Matériaux naturels et éco-responsabilité

35
Renán Calvo DNSEP 2012 Option art domaine art, mention espaces/corps

Transcript of Matériaux naturels et éco-responsabilité

Page 1: Matériaux naturels et éco-responsabilité

Renán CalvoDNSEP 2012

Option art domaine art, mention espaces/corps

Page 2: Matériaux naturels et éco-responsabilité

2

J’adresse mes remerciements aux professeurs et à l’équipe de l’ESAM ainsi qu’à mes collègues et amis qui m’ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. Je voudrais remercier, de façon parti-culière mes professeurs, Jean Jacques Passera, tu-teur, pour son aide pendant tout le suivi de cette étude et Philippe Dufour, pour son importante collaboration.

Page 3: Matériaux naturels et éco-responsabilité

3

Matériaux naturels et éco-responsabilité

Introduction 7

Différentes dimensions de la géoplasticité. 9

• La dimension écologique• Les dimensions politique et sociale

Les différentes manières avec lesquelles les artistesutilisent des matériaux naturels. 16

• In situ. Les artistes qui travaillent “dans” la nature. • À l’atelier. Les artistes qui travaillent “avec” la nature • La participation de la nature dans le processus de l’œuvre d’art

Le caractère processuel et le caractère éphémèrede l’œuvre géoplastique. 25

• L’importance de la photographie.

L’être humain comme partie de la nature(au lieu de l’anthropocentrisme) 30

• L’éco-responsabilité et la responsabilité sociale et politiquedans l’œuvre géoplastique

Conclusion 33

Page 4: Matériaux naturels et éco-responsabilité

4

Page 5: Matériaux naturels et éco-responsabilité

5

Introduction

Après le développement de plusieurs courants dans le mouvement du “Land Art” il est apparu une grande quantité de tendances artistiques qui se caractérisent par l’utilisation de matériaux naturels pour faire des œuvres, mais ces tendances ne peuvent pas être considérées comme une partie du Land Art. Elles ont plutôt trait à ce que Frank Doriac appelle la “géoplasticité”.

Le nombre d’artistes et de techniques mis en relation avec la nature dans l’art contemporain est incalculable. C’est la raison pour laquelle je vais li-miter cette étude à une sphère de trois éléments : argile, bois et pierre. Je considère que ces trois éléments sont très importants dans toute l’histoire de l’art. De l’art de la grotte Chauvet à l’art précolombien de l’Amérique, en passant par l’art moderne, l’arte Povera et les propositions de beaucoup d’artistes contemporains, comme Ana Mendieta, Joseph Beuys, Giuseppe Penone, Andy Goldsworthy ou Richard Long ; l’argile, le bois et la pierre ont été présents.

Pourquoi après l’apparition de tant de medias artistiques et de nouvelles technologies ces trois éléments sont-ils encore utilisés? Quelle est l’impor-tance de ces trois matériaux dans l’art et pour les artistes de ces dernières années? Il est certain que cette problématique va plus loin que la simple malléabilité de l’argile, la beauté du bois ou la solidité de la pierre. Proba-blement l’artiste, qui est surtout “être humain”, a besoin de maintenir une relation avec la nature et son environnement primaire. Il veut s’éloigner un peu de toute la matière, mille fois modifiée, qui inonde les villes et les sature d’artifices que la surconsommation, sous prétexte de progrès, nous présente chaque jour. L’homme est, d’une certaine manière, intoxiqué de plastique, d’alliages métalliques et de matériaux dont il ne connait même pas la composition. Par contre, les matériaux naturels sont liés à l’être hu-main. Le bois rappelle l’arbre, symbole de la vie, de la purification et de la croissance. La pierre nous “parle” de l’énergie et de l’histoire, de l’humanité et de la permanence. Et l’argile, malléable comme nous, nous rappelle ce que nous sommes. Elle nous rappelle que nous pouvons changer mais aussi que nous sommes une partie de la terre. Nous cohabitons avec la nature et nous pouvons être participants et impliqués de ses cycles, sans en abuser. Dans certains lieux de la terre, nous avons modifié la nature à tel point que

Page 6: Matériaux naturels et éco-responsabilité

6

les espaces verts ont pratiquement disparu. Nous nous sommes éloignés de la nature et c’est pour cela peut-être que l’artiste cherche une façon de “re-tourner à la nature”. Non d’une manière romantique mais avec une attitude critique et intelligente, conscient des enjeux qui existent dans la destruction de l’environnement.

Par ailleurs, toutes les œuvres faites avec des matériaux naturels ne sont pas nécessairement écologiques. Il y a aussi des créations artistiques avec une connotation politique, sociale ou spirituelle, par exemple, qu’il vaut la peine d’étudier. C’est à dire qu’il existe plusieurs approches possibles avec lesquelles on pourrait analyser ces matériaux.

Dans ce travail, mon objectif est de découvrir les raisons pour lesquelles les artistes contemporains ont toujours utilisé, ou se sont remis à utiliser des matériaux naturels comme l’argile, le bois et la pierre, pour faire leurs œuvres. Il existe beaucoup de pièces artistiques faites avec ces matériaux sans une dimension écologique, et c’est la raison pour laquelle je voudrais aussi essayer de découvrir de quelle manière l’utilisation de ces matériaux naturels, garantit une attitude éco-responsable ou une dimension politique.

Page 7: Matériaux naturels et éco-responsabilité

7

Différentes dimensions de la géoplasticité

La dimension écologique

La valorisation et le respect de la nature et la bonne utilisation de ses ressources sont quelque chose qui nous concerne tous. C’est pour cela que l’artiste peut trouver une mission très importante dans ce domaine. Il peut vraiment aider à faire prendre conscience de ce que nous avons et de ce que nous tous pouvons perdre en abusant de la nature.

Il existe une vraie confrontation du public avec la nature dans les œuvres de Giuseppe Penone ou Richard Long et bien que l’objectif d’un artiste avec un travail spécifique soit la transmission d’une idée claire ou la présentation d’une œuvre avec une interprétation ouverte, son travail est indubitable-ment “chargé de nature” si on utilise des matériaux naturels. Par exemple, il y a une valorisation des textures et des arômes dans les œuvres de Penone qui contiennent des feuilles d’arbre ou des écorces et une grande estime du paysage dans les photos de Long dans lequel il dessine une ligne avec des pierres qu’il trouve dans chaque lieu.

Mais l’idée d’éco-responsabilité est encore plus forte quand l’artiste s’inté-resse à la relation de l’être humain à la nature, de la nature à la culture, et à la lutte contre la société de consommation, comme c’est le cas de Penone et des autres artistes de l’arte Povera.

Par ailleurs, l’artiste Mark Dion nous présente des dénonciations écolo-giques dans plusieurs de ses créations. C’est le cas de son installation inti-tulée Tar and feathers dans laquelle on peut voir un vrai arbre noirci et détérioré avec un socle de bois qui, au lieu de porter des fruits, porte des ani-maux morts comme un chat, un rat ou des oiseaux. Ces animaux, noircis eux aussi, nous rappellent ces villes où il semble ne pas y avoir d’espace pour la vie. À mon avis, c’est un avertissement très fort, puisque les espèces mortes présentées sont celles qui ont la possibilité de survivre dans une ville où les humains habitent aussi.

Page 8: Matériaux naturels et éco-responsabilité

8

Qui pourrait être capable de convaincre les citoyens d’une ville ou d’un pays de semer des milliers d’arbres ? Un politicien ? Un écologiste ? Une chanteuse ? Un artiste plasticien ? C’est incroyable l’impact que peut avoir une œuvre d’art quand l’artiste arrive à persuader un public. C’est le cas de la colossale œuvre 7000 chênes de l’artiste Joseph Beuys. Réalisation com-mencée pendant la septième “documenta” en 1982, dans la ville de Kassel, en Allemagne. Á mon avis Beuys arrive à intégrer ici l’éco-responsabilité, le temps, le futur, la société et la politique. Il a installé 7000 pierres de basalte en face du musée Fridericianum, et pour terminer cette première phase du projet, a semé un chêne à côté des pierres. Mais c’était seulement le début de son projet. Ultérieurement, il a négocié l’enlèvement de ces pierres, à condition de semer un plant de chêne à côté de chacune d’elles, dans le lieu où elles seraient réinstallées. Cinq ans plus tard, soit un an après la mort de Beuys, le projet prit fin, en devenant une œuvre de dimensions

Tar and feathers, Mark Dion, 1996

Page 9: Matériaux naturels et éco-responsabilité

9

extraordinaires. Avec elle Beuys a réuni le gouvernement, les étudiants, les entreprises et un grand nombre de citoyens dans une même entreprise poli-tico-socio-culturelle. L’artiste n’a pas eu l’opportunité de voir son travail ter-miné mais sans doute était-il conscient de l’importance qu’il aurait. Le résul-tat de cette expérience n’est pas simplement une ville plus agréable semée d’arbres et de pierres. Ce n’est pas simplement un changement d’apparence, mais un changement de conscience. Il s’agit d’une action qui n’est pas ache-vée, continuant à faire prendre conscience aux habitants de l’importance de la reforestation, c’est une voix qui dit que l’éco-responsabilité nous concerne tous. En plus, c’est une œuvre qui parle de l’union des forces, de ce que les êtres humains sont capables de faire en travaillant ensemble. De la relation qui doit exister entre les citoyens et le gouvernement, entre l’étudiant et le politicien, entre l’être humain et la nature, entre l’artiste et la société. Beuys disait que l’on ne devait pas établir des conditions pour enseigner l’art. Cette idée devient puissante lorsqu’elle promeut la participation et la créativité de chaque individu dans les problèmes communs. Il a dit : “Nous avons besoin

Joseph Beuys, 7000 chênes, Frühjahr, Bodelschwinghstrabe, 1984, Cologne, Walther König, 1988.

Page 10: Matériaux naturels et éco-responsabilité

10

de ce sol sur lequel tout homme se ressent et se reconnaît comme créature créatrice, agissant sur le monde. La formule ‘tout homme est un artiste’, qui a suscité beaucoup de colère et que l’on continue à mal comprendre, se réfère à la transformation du corps social. Tout homme peut et même doit, prendre part à cette transformation pour que nous puissions la mener à bien aussi vite que possible.”1

En dernière analyse, le projet 7000 chênes est une de ces œuvres qui litté-ralement “grandissent”. Aujourd’hui ce projet parle du futur et dans le futur il parlera du présent. Un chêne arrive facilement à vivre 600 ans. Toutefois, on en connaît qui ont plus de 1000 ans. Comment sera le monde dans 100 ans ? Quel discours tiendra-t-on sur l’écologie dans 200 ans ?

1 Joseph Beuys, www.lemondedesarts.com/Citations.htm

Joseph Beuys, 7000 chênes, Kassel, Ochsenallee , 1987, Cologne, Walther König, 1988.

Page 11: Matériaux naturels et éco-responsabilité

11

La dimension politico-sociale

L’art a établi de nombreux rapports avec la politique au fil des années de manières différentes et complexes. La relation entre l’art et les autorités gouvernementales est affectée selon la situation socio-culturelle de chaque pays. Quelquefois, l’art a montré son visage le moins libre, pour remplir une nécessité de propagande pendant les élections de partis politiques ou dans des projets de gouvernements totalitaires. D’autres fois, l’artiste n’est pas nécessairement un sympathisant de l’idéologie pour laquelle il travaille. Il se trouve en réalité dans une situation très délicate. Il accepte de travailler pour une idéologie à laquelle il n’adhère pas, pour littéralement se protéger. Par ailleurs, des artistes sont aussi sortis dans la rue pour aider à construire une insurrection contre ceux qui sont au pouvoir.

Expression de respect, civisme, hommage, propagande, opposition, révo-lution. Quelle que soit la façon d’intervenir dans le domaine de la politique, l’art a montré qu’il peut être capable de convaincre. L’art a pouvoir de persua-sion. Dans certaines sociétés par exemple, il s’est développé un courant artis-tique qui consiste en l’expression des idées en utilisant des marionnettes. Cet art, qui peut se manifester dans un théâtre, à la télévision, dans une univer-sité ou même dans la rue, a la particularité de l’immédiateté. À la différence des arts plastiques où l’artiste produit une œuvre et doit “attendre” jusqu’à sa confrontation avec le public, le théâtre de marionnettes parvient à toucher les spectateurs instantanément. C’est la raison pour laquelle ce type de mani-festation artistique a beaucoup été utilisé pour parler de thèmes politiques.

L’artiste, comme n’importe quel citoyen, peut participer avec son opinion

et ses propres moyens d’expression, aux différentes situations politiques et sociales de son pays vécues par son peuple. La question de l’écologie est à mon avis, l’un des domaines les plus importants par rapport à ces thèmes, qui demandent l’attention des êtres humains actuellement. De cette façon là, quand l’art parle d’un problème social, c’est à dire qui affecte les gens et peut avoir une participation directe à une idéologie spécifique, il existe iné-vitablement une dimension politique. Quand l’art dénonce la destruction de la forêt ou la contamination dans la ville, est-ce qu’il s’agit de quelque chose qui intéresse et qui affecte seulement les peuples? Est-ce qu’un gouverne-ment n’a rien à voir avec cette problématique?

Page 12: Matériaux naturels et éco-responsabilité

12

C’est la raison pour laquelle je pense que les problématiques sociales, culturelles et écologiques sont indissociables de la politique. Ainsi, l’artiste est capable de dévoiler une conscience politique par rapport aux thèmes de société. J’ai déjà cité l’œuvre 7 000 chênes de Joseph Beuys avec laquelle il a réussi à avoir la participation du gouvernement dans son projet. C’est un ex-cellent exemple de synergie socio-culturelle et politique entre les forces de l’art, l’état et des habitants pour un projet dont ils seront tous bénéficiaires.

Par ailleurs, il existe des sociétés où l’art est encore un moyen d’expres-sion contre la répression sociale et quelquefois les artistes expriment leur point de vue sur une situation sociale sensible, de façon libre et indépen-dante. Dans beaucoup de situations, leurs œuvres sont un cri constant qui maintiennent leurs discours de façon permanente.

Le travail de beaucoup d’artistes a toujours eu une relation très forte avec son temps. Pendant le postmodernisme, en opposition au modernisme, on a cherché le pluralisme. C’est à dire l’acceptation de toutes les différentes positions et manières de penser, et aussi l’éradication de la marginalisation sociale. Certainement, cette idéologie a influencé les différentes expressions de l’art pendant plusieurs années. Nombre d’artistes représentants de l’art visuel, de la littérature, de la musique, et même du cinéma essaient de faire prendre conscience du respect dû aux autres. Malheureusement, ce thème et d’autres, reliés à la condition humaine, ne sont pas une chose uniquement propre aux sociétés développées pendant la modernité. Aujourd’hui la mar-ginalisation, l’abus de pouvoir, l’aliénation et les malheurs qui conduisent l’être humain vers l’isolement et la solitude, sont encore présents dans le monde. C’est là où l’artiste plasticien contemporain peut se manifester en proposant des réflexions avec ses œuvres. Mais ce qui donne à cette œuvre la dimension éco-responsable et avec elle, une position politiquement correcte, c’est ce qui est dit avec les matériaux : le concept, la réflexion, l’intention. Et cette réflexion par rapport à l’écologie et la politique en utilisant des repré-sentations de la nature, comme valorisation ou destruction de celle-ci, reste possible.

Par exemple l’artiste indien Amar Kanwar a réalisé une œuvre pour l’ex-position d’art contemporain “Paris-Delhi-Bombay” présentée au Centre Pom-pidou pour laquelle il n’a pas utilisé de matériaux naturels mais des images de la nature. Ici à mon avis, il y a sans doute une connotation politique

Page 13: Matériaux naturels et éco-responsabilité

13

puisque il s’agit de quelque chose qui affecte énormément son pays et son peuple. C’est une installation-vidéo avec des images d’une région de l’Inde victime des exploitants industriels dans l’état de l’Orissa. Cette œuvre, qui s’appelle La scène du crime, fait prendre conscience d’une situation parti-culière. Dans ce cas, il s’agit d’un désastre écologique tragique. Kanwar pro-pose avec un langage poétique, une série de paysages naturels et situations ou éléments quotidiens placés dans un lieu avec beaucoup de ressources naturelles, et qui vont disparaître à cause des spéculations des exploitants indiens et étrangers. Pour cet artiste, c’est une guerre contre leur propre terre, contre leurs propres forêts et contre leur propre peuple. Ce travail m’a intéressé d’une manière spéciale car il m’a rappelé mon propre pays, le Costa Rica. C’est à dire que, cette œuvre a une connotation mondiale. Bien qu’elle ait été réalisée dans une région spécifique de l’Inde, elle parle d’une problématique qui affecte le monde entier : la déforestation sous prétexte de l’économie nationale d’un pays. Au Costa Rica les entreprises internationales hôtelières dévastent les forêts tropicales en détruisant les habitats d’espèces animales uniques au monde comme les mangroves, écosystèmes complexes des littoraux tropicaux.

Amar Kanwar, La scène du crime, 2011. Installation-video env. 40’

Page 14: Matériaux naturels et éco-responsabilité

14

Les différentes manières avec lesquellesles artistes utilisent des matériaux naturels

Les différentes manières avec lesquelles les artistes géoplasticiens uti-lisent les matériaux naturels sont très nombreuses, mais on peut diviser cette importante gamme de techniques et de processus en deux principaux genres. D’un côté, il y a les géoplasticiens qui travaillent avec la nature. Ils récupèrent divers matériaux naturels et, à l’égal d’autres artistes, travaillent dans leurs ateliers pour les modifier légèrement ou en profondeur. Souvent, les œuvres issues d’un projet de ce type, ont la possibilité d’être montrées dans plusieurs endroits différents, même si elles ne sont pas considérées comme des objets. C’est à dire qu’elles peuvent être installées et désinstal-lées plus d’une fois sans cesser d’être la même pièce. D’un autre côté, il y a des artistes qui travaillent dans la nature. Ils vont à différents endroits comme la montagne, la plage, le désert ou les rivières et au lieu de collecter les matériaux pour les emporter dans leurs ateliers, ils développent leurs projets dans les lieux même où ils ont trouvé ces éléments. De cette façon là, ils ont une grande liberté de création et un espace pratiquement illimité pour travailler. Les œuvres sont alors souvent éphémères et ont besoin de la photographie ou de la vidéo pour avoir la possibilité d’être montrées au public. C’est dans le chapitre “Le caractère éphémère de l’œuvre géoplas-tique” que ce thème est développé. Mais dans la discipline où les œuvres sont travaillées in situ, il y a d’importantes créations monumentales qui résistent à l’action du temps et des intempéries, donnant la possibilité au public de les admirer longtemps après leur réalisation.

Il convient de souligner que les artistes qui réalisent des projets dans ces espaces naturels ne se consacrent pas nécessairement uniquement à cette pratique. Ils peuvent élaborer aussi des œuvres dans leurs ateliers et à contrario, les plasticiens qui préfèrent leur propre espace de travail pour développer leurs créations, peuvent quelquefois prendre la décision de res-ter dans la nature à travailler. Afin de poursuivre, je vais décrire quelques exemples de chaque genre.

Page 15: Matériaux naturels et éco-responsabilité

15

À l’atelier. Les artistes qui travaillent “avec” la nature

D’abord, pour illustrer le travail qui est réalisé à partir d’éléments récoltés dans la nature, je voudrais parler une fois encore de l‘artiste italien Giuseppe Penone. Son œuvre Respirer l’ombre de 1999 est élaborée avec plusieurs cages métalliques qui contiennent des feuilles de laurier. Ce projet donne la possibilité au public qui arrive à la galerie de se confronter avec des éléments de la nature. Il n’y a pas ici une représentation de la nature, mais une présen-tation de fragments d’elle-même. Il s’agit de vraies feuilles d’arbres qui font vivre au spectateur une expérience non seulement visuelle mais également olfactive. Étant donné que ces feuilles n’ont pas exactement la même cou-leur et évidemment n’ont pas non plus la même position par rapport au plan du mur, les cages, construites avec les proportions du nombre d’or, donnent une constante vibration tonale. D’un autre côté, cette grande quantité de végétation qui sent l’arôme du laurier transporte le public directement dans un espace naturel. Cette pièce contient aussi une petite sculpture de bronze qui représente des poumons humains. Ce détail nous parle de la relation intime et indissociable entre l’être humain et la nature, caractéristique très importante dans l’œuvre de Penone, et en l’occurrence l’inspiration et l’expi-ration donnent la fonction de humer. De même, on peut découvrir ici la valorisation de l’aspect purificateur de la nature.

Giuseppe Penone, Respirer l’ombre. 1999

Page 16: Matériaux naturels et éco-responsabilité

16

In situ. Les artistes qui travaillent “dans” la nature

Par ailleurs, un des premiers artistes qui a fait “sortir” l’art des galeries et musées pour le développer amplement dans la nature, est l’artiste étasunien Robert Smithson, considéré aussi comme un des plus grands représentants du Land Art. Sa monumentale œuvre Spiral Jetty élaborée en 1970, qui existe encore aujourd’hui, nous montre la vision de cet artiste qui a développé un concept de l’art comme une forme d’expression non seulement possible à l’intérieur d’espaces architecturaux d’exposition, mais avec le potentiel aussi de prendre de l’ampleur à l’extérieur des villes . C’est un excellent exemple de projets créés dans la nature. Il s’agit d’un ensemble d’éléments naturels comme la pierre, les cristaux de sel, la terre, les algues et la boue, mais aussi quelques décombres, déchets et ferrailles de vieux bateaux, qui forment une énorme spirale de 457 mètres de long. Le concept “d’œuvre-site” est fonda-mental dans ce travail parce que, comme l’a dit Doriac, “l’œuvre est aussi le lieu, car elle est composée de ses matériaux naturels”2. Il est aussi important de souligner que dans ce cas, il ne s’agit pas d’une œuvre qui se trouve dans l’eau, mais d’une œuvre composée aussi avec de l’eau.

À mon avis, un autre aspect très important ici est la question du dépla-cement, concept d’envergure dans l’art postmoderne et contemporain. Que l’artiste se soit déplacé à un endroit très éloigné, pour construire un projet inapproprié à l’espace de l’atelier, du musée ou de la galerie donnant la pos-sibilité réelle au visiteur de marcher à travers l’œuvre pendant un temps indéfini.

En effet, la question de la mobilité commence à l’instant même où l’ar-tiste cherche un endroit éloigné des espaces conventionnels pour dévelop-per un projet “in situ”. Dans ce cas, Smithson a choisi le Grand Lac Salé dans l’Utah pour élaborer l’œuvre. Il s’agit d’un lac avec des eaux peu profondes qui a été considéré par lui comme le lieu parfait pour développer un projet de ce type. Ce lac a en plus la particularité de sa coloration rouge due au fait qu’il existe là des micro-organismes. A cet endroit, il a déplacé tous les maté-riaux vers l’eau à l’aide de moyens techniques peu conventionnels, en terme de processus et de machines-outils typiques de l’art lié au “White Cube”, comme des tracteurs, pelles mécaniques ou bennes.

2 Frank Doriac, Le Land Art... et après, Paris, L’Harmattan, 2005.

Page 17: Matériaux naturels et éco-responsabilité

17

Il a ainsi construit le chemin de 4.50 mètres de large qui donnerait forme à la spirale. Cette forme n’était pas fortuite, elle a été inspirée par le lieu même, par la sensation que l’artiste a ressenti en se promenant sur la rive du lac, pendant son premier voyage. Il en a dit “Ce site était un système rotatif s’enfermant lui même dans une immense rotondité”.3

Par ailleurs, dans beaucoup de cas le public d’un musée ou d’une gale-rie a la possibilité de se poser en face d’une œuvre d’art, ou dans le cas des sculptures, de marcher un peu pour la voir depuis différents angles. Mais ici le spectateur est invité à entrer dans la sculpture. Il est capable d’être dans l’espace même de l’œuvre. Et bien que le public ne puisse pas être très nombreux pour une question de difficulté d’accès, il est sûr que la partici-pation du spectateur ne se limite pas à la contempler mais à vivre une vraie expérience de mobilité en marchant sur cette chaussée qui est à l’intérieur de cette “immense rotondité”, comme Smithson a nommé ce spectaculaire espace naturel. De cette façon là, le spectateur se trouve dans une “œuvre-site” dans laquelle il n’y a plus une représentation de la réalité ou une illu-sion de mouvement, mais une pratique réelle du déplacement. Il marche “dans” l’œuvre. Smithson reprend aussi cette idée de déplacement dans le film qu’il a réalisé sur sa spirale. Il offre au spectateur un voyage par le che-min de pierre, de cristaux et de boue en jouant avec la question du temps et du changement de vitesse, avec l’aide du ralenti.

Je pense que Spiral Jetty peut être interprétée comme le chemin de l’être humain qui se cherche lui-même et réussit à se trouver, non pas dans les grandes villes avec ses cubes fermés de béton ou dans les artifices industria-lisés, mais dans la terre, dans l’eau, dans les pierres, en un mot dans la nature à laquelle il appartient. Et comme il l’a dit, en expliquant sa forme spirale, c’est le chemin de l’homme qui avance mais s’approche de son origine. Il marche sans oublier qui il est vraiment.

Spiral Jetty existe encore aujourd’hui. Même si elle avait été submergée pendant un long moment, une sécheresse a donné l’opportunité de la voir à nouveau. Elle est certainement exposée aux changements de la nature, mais à mon avis, on ne doit pas voir ce fait comme quelque chose de négatif, mais comme une caractéristique propre à cette œuvre, et à toutes les œuvres éla-borées dans les espaces naturels.

3 Robert Smithson, Robert Smithson: The Collected Writings, Los Angeles, University of California Press, 1996.

Page 18: Matériaux naturels et éco-responsabilité

18

Page 19: Matériaux naturels et éco-responsabilité

19

Page 20: Matériaux naturels et éco-responsabilité

20

Smithson a aussi créé d’autres sculptures gigantesques in situ qui traitent de la question du déplacement, comme Broken Circle/Spiral Hill de 1971, construite à Emmen, aux Pays-Bas et élaborée avec des matériaux naturels comme du sable, de la terre, des pierres et de l’eau. Avec cet ensemble sculp-tural, l’artiste a initié l’idée de la “régénération comme sculpture”. Idée qu’il a essayé de continuer, mais ce n’est qu’après sa mort accidentelle à l’âge 35 ans, que d’autres artistes et institutions ont reprit l’idée.

En outre, cet artiste a conçu la dialectique ”site et non-site” avec laquelle il a développé une série d’œuvres pour lesquelles il s’est déplacé en diffé-rents espaces naturels, où il a récolté des matériaux comme des pierres et de la terre. Il s’agit du déplacement d’éléments représentatifs d’un lieu naturel, grand et vaste à un autre endroit plus petit et fermé, en montrant ces frag-mentations de l’espace naturel pour élaborer un “non-site”, un conteneur qui donne au public la possibilité d’avoir une confrontation avec les éléments réels d’un autre espace. Et de cette façon, avec l’espace lui même. C’est une évocation d’une autre réalité, d’un autre lieu, avec lequel il dialogue et vers lequel le public est d’une certaine façon, transporté.

Pages précédentes et ci-dessus: Robert Smithson, Spiral Jetty, 1970.

Page 21: Matériaux naturels et éco-responsabilité

21

La participation de la nature dans le processus de l’œuvre d’art

La perception que chaque société a de la nature n’est pas exactement la même, puisque sa participation à notre vie change selon l’endroit où l’on demeure. Chaque groupe humain trouve sa manière de cohabiter avec la na-ture. Nature, au sens le plus large du terme. C’est à dire, non seulement avec le règne végétal, mais aussi avec les phénomènes naturels : les changements de température, la pluie, la neige. Ces cœxistences et dépendances varient dans chaque pays. Au Costa Rica, par exemple, il ne neige jamais et la tem-pérature la plus basse au centre de la capitale est de 15 degrés. En revanche, on doit s’habituer à la pluie. Il pleut presque tous les jours pendant six mois. Ces phénomènes naturels affectent aussi le travail de l’artiste. Souvent, il doit s’arranger pour empêcher que la nature détériore ses projets, surtout quand il travaille à l’extérieur. Cependant, certains géoplasticiens ont trou-vé une manière “d’inviter” la nature à participer à leur œuvre. Pourquoi se battre avec elle, si elle peut nous aider ? Et naturellement, elle a beaucoup de potentiel et elle ne cesse pas de nous surprendre.

L’artiste Giuseppe Penone est un exemple probant des plasticiens qui ont fait intervenir la nature directement dans le processus de leurs œuvres. Selon lui, “L’arbre est une matière fluide, qui peut être modelée.”4 et il l’il-lustre dans son œuvre “Il poursuivra sa croissance sauf en ce point”, ce pro-jet débuté en 1969 par Penone et poursuivi par la nature, consiste en une pièce de bronze moulée de sa propre main et déposée dans un jeune arbre. Évidemment, l’arbre a grandi, en enveloppant la main qui le tenait. Il s’agit d’une œuvre qui se transforme par la nature, un peu chaque jour, pendant plus de quarante ans. Au cour du temps, l’arbre a complètement entouré la main de l’artiste, qui sans doute modifie les rayons du duramen en dessinant une histoire secrète dans les entrailles du grand végétal. Je pense que cette pièce nous parle de la relation de l’être humain avec la nature. Ici, homme et arbre deviennent la même chose. Si nous trouvons la manière de vivre avec elle, au dedans d’elle, elle nous accueille. Nous sommes une partie de la nature. Peut-on penser qu’il soit possible de détruire la nature sans détruire tout ce qui est dans ses entrailles ?

4 Guiseppe Penone, entretien par Carherine Granier et Annalisa Rimmaudo. 2004

Page 22: Matériaux naturels et éco-responsabilité

22

Le même artiste a construit aussi le projet Pierre, corde, arbre en 1968, qui consiste en un arbre et une dalle de pierre liés par une corde végétale. Cette œuvre se modifie radicalement avec les changements climatiques, la corde se contracte avec la pluie, en tirant sur la pierre et en la soulevant. Je pense que cette pièce propose une réflexion par rapport à la relation entre nature, temps, vie et énergie. En plus, la participation directe de la nature dans l’œuvre d’art nous fait penser aussi à sa place dans tous les processus et activités de l’être humain.

C’est le cas aussi de la sculpture déjà mentionnée Spiral Jetty de Robert Smithson. Cette œuvre a été immergée pendant beaucoup de temps dans les eaux du Grand Lac Salé de l’Utah. Elle “sort” du lac de temps en temps à cause des sécheresses. À mon avis, les immersions et émersions de Spiral Jetty nous rappellent que l’être humain a une dépendance directe avec la nature. Toutes les œuvres faites par l’homme sont dans la terre. Tout ce que nous avons fait et tout ce que nous allons faire se trouve et se trouvera ici, dans notre monde. L’art peut quelquefois, nous aider à réfléchir sur ce rap-prochement.

Giuseppe Penone,Il poursuivra sa croissance sauf en ce point, 1969

Page 23: Matériaux naturels et éco-responsabilité

23

Le caractère processuel et le caractèreéphémère de l’œuvre géoplastique

L’importance de la photographie

Il importe à beaucoup d’artistes d’avoir une trace photographique de leur travail. Pas seulement du travail terminé, mais du processus. Certains aiment faire appel à un professionnel, d’autres préfèrent s’en remettre à eux-mêmes. Souvent, il s’agit simplement d’avoir un catalogue personnel, ou d’utiliser les photos comme un outil dans l’évolution de l’œuvre. Elles aident l’artiste à penser, à réfléchir, à modifier la pièce. L’œuvre est physique, tan-gible, existant dans un endroit déterminé, et la photographie se fait simple témoignage ou un recours technique dans le processus.

Mais, que se passe-t-il quand l’œuvre est quelque chose d’éphémère, construite dans une montagne, dans une forêt, sur une plage ? Quelle est l’importance de la photographie dans ces processus ? Quel est son but ? L’ar-tiste Andy Goldsworthy par exemple, fait des œuvres dans des espaces natu-rels avec des feuilles et branches d’arbre ou pierres qu’il trouve dans le lieu même où il travaille, en jouant quelques fois avec les différentes couleurs de la nature. Cette pratique de l’éphémère, amène l’œuvre à disparaître peu de temps après. Peut-on alors dire que la photographie est le témoignage d’une œuvre disparue ou bien qu’elle est l’œuvre elle même ?

Andy Goldsworthy, River stones supported by hazel sticks, 13 de setembre de 1982

Page 24: Matériaux naturels et éco-responsabilité

24

Richard Long représente aussi un bon exemple de ce type de processus. Une partie de son travail consiste en l’élaboration de pièces réalisées direc-tement à l’endroit où les matériaux sont prélevés. Ici, le processus artistique commence souvent une fois que l’artiste arrive dans un lieu spécifique, sans ébauches ou planifications d’un projet déterminé. Long fait des lignes ou des cercles avec ces pierres qui nous rappellent le monde et l’être humain comme une parti de la nature.

Sans doute qu’aucun de ces artistes qui pratiquent l’art éphémère n’aspire à ce que l’œuvre soit admirée à l’endroit même de sa réalisation. C’est là où la photographie prend une place essentielle. C’est d’abord, la manière par la-quelle l’artiste peut montrer son travail et dans beaucoup de cas, elle devient l’œuvre même par les choix de composition et d’exposition du photographe.

L’artiste américano-cubaine Ana Mendieta par exemple, a développé nombre de projets éphémères anthropomorphes dans différents types de sols comme l’herbe, la terre, le sable ou le bord d’une rivière. Mendieta mo-difie légèrement la nature avec les éléments qu’elle trouve sur place ou grâce au dessin de traces sur la surface du sol.

Richard Long, A Line in Scotland. 1981

Page 25: Matériaux naturels et éco-responsabilité

25

Ses projets, impressions de son propre corps qu’elle appelait Siluetas ou silhouettes, vont se fondre rapidement avec le sol et c’est la raison pour laquelle ses photographies ne deviennent pas seulement enregistrement du processus, mais œuvres d’art. Elles nous parlent de la relation très proche de la femme et de l’homme avec la nature, le dialogue entre le corps féminin (symbole de fertilité et de maternité avec la “Mère Terre”). Dans une de ses œuvres de la série “Árbol de la vida” Mendieta incorpore son corps comme matériau de travail. Elle le recouvre avec de la boue et se pose en face d’un grand arbre. L’écorce de l’arbre et la boue deviennent un, dans une œuvre qui possède aussi une dimension spirituelle. La femme de boue qui nous rappelle la création de l’être humain, émerge de la terre à l’abri de l’arbre, symbole de vie.

Ana Mendieta, Árbol de la vida, 1976.

Page 26: Matériaux naturels et éco-responsabilité

26

Un autre artiste qui, à mon avis, donne à la photographie une place fondamentale, est Nils Udo. Ses sculp-tures monumentales ont une valeur artistique propre, comme ce qu’il fait avec des branches d’arbre en forme de nids géants. Par la photographie, Il nous montre aussi des instants fugaces de la nature, à peine modifiée avant de l’éterniser par l’image. Comme c’est le cas de ses petites œuvres élaborées avec des fleurs, mais même dans le cas de sa grande œuvre Clemson Clay Nest, la photographie reste un témoignage très important puisque l’œuvre a été démon-tée en 2007, parce qu’on la considérait dangereuse pour le public.

Mais les photos de ces artistes ne sont pas simplement une capture de la nature comme peut le faire n’importe quelle personne curieuse. La chose la plus importante ici est le discours, le fond, c’est la valorisation de l’envi-ronnement et la réflexion de l’artiste sur la relation de l’être humain à la nature. C’est le cas de l’artiste néo-zélandais Martin Hill qui affirme que son art est une réponse à l’environnement dont il est fait, et auquel il retourne, puisqu’une fois qu’il prend ses photographies, ses œuvres sont absorbées dans le cycle naturel, sans abîmer la nature. Elles sont transformées par les processus naturels en nutriments biologiques et à partir desquels il pous-sera une vie nouvelle. Il dit que la seule chose qu’il prend vraiment de la nature sont ses photographies. Hill utilise souvent la forme du cercle ou de la sphère, qui selon lui, évoque le système cyclique de la nature, avec lequel nous devons être en équilibre et duquel nous sommes partis. Son admirable sculpture Kanuka sphere par exemple, consiste en une demi-sphère construite à partir de branches flexibles d’arbre de Kanuka, posée dans l’espace formé par l’eau d’un lac en Nouvelle Zélande. Le reflet de l’eau “complète” la sphère, comme si la nature voulait prendre parti directement dans la construction de l’œuvre, encourageant l’effort de l’artiste à retrouver et intégrer les cycles naturels dans la vie des êtres humains.

Nils-Udo, Clemson Clay Nest, 2005.

Page 27: Matériaux naturels et éco-responsabilité

27

Martin Hill, Kanuka Sphère. 2005

Ana Mendieta, Árbol de la vida. 1973

Page 28: Matériaux naturels et éco-responsabilité

28

L’être humain comme partie de la nature(au lieu de l’anthropocentrisme)

L’éco-responsabilité et la responsabilité socialeet politique dans l’œuvre géoplastique

L’utilisation des matériaux naturels dans l’art est très vaste. Depuis le début des premières manifestations artistiques, jusqu’au développement de la grande variété de pratiques géoplastiques actuelles, ces matériaux ont été travaillés. Mais est-ce que la simple présence ou la simple application des matériaux naturels dans l’art a une dimension écologique ? Ou critique? Souvent, la raison pour laquelle l’artiste choisit ces matériaux, est leur no-blesse et leur apparence et non nécessairement pour les différentes conno-tations avec lesquelles ils peuvent être chargés. Dans certaines sculptures par exemple, il existe une valorisation esthétique du bois, mais non pas une valorisation symbolique ou de connotation écologique.

Par ailleurs, la pierre est aussi souvent choisie par les artistes pour ses qualités physiques. Elle est très forte et résistante, elle peut être exposée à l’extérieur sans aucun problème, et de même que le bois, elle peut être très agréable à l’œil humain. Le marbre par exemple, est sans doute un minéral énormément estimé, surtout dans les pratiques artistiques classiques. Mais il y a quelque chose dans les expérimentations géoplasticiennes contem-poraines qui va beaucoup plus loin que la simple condition mercantile de l’œuvre d’art, qui fait réfléchir, qui fait prendre conscience, qui cherche un changement de notre mentalité.

De quelle manière l’utilisation de ces matériaux naturels, ou même la seule présence d’eux dans l’art, garantit une attitude éco-responsable ou poli-tiquement correcte ? Qu’est-ce qu’il y a dans certaines œuvres géoplastiques qui dénonce la destruction de la forêt ? Est-ce la simple présence du bois ? Quel élément porte la dénonciation ? Qu’est-ce qui la rend différente ? Dans le cas de l’art figuratif, par exemple, l’intention de l’artiste se déve-loppe grâce à la maîtrise du matériau. Son discours peut être très clair, il peut même être très descriptif, mais dans ce cas : quelle est l’importance du matériau naturel ? Si cette pièce était faite en un matériau artificiel,

Page 29: Matériaux naturels et éco-responsabilité

29

provoquerait-elle exactement la même im-pression dans le public ? Est-ce que le concept resterait intact ? Probablement, si l’idée de l’artiste se base sur la forme, la présence d’un matériau spécifique n’est pas fondamentale.

Également, la simple utilisation du bois par exemple, ne détermine au-cun type de réflexion. Il est en fait énormément présent dans l’art moderne et contemporain, même dans les socles des sculptures et dans la décoration des salles des galeries et musées, d’autant plus qu’il est très exploité dans l’architecture de la ville. En plus, on peut affirmer sans doute que, dans la plupart des cas, ces éléments de bois peuvent être construits de n’importe quel autre matériau, sans faire tomber sa fonctionnalité, ou sans changer même son apparence, surtout quand il est caché par de la peinture.

Joseph Beuys, 7000 chênes. Schloss Moyland, 2005<---Joseph Beuys, 7000 chênes. Premier chêne, 1982

Page 30: Matériaux naturels et éco-responsabilité

30

Par contre, il y a des œuvres d’art qui contiennent du bois d’une manière beaucoup mois arbitraire. Il y a par exemple, des expérimentations artis-tiques dans lesquelles il existe des arbres vivants. C’est le cas des œuvres de Giuseppe Penone, David Nash, Joseph Beuys ou Andy Goldworthy. Quel élément pourrait être à la place d’un arbre vivant dans une œuvre d’art ? Il est vrai qu’on peut rencontrer des artistes capables de reproduire un arbre, de faire une réplique identique avec des matériaux artificiels, suffisamment semblables à un vrai arbre pour tromper le public. Est-ce que l’œuvre aurait la même signification ? Est-ce qu’on peut parler de la valeur de la nature avec un arbre de résine et de fibre de verre ? Est-ce qu’on peut parler de la relation de l’être humain avec l’environnement en utilisant de feuilles de plastique ? Est-ce qu’on peut présenter la nature au public avec des pierres de polystyrène expansé ?

Même si l’arbre est déjà coupé, on trouve un très puissant concept dans certaines créations qui sont élaborées avec du bois. Giuseppe Penone a fait plusieurs œuvres en travaillant avec de grosses pièces de bois passées par les machines de la scierie. Il s’agit d’un travail très méticuleux dans lequel

Penone “retrouve” l’arbre qu’il y avait dans ces pièces de bois. L’œuvre parle de l’industria-lisation, de l’exploitation du bois, de la récupération de la forêt. Est-ce qu’elle peut avoir la même force significative avec une forme similaire faite artificiellement ?

Giuseppe Penone, Répéter la forêt,1969-1997

Page 31: Matériaux naturels et éco-responsabilité

31

Conclusion

Les matériaux naturels ont longtemps été présents dans les œuvres d’art. Les raisons pour lesquelles les artistes décident de travailler avec du bois, de la pierre ou de la argile, sont très diverses. Certaines fois cette décision dépend simplement de la beauté des matériaux ou de leur malléabilité, ou encore de la sensation agréable d’être en contact avec eux. Mais il existe certainement des œuvres d’art élaborées avec des éléments naturels qui ont une dimension différente, une dimension éco-responsable. Il s’agit d’œuvres dont la force significative fait prendre conscience au public de sa relation avec la nature.

De plus, la valorisation de la nature peut être présente dans un projet artistique aux dimensions gigantesques, mais aussi dans des œuvres plus petites construites de graines, feuilles d’arbre ou branches, ou encore dans des installations réalisées avec des matériaux naturels comme la terre, le sable ou le pollen. Mais il est aussi possible de faire réfléchir le public par le biais d’une nature détruite comme c’est le cas de quelques artistes contempo-rains: bois brûlé ou animaux morts par exemple. C’est ainsi qu’ils ont trouvé un langage pour transmettre leur discours et dénoncer la destruction de la nature, l’autodestruction. Les plasticiens qui travaillent avec la valorisation ou la destruction de ces éléments, le font avec la conscience qu’il s’agit de quelque chose qui va toucher et affecter la postérité.

L’artiste peut utiliser la pierre d’une manière décorative dans une sculp-ture, mais il est capable d’amener la vision de la montagne au spectateur par les fragmentations de pierre qui font son œuvre. Il peut lui faire prendre conscience de l’importance de l’espace naturel que son œuvre évoque et du dialogue qui existe entre lui et cet espace. C’est une manière de mettre en évidence le potentiel de la nature et en même temps, d’éduquer le public aux conséquences de sa destruction.

Le plasticien contemporain à travers ses propositions peut être l’inves-tigateur d’une mission importante pour l’écologie. Il peut non seulement s’accrocher au lien entre la nature et lui-même, mais aider le spectateur à prendre conscience de son propre lien avec la nature. Cette valorisation de

Page 32: Matériaux naturels et éco-responsabilité

32

l’environnement est présente dans ces œuvres réalisées en ateliers, dans un musée ou en galerie, ou encore dans les projets travaillés “in situ”. De pe-tites ou grandes dimensions, elles présentent les éléments dans les espaces auxquels elles appartiennent et ce parfois sous forme photographique. Ces photos ne sont pas de simples témoignages ou recours techniques, mais pro-voquent une réflexion, présentent une dénonciation écologique. Une photo-graphie peut être une œuvre puissante capable d’éduquer et de conscientiser le spectateur.

D’autre part, la présence du bois dans une sculpture n’a pas nécessaire-ment une connotation écologique. Elle peut être perçue par le public comme un moyen d’expression plastique que le sculpteur a choisi pour sa noblesse et son charme. De la même façon que la pierre et l’argile sont énormément utilisés pour leurs caractéristiques plastiques. Si la pierre est choisie dans une œuvre qui sera inscrite dans un espace naturel, elle peut l’être pour ses capacités de résistance et durabilité et bien qu’elle ait un lien avec la nature, ceci n’a pas une dimension éco-responsable.

Par ailleurs, la simple présence d’un arbre dans un parc est appréciable, il est symbole de vie et est certainement un puissant être de purification. Mais la présence d’un arbre vivant dans une œuvre d’art fait parler cet arbre avec une voix différente. Il ne s’agit pas seulement de proposer un discours en rapport à l’arbre, mais de laisser la nature parler afin qu’elle aborde des sujets en rapport à la vie de l’arbre, à sa mort, à la nôtre, pour provoquer un changement dans notre mentalité.

L’artiste a le droit, comme les autres citoyens, de se manifester contre des situations arbitraires dans la société. Mais il ne doit pas se contenter de parader, il peut convaincre le public de vraiment entreprendre une œuvre d’envergure pour l’environnement. L’histoire nous a montré que cette possi-bilité n’est pas une utopie. L’artiste est capable d’impliquer le gouvernement dans un projet artistique écologique qui demande une participation active du public. De cette façon, une œuvre d’art peut obtenir une dimension poli-tique qui maximise son rayon d’action, et qui provoque le prolongement de la réflexion.

La participation directe de la nature dans une œuvre d’art réalisée dans un espace naturel (avec toutes les variables qui l’affectent), nous rappelle

Page 33: Matériaux naturels et éco-responsabilité

33

que nous dépendons de la terre et que les changements de la nature modi-fient l’être humain. Nous sommes une partie de la nature et comme le chef indien Seattle a dit : “tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre”. L’artiste est capable de participer activement à la culture éco-responsable dont nous avons tous besoin pour continuer à vivre.

La simple présence de matériaux naturels dans une œuvre d’art n’a pas nécessairement une connotation écologiste. À mon avis, la différence se fait dans le concept. Bien qu’une œuvre contemporaine puisse avoir une inter-prétation beaucoup plus ouverte que celles issues de la modernité ou post-modernité, l’intention de l’artiste géoplasticien pénètre l’esprit du spectateur pour le faire réfléchir sur sa relation avec la nature. C’est l’intention qui vise à faire prendre conscience, intention d’un être humain responsable et conscient de sa condition qui provoque une lecture persuasive dans le public. Il s’agit du moment où l’artiste arrive à faire parler les matériaux provenant d’espaces naturels, par sa réflexion, ses recherches, ses expérimentations, ses propositions, son art. Moment où il retrouve une dimension éco-responsable.

Page 34: Matériaux naturels et éco-responsabilité

34

Page 35: Matériaux naturels et éco-responsabilité

35

Bibliographie

Doriac, Frank, Le Land Art… et après. L’émergence d’œuvres géoplastiques, Paris, L’Harmattan, 2005, 103 p.

Fernández, Aurora, Arte Povera, San Bartolomé, Nerea S.A., 1999, 118 p.

Garraud, Collette, L’artiste contemporain et la nature, Paris, Hazan, 2007, 280 p.

Gooding, Mel et Furlong, William, Song of he earth, London, Thames & Hudson, 2002, 168 p.

Heartney, Eleanor, Arte & Hoy, Phaidon, London, 2008, 440 p.

Kastner, Jeffrey et Wallis, Brian, Land Art et Art Environnemental, Paris, Phaidon, 2004, 203 p.

Lailach, Michael, Land Art, Bonn, Tachen, 2007, 96 p.

Viso, Olga, Ana Mendieta Earth Body, Washington DC, Hatje Cantz, 2004, 286 p.