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1 Institut d’Urbanisme de Paris MASTER «URBANISME ET TERRITOIRES» Mention «URBANISME» Mémoire 1 ère année BENAÏSSA Sarah Femmes mozabites et habitat à Guerrara (Algérie) Etude sur l’adaptation culturelle à un nouveau type d’habitation Directrice de mémoire : Liliane Pierre Louis 2008

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Institut d’Urbanisme

de Paris

MASTER «URBANISME ET TERRITOIRES»

Mention «URBANISME»

Mémoire 1ère

année

BENAÏSSA Sarah

Femmes mozabites et habitat à Guerrara (Algérie)

Etude sur l’adaptation culturelle à un nouveau type d’habitation

Directrice de mémoire : Liliane Pierre Louis

2008

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Résumé :

A Guerrara, le domaine des femmes mozabites est la maison. Leur mode de vie est

intimement lié à leur mode d’habiter cet espace. La maison est l’espace le plus investi par les

femmes. C’est le lieu de la vie intime, privée des femmes et de la famille mais c’est également

un lieu de sociabilité féminine. L’habitat vernaculaire mozabite dans son architecture, sa

configuration, son aménagement et les pratiques qui lui sont liées, témoigne de la place des

femmes dans la communauté. Avec l’arrivée d’un nouveau type d’habitat exogène (logement

social public ou privé) quels changements pourraient survenir dans le mode de vie et le mode

d’habiter des femmes ? Nous évaluons ici l’adaptation d’un nouveau type d’habitat face aux

habitus des femmes mozabites et l’impact des changements éventuels sur la place des femmes

dans la communauté. Cette étude qui s’appuie sur une méthode ethnographique pose la

question du lien entre femmes et habitat dans un milieu encore très marqué par une

représentation et une organisation genrée du monde.

Mots clefs :

Guerrara, femmes mozabites, habitat vernaculaire, habitat exogène, mode de vie, mode

d’habiter, adaptation culturelle.

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Remerciements :

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidées à réaliser ce mémoire :

En premier lieu ma directrice de mémoire Mme Liliane Pierre Louis pour son encadrement,

ses conseils et remarques constructives.

Ma famille et mes amis pour leur soutien et leurs conseils.

Tous les acteurs rencontrés à Guerrara, Ghardaïa pour leur disponibilité et les informations

précieuses qu’ils ont pu m’apporter.

Enfin, toutes les femmes de Guerrara qui m’ont ouvert leur porte, qui se sont confiées à moi

et qui m’ont accordée leur confiance ; ce travail n’existerait pas sans elles.

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SOMMAIRE :

Remerciements : .................................................................................................. 1

Préalable : le Mzab, Guerrara, les mozabites ................................................... 5

Introduction ...................................................................................................... 7

1. L’habitat à Guerrara : typologie architecturale .................................. 11

1.1. L’habitat traditionnel du ksar ............................................................................... 11

1.2. L’habitat traditionnel remodelé, modernisé ......................................................... 13

1.3. L’habitat exogène ................................................................................................. 16

1.4. Tableau récapitulatif des typologies ..................................................................... 20

2. Femmes et maisons dans leur environnement urbain ......................... 21

2.1. La maison et la femme, éléments structurants de Guerrara ................................. 21

2.1.1. La localisation des maisons : l’expression d’enjeux communautaires ......... 21

2.1.2. Faciliter les déplacements et la vie sociale de la femme dans la ville.......... 24

2.2. Les espaces publics sont-ils exclusivement masculins ? ...................................... 26

2.2.1. La mosquée, les places et la palmeraie, l’apanage des hommes .................. 26

2.2.2. Le cimetière, une présence relative des femmes dans un espace ouvert ...... 27

2.3. La ville, simple sas de passage pour la femme .................................................... 30

2.3.1. Passer dans des rues, ruelles, places,… ........................................................ 30

2.3.2. Eviter la mixité homme-femme et le regard des hommes ............................ 31

2.3.3. L’espace public, un construit culturel qui renvoie la femme à la maison .... 36

3. La maison, le domaine des femmes ....................................................... 37

3.1. La maison conserve l’intimité et l’intégrité de la femme ..................................... 37

3.1.1. Une maison introvertie ................................................................................. 37

3.1.2. L’entrée dans la maison ou le passage d’un monde à l’autre ....................... 40

3.1.3. Se protéger des regards à l’intérieur de la maison........................................ 42

3.2. La maison, lieu d’expression pour la femme ....................................................... 43

3.2.1. Faciliter le confort et les activités quotidiennes de la femme ...................... 43

3.2.2. Le soleil, un droit pour toutes ....................................................................... 47

3.2.3. La maison, lieu de sociabilité féminine par excellence ................................ 48

4. Les relations codées entre hommes et femmes dans la maison ........... 51

4.1. Pour une séparation des hommes et des femmes dans la maison ......................... 51

4.1.1. Le pouvoir des femmes ................................................................................ 51

4.1.2. Des parties indépendantes et des flux contrôlés ........................................... 52

4.1.3. La position particulière des enfants et des personnes âgées ......................... 55

4.2. Pour des relations apaisées…le rêve de la maison idéale .................................... 55

4.2.1. Une maison pour la famille restreinte en gardant un lien avec le collectif .. 56

4.2.2. Une maison où tout le monde a sa place ...................................................... 57

Conclusion ...................................................................................................... 59

Glossaire : ........................................................................................................... 64

Table des illustrations ....................................................................................... 65

Bibliographie : ................................................................................................... 66

Annexes : ............................................................................................................ 68

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5

Guerrara est une ville d’importance

régionale d’une superficie de 2900 km². Sa

population totale est de 58 058 habitants au

31/12/2005 dont 29 616 hommes et 28 349

femmes. La densité de peuplement est

faible (environ 20 habitant au km²). La

population est majoritairement urbaine

(55 257 urbains contre 2801 ruraux). La

taille moyenne des ménages est élevée (7,8

personnes par ménages). La ville possède

un taux d’accroissement naturel de 2,75%.

Elle a une forte croissance démographique,

urbaine, économique qui est permise

notamment par son sous sol riche en eau.

Source : www.wilayadeghardaia.org

(Site de la wilaya de Ghardaïa)

Préalable : le Mzab, Guerrara, les mozabites

Le Mzab se situe en Algérie, au sein de la wilaya (départements) de Ghardaïa.

Ghardaïa correspond également au nom de la capitale de la wilaya et du Mzab. Cette capitale

se situe à environ 600 à 700 kilomètre au sud d’Alger. La Wilaya de Ghardaïa est au centre de

la partie Nord du Sahara. Elle est issue du découpage administratif du territoire de 1984.

Le Mzab est un plateau rocheux dont l'altitude varie entre 300 et 800 mètres. Ce relief

se présente sous la forme d'une vaste étendue pierreuse et de roches brunes et noirâtres. Les

escarpements rocheux et les oasis déterminent le paysage dans lequel sont localisées les villes

de la pentapole du Mzab et autour duquel gravitent d’autres oasis.

A l'origine, le Mzab était un ensemble de 5 oasis de 72 km². Les cinq villes ksour et au

singulier ksar (petites villes fortifiées) sont : Ghardaïa, Béni-Isguen, El-Ateuf, Mélika,

Bounoura. Mais deux autres oasis isolées existent : Berriane (43 km an Nord de Ghardaïa) et

Guerrara (90 km au Nord de Ghardaïa et 75 km à l’Est de Berriane). Dans ce mémoire, la

ville étudiée est Guerrara. C’est une des plus récentes villes mozabite, construite en 1631, par

une fraction Ibadite chassée de Ghardaïa. Elle est située dans la vallée de l’Oued Zegrir. Le

choix de cette ville était évident pour des raisons de commodités. J’ai un lien particulier avec

ce territoire étant fille d’un mozabite immigré natif de Guerrara. C’est donc un point de chute

où je pouvais être logée et nourrie. C’est également une ville où il m’était beaucoup plus

facile de rencontrer des mozabites.

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Guerrara est peuplée par des berbères, les mozabites. C’est une minorité au sein de

l’Algérie qui se distingue des sunnites de rite malékite majoritaires en Algérie par le fait

d’être kharidjite ibadite. En s’installant dans cette région pratiquement vierge, aride, les

mozabites voulaient pouvoir exprimer librement leur morale religieuse, philosophique et

sociale. C’est la doctrine ibadite qui est à l’origine de la formation de la communauté

mozabite. Les mozabites sont donc des musulmans ibadites de culture et de langue berbère.

Ils sont de fervents pratiquants. Ils possèdent une organisation sociale et religieuse ancestrale

qui perdure encore aujourd’hui. Leur foi, leur culture et les institutions traditionnelles

alimentent chaque jour l’identité mozabite et communautaire. Le ksar répond à différents

besoins historiques : défense militaire et idéologique, nécessité d’échange économique avec

les nomades. La conception de cet espace humain et d’un modèle architectural a été pensé par

et pour les besoins et les convictions des mozabites. L’habitat vernaculaire de Guerrara

témoigne d’un mode de vie, d’une vision du monde, de valeurs et de pratiques religieuses

spécifiques.

D’un point de vue économique, malgré l’exploitation de palmiers dattiers, les hommes

mozabites ont été dans l’obligation depuis toujours de migrer pour pouvoir commercer et

survivre. Encore aujourd’hui, nous trouvons une majorité de commerçants chez les mozabites

qui effectuent des migrations périodiques vers le Nord (Alger souvent ou les grandes villes du

littoral). Le non éclatement de la communauté dépendait donc de la femme (qui ne pouvait

pas pendant longtemps quitter le Mzab).

La ville est également peuplée par des tribus bédouines arabes qui se sont

sédentarisées. Ici, nous ne nous intéresserons pas à la totalité des habitants de Guerrara mais

bien aux mozabites qui se distinguent donc par une langue, une culture, une religion, une

histoire différente des autres habitants non-mozabites. Les mozabites représentent 60 à 70 %

de la population totale de Guerrara.

Contextualiser cette étude est fondamental pour comprendre les propos qui vont

suivre1. En effet, la culture mozabite invite à oublier nos manières de penser le monde pour

pouvoir comprendre le leur. La relativité culturelle…voilà une notion qui prend tout son sens

lorsqu’on est confronté à un tel décalage culturel.

Maintenant, en plus d’introduire mon objet d’étude et les questions qu’il soulève ; je

vais expliquer les raisons de ce choix et la manière dont j’ai abordé la question.

1 Voir annexes « Annexe 1 : histoire et population », « Annexe 2 : vie sociale et religieuse », « Annexe 3 :

situation économique », « Annexe 4 : quelques élément sur la place des femmes au Mzab ».

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Introduction

Le Mzab est aujourd’hui soumis, en plus des règles traditionnelles, conventionnelles

d’urbanisme à des règles officielles érigées au niveau national. Les habitants et professionnels

doivent faire avec les permis de construire, de lotir, de démolir et les certificats d’urbanisme,

de conformité, de morcellement. Il faut y ajouter les instruments d’urbanisme habituels que

sont les PDAU (Plans Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme) et les POS (Plans

d’Occupation des Sols). Plusieurs acteurs de l’urbain interviennent sur le territoire : la wilaya,

l’Office de Promotion et de Gestion Immobilière de Ghardaïa (l’OPGI est un office

s’occupant du logement social public), l’Office de Protection et de Promotion de la Vallée du

Mzab (OPVM). Depuis 1970, la vallée de Ghardaïa a été classée en secteur sauvegardé. La

ville de Guerrara, éloignée a été protégée plus récemment (ksar classé patrimoine national en

1998). La ville a donc perdu quelques éléments remarquables de son architecture millénaire.

Même si certaines tours et les remparts ont été restaurés en 2002 par l’OPVM, un autre acteur

s’est mis en avant spontanément pour promouvoir la protection et le classement du ksar de

Guerrara : la communauté mozabite. Elle a financé des travaux de restauration (habitations,

remparts, portes,…) et demande par le biais d’une association regroupant architectes et autres

notables le classement du ksar au patrimoine universel de l’UNESCO comme c’est le cas pour

Ghardaïa.

En ce qui concerne l’habitat à Guerrara, il existe également une cohabitation d’un

logement exogène (social public ou social promotionnel) et local (habitat vernaculaire, habitat

construit par les mozabites). De nombreux changements interviennent avec ce nouveau type

d’habitat : une nouvelle localisation, configuration, de nouveaux acteurs. Ces changements

ont-ils des conséquences sur la place de la femme dans la maison ? Comment les femmes

vivent dans cette nouvelle situation ?

Les femmes et la maison

Dans cette société traditionnelle, patriarcale, encore plus qu’ailleurs, il existe une

liaison particulière, privilégiée entre les femmes et leur habitat. Une légende berbère dit que

c’est avec la maison en pierre que l’homme a perdu son statut de sauvage. Il en fit profiter la

femme en la faisant entrer dans la maison. Puis, il la laissa à l’intérieur pour qu’elle ne

retourne pas au stade de la nature2. Dans la règle mozabite, l’homme doit loger la femme

« dans un lieu qui ne soit ni sombre ni triste »3. Le monde est donc divisé en deux : entre

hommes et femmes. Les hommes évoluent à l’extérieur, dans les espaces partagés, dans la vie

publique. Les femmes ont pour domaine l’intérieur de la maison, le domestique. Cette

distinction des sexes est bien sur le produit d’une culture forte qui détermine chaque individu

dès leur naissance. La maison est le domaine de la femme et elle s’oppose au monde extérieur

de l’homme (domaine public). Les deux sphères s’opposent, s’unissent à la fois

(complémentarité) et coexistent à l’intérieur de la maison puisqu’elles y sont représentées.

Cette cosmogonie se retrouve donc au sein même de la maison puisque l’homme bien que

moins présent dans celle-ci, y a quelques activités. Cela m’a amenée à me questionner sur la

manière dont la place des femmes mozabites dans la communauté se traduit spatialement dans

la maison. Le modèle architectural n’est pas neutre. Il sous tend une idéologie, un modèle

culturel et social. L’organisation de l’espace renvoie également à une certaine conception de

2 Légende reprise par LACOSTE-DUJARDIN C. dans Dialogue de femmes en ethnologie, Paris, La Découverte,

1977 (réédition de 2002), 115 p. 3 GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1, Paris, Geuthner, 1927

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la famille, à une définition des rôles sociaux et à des rapports de domination. Un modèle

architectural peut emprisonner le présent dans le passé. Est-ce que le modèle d’habitat

exogène actuel contribue à perpétuer cette position féminine ? Y-a-t-il des changements dans

l’habitat, son organisation, son usage, avec l’irruption de nouveaux modèles d’habitat

exogènes, et où se situent-ils ? Existe-il des considérations pour la question de la femme, par

les acteurs qui construisent du logement à Guerrara ou par les habitants eux-mêmes ? Est-ce

que ces logements sont adaptés à la vie de la femme ? Quels problèmes posent-ils ? Il faudra

faire apparaître les points de contacts et les incidences de ces changements dans l’habitat sur

la façon dont les femmes vivent quotidiennement. Il ne faudra pas ignorer la co-influence

possible des deux termes. Ainsi, peut être que ce sont les changements dans la vie de la

femme qui interpellent les modèles architecturaux hérités du passé ? Parler du rôle des

femmes, place des femmes, condition féminine, fonction des femmes ou encore sort des

femmes donne un contour homogène à cette partie de la société. Est-ce réellement un

ensemble cohérent ? Il y a un caractère global de la condition féminine, car appartenir

physiquement au sexe féminin entraine un ensemble de conséquences sur le déroulement de la

vie, surtout chez les mozabites. Mais, il ne faut pas pour autant faire abstraction des différents

éléments de cet ensemble : les jeunes filles, jeunes mariées, femmes âgées, celles qui

travaillent, celles qui ont fait des études et les autres,…

André Ravéreau définit l’architecture mozabite comme une architecture qui n’est pas

tournée vers l’édifice pour émerveiller mais qui colle aux habitants, à leur morale, au milieu.

C’est selon lui, un esthétisme pur, en parfaite harmonie avec les pratiques des habitants. « On

ne veut pas droit, on ne veut pas courbe. Ce n’est pas une position esthétique, on fait ce qui

s’impose. »4. Ainsi, la maison mozabite traditionnelle s’adapterait parfaitement aux usages

qu’en font les habitants. A travers la maison, c’est toute l’organisation de la communauté

mozabite qui est inscrite. Mettre en relation cet habitat vernaculaire avec une architecture par

plans type questionne d’autant plus les modes de vie des habitants. Aux exigences locales

s’ajoute un pouvoir national, créant de nouvelles institutions, de nouvelles esthétiques, de

nouvelles valeurs dans de nouvelles formes d’habitat. Quelles en seront les conséquences sur

le plan social, culturel et spatial pour la femme ? Est-ce que ce nouveau type d’habitat

structure des nouveaux modes de vie, des nouvelles manières d’habiter ?

Méthodologie

Pour pouvoir contextualiser cette étude, des recherches documentaires et

bibliographiques ont été entreprises en premier lieu. La plus grande partie des documents a été

consultée dans la bibliothèque des langues orientales à Paris (ouvrages traitant du Mzab).

Puis, pour permettre une meilleure analyse de mon sujet, un travail de terrain a été

effectué. La durée du recueil de données a été de trois semaines. J’ai pu obtenir un plan de la

ville, comprendre par des observations sa morphologie, ses évolutions et situer les différents

types de maisons dans la ville. J’ai eu l’occasion de rencontrer des acteurs de terrain, toujours

de manière informelle. Un architecte très actif dans l’association de sauvegarde du patrimoine

fut un de mes informateurs privilégié à Guerrara. J’ai pu discuter avec un promoteur privé qui

m’a fait visiter son projet promotionnel en cours de constructions (Logement Social

Participatif, plans type). J’ai pu faire un entretien plus formel avec le directeur de l’Office de

Protection et de Promotion de la vallée du Mzab. Parallèlement à ces rencontres, j’ai pu visiter

4 maisons (logement social, location-vente, logement aidé,…) construites ou en cours de

4 RAVEREAU A., Le Mzab une leçon d’architecture, Paris, Technique et Architecture, 1951

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construction. Ces visites serviront de base à la comparaison des logements traditionnels,

traditionnels modernisés construits par les mozabites eux même, individuellement, avec les

logements construits par des professionnels (OPGI ou promoteurs) de manière quantitative. Il

y a une répétition d’un même plan dans ces opérations. Pour désigner ces logements,

j’emploierai l’appellation « maison par plans type », « habitat exogène » ou pour distinguer

les acteurs « maisons OPGI » et « maisons de promoteur privé».

En plus de ces visites formelles, j’ai eu l’occasion de voir un grand nombre de maisons

traditionnelles, traditionnelles modernisées appartenant à des mozabites, la plupart venant de

la fraction des Ouled Allahoum (littéralement : « les fils des plus hauts »). Cette fraction est la

plus importante par son nombre. Elle dispose également d’une certaine renommée, étant

donné que ce sont les ancêtres de ces familles qui sont venus construire Guerrara. Il existe

beaucoup de notables parmi cette fraction. Ils se situent surtout à l’Ouest de la ville. J’ai pu

visiter certaines maisons entièrement, accompagnée des femmes de la maison qui

commentaient chaque espace ; dans d’autres, j’étais simplement reçue dans les pièces

dévolues aux invités. Lorsque cela a été possible, j’ai pris des photos des lieux. J’ai tenu tout

au long de mon séjour un carnet de bord où je notais chaque jour ce que je voyais, les propos

des femmes, leurs comportements, etc… Quatre maisons qui me semblaient significatives ont

fait l’objet de plans assez minutieux. L’observation participante (vivre avec les femmes et

participer à leur vie quotidienne) a été ma méthode privilégiée d’analyse. Je ne manquais pas

non plus de questionner les femmes sur leur vie quotidienne, leurs pratiques, etc. (entretiens

informels et discussions).

Durant la période consacrée au recueil de données, j’ai rencontré plusieurs obstacles.

D’une part, la langue que je ne maitrise pas bien (je comprends partiellement le Mozabite

mais j’ai du mal à le parler) a parfois réduit le nombre de mes interlocutrices. De nombreuses

femmes parlent français et en mélangeant le français au berbère et à l’arabe, nous arrivions

toujours à nous comprendre. Ce qui m’est apparu au départ comme une difficulté a tourné à

mon avantage par la suite. Plus je séjournais à Guerrara et plus ma compréhension de la

langue augmentait. Je me surprenais parfois à comprendre ce que les femmes se racontaient

sans qu’elles le sachent. Cela a été une source d’information non négligeable. Une autre

difficulté / avantage fut le fait d’appartenir aux yeux des individus à la communauté. Cela

m’a permis d’être plongée dans le monde des femmes mozabites et de voir sans détour leur

mode de vie ; d’un autre côté, cela m’a mise dans une position où l’accès à certains lieux et

certaines personnes devaient être fait en compagnie d’hommes de ma famille (sorte de tuteur :

le père, frère ou oncle). Le choix de la population étudiée (les femmes) était donc également

contraint vis-à-vis des lieux et personnes que je pouvais rencontrer le plus facilement. Ma

place est ambiguë. Elle me permet d’avoir accès facilement au milieu mais elle introduit

également des biais dans l’observation, les entretiens,… J’ai essayé tant que possible de

recouper mes informations et multiplier les informateurs pour ne pas être « manipulée ».

Certaines de mes interlocutrices voulaient me dresser un portrait enjolivé de leur cadre de vie.

Il fallait chaque fois prendre du recul face à ce que l’on me disait et vérifier l’information soit

par l’observation, soit en multipliant les sources. J’ai également essayé de faire une différence

entre les propos de groupe qui sont contrôlés et qui se fondent dans la norme et les propos

individuels. Il n’était pas toujours facile de se créer les occasions pour questionner les femmes

de manière individuelle pour ne pas avoir des réponses normées. Dans ce contexte où la

hiérarchie d’âge est très présente, cela a toujours été intéressant de questionner les femmes

séparément.

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Finalement, cette expérience fut très enrichissante. Mon lien avec Guerrara et les

mozabites m’a permis d’évoluer sans problèmes parmi les femmes. J’ai réellement vécu avec

elles et presque comme elles mais cela a été difficile pour moi à certains moments de

supporter le changement radical de mode de vie et la pression sociale. Ce décalage m’a donné

un recul non négligeable pour ce travail.

Plan

Pour répondre à mes questions, je propose que mon propos prenne la forme suivante :

la situation de l’habitat vernaculaire, traditionnel et traditionnel modernisé sera détaillée en

positionnant en face tout au long du propos les nouvelles maisons par plans type. Je

m’attacherai à comparer les maisons construites par les mozabites avec les maisons

construites lors de projets promotionnels, j’y appliquerai les modes de vie et pratiques des

femmes mozabites.

Dans un premier temps, je montrerai quels sont les différents types d’habitat existant

à Guerrara. Nous étudierons donc l’évolution temporelle d’un habitat traditionnel du ksar à un

habitat remodelé, modernisé par les habitants. Nous verrons également les nouvelles formes

d’habitats exogènes qui mettent en scènes de nouveaux acteurs (Office publique, promoteurs

privées).

Ensuite, nous regarderons dans quel environnement urbain évoluent les femmes à Guerrara et

où se situe leur maison. J’expliquerai que le choix de l’emplacement des maisons est

stratégique pour les mozabites (pour leur vie sociale, religieuse et pour la vie des femmes). Je

montrerai que les maisons (principales, secondaires ou communautaires) constituent les seuls

lieux investis par les femmes dans la ville (en opposition aux espaces des hommes). Cela

m’amènera à penser la ville comme un simple sas de passage contrôlé pour la femme.

Dans un troisième temps, nous entrerons dans l’univers fermé de la maison mozabite et donc

dans le monde des femmes. Nous verrons que les maisons permettent de conserver l’intimité

de la femme, qu’elles sont faites en priorité pour son confort et pour permettre une sociabilité

féminine.

Dans une dernière partie, nous expliquerons les rapports codés entre hommes et femmes dans

la maison. Cela nous montrera que la femme a un certain pouvoir sur l’homme dans la

maison ; qu’hommes et femmes sont séparés dans la maison ; et que les personnes âgées et les

enfants constituent des intermédiaires possibles entre les deux. Enfin, la maison idéale sera

analysée comme une échappatoire possible de ces rapports contraignants. Et elle prendra un

sens particulier dans ce propos puisqu’elle pourra servir de base de comparaison entre ce que

souhaitent les mozabites et ce que les promoteurs publics et privées construisent.

Nous finirons par une conclusion sur le travail.

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1. L’habitat à Guerrara : typologie architecturale

L’habitat mozabite à Guerrara a subi des transformations depuis la construction de la

ville en 1631 qui résultent de progrès techniques (arrivée d’eau courante, de l’électricité et du

réseau d’assainissement) ou de réformes administratives et de nouvelles influences culturelles

(administration coloniale, indépendance, redécoupage administratif). Nous distinguons ici

trois types d’habitats et pour chacun d’eux, nous fournirons un plan comme illustration.

1.1. L’habitat traditionnel du ksar

Les maisons construites par l’habitant mozabite à l’intérieur du ksar sont les premières

maisons de Guerrara. C’est un habitat vernaculaire, un modèle qui provient de la société

mozabite (endogène). Ces constructions intuitives n’ont pas été influencées par des

professionnels. Elles sont traditionnelles et reprennent tous les éléments de l’architecture

mozabite ancestrale. Elles s’intègrent parfaitement au climat de la région : soleil, chaleur,

vent. Grâce aux matériaux traditionnels, la maison conserve sa fraicheur (palmes, chaux,

timchent : plâtre traditionnel). De plus, elles sont pourvues de caves (froides en été et chaudes

en hivers). Les ouvertures sont également judicieusement placées pour ne pas réchauffer la

maison. La maison répond également à des besoins spécifiques liés à la région et à la survie :

puits d’eau, réserves de datte. Enfin, elle répond à un certains nombre de conventions

sociales : les femmes doivent être protégées des regards et la maison doit avoir une austérité

apparente (système social égalitariste : le riche ne doit pas être ostentatoire devant le pauvre,

l’entraide doit exister entre tous les membres de la communauté).

La maison se développe autour du Ammas n’taddart (centre de la maison). Au rez-de-

chaussée, elle se distingue par son entrée en chicane. Elle a un coin cheminée avec des niches

creusées dans le mur : la cuisine traditionnelle. On y trouve un espace pour le métier à tisser,

une réserve, des chambres, des WC traditionnels, une étable. La maison a un premier étage

avec une terrasse et une zone couverte comprenant chambres, cuisine, salle de bain. Le

dernier étage est un toit-terrasse. La disposition des différentes pièces permet aux femmes et

aux hommes de la maison de ne pas se gêner dans leurs occupations. Il y a parfois des entrées

séparées, des escaliers séparés. La femme y est protégée des regards par différents éléments :

petites fenêtres, murs protecteurs,…

Les maisons ont des petites surfaces (10 mètres sur 5 environ), la longueur d’un tronc

de palmier étant la portée la plus grande envisageable. Les maisons du ksar sont accolées. Les

familles disposaient souvent de trois maisons mitoyennes et avaient des portes

communicantes entre chaque maison. Ainsi, ils pouvaient se réunir facilement et disposer

d’un espace plus grand pour certaines occasions importantes de la vie.

Le plan qui suit est très représentatif de ce type d’habitat. Les murs n’y sont pas

représentés droits parce que les bâtiments n’étaient pas préconçus à l’époque par des plans. Ils

s’inséraient souvent à un terrain, un milieu, un environnement social et culturel. On voit qu’il

existe deux entrées dans la maison (l’une par la cave et l’autre au rez-de-chaussée). Elle

dispose de plusieurs escaliers (trois). Le dernier étage (toit) est protégé par un mur protecteur.

Ce sont trois caractéristiques (pris comme exemple) qui montrent que les femmes peuvent

évoluer librement dans la maison, sans être gênées par les hommes de la maison ou extérieur à

la maison.

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Plan 1 : Maison traditionnelle du ksar

Source : plans scannés fournis par un architecte de Guerrara

Traduction et mise en forme : Sarah Benaïssa Environ 2 mètres

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1.2. L’habitat traditionnel remodelé, modernisé

Avec l’arrivée de l’occupation française au Mzab (1882), le développement de

nouveaux matériaux et de nouvelles énergies (électricité fait son apparition vers 1958 et l’eau

courante en 1956), les maisons vont commencer à être transformées pour disposer de ces

progrès techniques. Avec le tout-à-l’égout dans les années 1980, d’autres transformations

sont effectuées. Aujourd’hui, les maisons traditionnelles du ksar sont presque toutes modifiées

à l’intérieur pour être adaptées à la vie contemporaine. Ce sont donc des habitats traditionnels

remodelés. De plus, les évolutions démographiques ont demandé une expansion de la ville qui

a repoussé ses premières frontières (remparts). De nouvelles maisons sont alors construites

par les mozabites en dehors du ksar, des maisons traditionnelles modernisées.

Certaines fonctions de la maison traditionnelle disparaissent : les grandes réserves, les

puits, l’étable, la cheminée. D’autres vont apparaitre : salle de bain et WC avec eau courante,

cuisine équipée, salle pour les hommes. Ces maisons adoptent des nouveaux matériaux. Elles

reprennent certaines bases de la maison traditionnelle (les terrasses, toit-terrasse, le chebek :

ouverture avec grille aménagée dans le plafond de la pièce centrale,…). Les nouvelles

générations de maisons mozabites (années 60…80…jusqu’à aujourd’hui) n’ont pas oubliées

les enseignements des maisons traditionnelles. Les mozabites (femmes et hommes) ont tous

une culture, un savoir faire liés à leur architecture, urbanisme traditionnel. Ils connaissent les

matériaux traditionnels, l’organisation de la maison, ses éléments significatifs,… La plupart

du temps, ils s’en inspirent et recréent des maisons mozabites adaptées aux nouvelles

conditions de vie. Chaque famille l’adapte également par rapport à ses aspirations. Ainsi, un

homme qui aura fait des études voudra peut être y inclure un bureau. Un autre qui conserve un

goût pour les activités agricoles se créera un jardin avec un potager. Il construira alors une

maison qui permet la récupération des eaux pour arroser son jardin. On voit également

l’apparition des garages. Il y a donc une diversité de situation. Mais la maison conservera

toujours dans ses bases, dans l’esprit « mozabite » (surtout dans la configuration qui protège

la vie de la femme à l’intérieur de la maison). C’est pourquoi, nous nommerons ce type

d’habitat : habitat traditionnel modernisé.

Dans ce type d’habitat, ce sont les habitants qui construisent leur futur lieu de vie. Soit

ils expliquent à un maçon ou à une entreprise ce qu’ils souhaitent (en se rendant directement

sur les lieux) ; soit ils élaborent eux-mêmes des plans modestes. Même si les habitants passent

par des plans, le modèle d’habitat reste endogène. L’évolution du cadre bâti est permise par

les changements survenus dans la société (que ce soit sur le plan technique, urbanistique,

économique, social, culturel ou religieux). Elle est impulsée par les habitants dans un

processus historique. Les changements n’ont pas été imposés de manière brutale par

l’extérieur.

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Figure 1 : Evolution historique de Guerrara

Source : Google earth

Réalisation : Sarah Benaïssa

400 m

Page 15: m10708_benaissasarah

Plan 2 : Maison traditionnelle modernisée datant des années 60

Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 16: m10708_benaissasarah

16

1.3. L’habitat exogène

Dans les remodelages apportés

par les habitants, on peut distinguer les

maisons qui évoluent pour s’adapter

aux nouvelles conditions socio-

économiques (maisons traditionnelles

modernisées vu précédemment) des

maisons construites par mimétisme.

Les habitants mozabites de Guerrara

ont de nouvelles références

esthétiques, culturelles liées aux

contacts avec d’autres populations. Il y

a eu la cohabitation avec les français,

avec les populations arabes, les

migrations internationales des

hommes. Mêmes si de nombreux

mozabites restent perméables aux

influences extérieures, certains y trouvent des modèles architecturaux nouveaux qu’ils

importent au Mzab. La maison peut donc être faite en imitant une architecture rencontrée

ailleurs. Ces cas sont très rares parmi les mozabites. Nous ne nous intéresserons pas ici à ce

type d’habitat exogène qui est le fait d’un petit nombre de particulier.

Nous focaliserons donc sur l’habitat exogène construit en quantité par l’office public

de logement social (OPGI) et par des promoteurs privées (dans des opérations aidés par

l’Etat). En effet, ce type d’opération reprend des plans type qui ne s’inspirent pas de la maison

traditionnelle. A Guerrara, la proportion de logements de type exogène est d’environ 14 % au

31.12.2005. La ville est pourvue d’une antenne de l’OPGI5.

Répartition des logements par commune au 31.12.2005

Commune Le logement est Il

Total Dont précaire Occupé Inoccupé

Guerrara 7.410 1.261 8.671 317

Situation des lotissements sociaux et promotionnels au 31.12.2005

Commune Type de Lotissements

Nombre Superficie En Ha

Lotissements Lots

Guerrara

Social 33 802 260,44

Promotionnel 04 396 14,92

5 Vous trouverez le poids du parc de l’Office de la wilaya de Ghardaïa en annexe 5

Source : www.wilayadeghardaia.org (Site de la wilaya de Ghardaïa)

Tableau 1 : Nombre de logements à Guerrara

Photo 1 : maison à tuiles

Page 17: m10708_benaissasarah

17

Plan 3 et 4 : Maisons OPGI

Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 18: m10708_benaissasarah

18

Source : plan scanné fourni par l’entreprise de BTP en charge du projet

Figure 2 : Situation du projet promotionnel nord

Il existe deux types de logement social. Le Logement Social Participatif (LSP) est en

fait un logement promotionnel aidé. L’aide de l’Etat est indirecte (avantages fiscaux octroyés

aux promoteurs qui en contre partie s’engage à faire du logement social) et directe (aide à

l’accession à la propriété pour des ménages dits intermédiaires). Ce type de logement est

ensuite vendu avec des abattements échelonnés ou par location-vente. Il existe récemment du

LSP (Logement Social Participatif) à Guerrara. Un projet de constructions de 400 habitations

est encore en cours de construction.

Page 19: m10708_benaissasarah

19

Quant au logement locatif social, il est public. Il est réalisé et géré par les OPGI (Office de

Promotion et de Gestion Immobilière).

Que nous parlions de logement social locatif ou d’accession à la propriété, de l’office

public ou de promoteurs privés aidés par l’Etat, la question du modèle de l’habitat construit

reste la même. Le choix opéré est toujours des petites maisons individuelles construites par

lots. Chaque lotissement a un plan type répété pour chaque maison. Elles sont toutes pourvues

d’une terrasse ou d’un toit terrasse. Elles sont de tailles moyennes ou petites au regard du

nombre de personnes par ménage (maximum 3 chambres). Tous ces logements sont donc

classés dans la catégorie « habitat exogène ».

Figure 3 : Vue aérienne logements OPGI

Source : Google earth

Logements OPGI

côté Ouest de la ville

Page 20: m10708_benaissasarah

1.4. Tableau récapitulatif des typologies

Acteurs Datation Localisation

L’habitat endogène : Internes Toutes les générations Processus

6 : depuis le centre

vers la périphérie

- Maison traditionnelle Les ancêtres des mozabites Architecture ancestrale qui débute

en 1631 Dans le ksar uniquement

- Maison traditionnelle

Remodelée

L’habitant-mozabite avec l’aide

d’un maçon ou entreprise

Premières améliorations vers les

années 60 Ksar

- Maison traditionnelle

Modernisée

L’habitant-mozabite avec l’aide

d’un maçon ou entreprise

Nouvelles constructions depuis les

années 60 jusqu’à aujourd’hui Elles ceinturent surtout le ksar

L’habitat exogène : Externes / Internes Récente Périphérie

- Maison construite

par mimétisme

L’habitant avec l’aide d’un

maçon ou entreprise Depuis les années 90

Dispersées (mais aucunes dans

le ksar)

- Logement social

Locatif OPGI Depuis les années 90

Périphérie Est et Ouest de la

ville

- Logement social

d’accession à la propriété

Promoteurs privés et

financement étatique Environ 2004

Périphérie : dans les hauteurs

Nord de la ville

En jaune, apparaît les catégories sur lesquelles nous porterons notre attention. En effet, les deux autres types d’habitat ne sont pas

pertinents pour cette étude. Les maisons traditionnelles du ksar restées intactes sont extrêmement rares (moins d’une dizaine) et elles sont d’un

autre temps (pas d’eau courante, pas de cuisine équipées,…). Les maisons construites par mimétisme sont des cas également rares. De plus, elles

sont le fait d’habitants mozabites ou non. Nous nous intéresserons donc à l’habitat endogène avec la maison traditionnelle du ksar qui a été

remodelée, la maison traditionnelle modernisée construite en dehors du ksar et l’habitat exogène avec le logement social public ou privée.

Nous allons maintenant voir comment ces différents types d’habitat s’intègrent dans leur environnement urbain. Nous détaillerons par la

suite les modes d’habiter des femmes mozabites dans ces différentes maisons.

6 Ce processus n’est valable que pour les maisons urbaines, nous ne parlons pas ici des maisons secondaires dans la palmeraie qui était déjà en périphérie.

Tableau 2 : Typologie de l’habitat à Guerrara Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 21: m10708_benaissasarah

2. Femmes et maisons dans leur environnement urbain

La maison est un des éléments structurants de la ville, elle façonne sa morphologie.

Nous allons donc voir où se situent les maisons dans la ville. De plus, l’espace de la maison

est sans cesse en relation avec celui de la ville. Quelles sont les pratiques des femmes dans la

ville en relation avec leur maison ? Est-ce que cet espace extérieur est un lieu de repliement,

un espace d’ouverture, de vie sociale en opposition à la vie familiale,… ? En occident, nous

avons l’habitude d’opposer la vie privée, intime et familiale du dedans (de la maison) à la vie

publique du dehors (de la ville). Qu’en est-il pour les femmes mozabites de Guerrara ?

2.1. La maison et la femme, éléments structurants de Guerrara

Les mozabites placent au centre de leurs préoccupations la religion et la vie de famille.

Pour pratiquer correctement leur religion et que leur famille, leurs femmes puissent vivre

confortablement, la maison est d’une importance capitale. Le lieu d’implantation de la maison

est également très important : ne pas s’éloigner de la famille élargie, ne pas quitter le centre

de la vie communautaire, avoir suffisamment d’espace,… Les emplacements successifs

qu’ont pris les maisons ne sont donc pas anodins et témoignent de la prégnance de la culture

mozabites dans les choix stratégiques des familles. En quoi l’appropriation de la ville centre

(ksar et ceinture) par les mozabites s’inscrit dans une logique identitaire ?

2.1.1. La localisation des maisons : l’expression d’enjeux communautaires

Après avoir implanté dans

les hauteurs de Guerrara la mosquée,

les premiers habitants ont dessiné

les contours de la ville où ont été

édifiés des remparts (ou des maisons

faisant rempart). Le ksar a une

superficie de 24 hectares. Les

maisons se sont construites tout

autour de la mosquée. Elles sont

étagées, en ordre serré. En plus des

remparts, la protection de la ville se

faisait également par des tours de

guet. Les contours de la ville étaient

ensuite percés par des portes. On

peut imaginer que les remparts

n’avaient pas qu’une vocation militaire mais également idéologique de protection et de

sauvegarde de la communauté contre les influences étrangères. La construction du ksar était

donc une démarche militaire et religieuse en même temps. Aujourd’hui, les remparts de

Guerrara ont été détruits à différents endroits (ils ne ceinturent plus que le cimetière7).

L’ancienne ville mozabite n’est donc pas un espace fermé physiquement comme avant mais

elle est clairement délimitée par un axe routier, commerçant et la subsistance des tours de

guet. Aujourd’hui, la ville a eu une forte croissance et s’est beaucoup étalée. Les remparts ne

7 Voir photo en annexe 8.

Photo 2 : la mosquée au centre de la ville

Page 22: m10708_benaissasarah

22

sont donc plus les limites de la ville. A Guerrara, il existe de nombreuses maisons hors

remparts, construites à côté ou dans l’ancienne palmeraie (superficie de 800 hectares, 80 000

palmiers). Cette palmeraie est beaucoup moins utilisée et une nouvelle a vu le jour encore

plus en périphérie de la ville. Déjà lorsque la ville était limitée par les remparts, des tribus

arabes étaient venues cohabiter avec les mozabites à Guerrara. Au départ nomades, ces tribus

se sont sédentarisées petit à petit, passant d’habitations mobiles à de réelles maisons en dur.

Quatre tribus de bédouins étaient et sont toujours installées en périphérie de Guerrara (les

Chaambas, les Ouled Nail, les Ouled Sidi M’hammed et les Ouled Sayeh). Malgré les

différentes extensions de la ville, les tribus n’ont pas été intégrées à la ville mozabite

nouvelle. L’ouverture physique du ksar (destruction des remparts) ne s’est pas traduite par

une ouverture à « l’autre ». En effet, ayant des facilités économiques par rapport aux tribus

arabes, les mozabites ont préférés racheter leurs biens à des prix parfois très élevés plutôt que

de s’éloigner plus de la communauté. A mesure que la ville croissait démographiquement, ils

ont repoussé par vagues successives les tribus arabes toujours en périphérie. Une autre

solution, choisie par les mozabites, était d’empiéter sur la partie Sud de la ville (côté

palmeraie). Ils occupent alors cette palmeraie devenue improductive et en développent une

nouvelle à la périphérie au fur et à mesure de la réalisation des forages de puits artésiens. La

morphologie urbaine de Guerrara témoigne donc de l’esprit communautaire qu’ont les

mozabites. S’éloigner de la communauté, de la vie religieuse de la cité, de la vie sociale serait

très difficile à vivre. Le tissu urbain conserve une certaine continuité entre le ksar et

l’extension de la ville dans sa partie mozabite. On distingue par contre, facilement les

quartiers arabes (style architectural différent, population différente dans ses tenues

vestimentaires, son mode de vie…) des quartiers mozabites. Les relations des mozabites avec

les arabes sont très bonnes sur le plan économique mais inexistantes sur le plan culturel,

religieux ou social et entre les enfants des deux communautés. Ces relations ne sont pas

toujours pacifiées, les mozabites accusent leurs voisins de vols, de délinquance, de

comportements qui vont à l’encontre de la morale. Ainsi, ils souhaitent s’éloigner de ce qui

pourrait pervertir la communauté. « Les non mozabites se sont des fumeurs » ou encore « des

voyous », « je me suis fait voler ma mobylette en dehors de la ville », « ils ne s’habillent pas

comme nous », « il ne faut pas porter cette tenue8, ce sont les arabes qui mettent ça ! ». Les

femmes ne fréquentent pas des femmes non-mozabites. Tout est fait pour qu’il existe une

distinction nette entre la communauté mozabite et les autres. La notion même de ville chez

certains habitants est très significative : la ville s’arrête là où les mozabites ne sont plus

présents. Par contre, les autorités administratives intègrent la totalité de la population comme

étant habitant de Guerrara, sans distinctions apriori. Il existe donc des quartiers homogènes

culturellement à Guerrara. Vraisemblablement, ils sont perçus positivement par les mozabites

qui élaborent différentes stratégies pour les préserver malgré le changement rapide du tissu

urbain. L’espace du quartier mozabite est un garant de la construction du groupe. C’est un

ciment du groupe.

8 Elle m’explique qu’il n’y a que les femmes mozabites qui portent le haïk.

Page 23: m10708_benaissasarah

3000 m

Figure 4 : Les possibilités d’extension de la ville

Source : Google earth

Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 24: m10708_benaissasarah

2.1.2. Faciliter les déplacements et la vie sociale de la femme dans la ville

En voulant protéger la concentration des maisons mozabites, c’est la communauté

toute entière que l’on protège. Cette volonté forte de conserver la communauté regroupée

d’un seul tenant trouve également une explication dans la vie quotidienne de la femme. Les

maisons sont l’univers des femmes. Les femmes, gardiennes des traditions et dépositaires de

la culture font vivre la communauté à l’intérieur des maisons par les échanges qu’elles ont

entre elles. Rester ensemble c’est pouvoir également se contrôler les unes les autres. Le

contrôle social peut s’effectuer plus facilement entre les membres de la communauté et entre

femmes. Les pratiques socialisatrices, les réseaux relationnels amicaux ou familiaux des

femmes structurent également les choix résidentiels. Les femmes opèrent presque toutes leurs

déplacements à pied, ce qui leur donne une forme d’autonomie vis-à-vis de l’homme. Elles

n’ont pas le droit de conduire (règle religieuse). Actuellement, elles peuvent se déplacer

librement et sans distinction entre l’ancienne et la nouvelle ville. Par contre, les mozabites

distinguent la partie mozabite de la périphérie de la ville occupée par les tribus arabes

sédentarisées. Dans la partie arabe de la ville, il est rare de voir des femmes mozabites (c'est-

à-dire portant le haïk). Les femmes aiment se rendre visite et se déplacer de maisons en

maisons. Mis à part leurs travaux quotidiens chez elles, cela reste une de leur seule activité.

C’est de cette manière qu’elles peuvent rencontrer d’autres femmes, discuter, danser dans les

mariages,… De plus, être regroupé c’est avoir un sentiment de sécurité, c’est ne pas être gêné

par « l’autre » qui est différent et que l’on redoute. Les femmes peuvent donc circuler en

sécurité, sans redouter d’être importunées par un homme ou sans la peur de se faire agresser.

Elles sortent d’ailleurs sans problèmes le soir pour allez chez quelqu’un.

Au regard de ces pratiques, les opérations immobilières actuelles ou récentes

(promoteurs privés, OPGI de la wilaya) n’intéressent pas ou que très peu les mozabites. Les

maisons sous forme de lotissement sont situées en surplomb de la ville, en dehors de la ville

(derrière les quartiers arabes). Les acteurs rencontrés et les mozabites me confirment

qu’habiter une telle maison ne peut être une solution définitive pour une famille mozabite.

S’ils se trouvent dans le besoin, ils préfèreront faire jouer leurs relations familiales, l’entraide

sociale de la communauté (qui est très organisée en ce qui concerne les questions sociales).

Quelques familles ont habité quelques mois dans ces logements dans l’attente d’avoir leur

propre maison. L’éloignement est un réel inconvénient surtout pour les femmes : perte de

l’autonomie dans leurs sorties, dépendance envers l’homme dans les déplacements en voiture,

éloignement de la famille, de la vie sociale. Elles ressentent alors un réel isolement vis-à-vis

de la communauté. Ceci remet en cause l’orientation de départ de ma réflexion. Je voulais

montrer quelles sont les changements effectifs dans la vie des femmes en habitant dans ces

logements. Mais elles n’y vivent pas. Les cas de familles mozabites dans des maisons OPGI

sont rares et je n’ai pas eu l’occasion de les rencontrer. Il faudra alors faire des hypothèses en

montrant quels changements cela pourraient apporter dans leur vie et donc expliquer les

raisons pour lesquelles les mozabites n’apprécient pas ces opérations et ne vont pas y vivre.

Le quartier mozabite est vécu comme un quartier ressource. Il existe une homogénéité

culturelle dans ce quartier mais une mixité sociale (toutes les classes sociales y sont

représentées). Ce quartier est une aire culturelle locale au sens de Wirth et de l’école de

Chicago. C'est-à-dire que dans ce quartier, il existe une intégration de l’intérieur, toutes les

classes y sont représentées. Cette intégration fonctionne très bien pour les mozabites de

Guerrara : entraide sociale, travail, mariage,…Les mozabites ont conscience de cette

ressource. Ils veulent la préserver et donc rester entre eux. C’est un entre soi volontaire et une

manière de s’aider et de lutter contre les difficultés de la vie. La mixité culturelle qu’aurait pu

créer l’implantation de mozabites dans les logements sociaux ne s’impose pas. Les mozabites

la détournent.

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Figure 5 : Guerrara, les quartiers communautaires

Source : Google earth

Réalisation : Sarah Benaïssa

1200 m

Page 26: m10708_benaissasarah

2.2. Les espaces publics sont-ils exclusivement masculins ?

Les maisons de ville, secondaires ou encore communautaire (les Achira9) sont

investies et appropriées par les femmes. Ont-elles d’autres lieux à elles dans la ville? En plus

des maisons, il existe d’autres éléments très importants dans la ville : la mosquée, par

l’importance que prend la religion dans la vie des mozabites ; les places, qui créent des lieux

de réunions dans la ville ; la palmeraie, pour l’activité agricole et le lieu de détente ; et enfin,

le cimetière. Les femmes ont-elles accès à ces différents lieux ?

2.2.1. La mosquée10

, les places et la palmeraie, l’apanage des hommes

Le ksar de Guerrara est construit à la lisière du lit de l’oued, sur une colline. L’espace

de la ville se présente suivant une logique, un ordre bien précis. Il traduit un ordre social bien

déterminé et renvoie une image de cohérence et de rigueur. La ville se développe de manière

radioconcentrique, dont le centre est attribué à la mosquée (élément stratégique de la ville

autour duquel s’organise la cité). Elle est là pour protéger l’ordre établi et réunir la

communauté. Les premiers habitants accompagnés d’un cheik ont commencé par construire la

mosquée. Au point culminant de ce ksar, on trouve le minaret de la mosquée d’où le muezzin

fait l’appel à la prière. La mosquée mozabite (qui se distingue des autres mosquées arabes par

son architecture et la puissance sonore de l’appel à la prière), centre religieux est un lieu

masculin. Les femmes ne vont pas à la mosquée, elles pratiquent leur religion chez elles, dans

leur maison. Elles n’en sont pas exclues puisqu’il existe une salle pour les femmes dans la

mosquée mais elles n’y vont pas. Même durant les fêtes religieuses (j’ai pu assister au

« Mouloud », la nativité du prophète Mohammed), les femmes restent entre elles dans les

maisons. Symboliquement, l’activité religieuse et le centre de la ville sont aux mains des

hommes. Le point d’attraction principal dans la ville est la mosquée. C’est un noyau

d’attraction urbain et le siège du gouvernement religieux. Même si les femmes ont leur propre

organisation religieuse (les Timsiridines : religieuses), celles-ci se regroupent dans les

maisons communautaires (Achira) ou viennent rendre visite aux femmes directement chez

elles. La religion permet aux hommes d’avoir une vie sociale extérieure (mosquée) alors que

ce n’est pas le cas pour les femmes.

La place du marché (espace public

par excellence) se trouve en contre

bas de la mosquée. Les mozabites

marquent la séparation entre vie

pieuse, religieuse et la vie

économique, l’agitation du marché. Il

n’existe plus de marché

hebdomadaire à Guerrara. La place

du marché est devenue une sorte de

parking pour les voitures. Il existe

d’autres places : les places des puits.

Ce sont des espaces masculins ou

simplement de passage pour les

femmes. Les hommes peuvent y être

9 Voir annexe 3 : Vie sociale et religieuse

10 Voir photo en annexe 8

Photo 3 : une place qui n’accueille plus de marché

Page 27: m10708_benaissasarah

27

présents, exceptionnellement de manière immobile. L’immobilité n’est pas chose très

courante, elle n’a pas bonne réputation. L’immobilité étant dénoncée pour les hommes

mozabites, elle est donc inconcevable pour la femme. Les places peuvent être des lieux de

regroupement pour certaines fêtes traditionnelles. Les familles habitant les maisons qui

entourent ces places sont connues par les femmes. Ainsi, dès qu’il y a une fête, les femmes

peuvent se réunir dans une de ces maisons, monter à la terrasse et observer les hommes. Elles

sont, elles aussi, présentes à la fête de cette manière, tout en étant physiquement absentes de la

place et du regard des hommes.

La palmeraie se trouve hors de la ville mais a évolué en fonction d’elle. La première

palmeraie de Guerrara11

est de plus en plus envahie par de nouvelles constructions de

maisons. Les palmiers sont vieux, peu productifs en dattes mais l’ombre qu’ils peuvent

apporter est appréciée pour y construire en dessous une maison (qui sera proche de la ville

tout en ayant un jardin). Dans la nouvelle palmeraie, plus éloignée, on trouve des résidences

secondaires. En effet, durant les mois chauds, la fraicheur de la palmeraie est appréciée et la

famille déménage dans cette maison (souvent plus grande et avec jardin intérieur). Les

potagers, l’entretien des palmiers sont effectués par des ouvriers ou par les hommes de la

famille. La femme ne se balade pas dans la palmeraie sans but. Elle peut s’y rendre, si sa

famille possède un jardin, une maison. Ainsi, j’ai eu l’occasion de visiter 4 maisons dans la

palmeraie. Deux fois, la visite s’est faite avec des femmes, elles s’y rendent en voiture avec

les hommes et entrent tout de suite dans la propriété familiale (soit dans la maison, soit dans

un jardin qui est fermé et protégé des regards par des murs hauts). Il n’y a donc pas une

utilisation par la femme de la palmeraie dans ses espaces ouverts, partagés par tous.

2.2.2. Le cimetière, une présence relative des femmes dans un espace ouvert

Les cimetières sont à la périphérie de la ville, les femmes peuvent s’y rendre

librement. Dans le cimetière de Guerrara, les mozabites n’acceptent pas qu’il y ait

d’inscriptions qui distinguent les morts. En fait, ils ne souhaitent pas qu’il y ait de distinction

entre le riche et le pauvre. Il n’y pas d’espaces réservés selon les familles, la notoriété, le sexe

ou l’âge,… Les morts sont enterrés dans l’ordre chronologique sans distinctions. Une

personne morte est lavée, entourée d’un simple drap et mise à même la terre puis ensevelie.

On installe ensuite une pierre à la tête et aux pieds du mort.

Au troisième jour après

l’enterrement effectué par les hommes, les

femmes viennent se recueillir et placer sur

la tombe un objet symbolique

généralement cassé (pour ne pas attirer les

voleurs). Ces objets (poteries, ustensiles de

cuisine, biberons ou tétines pour les

enfants,…) appartiennent tous au domaine

de référence de la femme (la cuisine, la

maternité ou tout objet qui appartenait au

mort). Cette pratique permet, d’une part,

aux femmes de se souvenir de

l’emplacement du mort. D’autre part, en

plaçant dans cet espace des objets de leur

11

Voir photo en annexe 8

Photo 4 : des objets de l’univers

féminin placés sur les tombes

Page 28: m10708_benaissasarah

28

propre univers, les femmes indiquent aux yeux de tous qu’elles ont un droit de présence sur

les cimetières et qu’elles entendent le faire valoir. Elles se transmettent également de manière

orale de femmes en femmes les différents emplacements des morts de la famille. Ce sont

souvent les femmes les plus âgées de la famille qui connaissent le mieux les emplacements de

plusieurs générations et de bien d’autres personnalités de la ville (un chef religieux, une

femme remarquable, etc…). Elles détiennent fièrement cette connaissance et accompagnent

les plus jeunes au cimetière pour les faire profiter de leur savoir. Un homme ne peut

reconnaître seul les tombes de la famille. C’est pourquoi, il est courant de voir des femmes

seules dans le cimetière mais nous n’y trouvons pas d’hommes seuls. Ils sont toujours

accompagnés des femmes. C’est également une manière d’éviter toutes rencontres entre un

homme et une femme. Même si le cimetière est un lieu à ciel ouvert où les femmes peuvent

aller ; seules les activités de recueillement et de prières sont acceptées. Les vendredi et jours

saints sont les périodes de plus forte affluence. Peut-on alors considérer que les cimetières

sont des lieux de regroupement féminin ? Elles ne s’y donnent pas rendez vous et ne discutent

généralement pas avec les autres femmes rencontrées sur place. Elles y vont un moment, font

des prières, indiquent où se trouvent les différents morts (parlent d’eux) et repartent. Le

cimetière est un lieu ouvert, où elles peuvent croiser des hommes, leur comportement est donc

soumis aux mêmes règles et codes de conduites liés à l’espace extérieur que nous détaillerons

plus loin. De plus, la multiplication des objets de la vie quotidienne placés sur les tombes

incommode le pouvoir religieux de Guerrara12

. Ces derniers considèrent que le cimetière

devient une décharge publique avec ces traditions qui n’ont rien de religieuses (surtout que les

objets sont passés des simples poteries, aux ustensiles en plastique, verres et autres matériaux

jusqu’aux néons). Ils demandent aux femmes de ne plus placer d’objets sur les tombes.

Reconnaître la tombe d’un proche n’est pas nécessaire pour eux. Les femmes peuvent venir se

recueillir et faire des prières collectives pour tous les morts. Ces nouvelles recommandations

ne sont pas pour l’instant appliquées. Elles enlèvent à la femme l’occasion de montrer que les

cimetières et la mémoire des morts restent de sa compétence.

12

Toute activité qui pourrait détourner le croyant de sa foi en un Dieu unique (ici, le fétichisme) est dénoncée.

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Figure 6 : Localisation des lieux structurants de la ville

Source : Google earth

Réalisation : Sarah Benaïssa

318 m

Page 30: m10708_benaissasarah

2.3. La ville, simple sas de passage pour la femme

Nous avons vu que la femme n’investit pas les lieux publics de la ville. Elle possède

pourtant un « droit à la ville » de façon à pouvoir circuler entre les maisons de sa famille, de

ses amies et plus largement de la communauté. Ce « droit » de circuler est soumis à certains

impératifs dans les raisons de ses sorties, dans ses comportements, sa tenue.

2.3.1. Passer dans des rues, ruelles, places,…

A l’intérieur de la ville

ancienne, on circule dans des petites

ruelles tortueuses, en pente parfois. La

ville mozabite sépare les espaces

résidentiels semi-privés des espaces

économiques. Le réseau viaire suit

cette distinction, ainsi, les grandes

voies correspondent à un espace

public et les ruelles à un espace semi-

privé. Les ruelles droites sont quasi

absentes de la ville ce qui permet aux

femmes de ne pas se trouver à

découvert durant leur trajet. Les

maisons sont généralement

accessibles par des ruelles ou des

impasses où les activités collectives

disparaissent pour y permettre un

usage familial, de voisinage. La ruelle constitue un espace transitionnel entre l’espace le plus

privé de la maison, et l’espace public (grands axes, places) qui est à tout prix évité par les

femmes.

L’utilisation de l’espace public extérieur est très réduite pour la femme, pour ne pas dire quasi

nulle. Cet espace est destiné aux hommes. L’irruption des femmes dans l’espace extérieur est

donc contrôlée. C’est pourtant un passage obligatoire pour passer d’une maison à une autre.

L’espace extérieur est plus perçu comme un sas, un passage que doivent emprunter les

femmes pour rejoindre les espace qui leur sont consacrés (les maisons, les Achira). Durant

mon séjour, il n’y a eu aucune femme qui soit sortie de la maison sans avoir pour objectif

d’aller rendre visite à quelqu’un dans une autre maison, ou d’aller à la Achira (maison

communautaire) pour un mariage. Ce sont les hommes qui ramènent les provisions à la

maison et tous ce dont la femme a besoin. Si la femme a besoin de choses particulières et

qu’elle ne veut pas demander à un homme (lorsqu’elle est indisposée par exemple), elle

demande à une enfant, une jeune fille de faire la course à sa place. Les Timsiridines rappellent

souvent qu’il est fortement recommandé aux jeunes mariées de ne pas sortir de chez elles sans

une bonne raison (mariage d’un proche, personne de la famille malade,…). Les femmes âgées

sortent par contre comme bon leur semble. Une vieille femme me dit « avant c’était la prison,

je ne sortais jamais. Quand je devais sortir, c’était avant le lever du soleil et après le coucher

du soleil pour que les hommes ne nous voient pas. Je préfère maintenant, je sors quand je

veux. ». Il n’est pas rare que personne ne sache où se trouve cette femme, privilégiée par son

âge, elle vogue de maison en maison à son gré tout au long de sa journée. Lorsque j’évoque

avec une de mes informatrice privilégiée sa pratique de l’espace public et les raisons de ses

sorties, voici ce qu’elle affirme « Mais je peux sortir si je veux, je peux…. C’est juste que je

Photo 5 : deux femmes dans une ruelle du ksar

Page 31: m10708_benaissasarah

31

n’ai pas envie. Je n’en ressens pas le besoin, tu comprends, je suis bien dans ma maison. ».

Elle précisera par la suite, que pour sortir visiter du pays ou simplement aller à la palmeraie

de Guerrara, il lui faut être accompagnée. Finalement, elle comprend le sens de mes

interrogations : la ville n’est-elle qu’un sas de passage entre maisons pour les femmes ? Elle

me raconte alors une anecdote : « Une fois seulement, j’étais vraiment très énervée…J’ai pris

mon haïk et je suis sortie mais sans savoir où aller. J’ai marché, j’ai fait le tour de la ville et

je suis rentrée ! ». Cette histoire est l’exception qui confirme la règle. En effet, les femmes ne

sortent pas dans la ville sans buts légitimes (aller au cimetière, aller dans une maison). Le fait

qu’elle ait marché sans s’arrêter est très important. Personne ne pouvait savoir qu’elle n’avait

pas de buts précis en marchant de cette manière. La femme immobile dans l’espace public

n’est pas tolérée à Guerrara.

Les cortèges de mariage sont une exception à cette règle. Ils permettent un

investissement exceptionnel de la rue par les femmes. Lorsque le troisième jour du mariage

arrive, les femmes préparent toute la journée la mariée à rencontrer pour un premier tête à tête

son mari dans une chambre à la Achira des femmes. Les femmes entourent la mariée du haïk

(c’est la première fois qu’elle va le porter). Pour qu’on puisse reconnaître que c’est une jeune

mariée, on installe sur sa tête un assortiment de feuilles et fleurs, deux bougies y sont

également fixées. A minuit, la mariée doit être à la Achira, le cortège part donc vers 23h30.

Deux femmes (les compagnes de la mariée) tiennent la mariée par les côtés. Les femmes

mariées portant le haïk la suivent. Les enfants et jeunes filles ne portant pas le haïk précèdent

le cortège, elles l’annoncent par des chants (religieux) et frappent des mains. Le silence que

les femmes conservent dans leurs déplacements dans la rue est rompu. Le cortège est surveillé

par un ou deux hommes qui se tiennent à l’écart (devant ou derrière). Je ne les avais pas

remarqués les premières fois (ils sont très discrets), puis on m’a expliqué qu’ils étaient

présents pour prévenir d’un éventuel danger ou d’une mauvaise rencontre avec des hommes.

Même si l’investissement de la rue par les femmes est exceptionnel, il reste donc totalement

codé, maitrisé et sous le contrôle des hommes. De plus, ce sont les femmes les plus proches

de la mariée qui suivent le cortège (une trentaine) alors que durant le mariage il peut y avoir

plus d’une centaine de femmes. Le cortège est un cas exceptionnel qui marque une rupture

avec la règle de discrétion, de silence que les femmes doivent observer dans la rue ; c’est

pourquoi ne sont permises que les femmes les plus proches de la mariée. C’est également

pour éviter les « jeteuses de sorts » qu’il y a un cortège réduit aux proches de la famille.

2.3.2. Eviter la mixité homme-femme et le regard des hommes

La ville est-elle un espace de mixité homme / femme? D’un point de vue physique, il y

a bien des hommes et des femmes qui se croisent dans la ville. Il existe donc une coprésence

dans l’espace extérieur entre hommes et femmes. Peut-on pour autant parler de mixité ? Cette

coprésence que les mozabites n’ont pas pu éviter est soumise à un certains nombre de règles

parce qu’elle est redoutée, dangereuse. Pour qui ? Pourquoi ? Elle est dangereuse pour

l’intégrité de la femme, l’honneur de la famille. Une femme ne doit pas avoir de contacts avec

un homme susceptible de l’épouser. Elle peut donc voir, être vue librement et discuter avec

son grand-père, son père, ses oncles, ses frères, ses fils, ses beau-fils. Tous les contacts avec

un autre homme sont harem (interdiction qui prendrait source dans la religion). C’est donc la

peur de la relation sexuelle, amoureuse, du toucher qui est en jeu. Mais chez les mozabites, le

simple regard est également prohibé. Même si hommes et femmes sortent ensemble de la

maison pour se rendre au même endroit. Un homme et une femme (même s’ils sont mariés,

frères et sœur ou père et fille) ne peuvent pas marcher côte à côte ou discuter dehors, car c’est

très mal vu. Ils marchent donc avec une distance de séparation (homme devant ou derrière de

Page 32: m10708_benaissasarah

32

manière indifférente). Lorsqu’une femme croise un homme dans la rue, elle ne le frôle pas,

elle l’évite au maximum. Certaines baissent les yeux pour ne pas croiser son regard, d’autres

se tournent entièrement vers le mur. Pour éviter de rencontrer trop d’hommes dehors,

différentes stratégies sont adoptées par les femmes. Elles utilisent le moins possible les axes

principaux, commerçants où sont regroupés les hommes et leurs préfèrent les petites ruelles

du ksar moins fréquentées. Les ruelles offrent la possibilité aux femmes de discuter plus

librement dans le trajet. Elles peuvent remettre correctement dans un recoin leur haïk et

s’arrêter un bref instant pour se reposer si un sac ou un enfant est trop lourd. Cette solution

peut rallonger de quelques minutes leur trajet. Il y a donc une autre adaptation : les horaires de

sorties, si c’est possible, sont choisis de manière à circuler dans la ville lorsqu’il y a le moins

de monde possible (à l’appel à la prière quand les hommes vont à la mosquée, après manger

pendant l’heure de la sieste, le soir…). Les trajets en ville qui se font en voiture sont

également réglementés. Les femmes ne conduisent pas à Guerrara (ce n’est pas interdit par la

loi algérienne mais ce sont les règles de vie promulguées par les Azzabas, religieux), elles

sont donc véhiculées par des hommes. Lorsqu’un trajet est fait en voiture, l’homme prend les

femmes devant leur maison et les dépose devant la porte d’entrée de la maison où elles se

rendent. Les déplacements sont donc limités, contrôlés, codés. Une femme ne peut pas monter

seule dans une voiture avec un homme qu’il lui est interdit de voir, elle peut être

accompagnée par une autre femme qui a le droit de le voir ou par un autre homme plus proche

d’elle. Dans la voiture, femmes et hommes peuvent par contre se parler librement mais la

femme conserve son haïk durant tout le trajet. Une femme voulait m’accompagner à

l’aéroport pour mon retour en France mais elle m’annoncera au dernier moment que cela est

impossible puisque cela l’obligerait à se retrouver seule dans la voiture au retour avec deux

hommes (ses cousins).

Figure 7 : Exemple de choix stratégique opéré par les femmes pour un passage dans la ville

Source : Google earth

Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 33: m10708_benaissasarah

Quelle est la tenue à adopter pour sortir

librement dehors ? Les mozabites sont parmi

les plus sévères en ce qui concerne le port du

voile à l’extérieur. Le haïk est une sorte

d’immense châle épais blanc cassé, d’environ

2 mètres 50 de longueur et 1 mètre 50 de large,

qui entoure par deux fois la femme et qu’elle

rabat sur son visage en laissant l’ouverture

pour un œil. C’est la tenue obligatoire pour

pouvoir sortir pour une femme mozabite

mariée. Pour pouvoir tout de même circuler

sans tomber, certaines femmes adaptent la

manière de mettre le haïk : elles peuvent

attacher une première partie avec une ficelle

autour de leur taille avant de faire repasser une

deuxième fois le tissu ; d’autres y ont cousu

une ficelle qu’elles mettent autour du cou et

qui soutient une partie du tissu,…. Quant aux

jeunes filles, elles peuvent sortir avec une

djellaba et un simple hidjab (mais il faut

qu’elles portent une couleur qui n’est pas trop

voyante : noir, blanc, gris, bleu marine, vert

kaki,…). Les femmes très âgées ont le droit de porter le haïk en le tenant de manière à

recouvrir uniquement la chevelure (comme le hidjab), mais la plupart continue même à 85 ans

à marcher avec un seul œil dans la rue. Plus la femme est âgée plus elle a d’autonomie dans

ses sorties et ses activités. Ainsi, dans sa manière d’être dehors, la femme âgée est plus

décontractée. Lorsqu’elle arrive dans sa rue, devant sa porte, elle commence déjà à relâcher

son haïk et laisse apparaître son visage. Il est déjà arrivé à deux femmes âgées de partager un

seul haïk pour deux, pour se rendre dans une maison voisine à la leur (une des femmes

pressée ne trouvait pas son haïk). Cette situation fait beaucoup rire les femmes entre elles

mais elle serait très mal venue pour des jeunes femmes. Le haïk est source de plaisanterie

entre femmes. Face à une européenne, elles se sentent obligées de tourner au comique voire

au ridicule leur manière de se couvrir. Elles sont toutes sans cesse en train de me montrer

comment elles mettent le haïk, elles observent mes réactions. Elles me répètent souvent que

cette tenue n’est portée qu’au Mzab et que lorsqu’elles se rendent à Alger, à la Mecque ou

autre part elles portent une djellaba, un hidjab et un ajar (petit tissu avec élastique qui

recouvre le bas du visage). Elles laissent donc entrevoir leurs deux yeux et possèdent grâce à

cette tenue une liberté de mouvement adaptée aux grandes villes. Les femmes justifient donc

le port du haïk dans un lieu précis et adapté (la ville mozabite).

La tenue traditionnelle est faite de telle manière que les mouvements dans la ville sont

restreints pour la femme. Pour la conduite par exemple, une des raisons pour lesquelles, elle

est interdite aux femmes est qu’elle les obligerait à changer de tenue pour sortir (elles ne

peuvent pas tenir le haïk et le volant en même temps). Lorsque je les questionne sur leur envie

de conduire, un groupe de femmes se met à me mimer des scènes comiques : une femme

tenant son haïk entre les dents fait semblant de maitriser une voiture…cela a un effet

immédiat sur son public. Il n’y a pas que la conduite, les femmes ne peuvent pas bouger

librement (faire des courses leur est impossible). Lorsqu’elles ont des enfants en bas âges, les

femmes sortent beaucoup moins. Il faut porter l’enfant et tenir le haïk entre les dents pendant

son déplacement, c’est un exercice très périlleux, fatiguant,… Les femmes me disent qu’elles

Photo 6 : femme portant le haïk dans la ville

Page 34: m10708_benaissasarah

34

ont des solutions pour circuler facilement : avoir un porte bébé, donner les cabas à porter aux

enfants…mais elles ne les appliquent pas. Je suis à chaque fois étonnée de constater lorsque je

sors avec des femmes, avec quelle agilité elles tiennent leur cabas, leur enfant, leur haïk,…et

elles trouvent encore le moyen de discuter avec moi ou de me remettre mon voile qu’elle ne

trouve pas bien ajusté à leur goût. Face à elles, je me sens très gauche dans la rue, je ne sais

pas où regarder, j’ai peur d’avoir un comportement incorrect, j’essaye de faire le moins de

dégâts possibles…

Les espaces résidentiels des projets de promoteurs ne reprennent pas la gradation

douce entre circulation semi privée de la ruelle jusqu’à l’espace public de l’homme. Ainsi, on

trouve des projets où la porte de la maison donne directement sur une petite place. La femme

se trouve à découvert dès le passage de sa porte. Elle n’aura plus l’occasion de pouvoir

s’arrêter un moment dans un recoin, de se reposer et remettre correctement son haïk dans une

ruelle. L’espace public en relation avec l’espace privé créés dans ces projets ne ressemblent

pas à ceux du ksar. La tenue traditionnelle de la femme adaptée au ksar ne l’est plus pour

l’espace public de ces projets. C’est une nouvelle morphologie qui s’apparente plus aux

espaces résidentiels des grandes villes du Nord.

Page 35: m10708_benaissasarah

Le tissu dense du ksar (avec des ruelles piétonnes) s’oppose à un tissu aéré dans les projets sociaux et promotionnels ce qui questionne les pratiques des femmes.

Les nouveaux projets sont parfois très éloignés du reste de la ville (donc des activités féminines) et sont reliés par des axes routiers (dépendance envers l’homme).

Figure 8 : Femmes et habitat dans un environnement urbain différencié

Réalisation : Sarah Benaïssa

Page 36: m10708_benaissasarah

2.3.3. L’espace public, un construit culturel qui renvoie la femme à la maison

On doit considérer l’usage qu’ont les femmes de la ville comme dépendant de leur

place dans la maison. En effet, la ville n’est pas un espace en soi pour les femmes mais plus

un passage transitionnel entre les maisons. Ce passage dans l’espace ville doit être limité

(selon la raison de la sortie, selon l’âge de la femme). Femmes et hommes n’évoluent pas de

la même manière dans l’espace public qui est socialement construit. Le comportement est

contrôlé (la tenue des femmes, la coprésence avec les hommes, la parole, la manière de

marcher,…). Pour toutes les femmes, le port du hidjab ou du haïk est une obligation qui

facilite l’accès à la ville et permet une certaine liberté de mouvements. Tout dans la ville, dans

les comportements des mozabites nous indique que la femme est voulue dans la maison et que

c’est dans cet endroit qu’elle pourra s’épanouir librement. L’irruption des femmes dans

l’espace public serait une remise en cause totale de l’ordre symbolique et des pratiques

sociales. La question de la visibilité des femmes dans l’espace public revêt une signification

sociale et symbolique extrêmement sensible à Guerrara. Cette construction culturelle de la

ville entraine une propagande de l’image. Dans les images de Guerrara (photos, films

familiaux, films documentaires, vidéos internet sur dailymotion) la ville est montrée sans

femmes. Les femmes, même en haïk n’y sont jamais présentes. La ville apparaît comme

épurée de toutes ses femmes. Prendre une femme en photo est interdit. Dans le film, Lumières

du Mzab de C. Pavard, on aperçoit une seule fois des femmes et c’est dans le cimetière. Image

rare, elle apparaît comme volée, interdite et elle attire toute notre attention. C. Pavard dit « les

femmes n’existent pas pour le regard des hommes et encore moins pour la caméra »13

.

Ce que l’on observe c’est que le rôle économique n’est plus le privilège des hommes.

Pourtant, le déploiement des femmes, filles dans la ville grâce à l’éducation quasi généralisée,

et le travail n’entraine pas de changements dans les relations des femmes avec la ville. Ce qui

change ce sont les raisons des déplacements et les lieux où elles se rendent. Cependant, le

nombre de femmes qui travaillent reste faible à Guerrara. De plus, on ne ressent pas encore

l’effet de ce changement dans la ville.

En montrant comment la femme investit la ville, je voulais prouver l’importance qu’à

la maison dans sa vie. La maison regroupe à la fois un espace de vie intime (liée au couple),

de vie familiale (famille élargie), de vie sociale voire publique (personnes de la communauté,

extérieures). C’est ce que nous allons maintenant étudier dans les prochaines parties.

13

PAVARD C., Lumières du M'Zab, 1969-1974, film 1 et film 2.

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37

3. La maison, le domaine des femmes

Il existe une quasi universalité du lien entre femme et habitat à travers les sociétés. Au

Mzab, la maison est faite pour la femme : « la maison, c’est à nous !» affirme une mozabite.

Elle détient la culture, le savoir à l’intérieur de la maisonnée (la cuisine, le tissage, la tenue de

la maison, les soins maternels, l’organisation des fêtes traditionnelles…). Les premières

maisons du ksar avait déjà été pensées pour elles et avec les préoccupations particulières des

mozabites liées à leur morale religieuse et sociale. Les maisons construites ces dernières

années par des particuliers mozabites ont toujours le souci de répondre aux besoins de la

femme. Comment se traduisent ces considérations dans leur habitat et en quoi les maisons

construites par plan type remettent en cause ces principes ?

3.1. La maison conserve l’intimité et l’intégrité de la femme

La maison est un lieu sacré, intime, qui protège la vie de la famille. La maison est

conçue pour la femme, pour protéger son intégrité, pour qu’elle y soit à l’aise pendant son

passage sur Terre. Elle est symboliquement haram (interdite) pour tout homme ne faisant pas

partie de celle-ci. La maison mozabite bénéficie d’une organisation intimiste.

3.1.1. Une maison introvertie

La construction des maisons est organisée par un urbanisme conventionnel, « rien

dans l’apparence extérieure des maisons ne devait marquer les différences de fortunes, le

riche ne devait pas écraser le pauvre. »14

Les façades des maisons ont toutes des grandes

ressemblances et restent très simples. Les murs sont dépourvus volontairement de tout aspect

pouvant montrer une différence de richesse entre les voisins. La couleur naturelle claire

(beige, ocre, rappelant le sable du désert) du revêtement des façades est identique pour toutes

les maisons (pas ou peu de maisons peintes sauf en bleu clair, couleur du ciel). Les mozabites

se sont distingués pour l’austérité de leur architecture.

Seules des petites ouvertures sont judicieusement disposées pour voir à l’extérieur. Les

fenêtres ne sont que des fentes du style des meurtrières. Elles sont fines. Sur les terrasses, ces

ouvertures sont placées au niveau de l’œil d’une femme assise. Elles ne permettent pas d’être

vu à l’intérieur mais de voir discrètement à l’extérieur. Les ouvertures sur l’extérieur peuvent

être d’un autre type : claustra sur les terrasses, petites fenêtres avec vitres brouillées. Il est rare

de trouver des grandes fenêtres chez les mozabites. Cela permet de lutter contre le soleil et les

vents de sables. Les petites ouvertures aèrent tout de même l’intérieur de la maison. Elles

protègent surtout contre le regard extérieur.

14

DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Page 43.

Photos 7, 8 et 9 : différents types d’ouvertures sur l’extérieur

Page 38: m10708_benaissasarah

38

Lorsqu’ils ont des grandes

fenêtres (comme celles que nous

connaissons en France), les mozabites

y ajoutent des protections, même si

elles se trouvent à l’étage avec moins

de risque d’être vu. Cela peut être une

condamnation de la fenêtre par

l’intérieur (meuble ou autre), une

planche de bois placée à l’extérieur,

ou encore une vitre aveugle. Certains

peuvent doubler la protection avec un

rideau. L’intimité de la maison veut

être préservée à tout prix. Ainsi, la

femme pourra se vêtir comme elle le

souhaite à l’intérieur. Les femmes

font elles mêmes très attention à ce type de fenêtres. Lorsqu’elles veulent aérer une pièce, y

faire le ménage, elles ouvrent les fenêtres mais laissent toujours les rideaux devant l’ouverture

(même s’il existe des protections encore placées à 20 cm derrière la fenêtre). Le cas des

grandes fenêtres (qui ont été importées au Mzab puisqu’elle n’existe pas dans les maisons

traditionnelles) est tout à fait intéressant. Dans certaines maisons construites par l’OPGI

(maisons individuelles collées par deux), nous trouvons des grandes fenêtres donnant sur

l’espace extérieur public. Ces fenêtres sont d’autant plus problématiques que ce sont celles de

la salle principale (salon, salle à manger). Si la fenêtre est condamnée ou protégée, la lumière

n’entrera pas correctement à l’intérieur. Les femmes seront dans l’obscurité ou elles

allumeront la lumière électrique. En effet, ces fenêtres sont mal placées par rapport au mode

de vie des mozabites. De plus, elles empêchent les femmes de profiter de la luminosité

extérieure naturelle au profit de la lumière électrique.

Les maisons de Guerrara ont

toutes une terrasse et / ou un toit

terrasse. Ceci s’applique également

aux maisons de l’OPGI et des

promoteurs privés reprenant des plans

type15

. Ces terrasses sont une

ouverture extraordinaire sur la ville.

C’est également un lieu partiellement

à découvert pour la femme. C’est

pourquoi les règles et obstacles

physiques empêchant le regard

s’accompagnent de règles d’usages

connues et explicitées de tous. Le plus

important est qu’« Il ne devait pas

être possible de voir chez le

15

Voir photo en annexe 8

Photo 10 : grande fenêtre avec

vitre brouillée et des rideaux

Photo 11 : fenêtres donnant sur rue et portes

d’entrée en vis-à-vis (maison OPGI)

Page 39: m10708_benaissasarah

39

voisin 16

». Les maisons sont donc soumises à une hauteur limite à ne pas dépasser (cette

hauteur est égale à une maison comprenant au maximum une cave, un rez-de-chaussée, un

étage et un toit terrasse). Il est évident qu’une maison qui serait plus haute d’un étage entier

sur les autres aurait une vue plongeante sur toutes les autres maisons. Bien que ces règles ne

soient pas officiellement reconnues, l’urbanisation récente de Guerrara ne s’est faite que de

manière horizontale. Tous les bâtiments (administratifs, usines, maisons construites par l’Etat

et les autres) ont une hauteur limitée. Quelques maisons de particuliers font défaut à la règle et

des conflits importants s’installent entre voisins. Ces conflits peuvent être signalés devant la

Achira si les intéressés sont des mozabites. L’assemblée se placera toujours en faveur de la

préservation de l’intimité et condamnera l’incursion visuelle.

La terrasse-toit (dite « au

plus haut de la maison ») est

accompagnée d’un mur protecteur.

L’acrotère (mur terrasse) a une

grande importance pour la qualité

du lieu protégé, lieu privilégié des

heures calmes, des soirées et des

nuits estivales. Il avait

traditionnellement une hauteur de 1

mètre 40 : cela permet au soleil et à

l’air de passer. Cette dimension est

insuffisante pour opposer un

obstacle réel aux regards sur la

terrasse voisine mais elle est

suffisante pour avertir l’homme de

ne pas insister, se pencher,

regarder. Cette hauteur alerte et

rappelle à la correction, elle n’est pas un obstacle physique agressif, elle est signe de

l’obstacle. En fait, c’est une barrière visuelle symbolique à ne pas franchir. Pendant l’hiver, si

un homme voulait monter (il devait crier trois fois son intention). « Sur cette grande terrasse

se tiennent en hivers les femmes au soleil. En été on y dort la nuit (…) quand un homme veut

monter à la grande terrasse, il lance un appel très fort par trois fois. »17

. En été, il est normal

que les hommes montent le soir à la terrasse pour s’y rafraichir, manger et dormir. Les

femmes y sont habituées, elles n’ont donc pas besoin d’être prévenues. Dans les nouvelles

constructions, on met généralement une hauteur de 2 mètres au mur de protection : un afflux

de population étrangère a fait que les règles morales ne sont plus connues, n’ont plus cours.

L’empêchement physique remplace la règle. Le mur ne formule plus une recommandation

mais une interdiction. Les hommes ne préviennent pas de leur venue sur une terrasse lorsqu’il

y a des murs aussi hauts. Les maisons par plans type ont des murs protecteurs de 2 mètres.

Cela permet aux femmes comme aux hommes d’utiliser les terrasses. Elles doivent être

d’autant plus appréciables que la surface de ces logements est souvent réduite.

Nous voyons que les mozabites ont un rapport intérieur / extérieur particulier qui va

également se matérialiser dans l’entrée de la maison.

16

DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Page 43. 17

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.

Photo 12 : terrasse avec mur protecteur de 2m (OPGI)

Page 40: m10708_benaissasarah

40

3.1.2. L’entrée dans la maison ou le passage d’un monde à l’autre

Des dictons explicites placent la

femme comme pilier central de la

maison. Ainsi, la première entrée dans sa

maison quand elle est mariée et très

importante. « En arrivant à la porte du

marié, la femme dit (en saisissant de ses

mains les montants du seuil de la

maison) : ‘Tenez moi, ô montants du

seuil de ma maison !’. »18

. Elle entre

dans le lieu où elle va être la plus grande

partie de sa vie. Franchir le seuil, c’est

quitter la maison de son père pour aller

dans la maison de son mari. Franchir le

seuil, c’est changer de vie. Elle devient

une femme mariée qui a des « nouvelles

responsabilités » comme me disait la

mère d’une jeune mariée. Le seuil de la

maison est un lieu plein de symbolisme.

C’est un lieu magique entre deux mondes, c’est un passage, c’est le lieu où le monde se

renverse (et donc au dessus de la porte on met des protections comme une main de fatma ou

autre). Lorsque la mariée se présente devant sa nouvelle maison, les femmes qui vont habiter

avec elles l’attendent. La mariée est emmenée par une ou deux compagnes. Avant qu’elle

franchisse le seuil, on jette de l’eau avec du sel à ses pieds en dessinant un trait. Ce rituel

permet de lutter contre les sorts et mauvais œil qui ont été jetés sur la mariée. Ils restent ainsi

derrière elle et ne pénètrent pas dans la maison. L’exécution de ce rituel dans une maison a

opposé des femmes âgées (qui ont lancées de l’eau presque en cachette) et surtout une femme

assez jeune mais déjà mariée (qui ne comprenait pas l’intérêt de ces pratiques et qui est, sur

un certains nombres de points, très rigoureuse dans sa pratique de la religion). Ce rituel

dérange certaines femmes parce que la croyance en des forces surnaturelles est une déviance

condamnée en Islam. Seule la force divine d’un Dieu unique existe pour le mozabite. La

magie est donc haram. Pourtant, c’est un des seuls rituels magiques qui existe à Guerrara, ce

qui prouve l’importance capitale de la maison conjugale pour la femme. Le seuil, c’est aussi

la séparation symbolique entre le monde public des hommes et la vie secrète et protégée des

femmes. On ne s’assoit pas pour un adulte sur les seuils de porte, cela n’est pas correct. Le

passage et l’entrée de la maison doit être libre et facile d’accès.

La porte de la maison peut rester ouverte tout le jour pour amener la prospérité et la

générosité, elle est ouverte à tous. Une porte fermée est signe de disette. Les enfants et

femmes entrent et sortent. « Quand une femme veut entrer dans une maison, elle frappe à la

porte jusqu’à ce que la maitresse de maison lui réponde ‘Viens’. »19

. Pour les femmes les plus

familières à la maison, elles entrent directement sans frapper. Elles savent qu’elles trouveront

toujours une femme dans la maison. On entre à première vue chez les mozabites comme dans

un moulin. Mais les entrées sont codées. Les femmes connaissent les configurations des

maisons où elles se rendent. Elles savent s’il existe des entrées différenciées pour hommes et

femmes et si la porte d’entrée donne sur une salle destinée aux hommes. Ainsi, s’il y a un

risque de croiser un homme, elles préviennent de leur arrivée et attendent qu’une femme

18

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 19

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.

Photo 13 : protection placée au dessus de

l’entrée d’une maison (main de Fatma)

Page 41: m10708_benaissasarah

41

vienne les accueillir. Elles peuvent aussi entrer

mais garder le haïk jusqu’à ce qu’elles rejoignent

la salle des femmes. L’entrée des femmes est plus

libre lorsqu’elles sont invitées, qu’il y a une fête,

ou un regroupement de femmes dans une maison.

La porte des hôtes est entrouverte ou

complètement ouverte. La femme entre sans

crainte parce qu’elle sait que la maison est aux

mains des femmes. Une fois, je frappais à une

porte avec insistance. Personne ne venant

m’ouvrir, je rentrai. Une des femmes de la maison

vînt à ma rencontre et me dit « Je croyais que

c’était un homme avec ta manière de frapper ».

En effet, les femmes n’ont pas l’obligation de

prévenir avec insistance de leur arrivée. Elles

peuvent entrer dans chaque maison, car les

maisons leur appartiennent.

Les hommes quant à eux doivent faire signe de

leur arrivée. Les hommes appartenant à la maison

ne frappent pas à la porte mais signalent leur

arrivée par un appel, des toussotements, des coups sur la porte. Les femmes peuvent se voiler

ou sortir de la pièce par laquelle il va passer. Les hommes étrangers à la maison frappent à la

porte. S’il n’y a pas d’hommes pour ouvrir, ce sont les enfants qui vont voir qui est là. La

femme ou l’enfant demande « meneyou ? (c’est qui ?)» sans ouvrir et l’homme répond en

indiquant à quel homme il veut parler. Si ce n’est pas un des hommes de sa famille qu’elle

peut voir, la femme ne lui ouvre pas et va chercher un homme de la famille. Un jour dans ma

maison d’accueil, quelqu’un frappait à la porte sans réponse de la part des femmes et des

hommes occupés qui n’entendaient rien. Je vais devant la porte et demande qui c’est. Je

reconnais alors l’architecte qui m’avait déjà beaucoup aidé et qui venait me donner quelques

documents intéressant. J’ouvre la porte et lui dit d’entrer dans la salle des hommes. Alors que

nous avions des relations tout à fait cordiales, il refuse d’entrer. Il me demande d’aller

chercher mon père, gêné, n’osant pas me regarder. Il me dit « je dois avoir l’autorisation

d’entrer » (par un homme). Je referme alors la porte et envoie un homme pour récupérer les

documents. L’entrée dans une maison par un homme étranger est donc uniquement consentie

par un autre homme.

Hommes et femmes qui entrent dans une maison doivent dire « Salam aleikoum »

(Que la paix soit sur vous). Cette formule utilisée pour saluer les gens de manière

individuelle, permet ici de saluer toutes les personnes vivant dans la maison et même ceux

que l’on ne verra pas (hommes si l’on est une femme et inversement). Cela s’apparente à une

formule de politesse et permet encore de faire savoir de son arrivée (puisque la formule est

dite assez fortement).

Même quand la porte est ouverte on ne regarde pas dans la maison parce qu’il y a une

entrée en chicane. L’entrée en chicane provient de la maison traditionnelle, elle est très

souvent reprise dans les maisons des mozabites. L’entrée en chicane est parfois renforcée par

une seconde porte, un rideau ou les deux (devant la salle principale souvent). Le rôle de la

chicane est de briser la vue vers le cœur de la maison depuis l’espace public. Surtout que la

porte est très souvent ouverte (prise d’air, laisser les invités entrer comme il le veulent,…).

Photo 14 : porte d’une maison

grande ouverte

Page 42: m10708_benaissasarah

42

Dans les maisons où la chicane

n’existe pas (dont les maisons par

plans type) des protections sont mises

en place. Les rideaux, le plus souvent,

sont placés en retrait par rapport à la

porte. Dans une maison qui n’est pas

protégée correctement des regards, la

porte est constamment fermée. Cela

déstabilise bien évidemment les

pratiques des femmes qui ne circulent

plus correctement entre les maisons.

La fluidité de leurs mouvements est

une manière de ne pas rester trop

longtemps dans la ville (à attendre que

l’on ouvre la porte). C’est également un des avantages qu’ont les femmes sur les hommes.

Symboliquement, la porte d’une maison ne peut être fermée à une autre femme. Trouver une

porte fermée, c’est être à la place d’un homme. Cela peut également amener des problèmes de

mixité puisqu’attendre devant une porte, c’est attendre comme un homme mais également

avec l’homme.

3.1.3. Se protéger des regards à l’intérieur de la maison

Une fois à l’intérieur de la

maison, la femme peut se découvrir de

son haïk. Les femmes ne se sentent

vraiment à l’aise que lorsqu’elles sont

protégées des regards. Les maisons

n’étant pas toujours vidées de tous les

hommes, d’autres protections viennent

s’ajouter aux précédentes. Les portes

sont les premières. Les femmes ne les

trouvent pas toujours très pratiques et

leurs substituent ou additionnent des

rideaux permanents (la porte restant

constamment ouverte). Les portes ne

sont pas fermées à clés sauf pour les

sanitaires et les chambres (lieux de

nudité éventuelle). La chambre est la

plus protégée. Elle semble être un coffre

imprenable où se cachent les secrets de l’intimité du couple. Elle a une porte à clé, devancée

par un rideau épais. A l’intérieur, devant le lit, on trouve toujours un autre rideau moins épais.

Le type de meuble, la disposition des rideaux dans la chambre ont été décidés par les religieux

(Azzabas et Timsiridines). Les chambres se ressemblent toutes d’une maison à l’autre.

Lorsque je questionne sur la signification des rideaux, on me dit « Le premier rideau c’est

pour les gens de la maison, le deuxième c’est pour les enfants qui entrent sans demander dans

la chambre.20

». Lorsqu’on sort de sa chambre et que l’on ferme à clé, on y scelle aussi ses

secrets. Même si la sexualité est taboue. Cela peut être un sujet de plaisanterie avec des sous

entendus, entre femmes : « Son mari est revenue d’Alger hier, on ne la voit plus ! », « elle

20

Voir photo en annexe 8

Photo 15 : entrée en chicane

Photo 16 : rideau devant la salle des femmes

Page 43: m10708_benaissasarah

43

s’est faite belle toute la soirée pour lui puis est parti dans sa chambre », ou encore en parlant

d’une jeune mariée « elle est fatiguée parce que la nuit elle ne dort pas quand elle est dans sa

chambre. ». Toutes les références à une activité sexuelle sont spatialisées dans la chambre et

n’ont le droit à exister que dans ce lieu. C’est pourquoi c’est un lieu très sécurisé.

Les rideaux peuvent être mobiles. C'est-à-dire que si les femmes veulent se mettre

dans un jardin qui n’a pas de protections, elles y improvisent des rideaux. Cela peut être un

tissu quelconque ou le plus souvent un haïk. Les femmes sont toutes des expertes dans le

camouflage. Même si elles n’ont pas prévues de protection et qu’un homme veut passer, en

dix secondes un haïk peut être tendu pour protéger le groupe de femmes.

Enfin, la femme ne dévoile jamais son corps dans la maison. Elle porte une tenue

décente. Dans la maison, certains vêtements ont mauvaises réputation : le pantalon (qui colle

trop au corps et qui est un vêtement d’homme), les choses courtes comme les débardeurs, les

minijupes (il faut descendre plus bas que le genou et avoir une petite manche au moins). Les

femmes portent le plus souvent des robes amples. Cette tenue, leur apparaît également comme

pratique pour les activités qu’elles ont à effectuer dans la maison.

3.2. La maison, lieu d’expression pour la femme

Les femmes passent la plus grande partie de leur journée et de leur vie dans la maison

(« la maison c’est ma vie »). Elles ont toujours à leur disposition la plus grande partie de la

maison. La modernité a apporté des changements considérables dans le confort et la vie

quotidienne des femmes. Les mozabites ont su allier ces éléments modernes avec la

configuration traditionnelle de la maison mozabite, ce qui la rend d’autant plus appréciable

pour la femme.

3.2.1. Faciliter le confort et les activités quotidiennes de la femme

La cuisine est importante puisque c’est l’activité qui demande le plus de temps à la

femme durant la journée. De plus, les femmes préparent tout elle-même. Ce sont elles qui font

la torréfaction des grains de café. Elles s’appliquent à moudre les grains de blé pour faire la

semoule (élément de base de leur alimentation). Les légumes qu’elles utilisent proviennent

presque tous de leur jardin. La cuisine se fait dans une pièce faite à cet effet de nos jours avant

ce n’était que des niches creusées dans les murs. La cuisine traditionnelle « innayen » se

Photos 17 et 18 :

cuisine équipée

Page 44: m10708_benaissasarah

44

composait d’un âtre qui reçoit la marmite, de petits

creux pour les allumettes, d’autres niches pour divers

rangements et d’une cheminée. Aucun lieu spécifique

n’était consacré dans la maison pour cette cuisine.

Elle se trouvait soit près de la pièce centrale, soit à

l’étage près de la terrasse. La fonction de cette pièce

n’imposait ni forme ni localisation précise :

puisqu’elle était différente pour chaque maison. Cette

cuisine traditionnelle reste présente dans les

anciennes maisons (utilisée exceptionnellement pour

se souvenir d’un temps passé et y faire un couscous

au feu de bois). Même dans les maisons construites

récemment, les mozabites recréent une cuisine

traditionnelle sur la terrasse ou dans le jardin en plus

de la cuisine équipée. André Ravereau21

envisage la

disparition de la cuisine traditionnelle en terrasse face

aux bouteilles de gaz transportables et à la cuisine

équipée avec une arrivée de gaz. Il serait surpris de

constater qu’elles subsistent dans les anciennes et

nouvelles maisons construites par les mozabites eux-

mêmes (mais pas dans les logements exogènes). Aujourd’hui, la plus part des cuisines ont

aussi des éléments modernes : gazinière, four, évier, frigo, robots électriques… Les cuisines

sont très bien équipées. Le carrelage permet au plan de travail d’être facilement nettoyé. Tous

ces éléments très appréciés par les femmes, leurs demandent de se tenir debout (ce qui n’était

pas le cas auparavant). La plupart des femmes ont donc conservé un réchaud qu’elles peuvent

transporter à leur grés pour cuisiner assise (dans la cuisine, sur la terrasse, dans le jardin, ou

autre…). Un sujet d’étonnement pour les mozabites est le nombre de travaux qui se font

debout dans la maison européenne. Pour les femmes, c’est une fatigue inutile. Les femmes

âgées surtout, s’assoient toujours par terre pour faire toutes leurs activités ou presque. Les

plats dans lesquels tout le monde mange ensemble permettent, selon elles, d’avoir moins de

travail de vaisselle. Elles rentabilisent au maximum leur énergie surtout qu’elles en ont besoin

puisque leurs journées sont très longues et fatigantes (je n’arrivais pas moi-même à les suivre

tout le temps dans leur rythme). Les cuisines construites dans toutes les maisons récentes

(également dans celles conçues par plans type) respectent les nouveaux besoins et sont

généralement assez grandes. La cuisine mozabite a évolué, elle a intégré des éléments venant

du nord (gâteaux arabes, fritures, etc.…). La gazinière est donc utilisée pour effectuer ces

plats,…. Pour certains plats traditionnels, les femmes sont obligées et préfèrent utiliser les

réchauds. Elles y installent des énormes marmites ou des plaques spéciales (pour les

galettes,…). Même si la cuisine a sa propre pièce aujourd’hui ; l’activité s’exporte dans toutes

les autres pièces des femmes (terrasses, jardins, salle principale, tisefri et cuisine). Ainsi, il

n’est pas rare de voir des femmes éplucher des légumes dans une pièce, les couper dans une

autre et les cuire dans une troisième. Le thé est fait sur le réchaud devant les invités. Personne

ne le fait dans la cuisine. La cuisine est pour ainsi dire mobile.

Les WC et salle de bains sont idéalement doubles. Les femmes et les hommes ont de

cette manière des sanitaires séparés. Les WC sont presque toujours équipés d’une arrivée

d’eau avec douchette pour pouvoir se laver (il n’y a pas toujours de papier toilette). Les salles

de bains ont un lavabo et une douche (rarement une baignoire mais elles existent). Le fait de

21

André Ravereau. Du local à l’universel, propos recueillis par BERTRAND DU CHAZEAU Vincent

RAVEREAU Maya, Editions du Linteau, 2007.

Photo 19 : Cuisine traditionnelle

Page 45: m10708_benaissasarah

45

multiplier les espaces d’eau permet aux gens de la maison de faire leurs ablutions pour la

prière plus rapidement (ne pas attendre que l’autre ait finit). Bien entendu, dans des maisons

construites par plans type où la question du coût importe beaucoup, il n’existe qu’une seule

salle de bain et un WC (séparé ou non). Cela demande aux hommes et femmes de faire très

attention à ne pas se croiser.

Le volume central est la pièce la plus vaste. Elle se nomme « le centre de la maison »

(« ammas n’taddart »), c’est le centre de la vie familiale. Elle est assimilée par de nombreux

auteurs à une cour (pourtant c’est une pièce fermée). Il y a une ouverture avec grille dans le

plafond (1m50 sur 2) qui donne la lumière, le chebek 22

. Cela donne également de l’air en été.

Cette grille évite les chutes depuis la terrasse. C’est dans cette pièce que se tiennent la plus

part des activités collectives de la maison (appréciée pour son éclairage naturel). Auparavant,

elle pouvait accueillir le métier à tisser qui a disparu de la plupart des maisons. Cette pièce qui

caractérise peut être le plus la maison mozabite traditionnelle n’est pas reprise dans les plans

type. Elle apporte pourtant de la lumière par le haut ce qui n’est pas négligeable pour une

population qui refuse d’ouvrir sa maison par de grandes fenêtres. De plus, cela a des

avantages liés au climat comme nous l’avions dit (se protéger du vent des sables par

exemple). Enfin, l’ouverture vers le haut, le ciel prend une signification particulière au Mzab.

Cette ouverture, c’est être en contact avec le soleil. C’est également perpétuer la manière dont

on vécut les ancêtres de la famille.

Il existe parfois des caves dans les maisons, elles sont aménagées pour y vivre et y

dormir23

. Elles sont agréables hivers comme été (chaude en hivers et fraiche en été). Elles

permettent de ne pas utiliser des climatiseurs. Pourtant les caves sont couteuses à la

construction. Elles ne sont donc pas faites par les promoteurs privés, ni public. Le calcul du

coût / avantage (financier, environnemental, culturel) a-t-il été pris en compte ? Quoi qu’il en

soit, d’une part les caves ne sont pas faites et d’autre part, l’OPGI interdit aux habitants de les

construire après coup (problèmes liés aux caractéristiques du terrain). Ces logements sans

caves ni chebek sont d’ailleurs réputés parmi les femmes mozabites pour être trop chaud.

Le Tisefri (le salon des femmes)24

donne sur la pièce centrale. C’est un salon de

réception. On y installe également la nouvelle accouchée. Cette pièce peut être meublée par

22

Voir photo en annexe 8 23

Idem 24

Idem

Photos 20, 21, 22, 23 et 24 : multiplication

des salles d’eau et WC dans une maison

Page 46: m10708_benaissasarah

46

des banquettes ou tout simplement des matelas recouvert de tissus ou tapis traditionnels, il y a

des coussins. Parfois, on y trouve un meuble de rangements, une télévision. Les invitées,

enfants, femmes peuvent s’asseoir pour discuter. On mange également dans cette salle, on

apporte alors des petites tables rondes de 30 cm de hauteur. On y regarde la télévision mais

les chaînes sont contrôlées25

. Tout le monde peut y dormir. Si quelqu’un s’y assoupit, les

femmes ne lui diront pas d’aller dans sa chambre mais le couvriront. A l’image du tisefri,

toutes les pièces qui n’ont pas une fonction qui demande un équipement immobile (cuisine,

salle de bain, chambre) n’ont pas de destination fixe : chambres pour enfants, réserves, garde-

robes,… Cela entraine une diversité de conception des espaces et de réalisation. Ces pratiques

donnent à la maison des possibilités de changements selon la saison, selon le nombre de

personnes y habitant, etc… Il est impossible pour un couple qui vit dans une maison OPGI de

changer les fonctions des pièces. Il y a une chambre, une cuisine, une salle de bain, une

terrasse, parfois une cour et il ne reste qu’une seule salle parfois deux pour recevoir ou y faire

autre chose.

Dans la maison, nous ne trouvons pas beaucoup de mobilier. L’austérité des façades se

retrouve un peu à l’intérieur. Il y a du mobilier maçonné : lits, banquettes, étagères, niches.

Chaque espace de la maison est rentabilisé (sous l’escalier par exemple). Les espaces sous

l’escalier sont parfois utilisés dans les OPGI. Par contre, les niches traditionnelles dans le mur

ne sont pas faites. En plus, de la petitesse des logements, les habitants devront peut être y

ajouter plus de mobilier qu’à leur habitude. De plus, les espaces de réserves qui existent dans

l’habitat traditionnel sont supprimés par les architectes dans les plans type (il n’y a pas non

plus de garage). S’il y a moins d’espaces de renvoie pour les objets les moins utilisés, cela

s’avère plus contraignant pour les habitants. Il faudra peut être qu’ils opèrent une nouvelle

délimitation du sale et du propre dans la maison.

La propreté des maisons est très importante, il faut se déchausser avant de marcher sur

un tapis dans une maison. Par exemple, « dans la pièce de travail (…) on a maçonné un

endroit un peu surélevé par rapport au sol de la pièce sur lequel on fait la prière, il se nomme

‘aire de prière’, personne n’y circule chaussé. »26

. C’est une règle respectée de tous. Dans la

maison, la plupart des femmes circulent avec des claquettes, pantoufles,…pour pouvoir se

déchausser facilement pendant toute la journée. Les tapis sont très souvent enlevés pour être

lavés et pour nettoyer à grandes eaux les sols. Les sols sont donc recouverts de carrelage. Les

espaces collectifs et de réception sont plus soigneusement rangés. Les chambres sont rangées,

nettoyées surtout lorsque le mari revient depuis un long moment d’absence. Parfois quand le

mari n’est pas là et que la chambre est en désordre, on dit de la chambre qu’ « elle danse ! »27

.

Le rapport ordre / désordre est lié au rapport espace collectif, de réception (qui doit être en

ordre permanent) et individuel (qui peut être en désordre). Cette délimitation change lorsqu’il

y a moins d’espaces individuels (comme dans les petites maisons OPGI).

La vie quotidienne de la maison et de la femme est rythmée par les prières, les saisons,

les fêtes religieuses et les circonstances exceptionnelles (naissance, circoncision, mariage,

25

Il existe une antenne pour toute la ville, mise en place par la communauté qui restreint le nombre de chaines à

4 ou 5 (religieuses, informatives et une chaine religieuse pour enfant). Mais, les paraboles qui permettent

d’accéder librement à des centaines de chaines, dissimulées sur les terrasses sont très nombreuses et toujours

disposées pour une bonne raison : « C’est pour le travail ! »… 26

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 27

Cela renforce également le caractère profane de l’activité féminine (la danse) effectuée pendant des festivités

et toujours très contrôlée. La danse est ici associée au désordre.

Page 47: m10708_benaissasarah

47

deuil, ou retour d’un parent au pays). La vie religieuse est très présente dans le quotidien,

comme en témoigne cette description d’une journée au Mzab :

« Dès qu’à retentit l’appel à la prière de la nuit, les gens prient, invoquent Dieu, proclament

le nom de Dieu et se recouchent jusqu’avant l’Aube. Avant l’Aube a lieu le premier appel à la

prière de ce jour, on dit que c’est péché de rester couché. Les gens se lèvent pour aller au

travail, ils invoquent Dieu (…) Le moment de cet appel est situé juste un peu avant

l’aurore(…) après la prière de l’aube cela s’appelle ‘le moment de manger’ (plus exactement

‘le fait de faire manger’), c’est avant le lever du soleil. (…)Quand le soleil commence à

monter dans le ciel, cela s’appelle le petit matin. Le grand matin c’est tout le temps depuis le

lever du soleil jusqu’à midi. (…) à midi, c’est le déjeuner. Après midi vient le temps ‘entre les

prières’, les gens font leurs prières(…). Le coucher du soleil c’est ‘les cinq’ : le muezzin fait

l’appel et les gens prient ensuite ils dinent (soupent), couchent leurs enfants. Quand l’appel à

la prière de la nuit a été proclamé, on prie, on demande pardon à Dieu, on répète le nom

divin et on se couche. Voilà ce qu’est le jour au Mzab. »28

. Toutes les activités des femmes

sont rythmées par la prière. Même pendant les fêtes, la prière n’est pas une option. Lorsque

l’on se donne rendez vous, on exprime les moments de la journée en fonction des prières

(« après la prière de 16h »). De plus, le vendredi est un jour important dans la semaine

(rappelons ici, qu’en Algérie la semaine commence le samedi. Le vendredi s’apparente à notre

dimanche). « Le vendredi(…) les femmes balayent leur maison, se coiffent et quittent le

travail de la laine : c’est un grand jour. »29

. Un autre moyen de se repérer dans la journée est

d’exprimer les temps en fonction des activités « après le repas », « lorsque nous aurons finit

le nettoyage »,etc… Les heures ne sont pas utilisées pour se donner des repères temporels.

Cela crée une confusion pour moi lorsque les femmes me donnent des rendez-vous chez elles.

Elles m’indiquent un jour comme « demain » sans heures. Je demande alors « quand,

demain ? ». Certaines facilitent la discussion en disant « quand tu veux ! ». D’autres me disent

« le soir ! », alors qu’elles souhaitent que je vienne entre la prière de 16h et celle de 19/20h

par exemple. Leur maison doit permettre de vivre cette vie religieuse : pouvoir faire ses

ablutions, sa prière sur un endroit propre et rangé. Des espaces sont parfois créés

spécifiquement pour la prière.

3.2.2. Le soleil, un droit pour toutes

Les mozabites donnent de l’importance à l’entrée du soleil dans la maison. Ainsi dans

l’urbanisme conventionnel : « et il n’était pas permis de lui porter ombre, le soleil, étant pour

ainsi dire inaliénable. 30

». A l’étage des maisons, il y a plusieurs petites pièces utilisées de

manière diverses (espace couvert : « ikoumar ») et une terrasse réservée aux femmes se

trouvant au dessus de l’espace central et donnant donc sur la grille (espace découvert :

« tigharghart »). Cette terrasse est appelée « le centre du haut ». Les terrasses ont une

orientation sud. Cela permet en hivers de bénéficier des rayons obliques du soleil. Le toit-

terasse « tamnait » est utilisée pour y dormir la nuit en été. Le jardin des maisons construites

hors du ksar (les premières maisons sont urbaines, il n’y a pas de jardin) sont ombragés. Il y a

des palmiers, des citronniers, orangers,… Les femmes ont grâce à ces espaces, la possibilité

de se mettre au soleil, doux en hivers et de se rafraichir, le soir d’été. Elles se réunissent

souvent sur les terrasses ou jardins. Elles y étendent le linge31

. Lorsqu’elles y font la cuisine,

le mobilier se transporte facilement (petites tables, réchauds, paillasses). Le soleil est un droit

28

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 29

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 30

DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites. Recherches sur un

type d’architecture traditionnel présaharien, Bruxelles Liège, Mardaga, 1977, 254 p. 31

Voir photo en annexe 8

Page 48: m10708_benaissasarah

48

au Mzab (tradition ibadite). C’est pourquoi lorsque j’évoque les maisons de l’OPGI, la

première critique apportée par les femmes est que « il n’y a pas assez de soleil dans cette

maison », « oui vraiment c’est très dur. »32

. Le soleil doit faire parti de la maison.

Il est vrai que le jardin et les terrasses sont les endroits les plus agréables de la maison, elles

s’y sentent au calme et surtout elles ressentent sur leur peau le soleil, la brise (ce qui n’arrive

jamais dans la ville protégée de leur haïk). En plus de la parfaite adéquation de la maison au

milieu climatique ; c’est peut être ces espaces ouverts qui font que l’on se sent si bien dans

une maison mozabite. Les femmes sont donc très sévères sur cet aspect négatif des maisons

par plans type. Pour faciliter l’accès aux extérieurs, les femmes ont souvent un escalier

indépendant qui les mène directement aux terrasses.

3.2.3. La maison, lieu de sociabilité féminine par excellence

Comme les femmes n’investissent pas les lieux publics, leur sociabilité s’effectue

surtout à l’intérieur de la maison. Il existe une sociabilité familiale (entre les femmes de la

maison) mais également une sociabilité avec d’autres femmes. Comment le cadre de la

maison permet à la femme d’avoir cette sociabilité et un degré d’interconnaissances très

élevé ?

Les femmes partagent leurs activités quotidiennes dans la maison. La vie est collective. La

cuisine, le ménage, l’éducation des enfants,… tous se fait ensemble. Il n’est pas rare de voir

des femmes réprimander un enfant qui n’est pas le leur. Les moments où une femme se

retrouve seule dans une maison sont rares. Lorsqu’une femme est seule alors que les autres

sont sorties, elle dit « c’est très calme, tranquille, je ne suis pas habituée. D’habitude, il y a

les enfants qui font du bruit, les autres femmes qui travaillent avec moi. ». C’est pourquoi les

grandes pièces à vivre sont très appréciées pour cette vie collective. La règle veut que pour

que les activités de la maison se déroulent bien, il faut que l’entente règne entre les femmes

32

Voir photo en annexe 8

Photos 25 et 26 : Cour intérieures

Page 49: m10708_benaissasarah

49

d’une même maison. « Une mère dit à sa fille : ‘Crains Dieu, quand tu te lèves salue Dieu et

salue ceux qui sont avec toi dans la maison. Si tu refuses de parler à quelqu’un, tu seras

maudite de Dieu. Si de 3 jours tu ne parles pas aux voisins, tu es maudite de Dieu.’ »33

. Une

coutume veut que lorsque les femmes cuisinent dehors et qu’il y a les odeurs qui parcourent

les jardins des voisins, elles font amener une petite partie de leur cuisine pour ces voisins.

Ainsi, s’ils n’ont pas de nourriture et qu’ils ont eu faim à cause de ces odeurs elle sera

satisfaite. L’entente avec le voisinage est importante. En opposition à cette vie tournée vers le

collectif, la chambre est un lieu de vie intime où personne ne peut rentrer sans y être autorisé.

Elles sont en général très petites. Les femmes ne vont pas beaucoup dans leur chambre

pendant la journée (juste pour y faire la prière, mettre un bébé à dormir). La chambre, c’est la

seule propriété individuelle du couple quand il n’a pas encore sa propre maison. La femme

garde la clé de sa chambre précieusement. Lorsque la jeune mariée arrive pour la première

fois dans sa nouvelle maison, on la met dans sa chambre, assise sur le lit. On lui sert dans ce

lieu les dattes, le lait et les oranges, plateau traditionnel apporté pour la venue de toute

personne que l’on accueille dans une maison. La chambre est déjà la marque du nouveau

couple puisque c’est le mari qui a préparé la pièce et qui a acheté les meubles alors que la

femme a fourni les parures du lit, les rideaux et les autres décorations34

. C’est « construire

ensemble » leur espace de vie commune, comme le dit une jeune mariée. Les chambres sont

pratiquement les seules pièces décorées et avec une certaine fantaisie (beaucoup de tapis au

mur, fleurs en papier, parfums disposés de manière esthétique, ornements…). C’est

également, dans cette pièce que la mariée conserve les habits, cadeaux et pécule qu’elle a pu

avoir pour son mariage ou par son mari par la suite. C’est vraiment une pièce très différente

de l’ensemble de la maison. Il n’y a d’ailleurs que les couples qui ont le droit à leur chambre

puisque les enfants n’ont pas de chambres individuelles. Ils dorment dans différentes pièces,

selon les circonstances. C’est un lieu à part dans la maison. Lorsqu’on accueille une femme

dans sa chambre, on la parfume. C’est un rituel qui montre qu’on est arrivé dans un lieu

différent des autres. Pour autant, cette propriété individuelle ne doit pas empiéter sur la vie du

groupe. C’est pourquoi, mari et femmes ne se retrouvent que le soir venu dans leur chambre.

La chambre dans laquelle je me trouvais, n’étant pas une réelle chambre pour un couple mais

plus un dortoir pour plusieurs personnes d’une même famille se transformait tous les soirs en

salon. Les personnes viennent, frappent à la porte et entrent sans attendre de réponses. Sans

que personne ne nous demande notre avis, deux puis trois, quatre, cinq personnes venaient

discuter, s’asseoir sur ce que j’aurais appelé « mon lit » en tant qu’occidentale mais qui était

en réalité pour les mozabites une simple banquette. Même si certains dormaient, les

discussions continuaient librement. La place de l’intimité, de l’individuel est mis de côté un

instant pour le groupe. Cela en devenait parfois difficile, lorsque sans cesse dans la journée

j’entendais mon prénom. Les femmes ne voulaient pas me voir seule dans « ma chambre » qui

n’était qu’une pièce comme une autre pour elles. Il était parfois difficile d’écrire à l’écart mon

carnet de bord tellement je n’avais pas de moment de solitude volontaire. Les temps de repli

socialement acceptés sont rares pour la femme puisque toutes ses activités se font en collectif

(hormis les instants de prières…mais il existe aussi des prières collectives pour les femmes).

Même lorsqu’il y a de la visite, il n’y a qu’une ou deux femmes (par exemple celles

qui sont enceintes) qui s’arrêtent de travailler pour tenir compagnie à la visiteuse. C’est

pourquoi la cuisine se trouve près de la salle de réception. Il ne faut pas arrêter les activités de

la maison à chaque visite. Parfois, ce sont les visiteuses qui viennent prendre part aux travaux

de la maison pour pouvoir en même temps discuter avec les femmes. Les femmes se parlent

beaucoup plus dans ces moments là que lorsqu’elles ne font rien. Tous les jours, des visiteuses

33

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p. 34

Voir photo en annexe 8

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50

viennent à la maison. Les femmes qui reçoivent chez elles ont des obligations liées à l’accueil

de leurs hôtes. Il y a toujours du thé, du lait et des dattes pour elles. Une anecdote intéressante

explique cela. Une petite fille de 8 ans, étrangère à la maison où elle se trouvait mais faisant

partie de la famille, venait de boire le verre de lait d’une femme âgée. Elle se fit réprimander

par la dame mais coupa court à son discours en lui rétorquant, très sure d’elle « Je suis invitée

ici, vous me le devez ! ».

Lorsque les femmes de la maison invitent d’autres femmes, cela ne se fait que par le porte à

porte et le bouche à oreilles. Il est rare qu’elles utilisent le téléphone. Pour recevoir, les

femmes mettent au sol de la plus grande pièce des tapis. Toutes les invitées pourront s’y

asseoir. Les femmes de la maison s’habillent avec une de leur belle robe et on commence à

préparer le thé. Les femmes arrivent et s’assoient sur les tapis. Elles prennent le thé et

discutent. Deux ou trois femmes se chargent de faire de la musique avec des derboukas et les

autres chantent (chants religieux) et tapent des mains. Les femmes assises ont laissé un cercle

vide qui s’apparente à une piste de danse. Les petites fêtes entre femmes ne demandent pas

une organisation très poussée. C’est pourquoi, dans toutes les maisons, il suffit d’avoir un

espace assez grand, de nombreux tapis et beaucoup de verres à thé pour pouvoir recevoir

d’autres femmes. Les instruments de musique se transmettent de maison en maison.

Les mariages se font en grande partie à la maison pour les femmes. Les hommes,

quant à eux, investissent la Achira dans laquelle ils ont toujours fait des mariages groupés. Du

côté des femmes, les mariages emmènent de la vie publique dans la maison. Toutes les

rencontres, les discussions se font dans les maisons pour les femmes. La maison est nettoyée.

Un espace grand et aéré est choisi pour recevoir. On décore un des murs de la pièce et on

place des chaises (pour la marié et sa / ses compagne(s)). Des tapis sont mis au sol. Durant

trois jours (4 heures à chaque fois) la mariée est présentée aux convives dans sa maison. Les

femmes dansent et chantent ensemble. Comme les mozabites font des mariages regroupés

(jusqu’à 7 mariages d’une même fraction en même temps) et que les convives connaissent

parfois une, deux ou trois mariées ; les femmes aiment regrouper les fêtes des mariées dans un

seul endroit. Lorsqu’une maison n’est pas assez grande pour accueillir toutes les femmes,

elles organisent l’évènement à la Achira comme les hommes. Elles alternent donc entre fête

individuelle à la maison et fête collective à la Achira. La maison familiale conserve tout de

même une grande place émotionnelle et les femmes aiment faire cette fête dans leur maison.

De plus, être en nombre plus restreint chez elles, leur permet d’être plus détendues. Dans ces

mariages, le contrôle social est extrêmement fort. A la Achira, les mariées doivent avoir un

comportement de femme « timide », ne pas sourire, prendre l’air sérieux, ne pas exprimer ses

sentiments, parfois elles baissent la tête pendant toutes les réjouissances. Dans ces

regroupements, les femmes s’observent les unes les autres. Même si je m’imaginais au départ

qu’entre femmes, elles pouvaient s’amuser librement, je me trompais. Même si elles dansent,

il ne faut pas être trop extravagante dans ses mouvements. La tenue de fête doit toujours être

correcte (pas de bras nues, pas de chose moulante, ni courte). Il existe une règle qui dit que si

une femme (qui danse) n’est pas habillée correctement, les musiciennes doivent cesser de

jouer. Le contrôle social est renforcé dans les mariages et autres regroupements de femmes

qui mélangent des femmes de familles et fractions différentes. Cette sociabilité féminine ne

peut s’exprimer que dans des maisons avec au moins un grand espace. Car on ne compte pas

le nombre de convives et on ne peut fermer sa porte à une femme. Les maisons et familles les

plus connues dans Guerrara sont celles qui reçoivent le plus. Généralement, elles ont des

grandes maisons. Les inégalités économiques entre les familles jouent sur les sociabilités

féminines.

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51

4. Les relations codées entre hommes et femmes dans la maison

4.1. Pour une séparation des hommes et des femmes dans la maison

Le fait de vivre avec la famille élargie crée une séparation des hommes et des femmes

dans la maison. C’est une manière de vivre ensemble qui détourne la domination masculine.

Les hommes se trouvent dans l’obligation de faire savoir de leur présence, de limiter leurs

déplacements, de quitter la maison quand ils gênent,… Ils ne sont donc pas libres chez eux.

4.1.1. Le pouvoir des femmes

Un proverbe berbère dit que l’homme est la lampe du dehors (culture, savoir, vie

sociale,…); la femme c’est la lampe du dedans35

. Ce proverbe affirme qu’on laisse une place à

la femme à l’intérieur de la maison. Dans la maison, il y a donc les activités naturelles (que

l’homme fait dans la maison : se nourrir, dormir, vie sexuelle) et les activités culturelles

(cuisine, tissage, soins enfants). Les activités culturelles de la femme ont tout de même une

limite floue avec les activités de nature : la cuisine/se nourrir ; le tissage/se couvrir ; les soins

aux enfants/enfanter, se reproduire,…Pour la femme, il n’y a pas de frontière fixe entre les

activités de nature et de culture. Au contraire, l’homme distingue les différentes activités

selon qu’il se trouve dans la maison ou à l’extérieur. Pour autant, c’est la femme qui règne

dans la maison. La figure de la maîtresse de maison prend tous son sens à Guerrara chez les

mozabites. Mais à l’intérieur, les femmes ne sont pas toutes égales. Il y a une hiérarchie d’âge

car c’est la plus âgée qui est maitresse de la maison. Parfois, lorsque la maitresse de maison

est très renommée (caractère bien tranché, femme très pieuse, grande organisatrice de

fêtes,…), on parle de sa maison comme de la sienne, comme si elle était le chef de famille. On

peut même en venir à se demander si elle a un mari et surtout on se demande qui c’est ? C’est

la maitresse de maison qui commande les jeunes femmes, supervise les activités domestiques,

l’intendance, les festivités, maintien l’ordre et la tenue de la maison. A la maison du marié,

c’est une vieille femme de sa nouvelle famille qui accueille la jeune mariée, de préférence sa

belle-mère. C’est cette belle mère qui aura la charge de lui apprendre la bonne tenue d’une

maisonnée et qui aura le contrôle sur elle pendant l’absence du mari, son fils. Les plus vieilles

femmes de la famille ne travaillent pas beaucoup dans la maison. Elles sont toujours servies

les premières pour manger. Lorsque les femmes et hommes mangent, il y a souvent plusieurs

tables de 5 ou 6. Les plus âgées et invitées sont servis ensemble, en premiers. Après avoir

servies tous le monde (et après avoir fait à manger), les plus jeunes mangeront ensemble.

Pour l’homme, le passage à la maison est associé à des activités naturelles. La maison

se résume à se coucher, se reposer, s’unir à sa femme et manger la nourriture préparée par sa

femme (bien que nous verrons qu’il y a une certaine évolution dans ce domaine). Dans la

norme, la femme est « enfermée » dans la maison car « La fille une fois entrée dans la maison

n’en sort plus, ni pour se promener ni pour aller où que ce soit (…) elle consulte son mari

(…). Ainsi jusqu’à qu’elle ait atteint trente ans d’âge. »36

. L’homme, quant à lui, en est

idéalement exclu tout le jour. Plus tôt il part, mieux c’est perçu car cela porte la prospérité de

sortir au lever du soleil, c’est le début des activités féminines et masculines (heure de la

prière). Le mouvement vers le dedans de la maison correspond à la femme, vers le dehors cela

35

BOURDIEU P., La maison ou le monde renversé, in Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de trois

études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, Points Essais, 1972 (réédition de 2000), page 61 à 82. 36

GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1, Paris, Geuthner, 1927,

345 p.

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52

correspond au mouvement de l’homme. Un homme sans activités (retraite surtout) doit se

trouver une activité qui le pousse à sortir de la maison. Le plus souvent, les mozabites

apprécient de pouvoir travailler un jardin potager, ou entretenir des palmiers à la retraite. Ils

retrouvent ainsi le travail de la terre de leur père ou grand père. Pour les femmes, un homme à

la maison est un homme malade. Lorsque les femmes invitent d’autres femmes à la maison

(pour la préparation des grandes fêtes), les hommes sont priés de sortir de la maison. On ne

leur dit pas explicitement, ils savent qu’ils doivent sortir. Les hommes sont en quelque sorte

mis dehors ou regroupés dans une seule salle qui donne directement sur la rue. Lors d’une fête

organisée dans une maison, un des hommes de la famille, pour lire son journal, s’est placé sur

un escalier menant à la maison de sa sœur veuve (et donc utilisé uniquement par celle-ci). Il

m’avoue après qu’il ne savait pas où se mettre pour ne pas déranger mais ne voulait pas

s’asseoir dehors dans la rue car c’est mal vu. Toutes les femmes sont réparties dans la maison.

La maison n’appartient plus aux hommes, elle appartient aux femmes. Les hommes ne

remettent pas en cause le fait qu’on les met à la porte. Ils ne violent pas l’espace féminin

puisqu’ils n’acceptent pas non plus que la femme entre dans leur monde, la ville. Pourtant,

beaucoup d’hommes ont de plus en plus le besoin de rester chez eux et de s’y sentir à l’aise.

Ils se créent ainsi un univers : un bureau, une salle de télévision ou autre qui sera totalement

indépendante des femmes. Cette incursion dans le monde des femmes, tout en respectant leur

espace est une évolution. Pour autant, elle ne s’accompagne pas d’une incursion des femmes

dans le monde des hommes. Plus la maison est petite, moins les hommes sont tolérés dans la

maison durant ces regroupements. C’est pourquoi les maisons par plans types (F2, F3) incitent

les femmes soit à mettre les hommes dehors pour profiter au maximum de l’espace

disponible, soit à ne pas organiser de grands regroupements de femmes.

4.1.2. Des parties indépendantes et des flux contrôlés

Il y a donc une séparation à l’intérieur de la maison entre la partie de l’homme et celle

de la femme. Les repas se prennent séparément (hommes et femmes), dans les pièces qui sont

assignées à chaque sexe. La salle des hommes37

se présente comme un salon où ils peuvent

recevoir, souvent directement près de l’entrée ou à l’étage avec un escalier qui part d’une

entrée séparée. Les hommes ne circulent pas

dans les parties féminines, leur salle est

indépendante tout en étant reliée (puisqu’ils

y sont servis pour manger ou pour boire le

thé). Il y a souvent des sanitaires près de

cette pièce consacrée aux invités hommes,

ce qui leur permet de ne pas déranger les

femmes. Cette pièce n’existait pas dans les

maisons urbaines traditionnelles. Mais

certains arrangements étaient faits lorsque

l’homme de la famille recevait d’autres

hommes. Les maisons étant pour la plupart

mitoyennes, les femmes basculaient dans

une maison et les hommes étaient dans une

autre. Cette pratique était d’autant plus

possible que c’était généralement des

membres d’une même famille qui avait deux

voire trois maisons mitoyennes. Ainsi, la

37

Voir photo en annexe 8

Photo 31 : toit terrasse compartimenté

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53

maison urbaine regroupée un ménage réduit (famille individuelle composé du mari, de la

femme et des enfants). Mais juxtaposées, les maisons mitoyennes permettaient tout de même

de bénéficier des avantages de la famille agrandie. Dans la maison de la palmeraie (maison

secondaire pendant la période chaude de l’année), plus grande, toute la famille agrandie était

réunie.

La question des flux est très importante. Elle permet de comprendre à quel point

l’espace de la maison n’est pas un espace ouvert, libre pour l’homme. Le choix qui est fait

dans les familles mozabites est de ne jamais permettre aux beaux frères et belles sœurs de se

croiser. Lorsqu’un homme veut aller dans sa chambre ou dans tout autre endroit qui nécessite

de passer dans la partie des femmes, celui-ci prévient de son passage. Il dit « éwa ! » (petite

apostrophe) ou « belek ! » (Attention!), certains toussotent,… Dès qu’un homme se manifeste,

les femmes savent de qui il s’agit. Certaines se cachent, sa femme, sa sœur, sa mère, sa tante

continuent leurs activités. Hommes comme femmes ont tous développés le sens de l’ouïe au

dépend de la vue pour se reconnaître. Lorsque par mégarde, l’homme se retrouve face à une

femme extérieure à son cercle de contacts libres, il est tout autant gêné qu’elle. Il fuit son

regard et part vite. Quant à elle, elle gesticule, tente de se couvrir ou d’échapper à la situation.

Lorsque je questionne les femmes sur cette situation au sein de la maison, l’une d’elle

m’explique les flux comme « la circulation des automobiles, il y a des stop, des impasses, il

faut attendre pour passer, (…) une fois que tu connais les codes, la situation n’est pas

difficile, elle est normale pour nous en tout cas. Enfin je ne sais pas, c’est ce que je pense ! ».

Les femmes aiment observer les hommes sans qu’elles soient elles mêmes observables. Elles

utilisent les rideaux, se penchent depuis la terrasse sur le chebek de la pièce centrale. Elles se

servent de leur passage et de leur connaissance de la maison comme d’une arme secrète pour

pouvoir les observer. La maison mozabite se prête bien à ces petits jeux que seules les

femmes peuvent réaliser. Lorsque l’on se place du côté des hommes, cette situation n’est pas

toujours facile à vivre. Ils ne sont pas réellement chez eux, sont obligés de prévenir de leur

passage. Ils ne peuvent pas se déplacer librement. Pour atténuer les problèmes de cohabitation

dans la famille, il y a quelques adaptations possibles. Par exemple, une famille a marié deux

frères à deux femmes qui sont sœurs. Ainsi, elles n’auront pas à se cacher des enfants de leur

belle sœur lorsqu’ils auront grandis puisqu’ils seront ses neveux. C’est d’autant plus

appréciable que parfois le changement de statut du garçon au jeune homme arrive tôt (13/14

ans). Un jour, dans une maison, les femmes qui étaient en train de se couvrir me disent d’en

faire de même car un homme va passer. J’aperçois un enfant passer et j’attends…mais rien !

Elles étaient déjà en train de se découvrir et rigolent en m’expliquant que c’était de ce très

jeune homme qu’elles se cachaient. En fait, dès leur entrée dans la puberté, les jeunes

hommes et jeunes filles sortent du statut d’enfant.

Plus une maison regroupe une famille élargie plus la question de la circulation des

hommes devient délicate. Ainsi, chez une famille restreinte où les garçons pourtant âgés ne

sont pas mariés, il n’y a pas de souci de circulation. Les filles plus âgées déjà mariées sont

parties de la maison. C’est lorsque la famille accueille une belle-fille que tout se complique.

Cette même maison accueillait pour la première fois une femme dans sa maison. Tous (père,

frères, sœurs) redoutaient la venue de cette femme par rapport au déroulement de leur vie

quotidienne. Les hommes de cette famille se rendent librement à la cuisine et dans toutes les

salles de la maison. Famille ouverte (ayant vécue longtemps au Nord), la future belle mère

décida que la vie de la famille ne devait pas changer avec cette arrivée (qui est ici perçue

comme une intrusion dans un espace familial restreint). Cette famille est d’ailleurs très

régulièrement critiquée par un ensemble de femmes qui voient en elle « des femmes libres »,

« elles font ce qu’elles veulent ! ». La belle mère, ayant un caractère bien tranché, m’affirma

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54

que la belle-fille s’habillera correctement et mettra un hidjab dans la maison pour pouvoir

croiser ses beaux-frères. Cette manière de penser peut être perçue comme une évolution

positive dans les modes d’habiter mozabite. Mais ce choix implique également de

compromettre le confort de la belle fille au profit de celui des fils de la maison (puisqu’elle

devra porter un hidjab à l’intérieur). De plus, lorsque cette maison reçoit, femmes et hommes

de la maison doivent se plier aux règles de la communauté. Ainsi, les hommes doivent limiter

leurs déplacements. Mais peu habitués à prévenir de leur passage (je n’ai jamais entendu de

« belek ! » dans cette maison), les hommes de la famille créent des tensions sans le savoir

entre femmes. Une voisine prenait le café dans cette maison, elle était installée dans la salle

des femmes. Elle était pourtant visible par tous ceux qui se rendaient dans la cuisine. Le

passage d’un homme l’a fit s’énerver et elle voulut partir sans finir son café. La maitresse de

maison tenta de la calmer mais la femme mal à l’aise conservait son haïk à porté (pour

pouvoir se couvrir d’urgence).

Lorsqu’il y a une incursion programmée des hommes chez les femmes, elles portent

toutes le haïk comme si la maison devenait un espace extérieur. Par exemple, lors du mariage

d’un fils, les femmes organisent la fête du henné du marié. Toutes les femmes réunies, portent

le haïk. Une femme âgée, habituée, a déjà préparé le henné et attend les hommes. Des

musiciennes (derboukas) sont prêtes à jouer. Mais même ces femmes portent le haïk. Elle le

coince entre les dents pour pouvoir mettre le henné, jouer et donc utiliser leurs mains. La

venue des hommes est encadrée par des patriarches. Ils se font appliquer le henné et repartent.

C’est une rencontre éphémère et codée entre hommes et femmes dans la maison. Mais c’est

une rencontre intense. Les hommes crient, chantent, tapent dans les mains, font les youyous

comme les femmes. Les femmes font de la musique. Quand tous les hommes sont sortis, les

femmes se découvrent, l’espace redevient celui de la maison protectrice. Elles se mettent à

danser plus nombreuses que d’habitudes. Puis le calme revient dans la maison.

Figure 9 : Visibilité problématique d’une femme dans une maison

Réalisation : Sarah Benaïssa

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55

Créer des parties hommes et femmes séparées et indépendantes est très difficile dans

les maisons par plans type. La séparation se limite à improviser lorsqu’il y a des invités une

salle pour les hommes d’où ils ne devront pas sortir sauf pour aller aux sanitaires. Pour aller

aux sanitaires, il faudra prévenir les femmes qui aménageront souvent un passage avec des

rideaux. Les femmes seront regroupées à la cuisine et dans une autre salle (si elle existe) ou à

la terrasse. Partager les sanitaires avec les hommes sera un problème car elles craindront de

croiser un homme.

4.1.3. La position particulière des enfants et des personnes âgées

Les enfants jusqu’à la puberté peuvent circuler librement dans la maison et dans la rue.

Filles et garçons jouent ensembles. La maison lorsqu’elle est grande est une aire de jeux pour

eux. L’espace central avec le chebek est toujours utilisé par les enfants. Certains ont accrochés

à la grille une balançoire improvisée, d’autres s’amusent à lancer des projectiles à travers le

trou (au désespoir des adultes qui passent en dessous). Ils courent de pièces en pièces et

s’importent peu des séparations qui existent entre hommes et femmes. Lorsque la maison est

plus petite (donc surtout dans les maisons du ksar), les enfants mozabites jouent dehors dans

les ruelles, en face de chez eux. Les parents ne s’inquiètent pas beaucoup de les voir dehors

(le ksar est piéton, y vivent essentiellement des mozabites). Dans les nouveaux logements de

type exogène construits en dehors de la ville, deux remarques peuvent être faites. Les

logements assez petits poussent, à première vue, les enfants à jouer dehors. Certains espaces

résidentiels sont aménagés de manière piétonne mais pas tous. Il y a donc le risque du passage

des voitures. Dans ces espaces résidentiels, il y a une mixité plus importante (arabes,

mozabites). Les enfants ne sont donc pas qu’entre mozabites. Face à ces éléments, les parents

peuvent obliger les enfants à rester à l’intérieur de la maison. Cela ajoute à la coexistence

homme / femme dans la maison petite, la présence des enfants.

Les femmes âgées et le patriarche de la maison ont souvent la possibilité de circuler

librement dans la maison comme les enfants (seulement lorsqu’il n’y a pas d’invités). Les

personnes âgées et les enfants restent des intermédiaires privilégiés entre hommes et femmes

dans la maison. Ce sont souvent les enfants qui vont voir à la porte qui frappe. C’est le

patriarche de la maison qui transmet les plats chez les hommes pendant le repas (puisqu’il

peut voir toutes les femmes de sa maison : femme, filles et belles-filles). La hiérarchie de

l’âge est donc moins importante que la séparation homme / femme. En effet, pendant que

l’homme le plus âgé emmène les plats, les plus jeunes sont assis et attendent d’être servis.

4.2. Pour des relations apaisées…le rêve de la maison idéale

La maison idéale…voilà une chose sur laquelle nous pouvons facilement faire parler

les femmes. Elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin. Elles ont appris par

leur expérience quotidienne à être critique vis-à-vis des maisons. Elles sont d’ailleurs très

souvent à la source de modifications sur leur maison construite ou en cours de construction (le

mari servant pour ainsi dire d’intermédiaire avec le maçon). Les hommes aussi, rejetés parfois

de leur maison ont appris à penser des maisons où la coexistence des hommes et des femmes

ne pose pas de problèmes. Certaines maisons construites très récemment par des mozabites,

m’ont étonnée par leur fonctionnalité et leur organisation dans les parties hommes/femmes.

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56

4.2.1. Une maison pour la famille restreinte en gardant un lien avec le collectif

La maison idéale, imaginée par les jeunes couples, vivant encore chez les parents est

souvent pensée comme une échappatoire possible aux difficultés de la coexistence dans la

famille élargie. La cohabitation est parfois longue. Le couple peut déjà avoir des enfants

adolescents et la maison regroupe donc trois générations différentes. Avec les enfants devenus

grands et la présence de plus en plus de belles sœurs, le couple veut et doit avoir sa propre

maison. Cette maison c’est le moyen pour la femme de prendre ses distances face à la belle

mère. Ce sera désormais elle, qui aura le titre de maitresse de maison et qui accueillera plus

tard des belles filles. Avec cette maison, la femme acquière un nouveau statut qui la valorise.

Elle obtient également une certaine liberté (dans les activités quotidiennes, dans sa manière

d’éduquer les enfants). De plus, elle n’a plus à se cacher de qui que ce soit vivant dans sa

maison. Elle a accès à tous les espaces de sa maison. Les maisons OPGI, parce que moins

couteuses, peuvent être un moyen plus rapide pour le couple de décohabiter de la maison

familiale. Encore faut-il que l’homme soit financièrement autonome vis-à-vis de sa famille et

que l’accord des parents soit effectif. Souvent, les parents ne se mettent pas à l’encontre du

choix de leur fils et ils aident même le couple à avoir sa propre maison. Les parents financent

une part de la construction de la maison. A côté de ce besoin d’émancipation, les femmes

aiment vivre en collectivité, « on préfère vivre toutes ensembles ». L’idéal est d’avoir son

propre univers tout en ayant la possibilité de se regrouper entre femmes d’une même famille.

Ce n’est donc pas un phénomène récent d’individualisation de la société qui pousse les

mozabites à quitter la maison familiale mais plus un besoin d’individuation. Les femmes

veulent être reconnues en ayant leur propre maison mais conservent le souci de solidarité

familiale, de mise en commun. Cela est d’autant plus vrai qu’au Mzab, plus qu’ailleurs, les

femmes doivent s’entraider. En effet, les hommes mozabite de Guerrara sont nombreux à

migrer au nord (surtout à Alger) pour travailler (commerces). Les femmes sont parfois sans

maris pendant plusieurs mois, elles se soutiennent donc dans la vie de tous les jours,

l’éducation des enfants et font leurs repas en commun. C’est le patriarche de la famille

(retraité) ou un homme qui travaille sur place qui s’occupe de ramener la nourriture aux

femmes. L’idéal serait donc de pouvoir alterner entre vie de famille restreinte lorsque le mari

est présent et vie collective dans la famille élargie lorsqu’il est absent. Les couples qui en ont

les moyens et qui sont moins conservateurs migrent ensemble. Maris et femmes vivent la

plupart du temps au Nord et reviennent pour les vacances à Guerrara. Ceci est une évolution

très importante quand on se souvient qu’il y a quelques années encore la femme mozabite

n’avait pas le droit de quitter le Mzab. De plus, la vie dans la famille élargie permet d’aider

les personnes âgées de la famille. Il est inconcevable de laisser ses parents seuls face à la

vieillesse. Les anciens sont très respectés, le terme « hadj » est un qualificatif qui désigne une

personne âgée partie à la Mecque, c’est également une marque de respect. De la même façon,

on n’appelle pas son père, mère, oncle, sa tante,… par son prénom mais on ajoute avant le

mot « baba », « mama », « ami », « amti »…untel. C’est aussi une manière de marquer

l’importance de la famille et des anciens. Le nom de famille a une importance capitale à

Guerrara. Lorsqu’une personne se présente, elle doit donner son nom puis son prénom, elle

indique ensuite qu’elle est la fille/fils de…du fils de…qui est fils de… La descendance se dit

toujours en fonction du père, grand père et arrière grand père. Les femmes n’apparaissent pas

lorsqu’on se présente. Cette importance de la patrilinéarité est également remarquable dans la

transmission des maisons. La maison de famille, du père n’est jamais abandonnée. Même en

cas de migration, c’est une maison de vacance dont on s’occupe. On ne la vend pas. Elle fait

partie de l’identité de la famille. C’est pourquoi, l’idéal pour les familles mozabites de

Guerrara serait d’avoir des maisons indépendantes pour chaque couple qui soient mitoyennes

et donnent sur un espace central ouvert et couverts appartenant à toute la famille élargie.

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57

4.2.2. Une maison où tout le monde a sa place

La féminité par rapport au logement exprime un certain nombre de demandes. La

maison est conçue comme un outil de bonheur, on cherche à l’améliorer en tant que tel. C’est

le moyen de l’épanouissement de la famille et surtout celui de la femme. Il y a donc une

certaine idéologie du logement idéal pensé par et pour les femmes. Cet idéal s’articule autour

d’un axe central : le rapport de la femme avec l’homme. Le logement est donc pensé

protecteur contre le regard de l’homme. Il est également un lieu apaisant, confortable pour la

femme et pour l’homme, ce qui implique qu’il soit conçu de manière à ce que femmes et

hommes soient séparés, autonomes, qu’ils ne se gênent pas mutuellement. La femme en tant

que protectrice de la famille se soucie également du bien être des enfants et de leur place dans

la maison.

« Dans la maison, il me faut beaucoup d’endroits pour que je puisse monter à la

terrasse, aller dans la cour, dans ma chambre…pour ne pas être entre quatre murs. Alors, je

ne ressens pas le besoin de sortir, je n’ai pas envie… ». Ce que l’on peut comprendre par

cette phrase d’une mozabite, c’est que la maison doit être assez grande, confortable pour que

la femme s’y sente à l’aise et qu’elle ne ressente pas le besoin d’aller dehors dans le monde

des hommes. Faire une maison confortable pour la femme, c’est une manière de conforter le

découpage du monde en deux entre celui des femmes et celui des hommes. Ce confort, il

passe par la fraicheur de la maison en été. Tous les mozabites pensent que les matériaux

traditionnels sont meilleurs pour l’isolation. Alors pourquoi ils ne les utilisent pas toujours?

Les troncs de palmiers ont une portée limitée, le timchent (plâtre) prend de la place pour

supporter le poids des troncs. Cela crée des pièces exigües (comme les premières maisons

urbaines). La femme mozabite veut plus de place. L’utilisation des nouveaux matériaux crée

des maisons plus spacieuses mais plus chaudes. Cela impose donc d’adopter des remèdes :

chauffage, climatiseurs. Les mozabites apprécient tout de même d’utiliser la chaux comme

enduit et revêtement extérieur (qui permet de maintenir un peu de fraicheur dans la maison).

Ensuite, pour rentabiliser cet espace, il faut que chaque membre de la maison s’y sente à son

aise. Les femmes aimeraient avoir un jardin. C’est un moyen d’avoir accès à l’extérieur, à la

nature sans sortir dans la rue. Mais elles précisent aussi que c’est une aire de jeux formidable

pour les enfants. Certaines rêvent de jeux extérieurs pour enfants (balançoires, toboggans,…).

Le jardin permettra aux enfants de ne pas se retrouver dans la rue ou dans la pièce centrale de

la maison pour jouer. Lorsque les femmes passent dans le ksar, elles sont toujours triste de

voir des enfants par dizaines, s’amuser dans la rue. Elles disent : « Je ne veux pas ça moi pour

mes enfants, ce n’est pas bien ! », « les pauvres, ils n’ont pas de place à l’intérieur. ». Les

femmes également conscientes qu’une nouvelle catégorie de jeunes existe (les étudiants) se

préoccupent de leur situation dans la maison. Généralement absents durant l’année scolaire

(ils logent dans les cités universitaires ou chez de la famille dans une grande ville puisqu’il

n’y a pas d’université à Guerrara), les jeunes hommes étudiants reviennent dans la maison

familiale pour les vacances ou en weekend. Pas encore mariés, ils ne disposent que rarement

d’une chambre individuelle. Ce ne sont pas non plus des enfants et ne peuvent pas dormir

avec filles et garçons plus jeunes dans une salle quelconque. Une pièce doit alors être

transformée en dortoir pour ces jeunes hommes. Elle redevient une salle de réception pendant

la journée. Les étudiants n’ont donc pas de lieu où travailler, où se reposer la journée. Des

solutions provisoires sont trouvées. On mobilise une pièce pour eux qui sera condamnée aux

femmes, par exemple. Les femmes souhaitent donc que ces jeunes hommes aient leur propre

chambre malgré le fait qu’ils ne soient pas mariés. Ils pourraient l’investir avant leur mariage

puis la transformer pour l’arrivée de leur future femme. Cette pratique vient percuter la

tradition qui stipule que hommes et femmes doivent passer la première nuit dans leur nouvelle

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chambre ensemble. Mais ce que l’on voit, c’est que dans la maison, ce qui compte le plus

c’est le confort des femmes. Ce confort, il est aussi fonction de la place suffisante accordée

aux hommes qui n’empiètent pas ainsi sur leur espace. La diversification des rôles au sein de

la famille demande donc de nouveaux espaces. Le garage, nouvel espace indispensable

aujourd’hui et dévolu aux hommes, a pris de la place sur l’espace de la femme. Là encore,

elles revendiquent, comme un outrage à leur droit, le fait que cette perte de place ne doit pas

confiner femmes et enfants dans un réduit. Bien évidemment, la maison idéale a une chambre

pour chaque couple (avec fenêtre). Cela, elles ne le précisent presque jamais puisque c’est une

chose naturelle. La filiation patrilinéaire s’exprime dans la maison puisque plus on a de fils et

plus il faut construire une maison grande pour accueillir les futures femmes de la famille. Les

femmes de la famille de la jeune mariée sont toujours invitées à voir la future chambre du

couple. Si la chambre n’est pas convenable cela peut créer des conflits. On ne laisse pas partir

sa fille dans une maison sans chambre pour elle. De plus la qualité des meubles, de la

peinture, des lustres, finitions est toujours bonne. Il y a une fenêtre pour aérer. Lorsqu’elle est

petite, les femmes font des réflexions, sont mécontentes. En plus des chambres, hommes et

femmes devraient avoir une partie de la maison qui leur est propre. Chaque partie a ses

propres sanitaires et un accès à l’eau pour la prière. Les WC doivent être séparés de la salle

d’eau. Cela pour des facilités d’accès aux différents membres de la grande famille et aussi

peut être pour des raisons de superstitions. En effet, il y a des lieux (comme les toilettes) où

les djnouns38

sont plus présents qu’ailleurs. La salle d’eau sert aux ablutions quotidiennes

pour la prière, il est bon de la séparer des WC. L’espace destiné aux hommes doit être

indépendant, c'est-à-dire avoir un accès direct à la sortie (sans passer chez les femmes).

L’espace des femmes doit permettre d’accéder librement à toute la maison mais surtout à la

cuisine, à des sanitaires, aux terrasses, au jardin. Il doit comprendre une grande salle au

moins, pour pouvoir recevoir d’autres femmes. Pour l’été, la maison doit avoir une cave dans

l’idéal (qui permet de se mettre au frais). Elle a également un toit-terrasse compartimenté.

C'est-à-dire que chaque couple à un petit espace protégé sur la terrasse. Cela est possible

lorsqu’il n’y a que très peu de couples dans la maison. Si la famille est très grande, il y a

toujours deux compartiments : un pour les femmes et l’autre pour les hommes. Enfin, ce

qu’apprécient les femmes ce sont tous les progrès qui ont été apportés dans la cuisine. Elles

veulent toujours une cuisine moderne, grande avec tous les équipements nécessaires.

Pour ce qui est de la décoration intérieur des maisons, certaines gardent le style

traditionnel. La maison est simple, les couleurs ne viennent que des tapis traditionnels, des

banquettes et coussins, des tentures mises au mur. D’autres ont adopté des décors arabes. Une

maison par exemple avait de la faïence sur tous les murs39

. Même si les religieux ne veulent

pas de décorations à l’intérieur des maisons (« utilisaient plutôt cet argent pour les

pauvres »), certaines femmes veulent avoir le droit de décorer leur maison. Elles ne se gênent

pas pour décorer leur maison mais sans marque d’ostentation. Dans la plupart des maisons, on

trouve par exemple, des grands tableaux de paysages exotiques40

. C’est souvent dans la salle

de réception des hommes que se trouve un grand meuble, un buffet souvent, avec des vases

pleins de fleurs en plastiques, des photos de l’arrière grand père de la famille décédé,… C’est

dans cette salle que sont mis de plus en plus de meubles.

38

Sortes d’esprit, cela peut s’apparenter à nos fantômes. 39

Voir photo en annexe 8 40

« Exotiques » comprenant pour les mozabites : les montagnes enneigées, les vallées et grands arbres, les

lacs,…

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59

Conclusion

La place réservée à la femme mozabite de Guerrara est dans la maison. Les

représentations, les pratiques (répartition des tâches entre les sexes) nous indiquent que la

femme a son propre monde dans la maison. Spatialement, tout l’indique également. Les

femmes n’ont pas un droit complet à la ville. Elles possèdent un droit de passage qui leur

permet de mieux investir d’autres maisons (la maison de la fraction, de la palmeraie, d’une

connaissance). Seul le cimetière est un lieu public à ciel ouvert où les femmes peuvent aller.

Mais nous avons vu qu’elles doivent dans ce lieu comme dans la ville respecter un certains

nombres de règles strictes pour apparaître dehors. Le choix de la maison comme témoin des

évolutions possibles des conditions de vie des femmes était donc incontournable.

Des mozabites dans des maisons par plans type

Face à l’architecture traditionnelle, à l’organisation de la maison mozabite et aux

pratiques des femmes à l’intérieur, que pouvons nous conclure sur les nouveaux habitats de

l’OPGI et des promoteurs ? Quel est le décalage entre leurs représentations de l’architecture,

leurs pratiques et la conception architectural professionnelle ? Pour commencer, rappelons

que ces maisons ne sont pas localisées dans des lieux très attrayants pour les mozabites. Cette

localisation éloigne la famille de la sécurité apportée par la communauté, de la vie religieuse

(qui est très importante pour les mozabites). Surtout, elle crée une dépendance de la femme

envers les hommes de sa famille puisqu’elle ne pourra plus effectuer ses déplacements

uniquement à pied. La voiture reste toujours aux mains des hommes. Nous avons déjà dit

qu’un grand nombre de mozabites migrent périodiquement au Nord, laissant femmes et

enfants. Comment les femmes peuvent-elles se déplacer lorsque leur mari est absent pour les

transporter ? Ensuite, la maison ne se prête pas toujours au milieu aride et aux mœurs des

mozabites. Il n’existe pas de caves parce que couteuses dans ces maisons. Elles sont parfois

remplacées par des climatiseurs. Les fenêtres, parfois trop grandes et mal disposées créent de

la chaleur dans la maison. Elles ne sont pas très appréciées puisqu’elles ne préservent pas des

regards extérieurs. Le plus important est pour les mozabites de préserver la qualité de leur vie

intime, privée par une maison protectrice. Elément remarquable de l’architecture mozabite, le

« chebek » n’est pas repris dans ces nouvelles constructions. Il est réputé pour éclairer et aérer

la pièce centrale de la maison. Les inconvénients s’ajoutent, puisque les fenêtres grandes étant

souvent condamnées (paravent ou autre), ils ne restent même pas l’ouverture vers le haut pour

éclairer la maison. L’entrée de la maison n’est pas toujours faite en chicane. Même si elle est

parfois accompagnée d’une petite cour qui permet de couper le regard, les maisons parfois

accolées par deux ont des entrées en face à face. Le vis-à-vis peut être source de dérangement

pour les mozabites. De plus, la vie publique commence à sa porte avec la rue (parfois une

place directement). Il n’y a pas de passage doux comme on pouvait le constater dans le ksar

entre la maison, la ruelle à usage résidentiel, la rue et la place. Cela perturbe les pratiques des

femmes dans la ville. Enfin, la petitesse des logements peut poser des difficultés dans la

coexistence des hommes et des femmes d’une même maison. Les maisons ne regroupent

souvent qu’une famille restreinte, les flux sont donc libres. Mais les femmes mozabites ont

une forte sociabilité qui s’exprime dans les maisons. Elles devront donc mettre leurs hommes

dehors pour recevoir ; ou elles s’accommoderont d’une seule pièce et d’un sanitaire pour

hommes et femmes. Cela rendra la vie très difficile aux femmes comme aux hommes. Cette

architecture n’a pas que des points négatifs. Toutes ces opérations sont de style petites

maisons individuelles. Ainsi chaque foyer possède son indépendance par rapport aux voisins.

Il n’y a pas de parties communes comme dans un immeuble dans ces zones résidentielles.

L’horizontalité des habitations, la limitation de hauteur préserve la vie privée. Aucune

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60

habitation n’a vue sur la terrasse du voisin. L’architecture reprend également un élément fort :

le toit terrasse et les murs acrotères protecteurs. Ils permettent aux femmes d’avoir un espace

ouvert sur l’extérieur et de se sentir à l’aise car protégées des regards. Elles sont de tailles

moyennes. Elles sont également indispensables pour pouvoir profiter de la brise des nuits

estivales. Pour finir, cette maison peut être un bon moyen pour un couple sans enfants ou avec

des enfants petits de s’émanciper vis-à-vis de la maison familiale qui regroupe la famille

élargie. Il faudra s’adapter aux nouvelles conditions de vie, réinventer des pratiques. La

situation peut paraître acceptable si le couple a un autre point de chute (grande maison des

parents, d’un frère ou autre). En effet, pour tous les évènements importants de la vie, il faut

pouvoir organiser une fête dans une maison (naissance d’un enfant, circoncision, fête

religieuse,…). Mais cela ne pourra être une solution que pour une période courte de la vie

d’un couple. Plus les enfants grandissent et plus le besoin de place se fait sentir. Les enfants

ne peuvent plus dormir ensembles (après la puberté). Les garçons vont se marier et il faut

prévoir une chambre pour le jeune couple. Il faut donc construire sa propre maison et comme

disait A. Pavard dans le film, Lumières du Mzab : « Echanger, vendre, acheter, c’est la

tradition du Mzab ». Ils perpétuent donc la tradition en revendant avec une plus value leur

logement OPGI souvent aux non-mozabites.

Les professionnels doivent-ils s’adapter à la demande mozabite ?

Est-ce que ces maisons construites par l’OPGI et des promoteurs privés peuvent

changer les manières de vivre des femmes ? Ce que l’on remarque, c’est que plutôt que de

changer leurs habitudes, les mozabites vont adopter des stratégies de contournement pour

adapter le logement à la vie de la femme mozabite. Les pratiques sociales et la quotidienneté

sont d’une grande inertie : ajouter des rideaux qui sont mobiles selon les situations, mettre les

hommes dehors, diminuer le nombre de ses sorties, garder un point de chute chez les beaux

parents,… Ces adaptations diminuent le confort de la femme en règle générale. Au regard, de

cette situation, on peut se demander si l’offre de logements publics et promotionnels est

réellement destinée aux mozabites. Certains évènements récents à Guerrara repris dans les

journaux ont montré la colère des mozabites face aux offices publics. En plus des faibles

demandes de ce type de logement par les mozabites, les offices sont accusés de préférer les

dossiers des populations arabes dans les attributions. Les mozabites sont réputés pour leur

débrouille, leur organisation communautaire (qui aide les plus démunis) ; ils ne seraient donc

pas prioritaires. Ces logements sont-ils faits et pensés pour accueillir des mozabites ? L’Etat

par le biais du logement social mais aussi des financements apportés aux promoteurs privés

pour impulser la construction immobilière, veut-il loger des mozabites ? Et comment veut-il

les loger ? Tant que les logements ne seront pas adaptés à la demande, les mozabites

préfèreront la débrouille, ce qui confortera les offices dans leurs attributions et dans la

conception des logements. C’est donc un cercle vicieux. Même si l’Etat montrait une forte

volonté à vouloir construire du logement à Guerrara adapté aux mozabites, une autre question

se pose. En se servant de l’expertise citoyenne, du savoir des habitants et des architectes,

bâtisseurs mozabites pour concevoir des maisons adaptées aux mozabites (la parole des

habitants serait alors considérée comme porteuse d’une rationalité relative), est-ce que nous

n’acceptons pas par la même occasion de figer la place de la femme telle qu’elle est pensée

encore actuellement au Mzab ? Reproduire en quantité un modèle architectural qui garde en

ses murs une philosophie, une doctrine sociale, culturelle et religieuse, c’est y adhérer et

promouvoir cette philosophie qui demande aux femmes d’être récluses. De plus, faire du

logement pour les mozabites, c’est exclure tout un pan de la population (les populations

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61

arabes) puisqu’ils n’ont pas les mêmes pratiques, croyances41

. La question qui se pose pour

les acteurs qui construisent du logement au Mzab est : doit-on et peut-on discriminer les types

de construction, de projet en fonction des futurs habitants ? Cela ne créera-t-il pas des

nouveaux quartiers communautaires ? Et doit-on lutter contre ces quartiers (puisqu’ils peuvent

être de véritables quartiers ressources pour les mozabites de toutes classes sociales) ? La suite

de ce travail se trouve surement dans la recherche des différentes logiques des acteurs

professionnels tels que les architectes, les offices et promoteurs. Y-a-t-il des idéologies de

conception intentionnelles derrière l’habitat exogène ou répondent-ils uniquement à des

contraintes spatiales et économiques ? Tout au long de cet exposé, les logements par plans

type ont été vus de manière critique et plutôt négativement par rapport au mode de vie

mozabite. Nous pouvons nous placer d’un autre point de vue. Les logements actuels

pourraient être une manière de rapprocher les communautés et cela passerait alors par un type

d’habitat standardisé pour populations arabes et mozabites. Le logement par les valeurs qu’il

sous tend exercerait une pression de « moralisation » sur les mozabites. Comme les premiers

logements de masse des ouvriers en France qui devaient les « civiliser », leur apprendre ce

qu’est l’hygiène, les logements de Guerrara peuvent être un moyen de faire évoluer les

mozabites pour plus d’ouverture sur l’extérieur (on y ajoute des fenêtres), une vie plus tournée

sur la famille restreinte (on fait des petits logements), une mixité hommes-femmes (on intègre

qu’un seul sanitaire), des femmes plus visibles (on fait des vis-à-vis, des petites places devant

les logements,…). Se placer de ce point de vue est hasardeux. En effet, on ne peut pas

imposer d’un point de vue éthique un nouveau mode d’habiter (qui est pensé comme meilleur)

à des individus pour faire évoluer la position de la femme. « Nous pouvons citer comme

exemple un architecte marocain qui, dans une enquête, nous disait faire de beaux et bons

logements, son problème étant que les Marocains, trop « arriérés », ne savaient pas vivre

dedans. Ou si un peu moins d’exotisme est supportable, nous pouvons faire référence aux

cités de transit, qui évoquent, au moins dans les discours, un logement intermédiaire qui

devrait permettre à son occupant, non seulement de trouver une situation pécuniaire qui lui

permette de payer un loyer normal, mais aussi un lieu d’apprentissage de l’habiter

convenable, sorte d’espace pédagogique du « bon logement ». »42

. Le cadre bâti n’a pas

vocation à être utilisé comme un instrument d’action des professionnels sur les habitants.

Cette instrumentalisation ou « orthopédie sociale » (comme le souligne J.P. Frey43

) perturbe

les comportements des individus et une de leur réponse peut être de contredire la conception

architecturale (exemple : construction de caves dans les maisons OPGI alors que c’est

interdit). Ce que cela crée est plutôt un retranchement, un repliement dans les pratiques

traditionnelles et une vie encore plus difficile pour la femme (à la mixité on préfèrera le

cloisonnement, aux fenêtres l’obscurité, aux espaces ouverts les rideaux, à la famille restreinte

la migration occasionnelle chez des proches, etc…). Il faudrait également pour la suite de ce

travail analyser le mode de production des logements et le montage financier qui contraint le

type de logement. Le programme quinquennal (2005-2009) lancé par l’Etat pour la

construction de 1,5 millions de logements tous types confondus montre l’urgence de la

question. Dans le cadre de cet objectif, la question du logement adapté à la différence des

modes de vie ne parait surement pas pertinente aux pouvoirs politiques. Il faut loger…loger

dans un standard industriel est déjà une évolution (logement propre, décent,…). Laurette

41

L’entretien avec le directeur de l’OPVM nous renseigne sur ce point. Des habitations construites à Ghardaïa

par l’architecte Ravéreau dans l’esprit traditionnel mozabite ont été toutes totalement modifiées par les arabes

qui y vivent. Seules les deux ou trois familles mozabites qui y résident ont gardé intact ces maisons. Ceci

témoigne de l’inadaptation mutuelle des différents types d’habitats selon les populations. 42

WITNER L., Normes de surfaces corrigée et conception du logement social, in Les faits du logis sous la

direction de WITNER L. et WELTZER-LANG D., Collection Vie et Société, ed. Aléas, 1996, 256p, p. 85 à 97. 43

Cours « Histoire architecturale de la société », à l’IUP.

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62

Witner44

note par exemple que « Dans le cas du logement social les normes de financement

deviennent coercitives pour des raisons d’équilibre financier. Les constructions qui intègrent

des modalités de confort, non inscrites dans le décret relatif aux surfaces corrigées, s’avèrent

économiquement irréalisables. Pourtant ne pas les prendre en compte produit des bâtiments

nécessairement délocalisés et mal adaptés à la vie sociale. (…) Un espace inadapté sera

modifié ou transformera la pratique elle-même. Les exemples sont nombreux. » Comment

fournir, avec les contraintes financières existantes, une offre plus vaste, attentive à la diversité

culturelle et des modes de vie. Il serait peut être intéressant d’impliquer plus les habitants

(autoproduction totale ou partielle) même s’il y a des contraintes financières. De plus, il faut

laisser la possibilité aux habitants d’agrandir la maison lorsque cela devient possible

économiquement pour la famille. La force de la grande maison persiste car elle permet

l’accueil imprévu de tout membre de la famille et de remplir le devoir d’hospitalité sans

compromettre l’intimité de la famille restreinte.

La maison, élément déterminant des pratiques sociales de la femme ?

Même s’il ne s’agit pas d’imposer un mode de vie aux mozabites, il faut permettre

l’évolution. La question de la patrimonialisation peut être questionnée. Dans le sens où en

voulant protéger, figer une maison à un moment donné, ne cristallise-t-on pas la condition

féminine ? Le patrimoine est une intellectualisation (souvenons nous de cette époque) mais on

ne fait pas de considération pour celles qui sont les premières touchées par les maisons. Elles

subissent, encore une fois, le sort qu’on leur a réservé. Donnadieu C.et P., Didillon H. et J-M,

ainsi que Pavard C. ont montrés que les mozabites tiennent à leur propriété familiale. Ils ne

veulent pas partir, la vendre. Ils préfèrent reconstruire une maison moderne sur l’ancienne. Il

ne faut donc pas juste contenter celui qui veut conserver mais faire des compromis.

Les enseignements que nous apportent les autres sociétés, c’est que le changement de

la condition féminine arrive le plus souvent avec trois éléments : généralisation de la

contraception (la maitrise de son corps), les études et le travail salarié (indépendance vis-à-vis

de l’homme pourvoyeur). L’habitat (même s’il est lié à la femme) ne peut pas être un

déclencheur du changement du statut de la femme, il s’adapte aux évolutions par la suite.

Regardons alors où en sont ces trois facteurs déterminants à Guerrara. Les filles sont

scolarisées. Elles peuvent aller dans la medersa des filles (école privée financée par la

communauté) mais elles ne pourront pas poursuivre d’études supérieures. Les parents peuvent

choisir de les scolariser à l’école publique. Cela leur permet de poursuivre des études, encore

faut-il qu’elles aient de la famille dans une ville universitaire (Alger souvent mais Ghardaïa

vient de se doter d’une toute nouvelle université). Les mozabites n’acceptent pas de laisser

leur fille dans les cités universitaires, être seule, indépendante. Le prolongement des études

pour les filles a toujours été soumis à l’offre disponible au Mzab45

. Avec l’arrivée d’une

université à Ghardaïa peut être que le nombre d’étudiante va augmenter dans les années à

venir46

. Le travail salarié des femmes est toujours faible. Quelques femmes travaillent mais

toujours dans des secteurs qui les mettent en contact avec d’autres femmes (enseignantes,

infirmières, très peu de médecins, quelques femmes travaillent dans l’administration). Le

travail n’a pas encore permis aux femmes d’accéder à la ville. Enfin, la contraception

(traditionnelle ou moderne) est utilisée par les femmes, même si cela se fait en cachette (vis-à-

44

WITNER L., Normes de surfaces corrigée et conception du logement social, in Les faits du logis sous la

direction de WITNER L. et WELTZER-LANG D., Collection Vie et Société, ed. Aléas, 1996, 256p, p. 85 à 97. 45

A. PAVARD dans le film Lumières du Mzab (deuxième partie), explique qu’en 1974 la scolarisation des filles

au Mzab s’arrête au BEP. Les parents ne souhaitent pas les envoyer dans des pensionnats. C’est le même

phénomène aujourd’hui mais la barrière se situe au niveau du baccalauréat. 46

Voir annexe 6 : taux de scolarisation à Guerrara.

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63

vis des autres femmes). L’Algérie se trouve dans sa phase de transition démographique, ce

moment où les progrès de la médecine, de l’hygiène et des conditions de vie aidant, la

mortalité infantile est très basse mais la natalité reste élevé. Les femmes ont eu jusqu’à 13

grossesses voire plus et ont le même nombre d’enfants adultes alors qu’elles en auraient perdu

la moitié auparavant. Cette forte natalité a créé un surpeuplement dans les maisons. Les

femmes signalent qu’en plus de ce surpeuplement, elles ont vu leur espace se réduire avec

l’arrivée du garage ou encore des salles réservés aux hommes. A cela s’ajoute le cout de la vie

élevée. Les femmes sont donc en train d’adapter leur comportement de fécondité, pour réduire

le nombre d’enfants par foyer. Toutes les jeunes femmes, jeunes mariées et jeunes mamans

me confirment qu’elles veulent 2, 3, 4 et au grand maximum 5 enfants. Le nombre de

grossesse des anciennes est sujet de plaisanterie. Il est signe de prestige pour la femme mais

c’est un prestige qui fait référence à un temps passé, révolu. Les femmes incorporent des

comportements de fécondité nouveaux. A ces trois éléments, j’ajouterai un quatrième

spécifique au Mzab et Guerrara : l’ouverture sur l’extérieur. Depuis des décennies les

hommes mozabites voyagent et ont une connaissance du monde international, ils vendent,

achètent, font des études. Mais ils laissaient les femmes au Mzab. Aujourd’hui, de plus en

plus de femmes partent avec maris et enfants s’installer dans toute l’Algérie. Ce qui pourrait

être perçu comme une grande évolution est pourtant à relativiser. Les conditions de vie dans

ces grandes villes sont parfois plus rudes pour les femmes (les logements sont encore moins

adaptés aux mœurs mozabites que les nouveaux habitats de Guerrara). Elles sont parfois plus

recluses dans ces villes qu’elles ne l’étaient au Mzab (liberté d’aller de maisons en maisons

qui n’est plus faisable dans les grandes villes). Les femmes affirment donc parfois qu’elles

préfèreraient vivre à Guerrara mais qu’elles veulent suivre leur mari. Enfin, le choix du futur

mari et les relations entre les fiancés évoluent quelques peu. La jeune femme n’est jamais

forcée de se marier (il existe parfois des pressions même si elles ne sont pas directes).

Lorsqu’ils sont fiancés, le jeune homme peut sans avoir peur des conséquences appeler la

jeune femme, lui envoyer des lettres, des sms. La femme lui répond également librement. Par

contre, il n’y a pas de tête à tête avant le mariage. Les évolutions timides dans le statut de la

femme expliquent pour beaucoup l’inadaptation des logements par plans type. La femme est

le pilier de la maison et de la société, c’est la gardienne des traditions, de la culture mozabite ;

la grande peur des conservateurs mozabites (hommes comme femmes) c’est que si elle sort de

son rôle dans la maison, de ce carcan, c’est toute la société qui éclate et qui s’effondre à ses

pieds. Cela confère un rôle très important à la femme qui en paye le prix fort, le prix de sa

liberté.

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Glossaire :

Achira ou Tachert : la fraction. Cela désigne aussi la maison communautaire de la fraction.

Ajar : tissu porté par les femmes et couvrant le bas du visage.

Ammas n’taddart : “le centre de la maison”, volume central, comparable à un patio.

Azzabas : religieux regroupés dans un cercle la Halgat, érigent des règles pour la

communauté

Chebek : ouverture de forme rectangulaire aménagée dans le plafond du volume central.

Cheik : religieux les plus importants.

Haïk : tissu épais blanc, beige dont se drapent les femmes dehors.

Haram : interdit par la religion

Hidjab : foulard, voile.

Ikoumar : partie couverte de l’étage

Innayen : coin feu qui est la cuisine traditionnelle mozabite.

Ksar (singulier), Ksour (pluriel) : ville fortifiée traditionnelle mozabite

Taddart : maison

Tamnait : toit-terrasse

Tigharghart : partie découverte de l’étage

Timchent : plâtre traditionnel

Timsiridines : religieuses

Tisefri : salon des femmes

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Table des illustrations

Carte 1 : Situation de Guerrara

Plan 1 : Maison traditionnelle du ksar

Plan 2 : Maison traditionnelle modernisée datant des années 60

Plans 3 et 4 : Maisons OPGI

Tableau 1 : Nombre de logements à Guerrara

Tableau 2 : Typologie de l’habitat à Guerrara

Figure 1 : Evolution historique de Guerrara

Figure 2 : Situation du projet promotionnel Nord

Figure 3 : Vue aérienne de logements OPGI

Figure 4 : Les possibilités d’extension de la ville

Figure 5 : Guerrara, les quartiers communautaires

Figure 6 : Localisation des lieux structurants de la ville

Figure 7 : Exemple de choix stratégique opéré par les femmes pour un passage dans la ville

Figure 8 : Femmes et habitat dans un environnement urbain différencié

Figure 9 : Visibilité problématique d’une femme dans une maison

Photo 1 : maison à tuiles

Photo 2 : la mosquée au centre de la ville

Photo 3 : une place qui n’accueille plus de marché

Photo 4 : des objets de l’univers féminin placés sur les tombes

Photo 5 : deux femmes dans une ruelle

Photo 6 : femme portant le haïk dans la ville

Photos 7, 8 et 9 : différents types d’ouvertures sur l’extérieur

Photo 10 : grande fenêtre avec vitre brouillée et rideaux

Photo 11 : fenêtres donnant sur rue et portes d’entrée en vis-à-vis (maison OPGI)

Photo 12 : toit terrasse avec mur protecteur (OPGI)

Photo 13 : protection au dessus de l’entrée d’une maison (main de Fatma)

Photo 14 : porte d’une maison grande ouverte

Photo 15 : entrée en chicane

Photo 16 : rideau devant la salle des femmes

Photos 17 et 18 : cuisine équipée

Photo 19 : cuisine traditionnelle

Photos 20, 21, 22, 23 et 24 : multiplication des salles d’eau et WC dans une maison

Photos 25 et 26 : cour intérieurs

Photo 27 : toit terrasse compartimenté

Toutes les photos ont été prises par Sarah Benaïssa

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Bibliographie :

Ouvrages

AVRILLIER R., Evolution de la condition féminine et habitat : quels pouvoirs des femmes

sur le logement et son usage ?, in Plan Construction numéro 140, Latour-Maubourg, 1979,

88 p.

BOURDIEU P., La maison ou le monde renversé, in Esquisse d’une théorie de la pratique.

Précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, Points Essais, 1972 (réédition de

2000), page 61 à 82.

BOURDIEU P., La domination masculine, Paris, Seuil, Points Essais, 1998, 176 p.

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.

DONNADIEU C.et P., DIDILLON H. et J-M. Habiter le désert, les maisons mozabites.

Recherches sur un type d’architecture traditionnel présaharien, Bruxelles Liège, Mardaga,

1977, 254 p.

GOICHON A.M., La vie féminine au Mzab : étude de sociologie musulmane, volume 1,

Paris, Geuthner, 1927, 345 p.

LACOSTE-DUJARDIN C., Dialogue de femmes en ethnologie, Paris, La Découverte, 1977

(réédition de 2002), 115 p.

MERCIER M., La civilisation urbaine au Mzab. Étude de sociologie africaine, Alger,

imprimerie Emile Pfister, 1922, 392 p.

MOHAMMAD IBN CHATTIN IBN SOLAUMAN, Notes historiques sur le Mzab.

Guerara depuis sa fondation (trad. de A. de C. MOTYLINSKI.), Alger, A. Jourdan, 1885,

70p.

PARAVICINI U., Habitat au féminin, Presses polytechniques et universitaires romandes,

1990, 177 p.

PAVARD C., Lumières du M'Zab, Editions Delroisse, 1974.

RAVEREAU A., Le Mzab une leçon d’architecture, Paris, Technique et Architecture, 1951,

221 p.

RAVEREAU A., Du local à l’universel, propos recueillis par BERTRAND DU CHAZEAU

Vincent RAVEREAU Maya, Editions du Linteau, 2007, 145 p.

Articles

FREY J.P., La conception de l’habitat et expression culturelle, in Relations interethniques

dans l’habitat et dans la ville, agir contre la discrimination, BOUMAZA N., Paris,

L’Harmattan, 2003, 466 p., p 329-346.

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Site : http://clio.revues.org/document639.html. Consulté le 12 février 2008.

HADJIJ C., Des Femmes d’Alger dans leur appartement aux femmes dans Alger, [En ligne]

Site : www.lapenseedemidi.org/revues/revue4/articles/4_femmes.pdf. Consulté le 25 février.

NAVEZ-BOUCHANINE F., De l’espace public occidental aux espaces publics non-

occidentaux, in Villes en parallèle, Juillet 2002. [En ligne]

Site : http://www.navez-bouchanine.com/articles/espace-public.html. Consulté le 7 mars 2008

PINSON D., Culture résidentielle et système d’habitat, in Relations interethniques dans

l’habitat et dans la ville, agir contre la discrimination, BOUMAZA N., Paris, L’Harmattan,

2003, 466 p., p 313-328.

RAYMOND H., Habitat, modèles culturels et architecture, in Architecture d’aujourd’hui

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WITNER L., Normes de surfaces corrigée et conception du logement social, in Les faits du

logis sous la direction de WITNER L. et WELTZER-LANG D., Collection Vie et Société, ed.

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YACINE T., Femmes et espace poétique dans le monde berbère, Clio, numéro 9/1999,

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URL : http://clio.revues.org/document287.html. Consulté le 12 février 2008.

Film

PAVARD C., Lumières du M'Zab, 1969-1974, film 1 et film 2.

Sites web

www.joradp.dz (le Journal Officiel de la République Algérienne)

www.mhu.gov.dz (Ministère d’Urbanisme et de l’Habitat algérien)

www.opgi.dz/opgi_guardaia (Office de Promotion et de Gestion Immobilière de Ghardaïa)

www.wilayadeghardaia.org (site de la wilaya de Ghardaïa)

www.opvmg.org (site de l’Office de Protection et de Promotion de la Vallée du Mzab)

www.elwatan.com (journal en ligne El Watan)

www.algerie-dz.com (journal en ligne)

www.ghardaiatourisme.free.fr (site de l’Association d'Orientation Touristique de Ghardaïa)

www.dtw-ghardaia.com (site de la direction du tourisme de la wilaya de Ghardaïa)

www.alger-roi.net/Alger/documents_algeriens/documents_sommaire.htm (sommaire des

documents algériens par le service d’information du gouvernement général de 1947,

documents consultés : série monographies : Sahara, Le Mzab (partie 1 et 2); La culture

mozabite; Le neuvième centenaire de la fondation de Ghardaïa).

www.tafilelt.com (site du projet de ville Tafilelt)

www.dailymotion.fr (recherche : Guerrara, vidéos de mariages et fêtes religieuses)

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68

Annexes :

Annexe 1 : Histoire et population

Annexe 2 : Vie sociale et religieuse

Annexe 3 : Situation économique

Annexe 4 : Quelques éléments sur la place des femmes au Mzab

Annexe 5 : Patrimoine de l’OPGI de Ghardaïa

Annexe 6 : Taux de scolarisation à Guerrara

Annexe 7 : Grille d’entretien pour les femmes mozabites

Annexe 8 : Photos

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Annexe 1 : Histoire et population

Période préhistorique :

Les recherches restent toujours très limitées quant à l’identification des tous premiers

groupements humains qui s’étaient établis dans la région de la vallée du Mzab avant l’ère

islamique. Des sites archéologiques, des vestiges- témoins ainsi que des outils et matériaux

datant du paléolithique sont toujours préservés. Quelques écrits décrivent la présence de

communautés primaires Troglodytes dont l’habitat est creusé à même la roche calcaire dans

les collines environnantes sans en préciser la datation.

Période Islamique :

Création du mouvement ibadite et migrations

Les habitants du Mzab sont pour la grande majorité des musulmans kharidjites (« sortants »).

Le mouvement auquel ils se rattachent date du 7ème

siècle et a pour origine la lourde question

de la succession du prophète. Mohamed ne s’étant pas désigné un successeur, Ali prit la place

de khalife. Le gouverneur de Syrie prétendant au titre entra en guerre contre lui. Ali, pour

éviter le sang voulu s’en remettre aux arbitres. Mais certains partisans d’Ali refusèrent cet

arbitrage, en proclamant que « le jugement appartient à Dieu seul ». C’est donc ce groupe qui

fit scission. Le kharidjisme qui était né de cette divergence se découpa en différentes écoles

dont les Ibadites.

Des cheikhs propageaient la nouvelle doctrine à travers le Moyen-Orient. Des tolbas

(religieux) dont Abderrahmane Ibn Rostem partirent quant à eux au Maghreb. Au milieu du

8ème

siècle, ils arrivèrent dans le Sud de l’Algérie. Abderrahmane Ibn Rostem fonda la ville de

Tahert (761). Les imams (Rostemides) rendirent la ville riche et prospère. Son pouvoir

s’étendra dans tous le Maghreb et représentait l’idéal politico-religieux des kharidjites. Elle

s’effondra vers 909 après une agression des Fatimides chiites.

Les Ibadites (Rostemides) originaires de Tahert s’installèrent alors dans la région de Sedrata

et aux environs de l’actuelle ville de Ouargla. Sedrata brillera, elle aussi, très vite par sa

richesse. Et elle fut, elle aussi détruite vers 1075. Depuis, l’influence de la doctrine ibadite en

Algérie n’est plus très importante.

Le peuplement du Mzab par les Ibadites

Bien avant la destruction de Sedrata, des Ibadites sont partis à la conquête de nouveaux

territoires pour s’implanter. Cela répondait d’une part à des divisions internes. D’autre part,

les agressions successives des nomades demandaient de trouver un lieu où se protéger plus

facilement. Enfin, on peut se demander si le faste de la ville de Sedrata (décrit par les

historiens) n’était pas fuit pour retrouver une certaine austérité dans la future ville (ou bien ces

préoccupations sont apparues bien plus tard ?). En tous les cas, les Ibadites s’installèrent au

Mzab. Il existait des nomades et semi-nomades sur les lieux qui ont été convertis.

Des villes fortifiées furent édifiées en fonction du rythme de sédentarisation et du mouvement

migratoire. Dans la vallée du Mzab, les Ibadites créèrent cinq villes fortifiées (« Ksour ») dont

la première était El-Ateuf en l’an 1010. En 1048, ils bâtirent la ville de Mélika, peu après

Bounoura puis Béni-Isguen en 1050 et Ghardaïa en 1053.

La vallée du Mzab prit sa forme définitive plus tard, avec la construction vers le Nord des

villes de Guerrara en 1631 dans la vallée de l’Oued Zegrir et Berriane dans la vallée de

l’Oued Souelem par les deux fractions Ibadites chassées de Ghardaïa, les Affafras et

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70

les Ouled Bakha. A sa fondation, le ksar de Guerrara jouissait d’une parfaite autonomie et

disposait de tous les attributs de souveraineté. La région dans laquelle la ville fut implantée

recelait de vastes terres enrichies en eaux.

Les autres populations venues au Mzab

Cette urbanisation de la vallée du Mzab ne fût possible que grâce à une entente des mozabites

ibadites avec les populations arabes de rite Malékite. Parmi les Malékites, on trouve les Béni-

Merzouk et M’dabih installés à Ghardaïa. Il y a également les Chaamba venus de la proche

Metlili pour s’implanter à Mélika (à la suite de l’accord de 1317 conclu avec les Ibadites) et

les Mekhama qui vivent en groupes restreints à Bounoura et El Ateuf. Il existait également

une forte communauté juive, originaire de Djerba (Tunisie) qui s’installa également au Mzab

avant de quitter la région en 1962 (à l’indépendance).

Époque coloniale :

En 1853, après quelques incidents, une délégation de mozabites se rendit à Alger pour y

rencontrer des représentants de l’Etat français. Ils ne représentaient pas toute la communauté.

Ils voulaient profiter de l’appui français pour s’imposer dans une querelle de çoffs (équivalent

de partis politiques). Ce groupe de mozabite ratifia une convention qui les proclamait soumis

à l’occupant mais libres dans l’exercice de leur coutumes, traditions et ils pouvaient continuer

à commercer (ils devaient simplement payer un tribut aux français). Suite à cette signature,

une bataille de çoffs éclata. Pour en finir avec cette situation, les français annexèrent le Mzab.

La pénétration militaire française a eu lieu en 1882. La colonisation Française, opérée assez

tardivement dans la région, n’a aucun impact particulier sur le peuplement de la vallée du

Mzab qui pourtant était considérée comme une plate forme stratégique pour une expansion sur

tout le Sud Algérien.

Le plus grand changement pour les mozabites fut l’implantation de l’administration coloniale

et la perte de pouvoir des instances traditionnelles mozabites de décision politique. Le rôle des

instances religieuses en fut par conséquent renforcé. La résistance au colonisateur fut surtout

portée par différentes écoles religieuses. L’école du cheik Bayoud de Guerrara prônait par

exemple un rapprochement avec les autres musulmans et se voulait tout à fait réformatrice

dans ce domaine. La seule question sur laquelle les mozabites et le colonisateur s’opposèrent

fut le service militaire. Les mozabites pensaient que d’un point de vue social et religieux, le

service militaire signifiait la fin de leur communauté car les jeunes auraient été amenés à

quitter le Mzab.

Au début de la guerre d’indépendance, les algériens avaient une certaine hostilité envers les

mozabites (boycott des magasins). Puis, les mozabites passèrent en 1956 un accord avec le

FLN, levant le blocus et déterminant les modalités de participation de la communauté à la

libération nationale. Au Mzab, le calme régna. L’indépendance fut proclamée en 1962.

Époque post – indépendance :

L’industrialisation du Sahara a considérablement impulsé l’activité de la vallée qui se trouve à

une centaine de kilomètres des champs pétroliers et gaziers dont l’exploitation fait de

Ghardaïa un centre de transit de la main d’œuvre industrielle.

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71

Annexe 2 : Vie sociale et religieuse

Langues :

Les mozabites parlent une langue berbère qui leur est propre : le Tamazirt. Tous parlent

également l’arabe (apprentissage du coran et passage à l’école publique algérienne). Mais ce

sont surtout les hommes qui savent l’écrire et les plus jeunes (garçons comme filles).

Beaucoup d’hommes d’âges mures parlent correctement le français (période coloniale). Les

femmes et hommes plus jeunes qui ont étudié également.

Religion :

Les mozabites sont musulmans Ibadites. Cette doctrine se base essentiellement dans le Coran.

Pour eux, c’est la seule référence qui vient de Dieu et qui n’a pas été modifié par les hommes.

Ainsi, les Ibadites ne suivent pas les prescriptions de la Sunna fondée sur les « hadiths » (faits

et dires du prophète) et « l’ijtihad » (interprétation et exégèse du Coran). Ces textes conçus

tardivement sont discutables, selon les Ibadites. Mais ce n’est pas le cas de la parole de Dieu

transcrite dans le Coran. Ils rejettent l’idée de prédestination absolue et pense que l’homme a

le choix de construire sa destinée. Le travail et l’effort sont donc indispensables pour avoir

une vie honorable dans ce bas monde. L’égalité entre tous les croyants est une condition à la

vision politique de l’Ibadisme. Tout bon croyant peut atteindre l’imanat. Le pouvoir ne doit

pas être hégémonique mais rassembler toute la Oumma (nation). Les musulmans désignent

ceux capables de les diriger, sans distinctions de race, de couleur ou de lignée. Le cheik

Beyoud de Guerrara dit : « Nous essayons de mettre en pratique la démocratie et l’égalité

dans la vie de tous les jours. Chez nous, personne n’est désigné (ni droit divin, ni filiation).

L’élection est démocratique et seul compte le mérite et la valeur de l’homme »47

. Les Ibadites,

dans leur rapport avec le pouvoir, respectent l’ordre et l’obéissance, même si le pouvoir est

injuste, à condition qu’il n’ordonne pas la non-croyance, ni l’interdiction de pratiquer leur

religion car dans ces conditions, ils n’obéiraient pas. S’il est injuste d’une autre manière, les

ibadites se limitent aux conseils et à la prévention, sans faire de révolution sanglante.

L’Ibadisme est souvent considéré comme l’application de l’Islam dans la vie. Pour eux, la foi

seule ne suffit pas, il faut faire preuve d’œuvres terrestres respectables (pratiques de la

religion, égalité sociale, s’occuper des pauvres, des personnes âgées, etc...).

Structures sociales et politiques :

Les ksour du Mzab ont été indépendant jusqu’en 1852. Chaque ksar était organisé comme une

république théocratique. Nous allons voir les différents éléments qui les composaient : la

famille, la fraction, les çoffs, l’assemblée exécutive (Djemaa) et enfin les structures

religieuses. De nos jours, Le Mzab a les mêmes institutions que celles existantes dans toute

l’Algérie. Mais certaines instances traditionnelles persistent. Nous dirons lesquelles et quel

rôle elles jouent aujourd’hui.

La famille regroupait des individus dépendants économiquement. Elle est de type patriarcale

et monogame, car l’application stricte du Coran rend la polygamie difficile. Certains cas de

polygamie peuvent exister si la femme est stérile par exemple, mais la règle veut que la

première femme donne son accord.

47

In Lumières du Mzab, film de C. Pavard, 1969-1974.

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72

Aujourd’hui, les familles élargies subsistent. Même si de nombreux couples ont leur propre

maison, ils ne s’éloignent pas beaucoup du reste de la famille et participent aux nombreuses

réunions. Les cas de polygamie sont toujours rares.

La fraction (« Achira » en arabe : tribu) est déterminée depuis des millénaires (création des

villes). Elle regroupe des familles à ancêtres communs et reçoivent d’autres éléments par

alliance. C’est l’unité administrative de base. Elle se réunit dans sa maison de fraction (La

Achira, Tachert ou maison communautaire). Chaque fraction élabore son arbre généalogique

et le tient à jour à chaque naissance ou décès comme un véritable fichier d’état civil. Ces

arbres généalogiques sont consultables dans chaque maison de fraction (cdrom). La fraction

prend des décisions en ce qui concerne les problèmes de la communauté et élit un

représentant, le mokkadem. Le mokkadem siège à l’assemblée exécutive de la cité. C’est la

fraction qui s’occupe des veuves, déshérités, orphelins, qui règle les conflits et qui prononce

l’excommunication en cas de non respect de la règle commune. C’est dans cette maison de

fraction que sont célébrés les mariages (les hommes et femmes séparés ou il peut exister une

maison pour chaque sexe). Aujourd’hui, les Achira sont au nombre de 9 à Guerrara. La plus

importante par son nombre et par son influence est celle des Ouled Allahoum (« les fils des

plus haut »).

La fraction conserve tous son dynamisme aujourd’hui dans la vie sociale et culturelle des

mozabites. Elle est un élément rassembleur dans Guerrara. Tous les mozabites se réfèrent à

leur fraction d’appartenance dans la vie quotidienne.

Les çoffs (ligues ou partis politiques) étaient au nombre de deux dans chaque ville et

regroupaient chacun un certain nombre de fractions. Il n’y avait pas d’adhésion individuelle,

chaque fraction choisissait de se placer dans l’un ou l’autre des camps et pouvait en changer.

Les luttes entre les çoffs se faisaient essentiellement pour l’accession au poste de chef de

l’exécutif. Il y a parfois eu des guerres civiles qui ont aboutis à l’exclusion totale d’un çoff.

En période de paix, il y avait simplement alternance au pouvoir entre les çoffs. Les çoffs

n’avaient pas de représentation institutionnelle.

Les çoffs n’existent plus de nos jours et ont laissé place à la vie démocratique municipale

régit au niveau nationale.

L’assemblée exécutive des laïcs peut être mise en parallèle à un conseil municipal. Il existe

autant de membre que de fractions puisque chaque mokkadem siège à cette assemblée et

représente une voix. Il a un suppléant (naïb) qui ne siège qu’en cas d’absence du mokkadem.

Cette assemblée élit un représentant : le caïd (ou hakem) et son adjoint qui était choisi dans le

çoff opposé de celui du caïd. L’année suivante, il y avait permutation de çoff.

Cette assemblée s’occupe des affaires de l’ensemble de la cité et fait des règlements (ittifaqat)

si le pouvoir religieux le permet. Elle a une sorte de police et une garde qui veille à la ville

(des jeunes bénévoles font la « vigilance »). Elle gère une caisse qui est votée et distribuée

dans les fractions. Elle dirige les travaux de constructions, mise en état, des bâtiments

religieux, publics. Elle s’occupe de la répartition des eaux dans les palmeraies, de l’entretien

des barrages, rigoles, etc.…

Lors de la colonisation, le pouvoir de l’assemblée diminua et fut remplacé par le pouvoir

colonial. Les caïds n’étaient plus que des exécutants de ce pouvoir. En 1950, le caïd est

nommé directement par l’administration militaire française. La suppression des élections du

caïd arrêta le jeu politique entre les çoffs.

A l’indépendance, les habitants ont dû participer aux conseils municipaux et régionaux.

Chaque ville a des représentants élus qui peuvent faire jouer la démocratie dans le même

esprit que les mokkadem. La Djemaa lorsqu’elle existe encore n’a plus qu’un rôle limité par

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rapport à avant. Pour autant, à Guerrara elle perdure. Elle continue à s’occuper des affaires de

la communauté. Elle a conservé la « vigilance », s’occupe des œuvres sociales, des mariages

collectifs, etc…De plus, il n’existe plus cette distinction aussi tranchée entre les structures

religieuses et laïcs puisqu’un chef de fraction peut également être un Azzaba (religieux, voir

ce qui suit).

Structures religieuses :

Les clercs (tolba) représentent l’élite religieuse. Il existe des cheikhs, ce sont les religieux les

plus importants. D’autres clercs moins importants peuvent enseigner le Coran et peuvent

aspirer à devenir cheikh.

La Halgat (instance religieuse de la cité) réunit douze cheikhs, appelés les Azzabas. Ils sont

choisis par cooptation entre cheikh. Le postulant a d’abord fait l’objet d’une enquête

minutieuse. Les Azzabas ont tous une responsabilité : il y a le muezzin (qui fait l’appel à la

prière), l’imam (la dirige), les laveurs de morts, ceux qui enseignent le Coran, ceux qui font

les rites du cimetière, distribuent la nourriture. Il y a la gestion des biens de la mosquée. Il faut

également juger à partir de la jurisprudence du droit coranique.

Les réunions de la Halgat sont secrètes. Elle a un très grand pouvoir puisque la Djemaa lui est

subordonnée. Elle fait des règlements (ittifaqat), approuve ou supprime ceux de la Djemaa.

Aujourd’hui, son pouvoir est réduit au spirituel mais elle prend des décisions sur la morale,

les mœurs, la religion, le droit, qui ont des incidences sur la vie des mozabites. Les membres

de la communauté ne font appel à la justice non-religieuse que lorsque leur litige n’a pu être

réglé par cette instance. Cette instance a une place importante à Guerrara et conserve un

pouvoir important sur les habitants qui se conforment aux règles établis par ces « sages ».

L’assemblée des Timsiridines réunit des religieuses femmes. Elle est sous la tutelle de la

Halgat et la seconde en quelque sorte dans les affaires qui concernent les femmes. Ainsi, elles

opèrent le lavage des mortes que seules des femmes peuvent effectuer sur des femmes. Elles

visitent souvent les maisons pour contrôler les mœurs et la morale. Leur désaccord avec un

comportement peut aller de l’interruption des visites, à l’excommunication et le refus de laver

la morte. Leur conservatisme a été et reste un facteur de cohésion de la communauté.

Le Medjeles Sidi Saïd est une assemblée de cheikhs mais cette fois venus de toute la vallée.

Ils se réunissent sur terrain neutre. L’assemblée est présidée par un cheik, élu pour cinq ans.

L’assemblée réfléchit sur les points de jurisprudence et de doctrine qui concerne la totalité de

la vallée. Elle délibère sur les intérêts communs et établis des ittifaqats (règlements) qui sont

des lois pour toute la population du Mzab.

Traditionnellement à Guerrara, on comptait 36 chargés du commandement : les douze

Azzaba, douze Mokkadem (il y avait six fractions qui désignaient chacune deux représentants

pour la Djemaa) et douze hommes appelés Mekaris, chargés de la police générale (deux par

fraction).

Toutes ces assemblées organisent la vie des cités et du Mzab. Chaque mozabite a des droits et

des devoirs. S’il transgresse la règle commune, plusieurs moyens de répression sont possibles.

Il existait (ou existe ?) des bastonnades codifiés et l’excommunication (toujours prononcée

par la fraction, la Halgat ou les Timsiridines). Toute cette organisation a réussi à maintenir

l’équilibre social, culturel, religieux de la communauté.

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Annexe 3 : Situation économique

Climatologie :

Le caractère fondamental du climat Saharien est la sécheresse de l’air mais les micros -

climats jouent un rôle considérable au désert. Le relief, la présence d’une végétation

abondante peuvent modifier localement les conditions climatiques. Au sein d’une palmeraie,

on peut relever des différences de températures, par exemple. Le climat Saharien se

caractérise par des étés aux chaleurs torrides et des hivers doux, surtout pendant la journée.

Les écarts de températures entre la journée et la nuit sont très importants (pendant toutes les

saisons). La période chaude commence au mois de Mai et dure jusqu’au mois de Septembre.

Pluviométrie :

Les précipitations sont très faibles et irrégulières. A Ghardaïa, elles varient entre 13 et

68 mm sur une durée moyenne de quinze jours par an. Les pluies sont en général

torrentielles et durent peu de temps sauf cas exceptionnels. Dans le désert non seulement les

précipitations sont rares et irrégulières mais l’évaporation est considérable et plus importantes

que le niveau de précipitations.

La gestion de l’eau et la culture :

L'oued Mzab traverse ce plateau du nord-ouest vers le sud-est. Le découpage du territoire par

l’oued, lui a donné le nom de « toile », « dentelle » en arabe « chebka ». L’oued Mzab est la

plus part du temps sec et on ne perçoit que son lit sablonneux. Les crues boueuses suite à un

orage sont exceptionnelles. L’oued alimente des nappes phréatiques, ce qui a permis aux

mozabites de confectionner tout un réseau de puits. Les puits traditionnels fonctionnaient à

l’aide d’une poulie tractée par un animal sur un chemin de halage (âne le plus souvent). L’eau

était ensuite distribuée par un ensemble de barrages, rigoles, canaux à chaque jardin de

manière équitable selon les superficies. Cette irrigation traditionnelle équitable, assez

complexe existe depuis des millénaires. Les mozabites ont ainsi lutté contre l’aridité du sol et

ont réussi à s’établir dans cette contrée où ils cultivent des grandes palmeraies (palmiers-

dattiers) et à leur pied des arbres fruitiers de toutes sortent, des cultures potagères, etc.…

« Les hommes du Mzab ont inventé le système le plus performant et sans doute le plus

sophistiqué pour le captage de l’eau et pour la distribution équitable entre les exploitations.

Canaux, rigoles, tours de guet pour les crues, peignes, trémies, freins, plaine d’épandage et

d’infiltration pour les surplus qui réalimentent la nappe phréatique, puits, tunnels maçonnés,

puisants d’aération ; savantes combinaisons qui font qu’aucune goutte de pluie ne puisse être

perdue. Cette gestion sophistiquée de l’eau et sa distribution équitable participent d’une

morale religieuse et sociale. »48

En 1936, les premiers puits forés font leur apparition au Mzab. A Guerrara, avant la

découverte de la nappe phréatique albienne en 1958, le barrage el Foussaa constituait le

moyen fondamental pour la satisfaction des besoins en eaux potables et l’irrigation des

jardins. Aujourd’hui, les techniques modernes ont bien évidemment fait leur apparition et les

forages ont totalement remplacé les puits traditionnels. La distribution de l’eau s’effectue par

des tuyaux et un goute à goute est mis en place au pied de chaque palmier. Les besoins sont

croissants et les forages se multiplient. Les forages vont chercher l’eau à de grandes

48

Cf. site web de la wilaya de Ghardaïa, rubrique présentation générale.

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profondeurs (de 350 à 500 mètres). Mais les réserves ne sont pas réalimentées et donc limitées

dans le temps.

Autres données économiques :

La culture des jardins réalisée grâce à ce système judicieux d’irrigation et l’élevage

constituaient les principales sources de revenus des premières communautés oasiennes

Mozabites. L’élevage, moins répandu, est traditionnellement réservé aux nomades. Lorsque

les palmeraies se sont avérées insuffisantes pour l’autosuffisance des populations locales, la

vocation commerciale a pris forme et s’est affirmée.

Le commerce reste une activité économique importante aujourd’hui pour les mozabites, ce qui

a permis à un certain nombre d’entre eux de s’enrichir rapidement. A l’origine, ils ont surtout

fait du commerce avec le Sahara et la région a accentué son rôle de carrefour commercial

caravanier de l'Afrique saharienne. Puis, ils ont créé des réseaux avec le Nord. Ce commerce

exige la migration des hommes dans le Nord pendant des périodes plus ou moins longues dans

l’année. Sans ces revenus extérieurs, il aurait été difficile pour les mozabites de se maintenir

sur leur terre. La vallée est devenue un centre caravanier qui amène un cercle de Nomades de

plus en plus important. Depuis le 18ème siècle, Ghardaïa est une plate forme commerciale et

caravanière où vont transiter l’ensemble des échanges commerciaux entre le centre du

Maghreb du Nord et l’Afrique Sahélienne, avec comme principaux produits d’échange, les

dattes, le sel, l’ivoire et l’or.

L’artisanat (surtout le tissage des tapis) est important au Mzab mais se limite à la

consommation familiale. Une production pour la vente sur les marchés ou boutiques du Mzab

existe tout de même.

L’industrialisation du Sahara a créé un certains nombres d’emplois (exploitation du pétrole et

du gaz). D’autres activités se sont implantées à Guerrara : des entreprises de BTP, une usine

de textile, des exploitations fermières (vaches), une usine de fabrication de produits laitiers

(qui fournit toute la région),…

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76

Annexe 4 : Quelques éléments sur la place des femmes au Mzab

La communauté mozabite est une société patriarcale et patrilinéaire où ce sont les femmes

qui circulent entre les familles comme objet d’échange, d’alliance entre les différents

groupes (comme l’a expliqué Lévy Strauss). Si elles peuvent contribuer à orienter et

organiser les échanges matrimoniaux, les femmes n’en restent pas moins des objets

d’échanges sur le marché matrimonial. C’est d’ailleurs là ce qui explique la dissymétrie

fondamentale entre les hommes et les femmes. Ces dernières sont vouées à circuler, à

produire ou reproduire de l’honneur et des dons. Et parce qu’elles perpétuent ou

augmentent le capital symbolique détenu par les hommes, les femmes doivent

impérativement être conservées à l’abri de l’offense et du soupçon.

La femme ne peut se montrer aux hommes avec lesquels elle pourrait se marier. Comme

au Mzab le mariage entre cousins proches est permis et fréquent, cette restriction ne laisse

pas une grande liberté à la femme. Seuls son père, grand-père, ses oncles, frères et fils

pourront la voir librement ou avec un simple voile dans la maison. La femme se cache de

ses cousins, beau-frère et bien évidemment des étrangers dès sa puberté.

La femme doit se présenter vierge à son futur mari. Elle doit avoir un comportement

exemplaire de retenue et se montrer « timide » durant toute la cérémonie du mariage,

comme le dit la mère d’une mariée.

Les mozabites sont parmi les plus sévères en ce qui concerne le port du voile à l’extérieur.

Le haïk est une sorte d’immense châle épais blanc cassé qui entoure par deux fois la

femme mariée et qu’elle rabat sur son visage en laissant l’ouverture pour un œil. Le port

du haïk protège du regard des hommes. Il laisse tout de même entrevoir les chevilles et les

chaussures de la femme, il faut donc mettre des chaussures simples, sans décorations, ne

pas faire apparaître un signe de beauté devant les hommes. La femme porte donc des

chaussures sans talons. Le bruit pourrait attirer le regard de l’homme. De plus, le haïk est

le même pour toute les femmes, ainsi, en marchant dehors personne ne peut distinguer la

femme riche de la pauvre. Les mozabites à Guerrara tiennent à leur doctrine qui prône

l’égalité sociale entre tous. Une femme qui ferait apparaître sa richesse avec ostentation

serait vraiment mal perçue par les autres. En ce qui concerne, la tenue de la femme, les

Timsiridines sont très vigilantes sur le sujet. C’est un des éléments de la vie quotidienne

qu’elles peuvent contrôler très facilement.

Les sorties des femmes sont également contrôlées. Cela peut être des visites à une femme

(famille, amie, voisine), un passage au cimetière. Elle envoie les enfants pour lui faire ses

achats personnels ; ce sont les hommes qui s’occupent d’amener la nourriture à la maison.

Les boutiques réservées aux femmes existent pour les veuves qui n’ont pas d’enfants, elles

ne sont pas très fréquentées par les autres femmes.

Les têtes à tête entre un homme et une femme dans l’espace partagé sont prohibés,

certaines femmes lorsqu’elles croisent un homme dans la rue se tournent même vers le

mur. Les femmes ne sont pas présentes dans la ville de manière immobile.

Plus la femme est âgée, plus elle a d’autonomie dans ses sorties et ses activités. La femme

âgée a beaucoup d’avantages liés à son âge. Elle a une plus grande liberté dans ses sorties

(peut sortir à son grès). Elle peut faire des courses dans des boutiques. Elle travaille

beaucoup moins. Cette liberté peut s’expliquer par le fait qu’étant sortie du marché

matrimonial et ne pouvant plus enfanter, elle ne représente plus un enjeu majeur pour la

communauté.

La juridiction ibadite reconnaît à la femme quelques droits importants (biens inaliénables

c'est-à-dire que son héritage lui est assuré, conditions dans le contrat de mariage : divorce

si elles ne sont pas respectées ou si le mari s’absente plus de 2 ans sans donner de

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nouvelles, etc.…). La femme, dans la tradition ibadite, jouit d’une instruction et d’une

autorité. L’instruction des femmes est une règle. L’égalité des hommes et des femmes en

matière de religion est préconisée. Apprendre à lire et à écrire à la fillette pour lui rendre

plus intelligible la prière est un devoir.

L’espace de la vie privée, le dedans, voire le domestique, la maison est dévolue aux

femmes. Elle y pratique toutes ses activités. La division sexuelle du travail est clairement

marquée.

C’est la mère qui assure l’éducation des jeunes enfants. Elle doit donner les soins

maternels aux enfants. Pour ses fils, cela se fera jusqu’à qu’il passe dans le monde des

hommes avec le père. La fille se trouve sous sa responsabilité jusqu’au mariage. C’est

également, la femme qui s’occupe des tâches de la maisonnée : entretien, cuisine,

tissage,…C’est elle qui doit faire la nourriture personnelle de son mari.

En plus de sa valeur en tant que procréatrice, la femme est considérée comme un élément

fort qui permet de maintenir la société. La vie de la femme est donc réglementée jusque

dans ses moindres détails. Le cade religieux et social enserre étroitement la femme. Les

mozabites se cramponnent à leur sol et y fixent la femme. L’acharnement qui leur a fallu

pour rendre le sol cultivable et habitable ne suffit pas à permettre la survie de toute la

communauté. Les migrations sont nécessaires pour faire du commerce (une des activités

les plus répandue dans le Mzab). Si un homme migre vers le nord, il ne part pas

définitivement. Il doit toujours revenir au Mzab, c’est pourquoi la femme n’avait pas le

droit de quitter le pays de l’oued Mzab (cette règle est aujourd’hui quelque fois

contournée). La migration est nécessaire pour la survie mais celle-ci aurait pu entrainer la

perte de la société. La femme a donc un rôle social de maintien de la communauté

mozabite. De plus, en éduquant les enfants dans la tradition c’est elle qui perpétue la

société.

Au Mzab, est apparue la nécessité de créer une organisation religieuse propre aux femmes.

L’assemblée des Timsiridines (religieuses) effectue le contrôle des mœurs au Mzab. Ce

sont donc des femmes elles-mêmes qui se chargent d’être le relais de la domination

masculine. Ces femmes clerc et laveuses ont étudiées l’arabe du coran, ce sont elles qui

chantent les souhaits rimés (sortes d’hymnes). Elles ont, par exemple, été un frein à

l’introduction de nouvelles techniques comme l’électricité apparue au Mzab vers 1930 et

leur maison de réunion de Béni Isguen ne l’a eu qu’en 1971. De plus, elles ont le pouvoir

d’excommuniée une femme de la communauté parce qu’elle se serait mal comportait.

L’excommunication des femmes peut avoir plusieurs justifications : « Si une femme se

pare en l’absence de son mari (parti dans le nord) on l’excommunie. Si les femmes vont

danser dans les noces ou chanter ou si elles ont une mauvaise conduite (elles sont

excommuniées). Si une femme marche sans voile, (elle est excommuniée). Une fille,

devenue pubère doit se voiler entièrement et mettre des chaussures, sinon elle est

excommuniée. A sa mort les laveuses ne mettent pas l’excommuniée dans le linceul, sauf

si elle s’est repentie, et on ne participe pas au repas du cimetière. La laveuse-chef est une

clerc importante, c’est elle qui lance l’excommunication. Quand les femmes se réunissent

pour la psalmodie coranique, elle leur dit : ‘une telle fille d’un tel est excommuniée !’. 49

».

Les Timsiridines quittent la sphère stricte de la «féminité» (au sens de tâches dévolues)

pour celle plus large de la religiosité. Mais pour sortir du cadre étroit de la féminité et

acquérir la parole (la parole masculine), elles consentent à intégrer dans leur vision du

monde les schèmes de perception, d’appréciation et d’action des dominants dont elles sont

les porte-parole mandatés, des porte-parole d'autant plus efficaces qu'elles sont dominées.

49

DELHEURE J., Faits et Dires du Mzab, SELAF, Paris, 1986, 332 p.

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L’activité professionnelle est rare pour la femme. Lorsqu’elles travaillent, les métiers

qu’elles choisissent se trouvent souvent être liés à leur féminité (infirmières, médecins

plus rarement, institutrices,…). Elles seront donc confrontées essentiellement à des

femmes durant leur travail. Cela rassure les hommes et leur permet de concrétiser leurs

aspirations.

Annexe 5 : Patrimoine de l’OPGI de Ghardaïa

Le patrimoine de l’Office sur toute la wilaya se présente comme suit :

Désignation En location En cession Total

Logements 5.040 1.773 6.813

Locaux 179 143 322

TOTAL 5.219 1.916 7.135

Source : site de l’OPGI de Ghardaïa

Annexe 6 : Taux de scolarisation à Guerrara

Taux de scolarisation par commune (en jaune Guerrara)

Année Scolaire 2005/2006

Commune Taux de Scolarisation ( en % )

06 Ans 06 – 13 Ans 06 – 15 Ans 16 – 19 Ans

G F Total G F Total G F Total G F Total

Ghardaia 99,91 76,24 89,41 99,42 62,10 81,37 98,96 67,11 84,90 57,45 45,01 51,63

El-Ménéa 97,30 99,53 99,42 95,40 96,75 95,49 99,09 97,43 98,27 67,51 59,68 62,55

Daya 96,71 98,37 97,45 97,22 99,40 98,57 99,93 96,36 98,16 67,22 56,45 60,85

Berriane 99,66 99,01 99,33 97,82 95,33 96,72 99,53 90,79 95,26 66,98 54,24 60,79

Metlili 99,77 99,76 99,77 98,43 98,93 98,69 99,16 97,29 98,26 67,80 58,98 62,42

Guerrara 96,92 62,33 80,08 92,15 60,16 75,22 97,90 62,37 80,63 55,78 47,69 52,23

El-Atteuf 96,09 86,36 92,39 95,94 76,90 88,72 91,61 77,50 85,51 66,07 42,72 55,60

Zelfana 100 100 100 99,52 98,46 98,99 99,83 97,52 98,69 97,41 59,54 71,18

Sebseb 100 100 100 98,84 98,66 98,72 97,20 93,21 95,15 62,22 56,25 60,66

Bounoura 99,23 66,67 86,71 96,59 56,33 76,16 95,81 65,11 83,12 57,73 49,47 53,58

Hassi-El-F’hel 100 100 100 99,13 99,67 99,40 97,89 95,99 96,98 71,43 60,71 66,67

Hassi-El-Gara 99,08 99,39 99,21 96,29 97,42 96,55 99,16 93,03 96,06 39,31 58,49 49,30

Mansoura 100 100 100 98,16 98,70 98,40 98,29 92,29 95,29 63,91 58,27 61,15

Total 98,97 84,58 92,30 96,92 80,23 88,68 98,33 80,57 90,01 60,20 53,61 56,72

Source : site de la wilaya de Ghardaïa

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Annexe 7 : Grille d’entretien pour les femmes mozabites

Thème 1 : les représentations face à l’habitat

Si tu expliquais ce qu’est la maison mozabite, à quelqu’un qui n’est jamais venu au Mzab,

qu’est-ce que tu lui dirais ?

La maison, cela signifie quoi pour toi ? Est-ce que c’est important ? Et la rue, la ville ?

En quoi est-ce ta maison ou bien celle d’un groupe ?

Comment te sens-tu dans ta maison ? (relance : Que penses tu de ta maison ? que représente

pour toi ta maison ? quelle image as-tu de ta maison?)

Taille

Configuration

Thème 2 : les pratiques de mises en valeur de l’habitat

Qu’est-ce que tu fais pour améliorer ton logement ?

Quels sont les entretiens quotidiens ?

Y-a-t-il eu des travaux de remise en état, d’améliorations, d’agrandissement,… ?

Est-ce que tu as acheté du mobilier, de la décoration,… ?

Est-ce que tu fabriques des tapis pour ta maison ou autre ?

Thème 3 : les pratiques d’investissements des lieux

Temps passé dans le logement?

Qui y passe le plus de temps?

Que fais tu dans cette pièce? Pourquoi? Quand? Qui? Etc.…

Thème 4 : le confort/inconfort du logement

Est-ce que tu trouves ta maison confortable ? Selon réponse : que voudrais-tu y changer ? Que

voudrais-tu garder ?

Est-ce que la maison est adaptée à tes activités de la journée ?

Est-ce qu’elle est pratique lorsqu’il y a des hommes ?

Y-a-t-il des lieux qui posent problèmes ? Quelles sont les adaptations ?

Thème 5 : la relation avec la ville

Dans ta journée, est ce que tu sors dans la ville ?

Pourquoi ? Combien de temps ?

Qu’en penses-tu ?

Un itinéraire unique ou varié ? Raisons des sorties ? (va voir une maison ou des femmes ?)

Thème 6 : les transformations depuis la maison de son enfance (pour les femmes âgées)

Peux tu comparer la maison de ton enfance et celle-ci ?

Dis-moi quelles sont les plus grandes modifications ?

Est-ce que ta manière de vivre à beaucoup changée depuis ce temps là ? Surtout par rapport à

quoi ?

Est-ce que tu sors plus dans la ville qu’autrefois ?

Thème 7 : les souhaits pour le futur

Les souhaits pour le futur (aménagement, construction d’une nouvelle maison ou d’une

maison à soi pour les jeunes couples)

Pourquoi as-tu ces projets ?

Penses-tu que tu les réaliseras ?

Thème 8: profil de tous les individus composant le ménage

Peux-tu me dire combien de personne vivent dans la maison ?

Age

Sexe

Situation professionnelle, familiale

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Annexe 8 : Photos

Photo 1 : tour de guet et remparts autour du cimetière Photo 2 : la mosquée de Guerrara

Photo 3 : l’ancienne palmeraie de Guerrara

Photo 4 : toit terrasse avec mur protecteur (OPGI)

Photos 5 et 6 : rideaux de fenêtres et rideaux placés devant le lit dans une même chambre

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Photo 7 : cave aménagée en chambre

Photo 9 : terrasse du 1er

étage Photo 10 : future cour d’entrée d’une maison OPGI

Photo 8 : le chebek de la pièce centrale

Photo 11: salle des hommes située près de l’entrée Photo 12 : tisefri avec télé

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Photo 13 : plateau comprenant lait et

dattes pour accueillir des visiteurs

dans la maison

Photos 14 et 15 : chambre d’un jeune couple marié

Photo 16 : maison décorée avec de la faïence

Photos 17 et 18 : de plus en plus de meubles dans la salle de réception