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1
Institut d’Urbanisme
de Paris
MASTER «URBANISME ET TERRITOIRES»
Mention «URBANISME»
Mémoire 1ère
année
BENAÏSSA Sarah
Femmes mozabites et habitat à Guerrara (Algérie)
Etude sur l’adaptation culturelle à un nouveau type d’habitation
Directrice de mémoire : Liliane Pierre Louis
2008
2
Résumé :
A Guerrara, le domaine des femmes mozabites est la maison. Leur mode de vie est
intimement lié à leur mode d’habiter cet espace. La maison est l’espace le plus investi par les
femmes. C’est le lieu de la vie intime, privée des femmes et de la famille mais c’est également
un lieu de sociabilité féminine. L’habitat vernaculaire mozabite dans son architecture, sa
configuration, son aménagement et les pratiques qui lui sont liées, témoigne de la place des
femmes dans la communauté. Avec l’arrivée d’un nouveau type d’habitat exogène (logement
social public ou privé) quels changements pourraient survenir dans le mode de vie et le mode
d’habiter des femmes ? Nous évaluons ici l’adaptation d’un nouveau type d’habitat face aux
habitus des femmes mozabites et l’impact des changements éventuels sur la place des femmes
dans la communauté. Cette étude qui s’appuie sur une méthode ethnographique pose la
question du lien entre femmes et habitat dans un milieu encore très marqué par une
représentation et une organisation genrée du monde.
Mots clefs :
Guerrara, femmes mozabites, habitat vernaculaire, habitat exogène, mode de vie, mode
d’habiter, adaptation culturelle.
3
Remerciements :
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidées à réaliser ce mémoire :
En premier lieu ma directrice de mémoire Mme Liliane Pierre Louis pour son encadrement,
ses conseils et remarques constructives.
Ma famille et mes amis pour leur soutien et leurs conseils.
Tous les acteurs rencontrés à Guerrara, Ghardaïa pour leur disponibilité et les informations
précieuses qu’ils ont pu m’apporter.
Enfin, toutes les femmes de Guerrara qui m’ont ouvert leur porte, qui se sont confiées à moi
et qui m’ont accordée leur confiance ; ce travail n’existerait pas sans elles.
SOMMAIRE :
Remerciements : .................................................................................................. 1
Préalable : le Mzab, Guerrara, les mozabites ................................................... 5
Introduction ...................................................................................................... 7
1. L’habitat à Guerrara : typologie architecturale .................................. 11
1.1. L’habitat traditionnel du ksar ............................................................................... 11
1.2. L’habitat traditionnel remodelé, modernisé ......................................................... 13
1.3. L’habitat exogène ................................................................................................. 16
1.4. Tableau récapitulatif des typologies ..................................................................... 20
2. Femmes et maisons dans leur environnement urbain ......................... 21
2.1. La maison et la femme, éléments structurants de Guerrara ................................. 21
2.1.1. La localisation des maisons : l’expression d’enjeux communautaires ......... 21
2.1.2. Faciliter les déplacements et la vie sociale de la femme dans la ville.......... 24
2.2. Les espaces publics sont-ils exclusivement masculins ? ...................................... 26
2.2.1. La mosquée, les places et la palmeraie, l’apanage des hommes .................. 26
2.2.2. Le cimetière, une présence relative des femmes dans un espace ouvert ...... 27
2.3. La ville, simple sas de passage pour la femme .................................................... 30
2.3.1. Passer dans des rues, ruelles, places,… ........................................................ 30
2.3.2. Eviter la mixité homme-femme et le regard des hommes ............................ 31
2.3.3. L’espace public, un construit culturel qui renvoie la femme à la maison .... 36
3. La maison, le domaine des femmes ....................................................... 37
3.1. La maison conserve l’intimité et l’intégrité de la femme ..................................... 37
3.1.1. Une maison introvertie ................................................................................. 37
3.1.2. L’entrée dans la maison ou le passage d’un monde à l’autre ....................... 40
3.1.3. Se protéger des regards à l’intérieur de la maison........................................ 42
3.2. La maison, lieu d’expression pour la femme ....................................................... 43
3.2.1. Faciliter le confort et les activités quotidiennes de la femme ...................... 43
3.2.2. Le soleil, un droit pour toutes ....................................................................... 47
3.2.3. La maison, lieu de sociabilité féminine par excellence ................................ 48
4. Les relations codées entre hommes et femmes dans la maison ........... 51
4.1. Pour une séparation des hommes et des femmes dans la maison ......................... 51
4.1.1. Le pouvoir des femmes ................................................................................ 51
4.1.2. Des parties indépendantes et des flux contrôlés ........................................... 52
4.1.3. La position particulière des enfants et des personnes âgées ......................... 55
4.2. Pour des relations apaisées…le rêve de la maison idéale .................................... 55
4.2.1. Une maison pour la famille restreinte en gardant un lien avec le collectif .. 56
4.2.2. Une maison où tout le monde a sa place ...................................................... 57
Conclusion ...................................................................................................... 59
Glossaire : ........................................................................................................... 64
Table des illustrations ....................................................................................... 65
Bibliographie : ................................................................................................... 66
Annexes : ............................................................................................................ 68
5
Guerrara est une ville d’importance
régionale d’une superficie de 2900 km². Sa
population totale est de 58 058 habitants au
31/12/2005 dont 29 616 hommes et 28 349
femmes. La densité de peuplement est
faible (environ 20 habitant au km²). La
population est majoritairement urbaine
(55 257 urbains contre 2801 ruraux). La
taille moyenne des ménages est élevée (7,8
personnes par ménages). La ville possède
un taux d’accroissement naturel de 2,75%.
Elle a une forte croissance démographique,
urbaine, économique qui est permise
notamment par son sous sol riche en eau.
Source : www.wilayadeghardaia.org
(Site de la wilaya de Ghardaïa)
Préalable : le Mzab, Guerrara, les mozabites
Le Mzab se situe en Algérie, au sein de la wilaya (départements) de Ghardaïa.
Ghardaïa correspond également au nom de la capitale de la wilaya et du Mzab. Cette capitale
se situe à environ 600 à 700 kilomètre au sud d’Alger. La Wilaya de Ghardaïa est au centre de
la partie Nord du Sahara. Elle est issue du découpage administratif du territoire de 1984.
Le Mzab est un plateau rocheux dont l'altitude varie entre 300 et 800 mètres. Ce relief
se présente sous la forme d'une vaste étendue pierreuse et de roches brunes et noirâtres. Les
escarpements rocheux et les oasis déterminent le paysage dans lequel sont localisées les villes
de la pentapole du Mzab et autour duquel gravitent d’autres oasis.
A l'origine, le Mzab était un ensemble de 5 oasis de 72 km². Les cinq villes ksour et au
singulier ksar (petites villes fortifiées) sont : Ghardaïa, Béni-Isguen, El-Ateuf, Mélika,
Bounoura. Mais deux autres oasis isolées existent : Berriane (43 km an Nord de Ghardaïa) et
Guerrara (90 km au Nord de Ghardaïa et 75 km à l’Est de Berriane). Dans ce mémoire, la
ville étudiée est Guerrara. C’est une des plus récentes villes mozabite, construite en 1631, par
une fraction Ibadite chassée de Ghardaïa. Elle est située dans la vallée de l’Oued Zegrir. Le
choix de cette ville était évident pour des raisons de commodités. J’ai un lien particulier avec
ce territoire étant fille d’un mozabite immigré natif de Guerrara. C’est donc un point de chute
où je pouvais être logée et nourrie. C’est également une ville où il m’était beaucoup plus
facile de rencontrer des mozabites.
Guerrara est peuplée par des berbères, les mozabites. C’est une minorité au sein de
l’Algérie qui se distingue des sunnites de rite malékite majoritaires en Algérie par le fait
d’être kharidjite ibadite. En s’installant dans cette région pratiquement vierge, aride, les
mozabites voulaient pouvoir exprimer librement leur morale religieuse, philosophique et
sociale. C’est la doctrine ibadite qui est à l’origine de la formation de la communauté
mozabite. Les mozabites sont donc des musulmans ibadites de culture et de langue berbère.
Ils sont de fervents pratiquants. Ils possèdent une organisation sociale et religieuse ancestrale
qui perdure encore aujourd’hui. Leur foi, leur culture et les institutions traditionnelles
alimentent chaque jour l’identité mozabite et communautaire. Le ksar répond à différents
besoins historiques : défense militaire et idéologique, nécessité d’échange économique avec
les nomades. La conception de cet espace humain et d’un modèle architectural a été pensé par
et pour les besoins et les convictions des mozabites. L’habitat vernaculaire de Guerrara
témoigne d’un mode de vie, d’une vision du monde, de valeurs et de pratiques religieuses
spécifiques.
D’un point de vue économique, malgré l’exploitation de palmiers dattiers, les hommes
mozabites ont été dans l’obligation depuis toujours de migrer pour pouvoir commercer et
survivre. Encore aujourd’hui, nous trouvons une majorité de commerçants chez les mozabites
qui effectuent des migrations périodiques vers le Nord (Alger souvent ou les grandes villes du
littoral). Le non éclatement de la communauté dépendait donc de la femme (qui ne pouvait
pas pendant longtemps quitter le Mzab).
La ville est également peuplée par des tribus bédouines arabes qui se sont
sédentarisées. Ici, nous ne nous intéresserons pas à la totalité des habitants de Guerrara mais
bien aux mozabites qui se distinguent donc par une langue, une culture, une religion, une
histoire différente des autres habitants non-mozabites. Les mozabites représentent 60 à 70 %
de la population totale de Guerrara.
Contextualiser cette étude est fondamental pour comprendre les propos qui vont
suivre1. En effet, la culture mozabite invite à oublier nos manières de penser le monde pour
pouvoir comprendre le leur. La relativité culturelle…voilà une notion qui prend tout son sens
lorsqu’on est confronté à un tel décalage culturel.
Maintenant, en plus d’introduire mon objet d’étude et les questions qu’il soulève ; je
vais expliquer les raisons de ce choix et la manière dont j’ai abordé la question.
1 Voir annexes « Annexe 1 : histoire et population », « Annexe 2 : vie sociale et religieuse », « Annexe 3 :
situation économique », « Annexe 4 : quelques élément sur la place des femmes au Mzab ».
7
Introduction
Le Mzab est aujourd’hui soumis, en plus des règles traditionnelles, conventionnelles
d’urbanisme à des règles officielles érigées au niveau national. Les habitants et professionnels
doivent faire avec les permis de construire, de lotir, de démolir et les certificats d’urbanisme,
de conformité, de morcellement. Il faut y ajouter les instruments d’urbanisme habituels que
sont les PDAU (Plans Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme) et les POS (Plans
d’Occupation des Sols). Plusieurs acteurs de l’urbain interviennent sur le territoire : la wilaya,
l’Office de Promotion et de Gestion Immobilière de Ghardaïa (l’OPGI est un office
s’occupant du logement social public), l’Office de Protection et de Promotion de la Vallée du
Mzab (OPVM). Depuis 1970, la vallée de Ghardaïa a été classée en secteur sauvegardé. La
ville de Guerrara, éloignée a été protégée plus récemment (ksar classé patrimoine national en
1998). La ville a donc perdu quelques éléments remarquables de son architecture millénaire.
Même si certaines tours et les remparts ont été restaurés en 2002 par l’OPVM, un autre acteur
s’est mis en avant spontanément pour promouvoir la protection et le classement du ksar de
Guerrara : la communauté mozabite. Elle a financé des travaux de restauration (habitations,
remparts, portes,…) et demande par le biais d’une association regroupant architectes et autres
notables le classement du ksar au patrimoine universel de l’UNESCO comme c’est le cas pour
Ghardaïa.
En ce qui concerne l’habitat à Guerrara, il existe également une cohabitation d’un
logement exogène (social public ou social promotionnel) et local (habitat vernaculaire, habitat
construit par les mozabites). De nombreux changements interviennent avec ce nouveau type
d’habitat : une nouvelle localisation, configuration, de nouveaux acteurs. Ces changements
ont-ils des conséquences sur la place de la femme dans la maison ? Comment les femmes
vivent dans cette nouvelle situation ?
Les femmes et la maison
Dans cette société traditionnelle, patriarcale, encore plus qu’ailleurs, il existe une
liaison particulière, privilégiée entre les femmes et leur habitat. Une légende berbère dit que
c’est avec la maison en pierre que l’homme a perdu son statut de sauvage. Il en fit profiter la
femme en la faisant entrer dans la maison. Puis, il la laissa à l’intérieur pour qu’elle ne
retourne pas au stade de la nature2. Dans la règle mozabite, l’homme doit loger la femme
« dans un lieu qui ne soit ni sombre ni triste »3. Le monde est donc divisé en deux : entre
hommes et femmes. Les hommes évoluent à l’extérieur, dans les espaces partagés, dans la vie
publique. Les femmes ont pour domaine l’intérieur de la maison, le domestique. Cette
distinction des sexes est bien sur le produit d’une culture forte qui détermine chaque individu
dès leur naissance. La maison est le domaine de la femme et elle s’oppose au monde extérieur
de l’homme (domaine public). Les deux sphères s’opposent, s’unissent à la fois
(complémentarité) et coexistent à l’intérieur de la maison puisqu’elles y sont représentées.
Cette cosmogonie se retrouve donc au sein même de la maison puisque l’homme bien que
moins présent dans celle-ci, y a quelques activités. Cela m’a amenée à me questionner sur la
manière dont la place des femmes mozabites dans la communauté se traduit spatialement dans
la maison. Le modèle architectural n’est pas neutre. Il sous tend une idéologie, un modèle
culturel et social. L’organisation de l’espace renvoie également à une certaine conception de
2 Légende reprise par LACOSTE-DUJARDIN C. dans Dialogue de femmes en ethnologie, Paris, La Découverte,
1977 (réédition de 2002), 115 p. 3 GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1, Paris, Geuthner, 1927
8
la famille, à une définition des rôles sociaux et à des rapports de domination. Un modèle
architectural peut emprisonner le présent dans le passé. Est-ce que le modèle d’habitat
exogène actuel contribue à perpétuer cette position féminine ? Y-a-t-il des changements dans
l’habitat, son organisation, son usage, avec l’irruption de nouveaux modèles d’habitat
exogènes, et où se situent-ils ? Existe-il des considérations pour la question de la femme, par
les acteurs qui construisent du logement à Guerrara ou par les habitants eux-mêmes ? Est-ce
que ces logements sont adaptés à la vie de la femme ? Quels problèmes posent-ils ? Il faudra
faire apparaître les points de contacts et les incidences de ces changements dans l’habitat sur
la façon dont les femmes vivent quotidiennement. Il ne faudra pas ignorer la co-influence
possible des deux termes. Ainsi, peut être que ce sont les changements dans la vie de la
femme qui interpellent les modèles architecturaux hérités du passé ? Parler du rôle des
femmes, place des femmes, condition féminine, fonction des femmes ou encore sort des
femmes donne un contour homogène à cette partie de la société. Est-ce réellement un
ensemble cohérent ? Il y a un caractère global de la condition féminine, car appartenir
physiquement au sexe féminin entraine un ensemble de conséquences sur le déroulement de la
vie, surtout chez les mozabites. Mais, il ne faut pas pour autant faire abstraction des différents
éléments de cet ensemble : les jeunes filles, jeunes mariées, femmes âgées, celles qui
travaillent, celles qui ont fait des études et les autres,…
André Ravéreau définit l’architecture mozabite comme une architecture qui n’est pas
tournée vers l’édifice pour émerveiller mais qui colle aux habitants, à leur morale, au milieu.
C’est selon lui, un esthétisme pur, en parfaite harmonie avec les pratiques des habitants. « On
ne veut pas droit, on ne veut pas courbe. Ce n’est pas une position esthétique, on fait ce qui
s’impose. »4. Ainsi, la maison mozabite traditionnelle s’adapterait parfaitement aux usages
qu’en font les habitants. A travers la maison, c’est toute l’organisation de la communauté
mozabite qui est inscrite. Mettre en relation cet habitat vernaculaire avec une architecture par
plans type questionne d’autant plus les modes de vie des habitants. Aux exigences locales
s’ajoute un pouvoir national, créant de nouvelles institutions, de nouvelles esthétiques, de
nouvelles valeurs dans de nouvelles formes d’habitat. Quelles en seront les conséquences sur
le plan social, culturel et spatial pour la femme ? Est-ce que ce nouveau type d’habitat
structure des nouveaux modes de vie, des nouvelles manières d’habiter ?
Méthodologie
Pour pouvoir contextualiser cette étude, des recherches documentaires et
bibliographiques ont été entreprises en premier lieu. La plus grande partie des documents a été
consultée dans la bibliothèque des langues orientales à Paris (ouvrages traitant du Mzab).
Puis, pour permettre une meilleure analyse de mon sujet, un travail de terrain a été
effectué. La durée du recueil de données a été de trois semaines. J’ai pu obtenir un plan de la
ville, comprendre par des observations sa morphologie, ses évolutions et situer les différents
types de maisons dans la ville. J’ai eu l’occasion de rencontrer des acteurs de terrain, toujours
de manière informelle. Un architecte très actif dans l’association de sauvegarde du patrimoine
fut un de mes informateurs privilégié à Guerrara. J’ai pu discuter avec un promoteur privé qui
m’a fait visiter son projet promotionnel en cours de constructions (Logement Social
Participatif, plans type). J’ai pu faire un entretien plus formel avec le directeur de l’Office de
Protection et de Promotion de la vallée du Mzab. Parallèlement à ces rencontres, j’ai pu visiter
4 maisons (logement social, location-vente, logement aidé,…) construites ou en cours de
4 RAVEREAU A., Le Mzab une leçon d’architecture, Paris, Technique et Architecture, 1951
9
construction. Ces visites serviront de base à la comparaison des logements traditionnels,
traditionnels modernisés construits par les mozabites eux même, individuellement, avec les
logements construits par des professionnels (OPGI ou promoteurs) de manière quantitative. Il
y a une répétition d’un même plan dans ces opérations. Pour désigner ces logements,
j’emploierai l’appellation « maison par plans type », « habitat exogène » ou pour distinguer
les acteurs « maisons OPGI » et « maisons de promoteur privé».
En plus de ces visites formelles, j’ai eu l’occasion de voir un grand nombre de maisons
traditionnelles, traditionnelles modernisées appartenant à des mozabites, la plupart venant de
la fraction des Ouled Allahoum (littéralement : « les fils des plus hauts »). Cette fraction est la
plus importante par son nombre. Elle dispose également d’une certaine renommée, étant
donné que ce sont les ancêtres de ces familles qui sont venus construire Guerrara. Il existe
beaucoup de notables parmi cette fraction. Ils se situent surtout à l’Ouest de la ville. J’ai pu
visiter certaines maisons entièrement, accompagnée des femmes de la maison qui
commentaient chaque espace ; dans d’autres, j’étais simplement reçue dans les pièces
dévolues aux invités. Lorsque cela a été possible, j’ai pris des photos des lieux. J’ai tenu tout
au long de mon séjour un carnet de bord où je notais chaque jour ce que je voyais, les propos
des femmes, leurs comportements, etc… Quatre maisons qui me semblaient significatives ont
fait l’objet de plans assez minutieux. L’observation participante (vivre avec les femmes et
participer à leur vie quotidienne) a été ma méthode privilégiée d’analyse. Je ne manquais pas
non plus de questionner les femmes sur leur vie quotidienne, leurs pratiques, etc. (entretiens
informels et discussions).
Durant la période consacrée au recueil de données, j’ai rencontré plusieurs obstacles.
D’une part, la langue que je ne maitrise pas bien (je comprends partiellement le Mozabite
mais j’ai du mal à le parler) a parfois réduit le nombre de mes interlocutrices. De nombreuses
femmes parlent français et en mélangeant le français au berbère et à l’arabe, nous arrivions
toujours à nous comprendre. Ce qui m’est apparu au départ comme une difficulté a tourné à
mon avantage par la suite. Plus je séjournais à Guerrara et plus ma compréhension de la
langue augmentait. Je me surprenais parfois à comprendre ce que les femmes se racontaient
sans qu’elles le sachent. Cela a été une source d’information non négligeable. Une autre
difficulté / avantage fut le fait d’appartenir aux yeux des individus à la communauté. Cela
m’a permis d’être plongée dans le monde des femmes mozabites et de voir sans détour leur
mode de vie ; d’un autre côté, cela m’a mise dans une position où l’accès à certains lieux et
certaines personnes devaient être fait en compagnie d’hommes de ma famille (sorte de tuteur :
le père, frère ou oncle). Le choix de la population étudiée (les femmes) était donc également
contraint vis-à-vis des lieux et personnes que je pouvais rencontrer le plus facilement. Ma
place est ambiguë. Elle me permet d’avoir accès facilement au milieu mais elle introduit
également des biais dans l’observation, les entretiens,… J’ai essayé tant que possible de
recouper mes informations et multiplier les informateurs pour ne pas être « manipulée ».
Certaines de mes interlocutrices voulaient me dresser un portrait enjolivé de leur cadre de vie.
Il fallait chaque fois prendre du recul face à ce que l’on me disait et vérifier l’information soit
par l’observation, soit en multipliant les sources. J’ai également essayé de faire une différence
entre les propos de groupe qui sont contrôlés et qui se fondent dans la norme et les propos
individuels. Il n’était pas toujours facile de se créer les occasions pour questionner les femmes
de manière individuelle pour ne pas avoir des réponses normées. Dans ce contexte où la
hiérarchie d’âge est très présente, cela a toujours été intéressant de questionner les femmes
séparément.
10
Finalement, cette expérience fut très enrichissante. Mon lien avec Guerrara et les
mozabites m’a permis d’évoluer sans problèmes parmi les femmes. J’ai réellement vécu avec
elles et presque comme elles mais cela a été difficile pour moi à certains moments de
supporter le changement radical de mode de vie et la pression sociale. Ce décalage m’a donné
un recul non négligeable pour ce travail.
Plan
Pour répondre à mes questions, je propose que mon propos prenne la forme suivante :
la situation de l’habitat vernaculaire, traditionnel et traditionnel modernisé sera détaillée en
positionnant en face tout au long du propos les nouvelles maisons par plans type. Je
m’attacherai à comparer les maisons construites par les mozabites avec les maisons
construites lors de projets promotionnels, j’y appliquerai les modes de vie et pratiques des
femmes mozabites.
Dans un premier temps, je montrerai quels sont les différents types d’habitat existant
à Guerrara. Nous étudierons donc l’évolution temporelle d’un habitat traditionnel du ksar à un
habitat remodelé, modernisé par les habitants. Nous verrons également les nouvelles formes
d’habitats exogènes qui mettent en scènes de nouveaux acteurs (Office publique, promoteurs
privées).
Ensuite, nous regarderons dans quel environnement urbain évoluent les femmes à Guerrara et
où se situe leur maison. J’expliquerai que le choix de l’emplacement des maisons est
stratégique pour les mozabites (pour leur vie sociale, religieuse et pour la vie des femmes). Je
montrerai que les maisons (principales, secondaires ou communautaires) constituent les seuls
lieux investis par les femmes dans la ville (en opposition aux espaces des hommes). Cela
m’amènera à penser la ville comme un simple sas de passage contrôlé pour la femme.
Dans un troisième temps, nous entrerons dans l’univers fermé de la maison mozabite et donc
dans le monde des femmes. Nous verrons que les maisons permettent de conserver l’intimité
de la femme, qu’elles sont faites en priorité pour son confort et pour permettre une sociabilité
féminine.
Dans une dernière partie, nous expliquerons les rapports codés entre hommes et femmes dans
la maison. Cela nous montrera que la femme a un certain pouvoir sur l’homme dans la
maison ; qu’hommes et femmes sont séparés dans la maison ; et que les personnes âgées et les
enfants constituent des intermédiaires possibles entre les deux. Enfin, la maison idéale sera
analysée comme une échappatoire possible de ces rapports contraignants. Et elle prendra un
sens particulier dans ce propos puisqu’elle pourra servir de base de comparaison entre ce que
souhaitent les mozabites et ce que les promoteurs publics et privées construisent.
Nous finirons par une conclusion sur le travail.
11
1. L’habitat à Guerrara : typologie architecturale
L’habitat mozabite à Guerrara a subi des transformations depuis la construction de la
ville en 1631 qui résultent de progrès techniques (arrivée d’eau courante, de l’électricité et du
réseau d’assainissement) ou de réformes administratives et de nouvelles influences culturelles
(administration coloniale, indépendance, redécoupage administratif). Nous distinguons ici
trois types d’habitats et pour chacun d’eux, nous fournirons un plan comme illustration.
1.1. L’habitat traditionnel du ksar
Les maisons construites par l’habitant mozabite à l’intérieur du ksar sont les premières
maisons de Guerrara. C’est un habitat vernaculaire, un modèle qui provient de la société
mozabite (endogène). Ces constructions intuitives n’ont pas été influencées par des
professionnels. Elles sont traditionnelles et reprennent tous les éléments de l’architecture
mozabite ancestrale. Elles s’intègrent parfaitement au climat de la région : soleil, chaleur,
vent. Grâce aux matériaux traditionnels, la maison conserve sa fraicheur (palmes, chaux,
timchent : plâtre traditionnel). De plus, elles sont pourvues de caves (froides en été et chaudes
en hivers). Les ouvertures sont également judicieusement placées pour ne pas réchauffer la
maison. La maison répond également à des besoins spécifiques liés à la région et à la survie :
puits d’eau, réserves de datte. Enfin, elle répond à un certains nombre de conventions
sociales : les femmes doivent être protégées des regards et la maison doit avoir une austérité
apparente (système social égalitariste : le riche ne doit pas être ostentatoire devant le pauvre,
l’entraide doit exister entre tous les membres de la communauté).
La maison se développe autour du Ammas n’taddart (centre de la maison). Au rez-de-
chaussée, elle se distingue par son entrée en chicane. Elle a un coin cheminée avec des niches
creusées dans le mur : la cuisine traditionnelle. On y trouve un espace pour le métier à tisser,
une réserve, des chambres, des WC traditionnels, une étable. La maison a un premier étage
avec une terrasse et une zone couverte comprenant chambres, cuisine, salle de bain. Le
dernier étage est un toit-terrasse. La disposition des différentes pièces permet aux femmes et
aux hommes de la maison de ne pas se gêner dans leurs occupations. Il y a parfois des entrées
séparées, des escaliers séparés. La femme y est protégée des regards par différents éléments :
petites fenêtres, murs protecteurs,…
Les maisons ont des petites surfaces (10 mètres sur 5 environ), la longueur d’un tronc
de palmier étant la portée la plus grande envisageable. Les maisons du ksar sont accolées. Les
familles disposaient souvent de trois maisons mitoyennes et avaient des portes
communicantes entre chaque maison. Ainsi, ils pouvaient se réunir facilement et disposer
d’un espace plus grand pour certaines occasions importantes de la vie.
Le plan qui suit est très représentatif de ce type d’habitat. Les murs n’y sont pas
représentés droits parce que les bâtiments n’étaient pas préconçus à l’époque par des plans. Ils
s’inséraient souvent à un terrain, un milieu, un environnement social et culturel. On voit qu’il
existe deux entrées dans la maison (l’une par la cave et l’autre au rez-de-chaussée). Elle
dispose de plusieurs escaliers (trois). Le dernier étage (toit) est protégé par un mur protecteur.
Ce sont trois caractéristiques (pris comme exemple) qui montrent que les femmes peuvent
évoluer librement dans la maison, sans être gênées par les hommes de la maison ou extérieur à
la maison.
12
Plan 1 : Maison traditionnelle du ksar
Source : plans scannés fournis par un architecte de Guerrara
Traduction et mise en forme : Sarah Benaïssa Environ 2 mètres
13
1.2. L’habitat traditionnel remodelé, modernisé
Avec l’arrivée de l’occupation française au Mzab (1882), le développement de
nouveaux matériaux et de nouvelles énergies (électricité fait son apparition vers 1958 et l’eau
courante en 1956), les maisons vont commencer à être transformées pour disposer de ces
progrès techniques. Avec le tout-à-l’égout dans les années 1980, d’autres transformations
sont effectuées. Aujourd’hui, les maisons traditionnelles du ksar sont presque toutes modifiées
à l’intérieur pour être adaptées à la vie contemporaine. Ce sont donc des habitats traditionnels
remodelés. De plus, les évolutions démographiques ont demandé une expansion de la ville qui
a repoussé ses premières frontières (remparts). De nouvelles maisons sont alors construites
par les mozabites en dehors du ksar, des maisons traditionnelles modernisées.
Certaines fonctions de la maison traditionnelle disparaissent : les grandes réserves, les
puits, l’étable, la cheminée. D’autres vont apparaitre : salle de bain et WC avec eau courante,
cuisine équipée, salle pour les hommes. Ces maisons adoptent des nouveaux matériaux. Elles
reprennent certaines bases de la maison traditionnelle (les terrasses, toit-terrasse, le chebek :
ouverture avec grille aménagée dans le plafond de la pièce centrale,…). Les nouvelles
générations de maisons mozabites (années 60…80…jusqu’à aujourd’hui) n’ont pas oubliées
les enseignements des maisons traditionnelles. Les mozabites (femmes et hommes) ont tous
une culture, un savoir faire liés à leur architecture, urbanisme traditionnel. Ils connaissent les
matériaux traditionnels, l’organisation de la maison, ses éléments significatifs,… La plupart
du temps, ils s’en inspirent et recréent des maisons mozabites adaptées aux nouvelles
conditions de vie. Chaque famille l’adapte également par rapport à ses aspirations. Ainsi, un
homme qui aura fait des études voudra peut être y inclure un bureau. Un autre qui conserve un
goût pour les activités agricoles se créera un jardin avec un potager. Il construira alors une
maison qui permet la récupération des eaux pour arroser son jardin. On voit également
l’apparition des garages. Il y a donc une diversité de situation. Mais la maison conservera
toujours dans ses bases, dans l’esprit « mozabite » (surtout dans la configuration qui protège
la vie de la femme à l’intérieur de la maison). C’est pourquoi, nous nommerons ce type
d’habitat : habitat traditionnel modernisé.
Dans ce type d’habitat, ce sont les habitants qui construisent leur futur lieu de vie. Soit
ils expliquent à un maçon ou à une entreprise ce qu’ils souhaitent (en se rendant directement
sur les lieux) ; soit ils élaborent eux-mêmes des plans modestes. Même si les habitants passent
par des plans, le modèle d’habitat reste endogène. L’évolution du cadre bâti est permise par
les changements survenus dans la société (que ce soit sur le plan technique, urbanistique,
économique, social, culturel ou religieux). Elle est impulsée par les habitants dans un
processus historique. Les changements n’ont pas été imposés de manière brutale par
l’extérieur.
Figure 1 : Evolution historique de Guerrara
Source : Google earth
Réalisation : Sarah Benaïssa
400 m
Plan 2 : Maison traditionnelle modernisée datant des années 60
Réalisation : Sarah Benaïssa
16
1.3. L’habitat exogène
Dans les remodelages apportés
par les habitants, on peut distinguer les
maisons qui évoluent pour s’adapter
aux nouvelles conditions socio-
économiques (maisons traditionnelles
modernisées vu précédemment) des
maisons construites par mimétisme.
Les habitants mozabites de Guerrara
ont de nouvelles références
esthétiques, culturelles liées aux
contacts avec d’autres populations. Il y
a eu la cohabitation avec les français,
avec les populations arabes, les
migrations internationales des
hommes. Mêmes si de nombreux
mozabites restent perméables aux
influences extérieures, certains y trouvent des modèles architecturaux nouveaux qu’ils
importent au Mzab. La maison peut donc être faite en imitant une architecture rencontrée
ailleurs. Ces cas sont très rares parmi les mozabites. Nous ne nous intéresserons pas ici à ce
type d’habitat exogène qui est le fait d’un petit nombre de particulier.
Nous focaliserons donc sur l’habitat exogène construit en quantité par l’office public
de logement social (OPGI) et par des promoteurs privées (dans des opérations aidés par
l’Etat). En effet, ce type d’opération reprend des plans type qui ne s’inspirent pas de la maison
traditionnelle. A Guerrara, la proportion de logements de type exogène est d’environ 14 % au
31.12.2005. La ville est pourvue d’une antenne de l’OPGI5.
Répartition des logements par commune au 31.12.2005
Commune Le logement est Il
Total Dont précaire Occupé Inoccupé
Guerrara 7.410 1.261 8.671 317
Situation des lotissements sociaux et promotionnels au 31.12.2005
Commune Type de Lotissements
Nombre Superficie En Ha
Lotissements Lots
Guerrara
Social 33 802 260,44
Promotionnel 04 396 14,92
5 Vous trouverez le poids du parc de l’Office de la wilaya de Ghardaïa en annexe 5
Source : www.wilayadeghardaia.org (Site de la wilaya de Ghardaïa)
Tableau 1 : Nombre de logements à Guerrara
Photo 1 : maison à tuiles
17
Plan 3 et 4 : Maisons OPGI
Réalisation : Sarah Benaïssa
18
Source : plan scanné fourni par l’entreprise de BTP en charge du projet
Figure 2 : Situation du projet promotionnel nord
Il existe deux types de logement social. Le Logement Social Participatif (LSP) est en
fait un logement promotionnel aidé. L’aide de l’Etat est indirecte (avantages fiscaux octroyés
aux promoteurs qui en contre partie s’engage à faire du logement social) et directe (aide à
l’accession à la propriété pour des ménages dits intermédiaires). Ce type de logement est
ensuite vendu avec des abattements échelonnés ou par location-vente. Il existe récemment du
LSP (Logement Social Participatif) à Guerrara. Un projet de constructions de 400 habitations
est encore en cours de construction.
19
Quant au logement locatif social, il est public. Il est réalisé et géré par les OPGI (Office de
Promotion et de Gestion Immobilière).
Que nous parlions de logement social locatif ou d’accession à la propriété, de l’office
public ou de promoteurs privés aidés par l’Etat, la question du modèle de l’habitat construit
reste la même. Le choix opéré est toujours des petites maisons individuelles construites par
lots. Chaque lotissement a un plan type répété pour chaque maison. Elles sont toutes pourvues
d’une terrasse ou d’un toit terrasse. Elles sont de tailles moyennes ou petites au regard du
nombre de personnes par ménage (maximum 3 chambres). Tous ces logements sont donc
classés dans la catégorie « habitat exogène ».
Figure 3 : Vue aérienne logements OPGI
Source : Google earth
Logements OPGI
côté Ouest de la ville
1.4. Tableau récapitulatif des typologies
Acteurs Datation Localisation
L’habitat endogène : Internes Toutes les générations Processus
6 : depuis le centre
vers la périphérie
- Maison traditionnelle Les ancêtres des mozabites Architecture ancestrale qui débute
en 1631 Dans le ksar uniquement
- Maison traditionnelle
Remodelée
L’habitant-mozabite avec l’aide
d’un maçon ou entreprise
Premières améliorations vers les
années 60 Ksar
- Maison traditionnelle
Modernisée
L’habitant-mozabite avec l’aide
d’un maçon ou entreprise
Nouvelles constructions depuis les
années 60 jusqu’à aujourd’hui Elles ceinturent surtout le ksar
L’habitat exogène : Externes / Internes Récente Périphérie
- Maison construite
par mimétisme
L’habitant avec l’aide d’un
maçon ou entreprise Depuis les années 90
Dispersées (mais aucunes dans
le ksar)
- Logement social
Locatif OPGI Depuis les années 90
Périphérie Est et Ouest de la
ville
- Logement social
d’accession à la propriété
Promoteurs privés et
financement étatique Environ 2004
Périphérie : dans les hauteurs
Nord de la ville
En jaune, apparaît les catégories sur lesquelles nous porterons notre attention. En effet, les deux autres types d’habitat ne sont pas
pertinents pour cette étude. Les maisons traditionnelles du ksar restées intactes sont extrêmement rares (moins d’une dizaine) et elles sont d’un
autre temps (pas d’eau courante, pas de cuisine équipées,…). Les maisons construites par mimétisme sont des cas également rares. De plus, elles
sont le fait d’habitants mozabites ou non. Nous nous intéresserons donc à l’habitat endogène avec la maison traditionnelle du ksar qui a été
remodelée, la maison traditionnelle modernisée construite en dehors du ksar et l’habitat exogène avec le logement social public ou privée.
Nous allons maintenant voir comment ces différents types d’habitat s’intègrent dans leur environnement urbain. Nous détaillerons par la
suite les modes d’habiter des femmes mozabites dans ces différentes maisons.
6 Ce processus n’est valable que pour les maisons urbaines, nous ne parlons pas ici des maisons secondaires dans la palmeraie qui était déjà en périphérie.
Tableau 2 : Typologie de l’habitat à Guerrara Réalisation : Sarah Benaïssa
2. Femmes et maisons dans leur environnement urbain
La maison est un des éléments structurants de la ville, elle façonne sa morphologie.
Nous allons donc voir où se situent les maisons dans la ville. De plus, l’espace de la maison
est sans cesse en relation avec celui de la ville. Quelles sont les pratiques des femmes dans la
ville en relation avec leur maison ? Est-ce que cet espace extérieur est un lieu de repliement,
un espace d’ouverture, de vie sociale en opposition à la vie familiale,… ? En occident, nous
avons l’habitude d’opposer la vie privée, intime et familiale du dedans (de la maison) à la vie
publique du dehors (de la ville). Qu’en est-il pour les femmes mozabites de Guerrara ?
2.1. La maison et la femme, éléments structurants de Guerrara
Les mozabites placent au centre de leurs préoccupations la religion et la vie de famille.
Pour pratiquer correctement leur religion et que leur famille, leurs femmes puissent vivre
confortablement, la maison est d’une importance capitale. Le lieu d’implantation de la maison
est également très important : ne pas s’éloigner de la famille élargie, ne pas quitter le centre
de la vie communautaire, avoir suffisamment d’espace,… Les emplacements successifs
qu’ont pris les maisons ne sont donc pas anodins et témoignent de la prégnance de la culture
mozabites dans les choix stratégiques des familles. En quoi l’appropriation de la ville centre
(ksar et ceinture) par les mozabites s’inscrit dans une logique identitaire ?
2.1.1. La localisation des maisons : l’expression d’enjeux communautaires
Après avoir implanté dans
les hauteurs de Guerrara la mosquée,
les premiers habitants ont dessiné
les contours de la ville où ont été
édifiés des remparts (ou des maisons
faisant rempart). Le ksar a une
superficie de 24 hectares. Les
maisons se sont construites tout
autour de la mosquée. Elles sont
étagées, en ordre serré. En plus des
remparts, la protection de la ville se
faisait également par des tours de
guet. Les contours de la ville étaient
ensuite percés par des portes. On
peut imaginer que les remparts
n’avaient pas qu’une vocation militaire mais également idéologique de protection et de
sauvegarde de la communauté contre les influences étrangères. La construction du ksar était
donc une démarche militaire et religieuse en même temps. Aujourd’hui, les remparts de
Guerrara ont été détruits à différents endroits (ils ne ceinturent plus que le cimetière7).
L’ancienne ville mozabite n’est donc pas un espace fermé physiquement comme avant mais
elle est clairement délimitée par un axe routier, commerçant et la subsistance des tours de
guet. Aujourd’hui, la ville a eu une forte croissance et s’est beaucoup étalée. Les remparts ne
7 Voir photo en annexe 8.
Photo 2 : la mosquée au centre de la ville
22
sont donc plus les limites de la ville. A Guerrara, il existe de nombreuses maisons hors
remparts, construites à côté ou dans l’ancienne palmeraie (superficie de 800 hectares, 80 000
palmiers). Cette palmeraie est beaucoup moins utilisée et une nouvelle a vu le jour encore
plus en périphérie de la ville. Déjà lorsque la ville était limitée par les remparts, des tribus
arabes étaient venues cohabiter avec les mozabites à Guerrara. Au départ nomades, ces tribus
se sont sédentarisées petit à petit, passant d’habitations mobiles à de réelles maisons en dur.
Quatre tribus de bédouins étaient et sont toujours installées en périphérie de Guerrara (les
Chaambas, les Ouled Nail, les Ouled Sidi M’hammed et les Ouled Sayeh). Malgré les
différentes extensions de la ville, les tribus n’ont pas été intégrées à la ville mozabite
nouvelle. L’ouverture physique du ksar (destruction des remparts) ne s’est pas traduite par
une ouverture à « l’autre ». En effet, ayant des facilités économiques par rapport aux tribus
arabes, les mozabites ont préférés racheter leurs biens à des prix parfois très élevés plutôt que
de s’éloigner plus de la communauté. A mesure que la ville croissait démographiquement, ils
ont repoussé par vagues successives les tribus arabes toujours en périphérie. Une autre
solution, choisie par les mozabites, était d’empiéter sur la partie Sud de la ville (côté
palmeraie). Ils occupent alors cette palmeraie devenue improductive et en développent une
nouvelle à la périphérie au fur et à mesure de la réalisation des forages de puits artésiens. La
morphologie urbaine de Guerrara témoigne donc de l’esprit communautaire qu’ont les
mozabites. S’éloigner de la communauté, de la vie religieuse de la cité, de la vie sociale serait
très difficile à vivre. Le tissu urbain conserve une certaine continuité entre le ksar et
l’extension de la ville dans sa partie mozabite. On distingue par contre, facilement les
quartiers arabes (style architectural différent, population différente dans ses tenues
vestimentaires, son mode de vie…) des quartiers mozabites. Les relations des mozabites avec
les arabes sont très bonnes sur le plan économique mais inexistantes sur le plan culturel,
religieux ou social et entre les enfants des deux communautés. Ces relations ne sont pas
toujours pacifiées, les mozabites accusent leurs voisins de vols, de délinquance, de
comportements qui vont à l’encontre de la morale. Ainsi, ils souhaitent s’éloigner de ce qui
pourrait pervertir la communauté. « Les non mozabites se sont des fumeurs » ou encore « des
voyous », « je me suis fait voler ma mobylette en dehors de la ville », « ils ne s’habillent pas
comme nous », « il ne faut pas porter cette tenue8, ce sont les arabes qui mettent ça ! ». Les
femmes ne fréquentent pas des femmes non-mozabites. Tout est fait pour qu’il existe une
distinction nette entre la communauté mozabite et les autres. La notion même de ville chez
certains habitants est très significative : la ville s’arrête là où les mozabites ne sont plus
présents. Par contre, les autorités administratives intègrent la totalité de la population comme
étant habitant de Guerrara, sans distinctions apriori. Il existe donc des quartiers homogènes
culturellement à Guerrara. Vraisemblablement, ils sont perçus positivement par les mozabites
qui élaborent différentes stratégies pour les préserver malgré le changement rapide du tissu
urbain. L’espace du quartier mozabite est un garant de la construction du groupe. C’est un
ciment du groupe.
8 Elle m’explique qu’il n’y a que les femmes mozabites qui portent le haïk.
3000 m
Figure 4 : Les possibilités d’extension de la ville
Source : Google earth
Réalisation : Sarah Benaïssa
2.1.2. Faciliter les déplacements et la vie sociale de la femme dans la ville
En voulant protéger la concentration des maisons mozabites, c’est la communauté
toute entière que l’on protège. Cette volonté forte de conserver la communauté regroupée
d’un seul tenant trouve également une explication dans la vie quotidienne de la femme. Les
maisons sont l’univers des femmes. Les femmes, gardiennes des traditions et dépositaires de
la culture font vivre la communauté à l’intérieur des maisons par les échanges qu’elles ont
entre elles. Rester ensemble c’est pouvoir également se contrôler les unes les autres. Le
contrôle social peut s’effectuer plus facilement entre les membres de la communauté et entre
femmes. Les pratiques socialisatrices, les réseaux relationnels amicaux ou familiaux des
femmes structurent également les choix résidentiels. Les femmes opèrent presque toutes leurs
déplacements à pied, ce qui leur donne une forme d’autonomie vis-à-vis de l’homme. Elles
n’ont pas le droit de conduire (règle religieuse). Actuellement, elles peuvent se déplacer
librement et sans distinction entre l’ancienne et la nouvelle ville. Par contre, les mozabites
distinguent la partie mozabite de la périphérie de la ville occupée par les tribus arabes
sédentarisées. Dans la partie arabe de la ville, il est rare de voir des femmes mozabites (c'est-
à-dire portant le haïk). Les femmes aiment se rendre visite et se déplacer de maisons en
maisons. Mis à part leurs travaux quotidiens chez elles, cela reste une de leur seule activité.
C’est de cette manière qu’elles peuvent rencontrer d’autres femmes, discuter, danser dans les
mariages,… De plus, être regroupé c’est avoir un sentiment de sécurité, c’est ne pas être gêné
par « l’autre » qui est différent et que l’on redoute. Les femmes peuvent donc circuler en
sécurité, sans redouter d’être importunées par un homme ou sans la peur de se faire agresser.
Elles sortent d’ailleurs sans problèmes le soir pour allez chez quelqu’un.
Au regard de ces pratiques, les opérations immobilières actuelles ou récentes
(promoteurs privés, OPGI de la wilaya) n’intéressent pas ou que très peu les mozabites. Les
maisons sous forme de lotissement sont situées en surplomb de la ville, en dehors de la ville
(derrière les quartiers arabes). Les acteurs rencontrés et les mozabites me confirment
qu’habiter une telle maison ne peut être une solution définitive pour une famille mozabite.
S’ils se trouvent dans le besoin, ils préfèreront faire jouer leurs relations familiales, l’entraide
sociale de la communauté (qui est très organisée en ce qui concerne les questions sociales).
Quelques familles ont habité quelques mois dans ces logements dans l’attente d’avoir leur
propre maison. L’éloignement est un réel inconvénient surtout pour les femmes : perte de
l’autonomie dans leurs sorties, dépendance envers l’homme dans les déplacements en voiture,
éloignement de la famille, de la vie sociale. Elles ressentent alors un réel isolement vis-à-vis
de la communauté. Ceci remet en cause l’orientation de départ de ma réflexion. Je voulais
montrer quelles sont les changements effectifs dans la vie des femmes en habitant dans ces
logements. Mais elles n’y vivent pas. Les cas de familles mozabites dans des maisons OPGI
sont rares et je n’ai pas eu l’occasion de les rencontrer. Il faudra alors faire des hypothèses en
montrant quels changements cela pourraient apporter dans leur vie et donc expliquer les
raisons pour lesquelles les mozabites n’apprécient pas ces opérations et ne vont pas y vivre.
Le quartier mozabite est vécu comme un quartier ressource. Il existe une homogénéité
culturelle dans ce quartier mais une mixité sociale (toutes les classes sociales y sont
représentées). Ce quartier est une aire culturelle locale au sens de Wirth et de l’école de
Chicago. C'est-à-dire que dans ce quartier, il existe une intégration de l’intérieur, toutes les
classes y sont représentées. Cette intégration fonctionne très bien pour les mozabites de
Guerrara : entraide sociale, travail, mariage,…Les mozabites ont conscience de cette
ressource. Ils veulent la préserver et donc rester entre eux. C’est un entre soi volontaire et une
manière de s’aider et de lutter contre les difficultés de la vie. La mixité culturelle qu’aurait pu
créer l’implantation de mozabites dans les logements sociaux ne s’impose pas. Les mozabites
la détournent.
Figure 5 : Guerrara, les quartiers communautaires
Source : Google earth
Réalisation : Sarah Benaïssa
1200 m
2.2. Les espaces publics sont-ils exclusivement masculins ?
Les maisons de ville, secondaires ou encore communautaire (les Achira9) sont
investies et appropriées par les femmes. Ont-elles d’autres lieux à elles dans la ville? En plus
des maisons, il existe d’autres éléments très importants dans la ville : la mosquée, par
l’importance que prend la religion dans la vie des mozabites ; les places, qui créent des lieux
de réunions dans la ville ; la palmeraie, pour l’activité agricole et le lieu de détente ; et enfin,
le cimetière. Les femmes ont-elles accès à ces différents lieux ?
2.2.1. La mosquée10
, les places et la palmeraie, l’apanage des hommes
Le ksar de Guerrara est construit à la lisière du lit de l’oued, sur une colline. L’espace
de la ville se présente suivant une logique, un ordre bien précis. Il traduit un ordre social bien
déterminé et renvoie une image de cohérence et de rigueur. La ville se développe de manière
radioconcentrique, dont le centre est attribué à la mosquée (élément stratégique de la ville
autour duquel s’organise la cité). Elle est là pour protéger l’ordre établi et réunir la
communauté. Les premiers habitants accompagnés d’un cheik ont commencé par construire la
mosquée. Au point culminant de ce ksar, on trouve le minaret de la mosquée d’où le muezzin
fait l’appel à la prière. La mosquée mozabite (qui se distingue des autres mosquées arabes par
son architecture et la puissance sonore de l’appel à la prière), centre religieux est un lieu
masculin. Les femmes ne vont pas à la mosquée, elles pratiquent leur religion chez elles, dans
leur maison. Elles n’en sont pas exclues puisqu’il existe une salle pour les femmes dans la
mosquée mais elles n’y vont pas. Même durant les fêtes religieuses (j’ai pu assister au
« Mouloud », la nativité du prophète Mohammed), les femmes restent entre elles dans les
maisons. Symboliquement, l’activité religieuse et le centre de la ville sont aux mains des
hommes. Le point d’attraction principal dans la ville est la mosquée. C’est un noyau
d’attraction urbain et le siège du gouvernement religieux. Même si les femmes ont leur propre
organisation religieuse (les Timsiridines : religieuses), celles-ci se regroupent dans les
maisons communautaires (Achira) ou viennent rendre visite aux femmes directement chez
elles. La religion permet aux hommes d’avoir une vie sociale extérieure (mosquée) alors que
ce n’est pas le cas pour les femmes.
La place du marché (espace public
par excellence) se trouve en contre
bas de la mosquée. Les mozabites
marquent la séparation entre vie
pieuse, religieuse et la vie
économique, l’agitation du marché. Il
n’existe plus de marché
hebdomadaire à Guerrara. La place
du marché est devenue une sorte de
parking pour les voitures. Il existe
d’autres places : les places des puits.
Ce sont des espaces masculins ou
simplement de passage pour les
femmes. Les hommes peuvent y être
9 Voir annexe 3 : Vie sociale et religieuse
10 Voir photo en annexe 8
Photo 3 : une place qui n’accueille plus de marché
27
présents, exceptionnellement de manière immobile. L’immobilité n’est pas chose très
courante, elle n’a pas bonne réputation. L’immobilité étant dénoncée pour les hommes
mozabites, elle est donc inconcevable pour la femme. Les places peuvent être des lieux de
regroupement pour certaines fêtes traditionnelles. Les familles habitant les maisons qui
entourent ces places sont connues par les femmes. Ainsi, dès qu’il y a une fête, les femmes
peuvent se réunir dans une de ces maisons, monter à la terrasse et observer les hommes. Elles
sont, elles aussi, présentes à la fête de cette manière, tout en étant physiquement absentes de la
place et du regard des hommes.
La palmeraie se trouve hors de la ville mais a évolué en fonction d’elle. La première
palmeraie de Guerrara11
est de plus en plus envahie par de nouvelles constructions de
maisons. Les palmiers sont vieux, peu productifs en dattes mais l’ombre qu’ils peuvent
apporter est appréciée pour y construire en dessous une maison (qui sera proche de la ville
tout en ayant un jardin). Dans la nouvelle palmeraie, plus éloignée, on trouve des résidences
secondaires. En effet, durant les mois chauds, la fraicheur de la palmeraie est appréciée et la
famille déménage dans cette maison (souvent plus grande et avec jardin intérieur). Les
potagers, l’entretien des palmiers sont effectués par des ouvriers ou par les hommes de la
famille. La femme ne se balade pas dans la palmeraie sans but. Elle peut s’y rendre, si sa
famille possède un jardin, une maison. Ainsi, j’ai eu l’occasion de visiter 4 maisons dans la
palmeraie. Deux fois, la visite s’est faite avec des femmes, elles s’y rendent en voiture avec
les hommes et entrent tout de suite dans la propriété familiale (soit dans la maison, soit dans
un jardin qui est fermé et protégé des regards par des murs hauts). Il n’y a donc pas une
utilisation par la femme de la palmeraie dans ses espaces ouverts, partagés par tous.
2.2.2. Le cimetière, une présence relative des femmes dans un espace ouvert
Les cimetières sont à la périphérie de la ville, les femmes peuvent s’y rendre
librement. Dans le cimetière de Guerrara, les mozabites n’acceptent pas qu’il y ait
d’inscriptions qui distinguent les morts. En fait, ils ne souhaitent pas qu’il y ait de distinction
entre le riche et le pauvre. Il n’y pas d’espaces réservés selon les familles, la notoriété, le sexe
ou l’âge,… Les morts sont enterrés dans l’ordre chronologique sans distinctions. Une
personne morte est lavée, entourée d’un simple drap et mise à même la terre puis ensevelie.
On installe ensuite une pierre à la tête et aux pieds du mort.
Au troisième jour après
l’enterrement effectué par les hommes, les
femmes viennent se recueillir et placer sur
la tombe un objet symbolique
généralement cassé (pour ne pas attirer les
voleurs). Ces objets (poteries, ustensiles de
cuisine, biberons ou tétines pour les
enfants,…) appartiennent tous au domaine
de référence de la femme (la cuisine, la
maternité ou tout objet qui appartenait au
mort). Cette pratique permet, d’une part,
aux femmes de se souvenir de
l’emplacement du mort. D’autre part, en
plaçant dans cet espace des objets de leur
11
Voir photo en annexe 8
Photo 4 : des objets de l’univers
féminin placés sur les tombes
28
propre univers, les femmes indiquent aux yeux de tous qu’elles ont un droit de présence sur
les cimetières et qu’elles entendent le faire valoir. Elles se transmettent également de manière
orale de femmes en femmes les différents emplacements des morts de la famille. Ce sont
souvent les femmes les plus âgées de la famille qui connaissent le mieux les emplacements de
plusieurs générations et de bien d’autres personnalités de la ville (un chef religieux, une
femme remarquable, etc…). Elles détiennent fièrement cette connaissance et accompagnent
les plus jeunes au cimetière pour les faire profiter de leur savoir. Un homme ne peut
reconnaître seul les tombes de la famille. C’est pourquoi, il est courant de voir des femmes
seules dans le cimetière mais nous n’y trouvons pas d’hommes seuls. Ils sont toujours
accompagnés des femmes. C’est également une manière d’éviter toutes rencontres entre un
homme et une femme. Même si le cimetière est un lieu à ciel ouvert où les femmes peuvent
aller ; seules les activités de recueillement et de prières sont acceptées. Les vendredi et jours
saints sont les périodes de plus forte affluence. Peut-on alors considérer que les cimetières
sont des lieux de regroupement féminin ? Elles ne s’y donnent pas rendez vous et ne discutent
généralement pas avec les autres femmes rencontrées sur place. Elles y vont un moment, font
des prières, indiquent où se trouvent les différents morts (parlent d’eux) et repartent. Le
cimetière est un lieu ouvert, où elles peuvent croiser des hommes, leur comportement est donc
soumis aux mêmes règles et codes de conduites liés à l’espace extérieur que nous détaillerons
plus loin. De plus, la multiplication des objets de la vie quotidienne placés sur les tombes
incommode le pouvoir religieux de Guerrara12
. Ces derniers considèrent que le cimetière
devient une décharge publique avec ces traditions qui n’ont rien de religieuses (surtout que les
objets sont passés des simples poteries, aux ustensiles en plastique, verres et autres matériaux
jusqu’aux néons). Ils demandent aux femmes de ne plus placer d’objets sur les tombes.
Reconnaître la tombe d’un proche n’est pas nécessaire pour eux. Les femmes peuvent venir se
recueillir et faire des prières collectives pour tous les morts. Ces nouvelles recommandations
ne sont pas pour l’instant appliquées. Elles enlèvent à la femme l’occasion de montrer que les
cimetières et la mémoire des morts restent de sa compétence.
12
Toute activité qui pourrait détourner le croyant de sa foi en un Dieu unique (ici, le fétichisme) est dénoncée.
Figure 6 : Localisation des lieux structurants de la ville
Source : Google earth
Réalisation : Sarah Benaïssa
318 m
2.3. La ville, simple sas de passage pour la femme
Nous avons vu que la femme n’investit pas les lieux publics de la ville. Elle possède
pourtant un « droit à la ville » de façon à pouvoir circuler entre les maisons de sa famille, de
ses amies et plus largement de la communauté. Ce « droit » de circuler est soumis à certains
impératifs dans les raisons de ses sorties, dans ses comportements, sa tenue.
2.3.1. Passer dans des rues, ruelles, places,…
A l’intérieur de la ville
ancienne, on circule dans des petites
ruelles tortueuses, en pente parfois. La
ville mozabite sépare les espaces
résidentiels semi-privés des espaces
économiques. Le réseau viaire suit
cette distinction, ainsi, les grandes
voies correspondent à un espace
public et les ruelles à un espace semi-
privé. Les ruelles droites sont quasi
absentes de la ville ce qui permet aux
femmes de ne pas se trouver à
découvert durant leur trajet. Les
maisons sont généralement
accessibles par des ruelles ou des
impasses où les activités collectives
disparaissent pour y permettre un
usage familial, de voisinage. La ruelle constitue un espace transitionnel entre l’espace le plus
privé de la maison, et l’espace public (grands axes, places) qui est à tout prix évité par les
femmes.
L’utilisation de l’espace public extérieur est très réduite pour la femme, pour ne pas dire quasi
nulle. Cet espace est destiné aux hommes. L’irruption des femmes dans l’espace extérieur est
donc contrôlée. C’est pourtant un passage obligatoire pour passer d’une maison à une autre.
L’espace extérieur est plus perçu comme un sas, un passage que doivent emprunter les
femmes pour rejoindre les espace qui leur sont consacrés (les maisons, les Achira). Durant
mon séjour, il n’y a eu aucune femme qui soit sortie de la maison sans avoir pour objectif
d’aller rendre visite à quelqu’un dans une autre maison, ou d’aller à la Achira (maison
communautaire) pour un mariage. Ce sont les hommes qui ramènent les provisions à la
maison et tous ce dont la femme a besoin. Si la femme a besoin de choses particulières et
qu’elle ne veut pas demander à un homme (lorsqu’elle est indisposée par exemple), elle
demande à une enfant, une jeune fille de faire la course à sa place. Les Timsiridines rappellent
souvent qu’il est fortement recommandé aux jeunes mariées de ne pas sortir de chez elles sans
une bonne raison (mariage d’un proche, personne de la famille malade,…). Les femmes âgées
sortent par contre comme bon leur semble. Une vieille femme me dit « avant c’était la prison,
je ne sortais jamais. Quand je devais sortir, c’était avant le lever du soleil et après le coucher
du soleil pour que les hommes ne nous voient pas. Je préfère maintenant, je sors quand je
veux. ». Il n’est pas rare que personne ne sache où se trouve cette femme, privilégiée par son
âge, elle vogue de maison en maison à son gré tout au long de sa journée. Lorsque j’évoque
avec une de mes informatrice privilégiée sa pratique de l’espace public et les raisons de ses
sorties, voici ce qu’elle affirme « Mais je peux sortir si je veux, je peux…. C’est juste que je
Photo 5 : deux femmes dans une ruelle du ksar
31
n’ai pas envie. Je n’en ressens pas le besoin, tu comprends, je suis bien dans ma maison. ».
Elle précisera par la suite, que pour sortir visiter du pays ou simplement aller à la palmeraie
de Guerrara, il lui faut être accompagnée. Finalement, elle comprend le sens de mes
interrogations : la ville n’est-elle qu’un sas de passage entre maisons pour les femmes ? Elle
me raconte alors une anecdote : « Une fois seulement, j’étais vraiment très énervée…J’ai pris
mon haïk et je suis sortie mais sans savoir où aller. J’ai marché, j’ai fait le tour de la ville et
je suis rentrée ! ». Cette histoire est l’exception qui confirme la règle. En effet, les femmes ne
sortent pas dans la ville sans buts légitimes (aller au cimetière, aller dans une maison). Le fait
qu’elle ait marché sans s’arrêter est très important. Personne ne pouvait savoir qu’elle n’avait
pas de buts précis en marchant de cette manière. La femme immobile dans l’espace public
n’est pas tolérée à Guerrara.
Les cortèges de mariage sont une exception à cette règle. Ils permettent un
investissement exceptionnel de la rue par les femmes. Lorsque le troisième jour du mariage
arrive, les femmes préparent toute la journée la mariée à rencontrer pour un premier tête à tête
son mari dans une chambre à la Achira des femmes. Les femmes entourent la mariée du haïk
(c’est la première fois qu’elle va le porter). Pour qu’on puisse reconnaître que c’est une jeune
mariée, on installe sur sa tête un assortiment de feuilles et fleurs, deux bougies y sont
également fixées. A minuit, la mariée doit être à la Achira, le cortège part donc vers 23h30.
Deux femmes (les compagnes de la mariée) tiennent la mariée par les côtés. Les femmes
mariées portant le haïk la suivent. Les enfants et jeunes filles ne portant pas le haïk précèdent
le cortège, elles l’annoncent par des chants (religieux) et frappent des mains. Le silence que
les femmes conservent dans leurs déplacements dans la rue est rompu. Le cortège est surveillé
par un ou deux hommes qui se tiennent à l’écart (devant ou derrière). Je ne les avais pas
remarqués les premières fois (ils sont très discrets), puis on m’a expliqué qu’ils étaient
présents pour prévenir d’un éventuel danger ou d’une mauvaise rencontre avec des hommes.
Même si l’investissement de la rue par les femmes est exceptionnel, il reste donc totalement
codé, maitrisé et sous le contrôle des hommes. De plus, ce sont les femmes les plus proches
de la mariée qui suivent le cortège (une trentaine) alors que durant le mariage il peut y avoir
plus d’une centaine de femmes. Le cortège est un cas exceptionnel qui marque une rupture
avec la règle de discrétion, de silence que les femmes doivent observer dans la rue ; c’est
pourquoi ne sont permises que les femmes les plus proches de la mariée. C’est également
pour éviter les « jeteuses de sorts » qu’il y a un cortège réduit aux proches de la famille.
2.3.2. Eviter la mixité homme-femme et le regard des hommes
La ville est-elle un espace de mixité homme / femme? D’un point de vue physique, il y
a bien des hommes et des femmes qui se croisent dans la ville. Il existe donc une coprésence
dans l’espace extérieur entre hommes et femmes. Peut-on pour autant parler de mixité ? Cette
coprésence que les mozabites n’ont pas pu éviter est soumise à un certains nombre de règles
parce qu’elle est redoutée, dangereuse. Pour qui ? Pourquoi ? Elle est dangereuse pour
l’intégrité de la femme, l’honneur de la famille. Une femme ne doit pas avoir de contacts avec
un homme susceptible de l’épouser. Elle peut donc voir, être vue librement et discuter avec
son grand-père, son père, ses oncles, ses frères, ses fils, ses beau-fils. Tous les contacts avec
un autre homme sont harem (interdiction qui prendrait source dans la religion). C’est donc la
peur de la relation sexuelle, amoureuse, du toucher qui est en jeu. Mais chez les mozabites, le
simple regard est également prohibé. Même si hommes et femmes sortent ensemble de la
maison pour se rendre au même endroit. Un homme et une femme (même s’ils sont mariés,
frères et sœur ou père et fille) ne peuvent pas marcher côte à côte ou discuter dehors, car c’est
très mal vu. Ils marchent donc avec une distance de séparation (homme devant ou derrière de
32
manière indifférente). Lorsqu’une femme croise un homme dans la rue, elle ne le frôle pas,
elle l’évite au maximum. Certaines baissent les yeux pour ne pas croiser son regard, d’autres
se tournent entièrement vers le mur. Pour éviter de rencontrer trop d’hommes dehors,
différentes stratégies sont adoptées par les femmes. Elles utilisent le moins possible les axes
principaux, commerçants où sont regroupés les hommes et leurs préfèrent les petites ruelles
du ksar moins fréquentées. Les ruelles offrent la possibilité aux femmes de discuter plus
librement dans le trajet. Elles peuvent remettre correctement dans un recoin leur haïk et
s’arrêter un bref instant pour se reposer si un sac ou un enfant est trop lourd. Cette solution
peut rallonger de quelques minutes leur trajet. Il y a donc une autre adaptation : les horaires de
sorties, si c’est possible, sont choisis de manière à circuler dans la ville lorsqu’il y a le moins
de monde possible (à l’appel à la prière quand les hommes vont à la mosquée, après manger
pendant l’heure de la sieste, le soir…). Les trajets en ville qui se font en voiture sont
également réglementés. Les femmes ne conduisent pas à Guerrara (ce n’est pas interdit par la
loi algérienne mais ce sont les règles de vie promulguées par les Azzabas, religieux), elles
sont donc véhiculées par des hommes. Lorsqu’un trajet est fait en voiture, l’homme prend les
femmes devant leur maison et les dépose devant la porte d’entrée de la maison où elles se
rendent. Les déplacements sont donc limités, contrôlés, codés. Une femme ne peut pas monter
seule dans une voiture avec un homme qu’il lui est interdit de voir, elle peut être
accompagnée par une autre femme qui a le droit de le voir ou par un autre homme plus proche
d’elle. Dans la voiture, femmes et hommes peuvent par contre se parler librement mais la
femme conserve son haïk durant tout le trajet. Une femme voulait m’accompagner à
l’aéroport pour mon retour en France mais elle m’annoncera au dernier moment que cela est
impossible puisque cela l’obligerait à se retrouver seule dans la voiture au retour avec deux
hommes (ses cousins).
Figure 7 : Exemple de choix stratégique opéré par les femmes pour un passage dans la ville
Source : Google earth
Réalisation : Sarah Benaïssa
Quelle est la tenue à adopter pour sortir
librement dehors ? Les mozabites sont parmi
les plus sévères en ce qui concerne le port du
voile à l’extérieur. Le haïk est une sorte
d’immense châle épais blanc cassé, d’environ
2 mètres 50 de longueur et 1 mètre 50 de large,
qui entoure par deux fois la femme et qu’elle
rabat sur son visage en laissant l’ouverture
pour un œil. C’est la tenue obligatoire pour
pouvoir sortir pour une femme mozabite
mariée. Pour pouvoir tout de même circuler
sans tomber, certaines femmes adaptent la
manière de mettre le haïk : elles peuvent
attacher une première partie avec une ficelle
autour de leur taille avant de faire repasser une
deuxième fois le tissu ; d’autres y ont cousu
une ficelle qu’elles mettent autour du cou et
qui soutient une partie du tissu,…. Quant aux
jeunes filles, elles peuvent sortir avec une
djellaba et un simple hidjab (mais il faut
qu’elles portent une couleur qui n’est pas trop
voyante : noir, blanc, gris, bleu marine, vert
kaki,…). Les femmes très âgées ont le droit de porter le haïk en le tenant de manière à
recouvrir uniquement la chevelure (comme le hidjab), mais la plupart continue même à 85 ans
à marcher avec un seul œil dans la rue. Plus la femme est âgée plus elle a d’autonomie dans
ses sorties et ses activités. Ainsi, dans sa manière d’être dehors, la femme âgée est plus
décontractée. Lorsqu’elle arrive dans sa rue, devant sa porte, elle commence déjà à relâcher
son haïk et laisse apparaître son visage. Il est déjà arrivé à deux femmes âgées de partager un
seul haïk pour deux, pour se rendre dans une maison voisine à la leur (une des femmes
pressée ne trouvait pas son haïk). Cette situation fait beaucoup rire les femmes entre elles
mais elle serait très mal venue pour des jeunes femmes. Le haïk est source de plaisanterie
entre femmes. Face à une européenne, elles se sentent obligées de tourner au comique voire
au ridicule leur manière de se couvrir. Elles sont toutes sans cesse en train de me montrer
comment elles mettent le haïk, elles observent mes réactions. Elles me répètent souvent que
cette tenue n’est portée qu’au Mzab et que lorsqu’elles se rendent à Alger, à la Mecque ou
autre part elles portent une djellaba, un hidjab et un ajar (petit tissu avec élastique qui
recouvre le bas du visage). Elles laissent donc entrevoir leurs deux yeux et possèdent grâce à
cette tenue une liberté de mouvement adaptée aux grandes villes. Les femmes justifient donc
le port du haïk dans un lieu précis et adapté (la ville mozabite).
La tenue traditionnelle est faite de telle manière que les mouvements dans la ville sont
restreints pour la femme. Pour la conduite par exemple, une des raisons pour lesquelles, elle
est interdite aux femmes est qu’elle les obligerait à changer de tenue pour sortir (elles ne
peuvent pas tenir le haïk et le volant en même temps). Lorsque je les questionne sur leur envie
de conduire, un groupe de femmes se met à me mimer des scènes comiques : une femme
tenant son haïk entre les dents fait semblant de maitriser une voiture…cela a un effet
immédiat sur son public. Il n’y a pas que la conduite, les femmes ne peuvent pas bouger
librement (faire des courses leur est impossible). Lorsqu’elles ont des enfants en bas âges, les
femmes sortent beaucoup moins. Il faut porter l’enfant et tenir le haïk entre les dents pendant
son déplacement, c’est un exercice très périlleux, fatiguant,… Les femmes me disent qu’elles
Photo 6 : femme portant le haïk dans la ville
34
ont des solutions pour circuler facilement : avoir un porte bébé, donner les cabas à porter aux
enfants…mais elles ne les appliquent pas. Je suis à chaque fois étonnée de constater lorsque je
sors avec des femmes, avec quelle agilité elles tiennent leur cabas, leur enfant, leur haïk,…et
elles trouvent encore le moyen de discuter avec moi ou de me remettre mon voile qu’elle ne
trouve pas bien ajusté à leur goût. Face à elles, je me sens très gauche dans la rue, je ne sais
pas où regarder, j’ai peur d’avoir un comportement incorrect, j’essaye de faire le moins de
dégâts possibles…
Les espaces résidentiels des projets de promoteurs ne reprennent pas la gradation
douce entre circulation semi privée de la ruelle jusqu’à l’espace public de l’homme. Ainsi, on
trouve des projets où la porte de la maison donne directement sur une petite place. La femme
se trouve à découvert dès le passage de sa porte. Elle n’aura plus l’occasion de pouvoir
s’arrêter un moment dans un recoin, de se reposer et remettre correctement son haïk dans une
ruelle. L’espace public en relation avec l’espace privé créés dans ces projets ne ressemblent
pas à ceux du ksar. La tenue traditionnelle de la femme adaptée au ksar ne l’est plus pour
l’espace public de ces projets. C’est une nouvelle morphologie qui s’apparente plus aux
espaces résidentiels des grandes villes du Nord.
Le tissu dense du ksar (avec des ruelles piétonnes) s’oppose à un tissu aéré dans les projets sociaux et promotionnels ce qui questionne les pratiques des femmes.
Les nouveaux projets sont parfois très éloignés du reste de la ville (donc des activités féminines) et sont reliés par des axes routiers (dépendance envers l’homme).
Figure 8 : Femmes et habitat dans un environnement urbain différencié
Réalisation : Sarah Benaïssa
2.3.3. L’espace public, un construit culturel qui renvoie la femme à la maison
On doit considérer l’usage qu’ont les femmes de la ville comme dépendant de leur
place dans la maison. En effet, la ville n’est pas un espace en soi pour les femmes mais plus
un passage transitionnel entre les maisons. Ce passage dans l’espace ville doit être limité
(selon la raison de la sortie, selon l’âge de la femme). Femmes et hommes n’évoluent pas de
la même manière dans l’espace public qui est socialement construit. Le comportement est
contrôlé (la tenue des femmes, la coprésence avec les hommes, la parole, la manière de
marcher,…). Pour toutes les femmes, le port du hidjab ou du haïk est une obligation qui
facilite l’accès à la ville et permet une certaine liberté de mouvements. Tout dans la ville, dans
les comportements des mozabites nous indique que la femme est voulue dans la maison et que
c’est dans cet endroit qu’elle pourra s’épanouir librement. L’irruption des femmes dans
l’espace public serait une remise en cause totale de l’ordre symbolique et des pratiques
sociales. La question de la visibilité des femmes dans l’espace public revêt une signification
sociale et symbolique extrêmement sensible à Guerrara. Cette construction culturelle de la
ville entraine une propagande de l’image. Dans les images de Guerrara (photos, films
familiaux, films documentaires, vidéos internet sur dailymotion) la ville est montrée sans
femmes. Les femmes, même en haïk n’y sont jamais présentes. La ville apparaît comme
épurée de toutes ses femmes. Prendre une femme en photo est interdit. Dans le film, Lumières
du Mzab de C. Pavard, on aperçoit une seule fois des femmes et c’est dans le cimetière. Image
rare, elle apparaît comme volée, interdite et elle attire toute notre attention. C. Pavard dit « les
femmes n’existent pas pour le regard des hommes et encore moins pour la caméra »13
.
Ce que l’on observe c’est que le rôle économique n’est plus le privilège des hommes.
Pourtant, le déploiement des femmes, filles dans la ville grâce à l’éducation quasi généralisée,
et le travail n’entraine pas de changements dans les relations des femmes avec la ville. Ce qui
change ce sont les raisons des déplacements et les lieux où elles se rendent. Cependant, le
nombre de femmes qui travaillent reste faible à Guerrara. De plus, on ne ressent pas encore
l’effet de ce changement dans la ville.
En montrant comment la femme investit la ville, je voulais prouver l’importance qu’à
la maison dans sa vie. La maison regroupe à la fois un espace de vie intime (liée au couple),
de vie familiale (famille élargie), de vie sociale voire publique (personnes de la communauté,
extérieures). C’est ce que nous allons maintenant étudier dans les prochaines parties.
13
PAVARD C., Lumières du M'Zab, 1969-1974, film 1 et film 2.
37
3. La maison, le domaine des femmes
Il existe une quasi universalité du lien entre femme et habitat à travers les sociétés. Au
Mzab, la maison est faite pour la femme : « la maison, c’est à nous !» affirme une mozabite.
Elle détient la culture, le savoir à l’intérieur de la maisonnée (la cuisine, le tissage, la tenue de
la maison, les soins maternels, l’organisation des fêtes traditionnelles…). Les premières
maisons du ksar avait déjà été pensées pour elles et avec les préoccupations particulières des
mozabites liées à leur morale religieuse et sociale. Les maisons construites ces dernières
années par des particuliers mozabites ont toujours le souci de répondre aux besoins de la
femme. Comment se traduisent ces considérations dans leur habitat et en quoi les maisons
construites par plan type remettent en cause ces principes ?
3.1. La maison conserve l’intimité et l’intégrité de la femme
La maison est un lieu sacré, intime, qui protège la vie de la famille. La maison est
conçue pour la femme, pour protéger son intégrité, pour qu’elle y soit à l’aise pendant son
passage sur Terre. Elle est symboliquement haram (interdite) pour tout homme ne faisant pas
partie de celle-ci. La maison mozabite bénéficie d’une organisation intimiste.
3.1.1. Une maison introvertie
La construction des maisons est organisée par un urbanisme conventionnel, « rien
dans l’apparence extérieure des maisons ne devait marquer les différences de fortunes, le
riche ne devait pas écraser le pauvre. »14
Les façades des maisons ont toutes des grandes
ressemblances et restent très simples. Les murs sont dépourvus volontairement de tout aspect
pouvant montrer une différence de richesse entre les voisins. La couleur naturelle claire
(beige, ocre, rappelant le sable du désert) du revêtement des façades est identique pour toutes
les maisons (pas ou peu de maisons peintes sauf en bleu clair, couleur du ciel). Les mozabites
se sont distingués pour l’austérité de leur architecture.
Seules des petites ouvertures sont judicieusement disposées pour voir à l’extérieur. Les
fenêtres ne sont que des fentes du style des meurtrières. Elles sont fines. Sur les terrasses, ces
ouvertures sont placées au niveau de l’œil d’une femme assise. Elles ne permettent pas d’être
vu à l’intérieur mais de voir discrètement à l’extérieur. Les ouvertures sur l’extérieur peuvent
être d’un autre type : claustra sur les terrasses, petites fenêtres avec vitres brouillées. Il est rare
de trouver des grandes fenêtres chez les mozabites. Cela permet de lutter contre le soleil et les
vents de sables. Les petites ouvertures aèrent tout de même l’intérieur de la maison. Elles
protègent surtout contre le regard extérieur.
14
DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Page 43.
Photos 7, 8 et 9 : différents types d’ouvertures sur l’extérieur
38
Lorsqu’ils ont des grandes
fenêtres (comme celles que nous
connaissons en France), les mozabites
y ajoutent des protections, même si
elles se trouvent à l’étage avec moins
de risque d’être vu. Cela peut être une
condamnation de la fenêtre par
l’intérieur (meuble ou autre), une
planche de bois placée à l’extérieur,
ou encore une vitre aveugle. Certains
peuvent doubler la protection avec un
rideau. L’intimité de la maison veut
être préservée à tout prix. Ainsi, la
femme pourra se vêtir comme elle le
souhaite à l’intérieur. Les femmes
font elles mêmes très attention à ce type de fenêtres. Lorsqu’elles veulent aérer une pièce, y
faire le ménage, elles ouvrent les fenêtres mais laissent toujours les rideaux devant l’ouverture
(même s’il existe des protections encore placées à 20 cm derrière la fenêtre). Le cas des
grandes fenêtres (qui ont été importées au Mzab puisqu’elle n’existe pas dans les maisons
traditionnelles) est tout à fait intéressant. Dans certaines maisons construites par l’OPGI
(maisons individuelles collées par deux), nous trouvons des grandes fenêtres donnant sur
l’espace extérieur public. Ces fenêtres sont d’autant plus problématiques que ce sont celles de
la salle principale (salon, salle à manger). Si la fenêtre est condamnée ou protégée, la lumière
n’entrera pas correctement à l’intérieur. Les femmes seront dans l’obscurité ou elles
allumeront la lumière électrique. En effet, ces fenêtres sont mal placées par rapport au mode
de vie des mozabites. De plus, elles empêchent les femmes de profiter de la luminosité
extérieure naturelle au profit de la lumière électrique.
Les maisons de Guerrara ont
toutes une terrasse et / ou un toit
terrasse. Ceci s’applique également
aux maisons de l’OPGI et des
promoteurs privés reprenant des plans
type15
. Ces terrasses sont une
ouverture extraordinaire sur la ville.
C’est également un lieu partiellement
à découvert pour la femme. C’est
pourquoi les règles et obstacles
physiques empêchant le regard
s’accompagnent de règles d’usages
connues et explicitées de tous. Le plus
important est qu’« Il ne devait pas
être possible de voir chez le
15
Voir photo en annexe 8
Photo 10 : grande fenêtre avec
vitre brouillée et des rideaux
Photo 11 : fenêtres donnant sur rue et portes
d’entrée en vis-à-vis (maison OPGI)
39
voisin 16
». Les maisons sont donc soumises à une hauteur limite à ne pas dépasser (cette
hauteur est égale à une maison comprenant au maximum une cave, un rez-de-chaussée, un
étage et un toit terrasse). Il est évident qu’une maison qui serait plus haute d’un étage entier
sur les autres aurait une vue plongeante sur toutes les autres maisons. Bien que ces règles ne
soient pas officiellement reconnues, l’urbanisation récente de Guerrara ne s’est faite que de
manière horizontale. Tous les bâtiments (administratifs, usines, maisons construites par l’Etat
et les autres) ont une hauteur limitée. Quelques maisons de particuliers font défaut à la règle et
des conflits importants s’installent entre voisins. Ces conflits peuvent être signalés devant la
Achira si les intéressés sont des mozabites. L’assemblée se placera toujours en faveur de la
préservation de l’intimité et condamnera l’incursion visuelle.
La terrasse-toit (dite « au
plus haut de la maison ») est
accompagnée d’un mur protecteur.
L’acrotère (mur terrasse) a une
grande importance pour la qualité
du lieu protégé, lieu privilégié des
heures calmes, des soirées et des
nuits estivales. Il avait
traditionnellement une hauteur de 1
mètre 40 : cela permet au soleil et à
l’air de passer. Cette dimension est
insuffisante pour opposer un
obstacle réel aux regards sur la
terrasse voisine mais elle est
suffisante pour avertir l’homme de
ne pas insister, se pencher,
regarder. Cette hauteur alerte et
rappelle à la correction, elle n’est pas un obstacle physique agressif, elle est signe de
l’obstacle. En fait, c’est une barrière visuelle symbolique à ne pas franchir. Pendant l’hiver, si
un homme voulait monter (il devait crier trois fois son intention). « Sur cette grande terrasse
se tiennent en hivers les femmes au soleil. En été on y dort la nuit (…) quand un homme veut
monter à la grande terrasse, il lance un appel très fort par trois fois. »17
. En été, il est normal
que les hommes montent le soir à la terrasse pour s’y rafraichir, manger et dormir. Les
femmes y sont habituées, elles n’ont donc pas besoin d’être prévenues. Dans les nouvelles
constructions, on met généralement une hauteur de 2 mètres au mur de protection : un afflux
de population étrangère a fait que les règles morales ne sont plus connues, n’ont plus cours.
L’empêchement physique remplace la règle. Le mur ne formule plus une recommandation
mais une interdiction. Les hommes ne préviennent pas de leur venue sur une terrasse lorsqu’il
y a des murs aussi hauts. Les maisons par plans type ont des murs protecteurs de 2 mètres.
Cela permet aux femmes comme aux hommes d’utiliser les terrasses. Elles doivent être
d’autant plus appréciables que la surface de ces logements est souvent réduite.
Nous voyons que les mozabites ont un rapport intérieur / extérieur particulier qui va
également se matérialiser dans l’entrée de la maison.
16
DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Page 43. 17
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.
Photo 12 : terrasse avec mur protecteur de 2m (OPGI)
40
3.1.2. L’entrée dans la maison ou le passage d’un monde à l’autre
Des dictons explicites placent la
femme comme pilier central de la
maison. Ainsi, la première entrée dans sa
maison quand elle est mariée et très
importante. « En arrivant à la porte du
marié, la femme dit (en saisissant de ses
mains les montants du seuil de la
maison) : ‘Tenez moi, ô montants du
seuil de ma maison !’. »18
. Elle entre
dans le lieu où elle va être la plus grande
partie de sa vie. Franchir le seuil, c’est
quitter la maison de son père pour aller
dans la maison de son mari. Franchir le
seuil, c’est changer de vie. Elle devient
une femme mariée qui a des « nouvelles
responsabilités » comme me disait la
mère d’une jeune mariée. Le seuil de la
maison est un lieu plein de symbolisme.
C’est un lieu magique entre deux mondes, c’est un passage, c’est le lieu où le monde se
renverse (et donc au dessus de la porte on met des protections comme une main de fatma ou
autre). Lorsque la mariée se présente devant sa nouvelle maison, les femmes qui vont habiter
avec elles l’attendent. La mariée est emmenée par une ou deux compagnes. Avant qu’elle
franchisse le seuil, on jette de l’eau avec du sel à ses pieds en dessinant un trait. Ce rituel
permet de lutter contre les sorts et mauvais œil qui ont été jetés sur la mariée. Ils restent ainsi
derrière elle et ne pénètrent pas dans la maison. L’exécution de ce rituel dans une maison a
opposé des femmes âgées (qui ont lancées de l’eau presque en cachette) et surtout une femme
assez jeune mais déjà mariée (qui ne comprenait pas l’intérêt de ces pratiques et qui est, sur
un certains nombres de points, très rigoureuse dans sa pratique de la religion). Ce rituel
dérange certaines femmes parce que la croyance en des forces surnaturelles est une déviance
condamnée en Islam. Seule la force divine d’un Dieu unique existe pour le mozabite. La
magie est donc haram. Pourtant, c’est un des seuls rituels magiques qui existe à Guerrara, ce
qui prouve l’importance capitale de la maison conjugale pour la femme. Le seuil, c’est aussi
la séparation symbolique entre le monde public des hommes et la vie secrète et protégée des
femmes. On ne s’assoit pas pour un adulte sur les seuils de porte, cela n’est pas correct. Le
passage et l’entrée de la maison doit être libre et facile d’accès.
La porte de la maison peut rester ouverte tout le jour pour amener la prospérité et la
générosité, elle est ouverte à tous. Une porte fermée est signe de disette. Les enfants et
femmes entrent et sortent. « Quand une femme veut entrer dans une maison, elle frappe à la
porte jusqu’à ce que la maitresse de maison lui réponde ‘Viens’. »19
. Pour les femmes les plus
familières à la maison, elles entrent directement sans frapper. Elles savent qu’elles trouveront
toujours une femme dans la maison. On entre à première vue chez les mozabites comme dans
un moulin. Mais les entrées sont codées. Les femmes connaissent les configurations des
maisons où elles se rendent. Elles savent s’il existe des entrées différenciées pour hommes et
femmes et si la porte d’entrée donne sur une salle destinée aux hommes. Ainsi, s’il y a un
risque de croiser un homme, elles préviennent de leur arrivée et attendent qu’une femme
18
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 19
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.
Photo 13 : protection placée au dessus de
l’entrée d’une maison (main de Fatma)
41
vienne les accueillir. Elles peuvent aussi entrer
mais garder le haïk jusqu’à ce qu’elles rejoignent
la salle des femmes. L’entrée des femmes est plus
libre lorsqu’elles sont invitées, qu’il y a une fête,
ou un regroupement de femmes dans une maison.
La porte des hôtes est entrouverte ou
complètement ouverte. La femme entre sans
crainte parce qu’elle sait que la maison est aux
mains des femmes. Une fois, je frappais à une
porte avec insistance. Personne ne venant
m’ouvrir, je rentrai. Une des femmes de la maison
vînt à ma rencontre et me dit « Je croyais que
c’était un homme avec ta manière de frapper ».
En effet, les femmes n’ont pas l’obligation de
prévenir avec insistance de leur arrivée. Elles
peuvent entrer dans chaque maison, car les
maisons leur appartiennent.
Les hommes quant à eux doivent faire signe de
leur arrivée. Les hommes appartenant à la maison
ne frappent pas à la porte mais signalent leur
arrivée par un appel, des toussotements, des coups sur la porte. Les femmes peuvent se voiler
ou sortir de la pièce par laquelle il va passer. Les hommes étrangers à la maison frappent à la
porte. S’il n’y a pas d’hommes pour ouvrir, ce sont les enfants qui vont voir qui est là. La
femme ou l’enfant demande « meneyou ? (c’est qui ?)» sans ouvrir et l’homme répond en
indiquant à quel homme il veut parler. Si ce n’est pas un des hommes de sa famille qu’elle
peut voir, la femme ne lui ouvre pas et va chercher un homme de la famille. Un jour dans ma
maison d’accueil, quelqu’un frappait à la porte sans réponse de la part des femmes et des
hommes occupés qui n’entendaient rien. Je vais devant la porte et demande qui c’est. Je
reconnais alors l’architecte qui m’avait déjà beaucoup aidé et qui venait me donner quelques
documents intéressant. J’ouvre la porte et lui dit d’entrer dans la salle des hommes. Alors que
nous avions des relations tout à fait cordiales, il refuse d’entrer. Il me demande d’aller
chercher mon père, gêné, n’osant pas me regarder. Il me dit « je dois avoir l’autorisation
d’entrer » (par un homme). Je referme alors la porte et envoie un homme pour récupérer les
documents. L’entrée dans une maison par un homme étranger est donc uniquement consentie
par un autre homme.
Hommes et femmes qui entrent dans une maison doivent dire « Salam aleikoum »
(Que la paix soit sur vous). Cette formule utilisée pour saluer les gens de manière
individuelle, permet ici de saluer toutes les personnes vivant dans la maison et même ceux
que l’on ne verra pas (hommes si l’on est une femme et inversement). Cela s’apparente à une
formule de politesse et permet encore de faire savoir de son arrivée (puisque la formule est
dite assez fortement).
Même quand la porte est ouverte on ne regarde pas dans la maison parce qu’il y a une
entrée en chicane. L’entrée en chicane provient de la maison traditionnelle, elle est très
souvent reprise dans les maisons des mozabites. L’entrée en chicane est parfois renforcée par
une seconde porte, un rideau ou les deux (devant la salle principale souvent). Le rôle de la
chicane est de briser la vue vers le cœur de la maison depuis l’espace public. Surtout que la
porte est très souvent ouverte (prise d’air, laisser les invités entrer comme il le veulent,…).
Photo 14 : porte d’une maison
grande ouverte
42
Dans les maisons où la chicane
n’existe pas (dont les maisons par
plans type) des protections sont mises
en place. Les rideaux, le plus souvent,
sont placés en retrait par rapport à la
porte. Dans une maison qui n’est pas
protégée correctement des regards, la
porte est constamment fermée. Cela
déstabilise bien évidemment les
pratiques des femmes qui ne circulent
plus correctement entre les maisons.
La fluidité de leurs mouvements est
une manière de ne pas rester trop
longtemps dans la ville (à attendre que
l’on ouvre la porte). C’est également un des avantages qu’ont les femmes sur les hommes.
Symboliquement, la porte d’une maison ne peut être fermée à une autre femme. Trouver une
porte fermée, c’est être à la place d’un homme. Cela peut également amener des problèmes de
mixité puisqu’attendre devant une porte, c’est attendre comme un homme mais également
avec l’homme.
3.1.3. Se protéger des regards à l’intérieur de la maison
Une fois à l’intérieur de la
maison, la femme peut se découvrir de
son haïk. Les femmes ne se sentent
vraiment à l’aise que lorsqu’elles sont
protégées des regards. Les maisons
n’étant pas toujours vidées de tous les
hommes, d’autres protections viennent
s’ajouter aux précédentes. Les portes
sont les premières. Les femmes ne les
trouvent pas toujours très pratiques et
leurs substituent ou additionnent des
rideaux permanents (la porte restant
constamment ouverte). Les portes ne
sont pas fermées à clés sauf pour les
sanitaires et les chambres (lieux de
nudité éventuelle). La chambre est la
plus protégée. Elle semble être un coffre
imprenable où se cachent les secrets de l’intimité du couple. Elle a une porte à clé, devancée
par un rideau épais. A l’intérieur, devant le lit, on trouve toujours un autre rideau moins épais.
Le type de meuble, la disposition des rideaux dans la chambre ont été décidés par les religieux
(Azzabas et Timsiridines). Les chambres se ressemblent toutes d’une maison à l’autre.
Lorsque je questionne sur la signification des rideaux, on me dit « Le premier rideau c’est
pour les gens de la maison, le deuxième c’est pour les enfants qui entrent sans demander dans
la chambre.20
». Lorsqu’on sort de sa chambre et que l’on ferme à clé, on y scelle aussi ses
secrets. Même si la sexualité est taboue. Cela peut être un sujet de plaisanterie avec des sous
entendus, entre femmes : « Son mari est revenue d’Alger hier, on ne la voit plus ! », « elle
20
Voir photo en annexe 8
Photo 15 : entrée en chicane
Photo 16 : rideau devant la salle des femmes
43
s’est faite belle toute la soirée pour lui puis est parti dans sa chambre », ou encore en parlant
d’une jeune mariée « elle est fatiguée parce que la nuit elle ne dort pas quand elle est dans sa
chambre. ». Toutes les références à une activité sexuelle sont spatialisées dans la chambre et
n’ont le droit à exister que dans ce lieu. C’est pourquoi c’est un lieu très sécurisé.
Les rideaux peuvent être mobiles. C'est-à-dire que si les femmes veulent se mettre
dans un jardin qui n’a pas de protections, elles y improvisent des rideaux. Cela peut être un
tissu quelconque ou le plus souvent un haïk. Les femmes sont toutes des expertes dans le
camouflage. Même si elles n’ont pas prévues de protection et qu’un homme veut passer, en
dix secondes un haïk peut être tendu pour protéger le groupe de femmes.
Enfin, la femme ne dévoile jamais son corps dans la maison. Elle porte une tenue
décente. Dans la maison, certains vêtements ont mauvaises réputation : le pantalon (qui colle
trop au corps et qui est un vêtement d’homme), les choses courtes comme les débardeurs, les
minijupes (il faut descendre plus bas que le genou et avoir une petite manche au moins). Les
femmes portent le plus souvent des robes amples. Cette tenue, leur apparaît également comme
pratique pour les activités qu’elles ont à effectuer dans la maison.
3.2. La maison, lieu d’expression pour la femme
Les femmes passent la plus grande partie de leur journée et de leur vie dans la maison
(« la maison c’est ma vie »). Elles ont toujours à leur disposition la plus grande partie de la
maison. La modernité a apporté des changements considérables dans le confort et la vie
quotidienne des femmes. Les mozabites ont su allier ces éléments modernes avec la
configuration traditionnelle de la maison mozabite, ce qui la rend d’autant plus appréciable
pour la femme.
3.2.1. Faciliter le confort et les activités quotidiennes de la femme
La cuisine est importante puisque c’est l’activité qui demande le plus de temps à la
femme durant la journée. De plus, les femmes préparent tout elle-même. Ce sont elles qui font
la torréfaction des grains de café. Elles s’appliquent à moudre les grains de blé pour faire la
semoule (élément de base de leur alimentation). Les légumes qu’elles utilisent proviennent
presque tous de leur jardin. La cuisine se fait dans une pièce faite à cet effet de nos jours avant
ce n’était que des niches creusées dans les murs. La cuisine traditionnelle « innayen » se
Photos 17 et 18 :
cuisine équipée
44
composait d’un âtre qui reçoit la marmite, de petits
creux pour les allumettes, d’autres niches pour divers
rangements et d’une cheminée. Aucun lieu spécifique
n’était consacré dans la maison pour cette cuisine.
Elle se trouvait soit près de la pièce centrale, soit à
l’étage près de la terrasse. La fonction de cette pièce
n’imposait ni forme ni localisation précise :
puisqu’elle était différente pour chaque maison. Cette
cuisine traditionnelle reste présente dans les
anciennes maisons (utilisée exceptionnellement pour
se souvenir d’un temps passé et y faire un couscous
au feu de bois). Même dans les maisons construites
récemment, les mozabites recréent une cuisine
traditionnelle sur la terrasse ou dans le jardin en plus
de la cuisine équipée. André Ravereau21
envisage la
disparition de la cuisine traditionnelle en terrasse face
aux bouteilles de gaz transportables et à la cuisine
équipée avec une arrivée de gaz. Il serait surpris de
constater qu’elles subsistent dans les anciennes et
nouvelles maisons construites par les mozabites eux-
mêmes (mais pas dans les logements exogènes). Aujourd’hui, la plus part des cuisines ont
aussi des éléments modernes : gazinière, four, évier, frigo, robots électriques… Les cuisines
sont très bien équipées. Le carrelage permet au plan de travail d’être facilement nettoyé. Tous
ces éléments très appréciés par les femmes, leurs demandent de se tenir debout (ce qui n’était
pas le cas auparavant). La plupart des femmes ont donc conservé un réchaud qu’elles peuvent
transporter à leur grés pour cuisiner assise (dans la cuisine, sur la terrasse, dans le jardin, ou
autre…). Un sujet d’étonnement pour les mozabites est le nombre de travaux qui se font
debout dans la maison européenne. Pour les femmes, c’est une fatigue inutile. Les femmes
âgées surtout, s’assoient toujours par terre pour faire toutes leurs activités ou presque. Les
plats dans lesquels tout le monde mange ensemble permettent, selon elles, d’avoir moins de
travail de vaisselle. Elles rentabilisent au maximum leur énergie surtout qu’elles en ont besoin
puisque leurs journées sont très longues et fatigantes (je n’arrivais pas moi-même à les suivre
tout le temps dans leur rythme). Les cuisines construites dans toutes les maisons récentes
(également dans celles conçues par plans type) respectent les nouveaux besoins et sont
généralement assez grandes. La cuisine mozabite a évolué, elle a intégré des éléments venant
du nord (gâteaux arabes, fritures, etc.…). La gazinière est donc utilisée pour effectuer ces
plats,…. Pour certains plats traditionnels, les femmes sont obligées et préfèrent utiliser les
réchauds. Elles y installent des énormes marmites ou des plaques spéciales (pour les
galettes,…). Même si la cuisine a sa propre pièce aujourd’hui ; l’activité s’exporte dans toutes
les autres pièces des femmes (terrasses, jardins, salle principale, tisefri et cuisine). Ainsi, il
n’est pas rare de voir des femmes éplucher des légumes dans une pièce, les couper dans une
autre et les cuire dans une troisième. Le thé est fait sur le réchaud devant les invités. Personne
ne le fait dans la cuisine. La cuisine est pour ainsi dire mobile.
Les WC et salle de bains sont idéalement doubles. Les femmes et les hommes ont de
cette manière des sanitaires séparés. Les WC sont presque toujours équipés d’une arrivée
d’eau avec douchette pour pouvoir se laver (il n’y a pas toujours de papier toilette). Les salles
de bains ont un lavabo et une douche (rarement une baignoire mais elles existent). Le fait de
21
André Ravereau. Du local à l’universel, propos recueillis par BERTRAND DU CHAZEAU Vincent
RAVEREAU Maya, Editions du Linteau, 2007.
Photo 19 : Cuisine traditionnelle
45
multiplier les espaces d’eau permet aux gens de la maison de faire leurs ablutions pour la
prière plus rapidement (ne pas attendre que l’autre ait finit). Bien entendu, dans des maisons
construites par plans type où la question du coût importe beaucoup, il n’existe qu’une seule
salle de bain et un WC (séparé ou non). Cela demande aux hommes et femmes de faire très
attention à ne pas se croiser.
Le volume central est la pièce la plus vaste. Elle se nomme « le centre de la maison »
(« ammas n’taddart »), c’est le centre de la vie familiale. Elle est assimilée par de nombreux
auteurs à une cour (pourtant c’est une pièce fermée). Il y a une ouverture avec grille dans le
plafond (1m50 sur 2) qui donne la lumière, le chebek 22
. Cela donne également de l’air en été.
Cette grille évite les chutes depuis la terrasse. C’est dans cette pièce que se tiennent la plus
part des activités collectives de la maison (appréciée pour son éclairage naturel). Auparavant,
elle pouvait accueillir le métier à tisser qui a disparu de la plupart des maisons. Cette pièce qui
caractérise peut être le plus la maison mozabite traditionnelle n’est pas reprise dans les plans
type. Elle apporte pourtant de la lumière par le haut ce qui n’est pas négligeable pour une
population qui refuse d’ouvrir sa maison par de grandes fenêtres. De plus, cela a des
avantages liés au climat comme nous l’avions dit (se protéger du vent des sables par
exemple). Enfin, l’ouverture vers le haut, le ciel prend une signification particulière au Mzab.
Cette ouverture, c’est être en contact avec le soleil. C’est également perpétuer la manière dont
on vécut les ancêtres de la famille.
Il existe parfois des caves dans les maisons, elles sont aménagées pour y vivre et y
dormir23
. Elles sont agréables hivers comme été (chaude en hivers et fraiche en été). Elles
permettent de ne pas utiliser des climatiseurs. Pourtant les caves sont couteuses à la
construction. Elles ne sont donc pas faites par les promoteurs privés, ni public. Le calcul du
coût / avantage (financier, environnemental, culturel) a-t-il été pris en compte ? Quoi qu’il en
soit, d’une part les caves ne sont pas faites et d’autre part, l’OPGI interdit aux habitants de les
construire après coup (problèmes liés aux caractéristiques du terrain). Ces logements sans
caves ni chebek sont d’ailleurs réputés parmi les femmes mozabites pour être trop chaud.
Le Tisefri (le salon des femmes)24
donne sur la pièce centrale. C’est un salon de
réception. On y installe également la nouvelle accouchée. Cette pièce peut être meublée par
22
Voir photo en annexe 8 23
Idem 24
Idem
Photos 20, 21, 22, 23 et 24 : multiplication
des salles d’eau et WC dans une maison
46
des banquettes ou tout simplement des matelas recouvert de tissus ou tapis traditionnels, il y a
des coussins. Parfois, on y trouve un meuble de rangements, une télévision. Les invitées,
enfants, femmes peuvent s’asseoir pour discuter. On mange également dans cette salle, on
apporte alors des petites tables rondes de 30 cm de hauteur. On y regarde la télévision mais
les chaînes sont contrôlées25
. Tout le monde peut y dormir. Si quelqu’un s’y assoupit, les
femmes ne lui diront pas d’aller dans sa chambre mais le couvriront. A l’image du tisefri,
toutes les pièces qui n’ont pas une fonction qui demande un équipement immobile (cuisine,
salle de bain, chambre) n’ont pas de destination fixe : chambres pour enfants, réserves, garde-
robes,… Cela entraine une diversité de conception des espaces et de réalisation. Ces pratiques
donnent à la maison des possibilités de changements selon la saison, selon le nombre de
personnes y habitant, etc… Il est impossible pour un couple qui vit dans une maison OPGI de
changer les fonctions des pièces. Il y a une chambre, une cuisine, une salle de bain, une
terrasse, parfois une cour et il ne reste qu’une seule salle parfois deux pour recevoir ou y faire
autre chose.
Dans la maison, nous ne trouvons pas beaucoup de mobilier. L’austérité des façades se
retrouve un peu à l’intérieur. Il y a du mobilier maçonné : lits, banquettes, étagères, niches.
Chaque espace de la maison est rentabilisé (sous l’escalier par exemple). Les espaces sous
l’escalier sont parfois utilisés dans les OPGI. Par contre, les niches traditionnelles dans le mur
ne sont pas faites. En plus, de la petitesse des logements, les habitants devront peut être y
ajouter plus de mobilier qu’à leur habitude. De plus, les espaces de réserves qui existent dans
l’habitat traditionnel sont supprimés par les architectes dans les plans type (il n’y a pas non
plus de garage). S’il y a moins d’espaces de renvoie pour les objets les moins utilisés, cela
s’avère plus contraignant pour les habitants. Il faudra peut être qu’ils opèrent une nouvelle
délimitation du sale et du propre dans la maison.
La propreté des maisons est très importante, il faut se déchausser avant de marcher sur
un tapis dans une maison. Par exemple, « dans la pièce de travail (…) on a maçonné un
endroit un peu surélevé par rapport au sol de la pièce sur lequel on fait la prière, il se nomme
‘aire de prière’, personne n’y circule chaussé. »26
. C’est une règle respectée de tous. Dans la
maison, la plupart des femmes circulent avec des claquettes, pantoufles,…pour pouvoir se
déchausser facilement pendant toute la journée. Les tapis sont très souvent enlevés pour être
lavés et pour nettoyer à grandes eaux les sols. Les sols sont donc recouverts de carrelage. Les
espaces collectifs et de réception sont plus soigneusement rangés. Les chambres sont rangées,
nettoyées surtout lorsque le mari revient depuis un long moment d’absence. Parfois quand le
mari n’est pas là et que la chambre est en désordre, on dit de la chambre qu’ « elle danse ! »27
.
Le rapport ordre / désordre est lié au rapport espace collectif, de réception (qui doit être en
ordre permanent) et individuel (qui peut être en désordre). Cette délimitation change lorsqu’il
y a moins d’espaces individuels (comme dans les petites maisons OPGI).
La vie quotidienne de la maison et de la femme est rythmée par les prières, les saisons,
les fêtes religieuses et les circonstances exceptionnelles (naissance, circoncision, mariage,
25
Il existe une antenne pour toute la ville, mise en place par la communauté qui restreint le nombre de chaines à
4 ou 5 (religieuses, informatives et une chaine religieuse pour enfant). Mais, les paraboles qui permettent
d’accéder librement à des centaines de chaines, dissimulées sur les terrasses sont très nombreuses et toujours
disposées pour une bonne raison : « C’est pour le travail ! »… 26
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 27
Cela renforce également le caractère profane de l’activité féminine (la danse) effectuée pendant des festivités
et toujours très contrôlée. La danse est ici associée au désordre.
47
deuil, ou retour d’un parent au pays). La vie religieuse est très présente dans le quotidien,
comme en témoigne cette description d’une journée au Mzab :
« Dès qu’à retentit l’appel à la prière de la nuit, les gens prient, invoquent Dieu, proclament
le nom de Dieu et se recouchent jusqu’avant l’Aube. Avant l’Aube a lieu le premier appel à la
prière de ce jour, on dit que c’est péché de rester couché. Les gens se lèvent pour aller au
travail, ils invoquent Dieu (…) Le moment de cet appel est situé juste un peu avant
l’aurore(…) après la prière de l’aube cela s’appelle ‘le moment de manger’ (plus exactement
‘le fait de faire manger’), c’est avant le lever du soleil. (…)Quand le soleil commence à
monter dans le ciel, cela s’appelle le petit matin. Le grand matin c’est tout le temps depuis le
lever du soleil jusqu’à midi. (…) à midi, c’est le déjeuner. Après midi vient le temps ‘entre les
prières’, les gens font leurs prières(…). Le coucher du soleil c’est ‘les cinq’ : le muezzin fait
l’appel et les gens prient ensuite ils dinent (soupent), couchent leurs enfants. Quand l’appel à
la prière de la nuit a été proclamé, on prie, on demande pardon à Dieu, on répète le nom
divin et on se couche. Voilà ce qu’est le jour au Mzab. »28
. Toutes les activités des femmes
sont rythmées par la prière. Même pendant les fêtes, la prière n’est pas une option. Lorsque
l’on se donne rendez vous, on exprime les moments de la journée en fonction des prières
(« après la prière de 16h »). De plus, le vendredi est un jour important dans la semaine
(rappelons ici, qu’en Algérie la semaine commence le samedi. Le vendredi s’apparente à notre
dimanche). « Le vendredi(…) les femmes balayent leur maison, se coiffent et quittent le
travail de la laine : c’est un grand jour. »29
. Un autre moyen de se repérer dans la journée est
d’exprimer les temps en fonction des activités « après le repas », « lorsque nous aurons finit
le nettoyage »,etc… Les heures ne sont pas utilisées pour se donner des repères temporels.
Cela crée une confusion pour moi lorsque les femmes me donnent des rendez-vous chez elles.
Elles m’indiquent un jour comme « demain » sans heures. Je demande alors « quand,
demain ? ». Certaines facilitent la discussion en disant « quand tu veux ! ». D’autres me disent
« le soir ! », alors qu’elles souhaitent que je vienne entre la prière de 16h et celle de 19/20h
par exemple. Leur maison doit permettre de vivre cette vie religieuse : pouvoir faire ses
ablutions, sa prière sur un endroit propre et rangé. Des espaces sont parfois créés
spécifiquement pour la prière.
3.2.2. Le soleil, un droit pour toutes
Les mozabites donnent de l’importance à l’entrée du soleil dans la maison. Ainsi dans
l’urbanisme conventionnel : « et il n’était pas permis de lui porter ombre, le soleil, étant pour
ainsi dire inaliénable. 30
». A l’étage des maisons, il y a plusieurs petites pièces utilisées de
manière diverses (espace couvert : « ikoumar ») et une terrasse réservée aux femmes se
trouvant au dessus de l’espace central et donnant donc sur la grille (espace découvert :
« tigharghart »). Cette terrasse est appelée « le centre du haut ». Les terrasses ont une
orientation sud. Cela permet en hivers de bénéficier des rayons obliques du soleil. Le toit-
terasse « tamnait » est utilisée pour y dormir la nuit en été. Le jardin des maisons construites
hors du ksar (les premières maisons sont urbaines, il n’y a pas de jardin) sont ombragés. Il y a
des palmiers, des citronniers, orangers,… Les femmes ont grâce à ces espaces, la possibilité
de se mettre au soleil, doux en hivers et de se rafraichir, le soir d’été. Elles se réunissent
souvent sur les terrasses ou jardins. Elles y étendent le linge31
. Lorsqu’elles y font la cuisine,
le mobilier se transporte facilement (petites tables, réchauds, paillasses). Le soleil est un droit
28
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 29
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 30
DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Recherches sur un
type d’architecture traditionnel présaharien, Bruxelles Liège, Mardaga, 1977, 254 p. 31
Voir photo en annexe 8
48
au Mzab (tradition ibadite). C’est pourquoi lorsque j’évoque les maisons de l’OPGI, la
première critique apportée par les femmes est que « il n’y a pas assez de soleil dans cette
maison », « oui vraiment c’est très dur. »32
. Le soleil doit faire parti de la maison.
Il est vrai que le jardin et les terrasses sont les endroits les plus agréables de la maison, elles
s’y sentent au calme et surtout elles ressentent sur leur peau le soleil, la brise (ce qui n’arrive
jamais dans la ville protégée de leur haïk). En plus de la parfaite adéquation de la maison au
milieu climatique ; c’est peut être ces espaces ouverts qui font que l’on se sent si bien dans
une maison mozabite. Les femmes sont donc très sévères sur cet aspect négatif des maisons
par plans type. Pour faciliter l’accès aux extérieurs, les femmes ont souvent un escalier
indépendant qui les mène directement aux terrasses.
3.2.3. La maison, lieu de sociabilité féminine par excellence
Comme les femmes n’investissent pas les lieux publics, leur sociabilité s’effectue
surtout à l’intérieur de la maison. Il existe une sociabilité familiale (entre les femmes de la
maison) mais également une sociabilité avec d’autres femmes. Comment le cadre de la
maison permet à la femme d’avoir cette sociabilité et un degré d’interconnaissances très
élevé ?
Les femmes partagent leurs activités quotidiennes dans la maison. La vie est collective. La
cuisine, le ménage, l’éducation des enfants,… tous se fait ensemble. Il n’est pas rare de voir
des femmes réprimander un enfant qui n’est pas le leur. Les moments où une femme se
retrouve seule dans une maison sont rares. Lorsqu’une femme est seule alors que les autres
sont sorties, elle dit « c’est très calme, tranquille, je ne suis pas habituée. D’habitude, il y a
les enfants qui font du bruit, les autres femmes qui travaillent avec moi. ». C’est pourquoi les
grandes pièces à vivre sont très appréciées pour cette vie collective. La règle veut que pour
que les activités de la maison se déroulent bien, il faut que l’entente règne entre les femmes
32
Voir photo en annexe 8
Photos 25 et 26 : Cour intérieures
49
d’une même maison. « Une mère dit à sa fille : ‘Crains Dieu, quand tu te lèves salue Dieu et
salue ceux qui sont avec toi dans la maison. Si tu refuses de parler à quelqu’un, tu seras
maudite de Dieu. Si de 3 jours tu ne parles pas aux voisins, tu es maudite de Dieu.’ »33
. Une
coutume veut que lorsque les femmes cuisinent dehors et qu’il y a les odeurs qui parcourent
les jardins des voisins, elles font amener une petite partie de leur cuisine pour ces voisins.
Ainsi, s’ils n’ont pas de nourriture et qu’ils ont eu faim à cause de ces odeurs elle sera
satisfaite. L’entente avec le voisinage est importante. En opposition à cette vie tournée vers le
collectif, la chambre est un lieu de vie intime où personne ne peut rentrer sans y être autorisé.
Elles sont en général très petites. Les femmes ne vont pas beaucoup dans leur chambre
pendant la journée (juste pour y faire la prière, mettre un bébé à dormir). La chambre, c’est la
seule propriété individuelle du couple quand il n’a pas encore sa propre maison. La femme
garde la clé de sa chambre précieusement. Lorsque la jeune mariée arrive pour la première
fois dans sa nouvelle maison, on la met dans sa chambre, assise sur le lit. On lui sert dans ce
lieu les dattes, le lait et les oranges, plateau traditionnel apporté pour la venue de toute
personne que l’on accueille dans une maison. La chambre est déjà la marque du nouveau
couple puisque c’est le mari qui a préparé la pièce et qui a acheté les meubles alors que la
femme a fourni les parures du lit, les rideaux et les autres décorations34
. C’est « construire
ensemble » leur espace de vie commune, comme le dit une jeune mariée. Les chambres sont
pratiquement les seules pièces décorées et avec une certaine fantaisie (beaucoup de tapis au
mur, fleurs en papier, parfums disposés de manière esthétique, ornements…). C’est
également, dans cette pièce que la mariée conserve les habits, cadeaux et pécule qu’elle a pu
avoir pour son mariage ou par son mari par la suite. C’est vraiment une pièce très différente
de l’ensemble de la maison. Il n’y a d’ailleurs que les couples qui ont le droit à leur chambre
puisque les enfants n’ont pas de chambres individuelles. Ils dorment dans différentes pièces,
selon les circonstances. C’est un lieu à part dans la maison. Lorsqu’on accueille une femme
dans sa chambre, on la parfume. C’est un rituel qui montre qu’on est arrivé dans un lieu
différent des autres. Pour autant, cette propriété individuelle ne doit pas empiéter sur la vie du
groupe. C’est pourquoi, mari et femmes ne se retrouvent que le soir venu dans leur chambre.
La chambre dans laquelle je me trouvais, n’étant pas une réelle chambre pour un couple mais
plus un dortoir pour plusieurs personnes d’une même famille se transformait tous les soirs en
salon. Les personnes viennent, frappent à la porte et entrent sans attendre de réponses. Sans
que personne ne nous demande notre avis, deux puis trois, quatre, cinq personnes venaient
discuter, s’asseoir sur ce que j’aurais appelé « mon lit » en tant qu’occidentale mais qui était
en réalité pour les mozabites une simple banquette. Même si certains dormaient, les
discussions continuaient librement. La place de l’intimité, de l’individuel est mis de côté un
instant pour le groupe. Cela en devenait parfois difficile, lorsque sans cesse dans la journée
j’entendais mon prénom. Les femmes ne voulaient pas me voir seule dans « ma chambre » qui
n’était qu’une pièce comme une autre pour elles. Il était parfois difficile d’écrire à l’écart mon
carnet de bord tellement je n’avais pas de moment de solitude volontaire. Les temps de repli
socialement acceptés sont rares pour la femme puisque toutes ses activités se font en collectif
(hormis les instants de prières…mais il existe aussi des prières collectives pour les femmes).
Même lorsqu’il y a de la visite, il n’y a qu’une ou deux femmes (par exemple celles
qui sont enceintes) qui s’arrêtent de travailler pour tenir compagnie à la visiteuse. C’est
pourquoi la cuisine se trouve près de la salle de réception. Il ne faut pas arrêter les activités de
la maison à chaque visite. Parfois, ce sont les visiteuses qui viennent prendre part aux travaux
de la maison pour pouvoir en même temps discuter avec les femmes. Les femmes se parlent
beaucoup plus dans ces moments là que lorsqu’elles ne font rien. Tous les jours, des visiteuses
33
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 34
Voir photo en annexe 8
50
viennent à la maison. Les femmes qui reçoivent chez elles ont des obligations liées à l’accueil
de leurs hôtes. Il y a toujours du thé, du lait et des dattes pour elles. Une anecdote intéressante
explique cela. Une petite fille de 8 ans, étrangère à la maison où elle se trouvait mais faisant
partie de la famille, venait de boire le verre de lait d’une femme âgée. Elle se fit réprimander
par la dame mais coupa court à son discours en lui rétorquant, très sure d’elle « Je suis invitée
ici, vous me le devez ! ».
Lorsque les femmes de la maison invitent d’autres femmes, cela ne se fait que par le porte à
porte et le bouche à oreilles. Il est rare qu’elles utilisent le téléphone. Pour recevoir, les
femmes mettent au sol de la plus grande pièce des tapis. Toutes les invitées pourront s’y
asseoir. Les femmes de la maison s’habillent avec une de leur belle robe et on commence à
préparer le thé. Les femmes arrivent et s’assoient sur les tapis. Elles prennent le thé et
discutent. Deux ou trois femmes se chargent de faire de la musique avec des derboukas et les
autres chantent (chants religieux) et tapent des mains. Les femmes assises ont laissé un cercle
vide qui s’apparente à une piste de danse. Les petites fêtes entre femmes ne demandent pas
une organisation très poussée. C’est pourquoi, dans toutes les maisons, il suffit d’avoir un
espace assez grand, de nombreux tapis et beaucoup de verres à thé pour pouvoir recevoir
d’autres femmes. Les instruments de musique se transmettent de maison en maison.
Les mariages se font en grande partie à la maison pour les femmes. Les hommes,
quant à eux, investissent la Achira dans laquelle ils ont toujours fait des mariages groupés. Du
côté des femmes, les mariages emmènent de la vie publique dans la maison. Toutes les
rencontres, les discussions se font dans les maisons pour les femmes. La maison est nettoyée.
Un espace grand et aéré est choisi pour recevoir. On décore un des murs de la pièce et on
place des chaises (pour la marié et sa / ses compagne(s)). Des tapis sont mis au sol. Durant
trois jours (4 heures à chaque fois) la mariée est présentée aux convives dans sa maison. Les
femmes dansent et chantent ensemble. Comme les mozabites font des mariages regroupés
(jusqu’à 7 mariages d’une même fraction en même temps) et que les convives connaissent
parfois une, deux ou trois mariées ; les femmes aiment regrouper les fêtes des mariées dans un
seul endroit. Lorsqu’une maison n’est pas assez grande pour accueillir toutes les femmes,
elles organisent l’évènement à la Achira comme les hommes. Elles alternent donc entre fête
individuelle à la maison et fête collective à la Achira. La maison familiale conserve tout de
même une grande place émotionnelle et les femmes aiment faire cette fête dans leur maison.
De plus, être en nombre plus restreint chez elles, leur permet d’être plus détendues. Dans ces
mariages, le contrôle social est extrêmement fort. A la Achira, les mariées doivent avoir un
comportement de femme « timide », ne pas sourire, prendre l’air sérieux, ne pas exprimer ses
sentiments, parfois elles baissent la tête pendant toutes les réjouissances. Dans ces
regroupements, les femmes s’observent les unes les autres. Même si je m’imaginais au départ
qu’entre femmes, elles pouvaient s’amuser librement, je me trompais. Même si elles dansent,
il ne faut pas être trop extravagante dans ses mouvements. La tenue de fête doit toujours être
correcte (pas de bras nues, pas de chose moulante, ni courte). Il existe une règle qui dit que si
une femme (qui danse) n’est pas habillée correctement, les musiciennes doivent cesser de
jouer. Le contrôle social est renforcé dans les mariages et autres regroupements de femmes
qui mélangent des femmes de familles et fractions différentes. Cette sociabilité féminine ne
peut s’exprimer que dans des maisons avec au moins un grand espace. Car on ne compte pas
le nombre de convives et on ne peut fermer sa porte à une femme. Les maisons et familles les
plus connues dans Guerrara sont celles qui reçoivent le plus. Généralement, elles ont des
grandes maisons. Les inégalités économiques entre les familles jouent sur les sociabilités
féminines.
51
4. Les relations codées entre hommes et femmes dans la maison
4.1. Pour une séparation des hommes et des femmes dans la maison
Le fait de vivre avec la famille élargie crée une séparation des hommes et des femmes
dans la maison. C’est une manière de vivre ensemble qui détourne la domination masculine.
Les hommes se trouvent dans l’obligation de faire savoir de leur présence, de limiter leurs
déplacements, de quitter la maison quand ils gênent,… Ils ne sont donc pas libres chez eux.
4.1.1. Le pouvoir des femmes
Un proverbe berbère dit que l’homme est la lampe du dehors (culture, savoir, vie
sociale,…); la femme c’est la lampe du dedans35
. Ce proverbe affirme qu’on laisse une place à
la femme à l’intérieur de la maison. Dans la maison, il y a donc les activités naturelles (que
l’homme fait dans la maison : se nourrir, dormir, vie sexuelle) et les activités culturelles
(cuisine, tissage, soins enfants). Les activités culturelles de la femme ont tout de même une
limite floue avec les activités de nature : la cuisine/se nourrir ; le tissage/se couvrir ; les soins
aux enfants/enfanter, se reproduire,…Pour la femme, il n’y a pas de frontière fixe entre les
activités de nature et de culture. Au contraire, l’homme distingue les différentes activités
selon qu’il se trouve dans la maison ou à l’extérieur. Pour autant, c’est la femme qui règne
dans la maison. La figure de la maîtresse de maison prend tous son sens à Guerrara chez les
mozabites. Mais à l’intérieur, les femmes ne sont pas toutes égales. Il y a une hiérarchie d’âge
car c’est la plus âgée qui est maitresse de la maison. Parfois, lorsque la maitresse de maison
est très renommée (caractère bien tranché, femme très pieuse, grande organisatrice de
fêtes,…), on parle de sa maison comme de la sienne, comme si elle était le chef de famille. On
peut même en venir à se demander si elle a un mari et surtout on se demande qui c’est ? C’est
la maitresse de maison qui commande les jeunes femmes, supervise les activités domestiques,
l’intendance, les festivités, maintien l’ordre et la tenue de la maison. A la maison du marié,
c’est une vieille femme de sa nouvelle famille qui accueille la jeune mariée, de préférence sa
belle-mère. C’est cette belle mère qui aura la charge de lui apprendre la bonne tenue d’une
maisonnée et qui aura le contrôle sur elle pendant l’absence du mari, son fils. Les plus vieilles
femmes de la famille ne travaillent pas beaucoup dans la maison. Elles sont toujours servies
les premières pour manger. Lorsque les femmes et hommes mangent, il y a souvent plusieurs
tables de 5 ou 6. Les plus âgées et invitées sont servis ensemble, en premiers. Après avoir
servies tous le monde (et après avoir fait à manger), les plus jeunes mangeront ensemble.
Pour l’homme, le passage à la maison est associé à des activités naturelles. La maison
se résume à se coucher, se reposer, s’unir à sa femme et manger la nourriture préparée par sa
femme (bien que nous verrons qu’il y a une certaine évolution dans ce domaine). Dans la
norme, la femme est « enfermée » dans la maison car « La fille une fois entrée dans la maison
n’en sort plus, ni pour se promener ni pour aller où que ce soit (…) elle consulte son mari
(…). Ainsi jusqu’à qu’elle ait atteint trente ans d’âge. »36
. L’homme, quant à lui, en est
idéalement exclu tout le jour. Plus tôt il part, mieux c’est perçu car cela porte la prospérité de
sortir au lever du soleil, c’est le début des activités féminines et masculines (heure de la
prière). Le mouvement vers le dedans de la maison correspond à la femme, vers le dehors cela
35
BOURDIEU P., La maison ou le monde renversé, in Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de trois
études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, Points Essais, 1972 (réédition de 2000), page 61 à 82. 36
GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1, Paris, Geuthner, 1927,
345 p.
52
correspond au mouvement de l’homme. Un homme sans activités (retraite surtout) doit se
trouver une activité qui le pousse à sortir de la maison. Le plus souvent, les mozabites
apprécient de pouvoir travailler un jardin potager, ou entretenir des palmiers à la retraite. Ils
retrouvent ainsi le travail de la terre de leur père ou grand père. Pour les femmes, un homme à
la maison est un homme malade. Lorsque les femmes invitent d’autres femmes à la maison
(pour la préparation des grandes fêtes), les hommes sont priés de sortir de la maison. On ne
leur dit pas explicitement, ils savent qu’ils doivent sortir. Les hommes sont en quelque sorte
mis dehors ou regroupés dans une seule salle qui donne directement sur la rue. Lors d’une fête
organisée dans une maison, un des hommes de la famille, pour lire son journal, s’est placé sur
un escalier menant à la maison de sa sœur veuve (et donc utilisé uniquement par celle-ci). Il
m’avoue après qu’il ne savait pas où se mettre pour ne pas déranger mais ne voulait pas
s’asseoir dehors dans la rue car c’est mal vu. Toutes les femmes sont réparties dans la maison.
La maison n’appartient plus aux hommes, elle appartient aux femmes. Les hommes ne
remettent pas en cause le fait qu’on les met à la porte. Ils ne violent pas l’espace féminin
puisqu’ils n’acceptent pas non plus que la femme entre dans leur monde, la ville. Pourtant,
beaucoup d’hommes ont de plus en plus le besoin de rester chez eux et de s’y sentir à l’aise.
Ils se créent ainsi un univers : un bureau, une salle de télévision ou autre qui sera totalement
indépendante des femmes. Cette incursion dans le monde des femmes, tout en respectant leur
espace est une évolution. Pour autant, elle ne s’accompagne pas d’une incursion des femmes
dans le monde des hommes. Plus la maison est petite, moins les hommes sont tolérés dans la
maison durant ces regroupements. C’est pourquoi les maisons par plans types (F2, F3) incitent
les femmes soit à mettre les hommes dehors pour profiter au maximum de l’espace
disponible, soit à ne pas organiser de grands regroupements de femmes.
4.1.2. Des parties indépendantes et des flux contrôlés
Il y a donc une séparation à l’intérieur de la maison entre la partie de l’homme et celle
de la femme. Les repas se prennent séparément (hommes et femmes), dans les pièces qui sont
assignées à chaque sexe. La salle des hommes37
se présente comme un salon où ils peuvent
recevoir, souvent directement près de l’entrée ou à l’étage avec un escalier qui part d’une
entrée séparée. Les hommes ne circulent pas
dans les parties féminines, leur salle est
indépendante tout en étant reliée (puisqu’ils
y sont servis pour manger ou pour boire le
thé). Il y a souvent des sanitaires près de
cette pièce consacrée aux invités hommes,
ce qui leur permet de ne pas déranger les
femmes. Cette pièce n’existait pas dans les
maisons urbaines traditionnelles. Mais
certains arrangements étaient faits lorsque
l’homme de la famille recevait d’autres
hommes. Les maisons étant pour la plupart
mitoyennes, les femmes basculaient dans
une maison et les hommes étaient dans une
autre. Cette pratique était d’autant plus
possible que c’était généralement des
membres d’une même famille qui avait deux
voire trois maisons mitoyennes. Ainsi, la
37
Voir photo en annexe 8
Photo 31 : toit terrasse compartimenté
53
maison urbaine regroupée un ménage réduit (famille individuelle composé du mari, de la
femme et des enfants). Mais juxtaposées, les maisons mitoyennes permettaient tout de même
de bénéficier des avantages de la famille agrandie. Dans la maison de la palmeraie (maison
secondaire pendant la période chaude de l’année), plus grande, toute la famille agrandie était
réunie.
La question des flux est très importante. Elle permet de comprendre à quel point
l’espace de la maison n’est pas un espace ouvert, libre pour l’homme. Le choix qui est fait
dans les familles mozabites est de ne jamais permettre aux beaux frères et belles sœurs de se
croiser. Lorsqu’un homme veut aller dans sa chambre ou dans tout autre endroit qui nécessite
de passer dans la partie des femmes, celui-ci prévient de son passage. Il dit « éwa ! » (petite
apostrophe) ou « belek ! » (Attention!), certains toussotent,… Dès qu’un homme se manifeste,
les femmes savent de qui il s’agit. Certaines se cachent, sa femme, sa sœur, sa mère, sa tante
continuent leurs activités. Hommes comme femmes ont tous développés le sens de l’ouïe au
dépend de la vue pour se reconnaître. Lorsque par mégarde, l’homme se retrouve face à une
femme extérieure à son cercle de contacts libres, il est tout autant gêné qu’elle. Il fuit son
regard et part vite. Quant à elle, elle gesticule, tente de se couvrir ou d’échapper à la situation.
Lorsque je questionne les femmes sur cette situation au sein de la maison, l’une d’elle
m’explique les flux comme « la circulation des automobiles, il y a des stop, des impasses, il
faut attendre pour passer, (…) une fois que tu connais les codes, la situation n’est pas
difficile, elle est normale pour nous en tout cas. Enfin je ne sais pas, c’est ce que je pense ! ».
Les femmes aiment observer les hommes sans qu’elles soient elles mêmes observables. Elles
utilisent les rideaux, se penchent depuis la terrasse sur le chebek de la pièce centrale. Elles se
servent de leur passage et de leur connaissance de la maison comme d’une arme secrète pour
pouvoir les observer. La maison mozabite se prête bien à ces petits jeux que seules les
femmes peuvent réaliser. Lorsque l’on se place du côté des hommes, cette situation n’est pas
toujours facile à vivre. Ils ne sont pas réellement chez eux, sont obligés de prévenir de leur
passage. Ils ne peuvent pas se déplacer librement. Pour atténuer les problèmes de cohabitation
dans la famille, il y a quelques adaptations possibles. Par exemple, une famille a marié deux
frères à deux femmes qui sont sœurs. Ainsi, elles n’auront pas à se cacher des enfants de leur
belle sœur lorsqu’ils auront grandis puisqu’ils seront ses neveux. C’est d’autant plus
appréciable que parfois le changement de statut du garçon au jeune homme arrive tôt (13/14
ans). Un jour, dans une maison, les femmes qui étaient en train de se couvrir me disent d’en
faire de même car un homme va passer. J’aperçois un enfant passer et j’attends…mais rien !
Elles étaient déjà en train de se découvrir et rigolent en m’expliquant que c’était de ce très
jeune homme qu’elles se cachaient. En fait, dès leur entrée dans la puberté, les jeunes
hommes et jeunes filles sortent du statut d’enfant.
Plus une maison regroupe une famille élargie plus la question de la circulation des
hommes devient délicate. Ainsi, chez une famille restreinte où les garçons pourtant âgés ne
sont pas mariés, il n’y a pas de souci de circulation. Les filles plus âgées déjà mariées sont
parties de la maison. C’est lorsque la famille accueille une belle-fille que tout se complique.
Cette même maison accueillait pour la première fois une femme dans sa maison. Tous (père,
frères, sœurs) redoutaient la venue de cette femme par rapport au déroulement de leur vie
quotidienne. Les hommes de cette famille se rendent librement à la cuisine et dans toutes les
salles de la maison. Famille ouverte (ayant vécue longtemps au Nord), la future belle mère
décida que la vie de la famille ne devait pas changer avec cette arrivée (qui est ici perçue
comme une intrusion dans un espace familial restreint). Cette famille est d’ailleurs très
régulièrement critiquée par un ensemble de femmes qui voient en elle « des femmes libres »,
« elles font ce qu’elles veulent ! ». La belle mère, ayant un caractère bien tranché, m’affirma
54
que la belle-fille s’habillera correctement et mettra un hidjab dans la maison pour pouvoir
croiser ses beaux-frères. Cette manière de penser peut être perçue comme une évolution
positive dans les modes d’habiter mozabite. Mais ce choix implique également de
compromettre le confort de la belle fille au profit de celui des fils de la maison (puisqu’elle
devra porter un hidjab à l’intérieur). De plus, lorsque cette maison reçoit, femmes et hommes
de la maison doivent se plier aux règles de la communauté. Ainsi, les hommes doivent limiter
leurs déplacements. Mais peu habitués à prévenir de leur passage (je n’ai jamais entendu de
« belek ! » dans cette maison), les hommes de la famille créent des tensions sans le savoir
entre femmes. Une voisine prenait le café dans cette maison, elle était installée dans la salle
des femmes. Elle était pourtant visible par tous ceux qui se rendaient dans la cuisine. Le
passage d’un homme l’a fit s’énerver et elle voulut partir sans finir son café. La maitresse de
maison tenta de la calmer mais la femme mal à l’aise conservait son haïk à porté (pour
pouvoir se couvrir d’urgence).
Lorsqu’il y a une incursion programmée des hommes chez les femmes, elles portent
toutes le haïk comme si la maison devenait un espace extérieur. Par exemple, lors du mariage
d’un fils, les femmes organisent la fête du henné du marié. Toutes les femmes réunies, portent
le haïk. Une femme âgée, habituée, a déjà préparé le henné et attend les hommes. Des
musiciennes (derboukas) sont prêtes à jouer. Mais même ces femmes portent le haïk. Elle le
coince entre les dents pour pouvoir mettre le henné, jouer et donc utiliser leurs mains. La
venue des hommes est encadrée par des patriarches. Ils se font appliquer le henné et repartent.
C’est une rencontre éphémère et codée entre hommes et femmes dans la maison. Mais c’est
une rencontre intense. Les hommes crient, chantent, tapent dans les mains, font les youyous
comme les femmes. Les femmes font de la musique. Quand tous les hommes sont sortis, les
femmes se découvrent, l’espace redevient celui de la maison protectrice. Elles se mettent à
danser plus nombreuses que d’habitudes. Puis le calme revient dans la maison.
Figure 9 : Visibilité problématique d’une femme dans une maison
Réalisation : Sarah Benaïssa
55
Créer des parties hommes et femmes séparées et indépendantes est très difficile dans
les maisons par plans type. La séparation se limite à improviser lorsqu’il y a des invités une
salle pour les hommes d’où ils ne devront pas sortir sauf pour aller aux sanitaires. Pour aller
aux sanitaires, il faudra prévenir les femmes qui aménageront souvent un passage avec des
rideaux. Les femmes seront regroupées à la cuisine et dans une autre salle (si elle existe) ou à
la terrasse. Partager les sanitaires avec les hommes sera un problème car elles craindront de
croiser un homme.
4.1.3. La position particulière des enfants et des personnes âgées
Les enfants jusqu’à la puberté peuvent circuler librement dans la maison et dans la rue.
Filles et garçons jouent ensembles. La maison lorsqu’elle est grande est une aire de jeux pour
eux. L’espace central avec le chebek est toujours utilisé par les enfants. Certains ont accrochés
à la grille une balançoire improvisée, d’autres s’amusent à lancer des projectiles à travers le
trou (au désespoir des adultes qui passent en dessous). Ils courent de pièces en pièces et
s’importent peu des séparations qui existent entre hommes et femmes. Lorsque la maison est
plus petite (donc surtout dans les maisons du ksar), les enfants mozabites jouent dehors dans
les ruelles, en face de chez eux. Les parents ne s’inquiètent pas beaucoup de les voir dehors
(le ksar est piéton, y vivent essentiellement des mozabites). Dans les nouveaux logements de
type exogène construits en dehors de la ville, deux remarques peuvent être faites. Les
logements assez petits poussent, à première vue, les enfants à jouer dehors. Certains espaces
résidentiels sont aménagés de manière piétonne mais pas tous. Il y a donc le risque du passage
des voitures. Dans ces espaces résidentiels, il y a une mixité plus importante (arabes,
mozabites). Les enfants ne sont donc pas qu’entre mozabites. Face à ces éléments, les parents
peuvent obliger les enfants à rester à l’intérieur de la maison. Cela ajoute à la coexistence
homme / femme dans la maison petite, la présence des enfants.
Les femmes âgées et le patriarche de la maison ont souvent la possibilité de circuler
librement dans la maison comme les enfants (seulement lorsqu’il n’y a pas d’invités). Les
personnes âgées et les enfants restent des intermédiaires privilégiés entre hommes et femmes
dans la maison. Ce sont souvent les enfants qui vont voir à la porte qui frappe. C’est le
patriarche de la maison qui transmet les plats chez les hommes pendant le repas (puisqu’il
peut voir toutes les femmes de sa maison : femme, filles et belles-filles). La hiérarchie de
l’âge est donc moins importante que la séparation homme / femme. En effet, pendant que
l’homme le plus âgé emmène les plats, les plus jeunes sont assis et attendent d’être servis.
4.2. Pour des relations apaisées…le rêve de la maison idéale
La maison idéale…voilà une chose sur laquelle nous pouvons facilement faire parler
les femmes. Elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin. Elles ont appris par
leur expérience quotidienne à être critique vis-à-vis des maisons. Elles sont d’ailleurs très
souvent à la source de modifications sur leur maison construite ou en cours de construction (le
mari servant pour ainsi dire d’intermédiaire avec le maçon). Les hommes aussi, rejetés parfois
de leur maison ont appris à penser des maisons où la coexistence des hommes et des femmes
ne pose pas de problèmes. Certaines maisons construites très récemment par des mozabites,
m’ont étonnée par leur fonctionnalité et leur organisation dans les parties hommes/femmes.
56
4.2.1. Une maison pour la famille restreinte en gardant un lien avec le collectif
La maison idéale, imaginée par les jeunes couples, vivant encore chez les parents est
souvent pensée comme une échappatoire possible aux difficultés de la coexistence dans la
famille élargie. La cohabitation est parfois longue. Le couple peut déjà avoir des enfants
adolescents et la maison regroupe donc trois générations différentes. Avec les enfants devenus
grands et la présence de plus en plus de belles sœurs, le couple veut et doit avoir sa propre
maison. Cette maison c’est le moyen pour la femme de prendre ses distances face à la belle
mère. Ce sera désormais elle, qui aura le titre de maitresse de maison et qui accueillera plus
tard des belles filles. Avec cette maison, la femme acquière un nouveau statut qui la valorise.
Elle obtient également une certaine liberté (dans les activités quotidiennes, dans sa manière
d’éduquer les enfants). De plus, elle n’a plus à se cacher de qui que ce soit vivant dans sa
maison. Elle a accès à tous les espaces de sa maison. Les maisons OPGI, parce que moins
couteuses, peuvent être un moyen plus rapide pour le couple de décohabiter de la maison
familiale. Encore faut-il que l’homme soit financièrement autonome vis-à-vis de sa famille et
que l’accord des parents soit effectif. Souvent, les parents ne se mettent pas à l’encontre du
choix de leur fils et ils aident même le couple à avoir sa propre maison. Les parents financent
une part de la construction de la maison. A côté de ce besoin d’émancipation, les femmes
aiment vivre en collectivité, « on préfère vivre toutes ensembles ». L’idéal est d’avoir son
propre univers tout en ayant la possibilité de se regrouper entre femmes d’une même famille.
Ce n’est donc pas un phénomène récent d’individualisation de la société qui pousse les
mozabites à quitter la maison familiale mais plus un besoin d’individuation. Les femmes
veulent être reconnues en ayant leur propre maison mais conservent le souci de solidarité
familiale, de mise en commun. Cela est d’autant plus vrai qu’au Mzab, plus qu’ailleurs, les
femmes doivent s’entraider. En effet, les hommes mozabite de Guerrara sont nombreux à
migrer au nord (surtout à Alger) pour travailler (commerces). Les femmes sont parfois sans
maris pendant plusieurs mois, elles se soutiennent donc dans la vie de tous les jours,
l’éducation des enfants et font leurs repas en commun. C’est le patriarche de la famille
(retraité) ou un homme qui travaille sur place qui s’occupe de ramener la nourriture aux
femmes. L’idéal serait donc de pouvoir alterner entre vie de famille restreinte lorsque le mari
est présent et vie collective dans la famille élargie lorsqu’il est absent. Les couples qui en ont
les moyens et qui sont moins conservateurs migrent ensemble. Maris et femmes vivent la
plupart du temps au Nord et reviennent pour les vacances à Guerrara. Ceci est une évolution
très importante quand on se souvient qu’il y a quelques années encore la femme mozabite
n’avait pas le droit de quitter le Mzab. De plus, la vie dans la famille élargie permet d’aider
les personnes âgées de la famille. Il est inconcevable de laisser ses parents seuls face à la
vieillesse. Les anciens sont très respectés, le terme « hadj » est un qualificatif qui désigne une
personne âgée partie à la Mecque, c’est également une marque de respect. De la même façon,
on n’appelle pas son père, mère, oncle, sa tante,… par son prénom mais on ajoute avant le
mot « baba », « mama », « ami », « amti »…untel. C’est aussi une manière de marquer
l’importance de la famille et des anciens. Le nom de famille a une importance capitale à
Guerrara. Lorsqu’une personne se présente, elle doit donner son nom puis son prénom, elle
indique ensuite qu’elle est la fille/fils de…du fils de…qui est fils de… La descendance se dit
toujours en fonction du père, grand père et arrière grand père. Les femmes n’apparaissent pas
lorsqu’on se présente. Cette importance de la patrilinéarité est également remarquable dans la
transmission des maisons. La maison de famille, du père n’est jamais abandonnée. Même en
cas de migration, c’est une maison de vacance dont on s’occupe. On ne la vend pas. Elle fait
partie de l’identité de la famille. C’est pourquoi, l’idéal pour les familles mozabites de
Guerrara serait d’avoir des maisons indépendantes pour chaque couple qui soient mitoyennes
et donnent sur un espace central ouvert et couverts appartenant à toute la famille élargie.
57
4.2.2. Une maison où tout le monde a sa place
La féminité par rapport au logement exprime un certain nombre de demandes. La
maison est conçue comme un outil de bonheur, on cherche à l’améliorer en tant que tel. C’est
le moyen de l’épanouissement de la famille et surtout celui de la femme. Il y a donc une
certaine idéologie du logement idéal pensé par et pour les femmes. Cet idéal s’articule autour
d’un axe central : le rapport de la femme avec l’homme. Le logement est donc pensé
protecteur contre le regard de l’homme. Il est également un lieu apaisant, confortable pour la
femme et pour l’homme, ce qui implique qu’il soit conçu de manière à ce que femmes et
hommes soient séparés, autonomes, qu’ils ne se gênent pas mutuellement. La femme en tant
que protectrice de la famille se soucie également du bien être des enfants et de leur place dans
la maison.
« Dans la maison, il me faut beaucoup d’endroits pour que je puisse monter à la
terrasse, aller dans la cour, dans ma chambre…pour ne pas être entre quatre murs. Alors, je
ne ressens pas le besoin de sortir, je n’ai pas envie… ». Ce que l’on peut comprendre par
cette phrase d’une mozabite, c’est que la maison doit être assez grande, confortable pour que
la femme s’y sente à l’aise et qu’elle ne ressente pas le besoin d’aller dehors dans le monde
des hommes. Faire une maison confortable pour la femme, c’est une manière de conforter le
découpage du monde en deux entre celui des femmes et celui des hommes. Ce confort, il
passe par la fraicheur de la maison en été. Tous les mozabites pensent que les matériaux
traditionnels sont meilleurs pour l’isolation. Alors pourquoi ils ne les utilisent pas toujours?
Les troncs de palmiers ont une portée limitée, le timchent (plâtre) prend de la place pour
supporter le poids des troncs. Cela crée des pièces exigües (comme les premières maisons
urbaines). La femme mozabite veut plus de place. L’utilisation des nouveaux matériaux crée
des maisons plus spacieuses mais plus chaudes. Cela impose donc d’adopter des remèdes :
chauffage, climatiseurs. Les mozabites apprécient tout de même d’utiliser la chaux comme
enduit et revêtement extérieur (qui permet de maintenir un peu de fraicheur dans la maison).
Ensuite, pour rentabiliser cet espace, il faut que chaque membre de la maison s’y sente à son
aise. Les femmes aimeraient avoir un jardin. C’est un moyen d’avoir accès à l’extérieur, à la
nature sans sortir dans la rue. Mais elles précisent aussi que c’est une aire de jeux formidable
pour les enfants. Certaines rêvent de jeux extérieurs pour enfants (balançoires, toboggans,…).
Le jardin permettra aux enfants de ne pas se retrouver dans la rue ou dans la pièce centrale de
la maison pour jouer. Lorsque les femmes passent dans le ksar, elles sont toujours triste de
voir des enfants par dizaines, s’amuser dans la rue. Elles disent : « Je ne veux pas ça moi pour
mes enfants, ce n’est pas bien ! », « les pauvres, ils n’ont pas de place à l’intérieur. ». Les
femmes également conscientes qu’une nouvelle catégorie de jeunes existe (les étudiants) se
préoccupent de leur situation dans la maison. Généralement absents durant l’année scolaire
(ils logent dans les cités universitaires ou chez de la famille dans une grande ville puisqu’il
n’y a pas d’université à Guerrara), les jeunes hommes étudiants reviennent dans la maison
familiale pour les vacances ou en weekend. Pas encore mariés, ils ne disposent que rarement
d’une chambre individuelle. Ce ne sont pas non plus des enfants et ne peuvent pas dormir
avec filles et garçons plus jeunes dans une salle quelconque. Une pièce doit alors être
transformée en dortoir pour ces jeunes hommes. Elle redevient une salle de réception pendant
la journée. Les étudiants n’ont donc pas de lieu où travailler, où se reposer la journée. Des
solutions provisoires sont trouvées. On mobilise une pièce pour eux qui sera condamnée aux
femmes, par exemple. Les femmes souhaitent donc que ces jeunes hommes aient leur propre
chambre malgré le fait qu’ils ne soient pas mariés. Ils pourraient l’investir avant leur mariage
puis la transformer pour l’arrivée de leur future femme. Cette pratique vient percuter la
tradition qui stipule que hommes et femmes doivent passer la première nuit dans leur nouvelle
58
chambre ensemble. Mais ce que l’on voit, c’est que dans la maison, ce qui compte le plus
c’est le confort des femmes. Ce confort, il est aussi fonction de la place suffisante accordée
aux hommes qui n’empiètent pas ainsi sur leur espace. La diversification des rôles au sein de
la famille demande donc de nouveaux espaces. Le garage, nouvel espace indispensable
aujourd’hui et dévolu aux hommes, a pris de la place sur l’espace de la femme. Là encore,
elles revendiquent, comme un outrage à leur droit, le fait que cette perte de place ne doit pas
confiner femmes et enfants dans un réduit. Bien évidemment, la maison idéale a une chambre
pour chaque couple (avec fenêtre). Cela, elles ne le précisent presque jamais puisque c’est une
chose naturelle. La filiation patrilinéaire s’exprime dans la maison puisque plus on a de fils et
plus il faut construire une maison grande pour accueillir les futures femmes de la famille. Les
femmes de la famille de la jeune mariée sont toujours invitées à voir la future chambre du
couple. Si la chambre n’est pas convenable cela peut créer des conflits. On ne laisse pas partir
sa fille dans une maison sans chambre pour elle. De plus la qualité des meubles, de la
peinture, des lustres, finitions est toujours bonne. Il y a une fenêtre pour aérer. Lorsqu’elle est
petite, les femmes font des réflexions, sont mécontentes. En plus des chambres, hommes et
femmes devraient avoir une partie de la maison qui leur est propre. Chaque partie a ses
propres sanitaires et un accès à l’eau pour la prière. Les WC doivent être séparés de la salle
d’eau. Cela pour des facilités d’accès aux différents membres de la grande famille et aussi
peut être pour des raisons de superstitions. En effet, il y a des lieux (comme les toilettes) où
les djnouns38
sont plus présents qu’ailleurs. La salle d’eau sert aux ablutions quotidiennes
pour la prière, il est bon de la séparer des WC. L’espace destiné aux hommes doit être
indépendant, c'est-à-dire avoir un accès direct à la sortie (sans passer chez les femmes).
L’espace des femmes doit permettre d’accéder librement à toute la maison mais surtout à la
cuisine, à des sanitaires, aux terrasses, au jardin. Il doit comprendre une grande salle au
moins, pour pouvoir recevoir d’autres femmes. Pour l’été, la maison doit avoir une cave dans
l’idéal (qui permet de se mettre au frais). Elle a également un toit-terrasse compartimenté.
C'est-à-dire que chaque couple à un petit espace protégé sur la terrasse. Cela est possible
lorsqu’il n’y a que très peu de couples dans la maison. Si la famille est très grande, il y a
toujours deux compartiments : un pour les femmes et l’autre pour les hommes. Enfin, ce
qu’apprécient les femmes ce sont tous les progrès qui ont été apportés dans la cuisine. Elles
veulent toujours une cuisine moderne, grande avec tous les équipements nécessaires.
Pour ce qui est de la décoration intérieur des maisons, certaines gardent le style
traditionnel. La maison est simple, les couleurs ne viennent que des tapis traditionnels, des
banquettes et coussins, des tentures mises au mur. D’autres ont adopté des décors arabes. Une
maison par exemple avait de la faïence sur tous les murs39
. Même si les religieux ne veulent
pas de décorations à l’intérieur des maisons (« utilisaient plutôt cet argent pour les
pauvres »), certaines femmes veulent avoir le droit de décorer leur maison. Elles ne se gênent
pas pour décorer leur maison mais sans marque d’ostentation. Dans la plupart des maisons, on
trouve par exemple, des grands tableaux de paysages exotiques40
. C’est souvent dans la salle
de réception des hommes que se trouve un grand meuble, un buffet souvent, avec des vases
pleins de fleurs en plastiques, des photos de l’arrière grand père de la famille décédé,… C’est
dans cette salle que sont mis de plus en plus de meubles.
38
Sortes d’esprit, cela peut s’apparenter à nos fantômes. 39
Voir photo en annexe 8 40
« Exotiques » comprenant pour les mozabites : les montagnes enneigées, les vallées et grands arbres, les
lacs,…
59
Conclusion
La place réservée à la femme mozabite de Guerrara est dans la maison. Les
représentations, les pratiques (répartition des tâches entre les sexes) nous indiquent que la
femme a son propre monde dans la maison. Spatialement, tout l’indique également. Les
femmes n’ont pas un droit complet à la ville. Elles possèdent un droit de passage qui leur
permet de mieux investir d’autres maisons (la maison de la fraction, de la palmeraie, d’une
connaissance). Seul le cimetière est un lieu public à ciel ouvert où les femmes peuvent aller.
Mais nous avons vu qu’elles doivent dans ce lieu comme dans la ville respecter un certains
nombres de règles strictes pour apparaître dehors. Le choix de la maison comme témoin des
évolutions possibles des conditions de vie des femmes était donc incontournable.
Des mozabites dans des maisons par plans type
Face à l’architecture traditionnelle, à l’organisation de la maison mozabite et aux
pratiques des femmes à l’intérieur, que pouvons nous conclure sur les nouveaux habitats de
l’OPGI et des promoteurs ? Quel est le décalage entre leurs représentations de l’architecture,
leurs pratiques et la conception architectural professionnelle ? Pour commencer, rappelons
que ces maisons ne sont pas localisées dans des lieux très attrayants pour les mozabites. Cette
localisation éloigne la famille de la sécurité apportée par la communauté, de la vie religieuse
(qui est très importante pour les mozabites). Surtout, elle crée une dépendance de la femme
envers les hommes de sa famille puisqu’elle ne pourra plus effectuer ses déplacements
uniquement à pied. La voiture reste toujours aux mains des hommes. Nous avons déjà dit
qu’un grand nombre de mozabites migrent périodiquement au Nord, laissant femmes et
enfants. Comment les femmes peuvent-elles se déplacer lorsque leur mari est absent pour les
transporter ? Ensuite, la maison ne se prête pas toujours au milieu aride et aux mœurs des
mozabites. Il n’existe pas de caves parce que couteuses dans ces maisons. Elles sont parfois
remplacées par des climatiseurs. Les fenêtres, parfois trop grandes et mal disposées créent de
la chaleur dans la maison. Elles ne sont pas très appréciées puisqu’elles ne préservent pas des
regards extérieurs. Le plus important est pour les mozabites de préserver la qualité de leur vie
intime, privée par une maison protectrice. Elément remarquable de l’architecture mozabite, le
« chebek » n’est pas repris dans ces nouvelles constructions. Il est réputé pour éclairer et aérer
la pièce centrale de la maison. Les inconvénients s’ajoutent, puisque les fenêtres grandes étant
souvent condamnées (paravent ou autre), ils ne restent même pas l’ouverture vers le haut pour
éclairer la maison. L’entrée de la maison n’est pas toujours faite en chicane. Même si elle est
parfois accompagnée d’une petite cour qui permet de couper le regard, les maisons parfois
accolées par deux ont des entrées en face à face. Le vis-à-vis peut être source de dérangement
pour les mozabites. De plus, la vie publique commence à sa porte avec la rue (parfois une
place directement). Il n’y a pas de passage doux comme on pouvait le constater dans le ksar
entre la maison, la ruelle à usage résidentiel, la rue et la place. Cela perturbe les pratiques des
femmes dans la ville. Enfin, la petitesse des logements peut poser des difficultés dans la
coexistence des hommes et des femmes d’une même maison. Les maisons ne regroupent
souvent qu’une famille restreinte, les flux sont donc libres. Mais les femmes mozabites ont
une forte sociabilité qui s’exprime dans les maisons. Elles devront donc mettre leurs hommes
dehors pour recevoir ; ou elles s’accommoderont d’une seule pièce et d’un sanitaire pour
hommes et femmes. Cela rendra la vie très difficile aux femmes comme aux hommes. Cette
architecture n’a pas que des points négatifs. Toutes ces opérations sont de style petites
maisons individuelles. Ainsi chaque foyer possède son indépendance par rapport aux voisins.
Il n’y a pas de parties communes comme dans un immeuble dans ces zones résidentielles.
L’horizontalité des habitations, la limitation de hauteur préserve la vie privée. Aucune
60
habitation n’a vue sur la terrasse du voisin. L’architecture reprend également un élément fort :
le toit terrasse et les murs acrotères protecteurs. Ils permettent aux femmes d’avoir un espace
ouvert sur l’extérieur et de se sentir à l’aise car protégées des regards. Elles sont de tailles
moyennes. Elles sont également indispensables pour pouvoir profiter de la brise des nuits
estivales. Pour finir, cette maison peut être un bon moyen pour un couple sans enfants ou avec
des enfants petits de s’émanciper vis-à-vis de la maison familiale qui regroupe la famille
élargie. Il faudra s’adapter aux nouvelles conditions de vie, réinventer des pratiques. La
situation peut paraître acceptable si le couple a un autre point de chute (grande maison des
parents, d’un frère ou autre). En effet, pour tous les évènements importants de la vie, il faut
pouvoir organiser une fête dans une maison (naissance d’un enfant, circoncision, fête
religieuse,…). Mais cela ne pourra être une solution que pour une période courte de la vie
d’un couple. Plus les enfants grandissent et plus le besoin de place se fait sentir. Les enfants
ne peuvent plus dormir ensembles (après la puberté). Les garçons vont se marier et il faut
prévoir une chambre pour le jeune couple. Il faut donc construire sa propre maison et comme
disait A. Pavard dans le film, Lumières du Mzab : « Echanger, vendre, acheter, c’est la
tradition du Mzab ». Ils perpétuent donc la tradition en revendant avec une plus value leur
logement OPGI souvent aux non-mozabites.
Les professionnels doivent-ils s’adapter à la demande mozabite ?
Est-ce que ces maisons construites par l’OPGI et des promoteurs privés peuvent
changer les manières de vivre des femmes ? Ce que l’on remarque, c’est que plutôt que de
changer leurs habitudes, les mozabites vont adopter des stratégies de contournement pour
adapter le logement à la vie de la femme mozabite. Les pratiques sociales et la quotidienneté
sont d’une grande inertie : ajouter des rideaux qui sont mobiles selon les situations, mettre les
hommes dehors, diminuer le nombre de ses sorties, garder un point de chute chez les beaux
parents,… Ces adaptations diminuent le confort de la femme en règle générale. Au regard, de
cette situation, on peut se demander si l’offre de logements publics et promotionnels est
réellement destinée aux mozabites. Certains évènements récents à Guerrara repris dans les
journaux ont montré la colère des mozabites face aux offices publics. En plus des faibles
demandes de ce type de logement par les mozabites, les offices sont accusés de préférer les
dossiers des populations arabes dans les attributions. Les mozabites sont réputés pour leur
débrouille, leur organisation communautaire (qui aide les plus démunis) ; ils ne seraient donc
pas prioritaires. Ces logements sont-ils faits et pensés pour accueillir des mozabites ? L’Etat
par le biais du logement social mais aussi des financements apportés aux promoteurs privés
pour impulser la construction immobilière, veut-il loger des mozabites ? Et comment veut-il
les loger ? Tant que les logements ne seront pas adaptés à la demande, les mozabites
préfèreront la débrouille, ce qui confortera les offices dans leurs attributions et dans la
conception des logements. C’est donc un cercle vicieux. Même si l’Etat montrait une forte
volonté à vouloir construire du logement à Guerrara adapté aux mozabites, une autre question
se pose. En se servant de l’expertise citoyenne, du savoir des habitants et des architectes,
bâtisseurs mozabites pour concevoir des maisons adaptées aux mozabites (la parole des
habitants serait alors considérée comme porteuse d’une rationalité relative), est-ce que nous
n’acceptons pas par la même occasion de figer la place de la femme telle qu’elle est pensée
encore actuellement au Mzab ? Reproduire en quantité un modèle architectural qui garde en
ses murs une philosophie, une doctrine sociale, culturelle et religieuse, c’est y adhérer et
promouvoir cette philosophie qui demande aux femmes d’être récluses. De plus, faire du
logement pour les mozabites, c’est exclure tout un pan de la population (les populations
61
arabes) puisqu’ils n’ont pas les mêmes pratiques, croyances41
. La question qui se pose pour
les acteurs qui construisent du logement au Mzab est : doit-on et peut-on discriminer les types
de construction, de projet en fonction des futurs habitants ? Cela ne créera-t-il pas des
nouveaux quartiers communautaires ? Et doit-on lutter contre ces quartiers (puisqu’ils peuvent
être de véritables quartiers ressources pour les mozabites de toutes classes sociales) ? La suite
de ce travail se trouve surement dans la recherche des différentes logiques des acteurs
professionnels tels que les architectes, les offices et promoteurs. Y-a-t-il des idéologies de
conception intentionnelles derrière l’habitat exogène ou répondent-ils uniquement à des
contraintes spatiales et économiques ? Tout au long de cet exposé, les logements par plans
type ont été vus de manière critique et plutôt négativement par rapport au mode de vie
mozabite. Nous pouvons nous placer d’un autre point de vue. Les logements actuels
pourraient être une manière de rapprocher les communautés et cela passerait alors par un type
d’habitat standardisé pour populations arabes et mozabites. Le logement par les valeurs qu’il
sous tend exercerait une pression de « moralisation » sur les mozabites. Comme les premiers
logements de masse des ouvriers en France qui devaient les « civiliser », leur apprendre ce
qu’est l’hygiène, les logements de Guerrara peuvent être un moyen de faire évoluer les
mozabites pour plus d’ouverture sur l’extérieur (on y ajoute des fenêtres), une vie plus tournée
sur la famille restreinte (on fait des petits logements), une mixité hommes-femmes (on intègre
qu’un seul sanitaire), des femmes plus visibles (on fait des vis-à-vis, des petites places devant
les logements,…). Se placer de ce point de vue est hasardeux. En effet, on ne peut pas
imposer d’un point de vue éthique un nouveau mode d’habiter (qui est pensé comme meilleur)
à des individus pour faire évoluer la position de la femme. « Nous pouvons citer comme
exemple un architecte marocain qui, dans une enquête, nous disait faire de beaux et bons
logements, son problème étant que les Marocains, trop « arriérés », ne savaient pas vivre
dedans. Ou si un peu moins d’exotisme est supportable, nous pouvons faire référence aux
cités de transit, qui évoquent, au moins dans les discours, un logement intermédiaire qui
devrait permettre à son occupant, non seulement de trouver une situation pécuniaire qui lui
permette de payer un loyer normal, mais aussi un lieu d’apprentissage de l’habiter
convenable, sorte d’espace pédagogique du « bon logement ». »42
. Le cadre bâti n’a pas
vocation à être utilisé comme un instrument d’action des professionnels sur les habitants.
Cette instrumentalisation ou « orthopédie sociale » (comme le souligne J.P. Frey43
) perturbe
les comportements des individus et une de leur réponse peut être de contredire la conception
architecturale (exemple : construction de caves dans les maisons OPGI alors que c’est
interdit). Ce que cela crée est plutôt un retranchement, un repliement dans les pratiques
traditionnelles et une vie encore plus difficile pour la femme (à la mixité on préfèrera le
cloisonnement, aux fenêtres l’obscurité, aux espaces ouverts les rideaux, à la famille restreinte
la migration occasionnelle chez des proches, etc…). Il faudrait également pour la suite de ce
travail analyser le mode de production des logements et le montage financier qui contraint le
type de logement. Le programme quinquennal (2005-2009) lancé par l’Etat pour la
construction de 1,5 millions de logements tous types confondus montre l’urgence de la
question. Dans le cadre de cet objectif, la question du logement adapté à la différence des
modes de vie ne parait surement pas pertinente aux pouvoirs politiques. Il faut loger…loger
dans un standard industriel est déjà une évolution (logement propre, décent,…). Laurette
41
L’entretien avec le directeur de l’OPVM nous renseigne sur ce point. Des habitations construites à Ghardaïa
par l’architecte Ravéreau dans l’esprit traditionnel mozabite ont été toutes totalement modifiées par les arabes
qui y vivent. Seules les deux ou trois familles mozabites qui y résident ont gardé intact ces maisons. Ceci
témoigne de l’inadaptation mutuelle des différents types d’habitats selon les populations. 42
WITNER L., Normes de surfaces corrigée et conception du logement social, in Les faits du logis sous la
direction de WITNER L. et WELTZER-LANG D., Collection Vie et Société, ed. Aléas, 1996, 256p, p. 85 à 97. 43
Cours « Histoire architecturale de la société », à l’IUP.
62
Witner44
note par exemple que « Dans le cas du logement social les normes de financement
deviennent coercitives pour des raisons d’équilibre financier. Les constructions qui intègrent
des modalités de confort, non inscrites dans le décret relatif aux surfaces corrigées, s’avèrent
économiquement irréalisables. Pourtant ne pas les prendre en compte produit des bâtiments
nécessairement délocalisés et mal adaptés à la vie sociale. (…) Un espace inadapté sera
modifié ou transformera la pratique elle-même. Les exemples sont nombreux. » Comment
fournir, avec les contraintes financières existantes, une offre plus vaste, attentive à la diversité
culturelle et des modes de vie. Il serait peut être intéressant d’impliquer plus les habitants
(autoproduction totale ou partielle) même s’il y a des contraintes financières. De plus, il faut
laisser la possibilité aux habitants d’agrandir la maison lorsque cela devient possible
économiquement pour la famille. La force de la grande maison persiste car elle permet
l’accueil imprévu de tout membre de la famille et de remplir le devoir d’hospitalité sans
compromettre l’intimité de la famille restreinte.
La maison, élément déterminant des pratiques sociales de la femme ?
Même s’il ne s’agit pas d’imposer un mode de vie aux mozabites, il faut permettre
l’évolution. La question de la patrimonialisation peut être questionnée. Dans le sens où en
voulant protéger, figer une maison à un moment donné, ne cristallise-t-on pas la condition
féminine ? Le patrimoine est une intellectualisation (souvenons nous de cette époque) mais on
ne fait pas de considération pour celles qui sont les premières touchées par les maisons. Elles
subissent, encore une fois, le sort qu’on leur a réservé. Donnadieu C.et P., Didillon H. et J-M,
ainsi que Pavard C. ont montrés que les mozabites tiennent à leur propriété familiale. Ils ne
veulent pas partir, la vendre. Ils préfèrent reconstruire une maison moderne sur l’ancienne. Il
ne faut donc pas juste contenter celui qui veut conserver mais faire des compromis.
Les enseignements que nous apportent les autres sociétés, c’est que le changement de
la condition féminine arrive le plus souvent avec trois éléments : généralisation de la
contraception (la maitrise de son corps), les études et le travail salarié (indépendance vis-à-vis
de l’homme pourvoyeur). L’habitat (même s’il est lié à la femme) ne peut pas être un
déclencheur du changement du statut de la femme, il s’adapte aux évolutions par la suite.
Regardons alors où en sont ces trois facteurs déterminants à Guerrara. Les filles sont
scolarisées. Elles peuvent aller dans la medersa des filles (école privée financée par la
communauté) mais elles ne pourront pas poursuivre d’études supérieures. Les parents peuvent
choisir de les scolariser à l’école publique. Cela leur permet de poursuivre des études, encore
faut-il qu’elles aient de la famille dans une ville universitaire (Alger souvent mais Ghardaïa
vient de se doter d’une toute nouvelle université). Les mozabites n’acceptent pas de laisser
leur fille dans les cités universitaires, être seule, indépendante. Le prolongement des études
pour les filles a toujours été soumis à l’offre disponible au Mzab45
. Avec l’arrivée d’une
université à Ghardaïa peut être que le nombre d’étudiante va augmenter dans les années à
venir46
. Le travail salarié des femmes est toujours faible. Quelques femmes travaillent mais
toujours dans des secteurs qui les mettent en contact avec d’autres femmes (enseignantes,
infirmières, très peu de médecins, quelques femmes travaillent dans l’administration). Le
travail n’a pas encore permis aux femmes d’accéder à la ville. Enfin, la contraception
(traditionnelle ou moderne) est utilisée par les femmes, même si cela se fait en cachette (vis-à-
44
WITNER L., Normes de surfaces corrigée et conception du logement social, in Les faits du logis sous la
direction de WITNER L. et WELTZER-LANG D., Collection Vie et Société, ed. Aléas, 1996, 256p, p. 85 à 97. 45
A. PAVARD dans le film Lumières du Mzab (deuxième partie), explique qu’en 1974 la scolarisation des filles
au Mzab s’arrête au BEP. Les parents ne souhaitent pas les envoyer dans des pensionnats. C’est le même
phénomène aujourd’hui mais la barrière se situe au niveau du baccalauréat. 46
Voir annexe 6 : taux de scolarisation à Guerrara.
63
vis des autres femmes). L’Algérie se trouve dans sa phase de transition démographique, ce
moment où les progrès de la médecine, de l’hygiène et des conditions de vie aidant, la
mortalité infantile est très basse mais la natalité reste élevé. Les femmes ont eu jusqu’à 13
grossesses voire plus et ont le même nombre d’enfants adultes alors qu’elles en auraient perdu
la moitié auparavant. Cette forte natalité a créé un surpeuplement dans les maisons. Les
femmes signalent qu’en plus de ce surpeuplement, elles ont vu leur espace se réduire avec
l’arrivée du garage ou encore des salles réservés aux hommes. A cela s’ajoute le cout de la vie
élevée. Les femmes sont donc en train d’adapter leur comportement de fécondité, pour réduire
le nombre d’enfants par foyer. Toutes les jeunes femmes, jeunes mariées et jeunes mamans
me confirment qu’elles veulent 2, 3, 4 et au grand maximum 5 enfants. Le nombre de
grossesse des anciennes est sujet de plaisanterie. Il est signe de prestige pour la femme mais
c’est un prestige qui fait référence à un temps passé, révolu. Les femmes incorporent des
comportements de fécondité nouveaux. A ces trois éléments, j’ajouterai un quatrième
spécifique au Mzab et Guerrara : l’ouverture sur l’extérieur. Depuis des décennies les
hommes mozabites voyagent et ont une connaissance du monde international, ils vendent,
achètent, font des études. Mais ils laissaient les femmes au Mzab. Aujourd’hui, de plus en
plus de femmes partent avec maris et enfants s’installer dans toute l’Algérie. Ce qui pourrait
être perçu comme une grande évolution est pourtant à relativiser. Les conditions de vie dans
ces grandes villes sont parfois plus rudes pour les femmes (les logements sont encore moins
adaptés aux mœurs mozabites que les nouveaux habitats de Guerrara). Elles sont parfois plus
recluses dans ces villes qu’elles ne l’étaient au Mzab (liberté d’aller de maisons en maisons
qui n’est plus faisable dans les grandes villes). Les femmes affirment donc parfois qu’elles
préfèreraient vivre à Guerrara mais qu’elles veulent suivre leur mari. Enfin, le choix du futur
mari et les relations entre les fiancés évoluent quelques peu. La jeune femme n’est jamais
forcée de se marier (il existe parfois des pressions même si elles ne sont pas directes).
Lorsqu’ils sont fiancés, le jeune homme peut sans avoir peur des conséquences appeler la
jeune femme, lui envoyer des lettres, des sms. La femme lui répond également librement. Par
contre, il n’y a pas de tête à tête avant le mariage. Les évolutions timides dans le statut de la
femme expliquent pour beaucoup l’inadaptation des logements par plans type. La femme est
le pilier de la maison et de la société, c’est la gardienne des traditions, de la culture mozabite ;
la grande peur des conservateurs mozabites (hommes comme femmes) c’est que si elle sort de
son rôle dans la maison, de ce carcan, c’est toute la société qui éclate et qui s’effondre à ses
pieds. Cela confère un rôle très important à la femme qui en paye le prix fort, le prix de sa
liberté.
64
Glossaire :
Achira ou Tachert : la fraction. Cela désigne aussi la maison communautaire de la fraction.
Ajar : tissu porté par les femmes et couvrant le bas du visage.
Ammas n’taddart : “le centre de la maison”, volume central, comparable à un patio.
Azzabas : religieux regroupés dans un cercle la Halgat, érigent des règles pour la
communauté
Chebek : ouverture de forme rectangulaire aménagée dans le plafond du volume central.
Cheik : religieux les plus importants.
Haïk : tissu épais blanc, beige dont se drapent les femmes dehors.
Haram : interdit par la religion
Hidjab : foulard, voile.
Ikoumar : partie couverte de l’étage
Innayen : coin feu qui est la cuisine traditionnelle mozabite.
Ksar (singulier), Ksour (pluriel) : ville fortifiée traditionnelle mozabite
Taddart : maison
Tamnait : toit-terrasse
Tigharghart : partie découverte de l’étage
Timchent : plâtre traditionnel
Timsiridines : religieuses
Tisefri : salon des femmes
65
Table des illustrations
Carte 1 : Situation de Guerrara
Plan 1 : Maison traditionnelle du ksar
Plan 2 : Maison traditionnelle modernisée datant des années 60
Plans 3 et 4 : Maisons OPGI
Tableau 1 : Nombre de logements à Guerrara
Tableau 2 : Typologie de l’habitat à Guerrara
Figure 1 : Evolution historique de Guerrara
Figure 2 : Situation du projet promotionnel Nord
Figure 3 : Vue aérienne de logements OPGI
Figure 4 : Les possibilités d’extension de la ville
Figure 5 : Guerrara, les quartiers communautaires
Figure 6 : Localisation des lieux structurants de la ville
Figure 7 : Exemple de choix stratégique opéré par les femmes pour un passage dans la ville
Figure 8 : Femmes et habitat dans un environnement urbain différencié
Figure 9 : Visibilité problématique d’une femme dans une maison
Photo 1 : maison à tuiles
Photo 2 : la mosquée au centre de la ville
Photo 3 : une place qui n’accueille plus de marché
Photo 4 : des objets de l’univers féminin placés sur les tombes
Photo 5 : deux femmes dans une ruelle
Photo 6 : femme portant le haïk dans la ville
Photos 7, 8 et 9 : différents types d’ouvertures sur l’extérieur
Photo 10 : grande fenêtre avec vitre brouillée et rideaux
Photo 11 : fenêtres donnant sur rue et portes d’entrée en vis-à-vis (maison OPGI)
Photo 12 : toit terrasse avec mur protecteur (OPGI)
Photo 13 : protection au dessus de l’entrée d’une maison (main de Fatma)
Photo 14 : porte d’une maison grande ouverte
Photo 15 : entrée en chicane
Photo 16 : rideau devant la salle des femmes
Photos 17 et 18 : cuisine équipée
Photo 19 : cuisine traditionnelle
Photos 20, 21, 22, 23 et 24 : multiplication des salles d’eau et WC dans une maison
Photos 25 et 26 : cour intérieurs
Photo 27 : toit terrasse compartimenté
Toutes les photos ont été prises par Sarah Benaïssa
66
Bibliographie :
Ouvrages
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sur le logement et son usage ?, in Plan Construction numéro 140, Latour-Maubourg, 1979,
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Précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, Points Essais, 1972 (réédition de
2000), page 61 à 82.
BOURDIEU P., La domination masculine, Paris, Seuil, Points Essais, 1998, 176 p.
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.
DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites.
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GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1,
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LACOSTE-DUJARDIN C., Dialogue de femmes en ethnologie, Paris, La Découverte, 1977
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MERCIER M., La civilisation urbaine au Mzab. Étude de sociologie africaine, Alger,
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MOHAMMAD IBN CHATTIN IBN SOLAUMAN, Notes historiques sur le Mzab.
Guerara depuis sa fondation (trad. de A. de C. MOTYLINSKI.), Alger, A. Jourdan, 1885,
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RAVEREAU A., Du local à l’universel, propos recueillis par BERTRAND DU CHAZEAU
Vincent RAVEREAU Maya, Editions du Linteau, 2007, 145 p.
Articles
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L’Harmattan, 2003, 466 p., p 329-346.
67
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HADJIJ C., Des Femmes d’Alger dans leur appartement aux femmes dans Alger, [En ligne]
Site : www.lapenseedemidi.org/revues/revue4/articles/4_femmes.pdf. Consulté le 25 février.
NAVEZ-BOUCHANINE F., De l’espace public occidental aux espaces publics non-
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Site : http://www.navez-bouchanine.com/articles/espace-public.html. Consulté le 7 mars 2008
PINSON D., Culture résidentielle et système d’habitat, in Relations interethniques dans
l’habitat et dans la ville, agir contre la discrimination, BOUMAZA N., Paris, L’Harmattan,
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URL : http://clio.revues.org/document287.html. Consulté le 12 février 2008.
Film
PAVARD C., Lumières du M'Zab, 1969-1974, film 1 et film 2.
Sites web
www.joradp.dz (le Journal Officiel de la République Algérienne)
www.mhu.gov.dz (Ministère d’Urbanisme et de l’Habitat algérien)
www.opgi.dz/opgi_guardaia (Office de Promotion et de Gestion Immobilière de Ghardaïa)
www.wilayadeghardaia.org (site de la wilaya de Ghardaïa)
www.opvmg.org (site de l’Office de Protection et de Promotion de la Vallée du Mzab)
www.elwatan.com (journal en ligne El Watan)
www.algerie-dz.com (journal en ligne)
www.ghardaiatourisme.free.fr (site de l’Association d'Orientation Touristique de Ghardaïa)
www.dtw-ghardaia.com (site de la direction du tourisme de la wilaya de Ghardaïa)
www.alger-roi.net/Alger/documents_algeriens/documents_sommaire.htm (sommaire des
documents algériens par le service d’information du gouvernement général de 1947,
documents consultés : série monographies : Sahara, Le Mzab (partie 1 et 2); La culture
mozabite; Le neuvième centenaire de la fondation de Ghardaïa).
www.tafilelt.com (site du projet de ville Tafilelt)
www.dailymotion.fr (recherche : Guerrara, vidéos de mariages et fêtes religieuses)
68
Annexes :
Annexe 1 : Histoire et population
Annexe 2 : Vie sociale et religieuse
Annexe 3 : Situation économique
Annexe 4 : Quelques éléments sur la place des femmes au Mzab
Annexe 5 : Patrimoine de l’OPGI de Ghardaïa
Annexe 6 : Taux de scolarisation à Guerrara
Annexe 7 : Grille d’entretien pour les femmes mozabites
Annexe 8 : Photos
69
Annexe 1 : Histoire et population
Période préhistorique :
Les recherches restent toujours très limitées quant à l’identification des tous premiers
groupements humains qui s’étaient établis dans la région de la vallée du Mzab avant l’ère
islamique. Des sites archéologiques, des vestiges- témoins ainsi que des outils et matériaux
datant du paléolithique sont toujours préservés. Quelques écrits décrivent la présence de
communautés primaires Troglodytes dont l’habitat est creusé à même la roche calcaire dans
les collines environnantes sans en préciser la datation.
Période Islamique :
Création du mouvement ibadite et migrations
Les habitants du Mzab sont pour la grande majorité des musulmans kharidjites (« sortants »).
Le mouvement auquel ils se rattachent date du 7ème
siècle et a pour origine la lourde question
de la succession du prophète. Mohamed ne s’étant pas désigné un successeur, Ali prit la place
de khalife. Le gouverneur de Syrie prétendant au titre entra en guerre contre lui. Ali, pour
éviter le sang voulu s’en remettre aux arbitres. Mais certains partisans d’Ali refusèrent cet
arbitrage, en proclamant que « le jugement appartient à Dieu seul ». C’est donc ce groupe qui
fit scission. Le kharidjisme qui était né de cette divergence se découpa en différentes écoles
dont les Ibadites.
Des cheikhs propageaient la nouvelle doctrine à travers le Moyen-Orient. Des tolbas
(religieux) dont Abderrahmane Ibn Rostem partirent quant à eux au Maghreb. Au milieu du
8ème
siècle, ils arrivèrent dans le Sud de l’Algérie. Abderrahmane Ibn Rostem fonda la ville de
Tahert (761). Les imams (Rostemides) rendirent la ville riche et prospère. Son pouvoir
s’étendra dans tous le Maghreb et représentait l’idéal politico-religieux des kharidjites. Elle
s’effondra vers 909 après une agression des Fatimides chiites.
Les Ibadites (Rostemides) originaires de Tahert s’installèrent alors dans la région de Sedrata
et aux environs de l’actuelle ville de Ouargla. Sedrata brillera, elle aussi, très vite par sa
richesse. Et elle fut, elle aussi détruite vers 1075. Depuis, l’influence de la doctrine ibadite en
Algérie n’est plus très importante.
Le peuplement du Mzab par les Ibadites
Bien avant la destruction de Sedrata, des Ibadites sont partis à la conquête de nouveaux
territoires pour s’implanter. Cela répondait d’une part à des divisions internes. D’autre part,
les agressions successives des nomades demandaient de trouver un lieu où se protéger plus
facilement. Enfin, on peut se demander si le faste de la ville de Sedrata (décrit par les
historiens) n’était pas fuit pour retrouver une certaine austérité dans la future ville (ou bien ces
préoccupations sont apparues bien plus tard ?). En tous les cas, les Ibadites s’installèrent au
Mzab. Il existait des nomades et semi-nomades sur les lieux qui ont été convertis.
Des villes fortifiées furent édifiées en fonction du rythme de sédentarisation et du mouvement
migratoire. Dans la vallée du Mzab, les Ibadites créèrent cinq villes fortifiées (« Ksour ») dont
la première était El-Ateuf en l’an 1010. En 1048, ils bâtirent la ville de Mélika, peu après
Bounoura puis Béni-Isguen en 1050 et Ghardaïa en 1053.
La vallée du Mzab prit sa forme définitive plus tard, avec la construction vers le Nord des
villes de Guerrara en 1631 dans la vallée de l’Oued Zegrir et Berriane dans la vallée de
l’Oued Souelem par les deux fractions Ibadites chassées de Ghardaïa, les Affafras et
70
les Ouled Bakha. A sa fondation, le ksar de Guerrara jouissait d’une parfaite autonomie et
disposait de tous les attributs de souveraineté. La région dans laquelle la ville fut implantée
recelait de vastes terres enrichies en eaux.
Les autres populations venues au Mzab
Cette urbanisation de la vallée du Mzab ne fût possible que grâce à une entente des mozabites
ibadites avec les populations arabes de rite Malékite. Parmi les Malékites, on trouve les Béni-
Merzouk et M’dabih installés à Ghardaïa. Il y a également les Chaamba venus de la proche
Metlili pour s’implanter à Mélika (à la suite de l’accord de 1317 conclu avec les Ibadites) et
les Mekhama qui vivent en groupes restreints à Bounoura et El Ateuf. Il existait également
une forte communauté juive, originaire de Djerba (Tunisie) qui s’installa également au Mzab
avant de quitter la région en 1962 (à l’indépendance).
Époque coloniale :
En 1853, après quelques incidents, une délégation de mozabites se rendit à Alger pour y
rencontrer des représentants de l’Etat français. Ils ne représentaient pas toute la communauté.
Ils voulaient profiter de l’appui français pour s’imposer dans une querelle de çoffs (équivalent
de partis politiques). Ce groupe de mozabite ratifia une convention qui les proclamait soumis
à l’occupant mais libres dans l’exercice de leur coutumes, traditions et ils pouvaient continuer
à commercer (ils devaient simplement payer un tribut aux français). Suite à cette signature,
une bataille de çoffs éclata. Pour en finir avec cette situation, les français annexèrent le Mzab.
La pénétration militaire française a eu lieu en 1882. La colonisation Française, opérée assez
tardivement dans la région, n’a aucun impact particulier sur le peuplement de la vallée du
Mzab qui pourtant était considérée comme une plate forme stratégique pour une expansion sur
tout le Sud Algérien.
Le plus grand changement pour les mozabites fut l’implantation de l’administration coloniale
et la perte de pouvoir des instances traditionnelles mozabites de décision politique. Le rôle des
instances religieuses en fut par conséquent renforcé. La résistance au colonisateur fut surtout
portée par différentes écoles religieuses. L’école du cheik Bayoud de Guerrara prônait par
exemple un rapprochement avec les autres musulmans et se voulait tout à fait réformatrice
dans ce domaine. La seule question sur laquelle les mozabites et le colonisateur s’opposèrent
fut le service militaire. Les mozabites pensaient que d’un point de vue social et religieux, le
service militaire signifiait la fin de leur communauté car les jeunes auraient été amenés à
quitter le Mzab.
Au début de la guerre d’indépendance, les algériens avaient une certaine hostilité envers les
mozabites (boycott des magasins). Puis, les mozabites passèrent en 1956 un accord avec le
FLN, levant le blocus et déterminant les modalités de participation de la communauté à la
libération nationale. Au Mzab, le calme régna. L’indépendance fut proclamée en 1962.
Époque post – indépendance :
L’industrialisation du Sahara a considérablement impulsé l’activité de la vallée qui se trouve à
une centaine de kilomètres des champs pétroliers et gaziers dont l’exploitation fait de
Ghardaïa un centre de transit de la main d’œuvre industrielle.
71
Annexe 2 : Vie sociale et religieuse
Langues :
Les mozabites parlent une langue berbère qui leur est propre : le Tamazirt. Tous parlent
également l’arabe (apprentissage du coran et passage à l’école publique algérienne). Mais ce
sont surtout les hommes qui savent l’écrire et les plus jeunes (garçons comme filles).
Beaucoup d’hommes d’âges mures parlent correctement le français (période coloniale). Les
femmes et hommes plus jeunes qui ont étudié également.
Religion :
Les mozabites sont musulmans Ibadites. Cette doctrine se base essentiellement dans le Coran.
Pour eux, c’est la seule référence qui vient de Dieu et qui n’a pas été modifié par les hommes.
Ainsi, les Ibadites ne suivent pas les prescriptions de la Sunna fondée sur les « hadiths » (faits
et dires du prophète) et « l’ijtihad » (interprétation et exégèse du Coran). Ces textes conçus
tardivement sont discutables, selon les Ibadites. Mais ce n’est pas le cas de la parole de Dieu
transcrite dans le Coran. Ils rejettent l’idée de prédestination absolue et pense que l’homme a
le choix de construire sa destinée. Le travail et l’effort sont donc indispensables pour avoir
une vie honorable dans ce bas monde. L’égalité entre tous les croyants est une condition à la
vision politique de l’Ibadisme. Tout bon croyant peut atteindre l’imanat. Le pouvoir ne doit
pas être hégémonique mais rassembler toute la Oumma (nation). Les musulmans désignent
ceux capables de les diriger, sans distinctions de race, de couleur ou de lignée. Le cheik
Beyoud de Guerrara dit : « Nous essayons de mettre en pratique la démocratie et l’égalité
dans la vie de tous les jours. Chez nous, personne n’est désigné (ni droit divin, ni filiation).
L’élection est démocratique et seul compte le mérite et la valeur de l’homme »47
. Les Ibadites,
dans leur rapport avec le pouvoir, respectent l’ordre et l’obéissance, même si le pouvoir est
injuste, à condition qu’il n’ordonne pas la non-croyance, ni l’interdiction de pratiquer leur
religion car dans ces conditions, ils n’obéiraient pas. S’il est injuste d’une autre manière, les
ibadites se limitent aux conseils et à la prévention, sans faire de révolution sanglante.
L’Ibadisme est souvent considéré comme l’application de l’Islam dans la vie. Pour eux, la foi
seule ne suffit pas, il faut faire preuve d’œuvres terrestres respectables (pratiques de la
religion, égalité sociale, s’occuper des pauvres, des personnes âgées, etc...).
Structures sociales et politiques :
Les ksour du Mzab ont été indépendant jusqu’en 1852. Chaque ksar était organisé comme une
république théocratique. Nous allons voir les différents éléments qui les composaient : la
famille, la fraction, les çoffs, l’assemblée exécutive (Djemaa) et enfin les structures
religieuses. De nos jours, Le Mzab a les mêmes institutions que celles existantes dans toute
l’Algérie. Mais certaines instances traditionnelles persistent. Nous dirons lesquelles et quel
rôle elles jouent aujourd’hui.
La famille regroupait des individus dépendants économiquement. Elle est de type patriarcale
et monogame, car l’application stricte du Coran rend la polygamie difficile. Certains cas de
polygamie peuvent exister si la femme est stérile par exemple, mais la règle veut que la
première femme donne son accord.
47
In Lumières du Mzab, film de C. Pavard, 1969-1974.
72
Aujourd’hui, les familles élargies subsistent. Même si de nombreux couples ont leur propre
maison, ils ne s’éloignent pas beaucoup du reste de la famille et participent aux nombreuses
réunions. Les cas de polygamie sont toujours rares.
La fraction (« Achira » en arabe : tribu) est déterminée depuis des millénaires (création des
villes). Elle regroupe des familles à ancêtres communs et reçoivent d’autres éléments par
alliance. C’est l’unité administrative de base. Elle se réunit dans sa maison de fraction (La
Achira, Tachert ou maison communautaire). Chaque fraction élabore son arbre généalogique
et le tient à jour à chaque naissance ou décès comme un véritable fichier d’état civil. Ces
arbres généalogiques sont consultables dans chaque maison de fraction (cdrom). La fraction
prend des décisions en ce qui concerne les problèmes de la communauté et élit un
représentant, le mokkadem. Le mokkadem siège à l’assemblée exécutive de la cité. C’est la
fraction qui s’occupe des veuves, déshérités, orphelins, qui règle les conflits et qui prononce
l’excommunication en cas de non respect de la règle commune. C’est dans cette maison de
fraction que sont célébrés les mariages (les hommes et femmes séparés ou il peut exister une
maison pour chaque sexe). Aujourd’hui, les Achira sont au nombre de 9 à Guerrara. La plus
importante par son nombre et par son influence est celle des Ouled Allahoum (« les fils des
plus haut »).
La fraction conserve tous son dynamisme aujourd’hui dans la vie sociale et culturelle des
mozabites. Elle est un élément rassembleur dans Guerrara. Tous les mozabites se réfèrent à
leur fraction d’appartenance dans la vie quotidienne.
Les çoffs (ligues ou partis politiques) étaient au nombre de deux dans chaque ville et
regroupaient chacun un certain nombre de fractions. Il n’y avait pas d’adhésion individuelle,
chaque fraction choisissait de se placer dans l’un ou l’autre des camps et pouvait en changer.
Les luttes entre les çoffs se faisaient essentiellement pour l’accession au poste de chef de
l’exécutif. Il y a parfois eu des guerres civiles qui ont aboutis à l’exclusion totale d’un çoff.
En période de paix, il y avait simplement alternance au pouvoir entre les çoffs. Les çoffs
n’avaient pas de représentation institutionnelle.
Les çoffs n’existent plus de nos jours et ont laissé place à la vie démocratique municipale
régit au niveau nationale.
L’assemblée exécutive des laïcs peut être mise en parallèle à un conseil municipal. Il existe
autant de membre que de fractions puisque chaque mokkadem siège à cette assemblée et
représente une voix. Il a un suppléant (naïb) qui ne siège qu’en cas d’absence du mokkadem.
Cette assemblée élit un représentant : le caïd (ou hakem) et son adjoint qui était choisi dans le
çoff opposé de celui du caïd. L’année suivante, il y avait permutation de çoff.
Cette assemblée s’occupe des affaires de l’ensemble de la cité et fait des règlements (ittifaqat)
si le pouvoir religieux le permet. Elle a une sorte de police et une garde qui veille à la ville
(des jeunes bénévoles font la « vigilance »). Elle gère une caisse qui est votée et distribuée
dans les fractions. Elle dirige les travaux de constructions, mise en état, des bâtiments
religieux, publics. Elle s’occupe de la répartition des eaux dans les palmeraies, de l’entretien
des barrages, rigoles, etc.…
Lors de la colonisation, le pouvoir de l’assemblée diminua et fut remplacé par le pouvoir
colonial. Les caïds n’étaient plus que des exécutants de ce pouvoir. En 1950, le caïd est
nommé directement par l’administration militaire française. La suppression des élections du
caïd arrêta le jeu politique entre les çoffs.
A l’indépendance, les habitants ont dû participer aux conseils municipaux et régionaux.
Chaque ville a des représentants élus qui peuvent faire jouer la démocratie dans le même
esprit que les mokkadem. La Djemaa lorsqu’elle existe encore n’a plus qu’un rôle limité par
73
rapport à avant. Pour autant, à Guerrara elle perdure. Elle continue à s’occuper des affaires de
la communauté. Elle a conservé la « vigilance », s’occupe des œuvres sociales, des mariages
collectifs, etc…De plus, il n’existe plus cette distinction aussi tranchée entre les structures
religieuses et laïcs puisqu’un chef de fraction peut également être un Azzaba (religieux, voir
ce qui suit).
Structures religieuses :
Les clercs (tolba) représentent l’élite religieuse. Il existe des cheikhs, ce sont les religieux les
plus importants. D’autres clercs moins importants peuvent enseigner le Coran et peuvent
aspirer à devenir cheikh.
La Halgat (instance religieuse de la cité) réunit douze cheikhs, appelés les Azzabas. Ils sont
choisis par cooptation entre cheikh. Le postulant a d’abord fait l’objet d’une enquête
minutieuse. Les Azzabas ont tous une responsabilité : il y a le muezzin (qui fait l’appel à la
prière), l’imam (la dirige), les laveurs de morts, ceux qui enseignent le Coran, ceux qui font
les rites du cimetière, distribuent la nourriture. Il y a la gestion des biens de la mosquée. Il faut
également juger à partir de la jurisprudence du droit coranique.
Les réunions de la Halgat sont secrètes. Elle a un très grand pouvoir puisque la Djemaa lui est
subordonnée. Elle fait des règlements (ittifaqat), approuve ou supprime ceux de la Djemaa.
Aujourd’hui, son pouvoir est réduit au spirituel mais elle prend des décisions sur la morale,
les mœurs, la religion, le droit, qui ont des incidences sur la vie des mozabites. Les membres
de la communauté ne font appel à la justice non-religieuse que lorsque leur litige n’a pu être
réglé par cette instance. Cette instance a une place importante à Guerrara et conserve un
pouvoir important sur les habitants qui se conforment aux règles établis par ces « sages ».
L’assemblée des Timsiridines réunit des religieuses femmes. Elle est sous la tutelle de la
Halgat et la seconde en quelque sorte dans les affaires qui concernent les femmes. Ainsi, elles
opèrent le lavage des mortes que seules des femmes peuvent effectuer sur des femmes. Elles
visitent souvent les maisons pour contrôler les mœurs et la morale. Leur désaccord avec un
comportement peut aller de l’interruption des visites, à l’excommunication et le refus de laver
la morte. Leur conservatisme a été et reste un facteur de cohésion de la communauté.
Le Medjeles Sidi Saïd est une assemblée de cheikhs mais cette fois venus de toute la vallée.
Ils se réunissent sur terrain neutre. L’assemblée est présidée par un cheik, élu pour cinq ans.
L’assemblée réfléchit sur les points de jurisprudence et de doctrine qui concerne la totalité de
la vallée. Elle délibère sur les intérêts communs et établis des ittifaqats (règlements) qui sont
des lois pour toute la population du Mzab.
Traditionnellement à Guerrara, on comptait 36 chargés du commandement : les douze
Azzaba, douze Mokkadem (il y avait six fractions qui désignaient chacune deux représentants
pour la Djemaa) et douze hommes appelés Mekaris, chargés de la police générale (deux par
fraction).
Toutes ces assemblées organisent la vie des cités et du Mzab. Chaque mozabite a des droits et
des devoirs. S’il transgresse la règle commune, plusieurs moyens de répression sont possibles.
Il existait (ou existe ?) des bastonnades codifiés et l’excommunication (toujours prononcée
par la fraction, la Halgat ou les Timsiridines). Toute cette organisation a réussi à maintenir
l’équilibre social, culturel, religieux de la communauté.
74
Annexe 3 : Situation économique
Climatologie :
Le caractère fondamental du climat Saharien est la sécheresse de l’air mais les micros -
climats jouent un rôle considérable au désert. Le relief, la présence d’une végétation
abondante peuvent modifier localement les conditions climatiques. Au sein d’une palmeraie,
on peut relever des différences de températures, par exemple. Le climat Saharien se
caractérise par des étés aux chaleurs torrides et des hivers doux, surtout pendant la journée.
Les écarts de températures entre la journée et la nuit sont très importants (pendant toutes les
saisons). La période chaude commence au mois de Mai et dure jusqu’au mois de Septembre.
Pluviométrie :
Les précipitations sont très faibles et irrégulières. A Ghardaïa, elles varient entre 13 et
68 mm sur une durée moyenne de quinze jours par an. Les pluies sont en général
torrentielles et durent peu de temps sauf cas exceptionnels. Dans le désert non seulement les
précipitations sont rares et irrégulières mais l’évaporation est considérable et plus importantes
que le niveau de précipitations.
La gestion de l’eau et la culture :
L'oued Mzab traverse ce plateau du nord-ouest vers le sud-est. Le découpage du territoire par
l’oued, lui a donné le nom de « toile », « dentelle » en arabe « chebka ». L’oued Mzab est la
plus part du temps sec et on ne perçoit que son lit sablonneux. Les crues boueuses suite à un
orage sont exceptionnelles. L’oued alimente des nappes phréatiques, ce qui a permis aux
mozabites de confectionner tout un réseau de puits. Les puits traditionnels fonctionnaient à
l’aide d’une poulie tractée par un animal sur un chemin de halage (âne le plus souvent). L’eau
était ensuite distribuée par un ensemble de barrages, rigoles, canaux à chaque jardin de
manière équitable selon les superficies. Cette irrigation traditionnelle équitable, assez
complexe existe depuis des millénaires. Les mozabites ont ainsi lutté contre l’aridité du sol et
ont réussi à s’établir dans cette contrée où ils cultivent des grandes palmeraies (palmiers-
dattiers) et à leur pied des arbres fruitiers de toutes sortent, des cultures potagères, etc.…
« Les hommes du Mzab ont inventé le système le plus performant et sans doute le plus
sophistiqué pour le captage de l’eau et pour la distribution équitable entre les exploitations.
Canaux, rigoles, tours de guet pour les crues, peignes, trémies, freins, plaine d’épandage et
d’infiltration pour les surplus qui réalimentent la nappe phréatique, puits, tunnels maçonnés,
puisants d’aération ; savantes combinaisons qui font qu’aucune goutte de pluie ne puisse être
perdue. Cette gestion sophistiquée de l’eau et sa distribution équitable participent d’une
morale religieuse et sociale. »48
En 1936, les premiers puits forés font leur apparition au Mzab. A Guerrara, avant la
découverte de la nappe phréatique albienne en 1958, le barrage el Foussaa constituait le
moyen fondamental pour la satisfaction des besoins en eaux potables et l’irrigation des
jardins. Aujourd’hui, les techniques modernes ont bien évidemment fait leur apparition et les
forages ont totalement remplacé les puits traditionnels. La distribution de l’eau s’effectue par
des tuyaux et un goute à goute est mis en place au pied de chaque palmier. Les besoins sont
croissants et les forages se multiplient. Les forages vont chercher l’eau à de grandes
48
Cf. site web de la wilaya de Ghardaïa, rubrique présentation générale.
75
profondeurs (de 350 à 500 mètres). Mais les réserves ne sont pas réalimentées et donc limitées
dans le temps.
Autres données économiques :
La culture des jardins réalisée grâce à ce système judicieux d’irrigation et l’élevage
constituaient les principales sources de revenus des premières communautés oasiennes
Mozabites. L’élevage, moins répandu, est traditionnellement réservé aux nomades. Lorsque
les palmeraies se sont avérées insuffisantes pour l’autosuffisance des populations locales, la
vocation commerciale a pris forme et s’est affirmée.
Le commerce reste une activité économique importante aujourd’hui pour les mozabites, ce qui
a permis à un certain nombre d’entre eux de s’enrichir rapidement. A l’origine, ils ont surtout
fait du commerce avec le Sahara et la région a accentué son rôle de carrefour commercial
caravanier de l'Afrique saharienne. Puis, ils ont créé des réseaux avec le Nord. Ce commerce
exige la migration des hommes dans le Nord pendant des périodes plus ou moins longues dans
l’année. Sans ces revenus extérieurs, il aurait été difficile pour les mozabites de se maintenir
sur leur terre. La vallée est devenue un centre caravanier qui amène un cercle de Nomades de
plus en plus important. Depuis le 18ème siècle, Ghardaïa est une plate forme commerciale et
caravanière où vont transiter l’ensemble des échanges commerciaux entre le centre du
Maghreb du Nord et l’Afrique Sahélienne, avec comme principaux produits d’échange, les
dattes, le sel, l’ivoire et l’or.
L’artisanat (surtout le tissage des tapis) est important au Mzab mais se limite à la
consommation familiale. Une production pour la vente sur les marchés ou boutiques du Mzab
existe tout de même.
L’industrialisation du Sahara a créé un certains nombres d’emplois (exploitation du pétrole et
du gaz). D’autres activités se sont implantées à Guerrara : des entreprises de BTP, une usine
de textile, des exploitations fermières (vaches), une usine de fabrication de produits laitiers
(qui fournit toute la région),…
76
Annexe 4 : Quelques éléments sur la place des femmes au Mzab
La communauté mozabite est une société patriarcale et patrilinéaire où ce sont les femmes
qui circulent entre les familles comme objet d’échange, d’alliance entre les différents
groupes (comme l’a expliqué Lévy Strauss). Si elles peuvent contribuer à orienter et
organiser les échanges matrimoniaux, les femmes n’en restent pas moins des objets
d’échanges sur le marché matrimonial. C’est d’ailleurs là ce qui explique la dissymétrie
fondamentale entre les hommes et les femmes. Ces dernières sont vouées à circuler, à
produire ou reproduire de l’honneur et des dons. Et parce qu’elles perpétuent ou
augmentent le capital symbolique détenu par les hommes, les femmes doivent
impérativement être conservées à l’abri de l’offense et du soupçon.
La femme ne peut se montrer aux hommes avec lesquels elle pourrait se marier. Comme
au Mzab le mariage entre cousins proches est permis et fréquent, cette restriction ne laisse
pas une grande liberté à la femme. Seuls son père, grand-père, ses oncles, frères et fils
pourront la voir librement ou avec un simple voile dans la maison. La femme se cache de
ses cousins, beau-frère et bien évidemment des étrangers dès sa puberté.
La femme doit se présenter vierge à son futur mari. Elle doit avoir un comportement
exemplaire de retenue et se montrer « timide » durant toute la cérémonie du mariage,
comme le dit la mère d’une mariée.
Les mozabites sont parmi les plus sévères en ce qui concerne le port du voile à l’extérieur.
Le haïk est une sorte d’immense châle épais blanc cassé qui entoure par deux fois la
femme mariée et qu’elle rabat sur son visage en laissant l’ouverture pour un œil. Le port
du haïk protège du regard des hommes. Il laisse tout de même entrevoir les chevilles et les
chaussures de la femme, il faut donc mettre des chaussures simples, sans décorations, ne
pas faire apparaître un signe de beauté devant les hommes. La femme porte donc des
chaussures sans talons. Le bruit pourrait attirer le regard de l’homme. De plus, le haïk est
le même pour toute les femmes, ainsi, en marchant dehors personne ne peut distinguer la
femme riche de la pauvre. Les mozabites à Guerrara tiennent à leur doctrine qui prône
l’égalité sociale entre tous. Une femme qui ferait apparaître sa richesse avec ostentation
serait vraiment mal perçue par les autres. En ce qui concerne, la tenue de la femme, les
Timsiridines sont très vigilantes sur le sujet. C’est un des éléments de la vie quotidienne
qu’elles peuvent contrôler très facilement.
Les sorties des femmes sont également contrôlées. Cela peut être des visites à une femme
(famille, amie, voisine), un passage au cimetière. Elle envoie les enfants pour lui faire ses
achats personnels ; ce sont les hommes qui s’occupent d’amener la nourriture à la maison.
Les boutiques réservées aux femmes existent pour les veuves qui n’ont pas d’enfants, elles
ne sont pas très fréquentées par les autres femmes.
Les têtes à tête entre un homme et une femme dans l’espace partagé sont prohibés,
certaines femmes lorsqu’elles croisent un homme dans la rue se tournent même vers le
mur. Les femmes ne sont pas présentes dans la ville de manière immobile.
Plus la femme est âgée, plus elle a d’autonomie dans ses sorties et ses activités. La femme
âgée a beaucoup d’avantages liés à son âge. Elle a une plus grande liberté dans ses sorties
(peut sortir à son grès). Elle peut faire des courses dans des boutiques. Elle travaille
beaucoup moins. Cette liberté peut s’expliquer par le fait qu’étant sortie du marché
matrimonial et ne pouvant plus enfanter, elle ne représente plus un enjeu majeur pour la
communauté.
La juridiction ibadite reconnaît à la femme quelques droits importants (biens inaliénables
c'est-à-dire que son héritage lui est assuré, conditions dans le contrat de mariage : divorce
si elles ne sont pas respectées ou si le mari s’absente plus de 2 ans sans donner de
77
nouvelles, etc.…). La femme, dans la tradition ibadite, jouit d’une instruction et d’une
autorité. L’instruction des femmes est une règle. L’égalité des hommes et des femmes en
matière de religion est préconisée. Apprendre à lire et à écrire à la fillette pour lui rendre
plus intelligible la prière est un devoir.
L’espace de la vie privée, le dedans, voire le domestique, la maison est dévolue aux
femmes. Elle y pratique toutes ses activités. La division sexuelle du travail est clairement
marquée.
C’est la mère qui assure l’éducation des jeunes enfants. Elle doit donner les soins
maternels aux enfants. Pour ses fils, cela se fera jusqu’à qu’il passe dans le monde des
hommes avec le père. La fille se trouve sous sa responsabilité jusqu’au mariage. C’est
également, la femme qui s’occupe des tâches de la maisonnée : entretien, cuisine,
tissage,…C’est elle qui doit faire la nourriture personnelle de son mari.
En plus de sa valeur en tant que procréatrice, la femme est considérée comme un élément
fort qui permet de maintenir la société. La vie de la femme est donc réglementée jusque
dans ses moindres détails. Le cade religieux et social enserre étroitement la femme. Les
mozabites se cramponnent à leur sol et y fixent la femme. L’acharnement qui leur a fallu
pour rendre le sol cultivable et habitable ne suffit pas à permettre la survie de toute la
communauté. Les migrations sont nécessaires pour faire du commerce (une des activités
les plus répandue dans le Mzab). Si un homme migre vers le nord, il ne part pas
définitivement. Il doit toujours revenir au Mzab, c’est pourquoi la femme n’avait pas le
droit de quitter le pays de l’oued Mzab (cette règle est aujourd’hui quelque fois
contournée). La migration est nécessaire pour la survie mais celle-ci aurait pu entrainer la
perte de la société. La femme a donc un rôle social de maintien de la communauté
mozabite. De plus, en éduquant les enfants dans la tradition c’est elle qui perpétue la
société.
Au Mzab, est apparue la nécessité de créer une organisation religieuse propre aux femmes.
L’assemblée des Timsiridines (religieuses) effectue le contrôle des mœurs au Mzab. Ce
sont donc des femmes elles-mêmes qui se chargent d’être le relais de la domination
masculine. Ces femmes clerc et laveuses ont étudiées l’arabe du coran, ce sont elles qui
chantent les souhaits rimés (sortes d’hymnes). Elles ont, par exemple, été un frein à
l’introduction de nouvelles techniques comme l’électricité apparue au Mzab vers 1930 et
leur maison de réunion de Béni Isguen ne l’a eu qu’en 1971. De plus, elles ont le pouvoir
d’excommuniée une femme de la communauté parce qu’elle se serait mal comportait.
L’excommunication des femmes peut avoir plusieurs justifications : « Si une femme se
pare en l’absence de son mari (parti dans le nord) on l’excommunie. Si les femmes vont
danser dans les noces ou chanter ou si elles ont une mauvaise conduite (elles sont
excommuniées). Si une femme marche sans voile, (elle est excommuniée). Une fille,
devenue pubère doit se voiler entièrement et mettre des chaussures, sinon elle est
excommuniée. A sa mort les laveuses ne mettent pas l’excommuniée dans le linceul, sauf
si elle s’est repentie, et on ne participe pas au repas du cimetière. La laveuse-chef est une
clerc importante, c’est elle qui lance l’excommunication. Quand les femmes se réunissent
pour la psalmodie coranique, elle leur dit : ‘une telle fille d’un tel est excommuniée !’. 49
».
Les Timsiridines quittent la sphère stricte de la «féminité» (au sens de tâches dévolues)
pour celle plus large de la religiosité. Mais pour sortir du cadre étroit de la féminité et
acquérir la parole (la parole masculine), elles consentent à intégrer dans leur vision du
monde les schèmes de perception, d’appréciation et d’action des dominants dont elles sont
les porte-parole mandatés, des porte-parole d'autant plus efficaces qu'elles sont dominées.
49
DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.
78
L’activité professionnelle est rare pour la femme. Lorsqu’elles travaillent, les métiers
qu’elles choisissent se trouvent souvent être liés à leur féminité (infirmières, médecins
plus rarement, institutrices,…). Elles seront donc confrontées essentiellement à des
femmes durant leur travail. Cela rassure les hommes et leur permet de concrétiser leurs
aspirations.
Annexe 5 : Patrimoine de l’OPGI de Ghardaïa
Le patrimoine de l’Office sur toute la wilaya se présente comme suit :
Désignation En location En cession Total
Logements 5.040 1.773 6.813
Locaux 179 143 322
TOTAL 5.219 1.916 7.135
Source : site de l’OPGI de Ghardaïa
Annexe 6 : Taux de scolarisation à Guerrara
Taux de scolarisation par commune (en jaune Guerrara)
Année Scolaire 2005/2006
Commune Taux de Scolarisation ( en % )
06 Ans 06 – 13 Ans 06 – 15 Ans 16 – 19 Ans
G F Total G F Total G F Total G F Total
Ghardaia 99,91 76,24 89,41 99,42 62,10 81,37 98,96 67,11 84,90 57,45 45,01 51,63
El-Ménéa 97,30 99,53 99,42 95,40 96,75 95,49 99,09 97,43 98,27 67,51 59,68 62,55
Daya 96,71 98,37 97,45 97,22 99,40 98,57 99,93 96,36 98,16 67,22 56,45 60,85
Berriane 99,66 99,01 99,33 97,82 95,33 96,72 99,53 90,79 95,26 66,98 54,24 60,79
Metlili 99,77 99,76 99,77 98,43 98,93 98,69 99,16 97,29 98,26 67,80 58,98 62,42
Guerrara 96,92 62,33 80,08 92,15 60,16 75,22 97,90 62,37 80,63 55,78 47,69 52,23
El-Atteuf 96,09 86,36 92,39 95,94 76,90 88,72 91,61 77,50 85,51 66,07 42,72 55,60
Zelfana 100 100 100 99,52 98,46 98,99 99,83 97,52 98,69 97,41 59,54 71,18
Sebseb 100 100 100 98,84 98,66 98,72 97,20 93,21 95,15 62,22 56,25 60,66
Bounoura 99,23 66,67 86,71 96,59 56,33 76,16 95,81 65,11 83,12 57,73 49,47 53,58
Hassi-El-F’hel 100 100 100 99,13 99,67 99,40 97,89 95,99 96,98 71,43 60,71 66,67
Hassi-El-Gara 99,08 99,39 99,21 96,29 97,42 96,55 99,16 93,03 96,06 39,31 58,49 49,30
Mansoura 100 100 100 98,16 98,70 98,40 98,29 92,29 95,29 63,91 58,27 61,15
Total 98,97 84,58 92,30 96,92 80,23 88,68 98,33 80,57 90,01 60,20 53,61 56,72
Source : site de la wilaya de Ghardaïa
79
Annexe 7 : Grille d’entretien pour les femmes mozabites
Thème 1 : les représentations face à l’habitat
Si tu expliquais ce qu’est la maison mozabite, à quelqu’un qui n’est jamais venu au Mzab,
qu’est-ce que tu lui dirais ?
La maison, cela signifie quoi pour toi ? Est-ce que c’est important ? Et la rue, la ville ?
En quoi est-ce ta maison ou bien celle d’un groupe ?
Comment te sens-tu dans ta maison ? (relance : Que penses tu de ta maison ? que représente
pour toi ta maison ? quelle image as-tu de ta maison?)
Taille
Configuration
Thème 2 : les pratiques de mises en valeur de l’habitat
Qu’est-ce que tu fais pour améliorer ton logement ?
Quels sont les entretiens quotidiens ?
Y-a-t-il eu des travaux de remise en état, d’améliorations, d’agrandissement,… ?
Est-ce que tu as acheté du mobilier, de la décoration,… ?
Est-ce que tu fabriques des tapis pour ta maison ou autre ?
Thème 3 : les pratiques d’investissements des lieux
Temps passé dans le logement?
Qui y passe le plus de temps?
Que fais tu dans cette pièce? Pourquoi? Quand? Qui? Etc.…
Thème 4 : le confort/inconfort du logement
Est-ce que tu trouves ta maison confortable ? Selon réponse : que voudrais-tu y changer ? Que
voudrais-tu garder ?
Est-ce que la maison est adaptée à tes activités de la journée ?
Est-ce qu’elle est pratique lorsqu’il y a des hommes ?
Y-a-t-il des lieux qui posent problèmes ? Quelles sont les adaptations ?
Thème 5 : la relation avec la ville
Dans ta journée, est ce que tu sors dans la ville ?
Pourquoi ? Combien de temps ?
Qu’en penses-tu ?
Un itinéraire unique ou varié ? Raisons des sorties ? (va voir une maison ou des femmes ?)
Thème 6 : les transformations depuis la maison de son enfance (pour les femmes âgées)
Peux tu comparer la maison de ton enfance et celle-ci ?
Dis-moi quelles sont les plus grandes modifications ?
Est-ce que ta manière de vivre à beaucoup changée depuis ce temps là ? Surtout par rapport à
quoi ?
Est-ce que tu sors plus dans la ville qu’autrefois ?
Thème 7 : les souhaits pour le futur
Les souhaits pour le futur (aménagement, construction d’une nouvelle maison ou d’une
maison à soi pour les jeunes couples)
Pourquoi as-tu ces projets ?
Penses-tu que tu les réaliseras ?
Thème 8: profil de tous les individus composant le ménage
Peux-tu me dire combien de personne vivent dans la maison ?
Age
Sexe
Situation professionnelle, familiale
80
Annexe 8 : Photos
Photo 1 : tour de guet et remparts autour du cimetière Photo 2 : la mosquée de Guerrara
Photo 3 : l’ancienne palmeraie de Guerrara
Photo 4 : toit terrasse avec mur protecteur (OPGI)
Photos 5 et 6 : rideaux de fenêtres et rideaux placés devant le lit dans une même chambre
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Photo 7 : cave aménagée en chambre
Photo 9 : terrasse du 1er
étage Photo 10 : future cour d’entrée d’une maison OPGI
Photo 8 : le chebek de la pièce centrale
Photo 11: salle des hommes située près de l’entrée Photo 12 : tisefri avec télé
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Photo 13 : plateau comprenant lait et
dattes pour accueillir des visiteurs
dans la maison
Photos 14 et 15 : chambre d’un jeune couple marié
Photo 16 : maison décorée avec de la faïence
Photos 17 et 18 : de plus en plus de meubles dans la salle de réception