Mahmoud Sehili - Les Médinas Enchantées

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ENTRETIEN AVEC BADY BEN NACEUR

PRÉFACE DE YOUSSEF SEDDIK

E D I T I O N S

LES MÉDINAS ENCHANTÉES...

MMAAHHMMOOUUDD SSEEHHIILLII

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Préface

Mahmoud Sehili,l’histoire d’une peau d’âme

J’ai toujours eu la folle impression d’avoir connu Mahmoud Sehili dans une préhistoired’avant le calendrier des premiers rendez-vous, un hors-temps où me fait signe unebouille d’enfance, la sienne et la mienne, échappant aux écritures des bulletins denaissance. J’ai toujours su pourtant que le peintre qui s’avance vers la toile comme pourpincer tendrement la joue d’un gamin, j’ai toujours su que cet enfant, qui attend le gestetendre, n’était autre, derrière la virginité de la toile devenue miroir, que l’un ou l’autredes enfants que nous étions de toute éternité.

Mais à arracher cette étrange sensation de son non-lieu proustien irrémédiablementperdu et en la soumettant à l’analyse plus humblement anecdotique, nous n’avons plus,Mahmoud et moi, qu’une seule certitude pour nous dire d’où ce déjà-vu peut bien venir,et de quelle enfance il nous fait miroiter le bonheur...

Avant de dévoiler cette enfance qui nous rassemble dans l’affection et la pensée, chacundans le labeur qui est le sien, j’aimerais raconter une histoire vécue dont MahmoudSehili précisément est l’auteur principal.

Fin des années soixante-dix, une rencontre artistique et littéraire, colloque ou festival,nous avait réunis dans un hôtel bien nommé de la bonne ville de Gabès, l’Hôtel Chams ;le soleil était en effet impérial. Il y avait une pléiade de nos complices, poètes ou hommesde lettres, linguistes ou savants, qu’il serait inconvenant d’évoquer ici, tellement celanous ferait monter aux yeux des larmes de nostalgie pour la Tunisie culturelle d’antan...Aussi, revenons à notre histoire.

J’avais à l’hôtel la chambre contiguë à celle de Mahmoud Sehili. Le jour de notre retourà Tunis, celui-ci avait tenu absolument à démarrer son voyage très tôt le matin, dèsl’aurore si possible. Or c’était l’aurore, quand nous avions quitté nos amis pourregagner nos lits après une nuit blanche dont l’ivresse était essentiellement faite de noséclats de rire.A peine m’étais-je assoupi et avais-je sombré dans la douce étreinte deMorphée, que mon compère et voisin de couloir venait me réveiller pourl’accompagner dans sa voiture et regagner la capitale. Je sentais sur le dos, lesomoplates et les épaules, des coups et des ruades de plus en plus violents, mais rien nepouvait me faire émerger d’un sommeil sans lequel je ne pouvais concevoir unlendemain possible à ma vie. Pendant un quart d’heure peut-être, Mahmoud a essayétoutes les rudesses, toutes les supplications ; il me mettait debout et me maintenaitpendant de longs instants comme la Victoire de Samothrace, la tête absente, avant queje ne retombe lourdement sur le marbre du dallage. J’avais l’impression un moment quemon persécuteur, ayant quitté ma chambre, avait complètement désespéré de merendre à la vie. Je le devinais dehors, debout, à mijoter sa peine de devoir rentrer tout

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seul sur quelques six cents kilomètres d’asphalte qui nous séparaient de Tunis. De là oùil était, couvert seulement de son drap comme de la toge d’un Caligula de théâtrescolaire, il fit entendre soudain un cri féroce qui réussit à transpercer comme la daguema comateuse inertie : « Youssef ! Viens voir ! Vite... C’est absolument inouï ! C’estextraordinaire !... » C’était le cor infaillible dont les religions nous disent que leretentissement réveillait d’un coup tous les morts depuis Adam notre père. Mon corpsmort ne pouvait donc manquer à la terrible stridence. Je m’étais mis debout, arrachantde moi comme une pelure toute trace d’envie de dormir. Et, nu comme un ver, je fonçaivers l’antique silhouette blanche de Mahmoud. Il était là, scrutant le ciel, le visage mangépar l’angoisse, le menton entre le pouce et l’index, comme tétanisé par le magnétismed’un OVNI à l’atterrissage. Il me serra contre lui de son bras inoccupé et, me montrantun point sur l’immense page bleue qui surplombait l’unique oasis marine de la planète...

Il n’y avait absolument rien !

Pas l’atome d’un nuage, pas le soupçon d’un engin aérien qui passait.

Rien.

Sa voix, l’effet magique de son appel, les vibrations que me communiquait son étreinte,l’air si tragique avec lequel il pointait ce rien dans le ciel, m’avaient convaincu d’undésastre sans objet qui me pressait de quitter les lieux et surtout d’aller, d’aller là oùMahmoud voulait m’emmener.

Et de me rhabiller immédiatement et de me faufiler dans la voiture à côté d’unconducteur toujours songeur et sérieux comme un uléma. Une fois sur la grand’route,les six cent kilomètres que nous avions à faire n’avaient été qu’un unique etininterrompu éclat de rire.

Ce jour-là, j’ai expérimenté dans ma peau et dans mes tripes le pouvoir de MahmoudSehili de créer à partir du néant un vécu agissant. Sa peinture, du coup, me parut liéeau destin de cet homme par autre chose que les seuls fils de l’esthétique et de lamaîtrise technique. Cette peinture que j’avais jadis et dès ses aurores accompagnée dema bavarde plume de critique « es-galeries», m’a toujours remis à l’esprit cette histoireque je viens de conter ainsi que ce terrible mot de Rhotko : « Je peins pour faire ensorte que le néant tente de m’imiter ».

C’est donc à cet instant-là que la belle enfance savoureusement trompeuse nous a faitrencontrer. Nous étions tous les deux bel et bien adultes, chefs de familles,responsables peut-être, en tout cas passibles d’impôts et de peines s’il y avait lieu !...

Et puis un jour, le jour où Mahmoud m’a fait l’amitié de me demander ce texte, j’aitrouvé ! Cette mystérieuse sensation d’une commune enfance, si tenace et si lointaine,nous la retrouvions au fond de nos verres vides ou pétillants, au fond de nos yeux toujoursemplis de larmes de rire ou de gros chagrin, au fil des clameurs qui montaient de nosrencontres avec quelque-uns de nos amis, au coin d’une ruelle, à l’orée d’un champ, sur lasente d’une forêt du Nord ou sur les pas mille fois refaits le long des plages tunisiennes.

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Elle était en fait l’enfance sans temps de notre pays !

Nous faisions fi sans cesse des oracles de rides qui commençaient à agresser le beauvisage de notre magnifique pays pour le retrouver toujours aussi radieux dans le vif d’unpoème ou la fugue d’un pinceau vers des infinis de lumière. Tel qu’en l’œuvre deMahmoud, l’œil et la pensée y reconnaissent l’enfance immortelle de la Tunisie et detant de terres arabes.

A chaque fois que Sehili apportait du Soudan, de l’Algérie, de Ghardaïa, de l’Egypte uneautre lumière, une autre vibration, un autre scintillement, comme lui seul peut en capterla fulgurante essence, la sève de pierre, d’air ou de forme, c’est pour nous confirmerencore que rien n’est plus beau que ce pays qui l’a vu naître et qui a vu naître le Capsienson intelligent ancêtre à lui, enfant de Gafsa, et peut-être notre Grand-Père à tous.

Encore une fois, Mahmoud, ai-je envie de lui dire, de grâce, dispense-moi de cettePréface que tu attends depuis deux ans ! Tu sais bien qu’à nous enfoncer dans nosnostalgies sur les tapis volants de ton génie, l’écrivain que je m’imagine être risque defondre en larmes.

Ce que j’ai perçu auprès du grand peintre que tu es, ce que j’ai plutôt confirmé chaquefois qu’une œuvre à toi vient soustraire du monde un peu plus de nuits, c’est ce quedisait Nietzsche, qu’il n’y avait rien de plus profond en l’homme que... la peau !

Dans ton œuvre, véritable symphonie, une vraie « Neuvième » du regard, hymne à cettejoie douce-amère de notre univers, il n’y a que la peau. Cette chose devenue si rare quele peintre, depuis Lascaux et les cavernes du Tassili, n’a jamais cessé de rechercher sousles craquellements de culture vieillie, mal vieillie, qui n’en finissent pas de s’effriter,recouvrant d’autant plus cette profondeur singulière, la peau, que nous avons du malchaque jour à retrouver. Voici la quête qui ne peut s’arrêter qu’au dernier souffle dupeintre, quête d’une peau d’âme que seul un vrai artiste a l’insigne honneur de dévoilerquelquefois, pour que nous puissions, nous, la caresser du regard.

Il s’agit d’une autre caresse, rien moins que tactile. Celle que souligne si fortement cettebelle langue arabe que les compagnons de Mahmoud ont fidèlement habitée et où lui-même venait souvent comme un membre de la famille de ce bel habitat. Ecoutez plutôtet comprenez que ce n’est pas pour la facilité du jeu de mot que j’ai parlé de peaud’âme. L’arabe appelle l’humanité bacharia et notre espèce bachar en allant directementà la référence la plus « profonde » cette fois-ci, bachra, « la peau » précisément... Et decet étonnant point de départ fusent tant de beaux mots tels que bouchra, bonne augure,bichara, bonne nouvelle ou Jésus... Voyez-vous à quel point l’enfance du pinceau deMahmoud, toujours à fleur de peau, poursuit infiniment ses lumières qui ne sont bellesque sur fond de tunnel.

Youssef Seddik

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• Mahmoud Sehili est né le 27 juillet 1931.• Etudes à l’Ecole des beaux-arts de Tunis.

1949-1952.• Etudes à l’Ecole nationale supérieure

des beaux-arts de Paris. 1953-1960,couronnées par l’obtention du diplômesupérieur des Arts plastiques.

• Professeur à l’Ecole des beaux-arts deTunis. 1961-1980.

• Atelier Place de la Monnaie. 1963.• Prix de la ville de Tunis. 1963.• Séjour à la Cité internationale des arts

de Paris. 1966.• Co-fondateur en 1975 de la galerie

Irtissem à Tunis et en assure la direction.

Expositions collectives• Washington, New York, Chicago. 1961.• Stockholm. 1963.• Biennale de Paris. 1961, 1963, 1965.• Milan. 1964 (1er prix et médaille d’or).• Londres. 1964.• Cagnes-sur-Mer (prix du meilleur tableau).

Paris. 1966. Exposition « Six peintres duMaghreb ».

• Tunis. 1961, 1965. Exposition dans le

cadre de l’Ecole de Tunis.• Expo Universelle, Séville. 1992.

Expositions personnelles• Tunis. 1965. « Monotypes ».• « Les miroirs ». 1967. Galerie municipale

de Tunis. 1967.• « Algérie ». 1972. Galerie de l’Information.• « Le Soudan ». 1978. Galerie Irtissem.• « Sidi Bou Saïd ». 1981. Galerie Chérif

Fine Art.• « Médina de Tunis ». 1982. Galerie

Chérif Fine Art.• « Maroc ». 1984. Galerie Gorgi.• Théâtre du Rond-point, Paris. 1986.• « Médinas ». 1988. Galerie des Arts

Centre Jamil,Tunis.• Galerie Chérif Fine Art, Sidi Bou Saïd.

1991.• EUROP’ART, Genève. 1992.• Galerie EOCENE Paris. 1992.• Travaille actuellement dans son atelier

de Sidi Bou Saïd.• Prépare une exposition pour Paris.• Prépare une exposition pour le Palais

Kheireddine - La Marsa.

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Mahmoud Sehili : itinéraire

Journée nationale de la culture. 31 mai 2002. Remise à l’artiste de la médailledu « Grand Officier » par le Président Ben Ali.

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Dans ce livre qui n’est pas un beau livre au

seul sens esthétique du terme –

esthétique de l’œuvre et discours de

l’artiste au sujet de celle-ci –, Mahmoud et

moi avons repris les choses dès le début,

pour tâcher d’en faire un récit fidèle.

Fidèle, c’est-à-dire, d’abord et avant tout,

discours nomade et vagabond à l’image de

Mahmoud Sehili lui-même et comme le

fut son meilleur ami Salah Garmadi, parti

trop tôt de cette aventure à deux et

même à trois, avec le sieur Taoufik Baccar.

Entre eux, c’est trente ans d’une amitié qui

a été scellée et qui a sans doute permis à

l’artiste d’aboutir à ce goût de l’analyse et

de l’objectivité sur sa vie et son œuvre.

Celles-ci s’imbriquent et se répondent

l’une l’autre.

Ce livre s’ouvre ainsi sur les mythologies

personnelles de l’artiste telles qu’il nous

les raconte, à sa manière, bien sûr et en

trois temps aussi : l’enfance et

l’adolescence à Tunis, la vie d’étudiant à

Paris, puis la vie d’artiste au retour et

jusqu’à ce jour à travers son œuvre

jouissante.

Mahmoud Sehili, que l’on situe – mais

faut-il encore le situer ? – parmi les

artistes de la deuxième génération, a donc

toujours été animé par cette surcharge

affective, au contact de la tradition…

architecturale mais aussi pleinariste dans

tous les sens du terme. La Médina de

Tunis, qu’il a dû quitter très tôt pour aller

étudier en France, lui a procuré – comme

chez Néjib Belkhodja, mais à travers une

toute autre démarche – la gamme de son

vocabulaire pictural (il s’en explique bien

à travers ses mythologies personnelles).

Vocabulaire nécessaire même lorsque, à

l’époque des artistes maghrébins, tels le

Marocain Cherkaoui ou l’Algérien

Issiakhem, il fit son voyage initiatique

d’études et de perfectionnement à Paris.

Comme eux, d’ailleurs, et surtout dans la

lignée d’artistes européens tels que

Mondrian, Klee ou même Picasso, il était

déjà imprégné de cette conviction que la

tradition peut et doit constituer une

source d’inspiration en même temps

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Avec Bady Ben Naceur, dansl’atelier de l’artiste. 2001

Mahmoud SehiliNature-Culture

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qu’une joie dans la création.

Mahmoud Sehili, mode d’emploi ? C’est

dans son atelier à Sidi Bou Saïd où il vit et

travaille avec des élèves attentives que

nous sommes allés à la recherche de

l’œuvre et de la personnalité de l’artiste.

L’œuvre comme elle se dégage de ses

toiles. Des toiles immenses qui, une fois

achevées, sont descendues par la

terrasse… et la parole de l’artiste comme

elle s’engage au fur et à mesure des

évènements vécus par lui ces trente

dernières années.

Il nous fallait avoir un code de lecture

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Des toiles immenses…

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Sud. Marche nocturne. 130x97 cm. Huile sur toile. 1991.

Sud. Les tabounas sous la tente. 130x97 cm. Huile sur toile. 1991.

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Sud. Matmata. 81x60 cm. Huile sur toile. 1970.

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72

Sidi Bou Saïd. Haut perché. 81x65 cm. Huile sur toile. 1982.

Sidi Bou Saïd. Canicule. 146x74 cm. Huile sur toile. 1982.

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Sidi Bou Saïd. Ruelle. 73x54 cm. Huile sur toile. 1982.

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Maroc. La source. 81x60 cm. Huile sur toile. 1984.

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Algérie. La Princesse rouge. 92x65 cm. Huile sur toile. 1972.

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98

Soudan. Traversée du Nil. 130x97 cm. Huile sur toile. 1978.

Soudan. Les notables. 65x50 cm. Huile sur toile. 1978.

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Acrylique. 50x40 cm. Foule. 1994.

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Médina. Brodeuses. 160x200 cm. Huile sur toile. 1992.

Médina. Brodeuses. 116x89 cm. Huile sur toile. 1992.

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Médina. Torbet el Bey. 240x200 cm. Huile sur toile. 1995.

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Médina. Sidi Bou Saïd. 240x200 cm. Huile sur toile. 1995.