Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl,...

46
Méconnaître CYCLE NATIONAL 2017-2018 CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI Promotion Jeanne Barret

Transcript of Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl,...

Page 1: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 1

Méconnaître

CYCLE NATIONAL 2017-2018

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES

AU CHILI

Promotion Jeanne Barret

Page 2: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...
Page 3: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 3

SOMMAIRE

Préambule

Orientations générales

Remerciements

1 Ce que l’art chilien nous dit de la société chilienne Catherine AMIEL, Dominique BAILLARGEAT, Florence LEFEBVRE-JOUD, Céline PIERRE, Muriel SINANIDES

3 La notion de résilience au Chili et le rapport au temps Isabelle BERGERON, Sylvain PERRET, Fabien SERAIDARIAN, Nakita VODJDANI

4 Où et comment se passe la diffusion scientifique et technique, où et comment se passe le débat sur les enjeux de santé publique ?

Giovanni ANELLI, Mikaël CONTRASTIN, Anne-Marie DUVAL, Caroline TOURBE

5 Quelles correspondances entre les défis du Chili et les dynamiques d’innovation ?Agnès BEHAR, Laurence GRANDJEAN, Catherine PACHERIE-SIMERAL, Jacques ROSEMONT

6 Les fondamentaux des biens communs,des biens sociaux et des biens économiques du Chili Corinne BAUER, Christian FILLON, Guillaume RAVEL, Georges WEIL

7 Les particularités du lien entre le système de production des connaissances et l’organisation sociale

Fabien BLANCHOT, Flavio CHIOMENTO, Frédéric DAMEZ, Pascal ODOT

8 Les faces de la philosophie et de la mémoire chilienneJean-Marc DELTORN, Guillaume HOUZEL, Sabine TUYARET

9 Le Chili, une terre latino-européenne ?Christian DUCROT, Fabrice IMPERIALI, Audrey MIKAËLIAN, Bruno PREVOST

10 Mobilités et réseaux au Chili : les effets de la géographie, de l’histoire et des organisations sociales et familiales

Daniel BRUNO, Virginie FARRE, Marie-Line VAIANI, Maud VINET

Annexe

Page 4: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

4 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

MéconnaîtreSession 8 au Chili • 08 -15 avril 2018

PRÉAMBULE

Les voyages d’études du cycle national de l’IHEST sont l’occasion de rencontres et de débats. Ils

visent à apprécier d’autres modèles d’émergence de la connaissance et à mesurer l’importance

des facteurs culturels et géopolitiques dans le développement de la recherche, de l’éducation et

de l’innovation.

À l’issue de ces déplacements, des carnets de voyages sont demandés aux auditeurs répartis en

groupes. Chaque groupe doit remettre, sur le thème choisi, un chapitre des carnets de voyage

de trois à quatre pages. Ces chapitres témoignent de la découverte, circonscrite dans le temps et

l’espace, de pays aux contextes politiques et culturels différents, ils expriment les étonnements

collectifs.

Ces étonnements ne sont ni un compte rendu de visites, ni une critique franco-centrée des per-

sonnes et institutions rencontrées, mais le repérage d’éléments originaux et structurants dans les

interventions et visites proposées.

L’ensemble constitue les « Carnets du voyage d’études » qui font l’objet d’une publication.

Page 5: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 5

MéconnaîtreSession 8 au Chili • 08 -15 avril 2018

ORIENTATIONS GÉNÉRALES

Méconnaître amène à considérer ce qui aurait pu, d’un re-

gard trop rapide, ne pas être identifié et à ouvrir des pers-

pectives plus complexes de recherche. Puisque nous avons

pris le temps, dans la session précédente, de croiser les

regards sur l’erreur, et mis en lumière certaines de ses ca-

ractéristiques : féconde, humaine, soumet le collectif à une

réflexion, a des conséquences visibles, est source d’oppor-

tunités, fait évoluer les valeurs, ouvre au partenariat, n’est

pas intentionnelle, a des effets non escomptés et est inhé-

rente à l’action, nous pouvons nous risquer à faire des hypo-

thèses sur « Chili et méconnaître ». Et, comme un auditeur le

souligne « ma seule certitude est que l’inconnu de demain

est l’incertitude du connu d’aujourd’hui ».

En 1605, un marin portugais soupçonne l’existence du conti-

nent antarctique, qu’il appelle Terra australis incognita.

Nous pourrions faire ici le lien entre nos voyages au Portugal

et au Chili, passer du départ vers l’inconnu à l’arrivée en

pays méconnu. Chili ne signifie-t-il pas « endroit où finit la

terre  »  ? Le continent arctique, ce sont 14 millions de km²

dont 1 250 000 appartenant au Chili, laissés libres aux re-

cherches scientifiques par un traité ratifié en 1959 par douze

pays. Les revendications territoriales y sont gelées et les

activités commerciales interdites. Sur cette terre méconnue,

on cherche hors frontières.

Méconnu sur l’échiquier mondial jusque dans les dernières

décennies du siècle passé, ce pays qui ne peut se résumer,

étiré sur quelques 4 300 km, large d’un peu plus de 350 km

traversé par bien des climats, doté de paysages à couper

le souffle, composé d’une mosaïque de cultures, dont cer-

taines puisent leurs origines très profondément dans cette

terre, manifeste depuis longtemps une identité propre. Dès

la première constitution, en 1833, la nation a été consoli-

dée grâce à une attention particulière portée à l’éducation.

Aujourd’hui, poètes, écrivains, scientifiques et philosophes

chiliens font autorité.

Une légende Mapuche rappelle que le Dieu de la mer se mit

à élever le niveau des mers, aussitôt le Dieu de la Terre haus-

sa les terres et les montagnes. L’affrontement dura un cer-

tain temps. Le Chili pays des tremblements de terre, dispose

de la fosse marine la plus profonde du monde (7 000 m) et

de terres occupées à 80% par les montagnes. Tout est pro-

fondeur et contraste. Ce pays riche de ressources naturelles

actualise ses richesses (cuivre, argent, charbon, blé, fruits,

élevage, pêche, bois…) à force d’exploration, de prospection

et de travail. Et simultanément, dans l’Atacama, on passe

du désert absolu à un infini qui semble tout aussi absolu :

grâce à la transparence de l’atmosphère, des astronomes

du monde entier accèdent aux galaxies situées à plus de

10 milliards d’années lumières. Là aussi on y cherche hors

frontières.

Face à cet ensemble, où se trouvent les forces d’innovation

du Chili ? Comment éducation et recherche se lient-elles à

l’économie, à la vie sociale et politique de ce pays deve-

nu membre de l’OCDE en 2010 et tellement lié à l’Europe ?

Grâce à quels dialogues se fonde son identité intellec-

tuelle ? Comment réussit-il à afficher sa stabilité tout en étant

soumis à des mouvements si puissants ? Développe-t-il un

modèle d’innovation bien à lui, qui couplerait méconnaître

et résilience.

Muriel MAMBRINI-DOUDETDirectrice de l’IHEST

Page 6: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

6 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

Le Portugal, terre européenne d’innovationles dynamiques de décision

REMERCIEMENTS

L’IHEST adresse ses profonds remerciements à toutes les personnes et les institutions sans qui ce programme n’aurait

pu aboutir, à nos conférencières et conférenciers et à toutes celles et ceux qui ont pris le temps de préparer avec nous

ce programme, pour accueillir et dialoguer avec les auditeurs. Nos premiers remerciements vont à Roland Dubertrand,

l’ambassadeur de France au Chili, pour son soutien et l’accueil qu’il réserve à notre délégation. Nos remerciements

chaleureux vont aussi particulièrement à Ingrid Chanefo, attachée de coopération scientifique et universitaire pour son

aide précieuse et dynamique dans la programmation de ce voyage, son implication, sa disponibilité et son écoute. L’Institut

remercie également le centre Inria Chile et plus spécifiquement Claude Puech, Blandine Bussière et Julia Allirot pour les

nombreux conseils qu’ils nous ont prodigués pendant toute la phase de préparation de notre programme et pour avoir

organisé notre visite à l’université catholique. Nous adressons également des remerciements tout particuliers à Sergio Silva

avec qui nous avons abondamment correspondu pour organiser notre programme à Antofagasta.

Nous remercions Enrique Aliste, géographe et professeur à l’Université du Chili qui a la lourde tâche d’ouvrir ce programme

et de nous présenter, à peine arrivés, comment il est façonné. Nous tenons également à remercier Juliette Marin et Jaime

Campos pour le parcours qu’ils ont préparé à travers toute l’envergure du projet interdisciplinaire qu’ils développent. Merci

aussi à Alejandro Maass pour sa présentation du Centre de Modélisation Mathématiques et pour mettre en exergue la

vigueur des relations scientifiques franco-chiliennes. Merci aux dirigeants du Centre d’innovation Anacleto Angelini de nous

accueillir et de nous présenter leurs activités. Nos sincères remerciements vont aussi aux organisateurs du festival Puerto

de ideas et, outre Sergio Silva, à Chantal Signorio pour venir rencontrer les auditeurs et leur présenter le festival à la veille

de son ouverture. Nous tenons à remercier les autorités de l’Observatoire de Cerro Paranal pour nous ouvrir les portes

de leurs installations et Claudio de Figueiredo Melo pour nous accompagner tout au long de cette visite extraordinaire.

Les rencontres à l’Université Catholique du Nord n’auraient pu avoir lieu sans la contribution de Rodrigo Riquelme que

nous remercions chaleureusement. Merci également à Erika Tello pour venir présenter aux auditeurs l’action de l’université

en faveur des immigrants. L’organisation de la journée portant sur la société chilienne a été possible grâce à l’accueil du

Musée de la mémoire et des droits de l’homme. Cette journée n’aurait pu avoir lieu sans les recommandations de Giovanna

Zamorano, Nona Fernández, Fabiola Miranda Pérez, Fabien le Bonniec et José Luis Martinez que nous tenons à remercier

pour leur participation.

L’équipe de l’IHEST tient également à remercier toutes les personnalités qui ont donné de leur temps pour l’aider à imaginer

et organiser ce voyage et avec qui elle a eu de nombreux et riches échanges : Guillaume Boccara, anthropologue, directeur

du Centro Franco Argentino de Altos Estudios de la Universidad de Buenos Aires, Maurizio Lopez, étudiant en droit à

l’Universidad Catolica del Norte (campus de Coquimbo), Jacques Demongeot, professeur à la Faculté de médecine de

l’université de Grenoble Alpes, Mathieu Potte-Bonneville, responsable du pôle Idées et savoirs, Département Langue

Française, Livre et savoirs à l’Institut Français, Marianne Vidal-Marin, chargée de mission Nouveaux acteurs de la

Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble.

Page 7: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 7

Le Portugal, terre européenne d’innovationles dynamiques de décision Méconnaître

Page 8: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

8 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

1 Ce que l’art chilien nous dit de la société chilienne

Même si peu de temps était directement consacré à l’art lors

de ce voyage d’études il est frappant de constater à quel

point il est présent dans toute la société chilienne que ce soit

sur les façades, au gré de nos déambulations citadines, qu’il

témoigne de l’importance des éléments naturels, ou nous

questionne sur la dictature et le devoir de mémoire. Les ar-

tistes se sont emparés des sujets de société qui font l’objet

de débat dans le Chili contemporain. L’art illustre également

deux aspects, marquants, de ce voyage au Chili : d’une part

un État absent, notamment dans la définition d’une politique

culturelle, et, d’autre part, une société chilienne fractale.

1. ART ET ENVIRONNEMENT

Le Chili est une terre d’extrêmes (feu, glace, tremblement

de terre et tsunami) et l’art témoigne de cette nature ex-

ceptionnelle qui est un marqueur fort de l’identité chilienne.

Ainsi, les reproductions d’art rupestre et les œuvres naïves

contemporaines du musée d’Antofagasta sont très large-

ment axées sur la faune et l’environnement.

L‘art Mapuche représente également ces forces naturelles.

Une pièce en pierre taillée représente deux serpents, ce-

lui de la mer et celui de la terre, illustrant la légende selon

laquelle lorsque le Dieu de la mer se mit à élever le niveau

des mers, aussitôt le Dieu de la terre haussa les terres et les

montagnes.

2. LA DICTATURE, SILENCE ARTISTIQUE

ET DEVOIR DE MÉMOIRE

L’activisme culturel initié par Allende semble perdurer au-

jourd’hui, maintenant le lien entre engagement artistique et

engagement politique de gauche.

Ainsi les artistes ont-ils contribué et/ou témoigné de la chute

de la dictature de Pinochet après en avoir été les premières

victimes, (mort de Pablo Neruda ou Victor Jara, chanteur en-

gagé du mouvement de la Nueva Chanson Chilena, exil de

Raul Ruiz, réalisateur…).

Les artistes jouent un rôle important dans l’exercice du de-

voir de mémoire, même si la société chilienne semble divi-

sée sur le sujet.

Les arts, et tout particulièrement le cinéma et la littérature,

traitent de ce devoir de mémoire et racontent cette période,

comme le fait Nona Fernández, écrivaine, actrice et scéna-

riste dans son livre La 4e dimension.

Il en est de même des peintures murales qui, si elles

sont physiquement transitoires, marquent néanmoins les

consciences de façon durable, répondant ainsi au « devoir

de mémoire ».

Le Musée de la mémoire et des Droits de l’Homme, inaugu-

ré en 2010, se définit comme un espace donnant à voir les

violations des droits de l’homme commises par l’État chilien

entre 1973 et 1990. Ce musée, dont le bâtiment est en lui-

même une œuvre d’art, permet de témoigner des exactions

de la dictature, mais, de façon surprenante, il s’agit de do-

cuments d’archive et il n’est pas laissé beaucoup de place

dans ce lieu à l’expression artistique pour témoigner de

cette période ou symboliser ce devoir de mémoire.

3. L’ART REFLET ET MOYEN

D’EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ

CHILIENNE ? L’art et notamment le cinéma s’ouvrent, au-delà de la dic-

tature, aux sujets de société contemporains. Les sujets tels

Catherine AMIEL

Dominique BAILLARGEAT

Florence LEFEBVRE-JOUD

CélinePIERRE

Muriel SINANIDES

Page 9: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 9

que les violences faites aux femmes sont traités par des

médias artistiques –une chanson a ainsi été écrite sur ce

thème– ou servent de toile de fonds à des films.

Le sujet de l’immigration est également au cœur de la créa-

tion artistique. En effet, après avoir été un pays d’exil, avec

une diaspora qui a eu une certaine influence sur l’organisa-

tion du pays, le Chili est maintenant devenu une terre d’im-

migration (notamment de la communauté haïtienne).

Le muralisme est une forme artistique importante au Chili

et constitue un moyen d’expression alternatif. Forme d’art

ancienne au Chili, apparue dès les années 1960 durant les

luttes politiques, le muralisme a pris réellement son envol

suite au coup d’état de 1973. Avec le retour à la démocratie

de nouvelles revendications et messages divers fleurissent

sur les murs : maintien de la mémoire, revendications du

peuple mapuche, politique et droits humains, santé et po-

pulation, écologie ou même messages plus personnels.

Dans une société où l’art est sujet aux lois de la commercia-

lisation, c’est une prouesse pour un groupe d’artistes ano-

nymes que d’exprimer une réalité sur un mur et de l’offrir à

tous les regards1. De par sa place dans l’espace public, son

caractère gratuit et éphémère, sa dimension humaine, ses

dynamiques innovantes et changeantes, le muralisme trans-

forme un mode de vie fortement influencé par les logiques

marchandes tendant à atomiser la société et à baser toute

relation sur une logique économique.

Mais il est difficile de dire si cette expression artistique très

ancrée à gauche est représentative, sur l’un ou l’autre des

sujets qu’elle traite, de la société et dans quelle proportion.

4. UNE POLITIQUE D’ÉTAT PEU PRÉSENTE

Après la dictature, la culture acquiert un rôle fondamen-

tal dans le développement social et politique du Chili. Le

manque d’institutions culturelles n’a pas permis l’émer-

gence d’une véritable politique culturelle chilienne et le

gouvernement s’est longtemps contenté de déléguer aux

universités toute responsabilité en la matière. Il faut en effet

attendre juillet 2003 pour que soit créé le Conseil national

de la culture et des arts du Chili. Il s’agissait alors d’une ini-

tiative historique visant à couvrir un large champ d’interven-

tion publique dans le domaine restituant à la culture son rôle

central. Le Conseil n’a cependant pas réussi à mobiliser une

réelle participation citoyenne et n’a pas été en mesure de

surmonter la fragmentation du secteur culturel2.

L’absence d’une véritable stratégie culturelle a trouvé à s’il-

lustrer à plusieurs reprises au cours du voyage :

La place de l’art dans le système éducatif chilien semble

limitée. Ainsi, un seul doctorat en art, délivré par la Pontifi-

cia Universidad Católica de Chile (UC) à Santiago, existe au

Chili. Lors de notre voyage, les autorités de l’UC, tout comme

celles de l’Universidad Católica del Norte à Antofagasta, ont

indiqué promouvoir la pratique et la découverte des arts et

de la culture (théâtres, cinéma, musique) sur les différents

campus pour les étudiants, mais nous ont présenté ces dé-

marches comme restant relativement exceptionnelles.

À noter toutefois le Festival Puerto des Ideas à Antofagas-

ta qui rassemble penseurs, chercheurs et artistes. Il propose

des rencontres ouvertes à tous et des programmes péda-

gogiques et de médiation scientifique dans un esprit mul-

tidisciplinaire, promouvant l’intégration et la convergence

des savoirs de diverses disciplines telles que la littérature,

l’histoire, la philosophie, la sociologie, les arts, les mathéma-

tiques ou les neurosciences. Ainsi, pour son édition 2018,

des œuvres de théâtre scientifique, une sur Darwin et une

sur l’intelligence artificielle, ont-elles été présentées dans le

cadre de ce festival.

Le musée régional d’Antofagasta s’appuie quant à lui sur

une démarche « de bas vers le haut » pour porter des pro-

jets, notamment en matière d’environnement, en lien avec

les populations locales. Une exposition d’œuvres naïves

en cours durant notre séjour a permis d’illustrer ce besoin

d’identifier et de traiter des problématiques locales d’Anto-

fagasta par et pour ses habitants. Il reflète un réel besoin

de décentralisation, de développement culturel local. La

question de la conciliation entre le besoin d’ouverture au

tourisme, de la préservation du patrimoine d’art rupestre et

de celle de l’environnement est posée au niveau local.

S’il existe une École d’Architecture à la Pontificia Universi-

dad Católica de Valparaíso, fondée par l’architecte Alber-

to Cruz et le poète Godofredo Lommi, reconnue dans bien

des pays européens (par exemple, Borja Huidobro, formé

dans l’école, est l’architecte du ministère des finances en

France), la recherche artistique architecturale ne semble pas

imprégner l’urbanisation de Santiago. Certes, certains bâti-

ments anciens et rénovés sont le siège de lieux de culture,

de pouvoir ou d’université, et quelques bâtiments récents,

tel que l’UC ou le Musée de la mémoire, portent un véritable

message architectural, mais les communes de Santiago et

d’Antofagasta ne semblent pas porter de projet architectural

d’ensemble.

Enfin, dernière illustration de la faiblesse de la politique

culturelle au Chili : le prix prohibitif des livres, du fait, notam-

ment, d’une TVA unique à 19% imposée à partir de 1976 par

le régime de Pinochet et toujours en vigueur.

La situation est toutefois susceptible d’évoluer avec la créa-

tion, récente, d’un ministère des Cultures et du Patrimoine3,

qui comme son nom l’indique devrait faire plus de place aux

1 C. Steygers, Le muralisme à Valparaiso : un art critique, reflet de sa société, Université Catholique de Louvain, 20112 N. Munoz del Campo, La culture au Chili : réflexions sur un processus de constitution d’une catégorie d’intervention publique, Cahier des Amériques Latines, 2013

Page 10: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

10 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

arts dans toute leur diversité. En effet, les savoir-faire liés

à l’artisanat traditionnel relèvent pour partie du patrimoine

culturel immatériel de l’humanité, il est important de recen-

ser et documenter ces pratiques avant qu’elles ne dispa-

raissent. La question de la préservation de l’art indigène n’a

pas été abordée lors du séjour et ni sur les différents lieux

visités, ce qui interroge sur sa sauvegarde et sa place dans

le patrimoine artistique chilien.

5. L’ART TÉMOIN D’UNE IDENTITÉ

CHILIENNE FRACTALE

L’art est un élément indispensable de la constitution d’une

identité nationale. La société chilienne est d’une très grande

mixité, et la mosaïque des populations vivant au Chili té-

moigne d’une histoire et de flux migratoires extrêmement

riches. Cette diversité de population se retrouve dans la pro-

duction artistique. Ainsi au Musée d’Antofagasta des objets

d’origine européenne côtoient des objets d’origine asiatique

et des représentations d’art rupestre. Parmi les communau-

tés indigènes, la plus importante et la plus active politique-

ment est celle des Mapuches (9,1% de la population). Pour

les communautés indigènes, les arts (art rupestre, théâtre,

chorégraphie, danse, chant et musique) sont les vecteurs de

transmission des légendes et savoirs traditionnels à travers

le temps. Ce voyage ne nous a pas permis d’établir quelle

place était consacrée aux arts indigènes dans l’art chilien.

Est-ce en soit un indice ?

3 https://www.gob.cl/ministerios/ministerio-de-las-culturas-las-artes-y-el-patrimonio/

Page 11: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 11

3 La notion de résilience au Chili et le rapport au temps

Définir la résilience :

“l’art de naviguer entre les torrents”

(Boris Cyrulnik)

Nous privilégions une approche de la résilience issue des

sciences sociales, plutôt que celle, stricte, de la résilience

physique –capacité d’un corps à retourner à son état ini-

tial après une perturbation– même si, dans la réalité, cette

distinction reste complexe. Dans cette optique, la rési-

lience constitue la capacité pour un individu ou un collectif

(groupe, organisation) à faire face à une situation difficile,

un choc, générateur de stress, de tensions, de difficultés

et de dommages d’ordres divers (psychologiques, sociaux,

matériels…). Cette faculté n’est pas forcément acquise, mais

se construit plutôt par la capitalisation d’expériences et leur

évaluation, l’acquisition progressive de réflexes d’auto-pro-

tection, la recherche d’équilibre et de l’évitement de ten-

sions potentielles ou de situations risquées, de la créativité

et de l’innovation dans la construction de solutions.

1. CE QUE LA NATURE IMPOSE AU

PEUPLE CHILIEN : VIVRE ET SE

PRÉPARER À CONTINUER À VIVRE

SOUS LA MENACE DE CATASTROPHES

NATURELLES

Terre de tous les dangers, le Chili est exposé à tous les

risques naturels : tremblements de terre, tsunamis, inonda-

tions, incendies et éruptions volcaniques. De par sa géogra-

phie particulière, étiolée le long de l’arc de feu du pacifique

–où la convergence de deux plaques tectoniques majeures

provoque des séismes de magnitude 8 tous les dix ans en-

viron– le Chili est un des pays au plus fort risque sismique

(plus de 8 000 secousses par an). Il a notamment été té-

moin du plus fort tremblement de terre jamais enregistré,

le 22 mai 1960, avec le séisme de Valvidia, de magnitude

9,5, qui avait rompu plus de 1 000 km de contact entre les

deux plaques à l’œuvre, et provoqué un tsunami dont les

effets destructeurs ont été ressentis dans tout le Pacifique,

laissant un bilan désastreux de plus 5 700 morts et 2 millions

de sans-abri. Aucune ville de la côte n’a été épargnée par

les tremblements de terre, et les tsunamis sont une autre

terrible réalité chilienne, dont on retrouve l’évocation dès le

XVIe siècle.

Les conséquences majeures sur les vies humaines, l’environ-

nement naturel, et la vie économique ont longtemps accablé

le pays. Alors que très vite les plans d’urbanisme adoptaient

des normes strictes de construction antisismique qui ont fait

leurs preuves (seuls 6 des 6 000 immeubles de Concepción

ont été terrassés par le tremblement de terre de magnitude

8.8 de 2010), le gouvernement tardait à mettre en place les

coordinations nécessaires qui incombent à ses fonctions de

protection civile, laissant aux seules populations vulnérables

et démunies le ressort de protection et de leur résilience.

Le séisme de magnitude 8,8 et le tsunami gigantesque

consécutif du 27 février 2010 à Concepción ont dévasté le

pays, avec un bilan de plus de 7 520 morts et 2 millions de

déplacés. Il s’agissait du premier séisme sous l’ère démo-

cratique, mais aussi le premier sous l’ère d’Internet, placé

sous le regard du monde entier, les failles de l’état dévoi-

lées par les réseaux sociaux. Isolement des populations si-

nistrées, désorganisation des secours, manque d’autonomie

énergétique et de communication des centres de secours

névralgiques, manque de préparation et de communica-

tion des responsables, partout, on a assisté à des scènes

Isabelle BERGERON

Sylvain PERRET

Fabien SERAIDARIAN

Nakita VODJDANI

Page 12: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

12 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

de désespoir suivies de violents pillages, qui ont mené à

une interpellation des autorités et à l’instauration d’un état

d’exception de catastrophe afin de garantir l’ordre public et

d’accélérer les secours. Le retard pris dans la décision d’en-

voyer l’armée pour intervenir dans les lieux reculés et isolés

a été en partie lié au fait que cela aurait été la première fois

après l’ère Pinochet que l’armée serait intervenue auprès de

la population civile. Cette intervention tardive a généré des

pillages et un soulèvement de la population.

Dégâts post-tsunami en 2010

L’impact médiatique de cette catastrophe a sans aucun

doute contribué à faire bouger les choses. Le Chili a réalisé,

et ce, devant les caméras du monde entier, qu’il n’était pas

préparé, un travail systématique s’est mis en place aboutis-

sant à la création de l’Onemi1, Office national des urgences.

La coopération internationale a permis, par ailleurs, d’attirer

des spécialistes, d’élever les standards, d’accélérer la re-

cherche (exemple du programme Citrid à l’Universidad de

Chile2**, et du projet H2020) et de bénéficier des bonnes

pratiques internationales avec notamment la constitution

d’une plateforme nationale de protection civile visant la ré-

duction des risques et une véritable politique nationale de

gestion des risques.

Les effets des efforts de réduction de l’impact des risques

n’ont pas tardés à être sensibles : lorsque le 16 septembre

2015, la ville côtière de Coquimbo (150 000 habitants) est à

son tour dévastée par un tsunami de 4,5 mètres suivant un

tremblement de terre de 8,4 sur l’échelle de Richter, seules

9 personnes perdent la vie – alors même que des séismes

de moindre magnitude laissaient sans vie des dizaines de

milliers de personnes en Haiti et au Nepal. Plus d’un million

de personnes sont déplacées, dans des délais et selon des

procédures dont l’efficacité est saluée par les organisations

internationales.

Aujourd’hui l’Onemi s’occupe pourtant principalement de

réparer les dégâts et se situe moins dans l’anticipation et

la prévention des risques. Il manque encore une structure

de décision et de coordination centralisée des différents

services de l’état en cas de crise. Récemment une plate-

forme expérimentale nationale RRD, Réduction des risques

et désastres, a été créée. Cette plateforme d’échange et de

discussion réunit tous les acteurs publics, (intérieur, santé,

environnement, transport..) mais également privés : énergie,

électricité, eau, télécom, représentants de la communauté

scientifique et académique et pourrait constituer le support

à une structure de décision et coordination.

Survivre aux désastres naturels est constitutif du peuple

chilien. Les traditions et les croyances anciennes en sont

imprégnées. Ainsi, on peut citer l’exemple d’un village Ma-

puche touché par le tsunami en 2010 et dans lequel il n’y a

eu aucune perte humaine, les habitants étant partis se réfu-

gier dans les lieux de culte sacrés, tous situés en hauteur.

Les deux serpents représentés sur un médaillon Mapuche

de pierre taillée conservé au Musée d’art précolombien

d’Antofagasta, représentent la légende populaire du serpent

de la mer qui, créa un Tsunami en se fâchant, alors que le

serpent de la Terre, créait simultanément les montagnes

pour protéger la population (cf. figure ci-dessous).

Pièce en pierre taillée Mapuche. Musée Chilien d’art précolombien d’Antofagasta

Les réactions politiques de Michelle Bachelet et de Sebas-

tián Piñera à la suite du séisme du 27 février 2010 témoignent

de cette tradition d’adaptation au risque, de résilience : “en

surpassant les défis de la Terre, les chiliens sont devenus

plus forts”. “Ainsi, à chaque catastrophe naturelle, le peuple

chilien résiste et par là même, devient meilleur. C’est la Na-

ture qui forge la population et l’identité chilienne”.

La “construction sociale du risque” du peuple chilien, fa-

çonnée par l’expérience et entretenue par la fréquence des

1 Onemi, organisme de l’État chilien, a pour mission de planifier et mettre en œuvre la prévention et l’intervention face aux catastrophes naturelles. Mais aussi pour celles qui sont provoquées par l’action de l’homme, comme les incendies intentionnels qui ont ravagé des milliers d’hectares en 2015

2 CITRID, Programme de réduction des risques et désastres a 5 axes de recherche : comprendre le risque de désastres ; renforcer la gouvernance de la gestion des risques de catastrophes naturelles; planifier et investir pour les réduire ; avoir une réponse proportionnée rapide et efficace ; préparer une résilience et récupération durable. Défis : connaître le risque : les menaces, la vulnérabilité, mapping ; réduire le risque : prospectives de planification nationale, éducation, intervention d’infrastructures ; gérer la crise : renforcer les systèmes de monitoring, alerte, communication, programme d’évacuation ; éduquer la population ; transférer le risque : mettre en œuvre les financements (assurance) à trouver des financements, ressources pour reconstruire rapidement les secteurs clés.

Page 13: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 13

aléas qui rappellent à l’imminence possible d’une prochaine

catastrophe, contribue à préparer la société aux aléas, à

supporter et absorber le choc pour le dépasser. Aguantar :

« Supporter, absorber et dépasser : c’est ce qui constitue la

résilience »3.

L’Onemi, géré par un ancien général chilien ayant perdu sa

femme dans un tremblement de terre, organise 6 à 7 éva-

cuations régionales par an, préparation massive clé d’une

gestion plus efficace de crise. Le Chili est aujourd’hui un la-

boratoire de la connaissance et de l’observation de la ges-

tion du risque sismique pour les communautés scientifiques

et les organisations de solidarité internationale, et sa ges-

tion du séisme de 2015 est devenu un cas d’école.

CATASTROPHES NATURELLES, PERCEPTIONS, RÉSILIENCES. DES QUESTIONS DE TEMPS

La perception des causes de catastrophes évolue selon les

époques et la résilience se construit selon la même évolu-

tion. Le déplacement de la ville a été un mode d’adapta-

tion aux risques sismiques ; il entre pour les Espagnols dans

un processus de résilience : toutes les villes de fondation

espagnole se sont déplacées d’abord en raison d’attaques

par les indiens, puis à cause de catastrophes naturelles. En

s’installant, les Espagnols n’avaient connaissance ni des

risques sociaux ni des risques naturels. Dans les régions de

l’ancien empire inca, il y a eu peu de déplacements de villes

car les Espagnols ont utilisé à bon escient les connaissances

sur les risques naturels acquises par les Incas. Les villes qui

se sont néanmoins déplacées l’ont été à cause de phéno-

mènes naturels (cas de la ville de Concepción au Chili). On

recense le déplacement de près de 170 villes d’Amérique

latine à la suite de catastrophes naturelles. Pour la popula-

tion chilienne, le déplacement des villes fait partie de son

identité. C’est un peuple qui s’est construit au fil des années

en survivant aux désastres naturels.

Face aux phénomènes naturels la population doit, pour

“aguantar”, adopter un comportement particulier. C’est ainsi

qu’à chaque tremblement de terre aux 18 et 19e siècles, les

femmes avaient pour rituel de sortir dans la rue à demi-nues.

La population répond à la colère divine par une attitude

spécifique. En effet, les chiliens croient qu’ils sont victimes

d’une catastrophe naturelle parce qu’il y a une « bonne rai-

son ». Alors, si cette bonne raison existe, un comportement

adéquat doit permettre de résorber la cause.

À Cuzco, la première mesure adoptée suite à un tremble-

ment de terre a été de modifier la longueur des jupes des

femmes qui auraient pu déclencher la colère divine. De

même que pour se faire pardonner, les prostituées resti-

tuèrent leurs bijoux aux églises. L’ensemble de ces com-

portements, en réaction à la catastrophe, constitue une mé-

thode de résilience.

En outre, le pouvoir en place demandait fréquemment des

enquêtes scientifiques sur les causes des phénomènes na-

turels. Les théories scientifiques ne commencent à s’établir

en tatonnant qu’à partir du 18e siècle, et reposent essentiel-

lement sur le postulat de Sénèque. Sénèque en reprenant

Aristote et Théophraste écrit à propos des tremblements

de terre : « comme la lutte des deux courants d’air opposés

repousse violemment les obstacles, il y a alors secousse et

fracas ». Pour libérer ces courants d’air souterrains, il faut

creuser des trous. Les croyances scientifiques accroissent,

par ce procédé, la vulnérabilité des villes. Ces explications

scientifiques ne convainquirent pas les populations. La ca-

pacité de résilience de la population réside alors essentiel-

lement dans le religieux.

2. UNE ÉCONOMIE LIBÉRALE, AU RYTHME

DES CYCLES MINIERS :

QUELLE RÉSILIENCE ? DE QUI ?

Le Chili se caractérise par une extrême continuité de son

modèle social et économique depuis la seconde guerre

mondiale, basé sur le libéralisme et l’extractivisme minier. Il

est le pays le plus riche (PIB per capita) d’Amérique Latine,

et est membre de l’OCDE. Il est cependant extrêmement

inégalitaire. Véritable laboratoire de l’école d’économie de

Chicago, le pays concentre toutes les caractéristiques et

les conséquences d’un modèle économique ultra-libéral.

La relative faiblesse du tissu industriel constitue une autre

caractéristique du modèle économique chilien. Le faible in-

vestissement en R&D (0,4% du PIB, le plus faible des pays

de l’OCDE) s’explique-t-il par la prédominance des secteurs

primaires (minier en tête) et tertiaire ? Ou simplement par la

faiblesse de l’État dans un système ultra-libéral où domine

le marché ? Le secteur minier n’est, par exemple, pas suffi-

samment intéressé par les recherches en géologie pour les

financer.

Le Chili et sa gestion des cycles économiques et extractivistes Le secteur minier domine, il passe d’un cycle d’extractivisme à un autre depuis 150 ans (salpêtre/nitrates, argent, cuivre, lithium), sans beaucoup se préoccuper, semble-t-il, du nécessaire changement de modèle économique de dévelop-pement qu’imposera l’épuisement des ressources, ni même de la gestion des cycles extraction et marchés florissants / phases de récession (cas de la réces-sion du cuivre entre 2013-2017).

LE CHILI ET SA GESTION DES CYCLES ÉCONOMIQUES

Jusqu’en 2013, la rigueur budgétaire en vigueur au Chili, ain-

si que le niveau soutenu du cours mondial du cuivre, ont as-

suré une forte protection contre les évolutions défavorables

de l’économie mondiale et les effets de la crise financière

de 2008. La rigueur a rendu possible une relance anticy-

3 Vulnérabilité sociale, justice spatiale et résilience : Concepción de Chili entre deux tremblements de terre (1751-1835) Intervenant : Alain Musset (Séminaire Normale Sup, cycle 2009-10).

Page 14: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

14 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

clique substantielle, maintenu la dette à un niveau très bas,

sans perturber les marchés financiers et en contribuant à

relancer l’activité. Ses effets en matière de qualité et quan-

tité de services publics rendus (faibles) et de creusement

des inégalités sont en revanche négatifs. Dès 2010, l’OCDE

recommandait au Chili d’assouplir cette règle, de l’adapter à

la situation économique mondiale, et notamment aux cours

des matières premières dont le cuivre. Ainsi, pour renfor-

cer la résilience aux chocs exogènes, il s’agirait de durcir la

règle budgétaire (fiscalité sur les bénéfices miniers notam-

ment) lorsque le cours du cuivre est très favorable, de façon

à dégager une marge ; cette marge permettrait d’assouplir

la rigueur en période de récession. L’OCDE recommandait

notamment de renforcer la composante assurance du sys-

tème d’indemnisation du chômage, pour protéger les chô-

meurs et mieux apparier offre et demande d’emplois.

À contrario, les indemnités de licenciement sont jugées trop

élevées et incitent les employeurs à privilégier les emplois

de court-terme, précaires, non assujettis à ces indemnités.

Pour l’OCDE, leur diminution aurait pour effet d’atténuer la

forte dualité du marché du travail, où prédomine emplois

précaires et informels. Globalement, l’OCDE incite le Chili

à prendre les mesures de politique économique adapta-

tives, aptes à élever le niveau de vie moyen, diminuer les

inégalités, augmenter l’offre en services publics face à une

demande croissante. L’OCDE constate en outre que le Chili

met en œuvre des programmes de dépenses sociales très

modestes par rapport aux autres pays de l’organisation.

COURS MONDIAL DU CUIVRE (US$/TONNE) SUR 5 ANS.

Le Chili n’a pas vraiment suivi ces recommandations. La

chute significative du cours du cuivre entre fin 2013 et fin

2016 a affaibli son économie et, par contrecoup, la popula-

rité de Michelle Bachelet. Quelques mesures sociales ont

été prises (dont des crédits d’éducation pour les enfants de

familles vulnérables) mais largement insuffisantes.

En 2017 et début 2018, la grogne sociale n’a cessé de croître

(étudiants, communautés rurales, retraités, chômeurs...).

Après une longue période de stabilité, le Chili entre dans

une phase plus tourmentée et incertaine, durant laquelle il

devra se forger de nouvelles résiliences : la société civile

n’adhère plus aux promesses des politiques ; l’abstention

aux législatives d’octobre 2016 a atteint le taux record de

65%, celle des présidentielles de début 2018 55% ; à la fin

de son second mandat, Michelle Bachelet n’obtenait que

15% de taux de popularité (score le plus bas depuis le re-

tour en démocratie en 1990) alors qu’elle avait été élue en

2013 avec 66% des suffrages. Le Chili est ébranlé par des

scandales de corruption sans précédent qui éclaboussent

l’ensemble du monde politique et plus seulement les cercles

proches de l’armée ou des grandes familles dominantes ; la

colère contre le statu quo socio-politique ne cesse de gran-

dir ; les manifestations et grèves se succèdent désormais,

sur la loi travail, la réforme de l’enseignement supérieur, le

système des retraites ; les réformes promises par Michelle

Bachelet sont au point mort, voire enterrées, avec l’arrivée

au pouvoir de Piñera début 2018.

Après des décennies de croissance, l’économie ralentit,

ébranlée par la chute des cours des matières premières

(dont le cuivre) sur les marchés internationaux. La croissance

a été de moins de 2% en 2017 ; le chômage tend cependant

à diminuer, et une reprise se dessine, étayée par la hausse

du cours du cuivre depuis 2017 et le boom du lithium, nou-

vel or blanc, dans le contexte de développement global des

véhicules électriques à batterie au lithium. Le Chili et le salar

d’Atacama en possèdent 20 à 30% des réserves mondiales.

La résilience démontrée par les classes les plus défavori-

sées (par le développement de l’économie informelle, la

culture des solidarités familiales et intergénérationnelles

par exemple), leur acceptation d’un système très inégalitaire

semble atteindre ses limites ; c’est sans doute désormais au

système socio-politique de montrer sa capacité à s’adapter.

La tradition minière du pays, passant d’un cycle extraction-

niste à un autre depuis 150 ans (salpêtre, argent, cuivre,

lithium) constitue aussi finalement un atout pour l’adap-

tation du pays, la résilience de son économie, et le retour

à la croissance, mais au prix sans doute de dégradations

irréversibles des écosystèmes et des ressources. Les dé-

fis environnementaux sont considérables et apparaissent

ignorés. Déforestation, désertification, raréfaction de l’eau,

dégradation des sols et des écosystèmes sont des réalités.

Elles semblent reconnues, mais finalement peu abordées.

Environnement et développement durable sont absents des

discours, et de la praxis des mines, secteur économique

dominant, en grande partie responsable. Encore une fois,

l’État apparaît absent, et in fine ne cherche pas à établir de

normes ni à promouvoir des recherches appliquées sur ces

questions.

Mine de lithium dans le désert de l’Atacama, Chili

Évolution du cours du lithium : le boom de 2016

Page 15: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 15

3. L’OMBRE PORTÉE DE LA DICTATURE,

OU REFUSER LA RÉSILIENCE

La parole sur la dictature, ses séquelles, ne semble pas libé-

rée, assumée. La démocratie tâtonne à trouver les sentiers

de la justice, la pleine reconnaissance des victimes, l’identi-

fication des bourreaux, et finalement la réconciliation natio-

nale apparaissant difficiles. Presque 30 ans après la fin de la

dictature, l’armée apparaît toujours comme l’ombre portée du

régime de Pinochet. La commission Vérité et Réconciliation,

copiée-collée de la démarche sud-africaine, n’a pas abouti.

Le Musée des droits de l’homme reste un lieu peu fréquenté

par les chiliens. Le fantôme de la dictature empêche le Chili

de se poser les vraies questions sur les droits humains qui

font défaut aux plus vulnérables de ses citoyens : éducation,

eau, foncier… Les revendications et agitations en œuvre ces

derniers mois marquent-ils l’expression de ces questions ?

Ce malaise se manifeste par une dissonance frappante entre

science et société, les secteurs d’excellence de la science

chilienne (astronomie, mathématiques, géologie) et les ré-

alités socio-politiques et économiques du pays. “Quand

certains scrutent le ciel pour y trouver des étoiles, d’autres

grattent le sol pour y trouver les restes de leurs parents as-

sassinés…”4

L’identité chilienne apparaît confuse, écartelée entre une

revendication romantique et fantasmée de ses racines euro-

péennes, totalement dissonante de ses pratiques effectives,

fortement ancrée dans le modèle sociétal et économique

américain, la reconnaissance tâtonnante des origines indi-

gènes, les difficultés à gérer les flux migratoires et la tenta-

tion cryptique mais persistante d’un Chili “blanc”.

Le Wenufoye est l’actuel drapeau mapuche, utilisé par le Conseil de toutes les terres et d’autres organisations.

Le sort réservé à la communauté Mapuche est assez symp-

tomatique de ces tâtonnements, du malaise actuel face aux

racines indigènes du Chili.

4. LE CHILI, UN LABORATOIRE

POUR EXPLORER LA RÉSILIENCE ?

La résilience est un concept qui aide à lire la relation des

chiliens à leur territoire. Nous en avons exploré trois facettes

pour appréhender la résilience de la population chilienne.

C’est certainement vis à vis de son environnement naturel

que la résilience du peuple chilien est la plus visible. Sur le

plan économique, l’idéologie ultra-libérale ne propose à la

population que de résister, de faire avec. Du point de vue poli-

tique, la résilience s’exprime encore par l’évitement, le devoir

de mémoire restant à mener au-delà de la symbolique.

Confrontés à un environnement naturel marqué par les

séismes, une faible densité de population regroupée autour

de quelques centres urbains et un territoire étendu coincé

entre l’océan et la Cordillère des Andes, les chiliens ap-

prennent à vivre ensemble avec ce territoire atypique. La ré-

silience qui se développe prend la forme d’un écosystème.

Il faut apprendre à réagir vite pour faire face aux risques

sismologiques, relier rapidement les individus entre eux et

interagir avec les institutions mais aussi apprendre à compo-

ser avec ce territoire pour faire système entre les différentes

logiques territoriales : Santiago, centre urbain regroupant

les institutions, les territoires agricoles, l’exploitation minière

dans le désert d’Atacama ou encore les espaces portuaires.

Dans la relation avec l’environnement naturel, la résilience

s’inscrit dans le temps court de la catastrophe, mais égale-

ment dans le temps long pour façonner le développement

avec la géographie du territoire et les moyens et activités du

développement.

Sur le plan économique, le Chili poursuit une politique inspi-

rée des préceptes de l’école d’économie de Chicago, adop-

tant une ligne ultra-libérale. Les économistes chiliens formés

à l’Université de Chicago ont exercé une forte influence

culturelle dès les années 1960 via le journal conservateur El

Mercurio, et leur hégémonie académique au sein de la puis-

sance Pontificia Universidad Católica de Chile. Le pays a ainsi

vécu une révolution économique entre 1975 et 1986, mais le

coût social et politique s’est avéré énorme et principalement

subi par les classes moyennes et populaires. Finalement, les

premières années de la « terreur » ont donné carte blanche

aux économistes pour réformer l’économie à leur façon. Les

gouvernements démocratiques ont opéré des changements

importants, mais le noyau du modèle est resté presque intact

jusqu’à aujourd’hui. L’économie chilienne a connu des chiffres

de croissance très importants dans les années 1990 et 2000,

mais avec d’énormes inégalités sociales qui ont fini par pola-

riser la société. La population a fait davantage preuve de ré-

sistance que de résilience face à un modèle économique qui

reste peu remis en cause et qui semble aujourd’hui renforcer

une fracture sociale durable.

L’histoire politique du Chili est une des dimensions majeures à

prendre en compte pour comprendre le Chili via la notion de

résilience. Au début des années 70, le président Allende ap-

plique son programme transformant le pays en État socialiste

impliquant un contrôle de l’économie par l’État : mines (loi de

juillet 1971 sur le cuivre), banques étrangères et entreprises

monopolistiques nationalisées, réforme agraire et conseils

paysans… Le 11 septembre 1973, les militaires s’emparent du

pouvoir et le président Allende trouve la mort lors de l’assaut

du palais présidentiel par l’armée. Avec le retour à la démo-

cratie au début des années 1990, le Chili cherche à démontrer

que le pays a tourné la page même si le devoir de mémoire

reste inachevé. La résilience s’exprime par une certaine céci-

té à permettre à la population de vivre et de se tourner vers

le futur. La résilience s’exprime également par le regard porté

sur l’Europe et la France et les liens qui se tissent masquant

une réalité politique douloureuse et largement présente.

4 P.Guzman, Nostalgie de la lumière

Page 16: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

16 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

4 Où et comment se passe la diffusion scientifique et technique, où et comment

se passe le débat sur les enjeux de santé publique ?

Éclairer la question de la diffusion scientifique au Chili né-

cessite en premier lieu de resituer les acteurs en présence

afin de saisir les spécificités chiliennes. Dans ce pays où l’ul-

tra-libéralisme a largement survécu à la dictature qui l’avait

installé, la concentration du pouvoir économique est une

réalité exacerbée par l’absence de contre-pouvoir de régu-

lation.

Vingt familles, citées régulièrement par nos interlocuteurs,

ont la main mise sur la majeure partie des secteurs écono-

miques. En regard, la sphère d’intervention de la puissance

publique est restreinte aux seules fonctions régaliennes.

Dans une démarche très centralisée, l’État a des marges de

manœuvre limitées face au secteur privé, avec une privati-

sation omniprésente, y compris dans le domaine de l’édu-

cation et des ressources naturelles, eau et mines incluses.

La question des enjeux de développement durable est

présente dans les discours des deux parties –changement

climatique, développement durable, accès à l’éducation,

écoute des minorités– mais nous avons bien noté que les

éléments de langage alternaient entre les enjeux de déve-

loppement d’un pays riche par son PIB mais où les difficultés

sont immenses, et parfois, avec plus de cynisme, enjeux de

camouflages ou de justification d’activités assez éloignées

de ces grands objectifs, comme par exemple le développe-

ment des relations avec les communautés pour faire accep-

ter le transport d’acide à travers une ville.

Quelle place alors pour les citoyens-consommateurs, entre

ces deux forces, et notamment sur la relation à la connais-

sance scientifique et aux enjeux de santé publique ? Com-

ment s’articulent les relations entre les acteurs et autour de

quels enjeux ?

1. UNE DÉFIANCE DES ENTREPRISES

ENVERS LES INSTITUTIONS

SCIENTIFIQUES NATIONALES

La relation entre les laboratoires de recherches acadé-

miques et les entreprises semble assez paradoxale d’un

point de vue français. D’un côté, l’ensemble des laboratoires

académiques que nous avons rencontrés nous ont tous

présentés les liens entre leurs recherches et les secteurs

économiques qui pouvaient en bénéficier, en éclairant les

enjeux associés.

De l’autre, les entreprises, que nous n’avons pu percevoir

qu’au travers des dire des mêmes académiques, nous ont

été décrites comme assez réticentes à collaborer avec les

académiques chiliens. La première cause de cette réti-

cence semble être une préférence pour les académiques

anglo-saxons et ce, pour une double raison : la majorité

des dirigeants actuels ont été formés dans des universités

étrangères et la crédibilité sur les thématiques de recherche

considérées semble en leur faveur. Le directeur du Centre

de modélisation mathématique de l’Universidad de Chile a

ainsi clairement évoqué un manque de de confiance envers

le niveau de performance des universités chiliennes par les

grands groupes miniers, qui préfèrent se tourner vers les

pays anglo-saxons (US, Canada, Australie). Cette préférence

à se tourner vers l’international se retrouve même dans les

appels à projets publics avec le financement d’Inria, d’un

Fraunhofer et d’une université Suédoise pour dynamiser le

rapprochement industrie - recherche. La seconde raison de

cette défiance réside dans la préférence à travailler pour les

industriels dans un mode de consulting plutôt qu’au sein de

collaborations de recherche, et ce, malgré la mise en place

d’incitations fiscales pour soutenir ces collaborations, de

Giovanni ANELLI

Mikaël CONTRASTIN

Anne-Marie DUVAL

Caroline TOURBE

Isabelle BERGERONNakita VODJDANI

Sylvain PERRETFabien SERAIDARIAN

Page 17: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 17

type Crédit impôt recherche à hauteur de 50%. Cela dé-

montre bien que la cause de ces réticences est avant tout

culturelle et non financière.

Cette défiance ou ce manque d’intérêt des entreprises pour

la science et sa diffusion s’est illustrée au travers de la diffi-

culté à rencontrer des entrepreneurs lors de notre voyage.

2. LA SCIENCE ABSENTE DES DÉBATS :

UNE PORTE OUVERTE À LA

MANIPULATION

La relation entre la science et la société nous est apparue

très ténue, pour ne pas dire presque inexistante lors de notre

voyage. Preuve en est qu’il n’existe pas au Chili de ministère

de la Recherche. Il n’y a pas non plus de grande structure

officielle chapeautant la recherche publique du pays. En fait,

personne ne semble chargé d’assurer le lien entre la science

et la population. Du côté de la presse, plusieurs personnes

interrogées (scientifiques, interprètes, guides…) nous ont

confirmé que la diffusion de la culture scientifique n’était pas

une priorité au Chili. Par exemple, il n’existe pas de maga-

zine ou de rubriques dans la presse généraliste totalement

dédiés à la vulgarisation scientifique. Les sujets en lien avec

la science sont traités au fur et à mesure de l’actualité. Le

point le plus marquant est le manque d’indépendance de la

presse écrite, qui a été souligné par plusieurs intervenants.

Les principaux journaux appartiennent aux mêmes grandes

familles que le reste de l’économie du pays et cela n’est pas

sans conséquence sur le débat public.

L’un des exemples (cité par deux intervenants) porte sur la

sécheresse qui frappe de plus en plus souvent de larges

zones du pays. Pour expliquer le manque d’eau récurrent, la

presse avance l’explication de la diminution du niveau des

précipitations et de la hausse des températures au Chili. Or,

il s’agit là d’une instrumentalisation du discours sur les chan-

gements climatiques. En réalité, selon les intervenants qui

nous ont alertés sur ce point, les principaux responsables de

la sécheresse au Chili sont les industries qui puissent dans

la ressource sans avoir à rendre de compte.

En effet, l’eau n’est pas considérée comme un bien com-

mun au Chili. Au contraire, elle est totalement privatisée et

même les cours d’eau ont leurs propriétaires ! Pilotée par

l’industrie agroalimentaire, aux mains des mêmes grandes

familles, l’agriculture intensive a fait le choix de cultures

gourmandes en eau (avocatiers par exemple) qui assèchent

mécaniquement les nappes et les cours d’eau de certaines

régions. Les scientifiques, qui auraient les moyens d’éclairer

le débat, n’ont pas la parole et ne peuvent partager leurs

savoirs. Ici la « non information » devient de la « désinfor-

mation » scientifique : une arme redoutable. Petite éclaircie,

la télévision privée bénéficie depuis peu d’une émission de

qualité sur la science, nous n’avons malheureusement pas

pu la visionner et ne savons pas si son niveau d’audience

est large ou restreint.

3. PARTAGER LA SCIENCE :

UNE NÉCESSITÉ POUR FAIRE

FONCTIONNER LA DÉMOCRATIE.Au Chili, pour accéder aux études supérieures, il faut de

l’argent. Le prix demandé pour suivre un cursus universitaire

varie en fonction du domaine choisi. Le taux d’inscription

dans les universités a malgré tout augmenté depuis 25 ans.

« Environ 70% des étudiants inscrits sont les premiers de

leur famille à suivre des études supérieures et, trait distinctif

de l’enseignement supérieur chilien actuel, ce sont principa-

lement eux qui ont contribué à accélérer l’augmentation du

taux d’inscription à l’université. (…) Cet élargissement de la

base sociale du corps étudiant a été rendu possible, entre

autres, grâce à l’emprunt et à l’endettement des familles

pour financer les études supérieures.1».

La présidente de gauche, Michelle Bachelet, avait le pro-

jet de diminuer le prix des études dans les universités pu-

bliques. Mais son projet, qui a suscité de vives oppositions

et n’a pas été mené à terme avant l’élection du président de

droite Sébastian Pinera en 2018. Autre point important, dans

les facultés, un mouvement de contestation s’est organisé

en 2011. Alors que les universités semblent bien être le nou-

veau lieu de régénération de la démocratie au Chili, nous

n’avons malheureusement pas pu rencontrer de représen-

tants de ces mouvements lors de notre séjour.

4. UN SYSTÈME SOCIAL PEU

PROTECTEUR

Le système sanitaire national assure en théorie une bonne

couverture sanitaire pour l’ensemble de la population. Dans

la pratique, les délais sont très longs et une assurance pri-

vée est nécessaire pour accéder à un service de qualité. Les

assurances sont relativement chères (20 à 40% du salaire

mensuel moyen chilien), et ne sont ainsi pas accessibles

à tout le monde. Il faut aussi remarquer le développement

d’un réseau croissant d’hôpitaux et cliniques privées, qui as-

surent des soins de très bonne qualité avec des médecins

très compétents mais dont les prix peuvent s’avérer très éle-

vés. L’inégalité d’accès aux soins est aujourd’hui très impor-

tante, 44% des chiliens considèrent la santé comme l’une

des 3 priorités du pays, et seulement 25% se disent satisfaits

du système. La médecine générale, surtout en zone rurale,

est déficitaire en nombre et qualité.

En ce qui concerne l’alimentation, une analyse de l’Organi-

sation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

(FAO), présente le Chili comme ayant une meilleure situa-

tion à ce niveau-là que ses voisins d’Amérique latine et des

Caraïbes, mais présentant d’importants problèmes comme

la dénutrition infantile, le surpoids et l’obésité (les aliments

à forte densité calorique étant généralement moins chers

4 M. J. Lemaitre et R. Atria Benaprés, Chili : Le mouvement étudiant, symptôme d’un problème de fond, Revue internationale d’éducation de Sèvres, 59 | 2012, 16-18.

Page 18: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

18 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

que les aliments à faible densité calorique et à valeur nu-

tritive plus élevée), ou des problèmes liés aux spécificités

des territoires ruraux (zones présentant des déficiences

dans les services publics, d’accessibilité difficile et régions

plus vulnérables aux phénomènes climatiques). Les résultats

de l’analyse de la FAO sont assez clairs, mais nous n’avons

trouvé aucun indice permettant de penser que des poli-

tiques publiques seraient envisagées pour essayer de ré-

soudre ces problèmes.

En ce qui concerne le système des retraites, l’âge d’ouver-

ture des droits à la pension de vieillesse est de 65 ans pour

les hommes et 60 ans pour les femmes. La pension de vieil-

lesse minimum garantie est versée aux assurés ayant cotisé

durant 20 ans. Le montant de la pension de vieillesse est

déterminé en fonction du solde effectif du compte épargne

individuel et de l’espérance de vie de l’assuré. Des grands

fonds d’investissement gèrent les pensions des Chiliens.

90% des retraités touchent moins de 200 euros par mois

et sont dans des situations très précaires. D’autre part, les

entreprises qui gèrent ces fonds font partie des plus riches

du Chili.

Pour les retraites donc, comme pour la santé, chacun as-

sume ses propres risques en s’assurant individuellement,

sans système de mutualisation et avec une contribution

faible de l’état ou des employeurs.

5. LA SCIENCE ET DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU CHILI

La période actuelle semble toujours conditionnée par la

transition post-dictature. Le message que nous avons perçu

est que la contestation de l’organisation sociale et politique

du pays est freinée par rapport à d’autres pays subissant

aussi de fortes disparités de revenus : ce frein viendrait

d’une peur plus ou moins exprimée que la contestation

aboutisse à une fragilisation de la démocratie et à un retour

à un régime dictatorial répressif. Pourtant, pour certains ob-

servateurs, la contestation existe bel et bien. Des contesta-

taires « natifs » chiliens (dont la communauté des 700 000

Mapuche) rejoindraient une mouvance de contestation de

plus en plus active et structurée en Amérique du Sud. Et la

science dans tout cela ? Quel rôle politique joue-t-elle au

Chili ? Réservée à une petite partie de la population, elle ré-

pond néanmoins à un besoin de reconnaissance sur le plan

international. Vecteur de collaboration, elle a permis, et per-

met encore, aux plus aisés des chiliens de se former en Eu-

rope, en France notamment, et aux États Unis. Elle joue donc

de fait un rôle non négligeable dans la démocratie chilienne

actuelle. Pourtant, ces quelques jours passés au Chili nous

ont mis face à une question universelle : comment concevoir

le développement durable d’un pays quand l’accès à l’édu-

cation et à l’information scientifique est limité ?

Page 19: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 19

5 Quelles correspondancesentre les défis du Chili

et les dynamiques d’innovation ?

Dès le premier jour de notre voyage d’études, nous avons

pu constater que le Chili n’est pas un pays comme les

autres. Il s’agit d’un pays assez complexe sous bien des

aspects. Le Chili est une terre alambiquée, aride, riche et

en même temps encore en construction, une démocratie

en émergence, prenant progressivement conscience de

ses richesses et des possibilités qui y sont associées. Mais

si le champ des possibilités s’agrandit, il s’accompagne,

comme c’est souvent le cas, d’un surplus de responsabilités.

« De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités ».

Le thème de ce chapitre du carnet de voyage aborde le Chili

sous l’angle de l’innovation face aux défis inhérents au dé-

veloppement de ce pays.

Trois axes, nous étant apparus significatifs pour le pays et sa

société, ont été retenus.

« IL FAUDRAIT QUALIFIER D’ÎLE UN

TEL PAYS, MÊME SI LES FRONTIÈRES

NE RÉPONDENT PAS PRÉCISÉMENT

À LA DÉFINITION » BENJAMIN

SUBERCASEAUX

Large de 200 km au maximum et long de près de 4 500 km,

le Chili possède une géographie atypique et des climats très

différents sur l’ensemble de son territoire, du désert sec et

aride au Nord, hostile à toutes formes de vie, aux paysages

très verts du Sud où, finalement, la vie est à peine plus faci-

lement envisageable, et pourtant ....

Et pourtant, le Chili sait relever les défis posés par cette géo-

graphie en faisant face quotidiennement à ces injonctions

paradoxales : Antofagasta, ville du Nord, aux portes du dé-

sert de l’Atacama, en est l’exemple.

Mais où est l’innovation, peut-on se demander, nous, simples

humains que nous sommes ? Où est l’innovation qui permet

à cette agrégation de terres et de territoires de se projeter

face à cette géographie complexe et violente ?

Il semble sur ce point, que le Chili soit en train de prendre

conscience de son potentiel sans pour autant se donner les

moyens humains et matériels de l’exploiter, voire même en

Agnès BEHAR

LaurenceGRANDJEAN

CatherinePACHERIE-SIMERAL

JacquesROSEMONT

Very Large Telescope (VLT) dans le désert d’Atacama

Page 20: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

20 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

le laissant de côté, comme un diamant brut, que le pays,

peut-être par manque de savoir-faire, ne saurait tailler.

Aussi, sommes-nous en position d’exprimer un premier

étonnement sur cette dimension géographique: le Chili at-

tend-il d’avoir produit davantage de connaissances scien-

tifiques sur son propre territoire afin d’exploiter pleinement

sa puissance d’innovation ? Il apparait que le Chili se posi-

tionne sur ses spécificités géographiques comme un spec-

tateur prêt à se laisser surprendre par leur évolution. Autant

dire que le potentiel d’innovation et de prospective du Chili

est à l’image du désert d’Atacama : aussi étendu que com-

plexe à affronter.

Le Chili est-il une île ? comme le suggérait Benjamin Suber-

caseaux.

Bien sûr que non ! Bien que le pays en ait toutes les carac-

téristiques : difficile d’accès à l’Est, à peine plus à l’Ouest,

et ce n’est pas non plus évident au Sud avec le Cap Horn,

le Chili est incroyablement isolé. C’est l’autre dimension

géographique complexe de ce pays. Mais a-t-elle pour au-

tant obligé celui-ci à revoir sa stratégie ? Il semble que la

réponse soit non… Ouvert à tous, et à toutes les nations, lais-

sant chacun de ses concitoyens « maîtres » de leur propre

destin, guidés par l’espoir d’une ascension sociale pourtant

presque impossible, tant il est établi que les « péages »

sociaux sont épais et hermétiques. Au risque de nous ré-

péter, il nous semble que le pays dispose d’un potentiel in-

croyable, et parce que malgré tout, il ressort des contacts

avec les personnes qui nous a été permis de rencontrer, une

touchante volonté de changer, d’évoluer, bref d’innover et

ainsi d’appréhender le sujet.

Alors certes, d’un point de vue occidental, nous pouvons

être tentés de dire que le Chili innove peu, mais en pre-

nant l’exemple d’Antofagasta, l’innovation est indéniable. Il

change et c’est là que l’innovation commence; la première

innovation suite à la dictature n’est-elle pas d’ailleurs le re-

tour de la démocratie ?

Ainsi, ce défi sociétal est multigénérationnel car il touche les

personnes âgées dont la retraite est en fait inexistante, les

enfants qui ont vocation à ne pas attacher leur statut social

actuel à leur condition de demain, perception de l’avenir à

construire au travers de la transmission et de l’éducation.

LE CHILI, MALADE DE LA SANTÉ

Depuis douze ans, le Chili affiche des taux de croissance ju-

gés dignes de ceux des « tigres » asiatiques. Ce pays n’est-il

pas d’ailleurs le premier d’Amérique latine à avoir stoppé ses

demandes de nouveaux crédits à la banque interaméricaine

de développement ?

On a cependant souvent tendance à simplifier le « miracle »

chilien. Les performances économiques du pays ne par-

viennent pas à occulter le fossé des inégalités, ainsi, l’écart

entre les revenus se creuse et l’accès aux services fonda-

mentaux que sont l’éducation et la santé demeure discrimi-

natoire pour les populations les plus pauvres.

Un système de santé destiné aux pauvres a été mis en place

pour la population immigrante, avec pour conséquence l’ap-

parition de discriminations dans la recherche de soins.

Le système public de santé chilien est précaire. Créé à une

époque où la notion de « service public » avait un sens, il a

été de plus en plus privatisé avec l’application des politiques

néolibérales des années 1980 et aujourd’hui, aussi bien les

infrastructures que le personnel font défaut.

Le personnel administratif est souvent sous-qualifié et ne

dispose pas des outils lui permettant d’assumer les respon-

sabilités que l’institution lui attribue.

Par ailleurs, il existe une assurance publique : le Fonds na-

tional de santé, Fonasa, qui prend en charge environ 70%

de la population. Pour se faire soigner, une partie de cette

population se dirige vers le système public de santé ; néan-

moins, dès que les personnes recherchent un meilleur ser-

vice, elles optent pour le système privé de santé, prenant

en charge les dépenses supplémentaires, non remboursées

par le Fonasa.

En résumé, l’assurance publique est « subsidiaire » du sys-

tème public et du privé ; le système public étant véritable-

ment fait pour recevoir les populations pauvres du pays vic-

times des inégalités dans la société. En ce qui concerne la

santé, ceci nous laisse penser qu’il existe au préalable une

politique de classe qui sépare les pauvres du reste de la

société, en raison des inégalités structurelles.

De véritables problématiques de santé publique sont poin-

tées du doigt depuis plusieurs années. Trois d’entre elles

nous ont plus particulièrement interpellées :

• La première est l’obésité, apparaissant dès le plus jeune

âge et se propageant à toutes les tranches d’âge.

Il y a en effet, un vrai problème de surpoids chez les enfants

chiliens dû à une mauvaise alimentation, à une culture de la

« malbouffe ». Le gouvernement a « pris le taureau par les

cornes » en instaurant une loi sur l’étiquetage des produits.

Le Chili a donc décidé de relever ce défi de santé publique

en prenant les grands moyens pour lutter contre l’obésité.

Le pays est considéré par l’Organisation mondiale de la san-

té (OMS) comme le pays le plus problématique en matière

d’obésité. Le surpoids touche majoritairement les enfants en

bas âge, premiers visés par cette nouvelle politique d’éti-

quetage.

Les produits dont la composition dépasse une certaine

quantité de sucres, de gras saturés, de calories ou de sel,

affichent maintenant sur leur étiquette un panneau d’avertis-

sement visant à dissuader les consommateurs de les ache-

ter. Le problème est avant tout social : « Les enfants obèses

sont considérés comme privilégiés au Chili car leur alimen-

Page 21: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 21

tation riche en friandises et en boissons gazeuses, notam-

ment, est vue comme un signe de richesse. Les familles

les plus pauvres n’ont pas les moyens de se procurer ces

produits. Dans les familles encore plus riches, et chez les

adultes, la consommation de produits plus raffinés, comme

le vin et l’huile d’olive, est aussi problématique. »

• La seconde problématique de santé publique est la pro-

pagation du Sida qui ne cesse d’augmenter.

Son origine se trouve avant tout dans le manque d’éducation

sexuelle de la population, notamment le manque d’informa-

tions sur la contraception à disposition des jeunes femmes

chiliennes. Le gouvernement Chilien a annoncé vouloir faire

de la prévention en lançant un nouveau plan de dépistage

et de prophylaxie du VIH. Le pays connaît depuis quelques

années une forte hausse des cas détectés : leur nombre a

doublé entre 2010 et aujourd’hui, une progression record en

Amérique latine. Le Chili est pourtant l’un des pays les plus

développés d’Amérique du Sud, avec de bons indicateurs

de santé.

• La troisième problématique est l’interdiction de la pilule

du lendemain.

La Présidente chilienne sortante, Michelle Bachelet, a perdu

une bataille dans sa lutte contre les inégalités sociales en

faveur des femmes. À Santiago, le Tribunal constitutionnel a

confirmé, le vendredi 4 avril 2018, l’interdiction de la « pilule

du lendemain ». Dans le cadre d’un ambitieux plan de pla-

nification familiale pour les secteurs les plus démunis, Mme

Bachelet avait décidé, en septembre 2006, que la pilule du

lendemain serait distribuée gratuitement aux adolescentes

à partir de 14 ans, sans autorisation préalable des parents,

afin d’éviter les grossesses non désirées. Chaque année,

38 000 enfants naissent au Chili de mères adolescentes.

La décision de Mme Bachelet a été condamnée par l’Eglise

catholique, les partis de droite, mais aussi par les person-

nalités politiques du centre-gauche au pouvoir. Certaines

pharmacies ont même refusé de distribuer cette pilule, mal-

gré la pression du ministère de la Santé qui les menaçait de

lourdes amendes.

Première femme élue Présidente au Chili, Mme Bachelet

voulait lutter contre le manque d’information sur la sexualité.

Dans les milieux défavorisés, une jeune fille sur cinq âgée

de moins de 20 ans a déjà un enfant contre une sur trente

dans les classes aisées. « Personne ne fait une campagne

en faveur des relations sexuelles précoces, avait plaidé la

Présidente. Malheureusement, 14% des jeunes filles de 14

ans sont déjà actives sexuellement. Il est donc du devoir de

l’État de leur fournir une alternative qui ne soit ni l’avorte-

ment, ni la grossesse. »

L’IVG est interdite au Chili (160 000 avortements clandestins

ont lieu par an), sauf dans 3 situations : viol, risque pour la

mère ou risque pour l’enfant. Contrairement aux pauvres, les

femmes aisées peuvent s’offrir des interruptions de gros-

sesse dans des cliniques privées, qui les « déguisent » en

appendicite.

Effet d’annonce, mesures légères, ou encore archaïsmes,

l’on peut s’interroger sur la pertinence de telles postures

dans la mesure où il n’existe aucun suivi, ni évaluation des

politiques mises en place, ce qui ne permet pas non plus de

les corriger ou de les réajuster le cas échéant.

LE POIDS DE LA RECHERCHE

ET DE L’INNOVATION

L’investissement national en Recherche et Développement

est extrêmement faible : 0,4 % du PIB. Les trois quarts de

cet investissement proviennent du gouvernement Chilien, la

part du secteur privé étant très faible.

Cependant, dans les présentations qui nous ont été faites,

est apparu une vague d’initiatives destinées à renforcer la

place de la connaissance dans l’économie, favorisant ain-

si l’essor du système des services (en lien, par exemple,

avec le système productif minier), ces initiatives étant donc

tournées vers l’innovation et l’entreprenariat. Les gouverne-

ments successifs Bachelet et Piñera ont soutenu la mise en

place d’une structuration institutionnelle du système natio-

nal d’innovation.

Deux agences publiques de financement de l’innovation,

en particulier, ont été citées de nombreuses fois dans les

exemples qui nous ont été donnés à voir :

• La Conicyt qui dépend du ministère de l’Education et fi-

nance en particulier des actions de recherche scientifique

et technologique, ainsi que des actions de formation de pro-

fessionnels.

• La Corfo qui dépend du ministère de l’Economie et qui a

pour objectif de promouvoir l’entreprenariat, l’innovation

et la compétitivité. Cette agence propose plus de 50 pro-

grammes de financement dont bénéficient près de 200 000

personnes chaque année.

Parmi les politiques volontaristes de soutien à la science, à

la technologie et à l’innovation, on a pu remarquer l’impor-

tance accordée à un pilier essentiel de ces trois secteurs : la

formation du capital humain.

Des programmes de financement de formations à l’étranger

(niveau master et doctorat) ont été mis en place dès les an-

nées 2010, complétés ensuite par des programmes d’inser-

tion professionnelle dans le monde de la recherche ou de

l’industrie.

La Corfo, dans le but de créer des liens durables entre les

universités chiliennes, l’écosystème d’innovation et le mar-

ché économique, a développé un programme de soutien au

transfert technologique. Il est à noter que l’excellence des

universités chiliennes est reconnue internationalement.

Une des initiatives emblématiques de la Corfo pour générer

et renforcer les capacités technologiques au Chili, est le Pro-

gramme d’attraction de centres d’excellence internationale

Page 22: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

22 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

pour la compétitivité. Treize centres ont ainsi été créés de-

puis 2010, dont 3 sont d’origine française.

Nous avons rencontré les responsables de l’un des derniers

centres créés: Inria Chile, centre d’excellence dédié aux

technologies de l’information et de la communication, qui

travaille en étroite collaboration avec huit grandes universi-

tés chiliennes sur des thématiques clés pour le pays telles

que les énergies renouvelables, les ressources naturelles

ou encore les villes intelligentes.

Inria Chile est devenu un des interlocuteurs naturel des ac-

teurs chiliens en matière d’innovation et ce grâce au déve-

loppement d’une plate-forme de transfert technologique,

basée sur l’expérience de l’Inria en France, comme centre

de recherche d’une part, mais surtout en promouvant des

projets d’innovation au sein d’entreprises, en particulier des

PME, d’autre part.

Le Chili compte également de nombreux incubateurs pour

accompagner les projets innovants, très souvent avec une

vision internationale, beaucoup étant liés à des universi-

tés. En effet, du fait de la relative « insularité » du pays, dé-

crite précédemment, l’économie chilienne est très ouverte

(le coefficient d’ouverture au Chili est de 76,5 % pour une

moyenne mondiale de 61%), et en particulier vers le Paci-

fique et l’Asie. Ainsi, les start-up chiliennes pensent « glo-

bal  » dès leurs premiers pas.

Il existe donc aujourd’hui au Chili une réelle volonté poli-

tique de soutenir l’innovation appuyée par une infrastructure

et des dispositifs déjà éprouvés, un rôle des universités ren-

forcé avec une mission forte de soutien à l’innovation et de

mise en relation avec les acteurs privés, un essor important

du secteur des services, et une dynamique de création de

start-up.

CONCLUSION

Depuis plusieurs siècles, nombre de voyageurs venus

au Chili n’en sont plus repartis. Pays fascinant, il n’en

reste pas moins plein de paradoxes. Situé au bout

du monde, éloigné des marchés mondiaux, le Chili

est néanmoins une des plus puissantes économies

d’Amérique latine.

Même si les chiliens voyagent beaucoup, qu’ils sont

très créatifs et tournés vers les nouvelles technologies,

la société chilienne reste un ilot de conservatisme so-

cial. Conservateurs certes, mais paradoxalement em-

plis d’une volonté de changement économique et so-

cial, concrétisée par l’élection de Salvator Allende en

1970, puis en 2006, d’une femme Présidente, Michelle

Bachelet. Face à ces contradictions, nous sommes

confiants dans la capacité du Chili à relever ses défis

et déployer une solide politique d’innovation. Comme

Isabel Allende, nous invitons le voyageur à « ne pas

mettre en doute les merveilles qu’on lui chantera sur

le pays, son vin et ses habitants, car un étranger ne

saurait émettre de critiques; 15 millions de Chiliens

s‘en chargent à plein temps ».

BIBLIOGRAPHIE :

• Notes LG/avril 2018/voyage d’étude au Chili.• Sites de l’Ambassade, de l’OMS.• Articles du Monde Diplomatique mars 2017, l’Express 18 mars 2017.• Recommandations de l’OCDE avril 2017.• Brochure FAO 2017 : Panorama of food and nutrition security in latin America and the carabbean. France Inter : Gros plan

sur un système de santé à 2 vitesses au Chili, RFI : les voix du MONDE 17.04.2018.• Publication de la Banque Mondiale : Projet de soutien au secteur de la santé au Chili 23 mars 2018.• « Chili, hub de l’innovation en Amérique Latine », Inpi-Inria, Septembre 2016

Page 23: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 23

6 Les fondamentaux des biens communs,des biens sociaux et des biens

économiques du Chili

Le Chili est un pays aux dimensions exceptionnelles : une

bande de terre de 4 300 km de longueur sur 180 km de

moyenne en largeur. Il peut être considéré comme une île

de par sa géographie et ses dimensions, entouré de mon-

tagnes ou de mer et adossé à la Cordillère des Andes.

Il possède des richesses importantes en ressources natu-

relles et notamment minières avec un désert des plus arides

au monde.

Son peuplement est récent et c’est l’histoire contempo-

raine de ses immigrants/habitants qui nous renseigne tout

d’abord sur le sentiment national particulier : l’identité na-

tionale semble avoir peu de poids face à l’origine des ha-

bitants qui se définissent volontiers en fonction du groupe

d’immigrants auquel ils appartiennent, des années, voire

des siècles après. En effet, elle n’est pas une pensée com-

mune, pas plus que le territoire n’est perçu comme un bien

commun, puisque l’intérêt économique privé du pays est for-

tement ancré sur les matières premières et les ressources

naturelles. Aussi, face à cela, est-on réellement surpris en

découvrant ce pays, dans son histoire et sa géographie

considérablement méconnues du moins en France. Une ap-

proche du Chili sous l’angle des biens communs, sociaux et

économiques est encore plus surprenante. Ainsi, il apparaît

vite que ces biens qu’on pourrait supposer communs (mine-

rais, ressources halieutiques et forestières) sont comme alié-

nés par quelques familles très riches possédant des droits

privés d’exploitation de ces ressources.

LES BIENS COMMUNS,

AVANT TOUT DES BIENS ÉCONOMIQUES

De façon générale, un bien commun peut aisément se

concevoir également comme un bien social et, potentielle-

ment, un bien économique. Les interventions des différents

témoins et acteurs au cours de notre voyage d’études et

les différentes visites que nous avons effectuées nous ont

permis d’identifier les quelques éléments d’analyse déve-

loppés ci-dessous. Par exemple, l’eau, souvent présentée

comme bien commun de l’Humanité, est également un bien

social dès lors qu’elle est accessible à l’ensemble de la com-

munauté et pourra également être considérée comme un

bien économique pour les compagnies qui en assurent l’ex-

ploitation et/ou la distribution. Au Chili, l’assimilation, ou au

contraire la distinction, entre les biens communs, les biens

sociaux et les biens économiques revêt un caractère parti-

culier.

Ainsi, s’agissant des ressources naturelles, biens communs

environnementaux, elles sont exploitées principalement

par des entreprises privées (nationales, mais aussi interna-

tionales ou multinationales) et représentent les premières

richesses du pays :

• L’exploitation des ressources minières

Le Chili est le 1er producteur et 1er exportateur mondial de

cuivre (20% des ressources de la planète ; 50% des expor-

tations mondiales). Le pays possède également d’autres

importants gisements miniers tels que le lithium (33% de la

production mondiale), le nitrate (25% de la production mon-

diale), l’argent (8% de la production mondiale), le molyb-

dène…

• La pisciculture avec notamment l’élevage intensif de sau-

mons et les farines de poisson

L’économie agricole chilienne est la 4e mondiale en termes

de captures halieutiques et le Chili est le 2e producteur et

exportateur mondial de saumon, derrière la Norvège.

• La sylviculture, avec l’afforestation en pins et eucalyptus,

espèces à croissance rapide et haut rendement

CorinneBAUER

ChristianFILLON

GuillaumeRAVEL

GeorgesWEIL

Page 24: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

24 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

Les plantations des grandes entreprises forestières couvrent

80% des sols cultivables. Cette production appartient à plus

de 55% à deux entreprises chiliennes même si ces régions

où elles sont installées comptent parmi les plus pauvres du

pays.

Mais il ne faut pas se limiter à cela car il existe aussi des es-

paces communs et des moyens qui pourraient servir l’intérêt

général, comme les infrastructures routières et ferroviaires,

celles-ci, à l’instar des ressources, sont la propriété de cette

même minorité d’acteurs privés qui les utilisent aux seuls

bénéfices de leurs entreprises (chemins de fer, ports inté-

grés verticalement dans des holdings privés). Rien d’éton-

nant alors à ce que 0,1% de la population détienne près d’un

cinquième du PIB Chilien1.

Soulignons qu’au-delà des conséquences en termes d’iné-

galités d’accès et de jouissance, les biens communs que sont

les ressources naturelles et leur exploitation (et quelquefois

surexploitation2) conduisent à la mise en péril des écosys-

tèmes naturels (et donc du patrimoine commun), la charge

environnementale de cette exploitation intensive étant de

plus en plus soulignée3. Une prise de conscience du gou-

vernement et de certains acteurs privés semble aujourd’hui

se dessiner et des actions de protection de l’environnement

sont entreprises (actions par ailleurs également favorables

à l’acceptation, par les citoyens, des activités et nuisances

des grands groupes industriels…). À ce titre, le Chili est fré-

quemment qualifié de « pays laboratoire » du schéma de la

nouvelle économie des ressources4 (NER) telle que décrite

par les agences internationales telles que l’Agence française

de développement (AFD), l’Organisation des nations unies

pour le développement industriel (ONUDI) ou encore le Pro-

gramme des nations unies pour l’environnement (PNUE).

LE MODÈLE ÉCONOMIQUE CHILIEN

Concernant la répartition des biens, il est difficile de passer

sous silence l’influence des économistes Chiliens connus

sous le nom des ‘Chicago Boys’, qui œuvrèrent, de 1960 à

1990, à tous les niveaux de l’État (présidence de la Pontificia

Universidad Católica de Chile, gouvernement de la junte mi-

litaire) à la mise en place d’une économie ultralibérale faite

de privatisations et de réductions des dépenses sociales

afin d’éradiquer le communisme. Il convient d’ailleurs de no-

ter que beaucoup d’entre eux se sont reconvertis à la tête

d’entreprises qu’ils avaient eux-mêmes privatisées.

Dans ce pays, où tout est privatisé, se loger se révèle être

très onéreux au regard du revenu moyen, et l’éducation est

chère. L’ascenseur social ne fonctionne pas ce qui contri-

bue au taux d’inégalité du pays, qui se trouve parmi les plus

élevé du monde : 0,01% de la population détenant 10% du

PIB, soit environ 1 700 personnes, 15 à 20 familles, qui ne

remplissent pas, aujourd’hui, le rôle de mécènes. Il est donc

permis de s’interroger sur la nature des biens communs de

ce pays et s’il en existe encore ?

Quant aux biens économiques, au sens propre, que consti-

tuent les entreprises, ceux-ci sont, semble-t-il, privatisés

dans leur très grande majorité. La prospérité économique

profite-elle à l’ensemble de la population ? Ce serait une

question à instruire car le secteur secondaire (industries de

transformation et production de biens, gisement d’emplois

qualifiés) n’est pas très visible ; on remarquera tout de même

que la holding minière Quiñenco, basée à Antofagasta et

propriété de la famille Luksic, ne possède pas d’usines de

transformation du cuivre au Chili mais est l’actionnaire prin-

cipal de Nexans (près de 30% des parts) à la bourse de Paris.

Par ailleurs, il est bien délicat d’établir, au premier regard,

quelle part des biens sociaux revient aux populations moins

favorisées, contraintes au chômage, à de maigres emplois

de rue (réhabilités en entrepreneuriat individuel ?) ou au

travail dans les entreprises de l’oligarchie. S’agissant de la

protection sociale et des retraites, elles restent entièrement

à la charge des individus avec une attribution indexée sur

l’espérance de vie des personnes.

LA PLACE DE L’ÉGLISE ET DE L’ARMÉE

AU CHILI DE NOS JOURS

Pour autant, un arbitrage inattendu dans cette question des

biens et ressources pourrait être apporté par l’Église catho-

lique au travers de la notion de « péché social », brièvement

introduite dans une conférence à l’Universidad Católica del

Norte à Antofagasta. Les péchés sociaux, contre lesquels il

faut lutter, résident dans des choix politiques, économiques

et techniques dont l’impact sur la vie des collectivités peut

se révéler réellement négatif. L’Église, très puissante au

Chili, pourrait influer sur la possibilité d’une ascension so-

ciale au Chili par le biais de son influence sur les élites

comme sur le peuple –soutien au pouvoir et de protection

des plus faibles– et de ses institutions (dont les universités

catholiques).

Dans un autre contexte, nous nous serions intéressés à la

question de l’armée, forte de près de 140 000 hommes au

Chili et dont la dotation budgétaire, 4% du PIB, est la plus

importante de toute l’Amérique latine après Cuba. Les em-

prises sont réparties sur le territoire, conséquence d’une

forte contrainte liée à l’éloignement géographique. L’armée

a joué un rôle important durant la période de la dictature et

la moitié de son budget est consacrée aux ‘carabineros’ (ca-

rabiniers, police à statut militaire équivalent des gendarmes

1 Le Chili est en effet le 14e pays le plus inégalitaire au niveau mondial ; les 10% les plus riches ont un revenu 27 fois plus élevé que les 10% les plus pauvres. 2 Par exemple, les exploitations minières et la sylviculture sont consommatrices d’importantes quantités d’eau et limitent les possibilités et/ou rendements agricoles des communautés locales.

3 « La tragédie des biens communs » ; tendance à utiliser la ressource de manière intensive et risque de surexploitation4 Les auteurs de la NER argumentent en faveur de l’instauration systématique de droits de propriété privés pour l’allocation des ressources naturelles renouvelables au motif d’une plus grande efficience des mécanismes marchands.

Page 25: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 25

français). Depuis 2006, la conscription est automatique,

même si l’abandon du service militaire est régulièrement

évoqué. Cependant, une des étapes importantes a été la

reconnaissance des responsabilités institutionnelles de l’ar-

mée dans la violation des droits de l’Homme durant la dic-

tature. Ce geste a été bien accueilli dans le gouvernement

et la population qui semble attachée à son armée. Parallè-

lement, les jeunes générations d’officiers semblent animées

d’un véritable esprit de loyauté envers le gouvernement et

de nos jours, le Chili possède divers corps militaires (des

casques bleus) aidant aux missions de paix des Nations

unies, à Chypre, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou à

Haïti (missions Minustah).

CONCLUSION

Ainsi, les différentes rencontres et observations faites

durant ce séjour et au travers de la rédaction de ce

carnet ont permis de souligner que peu de biens

communs existent au Chili, pays pourtant stable et

prospère. Tout y est privatisé, peu accessible à l’im-

mense majorité de la population, l’ascenseur social

fonctionne mal et génère un taux d’inégalité qui figure

parmi les plus élevés du monde : nous sommes face

« au paradoxe chilien ».

Par de nombreux aspects, le pays apparaît comme

une tragédie tant géographique que géophysique

avec les séismes, éruptions volcaniques et autres tsu-

namis. Mais, il en est de même pour son économie

qui repose sur les vestiges de la dictature. Beaucoup

de gens vivent dans l’espoir d’une ascension sociale,

d’un commencement de redistribution, pour que leurs

enfants puissent bénéficier de meilleures conditions

de vie mais semblent aussi craindre le retour d’une

dictature.

Par ailleurs, l’histoire ou le devoir de mémoire en cours,

que l’on trouve par exemple dans l’ouvrage de Nona

Fernández5, devrait permette aux plus jeunes de com-

prendre le contexte dans lequel leurs ainés ont évolué

et seront peut-être en mesure de mieux comprendre

leur pays et de proposer des évolutions.

5 N.Fernandez, La quatrième dimension, éditions Stock, 2018

Page 26: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

26 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

7 Les particularités du lien entre le système de production des

connaissances et l’organisation sociale

La découverte du modèle social et éducatif chilien a été une

page d’étonnement, un bousculement de nos représenta-

tions, une mise à l’épreuve de notre zone de confort. Dans

ce chapitre, nous rendrons compte, dans un premier temps,

de nos impressions en la matière. Nous proposerons ensuite

une caractérisation du système de production des connais-

sances au Chili. Enfin, nous esquisserons les relations que

nous avons perçues entre ce système de production des

connaissances et l’organisation sociale chilienne, en nous

appuyant sur les discours des intervenants que nous avons

rencontrés durant notre voyage d’études.

ORGANISATION SOCIALE

On entend ici par organisation sociale un ensemble de

collectifs en interaction selon des règles ou principes par-

ticuliers. Ce qui nous a marqué au Chili, c’est le caractère

particulièrement saillant de certains groupes sociaux et le

rôle régulateur relativement limité de l’État. Nous avons été

frappés par la concentration des richesses aux mains d’une

poignée de familles, souvent issues de l’immigration euro-

péenne. Ainsi, 11% des richesses sont détenues par 0,01%

de la population du pays, 19% par 0,1% de la population et

30% par 1% de la population. Cette élite, de riches familles

essentiellement d’origine basque, française ou anglaise,

contrôle les leviers économiques en détenant les grandes

entreprises de secteurs aussi stratégiques que l’énergie,

l’approvisionnement en eau, les services financiers, les

transports, la presse écrite, et surtout les mines de cuivre

qui représentent l’activité économique principale du pays.

C’est la même élite qui est présente dans les strates les plus

élevées du pouvoir politique.

Ce mélange des genres et des rôles, souvent, mais pas ex-

clusivement, rencontré dans les pays d’Amérique du sud, li-

mite le rôle de contre-pouvoir de l’État et favorise en consé-

quence la prédominance d’une logique économique au

détriment du traitement des enjeux sociaux, sociétaux et en-

vironnementaux du pays. Il semble que l’État Chilien distille

ses aides et subventions au compte-gouttes, priorité étant

donnée à des enjeux majeurs comme la survie face aux ca-

tastrophes naturelles (surtout après le séisme de 2010 dont

la gestion par l’État a été considérée comme défaillante). En

particulier, nous n’avons pas perçu qu’une réflexion soit me-

née sur la question de la gestion du risque d’épuisement

à moyen terme des ressources naturelles, comme si le fu-

tur n’avait pas de valeur. La protection sociale semble très

faible, comme si elle devait exclusivement relever de la lo-

gique individuelle, et la réduction des inégalités sociales ne

semble pas être recherchée, comme si elle ne constituait

pas un enjeu. Le soutien aux plus démunis semble relever

de l’initiative privée, en particulier de l’Église catholique et

des familles. Même s’il nous a été signalé à plusieurs re-

prises que la France était un modèle de référence pour le

Chili, il n’en demeure pas moins que, d’un point de vue éco-

nomique, un système beaucoup plus libéral prévaut.

Le Chili apparaît, de ce point de vue, tiraillé entre plusieurs

logiques liées à son histoire singulière : vagues d’immigra-

tion d’origine européenne (créant un lien singulier avec

l’Europe), 17 ans de « dictature libérale » et puissante in-

fluence de l’Église catholique et des États Unis. Dans ce

pays, l’espoir d’élévation sociale est largement associé à la

poursuite d’études supérieures, mais les études sont chères

et obligent les étudiants (ou leur famille) à s’endetter consi-

dérablement. En effet, les universités publiques comme

privées fixent leurs droits d’inscription en fonction de leur

renommée et de leur stratégie. Il faut ainsi compter au moins

7 000 euros par année d’étude pour le secteur de la méde-

cine (source : RTBF, 2017). La loi que la présidente Michelle

FabienBLANCHOT

FlavioCHIOMENTO

FrédéricDAMEZ

PascalODOT

Page 27: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 27

Bachelet a souhaité faire passer durant son second mandat

sur la gratuité des études n’a toujours pas été promulguée

et il est peu probable que son successeur, libéral, œuvre

dans ce sens. Qu’il constitue ou non un miroir aux alouettes

en matière d’élévation sociale, le système d’enseignement

supérieur, tant public que privé, tient une place importante

dans la société chilienne. On compte ainsi plus d’1,2 million

de jeunes inscrits à l’université pour une population de 17,5

millions (2,5 millions d’étudiants en France pour une popula-

tion de 67 millions d’habitants).

SYSTÈME DE PRODUCTION DES

CONNAISSANCES

L’université est aussi une pierre angulaire du système de

production des connaissances au Chili. En effet, elle re-

présente 75% des dépenses consacrées à la recherche, le

solde étant le fruit de l’investissement des entreprises. Glo-

balement, l’investissement en recherche est faible au Chili.

Il ne représente que 0,4% du PIB contre 2,3% en moyenne

dans le monde et 2,2% en France d’après les données de la

Banque mondiale. La recherche ne semble donc pas la prio-

rité pour le pays et encore moins pour le secteur industriel.

Pour autant, le Chili est le premier producteur de publica-

tions académiques en Amérique latine, rapporté au nombre

d’habitants, attestant d’une productivité remarquable des

chercheurs chiliens. Par ailleurs, le profil géologique particu-

lier du Chili en fait un formidable terrain d’observation ouvert

aux communautés scientifiques internationales : le désert

d’Atacama offre un site unique pour la recherche spatiale

et astronomique ; le sous-sol chilien détient des trésors ar-

chéologiques ; le pays tout entier, à cheval sur deux plaques

tectoniques, est un terrain de jeu grandeur nature pour l’en-

semble des sismologues de la planète… Sur ces niches, le

Chili fédère les meilleurs savants et experts du monde et ex-

celle au niveau scientifique. Qu’ils soient tirés par la commu-

nauté académique internationale, dans la volonté d’explorer

l’univers, ou par des multinationales en quête de nouveaux

gisements en minerais, ces pôles de compétences s’orga-

nisent naturellement au sein des universités, qu’elles soient

publiques ou privées, et contribuent à une recherche sou-

vent très appliquée.

Cette recherche est aussi très internationale et coopérative :

50% des activités de recherche se font avec des organismes

de recherche étrangers. En particulier, des partenariats ont

été noués avec le CNRS, pour la création d’une unité mixte

en mathématiques appliquées, le Center for Mathematical

Modeling (CMM) de l’Universidad de Chile et avec l’Inria

dans le domaine de la géologie et de la sismologie, condui-

sant notamment à la création d’un centre Inria Chile. En ce

qui concerne les entreprises chiliennes, il semble qu’elles

préfèrent coopérer avec les universités anglo-saxonnes plu-

tôt qu’avec des universités françaises, considérées comme

orientées vers des recherches trop théoriques. Il y aurait

« manque de confiance académique ». En outre, les entre-

prises chiliennes financent peu la recherche universitaire

(des doctorants par exemple) notamment pour des raisons

de confidentialité des données, préférant conclure, si be-

soin, des contrats intuitu personae avec les chercheurs

(consultations privées), de sorte que l’essentiel des finance-

ments de la recherche universitaire provient d’organismes

de financement de la recherche. Le mécénat des richissimes

familles vers la science, comme nous avons pu l’observer au

Portugal, n’est pas dans les us et coutumes du pays.

ARTICULATION ENTRE ORGANISATION

SOCIALE ET SYSTÈME DE PRODUCTION

DE CONNAISSANCES

L’articulation entre l’organisation sociale chilienne et son

système de production de connaissances ne saute pas aux

yeux. Il semble néanmoins possible d’établir trois liens prin-

cipaux, qui ont trait à l’intensité, aux modalités et au contenu

de la recherche.

Tout d’abord, le faible poids de la recherche en part du PIB

(1ère caractéristique de l’intensité de la recherche au Chili)

n’est certainement pas indépendant de la structure de l’acti-

vité économique chilienne. La place historiquement forte de

l’activité minière et, plus généralement, du secteur primaire

(agriculture, pêche, forêt, etc.) combinée à la domination

économique d’un nombre réduit de familles qui privilégient

le court et moyen terme au long terme n’est pas de nature à

favoriser l’investissement en matière de recherche.

Ensuite, le caractère coopératif et international de la re-

cherche est lié à la singularité géologique du Chili mais

sans doute aussi à la faiblesse des ressources allouées à

la recherche par l’État et les grandes entreprises locales. La

coopération internationale est en effet un moyen d’accès à

des ressources additionnelles. Elle peut aussi contribuer à

expliquer la productivité relativement élevée du Chili en ma-

tière de publications (2e caractéristique de l’intensité de la

recherche au Chili).

Enfin, le contenu des recherches réalisées n’est pas indé-

pendant du contexte socio-économique chilien. Il est certes

dépendant, on l’a mentionné, de la singularité géologique du

pays mais aussi lié à des problématiques sociales chiliennes.

Ainsi, l’Universidad Católica del Norte a-t-elle entrepris des

recherches sur la géographie humaine dans la région d’An-

tofagasta, notamment sur les flux migratoires relativement

importants dans cette région et les conditions d’une bonne

intégration sociale. Ou bien l’Universidad Católica de Te-

muco s’est intéressée aux communautés indigènes et aux

indiens Mapuche, dans le but de comprendre les rapports

entre Mapuche et tribunaux et d’expérimenter, dans le cadre

d’une recherche-action, des protocoles nouveaux pour gé-

rer les litiges impliquant des Mapuche.

Suivant cette perspective, l’enrichissement paraît mutuel,

la recherche visant l’utilité sociale. Pour autant, la fertili-

sation entre la recherche et la société chilienne fait sans

Page 28: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

28 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

doute plus figure d’exception que de règle. En matière de

production de connaissances, le faible investissement na-

tional combiné à un fléchage des ressources possiblement

influencé par des intérêts industriels limite de facto la por-

tée sociale, sociétale et environnementale de la recherche.

En matière de diffusion de connaissances, des efforts sont

localement réalisés pour irriguer les connaissances au sein

de la société chilienne, telle l’initiative de Chantal Signorio

qui, dans le cadre du Festival Puerto de Ideas (le port des

idées) qu’elle a mis en place à Antofagasta, permet d’ouvrir

la connaissance à un public élargi. Et si l’université forme à la

recherche et par la recherche, les bénéficiaires sont poten-

tiellement nombreux, compte tenu de l’importance des étu-

diants au Chili. Faisons l’hypothèse d’une telle acculturation

et gageons qu’elle provoque, dans l’avenir, une orientation

plus long terme et, conséquemment, un investissement plus

fort dans la recherche.

Page 29: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 29

8 Les faces de la philosophie et de la mémoire chilienne

Jean-Marc DELTORN

GuillaumeHOUZEL

Sabine TUYARET

DE QUELLE PHILOSOPHIE CHILIENNE

PARLE-T-ON ?

Existe-t-il une philosophie chilienne ? Passer en revue un à

un les travaux des philosophes chiliens donnerait certaine-

ment un aperçu de l’histoire de la philosophie au Chili, mais

cela suffirait-il à identifier sa singularité ? Parmi les éléments

qui pourraient justifier une particularité chilienne, on pour-

rait d’abord examiner les généalogies – intellectuelles et

culturelles – de ces philosophes, reflets des mouvements

migratoires singuliers et des influences idéologiques dont

ils furent les véhicules. On pourrait encore analyser l’histoire

politique dans lesquelles ils s’inscrivirent (et les grandes

ruptures qui y sont associées : la transition pré/post colo-

niale, l’indépendance vis à vis de l’Espagne, le coup d’état

de 1973 et la dictature). On pourrait aussi souligner l’impor-

tance, le poids, de la religion sur le corpus philosophique (et

la difficile séparation religion-état). On pourrait enfin tenter

de tracer un portrait de la mémoire chilienne en miroir de

sa géographie, si particulière, entre ruptures, catastrophes

et segmentations. Car n’est-ce finalement cette nature sin-

gulière qui, unissant la population sur son territoire, serait

à même de fonder une identité chilienne en imposant une

construction sociale partagée du risque ?

UNE PHILOSOPHIE ANCRÉE DANS

LA GÉOGRAPHIE ?

Jorge Estralla évoque en ce sens, dans La philosophie au

Chili, la figure du philosophe Ernesto Grassi (1902-1991).

Pour ce dernier, « en Amérique latine, la présence déme-

surée de la nature dans l’esprit de l’homme fait de lui un

être mythique, spectateur des cycles cosmiques, pour le-

quel prévaut l’identique, le réitératif. » Selon lui, l’homme

sud-américain est ancré dans les cycles naturels et ses ca-

tastrophes. Il est en ce sens essentiellement ahistorique,

détaché d’une notion de progrès si chère au monde occi-

dental. « La pensée et la technique ne font pas partie de

la manière de faire latino-américaine : ses hommes ne pré-

tendent pas dominer la nature, ils s’y soumettent plutôt »1.

Mais si la géographie unique du Chili est sans doute un élé-

ment important qui a façonné sa culture, si elle est le lieu

des extrêmes, de cataclysmes géologiques qui furent tôt la

source d’une cosmogonie où les forces telluriques affron-

taient sans cesse les forces de l’océan, c’est aussi le lieu de

catastrophes humaines : colonisation, christianisation, révo-

lutions, et jusqu’aux dernières décennies, le lieu d’affronte-

ments politiques et idéologiques féroces.

UNE PHILOSOPHIE TRADITIONNELLE

RICHE MAIS IGNORÉE.

Les peuples autochtones, Mapuche, Aymaras, Quechua,

Atacameño (parmi de nombreux autres), constituent au-

jourd’hui environ 10% de la population chilienne. Riches de

leurs cultures originales, ces peuples ont développé des

philosophies propres, singulières, qui subsistent aujourd’hui

encore, non seulement au travers des pratiques spirituelles

et sociales mais qui s’expriment aussi dans l’exercice de

langues aux caractéristiques uniques. La langue Aymara

1 Jorge Estralla. La philosophie au Chili, p. 156

Page 30: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

30 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

est ainsi fondée sur une logique ternaire (consistant d’un

« oui   », « non » et d’un « oui/non » qui échappe à une

traduction simple dans d’autres langues) dans laquelle se

développe un espace de représentation particulièrement

apte à manipuler les concepts abstraits3. Les principes

philosophiques occidentaux basés sur une catégorisation

« exclusive » (un objet appartenant à une classe ou à une

autre mais rarement aux deux simultanément) mériteraient

certainement d’être confrontés aux principes dérivés d’un

autre fondement logique. La représentation du temps, pour

les Quechua et les Aymara, est également unique : dans ces

traditions, le passé est « devant » alors que le futur est «  der-

rière » (puisque le passé nous est accessible, il est donc

visible (et donc « devant nous ») alors que le futur est in-

connaissable, caché, et donc « derrière »)3. Une inversion

de la flèche du temps qui accorde à la mémoire une place

de premier plan (puisqu’il est difficile d’ignorer ce qui nous

fait face). Pour les Mapuche, enfin, l’équilibre de la vie com-

munautaire est au centre d’une philosophie qui repose sur

un profond respect des autres membres de la communauté

(«  faire justice » y est ainsi davantage « retrouver un équi-

libre  » que de chercher à sanctionner ou à identifier un cou-

pable) mais aussi de la terre et de l’environnement (dans

une vision qui s’oppose radicalement aux pratiques « extrac-

tivistes » de l’industrie minière chilienne et au faible intérêt

apparent du Chili face aux questions environnementales)4.

Pourtant, malgré ces caractéristiques uniques, force est de

constater que l’influence de ces philosophies traditionnelles

a été, jusqu’à aujourd’hui, largement ignorée. La philoso-

phie chilienne, comme le Chili tout entier, semblent en ef-

fet bien davantage « tournés vers l’Europe » que prompts à

s’interroger sur leurs origines et leur mixité, qu’elles soient

culturelles ou ethniques. L’ensemble des enjeux identitaires

et idéologiques du Chili moderne est ainsi caractérisé par

la persistance d’expression de ses origines européennes  :

un rapport quasi-tutélaire dans lequel le développement

idéologique, philosophique autant que l’appareil critique se

trouvent comme « figés ». Il n’est donc peut-être pas tout à

fait surprenant que ce soit chez les Mapuche, notamment,

et sans doute justement grâce à ces fondements philoso-

phiques et à ces traditions propres qu’ils ont su préserver,

qu’un discours politique critique (accompagné d’une action

militante) se développe aujourd’hui face à l’ultra-libéralisme

dominant et à l’exploitation sans frein de l’écosystème

chilien5.

LA POLITIQUE, OBJET DE LA

PHILOSOPHIE ? LA PHILOSOPHIE,

INSTRUMENT POLITIQUE ?

Pour Ivan Jaksic, la proximité avec la question politique

est une des caractéristiques de la philosophie chilienne :

« In Chile, philosophers have traditionally understood their

role as one of utilising the instruments of philosophy for

addressing social and political problems. [...] This close

linkage between philosophy and politics constitute the fun-

damental basis for understanding the history of the disci-

pline in Chile and in many instances some of the most si-

gnificant educational and political events in the nation »6.

La question dépassa pourtant le cadre théorique lorsque le

11 septembre 1973 le coup d’état militaire mené par Augusto

Pinochet annonça le retour d’un « ordre » supposément

perdu, ou pour le moins remis en question, durant la prési-

dence d’Allende. Le corps des philosophes reçut, au même

titre que le reste de la société, le choc de plein fouet. Il serait

pourtant faux de penser qu’ils furent unanimes à condamner

le putsch. Une fraction conservatrice accueillit en effet l’an-

nonce d’un tel « retour à l’ordre » comme l’espoir d’un renou-

veau des valeurs fondamentales constitutives de l’identité

chilienne et la possibilité - pratique - d’exclure les fauteurs

de trouble qui risquaient de bouleverser les structures éta-

blies (y compris dans l’ordre administratif des facultés, où

nombre de ces philosophes exerçaient). Ce « nouvel ordre

» fut ainsi synonyme de « purge » dans le milieu universi-

taire. Le département de philosophie de l’Universidad de

Chili à Santiago fut particulièrement touché : « Critics like

Juan Rivano were arrested and sent into exile while others,

like Edison Otero, were dismissed without charges. The mi-

litary placed the University of Chile first under the aegis of

the Air Force and subsequently (1976) the Army»7. À la place

des philosophes et professeurs établis, à présent exclus de

l’université, des intellectuels de second-rang, mais proches

du régime de Pinochet furent nommés aux positions clés et

s’y maintinrent des années durant 8. L’université devint, dans

le même mouvement, le porte-flambeau d’une philosophie

économique inspirée de l’École de Chicago, dont les prin-

cipes néolibéraux organisent toujours, 45 ans plus tard, la

dynamique politique et sociale du pays9. Électricité, eau po-

table, communication et santé sont du domaine de la libre

concurrence.

3 Rafael Núñez, et Eve Sweetser. With the Future Behind Them : Convergent Evidence From Aymara Language and Gesture in the Crosslinguistic Comparison of Spatial Construals of Time

4 Armando Marileo Lefio et Ricardo Salas Astrain. Filosofía occidental y filosofía mapuche: iniciando un diálogo5 David Schlosberg et David Carruthers. Indigenous struggles, environmental justice, and community capabilities, p. 126 Ivan Jaksic. Academic rebels, p. 27 Stanford Encyclopedia of Philosophy: Chilean philosophy8 Id.9 Juan Gabriel Valdés. Pinochet’s Economists: The Chicago School of Economics in Chile

Page 31: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 31

« POR LA RAZON O LA FUERZA »,

PAR LA RAISON OU PAR LA FORCE.

Et si la philosophie chilienne s’illustrait tout simplement dans

la devise nationale, conservée depuis 1834. Elle s’inscrit

dans la pure pensée rousseauiste : « Le plus fort n’est jamais

assez fort pour être le maître, s’il ne transforme sa force en

droit, et l’obéissance en devoir. » (J-J Rousseau, Du contrat

social). Une société peut-elle être une démocratie quand

elle s’autorise à fonder son droit sur la force ?

LA FIN DE PINOCHET : L’OPPORTUNITÉ

D’UN RETOUR CRITIQUE ?

La démocratie retrouvée en décembre 1989 a recensé

3 217 personnes assassinées et 38 000 cas de torture par

des agents de la dictature. Les chiffres donnent le vertige

et parlent d’eux-mêmes. En quittant le pouvoir, l’armée a

non seulement négocié l’impunité avec la Concertation des

partis pour la démocratie (alliance des partis politiques de

la démocratie chrétienne à la gauche non communiste) qui

gouverne le pays de 1990 à 2010 mais encore, détruit toutes

les archives de la Centrale Nacional de Inteligencia (CNI) qui

a succédé à la DINA. L’oubli est imposé. L’effacement pro-

grammé des traces par les militaires rend impossible tout

travail de mémoire. L’auteur Luis Sepúlveda qui retourne au

Chili pour vivre les derniers jours de la dictature parle d’«une

démocratie fatiguée dès sa naissance, surveillée, autorisée

et liée par un pacte monstrueux : construire l’euphémisme

permettant de sauver la face d’un État de délinquants, en

acceptant publiquement l’existence de crimes commis mais

pas le nom des criminels.10 »

LE CHILI : « UN PAYS À LA MÉMOIRE

SCHIZOPHRÈNE ». 11

La constitution de lieux de mémoire évoquant la répression

militaire ne débute qu’après le décès du Général Pinochet, res-

té chef des armées dans la nouvelle démocratie. Inauguré en

2010, le Musée de la mémoire et des droits de l’Homme est un

espace consacré aux violations des droits de l’Homme com-

mises par l’état chilien entre 1973 et 1990. Ce musée, né du re-

fus de mémoire, tente une construction sociale de la mémoire

pour éviter l’émiettement des mémoires individuelles. « Il n’y a

pas une seule mémoire du passé. Les gens se souviennent de

manière différente, individuelle et collective. La mémoire est

liée à l’émotion.» déclarait Michelle Bachelet dans son discours

inaugural du Musée.

Le film de Patricio Guzmán, Obstinate Memory, réalisé en

1997 en complément du documentaire La bataille du Chili

dans lequel il avait jadis révélé les scènes du coup d’état

dans toute leur brutalité, revient sur les traces laissées par

les évènements de 1973. Au cœur du propos, la difficulté

d’évoquer les blessures passées.

« Se souvenir », rappelle Ernesto Malbrán, réalisateur et dra-

maturge, recordarse, signifie un « retour au cœur » (« re », le

retour et « cor, cordis », le cœur). Un retour impossible pour

Hortensia Bussi, veuve de Salvador Allende pour qui « l’ou-

bli est une forme d’auto-défense ». Un retour douloureux

pour d’autres, tant « il est difficile d’admettre ses erreurs,

lorsqu’on sait les conséquences du coup d’état ». Ernesto

Malbrán souligne pourtant l’importance du devoir de mé-

moire, alors même qu’il faut expliquer les évènements à

une nouvelle génération qui, « après 23 ans de censures et

d’autocensures, a grandi dans l’ignorance »: « Je suis heu-

reux d’avoir fait partie de cette «nef des fous». Aujourd’hui,

alors que les modèles et les idéologies ont failli, il faut ac-

cepter cette responsabilité: celle d’être la mémoire vivante,

de nous constituer en témoins, pour que les jeunes sachent

que ce coup d’état ne fut pas un naufrage, la fin d’un rêve,

mais rien moins qu’un tremblement de terre. 12 »

Le temps ponce les émotions et permet désormais de ques-

tionner l’Histoire. Le mouvement est encouragé par le retour

des exilés qui se trouvent en décalage idéologique avec le

nouveau Chili. Les retornados poursuivent une forme de mi-

litantisme dans le domaine des droits de l’Homme afin de

sortir leur pays, idéalisé en exil, d’une forme de sommeil

dans laquelle il est plongé depuis 1973. Ils contribuent à la

reconstruction de l’histoire à partir de l’expérience de l’exil.

Et puisque, selon les traditions Aymara et Quechua, « le pas-

sé est devant nous », peut-être sera-ce là l’occasion de le

regarder, enfin, en face.

10 Luis Sepúlveda. Histoires d’ici et d’ailleurs – Portrait de groupe sur fond d’absence11 Thomas Huchon. L’Express 11/09/201312 Ernesto Malbrán. Extrait du film de Patricio Guzmán, « Obstinate Memory »

Page 32: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

32 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

BIBLIOGRAPHIE :

• Louise Bonte et Thomas Huchon. 40 ans après Salvador Allende, la mémoire schizophrène du Chili. L’Express, septembre 2013.

• Patricio Brickle. Les faces de la philosophie Chilienne. L’Harmattan, 2016.• Jorge Estrella. La philosophie au Chili. In : Contemporary philosophy, a new survey, vol. 8,

Philosophy of Latin America, Ed. Guttorm Floistad, Springer, 2003.• Patricio Guzmán. Obstinate Memory. Icarus films, 1997.• Iván Guzmán de Rojas. Logical and Linguistic Problems of Social Communication with the Aymara People. International

Development Research Centre, 1985.• Ivan Jaksic. Academic rebels in Chile, the role of philosophy in higher education and politics. SUNY series on American

and Iberian Thought and Culture, State University of New-York (SUNY) press, 1989.• Armando Marileo Lefio et Ricardo Salas Astrain. Filosofía occidental y filosofía mapuche: iniciando un diálogo.

ISEES: Inclusión Social y Equidad en la Educación Superior, vol. 9, 2011, p. 119-138.• Rafael Núñez, et Eve Sweetser. With the Future Behind Them : Convergent Evidence From Aymara Language and

Gesture in the Crosslinguistic Comparison of Spatial Construals of Time. Cognitive Science, vol. 30, n°3, 2006, p. 401-450.

• Nicolas Prognon. L’exil chilien en France ente mobilités transnationales et échanges. Amnis, Revue de civilisation contemporaine Europes/Amériques, décembre 2013.

• David Schlosberg et David Carruthers. Indigenous struggles, environmental justice, and community capabilities. Global Environmental Politics, vol. 10, n° 4, 2010, p. 12-35.

• Luis Sepúlveda. Histoires d’ici et d’ailleurs. Editions Métailié, 2011.• Stanford encyclopedia of philosophy: https://plato.stanford.edu/entries/philosophy-chile/• Gérard Thomas. Chili une mémoire élective. Libération, novembre 2013.• Bernado Toro. Entre histoire et mémoire - Le musée de la mémoire de Santiago du Chili. Revue française

sur les dynamiques migratoires, 1305/2014.• Juan Gabriel Valdés. Pinochet’s Economists: The Chicago School of Economics in Chile.

Cambridge University Press, 1995.

Page 33: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 33

9 Le Chili, une terre latino-européenne ?

ChristianDUCROT

FabriceIMPERIALI

AudreyMIKAËLIAN

BrunoPREVOST

Tout laisserait à penser que le Chili, de par sa population, ses

influences et ses collaborations, peut être considéré comme

un territoire latino-européen. Une étude plus approfondie

pourrait toutefois nous laisser penser qu’il en est tout autre,

tant l’influence du continent nord-américain et progressive-

ment celle de l’Asie est présente derrière la façade.

EUROPÉEN PAR SA POPULATION

Bien qu’éloigné de notre continent et isolé par ses frontières

dissuasives, le Pacifique d’un côté, la Cordillère des Andes

de l’autre, la population chilienne est essentiellement eu-

ropéenne à la base. L’immigration européenne l’a façonné,

à commencer par son élite issue essentiellement du Pays

Basque espagnol puis par des arrivées plus massives, au

XIXe siècle, de populations issues d’autres pays d’Europe,

en particulier d’Angleterre, d’Italie, de France, de Croatie

ou d’Allemagne. Les Chiliens se définissent d’ailleurs da-

vantage par leur nationalité européenne d’origine, comme

leur patronyme le souligne fréquemment, que par leur ap-

partenance à une identité chilienne. Les peuples indigènes

(Mapuche et autres) représentent aujourd’hui moins de 5%

de la population chilienne, contrairement à la situation de la

plupart des autres pays d’Amérique latine.

Dans le même ordre d’idée il faut souligner le choix de l’Eu-

rope comme continent de destination d’une grande partie

de la population chilienne, dont 10 000 vers la France, du-

rant la dictature.

EUROPÉEN PAR SES INFLUENCES

Par ses influences, le Chili peut aussi se comparer à

l’Europe.

Politiquement d’abord, le pays a les mêmes préoccupations

que l’Europe : le libre-échange, nous y reviendrons, l’écolo-

gie, les droits de l’Homme (dans une certaine mesure), etc.

L’Europe reste donc un modèle et c’est étonnamment au tra-

vers des yeux européens que les Chiliens ont parfois réalisé

la gravité de la période Pinochet, quel que soit le niveau

d’objectivité des européens sur ce sujet.

Au niveau du développement économique, le Chili est

comparable à la Pologne ou au Portugal. Cela n’en fait pas

un pays d’Europe pour autant mais il est toutefois à noter

que l’Union Européenne est le 3e partenaire du Chili et

que le Chili est le 3e marché d’exportation en Amérique du

Sud pour la France. Pour continuer sur ces aspects éco-

nomiques, le pays est régulièrement comparé à la Suisse

Allemande en raison de sa rigueur et de son aspect « festif »,

image de marque du continent Sud-Américain, beaucoup

moins marqué que chez ses voisins.

Côté urbanisme, l’influence européenne ne fait aucun doute

tant l’inspiration des paysages urbains d’Europe est mani-

feste. Les multiples collines de Valparaiso, dont les habita-

tions rappellent les architectures rencontrées dans diffé-

rents pays de notre continent et ses monuments en sont une

autre preuve.

Enfin, sur un tout autre sujet, si la pratique religieuse semble

en perte de vitesse, la religion catholique est toujours pré-

sente, a minima entretenue, dans certaines catégories de

la population plutôt élitistes, dans ce pays pourtant laïque.

EUROPÉEN PAR SES COLLABORATIONS

La société chilienne est tout d’abord très inspirée du mo-

dèle intellectuel et académique européen et en particu-

lier français. Si déjà le Chili était un sujet d’écriture pour

Aragon, Brecht et Baudelaire, il n’est pas étonnant de trou-

ver de nombreux ouvrages français dans les bibliothèques

Page 34: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

34 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

ou les musées chiliens (traités de géologie ou de minéra-

logie par exemple au Musée de l’Universidad Católica del

Norte à Antofagasta). De même la plupart des universitaires

que nous avons rencontrés maitrisent la langue française et

collaborent avec des chercheurs français.

L’industrie européenne est également très implantée. Pour

ne citer que la France, les industries ferroviaire (métro), aéro-

portuaires (l’aéroport de Santiago est géré par la société Aé-

roport de Paris) ou énergétiques, représentent une bonne

proportion des 240 entreprises présentes sur le territoire.

Plus loin dans le passé, des capitaux européens importants

ont été investis dans le pays, par exemple des capitaux alle-

mands dans l’industrie du salpêtre et les pays européens ont

aidé à la reconstruction suite aux catastrophes sismiques.

Adossés au secteur industriel, pour reprendre l’exemple

de la France, des centres de recherche et développement

conjoints ont été développés (avec l’Inria Engie et Naval

Groupe par exemple) ainsi que de nombreuses coopéra-

tions scientifiques et universitaires (4 000 projets communs).

Des unités de recherches mixtes, du CNRS, de l’IRD ou de

l’Inria sont présentes localement et les échanges bilaté-

raux d’étudiants ne sont pas anecdotiques : 900 étudiants

chiliens poursuivent leurs études dans les établissements

supérieurs en France et 600 étudiants français se forment

au Chili chaque année. Pour terminer sur notre exemple, la

France, via le CNRS, est le plus gros collaborateur du Cen-

ter for Mathematical Modeling de l’Universidad de Chile à

Santiago.

L’astronomie est probablement le plus bel exemple de col-

laboration avec l’Europe. L’European South Observatory,

collaboration de pays européens, aurait presque sa place

sur le blason du Chili tant ses stations d’observations, mon-

dialement reconnues pour leur situation idéale, attirent les

scientifiques et les financements européens dans le désert

chilien.

LATINO-EUROPÉEN ET AMÉRICAIN

Alors oui, c’est un fait, le Chili est un pays latino-européen.

Mais cette vision en trompe l’œil masque une réalité somme

toute différente. Il n’est pas possible d’ignorer l’influence

américaine, politique au moment du cout d’état du Général

Pinochet en 1973, et économique aujourd’hui au travers d’un

modèle ultra libéral qui peine à masquer sa divergence ou

son exagération du modèle américain. Même si le modèle

social européen semble attirer les chiliens, la réalité montre

au contraire une organisation sociale fortement inégalitaire

et le pouvoir déterminant d’une oligarchie économique sur

l’état.

Par ailleurs, même si le Chili a été relativement isolé géo-

graphiquement au cours du temps et que des tensions

récurrentes existent avec la Bolivie autour de la question

d’accès à la mer, il entretient de bonnes relations politiques

et économiques avec la plupart des pays latino-américains.

Le pays est l’un des membres actifs du Mercosur et de l’al-

liance Pacifique. L’augmentation de l’immigration depuis

la fin de la dictature se fait d’ailleurs au profit de migrants

venant d’autres pays latino-américains (Bolivie, Pérou et

Colombie en premier lieu), attirés par l’attractivité écono-

mique du pays. Les migrants européens actuels sont en fait

des migrants temporaires qui viennent le temps de l’implan-

tation d’infrastructures.

L’éloignement à Valparaiso, à une centaine de kilomètres de

la capitale, donc du pouvoir, de la chambre basse du Parle-

ment trahit l’idée d’un modèle démocratique à l’européenne

tel que nous nous le représentons. La constitution rédigée

au temps de la dictature, période de forte influence des

États-Unis au Chili, n’a pratiquement pas évolué.

Et la révolution des citoyens dans tout cela….. ? Son absence

dans les faits à chaque changement de régime ou de gou-

vernement ne laisse pas de place à une quelconque compa-

raison avec un modèle français (sans jugée de son bienfon-

dé) pourtant cité en référence à répétition.

Au Chili, les biens considérés en Europe comme publics sont

vendus : à de riches compagnies d’extraction de cuivre en

ce qui concerne les ressources naturelles présentes dans

le désert d’Atacama, à la Bolivie pour une partie des eaux

territoriales, ou possédés par des particuliers comme cela

est le cas pour l’eau.

Côté nourriture, l’omniprésence du pain (à la française) sur

les tables peine à faire oublier les rayonnages hypnotiques

de boissons sucrées américaines dans les magasins, des

plus petits aux superettes. Des chiffres de 2015 indiquent

que le Chili est le second consommateur de sodas au

monde, derrière le Mexique, avec 144 litres consommés par

an par habitant. Conséquence directe : avec plus de 25%

d’adultes concernés, le Chili est le huitième pays au monde

le plus affecté par l’obésité (chiffre OCDE).

Le goût même du café est loin d’imiter un ristreto à l’Italienne

mais se rapproche davantage du breuvage consommé à

New York.

Les médias, télévisuels notamment, où les programmes

oscillent entre soaps ou séries à la mode américaine par-

ticipent de l’éloignement annoncé du mode de diffusion

Européen.

CONCLUSION

Donc oui, en s’arrêtant aux discours de certaines élites,

le Chili est un pays latino-européen. Mais nonobstant

les exemples concrets et nombreux que nous venons

d’énumérer, l’empreinte historique et croissante des

États-Unis, l’arrivée progressive des pays asiatiques

(la Chine achète 40% de la production de cuivre), et

la distance prise avec notre modèle égalitaire (pour-

tant vanté) nous obligent à fortement nuancer cette

affirmation.

Page 35: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 35

10 Mobilités et réseaux au Chili : les effets de la géographie, de l’histoire

et des organisations sociales et familiales

INTRODUCTION

Pays d’Amérique du Sud qui partage ses frontières avec le

Pérou au Nord, la Bolivie et l’Argentine à l’Est, tout en étant

bordé par l’océan Pacifique à l’Ouest, le Chili constitue une

étroite bande de terre de 4 300 km du Pérou au Cap Horn,

d’une largeur moyenne de 180 km, dont la superficie totale

s’élève à 756 900 km2, comprenant l’archipel Juan Fernández

et l’Ile de Pâques.

Pays « couloir », « lame étroite de terre instable » « folie

géographique qui résume en elle mille souffrances, mille

erreurs de la terre», comme le décrit Fernand Braudel1, son

territoire est particulièrement exposé aux risques naturels :

ouragans, tsunamis, tremblements de terre, volcans, incen-

dies… « Chaque souffrance obligeant l’homme à réagir et

à s’adapter », poursuit Braudel, le pays est donc en perma-

nente reconstruction à la suite d’un traumatisme naturel.

Son histoire sociale, politique et culturelle est, quant à elle,

marquée aussi par la tragédie : l’« européanisation » induite

par les vagues d’immigration espagnole du début du XXe

siècle, les conquêtes et l’acculturation des minorités in-

diennes, notamment des Mapuches, les récentes vagues

de migrations haïtiennes et vénézuéliennes, ont conduit à la

constitution de communautés, fragmentant l’identité globale

du pays, sans commune mesure avec ses voisins d’Amé-

rique latine. S’ajoute à ces éléments le traumatisme récent

de la dictature Pinochet, et sa féroce répression, qui a pous-

sé à l’exil près de 400 000 Chiliens.

L’ensemble de ces caractéristiques font du Chili un pays

complexe à appréhender ; s’il est aujourd’hui officiellement

un pays riche d’Amérique latine et une démocratie depuis

1990, les réalités quotidiennes de ce pays ne reflètent pas

toujours ces faits.

D’un point de vue économique d’abord, le Chili présente

à la fois les caractéristiques de développement d’un pays

riche -économie dynamique, forte urbanisation, nombreuses

richesses naturelles-, et de fortes inégalités de développe-

ment liées à la rigidité de son organisation sociale, carac-

térisée par la concentration du PIB dans les mains d’un pe-

tit nombre (0,1% des plus riches captent ainsi 10% du PIB2 ),

la privatisation de ses ressources (eau, transport), le conser-

vatisme fort lié au poids de l’église, la quasi-absence de pro-

tection sociale, les difficultés d’accès à l’éducation…

D’un point vue politique ensuite, la gouvernance du pays

mêle ultralibéralisme et oligarchie se rapprochant ainsi de

l’ancien régime français. La vision duale, classiquement dé-

veloppée en France, entre Allende et Pinochet ne corres-

pond pas à la perception qu’ont de nombreux Chiliens pour

lesquels la période d’Allende fut une période de déclin éco-

nomique, de grèves et d’inflation. L’alternance démocratique

récente entre les gouvernements de Michelle Bachelet et

de Sebastian Piñera n’a pas conduit à de réelles réformes

structurelles d’envergure, objet aujourd’hui d’une contesta-

tion larvée, en particulier des plus jeunes.

Ainsi, les particularités géophysiques mais aussi historiques,

économiques et sociales, contrastées et parfois paradoxales

du Chili ont fortement impacté ses réseaux et mobilités et

généré une structuration de sa société tout à fait atypique

que nous tenterons de décrypter dans ce chapitre de notre

carnet de voyage.

Daniel BRUNO

VirginieFARRE

Marie-LineVAIANI

Maud VINET

1 Braudel Fernand. Chili, cette folie géographique. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 3e année, N. 4, 1948. pp. 443-446.2 Données fournies par le Conseiller économique de l’Ambassade de France, Avril 2018

Page 36: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

36 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

DES CARACTÉRISTIQUES

GÉOGRAPHIQUES FONDANT

UN SYSTÈME ATYPIQUE DE MOBILITÉS

ET DE RÉSEAUX

UNE ENCLAVE GÉOGRAPHIQUE EXPOSÉE

AUX RISQUES NATURELS ET PEU PROPICE

AU DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX

DE TRANSPORT.

Finistère du bout du monde, le Chili se caractérise en pre-

mier lieu par une géographie physique particulière. Pays le

plus à l’ouest sur le planisphère, son histoire géomorpholo-

gique est directement liée à la tectonique des plaques. Sur

sa moitié Nord, il est à la jonction entre la plaque sud-amé-

ricaine et celle, restreinte et totalement immergée, de Naz-

ca. Sur sa moitié Sud, il se prolonge pour prendre appui sur

la plaque Antarctique. Il est donc situé dans une zone de

convergences de forces qui ont donné naissance à la Cor-

dillère des Andes, formant sa frontière à l’Est avec l’Argen-

tine. Il s’est étendu au Nord à la fin du XIXe siècle, et ce, au

détriment de la Bolivie qui a ainsi perdu son seul accès au

Pacifique. Au Sud, il s’est accordé avec l’Argentine pour se

partager la Patagonie et conserver le détroit de Magellan.

Aujourd’hui, encore, il aspire à étendre son territoire jusque

sur l’Antarctique.

Le Chili est par ailleurs exposé à tous les risques naturels :

en plus des ouragans, il est confronté aux tremblements de

terre, tsunamis, inondations, incendies (comme en 2017) et

éruptions volcaniques. Situé sur une zone de convergence

entre une plaque océanique et une plaque continentale,

cette particularité générant de très régulières secousses sis-

miques (près d’une centaine depuis le début XXe siècle de

plus 6,5 de magnitude) qui s’accompagnent régulièrement

de tsunamis violents.

Par son isolement et son éloignement, le Chili peut donc

facilement s’apparenter à une île. Ces caractéristiques géo-

graphiques ont nécessairement bridé le développement

des réseaux et infrastructures de transport : il n’existe au-

jourd’hui aucun tunnel pour traverser la Cordillère des

Andes et favoriser l’accès à l’Argentine. La voie de chemin

de fer construite au XIXe siècle pour relier les extrémités

Nord et Sud du Chili n’est utilisée que très partiellement, de

manière discontinue, essentiellement pour le transport de

marchandises et même uniquement dans le Nord du pays

d’autant que la ligne appartient à un consortium d’exploi-

tants miniers. Paradoxalement, alors que les caractéristiques

géographiques pouvaient le laisser supposer, l’État n’est pas

impliqué dans les services de transports, qui sont soit des

partenariats public-privé, soit exploités directement par le

secteur privé. Cela est vrai pour les très nombreux aéro-

ports (celui de Santiago est exploité par Vinci) mais aussi les

ports, surtout destinés à la pêche industrielle, ainsi que pour

les très nombreux bus et autocars qui sillonnent le pays sur

un réseau routier de qualité, développé après la 2nde Guerre

mondiale par l’état pour favoriser l’investissement privé.

En matière de prévention des risques naturels, on constate

un désengagement semblable en matière d’implication de

d’État et de réseaux associés. Le pays a toutefois mis en

place, en 1974, l’Onemi3, organisme de l’État chilien qui a

pour mission de planifier et mettre en œuvre la prévention

et l’intervention face aux catastrophes naturelles. Un plan

national de protection civile a permis de réduire le nombre

de victimes des catastrophes subies ces dernières années

et, en 2010, un programme spécifique sur les risques, le pro-

gramme Citrid4, a émergé à l’Universidad de Chili pour mo-

biliser les chercheurs autour des questions de gouvernance

de la prévention et de la sécurité, venant compléter le dis-

positif de prévention et donnant lieu, en 2016, à un véritable

programme et une philosophie du risque.

Pourtant, selon Ricardo Toro, actuel directeur de l’Office na-

tional d’urgence du Chili (Onemi), « Il est certain qu’il y aura

un tremblement et nous envisageons toujours le pire. Mais il

faut savoir qu’il n’est pas possible de déterminer le moment

où celui-ci se produira. Une série de secousses peut se ter-

miner dans le calme, se prolonger ou aussi – puisque nous

sommes un pays sismique – provoquer un tremblement de

terre, et cela, nous ne pouvons pas le prédire. »

En fait, derrière cette impossibilité annoncée, se cache la

conséquence d’un manque de pilotage national ; en matière

de prise en charge des risques naturels, l’organisation du

maillage territorial chilien est inexistante, à l’instar d’un état

très centralisé qui n’a connu aucune décentralisation ; les 15

régions du Chili, gouvernées par un préfet, ont des pouvoirs

très limités (ceux d’appliquer les directives de l’État même

si celles-ci ne prennent pas en compte les particularités des

différentes régions). L’organisation de ce maillage se heurte

en outre à une double difficulté : d’une part coordonner et

faire collaborer l’ensemble des acteurs privés qui assurent

des délégations de service public sur l’ensemble du terri-

toire que cela soit dans le domaine du gaz, de l’électricité et

de l’eau. D’autre part, fiabiliser les données des nombreuses

agences d’évaluation des risques réparties dans chaque

zone sensible et sites urbains dont le contrôle supranational

et le système d’évaluation est inexistant et fait donc obstacle

à la vérification et compilation de l’ensemble des données

recueillies de manière parcellaire pour avoir une vision glo-

bale et complète permettant d’établir des modèles de prévi-

sion suffisamment robustes.

En conséquence, en 2010 puis en 2014, de forts séismes

ont engendré de nombreux dommages et souligné les diffi-

1 http://www.onemi.cl/2 http://citrid.uchile.cl/

Page 37: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 37

cultés des autorités chiliennes à prévenir ces catastrophes,

mais surtout à les gérer. Dans ce pays, où l’État est peu impli-

qué dans la vie économique et sociale, la seule organisation

capable de réagir en situation d’urgence a été l’armée ce

qui a suscité d’extrêmes inquiétudes de la part de la popula-

tion qui craignait un retour aux jours sombres de la dictature

Pinochet.

UNE ÉCONOMIE RICHE ET STABLE PERMETTANT

L’ESSOR DE PUISSANTS RÉSEAUX ÉCONOMIQUES

ET INDUISANT DE NOUVEAUX FLUX MIGRATOIRES

Malgré cette situation d’isolement liée aux fortes contraintes

géographiques, le pays a su développer une économie

variée axée à la fois sur la pêche industrielle, l’agriculture

intensive, la production de vins, l’exploitation des mines (sal-

pêtre et cuivre pendant la deuxième guerre mondiale pour

répondre aux besoins des usines d’armement des États-

Unis puis sulfates et lithium), l’industrie forestière et, de plus

en plus, le tourisme.

Le Chili est aujourd’hui le pays d’Amérique latine le plus

riche avec un PIB par habitants qui ne cesse d’augmen-

ter, aujourd’hui il se situe autour de 24 000$ par habitant5.

Il connait une croissance ininterrompue depuis 2000, et une

croissance moyenne de 4,9% entre 2000 et 2013.

Mature et dynamique, son économie est par ailleurs très ou-

verte sur le Pacifique et vers l’Asie (Chine Japon et Corée

du Sud). Pays le plus ouvert d’Amérique latine, le Chili se

caractérise par le libéralisme de son marché, et a passé des

accords de libre-échange avec 64 économies représentant

plus de 85% du commerce mondial. Le Chili fait partie, de-

puis 1996, du Merosur, Marché commun du Sud, et a signé

des accords de libre-échange avec le Pérou, la Colombie

et le Mexique. Il est une destination d’intérêt croissant pour

l’internationalisation des PME européennes. Le Chili fait aus-

si partie de l’Alliance du Pacifique, lancée en 2011, alliance

dont l’objectif est «d’encourager l’intégration régionale, et

ainsi la croissance, le développement et la compétitivité»

entre le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique (et bientôt

Panama) 6.

Premier pays d’Amérique latine à être devenu membre de

l’OCDE (le Mexique l’a rejoint depuis), il a récemment relan-

cé le TPP, Partenariat Trans-Pacifique à 11 (sans les États-

Unis qui en sont sortis avec D. Trump), dont il a été membre

fondateur en 2005 avec 3 autres pays (Bruneï, Nouvelle-

Zélande, Singapour), le TPP représentant la plus vaste zone

de libre échange dans le monde.

Ces réseaux économiques bien développés, couplés à une

stabilité politique, font du Chili un pays attractif en matière

d’investissements étrangers, et notamment français

(240 filiales d’entreprises françaises y sont implantées) ; par

ailleurs, les coopérations scientifiques y sont excellentes, le

modèle intellectuel et d’enseignement supérieur subissant

un fort tropisme européen et plus particulièrement français,

à la nuance près du coût exorbitant des études : cela se

traduit notamment par des mobilités étudiantes importantes

vers la France, de l’ordre de 10 milliers par an.

L’urbanisation du pays et la concentration de la population

au sein des grandes villes (7 millions d’habitants à Santia-

go sur 17 millions d’habitants au total) couplée à sa stabilité

et à sa richesse, font de l’immigration, haïtienne et véné-

zuélienne notamment, un sujet nouveau, avec une législa-

tion pour l’heure encore très libérale.

UN AVENIR INCERTAIN

La situation, mais aussi l’histoire sociale et politique du Chili

ont généré une structuration atypique des réseaux et mo-

bilités du pays, caractérisés par une certaine rigidité, liée à

la construction de son identité, à une organisation sociale

figée, et à une économie finalement fragile car dépendante

de ses matières premières.

LA DIFFICILE CONSTRUCTION D’UNE IDENTITÉ

Le point commun identifié suite à l’étude historique, écono-

mique, et politique du Chili est le fait que ce sont des re-

présentants de pays étrangers, implantés sur le territoire ou

commanditaires, qui ont toujours piloté les choix de cette

nation chilienne.

Dans la continuité de la conquête espagnole du XVIe

siècle, beaucoup d’immigrants espagnols et basques sont

venus s’installer au Chili tout au long du XVIIIe siècle. Le

siècle suivant, nombreux anglais, français et italiens y sont

venus chercher fortune et ont le plus souvent, avec les

descendants espagnols, constitué l’élite locale. Le Chili

compte également de fortes communautés palestiniennes,

syriennes et israéliennes.

Par ailleurs, les populations indiennes, avec une faible pré-

sence sur le territoire (elles représentent à peine 10% de

la population chilienne alors qu’au Guatemala, elles y re-

présentent 70%) constituent aujourd’hui une minorité qui

fait de plus en plus parler d’elle. La communauté Mapuche

notamment, ensemble de communautés aborigènes de la

zone centre-sud du Chili et de l’Argentine, a subi, aux XXe et

XXIe siècles, un processus d’acculturation et d’assimilation

aux sociétés des États argentin et chilien, au rebours duquel

se feront jour des manifestations de résistance culturelle

et éclatent çà et là des conflits parfois violents (avec morts

d’hommes) centrés autour de la propriété des terres, de la

reconnaissance de leurs organisations et de la pratique de

leur culture.

5 https://data.oecd.org/fr/chili.htm6 Quatre pays donnent naissance à l’Alliance du Pacifique, Courrier international, 29 avril 2011

Page 38: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

38 I CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018

Ces populations indiennes converties, après l’implantation

forcée sur des terrains à eux assignés par le Chili et l’Ar-

gentine, en un peuple de paysans, sont vouées à l’heure

actuelle à une grande fragmentation culturelle, à un morcel-

lement de la propriété, et à une migration vers les grandes

villes par les générations plus jeunes, qui a eu pour effet de

faire des Mapuches une population aujourd’hui majoritaire-

ment urbaine, établie principalement à Santiago du Chili et

à Temuco.

La question de la nation est donc complexe au Chili : les

anciens explorateurs ou migrants sont aujourd’hui à la tête

des institutions politiques et économiques alors que les des-

cendants des autochtones qui ont résisté farouchement aux

Espagnols se plaignent de discrimination raciale et sociale

dans leurs rapports avec le reste de la société, et que, selon

les statistiques officielles, leur indice de pauvreté est plus

élevé que la moyenne nationale chilienne.

Il existe une autre problématique fragilisant l’identité natio-

nale : le Chili s’est reconstruit après l’ère Pinochet sur un

consensus national de l’oubli, solution choisie par les diffé-

rents gouvernements pour permettre à la jeune démocratie

de se créer un avenir, respectant en cela le diktat de Pino-

chet. Le développement d’une mémoire officielle, avec no-

tamment le superbe Musée de la mémoire et des droits de

l’Homme à Santiago, ne suffit pas à l’établissement d’une

mémoire collective et les demandes de justice et de vérité

sont toujours éludées par les pouvoirs en place.

Cette situation peut sans doute expliquer que le taux de

participation aux dernières élections présidentielles n’ait été

que de 49% en moyenne l’un des plus bas de l’OCDE (69%

en moyenne à l’échelle de l’OCDE)

UNE ORGANISATION SOCIALE INÉGALITAIRE ET FIGÉE

Le Chili, comme la plupart des pays d’Amérique latine, est en-

core fortement marqué par l’influence de l’Eglise catholique.

La société chilienne reste très imprégnée de cette culture

chrétienne qui a diffusé jusque dans les universités, qui dé-

pendent directement du pontificat. Il existe aujourd’hui au

Chili, et ce depuis 1888, 18 facultés catholiques réunissant

26 000 étudiants et 3 500 professeurs.

L’église garde en outre un rôle très interventionniste en l’ab-

sence d’engagement de l’État dans certains domaines : elle

intervient ainsi dans le domaine d’accès aux droits des mi-

grants et organise leurs campements à l’encontre des direc-

tives des municipalités. Elle contribue à la promotion de l’art

et de la culture pour « éduquer » l’éco-système. Ce faisant,

ce poids de l’église contribue aussi à la rigidité de l’organisa-

tion sociale : si la liberté de culte est reconnue depuis 1925,

date de séparation de l’église et de l’État, en 2006, 75% des

députés ont voté contre la dépénalisation de l’avortement.

Par ailleurs, en matière d’éducation, le système d’ensei-

gnement supérieur est particulièrement critiqué, puisque

payant, même dans le public. Il a provoqué d’importantes

manifestations estudiantines en 2006 et 2011 appelant à

une « éducation gratuite pour tous ».

De la même manière, les systèmes de santé et de retraite

pâtissent du non engagement de l’État ; la sécurité sociale

est assumée entièrement par les salariés ; les hôpitaux pu-

blics connaissent des difficultés à accueillir les malades en

raison de la trop forte demande par rapport aux places dis-

ponibles, alors que la médecine privatisée est trop chère

pour la plupart des Chiliens.

Le Chili dispose d’un système complexe de comptes

épargne-retraite individuels mais le montant moyen des pen-

sions ne représente que 15% de la rémunération moyenne

d’un actif. La faiblesse des montants s’explique par des co-

tisations obligatoires de l’ordre de 10% seulement (20% en

moyenne sur les pays de l’OCDE) mais aussi par le cumul

de périodes d’activité indépendante, d’emploi informel, de

chômage ou d’inactivité particulièrement chez les femmes

et les travailleurs manuels.

UNE ÉCONOMIE DÉPENDANTE ET FRAGILE

La fragilité de l’économie chilienne se manifeste par sa

forte dépendance au cours des matières premières qu’elle

exporte, en particulier des cours du cuivre, dont elle est le

premier producteur mondial (50% des exportations) qui ont

ralenti la croissance (2%) entre 2014 et 2017. Au surplus,

l’extractivisme forcené des ressources naturelles, pour ré-

pondre aux besoins des grandes puissances, menace l’équi-

libre écologique et économique du pays. À la question de

savoir ce qui se passera quand les ressources de cuivre

seront épuisées, les universitaires répondent encore, pour

l’instant, on exploite.

Le gouvernement sortant a défini une politique de gestion

du pays à l’échelle macroéconomique ce qui a permis de

donner une assise économique saine, comme le souligne

l’étude économique de l’OCDE publiée le 26 février 2018.

Pour autant, restent à améliorer la faiblesse de la producti-

vité chilienne et les possibilités d’accès à des emplois quali-

fiés, et surtout à réduire l’ampleur persistante des inégalités

sociales.

Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, lors de son

discours de présentation soulignait : « la reprise économique

mondiale actuelle offre une occasion essentielle d’appro-

fondir les réformes structurelles engagées afin que le Chili

puisse réaliser pleinement son potentiel économique, profi-

ter pleinement de la globalisation et en partager plus équi-

tablement les fruits ». Quels seront les choix du nouveau

Président ? il est encore trop tôt pour le dire.

Page 39: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI • CYCLE NATIONAL 2017-2018 I 39

CONCLUSION Si le Chili s’affirme comme une vraie puissance éco-

nomique en Amérique latine et l’un des pays les plus

développés du continent, les limites de son système

ultralibéral restent toutefois criantes : inégalités so-

ciales et culturelles manifestes, non prise en compte

des risques d’appauvrissement des sols et des ri-

chesses du pays, peu ou pas d’innovation, absence

de coordination politique des programmes sociaux,

des infrastructures et des services publics aux mains

du secteur privé sans aucun contrôle véritable.

Si ces inégalités s’expliquent et reflètent les contrastes

du pays, à tous points de vue, un certain nombre de

signaux de prise de conscience et de désaccord de

la population face à elles émergent : la jeunesse, les

Mapuches.

Le Chili se caractérise au sein des pays développés

selon le classement de l’OCDE comme étant en des-

sous de la moyenne internationale concernant les

thèmes de l’engagement civique, de la santé, de l’em-

ploi et les salaires, des liens sociaux, de la sécurité, de

l’éducation et des compétences, ainsi que de la qua-

lité de l’environnement. Parallèlement, les Chiliens,

eux, se distinguent de nombreux autres peuples par

un niveau global de satisfaction de leur vie de 6 ,7 (sur

10) légèrement supérieur à la moyenne de l’OCDE.

Le devenir et l’évolution du Chili est aujourd’hui une

vraie question ouverte.

Page 40: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

40 I ANNEXE

Dimanche 8 - Lundi 9 avril Paris > Santiago du Chili

INFLUENCE D’UNE GÉOGRAPHIE

TRÈS PARTICULIÈRE

Le Chili est façonné par sa géographie si particulière que

ce soit en termes de système économique (plus de 20% de

l’économie du pays est basée sur l’exploitation ressources

naturelles), de structuration de la recherche (la recherche

scientifique hormis pour des domaines historiques comme

les mathématiques ou l’astronomie est tournée vers le sys-

tème productif du pays, lui-même lié à ses ressources na-

turelles) de structuration sociale (40,5% de la population

chilienne vit à Santiago, l’organisation réseaux –transport,

communication, électricité– est déterminée par la forme

spécifique du pays ), d’accès aux ressources (électricité,

eau) ou de gestion des risques et de résilience (importance

des risques sismiques et exposition aux tsunami).

LE CHILI : un pays façonné par sa géographie

Enrique ALISTE, géographe, professeur à

l’université du Chili

LES RELATIONS FRANCO-CHILIENNES ÉLEMENTS

DE CONTEXTE ET PANORAMA

Les services de l’Ambassade de France travaillent sur tous les

aspects de la coopération entre la France et le Chili que ce

soit en termes de relations diplomatiques bien évidemment,

de coopération linguistique, éducative, économique, cultu-

relle ou scientifique. Les agents de l’ambassade ont ainsi

une lecture approfondie du pays en lien avec leurs activités.

Ces premiers échanges permettront de mettre en exergue

les grandes dynamiques des systèmes économiques, de re-

cherche ou encore éducatifs du Chili aujourd’hui et les liens

particuliers que le pays entretient avec la France.

LES RELATIONS FRANCO-CHILIENNES

Gabriel NORMAND, premier conseiller

de l’Ambassade de France au Chili

LE SYSTÈME ÉCONOMIQUE CHILIEN

Marc LEGOUY, chef du Service économique de

l’Ambassade de France au Chili

LE SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

ET DE RECHERCHE AU CHILI

Ingrid CHANEFO, attachée de coopération

scientifique et universitaire de l’Ambassade de

France au Chili

Mardi 10 avril Santiago

ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

ET DE LA RECHERCHE

L’Université du Chili, fondée en 1842, est l’institution d’édu-

cation supérieure la plus ancienne du pays, et l’une des plus

prestigieuses en Amérique du Sud. Nationale et publique,

la « Chile » se donne une vocation d’excellence, et cherche

à participer au développement intellectuel et matériel de

la nation, pour se positionner comme pionnière dans les

domaines de l’innovation, des sciences et technologies,

des humanités et des arts, à travers ses programmes de

recherche et de doctorats. L’Université du Chili se pose

comme promotrice de l’exercice d’une citoyenneté critique,

d’une conscience sociale et d’une responsabilité éthique,

en accord avec les valeurs de tolérance, de pluralisme et

d’équité, prônant indépendance intellectuelle et liberté de

pensée, aussi bien que respect, ou promotion et préserva-

tion de la diversité.

Cette visite permettra de faire découvrir l’institution, sa stra-

tégie et son fonctionnement, et mieux comprendre com-

ment la recherche est pratiquée et organisée au Chili au

travers d’échanges avec des chercheurs de l’université. Il

s’agira donc de découvrir l’histoire de l’Universidad de Chile,

sa place dans le paysage chilien de l’enseignement supé-

rieur, son fonctionnement, sa gouvernance et sa stratégie.

Quelle est la position de l’Universidad de Chile par rapport

aux réformes en cours sur l’accès à l’enseignement supé-

rieur ? L’université a-t-elle fixé des axes de recherche priori-

taires ? Quels sont ses domaines d’excellence et comment

perçoit-elle cette question de la programmation stratégique

qui semble émerger dans le pays actuellement ? Quels pro-

grammes et stratégies sont portés par l’université pour ac-

compagner le pays vers une économie davantage fondée

sur la connaissance?

Le programme de réduction des risques

et des catastrophes de l’Université du Chili

(programme CITRID) rassemble des chercheurs autour de

la gestion des risques de catastrophes socio-naturelles. Ce

programme fédère de nombreuses disciplines comme la

géophysique, la psychologie, l’économie, l’ingénierie, la sis-

mologie, la sociologie, la climatologie, la médecine, le droit,

la géographie et l’architecture. Il promeut le développement

et la diffusion des connaissances et pratiques visant à la ré-

duction des risques et à leur prévention. Les quatre axes

de recherche de ce programme sont la théorie du risque,

la résilience, l’évaluation du risque et la gouvernance, avec

MéconnaîtrePROGRAMME • Session 8

Page 41: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

ANNEXE I 41

une attention particulière portée sur la qualité de vie sociale

et le respect des droits de l’homme.

Dans un pays où le risque sismique est très fort, quels mo-

dèles de prévision et de prédiction sont utilisés ? Quels

enjeux de gouvernances se dessinent entre la volonté de

prédire et la capacité de résilience du pays ?

La découverte d’un programme de recherche interdiscipli-

naire, permettra de mettre en lumière les modes de finance-

ment et d’organisation de la recherche au Chili. D’autre part,

les discussions et présentations autour de ce projet permet-

tront d’échanger sur la manière dont ce pays, situé au-des-

sus d’une des zones de subduction les plus sismiques du

globe (en moyenne un séisme de magnitude 8 tous les 10

ans), perçoit et gère les risques, quelle part est donnée à

la prévention et à la réparation des désastres et les raisons

de la création d’un tel programme interdisciplinaire sur la

« résilience ».

Le Centre de modélisation mathématique (CMM) a pour

mission la création de nouvelles mathématiques, leur diffu-

sion internationale et leur utilisation dans la résolution de

problèmes complexes issus d’autres sciences, de l’industrie

et des politiques publiques.

Il a été créé en 2000 par un groupe chercheurs du Dépar-

tement de génie mathématique, avec le soutien du Fonds

pour la recherche avancée dans les domaines prioritaires

(FONDAP) et de la Commission nationale de la recherche

scientifique et technologique (CONICYT). Le 28 avril 2000,

le CNRS et l’Université du Chili ont signé un accord créant

une Unité Mixte Internationale commune, adossée au CMM.

Cette UMI CMM a pour objectif de faciliter les échanges de

scientifiques entre les communautés chilienne et française.

C’est la plus ancienne des UMI du CNRS.

Ce centre de recherche de premier plan, vecteur d’inno-

vations très importantes dans de nombreux domaines

(comme l’astronomie ou l’énergie), concentre aujourd’hui

ses efforts dans cinq champs stratégiques : l’exploitation

minière, la biologie et la santé, l’éducation, la gestion des

ressources, les datas et l’informatique haute performance.

LE PROGRAMME CITRID, PROGRAMME DE

RÉDUCTION DES RISQUES ET DES DÉSASTRES

Jaime CAMPOS, directeur du programme Citrid,

professeur, département de géophysique,

Universidad de Chile

Juliette MARÍN, chef de projet, Programme

des risques sismiques, Universidad de Chile

PRÉSENTATION DU CENTRE DE MODÉLISATION

MATHÉMATIQUE

Alejandro MAASS, directeur du Centre

de modélisation mathématique,

Universidad de Chile

RECHERCHE ET INNOVATION

La Pontificia Universidad Catolica de Chile (UC) est l’une des

universités les plus importantes et prestigieuses du pays.

Elle a été créée en 1888 par l’archevêque de Santiago avec

pour objectif de posséder dans le pays une institution ca-

pable de former à l’excellence académique dans le respect

de la doctrine chrétienne. Si deux facultés, droit et sciences

physiques et mathématiques, existaient seulement à sa créa-

tion, l’université catholique du Chili en compte aujourd’hui

18, qui couvrent tous les domaines de l’art en passant par les

sciences de l’ingénieur, de l’éducation ou encore la méde-

cine. L’université compte environ 24 500 étudiants, possède

64 programmes de doctorats et emploie environ 1900 pro-

fesseurs à temps plein. Elle fait partie des trois universités

pontificales –placées sous l’autorité du Saint Siège- du Chili

et des six universités catholiques du pays. L’université pos-

sède cinq campus dans la région de Santiago et a créé en

2012 un centre de soutien à l’innovation suite à une dona-

tion de quinze millions de dollars du groupe Angelini.

Ce centre d’innovation : le Anacleto Angelini UC Innovation

Center, a pour mission de soutenir l’innovation par la mise en

relation des acteurs des secteurs publics et privés et la mise

à disposition d’infrastructures et d’espaces (Fab Lab, salles

de conférences…). Le rôle des universités dans le soutien

à l’innovation est particulièrement intéressant à regarder

dans un pays dont les grandes entreprises ne consacrent

qu’une part très réduite de leurs activités à la R&D, leurs ac-

tivités étant tournées principalement vers l’exploitation des

ressources naturelles, et connaissant un essor important du

secteur des services et du nombre de startups créées en

lien avec ce secteur.

Quels leviers existent aujourd’hui au Chili pour soutenir cette

innovation naissante ? Par quels biais la communauté scien-

tifique nourrit-elle cette innovation ? Quels secteurs sont les

plus dynamiques en matière d’innovation et quels sont les

principaux atouts et freins du pays en matière d’innovation ?

L’UC ET SON POSITIONNEMENT PARMI

LES UNIVERSITÉS CHILIENNES

Pedro BOUCHON, vice-recteur en charge de la

recherche, Centro de Innovación UC Anacleto

Angelini

LE CENTRE D’INNOVATION UC ET SON RÔLE

AU SEIN DE L’UC

Conrad VON IGEL, directeur exécutif, Centro de

Innovación UC Anacleto Angelini

LE SOUTIEN À L’ENTREPREUNARIAT DÉVELOPPÉ

PAR LE CENTRE D’INNOVATION UC

Felipe GONZALEZ, responsable des programmes et

de la méthodologie, direction de l’entrepreunariat,

Centro de Innovación UC Anacleto Angelini

Les études en ingéniérie de l’UC, le programme

«Ingeniería 2030»

Muriel OYARZUN, directrice adjointe du transfert,

École d’ingéniérie, Pontifica Universidad Católica

de Chile

Page 42: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

PRÉSENTATION DU CENTRE INRIA CHILE

ET DE SON DÉVELOPPEMENT (2012-2018)

Claude PUECH, directeur du centre Inria Chile

ALLOCUTION

Roland DUBERTRAND, ambassadeur de France

au Chili

DISCOURS

Antoine PETIT, président directeur général du

CNRS, président de l’IHEST

Muriel MAMBRINI-DOUDET, directrice de l’IHEST

Mercredi 11 avril 2018Santiago > Antofagasta

MIROIRS DE SCIENCE

Le festival de science d’Antofagasta (créé en 2014) contri-

bue à faire de cette ville l’un des lieux de diffusion de la

culture scientifique par excellence au Chili. L’un des mé-

cènes principaux de l’événement d’Antofagasta est l’entre-

prise BHP, exploitante de la mine « Escondida ».

Ce festival est la duplication du festival Puerto de Ideas créé

en 2011 à Valparaíso qui rassemble penseurs, chercheurs et

artistes en s’intéressant au processus créatif et à la genèse

des idées. De nombreux experts reconnus mondialement

(prix Nobel, Grammy ou Pulitzer…) y viennent chaque année

rencontrer un large public.

L’ambition du festival étant de faire circuler le savoir au-delà

des universités, il propose des rencontres ouvertes à tous et

des programmes pédagogiques et de médiation scientifique

pour tous les âges. L’événement affiche un esprit multidis-

ciplinaire, promouvant l’intégration et la convergence des

savoirs de diverses disciplines telles que la littérature, l’his-

toire, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, l’art, les

mathématiques, les neurosciences...

La rencontre avec l’équipe du festival permettra d’évoquer

la question de la circulation des connaissances, de l’éduca-

tion aux sciences, les rapports arts-sciences, ainsi que les

politiques culturelles du pays.

PRÉSENTATION DU FESTIVAL PUERTO DE IDEAS

Chantal SIGNORIO, directrice du Festival Puerto

de Ideas

Sergio SILVA, coordinateur général

du Festival Puerto de Ideas

MIROIRS CÉLESTES

Le désert d’Atacama, zone réputée la plus aride du monde,

est un lieu exceptionnel pour l’observation des astres. Elle

abrite ainsi de nombreux observatoires dont celui du Cerro

Paranal situé sur la montagne du même nom.

Cet observatoire est un projet européen de l’Observatoire

européen austral (ESO) ou officiellement Organisation euro-

péenne pour des observations astronomiques dans l’hémis-

phère austral, organisation intergouvernementale ayant son

siège en Bavière, soutenue aujourd’hui par 17 pays (15 pays

membres de l’Union européenne, le Chili en tant que pays

d’accueil et l’Australie en tant que partenaire stratégique).

Créé en 1962, l’ESO possède une vingtaine d’instruments

donc quinze à Cerro Paranal. L’observatoire unique de Cerro

Paranal, installé à 2635 mètres d’altitude, est l’une des ins-

tallations les plus importantes du monde dans le domaine.

L’observatoire contient notamment le Very Large Telescope

(VLT), un ensemble de quatre télescopes dont le diamètre

de chacun des miroirs primaires est de 8,2 mètres.

Portant chacun le nom d’un des frères Dalton, ces miroirs

ont également pour particularité de ne mesurer que 17,6

centimètres d’épaisseur.

PRÉSENTATION DE L’OBSERVATOIRE

Claudio DE FIGUEIREDO MELO, représentant de

l’ESO au Chili

VISITE DE LA SALLE DE CONTRÔLE

ET DE LA PLATEFORME

Claudio DE FIGUEIREDO MELO, représentant de

l’ESO au Chili

Cyrielle OPITOM, université de Liège, ESO

temporary staff

OUVERTURE DES TÉLÉSCOPES

42 I ANNEXE

Page 43: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

Jeudi 12 avril 2018Antofagasta > Santiago

EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES

L’université catholique du Nord (UCN) a été créée en 1956

par des prêtres de la Compagnie de Jésus. La mission et

la vision de l’université sont résolument centrées sur la ré-

gion du nord et l’université affiche clairement une stratégie

tournée vers le développement et le rayonnement de la

région. L’université souhaite être un acteur dynamique du

passage d’une économie basée sur l’exploitation des res-

sources naturelles à une économie de la connaissance. La

recherche qui est menée sur ses deux campus –Antofagasta

et Coquimbo– est tournée vers des problématiques locales,

souvent liées à l’exploitation ou à l’accès aux ressources

naturelles avec une priorité forte donnée aux questions en-

vironnementales. L’université compte ainsi notamment un

Centre de recherches avancées sur les zones arides (Anto-

fagasta) ou un Centre de recherche en droit spécialisé dans

les ressources naturelles (Coquimbo).

Que ce soit en astronomie ou en géologie, deux domaines

de recherche privilégiés de par la situation géographique

de l’université, ou encore en matière de questions de dé-

veloppement durable liées à l’eau ou à l’énergie, l’universi-

té catholique du nord est un acteur incontournable dans la

région.

L’objectif est de mettre en exergue les grandes probléma-

tiques relatives à l’exploitation mais aussi à l’accès aux res-

sources naturelles dans cette région riche en gisements

de cuivre mais très pauvre en eau. Les mines, monstres à

ciel ouvert, sont extrêmement énergivores et consomment

également beaucoup d’eau. De nombreuses structures de

désalinisation ou de production d’énergie photovoltaïque

sont implantées dans la région par les grandes compagnies

exploitant ces ressources, compagnies chiliennes mais

souvent étrangères. Attirant de nombreux migrants éco-

nomiques venus pour travailler dans les mines, la ville est

passée de 49 000 habitants en 1940 à 157 000 en 1978 et

à 285 000 en 2002. Quelles sont les ressources présentes

dans la région ? Quelles sont les problématiques, humaines,

environnementales, de mobilité et économiques que leur

exploitation intensive soulève ?

Le Département de géologie de l’UCN a été créé dans le

but de former des géologues professionnels pour qu’ils

puissent contribuer au développement de l’industrie mi-

nière dans le pays en plus de promouvoir l’enseignement

et la recherche de pointe dans la région. Il se donne pour

mission de contribuer à la connaissance de la géologie, en

mettant l’accent sur la gestion durable des ressources natu-

relles du pays. Il concentre sa recherche sur les applications

directes dans l’industrie, et souhaite développer des projets

de portée internationale. Il compte aujourd’hui plus de 500

étudiants, et est dirigé par Maria Soledad Bembow Seguel.

L’UCN a lancé en 2016 le Projet « Intervención, Migración e

Investigación » (IMI), avec le soutien de l’Archevêché d’An-

tofagasta et de Minera Escondida. Son objectif est d’aider

les personnes venues de l’étranger pour chercher des op-

portunités dans la région. L’UCN fédère pour ce projet la Di-

rection générale de la pastorale chrétienne et de la culture,

la Faculté des sciences juridiques, la Faculté d’économie et

d’administration et l’École de psychologie. Celle-ci dispose

du Centre d’intervention et de conseil psychosocial (CIAP),

qui lui-même inclut l’Unité de soins aux immigrants. Le tra-

vail de l’IMI vise à favoriser l’interaction des étudiants, des

universitaires, des bénévoles et des réseaux de soutien aux

migrants.

PRÉSENTATION DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE

DU NORD

Sergio ALFARO, directeur de la communication,

Universidad Católica del Norte

UNE GÉOLOGIE PARTICULIÈRE

Rodriguo RIQUELME, géologue, Universidad

Católica del Norte

PRÉSENTATION DU PROGRAMME IMI

« RECHERCHE, MIGRATION ET INTERVENTION »

José-Antonio GONZALEZ PIZZARO, historien,

faculté de droit, Universidad Católica del Norte

Marcello LUFIN VARAS, département d’économie,

faculté d’économie et d’administration, Universidad

Católica del Norte

Erika TELLO, directrice générale, pastorale,

Universidad Católica del Norte

VISITE DU MUSÉE DE GÉOLOGIE

DE L’ UNIVERSIDAD CATÓLICA DEL NORTE

Humberto FUENZALIDA, directeur du musée

PRÉSENTATION DE FCAB / AMSA,

LES RELATIONS DES ENTREPRISES CHILIENNES

AVEC LES HABITANTS

Paulo DELGADO, responsable des relations avec

les communautés sur la zone côtière, FCAB / AMSA

ANNEXE I 43

Page 44: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

QUESTIONS D’ALIMENTATION

L’organisation des nations unies pour l’alimentation et

l’agriculture (FAO) est l’agence spécialisée des Nations

unies qui mène les efforts internationaux vers l’élimination

de la faim. C’est une organisation intergouvernementale

présente dans plus de 130 pays. L’organisation comprend

194 états membres, deux membres associés et une orga-

nisation membre, l’Union européenne. Les objectifs straté-

giques de la FAO sont de contribuer à éliminer la faim, l’insé-

curité alimentaire et la malnutrition, de rendre l’agriculture,

la foresterie et la pêche plus productives et plus durables,

de réduire la pauvreté rurale, d’œuvrer à des systèmes agri-

coles et alimentaires inclusifs et efficaces et d’améliorer la

résilience des moyens d’existence face à des menaces ou

en situation de crise. Pour contribuer à ces missions, la FAO

crée et partage des informations déterminantes concernant

l’alimentation, l’agriculture et les ressources naturelles.

Le bureau de la FAO en Amérique latine et aux Caraïbes

a son siège à Santiago. Cette rencontre avec une des

consultantes en politique de sécurité alimentaire de ce

bureau permettra de découvrir comment cette institution

identifie les grandes problématiques liées à l’alimentation

au Chili où l’obésité au sein de la population chilienne aug-

mente de manière rapide et inquiétante.

PANORAMA DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

ET NUTRITIONNELLE

Giovanna ZAMORANO, consultante en politique

de sécurité alimentaire et nutritionnelle,

Organisation des Nations unies pour l’alimentation

et l’agriculture (FAO)

PANORAMA DES ENJEUX SOCIAUX ET CULTURELS

Le Musée de la Mémoire et des Droits de l’Homme a été

inauguré par la Présidente Michelle Bachelet en 2010. Il

se définit comme un espace donnant à voir les violations

des droits de l’homme commises par l’État chilien de 1973

et 1990. La volonté du lieu est d’honorer la mémoire des

victimes et leurs familles ainsi que d’encourager une ré-

flexion et un débat public sur l’importance du respect et de

la tolérance, afin que l’histoire ne se répète pas. Le Musée

s’est donné une mission éducative de partage des connais-

sances sur ce sujet douloureux. Les nombreux documents

et archives qui s’y trouvent (témoignages écrits ou oraux,

documents juridiques, cartes, récits, productions littéraires,

articles de presse, photographies…) permettent de traverser

cette partie de l’Histoire et ses différents éléments : le Coup

d’État, la répression qui a suivi, la résistance, l’exil, la solida-

rité internationale, et la défense des droits de l’homme.

Cette matinée sera l’occasion d’approcher les questions so-

ciales et politiques qui animent le pays par le biais de ren-

contres avec des penseurs et artistes chiliens (écrivains,

anthropologues…). Nous évoquerons successivement les

questions liées à la mémoire, la place des femmes, les mi-

norités et communautés (et notamment les Mapuches), les

questions d’alimentation et de santé publique, le rapport au

corps etc.)

Une visite du Musée de la mémoire et des droits de

l’homme permettra de mieux saisir les enjeux d’une his-

toire violente douloureuse encore très présente dans la

société chilienne.

VISITE GUIDÉE DU MUSÉE DE LA MÉMOIRE

ET DES DROITS DE L’HOMME

LA QUESTIONS DES COMMUNAUTÉS INDIGÈNES

ET DES INDIENS MAPUCHE

José Luis MARTINEZ, anthropologue, professeur,

Faculté de philosophies et d’humanités,

Universidad de Chile

Angelica LEZANO VIDAL, chercheur

en anthropologie, Universidad Católica de Temuco

ÉCRIRE SUR LA MÉMOIRE

Nona FERNÁNDEZ, écrivaine, actrice et scénariste

La reconnaissance des droits des femmes dans

le Chili post-dictatorial : le cas des violences envers

les femmes

Fabiola Miranda PÉREZ, chercheur en sciences

politiques, chercheur, Universidad de Los Lagos

44 I ANNEXE

Page 45: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...
Page 46: Méconnaître - ihest.fr · Citoyenneté, Pôle Idées & Savoir, Institut Français et Olivier Ihl, professeur à l’IEP de Grenoble. CARNETS DU VOYAGE D’ÉTUDES AU CHILI ...

IHEST - 1, RUE DESCARTES - 75231 PARIS CEDEX 05TÉL. : 33 (0)1 55 55 89 67 - FAX : 33 (0)1 55 55 88 32E-mail : [email protected] - www.ihest.fr

Institut des hautes études pour la science et la technologie

27 avril 2007

Établissement public à caractère administratif

Ministères chargés de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

L’Institut des hautes études pour la science et la technologie assure une mission de formation, de di�usion de la culture scientifiqueet technique et d’animation du débat public autour du progrèsscientifique et technologique et de son impact sur la société(Décret du 27 avril 2007)

L’IHEST est un organisme de formation enregistré sous le numéro 11 75 42988 75 auprès du préfet de région d’Île-de-France, référencé dans Datadock

- Cycle national annuel (40 auditeurs / 34 jours / septembre à juin)- Université d’été (40 à 50 participants / 3 - 4 jours)- Les Ateliers de l’IHEST (20 - 40 participants / 3 à 7 jours)

- Débats Paroles de chercheurs- Science et société en multimédias - La médiathèque de l’IHEST- Éditions d’ouvrages Actes sud/IHEST, Le Pommier- Réseaux sociaux : @IHEST, twitter, linkedin, facebook, dailymotion

NOM

NAISSANCE

STATUT

TUTELLES

MISSIONS

AGRÉMENT

FORMATIONS

DIFFUSION

L’IHEST EN BREF

AGEN

CE

LIN

ÉAL

- 03

20

41 4

0 76