Macherey: Foucault Avec Deleuze

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  • 8/13/2019 Macherey: Foucault Avec Deleuze

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    REVUE CRITIQUE

    FOUCAULT AVEC DELEUZEL RETOUR ETERNEL DU VRAI

    Le livre que De leuze consac re l 'oeuvre de F oucault *, en vue de la faireapparaitre comme une des plus grande s philosophies du xx - sicle (selon lapriere d'inserer, au dos de l'ouvrage), rassemb le six textes, composes des periodesdifferentes.Les deux p remiers : U n nouvel archiviste (paru dej, sous une forme peupres identique, dans Critique, n 274, en 1970 ) et Un nouveau cartographe (paru dans Critique, n 343 , en 1975) sont des comptes rendus de l Archeologiedu savoir et de Surveiller et Punir, realises au mome nt o ces livres avaient etepublies. R assemb les ici dans un ensem ble preliminaire, sous le titre : De 1'archiveau diagramm e , ils font voir comment Foucault, dans les annees 1970 , etait passed'une problematique du savoir une problematique du p ouvoir, la seconde refor-mulant en m eme temps q u'elle la resolvait la question introduite par la premiere.C e passage a effectivemen t represente Bans l 'oeuvre de Foucault une veritab lecesure, mais celle-ci est en fait seconde par rapport une preceden te, laquelleDeleuze fait souvent allusion, sans lui consacrer d'analyse particuliere : ce lle quis'etait operee entre l Histoire de lafolieet la Naissance de la clinique d'une part,deux oeuvres encore m arquees par la tentative d'une phenom enologie du g esteet du regard, ramenant fordre du savoir des experiences fondatrices, etLes Mots et les Choses et 1 Archeologie du savoir d'autre part, qui, selon De leuze,ont evacue cette reference 1'ex perience, pour lui substituer la dem arche d'unnouv eau positivisme (D eleuze, p. 22).Les trois textes suivants, dont la redaction est contem poraine de la pub lica-t ion du l ivre de De leuze, e t donc poster ieure la mo rt de Fouc aul t, sontrassemb les sous le t itre : Topologie : penser autrem ent . I ts forment unensem b le system atique, expo sant une retrospection globale de l 'ceuvre d eFoucault . Les deux prem iers de ces essais : Les strates ou form ations histo-riques : le visible et 1'enoncable (savoir) et Les strategies ou le non-stratifie :la pensee du deh ors (pouvoir) , reprennent le contenu des articles precedents,

    * Gilles DELEUZE, Foucault Paris, Minuit, 1986, 13,5 x 22,7, 143 p. ( Critique ).Rev ue de synthese : IV S. N 2, avril-juin 1987.

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    278EVUE DESYNTHESE:IV' S. N' 2, AVRIL-JUIN 1987et donnent une nouvelle presentation de la cesure qu'i ls avaient mise en e vidence.Mais ils situent dans une perspective completement nouvelle 1'analyse dessys temes d e savoir e t des rappor ts de pouvoir , dans la mesure o i ls en font leprb ceden t, plutOt que le prealable, d 'une analyse du sujet , dont les deux de rniersl ivres de F ouca ul t , L U sage des plaisirs et L e S ouci de soi, ont ete 1 'occasion.Le troisieme tex te de De leuze est consacre a cette analyse du sujet : Les plisse-m ents ou le dedans de la pence (sub jec t iva t ion) . On voi t a lors appara i t re dansce parcours une t ro is ieme cdsure : cel le qui s ipare une pence du dehors d 'une pensee du dedans , et conditionne la constitution d une problCmatique del 'intbrioritC.Enfin, ce t ensemb le est com plCt6 par un developpemen t prCsente en annexesur L a m or t de l 'hom me e t le surhom me , qui ouvre la tenta t ive de Fo ucaul tsur 1'avenir vers lequel eile s 'C ta it e l le -m em e pro je tCe, l 'avenem ent d 'unenouvel le forme, ni D ieu ni homm e, dont on peut espCrer qu 'e l le ne sera pas pi reque les deux prccbdentes (D eleuze , p . 141) .D'aprb s ce resume de scr ip t i f , on com prend que le t ravai l rba l isC par D eleuzesur 1 ' eeuvre de F oucaul t a , d 'abo rd , pour ob jec t if de l a db ployer dans l a su i t erompue d 'une dCm arche, qui procbde par dC placements success ifs de son champd ' inves t iga t ion , cor respondant d es re formula t ions de ses p rob lbm es . Sur uneperiode d' peu pr ts v ing t -c inq ans, cet te dC march e dCtache quatre groupes detextes : 1) l His toire de la Folie et N aissance de la chnique ; 2) L es M ots et lesChoses et l A rchdologie du savoir ; 3) S urveiller t unir et La V olontO de savoir;4) L Usage des plaisirs et L e Souci de soi. La quest ion que pose une teile periodi-sat ion, c 'est d 'abord cel le de l 'unitC de la pensEe d e Fou cault , qui s 'est donne epour objectif d 'Elucider successivement 1'expErience, le savoir , le pouv oir e t lesuje t . L ' interprCta t ion proposee par Deleuze tend h m ontrer que le mo uvem entqui a assure le passage de l 'une de ces p rob lCm at iques A la su ivante p roceded'une logique interne de developpem ent : c 'est comme Si ces dEplacem ents s 'Etaientenclench fs les uns les autres , se lon une nEcessi tC qu i re l ive d 'une s ignif ica tionglobale . Ainsi , ce serai t dans la mesu re ou il n 'a pas tou jours pense aux m 8m eschose n que Fou cault aurai t persistC penser la me inecho se : cet te dispari t ionde l 'hom me q ui, faisant apparaltre la place ainsi laissC e vacante les figures diver-ses du m ult iple , comm ande aussi f inalement d 'autres usages e t d 'autres soucis,c 'est--dire une autre e th ique.

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    Partons de la premiere cesure, celle qui fait succeder 1'investigation del Histoire de la Folie et de la Naissance de la clinique celle de L es M ots et leschoses et de I A rcheologie du savoir, et qui fait de Foucault un archiviste au lieu d un interprbte.Pour Sartre, paralt-il, Foucault 6ta it un posi t ivis te desesperC (d ' . apres unpropos rapporte par A. Cohen-Solal : Sartre, Gallimard , 1985 , p . 57 5 ) : ce t teformule devait alors signifier le rejet, sinon d'une mCtaphysique du sujet, du moins

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    P MACHEREY: FOUCAULT AVEC DELEUZE79d'une ontologie de la liberti, rejet qui caracterisa, en effet, la pensde deFoucault, une fois qu'elle cut exorcise l'image obs6dante des grands fous(H8lderlin, Nietzsche ou Artaud), dont 1'expbrience sauvage Etait rEput6etraverser toute 1 'histoire et en d6chirer 1'Ecran d'un seul trait. Mais lorsque Deleuzeparle du p osit ivisme rarEfi6 de Fo ucault , c 'est dans un tout autre sens, lafois plus singulier et plus radical, celui d 'une revo lution dans le dom aine proprede 1'episttmologie, qui conduit prendre seulement en consideration des6nonc6s l ibEr6s de toute re la t ion I un rC fCrent , que ce lui-c i soi t donne du c6t6d'un sujet ou du ctC d 'un ob jet : alors la connaissance W est plus qu'une affaired'inscription, ' inscript ion de cc qui est di t ou la posit ivite du dictum (D eleuze,p. 24 ) , e t I ' a rch iv i s te -archb ologue e s t d ' abord un Epigraphi s te , dont l e t ravailconsiste recueil l ir e t rest ituer des inscr ipt ions, indC pend am m ent de 1 'effetde sens qu elles peuvent produire, et qu elles semblent mais ceci est pureapparence recCler . Posi tivism e doi t donc s 'entendre ic i en p lusieurs sens : i is 'agi t , d 'abo rd, de ram ener tout l 'ordre du sav oir de pures relations entre desenonc bs ; ce qui signifie aussi que ces relations soient consid6rbe s indb penda m-ment d 'un presuppose unif icateur , que celu i-ci les homog eneise dans la perspec-t ive d'une signification ouv erte ou dans alle d'une structure fermee, presupposepar rapport auquel ces relations ne seraient chacune en eile - m e m e q u e d e sde te rmina tions , marquees nC gat ivement . $purer les Enoncb s de tout rappor t un referent , subjec t i f ou ob jec t if , c 'es t encore fa ire 1 ' fconom ie d 'une dia lec ti -que , e l le-m em o ob jective ou subjective, qui rest i tuerai t , en arr ibre des bn on-cbs, la logique uni ta ire de leur engendrem ent . Du po int de vue de 1 'Epigraphie ,les bnoncbs sont s implem ent donnCs comme ca, et derr iere le r ideau, il n'y arien voir (Deleuze, p. 61), il n y a rien avant le savoir, ni en-dessous (Deleuze, p . 117) . Le seul a priori auquel soi t subo rdonnC le savoir es t donc una priori histor ique, recucil lant ' ensemb le des formules qui consti tue, dans uneforme n 6cessa iremen t d ispers te , le corpus savant ou sacha nt d 'une epoque .

    On comprend qu'ainsi soit exorcise le mythe d'une experience originaire,constituant 'objet et le sujet l'intdrieur de leur correlation, quel que soitd'ailleurs le sens, de 'objet vers le sujet ou du sujet vers 'objet, dans lequel soitinterprC tbe ce t te corre la t ion. Mais on voit aussi de quel prix se p a f f e une teilereduc t ion : ne doit-elle pas, suivant la rigueur d e son ex igence, identifier ('ordrede l '6pistC m C celui d 'une dox a, c 'est--dire, en diluant la ma ssive r igueur desprC tendus systtm es de connaissance , la ram ener A la facticitC d 'un c 'est dit ouinscrit c o mme ca , qui reste en apparence le dernier mot de I'archiviste-epigraphis te ? En effe t , le posi t ivisme de Foucau lt , m inutieusem ent a t tent ifI 'exacti tude des EnoncCs, Elude du meine coup toute ques t ion sur Ia vf r i tt quiserait donnde en eux , et donc au ssi avant eux : celle-ci n '6tant tout au plus qu'uneffet dCrivC de leur fonct ionnement . Or, v ider le savoir de son contenu de v b r i t b de m ani&re ce qu ' il ne soi t p lus seulement 1 'expression m ais l 'e f fec teur dece contenu qu i , a lo rs, n 'en es t p lus un n 'est -ce pas en m em e temp s lu i fiterson caractere de savoir, en en donnant une caractCrisation s t r ic tement formelle?Mais le posit ivisme de Foucau lt n 'est pas seulem ent un p osit ivisme de l 'fnoncf,identifiant le savoir tout ce qui se dit une epoque : il replace auss i les6nonc6s dans le rbseau qu e t isse autour d 'eux leur rappor t i1 des vis ib i l itCs ,

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    P MACHEREY: FOUC ULT AVEC DELEUZE81sous lesquelles eile s'effectue, etant entendu que ces conditions n'ont rien Avoir avec une cause, quel le qu'en soit la nature, materielle ou ideale. C'est iciqu'intervient ce que Deleuze appelle la pensee du dehors , et ceci constitueune nouvelle etape dans la demarche de Foucault. Si une epoque dispose d insti-tutions et de discours, dont la correlation constitue fordre de son savoir, c'estparce qu'elle repartit ceux-ci l'interieur d'un reseau, ou d'un diagramme ,qui ob ei t la seule log ique de la d ispers ion de s forces , c 'es t --dire une s t ra teg iede pouvoir. Strategie a n o n y m e , muette , et aveugle (Deleuze, p. 80),qui precede le savoir, et les relations de formes qu'il institue, dans la mesure oeile se tient au dehors de ces formes, et, comm e tei le , res te exter ieure au savoir ,et doit donc aussi titre ignoree. C'est ainsi que la stabilite du savoir s'bdifie surl a dynam ique evanescen te e t informelle des rappo r ts de forces , vis --vis desque lseile represente une tentative de fixation necessairement provisoire : l'ensembledes appareils et institutions, 1'$tat lui-meme, qui donnent voix au pouvoir et lenom me nt, scion l 'operation du savoir qui organise 1 'aide de ses formes la matierepure d'un pouvoir proliferant sans regles.

    Le probleme de la verite peut donc titre nouveau pose, dans de nouveauxtermes : la verite n'est pas dans le savoir, parce qu'elle circule entre lepouv oir e t le savoir , comme ce qui resulte de l'adaptation d'une matiere et d'uneforme ; ainsi, eile est plutt au dehors du savoir, non c o mme une autre forme,qui en contrlerait idealement le systeme, mais comme cette exigence d'unrappor t une m atiere , sans lequel 1 'organisat ion du savoir , sous le double aspe ctde ses discours et de ses appareils, ne serait qu'une structure creuse, incapablede susciter par sa propre spontaneite les critbres de sa legitimite. La verite estau-dehors du savoir, parce qu'elle depend elle-meme du rapport du savoir son dehors , qui constitue en derniere instance pour le savoir la condition de sasynthese. Ainsi, penser ne depend pas d'une belle interiorite qui reunirait levisible et 1'enoncable, mais se fait sous l'intrusion d'un dehors qui creusel 'in terval le , e t force , dem em bre l 'in ter ieur (De leuze, p . 93) . Si le savoir engen dreses objets, visibles ou enoncables, partir des lois de son organisation, indepen-damment de toute relation un referent exterieur objectif ou subjectif, il resteque son fonctionnement est lie 1'existence d'une matibre ou d'un contenu, quin'est pas vis--vis de lui c o m m e un objet ou un referent, puisque ce contenuechappe com ple tement s es r eg les , e t demeure comme te l de fordre du non-su :il est de la nature de ce p ouvo ir , qui m altr ise, de ne pouvoir lui-mem e t i tre m altrise .

    Ainsi le pouvoir ne double pas le savoir, pour lui assurer un fondement ouune garantie legitime : mais, le savoir ne tirant sa stabilite que de lui-meme, lepouvoir agit sur lui seulement pour le desorganiser, c o m m e une force perma-nente de contestation, qui dement l'inalterabilite apparente de ses formes. Aumythe du Pouvoir c o m m e forme, qui n'est en fait que l'image mystifiee qu'endonne un savoir, Foucault oppose donc la realite mouvante des pouvoirs, dontla fonction est essentiellement destructurante, puisqu'elle conditionne simulta-nement les mecanismes de l'assujettissement et de la resistance, sans jamaisdonner les moyens d'en surmonter la contradiction. Pas davantage qu'il n'y ade verite inscmte une fois pour toutes dans le savoir, iln'y a de verite definitivedu pouvoir, celui-ci ayant c o mme on dit le dernier mot : car le pouvoir, qui est

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    282EVUE DESYNTHESE: 1V S. N 2, AVRIL-JUIN 1987le dehors du savo ir , est aussi tout au-deho rs de soi, sans dedan s, absolue disper-sion de ses fo rces, qu'i l ne parvient lui-meme i retenir dans aucune figure defineet fixee ; et a insi il n'y a pas du tou t de dernier mo t. La fonction du sav oir , d 'oi lil t i re sa legit imite propre, c 'est done de prefer occasionnellement au pouvoir cet teorgan isat ion qu i essentie llemen t lui m anqu e, en lui offrant cet te representat ionarretee de lui-meme en dehors de laquelle il n'est que le flux incessant etimperceptible de relations fuyantes, qui Poppose indefiniment a soi . L 'union dusavoir et du pouvoir n'est pas scellEe partir d'un principe qui leur seraitcommun, mais au contraire eile suppose leur irrEductible disparitC, qui leur p ermetjustement de se com pleter it t ravers leurs apports reciproques. C ar , pourrai t-ondire, un savoir sans pouvo ir serait v ide, et un pouv oir sans savoir aveug le.Des analyses precCdentes se degageaient les concepts d'un savoir et d'unpouvo ir sans su je t . Pour fa ire p lace A une prob lbm at ique de la sub jec t iva tion c'est ce l le -c i que sont con sacrbs ses deux derniers livres , il a don c fal luque Foucault pensgt quelque chose d'encore tout a fait different, dans uneperspe ctive dont ses prtc6dents ouvrages l 'avaient tenu c a r t b : ce repli du savoir

    et du pouv oir par lequel e t dans lequel le sujet se creuse lui-m8 me u n l ieu derefuge. C'est alors qu'aux grandes figures de I'extbrioritC succtdent celles de I 'intE-rioritC : si les dernibres avaient etC, l it t fralem ent , exclues par les prem ieres ,c'@tait pour se trouver recluses dans un autre espace qui leur est propre.C om m en t com prend re l a na tu re de ce t e s pace du dedans ?Or le su je t ne fa i t pas i rrupt ion dans les recherches poursuivies par Foucau ltcomm e un ob je t radica lement nou veau, qui ne se ra i t access ib le qu ' condi tionque soient com plt tement ef fac tes les t races de ses dC marches antCr ieures , e t enconstituerait ainsi la dEnega tion ou le reniement : m ais son concept est precisE-me nt ce qui ressort au contraire des prCc C dents concepts du savoir et du pouvoir,dont il est le resulta t. Ainsi le ded ans, ou si l 'on p eut dire le dedans du d edans,n est-il pas un pur dedans, i llusoirement refermC sur lui-mem e, e t dont I ' imag eapaisEe se sub st i tuerai t tout d 'un cou p aux f igures violentes du deh ors ; mais ilest le dedan s du dehors, ou encore le dedans tel qu'il se forme lui-mem e i1 partirdu dehors d'o il es t paradoxalement i s su . L e dedans c o m m e opera t ion dudehors : dans tou te son oeuvre , Foucaul t sem ble poursu iv i par ce them e d 'undedan s qui serai t seulem ent le pl i du deh ors, com m e si le navire Etait un plisse-m ent de la mer (D eleuze , p . 104) ; e t ce t te formu le de l 'emb arca t ion co m m ein tCr ieur de l 'extCr ieur est encore repr ise un pe u plus lo in (p . 130 ) . C ar il nepeut y avo ir de posit ivisme du sujet : le sujet , c 'est--dire cc qui s ' intC rior ise ,n'est pas donne co m m e ca, mais il es t lu i-mg m e le p rodui t d 'un processus desubjec t iva tion, dont les condit ions sont d onnEes au-deh ors , Bans 1 'existence dece qu i es t donne au-deho rs e t que l e su je t repl ie .Pour dEco uvrir ce sujet , il a fallu que Fou cault accom plisse un veritab le trajetini tia t ique , qui 1 'a ramenC au m onde d es Grecs. Ce que les Grecs ont fa i t, ce

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    P. MACHEREY: FOUCAULT AVEC DELEUZE83n'est pas reveler 1 'Etre ou dC plier l'Ouver t , dans une g este his tor ico-m ondia le .C 'est beau coup m oins ou beau coup plus , dira it Foucault . C 'est p loyer le dehorsdans des ex erc ices p ra tiques (D eleuze , p . 107 ) . C ' es t a ins i que Fou caul t , quiC tait parti d'ailleurs, c'est--dire en fait d'ici o no us som me s, est arrive aux Grecs,chez lesquels i l a rencontrb un ordre inedi t : ordre du suje t , en rappor t avec dessavoirs et des pouvoirs eux-m em es distribu 6s scion des ordres qui n 'ont plus rien voir avec ceux qui dCterminent au jourd 'hui notre propre m aniCre de vo ir , dansl 'horizon desquels s '@taient mainten us les travaux an t6rieurs de Fou cault. M a i scette btrangetC Ctait nCc essaire pour rCvC ler ce qui constitue la f igure authentiquede l 'intCrioritb, qui n 'est pas c omm e un dedans imm ediatement donnC et accessi -ble, ici et maintenant, mais qui dolt faire l objet d une veritable conquete.

    C e retour, dont la va leur est essent ie llement sym bolique , n 'est pas un m ouve-ment en arribre, qui nous ramenerait vers un passe saisi dans sa positivite,c est--dire comme il a ete : puisque le monde mental des Grecs tire pournous sa valeur du fait precisement qu'il n'existe plus, et represente ainsiexem plairement l 'absence m eme d 'une posi t ivi t6. Foucault n 'a donc pas ch erch6i 1 com prendre ce q ue l es Grecs on t e tb h i s to r iquem ent , en rappor t avec l eurspropres systemes de savoir et de pouvoir qu'il a en queique sorte mis entreparentheses , mais il a voulu sais i r en quo i il s const i tuent pour no us un dou bleou une imag e de notre propre activitb de sub jectivation, elle-mem e etrangere auxsys temes de savoi r e t de pouvoi r , auxqu el s eile opp ose sa facul t i indefinie demetam orphose. L a lu t te pour une sub ject iv i te moderne passe par une resistanceaux d eux form es actuelles d 'assujet t issem ent, l'une qui consiste i t nous indivi-duer d'apres les exigences du pouvoir, l'autre qui consiste attacher chaqueindiv idu un e ident i tb sue e t connue , b ien de te rmine une fo is pour toutes . Lalu t te pour la subjec t ivi tC se presente alors com me droit la difference, e t droit la var ia t ion, iA la metam orphose (D eleuze , p .113 ) . Ce que nous app rennentaujourd'hui les Grecs, mais qu'ils ne savaient peut- t it re pas eux-m em es autre-fois, c'est que le sujet se definit d'abord par ce rejet ou ce refus d'une formearretCe, rejet ou refus qui n'a de sens que parce qu'il s'oppose c o m m e uneres is tance au m ouvem ent inverse qui , pa r le jeu des savoir s e t des pouvo ir s, atou jours tendu a u cont ra i re f ixer l es fo rces dans d es fo rmes .Le suje t n 'exis te donc pas com me une nou vel le forme, coif fant le savoir e t lepou voir , et les m al t r isant : m ais il est justement un repli absolu par rapport toute forme. 8trangete du sujet, qui n'est soi-meme que dans la mesure o ilparvient aussi A se tenir au plus loin : ce qui prCcisem ent a e tC tout i1 l 'heurer e c onnu com m e btant au-dedans du dehors. C est pourquoi le sujet n est pas,son nom meine de su jet l 'indique, ob jet d 'un savoir , pas plus d 'a i lleurs qu' i ln en constitue le sujet ou le fondement : pour maitriser le sujet, il faut seplacer en qu elque sor te ho rs-savoir , dans un au tre lieu qui n 'est pas celui d 'unnouveau rassemb lement , mais au cont ra ire d 'une d ispers ion . D eleuze exp l iqueainsi la refC rence que fait Foucault H eidegg er, en en expliquant les l imites. Iln 'y a pas de doute que F oucaul t a t rouvC une for te insp i ra tion thCo r ique chezHeidegger , chez M erleau-Ponty, pour le them e qui le hantait : le pli, la doub lure (Deleuze , p . 11 8) . C et te inspira t ion ne joue que sous la condition d'tre decalb e. Tout se passe c o mme s i Foucaul t reprocha i t Heidegger e t M er leau-Ponty

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    28 4EVUE DESYNTHESE:IV' S. N 2, AVRIL-JUIN 1987d'aller trop vite (ibid.). Heidegger et M erleau-Ponty tentent, en effet, de dbpasserd'emb lre le savoir vers son fondem ent, comme si 1'entrelacem ent de ses deuxaspects, le visible et 1 'enoncable, C tait dj le pli de l'Etre. Mais I 'Etre nest p asau-del du savoir comme sa veritC, parce qu'il ne se tient lui-mem e en aucun lieu;et la pensee du sujet ne consiste finalement en rien d'autre qu'en 1'affirmationde ce non-lieu, d'autant plus radicale qu'elle n'est pas localisable, et re ste doncbvanescente. Ainsi Deleuze C crit : Il y a toujours eu ch ez Foucault un heracli-tbisme plus profond que chez Heidegg er, car finalement la phC nomC nologie esttrop pacifiante, elle a B eni trop de choses (p. 120). C e qui confCre au sujet savaleur prop re, par laquelle il est rapport ab solu soi , c 'est sa puissance dedCstabilisation.

    La db marche de Foucaul t s' achb ve done dans une topique , dont DeleuzeprCsente pour finir le schema com plet. C 'est de cette manure qui ne doit plusrien Heidegger, que Fouc ault compren d la doub lure ou le pli. Si le dedans seconstitue par le plisseme nt du deh ors, il y a entre eux une relation topologique :le rapport soi est homologue du rapport avec le dehors, et les deux sont encontact par l'intermEdiaire des strates qui sont des milieux relativement extC rieurs(donc relativement intCrieurs). C'est tout le dedans qui se trouve activementpresent au deho rs sur la limite des strates (Deleuze, p. 12 7). C eci signifie aussique le ded ans du sujet, c'est-u-dire 1'intimitC qu'il conquiert sur soi en se maltri-sant, ne t rouve nulle part ailleurs se log er que d ans 1'interstice qui sep areles strates Epaisses du savoir, et 1'bparpillement des forces au p ouvoir. Presenceevasive, incertaine, qui a la minceu r d'un pli, aussit8t efface p uis retrace, et tiresa certi tude de son incertitude mem e.

    s

    Il fallait garder aux derniCres pag es b crites par Deleuze sur les dernibres pag esecrites par Foucault leur caractCre quelque peu Cnigm atique, pour faire apparal-tre aussi leur valeur prophC tique. C ar le positivisme d e Foucault est ce qui1'a finalement cond uit de la consideration de l'histoire une certaine pen see de1'avenir, qui est aussi la cid de sa position philosoph ique. En affirmant que lesavoir, le pouvoir, et le sujet ne sont en rapport que pour autant qu'ils parvien-nent se m aintenir sur des plans distincts, qui donnent la pensC e, scion lesconditions historiques de ses Epoques, ses dimensions C pistCm ologique, politi-que et Ethique, Foucault a du m8 me coup renoncb une problematique unitairede la vC rit6, ramenant celle-ci des prCsupposC s homogenes et uniformes, 1 ' i n t -r ieur d 'un ordre dont 1'allure serait fixCe une fois pour toutes. M ais cela nesignifie pas que, gyantdC placC he ch amp d'application de son concept, i l ait renonck penser la vC rit8 comme teile, c'est--dire d'une certaine m aniCre philosopher :car toute son entreprise est tendue en fait vers la recherche d'une autre vC ritb,dont les rtgles ne soient pas seulement formelles, et dont Ia figure ne puisse doncgtre Etablie de maniCre definitive. En suivant les metamorph oses de la vCritC, danshe tem ps et dans 1'espace, c'est--dire en huidC niant la faculte de se dCfinir i1

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    P MACHEREY: FOUCAULT AVEC DELEUZE85partir d'une forme donnee une fois pour toutes, Foucault n'est pas, c o m m eon le dit trop souvent, revenu un scepticisme generalise, ou la denegationsauvage de tout concept : mais il a cherche plutt formuler les conditions depossibilite d'une nouvelle maniere de penser, se tenant dbliberbment cote desarchetypes ( I 'homme, mais aussi bien le reel, ou la science) quitentent vainement de contrecarrer cette transformation ; car celle-ci est en faitla seule condition permanente laquelle soit assujettie la production de veritb.Ce qui distingue la lecture que Deleuze presente de l'oeuvre de Foucault, c'estqu'elle restitue cette production sa puissance et sa fecondite, ou encore lepouvoir qu'elle detient de se propulser sans cesse sur de nouveaux terrains, etd'inventer de nouvelles formes d'organisation. Apres tout, une authentiquehistoire de la veritc est celle qui ne privilegie pas seulement ses realisationspassees, en constatant le fait qu'elles ont ete, mais encore s'intCgre dynami-quement leur developpement : alors eile saisit aussi le frCmissement quiaccompagne, voire meme precede, l'invention de ses formes ulterieures ; et eilesignifie l'urgence de penser autrement .

    Pierre M ACHEREY,UniversitE de Paris-I.