des mourants. Aujourd’hui, plusieurs centres universitaires jésuites de par le monde développent des programmes de recherche et d’enseignement en bioéthique médicale.

C’est ainsi que l’Université Saint-Joseph fut la première à former des psychiatres au Liban. Elle regroupe aujourd’hui 13 facultés, dont une faculté de médecine, une école et vingt-quatre instituts spécialisés. Elle compte environ 11000 étudiants  et 1500 enseignants. L’enseignement de la médecine, comme celui de la toute grande majorité des disciplines, s’y pratique en français (7).Son « Ecole  française » de médecine a été fondée en 1883 et est devenue dès 1888 une « faculté » de médecine ; elle fête donc en cette année 2013 ses 130 ans d’existence !Le programme de formation des internes en Psychiatrie à la Faculté de Médecine de l’Université Saint-Joseph est étalé sur cinq années de stage clinique, après les sept années de Médecine Générale.La première année est une année de passage dans différents services de Médecine et de Neurologie à l’Hôtel-Dieu de France, centre hospitalo-universitaire situé à Beyrouth. Dix-huit mois de stage se déroulent à l’Hôpital Psychiatrique de la Croix et dix-huit autres mois dans le nouveau service de Psychiatrie de l’Hôtel-Dieu de France  ; la dernière année est prestée en France à l’Hôpital Sainte-Anne ou en Belgique à l’Université Catholique de Louvain.

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6. La formation en psychiatrie au Liban - EditorialS. Richa, C. BaddouraL’Encéphale (2008) 34, 541—542

7. www.usj.edu.lb

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III. PRISE EN CHARGE FINANCIERE

La gestion de la maladie mentale au Liban reste principalement du ressort de l’individu. Les salariés du secteur privé (Caisse Nationale de Sécurité Sociale) et public (Mutuelle des fonctionnaires de l’Etat, grands Corps de l’Etat comme l’Armée et la Police) peuvent bénéficier d’une prise en charge dans les hôpitaux publics et privés ainsi que des remboursements de frais de consultation psychiatrique et non psychologique ainsi que de remboursements de médicaments. Toutefois, en dehors de ces tiers payants, les assurances privées ne couvrent ni hospitalisation psychiatrique, ni frais de consultation de psychiatres ou psychologues, ni remboursement de médicaments psychotropes.Cela créé forcément une médecine et des soins à deux vitesses au sein de laquelle les personnes défavorisées ne peuvent pas avoir accès à des soins performants.Le caractère libéral de la Médecine ne permet pas d’avoir un tableau précis des prestations médicales. Ainsi, les frais de consultation médicale varient d’un praticien à l’autre.

IV. MEDICAMENTSLes médicaments psychotropes prescrits au Liban sont ceux que l’on trouve sur le marché européen et américain, sans restriction aucune. Cependant, on ne trouve pas encore sur le marché libanais les médicaments de substitution aux opiacés ainsi que les médicaments de l’appétence à l’alcool. Des formes génériques ont pris forme au Liban avec plusieurs firmes libanaises qui commercialisent des génériques d’antidépresseurs et d’antipsychotiques.Les médicaments, surtout ceux des nouvelles générations, sont chers et onéreux. La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) Libanaise et la Mutuelle des fonctionnaires de l’Etat assure jusqu’à 80% de leur prix en remboursement aux patients. Quelques antipsychotiques très chers peuvent dans certains cas être délivrés gratuitement par le Ministère de la Santé, à condition de ne pas bénéficier de la CNSS ou de la Mutuelle des fonctionnaires de l’Etat.

V. DROITS DES MALADESLes lois actuellement en vigueur au Liban remontent aux temps des Ottomans. En 1983, la loi (ayant dans le temps pour titre «asiles de fous») a subi quelques modifications (8). Malgré cela, la législation est restée en retard par rapport aux autres pays.La loi portant sur «les soins, le traitement et la protection des malades mentaux», parue en 1983, a abordé l’aspect administratif des maladies psychiques et mentales, sans tenir compte des droits du malade (8). Il est nécessaire de créer des lois stipulant les droits du malade, la définition de l’hospitalisation volontaire, ainsi que la définition des cas d’hospitalisation et de la façon dont les malades doivent être traités. De même, il faudrait définir les cas nécessitant l’accord personnel du patient pour rentrer à l’hôpital et ceux qui nécessitent l’intervention du tuteur.Une loi moderne énumérant de façon précise les cas nécessitant l’approbation du malade, les modes de traitement, ses droits, les procédures d’hospitalisation obligatoire et les soins exceptionnels est soumise au Parlement libanais depuis deux ans et attend d’être promulguée.

VI. PSYCHOLOGUES ET INFIRMIERSLes psychologues au Liban assurent divers systèmes de psychothérapies, de psychologie de liaison et de psychométrie. Leur nombre ainsi que les écoles de pensée auxquelles ils appartiennent sont inconnus vu l’absence de lois réglementant leur profession ainsi que l’absence d’adhésion obligatoire pour la pratique du métier à un Ordre ou à un Syndicat.

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8. Classeur de la législation libanaise. Collectif. Editions Halabi, Beyrouth, Liban

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Il n’existe pas de formation spécifique en soins infirmiers psychiatriques. La Faculté de Sciences Infirmières de l’Université Saint-Joseph (7) assure depuis deux ans un Diplôme d’Université étalé sur un an en Santé mentale pour les infirmiers destinés à des services de Psychiatrie. Toutefois, la plupart des infirmiers travaillant dans les services de psychiatrie sont diplômés de facultés ou d’instituts académiques ou techniques, sans avoir reçu de formation spécifique à la santé mentale.

VII. ETAT DE LA RECHERCHEVu l’absence de fonds publics et privés soutenant efficacement la recherche scientifique, et plus particulièrement médicale, la recherche en Psychiatrie manque de données de bases officielles. Cela a un impact énorme sur la politique de santé mentale pratiquement inexistante pour le pays.Par ailleurs, bon nombre d’équipes, surtout au sein des facultés de médecine, publient régulièrement leurs travaux au sein du seul journal scientifique libanais, le Journal Médical Libanais et dans des revues américaines et françaises. On peut considérer que le premier article scientifique libanais en Psychiatrie retrouvé sur Pubmed est « A survey of treated psychiatric illness in Lebanon » de Katchadourian H., publié en 1968 dans le British Journal of Psychiatry (9).

CONCLUSIONMalgré la présence de psychiatres francophones et anglophones, formés au Liban et à l’étranger (essentiellement en France et aux Etats-Unis), suivant de façon pionnière dans la région, les classifications internationales (DSM- IVTR et CIM10) et ayant à leur portée un arsenal thérapeutique de taille (psychopharmacologie de pointe, psychothérapies caractérisées et thérapies sociales et occupationnelles évoluées), la Psychiatrie libanaise souffre encore de problèmes majeurs que l’on peut résumer sur trois versants : absence de politique nationale de santé mentale, état embryonnaire de la recherche en Psychiatrie, accès aux soins à améliorer indubitablement tant en ce qui concerne les droits des malades qu’en ce qui concerne le niveau de prise en charge financières.

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9. A survey of treated psychiatric illness in Lebanon Katchadourian HBr J Psychiatry. 1968 Jan;114(506):21-9.

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MOTION CONTRE LA BANALISATION DE LA MORT EN BELGIQUE

par le Dr. Paul Deschepper, président d’honneur

Le 3 mars 2013,

La Société Médicale Belge de Saint Luc veut exprimer son point de vue concernant la

discussion au Sénat belge sur l'extension de la loi sur l'euthanasie envers les enfants et les personnes en état de démence.

La prédiction que la loi sur l'euthanasie du mois de mai 2002 nous amènerait sur une pente glissante quand on renonce au commandement "Tu ne tueras pas" se confirme: l'opinion publique et les

responsables politiques désirent une extension de la loi sur l'euthanasie pour les enfants et les personnes en état de démence. Les médias y collaborent activement.

Après dix ans d'application de la loi sur l'euthanasie, aucun cas n'a été retenu comme non conforme aux

exigences de la loi***, preuve d'une interprétation molle de cette loi.Ceci a été prouvé par surcroît en janvier 2013 par l'euthanasie des jumeaux sourds-muets Verbessem.

On a l'intention d'étendre les semaines prochaines cette loi vers les enfants et les personnes en état de démence. Allons-nous déraper vers des situations où un adolescent avec un diabète du type I trouve à un

certain moment que sa qualité de vie devient insuffisante et qu'il puisse demander une euthanasie?

On ne conçoit pas que l'autodétermination ne peut pas évoluer vers un déterminisme extrême de la personne !

La notion de qualité de vie est une notion extrêmement subjective. Il y a quelques mois, nous pouvions voir à la VRT (télévision flamande) comment des malades atteints de la maladie de Alzheimer s'amusaient

agréablement entre eux, pour eux la qualité de vie avait une toute autre expression.

Le fait qu'en Hollande (avec 16 millions d'habitants) nul cas d'euthanasie d'enfants n'a été signalé les deux dernières années, prouve que cette loi est inutile, on ne promulgue pas des lois pour de grandes exceptions !

Est-il inconcevable que nous ne puissions pas évoluer vers une situation dans l’esprit : « vous demandez, nous tournons ! »

Au nom de la Société Médicale belge de Saint Luc / Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas, vzw.

*** alors que celle-ci n'est pas respectée comme en témoigne le faible nombre de déclarations (inférieur à 50% d'après certaines études)

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Elena Lasida, Le goût de l’autre, la crise une chance pour un nouveau lien, Albin Michel, Paris 2012, 326 p.Le titre de ce livre vient dire notre vocation d’homme par delà notre économie matérielle. Elle rejoint ainsi Jean-Claude Guillebaud* qui veut nous faire entendre « le silence d’un monde nouveau qui naît malgré le fracas de la chute de celui dans lequel nous sommes ».

Elena Lasida est économiste d’origine uruguayenne, professeur à l’Institut Catholique de Paris. Elle nous propose dans ce livre une autre lecture de l’économie en nous invitant à prendre toute la mesure du symbole du matériel, de la monnaie de nos échanges. Ils doivent être pensés avant tout comme une alliance (rencontre de deux libertés) et non comme un contrat qui prend en compte avant tout le conflit potentiel (affrontement de deux désirs).

Son origine uruguayenne lui a permis de vivre l’expérience du manque, du vide, de l‘étranger et ainsi de se construire. Tout itinéraire est marqué par des cairns, des points de passage initiatiques qui viennent nous construire. Ce parcours dénués de ces repères devient une errance. B. Galichon* JC Guillebaud, « Une autre vie est possible », L’iconoclaste, Paris 2012, 214 p.

Michel Maffesoli et Brice Perrier, L'homme postmoderne, Ed Françoise Bourin Paris 2012« Bienvenue à Boboland », la « hype city », « la religiosité post-moderne » … voici des thématiques développées dans le livre par Michel Maffesoli membre de l'Institut universitaire de France et professeur à la Sorbonne directeur du Centre d'Etudes sur l'Actuel Quotidien (CEAQ). Compilation de textes de plusieurs chercheurs, ce livre fait une présentation synthétique des nouveaux comportements des individus et des groupes de la société actuelle dans laquelle l'émotionnel prend le pas sur  le rationel. Ils traduisent un changement « qui s'apparenterait à des moments de crise. Crises des valeurs morales , du politique, du système financier et économique, du savoir académique. Crise de l'identité du rapport à soi, aux autres et à l'Etat-nation  ».  Les auteurs observent la désaffection pour les structures traditionnelles que ce soit les partis politiques, les syndicats, les religions traditionnelles. Ils montrent que ces phénomènes que chacun d'entre nous a pu observer de façon ponctuelle sont régis par la même logique. L'homme post-moderne n'a plus l'intériorité structurante des individus des siècles précédents. Maintenant «  l'habit fait le moine  » l'individu s'accomplit dans le regard de l'autre, il «  s'éclate dans l'autre » son souhait est d'appartenir à la même tribu ayant un signe distinctif d'appartenance.

NOTES DE LECTURE

La note de lecture est une forme de compte rendu pour résumer les résultats d’une lecture, ainsi que l’œuvre lue. Il s’agit d’un résumé des concepts traités dans l’œuvre, des thèses développées par l’auteur ainsi qu’une analyse succincte. Elle peut être linéaire ou thématique.

Elle permet à celui qui la lit de se passer de la lecture de l’œuvre, et paradoxalement donne envie de lire le texte traité.

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Pour les auteurs, une des conséquences de cette évolution est l’inadéquation des réponses des politiciens et de l'Etat aux interrogations profondes des citoyens. Ils soulignent le décalage entre le discours officiel qui s'adresse à l'homme moderne et qui n'atteint pas l'homme postmoderne. L'homme moderne trouvait son idéal dans le progrès technique, dans celui de l'entreprise, avec parfois un sacrifice du bien-être présent en vue d'un futur meilleur. L'homme postmoderne ne se projette plus dans l'avenir et préfère, à l'incertitude des lendemains, un présent riche en sensations fortes, en fêtes..., une civilisation du ludique et du désir. Les hommes politiques qui l'ont pressenti communiquent sur un registre émotionnel. Les auteurs expliquent que l'évolution de la notion d'individu et l'effondrement des idéologies débouchent sur un néant générateur d'inquiétude et de violence.M. Maffesoli laisse cependant une interrogation sur les évolutions futures de la société. Pour lui l'homme postmoderne délaisse l'essentiel de ce qui avait structuré l'homme moderne, son prédécesseur.Ce livre sera instructif pour beaucoup par l'éclairage qu'il apporte sur des phénomènes sociologiques actuels dont beaucoup d'entre nous n'ont probablement qu'une connaissance partielle. L'annexe du livre est une présentation de l'insertion de la théorie du genre dans les manuels de sciences de la vie et de la terre des classes de premières L et ES. Sans poser la question du bien fondé de cette modification de programme, elle montre comment certains auteurs ont pris des orientations subjectives et variables selon les éditeurs de manuels. Ce livre est une source d'informations sur ce sujet pour ceux qui se préoccupent de l'éducation des jeunes et de la société qui en découlera.

Xavier Dijon, La raison du corps, Bruxelles, Bruylant, 2012, 404p.Comment comprendre la condition corporelle du sujet humain dans le champ juridique de la société occidentale contemporaine ?

Dans cet ouvrage structuré et solidement informé, paru en décembre 2012, Xavier Dijon, Professeur émérite de Droit et de Philosophie du droit de l’Université de Namur (Belgique), propose une synthèse critique à la fois historique et juridique, philosophique et théologique des évolutions de ces dernières décennies en matière de mœurs et de bioéthique dans nos sociétés occidentales. Analysant en détail le passage du régime de l’indisponibilité à la disposition des corps (1ère partie du livre), l’auteur y décèle une même dynamique de scission du rapport des sujets à leur condition corporelle et sociale, laquelle dynamique traverse la mutation des normes juridiques du mariage, de l’engendrement, du statut de l’embryon, de l’interruption de grossesse, de l’identité sexuelle, de l’euthanasie, etc.

Afin d’en saisir les ressorts, l’auteur met à jour au plan philosophique (2ème partie) les influences combinées du «  (néo)libéralisme  », du «  positivisme juridique » et du « scientisme » qui sous-tendent ces mutations dans le champ de la législation et des pratiques sociales. Pour notre philosophe du droit, c’est en effet sous l’action de ces influences que la structure des repères sociétaux classiques s’effrite depuis plusieurs décénies, rendant ainsi possible une instrumentalisation croissante des données corporelles et de l’état civil. Or, contrairement aux promesses néolibérales d’épanouissement individuel, ce processus se réaliserait au détriment du développement des personnes. Car tout réel épanouissement humain suppose, selon Xavier Dijon, une disposition d’accueil personnel et collectif de la fragilité du corps, de ses limites et de sa

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fonction relationnelle. Comme conditions pré-volontaires de l’interdépendance, de l’accompagnement (éducatif ou thérapeutique) et de la solidarité entre les humains (toutes caractéristiques qui rendent possible une société humaine), ces propriétés du corps humain ont en soi et avant tout contrat social leur raison d’être ou leur devoir-être pré-juridique. Aussi devraient-elles être respectées par le législateur qui y trouverait par ailleurs une fondation externe au droit pour l’institution et la justification des normes positives. Afin de justifier sa position, Dijon élabore positivement une philosophie concrète qui entend renouer les liens brisés des sujets à leur corps, à autrui et à la nature pour en souligner le contenu normatif. L’enjeu d’une telle entreprise consiste à montrer la pertinence – sinon l’urgence – pour la formulation des règles juridiques au 21ème siècle (en matière de mœurs et de bioéthique), d’une refondation du droit positif dans un droit naturel renouvelé justifiant l’indisponibilité du corps et sa normativité propre. L’auteur y parvient-il  ? Nous laisserons ici au lecteur la tâche, passionnante, d’élaborer sa propre évaluation de la tentative dijonienne.

Dans la dernière partie de son ouvrage, Xavier Dijon se tourne enfin vers les données de la foi, afin de montrer (3ème partie) la convenance des enseignements de la révélation chrétienne avec la relecture philosophique et juridique proposée du statut du corps humain. Tout en reconnaissant que cette dernière partie de son ouvrage soulèvera sans doute les plus vives méfiances de la part du lecteur (néo)libéral ou tout simplement, en régime de laïcité, du citoyen lambda, Dijon insiste néanmoins sur l’intérêt critique du passage au théologique. Sont ainsi successivement abordés  : l’héritage chrétien de la tradition juridique européenne, les risques réels auxquels pourraient mener le rationalisme du positivisme juridique et du scientisme en l’absence d’ouverture sur une transcendance religieuse, enfin, la disposition récente d’un nombre croissant de philosophes contemporains (tels Jean-Marc Ferry ou Jürgen Habermas) favorables à une traduction laïque des données bibliques. En dialogue avec ces derniers, notre auteur souligne néanmoins la spécificité irréductible, raisonnable mais différente des perspectives juridiques, scientifiques ou philosophiques, du regard de foi qui inscrit la raison d’être du corps dans une altérité constituante. A partir de la vie trinitaire et de l’événement chrétien de l’incarnation, Dijon montre pourquoi est accordée au respect du corps une telle importance dans la révélation chrétienne et en quoi, par ailleurs, cette insistance peut venir renforcer par son mode d’approche spécifique les thèses d’une philosophie réaliste du corps.

A la fois fouillé, précis et interdisciplinaire (juridique, sociologique, philosophique, éthique, bioéthique et théologique), l’ouvrage de Xavier Dijon n’apparaîtra jamais gratuitement complexe ou inaccessible aux non-spécialistes. Les positions fortes qui y sont argumentées ne manqueront pas, bien sûr, d’objecteurs. Mais la clarté des arguments, la richesse des sources et des disputatio rapportées par l’auteur, enfin la prise en compte respectueuse (ce qui ne veut pas dire « molle » et « indifférente » aux points de vue divergents) des thèses adverses exigeront des potentiels contradicteurs qui se manifesteront dans la littérature qu’ils présentent leurs critiques à égalité de bienveillance, d’honnêteté et de rigueur intellectuelle.

D’une grande clarté, La raison du corps (dont une analyse plus détaillée sera présentée dans un prochain numéro de Médecine de l’homme) intéressera tout lecteur soucieux non seulement de comprendre avec un recul critique la nature des évolutions profondes qui traversent la société dans laquelle il vit, mais aussi d’agir dans ses activités de façon éclairée par les deux niveaux complémentaires de la raison et de la foi chrétienne. David Doat

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