Max André

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Max André

Équilibres

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Or je vous le dis : de toute parole oiseuse que les hommes auront proférée, ils rendront compte au Jour du Jugement. Matthieu, 12, 36

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Poème L'ubiquité du dire émeut la pensée recelée de toute chose en sa trop claire essence et le poème ouvre son évidence aux ineffables pesanteurs le ciel y gît versant de l'âme obscure et seule où pénètrent l'écho le geste et l'autre nuit d'un monde de hasards éteints mais qui respire vers la sphère haute fomentant l'amour et les ogives cathédrales de paroles convoquées par le firmament ici s'ordonnent tant de flammes improbables pour raviver au sein d'une clarté les lustres à l'arrêt dans les annales noires le miracle endormi sous la demeure de l'éclair et son providentiel exploit rien pourtant d'éphémère à cette gloire capitale concrète de lumière et mort caillées où le revers des mots assoit leur place même en équilibre nul de nombres ambigus comme un jet de rayons dans les pièges du prisme ― et rien non plus jamais ici venu qui dès lors ne s'éclaire et ne s'accorde avec son nom.

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Mémoire nue sous le soleil énorme de midi tissus de temps voici le granit et le gneiss comme en rêve leur flot lourd glissant vers le gouffre (malgré l'ahan l'épaule haute des rochers) c'est le trône miné de ronce et de remparts la forteresse solitaire qui s'effrite à la déroute des paroles le redan suspendu sur l'âme en profondeur un tambour de lumière y étouffe le temps il y a bien parfois la tentative des châtaigniers plantant leurs serres dans le roc saisi par un vertige ineffable d'abîme vers le ciel au-dessus des jardins étagés le clocher jette un lien d'appel à contre-pente mais tous sont partis plus personne il n'y a plus personne l'oiseau s'est replié comme un mouchoir les signes se sont tus en horizons de pierre en baves d'escargots en fumées de renards les signes se sont tus dans l'ombre à la racine de ce regard figé d'oubli qui leur ressemble à l'heure du feu dru plombant d'un seul éclair l'immense mur dans ce regard qui les lisait un monde amoncelé chair ciel et roc histoire et parole et poème comme un écho mêlé de songe et d'anciens dieux Sournois vivant au creux de la vallée massive un torrent barré d'ombre où l'astre danse nu fait glisser la montagne et le ciel à la mer.

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Éruptions Loin du regard très haut des très hauts châtaigniers loin de leur exubérance verticale que traversent les plus abrupts instincts j’ai aperçu entre mémoire et songe jaillir l’eau du torrent sperme superbe de ce soleil dont l’insolence chaque jour affichée offusque nos étoiles précaires, saillant sur les méplats et les ventres et les atterrissements où dans les spasmes effarés d’orgasmes plantureux prolifèrent ajoncs épines herbes vives orties bruyères mousses et fougères en cortèges et verts Pour moi richesse et pauvreté conjointes j’ai longtemps végété dans la basse zone d’éros favorable à mes simulacres personne à qui parler personne à mes côtés tout juste la fraternité du flot coulant comme mes jours entre des bords où croissent l’aconit et les ronces sourdant parfois pourtant lucides fleurs de myrte auréoler à peine éclos le sein de la vierge en tunique tissée de rayons et de roses, délices furtives, vanités asservies au sceptre ténébreux Et tandis que sur les crêtes enfiévrées les oréades dansent parmi les ombres, jaillissent mes pensées provignant leurs racines dans l’opaque et l’humus efflorescences d’âme issues elles aussi des organes charnels mais oubliant leurs noces chevelues avec la terre, leurs retournes obliques selon les courants et les marges Puis la jaculation s’apaise en promesse d’azur par delà les blocs erratiques débris de cimes érigées, par delà les cuves dont le giron est fabuleux, jusqu’à ce que le décor éphémère effigie fuyant prestige seul dans la ravine se mue en un désir illimité de mer,

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jusqu’à ce que nos corps qu’exacerbe le sable s’élèvent à l’entier de cet espace pur où tous les mots s’effacent inutiles où toute voix devient langue et caresse.

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Ville Flaques le néon jaune au fond des corridors flammes la pluie sur le bitume où tous les prismes s'évaporent âme lumière au carrefour il n'y a plus de vide entre les pierres que lèchent les langues longues des fumées âme lumière sèche d'ombre la lune mate à la dérive de planètes étrangères la lune mate pend aux vieux murs comme une enseigne souffletée par mille miroirs Dans les cafés la bière écume les orchestres se multiplient l'orage nickelé foudroie les oiseaux morts et sur les seuils étincelants vibre l'ozone et courent les archets électriques La femme au sexe de nylon promenant ses dures antennes sur les murs marche sans chapeau double opaque des vitrines qui s'étoilent mais personne ne peut la suivre de son image rien ne reste malgré la persistance rétinienne les bouches du métro l'emmènent jusqu'à l'autre versant de la nuit et celui qui était venu pour la chercher repart tout seul le long des avenues indécises.

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Ville Une femme traverse la 5e Avenue sous d'énormes lettres de feu le long des murs on brûle une sorcière ― son bûcher illuminant les grands crucifix tragiques et la fluctuation de la foule dans le vacarme indifférent où parfois cependant se devine la face seule abasourdie de lettres rouges parmi les bouillonnantes artères qui se renversent vers la mer issues des bouches du grand lac et les solitudes arctiques les peaux de bêtes obscures absolvent le sortilège des seins l'âme est là-bas chez le trappeur lacérée par le coutelas ou par les flèches de ce dieu dont le visage encore échappe au fond des plaines pour reparaître à chaque pas dans les vitrages effarés ― Seul à controverser le déferlement manifeste des perspectives un ascenseur s'élève plus haut que le plus sublime angélus que les étoiles séquestrées à l'extrême faîte des tours jusqu'à l'arche de ce ciel clos né de la flamme et de l'écume.

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Histoire Des jours enfants nébuleuse au-delà des grands iris tendus flammes fumantes depuis les angoisses et les foudres avant l'architecture du charbon avant les maisons d'os et leurs faciès immuables parmi l'horizon vide tout est sans fin présent l'appel matinal des cathédrales vers le haut les villes aériennes sur les étangs fermés les éclosions de vapeurs transparentes épanouies en immeubles de verre et à travers le chaos des canaux et des galeries à ciel ouvert déjà les prisons et les ruines déjà les antennes dans le soir sordide déjà les rémouleurs aiguisant leurs ciseaux déjà l'horrible odeur des charniers et des pièges déjà le sang dans le ruisseau des abattoirs où les bœufs tendent leurs cous énormes aux couteaux de partout dans les amphithéâtres surpeuplés sur les gradins de topaze les foules se lèvent tour à tour surgies des déserts bleus à la limite de lumière ou montées sur d'étranges dragons par les abîmes applaudir les épées affilées du destin et regarder couler les entrailles fumantes la page écrite à tous les temps de la conjugaison Alors la mort ferme les yeux le néant s'organise et le cirque des lueurs fugaces replie ses rideaux sur une certitude de sable.

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Ils ont mis à la roue le peuple des métaux taillé le roc à leur échelle et détourné les aqueducs de la lumière pour affiler le tranchant des épées ils ont pétri de feu montagnes et nations ils ont rompu les ouragans à leurs caprices et récrit la formule absolue des aubiers ils ont bu l'alchimie et broyé l'occident ils ont partout planté leurs sismographes et les voici venus vers les fosses superbes où mûrissent les syllabes de l'abîme Pas un récif qui leur résiste pas un astre pas un corail des mille mers suppliciées que dieu puisse dresser de toute sa falaise pour mettre une frontière à leur ténèbre en haut pas un manteau de vent massif pas une écaille qui puisse recouvrir la renverse du ciel pas un bastion d'infime vide intérieur sur les confins inaccessibles de leur règne vers l'au-delà de cet espace anéanti où tremblent confondues leur victoire et la mort.

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Fusée L’abîme déchaîné dans les chambres de combustion et les tuyères émonctoires le vide mire du métal l’aile en défi sur les déserts de l’eau contestent la prépotence des pesanteurs exaltent l’équipage que tire vers le bas sa gravité native ― hybrides lévitant poètes du cosmos entre scaphandre et seraphim ils conspirent à leurs rêves comme les nôtres libres d’espaces qui fluctuent de galaxies de chaos primitif hors du temps avec eux avec nous le monde entier prend son essor et fuit la terre vers le désastre de l’azur exténué par les tumultes qui l’offusquent eux, bafouant les à-coups les vibrations avortés sur le bouclier magnétique les satellites malencontreux le vent solaire debout contre les empennages nous, exécrant la contrainte inexorable des horloges et les destins rivés à nos revirements pour eux, déjà la fleur de la musique se concerte et le ruban rouge et la couronne des héros et les éloges en belles phrases pindariques pour nous, peut-être, un mot d’adieu dans les nécrologies Mais à mesure que se balise très au-delà du cercle de la lune la sphère des fixes que vont s’amenuisant les plages d’oxygène peu à peu ahane la montée l’haleine manque aux moteurs il faut franchir la frontière gagner par d’autres forces la ligne où les voyageurs à la limite extrême d’ascension résignent comme nous tous leur apogée Pourtant sur les tableaux embroussaillés d’algèbres sur les ordinateurs aux écrans thaumaturges des argonautes d’infini rajustent leurs simulacres sans trêve réitérés jusqu’à l’incalculable issue ― mais omettant parmi les relations d’incertitude l’amour, qui meut de loin les amas de soleils.

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Le granit qui jauge les sphères a mis point final à l'orage doigts fumants de pluie la haie vive consigne le temps feuille à feuille comme l'aveu d'une défaite

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Fête Le taureau noir jaillit, trop-plein de la ténèbre, vers l'arène aux lumières crues. Aveugle dans le soleil et l'éclat de la foule, sans pressentir les signes qui marquent la mesure du rite immémorial, il piaffe, fasciné par le leurre des capes, puis, vibrant dans l'étendue neuve, il charge. La nuque rétive se raidit en collier d'ahan pour déchirer le mirage qui palpite sur la circonférence impassible. Il charge. A l'abri du bois, on le regarde. Le corps opaque ébranle les barrières, et le cœur dans son orbe de foudre fond d'allègre fureur à chaque volte des sabots. Les cuivres à nouveau résonnent (il ne les entend pas) et dans le cercle sans merci voici la bête porte-dard, le centaure promenant les yeux toujours sérieux de ceux qu'on a choisis pour conduire la danse en dedans. Arc-bouté, le taureau cherche de toute sa fougue intacte encore à disloquer sommairement l'obstacle, ignorant l'aiguillon qui ronge le garrot. En vain. Le premier sang coule vers les puissances dont le vouloir inaccessible préside très haut par dessus la poussière et les cris. Bientôt l'étreinte stérile dénoue son immobilité statuaire, et le taureau fixe hagard la carapace où s'est une nouvelle fois brisée l'illusion d'être seul. Douleur des trilles aiguisés dans la fanfare qui fulmine et l'étourdissante lumière ! Le mufle bave, les flancs battent une musique d'asphyxie. L'air se dérobe aux assauts redoublés. Le courage haut porté jusque là chancelle dans le vertige des passes. L'ombre tourne. La mort dresse la forme effilée d'une lame. Le front obscur, comme pour mieux découvrir le centre, se replie vers la multitude du sable. L'abîme de l'azur chavire. Tout s'éteint. La fête se clôt par une parade de clochettes, et les portes massives murent l'arène où la nuit pose son voile sur l'évidence du vide.

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Rien ne reste de ce qui faisait la splendeur des rivières suaves dans le soir les étoiles déferlent sans prévoir selon quel ordre elles se précipitent avec la terre j'écoute pour reconnaître cette langue inouïe qu'elles parlent Nous ne savons rien des flux rien des astres tout en nous est potage de la pire espèce tout est bouillie de la tourmente et lait caillé je préfère ne pas me regarder au miroir de l'absence évidente d'abeilles ni crier dans l'espace ingénu mon affliction C'est vrai que toute la maison repose sur des pilastres de lumière mais ses assises descendent très bas au-dessous des couloirs sombres du métro Rien ne passe plus là n'y va pas tu n'y verrais que l'ombre étonnée de toi-même avec au cœur du temps les ronciers de la nuit tu n'y verrais qu'un champ d'éponge une déroute de goudron un repaire d'oiseaux bavards rien qui t'apprenne autre chose que la question longtemps déjà posée.

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Miroir Monstrueuse, émouvant le miroir de mon double où se brouille à demi l’onde de nos pensées, une duplicité insaisissable et trouble revêt de son remous les formes inversées. Nous sommes deux en un ―ils se tordent, s’enlacent, serpentent, dispersés en chimères d’oubli, s’endorment contre moi pour dormir à ma place chauffés à ma chaleur dans la chaleur du lit. Je suis leur entretien, ils me jouent, me fascinent, m’accablent sous le sceau du geste original, et plongeant au plus bas me ploient vers la racine, mus par les fées bossues près du berceau banal où repose la proie et la pulpe irréelle de l’enfant nouveau-né des temps non advenus reflet de lune et fleur des étoiles jumelles chu par décret fatal en chartre de chair nue. Je voudrais étrangler ces serpents qui s’étreignent dans la nuit de mon sang aveugle à l’avenir, alcide sans espoir que ses ongles atteignent les corps appariés qu’il ne peut désunir ; et cette ombre estompée qui n’est plus même une ombre, passé qui n’est plus moi changeant de flux en flux, décombres de la vie que le vent désencombre, je n’ai pour la nommer qu’un présent qui n’est plus.

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Il le saisit natif naïf surgi de l'épaisseur des limbes sans pruine nu de tout éclat il le brûle au feu de la forge puis il le couche sur l'enclume et le travaille à son caprice avec un marteau de lumière on voit sortir des mains robustes une tige un piège un écrou un chenet un arbre un arceau une volute un coquillage un pont comme un fouet sur les fleuves un orage de mille chiens il le tenaille il le déchire à pince à griffe à vent de tuiles il le transperce d'étampures il tord les mamelles du fer il le plie sans faiblir jusqu'à la limite ultime du cri jusqu'au paroxysme des braises jusqu'au cyclone d'étincelles il l'étire le bat l'écrase tout le jour au fracas des grêles tout le jour au feu du déluge jusqu'au soleil qui se renverse jusqu'à l'insoutenable nuit.

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Comme l'herbe sur la cendre comme une branche au brasier dans le feu la salamandre ou le homard au casier le maroufle est là pour prendre la suite des devanciers parcourant tous les méandres s'abrutir et s'extasier remonter puis redescendre par quels larrons éclusiers ― Mais cherche-t-il à comprendre l'uglau lui tord le gésier.

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Regrets Mes années s’éloignent de moi dans le silence à tire d’aile autant que je m’éloigne d’elles des pleurs anciens des vieux émois En ce moi que le temps révèle est-ce moi le moi d’autrefois je m’accrois lors que je décrois à chaque échéance nouvelle De jour en jour de mois en mois tel un serpent à peau duelle je mue aux phases annuelles glissant de l’envers à l’endroit Quoiqu’à ces avatars rebelle mais captif d’implacables lois moi qui pourtant ne suis pas roi je veux feindre ce roi fidèle Qui dans son deuil et désarroi du balcon de sa citadelle a jeté la coupe et chancelle vers l’onde noire qui la noie L’histoire est noble et solennelle depuis ce jour le vieux roi boit moins qu’Artémise et ne déploie en si grand sépulcre son zèle L’idée me traverse parfois comme il y songeait pour sa belle aux flots des mers ma tourterelle de me dépêcher avec toi Mais une destinée cruelle dès ma naissance je le vois sans cérémonie me fourvoie vers la couche et vers l’écuelle

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Je le regrette et qu’on me croie mais qu’autour de ma tombe on danse on contredanse on se fiance on s’ensemence que personne ne s’apitoie sur cette vie celle de tant de rois je pense tout illusoire qu’elle soit.

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Meurtres en Avalon En Avalon, il y avait un séducteur. Il ne faisait que regarder les femmes avec des yeux de ciel, des yeux d’orage aux lendemains impossibles : elles baissaient la tête et traversaient les rues, rougissant d’y penser ; il les suivait. Le scandale grossit, des amants jaloux se liguèrent, les maris déchiraient les lettres anonymes et les brûlaient sans dire un mot. Comme il flânait sur le trottoir, incognito, je l’ai tué. En Avalon, il y avait un savant. Ses yeux scrutaient le ciel à la tombée du jour, les télescopes pleins d’étoiles. Venu le temps des équinoxes, il mesurait l’amplitude que l’océan peut atteindre à la marée de syzygie. Il démontait en se jouant les plus subtils mécanismes des aberrations planétaires. Rien ne résistait plus à ses ordinateurs. Il allait arpenter le polygone du zodiaque et cadastrer la sphère des fixes. Au beau milieu de ses calculs, je l’ai tué. En Avalon, il y avait un prophète. Yeux tendus vers l’avenir, il assemblait le peuple d’Orkenise sur les parvis et les places publiques ; pour entendre sa voix, on se battait, on défilait entre les maisons grises en cortèges troués de drapeaux et de ciel. Sa parole inlassable pénétrait par delà les doubles vitrages jusque dans les chambres capitonnées d’enceintes, de dictionnaires et de chrestomathies ; ses appels fomentaient des fièvres. Pas même achevé son discours, je l’ai tué. À présent je suis seul.

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À la cour du roi d’Espagne triomphe un beau cavalier la femme aime qui la gagne seigneur noble ou bachelier affrontant mers et montagnes assauts combats singuliers et l’amour qui blesse et poigne À la cour du roi d’Espagne pleure une reine humiliée de la fougue qu’il témoigne pour les jupes déliées des hautes dames qui s’oignent tout aussi tôt oubliées que bergères qu’on empoigne À la cour du roi d’Espagne la reine rose exfoliée meurt aux bras de ses compagnes ― Portant lance et bouclier son champion vainqueur s’éloigne avec barons et alliés vers de nouvelles campagnes.

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Chute d’un ange Les immuables assises du Ciel s’arc-boutent sur des himalayas de lumière et de neige ignorant les pilastres les ciels menteurs et le sublime fourvoyé par les peintres dans l’artifice de leurs toiles, les harpes allégoriques les angelots grotesques et les deux chérubins truchements des scrupules prescrits par une Voix parfois quelque figure s’estompe au centre du halo, une femme, idole transparente à l’esprit, inaccessible à l’apparence pâle comme la forme indolente du songe limpide comme la musique subtile qui sustente les Hiérarchies, et je m’en vais, banni de l’élysée vers d’autres temps, non pas les siècles numineux de ces mythologies dont la source se meurt miroir lacustre et vasque aux pieds des nymphes ni même l’ère profane des photos figées dans les anfractuosités cérébrales, images ressassées de paysages impassibles, qui recèlent néanmoins l’étrangeté de leur agencement Un cycle s’est fermé et lorsque je naquis, à l’orée du monde était une forteresse indécise, des remparts flottaient sur un perpétuel frissonnement de vagues de nuages dilacérés aussitôt recousus tout autour ; dans l’obscur j’y conversais avec les anges j’y rencontrais Uriel et Gabriel et sa garde de nuit sur le chemin de ronde je les aimais le jour je sillonnais je crois les longs tunnels vers une cour suspecte et des casernes délabrées, des cuisines où tenait garnison une invisible cantinière, parmi les odeurs de soupe je traversais les corridors que hantaient derrière l’ombre des soldats les spectres d’armures emphatiques, les rumeurs de supplices suppléant à l’enfer par les bûchers banals seuls imprimés en la mémoire de la pierre ― et ces murailles percées de barbacanes sans oiseaux l’enceinte de ces murs aveugles sans même un nid de guêpes, falots en feu dans la trouée de l’ombre, n’avaient pas de secret pour moi je les élucidais je les jouais je pervertissais les in pace j’y sondais des sapes avant qu’un vieil abbé n’imite mes exploits

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Mais à présent songe-creux prisonnier de paradis mathématiques de monuments exacts que détruisent mes prestiges désaltérés, la rafale des rêves peu à peu rallume en moi les harmonies lointaines d’un futur où l’enfant ne demandera plus de comptes à l’archange qui s’est tu, à jamais peut-être, et tel est désormais mon désir, non plus de feindre l’unisson d’ineffables trompettes singées par le clairon scurrile du rata, non plus d’entendre les fourgons klaxonnants quand la patrouille parade rue par rue pour poser son verrou sur ma sérénité, mais de vivre l’impétueuse symphonie de la cité des hommes qui se déploie, et qui s’exalte et qui s’accroît vers le Chariot jusqu’aux hyades des étoiles enfin ressuscitées d’un univers nouveau.

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naquit sociable encor que solitaire souffrit marcher mais non fouler la terre joignit le branle à l’immobilité conjugua trouble avec tranquillité s’enfuit au loin sans quitter son domaine nia l’ardeur qu’il connaissait certaine frustra son gré de voir femmes passer se réchauffa de ses flammes glacées prit aversion les espérant peut-être choisit l’esprit mais épousa la lettre dauba les biens pour les mieux épargner pétrit les mots qu’il jurait dédaigner pria les dieux les blasphémant sans trêve se réveilla sans répudier ses rêves s’humilia de profonde fierté courut laideur couronné de beauté pleura longtemps de qui le faisait rire consigna blanc mais noir croyant écrire découvrit sens encore en la folie prêta l’oreille à des voix abolies bannit les chants qu’il souhaitait entendre fit diligence en vue de plus attendre chercha toujours rien qu’il voulût trouver contrecarra ce qu’il pensait prouver anéantit de savoir sa science célébra fort l’éloge du silence assit très bas le peu qu’il soulevait ... périt enfin de tout ce qu’il vivait.

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Dualité Nus dans l’azur sous l’édredon lumineux des nuées des anges bleus nagent très haut par dessus les faîtages et les toits jusqu'à la pointe du campanile où capturées par le tonnerre des cloches s’abîment subitement les foudres tout plane en l’allégresse et la légèreté de l’air l’esprit met en oubli les géométries machinales que dirigent sans imprévu de rigides antennes ratiocinantes jalonnant les sentiers mille fois explorés en tous sens, met de même en oubli les oracles obliques de la pythie ; unanime, le monde laisse alors affleurer sa substance naïve, l’âme enfin déliée siège entre les astres et les parfums de perfection perdus comme l’amour dans la rumeur du rêve Mais bientôt les forces de gravité réfutent le scandale qui jette discrédit sur le sérieux de nos spéculations tout se dérobe vers le bas en un bourdonnement d’abeilles déréglées, le monde renaît divers chiral asymétrique, autre et le même au deçà du chaos, quoique bien plus riche d’accidents que n’en conçoit la suffisance des symboles : tant de présences hostiles rebutent, il est vrai, les appétits de notre entendement, ici, les roches souterraines et les métamorphoses du granit s’abolissent parmi les sables, l’herbe écrasée craint l’assaut vorace au retour monstrueux des troupeaux, là, s’éparpillent en feuilles sibyllines les débris de branches brisées pendant que des fleurs opulentes deviennent fruits pour le mal ou le bien rutilantes grenades qui ravivent au son des cymbales les graines de l’enfer, et l’arbre prohibé se déploie selon les ordonnances péremptoires offrant sournoisement ses prémices au couple fatal désormais en amour et larmes, honte d’après l’éden qui sanglote accroupie sur son aire stérile ― pourtant parmi les structures fracturées et les cataclysmes telluriques, extrême dans le paysage forcené un géant marche aveugle hors des entrailles de sa nuit à la recherche du soleil et des foisonnantes étoiles… Ailleurs les superettes débitent leurs légumes redondants et les garçons-livreurs prennent essor sur la talonnière des cycles.

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Très loin des hommes loin si loin de cette inlassable marée mouvant l’abîme je voulais atterrir droit sur les prolongements juste de l’avant-port, sur la jetée rebelle à la vertigineuse sinuosité des plages sans relâche dans les mirages mordorés et les îles chimériques je voulais atterrir droit tout en grand sur une terre ingénue sur sa géométrique nudité dominant la timidité de l’eau moi, debout, majestueux à ce point de contact entre les éléments qui nous conjuguent ! Mais malgré les cartes les plus modernes malgré boussoles ou compas les vagues ont drossé la coque de Liban vers les déserts aveugles vers la basse qu’oppose l’océan à d’irrecevables arrivées car le moindre branle devant nous brise de ses divagations nos routes rectilignes la moindre dissidence suffit à dépraver nos plans, à chavirer nos arrimages il suffit d’une embardée du destin, une rencontre de hasards et tout est dit : un mât, un nuage, une barque par gros temps regagne craintivement la rive, les soirées éveillent le présage d’un plaisir quelque désir de femme qui marche sans rien voir dans l’imposture enluminée des ports, une palabre déborde et submerge les dédales cérébraux, et parfois surgissant des tréfonds, l’illusion d’être seul parmi les foules fourmillantes avec leurs feintes dégaines de spectres, ou l’innommable qu’attouchent les tentacules immiscés au plus secret de notre gouffre. Tout ce que j’aurais dû savoir ce que j’ai toujours su et que j’ai eu grand-raison d’ignorer.

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Phare blanc fragile jetée vers la barre des horizons une lumière s'exténue au bord du gouffre sans mesure tournent mouettes et fumées le vent y chante à toutes prises et la merveille s'y dévêt sous le regard profond de l'ombre.

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Les prairies dans l'agenouillement du vent quand s'humilie l'esprit devant la lumière et les cimes semblent rendre au soleil hommage de quelque fleur banale éclairant le décor par tenture innocente présumée entre les murs blancs que surplombe l'azur comme enseigne de fête et la flamme folâtre mêle dans les fossés les vieux miroirs brasse l'embrasement des nuages jusqu'au vertige du ciel enluminé Pourtant que la trame des travaux et des jours s'annule que se propage en la routine des corolles. le long des tiges comme les boulins et les perches soutenant l'échafaudage du sommeil un poisson qui circule avec ses écailles sans sutures que les mouches mauvaises braquent leurs yeux à facettes vers la mère des marécages ― le temps gluant glissant déplié droit par les horloges devient durée durcie de l'épaisseur et sur l'herbe en la paix du jour parmi les heures du vent triste dont meurent les traces l’épouvante frémit doucement comme dieu.

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Printemps Tout en bas danse la musique autour des kiosques depuis longtemps vacants, l'horizontal s'effiloche au fond des longs déserts ; vers l'astre les rameaux et les tiges appellent comme la flamme vers son lieu : voici venir pour l'alchimie la dose d'or des noms qui montent, voici passer avec l'oiseau le cri définitif de ce qui ne reviendra pas. L'espoir de rassembler les troupeaux hébétés de la chance rajeunit les os secs, les arbres, les soldats, le sang déjà caillé des chevaux qui se cabrent. Les dieux et les serpents changent de peau sous les taillis piqués de neige ancienne, la lucarne du cœur ouvre un œil ébloui. Au feuillage, miroir ocellé du futur, la chimère d'avril fugace se reflète avec sa toison pourpre et ses doigts bagués d'algues... Tout s'érige immobile en équilibre altier, tout semble s'établir en un sacre de marbre quand le soleil surgit déchiqueté de l'ombre. Mais la crevasse couve au repli du jardin, et la faille à travers les fleurs ouvertes rampe.

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De profundis Trahi traqué déconcerté j’écoute confondu j’écoute les échos prohibés du nom lointain d’Éden la rumeur d’antiques jardins dans la vacance d’Épicure et les sirènes de l’enclos d’Armide au masque d’or, tous jeux de paradis fictifs parodiant la psalmodie des cigales brocard à la jeunesse de Tithon ― chimères n’êtes-vous pas désormais chimères en plein désordre des hasards sans plus de place parmi l’exode que signe l’indélébile dérision de mes taches arches d’orgueil futur avant déluge rages rebelles orages rabâchés des mauvais anges, livrant au bout de murs cruels gestes d’un monde qui fut un telles issues crépusculaires vers l’obscur ! Que faire, je ne sais sinon descendre au bas pour traverser le Fleuve vers ce bois souterrain dont saignent les buissons saignent clament et pleurent, cœurs de troncs torturés parmi les rames qui supplient croix aux corps émaciés de tant de jours cloués sur le poteau des branches Et puis plus bas encore loin des randons troués d’éclairs dans un espace nul où naissent les accents qui sait d’un dieu blotti maladroit malhabile, toi silence tendu vers l’éternel éclat par delà la fanfare insurpassable d’astres, clameur à peine éclose absente à l’infini nuit d’âme enchevêtrée dans les halliers du temps.

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Essor Par les passerelles métalliques, au cœur des architectures hideuses et des néons que le regard profile en parois plastifiées, par les venelles aux vitres mates et les quadrillages d'îlots à cette heure déserts, se déversent en deçà de la ligne qui limite la ville vers le haut et revient en spirale tout près du passage et du port, les meutes, les mains nues, les chansons sans souci d'échos et les musiques, les crimes mal éteints dans le courant. La fête fume. Partout saignent les fleurs de la poudre et du feu. Quelquefois, un météore plus qu'un autre exalté s'épanouit dans les méandres de l'ombre, puis retombe comme éclats, étincelles, pétales sanglants, vers les balcons heureux où miroitent les robes, où les yeux palpitent. La foule alors frissonne en drapeaux fanés comme si de voir sur les toits se déchirer les astres lui infusait on ne sait quelle fièvre incongrue. Les carrefours résonnent de mouvements enrubannés. La mer tremble très loin comme un vaisseau d'étoupe. Une rampe me sépare, moi seul, de ce spectacle que je découvre à la surface des éclairs. Je marche vers l'appel profond. Mais tout répond au bout de moi sous le calice à cet ébranlement de planète brisée. Une ville plus vaste se devine à l'autre extrémité des réjouissances suburbaines, les contours de bouges imprécis, les palais aux perrons submergés par l'eau boueuse des canaux. Là-haut voici passer les étoiles fragiles. Les ponts mènent à mille nulle part. Le sommeil me fait peur avec ses vagues d'anémones. Pourquoi les rangs serrés à toute mort, pourquoi l'engrenage du temps, l'épaule dure des détroits, cette pesée de continents à la dérive ? C'est l'ombre qui me fonde et bâtit ma demeure à côté, sur le versant tout juste ébauché de mes jours. Je suis venu de très loin, à la traverse des formes ondulantes : j'étais rocher il y a peu, puis ver de terre à peine habitant des ténèbres. J'ai gravi un à un les échelons obscurs de la géologie. J'ai passé les chemins éblouis des rivières et l'eau m'a tout entier parcouru, depuis le fil dissimulé des sources jusqu'aux reflux, jusqu'aux remous de la marée, et j'ai nagé comme un poisson par les abîmes, dans la plus insoupçonnable intimité des vagues. Il m'a fallu paraître à l'âme, à l'air, à la clarté, à toutes les choses sans poids. Mais je n'ai pas perdu le souvenir, il est inscrit dans le secret des lignes et me retient au sol : je ne brûlerai pas sur l'épée de l'espace comme un soleil de fête éteint sitôt lancé. Jusqu'à la fièvre essentielle, jusqu'aux vrais fastes de clarté, la nuit de toutes parts souffle le dernier mot.

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Alternatives Se poser, prendre essor dans les taillis du temps, joindre le poids du vol au léger de la plume, s’en aller, revenir où le cœur a coutume, confondre, distinguer repos et mouvement, suivre le fil fatal qui se tend et détend vers de magiques bords où d’autres feux s’allument et s’éteignent, nul ne sachant si se résument en infrangible tout l’après avec l’avant : notre âme vaguement voudrait que ne s’achève le jeu de ce hasard érigé par son rêve, mourir de sa naissance et vivre de sa mort, ou, logée aux oiseaux tristes de l’immobile, les ailes repliées, pareille à qui s’endort, se prendre au simulacre engravé dans l’argile.

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Hasards L’hilarité des hasards déjoue l’illusoire ponctualité des astres opiniâtres brocarde les trajectoires elliptiques et la parabole des comètes bafoue le galbe parfait de l’orbe où l’oracle s’égare en conjectures ambigües comme à Dodone les paroles jadis perdues parmi les chênes qui frissonnaient au plus sombre des bois sacrés Juste dessous mal endormis mes rêves rampent je ne peux penser le repos, je ne trouve pas le sommeil partout s’allume le vacarme de consonances arbitraires s’affolent les musiques délabrées et les mélismes fulminants partout clignotent les écrans bariolés de signes qui se déchirent afin de mesurer l’aride relation d’incertitudes statistiques Mais par delà les vitrines imprévues les salons somptueux où s’offrent aux chalands des espaces de vertiges par delà le chuchotis de nymphes nues prônant pistons et pare-chocs au cœur même de l’aventure une seule fois captive de ces mirages de fortune vouée aux dérives implacables aux plus précaires embellies, dans le tumulte pur d’une anecdote sans clôture gît l’infini silence.

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Gravité Au plus creux du tableau des bœufs blancs sommeillaient et l'herbe les cernait les dévorant de têtes les sources respiraient vierges de tout soupçon la craie donnait créance aux massives falaises les rochers prenaient mine abrupte de rochers sur le quai bétonné la mer jouait le flot les arbres enhardis levaient leurs yeux de plumes l'air se multipliait autour d'eux comme un mur une charrue faisait confiance à ses mérites sur le toit la fumée dressait des barricades on vivait comme un bloc au fond de la cuisine le couvercle empêchait les viandes de sortir et la table affirmait ses quatre pieds à terre Mais tissé sur la trame incolore d'espace horizon pavot rouge envoûtant le soleil tendu pour ne pas choir au bout de son vertige l'amour est-ce l'amour ce souffle à la rencontre l'amour attirait tout au centre de sa fuite tout tombait tout tombait sans en dire un seul mot tout tombait les poissons les rivières les songes les barques sur la mer tombaient comme des flèches les bœufs blancs l'herbe drue les rochers tout tombait dans un silence flamboyant de cathédrale dans une dérisoire étincelle tarie sitôt que née de la ténèbre et de l'abîme au revenir de quelle enfance ensevelie au souvenir de quelle étoile dilatée et tout tombait sans rien savoir ni haut ni bas ni froid ni feu ni plein ni vide tout tombait Icare seul barrant le ciel comme une borne

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Héraclite De l'autre côté du grand mur un enfant joue dans l'herbe vague un enfant joue dans l'herbe vague sous la couronne de béton il ordonne le nouveau règne le monde neuf le beau mirage la nuit finit à ses yeux vides il ajoute la pierre aux pierres de son château mal équarri il étend son sceptre de sable sur un royaume inaccessible s'il chante des armées s'ébranlent en longs cortèges de fumées s'il pleure c'est un stratagème son ombre le suit pas à pas jusqu'aux confins de son domaine jusqu'aux limites de ciment jusqu'aux réseaux de neige noire Il est immortel sans comprendre qu'il est né pour l'éternité.

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Meunier, tu dors… Je ne sais comment quelque esprit malin endort le meunier au fond du moulin. Est-ce la rivière effarée qui roule des rêves hantés de lune et de houle ? Est-ce le cliquet sec de la trémie qui festonne l’heure à pas de fourmi ? Est-ce la lucarne ouverte où s’épuisent les rais du soleil dont l’or s’amenuise ? Je ne sais pourquoi quelque esprit malin endort le meunier au fond du moulin. C’est que la roue tourne avec l’eau tranquille le long du sommeil obscure presqu’île. C’est que l’ombre monte et que le meunier ne s’éveillera qu’à l’instant dernier, tout son grain moulu sans qu’il s’en avise sa besogne faite et sa part divise. Je ne sais pourtant quel esprit malin endort le meunier au fond du moulin.

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Jaillie de la terre et de l'eau la maison de lumière éclate elle envahit les continents le fond des mers est mal à l'aise la lune pleure à sa mesure et les étoiles s'en défient ― Pourtant rien n'est moins gigantesque.

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Du fond de l'océan démesuré du fond de l'ombre la marée monte comme un pleur ah ne plus voir mourir la rosée aux dents fraîches et refermer d'un mot le portail inconnu sur un désert d'eau vide et d'implacable espace mais que faire en l'absence infinie de clarté quand ne tournera plus la redoute des jours La guerre en sentinelle ouvrait la porte au vent dispersant les bonheurs anciens par les ténèbres et livrant aux frelons le dessein de s'aimer On attendait les yeux ailleurs on vivait mal à l'aventure sur les môles le long des plages sur les hauts remparts de la mer mais qui pourrait ne vivre plus Océan double écho d'évidence et de rêve où se croisent la soif et l'eau où se trament ta solitude et nos fatigues dans le balancement de ton éternité océan ton manteau les ressacs le ramènent et par le froid silence où dorment les couteaux je vis vêtu de toi tisserand de l'absence mirage impénétrable au fond noir du miroir qui poses sur le bord de l'abîme une rose Mais l'océan rumeur massive n'est rien d'autre à toute peine ancré sur ses pesants récifs qu'un peu d'étoile éparse à la merci du vide j'ai mesuré l'obscur d'une cuve de plomb voici le temps déjà des lointaines absences voici le rang nouveau de fête à l'horizon sans trace cette fois de l'histoire à ma route.

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L'impuissance a la douceur molletonnée des balles de coton, le flexible qui caresse l'esprit chaviré vers le haut par les abîmes, l'utopie languissant, mains aux genoux, dans les fauteuils spacieux ouverts sur les grottes et les gouffres. Très loin pourtant, les vers rampent entre les cadavres déchirés, les stalagmites à l'abandon. Une terrible odeur de fauve stagne au fond du puits sans remontée possible. Des têtes rougies s'amoncellent, le sang traversant les ténèbres se mêle au lait des nourrices, à l'évidence des seins coupés. Le sable et le béton murent le roc déjà flétri. Mais tout fade, élastique, et suranné. L'impuissance prend un miroir et se regarde.

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Un enfant crie dans son berceau il attend le lait de la terre il aspire aux vertus de l'herbe il a faim de ce qui le porte il gémit comme le chien pleure la mâchoire à même la terre gorgé d'entrailles à manger mais vers le haut les yeux éteints les yeux éteints les moribonds sur un lit d'herbe ou d'hôpital geignent doucement vers la terre affamés de l'ombre et de l'herbe.

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Idéal Les formes se tordaient songes en le profond exil d’une forêt démesurée de marbres lorsqu’engendré de l’ombre anonyme des arbres sur le blanc destrier surgit Bellérophon. Grandi du cimier rouge adorné d’un griffon, et du haubert doré sous le manteau de martre il rêve à l’Amazone, oublieux de la chartre où la fauve beauté féconde se morfond. Il ravale très bas pousuivant sa Chimère le désarroi l’angoisse et l’espérance amère opprobre de soi-même ou ténébreux débat avide inassouvi errant dans Brocéliande il sent frémir sans fin en ailes qui se tendent l’élan vers un azur qu’il ne foulera pas.

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pour Patrick Quillier

Dans la fleur rouge une abeille le soleil sur un mur blanc et la réplique éclatante du vent transparent qui tremble, c’est l’hypothèse fragile que l’œil de chair échafaude que la parole présume sur des indices légers la nuit qui vient la réfute le jour levant la confirme et la beauté s’y érige en bref pavillon d’éclairs.

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Sirène Je l’ai trouvée nageant et nue par tous les méandres du temps à mi-chemin de l’estuaire où s’ouvre l’océan des signes et c’est alors que j’ai jeté mon jeu de tramails et de nasses de filets par flux et reflux translucide je l’ai tirée loin des vagues sans souvenir jusqu’au mouvant oubli du sable.

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pour Battista

Psyché Elle seule toujours belle sur la montagne avant le souffle avant la flèche et le palais vibrant de voix attend sur le sol simple Que sait-elle des gouffres au profond sous le leurre des fleurs de la phalène en vol fatal contre sa flamme que sait-elle parmi la forme des nuages là-haut parodiant nos prestiges précaires du ciel qu’y pressentir l’amorce d’un serpent ? Yeux superflus l’âme se fond au paysage d’abîme quelque euphorbe arrachée au rempart du roc dans le soleil mêlant les lignes à la clameur de sa clarté et tandis qu’une larme égarée d’aurore agonise entre les étendards que la montagne y prend refuge sans être pour autant sûre d’elle ― des bêtes sombres veulent boire ― seule elle se tourne en elle et seule attend le monstre.

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Grecque Le sel, trident de l’eau. En été dans les olivaies près de la mer qui s’évapore l’être s’offre aux tailles du temps Dès lors les minutes dispersent leurs fragments d’amphores parmi les milices du sel forant le fût des colonnes doriques.

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Tant de ramure au désir de l'étoile s'ancrant profond dans la terre mouillée tant de réseaux vers l'astre déployés et tant de vent dans le sein de la voile le tronc vivace et l'écorce écaillée une membrure au lointain qui se voile stable vaisseau charroi chargé de toile sur chaque vergue un hiver s'est caillé Rien ni l'espoir d'aurore à la mâture rien ni tourmente inversant la nature n'ont chaviré le bel arbre vainqueur mais en son fil l'acier simple recèle sans le savoir assez d'une étincelle pour brûler vif le navire en plein cœur.

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Une étrave antique fendait l'eau limpide des hellesponts sous le ciel au feu des fournaises la mère écume mugissant entrebâillait les porcelaines partout dormait le cauchemar à l'horizon des cheminées Nus sur l'herbe dansaient les dieux colorés d'aurore éternelle c'était le temps de Pan vivant où des Amphions suscitaient les remparts dans l'aube tranquille les pavés de nos avenues c'était le temps de notre mort Aujourd'hui rien n'a disparu dieux ni trésors pris sous le sable ni perle aux valves enlacée des téléviseurs lumineux des coquillages arrondis nacrés comme les aquariums chaque nuit naît une Aphrodite Vers les Colchides inouïes tournent les arbres des machines à toutes les aires de vent effarée la gorgone pleure dans les fumées du boulevard et sur le môle sans répit l'homme guette une voile blanche Vagues rumeurs de la marée tramées de l'étoffe des songes immuables les astres voient tout le long des grands quais déserts nos ombres fondre parmi l'ombre pendant qu'au loin très loin la mer sourit comme le souvenir.

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Après tant d'hommages à ceux qui croyaient bien ne pas reboire à l'alchimie tant de géométries irréfutables à notre échelle d'astronomies rêvées dans le fossé des aubes neuves voici que se dessinent les constellations inconnues et que surgissent au-delà de la ligne idéale d'espace par les quatre horizons supposés déserts si vainement des foules vierges Elles marchent sans rien savoir de nos desseins anciens pas même l'éclair d'un regard vers les tapisseries stériles que tissèrent les astres maintenant pâlis et les couleurs déjà passées sur l'autre rive de l'abîme et le temps change en indéchiffrables grimoires les beaux langages scintillants les mots d'amour au grand soleil le long poème des étés dans les prairies brûlantes du silence l'herbe du souvenir entre les pages refermées d'un livre que nul n'ouvrira plus jusqu'à la renverse illusoire de l’ombre.

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Diptyque Algérie 58

Ils marchent c’est le même soleil accablant du mois d’août le même feu sur la montagne décharnée la même flamme irrespirable dans l’espace la même absence obsédante de l’eau le plateau ondule et s’étale comme un océan figé en stagnantes lames de plomb sous le ciel four circulaire, et le vent brasillant s’irrite aux silex aiguisés des pierres Puis à leurs yeux tout se dépouille tout s’abstrait, s’esquisse en tableau ― aboli, le poids du créé symbolise sa pesanteur dans la matière translucide d’une substance sublimée le temps s’aliène, vibrations tendues vers la géométrie première, et l’instable ruisseau du sang déserte les veines vitales ― songe d’argile épaisse et rouge, au creux du monde minéral flottent des formes de fontaine. Soudain des murs de toile battent arc-boutant leur échine brune des tentes sortent de terre parmi les moutons pelotes de laine mal dégrossie et le petit enfant devant les ouvertures sourit au soleil et au vent au franc soleil du monde entier qui fait luire ses dents humides et portant la main à son front il salue les soldats qui passent un à un le long du chemin le cœur vide et la tête basse fusil au bras sanglés bottés

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bardés de feu mal endormi de fatigue et d’indifférence plus écrasants que la montagne plus écrasés que l’horizon et plus tristes que leur victoire.

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Échos Un grondement ce soir ébranle la montagne. On ne sait plus si c’est l’orage ou le canon cette voix sur laquelle on ne peut mettre un nom qui roule sourdement dans le jour qui s’éloigne. L’ombre trace là-bas des signes menaçants. On ne sait plus si c’est la pluie qui tout à l’heure abreuvait le sol nu ou si la pierre pleure sous la malédiction millénaire du sang. On ne sait plus quels sont ces griefs de rupture fureur humaine ou force fluide de l’été dans le songe du lac écrin d’obscurité les éclairs striaient l’eau comme une déchirure.

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Végétation Stérile envahissante inaltérable armée de griffes arrachant des lambeaux de lumière elle rampe et se tord dans la casbah fermée où mordent agrippés les crocs de ses barrières et les chevaux de frise et les ronces mêlées crispent au long des rues leurs ongles sur la pierre barrant par le travers les venelles bouclées hérissant le sol cru de fers et de lanières ― et moi je marche autour du gouffre prisonnier d’un tunnel ténébreux dérobé du tonnerre pour oublier d’amour un amour oublié mais qui pourrait chanter un chant d’Apollinaire près du bourg où le fil en cercles crénelés cerne une bolge inouïe du vieil enfer de Dante, où les nœuds étranglant la ville barbelée couronnent ses remparts d’une épine sanglante.

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Maintien de l’ordre Des criminels du FLN ont sauvagement massacré tous les membres d’une famille de colons. (Journaux de l’époque)

Quel air de liberté souffle de la montagne dessinant de son aile un rêve de patrie et quels appels blessés que l’histoire accompagne montent des campagnes meurtries. Casques lourds, crosse au poing, sans un mot, par surprise, dans le douar cerné pénètrent les soldats les enfants que le bruit des armes terrorise pleurent et ne comprennent pas. Les hommes silencieux sont groupés sur leur porte immobiles debout ils regardent passer les suspects arrêtés que les camions emportent puis ils baissent leurs yeux lassés. On emplit les prisons on étouffe la presse on enferme on torture avant d’exécuter puis on va quand il faut se signer à la messe les mains encore ensanglantées. On juge sans procès on condamne sans preuves, on déporte d’un mot les mechtas soupçonnées, puis on va haranguer, foulant l’honneur, les veuves de ceux qu’on fait assassiner. Otages abattus près des villages vides vous qui dormez troués sous les oliviers gris ô corps mal achevés que le matin livide chasse de l’ombre leur abri nul ne viendra comme à Jésus la Véronique essuyer sur vos joues de son linge sanglant les larmes du visage auroral de l’Afrique ni laver les plaies de vos flancs.

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Mais nul ne pourra rompre à jamais les racines plongeant au plus profond de l’aube ni tuer le grand arbre vivant qui croît dans les ruines des villages évacués.

Le 24 avril 1958, à la suite de l’atroce exécution par le FLN d’Algériens membres des « Délégations spéciales », 11 « suspects » ont été

abattus lors d’une « corvée de bois » aux environs du village de Tafessera,

près du barrage de Beni-Bahdel.

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Bourreau Traqué jusque dans ses tréfonds il s’est livré terrible au maître de ténèbres tapi dans son affût taciturne souterrain de la bête innocente aux aguets il attouche à ce qui rampe abîme et fangeux dans l’opaque impénétrable de notre âme à ce qui s’insinue d’entrailles perverties d’ambages tortueux à ce qui dicte enfin les aveugles décrets pétrifiés après déroute des étoiles et voilés par l’angoisse aux fétides odeurs L’ordre est de divorcer l’homme et sa propre chair de flétrir victime et tourmenteur par la même blessure de rompre l’accointance fragile où le souffle subtil s’entretient encore avec lui seul avant que l’amertume et la souffrance ne se dédoublent sur les faces suppliciées pour laisser entrevoir le revers sombre ensemble dans l’épouvante du miroir Qui donc transgressera les gestes de l’injure ensevelira d’oubli les liens brisés rétablissant ainsi l’altérité compacte qui étaie l’accordance et nous tient en respect, sinon notre apanage entier de native noblesse ?

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Cigales mères de ceux qui depuis lors portent la lyre, cigales cymbalines nées pour le chant et nées du chant absences ou presque riens qui conversent au-dessus de nos têtes dans l’étouffante chaleur tandis que tout au long le ruisseau diapre son idéale promenade de musique et que des chanteaux du soleil innocent stimulent la clameur des ailes stridulantes Cigales cymbales de l’été cigales cymbales terrestres ivresses ivresses célestes vers l’empyrée Mais ce même soleil simple qui les enfièvre exaspère au revers les guêpes aiguës flèches de la discorde irrite les timbales féroces sous le ciel gris, et tout en bas la cavalcade des sites barbares, le tournoiement de la guerre et son regard mortel les ruisseaux sans aval couleur du sang que divulguent les veines mutilées ― quelques siècles plus tard l’azur ferme les yeux sur l’essor sidéral d’insectes à cuirasse à peine issus de notre monde tramant à tous les points cardinaux des messages cryptés échanges digitaux entre implacables élytres de métal archivant l’incendie des mirages sous le monceau des maisons éventrées, codant les spasmes d’enfants qui s’épuisent devant les check-points cernés par les soldats Pleure pluie de soleil Cymbales cigales relevez la clameur qui s’éteint, le branle entre flambeaux qui, une fois abolis les crissements et la lumière, brûlent bleu redoublez le cri des striges dans les sépulcres et les cryptes rehaussez les accords de l’orchestre fatal parmi les vents et le frémissement des cordes ranimez avant l’espace de silence l’inépuisable concert que les voix humaines ont déserté jusqu’à cette seconde mort où tout s’évanouit dans les citernes de l’abîme.

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Apocalypse

Babylone Mon souffle passera sur votre cathédrale vide de foules vierge de parvis illuminés la terre comme un chien dévorant la pénombre hurlera vers les tours hurlera vers les tours vers les derniers héros de la conquête folle vers les astres jusqu'à vous descendus manger dans vos mains pâles le grain de vie que vous gardiez pour les oiseaux et j'étendrai sur vous mes lanières de sable on pourra voir alors les lunes plates se ternir battre le cœur du temps dans l'oubli des miroirs on pourra voir sur les étangs l'orgasme définitif du ciel à la renverse avec les mille plantes sinueuses des marais les joncs glauques les scirpes aux portes des jardins français les masses d'eau barrant la route aux anternons les planorbes dans les ruines encore sèches des soleils anciens on pourra voir parmi l’émeute rampante des rhizomes surgir le cauchemar farouche de la boue bavant la fange, les rames stériles les stigmates griffus l’herbe démente dardée d’échardes répliquant aux crocs de la brûlure s’apparier avec l’absinthe dans le sabbat grimaçant des mufles atroces après le grand tintamarre éparpillé en planètes maudites par delà les siècles déserts où le je naquis, on pourra voir sous l’artifice illuminé des toits abominablement couvercles de l’obscur se déchaîner membres et chairs la frénésie des métropoles turbulentes fétides fermentations brouillant leurs organes bourbeux, on pourra voir les rats grouiller dans les égouts fleuves de stupre et d’infamie, et le ciel bas où une à une s’effondrent les étoiles réverbérer le regard aveugle des robots constellés d’yeux épiant l’Homme esclave nu qui baise l’ongle de la Bête on pourra voir sur le seuil des maisons les prostituées vider les seaux de sperme et de savon dans le ruisseau des villes on pourra voir les vivants devenir bleus et les cadavres se dissoudre de mon lait

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Cavaliers Nous viendrons chevauchant nos chevaux carnivores par le ciel noir sous l’œil sanglant des météores vers les pourpres récifs des astres déchirés nous jetterons la barque d’ombre à chavirer la terre exsudera le sang qu’elle recèle sur vos enfants des bubons noirs à leurs aisselles les rats étoileront de sang vos avenues et vos maisons pour célébrer notre venue alors nous émoudrons les épées de la peste alors nous briserons les étraves célestes alors nous épandrons les semailles du sang sur ce qui vit sur le coupable ou l’innocent alors nous abattrons les glaives de famine nous tracerons la route à la mort qui chemine frappant les seins féconds et les ventres gonflés comme frappe la grêle au plus tendre des blés rompant broyant dans le limon de notre course la muraille de l’air et le rempart des sources déchiquetant sous la rafale des sabots toute chair arrachée en atroces lambeaux et nous sillonnerons des flammes de nos flèches les océans brûlants les solitudes sèches et les hommes perdus dans l’implacable nuit.

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Jérusalem céleste De la nuit à la nuit selon fulgurent forges et flammes fracas de foudre sur l’enclume des mers martelant les graves du crâne au centre le plafond lourd se dégrade en glaçons et griffes chiffon géant qui s’effiloche parmi les froissements de souffles et de métaux avant que la bonace enfin n’enchaîne sur les récifs la chiénaille des typhons Alors en leur inaccessible étale les fixes défient les tempêtes brouillard de nos sens le tonnerre illusion pour notre entendement alors l’âme respire un très large au-delà de nuages et la paroi des possibles revêt sa changeante géométrie de gemmes à l‘ultime horizon sans mesure doublé le môle adamantin palpite la grande île de tous les âges où les foules de nous venues chantant enfants à belle voix tendent leurs trames de couleurs sur la jérusalem du songe. Demain nous y conduit comme un pont sur l’abîme.

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Jeunesse Pour voir ― exacerbés les fusils et les fièvres ― sourdre nos faux soldats affrontant à la nuit les mots sans autre fil jetés dans le désastre de chants qui parlent d'aube et d'assauts vers le ciel pour voir les poings dressés défiant la tempête les yeux clairs oublieux en l'âme par clarté des enclos de jadis cernés de palissades où végètent les pensées vagues tout le jour avec l'éclat pourtant d'un rouge à la limite quand s'ouvrent pris de biais les grands flamants de l'air ou qu'une étoile émerge en souvenir lucide pour voir sur les quais noirs qu'ébranle un train blindé fomentant des remous de forge dans sa marche luire les lourds éclairs et les essieux trembler terriblement au plus obscur des cathédrales où les anges du chœur ne se sont pas couchés pour voir l'acier des croix bénir les fusillades sous le Christ ténébreux du porche en majesté pour voir fuir notre sang vers la mer prophétique telle une enluminure à lettres historiées et ce brouillard là-bas où les fleuves s'abîment emportant avec eux l'orage et la beauté comme actrice aux yeux gris sous l'arc de son ombrelle de drapeaux et de cœurs la mort s'est habillée.

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Et maintenant… Et maintenant que reste-t-il tissu d’échos flottant dans l’air comme celui du chat d’Alice qu’un lointain sourire d’enfant et maintenant que reste-t-il des trames d’amours et merveilles refrains qui se croyaient heureux sans rien connaître du bonheur sinon cette phrase assidue d’un orchestre que déconcertent les dissonances redoublées mêlées aux tumultes du cœur inapte à battre la mesure ― que me reste-t-il ? des musiques minérales venues d’ailleurs portées par cahots des hasards et que j’écoute qui s’approchent.

Quel est ce chef qui dans la fosse maestro vêtu de gala dirige des artistes sombres et tournant vers moi sa baguette ses yeux lisses joyaux de givre qui m’invite à me joindre au groupe où me dit-il tu chanteras bien mieux que dans le chœur des anges ― et des moi reviennent en moi mobiles mais sans se mouvoir dont j’avais égaré la fable depuis le petit garçon que je fus perdu dans la cour des écoles avec au fond sous le préau l’ombre brutale des grands murs depuis le jeune homme s’acheminant vers l’éden d’orient par pluie grise aux quatre fleuves floréals

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depuis la recrue fantasque à braver réplique inverse d’Empédocle le cratère ardent des étoiles Sans doute ai-je écrit trop de lignes sur la partition des années.

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Voix d'après le poème Litanies Insaisissable aux sens te voici pour jamais pierre et source, déliée, délivrée, sans passé ni futur nulle autre charge que le dire de toi-même, voix libre d’apparences en ton exil très loin du sable et des halètements terribles de la terre, voix rétive aux essaims toujours multipliés sourde à la propagande illimitée de l’herbe aux ellipses du vent sur les enveloppes de l’eau où s’éludent les mauves selon le va-et-vient des vagues, aux sarabandes des oiseaux brandons de l’arc-en-ciel, chaîne de songes et féeries tissue de nuit par tous les astres retramée, qui te meus dans l’espace inassouvi des mots, ― mais voix robuste en le tréfonds de toutes voix et leurs syllabes asymétriques, endiguant hors du temps le fleuve fabuleux, roche hostile à l’écho d’un appel qui s‘épuise, celée sous les palabres des cités jusqu’au silence déferlant, assise par delà les flux et les reflux où notre vie se désassemble, stèle dans le brouillard instable du destin. Sur la lande stérile où tremblent tous nos pas te célébré-je vaine au gré de ma parole chancelante― illusoire― asservie par le vent ?

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Vive voix La voix vive s’altère en transparence vide où s’exténuent les échos du dire que je fus fugitive légende de paroles qui mêlent à présent leurs lignes dans le dédale sans chiffre sans issue sans fil vers le flambeau Le temps s’y fige cloué aux croix de la palabre désormais veuve de mon nom s’égarant indécise entre illusions et semblants de moi-même Mon nom ! pourquoi répondre à ce verbe stérile qu’annule le délire distrait de ses balbutiements pourquoi voiler d’un mot mes membres doublés d’ombres et les organes de l’amour et tous mes sens drapés d’oripeaux qui consternent les correspondances Mon nom ! ni rouge voix du sang vivant portant ses vibrations jusqu’au foyer secret de sphères intérieures muettes à l’esprit en deçà de la peau ni vague voix d’en haut venue maquillée de mensonge aussitôt la frontière franchie ni fond diffus dissipant en ombres et rumeurs ― souffle glacial avant l’introuvable ténèbre ― la voix de milliards de mes années d’étoiles sur les antennes d’astronomes sidérés par une chimérique amorce de miroirs où pour moi plus rien ne s’inscrit sinon des remous et des moires qui se dispersent en équations déconcertées Moi ? non il n’y a plus ma voix non il n’y a plus de voix non il n’y a plus de moi je ne m’appelle plus personne le je n’a plus de nom mais quelque titre révocable à tout écart de la durée se renonçant à chaque étage des fragiles assises qui le forment pour se fondre futur en un grisâtre anonymat d’abîme.

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pour J.V. Verdonnet

Chasse blanche En arrêt les fusils et le sang sur la neige, l’hermine a deviné l’ornière ― le sol faux comme une ligne nue met la chasse en défaut l’hermine a fui le sang les taches et les pièges. Candide, immaculée, purs essors triomphaux vers la gloire, en défi de rets et sortilèges, elle croit, la colombe, imposer son manège au ciel préméditant la pierre d’un gerfaut. Sur les eaux que bénit le feu des dioscures une aube s’est émue d’entre les mers obscures L’hermine la colombe et l’aube en sa fraîcheur, j’aurais voulu les prendre aux lacets du silence j’ai contenu ma voix et j’ai fait vigilance ― Mais rien n’a déchiré l’unanime blancheur.

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Sublimation Le jardin s’exaltait en arbres qui flambaient de toutes leurs feuilles le feuillage épuisait l’émeute du subtil paroxysme vert et le vert n’était plus qu’extase mêlée de lumière et d’oubli.

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Orphée au gouffre Orphée, retourne-toi vers ta première mort opaque, non qui hurle au-delà de la grotte avec la meute des ménades ! En vain retourne-toi vers cette ombre qui n’a que toi jusqu’à ta nuit gémissements terribles de la chair pourtant chargée de chants, fauves que tu croyais près de Dante enlacer dans l’espace harmonieux des cordes. Non, le même silence perle aux mêmes voûtes le même air au profond clôt la gorge suffoquant l’âme de la lyre. ― Et toi, tendre Eurydice mirage disparais diaphane en l’obscur laisse place au désir sublime de l’issue.

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Que l’eau se mêle d’oublier la terre riche de racines que l’instant joue avec le feu dans l’air placide des étangs que le roc éveille soudain son aveugle appétit de sable ― toute parole périrait.

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Les marins de Thulé pressentant la banquise entaient leur souffle aux voix vivantes d'océan où dorment les regrets obscurs ― toujours gréant plus de toile toujours pour l'étoile requise. Une étincelle ― éclat des chimères exquises ― cette nuit chavira leur âme, recréant le parangon d'un songe au creux du ciel béant. ― Le nocher nageait seul vers la rive inconquise. Dans la rose sans givre et le miroir en vain une claire Vénus avait, regard divin aux grèves éblouies d'aube et d'enluminures vu cependant la horde allumer des tourments qui vinssent, vieux remords hantant les Palinures, pour jamais étonner de noir le diamant.

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Hiver Remontant vers le pôle en rayons sur la mer nous nous laissions guider par le sang des sirènes nous quêtions le miroir coagulé des rêves le beau miroir de glace au manège des hivers et les passes se multipliaient à la rencontre des proues toujours tournées contre le vent et nous allions sans plus de réponse en avant ni souci de ce qui demeurait la proie de l'ombre nous croyions bien laisser très loin du nord les flux évaporés des rivières sempiternelles il nous fallait gagner les grèves solennelles où le soleil ni le cœur ne palpitent plus où le soleil et le cœur s'accordent au silence où l'herbe oublie son lot de grandir contre le ciel où la débâcle des moissons par l'essentiel s'étoile dans l'oubli figé des avalanches et nous fuyions les boulevards illuminés que le mirage des mille trompettes recolore les phares avaient beau montrer la côte encore et tous les ports et le mensonge des fumées nous avions dédaigné de gré ou non la fête le cirque des animaux grotesques la maison des danses lascives la redoute des raisons et les décors profonds peut-être de défaites oui nous avions faute d'été voulu le froid le froid plus rigoureux plus net des heures blêmes nous avions cru laisser l'autre part de nous-mêmes à la dérive chatoyante des pavois et les valses tournaient tuées par le tonnerre qui roulait du moins nous l'avons voulu sur nos vaisseaux les fleurs pleuvaient derrière un délire d'oiseaux loin derrière du moins il nous semblait loin derrière et quand nous crûmes avoir en vue le pôle enfin c'était toujours au-devant de nous la même rive c'était toujours au-dedans de nous la peine vive c'était toujours autour de nous le sol ancien

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pour Paul-Georges

Spagyrie La fleur dans l’or du fruit s’épuise la sève se fige en rameaux flétries les feuilles s’amenuisent à nids d’insectes ou d’oiseaux les chênes au futur des mines durcissent pierres et charbon le sombre torrent s’illumine fulgurant foyer de rayons Du fruit la graine monte en fleur les feuilles nourrissent la sève et viennent les vents oiseleurs le nid s’ouvre aux ailes du rêve les charbons en terre réduits repartent cimes ou racines le foyer régit l’eau du puits par le feu moteur des machines Et sous cape sans écarter l’étamine voilant le gouffre le sel travaille à supplanter le royaume infini du soufre ainsi forjeté par le temps chaque être suit l’autre à rebours la haine et l’amour s’affrontant jusqu’à confondre leurs contours Tel multiple en identité l’éternel retour nous tourmente par jeux d’éclairs prémédités jamais les comètes ne mentent alternant rires et sanglots c’est toute la vie qui s’éloigne sanglots rires que l’heure clôt

Seul surgeon d’absence féconde mixte d’archange et de limon en naissant je connais le monde au néant je donne son nom perdu dans la Nuit souveraine le chaos défère à ma voix avant que l’ombre me reprenne la mort n’a d’autre issue que moi Et dans ces remous de poussières

où dits et dédits se rejoignent.

l’âme est-elle extase et lumière ?

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Le ciseau leste de l’oiseau crisse et trisse dans la lumière coupe nette au lé du soleil qui délivre en ombre si lente sa taciturne pesanteur

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Entre l’homme et le roc il y a la fourmi Je l’observe qui se hâte énigme de sable noir sur l’appareil des six pattes qu’un rouage fait mouvoir vers les noires casemates aux mille et mille couloirs d’identiques automates inlassables réservoirs Elle vient revient repasse circule par les chemins au noir envers des surfaces où transitent les humains multiple svelte unanime est-ce rêve est-ce illusion elle assaille les abîmes sans que nous l’apercevions Mais les racines des arbres dissimulent leurs contours et dans les veines du marbre le sang se fige à rebours promptes les gemmes s’enfouissent sous l’abri faux du rocher les rubis brûlants pâlissent à l’entendre s’approcher

Elle, mue d’une autre force s’enfonce toujours plus bas toujours plus loin de l’écorce sans connaître le pourquoi marche sur le front de taille y abattre le charbon et n’emporte de bataille que pour faire un nouveau bond la conquête est sa mesure le salaire son élan elle va sur les brisures que lui concède le temps ─ Elle va jusqu’au jour où l’herbe comble les antres oubliés jusqu’où la poursuite superbe se perd au creux du sablier jusqu’où les lignes s’oblitèrent en vide dans le fond du puits alors retourne au noir mystère ce qui peut-être est jeu fortuit peut-être signe qui s’altère puis s’efface d’un monde enfui sans même un tremblement derrière sans même une nappe de nuit.

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Révolte Subvertir nos jours en alerte et nos semaines obsédées, dérégler les heures des aiguilles lancinantes sur les cadrans nocturnes ─ ce matin les titres des journaux clameront ce qui n’est arrivé que demain ou depuis bien longtemps, car le hasard ouvre ses plans selon l’ordre qui lui est propre et la sibylle, si diligente à deviner que par sa seule illumination le temps brutalement s’est brisé, abandonne des espaces déclos à nos divagations peuplées de tous ces nous qui sont en nous, dont nul registre opaque par le poids de son passé ne tient recueil Mais au réveil les chaînes de nouveau imposent leurs traverses entre les voûtes surchargées, les armatures qui compriment les machines étincelantes de nos désirs ─ Puisqu’il le faut mettons des mots au lieu des choses pour nous émanciper jetons bas l’épaisseur des très hauts murs dressés à la patience à l’immanence tellement hauts qu’ils oblitèrent les nuages, charpentant nos sages spéculations le testament de nos destins ces murs aveugles dont nous avions jeté les fondations dans une argile plus instable que notre vie, prenons enfin souci de pénétrer encore avant l’affinité des logements intérieurs ne laissons pas le vent que filtrent des guichets à l’œil impur creuser ses lourds secrets le long des corridors ─ puisqu’il le faut déverrouillons le magasin fatal des pièces sans issue dissimulées à la lumière les recoins morfondus dont nos légendes elles-mêmes cachées ignorent jusqu’aux emblèmes jusqu’aux plus explicites figurations démasquons les parois qui nous épient elles contrôlent tous nos gestes elles les guident par dessous scrutons les meubles sentinelles perdues dans l’immobilité dissipons l’air stagnant qui guette ses proies derrière les lambris là où l’obscur feint de se fondre en transparence, brisons puisqu’il le faut les vantaux interdits fouettons le mensonge impétueux des portes entrebâillons puisqu’il le faut le trouble gynécée des rêveries sultanes dans le silence somnolent,

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et par les entours forçons puisqu’il le faut les charmilles des grands parcs où flottait jadis la flambe des étoiles réseaux du point vernal Alors du zénith au nadir du spacieux à l’étroit du toujours au jamais il n’est plus de regard à la fenêtre glaciale de la pierre et sous nos pieds des galeries trament furtivement leurs sapes plus rien ici n’a vraie demeure ni la prière incolore enchantant les couleurs ni le parfum tant de fois redoublé d’herbe drue ni le chant des filles-fleurs plus pourpre que le pourpre ; et dans les édens aux feuilles chamarrées la fente refermée sur le glaive du frêne le galbe gravant les pins gemmés du sang d’Atys, sont disparus et les armides et les fantasmagoriques jardins... Nous voici désormais libres de toute énigme loin du rêve rompu contre les astres détraqués loin de l’angoisse véhémente et des tumultes ainsi tout sera plat en nous et hors de nous et sans remords après l’émeute et les cisailles, nous viendrons à merci dans l’univers domestiqué du temps.

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Jacob Boehme rien qui nous sépare de rien si ce n’est telle place fluide où se reflète comme une évanescence du sang la douleur sans étude parmi les hasards lorsque tâtonne et palpite et se mue cette fantastique excroissance qui peut-être n’est rien d’autre qu’éternel mouvement de rien sur soi-même

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Forêt Creusée d’abîme et de ténèbres une chartre d’où seule fuit peut-être une lueur d’Érèbe peut-être une houle de nuit peut-être une étoile stérile nébuleuse où tout se confond comme en dieu brûlant immobile le néant d’un nombre sans nom Mais de ce feu glacé d’absence procède un long frémissement et ce qui n’était qu’en puissance déploie ses limbes lentement fragile une hampe s’éveille sous les regards bleus du matin et l’azur que l’œil ensoleille tend son armure de satin à midi se gonflent les branches lorsqu’en haut flambent les futaies l’étincelle qui s’en épanche fleurit phénix dans la forêt puis au soir la cime superbe en vain se rêve à l’apogée en vain le poème exacerbe sa parole désagrégée car la nuit tombe et rien n’y fasse voilà qu’un cycle est révolu le passé défléchi s’efface où les surgeons n’éclosent plus. Mais comme aussi l’aube limpide reverdit en arbre de vie l’aveu d’une graine élucide l’arcane de la comédie.

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hier a pénétré le dessein d’aujourd’hui avec déjà demain dégradé par hier aujourd’hui se muant indécis en demain pesant de tout son poids d’étrange absence absence de l’hier en aujourd’hui défait absence du demain qui corrode aujourd’hui absence d’aujourd’hui de lui-même altéré jusqu’au moment qu’hier aujourd’hui ou demain tout d’un coup le demain l’aujourd’hui et l’hier s’abolissent.

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Offuscation Le soleil a surgi dans mes songes, hautain, impérieux, par souffle aléatoire d'astres. ― Sous l’architrave des géants et les pilastres, l'ombre reflue devant les armes du matin. J'épie le ciel en moi, que hante le désastre des satellites vers les olympes éteints l'espace s'y retourne en replis incertains jusqu'au germe de pluie qui nourrit Zoroastre. C'est le terme des temps sacrés et de la nuit capitale où le feu de la sibylle fuit la foudre des fusées dompteuses de comètes. Les jacinthes parlent d'azur obscurément, et dans le jour sans fin promis par les prophètes, lente, la lune en larme éloigne son amant.

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Photographie Moment des heures inégales voici venir le jour tranchant voici peser midi marchand sur ses balances capitales Goutte à goutte tombe le temps le temps désertant les clepsydres, faux captif de lagunes grises où l’instant s’engrave pourtant Double de nos regards aveugles l’épreuve tend le châtiment de l’absence cruellement au présent que son champ dépeuple Ce vide en gloire lancinant est-ce encore antique lumière est-ce repli sous nos paupières pour la mémoire à l’avenant L’instant s’est tu notre âme gagne de son reflet s’abolissant le silence ultime du sang pendant que les amours s’éloignent.

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Cliché Rétive à toutes les musiques là sur la table une bouteille oubliée dédie sa froideur à la mémoire lune verte.

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L'abîme est à peser entre nous c'est vrai c'est la mesure de nos plus célestes amours de nos baisers stériles hors du temps C'est là que chaque jour une Eurydice s'évanouit au regard avide ― qu'il s'éloigne le pas des spectres revêtus d'orgueil et de joyaux ! le clinquant n'apparaît qu'au bout du compte quand somme toute il est trop tard pour la méprise lequel abuse l'autre du victimaire magistral avec son supplice emphatique ou du porte-douleur que le mirage sauvegarde à son insu bourreau subtil par le regard par le refus pourtant terrible de l'obscur oh rien ne naîtra plus de rien sous nos paupières les mots ne perdront plus l'assiette tout sera résolu pacifique intangible suprême sans autre vie que de l'abîme sans univers de regard ni de chant pour traverser le fleuve oubliant la quiétude des mères et des morts

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Flammes ― d'âpre revers si longtemps soupçonnées j'ai deviné cet au-delà vide dans la lumière et j'ai vu par matière étroite démentir l'antique ciel tissé d'ascendants et de signes toutes mailles du réseau fatal au centre de blancheur extrême en plein midi j'ai poursuivi longtemps mon ombre entre reflets pétrie par un miroir de moires convulsives dans les émeutes étouffées et les terreurs cependant que tramait la mémoire aux patientes menées et que s'aiguisaient les couteaux du futur sur des fusils aveugles j'avais déjà quitté le giron fabuleux de roses récitant un hiver sans racines pour cette retenue nette parmi le sang mais j'ignorais toujours à quelle étoile était échue l'opaque gravitation d'éternité Et puis voici que sont entrés soudain les trains dans un silence de métal l'aiguille a coupé court aux cadrans comme foudre tout s'est figé dans le charroi du devenir la tortue bafouant la course et le héros ô villes désormais claires entre les gares et je me retrouvais au détour de mon sang pacifique en l'horizontale des cités neuves où les fumées n'ondulaient plus où chaque rue tenait sa place son chiffre sur le diagramme quadrillé du plan chaque fois je laissais à l'hôtel mes bagages tant j'étais sûr d'être arrivé Au loin les cimes dessinaient un décor d'allégorie plus d'arbres ni de feu pour brûler ce désert de tiges déliées où jeûnent les stylites sous l'arche plus de pluies gonflant le lit majeur des torrents sans retour pour rouler vers les houles plus de ballons d'enfant qui parlent aux oiseaux ni de strophe à chanter l'histoire au front des astres

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― non tout est dit dans la torsion fallacieuse du temps sur les rayons et les comptoirs où l'abondance capitule jusqu'à ce tremblement terrible qui viendra du plus bas ébranler l'horloge suspendue.

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Centrale Il ne faut toutefois qu'une goutte de sang. La cuirasse des torrents s'abolit en machines impassibles emmurant la puissance irraisonnée de l’eau où l'huile du silence infiltre à l'unisson la menace par les moteurs ― ajustés tout à coup les gestes impairs sans regret de métal s'enchevêtrent comme en oblique au centre même de la chambre les entrelacs d'une étincelle accordée à nos âges qui marchent et l'antique regard sursaturé de signes par le courant local et les décharges planétaires. Il ne faut toutefois qu'une goutte de sang.

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Toujours vers le soleil tourné fixant l’éternel de sa flamme depuis le bleu noir de la peau depuis l’amertume des chairs depuis la pulsation des veines et le sang grave de la nuit depuis le fin fond de la mort jusqu’aux lèvres nues de l’abîme.

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Limbes Les iguanodons dansent dans la plaine les iguanodons dansent tous en rond dansent tous en rond jusqu'à perdre haleine dansent tous en rond le grand rigaudon le grand rigaudon qu'un vieux chef entraîne le grand rigaudon en vert céladon en vert céladon et larges bedaines en vert céladon levé le menton levé le menton rêvant lune pleine levé le menton par voltes et bonds par voltes et bonds sans pistes ni scènes par voltes et bonds sans airs ni chansons

sans airs ni chansons sans chœurs ni rengaines sans airs ni chansons sans accordéons sans accordéons dans la nuit d'ébène sans accordéons sans lune au profond sans lune au profond sans aube prochaine sans lune au profond sans rai d'horizon sans rai d'horizon ni figure humaine sans rai d'horizon sans faridondon sans faridondon sans faridondaine sans faridondon sans ombre ni son rime ni raison.

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Baladins masques de pendus morts d'une extase en espadrilles vous mesuriez les longs chemins les hauts remparts de la fortune avec vos ours et vos chevaux vous inventiez des rues nouvelles Les motos passent en hurlant les lions dorment dans leurs cages mes pensées tournaient comme vous je les reconnaissais à peine à présent les voici venues dans la lumière des couteaux

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Contrainte entre la chair et la mémoire comme une ville au soir déserte parmi ses feux dans le cloisonnement revêche des vitrines c'est la nuit d'immuables constellations le champ du sang des souvenirs l'aire jalonnée où ne jouent plus les lignes de mon corps le lieu d'efficaces géométries malgré la pesanteur imprécise du temps Prière aux mille lampes vers le centre avec leurs ampoules sphériques rêvant le signe en vain d'une veilleuse au bord d'un lit d'enfant je ne veux plus les regarder je ne veux plus être miroir être retour de cette absence absurde mais être moi être seul sans reflet ni regret ni recours et lorsque s'ouvrira la fleur de l'aube quand la journée prodigue d'échappées et d'extases futiles aura pris fin m'éteindre à demi astre pour m'en aller dormir en des enceintes plus vraies.

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Invocation Ô mon pays de neige pure ô mon pays de neige drue sous le ciel noir dans une déchirante escalade d'étoiles brisant le noir brisant la nuit de toute neige tendu vers l'axe immobile où tourne le temps ô mon pays perdu sans fleur et sans soleil ô mon pays perdu de pôle et d'équilibre ô mon pays de sang caillé de bouches closes de terre nue de certitude d'horizon mon étoile égarée mon île souterraine mon astre à la rencontre innocente des monts et mon point d'or au carrefour de chaque route loin des villes brûlant l'alcool et le soupçon loin des jardins fermés où se tissent les herbes loin des lieux sans sommeil qui dissolvent les morts

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Là-bas le couchant s’exténue ― dans les os si proches parages émergent l’ombre et l’eau cachées par le mirage de midi.

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Les harpes du rêve soudain se désaccordent les lourds miroirs s'immobilisent dans le silence revenu les rideaux plient l'ultime oiseau nocturne bat les murs fuyant en haut les chiens de la lumière changement radical des maisons vides les fleurs dissipent leurs prestiges les cristaux vibrants s'effarouchent tout semble clair terriblement dans ce matin du monde ancien qui se dessine les vitres n'offrent plus d'obstacle aux vraies couleurs de l'arc-en-ciel je ne sens plus les longs délires me voici de nouveau chair compacte pli de muscles attiré vers la terre uniforme et plate tout autour au lieu des bulles qui tremblaient à la rencontre d'un homme autre que moi non pas meilleur ni pire mais tout autre sans assises sans racines friable comme un os de seiche et pur comme une aiguille me voici je fixe les étés passés dans mes yeux clos la guitare des voix perdues le drap tiré sur des corps jeunes et le soleil en équilibre mais tout s'altère au centre du foyer je ne suis plus sûr de moi-même j'ai bien pourtant couché dans des lits de fougères connu des routes qui s'ouvraient par le milieu passé derrière l'or innombrable et la fange j'ai existé pour d'autres j'ai su par cœur mille complaintes étrangères et me voici posé comme un caillou devant l'histoire je me souviens d'orchestres indistincts je me souviens de m'être essayé à chanter je me souviens mais est-ce moi d'avoir marché parmi les drapeaux éclatants et les fleurs

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alors les étoiles semblaient à leur place et je ne rêvais que de jour la nuit je savais encore dormir et me voici au fond de l'insomnie pierre parmi les pierres sans plus de charge désormais que le sursis de ce réveil définitif.

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L'arbre est là pour nous rappeler qu'il existe l'azur.

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L'éphémère étale du fleuve gouverne les toits nonchalants et comme l'eau l'âme dérive en soupir ouverte aux oiseaux vers le rêve de sel et d'ombre.

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f

f m

s l f e l m f

a s m m m s m e e l s e s mes a flam flamm flamm flam mes es flammes flaves sans fumée brûlant l’âme de fer profilé l’âme flambe bleu féminin

femmes flammes lames lacérant le cœur à mal

flammes

flux fugace du feu profond

amour

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Interne L'amande de lumière où dort dans le pur écrin de son orle le Christ en gloire des mandorles inonde avec flamboiements d'or la façade triste qu'ignore par clartés si tôt effacées une aurore d'arbres glacés où l'autre Christ se meurt encore la façade triste que bornent quand l'âme halète en sueurs les noirs rosaires de lueurs émanées de planètes mornes tels qu'enserré par les voussoirs au nécrocome des voix mortes en dedans le ciel clôt ses portes sur la gloire d'un ostensoir.

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Jardin Il s’en vint dans le grand jardin. Le temps alors se recueillit sur le geste de partager mais quand je suis par là passé ― c’était un siècle ou plus après ― le panier était toujours vide Seul un serpent se faufilait parmi la terre retournée.

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Le déluge miroir des puys réplique son silence aux nymphes et sa malice engloutira la pourpre vive des clairons nulle paix sûre hors l'éveil de l'argus qui baille aux fenêtres

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Ultérieurement Nous aurons déserté la porte à deux battants pour le perron là-bas dressé comme une borne devant le bloc de marbre immense en l'épaisseur nous aurons oublié jusqu'aux veines le vide oublié tout à coup jusqu'aux moelles le temps sa chair opaque et le sang vierge de sa bouche l'abîme aura tendu sur notre épaule aussi le velours qu'il déploie vers les limbes sublimes où l'ombre à l'ombre parle au-dessus de ce poids sur nous posé par les hasards de la merveille le long cordon de sable noir sera levé Alors l'hiver viendra vibrant de givre et d'eau l'hiver viendra poignant comme un baiser d'aurore avec les ciseaux clairs de ses vitres gelées avec de grands feux blancs pour chiffonner la pierre avec des mains de soie pour affermir la neige les enfants sans remords tisseront les échos à fabuleuses voix de paroles flexibles qui monteront par mille fils jusqu'aux étoiles et les sillons s'effaceront et les ornières les rides n'auront plus de refuge que l'eau les nasses fermeront aux poissons leurs aiguilles aux oiseaux bleus aux messagers de la lumière qui s'éteindra sur l'océan réconcilié.

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Architecture Livre lourd yeux grands ouverts ailes qui se replient sur le ventre nu de l’abîme la mort étouffe entre les pierres dans les ténèbres augurales où le cœur retrouve le sang où toute éternité se fige libre d’étreinte et de soleil.

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Elseneur La mer à l'abandon de la falaise se clôt sur l'illusion de vivre nue dans l’arène indécise où s'exténue le schisme gris du ciel et de la glaise Songe des flots que son prestige apaise le haut donjon s'exalte vers la nue seul à sceller le parage inconnu des bords de marbre où les oiseaux se taisent Très lentement porté sur les remparts que rêve une ombre émue par le brouillard l'homme imprécis regarde au loin les lances La trompe sonne aux marches du château puis quelqu'un dit que le reste est silence ― Tout se renverse en sables et faisceaux.

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Villanelle du sans village Je ne suis d’aucun lignage le hasard est mon parent je n’ai rien en apanage des ancêtres nulle image nobles de race ou manants je ne suis d’aucun lignage pas de legs ni d’héritage ni titre à crier le ban je n’ai rien en apanage il me manque le mirage d’un soleil étincelant je ne suis d’aucun lignage sans charge et sans équipage que la torche d’un moment je n’ai rien en apanage j’aurais dû tourner la page de mes futurs contingents je ne suis d’aucun lignage ma patrie est le nuage entre le vide et le vent je n’ai rien en apanage je vis libre d’alliage de source simple est mon sang je ne suis d’aucun lignage Non pas même le langage et ses rythmes hors du temps je n’ai rien en apanage je ne suis d’aucun lignage je n’ai rien en apanage.

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Cœur multiple tu te rompras d'avoir battu solitaire entre hauts et bas au nœud de tous les points cardinaux du compas au centre hésitant de la rose entre le vrai et le rhumb apparent arc tendu vers ton double idéal de soleil embrasant le creux de l'espace et le foyer des lourds miroirs abandonnés d'avoir battu vers les astres au fond du puits dans l'aérien vertige des conquêtes bien au-delà des lignes convenues d'avoir battu sans trêve à tous les temps survivant seul fidèle des tourmentes tenace comme un dogue et martelant de ton battant de chair la panse vive qui sait pourquoi tu t'obstines à travers les vagues du temps immobile malgré vents et courants jailli de cet abîme illusoire de fuite comme un nageur toujours à bout de souffle et qui émerges toujours à la surface reformée et refermée sur un ressac de la ténèbre

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Incarnation escale d'ombre sans demeure entre le sang volubile devant les parois accores ― le désordre tout s'y trompe par le détour des chairs terribles est-ce en cette faconde exsangue de l'esprit ce carnaval impossible été de l'être exonérant les formes qu'enfin le temps se morfondrait parmi le froid domestiquées les fourmilières qui pullulent et fermentent sur les marais méticuleux ? est-ce là plus bas que le foisonnement de fougère à travers l'épaisseur d'une mémoire aux fosses cambriennes pressée de toutes parts (l'argile crie avec ses failles qui rejouent) cependant que l'azur meurt sur la pierre improbable et s'enflent par un caillou les tourmentes du nombre est-ce donc là dans ce néant nomade en nudité de nuit que s'inscrirait comme d'absence une parole et s'ancrerait la terre innocente de dieu ?

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La main Je suis ce long couloir creusé dans les brèches du temps et la main et ma main prolongent jusqu’à moi suivant les plus strictes déterminations de leurs veines exsangues leurs marbrures perpétuées à l’infini sans solution entre les doubles falaises de l’argile Sur le mythe des mémoires, sur les géologies de la légende consignant le conglomérat des siècles par dessus les socles énormes qui démentent le chaos, s’inscrivent encrés contre les murs premiers, les signes indélébiles de nos très vieilles mains Tout près de moi cependant un homme s’est dressé grotesquement moderne sur le seuil de l’antre où d’âge en âge croissent et multiplient les dents fatales du dragon sa main tient un couteau griffe serre corne coutre mêmes os mêmes digitales membrures même main outil couteau même couteau crevant le ventre de la terre jusqu’à la naissance des sources ―mais est-ce bien mon sang que je vois perler dans les blessures de la bête aux yeux sans futur, tandis qu’en le plus sombre de la caverne une main autre imprime de son sceau la glaise pariétale acquiesçant, qui sait, à son allégeance avec l’esprit Et dans le vent du souvenir voltigent un instant les gestes originels que l’heure empressée de se perdre disperse, mains des amants mariées en amour mains tendues des enfants à retenir l’aurore mains crispées des mourants qui hantent comme un cri la mère immémoriale La main vient jusqu’à moi elle me prend la main.

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Naissance De pur silence le Déluge silence sans poissons des profondeurs silence de l'intérieur des choses une pierre à peine tombale sert d'assise inaccessible aux vivants ― pas même la scansion de la parole Sur la neige le pas de l'ours a fait surgir les ombres dérisoires que vous êtes entre les miroirs symétriques où maintenant tout est réglé comme un ballet figé de froid Savoir alors l'immortel qui naissait dans un désordre d'os et de broussailles décharnées dans la mâchoire écumante en chaleur et déjà engagé en étrange voyage par la vertu de ce cristal silencieux.

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Portrait J'ai vu chaque visage un miracle de clarté c'était hier ingénument toute figure s'étageait en échappées conformes de rayons ébauches par arcades et méplats ― je les classais les agençais ― et j'ai vécu comblé candide d'homogène tel Lavater selon ses vues sur l'éternel, serein, dans les linéaments majestueux de l'âme ! Et pourtant le grand remuement d'oiseaux criards et pourtant la grande strideur avec plumes et becs qu'est-ce donc qui s'engendre en cette déroute de soleil Hypérion depuis longtemps défunt ? Brisant le fil du temps qui nous traverse nos mesures mesquines suffoquent dans les doléances de l'ellipse sous le sol sans secret sous la lucidité de l'étendue après le nom de baptême et la grimace plus loin que le hasard aux lignes noires pour naître en abstraction très haute de l'humus vers une exubérance de flèches enchevêtrées vers le destin hagard à la lumière où l'œil respire maintenant avec un espace creux y a-t-il par ici place pour nous place au moins pour notre ombre ou seulement pour la brisure et l'arbitraire de quelque géométrie magistrale ― et peut-être pour les desseins d'un prince altier en sa jeunesse très loin déjà de toute jeunesse du temps.

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Une fille en rouge apparaît dans la vapeur transparente comme venue d'un film de Bergman d'une peinture de Chagall elle marche sur les bords du ciel à la limite des rues tristes grande flamme rouge d'incendies mal éteints que le plus léger souffle de vent ferait reprendre Elle est très loin de moi à des années-lumière derrière la vitre aérienne plus loin de moi que les ombres familières sur l'écran et j'ai d'elle l'unique image sans épaisseur de quelque rêve taciturne avec son apparence seule idole de la divinité.

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de quels déserts brûlant d'orages détachée l'énigme en la beauté enclose qui s'épand sur tel visage absent de lui-même à cette heure souveraine par la lumière et le regard si près de moi parfois dans l'astre mais toujours au fond de toute nuit sculptant masques et chairs où fuit sans direction le cortège en dedans par un prolongement subtil de chaque ligne vers les ouvrages primordiaux peut-être purs de formes en la fange projetées ? de quelles fresques descendu le profil encore enténébré où s'encastre cet œil émule d'une étoile par ciel incandescent comme fer au défi qui traverse sans le savoir sans transpercer ― passés les pavillons des haltes dans le temps ― l'abîme d'une nuit blessée par le prodige jusqu'à l'orée d’ultime vide intérieur ? la grâce est un mystère aussi lourd que le songe et je ne trouve en moi nulle géométrie radicale à répondre avec le poids du nombre sinon l'embrasement providentiel d'un mot nul reflet témoignant l'autre azur à l'extrême pour retenir en révérence des idées l'empreinte sur mon sang de ce buste lucide

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Un orgueil à l'extrême offusque le vide sidéral tendu velours pourpre coiffant les gouffres avare en soi-même et le vent primitif tel qu'avant la faille de sa défaite déguisée au souvenir d'esclaves nus de fleurs de plantes et de bêtes qui vivent en son jour encor Comme décor pâli de force dans le désastre quotidien où tombent l'étoile et le temps un torse tout de marbre émerge en geste romain de statue tandis que le fleuve aux eaux tristes rêvés les barres et le flot des hémisphères mugissants s'en va très bas vers la bonace Par mille drapeaux déployés sur la courbure des comètes sur l'abîme sans épaisseur sur l'onde cernant de silence l'étrange sacre ciselé et comme relève dans l'ombre de gloire altière avec défi tremblent en la ténèbre ensemble la forme et la pure couleur.

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J'ai transgressé tes eaux transfuge de ténèbres mer extrême chaleur convulsive en éclat comme jadis ce flot déchaîné par l'oracle j'ai dispersé tes simulacres véhéments au jour plein du soleil inverse nul empire pour moi fermé nulle terreur en son étang pas de styx improbable à tordre ses lanières nulle barque à payer naulage nul écho de grands talions dressés contre les sortilèges qui relisaient là-bas leur tablette à rebours j'ai seulement doublé la gorge toute d'ombre dévêtue de moteur immobile le noir sourire m'accablait d'un été sans fenêtre mais l'ombre à ce tourment si simple était blessée par tout ce que je suis d'offrande en le tonnerre par le vide nombreux qui vibre sous mes pas laissant avec Orphée sourdre la voix de Dante ― et tout ce que je suis absente de flambeau cette absence de voir les étoiles éclore à la mesure fixe où moi seule ai manqué c'est tout ce que je suis drapée de neige et d'armes.

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Jailli de la rugueuse écorce le jet d'eau s'élance exalter jusqu'au soleil illimité l'épilogue du long divorce Mais s'il s'élève il perd en force tout ce qu'il gagne de clarté et tôt par l'aire désertée il reploie ses ailes distorses Arc-en-ciel chimère ténue équilibre à même la nue fragile fleur de l'éphémère Un souffle une ombre le dissout la beauté s'abîme au-dessous comme une flamme sur la mer

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Par l'orient solaire du creuset, le cueilleur prélève une perle, isocèle extase de sang, la première au cœur du chaos longtemps maclé, sans autre guide que le hasard qui meut tout doucement sa marche. La canne amène vers le marbre un lourd tissu de gloire pourpre étiré pour la paraison. L'Ouvrier tourne et retourne sur la plaque la goutte éblouissante comme un monogramme d'étoile : malléable, elle répond à toute suggestion du geste. Alors, dans la matrice familière et le feu, la fêle amorce sur son axe un exact mouvement giratoire, cependant que, borné le branle nourricier, le Maître abreuve de son souffle une matière avouant son vouloir, jusqu'à lui faire épouser la forme irréfutable après quoi nul remords ne sera plus permis. Le verre s'enfle et se durcit, et se prend à des pièges d'espace, s'étend vers les lisières que lui imposent les forces entrelacées au point vélique de sa surgie : le voici comme un arc éclatant sur lequel convergent désormais les lumières partout errantes par ailleurs, et dont il fonde très éphémèrement le centre. Qu'une paille apparaisse à la surface, et sans autre façon la pièce replonge dans le désordre incandescent où se dissolvent aussitôt les simulacres de sa permanence. Mais si l'ouvrage est réussi, il sortira des ateliers quelque grand vidrecome bleu incrusté de blasons grenat, ou la corolle fragilement éployée de quelque vase, qui s'en iront, au moins pour un instant, porter l'incendie dans la vitrine des villes tristes et les antiques salons.

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Panorama La statue de David flotte par l'éther noir avec une pierre dans la main sur la mer ténébreuse un navire de marbre halète autour de sa machine le sanglot d'une âme traverse le ciel des fixes parmi les feux les carrefours fractionnent l'ombre où peut-être se prononcent les apparences d'une musique qui décernent au paysage décousu de son poème une secrète approbation

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pour J.P. Charrier

La ville aux fenêtres de vent danse fragile sur l'abîme les palais tremblent l'eau gémit l'écume aboie le long des marbres vers le dôme clair des églises en bas plus bas l'enfance dort le cœur se fige en équilibre sur les accores de midi le corps tranquille se mesure à des aiguilles de cristal à l'amour son plus haut période à sa devise de clarté mais dès l'annonce de l'éclipse quand le temps de briller s'efface quand l'air fait eau de toutes parts quand les persiennes se referment alors par les rues englouties la marée monte à perdre souffle et s'établit sur les perrons. Pourtant le jour n'a pas tout dit le cygne encore ouvre ses ailes à la merveille du matin ultime écho de siècles blancs une aurore passe le pont debout dans la lumière neuve et les sirènes la saluent cortège offrande choéphores pavane harpes carillons éclats cymbales étincelles Sur le miroir de la fenêtre tout le ciel renversé descend la beauté s'y mire à mourir et pleure au bord de disparaître.

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Beauté Je suis feu sans fusil, sans contact est ma lame, je brûle sans brasier je brille sans rayons ce qui vous éblouit, les larmes de la femme les ardeurs du plaisir ou la ferveur de l’âme ne sont que vains reflets de mes fulgurations ou sur l’onde océane au sombre de la flamme, jouets du frêle esquif de ma fascination vous me rêvez sirène à dérouter vos rames vers l’antre des rochers féroces où se trament les mirages hagards de vos divagations. Mais moi très haut dehors étoile anadyomène je laisse l’eau majeure et joins les deux domaines Lucifer ou Vesper selon l’aube et le soir. Chair intouchée, vierge sortie du susceptible, je dévoile à tout œil ma présence impossible. ― Je vis je meurs dans un déluge de miroirs.

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Beauté je mets le sceau sur ton silence Le beau ― lucide oiseau des apparences au revers de son vol mène à outrance l’œil qu’il excède en sa duplicité l’éblouissant par contraires clartés mais plein de flamme à toute renaissance. Et des christs flagellés cinglant l’averse lors que des gens bien que muets conversent ou crient la mort sur tel plan de tableaux déployés là monstrueusement beaux au gré du flot confus qui nous traverse, des seins tranchés de vierges vénérables d’où sourd le lait au plateau des retables tels que les peint la légende dorée sur des vélins à lettres historiées ou dans les mots de témoins mémorables, et du marteau des plus grossières trognes ou sous la main d’un bourreau qui besogne les chairs meurtries du martyr au fouet clouant en croix les membres qu’il nouait, ― le beau renaît phénix de la charogne. Ce beau phénix le préférant au cygne brisé le calme alcyonien des signes l’homme plus grand que l’art qui décevait mourut vivant de ce qui le mouvait loin d’une plate et fastidieuse ligne. Jamais n’obtint l’or stable du savoir malgré le jeu de l’antique avivoir mais ignorant les divines sciences il porta haut le sermon du silence et puis se tut.

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La beauté, c’est une chose terrible et affreuse, terrible parce qu’indéfinissable. (Mitia, Les Frères Karamazov).

Le Beau est le portail du terrible dit à peu près Rainer Maria Rilke cela les poètes le savent ― mais moi perdu dans l’amertume des formules quel Ange me dira sur quoi s’ouvre le porche de cette entrée que ses dehors déjà défendent par leur seul éblouissement y a-t-il au-delà de l’arche d’apparences quelque gouffre offrant à l’infini son vertige ténébreux y a-t-il pour nous, milliards à mourir, l’essaim des milliards passés des morts monstrueux tourbillons qui submergent la poussière de formes désormais défuntes où vivaient des hommes vivants ô rois anéantis creusant terres et tombes dans l’abîme jusqu’à l’horreur noire de la chair et la putréfaction du chaos érigeant vers le ciel des tours d’avant déluge mus par la soif d’atteindre dieu pour le détruire et l’adorer en cataclysmes de paroles futiles qui débordent mots et morts sur les parchemins dont ce portail est le présent.

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Une petite musique survit aux têtes coupées aux chairs dévorées d’épieux aux corps déchirés de flammes aux yeux ternis qui se brisent à ces étoiles qu'étouffe un monceau de chiens crevés elle plonge par éclipses dans le déluge des cris dans l'océan du silence mais tous les peuples l'entendent reparaître sur les bords du grand fleuve aux quais nocturnes parmi les grues et les flèches elle tourne sérieuse autour des tombes ouvertes sans oublier la mesure la mélodie délicate bien plus haut que les fanfares et le vacarme des cuivres où va-t-elle on ne le sait elle passe les abîmes et le néant qu'elle porte.

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pour Michel Ventrone

L’ordre en orgueil relevant une transparence de vitre : autant dire rien. Mais au-dessus ou au-dessous, qu’importe, le jaillissement du métal aimanté par la contention spirituelle des lignes ; et ce rien n’est pas néant, il oriente vers la cible : au-dessus ou au-dessous, n’importe ; il inscrit dans l’espace abstrait que refigure l’appareil selon les étendues de ciel et sol, une autre stabilité, une autre perception des forces qui étrangement s’attirent, se repoussent, s’équilibrent, une aire où l’œil enfin n’est plus le jouet du hasard ni du temps : le temps même reste en suspens, et le hasard hésite au bord d’un gouffre translucide ; les lois qui règnent ici sont certes plus qu’un coup de dés. Zénith et nadir : en haut peut-être (mais qu’importe) la trombe ensevelie des nébuleuses derrière le frémissement de l’aube ; en bas, la terre grave exauçant la chute ; au centre, ce rien, la mort, et son absence inflexible comme une minerve de verre : sans elle pas d’envol, de flèches fascinées vers les demeures célestes, sans elle pas d’oubli, de sol, de pesanteur. La voie par elle s’ouvre à l’énigme, à l’oblique : ainsi parlait jadis l’oracle d’Apollon ; entre les termes éternels –l’horizontal, le vertical- l’oblique est création, intention de vie et tout ensemble excès d’esprit hors de lui-même, déclinaison au cœur de l’irréfragable énergie. Lucrèce déniait bien aux atomes la direction de l’oblique, il concédait pourtant –le moins possible, relatif à la verticale, l’écart brisant la chaîne de la fatalité pour affirmer notre vouloir arraché au destin. L’oblique libre parmi l’air dissipe son élan, balance librement la tangence ou l’impact ; avec la mort, contre la mort, elle prend risque dans le champ, lieu de tous les périls et des affaissements –se pencher, s’exalter-, jusqu’au point de coïncidence où les contraires s’invertissent, ascendance ou plongée qui passent l’une en l’autre (de l’une à l’autre rien ne change que la vision prenant parti). Des volumes jouent avec la formule des nuages, feignent quelque regret de vapeur par les éthers –mais nulle pluie de glace sèche pour l’âme que d’anciennes idoles enamourent : seule une expectative de mouvement sans échéance, tels que se trament les regards sur la toile des assomptions chez Tintoret ou le Titien. Surgissement tangible de l’esprit aux prises avec le rien de sa propre rigueur.

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Vêtue de vent tissu fulgurale inédite au dépit des déluges toute terre qui danse défie les termes de son nom elle s'érige vers les noces vers le thyrse et la virginité du cri le plus vivace martellement alors attelle les couleurs le jaune siffle comme en songe le bleu n'est plus de ceux que berce la quiétude le firmament peut même oublier ses atours ses bimbeloteries de glaces et charmes son opéra doublé de sable rien n'y fait ― dans le présent de la voix l'immuable toujours se mêle avec la danse et sans légende la strate profonde resurgit pour saluer l'éclair.

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et l'opale même de l'eau l'air le ciel orbe aux toits superbes l'hyacinthe des jours enfuis la lune haute ouvrant ses herbes à la râpure de minuit la fleur terrible du courage soleil au plus fort des hivers sur l'étrange et double visage de ma lampe et de l'univers la fumée folle d'une forme chantant pour soi dans la maison chantant pour soi dans la maison avant que l'étoile ne dorme auraient-ils rêves ni raisons sans la rencontre du poème

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Art poétique Synapses ineptes des concepts exacts las de vos préceptes acceptez que j'opte inapte aux mots stricts pour le sombre sceptre d'une autre psyché présente en la crypte telle un ptyx tapi sous le ptérion. C'est là que tu captes ton ipséité nappe taciturne au rapt du trépan mais tant que tu passes par strates compactes l'ellipse s'affecte au stock des pensées la stase stérile à l'adepte pur Psylles et diptères sphinx et ptérogons exceptés d'espace d'obscur adoptés en subtile éclipse que l'heure respecte s'extirpent du puits si peu prospecté spectres que stimule la ptôse du temps.

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Triolet du point-virgule Je n'aime pas le point-virgule, qui balance entre deux raisons velléitaire et ridicule ; je n'aime pas le point-virgule ; il accommode à son scrupule fort et faible sans unisson ; je n'aime pas le point-virgule qui balance entre deux raisons.

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Douze haïkus de la grenouille Grenouille d’avril verte syllabe qui s’épelle sur les étangs verts. Gros yeux la grenouille en ses clairs miroirs concentre l’eau de nos printemps. Grenouille accroupie bulle coite en l’eau turquoise de l’aquatique été. La grenouille griffonne sur la mutité de l’air sa parole d’eau. Au bord du soleil affinant l’or de ses pupilles songe la grenouille. Grenouille eau figée dans la débâcle d’une mare sa mer miniature.

L’hiver la grenouille fuit devant le sabre au clair de la glace et de l’eau. Large nénuphar quarante grenouilles nues rêvent d’habits verts. Grenouille grave cristal posé sur la berge de mes regrets morts. Nue la grenouille offre à la surface nue notre pur reflet. Glace et feu mêlés une grenouille fragment du ciel amphibie. Chimère inachevée je croîs comme la grenouille entre deux éléments

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Balivernes Le temps qui passe Conjugaison et tarde tant au garde-temps Je suis con. oh garde t’en Tu es con. car de l’instant Il (ou elle) est con. éphéméride Nous sommes cons. le temps te tasse Vous êtes cons. et fait mes rides. Ils (ou elles) sont cons. Une cure au jardin smaragdin d’Épicure contadin où Mercure nous procure tout soudain des piqûres d’anodins. Unis vers Cythère, des universitaires à travers le site errent pour un hiver s’y taire et nus vers sursitaires de l’univers s’y terrent. L’hégémonie plus court chemin des Gémonies. Lézard par les déserts ardents il musarde au hasard d’azurs dans le bazar de ses désirs désarçonné bizarrement. Philosophie Jeu de l’oie L’en-soi poursuit le pour-soi, c’est la loi. Qu’il soit lent.

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La solitude adamantine s'est peuplée de pierres et d'eaux gigantesques d'après déluge de lourds tréfonds fuyant le feu une source seule s'épuise en larmes sur la neige nue mais le nombre a nourri le songe très loin des strates convulsées voici par dessus les épaules poindre l'été prométhéen voici comme un aérolithe une seconde de soleil imposant sa mesure aux monstres les doubles du Styx ont surgi tout vêtus d'étoffes nouvelles qu'en autre fleuve lavera le soir oublieux de sa marche ― régale à résoudre le temps la mort n'est plus qu'une eau dormante

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pour Sylvia et Jean-Pierre Millecam

Il pleuvait une froide nuit houle profonde et noire et haute mer je suis sorti sur le perron dans l'épaisseur diffuse parmi les lampes et j'ai senti qui me submergeait telle un tocsin l'ubiquité de l'eau crêtée de ciel où naviguent sans retenue les météores l'énorme fourrure de la pluie dont le désastre protège les fleurs reformulant l'espace selon la suggestion des lignes à l'horizon tumultueux Il n'y a plus en moi tant de clarté que revivent les aires initiales la pluie s'est abattue sur moi comme un esclandre sur la géométrie des vagues au-dessus des bancs de poissons qui retournent à leur substance ténébreuse et les deux profondeurs confondues dans la profusion féminine des coraux sur moi pleuvait la froide nuit entre les pôles et les flux ma propre humeur implorait l'onde consanguine aux convexions d'étoiles ascendantes la froide nuit pleuvait en moi sans infléchir le temps

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monde doré comme une idole tu ne soutiens pas le regard les fleurs lucides s'en avisent et changent leur or à la nuit et chantent l'aurore à leurs ailes prêtes à fuir en lieu plus sûr

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Écriture Vers un pays de piège et la frontière j'ai tracé le sentier des mots tremblants à peine issus des ténèbres ― troublant l'éternité infuse à la matière Mille futaies promues sur le ciel blanc tramaient déjà très haut le cimetière d'espace avec leurs tissures altières nié l'oubli dans l'ombre et ressemblant à ce monde trop clair peuplé de signes fort d'un sens vrai que sa parole assigne mais solennel contre la nuit luttant Rien n'y scellait de présence prochaine l'ordre fatal sempiternel par chaînes y glissait comme sable au fil du temps.

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Genèse Les prismes s'offrent diaphanes aux disques durs de la clarté ébauchant les cristaux de l'air comme une idée qui se dessine c'est le matin le monde neuf l'ombre en abîme exténuée l'esprit s'appelle avec le souffle du vent subrogeant le chaos et quand en l'espace englouti au plus creux des vagues aveugles un œil s'allume on ne sait où quelque présence se présume qui borne et balise le temps un port hasarde ses jetées rature de lignes ténues de géométries centrifuges les rivages démesurés les mains des moires étendues vers une voile à l'aventure telle Vénus venue des flots dans le calme règne des lois une rose improbable impose aux bourrasques son ordre clair une à une les vitres naissent sous le soleil issu des flots et comme pensée fraîche éclose émerge par l'ombre et le vent la cité lasse de silence ondulant au souffle du jour.

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Le temps visqueux se joue de vous poussant les troupeaux d'astres vers ses grandes terres rouges gardez les grappes bien soufrées donc de Sodome et recherchez l'abri soluble de quelque statue Il est vrai vous n'êtes qu'un léger un très léger frisson de cette rumeur qui s'avance et quel ressort vous faudrait-il pour gagner le refuge des fixes bien trop ardu pour vos fusées pour vos pensées mal à l'étroit gardez plutôt les grappes ou jouez avec le vin de la sagesse il est ici suffisamment de gouffres pour les fourmis de fêtes fragmentant l'étude de désirs rabâchés par les étés torrides prenez à cœur le vide il vous assoit ou encore regardez le paysage à l'envers le sexe vous retient sur les déserts de l'âge il faut nourrir cette machine molle d'épaisseur de mets choisis venus de loin comme la sève de particules qui vous lient au grand choc nocturne de mots qui vous enchaînent à la mort essayez donc de suivre la marche elle est tranquille parfois c'est un torrent mais tournez-le vers les zones d'ombre dépavées de récifs en attendant le feu du ciel.

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Parjure Je ne suis rien rien qu’une voix rien qu’une voix désir monstrueux d’être aimé noirceurs de la chair conjugués au plus impénétrable centre de son germe ô mon désir plus lourd plus sourd plus acharné que toute chair obscur sans le regard jaloux en haut du ciel mais qui sans fin me courbe sous sa charge de hasards ô mon désir toujours entier toujours tourné vers le jour de ténèbres où m’en aller où m’enfouir ténèbres loin très loin d’enfer bardé de glace et de métaux loin oh très loin de la Judecque et ses trois gueules mâchonnant dans les basses demeures de Dite très loin ─ juste d’un pas un pas que je ne peux plus faire tout est passé je n’ai plus rien je n’ai plus rien j’ai tout vendu ce jeudi-là hormis le champ de branche amère et de remords Oui j’ai péché oui j’ai baisé le sang du Christ oui j’ai trahi j’ai parjuré pour ton salut oui j’ai touché le sac d’argent ─ Je suis Judas je n’ai rien de plus à te dire.

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Déicide cracher sur le visage et sur le sang Rodomont Capanée renversant les murailles dans leur enfer en blasphèmes et feux révulsés vers le miroir du ciel où se dessine le reflet de ce dieu terrible qu'ils défient ou de l'agneau qu'ils égorgèrent me voici je suis le centenier sanglant de ma demeure qui gifle l'effigie du Christ je suis Longin venu très loin de Césarée pour plonger en ce flanc le fer d'une lance plus acérée cent fois que le pire désir d'abîme mais qu'importent les ruisseaux du sang et que la nuit submerge en ses replis toute l'histoire j'ai vécu j'ai senti l'algarade énorme du soleil éblouir la véhémence de mon verbe et qu'importent les forgerons des dieux avec l'éclair et la foudre où se fend le roc à celui qui debout répond à la tempête par une incongruité dérisoire au plus bas et renie vers le haut les mots coupant la route où grêle le rebond de la fureur sinon que s'incorpore aux très étroites trames une fulmination démesurée de cris

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Au-delà du feu la lumière comme au-delà du cœur le sang au-dessus de la voix le sens le grave en outre de la pierre le cœur sentant battre le sang se croit dans le secret des choses effet qui croit forcer la cause le cœur se gonfle tout-puissant lors qu'il n'est que tréteau des songes et n'est de songe que de sang source ou veine s'abolissant dans l'énigme où sa forme plonge Et toi mon cœur ne tremble pas quand viendra l'ahan de te taire au temps qui porte seul en terre cœur et songes jetés à bas.

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ici fut dans le temps et lieu comme un chaos d'acide avec désirs à déchiffrer selon des coordonnées fabuleuses protubérance ou pli de l'étendue ― par le tréfonds des trames qui tissé l'esprit trouent la ténèbre ici fut une forge admirable en éclairs en électrons tendus de feux et tremblements fatals à l'apparence unique des limites est-ce ferveur est-ce défi de la flamme au tombeau ce sang qui naît nocturne inversant l'étincelle ce sang qui n'est soleil que si je l'ai commis ici fut ébauché par devise indocile le réceptacle pur d'étoiles en avant et tout ce qui voulut d'humaine hardiesse regarder fixement la mort quelque chose d'allègre en son néant creusant par places prenant mesure d'éternel à sa façon pour jeter dans l'éther inextinguible d'astres tel un double rival de gravité l'onde d'une parole en qui vive l'orage ici fut pour toujours et jamais maintenant la fiction d'une rive aux veines tendres où la parole et le sang s'assemblent même fleuve Léthés surgis sans profusion des profondeurs il s'y dessine des visages difficiles des amours égarées par dédales dénués de fil sinon quelque regard pour quelque rêve ici fut un ici qui n'avait de parage autre que ces relais dérobés sur la nuit comme marbres massifs d'indépassable absence comme aréoles concises entre faisceaux comme allégeances aux nuées comme le vide.

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Villiers de l'Isle-Adam Voilé de minéral et de silence parsemé de tisons rouges de nul éclat au jeu fatal figé par un grand sortilège sous le chancellement fondamental du corps l'amour ne se meut plus vers la source et le sang mais rêve en les ruissellements intérieurs de cryptes refermées par forges et féeries où l'horloge des morts fonctionne sans tonnerre où le verbe s'éteint suicide sur le seuil et l'œuvre se concentre au plus noir d'un Érèbe prodigue mal échappé des alambics de l'infini.

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Ils partirent l'espoir en tête équipages des jours perdus ils partirent à la conquête de ténébreuses étendues par delà le Cap des Tempêtes noirs royaumes des Caliban ils voguèrent aux mers lointaines et la vigie sous son caban ne vit pâlir de capitaines à nulle voix du ciel tombant Ils croisaient parfois la carcasse d'un navire mystérieux felouque barge ou galéasse que firent les vents furieux se prendre aux toiles des Sargasses Affermis les flux aimantés par l'acier d'une aiguille arabe ils couraient les mers enchantées et pointèrent leurs astrolabes où la sirène avait chanté Ils allèrent aux bords propices du Catay ou de Cipango que l'or et les perles tapissent enlever l'ambre l'indigo les pierres rares les épices Quand passant les eaux du Ponant entre les griffes des cyclones ils revinrent au bout d'un an ils avaient entassé des trônes pour les marchands de continents Mais le trésor qu'ils rapportèrent plus précieux que mille Toisons c'est d'avoir brisé le mystère qui pareil aux murs de prisons mettait des bornes à la Terre.

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pour André Vanoncini

Marine

Bien au-delà de la genèse et de la mort bien au-delà du soleil et de l’alignement des planètes en même temps que moi naquit soudain le temps affluant d’un seul coup vers la réserve de la mer selon les architectures suspendues à d’inexorables proportions Alors l’eau de la passe palpita dans son berceau de roches improbables alors au large de la tour carrée où l’ordre royal s’efforçait d’aveugler les orifices du chaos s’innovèrent des voiles répliques d’horizon au miroir des mouettes dans le jour éveillé le phare s’éteignit les sirènes se turent des rayons matinaux embrasèrent la Vierge couronnant la cité de sa garde inaccessible d’or les dômes les statues d’atlantes des forçats les barques amarrées tout au long de la rive antique où jadis tanguaient les galères chargées d’amphores et de dieux et moi j’errais enfant ébloui par les flots les quais et les étals où mêlées au vacarme des oiseaux les voix de pêcheurs vantaient leurs prises fraîches parmi l’odeur de poisson les écailles à même le sol le sang les entrailles vidées souillant la pierre plus tard au marché les bistrots exaltaient de leurs vitrines véhémentes les charmes du café chaud dans la fumée des cigarettes les disputes sonores autour des tables de marbre à pied de bronze et les cartes salies prêtes au jeu dehors je dévoilais élégance triviale

la promesse d’une nymphe hasardant ses hauts talons sur les trottoirs maculés d’immondices pendant que l’avenue où les tracts jonchaient le pavé s’empourprait d’étendards dressés contre la guerre

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― toutes beautés d’un monde se mouvant dans l’instable au gré des flux et des reflux Mais au-delà de cette ligne dont la courbe incessamment s’élude devant chaque navire aspiré par la mer vers le domaine étale à nos regards charnels pour jamais interdit vers l’âme dépassée de l’impossible essence je tourne au fil des nuits mes yeux lestés de rêve.

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Eldorado Éclos en la rumeur inassouvie d'étoiles par flammes à rebours oblitérant la nuit le grand souffle exaltait les drapeaux et les toiles un corps immense illimitait nos aujourd'huis vers la gloire là-bas qu'étanchent les collines double à demi-reflet de nos âmes enfui et partout s'égaillaient les lignes sibyllines de ses flancs en amour avec le golfe nu avec le feu dardé pourpre sur les salines avec la courbe d'aube ouverte à l'inconnu et son rire éclatait en horizons de routes en longues échappées de songes souvenus c'était comme un remous de merveille aux écoutes une prosopopée turbulente d'oiseaux par voiles étarquées jaillies jusqu'à la voûte c'était comme un miroir remuant en ses eaux les ciels déjà lointains du Gréco sur Tolède les charmes d'autrefois tendus sur Toboso et c'était ― oubliée l'antique rive où plaide un vieillard lusitain contre rêves et vents ― le mouvant mausolée des Ulysses qu'excède ce flamboiement d'abîme insatiable à l'avant.

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Le trésor des chemins s'ouvrant aux bateaux ivres s'égarait vers des bords mal ignorés de moi quand j'eus d'abord atteint le beau pays moi-même chercheur de ciel encore en quelque Pérou qui brillait à travers la trêve des escales et la coque vibrait sous l'exorde terrien repris comme un grand rire à l'orée de la vague Or seul dans le désir des îles magistrales tandis que s'éloignaient les bordées de marins par les chantiers déserts où dorment les carènes et les bistrots bancals des ports en la sueur j'exténuais sans fruit mille filons et songes Mais toujours le décor inaugurant demain désarmait la stérilité de la montagne asseyait les hasards sous un sceptre de soie et me voici venu solitaire à rebours jusqu'au berceau chétif des plaines en litige sans trop savoir peut-être et sans trop discerner ― faille dans cet exil ironique d'extase ― quelle fêlure éclate entre l'or et la main.

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Route La route vide oublie comme nous ceux qui passent étrangère à ces vies creuses que nous croisons ignorant le regard tragique des maisons et joignant d’un seul jet l’instable et le fugace Désertés les désirs et les décrets humains, elle oscille à jamais première ni dernière elle ne souffre pas la griffe des ornières de camions cahotants ni de charrois romains La route sombre telle une corde de puits du haut du noir soleil aux timides ténèbres elle fait brèche aveugle avec les deux algèbres nombre comme ce rien de plus que je ne suis La terre a trop de feux le ciel a trop d’étoiles la mer trop de chaos amer entre ses bords la route nue se perd loin de naissance et mort en un hors-lieu que l’ombre inaccessible voile. *** Sourds aux mille signaux d’éclats incohérents nous créons cette ligne au-delà des nuages route de nulle part sans limite et sans âge abstraite assujettie à son agencement.

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Tunnel pierre souffles jantes nettes des TGV nue l'étendue noir volume du temps tout accélère ce fil vers l'autre issue véloce sifflement du pantographe signaux signaux simplifiés sans méprise glisse l'éclair instable et sourd qui donc diffère l'azur promis étouffe l'aube profonde au poids des voûtes l'azur promis de tant de terres Méditerranée maternelle humeur et née du ciel flottant si lourde Eole ou Délos jadis jouets du vent

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Navire aux astres suspendu par les câbles clairs de l'écume tu laisses parmi l'épaisseur souffrant de rompre avec la terre le goudron pesant des pensées La pierre pleurait t'appelant dans le soir ivre des sirènes où tu débordas indécis du port que les brumes endeuillent comme un rêve grave de l'eau L'étrave résolue désir découplait ta courbe et la côte vacillant selon le regard que nourrissent d'absences vagues les balises louves du vent Ainsi s'exaltent les départs en extases que l'ombre inverse tandis qu'inlassable renaît sur le rivage une aube neuve d'exil et d'astres revenue.

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la mort un avion traverse l'air dans le soleil qui se lève un train siffle dans la prairie parmi la mémoire indolente des bisons oh Susannah oh don't you cry for me

des arpèges voltigent vers les planètes instables pendant que les villes se dispersent au long de la voie comme nos évidences fragiles oh faire un ciel entier de ces halos et de ces lignes une chanson de ce tumulte de ces bruits une extase de ces instants que seule unit l'interminable proximité de l'eau là-bas où l'océan dilate sans relâche à l'abri des éclairs son ouverture de sommeil abasourdie sous la grande arche taciturne alors nos mots mouvants se pressent prêts pour la demeure et le silence leur vraie raison ― et celle de toute chose d'ici

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Je suis ce peuple qui voudrait respirer dans la réversibilité des étoiles est-ce à présent est-ce le temps de libérer d'attente fugace les reflets dont la ligne balance le vertige de nos retours vers l'ultime Thulé Thulé proche du ciel bien plus que les Orcades Que la lumière avec sa patience accuse les masques qu'elle appareille nos convulsives profondeurs que la mémoire accorde enfin sa musique aux ambitions de notre nuit diurne sur le bord de laquelle oscillent les exodes perdus avec leurs capitaines être en instance à chaque fenêtre de vent futur désigne définitif un espace où gémissent les jasmins où gisent à jamais nos fêtes à la folie ô nos défaites superbes au gré de l'air et les épouvantes d'enfant qui elles refluaient vers le volume du ventre mais au-delà par la promesse banale avant que ne s'épande la marée même chair maternelle angoisse où pleurent les houles veuves d'astres comme si toute bonace n'était autre chose que l'œil énorme du typhon multiplié rédupliquant à distance avec son poids et le tonnerre de poissons qui régénère les mers extrêmes oui je me perds ― m'égare nombre sans relâche foule irréfléchie des moments qui vous épargnent vous les morts uniques sans lumière reliant vos multitudes démarrées plus loin que les antithèses du large yeux sans miroir en qui je ne vois qu'immobile quand mon histoire s'est jouée horizon sans doublure où le flot même ne tient plus à la mouvance qui le fixe.

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Sur le cahier d'écolier une belle rose rouge est une étoile qui grandit pendant que la mappemonde à mes pieds se fait plus lourde Voici la mer et l'eau bleue bornant les continents bistre bien amarrés à leur fond Le vent circule toutefois sous le comble des nuages Il s'élève à la chaleur des mille roches pesantes il voudrait bien s'échapper comme l'étoile sait le faire à travers l'espace clair Mais la rose qui se balance dans le jardin familier vivante enseigne de l'air expire à s'épanouir puis se penche vers la terre Le cahier s'est refermé sur une sphère chétive l'air est tout bas redescendu et dans les palmes du ciel seule culmine l'étoile

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pour Céline, Lauren et Julien

Noël neuf et naïf La neige est rouge le néon nimbe le ciel des devantures C’est Noël Jésus est né on va par la ville à l’aventure un air usé d’accordéon les écrans les bars les fritures crient Noël aux seuils parfumés crient Noël aux vitrines soûles Entre les berges en fumées dans un orchestre d’anges roulent les voitures feux allumés étoiles phares de la foule. Noël avare de tisons aux toits sans cheminées prépare une faillite de flocons Sur l’asphalte du boulevard flambent les chromes les lampions emparadisent les trottoirs.

― Revenez mes Noëls passés les santons aux portes des crèches tendaient leurs mains embarrassées le vieux pêcheur avec sa pêche le bûcheron et sa brassée de bois mort et de feuilles sèches et moi le cœur d’amour chargé tout ce que je suis ou que j’aime tout ce que j’espère ou que j’ai signe ou pensée prose ou poème à l’an nouveau tout est changé tout a changé surtout moi-même. Plus d’astre en haut pour diriger les pas convergents des Rois Mages plus de brebis ni de bergers naïfs comme sur les images l’âne et le bœuf ont délogé l’enfant s’éloigne à grand dommage le long des routes enneigées.

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Durchaus studiert mit heissem Bemühn

Il n'y a plus de soleil monstrueux en haut ― la tête de nature exaspérant notre prestige bouffon ― non plus d'yeux physiques ni d'ouvertures émonctoires pas même le trou noir énigme sur quelque gouffre intérieur lorsque danse la lumière inverse il n'y a plus de centre vif pour rassasier les lances de ferveur accrue issues d'où saignent les puits il est vrai nos fastes orphelins pardonnent au vide mais dès lors ils s'aveuglent d'eux seuls croyant rayonner leur propre substance nous sommes ainsi clos sur nous-mêmes comme un dogme comme un astre déconcerté qui roule en lui sa pensée sans système au plus haut des nues une plénitude souveraine éclate pourtant parfois mais nul ne peut l'accompagner jusqu'à l'intime décision de la chair suffira-t-il alors ce faux orient né d'autre bord que de ciel arbitraire pour nous faire oublier les feux et les couloirs dans les antiques villes capitales où cercles et sommiers supportaient le temps maîtrisant en toute clarté le lieu des lignes ?

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que suis-je hors l'appel avide d'une flamme hors ce vide épousant l'espace à contrecœur pareil au champ strié de forces vers l'abîme ― la braise a déployé son verbe de velours pour s'élever fumée par une gaine sombre que suis-je hors l'haleine étroite et le remous dont la gorge s'émeut diffamée de brûlures et que le feu tenaille en furieux futur

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La lampe dit pour tous le sens des signes elle dit pour l'angoisse ensevelie qui se complaît en bloc d'ombre en rumeur compacte comme l'est la mer Ne restez pas statues de sable prétextant une richesse qui s'offusque au moindre commentaire de midi mieux vaut trancher les frontières dans l'évidence de la haine plutôt que de composer avec ce poids d'avidité qui met sur votre vie sa démesure Il est vrai nous ne sommes guère pacifiques notre lucidité s'érige en creux dans la fureur pour un change éventé de lignes il est vrai nous revenons toujours à la clarté à la vertu d'ampoules éclatantes d'amphores qu'illumine un astre intérieur nous ne renonçons pas sans autre feinte à voir le lustre du regard élucidant le vide le flamboiement futur juste avant l'aube la taie mouvante des lueurs ainsi les moires nous retiennent sur l'impossible et la beauté s'épaule à leur déchirement tout flotte avec le temps diaphane dans l'air tout autour de colonnes torses par galeries de paroles insaisissables qui nous guident vers les salles tendues de marbres et drapeaux.

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Seul le silence est vraie parole Ce que je cherche est pur silence. Je ne sais rien je ne veux rien savoir des tintamarres de foudre exacerbée par fluides ascendants de ce tumulte exorbitant l’hiver de la tourmente pas même de l’aubade à l’ostensoir quand flambera l’avril céleste ni des particules fracassées entre les mains de physiciens fiévreux Face au tohu-bohu débris de fond diffus dans la nuit sans matière où se taisent les oiseaux avec leurs voilures empennées que nul au monde n’apprivoise, face aux ultimes feux azimut du solstice l’aigle ouranien a clos désormais son orgueil clos sa paupière nictitante sur les hautes aires du roc et lorsqu’au dernier jour le soleil invaincu s’éclipse, que l’alouette abdique son chant, que les ramiers, fermées les fentes de leurs fuies, finissent de gémir, alors s’évanouissent nos conjectures improbables, depuis les sarabandes de rémiges qui divorcent avec leur vol jusqu’à la fugue furtive parmi les branches dans l’ombre des grands arbres quand le hibou nocturne s’enfuit plumes flottantes vers des parages flous Devrais-je croire à cet illusoire silence silence sans mots ni corps sans timbre sans oiseaux ? mais l'alentour ne fait que feindre de se taire je ne veux rien de ces fragments transis en notre mémoire fragile charmes qu’ont défraîchis les marches au gré du temps et qui soudain prennent essor à travers les mailles de l’accompli

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Je ne veux rien sinon saisir en l’insondable abîme que tranche cependant l’axe comme une épée le rien suprême du silence, non pas vide silence mais absence suprême absorbant les sons tel un trou noir, silence morfondu sous les phases hiémales s’embrasant lorsque s’étoile l’espace intime de l’amour, plus beau que les palinodies multipliées par la parole et les guirlandes de ramages qui masquent les minutes sur la tapisserie mouvante de ma vie Je ne veux rien sinon saisir le tréfonds infini de la mort sans le fard de ces hymnes glaciales célébrées dans les cérémonies funèbres car rien ici-bas n’est silence essentiel rien n’est demeure d’absolu il faut attendre encore attendre cette nuit taciturne où toutes ailes éployées plongeront dans l’immortelle absence de la pierre.

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Une passion sans lisière exacerbe la flamme fluide des joyaux et déborde les toitures taciturnes jusqu'aux sites brodés de froid libérant les tourterelles qui s'épanchent paroles blanches vers les gorges aspirées par souffles et désir où les attend le cri Rien en deçà que diluent le mouvoir aveugle et son vertige rien au-delà du va-et-vient absurde dans le temps ni astres en lesquels se perdre ni le regard enfin illimité des femmes comme un aimant aux pierres séparées pour toujours ici-bas se faire appel à dieu ― et seul porte plus loin que la devise extrême de l'orage le verbe qui se brise en inscriptions sur un paysage figé tandis que tremblent ô passant tes nerfs désaffublés de leurs très exactes tuniques.

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À force de mêler le feu au sang lourd qui se replie sous l'insolence des racines, à force d'irriter l'aveugle dévoreur tapi depuis toujours à la table des rois comme aux débauches des jardins passé l'automne, à force d'émouvoir l'idée comme l'oiseau qui ne meurt pas mais brûle dans l'insoutenable dignité solaire, après le vol et la rapine et ses joyaux disséminés en le parfait déchirement de quelque histoire crue la nôtre sans fastes où nourrir les très vieilles ferveurs, nous parvenons tout juste ébauches d'une flamme à ce destin fermé qui dicte notre nom.

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Il n'y a pas d'autre soleil Soleil bornant le jour d'une raison sans borne nourri de ta défaite à tourner dans le temps que tu crées qui te crée chaque aurore hésitant depuis genèse entre Cancer et Capricorne flèches en nuit par le vide où fondent les forces nues se croisant dans une poussière d'abîme fatal présent de feux et foudres qui surgis à travers l'arborescence des vaisseaux les flux et les instincts terribles au profond dans une sylve ensevelie de l'âme la sphère te rejoint la sève te saisit par cette extrémité démente de phosphore et te conduit jusqu'au règne inverse des sources jusqu'aux veines finales des métaux que ta semence engendre ou qui l'engendrent de l'humus tu fomentes et non dissous les ombres denses comme braise à l'horizon de ta clarté tu machines les paradoxes tu feins de croire à ta folie tu prends pari de revenir mais comment faire fond sur un soupçon d'espace cadran trompeur où le ciel se dissipe en faisceaux renversés sur cette pièce qui se déroule avec son épilogue bizarre son dernier acte ensanglanté comme les gueules du blason parmi les meubles de l'écu et c'est toi cependant qui tremblais en les mains toujours si proches de Prométhée qui dessinais l'aurochs vaincu sur la paroi des grottes et les enfants n'étaient plus seuls ô que véloce en flamme et fécond en esprit père des formes dans l'obscur laboureur sans répit de la ténèbre sous le rêve de tes rayons les dieux d'Egypte gémissaient et s'éveillait Tanit parèdre au centre clair dans le creuset du sceau royal de Salomon ta lumière en or se caillait et les solstices suspendus prenaient appui sur le colure des méridiens intérieurs le monde s'épanouissait qui tâtonnait vers quelque ligne et s'achevait par un éclair et maintenant tout a été sinon futur à te nier toi-même dans ta gloire il n'y a pas d'autre soleil.

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Le ténébreux débat de la rosée d'abord une musique sourde inaugurée de l'ombre comme au fond de la fosse une rumeur entre les bois grêle reprise par la terre et l'herbe noires vers l'issue fatalement éclatante ― Les cors triompheront du vent absurde de la dissonante absence d'aube où la fugue hésite encore entre les arguments et les réponses, les ongles fauves du silence désormais domptés, la chair durcie sous le duvet chaleureux de la voix Que s'embrase l'orchestre au centre de mon sang supplicié au cœur du désir je sens l'âme mordre avec une douceur de chatte.

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Il faut sans fin savoir découvrir l'Orient astre à demi désert ― quelques galops tziganes un janissaire turc et des poignards persans un mur blanc sous le ciel sobrement dérisoire la ruine qui fume entre les fleuves chauds des parfums pour laver le sang une conscience à peine s'éveillant dans le creux des jardins édéniques ― ô l'enfance et ses bêtes suaves ― mais les interjections du crime le courant d'une histoire sans nom qui sourd dans le silence un rêve qu'on égorge un air de liberté un accent de Byron un rythme qui se brise une musique aussi sur le Bosphore bleu des sabres dégainés bravant guerres et courses une esclave vendue tremblante à la criée des souvenirs pâmés Bérénice ou Roxane un air plus lourd et les pastilles du sérail des pantalons bouffants des narghilés d'opale une moustache épaisse à l'ombre d'un turban sur le rivage un sac inhumain qui sanglote quand la lune s'attriste au clair du firmament des comptoirs où s'échange l'or une mer calme la galère au plus loin du capitan-pacha et les trois-mâts gréés pour Marseille ou Venise appareillant certains en la mémoire nue sans porte de lumière à dérober le songe.

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Adam Quel être seul passant tourne ses yeux de cendres vers l'absence abolie que scelle une douleur sans nom mais déjà sourde à nos ombres futures ! l'Éden le vieil Éden toujours nouveau surgit à chaque mouvement de vent par l'apparence par la parole ouverte en astres ― le regard réprime les grands flux de dépense première éparse du chaos, les sels buvant fureur qui divergent très bas entre sable et méthane ― prolongements sournois de l'aube, ce gradient mesuré de croissance obscure où s'élucide un possible visage enseveli ― avant, rien ― après, la tourbe de nos morts terribles ! Et l'éternel Éden est là tranquille enclos sans la merci sans la menace d'une porte sans le cortège impitoyable des vivants.

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Ève Pétrie par la pesante lune avec le sang noir de tout ce qui gît de plus noir en la glaise calice humide avide où l'enjeu du regard déjà s'enlise entre les bornes capitales, sève qui rassasies le rêve en profondeurs et courbes dont l'argile épaisse éteint les formes au centre si parfaitement anéantie de notre âme il est vrai illimitée sans nombres, reflétant notre mort intime avec le temps dans le sang sinueux comme ta chevelure laineuse et les étangs frissonnants sans amour de ton ventre où miroite une conque vorace sous la fade effusion de l'œil voluptueux, reflétant le très vieil inceste avec nous-mêmes dans l'eau jumelle qui nous joue regarde-toi pourtant ― de la vallée si douce qui s'épanche par le sombre et l'humide en songe ensevelie, blancs pavois déployés pour anoblir l'abîme naît le lys ce revers superbe du limon.

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Les lys, ces clystères d'extases !

Annonciation L'astre comme velours divulguait fabuleux vers un lys ébloui de délices et d'ailes l'efflorescence d'or de calice à carpelles ― récipients d'une extase énorme où l'aube pleut, et l'ange Gabriel étendait ses mains bleues sur l'enfant dont tremblaient, au plus sourd des mamelles, les sources et le fruit que méditait pour elle son sang seul initié de tréfonds tubuleux. C'est le ventre enfoui des mères souterraines, la grotte où se côtoient les circés et les reines, où Mélusine fuit dans la nuit qui se meurt ; tout le ciel s'y dérobe en son équivalence la parole s'y joue servante du silence et l'esprit double l'eau d'éternelle rumeur.

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autre C'est une pluie farouche de splendeur or barbare vers le plus bas le lys ouvre ses grottes sombres avec à leurs parois de longs couloirs de sang Le ciel a pris racine en l'épaisseur d'absence goutte vide sur quelque gouffre où saint Gabriel archange bâti de boue et de crachats resurgit en germes obscurs L'esprit mesure l'eau féroce qu'il exprime

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Germant d'égales profondeurs astres et fleurs ont mêmes limbes les soleils dont l'extase nimbe dissipés par mouvante ardeur les réceptacles de candeur s'érigent grappes ou corymbes et le regard dehors regimbe au mur orbe de leur splendeur Tel pourtant dans l'insaisissable tourbillon qui mène le sable à l'œil interne révélé l'ensevelissement vivace a déclos par même crevasse un prisme d'ombres constellé.

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Charte Laissons place à venir aux forêts sans lisières enfin qui n'accréditent plus la mesure accomplie d'intérieures provinces la tenure dont se perd la flèche ― notre absence noircit l'humus et le nourrit de son affront plus bas la pierre est un vaisseau où se figent des ombres la sphère se replie peut-être sur l'orgueil parfait du feu ― mais nul parage pour sa gloire rien ici n'est indifférent ni la poussière ni le germe accumulé des crimes ni la végétation fantastique des morts des mots connus déjà pèsent leur poids de souffle sur ces rames qu'animent les marbres et que la nuit dessille lentement au grand bruissement d'astres quelles racines désormais quelles ferveurs nous n'avons plus le temps et nous pouvons à peine écrire notre nombre.

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Il y a les bleus soleils les trompettes marines les naufrages et nous par solitude et par éclairs parades sous la dérision de l'évidence reliefs barbares d'empires éventrés nous y brûlons sans voir le brouillard ni le songe qu'émeut le souffle seul matériel d'un mot trop seul trop clair pour cette idéale surface confuse entre l'absence ordinaire et le temps faut-il alors marcher vers le vide à la rive vers l'oracle au hasard qui dit qu'il ne sait pas faut-il ressusciter la mer en sa demeure d'enfance renoncée et de hauts pavillons les voilures de toutes ferveurs faméliques paraboles de satin seins des mille vaisseaux vertigineux replis par les amures dont se brise notre âme enchevêtrant ce qui tient lieu d'amour avec l'aimé dans une indéchiffrable victoire malgré l'écart déjà terrible des deux bords où s'éteignent les confluences orphelines pour autant que la mémoire elle-même folle nous soit connue ou présager plutôt la terre opaque des promesses la plénitude différée sans ressource ― la nuit et non pas à l'extrême temps comme une borne mais au verso de l'habitude au vrai commerce des journées à chaque pas à chaque porte qui se ferme sur un jamais venu délibéré de vent.

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L'horloge caduque étonnait les bords ébouriffés du large il y passait des matelots entre les mâts sonnant fanfare faite d'étoile et de tambour sous les cieux mouvants le cyclope trahissait à chaque horizon son aveugle projet de pierre Mais personne n'y répondit que le rivage disparu.

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Au fond de moi le ciel réfléchissait prélude en vain de précises mesures l'étoile aussi aurait voulu savoir quelle figure il fallait qu'elle fasse nue qu'elle était entre tant de splendeurs de temps en temps flambait une comète pour demander qu'on lui concède un nom et réclamer d'en haut quelque demeure l'instant avant qu'elle avait oublié la même ardeur cristallisait les astres sous le voussoir du même firmament fragile et lourd comme un regard de femme et maintenant à ces voix s'ordonnaient par l'ombre et l'heure unique en la rencontre des oiseaux noirs qui s'abreuvaient d'éclairs et s'enfuyaient vers d'étroites planètes reformulant tout le cœur à leur cri. Moi je vivais de leur tacite éclipse

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Le songe seul est un étang qu'épuise la lie des pensées les crapauds meurent aux étoiles pour convertir en eau épaisse notre nuit que boivent les coqs les crapauds les coqs la nuit l'étang fendu comme une lèvre pleurent au ciel jouent dans la boue de notre rêve où l'ombre étouffe quelque théâtre de soleil.

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La plus massive nuit n'est qu'un reflet du grand diamant noir de la vraie nuit sans glaces sans crapauds sans épaisseurs pas même abîme fascinant l'aurore à la traverse des citernes et des blocs pas même chemin nul dans l'enchevêtrement et racines du ciel inverse au fond duquel le temps ne nourrit plus l'image faite cœur Il y avait par le passé funèbre reptation de titans sous les entassements d'etnas revenus bas vers le nadir et les ténèbres pour émerger face nue au monstrueux miroir qui réfléchit en négatif l'ordre du bleu il y avait comme esprit fourvoyé dans les chaos énormes comme lumière encore à rebours pour les yeux délivrée la prison mobile des paupières ô savoir enfoui en le giron terrestre et de la mer jusqu'aux merveilles par l'éclair inaccessibles ― la terreur suscitant un monde Et maintenant que l'enfer a cessé de flamber sous les fleuves on ne sait plus on ne sait plus

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Nées d'une étreinte énorme entre deux nuits comme gemmes mûries sous les limons internes ou flamboiements hardis vers plus de noir en haut étoiles éclatées foudroiements d'étincelles flux de feux contre le vent levés viol et vol de la splendeur je vous fixe nacrées dans votre écrin d'abîme par tous les plans du miroir d'eau réverbérées par le vitrage vertical en l'âme neuve en l'âme au firmament de l'ombre astres tombés brisements glapissants des rayons visuels sur différentes bulles aériennes ou reflets dans quelque mystère et les étangs qui fomentez la faune vierge des grands fonds poissons crabes scorpions altérés d'air lucide en fabuleux troupeaux en carrousels de formes épuisant nomenclatures et cosmos pour accomplir votre couronnement.

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La nuit noire se noie dans la nuit d'où je viens à la rencontre des formes éclatantes germe à peine ajourant l'écorce tout autour comme insecte captif de sa prison de soie qui pointe ses antennes vierges en l'épaisseur ― Tout d'abord l'invasion nocturne le pouvoir d'ouvrir le ciel coque fendue pour susciter l'amande froide d'un astre dans l'abîme à l'extrême analogue du foyer racines profondeurs de cendre et d'humus tièdes où provigne par souche obscure le vivant où l'immense besoin d'aimer se fond en mots pourvoyeurs infinis d'édens Entre les pôles un monde tout doré déploie ses courtes ailes voile étarquée à mi-distance des frontons et projette sous le soleil ses hiéroglyphes figés en répertoire altier de la splendeur ― Et puis le grand orchestre de rayons la musique sans notes ni mesures que le temps même et le nadir n'étanchent pas sinon cette ombre en son accord enclose dissonance secrète ou contre-chant de la clarté.

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L'orage rauque aboie ses feux sur les deux bords par chairs saillies et par chaleurs et tumescences dispersions fades en sueurs de volupté entre fourrures et coussins parmi les sphères de la ténèbre intérieure et le regard sans plus franchir ce gouffre nu comme les fleuves bêtes pures d'antennes avec l'esprit sinon présent infiniment jusqu'au plus noir abandon de membres drus sur les confins d'affinités obscures mais sans concert jamais fondant veines et ciel malgré les affections d'indicible descente et d'errance par l'étendue ― malgré l'ardeur de retourner à l'autre eau sourde d'avant l'heure terrible en sa déchirure vers le jour malgré l'écho du cœur mesurant les aciers à tous les angles qui le cernent solitaire les poils dressés sur le poitrail sanguinolent promis aux chiens désenchaînés pour la fouaille et forcé par la chasse folle cependant (ô chairs là-bas mêlées de détresse et de pourpre) que sans fin ni tréfonds s'ajoute aux voies lactées l'offense de floraisons vives par extrême tremblement pour mieux marquer le terme des travaux.

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Nouveau-né tout droit venu d'une autre aveugle nuit surgi dans les trouées du temps comme une tige tu remues des rameaux de membres effarés émus par la voix neuve et par l'oracle l'ombre s'est retournée narquoise en ces tissus et limbes palpitant sur un dessein d'étoile que désassemble la discorde ensevelie plus profond que le noir lucide plus interne que la racine taciturne où le nadir prémédite une fronde impossible de cimes astre pressens là-bas le rire enténébré de tuniques doublé suave à la surface amorce au monstre qui s'éveille mi-parti sous sa livrée de lune opaque et de limon les cohortes du sang les guerres solennelles la foudre présumée par dire à peine éclos le verbe sans issue drageonnant en poème et que divulguent seuls les cris d'après le cœur astre fais mine en toi de telle étrange absence reçois comme fourreaux de marbres et fumées ces mains toujours nouées sur les hauts sortilèges voici le vide en toi qui te rêve vivant

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Rencontre La lune et l'océan fondus en chair terrible sous la profonde houle et la strideur du sang sous le flux dont frémit fournaise la cyprine et toute porcelaine éparse par les eaux assiègent la splendeur intacte des banquises éclatent en cymbales et tambours vers des géométries de neige et des obélisques de glace crue Quelle ardeur désormais mêlés membres et marbres à travers la débâcle armant rumeur s'érige en souveraine extase de batailles avant toute tristesse et tremblement retombés à l'horreur étale quelle ferveur aussi dans ce désir où luit le carat rouge feu de l'arbre diamant comme un soleil sans givres pour retourner toujours éternelle en la nuit sinon telle lumière émule d'une absence et que traversent nue clepsydres et clameurs.

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nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit nuit Nulle luNe Ne LuiT NuiT lueur nue

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Lit Noir navire des rêves vergues désaccordées perruches incongrues dans les gréements masques au lit du vent dérivant sur la vague nef nocturne au droit de l’abîme nef sans amarres sans amures sans ports sans abords sans accores lit du sommeil et de l’amour, ouverte sur les profondeurs où se noie la lumière nue jamais de mot à découvrir ― Très au-delà vers le ciel l’âme change de monde se sent d’intelligence avec les éléments le souffle qui lui ressemble, le feu d’étoiles englouties l’eau dans les cuves hypogées captant les particules mobiles sur la ligne d’infini Et tout flotte vers le matin ― défaits les draps et muets les messages ― de ce réveil accès fatal à d’autres gouffres.

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Rondeau du matin Dans le matin fou des hasards je referme mes yeux hagards je ne suis que mon propre rêve né de l’épaisse nuit sans trêve édredon de mes cauchemars Plus haut sous les signes épars l’astre pur polit ses poignards pour les noires nues qu’il achève dans le matin Seul au-delà de nos regards l’azur abroge les brouillards j’aimerais que l’orage crève que le soleil simple se lève mais il est tard il est trop tard dans le matin.

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Remords Mon cœur est un désert tremblant de feuilles mortes, close la douce nuit embaumée de velours dont le vent des remords a renversé le cours son aile à l’orient m’exile et me déporte close la douce nuit embaumée de velours au torride soleil que les démons escortent son aile à l’orient m’exile et me déporte sous la voûte au plus haut roulant tous ses tambours au torride soleil que les démons escortent mes péchés ont surgi de mon passé trop lourd sous la voûte au plus haut roulant tous ses tambours, Moi je ne voulais pas que leurs spectres ressortent mes péchés ont surgi de mon passé trop lourd moi je ne voulais pas que leurs spectres ressortent mais qu’ils échouent au fond de l’hypogée sans porte, dans l’ombre et le silence enfouis pour toujours. Mon cœur est un désert tremblant de feuilles mortes.

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La nuit me fait défaut je suis sujet je suis projet muet de la lumière été sans territoire qui s'éteint et distrait par frontière diaphane à la surface de mon puits de profond silence intérieur J'ai soif de cette eau noire qui m'échappe cette froideur distante et me rejette dans la géographie de tous les jours ― moi prêt à boire à l'orifice de ténèbres Sous mes pieds le remords se déchire vertigineux malentendu me frustrant de ma part d'enfance et puis voici jusqu'à ma mort qui se revêt de masques domestiques ses yeux au vide circonscrit d'orbites trivialement saillantes de mâchoires à peine décharnées sa flèche inexorable en l'âme anéantie par verbe et lumière aux demeures de temps Je n'aperçois si peu périlleux que l'endroit de cimetières au soleil marbres et croix lucides les vers s'enracinent à ce qui reste de la chair entre les interstices et les tombes il n'y a pas d'absent quelqu'un manque à l'appel il est sous le niveau des faux volcans épais tout simplement pareil aux pierres tout simplement pareil aux découpes des mots il descend dans l'ombre dense sans déroute apparence comme vivant idole de son corps cheval cabré vers les déserts brumeux poisson dans les filets de la parole au fond de feints étangs figés Car j'ai tué le sommeil semblable au roi je ne peux plus dormir (ô le décor immobile autour des citadelles) sinon de ce sommeil sans trêve qui s'inverse et s'annule par son nom même dans la nuit.

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Horloge Miroir au mur indifférent grand registre de toutes choses tu te meus et tournes, enclose dans le vide de ton cadran Chronos bisaïeul de tes Heures devenu trop vieux nous dit-on, te légua jadis son bâton dont tu fis l’aiguille majeure la lance vierge d’Athéna te servit ensuite de guide et le cercle d’or de l’égide la déesse te le donna. Ici, loin des fumées du temps rumeurs d’abîme à la surface œil arrondi sans autre face que la paupière du néant, loin du vent fou toute baignée qu’une chape hyaline accompagne tu ourdis lorsque la nuit gagne les toiles de ton araignée ces pièges frêles de nos rêves où se prenne l’oiseau futur tombé d’un Olympe d’azur dans une chute qui s’achève en catabases défiées plus profondes que les Avernes, stalles noires de nos cavernes puits d’idoles terrifiées Ouranienne comme un cyclope tu tiens la foudre dans ton flanc mais dérobée jusqu’à l’instant fatal de l’ultime apocope, et que l’orbe du cœur n’oublie de compter les heures sereines lorsque éternelle et souveraine l’ombre viendra tendre ses plis.

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pour A.M.A.

Ronsard quand le dimanche est arrivé que reste-t-il de la semaine sur la rude écorce du temps pas même une lettre gravée et voici couronnée de vent l’ombre des ombres qui s’en va et Ronsard qu’enivraient les roses par les traverses du printemps et Marie Cassandre ou Hélène noms fragiles comme les fleurs noms tremblants comme les sanglots noms fuyants comme les fontaines

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Victor Hugo Te voici tu te tiens debout sur notre nuit devant le mur vivant des siècles tu disposes les moellons des mots vers le plus fier sommet de cette tour extrême dans le temps lié d'amour avec l'éternité tranquille avec à plomb pesant de son assise une lumière à peine armée qui germe de l'obscur ému par les tyrans dressant en leur enfer des gibets et des pièges ému par les replis de populaces aux faubourgs par les tréteaux tribunes d'âme sur l'abîme hanté de rêve et de grandeur à tous les carrefours de l'épopée ému par vagues émanées d'immenses voix sans cesse ― et la lumière en bas franchissant l'Achéron comme Orphée alliait ton verbe à cette aurore qui brille sous le bloc de Satan délivré.

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Mallarmé Tout ce qui s’abolit en verbe figuré ne garde-t-il à soi que signes de la chose ? Le pain n’est-il que Pain, et la rose que Rose et la rose et le pain qu’ombres dénaturées ? Une rose rustique en sa forme transpose l’idéal diamant d’une absence azurée, le pain renaît propice aux travaux mesurés jour à jour consignant les effets et les causes. Ma prose les confond dans l’ordre et le chaos de musiques perdues dont perdure l’écho et les fleurs et les fruits nés pour ma faim future dans une même essence offrent même trésor les mots indifférents disent naissance et mort mais leur vraie vie ne vit que de ma nourriture.

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pour Michel Ventrone

toi qui crées sans frein la foudre soumis à la faim des pierres détourne l'œil de ta mort laisse en grief aux abîmes comme opaque pesanteur le sein d'Abraham béant subtilise l'étincelle au soleil t'attend la route qui ne mène qu'à ton cri troue le ventre des montagnes pour y tordre d'autres fers dévore au choc des enclumes les dieux célestes serpents que l'écho des lourds silex nourrisse ta voix centrale et le jeu de tes jointures que de l'épaule au poignet coure l'éclair dans le marbre gonflant tes veines sculptées et quand s'accomplit le crime du crépuscule majeur saisis l'ombre à son passage par tes antennes de nuit.

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Musique inachevée de marbre les enfants s'éloignent de nous l'éternité les accompagne à toute mesure du temps ils jouent toujours en ce jardin sans le pesant de la présence lorsque germe la tragédie d'une montagne ensommeillée où quelque geste feint déclenche l'heure implacable des soldats voici que tout à coup s'efface le pâle rêve expatrié voici que les lames regagnent leurs fourreaux sans avoir servi voici que les gardes arrachent la ronce aux rames du chemin c'est bientôt l'aurore aux fenêtres depuis peu le coq a chanté de ceux qui débordent de nous blessés ou non par la lumière cohorte où l'on marche masqué femmes voilées comme comètes enfants dont bégayait le cœur nous ne connaîtrons plus personne qu'un astre lucide aux aguets ― et cette musique qui sonne dans le jardin crucifié.

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Combat de l’aube Le vieil homme a quitté l'alcôve. Quand les pas du dernier invité verrouillent le silence quand le soir oblitère en bas sur le perron l'âme ultime oubliée de quelque fête morte quand l'ombre des volets comme un pesant rideau enveloppe à l'extrême en leur sommeil les marbres surgit alors venue des longs couloirs du cœur sous le masque qu'émeut obscure une musique son image ! ― étagée sans fin dans la fumée qu'un foudroiement profond du futur coagule en virtualités de limites. La nuit peuple de feux le parc traversé par les astres des yeux comme un reflet de femme l'inconnue penchée sur ce présent visage qui vacille dans la plus véhémente soif de ressaisir l'univers devenu lune et vide à sa vitre. Impure en ce regard peut-être qui fut moi reconnais-tu mémoire au mouvant des enfances telle fontaine parmi l'aube profanée belle du sang des coqs trahissant sa lumière aujourd'hui que grandit si proche l'horizon et s'érige en refus magnifique de fuite le mur haut comme ciel entre neiges et vents ?

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J'ai vu tous tes pas reflétés par une eau venue d'autre rive et comme flamme sans chaleur un astre inverse s'est inscrit dans l'auge noire des destins que troublait l'ombre de ton corps Tel un rouge ruisseau ton rire éclairant les décors au loin dissimulait la solitude mal établie dans l'étendue de déserts que l'onde abandonne selon les moments de la mer L'eau souple en sa simplicité réfléchit le profond de l'âme.

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J'ai crié rouge vers la surface de mon corps loin des alcôves assombries et leur obsécration circulaire j'ai crié rouge vers la limite et l'ouverture et ce rien qui est dehors j'ai crié rouge très fort très rouge en pleine face de l'esprit Que me fait donc la lampe oblique du si pauvre désir ranimant l'escalier qui s'abîme dans les deux sens ni même ce regard d'enfance grave qui se résigne auprès de la grande flamme rouge de mon cri que nul n'entend sinon au fond de moi cette ombre pleine pour fulgurer du clair naufrage de ma voix.

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Éternel Le jour va se lever sur la mort impossible sur le vide brumeux qui monte avec la mer et les vents aux reflux compacts sans nul écueil il n'est guère d'oiseau ni feu pour dire terre au hardi passager de l'autre bord non plus qu'aurore à voir là-bas se fondre cœur et lune ni ténèbre où tisser nymphe dans la fraîcheur pas même éclair en la prison franchir les dunes aux abords de montagnes dures subjuguer les gorges et les rocs qui brisent les orages sur les étraves de marbre découvrir sans au-delà l'essence dégrisée des choses mais non les lames du temps me traversent puis-je croire exonérée des alternances ambiguës qu'une flamme résiste en ses desseins d'abeille dans la férule inaltérable à ce monceau à ce chaos des chronogrammes qui se heurtent par litige effaré de cycles ― et pourtant Même si la gloire où s'embrasaient mes membres au soleil s'était comme engourdie de cruelle quiétude pour hanter les chemins plus bas sans souvenir de mon parage avec l'éther et les machines, quel néant défié de tous les infinis ravalant les tombeaux de rêve en pyramides en mausolées dressés par siècles et tréfonds pourrait enfin d'absence implacable dissoudre le plus chétif accord de tendresse ou de chant qui naisse en la plus noire enceinte de sibylle à travers le roseau des ères et des morts.

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et j'errais rebuté des désirs et des pièges des guerres si longtemps lucides ― des fumées ― dans le chaos parmi les blocs et les méprises ― les amertumes ― l'orgueil à l'appoint du masque ― le couteau ― je rejetais les mots de mémoire cruelle loin des amours ― loin des torrents ― par la cité aux enceintes bâties sur l'épaisseur des songes et je franchissais les places noires de badauds congratulant cernuateurs et saltimbanques dans un tapage de pistons ― je fuyais le même en impasses le temps miroir du demi-jour que le néon distille à l'œil interne des vitrines aux façades vers le dedans où ne plus côtoyer le gouffre qui me fonde où ne plus m'abreuver de cette eau fade et floue ? Désormais, périmées les mesquines parades je bifurque, il s'ébauche à mesure un chemin dont le sillage se dissipe avec le tremblement des sables arrachés ― je toise le vertige énorme, le désespoir en angle épousant l'ombre nue, le Canaan spolié des promesses anciennes ― quelle solitude y consacre le silence et qui refuserait la honte grise du sommeil ? Mais les passions sont aussi passées dans ce désert au vide vague qui s'inverse des visages s'y sont émus par entremise de runes d'anaglyphes d'alphabets fabuleux de signes rutilants que l'innocence ressuscite on reconnaît des airs de flûte des galops entendus en qui sait quelles traverses par paysages parcourus de jeune feu brûlant encore à la rencontre imprévisible... Alors dans le petit matin, un vieillard presse le pas sur la chaussée comme s'il allait rallumer le soleil les rires de satin festonnent des noces de carrefours et l'enfant redescend gravement vers le fleuve avec un milliard d'étincelles au front.

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La mère et l’enfant Picasso 1922

Très au-delà de toute chair tristes le geste et le regard vers l‘ombre douce d’une serre où la candeur s’évanouit où l’enfant jadis se sépare de sa racine et de sa nuit du bloc de mystère ténu qui s’étire en vestiges blancs et renaît en muscles charnus en membres lourds en chevelure en traits pesants pleins de chaleur attendris sur le bord du vide comme une grappe dans la main.

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Aube Tandis que l'alouette s'oriente vers le haut dissipant les dilemmes de l'heure bleue une dure douceur a ceint rêves et murs de sa couronne de grenades des ailes fluides circonscrivent mille présences pesantes parmi les rocs où les affrontements se sont précipités en alchimie de plumes et de tonnerre ― lové sous les débris des discordes matérielles sous les paroles dorénavant pacifiées délivré de sa nuit vivace avec les étoiles l'enfant s'endort au creux de l'homme qu'il sera.

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Soulèvement Atlantes télamons cariatides à votre entablement terrible appareillés, ne laissez pas ce poids instable à travers ciel comme une mer paraphrasée par la clameur résoudre sourdement sa bleue menace. Je ne porterai plus pour moi les yeux en haut, je ne tournerai plus vers un jour de souffrance l'antenne du regard avide, le désir en attente jusqu'à l'automne, et délaissant l'apprentissage du soleil pour d'occultes miroirs offerts à l'étincelle, j'exalterai en vie le mystère par propagande de l'éclipse : mais la mémoire elle défaille la mémoire à tous mes gestes, arches pylônes qui chancellent sous l'humus sous l'aire de silence et sable ― sous l'espace où s'effrite indéfiniment la forme ce profil sans lequel il n'est plus de moi-même qu'une ombre, moi qui n'eus jamais rien pour affirmer les faîtes délébiles sinon ces torses nus d'esclaves nus surgis en le tréfonds du sol foncier en le profond désarroi de rochers absurdes murs aveugles ― mais qui tordent au firmament si fermes si compacts des muscles que le marbre émeut de son tumulte à tout instant du haut défi tendu vers l'éternel.

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Charles Fourier L'abysse périt en poissons compacts que fige la mémoire et nul regard jamais n'offusque leur silhouette exténuée formes faites pour les grands fonds qu'anéantirait l'étincelle Au plus fugace et clair de l'air l'ambition d'étoiles lactées exalte en idées les oiseaux leurs plumes planent sur les prés adultérant la transparence initiale du soleil Les écailles plumes plombées où l'eau turbulente épaissit font de l'abîme taciturne une lice pareille au ciel plumes miracle d'un plastron dont se revêt le vide ardent Tous les oiseaux tous les poissons concordent à leur élément sans que les fluides se confondent par étrange chaos mortel mais vivre est bien autre désir que répondre à son antithèse Aurores ruts de la planète en éblouissante harmonie de fruits neufs comme la cerise l'air et l'eau sympathiseront quand s'ébranleront les banquises dans la débâcle du brouillard.

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Ferme le monde à bout de bras Atlas la Terre à son épaule ferme le monde à fleur de feu dans midi demeure d’éclairs ferme le monde avec l’appui de l’air bleu tramant nos fenêtres et de l’étoile qui nous tient juste au-dessus de l’eau fuyante ferme le monde avec la nuit mêlée de notre âme et du monde.

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Vol contre un mur de primevères rétif aux pensives senteurs la paroi parfois s'en apaise corps et visage inexprimés y a-t-il pour vous reconnaître quelque esprit subtil en affût autour de vous le ciel respire N'approche l'amour que tremblant lorsque l'air lucide l'escorte

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Arche La barque à voile noire inaperçue du jour appareille ― à son bord palpite une colombe ô remuements profonds du déluge qu'enflait la rive en pleurs sur l'antique sommet jusqu'à la cime submergée par le flot de sel et de limon voici le mont voici le sol sans souvenir absente la douceur des liserons ou lierres sans les absinthes du remords sans l'amour même et ses animaux malhabiles (le cheval du désir abandonné dans le lit vierge en plein ruisseau) tandis qu'au ciel promu par eaux vastes et vent le signe a scintillé de dieu sur le désert voici qu'irréfutable enfin sourd le silence. ― Pourtant je vis toujours de limbes en bas-fonds où tremblent confondues sèves coulant paroles j'appelle à tous échos l'enfance ses jardins de chaude indifférence maternelle une ombre plus humide et chaude disparue dans la fatalité surhumaine de l'herbe qui prolifère touffe entre flamme et sommeil.

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Pourquoi croirais-je à toi face de l’océan toi plus mobile encore que les visages humains plus multiple que la bourrasque de notre vie sous le déguisement des rides que les effervescences de la vague artifices par le soleil semblables aux subtiles ordonnances de nos membres leurs véhémences imprévues leurs haltes inopinées dans les sépulcres du sommeil leur sublime niveau d'allégorique absurdité n’atteignant qu’après coup notre raison ambulatoire, qui dès lors n’a plus − achevée la parade et tiré le rideau des mirages diaprés sur cette comédie dont la fêlure aura déchiré de sa brèche notre fugace réalité − qu’à déposer les masques dérober les faux couteaux Pour moi je préfère à tes figures oscillantes l’épaisseur brute de la pierre les silhouettes aveugles qui dorment dans les sables comme ossements opaques de bêtes foudroyées comme nos pensées enfouies parmi les couches abstraites de la mémoire et ce calvaire du crâne vainement contesté d’illusion par toutes les veines de l’eau ni dimensions ni mouvements ni plus d’autres témoins que ceux qu’engendre le regard inhumain des paléontologues j’incline vers le silence ce silence sans toi dont la profondeur seule emprunte à la sphère des fixes sa substance compacte seule ici-bas feignant sans toi quelque présence pressentie quelque soupçon enfin stable dans l’éternel cette face terrible excommuniée de dieu.

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Depuis le tapage des trains depuis le pont des paquebots mélancoliques parmi les éclipses sans futur que la planète fugace multiplie vous agencez par oculaires et miroirs vos planètes fictives oiseaux chimères feux machines masques mobiles dans le mouvement ― tout plutôt que l'oubli du branle mais vous ne voyez pas vous avancez des nombres bégayés par quelque Sisyphe qui tient rubrique d'arpenteur et le premier rayon venu leur concède réplique De plus lourdes portes il est vrai camouflent un infini fardeau elles tournent vers des jardins qu'étançonnent les roses secrètes et les narcisses réfléchissant le jeu dans la réserve des bassins car toute chose ici prise sur le vif de l'iris délivre la fidélité de la fleur qui se figure à même le regard quoi de moins imprévu de plus tragique que cette illusoire illumination à distance d'aucun éclairage immuable dormez donc comme vivants dans les domaines creux mais ne négligez rien ― louez vos places.

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Triolet du temps Il est plus tard que tu ne penses s'accroissant le temps te détruit il s'enrichit de ta dépense il est plus tard que tu ne penses de symétrique récompense libéral il t'offre usufruit il est plus tard que tu ne penses t'accroissant le temps se détruit.

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Avant qu’il soit longtemps, l’après devient l’avant mais cet avant pourtant le reste peu de temps il retourne à l’après qu’un autre avant va suivre et ce nouvel avant n’a qu’un instant à vivre avant d’être un après l’avant marche devant l’après lui court après tout comme auparavant mais il ne peut saisir ardent de lui répondre l’avant qu’il veut reprendre en vue de s’y confondre car l’avant ni l’après ignorant du moment n’entendent nullement ce qu’ils étaient avant.

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Temps déchiré ères ― vous traversées d'aiguilles et d'accords sur un prétexte de pavane annales déroulées simulant les musiques illustres ! le métronome tranche à même la chair grise dans la durée Que devient donc l'antique dieu du pâle fleuve sans pourquoi son corps dont peu à peu le temps s'écarte ses membres distendus sur le lit de Procuste que dessine le mental balancier des choses et sa chair grise qui nourrit les transsubstantiations précaires L'antique dieu désormais sans défense devant l'attente à l'infini avec nous souffre silence et se détire jusqu'à rien un ciel émerge alors et meurt selon l'éclipse des âges qui s'égorgent et tout entière notre histoire désole d'évidence les bûchers sombres de la grandeur.

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La ballade, à mon goût, est une chose fade ; Ce n'en est plus la mode ; elle sent son vieux temps.

Ballade du temps qui se joue de nous L’astre a dicté ses lois à l’éphémère sans un regard pour notre obscure boue et machiné de très haut nos chimères dans ce hors lieu où s’ordonne le tout feignant jouer mais gardant ses atouts sûr de l’issue par langage implacable des destinées dont le poids nous accable Et cependant que nous nous amusons aveugles-nés de liens inextricables le temps nous use et nous en mésusons. L’âpre discours nous tient dans ses pantières nous hasardons des mots à contre-goût paroles nues par delà les frontières voix imprévues allant on ne sait où insoucieux si leur exode échoue Mais étrangers au verbe infranchissable nos ans nos vies coulent comme le sable d’un sablier avec quoi nous rusons dans un présent toujours insaisissable le temps nous use et nous en mésusons. Toute pensée meurt et demeure entière la cendre vive en braises se résout par le poème où transmue la matière qu’il veut soustraire à l’éternelle roue quoique enchaîné par les mots qui le nouent entre les rets de l’idiome insondable notre âme alors requiert d’autres vocables ouverts aux sens que nous leur infusons jusqu’à l’orée du jour irrévocable le temps nous use et nous en mésusons.

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Princes du vent désormais délectables invitez-nous pour jamais à vos tables absous des torts dont nous nous accusons et délivrés des décrets redoutables du temps qui s‘use et que nous refusons.

209

Loin du soleil Rondeau Loin du soleil Bellérophon Icare astronautes bouffons défiant vertiges et gouffres sombrent saoulés d’azur et souffrent leurs plumages qui se défont loin du soleil. C’est ainsi que sous le plafond mesquin de mesquines maisons que le flot des fumées recouvre loin du soleil, nos amours vont hors de saison présomptueux à déraison le matin quand l’empyrée s’ouvre, vergogneux quand le soir les trouve dégrisés au creux des cloisons loin du soleil.

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Mirages Inverse réservoir des rêves ― notre mort toute flamme étreignant les lignes toute gloire à brûler le front des saints voient-ils ce feu trembler les pyramides et les trônes les rois nus qui s'empoignent à la gorge tels que s'ils n'allaient pas s'anéantir toisés de la mesure absolue par les astres Dans une nuit de diadèmes diffamés les braises désormais se sont tues les ors ne pansent plus la plaie qui s'exaspère de cette ombre aux fournaises nulles ― Tout est dit oui tout est dit sinon qu'en son frisson voulu de vertige une foule reflue vers la frontière extrême vers le plus vide foyer de souvenirs et vents où roulent des fumées turbulentes qui furent légion déjà passées dans le tumulte des annales voici celui qui se croyait un dieu perdu par le dédale épouvanté de poudre entre sable et couteaux voici celui qui bâtissait un ciel sa cristalline cathédrale d'innocence et végète à présent sur les berges parmi des enfants morfondus et des rivières folles ― Mais la flamme toujours éludant abandon abroge son image inaccessible en songes et ribotes de ses tisons voluptueux.

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Sommeil Cœur résolu déjà végétale raison il dort. Au fond du puits remue l'eau trouble comme un vol de pensées tremblant dans le miroir de lune qui s'abîme avec la conscience petite d'une racine ― maternelle en sa nuit la terre aussi dilue sa chair opaque et le sang de naissance qu'elle influe aux veines de celui qui dort et que le temps roule sur le revers des ères bousculées ― rien n'y pèse qu'un artifice irrespirable et que l'humide connivence de l'obscur s'allégera-t-il consentira-t-il la porte à cet ivoire armant les songes se retournera-t-il toujours enchevêtré seul dans le cauchemar de l'herbe ? Cependant qu'en l'espace où le même soleil offusque le multiple essaim de la lumière tous regardent stagner sans une ombre le jour plus accablant de ce présent s'il se prolonge désert et vent comme le sable des saisons.

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Confort Sur la réplétion de la pierre se replie ton bonheur obscur en obsédante canicule en pesanteur loin des essences loin du fouet de l'esprit qui cingle le péché capital par la terre lourde mais le hideux tambour que tu agrées mais ses roulements même accablant la lumière n'émanent-ils pas de nimbes figés ? ils entravent c'est vrai le va-et-vient du rêve ils repoussent le flot frémissant des pensers pour fuir un branle plus intime que toute étreinte immobile avant le viol ils t'exilent vers des amours gorgées de lait comme mamelles sans pouvoir ils tentent d'hébéter l'impromptu dans sa course de te lester de mots où nul astre ne vibre de paroles qui sans âme n’atteignent pas au ciel mais c'est l'attente des longs déluges qui toujours tisse aux caves contrariées toute une turbulence léthargique ― tu laisseras un jour tes cryptes jaunes tel un gisant de marbre et la statue livide te conviera à son festin de grandes fatigues affamées.

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« Ne te contemple pas dans la source, dit le Maître, ne te regarde pas à l'envers le vertige te saisirait par la raison de géométries asymétriques tu te perdrais dans le radotage inextricable sans les lisières du temps sans l'aréage reconnu ni le regard suffisant des télescopes il naît là-bas une floraison de racines répétant le retour en tous sens alors que les absinthes de clarté crèvent l'étoffe où dorment nos pensées péremptoires je le sais bien il faut quelque noirceur aussi pour faire pivoter les étoiles mais ne cherche pas à rejoindre cette image à superposer les amours n'est-il pas de notre nature de séparer les mille fleurs afin d'en composer des bouquets et les narcisses serviront-ils jamais de miroirs à l'effervescence massive d'un soleil ? » Pendant que le Maître parle le reflet dans la source sourit il voit par les hasards géminant l'espace vers le haut une planète appariée à sa naissance obscure.

214

Interrogeons l'éclair ― sa fulgurance recèle des plages nulles d'infini au plus opaque de son aveugle revers toi l'amour faille de l'âme en instance sur un oblique miroir qui sans trêve feins de te croire lavé d'oubli toi l'absente qui joues de nos yeux géomètres profonde vide à double voie ô noire source en terre sourds coulant inverse vers le cœur nous par l'instable bord nous revenons de ce rien vers les tribulations triviales pain en désir ― c'est là votre heure et la puissance des ténèbres légion du temps qui vous priera qui vous criera pétries les chairs jetez l'esprit dans ce tréfonds précaire où dieu lui-même s'illumine au jet de foudre unique d'un regard.

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pour Jean-Vincent Verdonnet

L’An neuf Souffle des lourds oublis qui roule entre flambeaux l'année réfléchissant sa grande toile rouge par le chiffre et le feu malgré les étendards de silence ― et là-haut qui vante la nouvelle le ciel feint d'occulter ses plus fatals travaux à l'âme aveugle et noire interrogeant le glaive tandis que suivant l'or fixe parmi le vent s'arbore en le rebours de mémoire une absence une étoile de terre aux limbes ténébreux.

216

Anadyomène Le sable est clair l'eau simple enroule sa fourrure le long des plages elle enveloppe le nageur qui l'assaille ― au loin vers l'ouest une lumière ancienne enfin s'apaise la fille en habits de deuil me tend la main je la hisse jusqu'au promenoir de l'hôtel je regarde le visage blanc comme des seins qu'entoure un voile les plats yeux sombres où s'inverse l'infinité de l'eau elle me dit ― tu ne connais plus ici la vraie beauté ― mais je me plonge en son regard et la déesse se désagrège.

217

La mer en son abîme étreint la mort immense la mort émerge immense aux marges de la mer la mer arme les flots du mur de ses amers l’abîme de la mort les ceint de sa béance si la mort taciturne impose son silence à la mer volubile où voguent les chimères et le roc immuable et la vague éphémère nouent leur identité dans une même absence et moi je rêve au bord de l’abîme sans bord une Aphrodite nue outrageuse à la mort dans la Cythère au loin que la plage prolonge mariant ma parole et l’ombre à son revers immensité de sable et d’eau où je me plonge pour vivre en moi la mer la mort et l’univers.

218

Pourquoi je parle de la mort Si je parle de la mort toisée d'envergure sauvage c'est que je suis cet oiseleur qui marche à pas précis nul simulacre rien qui s'apprivoise au miroir ondulant des dehors ni tissue de même vacance la parole avec ses artifices timides et son pipeau d'enfant naïf avec ses leurres dans le silence qui réclame au bord de notre sang comme un filet tendu ― quelquefois la beauté s'y résigne ― son vol léger ― l'espace alors bascule en convulsive ferveur en fugitive leçon de tonnerre ouverte aux mots de notre abîme car toute transaction dont nos désordres élémentaires s'apprécient laisse derrière elle encore plus haut des opéras de sommeil imprévus Je l'ai cherchée dans l'inertie dernière du bâtir ― je croyais découverte neuve tout ressassement qui renforce les lignes ― j'ai parcouru les aires consacrées en apothéoses physiques où s'érigent les pyramides veuves de l'idée comme figures qui dessinent et cautionnent sa vigueur Je l'ai cherchée dans la frondaison bourrue des volumes elle affirme la lettre sous les décombres de l'esprit elle y glisse indélébile pareille au blanc des pages une aile falquée dans le vacarme sourd où dort le chant mais cette candeur même instaure au revers des musiques terrestres notre visage vrai (la plénitude se dissipe avec les séductions de la couleur) et creux de tout amour autour du souffle dont s'abreuvent nos étoiles contraires une interne discorde en éternel elle connaît si bien y gageant son écho notre défaite qui la connaît ainsi à son tour qui l'acclimate et la déclare et la fait nôtre elle est si familière à la couvée du corps pour nous lointain comme une migration très étrange ― où est mon autre corps lorsque je suis cette substance massive sous l'image transverbérée des hasards

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il ne naît rien du nid de son absence rien ne manque à n'être rien de toute part que pur déni sans borne ni pesanteur.

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Signalement Chassé sans terme du logis qu'emmurent les épées des anges sur la route rêvant de jour jeune peut-être vieux déjà les cheveux de blonde candeur blanchis par histoire tragique le front chétif en souverain de chêne et d'ombre couronné les yeux grimoires et rumeurs mémoires dont les pages mènent le jeu du vent avec l'oubli parmi les fragiles vélins cherchant l'échec en étreignant des nuées d'extases labiles des nuages où se déduit le fuyant vague des sentiers ah le ciel change chaque jour qui pleure en deuil dans sa poitrine pour cette image tout de sang sous un seul regard dissipée il marche ainsi vers le torrent miroir d'immuables machines comme un éclair jetant le glaive en brève chute rappelé.

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Poussière oui poussière je le sais mais poussière aussi de paroles poussière aussi de braise et d’astres Poussinière des Pléiades larmes de feu des Perséides poudre de Voie Lactée hantée de rêves de tétons nichés inexistants dans la nuée des nuits Héra gicle son lait d’étoiles illusoires et moi parcelle ou bruit Ixion fasciné de chimères et d’ombres je m’épanche en vain pénétrant la vacuité entre les jupes de Junon les sommeils me dédoublent le plus infime brasillement le plus petit éclat me multiplient selon la volonté des feux internes dans l’instable clarté de rutilances fallacieuses je phrase par arcs célestes je verbe j’étincelle de mots sans poids sans poussée sans déclinaison sans haut ni bas je tombe ou monte autour je ne connais qu’insatiable nuit lueur seule ma voix révocation du vide.

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Je suis entré dans une nouvelle maison pleine de fêtes fabuleuses dont la mémoire se perdait les grilles de lumière n'assiégeaient plus les épithètes imprécises et j'ai vu par les jardins souriant à l'or multiple du plaisir un grand portique faire place aux signes en déroute mais ont-ils jamais tenu de près ce corps qui fuit du logis diffusant ténèbre en volupté ô salles vastes solitudes murs fléchis par le poids murmuré de caves qui vacillent sous un halètement d'angoisse et d'aube toute richesse est là dans le transport de la rumeur comme une terre mal battue comme une carte des saisons avec les blancs et les replis que les Conquêtes oublièrent les mots mal ajustés des devises hautaines troublées de bégaiements inattendus quelque chose au profond de familier mêlant les masques et les fleurs aux levés sacrilèges aux antiques terriers stoïques d'établir l'assiette scrupuleuse d'une taille sur les biens indivis sur les immeubles du hasard l'ombre ici se prolonge en ultime refuge en secrète résidence de marbres et passions où le vrai s'est terré parmi l'irréductible et je pénètre avec aisance de lamproie sur un prélude cru de fifres dominant ces demeures terribles qui transmutent le désir d'une étoile en rires ou défis.

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Conscience Le ciel ouvert nous obéissons sans étude aux injonctions de notre explosive bonté à ces courants que rien ne réfléchit avant de bifurquer vers les réservoirs de la foudre avant de dissiper nos arrogances cramoisies comme une pluie sur les nerfs et le sublime des châteaux dont les décombres mêmes s'illuminent mais nous cédons aussi à mille contrepoids insaisissables ils ne sauraient duper notre raison Que l'on nous rende ici les vraies couleurs non ces nuances qui se ferment déjà les louves ont déserté la bergerie des féroces enluminures l'imposture exhibe désormais son habit de gala par les chemins fanés où s'épuisent les signes ― Et pourtant qui ne tient à ces limites si commodes au seul soupçon que rien n'est vrai comme le croit l'œil circonspect des sources ou que tant de toujours aboliront enfin les stigmates de l'obscur car nous voudrions ouvrir aux noirs chevaux toutes les plaines qui blêmissent sans inventer de ruses précoces pour conjurer l'étendue elle s'effondre alors selon notre illusoire désir Comment d'ailleurs parler de nous devant une déroute de soleil où le plus taciturne rayon objecte à sa formule avec le prisme où chaque mot chasse à part soi quelque figure entr'apparue mieux vaut alors l'initiale fureur fourbue de flammes et d'aiguilles plutôt que ce silence de soie qui mène inéluctablement tous nos pas vers le cœur.

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Tapisserie Des personnages de temps écoulés parcourent les chasses muettes des landes s'étendent à l’abandon jusqu'à la trame de bois gris ― là parmi les étangs et les laines parmi la vapeur vague surgit le cerf le souffle court et le pelage roidi contre le vent du ciel il éclate comme une éclipse sombre sur le soleil qui se délustre il alarme au lointain une musique de meutes forcé d'ahan par la requête inaccomplie Tu es cherché toi qui recherches vulnérable redoutable à ce qu'on redoute toi qui blesses profondeur altérée corps à meurtrir corps à mourir en autre feu haletant dans l'absence d'aube et le frisson d'étoffes aux formes fanées comme nos jours désentravé de la ténèbre et du délivre maternel en attendant l'offense qui foudroie la plus opaque matière encore en son mouvoir et cette chaîne tissue dans l'épaisseur inachevée d'oubli.

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Le démon nous détruit sous la rubrique extrême d'un parcours feignant le feu il nous divise de nos jours vergés de vide aveugles à la ligne excessive à ce bord incandescent le seul présent précis de la lumière Tournons-nous vers l'horreur ancienne vers le sein la toute maternelle adhérence la terre quel autre temps que de substance consumée quelle autre chair que de souffrance à la racine corrodant le désert avare et le destin où se réverbérer parole en déchirure bien avant la morsure acide que l'esprit impose aux pierres d'innocence machinale Ou plutôt prisonniers ambigus de leurs trames ― et seuls mais franchis toutefois leurs rapaces silences que l'ombre nous concède une étoile assez haut pour ce regard recru de brûlure et de cimes.

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Notre prose est de mort obscure de rumeurs ravalant le mordant des rêves ― rien qui rompe le pur ressassement de notre cri Le premier cri prévient les Parques Elles veillent elles nourrissent l'écheveau de nos désirs elles ourdissent notre vide ― cependant que là-bas la mère étouffe l'unisson de terre tiède en plénitude qui nous tient cernés de sang par la fourrure de ténèbres notre voix s'y conjugue avec l'éclair Puis en leur temps nos cris d'amour s'anéantissent comme brasiers tissés d'étoiles et le vent reprend sa place ― la plus haute ― entre les ombres l'écho même n'avouera plus le lourd triomphe du bûcher que le héros déserte Et c'est le tour après perruques et chapeaux après la rampe et la clameur et la grimace d'un claquement de portière ― d'un moteur ― d'un long cri dispersant la foule en ses banlieues Notre musique alors s'accorde à sa propre mesure.

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L'angoisse meurt devant l'agneau qui nous fait si proche du sang notre propre sang revêtu de tiédeur et de laine tendres et qui nous regarde si clair dans son enveloppe sans tache que l'on voudrait crever ce cœur tremblant entre nos mains nocturnes.

228

Après l’Éden Comme une grille l'ombre tourne décelant les sites indociles et les parages au hasard ― mais est-ce bien de hasard qu'il est question ? ou de cette blessure qu'inflige une dent secrète aux défaillances de la visée ? Les simulacres se multiplient dans le décor inusité quand même même si le moindre accident de mémoire délivre ici quelque cliché un Aristote de fer discipline les figures stériles que des logiques sans patience nourrissent comme leurs parts chacun de nous disons-le pratique son propre abîme c'est peut-être après l'apparence une idole toute de chair libations par le sang et le vin ventres de femmes qui frémissent le plaisir se déhanche à l'orée d'un bois de myrtes dont une brise mystique agite les cimes quelquefois aussi de hautaines passions se divulguent au défaut des comptoirs cette tâche que l'on nous assigne est-elle vraiment d'amour à la limite désolée avec une ouverture céleste ou encore de déchirer la colère sous les ongles parmi les grands concours de sédition et les drapeaux de sève rouge J'aurais aimé dormir en le jardin d'avant la grille sans effigie sinon d'attente fade qui se complût ― mais nulle trêve à mon exil complice enfin les fleurs rebutent mon reflet ma fièvre pèse il y a comme une présence despotique mêlée aux odeurs et je préfère les sables de l'inquiétude à ses paroles rémittentes En fait il est toujours trop tard dès le départ de la machine pour faire mieux que précéder un implacable aveuglement ébloui de clarté soudaine de tels emblèmes en outre ne s'illuminent que par fugace exaltation ils ne survivent pas plus que nous tous au veuvage des mots et cette vie et notre vie se suffit-elle avec ses virevoltes ironiques ?

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Tu parles vainement nul ne sait ta parole nul n'a souci de tel aveu et ne se meurt de son écho ni de ta voix que fuit Narcisse en la réserve des ruisseaux Si rien ne vient qui lui ressemble toutefois ou qui l'accueille c'est qu'elle est seule monde et l'affirme elle seule miroir en vérité de l'ombre qu'elle feint. ― Parle donc vainement pour ta parole seule pour ta parole en son désir qui dépérit parle pour le silence où tremble sa musique anéantie de convoquer tant d'univers.

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pour Sylvla et Jean-Pierre Millecam

Fresque La résine des térébinthes se mêle aux boucles d'Absalon sans mors ni bride un étalon galope à l'oblique des plinthes tour étoilée suave enceinte forcée par tel prince félon Tamar revêt de masques blonds les louves de son labyrinthe les forêts d'Ephraïm tremblaient aux armes qui se rassemblaient dans le vent cruel des trompettes pesant ses cheveux blancs le roi qu'un céleste miroir apprête rêvait de gloire sous l'orfroi.

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Matières Le verre éponge de lumière l'orichalque miroir du feu l'argile où le sang se résigne la topaze vêtue de vent l'obsidienne aube sidérale l'opale douce d'eau caillée le cristal âme sans mesure l'or lucide verbe de l'air l'ambre désert de dures larmes l'antimoine loup dévorant l'émeraude aux yeux de vipère la turquoise accablée d'oiseaux le rubis que l'orgueil écorche l'améthyste où meurt l'oméga dissous en leur juste mercure ou dans l'éclat du pectoral rayonnent l'attente et le temps

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nuages nuages nuages nuages nuages nuages nuages nuages nuages nuages nuages gésine de la MER aux âges nus jadis jadis jadis jadis jadis NUAGES

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pour Michel Lichtlé

Séraphîta Fleur des zones algides éclose sous l’égide des montagnes glacées où vous croissez ange fait de matière et d’esprit tout entière masculin féminin aux yeux bénins de ceux qui vous contemplent et voient l’amour ensemble dans un même regard à leur égard vous conjuguez l’espace où parfois l’eider passe et l’océan dompté, apparentés ― quand le printemps disperse la neige et qu’il renverse le trône improductif du froid massif ― avec le Ciel ultime sur les bords de l’abîme où cesse le trajet, puis d’un seul jet étoile épanouie en notre âme éblouie vous vivez l’intuition d’une Assomption fondant notre salut dans l’absolu.

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Tableau Un ange tout fait d'aile en surplis florentin jouait de la mandole ancienne à la lumière pourpre réverbérée par le feu d'un regard il est chu sans oubli dans les sanglots du vent comme disparaissant immortel à l'espace au temps oblitéré tout à coup par l'obscur inaccessible de l'absence de moi-même il vit pourtant tout bas dans son retable d'or et pourpre redoublé d'angoisse en la ténèbre dans son rectangle d'or empli d'ombre à rebours de tourbillons lovés au plus tremblant du verbe le geste et la musique à peine appesantis voilés comme un tambour que battraient mille voix souterraines guettant le signe à la surface pour rhabiller de jour ébloui les rayons et si je suis d'abord cette absente étincelle que présume un couloir divagué vers le cœur je puis naître ange aussi plus haut que les étoiles et clore en mes replis tous les tableaux du ciel.

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La nostalgie d'un monde clair est l'hommage le plus inaccessible à la simplicité de dieu. * * * Pesez donc la part de désir qui tressaille dans les injustices fatales. * * * Une affection de notre corps enveloppe l'essence du soleil. * * * La vieillesse a revêtu ses voiles de veuve pour régenter le cortège qui se dissout. * * * Le rêve pratique une lumière à travers l'eau verte des époques. * * * Dans l'incandescence des corolles, d'hirsutes araignées méditent leurs étoiles nocturnes. * * * L'angoisse passe la porte avec son double pour tout bagage. * * * L'âge est une plaine de soleil pour la démesure du cœur. * * * Sur les eaux grises, parmi les barques et les pluies, glissera la tourmente des signes. * * * La flamme du poème consume sans reliquat la quintessence d'un combustible toujours intact.

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N'y a-t-il que neige aux aguets dans l'extravagance des sources assoupi sous les nymphes nues n'y a-t-il que rire de sable les sagesses vêtues de vent en marbres naissent-elles vaines et la fourmilière du roc n'est-elle au fond que pesanteur ? Par nous seuls les genèses germent dans l'aire que nous révélons Orphée rend musique aux fontaines avec Amphion la pierre parle comme une langue de soleil.

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Esprit Taciturne au semblant peut-être de la Terre tu te meus dans la bulle exacerbée de nos siècles en bas l'infini se démasque un instant à l'infime du soupirail dévié par cadence implacable de signes et depuis la pierre dévêtue obstinément rebelle à toute parole de la durée bien avant que la chair s'oublie cristal nocturne que s'irriguent les tiges et l'épure avant même la pluie à venir exultant fantôme qui se nie tu te perds dans le sang terrible de machines où conspire le veuf sans cesse en mouvement dérisoire et que tu leurres par la promesse extrême des jardins et l'innocence toujours à pervertir dans les sillons stériles du Savoir.

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Près du haut rocher qu'embrassaient les cisses le mouvant miroir des morts et des dieux a vu s'effacer dans un éclair d'yeux le visage en vain sur la ligne abscisse Un regard s'éteint les ombres durcissent et l'écho s'est tu le temps d'un adieu le soir modulait aux bords mélodieux la couleur de l'air du tremblant narcisse Couteaux du couchant l'esprit désolé d'un mirage épris rêva d'accoler figure et désir sur la même rive unissant enfin par étrange aloi ces deux ennemis d'éternelle loi car la pierre est l'eau d'une source vive.

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Me voici le rival des arbres dans le vent qui naît à la racine obscure ils se souviennent en leur mémoire d'aube et d'écorce mêlées en cet égarement de membres vers le haut que la terre abritait maternelle une étoile et qu'à l'extrémité des limbes à jamais le ciel se dérobait à la brûlure encor qu'il eût pouvoir de la guérir malgré le temps malgré cet insondable accord des deux désirs se déchirant par aversion mais sans rupture de lumière et de nuit farouches ― vainement je balance entre ces abîmes je m'abstiens le cœur comme meurtri de victoires futiles je regrette l'essor au soir dans la splendeur où s'éveillent tant de richesses tant de veines tant d'or venu de plages vierges évitant le trépan d'une pire angoisse par matière engourdie sous la sauvegarde tout le jour de l'herbe au creux de sa controverse fertile cependant qu'en la pourpre enténébrée là-bas porteur de vin terrible et d'étranges travaux le bûcheron banal s'avance avec ses haches.

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J'ai soulevé vers le soleil l'étrave illuminée tendu vers les ténèbres un éperon d'obscur en moi le temps n'est pas le même qui sauvegarde ses éclairs Un couvercle de clarté exaspère les grimaces rebelles et les visages au défi dans le chaos des ères consternées ici les princes du sud féroce entrouvrant les vantaux de leurs palais solubles livrent aux cavaliers de laine ― épouvante par le galop ― l'escarboucle sur les chanfreins (quels déserts au profond nourrissent ces musiques terribles !) Mais bien plus bas une ombre en sa mesure ensevelie calme le battement désespéré de l'âme dérobe au travers des saisons par où s'embrume l'étendue, au travers de meules humides, de paysages sans rumeurs, les pélerins des grands chemins chaussés dans le désordre des croisades qui s'avancent à jamais immobiles en chapiteaux historiés. Le jour la nuit que sont-ils d'autre que ce rêve ?

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Destinées Le lierre à son arbre s'attache l'hermine expire d'une tache le roc régit la profondeur ingénue de sa pesanteur autour d'un œuf le nid se fige aboli l’antique litige dans les sillons de son secret le grain s'enfouit sans regret durcisse le sang sur la neige la sève songe à son manège les signes scandent la saison qui clouera l'astre en sa maison l'amour se meurt à la demeure mais tout veut qu'une rose meure le cristal d'oubli s'est couvert effaçant l'empreinte du ver Seul l'homme en ombres dissémine l'âpre jeu que sa vie termine pour asseoir au suprême ciel la raison du nombre essentiel.

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Le vendredi meurt la verveine auprès du Christ crucifié la sueur la pourpre l'urine macèrent l'arbre de la croix dressé géant sur le mystère Le sépulcre s'est refermé en retentissante ténèbre pareil au bloc ailleurs éteint vers un futur inaccessible dimanche que nul n'aperçoit Mais le voile de Véronique tissu de l'étoffe du temps couvre au profond les retrouvailles limpides d'une épiphanie qui se fige dans la lumière Sourions pâques revenues ― en l'embrasure du passage sur les pierres lavées de pluie luisant comme astre à l'équinoxe une odeur fraîche s'est levée.

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La flamme a fui nos résidences neuves foyers que protégeaient les sombres sphinx jadis sophas où les amours parlaient de sexes défendus il règne maintenant sur les conduits et les blocs diffusant la chaleur logique comme un ressassement qui ressemble à notre vie à nos pensées vêtues de longs couloirs terribles c'était après les élucidations du désordre la mordache des théorèmes sur toute braise émue rien de tel pour tuer l'orage plus de fumées ni d'or par les maisons sans cave mais le paradoxe précontraint de ces logis le rêve qui pleure sur un cheval de marbre j'ai justement connu la demeure du feu fondateur des forges où le cœur chargeait le fer et j'ai peine à la pensée que cette mémoire sonore rythme seule à présent les dissidences du mystère Cependant ce présent semblant d'immobile recèle un supplément de miracle derrière les parois vierges d'aspérités et d'étincelles faudra-t-il attendre le creuset primitif pour libérer le feu féroce entre les fils entre les nerfs venus d'en bas où s'élaborent les quartiers de villes inouïes de fruits d'hiver de lune sans le triste arrêt qui touche à la mort la coulée coruscante des métaux les néons fulgurant dans l'ombre l'amour a désormais de grandes baies vitrées qui s'ouvrent en musiques artificielles sur un extérieur de luxes et rampes mais la sauvagerie plénière du soleil se tient tapie sous les revêtements ignifuges.

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La Terre est un nuage oublié à l'occident de dieu par la septième journée lucide entre des nappes de soleil il y tremble en notes ténues les violons désaccordés du prisme et la bouffée des hasards s'y consume sans mystère mêlant les éléments dans leurs noces chimiques l'arbre-croix à travers les sphères vides désormais les tombes et cieux noirs du songe de Jean Paul promis parmi le désastre futile aux neiges logiques mille courants y rassemblent leurs filets d'eaux selon des pentes ambiguës vers le recours des vagues vers la surface en proie aux remous et aux flux intermédiaires par caprice déclenchés ici les quatre vents du devenir croisant leurs ailes engendrent les cristaux de l'être que dissout sans y toucher le verbe avec mordacité désinvolte comme fleur d'élégance avant la nuit de qui n'a rien vu ni rien su c'est tout c'est tout je n'ai pas bien compris navré pas de redite imaginable nulle palingénésie n'offre sa récidive au désarroi de chaque jour mais peu importe ― fragiles sur la rive chancelants dressons de nos titres indécis un exact inventaire et revêtant d'éternité l'ordre du temps occupons sans témérité la turbulence pour que se perpétue le privilège primordial.

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Frappée du feu des douze signes une rose creuse la nuit son intime nuit lui résiste le paradis qu'elle couronne plonge ses paumes dans la boue rose tu montes libre d'aile en autre ciel que tu respires tu portes vivante le chef sans que les anges s'en affligent ici-bas réchauffe nos songes gaz obliques privés d'éclairs qui ne vivent que s'ils s'émeuvent de la fange où couve le feu.

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Mon âme est instrument de musiques masquées dont jouent les virtuoses d'ombres ; et l'abîme, c'est l'âme de Mozart moins les rayons. Voici (symphonie de douleur exquise) le remords d'on ne sait quels péchés avant l'aurore mais au cœur ― déchirant l'étoffe par dedans, cependant que s'épuise au lointain le charroi de chasses exaltées sur les marches, qui traquent la louve et le renard dans les forêts intimes, ou sonnent l'hallali du cerf jusqu'aux abois par les fanfares célébrés. Mais, en sourdine, une brève musique ébranle les tréfonds de tessitures et de voix comme soupirs et monte au firmament que ferment les étoiles, aiguë sur la dernière note à l'unisson, ― juste avant le silence un accord éternel de dominante orienté par la ténèbre, et le si lent sommeil informulé des morts.

247

Les choses ne vont pas sans mots qui les délivrent de leur prison mauvaise et simple chair et c'est pourtant sans plus de mots qu'il nous faut vivre quand nous passons des veines d'angoisse au grand air au grand espace bleu d'un tel amour qui pose à l'âme plus de questions qu'il n'est d'échos dans nulle voix mais ces questions n'ont pas de voix qui les réclame pas de clartés non plus qui blessent ni fourvoient il y a comme un accord sans timbre ni gamme on ne peut dire autre chose que négation de l'âme ou de l'amour de l'ombre ou de la flamme du soleil ou de la nuit si pareilles passions taciturne et voilé c'est l'autre qui s'avance sans avertir qu'il est tout ensemble à son tour sans avertir qu'il est l'autre action de naissance faute de mots faute d'idoles et de contours et nous sommes alors peut-être un sablier qu'on renverse nouveau miroir par la mémoire reflétant à retenir le flot tranquille qui traverse ni haut ni bas pour une extase de ce temps.

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L'âme comme embrasée des flèches de l'Alcide je cherche qui l'échange avec la condition mortelle ― ô douleur telle une pointe lucide et présumant sans trêve à travers l'ignition du verbe pierre et ciel égaux devant le vide où tombent les tisons d'orage l'ambition déchirante et la fièvre à cette ardeur avide dont la musique en bas veut que nous guérissions C'est une ivresse altière au plus vrai de la course c'est la soif qui ramène altéré vers la source c'est le venin de l'hydre en l'âme projeté Tous mes vaisseaux brûlant comme un bûcher superbe je rêve entretenir la blessure et le verbe afin d'être à moi-même un autre Prométhée.

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Émeute Les dévouements absurdes défient la dragonnade énorme des tambours et la cohorte des rêves relève la garde aux portes orphelines de notre monde positif où ruissellent en débâcle les joyaux oublieux des reflets d'orient, ce monde positif où l'ambition du feu jalouse sa propre semence (toute syllabe née d'en bas n'est que blasphème à la gloire de dieu) en guerre avec sa propre mort par chaque souffle différée, et que seul perpétue le permanent prodige du plus noble courage notre chair même hérissée de l'appel aux armes parmi l'éclair les particules même exaltées vers de hautaines charges spirituelles qui donnent sans rien nous dire assaut entre le vide et le vent est-ce promesse d'apanage au verbe affermissant quelque royaume intègre, légitimant ainsi la signature des paroles qu'un crépuscule de paille veut usurper, ou rien autre ― exacerbé l'outrage intérieur ― que ce tumulte nu contre les inflexibles ordonnances de ténèbres ?

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Ténèbres en affût derrière le vin des valses dans les salons ouverts le vent soulevait son oubli tandis que des vieillards fixant les glaces neutres ajustaient leur smoking au grave du saxo les femmes circulaient claires entre les tables chargées de tous les fruits du monde dans le temps les lustres dissolvaient l'énigme à la surface mais la requête demeurait de leur candeur de leur présence à peine un peu plus près du rêve à peine un peu plus crue de mercure et d'hélions les couples s'enlaçaient au gré de ces planètes dont murs et souterrains n'interceptaient le poids ni le réseau serré qui dirigeait l'orchestre vers des ivresses programmées plus haut que lui reçu de biais c'est vrai qu'on dansait sur le sable dans l'or d'une tunique à demi chamarrée par les crachats récents d'étoiles en abîme et la mer était là sourde dans sa splendeur et le feu des volcans jamais éteints derrière et tout se transmuait lentement en la nuit.

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pour Michel Ventrone

Vers Tu sculptes notre mort en nous comme un éclat et sa très évasive inquiétude ― verre ou verbe, proférée forme dans le mouvant Abolis les miroirs futiles le vernis de factice splendeur qui ploient les fronts vulgaires tu nies la transparence assise en le chaos et figes à l'étage où tout n'est que tumulte contre la pesanteur volubile de l'eau ce rêve de cristal érigé sur le vide. Il flotte ici pourtant répliquant équilibre par le revers fatal où vibre leur défi des lignes soutenues de silence à l’oblique des rythmes fascinés d'espace infiniment des forces sublimant leur mesure en abîme dans un vertige vrai qui feint la profondeur à contre-ciel toujours revenus d'une flamme vers l'exact univers libre de notre nuit. pour revêtir sans bord ton absence lucide.

252

Implacable de bleu rétif à qui le touche (mais qui pourrait saisir le cruel du cristal) spontanément créé par interne splendeur où meurt le caillement prématuré des sphères unanime en la solitude et dans la surdité massive avec nos jours il offre son hiver en armes son idéal d'immuable eau fermée pas même présomption de froide flamme squale ou murène dévêtu glissant vers l'oubli d'une vitre pas même ancien éclair intérieur en notre étude reverdi par l'ombre toutefois porté comme le songe entre les parthénopes submergées où pleure le tombeau sous-marin des sirènes et tremble le volcan dressé pour le phénix Que ferait-il ainsi tendu tel un dieu pâle que ferait-il sans le miroir de notre front que ferait-il sans le refuge en la poitrine ni le désir de notre mort les nombres partageant la neige et qui l'embrassent dans leur interminable extrémité de feu

253

Invisible eau qui meubles comme des bras l'Euripe insinuée par tous nos pores dans le temps flux du désir impalpable qui de l'enfant fais le vieillard et du vieillard l'enfant effaçant les rides sous le souffle fatal et le futur affaissement du cœur qui baignes rouge le corail des minutes convulsives serte au pan vertical de la durée ― de tous nos sens éloigne l'ambre et la sirène de nos amours le souvenir avec ses semelles de plomb la chimère émouvant l'abîme et les ailes des anges pour osciller sereine autour de notre nuit.

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J'ai vécu dans la seigneurie des arbres leur patience avec le grouillement des griffes le limon propice aux résolutions subtiles mais aussi leur violence amébée répliquant la vigueur altière parmi l'avènement des spores le flamboiement de feuilles et d'oiseaux j'ai dès lors pénétré la dissidence la divergence des deux sèves répulsion du feu qui s'incorpore à la terre en oracle et l'âme désormais fatiguée des sautes diffuses accuse le poids du temps oublie l'exaltation des ailes l'angoisse avec son candide miroir remuant à remords les nuages et les signes oublie l'argile aussi de la torpeur aux strates premières qui pense à sa façon de roche nue ― pendant que l'arbre même étreint entre racines par l'équivoque frondaison contrepesées la meule noire du nadir comme l'étoile dans l'éblouissement double de sa splendeur.

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pour Paul Raucy

La clémence du roi Marc Gage de paix trompeuse épée sous l'épaisse nuit sans mesure le bruit du vent par la masure porte des bribes d'épopée Ainsi va le roi Marc dans la nuit dérisoire si valeureux marchant vers l'étrange pardon si malheureux marquant par l'échange abandon aux corps désenlacés de l'étroit reposoir L'épée d'or entre les amants l'épée dort lame dont le fil comme lice nue se profile au mitan de l'âme dormant Le roi Marc s'en revient sans hermine et sans arme le sang rouge défaut à son cœur vieillissant rien n'étanchera plus la gorge de son sang ni la source des cris ni l'eau murée des larmes

256

Autour de moi ont pâli les signes et les règnes féroces ; accents de mort des cérémonies anciennes qui s'abolissent avec l'Eldorado dont les tableaux et les trésors naguère encore luisants dans les couloirs du cœur ne souffriront d'autres brumes que les demeures océanes ― ils se sont lentement effacés. Et cela s'est passé dans un autre univers à peine distant de moi pourtant par l'épaisseur de cette page où les lignes s'enchaînent sans le soupçon de la plus impénétrable méprise, distant par ce vide venu de moi et qui me porte au-delà de la chair (elle se rompt du côté de l'obscur) ― un univers que la dérive des vents assourdit comme un fond de panneau sur les murs désormais couronnés de ce domaine dont nulle lueur n'émane plus : c'étaient des salons figés, au creux desquels le temps conduisait subrepticement son impalpable musique, des vitres opaques où se brisaient parfois les ailes d'un oiseau, et, dans la basse-cour, des coqs quinteux rabrouant l'aube ; au dehors, égaillés sous les taillis du parc, gigotaient des bêtes déclives : tous emblèmes déchus du sens. J'ai depuis lors marché vers quelque but que je croyais engravé de diamant sur le registre qui produit l'état civil des âmes à la traverse ; mais la marche ou le but changeait qui divergeait avec la marche, avec la force à l'horizon, avec les supplications de la route, avec la lune que drapait son haut velours enténébré, avec enfin peut-être au bout du ciel, obstinément, le dieu naissant de mon oubli. Et je me tourne à présent, et je dis : «Tout est si différent, je ne retrouve rien de ce que je savais». Et j'appelle, indécis, dans le rehaut du soir qui décide à ma place, et le pays que j'étais né pour connaître s'abîme au centre de mon cri.

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Au fond de la demeure oubliée des étoiles par escaliers et corridors muets par souterrains émules du ciel vide sous la voûte abandonné quêtant l'aurore je m'avance je cherche le seigneur foncier monarque souverain de ces armures mémoriales mon suzerain des âmes mortes pour la guerre pour la terre promise à tous les peuples et les vents et n'aperçois par delà les teintes passées de la tenture qu'ombres dansant dans les salons fermés quelque pavane avec des franges de vapeur qui forment ronde et monde tout autour aux murs les personnages des tableaux dérobent leurs soupçons intérieurs derrière les toges noires les visages tournés vers on ne sait quels âges en suspens quels orages diffus à l'horizon là-bas cependant que dans le fauteuil cuir d'une bibliothèque convenue avec ses bois aux fibres tristes sous les lambris blafards de la durée où s'éteignent les encyclopédies et les symboles gobelin gris portant la perruque in-folio un vieillard sans lumière au centre des rayons s'assoupit mains tendues vers le feu translucide.

258

Né de l'abîme un papillon dans l'obscur où l'aile se fane vibre à la vitre diaphane battant comme un blanc pavillon Sur le sacre de rêve empli la nuit tient closes ses fenêtres et l'abîme tremble de n'être que le plus trouble de ses plis Érèbe en la lueur surpris la clarté m'enfante de l'ombre je passe de l'absence au nombre du nombre je meus vers l'esprit Mais térébré d'un vieux remords comme succincte chrysalide quel lien que nul astre n'élide me noue aux entrailles des morts Car la vitre berce un décor plongeant vers des plages funèbres ― pour pénétrer dans les ténèbres rien ne vaut la ténèbre encor.

259

Quand l'orage a fini de s'abreuver de nous que nous avons souffert en nous par cris et flammes que nous voici jetés par le tonnerre au sol contre la tentation bleu tendre de la mousse après retrait derrière quelque muraille ou tronc la force alors s'affine en effusions prochaines sous le revêtement d'âme et d'humus couche de glaise amère instincts mêlés jusqu'à ce centre obscur où tout s'échange c'est là qu'une détresse en mots impossibles se mue se meut ou meurt comme l'hommage à la suffisance lointaine des étoiles qui venues du profond de la terre vaincue fulgurent par musiques pures et chapelles ― la source refluant effarée vers le jour aubaine en la contrée peut-être de mensonge que dessine à chaque naissance tout le ciel sans souci du pourquoi des quêtes et des fièvres.

260

J'aurai regret de vous grappes lucides espoir des raisins mais sans les obsédants bourdons de l'accompli ― je n'existais qu'en votre exubérance : impossible de mesurer ma sagesse à ces mailles qui multipliaient la pulpe. Je le sais bien à présent que les saveurs s'égrènent une à une par les palais miraculeux et je le sais aussi, rompre d'un coup de dent l'enveloppe de beauté n'est crime que passé le coup de vent des âges. Oui, chaque baie qui fut un peu de moi s'est déchirée, mais pouvais-je laisser intacts les pruines et les lustres de la soie tendre sur les chairs ou sur les cœurs battant au profond d'une discorde contenue dont j'ignorais le premier mot, pouvais-je alors tenir tendu le lourd décor du temps qui conduisait l'ouvrage d'ombre vers une foison fragmentée d'automnes ? Et c'est pourquoi par astre sur les quais souverains de soleil ou par monts franchissant d'un seul regard l'abîme me voici désormais tout aussi loin de plénitude grave avant bouches et becs que de la rafle égrappée qui se détord au pied des ceps sous les ciseaux brûlants de la lumière.

261

Phénix au nid fait de rayons paradisier brûlant dans le soleil et l'or comme s'avivent mes pensées par manège absurde tourbillon du feu vers on ne sait quel centre enténébré te voici revenu vivace en mon cerveau pour émouvoir un jour de plus les utopies figées parmi le vide inverse et souterraines où tremblent les haillons terribles de la nuit. Tu meurs en renaissant de la mort de toi-même tu ne vis qu'en mourant sur tes bûchers brunis comme ma vie tu meurs dans un envol de plumes tu vis pareil aux morts par la cendre et l'oubli. Seul avec toi je pleure une effigie ancienne au bleu repli de tout essor inassouvi loin des villes jadis vibrantes de fanfares une femme endormie dans l'ombre une inconnue

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Quelques traductions de poèmes

Je dois rendre hommage ici aux traducteurs ou adaptateurs dont j’ai consulté les versions françaises pour les diverses langues utilisées ; quant aux poèmes de langue hongroise, je remercie tout spécialement mon ami et co-traducteur, Tivadar Gorilovics, Université de Debrecen (József Attila), puis Madame Agnès Sandor, XRCE Grenoble (Tóth Árpád). Georges Ribement-Dessaignes, Pierre Leyris, Michel Orcel, Adelin Charles Fiorato (édition bilingue : Les Belles Lettres, 2004, la plus complète, enrichie d’un excellent appareil critique) et maints autres, ont traduit avec talent des sonnets de Michel-Ange. Pour ma part, j’ai choisi de préférence des textes profonds, mais accordés aux grands thèmes de la période baroque, des pétrarquisants (Michel-Ange était grand lecteur de Dante et de Pétrarque), de Délie ─ voir, très proche, L’Olive de du Bellay ─, et j’ai tenté, non sans parfois certains écarts, l’impossible gageure de rendre le sens de quelques-uns de ces poèmes difficiles sans trop leur faire perdre de leur rythme et de leur saveur originaux. J’ai usé pour cela d’un français archaïsant qui me semblait convenir à l’artiste sculptant la réalité la plus haute “dans le marbre polychrome d’une suite de sonnets” (Oscar Wilde).

Le mot rime s’employait pour les poèmes en langue vulgaire, le mot versi pour les poèmes en langue latine.

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Michelangelo Buonarroti Rime

Sonnetto Tu sa' ch'i so, Tu sa' ch'i so, signor mio, che tu sai ch'i vengo per goderti più da presso, e sai ch'i so che tu sa' ch'i son desso : a che più indugio a salutarci omai ? Se vera è la speranza che mi dai, se vero è 'l gran desio che m'è concesso, rompasi il mur fra l'uno e l'altra messo, ché doppia forzia hann'i celati guai. S'i' amo sol di te, signor mie caro, quel che di te più ami, non ti sdegni ché l'un d'ell'altro spirto s'innamora. Quel che nel tuo bel volto bramo e 'mpparo, e mal compres' è dagli umani ingegni, chi 'l vuol saper convien che prima mora. Tu le sais, mon seigneur, que je sais que tu sais que je viens au plus près jouir de toi par déduit, et tu sais que je sais que tu sais qui je suis : or nous congratuler à quoi bon désormais ? Si l’espérance que tu me donnes est vraie et que soit vrai le grand désir à moi permis, que se rompe le mur entre un et l’autre mis, car double force ont tous les maux que l’on soustrait. Si j’aime seul en toi, seigneur qui tant m’es cher, ce que toi-même aimes le plus, ne te désheure que cet esprit de l’autre esprit s’éprenne. Ce qu’en ton beau profil je prise et quiers est mal compris des facultés humaines, qui voudrait le savoir il faut d’abord qu’il meure.

264

Sonnetto Dimmi di grazia, Amor… Dimmi di grazia, Amor, se gli ochi miei veggono ’l ver della beltà ch’aspiro, o s’io l’ho dentro allor che, dov’io miro, veggo scolpito el viso di costei. Tu ’l de’ saper, po’ che tu vien con lei a torm’ ogni mia pace, ond’io m’adiro ; né vorre’ manco un minimo sospiro né men ardente fuoco chiederei : — La beltà che tu vedi e ben da quella, ma cresce poi ch’a miglior loco sale, se per gli occhi mortali al alma corre. Quivi si fa divina, onesta e bella, com’a sé simil vuol cosa immortale : questa e non quella a gli occhi tuo’ precorre. – ― Dis-moi par grâce, Amour, dis si mes propres yeux voient le vrai de beauté à laquelle j’aspire, ou si je l’ai en moi, puisque, quoi que je mire, je vois toujours sculpté son visage en tout lieu. Toi, tu dois le savoir, qui près d’elle te meus pour m’ôter toute paix, chose dont me prend ire ; mais je ne voudrais pas d’un souffle l’amoindrir ni moins ardent je ne souhaiterais le feu. ― La beauté que tu vois naît bien de celle-là, mais elle croît au point qu’en lieu meilleur s’en va, et par les yeux mortels jusqu’à l’âme parvient. Alors elle se fait divine, honnête et belle, comme pareille à soi se veut chose immortelle : celle-ci, et non l’autre, à tes yeux seule advient.

265

Sonnetto Sol pur col foco… Sol pur col foco il fabbro il ferro stende al concetto suo caro e bel lavoro, né senza foco alcuno artista l’oro al sommo grado suo raffina e rende. Né l’unica fenice se riprende, se non prim’arsa, ond’io, d’ardendo moro, spero più chiar resurger tra coloro, che morte accresce e ’l tempo non offende. Del foco, di ch’io parlo, ho gran ventura ch’ancor per rinnovarmi abbi in me loco, sendo già quasi nel numer de’ morti. Ovver, s’al ciel ascende per natura, al suo elemento, e ch’io converso in foco sia, come fia che seco non mi porti ? Seul par le feu le forgeron étend le fer jusqu’au concept, son cher et bel effort, ni sans le feu aucun artiste, l’or à son plus haut degré n’affine et rend. Ni l’unique phénix ne se reprend qui d’abord n’arde, et si, ardant, j’ai mort, j’espère ainsi ressurgir bien plus fort entre ceux que mort croît et n’offense le temps. Et ce feu que je dis, j’ai chance pure qu’encore en moi pour me refondre ait lieu, qui déjà suis presque au nombre des morts. Au ciel, de vrai, s’il rejoint par nature son élément, moi, transmué en feu, comment serait qu’avec lui n’aille au port ?

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Sonnetto Si amico al freddo… Sì amico al freddo sasso è ’l foco interno che, di quel tratto, se lo circonscrive, che l’arde e spezzi, in qualche modo vive, legando con sé gli altri in loco eterno. E se ’n fornace dura, estate e verno vince, e ’n più pregio che prima s’ascrive, come purgata, infra l’altre alte e dive, alma nel ciel tornasse da l’inferno. Cosi tratto di me, se mi dissolve il foco che m’è dentre occulto gioco, arso e poi spento aver più vita posso. Dunque, s’i’ vivo, fatto fume e polve, eterno ben sarò, s’induro al foco ; da tale oro e non ferro son percosso. Tant au roc froid le feu interne adhère que si, hors de l’un on le circonscrit, il arde et brise, en quelque mode il vit, les autres liant éternels à son aire. Et s’il résiste au four, été, hiver, alors il vainc, plus qu’avant gagne en prix ; comme, purgée, parmi hautes et pies, l’âme en le ciel reviendrait de l’enfer. Tel, si tiré de moi me vient dissoudre le feu qui mène en moi occulte jeu, ars, puis éteint, plus de vie puis garder. Donc, si je vis, devenu brume et poudre, je serai éternel, endurant feu ; de tel or1, non de fer, suis martelé.

1 Un certain or, sans doute l’amour pour l’être aimé.

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Sonnetto Vorrei voler, signor… Vorrei voler, Signor, quel ch’io non voglio : tra ’l foco e ’l cor di ghiaccio un vel s’asconde che ’l foco ammorza, onde non corrisponde la penne a l’opra, e fa bugiardo ’l foglio. I’ t’amo con la lingua, e poi mi doglio ch’amor non giunge al cor ; né so ben onde apra l’uscio alla grazia, che s’infonde nel cor, che scaccia ogni spietato orgoglio. Squarcia ’l vel tu, Signor, rompi quel muro che con la sua durezza ne ritarda il sol della tua luce, al mondo spenta ! Manda ’l preditto lume a noi venturo alla tua belle sposa, acciò ch’io arda il cor senz’ alcun dubbio, e te sol senta. Je voudrais vouloir ce, Seigneur, que je ne veux : gît entre cœur et feu une plaque de gel qui étouffe le feu, d’où vient que ne s’attellent la plume et l’oeuvre, et fait mon feuillet fallacieux. Je t’aime de la bouche, et me sens malheureux qu’amour ne m’aille au cœur ; et je ne sais trop quelle porte peut s’ouvrir à la grâce qui se scelle dans le cœur, en chassant tout orgueil maupiteux. Brise la plaque, toi, Seigneur ! Et romps ce mur qui de sa dure opacité toujours retarde le soleil de ta gloire à notre terre froid ! Dépêche ce rayon promis pour nous futur à ta belle épousée, fais en sorte que j’arde, le cœur sans défiance, et n’y sente que toi.

268

Sonnetto Sento d’un fuoco… Sento d’un fuoco un freddo aspetto acceso che lontan m’arde e sé con seco agghiaccia ; pruovo una forza in due leggiadre braccia, che muove senza moto ogni altro peso. Unico spirto e da me sol inteso, che non ha morte e morte e morte altrui procaccia, veggio e truovo chi, sciolto, il cor m’allaccia, e da chi giova sol mi sento offeso. Com’ esser può, signor, che d’un bel volto ne porti ‘l mio cosi contrari effetti, se mal può chi non gli ha donar altrui ? Onde al mio viver lieto, che m’ha tolto, fa forse come ’l sol, se nol permetti, che scalda ’l mondo e non è caldo lui. Je sens de feu ardre le dehors froid qui loin me brûle en soi restant de glace ; j’éprouve force en deux bras pleins de grâce, sans se mouvoir qui meut tout autre poids. L’unique esprit, et seul compris de moi, qui n’a point mort, et mort aux autres trace, je trouve et vois qui, libre, mon cœur lace, seul suis meurtri de ce qui donne joie. Comment se peut, seigneur, d’un beau visage qu’il vienne au mien tant contraires influx, ces maux qu’il n’a, qu’à d’autres les partage ? Peut-être à mon doux vivre, qu’il m’a pris, tel le soleil fait-il, sauf ton refus, chauffant le monde et sans chaleur en lui.

269

Sonnetto Veggio co’ be’ vostr’occhi… Veggio co’ be’ vostr’occhi un dolce lume che co’miei cecchi già veder non posso ; porto co’vostri piedi un pondo addosso, che de’ mie zoppi non è già costume. Volo con le vostr’ ale senza piume ; col vostro ingegno al ciel sempre son mosso ; dal vostro arbitrio son pallido e rosso, freddo al sol, caldo alle più fredde brume. Nel voler vostro è sol la voglia mia, i miei pensier nel vostro cor si fanno, nel vostro fiato son le mie parole. Come luna da sé sol par ch’io sia, chè gli occhi nostri in ciel veder non sanno se non quel tanto che n’accende il sole. Je vois par vos beaux yeux qu’un doux rayon s’allume que par mes propres yeux aveugles je ne vois ; je porte par vos pieds une charge et un poids, que les miens, tout boiteux, de porter n’ont coutume. Je vole avec votre aile et sans avoir de plumes ; par votre esprit toujours vers le ciel je m’accrois ; je pâlis et rougis à votre libre choix, froid au soleil, et chaud dans les plus froides brumes. Dans votre seul vouloir se tient ma volonté, au fond de votre cœur naissent les pensers miens, dans votre souffle sont tous mes mots en éveil. Comme la lune en soi je parais esseulé, car nos yeux dans le ciel ne savent y voir rien sinon tout ce que vient irradier le soleil.

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Sonnetto I’ mi son caro… I’ mi son caro assai più ch’i’ non soglio ; poi ch’i’ t’ebbi nel cor più di me vaglio, come pietra c’aggiuntovi l’intaglio è di più pregio che ‘l suo primo scoglio. O come scritta o pinta carta o foglio più si riguarda d’ogni straccio o taglio, tal di me fo, da po’ch’i’ fu’ berzaglio segnato dal tuo viso, e non mi doglio. Sicur con tale stampa in ogni loco vo, come quel ch’ha incanti o arme seco, c’ogni periglio gli fan venir meno. I’ vaglio contr’a l’acqua e contr’al fuoco, col segno tuo rallumino ogni cieco, e col mie sputo sanno ogni veleno. Plus cher me suis que je n’en ai coutume ; t’ayant au cœur, je sais bien plus valoir, comme le bloc creusé par l’ébauchoir a plus haut prix qu’en son premier volume. Ou tels page et dessin, par brosse ou plume s’estiment plus que chiffons de hasard, ainsi de moi, quand fus de ton regard cible une fois, et n’en tiens amertume. Sous tel signe je vais, sûr en tout lieu, comme un portant armes ou phylactères, qui tous dangers mettent à la raison. J’ai pouvoir contre l’eau, contre le feu, de par ton sceau tout aveugle j’éclaire, par ma salive abolis tout poison.

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Sonnetto Al cor di zolfo… Al cor di zolfo, a la carne di stoppa, a l’osssa che di seco legno sièno, a l’alma senza guida e senza freno al desir pronto, a la vaghezza troppa, a la cieca raggion debile e zoppa al vischio, a’lacci di che’l mondo è pieno ; non é gran maraiglia, in un baleno arder al primo foco che s’intoppa. A la bell’arte che, se dal ciel seco ciascun la porta, vince la natura, quantunche sé ben preme in ogni loco ; s’i’nacqui a quella ne sordo ne cieco, proporzionato a chi’l cor m’arde e fura, colpa é di chi m’ha destinato al fuoco. Le cœur de soufre, et d’étoupe la chair, les os qui de bois sec sont tout voisins, une âme sans nuls guides et nuls freins, le désir prompt, l’ardeur qui s’exaspère, l’aveugle raison, débile et précaire les gluaux, les lacs dont le monde est plein : merveille n’est, au premier feu qui vient, que tout s’embrase entier en un éclair. Au bel art qui, puisque du ciel toujours chacun le porte en soi, vainc la nature, bien qu’elle ait mis son empreinte en tout lieu ; si ne naquis à lui aveugle et sourd, seyant à quoi le cœur m’arde et capture, faute est de qui m’a destiné au feu.

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Sonnetto A che più debb’i’ omai… A che più debb’i’ omai l’intensa voglia sfogar con pianti o con parole meste, se di tal sorte ‘l ciel, che l’alma veste, tant’o per tempo alcun mai non ne spoglia ? A che ‘l cor las’a più languir m’invoglia, s’altro pur dee morir ? Dunche per queste luci l’ore del fin fian men moleste ; c’ogni altro ben val men c’ogni mia doglia. Però se ‘l colpo ch’io ne rubo e’involo schifar non posso, almen, s’è destinato, chi entrera ‘nfra la dolcezza e’l duolo ? Se vint’e preso i’debb’ esser beato, maraviglia non è se nudo e solo resto prigion d’un cavalier armato. À quoi bon encor mon vouloir puissant épandre en pleurs ou paroles amères, si d’un tel sort le ciel, qui l’âme enserre, ne délivre personne à nul moment ? À quoi bon lasser mon cœur languissant si tous doivent mourir ? Par ces lumières 2 moins à douleur soit mon heure dernière ; tout autre bien vaut moins que mon tourment. Mais si le coup que je cèle et retiens ne puis parer, puisque est là mon destin, qui fera part entre douceur et larmes ? Si je dois être heureux pris et vaincu, merveille n’est à ce que seul et nu 3 je sois captif d’un chevalier en armes.

2 Les regards de la personne aimée (Tommaso dei Cavalieri). 3 Délie, Dizain LXVII.

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Sonnetto Ben mi dove’… Ben mi dove’con tan felice sorte, mentre che Febo il poggio tutto ardea, levar da terra, allor quand’io potea, con le sue penne, e far dolce la morte. Or m’è sparito ; e se ‘fuggir men forte de’ giorni leti invan mi promettea, ragion è ben c’all’ alma ingrata e rea pietà le mani e ‘l ciel chiugga le porte. La penne mi furn’ale e ‘l poggio scale, Febo lucerna a’ pie ; ne m’era allora men saluto il morir che maraviglia. Morendo or senza, al ciel l’alma non sale, nè di lor la memoria il cor ristora : che tardo e doppo il danno, chi consiglia ? J’aurais bien dû, par un tant heureux sort, lorsque Phébus tout le coteau brûlait, quitter la terre, alors que le pouvais, sur son plumage, adoucissant la mort. Or m’est ravi ; et si moins prompt essor des jours de joie en vain me promettais, juste est qu’à l’âme ingrate et ses méfaits pitié ferme ses mains, le ciel son port. Aile me fut la plume, échelle le coteau, Phébus lampe à mes pieds ; au temps d’alors, mourir me fût tant salut que merveille. Mourant sans eux, l’âme or ne va là-haut, leur souvenir ne rend le cœur plus fort : si tard et fait le mal, qui me conseille ?

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Sonnetto Perché Febo non torce… Perché Febo non torce e non distende d’intorno a questo globo freddo e molle le braccia sue lucenti, il vulgo volle notte chiamar quel sol che non comprende. E tanto debol, che s’alcun accende un picciol torchio, in quella parte tolle la vita dalla notte, e tant’è folle che l’esca col fucil la squarcia e fende. E s’egli è pur, che quelca cosa sia, cert’è figlia del sol e della terra ; che l’un tien l’ombra e l’altro sol la cria. Ma sia che vuol, che pur chi la loda erra, vedova, scura, in tanta gelosia, ch’una lucciola sol gli può far guerra. Puisque Phébus ne tord ni ne distend à l’entour de ce globe froid et glu ses bras flambants, le vulgaire a voulu appeler nuit ce que seul il n’entend. Si faible elle est que tel, s’il va brûlant la moindre torche, en ce lieu destitue de vie la nuit, car elle est si ténue qu’un fusil d’amadou la brise et fend. Et si pourtant elle est quoi que ce soit, c’est fille du soleil et de la terre, car l’une a l’ombre et l’autre la conçoit. Soit ce que veut, qui la loue pourtant erre, obscure et vide, en un tel désarroi, qu’une seule luciole lui fait guerre.

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Sonnetto O notte, o dolce tempo…

O notte, o dolce tempo, benchè nero, con pace ogn’ opra sempr’ al fin assalta ; ben vede e ben intende chi t’esalta, e chi t’onor’ ha l’intelletto intero. Tu mozzi e tronchi ogni stanco pensiero, che l’umid’ ombra e ogni quiet’ appalta ; e da l’infima parte a la più alta, in sogno spesso porti, ov’ ire spero. O ombra del morir, per cui si ferma ogni miseria a l’alma, al cor nemica, ultimo degli affliti e buon rimedio ; tu rendi sana nostra carn’ inferma, rasciughi i pianti e posi ogni fatica, e furi a chi ben vive ogn’ ira e tedio. Ô nuit, ô temps de douceur, quoique noir, en paix toujours à ses fins parvient l’acte ; sait bien comprendre et bien voir qui t’exalte, et qui t’honore a l’entendement droit. Tu tranches, romps, tous pensers trop de poids, que l’ombre humide et calme prend en charge ; et de la basse à la plus haute marge, mènes en songe où prétend mon espoir. Ô ombre du mourir par qui s’efface toute misère à l’âme, au cœur néfaste, remède ultime et bon des affligés ; tu rends santé à notre chair infirme, sèches les pleurs, viens le faix soulager, l’homme de bien délies d’ire et d’abîme.

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Sonnetto Ogni van chiuso… Ogni van chiuso, ogni coperto loco, quantunche ogni materia circumscrive, serba la notte, quando il giorno vive, contro al solar suo luminoso gioco. E s’ella è vinta pur da fiamma o foco, da lei dal sol son discacciate e prive con più vil cosa ancor sue specie dive, tal c’ogni verme assai ne rompe o poco. Quel che resta scoperto al sol, che ferve per mille vari semi e mille piante, il fier bifolco con l’aratro assale ; ma l’ombra sol a piantar l’uomo serve. Dunche, le notti più ch’e’dì son sante, quanto l’uom più d’ogni altro frutto vale. Tout espace fermé, tout autre lieu clos, par quelque matière circonscrit, protège la nuit, dès que le jour luit, contre le soleil aux jeux lumineux. Et si pourtant la vainc ou flamme ou feu, par le soleil sont retraits et déduits ses pans divins, ou, bien plus vil que lui, un simple ver la rompt, ou s’en faut peu. Ce qui reste au soleil, ce qui bouillonne de mille et mille plantes variées, le fier bouvier de sa charrue l’assaille ; mais l’ombre seule à planter l’homme est bonne. Donc, les nuits sont plus que les jours sacrées, d’autant que plus que tout fruit l’homme vaille.

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Sonnetto Colui che fece... Colui che fece, e non di cosa alcuna, il tempo, che non era anzi a nessuno, ne fe’ d’un due e diè ‘l sole alto all’uno, all’altro assai più presso diè la luna. Onde ‘l caso, la sorte e la fortuna in un momento nacquer di ciascuno ; e a me consegnaro il tempo bruno come a simil nel parto e nella cuna. E come quel che contrafà se stesso, quando è ben notte, più buio esser suole, ond’io di far ben mal m’affliggo e lagno. Pur mi console assai l’esser concesso far giorno chiar mia oscura notte al sole che a voi fu dato al nascer per compagno. Celui qui fit, et non de chose aucune, le temps, avant qu’il ne fût à quelqu’un, d’un en fit deux, le haut soleil à l’un donna, à l’autre, bien plus près, la lune. De là, le hasard, le sort, la fortune en un moment naquirent pour chacun, assignèrent à moi l’ère du brun comme à mon part et mon berceau commune. Et comme qui soi-même s’imitant, quand est bien nuit, le noir croît d’ordinaire, de bien mal faire et m’afflige et m’offense. M’est concédé, me consolant pourtant, ajourer ma nuit sombre au soleil clair à vous donné compagnon de naissance.

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Sonnetto Non vider gli occhi miei…

Non vider gli occhi miei cosa mortale allor che ne’ bei vostri intera pace trovai, ma dentro, ov’ogni mal dispiace, chi d’amor l’alma a sé simil m’assale ; E se creata a Dio non fusse equale, altro che ’l bel di fuor, c’agli occhi piace, più non vorria ; ma perch’è sì fallace trascende nella forma universale. Io dico c’a chi vive quel che muore quetar non può disir ; nè par s’aspetti l’eterno al tempo, ove altri cangia il pelo. Voglia sfrenata el senso è, non amore, che l’alma uccide ; e ’l nostro fa perfetti gli amici qui, ma più per morte in cielo. Point ne virent mes yeux quelque chose mortelle alors que dans vos yeux si beaux entière paix trouvai, mais au-dedans, là où tout mal déplaît, ce qui d’amour fixa mon âme à sa jumelle ; Et si créée de Dieu elle ne lui fût telle, rien d’autre que le beau dehors qui aux yeux plaît sans plus elle voudrait ; mais faux-semblant il est, qu’elle transcende dans la forme universelle. Je dis que de celui qui vit tout ce qui meurt n’étanche pas la soif ; ni que ne s’assortit le temps où le crin se fait autre à l’éternel. Vœux sans frein sont les sens, et non amour de cœur, qui l’âme tuent ; le nôtre, lui, rend les amis tout parfaits ici-bas, mais plus par mort au ciel.

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Sonnetto Per ritornar là donde… Per ritornar là donde venne fora, l’immortal forma al tuo carcer terreno venne com’angelo di pietà si pieno, che sana ogn’intelletto e ’l mondo onora. Questo sol m’arde e questo m’innamora, non pur di fuora il tuo volto sereno : c’amor non già di cosa che vien meno tien ferma speme, in cui virtù dimora. Né altro avvien di cose altere e nuove in cui si preme la natura, e ‘l cielo è c’a’ lor parti largo s’apparecchia ; né Dio, suo grazia, mi si mostra altrove più che ’n alcun leggiadro e mortal velo ; e quel sol amo perch’in lui si specchia. Afin de retourner d’où elle vint dehors, l’immortelle forme en ta terrestre prison comme un ange s’en vint, si plein de compassion qu’il guérit les esprits au monde qu’il honore. Celui-là lui seul m’enflamme et m’énamoure fort, et non de tes dehors sereins la perfection : car l’amour, sur tout ce qu’atteint la corruption ne fonde ferme espoir, de la vertu support. Et rien d’autre n’advient des hautes choses neuves dans lesquelles s’empreint nature, et que le ciel à largement pourvoir sitôt que nées s’apprête ; ni Dieu même, sa grâce, il ne m’en donne preuve plus grande qu’en un voile harmonieux et mortel ; celui que j’aime seul parce qu’il s’y reflète.

281

Sonnetto Non ha l’ottimo artista… Non ha l’ottimo artista alcun concetto c’un marmo solo in sé non circonscriva col suo soverchio, e solo a quello arriva la man che ubbidisce all’intelletto. Il mal ch’io fuggo e ’l ben ch’io mi prometto, in te, donna leggiadra, altera e diva, tal si nasconde ; e perch’io piu non viva, contraria ho l’arte al disiato effetto. Amor dunque non ha, né tua beltate o durezza o fortuna, o gran disdegno del mio mal colpa, o mio destino o sorte ; se dentro del tuo cor morte e pietate porti in un tempo, e che ’l mio basso ingenio non sappia, ardendo, trarne altro che morte. L’artiste le plus haut n’a nul concept qu’un marbre seul en soi ne circonscrive dans son excès ; jusqu’à lui seule arrive la main obéissant à l’intellect. Mal que je fuis, et bien que je souhaite, en toi, femme superbe, altière et dive, sont là cachés ; tel que plus je ne vive, mon art s’oppose à l’effet que j’appète. Amour n’a donc coulpe, ni ta beauté, ou cruauté, fortune ou grand mépris, quant à mon mal, ou mon destin ou sort ; ni si dedans ton cœur mort et pitié portes ensemble, et que mon bas génie n’en sache, ardant, extraire autre que mort.

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Sonnetto Dal ciel discese… Dal ciel discese, e col mortal suo, poi che viste ebbe l’inferno giusto e ‘l pio, ritornò vivo a contemplare Dio, per dar di tutto il vero lume a noi, lucente stella, che co’ raggi suoi fe’ chiaro a torto al nido ove nacqu’io, né sare’ ‘l premio tutto ‘l mondo rio tu sol, che la creasti, esser quel puoi. Di Dante dico, che mal conosciute fu l’opre sue da quel popolo ingrato che solo a’ giusti manca di salute. Fuss’io pur lui ! c’a tal fortuna nato per l’apre esilio suo, co’ la virtute, dare’ del mondo il più felice stato. Du ciel il vint, dans sa mortelle chair, puis ayant vu l’enfer juste et le pieux, s’en retourna vivant contempler Dieu, pour nous porter sur tout la vraie lumière, astre de feu, qui de ses rayons clairs mon nid natal à tort rendit glorieux, n’en paierait pas le prix ce monde odieux, toi seul, qui la créas, tu le peux faire. C’est Dante que je dis, dont l’œuvre fut tant méconnue de tout ce peuple ingrat qui ne dénie sa faveur qu’aux seuls justes. Que fusse lui ! né à ce destin-là, pour son exil amer, et sa vertu, je donnerais le plus heureux état.

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Sonnetto Di morte certo… Di morte certo, ma non già del’ora, la vita è breve e poco me n’avanza ; diletta al senso, è non però la stanza a l’alma, che mi prega pur ch’i’ mora. Il mondo è cieco, e ‘l tristo esempio ancora vince e sommerge ogni perfetta usanza. Spent’è la luce e seco ogni baldanza ; triomfa il falso e ‘l ver non surge fora. Deh, quando fia, Signor, quel che s’aspetta per chi ti crede, ché ogni troppo indugio tronca la speme e l’alma fa mortale. Che val che tanto lume altrui prometta s’anzi vien morte, e, senza alcun refugio, ferma per sempre in che stato altri assale ? De mort certain, mais non pas de son heure, brève est ma vie, peu m’en reste en avant ; plaisante aux sens, la demeure pourtant ne l’est à l’âme, implorant que je meure. Au monde aveugle, en sus un triste leurre submerge et vainc tout usage excellent. Le jour s’éteint, avec lui tout élan ; le faux triomphe, et seul le vrai n’affleure. Las, quand viendra, Seigneur, cela que prise qui croit en toi, car un trop long décours brise l’espoir et fait l’âme mortelle ? Que vaut la gloire aux autres tant promise, si vient la mort nous prendre sans recours dans cet état qu’à jamais elle scelle ?

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La Notte La Nuit Sopra « La Notte » del Buonarroto di Giovanni Strozzi

La Notte, che tu vedi in si dolci atti dormir, fu da un Angelo scolpita in questo sasso, e, perchè dorme, ha vita. Destala, se noi credi, e parlaratti.

Sur « La Nuit » de Michel-Ange (par Giovanni Strozzi) La Nuit aux douces attitudes que tu vois dormir, c’est par un Ange qu’elle fut pétrie dans ce marbre, et, parce qu’elle dort, elle a vie. Éveille-la, crois-nous, elle te parlera.

Réponse de « La Nuit » de Michel-Ange : La Notte Caro m’è ‘l sonno, e più l’esser di sasso, mentre che ‘l danno e la vergogna dura ; non veder, non sentir m’è gran ventura ; però non mi destar, deh, parla basso. Cher m’est dormir, et plus d’être de marbre, alors que dams et vergogne perdurent 1 ; n’entendre ni ne voir m’est chance sûre ; ne m’éveille pas, non, parle à voix basse.

Adaptation poétique par Aragon : Qu'il m'est doux de dormir le songe de la pierre Le sommeil est profond qui berce les statues Quand le siècle est infâme à fermer les paupières Non-voir et non-sentir deviennent des vertus Chut Ne m'éveille pas Baisse la voix veux-tu

1 C’est l’époque tourmentée du sac de Rome (1526-27) et du déclin de la république florentine

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Giacomo Leopardi Canti

Chants

L’infinito Sempre caro mi fu quest’ermo colle, E questa siepe, che da tanta parte Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude. Ma sedendo e mirando, interminati Spazi di là da quella, e sovrumani Silenzi, e profondissima quiete Io nel pensier mi fingo ; ove per poco Il cor non si spaura. E come il vento Odo stormir tra queste piante, io quello Infinito silenzio a questa voce Vo comparando : e mi sovien l’eterno, E le morte stagioni, e la presente E viva, e il suon di lei. Cosi tra questa Immensità s’annega il pensier mio : E il naufragar m’è dolce in questo mare. L’infini Toujours me fut cher ce mont solitaire, Et ce hallier, qui de si large part De l’ultime horizon proscrit la vue. Mais assis, contemplant, je me forge dans l’âme Interminés espaces bien au-delà, et surhumains Silences, et calme très profond ; d’où peu s’en faut Que le cœur s’épouvante. Et quand j’entends Le vent bruire parmi ces branches, moi, Je compare l’autre infini silence À cette voix : me souvient l’éternel, Et les saisons mortes, et la présente Et vive, et d’elle la rumeur. Ainsi En cette immensité se noie mon âme : Et naufrager m’est doux dans cette mer.

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pour Roland Chollet

Il Risorgimento La Résurrection Credei ch’al tutto fossero Je croyais qu’en moi se fussent In me, sul fior degli anni, Dans la fleur de mes ans Mancati i dolci affanni Défaits les doux tourments Della mia prima età : De mon âge premier : I dolci affanni, i teneri Les doux tourments, les tendres

Moti del cor profondo, Élans du cœur profond, Qualunque cosa al mondo Et toute chose au monde Grato il sentir ci fà. Par quoi sentir agrée. Quante querele e lacrime Que de plaintes, que de larmes Sparsi nel novo stato, Au temps nouveau versées, Quando al mio cor gelato Quand à mon cœur glacé Prima il dolor mancò ! Vint manquer le souffrir ! Mancàr gli usati palpiti, Les émois familiers manquèrent, L’amor mi venne meno, Et l’amour disparut, E irrigido il seno La poitrine tendue Di sospirar cessò ! Suspendit ses soupirs ! Piansi spogliata, esanime Je pleurai, nue, privée d’âme Fatta per me la vita La vie qui m’était vide ; La terra inaridita, Terre rendue aride, Chiusa in eterno gel ; Close à jamais de gel ; Deserto il di ; la tacita Jour désert ; et taciturne Notte più sola e bruna ; Nuit plus seule, plus brune ; Spenta per me la luna, Éteinte à moi la lune, Spente le stelle in ciel. Astres éteints au ciel. Pur di quel pianto origine Des pleurs cependant la source Era l’antico affetto : Était le trouble ancien : Nell’intimo del petto À l’intime du sein Ancor viveva il cor. Vivait encor le cœur. Chiedea l’usate immagini Ma fantaisie cherchait, lasse, La stanca fantasìa ; Ses feintes familières, E la tristezza mia Et ma tristesse amère

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Era dolor ancor. Était encor douleur. Fra poco in me quell’ultimo Très vite en moi cette ultime Dolore anco fu spento, Douleur même fut éteinte, E di far più lamento Et de plus faire plainte Valor non mi restò. La force me quitta. Giacqui : insensato, attonito, Je gisais : muet, stupide, Non dimandai conforto : Sans quérir réconfort : Quasi perduto e morto Comme perdu et mort Il cor s’abandonnò. Le cœur s’abandonna. Qual fui ! quanto dissimile Tel je fus ! que dissemblable Di quel che tanto ardore, De qui si grande ardeur, Che si beato errore Et tant heureuse erreur Nutrii nell’ alma un dì ! En l’âme un jour nourrit ! La rondinella vigile, L’hirondelle vigilante Alle finestre intorno Aux croisées d’alentour Cantando al novo giorno, Chantant au nouveau jour Il cor non mi ferì : Le cœur ne me meurtrit : Non all’autunno pallido Ni dans la pâleur d’automne In solitaria villa, Au solitaire havre, La vespertina squilla, La cloche vespérale, Il fuggitivo Sol. Le Soleil fugitif. In van brillare il vespero En vain je vis briller Vesper Vidi per muto calle, Par de muettes voies, Invan sonò la valle En vain le val sonna Del flebile usignol. Du rossignol plaintif. E voi, pupille tenere3, Vous enfin, tendres prunelles, Sguardi furtivi, erranti, Regards furtifs, errants, Voi de’ gentili amanti Vous des nobles amants Primo, immortale amor, Prime, immortel amour, Ed alla mano offertami Et vous à ma main offerte Candida ignuda mano, Nue et candide main, Foste voi pure invano Votre pouvoir fut vain Al duro mio sopor. Sur mon sommeil trop lourd.

3 Cimarosa.

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D’ogni dolcezza vedovo, Veuf de toutes les douceurs, Tristo ; ma non turbato, Triste ; mais sans débat, Ma placido il mio stato, Mais calme en mon état, Il volto era seren. Mes traits restaient sereins. Desiderato il termine Que ma vie vienne à son terme, Avrei del viver mio ; Je l’eusse désiré ; Ma spento era il desio Mais le désir lassé Nello spossato sen. Était mort dans mon sein. Qual dell’età decrepita Tel de l’âge décrépit L’avanzo ignudo e vile, Le débris nu et vil, Io conducea l’aprile Je conduisais l’avril Degli anni miei così : De mes années ainsi : Così quegl’ineffabili Ainsi ces jours ineffables, Giorni, o mio cor, traevi, Mon cœur, tu les traînas, Che sì fugaci e brevi Que si brefs et fugaces Il cielo a noi sortì. Le ciel nous impartit. Chi dalla grave, immemore Qui donc de ce pesant repos Quiete or mi ridesta ? Sans passé me rappelle ? Che virtù nova è questa, Quelle force neuve est-elle, Questa che sento in me ? Celle qu’en moi je sens ? Moti soavi, immagini, Élans suaves, images, Palpiti, error beato, Émois, heureuse erreur, Per sempre a voi negato Ne serait donc ce cœur Questo mio cor non è ? Toujours pour vous absent ? Siete pur voi quell’unica Êtes-vous bien cette unique Luce de’ giorni miei ? Lumière de ma vie ? Gli affetti ch’io perdei Les troubles que je perdis Nella novella età ? Dans le temps à venir ? Se al ciel, s’ai verdi margini, Soit au ciel, soit aux vertes rives, Ovunque il guardo mira, Où que ma vue s’élance, Tutto un dolor mi spira, Tout m’est une souffrance, Tutto un piacer mi dà. Tout me donne un plaisir. Meco ritorna a vivere Avec moi recommence à vivre La piaggia, il bosco, il monte ; La plage, le bois, le mont ;

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Parla al mio cor il fonte, La source au cœur répond, Meco favella il mar. À moi parle la mer. Chi mi ridona il piangere Qui me redonne les pleurs Dopo cotanto obblio ? En oubli si longtemps ? E come al guardo mio Et à mes yeux comment Cangiato il mondo appar ? Semble autre l’univers ? Forse la speme, o povero L’espoir peut-être, ô pauvre cœur, Mio cor, ti volse un riso ? Te jette un doux regard ? Ahi della speme il viso Las, les traits de l’espoir Io non vedrò mai più. Onc ne les verrai plus. Proprii mi diede i palpiti, Mes propres émois m’offrit Natura, e i dolci inganni. Nature, et doux délires, Sopiró in me gli affanni Les tourments me ravirent L’ingenita virtù ; La native vertu ; Non l’annulàr : non vinsela Sans l’annuler : ne la vainquit Il fato e la sventura ; Sort ni malaventure, Non con la vista impura Ni par sa vue impure L’infausta verità. La sombre vérité. Dalle mie vaghe immagini De mes grisantes rêveries So ben ch’ella discorda : Je sais qu’elle n’a cure : So che natura è sorda, Je sais qu’est sourde nature, Che miserar non sà. Et ne sait s’affecter. Che non del ben sollecita Que du bonheur préoccupée Fu, ma dell’esser solo : Ne fut, mais seul de l’être : Purchè ci serbi al duolo, Sauf au mal nous soumettre, Or d’altro a lei non cal. Elle fait fi de tout. So che pietà fra gli uomini Je sais qu’en la pitié des hommes Il misero non trova ; L’affligé n’a d’appui ; Che lui, fuggendo, a prova Que, fuyant, à l’envi Schernisce ogni mortal. Tout mortel le bafoue. Che ignora il tristo secolo Que ce triste siècle ignore Gl’ingeni e le virtudi ; Les génies, les vertus ; Che manca ai degni studi Que manque à l’œuvre ardue L’ignuda gloria ancor. Même la gloire sans atours. E voi, pupille tremule, Et vous, tremblantes prunelles,

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Voi, reggio sovrumano, Vous, rayon surhumain, So che splendete in vano, Je vous sais resplendir vains, Che in voi non brilla amor. Que ne brille en vous l’amour. Nessuno ignoto ed intimo Nul trouble caché, intime, Affetto in voi non brilla : Ne brille en vous : ne cèle Non chiuda una favilla La plus petite étincelle Quel bianco petto in se. Cette gorge blanche en soi. Anzi d’altrui le tenere Pis, des doux pensers des autres Cure suol porre in gioco ; On aime à faire jeu ; E d’un celesto foco Et d’un céleste feu Disprezzo è la mercè. Le mépris est l’octroi. Pur sento in me rivivere Pourtant, je sens en moi revivre Gl’inganni aperti e noti ; Les délires sûrs, constants ; E de’suoi propri moti De ses propres élans Si maraviglia il sen. S’émerveille mon sein. Da te, mio cor, quest’ultimo De toi, mon cœur, ce suprême Spirto, e l’ardor natio, Souffle, et l’ardeur native, Ogni conforto mio Toute aide en moi active Solo da te mi vien. De toi seul me parvient. Manca, il sento, all’anima Il manque, je pense, à l’âme Alta, gentile e pura, Élevée, noble et pure, La sorte, la natura La chance, la nature, Il mondo e la beltà. Le monde et la beauté. Ma se tu vivi, o misero, Mais si tu vis, toi, misérable, Se non concedi al fato, Sans rien céder au Ciel, Non chiamerò spietato Je ne dirai cruel Chi lo spirar mi dà. Qui me fait respirer.

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Luis de Góngora

Sonetos

Mientras por competir… Mientras por competir con tu cabello, oro bruñido al Sol relumbra en vano, mientras con menosprecio en medio el llano mira tu blanca frente el lillio bello ; mientras a cada labio, por cogello, siguen más ojos que al clavel temprano, y mientras triunfa con desden lozano del luciente cristal tu gentil cuello ; goza cuello, cabello, labias y frente, antes que lo que fué en tu edad dorada oro, lilio, clavel, cristal luciente no sólo en plata o vïola troncada se vuelva, mas tú y ello juntamente en tierra, en humo, en polvo, en sombra, en nada. Dans le temps que pour égaler ta lourde tresse l’or bruni vient briller dans le Soleil en vain, dans le temps qu’au milieu des champs avec dédain toisant le lys gracieux ton front si blanc se dresse ; dans le temps qu’à la fleur de tes lèvres se pressent plus d’yeux pour la cueillir qu’à l’œillet du matin, dans le temps que triomphe en orgueil souverain du lumineux cristal ton col plein de noblesse ; jouis du col, des cheveux, des lèvres et du front, avant que ce qui fut dans l’or de ta saison or brillant, frais œillet, lys, cristal ébloui, non seulement se mue en argent ancien ou viole brisée, mais toi-même avec lui en terre, en brume, en cendre, en poudre, en ombre, en rien.

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De la brevidad engañosa de la vida Menos sollicitó veloz saeta destinada señal, que mordió aguda ; agonal carro por la arena muda no coronó con mas silencio meta, que presurosa corre, que secreta, a su fin nuestra edad. A quien lo duda, fiera que sea de razón desnuda, cada Sol repetita es un cometa. Confiésalo Cartago, y tu lo ignoras ? Peligro corres, Licio, si porfías en seguir sombras y abrazar engaños. Mal te perdonarán a ti las horas ; las horas que limando estan los días, los días que royendo estan los años. De la trompeuse brièveté de la vie Moins n’appéta la véloce sagette en le mordant aiguë, le but marqué ; nul char concurrent, au cirque figé, ne tourna la borne en paix plus complète, que rapide ne court, et que secrète, vers sa fin notre vie. À qui peut en douter, fauve soit-il de raison dénué, chaque Soleil qui revient est comète. Carthage l’avoua, toi tu te leurres ? Tu cours péril, Licius, qui veux toujours poursuivre une ombre, étreindre des nuées. Grand mal auront à t’absoudre, les heures ; les heures qui s’en vont limant les jours, les jours qui s’en vont rongeant les années.

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Antonio Machado

Caminante, no hay camino [Strophes centrales d’un poème célèbre]

Caminante, son tus huellas el camino y nada más ; caminante, no hay camino, se hace camino al andar. Al andar se hace camino y al volver la vista atrás se ve la senda que nunca se ha de volver a pisar. Caminante, no hay camino sino estelas en el mar... Todo pasa y todo queda, pero lo nuestro es pasar, pasar haciendo caminos, caminos sobre el mar. Toi qui chemines, nul chemin Toi qui chemines, tes traces sont le chemin, rien au-delà ; toi qui chemines, nul chemin, on fraie le chemin quand on va. Quand on va on fraie le chemin et à tourner la tête on voit la sente où l’on ne retournera plus jamais y fouler la terre. Toi qui chemines, nul chemin, rien que sillages en la mer… Tout passe et tout reste en place mais c’est passer qui nous requiert, passer en frayant des chemins, des chemins sur la mer.

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El crimen fué en Granada Á Federico García Lorca

1. El crimen Se le vio, caminando entre fusiles, por una calle larga, salir al campo frío, aún con estrellas de la madrugada. Mataron a Federico cuando la luz asomaba. El pelotón de verdugos no osó mirarle la cara. Todos cerraron los ojos ; rezaron : ¡ ni Dios te salva ! Muerto cayó Federico —sangre en la frente y plomo en las entrañas— ... Que fue en Granada el crimen sabed —¡ pobre Granada !—, en su Granada. 2. El poeta y la muerte Se le vio caminar solo con Ella, sin miedo a su guadaña. —Ya el sol en torre y torre, los martillos en yunque— yunque y yunque de las fraguas. Hablaba Federico, requebrando a la muerte. Ella escuchaba. « Porque ayer en mi verso, compañera, sonaba el golpe de tus secas palmas, y diste el hielo a mi cantar, y el filo a mi tragedia de tu hoz de plata, te cantaré la carne que no tienes, los ojos que te faltan, tus cabellos que el viento sacudía, los rojos labios donde te besaban... Hoy como ayer, gitana, muerte mía, qué bien contigo a solas, por estos aires de Granada, ¡ mi Granada ! » 3. Se le vio caminar... Labrad, amigos, de piedra y sueño en el Alhambra,

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un túmulo al poeta, sobre una fuente donde llore el agua, y eternamente diga : el crimen fue en Granada, ¡ en su Granada ! Il y a eu crime dans Grenade À Federico García Lorca

1. Le crime On le vit, cheminant entre les fusils sur une longue route entrer au champ glacé avec encore au ciel les étoiles du petit jour. Ils ont tué Federico lorsque naissait la lumière. Le peloton des bourreaux n’osa le regarder en face. Tous fermèrent les yeux ; prièrent : Dieu même ne te sauve ! Mort s’effondra Federico ─ sang sur le front et plomb dans les entrailles.─ …Que dans Grenade a eu lieu le crime sachez-le ─ pauvre Grenade ! ─, en sa Grenade. 2. Le poète et la mort On le vit cheminer seul avec Elle, sans crainte de sa faux. ─ Déjà de tour en tour le soleil, les marteaux sur l’enclume ─ enclume, enclume dans les forges. Federico parlait, courtisant la mort. Elle écoutait. « Puisque hier dans mon vers, ô ma compagne, sonnait l’écho de tes mains desséchées, que sur mon chant tu répandis ton givre et affilas ma tragédie de ta serpe d’argent, je chanterai pour toi la chair que tu n’a pas, et les yeux qui te manquent, tes cheveux que secouait le vent, les lèvres rouges où l’on te baisait… Aujourd’hui comme hier, gitane, toi ma mort, que je suis bien, seul à seul avec toi, dans cet effluve de Grenade, ma Grenade ! »

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3. On le vit cheminant… Dressez, amis, de pierre et songe en l’Alhambra une stèle au poète, sur la fontaine où pleure l’eau, qui pour l’éternité redise : le crime a eu lieu dans Grenade, sa Grenade !

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En hommage à la République espagnole et aux Brigades Internationales

Líster Jefe en los ejercitos del Ebro Chef des armées de l’Èbre

Tu carta - Oh noble corazón en vela, español indomable, puño fuerte !-, tu carta, heroico Líster, me consuela de esta que pesa sobre mí, carne de muerte. Fragores en tu carta me han llegado de lucha santa sobre el campo ibero ; también mi corazón ha despertado entre olores de pólvora y romero. Donde anuncia marina caracola que llega el Ebro, y en la peña fría donde brota esa rúbrica española ; de monte a mar, esta palabra mía : " Si mi pluma valiera tu pistola de capitán, contento moriría".

Ta lettre – ô noble cœur toujours de veille, espagnol indomptable, le poing fort !-, ta lettre, héroïque Líster, me paye de ce qui pèse sur moi, chair de mort.

Les éclats en ta lettre m’ont touché de lutte sainte sur le sol ibérien ; et mon cœur lui aussi s’est réveillé entre odeurs de poudre et de romarin.

Là où la conque marine avertit que l’Èbre arrive, et sur le rocher froid où cette icône espagnole surgit ; de mont à mer, cette parole à moi :

« Si ma plume valait ton pistolet

de général, je mourrais plein de joie ».

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William Butler Yeats Poems

The sorrow of love The brawling of a sparrow in the eaves, The brilliant moon and all the milky sky And all that famous harmony of leaves, Had blotted out man’s image and his cry. A girl arose that had red mournful lips And seemed the greatness of the world in tears, Doomed like Odysseus and the labouring ships And proud as Priam murdered with his peers ; Arose, and on the instant clamorous eaves, A climbing moon upon an empty sky, And all that lamentations of the leaves, Could but compose man’s image and his cry. La douleur de l’amour Le pépiement d’un moineau sur les faîtages, La lune illuminée, et tout le ciel pâli Et toute l’harmonie propagée des feuillages, Avaient gommé les traits de l’homme avec son cri. Une fille surgit, lèvre rouge endeuillée Qui semblait la grandeur en pleurs de l’univers, Condamnée comme Ulysse et les nefs tourmentées, Fière autant que Priam occis parmi ses pairs ; Surgit ; et à l’instant les si bruyants faîtages, Une lune montant dans un ciel dégarni, Et toute cette lamentation des feuillages Durent créer les traits de l’homme avec son cri.

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When you are old When you are old and grey and full of sleep, And nodding by the fire, take down this book, And slowly read, and dream of the soft look Your eyes had once, and their shadows deep ; How many loved your moments of glad grace, And loved your beauty with love false or true, But one man loved the pilgrim soul in you ; And loved the sorrow of your changing face ; And bending down beside the glowing bars, Murmur, a little sadly, how Love fled And paced upon the mountains overhead And hid his face amid a crowd of stars. Lorsque vous serez vieille Lorsque vous serez vieille et grise, au sommeil prompte, Chef branlant près du feu, prenez ce livre en main, Lisez, lente, rêvant à ce regard serein Qu’avaient jadis vos yeux, et leurs profondes ombres ; Combien alors aimaient vos jours de vive grâce, Aimaient votre beauté par amour vrai ou faux ; Mais un seul homme aima votre âme sans repos ; Aima le chagrin sur votre mouvante face ; Et penchée sur les grilles rouges du vieux poêle, Murmurez, un peu triste, ainsi Amour a fui Arpenté tout au long les monts du haut pays Et dérobé sa face en un monceau d’étoiles.

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To a child dancing in the wind Dance there upon the shore ; What need had you to care For wind or water’s roar ? And tumble out your hair That the salt drops have wet ; Being young you have not known The fool’s triumph, nor yet Love lost as soon as won, Nor the best labourer dead And all the sheaves to bind. What need have you to dread The monstrous crying of the wind ? À un enfant qui danse dans le vent Danse donc là sur le rivage ; As-tu besoin de te soucier Du vent ou de l’onde sauvage ? Et secoue tes cheveux mouillés Par les gouttes salées de l’eau ; Étant jeune tu ne connais Pas le lourd triomphe du sot, L’amour perdu sitôt gagné, Ni mort le meilleur ouvrier Sa gerbe à lier dans le champ. As-tu besoin de redouter Le sanglot monstrueux du vent ?

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Two years later Has no one said those daring Kind eyes should be more learn’d ? Or warned you how despairing The moths are when they are burned ? I could have warned you ; but you are so young, So we speak a different tongue. O you will take whatever’s offered And dream that all the world’s a friend. Suffer as your mother suffered, Be as broken in the end. But I am old and you are young. And I speak a barbarous tongue. Deux ans plus tard Nul ne t’a dit que ces yeux fiers Et doux se devraient plus instruits ? Averti combien désespèrent, En se brûlant, les papillons de nuit ? J’aurais pu t’avertir, mais ton jeune âge Fait que nous parlons deux langages. Oh tu cueilleras ce qui est offert, Et rêveras d’un monde tout ami. Souffriras comme ta mère a souffert, Brisé comme elle où tout finit. Mais je suis vieux, toi du jeune âge. Je parle un barbare langage.

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Death Nor dread nor hope attend A dying animal ; A man awaits his end Dreading and hoping all ; Many times he died, Many times rose again. A great man in his pride Confronting murderous men Casts derision upon Supersession of breath ; He knows death to the bone ― Man has created death. Mort Espoir ni peur n’atteint Un animal qui meurt ; Un homme attend sa fin Dans l’espoir et la peur ; Tant de fois il mourut, Tant de fois il revint. L’homme grand, d’orgueil mu, Face à ses assassins Jette un mépris moqueur Au souffle qui s’endort ; Il sait la mort par cœur ― L’homme a créé la mort.

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Among school children I I walk through the long schoolroom questioning ; A kind old nun in a white hood replies ; The children learn to cipher and to sing, To study reading-books and history, To cut and sew, be neat in everything In the best modern way ― the children’s eyes In momentary wonder stare upon A sixty-year-old smiling public man. II I dream of a Ledaean body, bent Above a sinking fire, a tale that she Told of a harsh reproof, or trivial event That changed some childish day to tragedy ― Told, and he seemed that our two natures blent, Into a sphere from youthful sympathy, Or else, to alter Plato’s parable, Into the yolk and white of the one shell. III And thinking of that fit of grief or rage I look upon one child or t’other there And wonder if she stood so at the age ― For even daughters of the swan can share Something of every paddler's heritage ― And had that colour upon cheek or hair, And thereupon my heart is driven wild : She stands before me as a living child. IV Her present image floats into the mind ―

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Did Quatrocento finger fashion it Hollow of cheek as though it drank the wind And took a mess of shadows for its meat ? And I though never of Ledaean kind Had pretty plumage once ― enough of that, Better to smile on the smile, and show There is a comfortable kind of old scarecrow. V What youthful mother, a shape upon her lap Honey of generation had betrayed, And that must sleep, shriek, struggle to escape As recollection or the drug decide, Would think her son, did she but see that shape With sixty or more winters on its head, A compensation for the pang of his birth, Or the uncertainty of his setting forth ? VI Plato thought nature but a spume that plays Upon a ghostly paradigm of things ; Solider Aristotle played the taws Upon the bottom of the king of kings ; World-famous golden-thighed Pythagoras Fingered upon a fiddle-stick or strings What a star sang and careless Muses heard : Old clothes upon old sticks to scare a bird. VII Both nuns and mothers worship images, But those the candle light are not as those That animate a mother’s reveries, But keep a marble or a bronze repose. And yet they too break hearts ― O Presences That passion, piety or affection knows, And that all heavenly glory symbolise ― O self-born mockers of man’s enterprise ;

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VIII Labour is blossoming or dancing where The body is not bruised to pleasure soul, Nor beauty born out of its own despair, Nor blear-eyed wisdom out of midnight oil. O chestnut-tree, great-rooted blossomer, Are you the leaf, the blossom or the bole ? O body swayed to music, O brightening glance, How can we know the dancer from the dance ?

Parmi les écolières I Je marche dans la vaste salle, à questionner ; Coiffe blanche, une nonne âgée, douce, répond ; Les enfants apprennent à compter, à chanter, À étudier les livres de lecture et d’histoire, À tailler, coudre, en toute chose être ordonnées Selon les plus modernes vues ― les yeux d’enfants Dans un étonnement éphémère s’arrêtent Sur un sexagénaire et souriant monsieur. II Je rêve d’un corps Lédéen, qui se penchait Sur un foyer mourant, et puis à son récit Contant un dur reproche ou quelque banal fait Qui changea certain jour d’enfance en tragédie ― Contant, et nos deux natures semblaient mêlées Dans une sphère de jeunesse en sympathie, Ou pour paraphraser le mythe de Platon, Dans le jaune et le blanc d’une même coquille. III Pensant à cet accès de douleur ou de rage J’observe telle enfant ou bien telle autre ici cherchant si elle était bien pareille à cet âge ―

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Les filles du cygne peuvent tenir aussi Quelque chose de chaque palme en héritage ― Si son teint, ses cheveux avaient ce coloris, Et là-dessus mon cœur bondit d’égarement : Elle est là devant moi comme un enfant vivant. IV Et flotte en mon esprit son image au présent ― Quelle main du Quinzième a fait cette figure Creuse de joue comme un qui aurait bu le vent Et pris une portion d’ombre pour nourriture ? Et moi, quoique jamais de Lédéenne gent, J’avais jadis un fier plumage ― mais suffit, Mieux vaut sourire à tout sourire et que n’y aille Que le genre plaisant d’un vieil épouvantail. V Quelle jeune maman, sur son giron la forme Qu’a dévoilée le miel de la génération, ― Il faut que cela hurle, ou se débatte, ou dorme, Selon qu’ont décidé souvenirs ou potions ― Peut songer que son fils, verrait-elle à la fin Sa forme avec soixante hivers et plus au front, Compense les douleurs causées par sa naissance Ou les appréhensions qui suivent sa croissance ? VI Pour Platon, la nature est écume jouant Sur le fantomatique archétype des choses ; Aristote, de plus de sens, jouait des verges Sur l’arrière-train d’un roi des rois grandiose ; Le très fameux Pythagoras à cuisse d’or Grattait sur un violon-bâton ou sur des cordes Ce qu’un astre chantait aux Muses sans souci : Vieux habits, vieux bâtons pour effrayer les pies. VII Toutes, mères ou nonnes, adorent des images, Mais celles qu’éclaire un cierge ne sont pas celles Qui peuvent éveiller des rêveries de mère, Car l’inertie du marbre ou du bronze est en elles. Pourtant, elles aussi brisent les cœurs ― Présences

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Qui savent la passion, la piété, le zèle Et qui toute gloire céleste symbolisent ― Railleuses nées par soi de l’humaine entreprise ; VIII L’enfantement fleurit ou devient danse si Le corps n’est pas meurtri pour le plaisir de l’âme, Ni la beauté produit de son angoisse intime, Ni la sagesse, yeux brouillés d’huile des soirs. Ô châtaignier, porteur de fleurs fort de racines, Es-tu la feuille, es-tu la fleur ou bien la base ? Ô corps pris de musique, ô regard, rutilance, Qui pourrait distinguer le danseur de la danse ?

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Tóth Árpád

Láng

Eldobtam egy gyufát, s legott Hetyke lobogásba fogott, Lábhegyre állt a kis nyulánk, Hegyes sipkájú sárga láng, Vígat nyújtózott, furcsa törpe, Izgett-mozgott, előre, körbe, Lengett, táncolt, a zöldbe mart, Nyilván pompás tűzvészt akart, Piros csodát, izzó leget, Égő erdőt, kigyúlt eget; De gőggel álltak fenn a fák, És mosolygott minden virág, Nem rezzent senki fel a vészre, A száraz fű se vette észre, S a lázas törpe láng lehűlt, Elfáradt, és a földre ült, Lobbant még egy-kettőt szegény, S meghalt a moha szőnyegén. Nem látta senki más, csak én. Flamme J’ai jeté l’allumette, et sur-le-champ Fringante elle a pris feu, dansant Sur ses pointes dressée, svelte, menue, Flamme jaune au chapeau pointu, Gaie, elle a surgi, nain bizarre, Claquant, craquant de toutes parts, Ondoyé, flotté, mordu l’herbe, Voulant un feu vraiment superbe, Rouge miracle d’air ardent, Forêt calcinée, ciel brûlant ; Mais fiers, très haut, les arbres se dressaient, Et toutes les fleurs souriaient, Nul ne tremblait de ce vacarme, Pas un brin sec qui s’en alarme, La flammèche, fièvre tombée, S’assit par terre, fatiguée,

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Brilla, pauvrette, une ou deux fois, Puis sur la mousse rendit l’âme. Personne ne l’a vue, que moi.

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Esti sugárkoszorú Előttünk már hamvassá vált az út, És árnyak teste zuhant át a parkon, De még finom, halk sugárkoszorút Font hajad sötét lombjába az alkony: Halvány, szelíd és komoly ragyogást, Mely már alig volt fények földi mása, S félig illattá s csenddé szűrte át A dolgok esti lélekvándorlása. Illattá s csenddé. Titkok illata Fénylett hajadban s béke égi csendje, És jó volt élni, mint ahogy soha, S a fényt szemem beitta a szivembe: Nem tudtam többé, hogy te vagy-e te, Vagy áldott csipkebokor drága tested, Melyben egy isten szállt a földre le, S lombjából felém az ő lelke reszket? Couronne du soir La route devant nous déjà s’était cendrée, Et tout au long du parc s’étalaient des corps d’ombres, Le nimbe du couchant couronnait la feuillée, Fin comme une douce voix, de tes cheveux sombres : Cette pâle, paisible et grave nitescence, De la lumière à peine un terrestre reflet, Qu’avait filtrée en mi-odeur et mi-silence La métamorphose vespérale des objets. En odeur et silence. L’odeur des secrets Luisait dans tes cheveux, paix céleste et douceur, Et il faisait si bon vivre, comme jamais, Et de mes yeux coulait la lumière en mon cœur. Et je ne savais plus si toi-même étais toi, Ou si ton corps chéri était buisson béni Où un dieu se posa sur la terre ici-bas, Et si de sa feuillée vers moi l’âme en frémit ? Envoûté je restais là, silencieux, longtemps, Des minutes ont fui, surgi des millénaires, Et puis tu m’as pris par la main, soudainement, Et peu à peu mes yeux absents se sont rouverts.

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Et j’ai alors senti dans mon cœur revenir Et jaillir, profondeur musicale d’un thème, Tel sourd le sang aux voies de veines engourdies, Le sentiment terrestre : à quel point, toi, je t’aime.

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József Attila

Holt vidék Füstöl a víz, lóg a káka kókkadón a pusztaságba Dunnába bútt fönn a magas. Sűrű csönd ropog a havas mezőben. Kövér homály, zsíros, csendes; lapos lapály, kerek, rendes. Csak egy ladik, mely hallhatón kotyog még a kásás tavon magában. Jeges ágak között zörgő időt vajudik az erdő. Csattogó fagy itt lel mohát s ideköti csontos lovát pihenni. És a szőlő. Közbül szilva. A tőkéken nyirkos szalma. Sorakozó sovány karók, öreg parasztoknak valók járkálni. Tanya, – körülötte körbe fordul e táj. A tél körme oldaláról egy keveset repesztgeti még a meszet; eljátszik. Az ól ajtaja kitárva. Lóg, nyikorog, szél babrálja. Hátha betéved egy malac s kukoricatábla szalad csövestül!

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Kis szobában kis parasztok. Egy pipázik, de harasztot. Ezeken nem segít ima. Gondolkodva ülnek im a sötétben. Uraságnak fagy a szőlő. Neki durrog az az erdő. Övé a tó s a jég alatt neki bujnak a jó halak iszapba. Paysage mort L’eau s’embrume, le roseau pend dans la lande nue languissant. Sous l’édredon le mont se glisse. Un lourd silence enneigé crisse par les grands prés. Demi-jour gras, dodu, muet ; bas pays plat, tout rond, parfait. S’entend sur la crème du lac le seul clapotis d’une barque tout isolée. Branches de glace cliquetant, la forêt enfante du temps. Le gel craquant trouve une mousse pour son osseux cheval qu’il pousse s’y reposer. Puis la vigne. Au cœur, des pruniers. Sur les ceps, du chaume mouillé. De maigres piquets à la file, à de vieux fermiers très utiles pour cheminer. Hameau, – autour de lui tournant, le paysage. Sur son flanc l’hiver de son ongle perfore le crépi un peu plus encore ; il se distrait.

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Ouvert tout grand, l’huis de la soue pendille, crie, le vent s’en joue. Si quelque porc s’y égarait, qu’un champ de maïs y courait épis compris ! Petit logis, petits fermiers. L’un fume, mais du foin séché. Vaines pour eux sont les prières. Les voici là, leur esprit erre au fond du noir. Pour le maître la vigne brouit. C’est pour lui que la forêt bruit. A lui le lac et sous la glace à lui les poissons qui s’effacent parmi la boue.

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Falu Mint egy tányér krumplipaprikás, lassan gőzölög lusta, langy estében a piros palás, rakás falucska. . Itt is, ott is karcsú füst − remény − tünődni, merre szálljon, áll kicsit a kémény küszöbén és int a tájon. Akácocskát babrál a homály. A fa telt, kicsi keble beléreszket, csöpp sóhaja száll − levegő-lepke. S körülem, míg elfed hallgatag a lágy borongás bokra, ugatások némán hullanak nagy bársonyokra… …Lámpát gyújtanak az asszonyok. És erőlködve, rángva, égbe röppenne, mint elnyomott lélek, a lángja. El is lobban mind… Egy fény a rét. Az anyás hold-világa elé nyújtja kövér tenyerét egy bodza-ága. Örök boldogság forrása mos egy rekedt, csorba téglát. Smaragd Buddha-szobrok harmatos gyepben a békák. A vadzab, ki kardot vont elő, fejét mélyen lehajtja.

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Most a dicsőség és az erő a repedt pajta… …Benne csend van. Mintha valami elhangzott volna csengve. Fontolni lehet, nem hallani. Nincs, csak a csendje. S ahogy földerül az értelem, megérti, hogy itt más szó nem eshetett, mint ami dereng: eke és ásó. Szó, mert velük szólal a paraszt napnak, esőnek, földnek. Szó, mint szóval mondom én el azt gondos időnek. Szó, mint csecsemőnek a mosoly. Veregetés a lónak. Szó. De tiszta értelmű, komoly tagja a szónak… …Hallgatom az álmodó falut. Szorongó álmok szállnak; meg-megrebbentik az elaludt árnyú fűszálat. Alszanak az egek, a mezők. Ostorok, csizmák, kések. Lombok közt a tiszta, tág közök. S a levélrések. Alszanak a nyers, nehéz szavú, kiszikkadó parasztok. Dombocskán, mint szívükön a bú, ülök. Virrasztok.

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Village Plat de patates au paprika, dans le tiède soir nonchalant où ses lauzes rougeoient, le ramas d’un hameau fume lentement.. Ça et là une mince vapeur — l’espoir— pour rêver par où s’envoler, sur le rebord des cheminées s’attarde et salue toute la contrée. Un court acacia que l’ombre pelote. L’arbre, son petit sein rond en palpite, un soupir menu s’en envole — haleine d’air-papillon. Autour de moi, quand vient m’enveloppant la haie coite d’un tendre trouble, retombent les muets aboiements sur de vastes velours. Les femmes ont allumé la lampe. Crispée par l’effort, convulsée, s’enfuirait bien au fond du ciel sa flamme, comme une âme oppressée. Puis soudain tout s’éteint... Pré de pur éclat. Vers l’alme clair de lune en haut monte tendue la paume grasse de la ramée de ses sureaux. La source d’éternel bonheur lave une brique abîmée, gercée. Smaragdins bustes de Bouddha les grenouilles en la rosée. La folle avoine a dégainé son sabre, la tête très bas inclinée. À présent la puissance et la gloire, ne sont que grange lézardée. … Dedans silence. À croire qu’on ne sait quoi y aurait trouvé résonance. L’évaluer se peut, non le percevoir. Cela n’est pas sinon silence.

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Et le bon sens, aussitôt qu'il s'éclaire comprend qu'ici toute parole ne pourrait dire hors ce qui pointe à peine : charrue et pioche. Paroles, car par elles le paysan parle à soleil, à terre, à pluie. Paroles, comme par paroles je l’apprends aux âges en souci. Paroles, sourire au nouveau-né. Caresse au cheval qu’on cajole. Paroles. Mais de sens clair, avérés exemplaires de la parole. J’écoute le village rêvant. Des rêves d’angoisse y volent qui font frémir et refrémir souvent l’ombre des herbes en leur somme. Dorment les cieux et dorment les champs. Fouets, bottes, outillage. Grands espaces purs à travers les branches. Et l’ouverture des feuillages. Dorment, rudes, les paysans peu bavards, séchés de soleil. Sur un coteau, comme en leur cœur l’ahan, je reste là. Je veille.

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Table des matières

Poème 5

Mémoire nue 6

Éruptions 7

Ville 9

Ville 10

Histoire 11

Ils ont mis à la roue 12

Fusée 13

Le granit qui jauge 14

Fête 15

Rien ne reste 16

Miroir 17

Il le saisit natif naïf 18

Comme l'herbe sur la cendre 19

Regrets 20

Meurtres en Avalon 22

À la cour du roi d’Espagne 23

Chute d’un ange 24

naquit sociable 26

Dualité 27

Très loin des hommes 28

Phare blanc fragile jetée 29

Les prairies dans l'agenouillement 30

Printemps 31

De profundis 32

Essor 33

Alternatives 34

Hasards 35

Gravité 36

Héraclite 37

Meunier, tu dors… 38

Jaillie de la terre et de l'eau 39

Du fond de l'océan démesuré 40

L'impuissance a la douceur 41

Un enfant crie dans son berceau 42

Idéal 43

Dans la fleur rouge 44

Sirène 45

Psyché 46

Grecque 47

Tant de ramure 48

Une étrave antique 49

Après tant d'hommages 50

Algérie 58

Diptyque 51

Échos 53

Végétation 54

320

Maintien de l’ordre 55

Bourreau 57

Cigales 58

Apocalypse

Babylone 59

Cavaliers 60

Jérusalem céleste 61

Jeunesse 62

Et maintenant… 63

Voix d'après le poème 65

Litanies 65

Vive voix 66

Chasse blanche 67

Sublimation 68

Orphée au gouffre 69

Que l’eau se mêle d’oublier 70

Les marins de Thulé 71

Hiver 72

Spagyrie 73

Le ciseau leste 74

Entre l’homme et le roc 75

Révolte 76

Jacob Boehme 78

Forêt 79

hier a pénétré le dessein 80

Offuscation 81

Photographie 82

Cliché 83

L'abîme est à peser 84

Flammes ― d'âpre revers 85

Centrale 87

Toujours vers le soleil 88

Limbes 89

Baladins masques de pendus 90

Contrainte entre la chair 91

Invocation 92

Là-bas le couchant 93

Les harpes du rêve 94

L'arbre est là 96

L'éphémère étale 97

f 98

Interne 99

Jardin 100

Le déluge miroir 101

Ultérieurement 102

Architecture 103

Elseneur 104

Villanelle du sans village 105

Cœur multiple 106

Incarnation 107

321

La main 108

Naissance 109

Portrait 110

Une fille en rouge 111

de quels déserts 112

Un orgueil à l'extrême 113

J'ai transgressé tes eaux 114

Jailli de la rugueuse écorce 115

Par l'orient solaire du creuset 116

Panorama 117

La ville aux fenêtres de vent 118

Beauté 119

Beauté je mets le sceau sur ton silence 120

Le Beau est le portail du terrible 121

Une petite musique 122

L’ordre en orgueil 123

Vêtue de vent tissu 124

et l'opale même de l'eau 125

Art poétique 126

Triolet du point-virgule 127

Douze haïkus de la grenouille 128

Balivernes 129

La solitude adamantine 130

Il pleuvait une froide nuit 131

monde doré comme une idole 132

Écriture 133

Genèse 134

Le temps visqueux se joue de vous 135

Parjure 136

Déicide 137

Au-delà du feu la lumière 138

ici fut dans le temps et lieu 139

Villiers de l'Isle-Adam 140

Ils partirent l'espoir en tête 141

Marine 142

Eldorado 144

Le trésor des chemins 145

Route 146

Tunnel 147

Navire aux astres suspendu 148

la mort un avion traverse l'air 149

Je suis ce peuple 150

Sur le cahier d'écolier 151

Noël neuf et naïf 152

Il n'y a plus de soleil 153

que suis-je hors l'appel 154

La lampe dit pour tous 155

Seul le silence est vraie parole 156

Une passion sans lisière 158

À force de mêler le feu au sang 159

322

Il n'y a pas d'autre soleil 160

Le ténébreux débat de la rosée 161

Il faut sans fin savoir 162

Adam 163

Ève 164

Annonciation 165

autre 166

Germant d'égales profondeurs 167

Charte 168

Il y a les bleus soleils 169

L'horloge caduque étonnait 170

Au fond de moi 171

Le songe seul est un étang 172

La plus massive nuit 173

Nées d'une étreinte énorme 174

La nuit noire se noie 175

L'orage rauque aboie 176

Nouveau-né 177

Rencontre 178

nuit 179

Lit 180

Rondeau du matin 181

Remords 182

La nuit me fait défaut 183

Horloge 184

Ronsard 185

Victor Hugo 186

Mallarmé 187

toi qui crées sans frein 188

Musique inachevée de marbre 189

Combat de l’aube 190

J'ai vu tous tes pas reflétés 191

J'ai crié rouge 192

Éternel 193

et j'errais rebuté 194

La mère et l’enfant 195

Aube 196

Soulèvement 197

Charles Fourier 198

Ferme le monde 199

Vol contre un mur 200

Arche 201

Pourquoi croirais-je à toi 202

Depuis le tapage des trains 203

Triolet du temps 204

Avant qu’il soit longtemps 205

Temps déchiré 206

Ballade du temps qui se joue de nous 207

Loin du soleil 209

Mirages 210

323

Sommeil 211

Confort 212

« Ne te contemple pas 213

Interrogeons l'éclair ― 214

L’An neuf 215

Anadyomène 216

La mer en son abîme 217

Pourquoi je parle de la mort 218

Signalement 220

Poussière oui poussière 221

Je suis entré dans une nouvelle maison 222

Conscience 223

Tapisserie 224

Le démon nous détruit 225

Notre prose est de mort obscure 226

L'angoisse meurt devant l'agneau 227

Après l’Éden 228

Tu parles vainement 229

Fresque 230

Matières 231

nuages 232

Séraphîta 233

Tableau 234

La nostalgie d'un monde clair 235

N'y a-t-il que neige aux aguets 236

Esprit 237

Près du haut rocher 238

Me voici le rival 239

J'ai soulevé vers le soleil 240

Destinées 241

Le vendredi meurt la verveine 242

La flamme a fui 243

La Terre est un nuage oublié 244

Frappée du feu des douze signes 245

Mon âme est instrument de musiques 246

Les choses ne vont pas sans mots 247

L'âme comme embrasée 248

Émeute 249

Ténèbres en affût 250

Vers 251

Implacable de bleu 252

Invisible eau 253

J'ai vécu dans la seigneurie 254

La clémence du roi Marc 255

Autour de moi ont pâli 256

Au fond de la demeure 257

Né de l'abîme 258

Quand l'orage a fini 259

J'aurai regret de vous 260

Phénix au nid fait de rayons 261

324

Quelques traductions de poèmes

Michelangelo Buonarroti Rime

Sonnetto Tu sa' ch'i so, 263

Sonnetto Dimmi di grazia, Amor… 264

Sonnetto Sol pur col foco… 265

Sonnetto Si amico al freddo… 266

Sonnetto Vorrei voler, signor… 267

Sonnetto Sento d’un fuoco… 268

Sonnetto Veggio co’ be’ vostr’occhi… 269

Sonnetto I’ mi son caro… 270

Sonnetto Al cor di zolfo… 271

Sonnetto A che più debb’i’ omai… 272

Sonnetto Ben mi dove’… 274

Sonnetto Perché Febo non torce… 275

Sonnetto O notte, o dolce tempo… 276

Sonnetto Ogni van chiuso… 277

Sonnetto Colui che fece... 278

Sonnetto Non vider gli occhi miei… 279

Sonnetto Per ritornar là donde… 280

Sonnetto Non ha l’ottimo artista… 281

Sonnetto Dal ciel discese… 282

Sonnetto Di morte certo… 283

La Notte 284

Giacomo Leopardi Canti

L’infinito 285

Il Risorgimento 286

Luis de Góngora Mientras por competir… 291

De la brevidad engañosa de la vida 292

Antonio Machado Caminante, no hay camino 293

El crimen fué en Granada 294 Á Federico García Lorca Líster 297

William Butler Yeats

Poems

The sorrow of love 298

When you are old 299

To a child dancing in the wind 300

Two years later 301

Death 302

Among school children 303

325

Tóth Árpád Láng 308

Esti sugárkoszorú 310

József Attila Holt vidék 312

Falu 315

Table des matières 319