Manuel d'arts plastiques tome 2

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et maintenant si je faisais de la musique plastique...

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Mathevet Frédéric

Manuel d’arts plastiques

Tome II

Le cas particulier de la musique

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3 Introduction

Introduction

1. Crin de cheval sur boyau de chat ». Marcel Duchamp, qui

excelle dans les aphorismes, exprime ici son point de vue à

propos de la musique. La formule est lapidaire, mais personnelle. Tous

les artistes du siècle ne vont pas nécessairement partager cette sentence.

Pourtant, elle illustre parfaitement les relations ambiguës que vont

entretenir les arts plastiques et la musique à l’aube de notre modernité1.

Les avant-gardes du 20ème siècle ont témoigné d’un intérêt mitigé

concernant les arts du son, jugeant la musique − pour beaucoup d’entre

eux − pétrie de bons sentiments, subjective, utile à la seule expression

«

1 Si les plasticiens assument tout à fait dans leur histoire les multiples passages qui ont eu lieu entre

eux et la musique, nous pouvons constater que les musiciens restent au contraire hermétiques aux

différentes traversées des arts plastiques dans leur discipline. La pensée de la musique, qui pourrait

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4 Manuel d'arts plastiques tome II

d’états d’âme et donc inadaptée à rendre compte de la réalité objective.

Quant aux plasticiens, ils se montrèrent plutôt provocateurs. Tous ceux

qui l’approchèrent voulurent jouer les éléments perturbateurs dans la

très « sage » pensée musicale qui sortait lentement du romantisme.

Certains se risquèrent à incorporer des sons plus « concrets » à la

composition musicale, rêvant d’une musique qui pourrait rivaliser avec

la société industrielle et les sons nouveaux qu’elle engendrait. Ce fut le

cas des futuristes. Puis Dubuffet, plus tard, s’interrogea sur les bruits

d’une chaise et sur leur impossible notation2. Nous pourrions multiplier

les exemples mais le but de cette introduction n’est pourtant pas de

retracer le parcours historique des connexions entre arts plastiques et

musique durant ce XXème siècle. Vous allez d’ailleurs voir à quel point

ces quelques liaisons sont résumées dans ce qui va suivre.

pourtant se trouver dans ces passages, est qualifiée de pratique dilettante et évacuée au profit d’une

histoire qui privilégie la forme et l’algèbre.

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5 Introduction

Cependant, il paraît nécessaire de révéler que chez les artistes qui

tentèrent ces rencontres multimédias (dirait-on aujourd’hui) se dessinent deux

parcours différents. L’un, directement lié à la plasticité, telle que nous l’avons

défendue dans le tome I de ce manuel, l’autre, fantasmagorique, subjectif,...

créatif certes, mais insuffisamment rigoureux.

C’est Marcel Duchamp qui va une fois de plus nous conduire sur le

chemin qui nous intéresse : il envisage une possibilité « plastique#3 » de

composer la musique, sur laquelle nous allons particulièrement insister

puisqu’elle constitue le sujet de ce second tome. En effet, nous trouvons dans

2 « Qui notera sur nos portées le bruit d’une chaise traînée sur les planches, celui d’un ascenceur qui se

met en mouvement ou d’un robinet d’eau qui s’ouvre ?...Il me semblait plausible que la vraie musique

chère à l’homme soit celle qui mettrait en œuvre tout ces bruits et toutes ces intonations et timbres

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6 Manuel d'arts plastiques tome II

ses écrits les possibilités d’un processus de composition musicale

« plastique# » mais seulement en germes, car il réalisa très peu d’œuvres

sonores. Il faut chercher les quelques idées qu’il nota ici et là4 à propos de la

musique, et qui, encore aujourd’hui, sont un enseignement, une réclamation,

pour une nouvelle relation interdisciplinaire entre les arts plastiques et celle-ci.

John Cage ne s’y trompera pas.

Évoquons par exemple l’idée de sculpture musicale : « sculpture

musicale : Sons durant et partant de différents points et formant une sculpture

plutôt que les douzes misérables sons de l’octave. Et je ressens qu’il se passe dans la peinture

quelquechoqe d’équivalent à cela. » Dubuffet, à propos de ces expériences musicales de décembre

1960 à avril 1961, cité par Jean-Yves Bosseur, Musique et Arts plastiques : interactions au XXème

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7 Introduction

sonore qui dure 5». Désormais, le son fait partie intégrante des matériaux

disponibles pour le plasticien. Cette idée précise aussi une modalité plastique#

d’usage du son : en jouant sur l’espace.

L’erratum musical, qui est sans doute la pièce la plus légendaire de

Marcel Duchamp, est une composition dont chaque note fut tirée au hasard

d’un chapeau. John Cage, encore une fois, reprendra à son compte cette idée,

en laissant le soin au i ching de déterminer les paramètres de ses œuvres. Mais,

indépendamment de la notion de hasard, c’est surtout l’acte initiateur qui nous

intéresse ici. Marcel Duchamp propose une autre manière de penser l’activité

siècle, coll. Musique ouverte, s.l., Minerve, 1998. 3 Les mots suivis d’un # sont définis dans le lexique du manuel d’arts plastiques tome I, les mots suivis

de * sont définis dans le lexique de ce manuel p. 118.

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8 Manuel d'arts plastiques tome II

compositionnelle. Une nouvelle approche du travail musical qui ouvre à tous

les possibles (l’apport de Marcel Duchamp aux arts plastiques est évidemment

du même ordre, une pensée totalement nouvelle du travail artistique et de ses

effets).

Puis nous lisons encore : « Construire un et plusieurs

instruments de musique de précision qui donnent mécaniquement le passage

continu d’un ton à un autre pour pouvoir noter sans les entendre des formes

sonores modelées (contre le virtuosisme, et la division physique du son

rappelant l’inutilité des théories physiques de la couleur)6 ». Voilà une idée

tout à fait musicale, qui résonne encore avec quelques expériences qui auront4 DUCHAMP Marcel, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1975.

5 Ibid., p. 47.

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9 Introduction

lieu ensuite dans l’histoire de la musique (le Thérémin, par exemple, si nous

réduisons cette citation à sa simple dimension mécanique). Marcel Duchamp

rêve, et c’est un rêve plastique#, d’une machine à glissandi* (« passage continu

d’un ton à un autre »). Il n’est sans doute pas utile de préciser que le

glissando* est un cluster* qui se déploie de manière horizontale. C’est une

ligne au sens strict, et un passage entre les tons, les demi-tons, les quarts... etc.

C’est une forme anti-harmonique, qui ne dispose pas des notes comme

l’harmonie classique par succession « algébrée » (« la division physique du

son »). La plasticité du son à l’état pur, qui glisse, se tord, se noue... Alors, elle

s’oppose nécessairement à la virtuosité d’une musique « crin de cheval sur

boyaux de chat ».

6 Ibid., p. 107.

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10 Manuel d'arts plastiques tome II

Bien sûr, Marcel Duchamp n’est pas le seul durant le XXème

siècle à songer aux passages possibles entre musique et arts plastiques.

D’autres s’y risquent aussi, mais, à l’inverse de Duchamp, ils envisagent les

liens entre les deux disciplines comme des hybridations, des « traductions » de

l’un à l’autre des bords. Un principe de vases communicants qui sera pourtant

la source de révolutions formelles. Si la musique ne figure pas, la peinture#

peut alors sans doute se démuseler elle aussi de la figuration et être tentée par

la représentation abstraite. Cependant, s’il est indéniable qu’une approche

mixte a libéré la peinture# de la mimesis (Kandinsky), les relations arts

plastiques / musique n’ont pas toujours été très raisonnées. Elles ont souvent

été condensées dans des rêves romantiques d’art total et autres mysticismes

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11 Introduction

synesthésiques7. Il est vrai que la correspondance supposée entre les arts a le

plus souvent servi d’alibi aux arrières mondes8, mais ce chemin-là ne nous

intéresse pas.

Par ailleurs, ces relations n’ont jamais vraiment réussi à dépasser la

comparaison instaurée entre le modèle formel parfait, que représente la

composition musicale, et la composition picturale. Composition, rythme et

forme sont devenus les lieux communs des notions que l’on trouve dans l’un

et l’autre des champs, qui présupposent l’objet d’art comme une forme

pérenne et immuable. Or, il ne s’agit pas des idées défendues dans notre

premier tome du manuel d’arts plastiques. Si un passage doit avoir lieu, c’est

7 « Ces mysticismes synesthésiques », certains ont cru pouvoir les réactiver avec les C.A.N.

Le « C.A.N » désigne en informatique le convertisseur analogique-numérique, c’est-à-dire l’outil qui

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12 Manuel d'arts plastiques tome II

au niveau de la « gymnastique# » que représente la plasticité au sein du travail

artistique, qu’il se fera. Car c’est l’essentiel de ce second tome : envisager la

composition musicale comme processus plastique#, et par là même rompre

avec l’approche convenue de la musique. La musique pensée depuis l’atelier

du plasticien va préférer une musique des muscles et des nerfs à la virtuosité,

proposer une musique littérale plutôt qu’une musique qui exprime des états

d’âme, pratiquer une musique concrète déduite du réel.

La musique, au risque des arts plastiques, n’axe plus toute la

logique compositionnelle sur un jeu de formes pures. Elle n’est plus cet objet

idéal, illusion matérialisée d’un concept, qui émet l’hypothèse de son

permet, d’une part, à une information en entrée (le IN) d’être numérisée, transformée en données

manipulables par l’ordinateur, et, d’autre part, de rétablir en sortie ( le OUT), sous la forme

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13 Introduction

existence (parce qu’on l’a rencontrée), mais la possibilité de se rechercher

dans tous les niveaux de la réalité.

d’informations continues analogiques, les données manipulées numériquement. En effet, l’ordinateur

propose un système de correspondances image#/ son « prêt-à-porter ». Les images# comme le son sont

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14 Manuel d'arts plastiques tome II

2. enser la musique aujourd’hui ? Et qu’est-ce que la réalité de

la musique aujourd’hui ? Sinon le design sonore et le

merchandising « acoustisé », formatage en règle de nos oreilles.

PC’est en premier lieu l’harmonie fonctionnelle, propice à l’achat

compulsif des consommateurs, réglée sur les coutures, enveloppante comme

une bonne soupe chaude dont les parfums de synthèse épousent une

carrosserie. D’ailleurs, n’est-ce pas toute la musique promue par la radio qui

nous forme, de façon très didactique, aux connexions son/produit ? Une vaste

entreprise de formatage qui nous prépare à l’achat, dans tous les sens. C’est le

scénario# d’une chanson, accordé à trois accords et aux sonorités du DX7, qui

résonne avec celui d’un produit. Les poncifs du R’nB dans une paire de

converties en un même tissu d’impulsions électriques, un même plan homogène. Par conséquent, les

sons et les images#, entre l’entrée des infrastructures numériques et la sortie qui les rétablit dans leur

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15 Introduction

basquets, le rabâchage-rebirth9 incorporé aux microparticules extra gommantes

d’un anti-ride. Jamais l’harmonie fonctionnelle n’a autant pensé pour nous10,

elle donne du « temps de cerveau disponible » aux grandes marques de

distribution, s’associe aux produits dans une forme restreinte de sens, et, par

effet boomerang, elle se package à son tour et finit par se vendre elle-même.

Mais c’est aussi l’objet sonore* que l’on calibre. On le lisse en

réduisant sa richesse potentielle, on applique à tous les sons de notre vie

quotidienne un même filtre de séduction douillette, on tamise chaque sonorité

de telle sorte qu’il ne reste qu’un mielleux mais insipide parfum, sans heurts,

donc sans efforts ! Bénéfices perceptifs du capitalisme, notre monde sonore est

forme sensible, sont à même de subir parce que codés en numérique, les mêmes types d’opérations, de

calculs arithmétiques et logiques, donc de manipulations. C’est ici que certains cherchent une suite

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16 Manuel d'arts plastiques tome II

désincarné. Les « clics » des briquets sont étalonnés, comme le bruit des

portières qui claquent, et même les chansons vaporisées sur les quais du RER,

dès le matin. C’est à se demander si le chant des oiseaux n’est pas devenu lui

aussi une vulgaire carte postale aux relents exotiques.

Pendant ce temps ..., la musique dite « sérieuse » assiste à cet

état de perte mais poursuit son divorce : elle continue à jouer Babel, innove

dans la course à l’armement technologique et n’en finit plus de désarticuler le

langage qu’on lui a laissé, dans d’adorables formes abstraites. Penser la

musique aujourd’hui, à l’aide des arts plastiques, c’est remettre du corps, c’est

refaire la peau du vivant, c’est lutter contre ces pratiques de taxidermiste.

logique à la synesthésie romantique ! Or, le contre argument paraît pourtant évident : nous ne

manipulons jamais les 0 et les 1. Nous sommes toujours confrontés avec l’ordinateur, en amont

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17 Introduction

C’est chercher les heurts, c’est renouer avec le geste dans le processus

compositionnel. C’est faire une musique qui a du sens.

comme en aval (entre le in et le out), à des images# et des sons !

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18 Manuel d'arts plastiques tome II

3. usique concrète. Sans doute s’agit-il de faire la peau à la

musique, d’y inscrire du vivant, et par là même, retrouver une

pratique musicale concrète, dans la mesure où la plasticité s’envisage

dans un processus compositionnel qui s’engage dans le réel, et se déduit

de celui-ci. Alors cette plasticité contaminante fait une musique des

nerfs et des muscles, tout à la fois du côté de la pratique de

l’instrument, comme du côté de l’acte compositionnel lui-même. De

plus, l’avènement de la plasticité dans la composition musicale poursuit

sans aucun doute le changement opéré au sein de l’histoire avec le son

enregistré, parce que comme lui elle travaille avec des morceaux de

réalité11. Ces fragments, nettoyés de leurs états d’âme ou de toute autre

subjectivité fantôme, sont une alternative au travail compositionnel

formel de la musique contemporaine.

M

8 La formule est empruntée à Michel Onfray, in ONFRAY Michel, Traité d’athéologie : physique de

la métaphysique, Paris, Grasset, 2005.

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19 Introduction

Dès le début de l’aventure de la musique électroacoustique, P.

Schaeffer demande aux plasticiens habiles à l’abstrait de le rejoindre dans les

studios. Il y a, selon lui, une analogie évidente entre la pratique picturale et la

composition sur support (disque ou bande magnétique). Mais voilà, c’est l’une

de ses erreurs : les plasticiens sont seulement des peintres à ses yeux. Le

musicien électroacoustique se retrouve dans son laboratoire à emboîter des

formes abstraites sur bandes magnétiques, comme il pourrait le faire sur la

surface d’une toile. C’est cette posture-là que P. Boulez ne tardera pas à

reprocher à P. Schaeffer. L’adepte de la série généralisée ne supporte pas le

bricolage qui sévit dans « l’atelier du cordonnier* ». Et pourtant, si les arts

9 Boîte à rythmes de référence pour la musique techno.10 « Un des problèmes avec l’harmonie fonctionnelle c’est qu’elle entend à notre place, voyez vous.

Nous n’avons plus besoin d’entendre. Nous sommes l’objet trouvé, où l’on entend pour nous.

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20 Manuel d'arts plastiques tome II

plastiques doivent venir au secours de la musique concrète, c’est certainement

parce que les plasticiens sont des bricoleurs hors pair.

Déplacer l’écriture musicale à l’atelier, retourner dans l’atelier

du cordonnier*, c’est ce que propose ce manuel. « Se rendre à l’atelier et

s’impliquer dans une activité quelconque » pour paraphraser Bruce Nauman,

« parfois, il apparaît que cette activité nécessite la fabrication de quelque

chose, et parfois cette activité constitue l’œuvre. » Il s’agit de penser le

processus compositionnel depuis notre méta-atelier.

L’harmonie, c’est comme aller chez un expert comptable pour faire un certain travail. Elle entend

pour nous, c’est fantastique, c’est merveilleux, nous n’avons plus besoin d’entendre.» Morton

Feldman in Écrits et Paroles, textes réunis par Jean-Yves Bosseur et Danielle Cohen-Lévinas,

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21 Introduction

Bruce Nauman, Playing a note on the violin while I walk around the studio, 1968.

film de 9 mn.

Et vous le savez, cet atelier ne peut se penser en aucun cas

comme le studio de l’ingénieur, mais plutôt comme un lieu où le travail de

composition peut se satisfaire d’un geste ou d’une attitude, ce qui n’exclut pas

L’Harmattan, Paris, 1998, p. 294.11 C’est une des raisons pour lesquelles vous retrouverez ici et là des « références à », et des citations

de P. Schaeffer : « La musique classique abstrait, semble-t-il, des formes de toutes matières. La

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22 Manuel d'arts plastiques tome II

une matérialisation. Le lieu d’une pensée des mains et des pieds qui coupent,

qui collent et déplacent, bref qui bricolent au lieu d’appliquer des concepts à

des formes visuelles et/ou sonores, c’est-à-dire un lieu où la musique se fait

sans dépendre de machines sophistiquées, et de ready made algorithmiques,

ceux de l’harmonie comme ceux potentiellement en puissance dans un

programme quelconque.

Cela veut dire aussi ne pas museler le son dans une idée a priori, mais,

comme il existe une observation visuelle (et des pratiques en découlant : « in

situ » ou « sur le motif »…), exiger de son oreille une véritable observation

sonore. Sortir enfin, pratiquer une musique à ciel ouvert, composer avec des

musique concrète, au contraire, tourne le dos à ces formes pures (...) consiste à construire des objets

sonores non plus avec le jeu des nombres et les secondes du métronome, mais avec les morceaux de

temps arrachés au cosmos » in SCHAEFFER Pierre, À la recherche d’une musique concrète, « Pierres

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23 Introduction

situations particulières, ausculter le réel et chercher des alternatives à l’écoute

classique.

Nous commençons à nous rendre compte que ce recours aux arts

plastiques touche tout le niveau substantiel de la composition musicale. Le

matériau sonore s’émancipe, il est rendu enfin à ses mille dimensions,

reconnecté au milieu dans lequel il vit. Et c’est particulièrement la notion

d’objet sonore* qui se trouve menacée. Mais n’allons pas trop vite et

procédons par approches successives à l’examen de cette musique au risque de

la plasticité.

vives », Paris, Editions du seuil, 1998, p. 75.

Il va de soi que la musique concrète dont nous parlons n’est pas la musique concrète de

Pierre Schaeffer, même si certaines de ses remarques s’en rapprochent. D’ailleurs, lui-même s’adresse

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24 Manuel d'arts plastiques tome II

Il est temps si vous le voulez bien de rentrer dans l’atelier du

cordonnier*, de disloquer l’espace de travail qu’il représente et d’y surligner

les nœuds où se trouve la possibilité de produire du sens. Car, messieurs les

musiciens, c’est notre dernier cliché# à abattre : la bricole est une affaire

sérieuse, elle demande autant de rigueur que la mathématique. Cependant, elle

se prête difficilement au découpage paramétrique. De ce fait, notre méta-

atelier ne livrera que les figures chorégraphiques de sa gymnastique#.

un reproche que nous reprendrons à notre compte : « Mon erreur était d’avoir repris des instruments

de musique, des notations musicales, des habitudes de pensée musicale » Ibid., p.46.

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25 Le matériel

Le matériel« En réalité, si on demande quel est l’instrument concret, on se trouve bien embarrassé. Est-ce la

cueillette des sons en studio (...) l’emploi d’appareils spéciaux destinés à manipuler ces sons (...) »Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, p. 64.

Premiers pas

e représenter le travail compositionnel traditionnel est aisé : des notes,

parfois imaginées, parfois soutenues par la pratique d’un instrument,

écrites à la plume sur du papier à musique. Mais aujourd’hui les contours de

cet espace de travail et la pratique qui s’y engage sont beaucoup moins nets.

S

D’une part, il existe avec l’ordinateur un grand nombre de possibilités

d’écrire la musique qui contrastent avec le graphisme conventionnel qui

prévalait jusque là − la note noire, blanche ou ronde sur les cinq lignes de la

portée. En effet, de nombreux logiciels d’écriture musicale proposent des

Page 28: Manuel d'arts plastiques tome 2

26 Manuel d'arts plastiques tome II

approches différentes, voire mixtes. Ils rejouent parfois la forme classique de

la notation musicale en proposant des éditeurs de partitions complets ou

offrent la possibilité de travailler la composition à l’aide de représentations

physiques du signal sonore ou autres analyseurs de spectre.

D’autre part, c’est l’idée même d’instrument qui est sujette à caution.

Un nombre considérable d’œuvres contemporaines poussent dans leurs

derniers retranchements les modes de jeu des instruments classiques. Les

résonateurs deviennent des instruments à percussion. J. Cage glisse des objets

hétéroclites sous les cordes du piano. Les musiciens électroacoustiques usent

de casseroles comme instruments potentiels ou de locomotives. Le

synthétiseur, quant à lui, propose une quantité de timbres indéterminés. Le

compositeur en variant les différents paramètres (oscillateurs, filtres,

résonance... pour les plus classiques) compose la sonorité dont il rêve, alors

qu’auparavant il ne disposait que des timbres de l’instrumentation classique.

Son travail se modifie radicalement et l’écriture du timbre devient tout aussi

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27 Le matériel

importante que l’écriture de la forme musicale (en tout cas, elle devient une

question, intimement liée à celle-ci).

Vous comprendrez donc aisément qu’il s’agit d’autant

d’éléments qui rendent difficile une proposition de « matériel ». Et finalement,

je ne peux que vous renvoyer au chapitre du même nom du manuel d’arts

plastiques tome I. Vous pouvez faire de la musique avec tous les ustensiles et

les outils disponibles, y compris ceux du jardinage12. Les frontières entre le

matériel et le matériau sont souples et la « plasticité » se trouve déjà sollicitée

dans le choix de ceux-ci, c’est le premier moment artistique. Votre arrosoir

peut faire un très acceptable instrument percussif dont vous pouvez faire varier

les timbres avec un peu d’eau13. Si vous préférez faire vibrer le plastique vert,

soufflez dans le tuyau. Mais, comment écrire votre improvisation pour12 Pierre Schaeffer proposait de « transformer le cuisinier en musicien expérimental.»

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28 Manuel d'arts plastiques tome II

arrosoir ? La seule issue qui s’offre à vous est d’enregistrer à l’aide d’un micro

et d’un minidisque ses sonorités si particulières. Parce que, pour complexifier

encore la tâche du musicien contemporain − mais finalement nous l’avions

déjà évoqué plus haut avec le synthétiseur −le travail compositionnel coïncide

parfois avec l’exécution, c’est-à-dire que le matériel d’écriture peut coïncider

avec le matériel de pratique musicale. Autrefois distincts et déterminés, le

moment de la composition et le moment de l’exécution peuvent être désormais

envisagés simultanément. La notion de matériel, et nous commencerons par là,

est donc une problématique de l’écriture musicale contemporaine.

13 « J’ai appris à jouer de la porte » dira Pierre Henry à propos des variations pour une porte et un

soupir.

Page 31: Manuel d'arts plastiques tome 2

29 Le matériel

Cependant, voici une proposition de matériels classiques de la

pratique musicale plasticienne, classée conventionnellement elle aussi.

Matériel d’écriture :

• un petit carnet pour débuter, sans portées si

possible (si elles vous apparaissent nécessaires, vous

pourrez toujours tracer cinq lignes à main levée) ;

• des appareils d’enregistrement : le minidisque,

la D.A.T, ou une caméra vidéo. Un micro,

nécessairement ;

• un appareil photographique (nous verrons par

la suite en quoi il peut nous être utile, même si,

Page 32: Manuel d'arts plastiques tome 2

30 Manuel d'arts plastiques tome II

consciencieux lecteur du manuel tome I, vous commencez

à l’imaginer) ;

• un ordinateur14 a ici sa place, en veillant

toutefois à ce qu’il ne déborde pas son rôle de simple outil

(cf. note du bas de la page 8).

Matériel de pratique musicale :

Comme nous l’avons dit, tous les corps sonores* sont

envisageables. Encore faut-il préciser qu’ils vont déterminer la qualité des

sons, de même que les sons vont dépendre du jeu que vous allez entretenir

14 John Cage précisait qu’il avait constaté la relation espace et temps en voyant défiler une bande

magnétique : le temps c’est de l’espace dira-t-il… Pour les musiciens de ma génération, le temps et

l’espace muselés dans l’écran de l’ordinateur tendent plutôt à une immatérialité commune. C’est

Page 33: Manuel d'arts plastiques tome 2

31 Le matériel

avec eux. Et le répertoire abonde en trouvailles relatives aux manières de jouer

d’un instrument. Le corps sonore * et l’objet sonore sont intimement liés et

leurs choix ne sont pas anodins dans la production du sens.

Munissez-vous d’un grand nombre d’instruments de toutes les

familles et d’objets aux sonorités riches.

La machinerie

ar conséquent, vous devez comprendre qu’il n’y a pas de musique

sans machinerie, et ce, depuis les débuts de l’histoire de la musique.

Composer signifie fabriquer un instrument spécifique. En effet, il s’agit pour

Ppourquoi, si l’interdisciplinarité reposait sur l’expérience du « revox », qu’en est-il de la relation arts

plastiques et musique à partir du « PC » ?15 Nous verrons plus tard que cet espace est tout aussi important dans la machinerie à mettre en place.

Page 34: Manuel d'arts plastiques tome 2

32 Manuel d'arts plastiques tome II

De ce fait, Il faut comprendre que choisir son matériel (puis son matériau),

qu’il soit d’écriture ou de diffusion, c’est déjà réaliser un agencement

plastique# qui va faire sens, les premiers pas de la syntaxe. Parce que tout le

matériel choisi va déterminer les opérations plastiques# que vous allez mettre

en œuvre par la suite.

Du dispositif de concert − qui a énormément évolué durant le 20ème

siècle musical − au concert de rock avec ses amplis et ses câbles qui courent

sur la scène, tout est machinerie. Elle est à prendre en compte dans la

production de sens. Placer l’orchestre autour du spectateur en prenant soin des

instruments qui se trouvent côte à côte, c’est affirmer un sens qui n’est pas le

même que celui d’une « boucle » qui serait réinjectée et filtrée par un delay,

Page 35: Manuel d'arts plastiques tome 2

33 Le matériel

ou projetée dans la caisse de résonance d’un piano, avant d’être réentendue sur

un dispositif spatialisé de haut-parleurs. De la même manière que le matériel

utilisé en arts plastiques, celui du travail compositionnel (instrumental, de

diffusion, de filtrage...) est important et doit être très largement pris en compte

par le compositeur en herbe que vous êtes, parce qu’il détermine une suite

d’opérations et par là même produit du sens.

Page 36: Manuel d'arts plastiques tome 2

34 Manuel d'arts plastiques tome II

Bruce Nauman, Violon tuned D.E .A.D, 1968.

Film, les cordes du violon sont accordées sur ré, mi, la, ré.

Page 37: Manuel d'arts plastiques tome 2

35 Le matériel

Méta-instrument

onsidérer cette « machinerie », c’est aussi important que travailler son

instrument : c’est une manière de le penser. Le matériel que vous

devez choisir peut être fixe, comme il peut se satisfaire d’un assemblage

circonstanciel, en perpétuelle évolution. Il doit pouvoir se déplacer avec vous,

dans votre poche ou votre sac, parce que c’est le méta-instrument de votre

méta- atelier : un instrument souple, mobile et mutable (le matériel proposé

précédemment a cet avantage, même si nous sommes conscients qu’il reste

très sommaire). Notre atelier du cordonnier se précise.

C

Présenté comme un espace aux limites floues, il est le lieu

d’opérations plastiques#, d’une pensée des mains. La lutherie est à son image#,

Page 38: Manuel d'arts plastiques tome 2

36 Manuel d'arts plastiques tome II

vagabonde. Ce sont les opérations plastiques# qui déterminent le choix et les

combinaisons de matériel que vous allez utiliser, et inversement. Il n’y a donc

pas d’objet ou de matériel à privilégier, ce qui veut dire pas de gestuelles non

plus (celles du domaine de la musique, du théâtre ou autre ...). Vous pouvez

aussi acquérir une technique rigoureuse de la pratique musicale, mais prenez

garde à ne pas la confondre avec la virtuosité.

A titre indicatif, complétons ce chapitre d’un tableau. Vous y

trouverez quelques points de repères concernant le matériel, ainsi que des

exemples d’opérations plastiques# qui en résultent.

Page 39: Manuel d'arts plastiques tome 2

37 Le matériel

Tableau 1. Jalons de lutherie vagabonde et exemples d'opérations plastiques.

Page 40: Manuel d'arts plastiques tome 2

38 Manuel d'arts plastiques tome II

Le matériau

« Vivre pleinement l’expérience du matériau dans son immanence »

Morton Feldman

Résumé du chapitre :

- le matériel (méta-instrument) (voir chapitre précédent)

- le son

Comme objet sonore*, produit d’une circonstance# particulièreet/ou prélevé. (Son relevé produit déjà du sens.)

- l’instrument ou n’importe quel objet

Comme corps sonore* et/ou matériau scénarisé.

- le corps

Comme force musculaire et/ou référence sociale (geste/représentation...)

Page 41: Manuel d'arts plastiques tome 2

39 Le matériau

e chapitre aborde le niveau substantiel de la musique, le « niveau

atomique » de vos futures compositions. A la suite du manuel d’arts

plastiques tome I, il vient compléter le chapitre du même nom et tire les

conséquences qui s’imposent concernant le matériau musical, envisagé de

manière plastique#.

C

C’est tout naturellement que la plasticité appliquée au son va nous

conduire à considérer le corps sonore* (l’instrument) et le corps exécutant (les

muscles et les nerfs du musicien et/ou du compositeur) comme matériaux à

part entière dans la mesure où leur choix, leur position dans l’espace, les

modes de jeu, leurs relations avec les autres matériaux en jeu, sont producteurs

de sens.

Page 42: Manuel d'arts plastiques tome 2

40 Manuel d'arts plastiques tome II

Commençons par une définition très concrète du son. Le son est

une onde produite par la vibration mécanique d’un support fluide ou solide et

propagée grâce à l’élasticité du milieu environnant sous forme d'ondes

longitudinales. Par extension physiologique, le son désigne la sensation

auditive à laquelle cette vibration est susceptible de donner naissance16. Le son

est un matériau qui se diffuse, qui se propage, ce qui nous intéresse

particulièrement du point de vue des arts plastiques. Il ne peut être cadré, il n’a

pas de limites. Il s’agit d’un matériau fluide et malléable. Vous entendez votre

voisin répéter ses gammes, le mur concomitant ne suffit pas à arrêter ce bruit

et vos oreilles n’ont pas de paupières. Le double vitrage par ailleurs s’avère un

16 Nous débutons notre réflexion sur le matériau musical à partir d’une définition volontairement

sommaire, voir « ras les pâquerettes » du phénomène sonore. Celle-ci nous est fournie par Wikipédia,

encyclopédie libre : wikipédia.org.

Page 43: Manuel d'arts plastiques tome 2

41 Le matériau

bien piètre filtre pour vous isoler du gémissement urbain. Il s’agit en

conséquence de penser le son comme une intensité dont les déplacements

seraient comme « une chaleur qui se répand », un modèle de plasticité.

Deux sons en présence ne peuvent que se rencontrer, se mêler, se

diffuser l’un dans l’autre. Le travail d’écriture doit tenir compte de cette

caractéristique physique qui, comme nous le verrons, se déplace elle aussi à

plusieurs niveaux (physique et métaphorique). Entremetteur, vous devez

composer avec cette particularité du matériau sonore, c’est-à-dire déterminer

l’espace et le temps qui les séparent ou qui les unient, pour organiser leur

rencontre. Et cette rencontre va, bien entendu, faire sens. En effet, l’espace et

le temps sont les seules modalités dont vous disposez pour isoler les sons (au

Page 44: Manuel d'arts plastiques tome 2

42 Manuel d'arts plastiques tome II

sens de matériaux isolants, s’entend). Ils sont les premières données qui vous

permettent de mettre en place des intervalles, et l’on devine les jeux

plastiques# dont nous pouvons disposer. Deux sons émis à une distance

particulièrement importante l’un de l’autre solliciteront un déplacement de

l’auditeur pour faire leur contact (dans son oreille) ou pour chercher s’il a lieu.

Vous pouvez également choisir d’émettre deux sons, l’un après l’autre, avec

un moment suffisamment important entre eux, de telle sorte que le contact ne

se fasse pas.

Page 45: Manuel d'arts plastiques tome 2

43 Le matériau

Nous nommerons intervalles conjoints17, le cas où le temps

et/ou l’espace seront suffisamment courts pour que les sons (et les

éléments extra- sonores18) entretiennent une identité de proximité, et

intervalles disjoints, le cas où le temps et/ou l’espace seront

suffisamment importants pour que les sons (et les éléments extra-

sonores) soient isolés.

17 Librement inspiré de P. Boulez dans Penser la musique aujourd’hui, « Tel », Paris, Ed. Gonthier,

1963.

Page 46: Manuel d'arts plastiques tome 2

44 Manuel d'arts plastiques tome II

Tout ceci a l’air d’une simplicité enfantine. Pourtant nous touchons

encore une fois à des questions de syntaxe. Pour organiser ces rencontres, ces

contacts ou ces espaces-temps isolants, il faut comprendre les relations du

matériau musical comme des relations de conduction#. Les matériaux

s’inscrivent dans une temporalité à la fois par leur qualité physique et par la

liaison qu’ils entretiennent, c’est-à-dire la catégorie d’intervalles utilisés. De

ce fait, décrire ces modalités de passages nous permettra de dégager les formes

temporelles d’évolution du matériau. Celles-ci nous apparaîtront bien utiles

par la suite pour concevoir notre boîte à outils plastique# du processus

compositionnel.

18 Tout au long de ce manuel, les formules prennent en compte une vision d’ensemble de l’activité

compositionnelle plastique#. De ce fait, certaines formulations ne vous apparaîtront pas intelligibles

tout de suite, mais ces interrogations sont passagères, et plus vous progresserez dans la lecture de ce

Page 47: Manuel d'arts plastiques tome 2

45 Le matériau

Rejouons donc l’aberrante séparation faite dans le premier tome

de ce manuel, entre conduction# concrète, qui s’appuie sur des phénomènes

physiques observables, et conduction# mentale, où le sens s’entend lui aussi

comme la « chaleur qui se répand 19». Rappelons toutefois que cette séparation

n’a de valeur que pédagogique, elle est insensée.

Conduction physique

« Les sons pour ce qu’ils sont sans intentions, réflexions, buts ou sentiments. » J.Cage

e sont les qualités physiques et formelles (grain, allure, attaque,

résonance, timbre...20) du son qui sont privilégiées dans le mode de

relation qu’il entretient avec les autres matériaux en présence.

Crecueil, plus elles se préciseront et deviendront l’évidence même.19 C’est donc la musique entière qui est une chaleur qui se répand.

Page 48: Manuel d'arts plastiques tome 2

46 Manuel d'arts plastiques tome II

Conduction directe

a conduction# entre deux sons peut être directe. Elle correspond alors au

dialogue des énergies concrètes des sons mis en œuvre. Celle-ci est

déterminée par la force (intensité) et la durée de l’émission des sons. Les

vibrations de chacun des sons se rencontrent et se mêlent. Seule la distance

temporelle entre les débuts de l’émission des sons détermine leur degré

d’isolement.

L

Exemple 1 : Poser une cymbale sur le corps résonant* d’une

guitare. L’énergie de l’excitation des cordes de la guitare est transmise par son

corps résonant* à celui de la cymbale. Le son en résultant est changé, le timbre

20 Nous ne nous attarderons pas sur ces terminologies de description sonore, efficaces mais néanmoins

« pétrifiantes ». Vous trouverez ces outils d’observation dans le traité des objets musicaux de Pierre

Schaeffer.

Page 49: Manuel d'arts plastiques tome 2

47 Le matériau

de la guitare est augmenté par la résonance de la cymbale. Vous pouvez aussi

envisager le parcours inverse, où c’est l’excitation de la cymbale qui

contamine le corps résonant* de la guitare. Il s’agit du degré zéro de la

conduction# directe par contact réel21.

Sonates et interludes pour piano préparé, J. Cage, 1946-48. J. Cage transforme les

sonorités originelles du piano en glissant entres ses cordes divers objets. « Je me suis alors

rappelé les sons que produisait le piano lorsque Henry Cowell en grattait ou en pinçait les

cordes, passait une aiguille à ravauder dessus et ainsi de suite. Je suis allé à la cuisine, j’ai

pris un moule à tarte, je l’ai mis avec un livre sur les cordes et j’ai vu que j’étais sur la bonne

voie. 22»

21 Les différents composants d’un corps sonore* entretiennent, rappelons-le, des relations de

conduction# directe (excepté le registre qui concerne la conduction# indirecte) : 1. Vibrateur, 2.

Excitateur, 3. Résonateur, 4. Coupleur.

Page 50: Manuel d'arts plastiques tome 2

48 Manuel d'arts plastiques tome II

Exemple 2 : La guitare et la cymbale ne se touchent plus et sont

excitées en même temps. Les vibrations se rencontrent dans l’air. L’expérience

peut être réalisée avec le piano ou tout autre instrument.

Il s’agit de la rencontre privilégiée depuis longtemps dans notre

musique occidentale, qui va de la fabrique d’un accord au jeu d’une ligne

mélodique (où la distance temporelle est suffisante pour que chaque note

morde la suivante23). Bref, il s’agit du degré 0 de l’intervalle conjoint.

Vous l’avez compris, c’est tout le " solfège " traditionnel qui se trouve ici.

22 Entretien avec Stephen Montague (1982), in Konstelanetz Richard, Conversations avec John Cage,

Paris, Ed. des Syrtes, 2000, p. 97.

Page 51: Manuel d'arts plastiques tome 2

49 Le matériau

La musique classique occidentale s’est construite à partir de deux

cas particuliers de la conduction directe que vous pouvez réinvestir. D’une

part, l’harmonie fondée sur une typologie des résonances naturelles. D’autre

part, les traités d’orchestration lorsqu’ils décrivent les agencements

topographiques de l’orchestre en fonction des résonances sympathiques

qu’entretiennent les différents instruments convoqués.

23 Pourtant, les durées furent rarement la catégorie première de la syntaxe de la musique occidentale,

au contraire des hauteurs.

Page 52: Manuel d'arts plastiques tome 2

50 Manuel d'arts plastiques tome II

Module N°200, Composition calorique, pour 5 violons, 2007.24

24 Les exemples sans précision du nom de l'auteur sont issus de mon propre travail.

Page 53: Manuel d'arts plastiques tome 2

51 Le matériau

Conduction indirecte

ais, à considérer la musique comme un objet idéal, clos sur lui-même,

on oublie que dans le même temps d’une conduction# directe, la

conduction# est aussi indirecte, c’est-à-dire que la production de sons ne se fait

pas seulement d’énergie sonore. Pour émettre un son avec un corps sonore*

quelconque, il y a toujours une relation de conduction# entre une énergie

musculaire et une énergie sonore (dans l’exemple de la guitare et de la

cymbale), et/ou entre une énergie mécanique ou électrique et une énergie

sonore (le synthétiseur, par exemple). Nous ne pouvons pas mettre de côté,

dans l’exercice de la composition, l’écriture de cette énergie physique qui va

déterminer le son à entendre.

M

Page 54: Manuel d'arts plastiques tome 2

52 Manuel d'arts plastiques tome II

Cette conduction# indirecte fut très souvent écartée des

problématiques musicales, plus soucieuses de l’histoire formelle à raconter

que de l’acte musical lui-même. C’est le corps entier (posture, geste...) et le

corps sonore* qui produisent du son : un passage d’énergie à énergie. De ce

Page 55: Manuel d'arts plastiques tome 2

53 Le matériau

fait, le corps du musicien intervient dans la composition et les arts plastiques

nous apprennent, nous l’avons vu dans notre premier tome, à approcher les

enjeux de ce corps : entre présence de la chair (musique des muscles et des

nerfs) et matériaux scénarisés (comme nous le verrons un peu après). Nous

pouvons cependant trouver quelques exemples dans l’histoire des arts

plastiques et de la musique confondue où cette conduction# d’énergie entre en

ligne de compte.

Page 56: Manuel d'arts plastiques tome 2

54 Manuel d'arts plastiques tome II

George Brecht, incidental music, 1962.

Page 57: Manuel d'arts plastiques tome 2

55 Le matériau

George Brecht joue de l’équation initiale (schéma plus haut) en proposant

dans cette pièce une conduction qui s’avère doublement indirecte (intervalle

disjoint).

La Monte Young propose une pièce où l’énergie musculaire est infime :

Lâcher un papillon (ou n’importe quel nombre de papillons) dans unesalle de concert. Lorsque la composition est terminée, prenez soin de laisserle papillon s’envoler dehors. La composition peut être de n’importe quelledurée, mais si l’on dispose d’un temps illimité, les portes et les fenêtrespeuvent être ouvertes avant que le papillon ne soit lâché et la compositionpeut être considérée comme terminée lorsque le papillon s’envole dehors.

La Monte Young, composition 1960 # 5, 1960.

Page 58: Manuel d'arts plastiques tome 2

56 Manuel d'arts plastiques tome II

Ces pièces, malgré leur radicalité, intéressent particulièrement notre

recherche de la plasticité dans le processus compositionnel. En effet, la

composition n’est pas le résultat de manipulations conceptuelles a priori mais

plutôt celui de manipulations qui mettent en jeu le corps entier (y compris

dans un écart, à son comble, où c’est le corps d’un papillon, dont les

battements d’ailes sont à la fois l’énergie musculaire et la musique.) De plus,

ces pièces viennent compléter le catalogue classique des gestes de la

musique (gestes d’entretien, d’itération, de changement, d’évolution, et gestes

ponctuels25) par des gestes clairement plastiques#.

La cause et l’antécédent ne sont pas déduits d’une logique formelle,

mais bien d’un déploiement d’énergie initié d’une opération.

25 Nous empruntons cette liste à K. Stockhausen. Elle nous paraît être la plus simple et la pluscomplète.

Page 59: Manuel d'arts plastiques tome 2

57 Le matériau

John Cage, 4’33’’, 1952.

4'33" est une œuvre pour "n'importe quel(s) instrument(s)" en trois mouvements. Le premier

mouvement est de 30’’, le second de 2’23’’ et le troisième de 1’40’’. La partition indique en

chiffre romain le numéro des mouvements, suivi de « Tacet », mot noté sur une partition

pour signaler qu'un exécutant doit garder le silence pendant la partie du morceau

correspondante. Les 4’33’’ sont donc entièrement composées de silence, les seuls sons

audibles pendant son exécution sont les bruits ambiants.

La première exécution de 4'33" a lieu au Maverik Hall de Woodstock en 1952 avec David

Tudor au piano. David Tudor, pour son interprétation, choisira d’ouvrir et de fermer le

couvercle du piano, au début et à la fin de chacun des trois mouvements.

Les 4’33’’ de silence de J. Cage peuvent être pensées comme un

cas particulier de l’équation initiale où l’énergie musculaire est égale à zéro26.

Il nous propose un moment « pur », contrairement à la conduction# indirecte

abordée dans la pièce de George Brecht présentée ci-dessus, qui se déploie26 Cette équation sera développée dans le chapitre « partitions et notations » p. 90.

Page 60: Manuel d'arts plastiques tome 2

58 Manuel d'arts plastiques tome II

selon un passage, celui d’un état donné à un autre, un passage de moment à

moment.

La conduction# indirecte, si elle peut être pensée dans une relation

stricte entre le corps et l’instrument (musique des muscles et des nerfs), est

aussi l’un des premiers recours logiques à des éléments extramusicaux dans la

composition musicale plastique#. De ce fait, nous pouvons extrapoler cette

intrusion à d’autres matériaux (Objet ready made, image# fixe ou en

mouvement) mais il faut prendre garde à ce que l’assemblage respecte les

conditions d’une conduction# physique indirecte.

Page 61: Manuel d'arts plastiques tome 2

59 Le matériau

Nam June Paik, Listening to music throught the mouth, 1963.

Page 62: Manuel d'arts plastiques tome 2

60 Manuel d'arts plastiques tome II

Conduction mentale

e son fut rarement pensé par la musique « classique » en tant que

processus provoqué par un déplacement d’énergie du corps musicien.

Traditionnellement, le compositeur a toujours demandé à l’auditeur une

certaine abstraction de ce phénomène énergétique, privilégiant le résultat

formel. Sauf peut-être avec la notion de « virtuosité ». Mais qu’est-ce que la

virtuosité ? Sinon cette musique des « muscles et des nerfs » sublimée. Nous

pouvons alors conclure que l’énergie musculaire dans l’approche

conventionnelle de la musique est scénarisée par le dispositif du concert. C’est

lui qui permet d’abstraire le corps physique de l’exécution.

L

La plasticité appliquée au processus compositionnel nous permet,

au contraire, de considérer les matériaux mis en œuvre comme des éléments

Page 63: Manuel d'arts plastiques tome 2

61 Le matériau

scénarisés, et par là même, nous conduit à ouvrir à d’autres matériaux

similaires. Alors, la relation que ces matériaux entretiennent entre eux

s’envisage comme des conductions# mentales. Si les sons sont toujours soumis

à leurs qualités physiques objectives, ils peuvent aussi être choisis pour la

petite histoire qu’ils nous racontent. De plus, le geste, mais aussi le corps

sonore*, l’espace de diffusion... sont autant d’éléments susceptibles

d’intrigues. Il paraît donc essentiel de les choisir avec soin, en fonction du

sens à faire passer.

Page 64: Manuel d'arts plastiques tome 2

62 Manuel d'arts plastiques tome II

Conduction de matériaux scénarisés simples

omme pour les matériaux en arts plastiques, ceux utilisés pour la

musique peuvent être des matériaux scénarisés simples. Il suffit par

exemple de choisir un timbre lié à l’instrumentation occidentale, pour se

référer à notre histoire de la musique. Composer une pièce pour clavecin ou

pour viole de gambe ne peut s’envisager sans référence à l’histoire de ces

instruments, à ce qu’ils véhiculent d’histoire floue chez n’importe quel

auditeur/spectateur. De ce fait, c’est le timbre de l’instrument qui est scénarisé,

choisi pour ses références, mais aussi, l’instrument en temps qu’objet physique

présent et par là même, la posture du corps du musicien (c’est elle qui

détermine la citation, l’hommage, l’appropriation). Difficile de composer une

pièce pour orgue en faisant l’impasse de sa fonction dans les églises. De

C

Page 65: Manuel d'arts plastiques tome 2

63 Le matériau

même, choisir le timbre d’un instrument issu d’une autre culture musicale peut

désigner ou évoquer l’exotisme.

Allusion à la toccate baroque et le clavecin dans le Continuum de G. Ligeti, 1968.

La conduction# des matériaux scénarisés simples, contrairement aux

autres types de conduction# qui s’inscrivent dans un processus temporel, ne

détermine pas une forme du temps.

Conduction de matériaux scénarisés complexes.

e plus, le sampling* et la prise de son ont apporté de nouveaux degrés

au niveau substantiel d’une composition. Nous pouvons difficilement

parler de niveau « atomique » pour les citations ou les morceaux de réalité

enregistrés, dans la mesure où un fragment de musique préexistante, samplée,

D

Page 66: Manuel d'arts plastiques tome 2

64 Manuel d'arts plastiques tome II

est déjà une construction complexe de son. De la même façon, un

enregistrement sonore est un agencement acoustique difficile à traduire en

fonction des hauteurs, des intensités et des durées. Les boucles, les citations,

les prises de son, incorporées dans une pièce musicale, sont des matériaux

complexes. Si elles sont déjà un ensemble de sons, elles sont choisies pour

leur(s) référence(s).

Si le prélèvement peut être motivé par des raisons purement

formelles (mélodiques, harmoniques, temporelles), les motivations

sémantiques sont évidemment les plus prégnantes. La comparaison entre le

sample* et le ready-made paraît inévitable. L’usage d’un fragment préexistant

au travail du compositeur va prendre du sens (pour les plus courants :

Page 67: Manuel d'arts plastiques tome 2

65 Le matériau

hommage, pastiche, citation...27) en fonction du contexte dans lequel le

compositeur va l’inscrire.

Les patterns rythmiques empruntés au jazz, ainsi que l’alternance solo/refrain, les

références Balkanes de la construction rythmique et des sonorités de Hungarian Rock,

chaconne pour clavecin, G. Ligeti, 1978.

Cette remarque sur le contexte dépasse le simple recours au

sample. En effet, nous découvrons ici un modèle de pensée pour notre

musique plastique#, qui n’est pas sans rappeler une mise en garde que fit P.

Boulez à propos de l’organisation modale dans une lettre adressée à J. Cage.

Cette mise en garde concerne l’individualité donnée à chaque son qu’il croit

repérer dans les pianos préparés du destinataire, et Mode de valeurs et27 Quelques fragments célèbres réinvestis : Cage et Satie, Kagel et Beethoven, Pärt et Bach, Pierre

Henry et Wagner.

Page 68: Manuel d'arts plastiques tome 2

66 Manuel d'arts plastiques tome II

d’intensités de Messiaen. P. Boulez oppose à la pensée modale une pensée

sérielle (le tout jeune sérialisme généralisé) proche de la conception

Wébernienne où « le contexte fait surgir à l’apparition d’un même son, une

individualité très différente de ce son 28». Une telle remarque, mais nous

aurons l’occasion d’en reparler, semble tout à fait en accord avec les modes de

relation que nous sommes en train d’identifier dans ce chapitre.

Mais le sample, comme fragment préexistant à la composition,

n’est pas le seul élément complexe dont dispose notre compositeur plastique#.

De la même manière, des morceaux de réalité enregistrés et intégrés dans le

travail compositionnel vont déployer (répandre, c’est en ceci qu’il s’agit d’une

conduction#) le sens culturel, historique ou géographique, circonstanciel et28 P. Boulez & J. Cage, correspondances et documents, Christian Bourgois Editeur, 1990

Page 69: Manuel d'arts plastiques tome 2

67 Le matériau

anecdotique dont ils sont porteurs. Bien plus que des « fragments » ils sont des

« moments », des morceaux de moment d’une réalité que nous allons appeler

pour des commodités théoriques des boutmoments*. Il va de soi que

l’enregistrement des rues de New York pendant un incendie ne nous raconte

pas la même histoire que le lever de soleil sur la côte italienne. Et ces

boutmoments* peuvent intégrer une composition musicale riche, dialoguer

avec d’autres sons, samples* ou boutmoments*.

La ville de New York : cri d'un camelot, divers bruits évoquant les moyens de

transport urbain , les sirènes et les pompiers …de City Life, Steve Reich, 1995. Les sons

enregistrés qui se mêlent aux sons de l’orchestre proviennent, soit d'enregistrements

effectués par le compositeur dans les rues de New York, soit d'enregistrements transmis par

la police. Ces fragments de son de la ville enregistré sont disponibles dans un

échantillonneur (sampler) et joués par un clavier électronique.

Page 70: Manuel d'arts plastiques tome 2

68 Manuel d'arts plastiques tome II

Bruits de ressac, formes sonores indistinctes, caquètement d’une poule, braiment

d’un âne au loin… dans Presque rien n°1 le lever du jour au bord de la mer, Luc Ferrari,

1970. Luc Ferrari réalise une «restitution réaliste (…) d’un village de pêcheurs qui se

réveille» en plaçant ses micros au bord de la fenêtre de la maison qu’il habitait, face à la Mer

Adriatique. Cet enregistrement sera retouché plus tard par un montage « imperceptible ».

Le boutmoment* de mer et le bateau qui passe dans Peter Eötvös, « Now miss ! »,

1972. Pour violon & orgue électrique d'après "Embers" de Samuel Beckett, tansformé avec

un synthétiseur et bruits de mer. Comme dans la pièce radiophonique dont il s’inspire, on

entend un dialogue entre deux personnes, le violon et l’orgue électronique, assis sur la

plage.

Page 71: Manuel d'arts plastiques tome 2

69 Le matériau

Nam June Paik, Ramdom access, 1963-1979.

Page 72: Manuel d'arts plastiques tome 2

70 Manuel d'arts plastiques tome II

Ces matériaux complexes apportent d’autres comportements

compositionnels, car il s’agit de mettre côte à côte des fragments, de les faire

cohabiter avec d’autres sons, parfois moins scénarisés mais qui le deviennent

par rétroaction, ou de modeler deux éléments hétérogènes pour proposer un

tout cohérent. Insérer, rapprocher, coller, fondre... autant d’opérations

plastiques# s’il en est, dont les modèles sont le mix* et le montage*.

Qu’est-ce qui fait la différence ? La couture !

Le montage consiste à mettre en vis-à-vis deux fragments (des

images# comme des sons) qui n’ont a priori rien de commun. Il s’agit, selon la

jolie formule de Jean Luc Godard, de « mettre une inconnue en évidence »

(l’inconnue x des mathématiques). C’est faire naître du sens de ce

rapprochement lointain et juste. Le montage nécessite donc que la couture, le

Page 73: Manuel d'arts plastiques tome 2

71 Le matériau

raccord, soit visible (lisible, audible). Au contraire du mix*, qui mêle deux

éléments distincts en camouflant la supercherie, en les rendant solidaires dans

un seul objet, lequel nous apparaît presque « naturel ». Mix* et montage* sont

des activités compositionnelles qui juxtaposent des moments. Dans le premier

cas, les coutures sont pénétrantes et le moment résultant paraît d’une

homogénéité parfaite, dans le second, la couture est lisible et le sens naît du

face-à-face de deux moments très différents. Il va sans dire que, dans le cas de

la musique, ces deux figures travaillent aussi bien verticalement

qu’horizontalement où chaque élément est le contexte de l’autre. Condition

sine qua non de l’apparition du sens(ible).

Page 74: Manuel d'arts plastiques tome 2

72 Manuel d'arts plastiques tome II

Tableau 2. Schéma de mixage et de montage dans les dimensions verticales et horizontales pourdeux boutmoments et/ou samples A et B.

Et ces coutures nous intéressent au plus haut point. Elles nous

permettent encore une fois d’ouvrir ces corrélations à tous les matériaux en

présence dans la composition. Le corps sonore scénarisé peut se heurter à la

Page 75: Manuel d'arts plastiques tome 2

73 Le matériau

musique elle-même : la Marseillaise jouée sur un balafon29, par exemple. Le

corps de l’exécutant peut entretenir aussi une relation de montage avec son

instrument : un rappeur jouant de la viole de gambe. Mais nous pouvons

envisager avoir recours à des images# ou à d’autres objets.

29 Les exemples proposés ici sont des caricatures.

Page 76: Manuel d'arts plastiques tome 2

74 Manuel d'arts plastiques tome II

Module N° 182, Barbelés, pour quatuor à cordes, 2007.

Page 77: Manuel d'arts plastiques tome 2

75 Le matériau

Le matériau de la musique, mentalisé plastiquement, ne se pense

pas selon les dimensions classiques du son (timbre, hauteur, intensité,

durée...). Au contraire, ses dimensions ne sont que la partie visible d’un

iceberg aux multiples dimensions, dont il faut retenir qu’elles sont déjà

(surtout) des points de connexions. Vous disposez désormais d’une plus large

palette de matériaux musicalo-plastiques (sonores ou extra-sonores) dont le

sens va dépendre des liens que vous allez tramer entre eux. Le matériau est

toujours un contexte pour un autre. L’œuvre ainsi pensée est un réseau

complexe de passages (conjoints ou disjoints), passages qui, comme nous

l’avons vu, prennent du temps. C’est évidemment un élément essentiel et

conséquent aux conductions# : les matériaux en jeu se déploient dans le temps

physiquement et/ou mentalement.

Page 78: Manuel d'arts plastiques tome 2

76 Manuel d'arts plastiques tome II

Tableau 3. Tableau récapitulatif des évolutions temporelles en fonction des conductions.

Page 79: Manuel d'arts plastiques tome 2

77 L’observation

L’observation« Jamais le compositeur n’a été aussi dangereusement proche de devenir une figure étrangère, ou

purement décorative dans sa propre société. »L. Berio, Méditations sur un cheval de douze sons, 1968.

Composition politique impolie # 1, 2001.

Page 80: Manuel d'arts plastiques tome 2

78 Manuel d'arts plastiques tome II

a découverte du magnétophone fut l’occasion d’une nouvelle

observation du phénomène sonore. Par ailleurs, P. Schaeffer remarqua

rapidement la fonction ambiguë de l’appareil. Le magnétophone et

l’inscription du son sur le support magnétique proposaient simultanément, au

compositeur électroacoustique, une nouvelle lutherie et un laboratoire. Dès les

débuts de l’aventure de la musique concrète, les nouvelles technologies

permettant d’enregistrer le son (du microsillon à la bande magnétique) furent

prises entre le microscope et l’instrument, un intervalle dans lequel leur

position était ambiguë oscillant entre la possibilité créatrice et la possibilité

d’analyse de ces nouveaux outils. « C’est aussi, c’est d’abord (pour la

recherche) une machine à observer les sons, à les " décontexter ", à redécouvrir

les objets traditionnels, à réécouter la musique traditionnelle d’une autre

oreille, d’une oreille sinon neuve, du moins aussi déconditionnée que

possible 30»

L

30 SCHAEFFER Pierre, Traité des Objets Musicaux : essai interdisciplines, « Pierres vives », Paris,

Edition du Seuil, 1998, p. 34.

Page 81: Manuel d'arts plastiques tome 2

79 L’observation

Mais voilà, le microscope schaefferien est un microscope à

balayages et l’enregistrement sur la bande magnétique décontextualise, selon

lui, le son de sa source, il en fait une abstraction formelle pure. Les progrès en

phonétique acoustique furent fulgurants, et l’ouverture aux sonorités

extramusicales « classiques » incontestablement riche, comme en atteste la

musique contemporaine. Il faut reconnaître que le vocabulaire descriptif des

sons est aujourd’hui particulièrement au point. Pourtant, si notre manuel se

réclame de ces nouvelles conditions de l’observation sonore, elles ne satisfont

pas le plasticien qui ausculte et préfère la loupe de Holmes au microscope de

Mendeleïev.

Page 82: Manuel d'arts plastiques tome 2

80 Manuel d'arts plastiques tome II

Au même titre que les images#, nous sommes saturés de sons et le

musicien n’a plus le monopole de la musique. Les designers du son composent

l’identité sonore des gares et des supermarchés, de la même manière que les

publicitaires dessinent leurs logos ou rédigent leurs slogans de vente. Ce

formatage forcé de notre écoute va jusqu’à l’écriture du bruit d’un moteur de

voiture, ou de la sonorité d’un talon aiguille sur le pavé. L’usage des sons dans

notre société postindustrielle, comme celui des images#, est négociant. Alors,

ce sont les reportages d’investigation qui présument d’un devoir d’objectivité,

qui, en s’acoquinant avec le profit à tout prix, choisissent d’agrémenter leur

constat d’une musique codée. Soutenant les images#, elle induit la lecture, tour

à tour subjective, puérile, spectaculaire... Ça plaît, ça se vend ! Et tant pis pour

les partis pris douteux dont ces montages font preuve.

Page 83: Manuel d'arts plastiques tome 2

81 L’observation

La musique, en tant que système de signes, n’échappe pas à la

règle. Elle devient un instrument de modelage et de programmation de

comportement. Elle assujettit l’auditeur au capitalisme global. Mais nous

n’allons pas répéter ce que nous avons déjà évoqué dans l’introduction de ce

manuel, et que vous trouverez, de manière plus détaillée dans le premier tome.

Cependant, insistons sur ce point : l’usage social# de la musique doit rester

l’un des principaux axes de votre observation.

Page 84: Manuel d'arts plastiques tome 2

82 Manuel d'arts plastiques tome II

Module 220, Pièce pour 100 tricoteuses : le temps d'une paire de mitaines, 2000-2008.

Page 85: Manuel d'arts plastiques tome 2

83 L’observation

Nous évoluons donc parmi les signes. Des signes audio-visuels31,

que l’artiste ne peut négliger dans son travail, des signes dont il doit être à

l’écoute. Parce que, parfois, le sens de ces images# sonores est tellement

révoltant qu’il faut le dénoncer, ou parce qu’il arrive malgré tout qu’une

musique s’échappe. Il faut vous armer d’un certain don d’observation pour

repérer, promeneur écoutant32, ce que chante la réalité. Des images# sonores se

détachent parfois du tissu dans lequel elles sont prises, et font sens. Ce sont

des timbres, des formes, des usages, des rencontres qui nous offrent cette

attention particulière, des sons qui dialoguent entre eux dans une circonstance#

singulière et qui dialoguent aussi nécessairement avec un lieu, une image# et

31 Mais on nous a fait aussi la promesse de publicités olfactives.32 Librement adapté de Michel Chion.

Page 86: Manuel d'arts plastiques tome 2

84 Manuel d'arts plastiques tome II

une situation. Cette observation nous procure une sensation pré-musicale (ou

musicale, déjà33).

À la suite de Pierre Schaeffer, cette observation sonore identifie un

« objet sonore* ». Mais contrairement à son approche qui objective le son au

point d’en taire la source, l’objet sonore* décrit ici est un objet qui ne veut pas

oublier le site et le moment qui l’ont vu naître. Alors que Pierre Schaeffer isole

un son pour ses qualités abstraites (ses habitudes de pensées musiciennes),

nous proposons au contraire l’observation d’un son concret. Ce moment

sonore ou musical objectivé ne peut continuer à faire sens que dans le moment

poly sensoriel de son émission. Si nous partageons avec le théoricien la33 Nous assumons tout à fait cette fluctuation entre objet sonore et objet musical.

Page 87: Manuel d'arts plastiques tome 2

85 L’observation

nécessaire « mise entre parenthèses » du monde extérieur et de ses objets34

comme une qualité nécessaire à l’observation, la principale critique que nous

formulons concerne le « hors circuit » qui suit cette « suspension » et fait

écouter le son pour lui-même, indépendamment de sa source (l’écoute

réduite). Faire abstraction de ce à quoi le son renvoie (provenance et

signification) nous apparaît une théorie bancale où sans aucun doute il suffit

de gratter pour trouver une quelconque transcendance, si phénoménologique

soit-elle. Or, empiriquement, cette écoute réduite (idéale) n’est qu’un cas

particulier du travail désincarné du studio. L’observation est la « mise entre

parenthèses » d’une manifestation multi sensible35 où les éléments sont

34 L’ épochè d’Husserl à laquelle nous refusons le « transcendantal ». 35 Multi, poly, pluri...Nous usons de synonymes pour éviter les dérives philosophiques.

Page 88: Manuel d'arts plastiques tome 2

86 Manuel d'arts plastiques tome II

connectés les uns aux autres, y compris avec le contexte : une circonstance#

toute entière.

De ce fait, cette circonstance# pourrait à son tour être l’objet d’un

processus compositionnel qui serait déduit du réel : un « in situ » musical en

quelque sorte. Et si la circonstance# était enregistrée, le processus

compositionnel pourrait jouer avec ce fragment complet de sons concrets (ce

qui pose la question de l’enregistrement36). Nous voyons s’esquisser deux

36 Précisons que si notre objet sonore est contextuel, il n’en est pas pour autant un objet qui figure ou

représente. Il faut prendre garde à cette confusion. Notre objet fait signe et n’a rien à voir avec celui

des tenants du « cinéma pour l’oreille », parce qu’il fait une différence essentielle entre la prise de vue

Page 89: Manuel d'arts plastiques tome 2

87 L’observation

possibilités distinctes de travailler avec cet objet sonore* plastique, mais

auparavant, faisons le point sur les modalités d’apparition de l’objet sonore*37.

Modalités d’apparition de l’objet sonore.

n appelle objet sonore* toute manifestation et événement sonore que

l’on saisit pour ses propriétés (qui sont à la fois physiques, formelles et

sémantiques), comme un être sonore dépendant de l’occasion de son

apparition. Il peut être enregistré, noté (avec les écarts que cela suppose) ou

impliqué dans sa circonstance# même pour un travail compositionnel

O

et la prise de son.37 Rappelons avec M. Chion les confusions fréquentes faites à propos de l’objet sonore, in Guide des

objets sonores : Pierre Schaeffer et la recherche musicale, INA-GRM, Buchet/Chastel, Paris, 1983, p.

Page 90: Manuel d'arts plastiques tome 2

88 Manuel d'arts plastiques tome II

circonstanciel. C’est un son, une séquence de sons, une musique qui nous fait

signe. Corollaires :

- l’objet sonore* est d’origine concrète, il est le produit d’une

observation.

- Il est pré musical ou musical.

- Il ne peut s’écrire que de manière incomplète. Il ne répond pas dans sa

saisie aux paramètres catégoriques de durée, d’amplitude, de fréquence,

de timbre... Il affirme au contraire ses multiples dimensions.

- Il n’est pas le produit d’une combinatoire ou de calcul a priori.

- Il ne s’enregistre pas nécessairement, sa saisie est d’abord mentale.

- Il n’est pas seulement formel, il a du sens.

34. : « A. L’objet sonore* n’est pas le corps sonore. B. L’objet sonore* n’est pas le signal physique.

C. L’objet sonore* n’est pas un fragment d’enregistrement. D. L’objet sonore* n’est pas un symbole

noté sur une partition. E. L’objet sonore* n’est pas un état d’âme. »

Page 91: Manuel d'arts plastiques tome 2

89 L’observation

Nous distinguerons alors trois catégories d’objets sonores :

Objet sonore de geste (rétroactif)

l naît d’un corps à corps entre une énergie musculaire et un corps sonore*.

Il nécessite donc un travail gestuel, en particulier de gestes de

« répétition », d’« évolution », de « changement », d’ « entretien » et

« ponctuels », qui découlent d’expérimentations, tel que gratter, frotter,

tapoter...

I

Il n’est pas exclu que ceux-ci débordent sur des engrenages

syntaxiques qui mettent en œuvre une pré-construction formelle. Parfois, il

s’agit de la composition même. La musique électronique est adepte de cette

inscription de gestes au sein de la composition, au point d’en faire l’acte même

Page 92: Manuel d'arts plastiques tome 2

90 Manuel d'arts plastiques tome II

de la composition, au sens où nous l’entendons dans l’action painting en arts

plastiques : scratch, apparition/disparition (avec le bouton de volume), filtre...

Il s’agit d’un objet sonore* rétroactif que l’on reconnaît comme objet

sonore* et qui appelle à son tour des gestes de transformation.

Objet sonore de manipulation (ou désincarné)

’est l’objet sonore* de l’écoute réduite Schaefferienne. Les qualités du

son sont déjà abstraites par l’appareil d’enregistrement. Celui-ci,

considéré comme un microscope acoustique, observe un son amnésique de sa

source (première désincarnation). C’est un objet sonore* de pure écoute et qui

n’est plus le résultat d’une force musculaire. Son évolution et sa capacité à

produire d’autres objets sonores désincarnés vont dépendre de l’application

C

Page 93: Manuel d'arts plastiques tome 2

91 L’observation

d’a priori numériques, qu’ils soient d’ordre conceptuels ou algorithmiques

(les filtres et les effets appliqués sur le son).

Objet sonore de circonstance

lus complexe, c’est celui qui correspond le plus parfaitement à notre

définition initiale. Il s’inscrit dans un lieu et un moment. Il prend toujours

le risque d’évoluer vers les deux autres objets sonores décrits précédemment.

L’écoute et le saisissement du potentiel musical se font en même temps.

Relever cet objet sonore* c’est le capturer avec une certaine enveloppe liée

aux circonstances# de son émission (spatiale, prosaïque, sociale…) qui est

aussi sa condition sémantique. Il transporte avec lui le lieu qui le voit naître,

où il vit et meurt. Il est connecté aux autres données sensibles. De ce fait, le

son peut être considéré comme un phénomène d’ensemble, non réductible à

P

Page 94: Manuel d'arts plastiques tome 2

92 Manuel d'arts plastiques tome II

des catégories, ne tenant compte que de l’intérieur du son (timbre, fréquence,

durée…) qui pose le son comme une extériorité à la composition. « N’était-ce

pas le concept même d’ « intérieur du son », d’ « intérieur du matériau » qui

d’emblée avait piégé cette recherche, puisqu’il supposait déjà résolue, par le

compositeur, la question des limites où s’arrêterait cet intérieur, où

commencerait l’extérieur qui l’englobe 38» ?

Exemple : Paris, gare de l’Est, crissement des plaquettes de frein

d’un car de la RATP sur le pavé, début du boulevard de Strasbourg.

Simultanément, la pluie tombe (parfum du bitume), grosses gouttes sur la

ferraille du café qui fait l’angle, un homme se couvre, en sifflotant, s'essore.

« Mince, j’ai oublié le Md39 !»

38 Chion Michel, L’art des sons fixés, Métamkine/nota-bene/sono-concept, 1991.39 Minidisque.

Page 95: Manuel d'arts plastiques tome 2

93 L’observation

Ces objets sonores correspondent à des développements temporels

précis qui révèlent une certaine incompatibilité entre eux. Les débordements

syntaxiques de l’objet sonore de gestes, par exemple, prennent le risque de

faire progresser un motif par variation. Quant à l’objet sonore de manipulation,

il est souvent conséquent d’une mise en boucle. L’objet circonstanciel au

contraire épouse un temps concret. Ces objets sonores ont des modalités

d’apparition temporelle différentes dont les distinctions méritent de plus

amples explications. Celles-ci font l’objet de notre chapitre suivant.

Page 96: Manuel d'arts plastiques tome 2

94 Manuel d'arts plastiques tome II

Une brève histoire du temps

« La musique serait donc un système de différences qui structure le temps sous la catégorie du sonore. »A. Boucourechliev

a musique prend du temps. Penser le temps apparaît alors essentiel pour

penser la composition. Il semblerait cependant que le processus

compositionnel plastique# nous permette d’avoir une conception du temps qui

diffère de celle de notre tradition musicale.

L

Notre conception occidentale du temps trouve ses fondements dans

la pensée de la « nature » inaugurée par la « physique » d’Aristote. Sans

détailler une question bien trop vaste pour notre exposé, notons que le

« physicien » d’Aristote, par l’examen de la nature, le conduit à penser des

Page 97: Manuel d'arts plastiques tome 2

95 Une brève histoire du temps

corps en « mouvements »40. Pour mesurer les déplacements de ces corps, il

doit alors penser le temps. Celui-ci est envisagé comme quelque chose perçu

entre deux points successifs du mouvement d’un corps individuel. Or,

François Jullien nous rappelle que l’approche chinoise de la « nature » est

différente41 car elle ne l’a pas pensée en termes de « corps individuels voués au

mouvement, mais de facteurs en corrélation42 ». Vous comprenez dès lors en

quoi cette pensée nous intéresse particulièrement : la pensée chinoise « s’est

détournée de la conception des atomes et des particules » (liée aux langues

alphabétiques et que nous retrouvons au niveau des approches sémiotiques et

sémiologique du langage) « pour s’intéresser aux phénomènes d’influence et

40 « Mouvement » est un mot qui résonne particulièrement à l’oreille du musicien, n’est-ce pas ?41 François Jullien, Du « temps » : éléments d’une philosophie de vivre, le collège de philosophie, Ed.

Grasset & Fasquelle, Paris, 2001.

Page 98: Manuel d'arts plastiques tome 2

96 Manuel d'arts plastiques tome II

de transformation (c’est nous qui soulignons)43». Encore une approche qui

résonne particulièrement avec notre proposition de travail plastique

(pratique/théorique).

Se dessinent alors deux approches du temps très différentes.

L’une, se représente par rapport à l’espace, aux prises avec une linéarité, un

trajet irréversible, l’autre, (le procès plutôt que le temps d’ailleurs), où les

phénomènes se condensent, se répandent, dans une « alternance régulée44 » ;

l’une, la proposition d’un temps homogène abstrait, l’autre, une attention à un

temps concret fait de saisons, de moments, d’occasions et de durée (qui est

42 Ibid., p. 19.43 Ibid..44 Ibid..

Page 99: Manuel d'arts plastiques tome 2

97 Une brève histoire du temps

toujours la durée d’un processus particulier). Bref, il y a une pensée du temps

qui fait des événements et une autre, qui est constituée de moments.

Les matériaux tels que nous les avons décrits dans nos tomes I &

II, se déploient dans une temporalité grâce à leurs corrélations. C’est ce que

fait notre objet sonore*, mais de même que toutes les formes d’observation

décrites ici. Le mode de pensée plastique# est donc une pensée du moment qui

s’ouvre sur le précédent et le suivant, sans début ni fin, et qui n’en est que la

transition. La transition*, ultime notion pour penser le temps (le procès),

vocabulaire de la musique occidentale pourtant, est une manière de désigner le

changement pris dans un processus. Celui-ci contient les deux figures

opposées de la transition, la modification et la continuation.

Page 100: Manuel d'arts plastiques tome 2

98 Manuel d'arts plastiques tome II

Modification : un élément devient un autre par bifurcation.

Continuation : un élément se conforte et se déploie.

Chacune de ces figures est la condition de l’autre, opposées mais

inséparables, ce qui ne représente pas une contradiction mais la condition du

changement.

Insécables, nous allons pourtant nous y risquer. Encore une forme

aberrante de la dissertation. Mais nous allons « couper », surtout pour

confronter ces figures aux formes plus classiques du temps de la musique

contemporaine occidentale.

Page 101: Manuel d'arts plastiques tome 2

99 Une brève histoire du temps

Formes dramatiques45

Temps linéaire

a forme linéaire du temps est la forme la plus commune de notre manière

de construire la musique. Elle épouse ainsi notre manière occidentale de

se représenter la temporalité : la trajectoire d’un mobile d’un point à un autre,

un début et une fin. Elle nous prend par l’oreille, pour ne pas dire en otage, et

nous raconte ses variations ou ses transformations, ses prises de bec.

L

45 « Dans un film, temps du discours et temps de la fabula ne coïncident pas toujours, alors qu’en

musique, il y a une coïncidence parfaite des trois temps [discours, fabula, intrigue] (à moins que l’on

identifie la fabula à une succession de thèmes, et le discours à leur traitement global, de sorte que,

Page 102: Manuel d'arts plastiques tome 2

100 Manuel d'arts plastiques tome II

Sa schématisation la plus simple étant :

A A’ A’’...

Thème et variations.

Ou, le développement se fera par contradiction en y ajoutant un

« contre-thème46» :

Exp A ExpB Exp A ’ ExpB’...

Thème, contre – thème et variations

Les solutions compositionnelles sont des solutions de continuité

linéaire : un nouvel élément apparaît qui découle du premier dans un rapport

même dans la musique, on peut définir des intrigues qui anticipent ou reprennent ces éléments

thématiques, comme chez Wagner par exemple.) » in ECO Umberto, six promenades dans les bois du

roman et d’ailleurs, coll. « biblio essais », Paris, Grasset, 1994, p. 65.

Page 103: Manuel d'arts plastiques tome 2

101 Une brève histoire du temps

de continuité logique parfois contradictoire et qui va se répandre dans toutes

les transitions de continuité. Mais, rassurez-vous, le dénouement est heureux.

Morton Feldman dira, sans doute à propos de cette conception du

temps : « Franchement, cette approche du temps m’ennuie. Je ne suis pas un

horloger. Ce qui m’intéresse, c’est obtenir du temps dans son existence non

structurée. C’est-à-dire, ce qui m’intéresse, c’est la manière dont cette bête

sauvage vit dans la jungle − non au zoo. 47»

Temps en intrigue

46 Nous avons bien conscience que le terme de thème n’est pas tout à fait adéquat, faisant référence à

une règle locale# précise, alors que cette distinction temporelle s’applique à un champ plus large. Il est

Page 104: Manuel d'arts plastiques tome 2

102 Manuel d'arts plastiques tome II

l s’agit d’une construction directement dérivée de la première forme. La

forme suggère un temps plus complexe : « flash back », répétition,

superposition de différentes temporalités, formes ouvertes. Elle concerne

particulièrement la musique contemporaine qui s’est libérée de la forme sonate

et de ses dérivés. La contradiction est appliquée cette fois à la forme

temporelle suggérée. Nous pourrions la désigner comme une linéarité

contrariée qui n’en reste pas moins un drame.

I

L’imparfait 48

L’écriture contrapunctique de décalage (phasing) de motifs (pattern) du 1er mouvement de

Téhilim pour voix et ensemble (1981) de Steve Reich.

choisi pour des raisons de clarté.47 FELDMAN Morton, Ecrits et paroles, collection Musique et Musicologie, Paris, 1998, p. 209.

Page 105: Manuel d'arts plastiques tome 2

103 Une brève histoire du temps

es incessants retours entre passé et futur, en anticipant l’apparition

des lignes mélodiques, nous suggèrent une forme temporelle qui ne

semble pas avoir commencée et qui ne paraît pas se terminer.

CIl s’agit d’anticiper l’antécédent :

A A A A A A A

A’ A’ A’ A’ A’ A’

Conditionnel 49

Les 19 séquences isolées que l’instrumentiste au hasard des parcours de son regard

interprète de la Klavierstück XI, K. Stockhausen, 1956.

48 « Temps du verbe qui indique la répétition, l’habitude, où qui marque une action qui n’était pas

achevée quand une autre a eu lieu » (source Larousse)

Page 106: Manuel d'arts plastiques tome 2

104 Manuel d'arts plastiques tome II

’est une pièce exemplaire des formes ouvertes européennes (P.

Boulez, troisième sonate pour piano, 1957/K. Stockhausen, Zyklus,

1959,...etc.) Ces pièces épousent un temps concret par intermittence. Si

l’enchaînement des fragments est indéterminé, chacun d’eux est largement

écrit et dépendant d’une construction formelle logique (dans ce cas, la série

initiale). De plus, l’œuvre n’a d’ouverture que pour l’instrumentiste, celle-ci

ne concerne pas l’auditeur.

C

Le présent du subjonctif 50

Dialogue de l’ombre double pour clarinette, P. Boulez, 1982-1985.

49 « Mode du verbe qui exprime une action éventuelle dépendant d’une condition » (source Larousse)50 Action subordonnée simultanée avec le fait principal.

Page 107: Manuel d'arts plastiques tome 2

105 Une brève histoire du temps

Le soliste dispose de 6 cahiers dont l’ordre de succession est variable. La clarinette est

reliée au moyen d’un microphone de contact à un piano dissimulé en coulisse. Les sons

joués par l’instrumentiste sont réverbérés par la mise en vibration de la caisse de

résonance du piano et réinjectés dans l’espace de diffusion en temps réel. Puis, au jeu

immobile du clarinettiste sur scène répondent des sons préenregistrés de clarinette,

redistribués dans l’espace par six haut-parleurs qui entourent le public.

st-il nécessaire d’évoquer le « temps réel », pratique plus récente

grâce à l’évolution technologique importante réalisée ces dernières

décennies ? Il semblerait que le temps réel ne soit qu’un abus de langage et

qu’il ne relève en rien d’un temps concret. Comment une machine qui ne

pense pas le temps pourrait-elle s’engager dans un temps littéral ? Qui plus est,

lorsque cachée, elle attrape des fragments sonores qu’elle recrache,

transformés et spatialisés. N’est-ce pas une forme dramatique qui s’instaure

entre l’instrumentiste et son ombre ?

E

Page 108: Manuel d'arts plastiques tome 2

106 Manuel d'arts plastiques tome II

Si ce ne sont pas des fragments préenregistrés que l’ordinateur

expectore, c’est l’algorithme qui est déterminé à l’avance, déduit de séries ou

autres formants. Pourquoi cacher un dispositif aussi important ou relégué à

l’arrière du public ? Il apparaît nécessaire, pour tendre vers un temps concret,

de rendre conscient le spectateur du processus auquel il assiste. Sinon, il ne

reste qu’une présence fantôme dramatisée.

Nous parlerons de temps en intrigue lorsqu’il y a bien

prédominance du temps suggéré, c’est-à-dire lorsqu’une forme nous saisit par

l’oreille et nous raconte ses transformations, mais que la linéarité des trajets

Page 109: Manuel d'arts plastiques tome 2

107 Une brève histoire du temps

est brouillée par un dispositif d’écriture complexe. La forme continue d’être

dramatique, seulement elle a assimilé tous les temps de la langue.

Page 110: Manuel d'arts plastiques tome 2

108 Manuel d'arts plastiques tome II

Temporalité concrète

(Temps) moment

e ponctualisme particulier que propose Cage − qui n’est pas celui du

sérialisme des jeunes heures − pourrait s’apparenter à cette catégorie

temporelle. En isolant les sons, il brise leurs possibilités de rencontres. De ce

fait, les sons sont des « instantanés ». Ils ne racontent pas de drame et doivent

être saisis pour eux-mêmes. La composition est un moment à vivre.

L

Les auditeurs vivent concrètement les bruits ambiants des 4’33’’, J. Cage, 1952.

Page 111: Manuel d'arts plastiques tome 2

109 Une brève histoire du temps

Le (temps) moment est un temps qui se conforte. Si la composition

peut proposer un temps à vivre pleinement, elle peut aussi investir un moment

donné, auquel elle va s’adapter. Deux directions donc qui sont à chaque fois

au présent.

Notre objet sonore de circonstance#, décrit dans le chapitre

précédent, est directement impliqué dans cette façon de concevoir le temps. Il

envisage un moment conjoncturel qui est un temps stratégique pour une

musique « in situ 51» : il s’agit de repérer les « occasions » d’un déploiement

musical, de tirer profit d’une situation donnée (ses gestes : isoler, étirer,

répéter, imiter, collectionner52…). Voir chapitre suivant : La circonstance#.

51 Ce (temps) moment peut servir à penser les œuvres qui ne sont que visuelles.

Page 112: Manuel d'arts plastiques tome 2

110 Manuel d'arts plastiques tome II

(Temps) procès

l y a (temps) moment lorsqu’un élément se déploie et se conforte.

Seulement, le processus engagé peut prendre parfois une toute autre

tournure et changer, passer de moment à moment.

ILe (temps) procès correspond à ce passage. Il peut être convoqué

par notre objet sonore circonstanciel. Il est toujours pensé comme un temps

stratégique où l’intervention « sur le motif » va opérer des changements au

sein du processus circonstanciel engagé.

52 Il serait prétentieux de prétendre à une exhaustivité concernant les gestes des activités

compositionnelles. Nombre d’entre eux sont à inventer. Cependant, les mots qui désignent les gestes,

que vous trouverez présentés dans ce manuel, ont été choisis de manière à représenter et à inclure

Page 113: Manuel d'arts plastiques tome 2

111 Une brève histoire du temps

Le (temps) procès peut évidemment être composé et proposé

comme une expérience à vivre au présent. Dans ce cas, il s’agit d’une forme

compositionnelle qui engage un processus et se déploie. Mais, si le processus

peut être particulièrement écrit, son déploiement dans le temps reste

indéterminé, contrairement aux formes ouvertes intrigantes. Si certaines

compositions cagiennes se rapprochent de ce (temps) procès, l’indétermination

dont il est question, n’est en aucun cas liée au terme précis auquel elle renvoie

dans l’histoire de la musique. (La non-intentionnalité cagienne et le hasard ne

sont que des cas particuliers du (temps) procès, des solutions parmi d’autres !)

d’autres dérivés d’opérations.

Page 114: Manuel d'arts plastiques tome 2

112 Manuel d'arts plastiques tome II

L’écriture du temps procès consiste, au contraire, à déterminer :

1. Une situation ou un geste initial.

2. La manière dont elle (il) va se déployer, c'est-à-dire les gestes mis

en relation53.

En effet, le processus est avant tout une interaction de facteurs en

corrélation dont les modalités de transitions sont « la modification » et « la

continuation », qui s’influencent réciproquement et non comme des causalités

univoques. Le (temps) procès nous fait passer de moment à moment.

53 Le (temps) procès ne saurait se passer de bornes déterminées.

Page 115: Manuel d'arts plastiques tome 2

113 Une brève histoire du temps

Faire la peau, Partition Suspendue (partition visuelle et interactive) pour une darbouka, 2004.

*Le manipulateur :

-Il dispose des fragments de la carte de l'île au trésor de R. Stevenson.

Chaque fragment est associé à une séquence sonore déclenchée lors du passage

de la souris au dessus de celui-ci.

-Il peut glisser-déposer sur la peau du darbouka les fragments. Se faisant, il

propose une série de gestes à interpréter par le percussionniste.

*Le percussionniste :

Page 116: Manuel d'arts plastiques tome 2

114 Manuel d'arts plastiques tome II

-Il est face à l'écran.

-Il interprète les fragments de carte déposés sur le darbouka par le

manipulateur. Il doit réécrire le(s) fragment(s) de carte sur la peau de son

instrument. Il peut tracer (avec son doigt, son ongle, sa paume...), frotter, tapoter,

frapper...pour rejouer le dessin de la carte.

-Il respecte la position du fragment, défini par le manipulateur, sur la surface

du darbouka lors de son travail de réécriture.

Pour le mixage :

Sons enregistrés et sons du percussionniste sont une seule et même

surface. Pas de premier et de second plan.

Page 117: Manuel d'arts plastiques tome 2

115 Une brève histoire du temps

La transition (changement)

Continuation

Geste de continuation

Un élément se conforte

● Répéter● Entretien ● Imiter● Ponctuel

Geste de bifurcation

Un élément A devient un élément B

● Évolution● Changement● Altérer● Énergie différée

Page 118: Manuel d'arts plastiques tome 2

116 Manuel d'arts plastiques tome II

es gestes de continuation, qui ne modifient pas le cours du processus

engagé, sont des gestes que nous retrouvons dans la catégorie de (temps)

moment.

L▶ Entretien : Musique envisagée comme un moment qui se conforte

(ce qui ne veut pas dire qu’un changement ne se perçoit pas.)

Le SI/FA# à tenir le plus longtemps possible de la Composition 1960 # 7, La Monte Young,

1960.

Le ré grave, version « symphonique » du monochrome de la Symphonie monotone, Yves

Klein, 1960.

Page 119: Manuel d'arts plastiques tome 2

117 Une brève histoire du temps

▶ Répéter : soit l’élément saillant d’une circonstance#, soit l’idée

musicale. Vexations, Satie, ~1893.

Pièce constituée d'un motif de 13 mesures répétées 840 fois.

« Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le

plus grand silence, par des immobilités sérieuses. »

La répétition peut parfois tendre vers un changement de moment à

moment, lorsqu’elle est inscrite dans un processus initial qui, en se déployant,

entraîne des modifications. Par exemple, lorsque deux boucles de longueurs

différentes ne se rencontrent jamais de la même façon en se répétant.

Piano Phase, pour 2 pianos ou 2 marimbas, Steve Reich, 1967. La pièce est basée sur un fragment mélodique de cinq sons. Les deux pianos commencent

à l’unisson, puis progressivement le second piano en accélérant son tempo, produit un

déphasage métrique.

Page 120: Manuel d'arts plastiques tome 2

118 Manuel d'arts plastiques tome II

▶ Imiter : Il s’agit souvent de calquer l’élément saillant d’une

circonstance#. Cependant, il est possible d’imaginer un tel geste dans

une forme écrite du processus.

Bifurcation

▶ Ponctuel : Les gestes ponctuels sont à mi-chemin entre le moment

pur et le changement de moment à moment. En effet, un son54 suffisamment

isolé réclame une concentration sur l’instant, il peut donc être considéré

comme appartenant au (temps) moment. Mais plusieurs sons ponctuels,

54 La question du nombre de sons qui constituent un événement ponctuel est très importante. Nous

pourrions envisager comme Stockhausen des Momentform (formes momentanées) qui seraient des

événements ponctuels complexes, composés avec leur durée et leur mouvement propre, de timbre et

Page 121: Manuel d'arts plastiques tome 2

119 Une brève histoire du temps

toujours suffisamment isolés, nous proposent une succession d’instants qui

sont autant de moments.

▶ Évolution : Les gestes d’évolution sont des gestes relativement

classiques en musique. Ils peuvent cependant s’appliquer au temps stratégique

de la circonstance#, auquel cas les gestes se déduisent de l’observation

circonstancielle.

Concernant le processus écrit, il ne faut pas perdre de vue qu’il

s’agit de gestes en corrélation et que la situation initiale est déjà une

circonstance#, auquel cas les enchaînements se font « d’action à action ».

de densité différents (déduits de groupe appartenant à la série). Or, il va de soi qu’un événement trop

long ou trop peu isolé ne peut conduire à une écoute de l’instant seul.

Page 122: Manuel d'arts plastiques tome 2

120 Manuel d'arts plastiques tome II

Évolution qualitative :

- Hauteurs

- Durées

- Intensités

- Positions dans l’espace

▶ Altérer : même remarque que précédemment.

• Renverser

• Filtrer

• Effets

• Accélérer/ralentir

▶ Changement :

• Inclusion (montage*/mix*).

Page 123: Manuel d'arts plastiques tome 2

121 Une brève histoire du temps

Une inclusion forte peut faire basculer un moment vers deux moments

distincts, se déployant sans l’influence l’un de l’autre. Nous ne sommes plus

complètement dans un passage de moment à moment, mais dans un

assemblage, une juxtaposition de moments.

• Changement de point de vue sur une même idée. Au sein d’une

même action, changement de focalisation : on passe de A vers B en

changeant de point de vue, de point d’écoute.

▶ Énergie différée :

Les 100 métronomes du Poème symphonique, G. Ligeti, 1962.

Dix personnes déclenchent les métronomes (réglés à des vitesses différentes) et quittent la

scène. La pièce se termine lorsque le dernier métronome s'arrête.

Page 124: Manuel d'arts plastiques tome 2

122 Manuel d'arts plastiques tome II

Cas d’une conduction# physique indirecte avec un objet. L’énergie A se

transforme en énergie A’.

Si nous nous sommes particulièrement intéressés à la forme

temporelle sonore dans ce chapitre, il va de soi que dans le (temps) moment et

le (temps) procès tels que nous les envisageons, une large part concerne les

matériaux extra-musicaux. Nous vous renvoyons au tableau 3 qui récapitule

les évolutions temporelles en fonction des conductions# page 47.

Pour simplifier et pour conclure ce chapitre, faisons un petit détour

didactique par les arts plastiques (encore). En peinture#, nous pouvons dire du

tableau qu’il est fait d’un espace suggéré (celui illusoire de la représentation)

et d’un espace littéral (celui plan à deux dimensions : le support). Le temps

peut sans doute supporter la comparaison. Nous pourrions alors envisager un

Page 125: Manuel d'arts plastiques tome 2

123 Une brève histoire du temps

temps suggéré (construit, fictif, fait d’ellipses et d’intrigues) et un temps

littéral (réel ou concret), ou, plus simplement, un temps perçu subjectivement

par l’auditeur d’une œuvre musicale et le temps qui a réellement passé. Or, les

constructions temporelles qualifiées de « linéaire » et d’ « intrigue » sont des

agencements sonores qui mettent en avant la forme suggérée du temps. Les

autres, dont l’axe principal est la notion de moment, affirment au contraire un

temps littéral (ou se débarrassent même de cette séparation). En effet, plutôt

que de concevoir le temps et l’espace, il s’agit de penser le « site » et

l’ « occasion ».

Notre recours aux arts plastiques dans la composition musicale

nous conduit inéluctablement vers une pratique musicale concrète, dont la clé

de voûte se décèle dans l’idée de circonstance#.

Page 126: Manuel d'arts plastiques tome 2

124 Manuel d'arts plastiques tome II

La Circonstance

Page 127: Manuel d'arts plastiques tome 2

125 La Circonstance

a plasticité au secours de l’objet sonore* dégage le son d’une pensée qui

en ferait une idée a priori. Au contraire, elle exige de l’oreille une

véritable observation sonore d’où se dégage une possibilité compositionnelle,

de même qu’il existe une observation visuelle (et des pratiques en découlant :

« in situ » ou « sur le motif »…). Bref, pourquoi ne pas pratiquer aussi une

musique à ciel ouvert ? Voilà la pratique musicale libérée du concert,

circonstance# préfabriquée, joli cadre qui l’isole du réel et qui fomente le

drame. Pour nouer à nouveau le moment de l’exécution avec le réel, notre

objet sonore nous dévoile une autre possibilité : celle d’écrire une

circonstance# multi sensible qui, littéralement, va se déployer.

L

Page 128: Manuel d'arts plastiques tome 2

126 Manuel d'arts plastiques tome II

Composition circonstancielle : musique à cielouvert.

a composition circonstancielle est une composition qui trouve ses

raisons, et qui est conséquente d’un site et d’un moment. C’est une

composition qui séjourne dans une circonstance#. Un élément sonore

particulier (simple ou complexe), dépendant de son lieu d’émission, est repéré

par l’oreille et par tous les autres sens que sollicite cette circonstance#.

L’activité compositionnelle, qui intègre la circonstance# à son résultat

artistique, ne peut s’envisager que comme une suite d’opérations plastiques#

telles qu’investir, relever, indexer, inclure... Il paraît ici important de préciser

que le motif de départ n’est pas nécessairement sonore.

L

Page 129: Manuel d'arts plastiques tome 2

127 La Circonstance

Voici un exemple emprunté à Frédéric de Manassein. Dans une

grande surface, au moment de passer à la caisse, toutes les machines laissent

échapper un bip lorsqu’elles comptabilisent les différents produits achetés. Il

s’agit de siffler, de jouer avec ses bips machines, de les indexer à l’aide d’une

note proche de celle de la machine (hauteur, intensité, durée), entre chaque

émission. La notion de moment est ici très importante dans la mesure où il

s’agit d’épouser un temps concret, d’habiter une occasion qui se déploie. Ceci

implique qu’il faut se débarrasser de notre manière de penser la circonstance#,

c’est-à-dire du «ce qui se tient autour » étymologique, à titre d’accessoires ou

de détails. Au contraire, la circonstance# serait « ce qui, précisément grâce à sa

variabilité, peut être progressivement infléchi par la propension émanant de la

situation et fait advenir le profit escompté. On sort ainsi d’une logique du

Page 130: Manuel d'arts plastiques tome 2

128 Manuel d'arts plastiques tome II

modelage (celle du plan modèle venant informer les choses), aussi bien que de

l’incarnation (une idée projet venant se concrétiser dans le temps), pour entrer

dans une logique du déroulement : laisser l’effet impliqué se développer de

lui-même, en vertu du processus engagé.55» En effet, une circonstance# qui

fait signe, est un potentiel de situation qu’il faut exploiter. L’intervention

musicale est déduite de ces saillances préalablement définies dans le tome I de

nos manuels.

55 François Jullien, Traité de l’efficacité, Ed. Grasset et Fasquelle, Paris, 1996, p. 34.

Page 131: Manuel d'arts plastiques tome 2

129 La Circonstance

Le potentiel est sonore

Fidèle à notre gymnastique# plastique vous pouvez :

Relever : (isoler, imiter, collectionner...) Vous estimez que cette

rencontre est déjà musicale. Alors vous l’enregistrez. Mais vous connaissez

toutes les ambiguïtés que cela comporte. En effet, dans quelle mesure

l’appareil d’enregistrement va-t-il constituer un écart par rapport à la réalité

acoustique et multi sensorielle donnée ? Un enregistrement qui ne serait que

sonore retournerait la situation à votre désavantage, rendant votre relevé

amnésique de sa source (sauf si vous rivalisez d’ingéniosité dans les

étiquetages, peut-être). La caméra peut alors devenir un outil utile. Mais il faut

vous préoccuper des hors-champs dans la construction de vos plans. Un plan

Page 132: Manuel d'arts plastiques tome 2

130 Manuel d'arts plastiques tome II

qui ne comporte pas de hors-champ n’est pas le relevé d’un fragment d’une

réalité plus grande56. Mais voilà qu’un autre problème surgit : le micro ne

connaît pas le hors-champ ! Jamais rien ne dépasse du cadre de la prise de son.

Le micro ne connaît que la profondeur de champ, qu’il a plus ou moins

grande. Ah ! Lorsque la technologie rejoue la fatale séparation entre nos yeux

et nos oreilles…

Écrire la circonstance# ? La noter peut être ? ! Mais comment noter

des sons aux multiples dimensions ? Comme vous pouvez le constater cette

ligne de recherche reste ouverte.

56 Voir l’interlude II « De l’image » du manuel tome I.

Page 133: Manuel d'arts plastiques tome 2

131 La Circonstance

Indexer : Il s’agit de souligner la circonstance# même. C’est un

moyen de la relever en jouant avec un élément sonore saillant (l’exemple

évoqué plus haut fonctionne comme l’indexation d’une situation sociale).

Étirer, répéter, imiter sont les principales opérations de cette activité

compositionnelle plastique#.

Investir : C’est lorsque l’intervention dérange la circonstance# donnée

et influe sur son cours, un passage de moment à moment qui peut nécessiter

plusieurs catégories de gestes. Étirer, répéter, imiter... par exemple. Mais elle

n’exclut pas les évolutions qualitatives, ni les changements de point de vue.

Page 134: Manuel d'arts plastiques tome 2

132 Manuel d'arts plastiques tome II

Inclure : Il s’agit d’une pratique de montage*, telle que nous

l’avons définie auparavant. Un moment hétérogène est rapproché de la

circonstance# observée, leur rencontre produit du sens. Le moment inclus peut

être envisagé dans toutes ses possibilités dans la mesure où il représente une

construction autonome. Inutile de préciser que ce moment n’est pas

nécessairement sonore. S’il l’est, il se construit en fonction de tout ce qui a été

dit jusqu’ici. (Ajouter, associer, intégrer, lier...)

Le potentiel sollicite un autre sens

Traduction : Dans ce cas, vous considérez le site, l’occasion et

leur(s) potentiel(s) comme une partition circonstancielle. Les traces, les

Page 135: Manuel d'arts plastiques tome 2

133 La Circonstance

couleurs, les parfums, la densité des événements... sont aussi déterminants que

les contingences d’espace, de lieu et les représentations sociales et politiques

de cette circonstance#. Ces déterminants peuvent donc être amenés à être

traduits musicalement. La traduction procède d’un code de lecture précis, un

mode d’emploi57 qui repose sur des passages arbitraires, entre la musique à

jouer et les autres éléments repérés. C’est une règle du jeu, semblable à ce que

pratique Richard Long lorsqu’il trace un cercle sur une carte pour déterminer

sa future promenade. Le mode d’emploi, la réalisation sonore et les saillances

non-musicales sont trois éléments hétérogènes en présence qui se confrontent.

57 Écrire des partitions circonstancielles qui seraient en quelque sorte un « carnet de croquis », une

boîte à outils plastique# foliée dont tous les éléments seraient détachables et actualisables en toutes

circonstances# (contingence d’espace, de lieu, sociale, politique…) pour faire de la circonstance# des

Page 136: Manuel d'arts plastiques tome 2

134 Manuel d'arts plastiques tome II

Le sens naît de la couture, du montage*. La situation se déploie et laisse place

à un autre moment.

images# et des sons.

Page 137: Manuel d'arts plastiques tome 2

135 La Circonstance

Etude Xenakis pour 18 contrebasses, 2005.

Page 138: Manuel d'arts plastiques tome 2

136 Manuel d'arts plastiques tome II

Inclure : Sans procéder à une traduction, vous pouvez incorporer à

une situation n’importe quelle composition. Voir montage*/mix*.

Nous aurions tort de prétendre à l’exhaustivité dans cette petite

suite d’opérations plastiques#. Toutes les combinaisons et les variantes sont

possibles. Et la suite des recherches nous permettra de rendre plus complète ce

catalogue (comme nous l’espérons). Livré ici, il sera soumis à vos éventuelles

critiques, et pourquoi pas, à votre volonté de le compléter.

Page 139: Manuel d'arts plastiques tome 2

137 La Circonstance

Composition circonstanciée : échafauder unsite et un moment.

ous avons vu dans le tome I de ce manuel que l’espace d’exposition

dévolu aux arts plastiques pouvait être considéré comme une

circonstance# particulière. Or, celle-ci coexiste avec des comportements

déterminés qui règlent, tout à la fois, les déplacements du spectateur, le temps

des œuvres, la relation entre l’œuvre et l’espace social dans lequel elle s’inscrit

(accrochage, vente, publicité...). De la même façon, le concert est une

circonstance# qui cohabite avec un scénario# trouvant ses fondements dans un

archaïsme de pensée très rarement examiné.

N

La représentation traditionnelle, tant picturale que musicale, se

définit autour d’un axe vertical. Il faut entendre par vertical tout ce qui

Page 140: Manuel d'arts plastiques tome 2

138 Manuel d'arts plastiques tome II

concerne la question de la « scène », de son espace dont l’agencement

scène/salle trouve son origine dans l’arrangement de la scène judéo-chrétienne

avec l’autel de l’église. Celle-ci monte une estrade qui, d’une part, exige une

stricte séparation entre le prêtre et les fidèles, et d’autre part, configure les

signes au modèle « anagogique », c’est-à-dire à l’élévation vers un sens

supérieur et univoque (le dieu) par la contemplation passive de son support, le

signifiant (l’objet, les écritures, le prêtre sur sa scène…). Or, cette manière de

configurer la scène se répercute dans notre manière de concevoir et d’agencer

les espaces de l’art. L’espace du concert, par exemple, rejoue la dichotomie

entre l’auditeur passif et l’exécution sur une scène dans un face à face. Mais

aussi, l’attente et la recherche du concept derrière une matérialisation formelle.

La musique malgré sa fluidité, sa souplesse, est envisagée comme un objet

Page 141: Manuel d'arts plastiques tome 2

139 La Circonstance

idéal avec sa fin, son début et ses résolutions. Cet objet idéal scénarise à son

tour le corps de l’auditeur en le confinant en une attitude prostrée.

Ces attitudes d’écoute formatée doivent faire partie des lignes de

recherche du compositeur plasticien que vous êtes. Elles doivent être

désamorcées par l’écriture d’œuvres qui ne sont pas destinées au concert ou

qui distancient le scénario#, jusqu’ici omniprésent dans ce mode de diffusion.

C’est la notion de circonstance# qui permet cette issue. Composer

une circonstance# c’est écrire une situation musicale et visuelle spécifique qui

joue de l’usage social# traditionnel de la musique ou qui propose une autre

modalité d’accès à l’œuvre. On l’aura compris, cette situation spécifique

Page 142: Manuel d'arts plastiques tome 2

140 Manuel d'arts plastiques tome II

touche tout autant le processus compositionnel que l’activité esthétique du

public. L’écriture de cette situation spécifique va s’attarder à déterminer tous

ses éléments et ses dispositifs : le lieu, l’espace, la circulation des corps, les

déterminants sociopolitiques... et, bien sûr, la forme temporelle qu’elle va

déployer. Pour composer cette situation, vous pouvez donc vous référer aux

deux tomes que constituent ces manuels.

Mais écrire une circonstance#, c’est aussi cesser de s’intéresser aux

problèmes formels et réaliser un objet réel plutôt qu’une illusion conceptuelle,

donc refuser de faire des œuvres qui ne seraient que des propositions

distractives. Vous auriez tort de confondre l’écriture d’une situation avec

l’agencement d’une ambiance.

Page 143: Manuel d'arts plastiques tome 2

141 La Circonstance

Yves Klein, Symphonie monotone et anthropométrie, 1960.

Page 144: Manuel d'arts plastiques tome 2

142 Manuel d'arts plastiques tome II

Il s’agit donc de placer les instrumentistes dans une situation de jeu

spécifique qui n’est pas celui convenu du scénario# traditionnel. Si, dans la

première piste de travail proposé le processus compositionnel était déduit du

réel, dans cette seconde proposition, c’est à vous d’écrire le site et le moment

d’où vous déduirez le jeu musical. Les éléments que vous choisirez, le site, le

moment que vous voulez déployer, les matériaux en jeu (qu’ils soient sonores

ou non), ainsi que le mode de relation qu’ils entretiendront entre eux, doivent

faire sens.

Page 145: Manuel d'arts plastiques tome 2

143 La Circonstance

Vous investissez les scenarii d’écoute de notre sociétécontemporaine.

es habitudes d’écoute musicale ont beaucoup évolué depuis la fin du

XIXème siècle. Aujourd’hui, l’écoute se pratique en ville avec un

baladeur ou un lecteur mp3, et chacun d’entre nous possède un appareil de

diffusion domestique. L’écoute s’est répandue dans tous les lieux et à tous les

moments de la journée. Elle est branchée à tous nos mouvements et tous nos

gestes de la vie quotidienne, si infimes soient-ils. Encore une fois, cette liberté

est bien fragile et peut s’avérer, paradoxalement, une véritable servitude. Nous

l’avons vu, ces pratiques contribuent à la mise en place de scenarii# et

d’assujettissements à des comportements « prêt-à-porter ».

L

Page 146: Manuel d'arts plastiques tome 2

144 Manuel d'arts plastiques tome II

Ces intrigues peuvent être des prétextes à un travail compositionnel

plastique#, dont les motivations (fond et forme) seraient de proposer des

alternatives aux attitudes d’écoute ou d’autres propositions pour enrayer les

scenarii# en vigueur.

Vous distanciez la forme classique du concert.

Kagel, Sur scène, 1960.

e lieu de diffusion choisi (ou proposé) est une salle de concert classique.

Vous devez neutraliser le scénario# de l’estrade inhérent à sa fonction. Il

s’agit de distancier, au sens brechtien du terme, les éléments récurrents de

cette intrigue.

L

Page 147: Manuel d'arts plastiques tome 2

145 La Circonstance

Théâtraliser : C’est un point sur lequel nous allons insister

davantage. Mais, pour déjouer la forme dramatique que peut prendre la

musique, pour permettre à l’auditeur d’éprouver le temps dans une forme

concrète, il est nécessaire de lui montrer tous les rouages du processus auquel

il assiste. Toutes les formes ouvertes de la musique ont souvent oublié ce point

important dans leur réalisation, de telle sorte que l’ouverture n’était visible que

du point de vue des instrumentistes. Il est donc essentiel d’étaler ouvertement

devant l’auditeur (spectateur) ce dont on a besoin pour faire cette musique.

Montrer la machinerie (câbles, boîte d’effets, table de mixage), rendre sensible

l’énergie musculaire nécessaire à l’exécution, si possible la surjouer, jouer

avec les représentations mentales du corps sonore* utilisé, avoir recours aux

matériaux extra-musicaux avec toutes les formes de conductions# qu’ils

Page 148: Manuel d'arts plastiques tome 2

146 Manuel d'arts plastiques tome II

permettent, sans pour autant en faire des accessoires. Il faut montrer le cours

du processus selon les lois qui le déterminent.

(Cette remarque n’est pas seulement valable pour une

composition plastique# qui se déroulerait dans un espace dévolu au concert

traditionnel, mais elle doit être prise en considération pour toutes les autres

situations.)

« Spectaculariser » la partition : Conséquence de notre

précédente remarque, la partition doit s’exhiber elle aussi. Elle s’émancipe de

« la tourne » et cesse d’être transparente. Elle est l’une des conditions

possibles pour construire un déroulement sonore qui aura lieu dans un temps

Page 149: Manuel d'arts plastiques tome 2

147 La Circonstance

littéral, où les sons ne seront pas figés dans un drame mais bien présents dans

un espace concret.

De fait, elle ne se rédige plus obligatoirement avec la notation

traditionnelle. Son écriture peut se faire à partir de tous les matériaux

disponibles (la translittération passera alors par un mode d’emploi arbitraire).

De plus, cette partition doit se penser comme un geste initial qui va engager un

processus, elle est essentiellement mutable : condition nécessaire pour qu’elle

ne soit plus la symbolisation d’un processus.

Page 150: Manuel d'arts plastiques tome 2

148 Manuel d'arts plastiques tome II

Module 66, De tête ou étude au chapeau,pour petit effectif au choix,2007.

Page 151: Manuel d'arts plastiques tome 2

149 La Circonstance

Vous écrivez un site et un moment particulier.

La Monte Young, Dream house, 1962-1990.

ette fois, le site choisi est relativement neutre, il peut être intérieur ou

extérieur. C’est à vous d’écrire ses particularités propres (topologiques,

historiques, sociologiques...) et son scénario# spécifique (circulation, point de

vue, fonction...). Votre composition va s’agencer à la manière d’une

installation en prenant soin d’exhiber les détails de cette mise en œuvre poly-

sensorielle. Vous pouvez maintenant prévoir d’occuper plusieurs pièces

distinctes, de mêler les appareils de diffusion avec des instrumentistes, de

jouer avec les câbles qui courent au sol, d’apporter une radio, de jouer sous la

C

Page 152: Manuel d'arts plastiques tome 2

150 Manuel d'arts plastiques tome II

pluie, d’inviter l’accordéoniste du coin qui connaît son heure de gloire au

PMU de l’angle, de m’inviter moi... L’essentiel est maintenant de faire sens...

Qu’il s’agisse de l’habiter ou qu’il s’agisse de l’écrire, la notion de

circonstance# ouvre à toutes les possibilités de l’activité compositionnelle

plastique#.

Mauricio Kagel, Eine Brize pour 111 cyclistes, 1994.

Page 153: Manuel d'arts plastiques tome 2

151 La Circonstance

Page 154: Manuel d'arts plastiques tome 2

152 Manuel d'arts plastiques tome II

Partitions et notations

our notre musique « savante », la partition fixe par écrit l’essentiel de la

composition musicale avant d’être translittérée en une réalité acoustique.

Il s’agit pour les exécutants d’interpréter les signes de notation en retournant

au langage premier : le son sous la note, un détour par l’œil de ce qui doit

valoir en amont comme en aval pour l’oreille.

P

En outre, la partition dans l’histoire de l’art a souvent été un lieu de

rencontres privilégiées entre la musique et les arts plastiques : depuis les

partitions représentées sur les natures mortes jusqu’aux partitions plastiques,

où les gestes picturaux et les couleurs devaient pouvoir trouver une

équivalence musicale dans un procédé de lecture à chaque fois différent. Pour

Page 155: Manuel d'arts plastiques tome 2

153 Partitions et notations

ce dernier cas, la correspondance entre son, couleur, timbre et matière n’était

toujours qu’une proposition a priori sans véritable fondement logique. Il s’agit

toujours de faire coïncider le travail plastique# avec un objet immuable et clos,

idée que nous désapprouvons depuis le commencement.

Ce chapitre se propose alors de disséquer en détail les

fonctionnements de la partition. Qu’il s’agisse de composer avec la

circonstance# ou d’écrire une situation spécifique, l’approche circonstancielle

et plastique# du processus compositionnel modifie singulièrement les

modalités de la partition (musicale et plastique#). Elle peut être écrite à

l’intérieur de la circonstance# comme trace ou document# du lieu et du moment

Page 156: Manuel d'arts plastiques tome 2

154 Manuel d'arts plastiques tome II

(mais elle n’exclut pas le geste), comme elle peut participer pleinement à la

création d’une circonstance# particulière qui se déploie.

Pour J. Cage, la partition est une lettre destinée aux interprètes.

Mais c’est aussi, dit-il, une caméra. Cette comparaison stimule

particulièrement notre lien avec la plasticité. Il propose de ne plus penser la

partition comme un objet temporel fini mais comme un appareil pour prise

d’écoute. La partition n’est plus ce qui reçoit l’écriture, elle est l’écriture elle-

même, engageant un lieu et un moment spécifiques, un objet à activer qui peut

être aussi un instrument (musical et d’écoute). Pour autant, elle reste précise,

toutes les informations concernant l’exécution musicale y sont définies, ainsi

que la façon dont le geste initial va se déployer.

Page 157: Manuel d'arts plastiques tome 2

155 Partitions et notations

Les équations qui suivent aspirent à montrer les différentes

dispositions de la partition dans la pensée musicale. À partir d’un schéma

simple − illustration de l’usage de la partition classique (encore en vigueur) −

il s’agit de dévoiler ce que suscite, dans la production de sens, une partition

spécifique (présente dans la production sonore). De plus, ces équations nous

permettront de développer la liste des manipulations plastiques que les

partitions spécifiques permettent d’envisager dans l’écriture musicale.

Page 158: Manuel d'arts plastiques tome 2

156 Manuel d'arts plastiques tome II

Partitions transparentes.

Du point de vue traditionnel de la notation, l’écriture codifiée est amenée à

être translittérée en réalité acoustique. Son lieu est le pupitre. Son unique

moment de visibilité la « tourne ». La partition, en tant qu’objet, n’intervient

pas dans la production de sens au moment de l’exécution. Nous la qualifierons

de transparente.

Page 159: Manuel d'arts plastiques tome 2

157 Partitions et notations

La situation zéro présente la forme classique du lien entre la partition et

l’exécution.

Situation 0 :

Page 160: Manuel d'arts plastiques tome 2

158 Manuel d'arts plastiques tome II

Situation 1 :

Exemple : J. Cage, 4’33’’ (à noter que pour les interprétations connues

l’énergie musculaire = 0 se trouve théâtralisée). De plus, ces 4’33’’ de silence

n’auraient aucun sens si Cage ne jouait pas du scénario# inhérent à la forme du

concert classique.

Page 161: Manuel d'arts plastiques tome 2

159 Partitions et notations

Situation 2 :

Exemples : Violon brisé de Nam June Paik.

Page 162: Manuel d'arts plastiques tome 2

160 Manuel d'arts plastiques tome II

Situation 3 :

Exemple :

La Monte Young, composition 1960 # 5, 1960

Page 163: Manuel d'arts plastiques tome 2

161 Partitions et notations

Situation 4 :

Exemples : G. Brecht, Incidental music, 1962.(voir page)

G. Ligeti, Poème symphonique, 1962.(voir page)

Page 164: Manuel d'arts plastiques tome 2

162 Manuel d'arts plastiques tome II

Situation 5 : Cas particulier de la musique électroacoustique

Les deux moments sont simultanés dans le cas de musique

électroacoustique live. La description ci-dessus correspond au travail de studio

traditionnel.

Page 165: Manuel d'arts plastiques tome 2

163 Partitions et notations

Skydrum, vidéo, 2006.

Partitions spécifiques

« Composer signifie : suggérer à l’interprète la possibilité objectivement réelle d’une action » CHARLES Daniel, Gloses surJohn Cage, « arts et esthétique », s. l., Desclée de Brouwer, 2002, p. 22.

a partition s’est émancipée de la tourne. C’est un objet visible tout

aussi important que la réalité acoustique. Elle fait partie intégrante du

sens de l’œuvre. Elle peut être visuelle, audio ou audio-visuelle (mais

pourquoi pas olfactive ?...)

L

Page 166: Manuel d'arts plastiques tome 2

164 Manuel d'arts plastiques tome II

Situation 1 :

Exemple : Il s’agit d’une partition spécifique qui engage une circonstance#

dans la réalisation instrumentale. Sa fonction est de déterminer par exemple

comment le musicien va traduire les éléments saillants d’une occasion, qu’ils

soient visuels et/ou sonores.

Page 167: Manuel d'arts plastiques tome 2

165 Partitions et notations

Situation 2 :

Exemple : Piet(a)bort est une partition objet (un jeu du type « jeu de l’oie ») qui

nécessite :

Page 168: Manuel d'arts plastiques tome 2

166 Manuel d'arts plastiques tome II

1. Une règle du jeu qui permet de traduire le déroulement du jeu en

processus musical (le déplacement des pions entraîne un jeu sonore).

2. La manipulation d’un objet qui est la partition, un corps sonore et une

image#.

Page 169: Manuel d'arts plastiques tome 2

167 Partitions et notations

Situation 3 :

Exemple : Les partitions suspendues sont des partitions interactives dont les

déroulements temporels multiples sont « suspendus » par le programme. Sa

manipulation donne les informations à interpréter par l’instrumentiste. Elles

Page 170: Manuel d'arts plastiques tome 2

168 Manuel d'arts plastiques tome II

n’empruntent pas une forme classique de notation, elles jouent au contraire à

partir d’images# (fixes et mobiles). Elles sont parfois assorties d’un mode

d’emploi.

Page 171: Manuel d'arts plastiques tome 2

169 Partitions et notations

Mécanique funambule, partition suspendue pour une flûte, 2004.

*Mécanique funambule est une partition circonstanciée pour flûte seule. Elle

nécessite à chaque fois sa projection appropriée et un manipulant.

• Le manipulant peut, avec sa souris, déplacer la constellation de notes,

proposer des rotations de celle-ci, faire apparaître et disparaître des motifs. Tous les

Page 172: Manuel d'arts plastiques tome 2

170 Manuel d'arts plastiques tome II

choix du manipulant doivent être joués par le flûtiste. La distance entre les notes et

la grosseur de chacune d'elles, suggèrent un espace temporel et un mode

d'attaque.

(extrait du mode d'emploi)

Page 173: Manuel d'arts plastiques tome 2

171 Partitions et notations

Situation 4 :

Exemple : Les partitions dessinées sont des approches particulières de la

partition circonstancielle, dans la mesure où l’écriture de la partition se fait à

la suite de l’observation d’une circonstance# (l’exécution est donc différée). Le

Page 174: Manuel d'arts plastiques tome 2

172 Manuel d'arts plastiques tome II

dessin, assorti d’opérations plastiques#, est une manière de relever la

circonstance#.

Page 175: Manuel d'arts plastiques tome 2

173 Partitions et notations

L’écriture de ces partitions, dites spécifiques, intègre tous les

matériaux, qu’ils soient sonores ou visuels. Vous trouverez donc ici un tableau

récapitulatif des passages entre matériaux extramusicaux et musicaux.

Page 176: Manuel d'arts plastiques tome 2

174 Manuel d'arts plastiques tome II

Tableau 4. Tableaux des conductions entre matériaux sonores et matériaux non sonores.

Page 177: Manuel d'arts plastiques tome 2

175 Partitions et notations

Notre conception des arts plastiques comme pratique d’une logique

sensitive, où la matérialisation n’est qu’un cas particulier du travail plastique#,

modifie le rapport arts plastiques/musiques au sein de la partition.

- Le matériau visuel employé est aussi important que le

matériau sonore, même si celui-ci est soumis à une traduction. La

partition est spectaculaire, elle fait partie de la production de sens

durant la translittération. Il faut la rendre visible. Les niveaux de

rencontres entre matériau musical et matériau visuel répondent aux

mêmes critères de relations que tous les matériaux plastiques : couture

lisible, couture invisible, juxtaposition....

Page 178: Manuel d'arts plastiques tome 2

176 Manuel d'arts plastiques tome II

- L’écriture avec les matériaux visibles (d’appréhension

visuelle) n’est pas nécessairement l’écriture d’une forme figée, mais la

proposition d’une série de processus à réaliser par l’(les)

instrumentiste(s) : les opérations plastiques# (isoler, imiter, collecter,

ajouter, agrandir, intégrer, juxtaposer, répéter, investir, indexer...) se

trouvent en amont comme en aval de la composition, à la suite d’une

observation sonore et/ou comme proposition circonstancielle de jeu

pour l’instrumentiste.

- La rencontre arts plastiques/musique ne peut se satisfaire de

l’exposition d’une partition dans un accrochage convenu. La partition

plastique# n’a de sens que durant sa mise en jeu, l’exposer seule n’a pas

Page 179: Manuel d'arts plastiques tome 2

177 Partitions et notations

de sens. Exposer les partitions de Cage, par exemple, sous prétexte que

l’écriture passe par un procédé différent de celui de la notation

traditionnelle, est un non sens et une incompréhension. Lorsqu’il se sert

de pierres pour déterminer une suite de glissandi*, son recours aux arts

plastiques ne peut pas se résumer seulement aux outils graphiques

utilisés et aux dessins qu’ils représentent. Mais c’est tout le dispositif

de calque, d’isolement du contour d’un matériau naturel (et sans doute

symbolique chez Cage) ainsi que sa traduction par imitation en une

ligne musicale, qui sont plastiques#.

- De ce fait, la partition plastique# s’inscrit dans l’espace de

diffusion et rend lisible le processus de translittération. Elle est

Page 180: Manuel d'arts plastiques tome 2

178 Manuel d'arts plastiques tome II

impliquée dans une mise en espace à égale importance avec les autres

éléments visuels et les autres matériaux.

- La partition rendue spectaculaire (visible) et mouvante est un

effet de distanciation au sens brechtien. Elle affirme le lieu d’où

l’émission se produit, elle force le musicien à un déchiffrage qui

annihile toute tentative de virtuosité, elle affirme une musique qui ne

s’appuie pas sur l’harmonie classique et empêche toute forme de

catharsis (pas de sentiment de reconnaissance, pas « crin de cheval sur

boyau de chat... »)

La partition acquiert donc une position particulière, du fait de son

« entre catégorie » (n’y voyez ici qu’un clin d’œil à Morton Feldman). La

Page 181: Manuel d'arts plastiques tome 2

179 Partitions et notations

partition pensée et réalisée à l’aide de la pensée plastique# est insaisissable

théoriquement, elle résiste au feu et à l’eau. Par la plus-value de visibilité

spectaculaire que le langage plastique# lui donne, elle change de statut mais ne

se déplace pas pour autant. Seule, elle ne peut pas prendre le pas sur l’audition

de son exécution. La partition qui s’articule autour de l’intrigue arts plastiques

et musique est précipitée (elle est le précipité de son intrigue chimique) entre

la « spectacularité » de son exposition et l’étonnement de sa diffusion. Elle

occupe l’écart entre l’éclair et le tonnerre, elle occupe l’interstice, là où le

vêtement baille. C’est son caractère insaisissable qui la rend pertinente vis-à-

vis de nos pratiques musicales et visuelles contemporaines. Elle implique une

forme particulière de « consommation », de saisissement esthétique (mutable)

qui rompt avec les formes traditionnelles de l’exposition et du concert, parce

Page 182: Manuel d'arts plastiques tome 2

180 Manuel d'arts plastiques tome II

qu’elle ne satisfait ni l’un, ni l’autre. Insistons sur ce point, la partition

interstice (comme nous l’avons vu précédemment) est un « îlot » où ne

règnent plus les idéologies en vigueur de l’un ou l’autre des bords.

Noter

ous ne pourrions pas terminer ce manuel sans évoquer le problème

délicat de la notation. Comment noter un son qui s’ouvre à toutes ses

dimensions, des plus classiques aux dimensions du lieu qui le voit naître, à ses

connexions à un moment non-mesurable, aux relations (syntaxe) qu’il

entretient avec ce lieu, ce moment et les autres sons...?

N

Page 183: Manuel d'arts plastiques tome 2

181 Partitions et notations

La notation ne peut être qu’une suite d’écarts par rapport aux

multiples dimensions du son. Plutôt que d’envisager une forme de

notation où un signe porterait tous les paramètres d’un son, les arts

plastiques nous permettent d’écrire les relations seules : l’espace des

coutures. Mais rien n’est déterminé, il n’y a pas de codes. Sinon ceux

que vous devez inventer.

Page 184: Manuel d'arts plastiques tome 2

182 Manuel d'arts plastiques tome II

Précipités

ous l’avons beaucoup répété, la musique réalisée depuis notre méta-

atelier cesse de se préoccuper seulement de problèmes formels. La

morphologie globale de l’œuvre n’est pas la principale motivation de vos

réalisations musicalo-plastiques. Pourtant, nous aurions tort de penser qu’elles

ne prennent pas forme. Certes, nous avons particulièrement insisté sur la

syntaxe, mais nous ne pouvons pas négliger que la partition, la circonstance#,

les sons..., sont inévitablement mis en forme. Il faut dire quelques mots de ce

dernier point névralgique, qui pourrait porter à confusion.

N

Nous avons vu depuis le début de ce manuel que tous les éléments

choisis ou reconnus pour une composition plastique# concrète sont des points

de connexions. L’ensemble [matériaux, circonstance#, corrélations, opérations]

Page 185: Manuel d'arts plastiques tome 2

183 Précipités

forme un complexe qui produit des formes (et du sens, condition du

sens(ible).) Ainsi, les morphologies ne sont pas définies a priori mais bien a

posteriori, par le développement temporel du complexe et les opérations

plastiques choisies. Les éléments répondent à des morphologies locales et se

déploient en une morphologie globale : l’œuvre.

Les théoriciens qui ont réfléchi aux liens que pouvaient entretenir la

musique avec la science ont l’habitude de les comptabiliser au nombre de

deux : soit ils considèrent la musique comme l’art des sons et se dirigent alors

vers la physique, soit ils considèrent la musique comme l’art des structures

dans leur relation au temps, et se dirigent alors vers le calcul symbolique et

l’algèbre. Quant à nous, nous nous réfèrerons à la chimie en employant le

Page 186: Manuel d'arts plastiques tome 2

184 Manuel d'arts plastiques tome II

terme de précipité58. Le paradigme chimique constitue la logique

morphologique à tous les niveaux du processus compositionnel plastique.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que la partition pouvait déjà se

mentaliser comme un précipité arts plastiques/musique, mais c’est l’œuvre

entière qui peut être envisagée de la sorte. Cependant, ce déploiement

morphologique a posteriori ne veut pas nécessairement signifier que l’œuvre

est incertaine : l’auteur n’est pas en vacances. Au contraire, le complexe ne

doit pas prendre forme par hasard et doit être soumis, à tous les niveaux, à des

mesures qui détermineront la morphologie fluctuante globale (vous trouverez à

la fin de ce chapitre un tableau récapitulatif des mesures).

58 Comparaison que vous avez rencontrée à plusieurs reprises dans nos manuels.

Page 187: Manuel d'arts plastiques tome 2

185 Précipités

Pour que notre précipité (morphologie globale) ne soit pas tenté par

le jeu purement formel du drame, les formes doivent être « objectivées ». De

ce fait, pour endiguer toute séduction formelle d’une part, et pour remettre le

spectateur-auditeur à sa place d’autre part, la morphologie globale doit

déployer de manière exhaustive toutes les possibilités de rencontres contenues

dans un complexe (en cas d’impossibilité, c’est le sens qui filtre les

probabilités.)

1. Morphologies locales : ce sont des points de connexions.

2. Précipité des déploiements et/ou des opérations : Si et seulement

si, toutes les coutures sont visibles/audibles.

3. Ou : Intégrer des mesures dans le complexe pour filtrer

certaines probabilités de rencontres.

Page 188: Manuel d'arts plastiques tome 2

186 Manuel d'arts plastiques tome II

Procédons à un récapitulatif nécessaire en cette fin de parcours, qui

permettra de mettre à jour les différents niveaux de mesures que le

compositeur plastique# que vous êtes désormais peut approfondir.

Vous avez pu l’évaluer vous-même, tout au long du parcours tracé

par ce manuel, le rapport arts plastiques/musique qu’il propose se prête peu au

découpage. Ses interrelations ne constituent pas à proprement parler un

système. L’une des grandes difficultés pour nous est de nous repérer dans des

termes dont la définition factuelle est labile59. Le but de ce récapitulatif est de

clarifier le plus possible l’activité compositionnelle plastique#, en variant le

59 La sémiologie nous paraissant particulièrement incomplète à décrire les interrelations et les gestes,

nous avons choisi dans nos deux manuels de multiplier les points de vue, les angles d’approche et les

découpages afin d’atteindre une description juste de ces interrelations et de ces gestes. Par exemple, ce

Page 189: Manuel d'arts plastiques tome 2

187 Précipités

point de vue (comme en témoignent tous les tableaux de ce manuel), mais ce

découpage s’avère encore une fois artificiel. Dans cette nouvelle découpe

paramétrique, beaucoup d’éléments ont la faculté de se trouver dans l’un ou

l’autre des champs.

1. Définition de l’activité compositionnelle plastique : Le

compositeur créé les objets dont il a besoin et la configuration

nécessaire pour les organiser et produire du sens.

La relation entre les objets se construit d’intervalles conjoints et/ou

d’intervalles disjoints (en effet, ces notions peuvent s’ouvrir à toutes les

corrélations). En fonction du sens que vous voulez donner à l’œuvre certaines

morphologies et enchaînements morphologiques peuvent dépendre d’une

chapitre est aussi un miroir du texte de P. Boulez, Penser la musique aujourd’hui.

Page 190: Manuel d'arts plastiques tome 2

188 Manuel d'arts plastiques tome II

mesure fixe et/ou variable, ou au contraire, de la plus grande liberté dans leur

mise en oeuvre.

Vous composez un complexe (circonstancié ou circonstanciel) qui

doit pouvoir rendre compte de toutes les possibilités de rencontre entre tous les

éléments. Le déploiement temporel d’un complexe doit prétendre à

l’exhaustivité des figures de corrélations. (La série au sens plastique : montrer

un phénomène sous toutes ses coutures !) Parce qu’un élément est toujours un

contexte pour un autre (musical ou extramusical), il vous suffit de procéder

à une répartition statistique des contextes (Le (temps) procès consiste à écrire

toutes les probabilités de rencontre d’un complexe donné pour épuiser tous les

précipités d’un complexe).

Page 191: Manuel d'arts plastiques tome 2

189 Précipités

2. Les objets :

- Musicaux : objets sonores (toutes catégories), tous les objets de la

musique traditionnelle (scénarisés) et contemporaine (électroacoustiques),

samples et boutmoments, et le méta-instrument dans ses dimensions musicales

(effets, filtres).

-Extramusicaux : matériaux simples, objets scénarisés (ready made,

images# fixes ou mobiles, corps sonore), corps, le méta-instrument dans son

déploiement spatial.

-La partition : fixe ou variable, elle est spécifique et emprunte à

tous les objets vus ci-dessus.

Page 192: Manuel d'arts plastiques tome 2

190 Manuel d'arts plastiques tome II

3. Les configurations :

- déduite et intégrée à une circonstance# (in situ)

- circonstance# détournée (usage social#)

- circonstance# échafaudée (diffusion spécifique).

4. Paramètres :

A / intégration (éléments qui contribuent au tout)

Hauteur, durée, la circonstance#, corps sonore scénarisé ou non,

matériaux scénarisés musicaux ou extramusicaux, méta-instrument dans ses

dimensions spatiales, partition dans sa dimension visible.

B / coordination (éléments qui servent à lier)

Intensité, timbre, conductions, saillances de la circonstance,

partition (mode d’emploi et/ou programme).

Page 193: Manuel d'arts plastiques tome 2

191 Précipités

Tableau 5. Tableau des paramètres de l'activité compositionnelle plastique en fonction des mesures.

Page 194: Manuel d'arts plastiques tome 2

192 Manuel d'arts plastiques tome II

Nous vous invitons à relire ce texte. Les éléments qui vous paraissaient flous à

la première lecture devraient se connecter au parcours global décrit par ce

manuel dont vous pouvez vous faire maintenant une image complète.

Page 195: Manuel d'arts plastiques tome 2

193 Conclusion

Conclusion

’est à la mode ! Chaque lieu d’art contemporain propose aujourd’hui son

exposition et sa contribution aux déjà longues réflexions théoriques sur

les nouvelles relations arts plastiques /musique. Mais c’est une habitude chez

C

Page 196: Manuel d'arts plastiques tome 2

194 Manuel d'arts plastiques tome II

les commissaires, ces expositions témoignent souvent d’une méconnaissance

sensible de l’un ou l’autre des champs. Outre le fait qu’elles nous resservent

des plats froids (Sons et Lumières, Centre Georges Pompidou, 2003-2005),

elles entravent des œuvres qui prennent tout au plus le statut de documents#.

Leurs vis-à-vis et leurs modes d’accrochages sont tellement absurdes :

symptôme d’une culture textuelle de l’anthologie qui pense que tout peut se

mettre côte à côte, de manière irréfléchie, pour rendre compte des idées et des

démarches qui traversèrent l’histoire de l’art. De ce fait, ces commissaires

peuvent se permettre de négliger les grincements des portes et du parquet :

dans une telle exposition, ce sont pourtant des détails qui ne sont pas indemnes

de sens. La salle consacrée à Fluxus fut exemplaire de ces assemblages

amateurs dont témoigna toute l’organisation de sons et lumières. Tous les

travaux furent présentés en vrac dans des vitrines, désamorçant la plupart des

gestes des artistes convoqués. Et ne parlons pas des œuvres de Nam June Paik,

inactualisables, présentées dans un coin de salle et sur une estrade !

Page 197: Manuel d'arts plastiques tome 2

195 Conclusion

Quant à Sonic Process60 ? Le matériel de diffusion était camouflé,

invisible, au profit de jolies cabines isolantes pour présenter les œuvres.

Quand il ne s’agissait pas de cet éternel représentant de l’écoute autistique : le

casque audio. Et bien oui, le son se diffuse ! Il pose nécessairement problème

à ceux qui considère l’objet d’art comme un phénomène clos. Ces choix

d’exposition sont autant de signes d’un manque total d’attention aux sens et,

qui plus est, ne sont que de regrettables remakes du cadre et du socle dont les

arts plastiques avaient pourtant appris à se passer depuis longtemps. Quelles

solutions choisir ? Est-il plus acceptable de réaliser de grandes cages en bois

grillagées, pour stocker les différents ordinateurs qui diffusent les pièces,

comme ce fut le cas à Lyon pour le festival musique en scène ? Nous aurions

60 Qui n’avait, soit dit en passant, aucun rapport avec le process développé dans ce manuel.

Page 198: Manuel d'arts plastiques tome 2

196 Manuel d'arts plastiques tome II

tort de négliger ces options, elles sont autant de dispositifs supplémentaires et

par là même, de plus values signifiantes.

Mais si les centres d’art contemporain se trouvent démunis devant

ces œuvres hybrides, c’est aussi parce que l’artiste se déresponsabilise

totalement des formes qu’il produit. Ou du moins, il les envisage encore

comme un objet, qui terminé, est touché par nous ne savons quelle grâce

d’intangibilité. Alors que leur habillage marketing nous promet de nouvelles

réflexions politiques et sociales en acte dans ces nouvelles pratiques

musicales, ce n’est pourtant, ici et là, qu’inattention et maîtrise discutable des

opérations mises en œuvre dans le travail artistique. Souvent, l’artiste achoppe

le message qu’il veut faire passer et nous raconte, bien malgré lui, tout à fait

Page 199: Manuel d'arts plastiques tome 2

197 Conclusion

autre chose. Mais c’est chose courante : nos centres d’art sont fait d’écarts

entre une œuvre, un cartel61 explicatif et un clou qui dépasse.

Selon nous, les manuels sont aussi une réclamation d’attention à

tous les niveaux de l’écriture plastique#. Car c’est bien de ce point de vue que

nous avons proposé une possibilité de rencontre entre arts plastiques et

musique. Une rencontre où la pratique plastique#, attentive et disponible,

s’appose à la pratique musicale.

61 Pourquoi ne pas choisir de traduire les titres et les textes d’une œuvre quand ceux-ci ne sont pas

dans la langue maternelle du lieu de l’exposition ? Discrimination, qui suppose que le public de l’art

contemporain maîtrise parfaitement toutes les langues, ou choix qui postule que seule la forme compte

Page 200: Manuel d'arts plastiques tome 2

198 Manuel d'arts plastiques tome II

C’est d’abord le son qui n’est plus asservi à une idée, et son écoute

attentive sert alors d’impulsion au processus compositionnel qui s’intrigue à

l’aide des opérations plastiques. L’assemblage, le déplacement, la

juxtaposition, la séparation, le métissage… deviennent des gestes musicaux

opérants. À l’image de « l’atelier du cordonnier* » critiqué par P. Boulez,

notre méta-atelier conçoit la pratique musicale comme le lieu d’un corps à

corps avec des fragments sonores (écrits ou enregistrés). Il s’engage dans la

tradition d’une pratique concrète de la musique.

De ce fait, l’activité compositionnelle se conçoit entre bricolages

décontractés et « gymnastiques# » réfléchies : le compositeur pense maintenant

avec ses mains ! En effet la plasticité appliquée au cas particulier de la

indépendamment du sens d’une œuvre ?

Page 201: Manuel d'arts plastiques tome 2

199 Conclusion

musique ouvre et défait largement l’écriture musicale. La voilà loin de la table

de travail, où seul le papier à musique et la plume côtoyaient l’écoute mentale

et la calculatrice du compositeur. Au contraire, la pratique compositionnelle

plastique# ausculte chaque matériau, y compris les matériaux extra-sonores, et

chaque élément contingent (le lieu, la durée, l’espace, le moment, mode de jeu,

corps sonores,...), pour établir les corrélations que chacun d’eux vont

entretenir. L’écriture devient une investigation complexe, dont le

développement et le sens naissent de ces relations.

Puis, notre méta-atelier image de la plasticité, se répand à tous les

niveaux de la pratique musicale plastique : il est à la fois la gymnastique#,

l’instrument du musicien plasticien et l’espace alternatif de l’exécution.

Page 202: Manuel d'arts plastiques tome 2

200 Manuel d'arts plastiques tome II

En effet, cet espace de travail singulier est aussi le lieu où s’opère

un renversement de l’autorité technologique (IRCAM), où s’abolit l’idée de

réaliser un objet idéal, manifestation d’un concept qui résout seulement

quelques problèmes formels. Dans l’atelier du cordonnier*, si la musique ne

s’envisage pas avec les démarches de l’ingénieur, elle se réalise toutefois avec

rigueur. La plasticité confrontée à l’écriture musicale ruine l’illusion du

formalisme et, si elle nous permet d’envisager une musique déduite d’une

situation donnée, elle nous offre aussi la possibilité d’écrire des circonstances#,

alternatives à la forme classique du concert. Une musique qui au risque de la

plasticité devient concrète (à nouveau) parce qu’elle tente à chaque fois de

s’approcher au plus près du réel.

Page 203: Manuel d'arts plastiques tome 2

201 Conclusion

Enfin, c’est à vous qu’il incombe de clore cet ouvrage par un

dernier signe tangible : il vous faut renouer avec le geste à tous les niveaux de

la pratique et de la composition musicale. Vous y mettrez les mains, vous y

mettrez le corps entier, avec ses muscles, ses nerfs, ses os...bref, vous ferez la

peau à la musique.

Page 204: Manuel d'arts plastiques tome 2

202 Manuel d'arts plastiques tome II

« (...) Une « théorie » de l’analyse ne peut jamais être légitimement utilisée

en tant qu’outil servant à produire de la musique. Les tentatives dans ce sens

trahissent l’idée d’un langage musical basé uniquement sur des procédures

de combinaisons d’éléments, ce qui, dans n’importe quelle discussion

sérieuse sur la musique, est pour le moins à côté de la question. »Luciano Berio, « Méditation sur un cheval de douze sons », contrechamps 1, 1983.

Page 205: Manuel d'arts plastiques tome 2

203 Lexique

Lexique

Boutmoment : C’est par ce néologisme que nous désignons les

enregistrements sonores d’une circonstance#. Ces enregistrements deviennent

des boutmoments lorsqu’ils sont intégrés à un processus compositionnel

indépendant de la circonstance# initiale de la prise de son. Ils sont des

matériaux sonores scénarisés complexes, dans la mesure où ils ont une

référence forte (parce qu’ils ne sont pas des prélèvements retravaillés ou trop

travaillés). Les boutmoments se distinguent des samples*. En effet, ils ne

convoquent ni l’hommage, ni la citation, ni le pastiche... Ils empruntent à la

réalité. Ils l’évoquent, mais ni ne la figurent, ni ne la représentent.

Page 206: Manuel d'arts plastiques tome 2

204 Manuel d'arts plastiques tome II

Cluster : Complexe sonore très compact. Généralement, le cluster

désigne le moment où toutes les hauteurs chromatiques comprises dans un

intervalle quelconque sont jouées simultanément. Cependant la définition

s’ouvre aux accords complexes dont l’intervalle prédominant entre deux notes

adjacentes est une seconde mineure ou majeure.

Corps résonant : ou résonateur. Cf. corps sonore*.

Corps sonore : Le corps sonore désigne tout objet à partir duquel

l’exécutant engage des gestes dans le but de produire un son ou une succession

de sons. Ce peut être le corps de l’exécutant lui-même ou un autre corps, un

instrument, un objet ready-made, une image# (mais c’est un objet), ou

Page 207: Manuel d'arts plastiques tome 2

205 Lexique

n’importe quel autre élément trouvé. Si le corps sonore peut être choisi pour

ses qualités acoustiques, il peut aussi être choisi comme matériau scénarisé.

Classiquement, le corps sonore se constitue de :

1. Vibrateur (le corps proprement dit)

2. Excitateur, qui le fait entrer en vibration.

3. Résonateur, qui ajoute des formants aux bandes de fréquence

ou les filtre.

4. Coupleur, qui transmet le son en l’amplifiant.

5. Registre, qui est le dispositif de modulation qui assure la

combinaison de chaque niveau.

Glissandi : Il s’agit d’un cluster* étendu dans le temps. Le passage

d’une hauteur à une autre par variation continue.

Page 208: Manuel d'arts plastiques tome 2

206 Manuel d'arts plastiques tome II

Le glissandi et le cluster ne sont pas des éléments musicaux

composés à partir des règles de l’harmonie. Ils ne sont ni une superposition, ni

une succession d’éléments discontinus. Paradoxalement, ils nous font

appréhender les sonorités d’un instrument avec une certaine pureté. Par leur

caractère brut, libéré de toute histoire, ils nous livrent une sonorité

extrêmement concrète de l’instrument.

L’atelier du cordonnier : C’est une critique de Pierre Boulez

concernant les studios de la musique concrète. Il sommait les musiciens de

l’électroacoustique de sortir de « l’atelier du cordonnier » car il trouvait leur

recherche trop dépendante d’un certain bricolage. Or, dans notre conception

du méta–atelier (voir le manuel tome I) une large place est faite à la bricole.

Page 209: Manuel d'arts plastiques tome 2

207 Lexique

C’est dans cet atelier que se rendent possible les manipulations sensibles que

nous avons nommées opérations plastiques#. Celles-ci étant la manifestation de

la pensée des mains, la gymnastique#. Il semblerait que, bricolage ou non, une

telle pensée ne soit pas dépourvue d’une certaine rigueur.

« L’atelier du cordonnier » fait contraste avec cet autre atelier, où le

bricoleur a laissé place à l’ingénieur : l’IRCAM.

Machinerie : ce terme nous permet d’aborder deux notions

complémentaires. D’une part, la question du matériel musical, d’autre part, la

question du méta-atelier et de son corollaire le méta-instrument.

Faire de la musique aujourd’hui ne se fait pas sans un recours à une

multitude d’outils et d’ustensiles différents : l’instrument, le corps, les câbles,

Page 210: Manuel d'arts plastiques tome 2

208 Manuel d'arts plastiques tome II

les enceintes de diffusion, la table de mixage, les prises de courant... etc. Nous

entendons, évidement, « faire » dans les deux moments qu’il désigne : celui de

la composition, et celui de la diffusion, qui parfois sont simultanés. À la suite

du manuel d’arts plastiques, nous affirmons que :

1. ces outils et ustensiles font signes,

2. ces outils et ustensiles déterminent des opérations plastiques#

qui feront signes à leur tour.

De ce fait, le matériel et le processus compositionnel se pensent de

pair. Il n’y a pas de liste exhaustive de celui-ci. Mais à l’image du méta-atelier,

un méta-instrument souple, mobile et mutable.

Page 211: Manuel d'arts plastiques tome 2

209 Lexique

Mix : Désigne une variation autour du montage*. Il s’agit en effet

de rapprocher deux éléments a priori éloignés, et de les réunir en un seul. Le

sens n’est pas celui de la couture. Il naît de la surprise de voir cohabiter aussi

bien ces éléments, ce qu’ils ont l’air de faire très naturellement.

Montage* : « Mettre une inconnue en évidence » (Jean-Luc

Godard). Rapprocher intentionnellement deux éléments (minimum) pour que,

de leur rencontre, le sens apparaisse. C’est la couture qu’il y a entre ses deux

éléments hétérogènes, qui est la condition du sens et par là même, du montage.

Objet sonore : On appelle objet sonore toute manifestation et

évènement sonore que l’on saisit pour ses propriétés (qui sont à la fois

Page 212: Manuel d'arts plastiques tome 2

210 Manuel d'arts plastiques tome II

physiques, formelles et sémantiques) comme un être sonore dépendant de

l’occasion de son apparition. Il peut être enregistré, noté (avec les écarts que

cela suppose) ou impliqué dans sa circonstance# même pour un travail

compositionnel circonstanciel. C’est un son, une séquence de sons, une

musique qui nous fait signe.

Sample* : Désigne les prélèvements sonores (numériques ou

analogiques), plus ou moins longs, de musique préexistante. Cette référence

reste reconnaissable, le sample est un matériau scénarisé complexe. Un sample

ne dépend pas d’un outil, mais désigne une opération. Ils convoquent les

opérations de montage* et de mix*, comme le boutmoment*.

Page 213: Manuel d'arts plastiques tome 2

211 Table des matières

Table des matièresINTRODUCTION .................................................................................................................................. 3

LE MATÉRIEL .................................................................................................................................... 25

PREMIERS PAS ....................................................................................................................................... 25 LA MACHINERIE ..................................................................................................................................... 31 MÉTA-INSTRUMENT ............................................................................................................................... 35

LE MATÉRIAU .................................................................................................................................. 38

CONDUCTION PHYSIQUE ........................................................................................................................... 45 Conduction directe ....................................................................................................................... 46 Conduction indirecte .................................................................................................................... 51

CONDUCTION MENTALE ........................................................................................................................... 60 Conduction de matériaux scénarisés simples ............................................................................... 62 Conduction de matériaux scénarisés complexes. ......................................................................... 63

L’OBSERVATION .............................................................................................................................. 77

MODALITÉS D’APPARITION DE L’OBJET SONORE. ......................................................................................... 87 Objet sonore de geste (rétroactif) ................................................................................................ 89 Objet sonore de manipulation (ou désincarné) ............................................................................ 90 Objet sonore de circonstance ....................................................................................................... 91

UNE BRÈVE HISTOIRE DU TEMPS .............................................................................................. 94

FORMES DRAMATIQUES ............................................................................................................................ 99 Temps linéaire .............................................................................................................................. 99 Temps en intrigue ....................................................................................................................... 101

TEMPORALITÉ CONCRÈTE ....................................................................................................................... 108 (Temps) moment ........................................................................................................................ 108

Page 214: Manuel d'arts plastiques tome 2

212 Manuel d'arts plastiques tome II

(Temps) procès .......................................................................................................................... 110

LA CIRCONSTANCE ....................................................................................................................... 124

COMPOSITION CIRCONSTANCIELLE : MUSIQUE À CIEL OUVERT. ...................................................................... 126 Le potentiel est sonore ............................................................................................................... 129 Le potentiel sollicite un autre sens ............................................................................................. 132

COMPOSITION CIRCONSTANCIÉE : ÉCHAFAUDER UN SITE ET UN MOMENT. ...................................................... 137 Vous investissez les scenarii d’écoute de notre société contemporaine. .................................... 143 Vous distanciez la forme classique du concert. .......................................................................... 144 Vous écrivez un site et un moment particulier. .......................................................................... 149

PARTITIONS ET NOTATIONS ...................................................................................................... 152

PARTITIONS TRANSPARENTES. ................................................................................................................. 156 ..................................................................................................................................... 163 PARTITIONS SPÉCIFIQUES ........................................................................................................................ 163 NOTER ............................................................................................................................................... 180

PRÉCIPITÉS ..................................................................................................................................... 182

CONCLUSION ................................................................................................................................... 193

LEXIQUE ........................................................................................................................................... 203

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................. 211

TABLE DE ILLUSTRATIONS ........................................................................................................ 213

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 215

Page 215: Manuel d'arts plastiques tome 2

213 Table de illustrations

Table de illustrations

Tableau 6. Jalons de lutherie vagabonde et exemples d'opérations

plastiques........................23

Tableau 7. Schéma de mixage et de montage dans les dimensions verticales et

horizontales pour deux boutmoments et/ou samples A et

B.........................................................................44

Tableau 8. Tableau récapitulatif des évolutions temporelles en fonction des

conductions.....................................................................................................................

..........47

Tableau 9. Activités compositionnelles

plastiques..................................................................87

Page 216: Manuel d'arts plastiques tome 2

214 Manuel d'arts plastiques tome II

Tableau 10. Tableaux des conductions entre matériaux sonores et matériaux non

sonores............................................................................................................................

........100

Tableau 11. Tableau des paramètres de l'activité compositionnelle plastique en

fonction des

mesures...........................................................................................................................

.........110

Page 217: Manuel d'arts plastiques tome 2

215 Bibliographie

Bibliographie

1. Catalogues d’exposition, monographie.

• 3éme Biennale d’Art Contemporain de Lyon, Paris, Réunion Des MuséesNationaux/BAC, 1995.

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• LEGRAND Véronique et CHARLES Aurélie dir., L’esprit Fluxus, Marseille,Editions des musées de Marseille, 1995.

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• Voir la musique, Musée d’art moderne de Saint Etienne, CIEREC, 1989.

• Yves KLEIN : Catalogue, Paris, Centre Georges Pompidou muséenational d’art moderne, 1983.

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217 Bibliographie

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• ARDENNE Paul, Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain,en situation, d’intervention, de participation, Paris, Flammarion, 2002.

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• BOURRIAUD Nicolas, Postproduction, Dijon, Les presses du réel, 2004.

• CHATEAU Dominique, Arts plastiques : Archéologie d’une notion, Nîmes,Editions Jaqueline Chambon, 1999.

• COUCHOT Edmond, La technologie dans l’art : de la photographie à laréalité virtuelle, Nimes, Ed. Jaqueline Chambon, 1998.

• DOMINO Christophe, A ciel ouvert : l’art contemporain à l’échelle dupaysage, coll. Tableaux choisis, Paris, Editions Scala, 1999.

• GODFREY Tony, L’art conceptuel, coll. Art&idées, s. l., Phaidon , 2003.

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• KISSELEVA Olga, Cyberart : un essai sur l’art du dialogue, collectionOuverture philosophique, Paris, L’Harmattan, 1999.

• KLONAIS Maria et THOMADAKIS Katherina, dir., Mutations de l’image :art, cinéma, video, ordinateur, Paris, A.S.T.A.R.T.I pour l’art audiovisuel,1994.

• PARRENO Philippe, Speech Bubbles, Dijon, Les presses du réel, 2004.

• PeLé Gérard, Inesthétique musicale au Xxème siècle, Paris, Arts etsciences de l'art, L'Harmattan, 2007.

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b. Musique contemporaine.

• BAYLE François, Musique acousmatique : propositions… …positions,collection Bibliothèque de recherche musicale, Paris, Institut national del’audiovisuel ( INA-GRM ) et éditions Buchet / Chastel, 1993.

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• BOSSEUR Dominique et Jean-Yves, Révolutions musicales : la musiquecontemporaine depuis 1945, coll. Musique ouverte, s .l., Minerve, 1993.

• BOUCOURECHLIEV André, Dire la musique, « musique ouverte »,s. l.,Minerve, 1995.

• BOUCOURECHLIEV André, Langage musical : les chemins de lamusique, s. l., Fayard, 1993.

• CHARLES Daniel, Gloses sur John Cage, « arts et esthétique », s. l.,Desclée de Brouwer, 2002.

• CHARLES Daniel, La fiction de la poste modernité selon l’esprit de lamusique, coll. « Thémis philosophie », Paris, Presses Universitaires deFrance, 2001.

• CHARLES Daniel, Musiques nomades, Paris, Editions Kimé, 1998.

• CHION Michel, Guide des Objets Sonores : Pierre Schaeffer et larecherche musicale, s. l. , INA-GRM, Buchet/Chastel, 1983.

• CHION Michel, L’art des sons fixés : ou la musique concrètement, Ed.Métamkine / Nota Bene / sono concept, s.l.n.d..

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220 Manuel d'arts plastiques tome II

• CHION Michel, Musiques : médias et technologies, coll. Dominos,Evreux, Flammarion, 1994.

• DELIEGE Célestin, Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadtà l’ircam (Contribution historiographique à une musicologie critique),Sprimont, Pierre Mardaga éditeur, 2003.

• Groupe de Musique Vivante de Lyon, vers un art acousmatique, Lyon,Edité par le G. M. V. L, 1991.

• MIEREANU Costin, Fuite et conquête du champ musical, s. l. , Librairiedes Méridiens Klincksiek, 1995.

• La musique techno : approche artistique et dimension créative, Poitou-charentes, édité par le conservatoire national de région Poitiers / co-éditépar le confort moderne et l’Ardiamc, 1998.

• Musique et notations, Lyon, Aléas-Grame, 1999.

• ORLAREY Y. dir., Musique et notations, « Musique et sciences », Lyon,GRAME et ALEA Editeur, 1999.

• RIGONI Michel, K. Stockhausen : ...un vaisseau lancé vers le ciel,Lillebonne, Millénaire III éditions, 1998.

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221 Bibliographie

• SCHAEFFER Pierre, À la recherche d’une musique concrète, « Pierresvives », Paris, Editions du seuil, 1998.

• SCHAEFFER Pierre, Traité des Objets Musicaux : essai interdisciplines,« Pierres vives », Paris, Edition du Seuil, 1998.

• TOOP David, Ocean of sound : ambient music, mondes imaginaires etvoix de l’éther, trad. Arnaud Réveillon, s. l., Kargo/l’éclat, 2000.

• XENAKIS Iannis, « Il faut être constamment un immigré », entretiensavec F. Delalande, coll. Bibliothèque de Recherche Musicale, Ed. Buchetet Chastel, s. l. n. d..

c. Relations entre Arts plastiques et musique.

• BOSSEUR Jean-Yves, John Cage, coll. Musique Ouverte, s.l., Minerve,1993.

• BOSSEUR Jean-Yves, Le sonore et le visuel : intersections musique etArts plastiques aujourd’hui, Paris, Dis voir, 1997.

• BOSSEUR Jean-Yves, Musique : passion d’artistes, Genève, Editionsd’arts A. SKIRA, 1991.

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• BOSSEUR Jean-Yves, Musiques et Arts Plastiques : interactions au 20ème

siècle, coll. Musique Ouverte, s.l., Minerve, 1993.

• ECO Umberto, L’œuvre ouverte, coll. « points essais », Paris, Editionsdu Seuil, 1965.

• PARRAT Jacques, Des relations entre la peinture et la musique dans l’artcontemporain, Nice, Z’éditions, s. d..

• REY Anne, Satie, Coll. Solfèges, Paris, Le Seuil, 1982.

3. Linguistiques, Sémiotiques.

• BARTHES Roland, Le degré zéro de l’écriture, coll. « Point essais »,Paris, Editions du Seuil, 1972.

• BARTHES Roland, Le plaisir du texte, coll. « Point essais », Paris,Editions du Seuil, 1973.

• ECO Umberto, six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, coll. « biblio essais », Paris, Grasset, 1994.

• KRISTEVA Julia, La révolution du langage poétique, coll. « pointsessais », Paris, Editions du Seuil, 1978.

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223 Bibliographie

• KRISTEVA Julia, Le langage, cet inconnu, coll. « points essais », Paris,Editions du Seuil, 1981.

• KRISTEVA Julia, Sèméiotikè, recherche pour une sémianalyse,coll. « points essais », Paris, Editions du Seuil, 1978.

4. Littérature, Histoire, Société.

• ADORNO Théodor W., Le caractère fétiche dans la musique et larégression de l’écoute, trad. C. David, Paris, Allia, 2001.

• BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, coll. Folio / Essais,s.l., DENOEL, 1998.

• BAUDRILLARD Jean, les stratégies fatales, Paris, Editions Grasset etFasquelle, 1983.

• GAILLOT Michel, La techno : un laboratoire artistique et politique duprésent, collection Sens multiple, Paris, Dis Voir, s. d ..

• QUIGNARD Pascal, La haine de la musique, Folio, Paris, Gallimard,1996.

• QUIGNARD Pascal, La leçon de musique, Paris, hachette, 1987.

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224 Manuel d'arts plastiques tome II

• QUIGNARD Pascal, Petits traités I & II, Folio, Paris, Gallimard, 1990.

5. Philosophies

• ARISTOTE, Poétique, s.l. , Mille et une nuits, mars 1997.

• GUATTARI Felix et DELEUZE Gilles, Mille plateaux : Capitalisme etschizophrénie, Paris, Editions de minuit, 1980.

• JULLIEN François, Du « temps » : Eléments d’une philosophie du vivre,« collège de philosophie », Paris, Grasset, 2001.

• JULLIEN François, Eloge de la fadeur : à partir de la pensée et del’esthétique de la Chine, « biblio essais », Paris, Grasset, 1991.

• JULLIEN François, Figures de l’immanence, « biblio essais », Paris,Grasset, 1993.

• JULLIEN François, Procès ou création : une introduction à la penséechinoise, « biblio essais », Paris, Grasset, 1989.

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225 Bibliographie

• JULLIEN François, Traité de l’efficacité, Paris, Grasset, 1996.

• LACAN Jacques, Ecrit I & II, Coll. « Points essais », Paris, Editions duSeuil, 1971.

• LACAN Jacques, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « Lechamp freudien », Paris, Editions du Seuil, 1975.

• LACAN Jacques, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « points essais », Paris,Editions du Seuil, 1973.

• KRISTEVA Julia, sens et non-sens de la révolte, biblio essais, Paris,Grasset, 1996.

• ONFRAY Michel, Traité d’athéologie : physique de la métaphysique,Paris, Grasset, 2005.

6. Ecrits théoriques d’artiste.

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• BOULEZ Pierre, Par volonté et par hasard : entretiens avec CélestinDeliège, « Tel quel», Paris, Ed. du Seuil, 1975.

• BOULEZ Pierre, Penser la musique aujourd’hui, « Tel », Paris, Ed.Gonthier, 1963.

• BOULEZ Pierre, Relevés d’apprenti, collection « Tel quel », Paris, LeSeuil, 1966.

• BRECHT Bertold, Ecrits sur le théâtre épique, « Bibliothèque de lapléiade », Paris, Gallimard, 2000.

• CAGE John, Je n’ai jamais écouté aucun son sans l’aimer : le seulproblème avec les sons, c’est la musique, trad. Daniel Charles, s. l ., Lamain courante, 1998.

• CAGE John, Journal : Comment rendre le monde meilleur (on ne faitqu’aggraver les choses), trad. Christophe Marchand-Kiss, Genève,Editions Héros-limite, 2003.

• CAGE John, Silence : Conférences et écrits, trad. Vincent Barras,Genève, Editions Héros-limite, 2003.

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227 Bibliographie

• DUCHAMP Marcel, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1975.

• FELDMAN Morton, Ecrits et paroles, collection Musique et Musicologie,Paris, 1998.

• GODARD Jean Luc, J. L. G par J. L. G, tome I et II, Paris, Editions desCahier du Cinéma, 1985.

• KAGEL Mauricio, Staatsthéater szénische komposition, 67/70, UniversalEditions, s. l. n. d..

• KAGEL Mauricio, Tam tam, Paris, Christian Bourgeois Editeur, 1983.

• KANDINSKY Vassili, Du spirituel dans l’art : et dans la peinture enparticulier, Folio Essais, s.l., Denoël, 1989.

• KANDINSKY Vassili, Point et ligne sur plan : contribution à l’analyse deséléments de la peinture, Paris, Gallimard, 1991.

• KLEE Paul, Cours du Bahaus (Weimar 1921-1922) : Contributions à lathéorie de la forme picturale, Strasbourg, Editions des Musées deStrasbourg et éditions Hazan, 2004.

• KLEE Paul, Journal, Paris, Grasset, 1959.

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228 Manuel d'arts plastiques tome II

• KLEE Paul, Théorie de l’Art moderne, Bibliothèque Médiations, s.l.,Denoël / Gonthier, 1975.

• NYMAN Michael, Experimental Music: cage and beyond, Cambridgeuniversity press, 1999.

7. Revues

• ART PRESS, Techno : anatomie des cultures électroniques, Hors sérienuméro 19, 1998.

• CONTRECHAMPS, Musiques électroniques, n° 11, Giromagny (Genève),Editions de l’âge d’homme, 1990.

• DOCE NOTAS PRELIMINARES, Le carrefour du support dans la créationmusicale, Madrid, Artes Graficas Luis Perez S.A. Algorta, 1997.

• INHARMONIQUES, Paris, Ed. librairie Séguier et IRCAM-centre GeorgesPompidou, 1986 à 1990.

• L’INOUÏ : revue de l’IRCAM, n° 1, Editions Léo Scheer, 2005.

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229 Bibliographie

• La part de l’œil, Bruxelles, Presses de l’Académie royale des Beaux-Artsde Bruxelles, 1985 à 1994.

• Les cahiers de l’IRCAM, Paris, Ed. IRCAM-Centre Georges Pompidou,1992 à 1995.

• MUSIQUES NOUVELLES : Sons en mutation, s. l., La lettre volée, 2003.

• PARACHUTE, n° 116 : électrosons_electrosound, Montréal, Parachute,2002.

• REVUE D’ESTHETIQUE, De la composition : l’après Cage, n° 43, Paris,Jean Michel Place, 2003.

• REVUE D’ESTHETIQUE, John Cage, nouvelle série n°13 –14 –15,Toulouse, Editions Privat, 1988.

• TRAVERSES, Machines virtuelles, n° 44 et 45, Paris, Ed centre GeorgesPompidou, 1987.