M moires Juive et Protestante dans le Midi de la France ...

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Z%<o Ministère de la Culture et de la Communication Direction de l'Architecture et du Patrimoine Mission du Patrimoine Ethnologique Laboratoire CIREJED-DIASPORAS (UMR CNRS 5057) Université de Toulouse Le Mirail fio°ftwecç> Mémoires Juive et Protestante dans le Midi de la France à travers l'initiative muséale Chantal BOKDES-BENAYOUN Patrick CABANEL Philippe JOUTARD Colette ZYTNICKI Avec la participation de Fabienne SOUCHET et Laure TELILIÈRES kjf CENTRE Référence du contrat : 97MP06 Décembre 2000 9042 007070 (At Us)

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Z%<o Ministère de la Culture et de la Communication Direction de l'Architecture et du Patrimoine Mission du Patrimoine Ethnologique

Laboratoire CIREJED-DIASPORAS (UMR CNRS 5057) Université de Toulouse Le Mirail

fio°ftwecç>

Mémoires Juive et Protestante dans le Midi de la France

à travers l'initiative muséale

Chantal BOKDES-BENAYOUN Patrick CABANEL

Philippe JOUTARD Colette ZYTNICKI

Avec la participation de Fabienne SOUCHET et Laure TELILIÈRES

kjf CENTRE Référence du contrat : 97MP06

Décembre 2000

9042 007070

(At Us)

Rapport Mémoires juive et protestante

SOMMAIRE

Introduction générale 4

I. Présentation de l'enquête 22 A. Questions de méthode 22

B. Les axes méthodologiques de l'enquête 25

C. La mise en œuvre de l'enquête 29

II. Les initiatives museales identitaires 38 A. Quelques exemples 38

B. Singulier pluriel : les mémoires communautaires 50

C. Mémoires croisées entre juifs et protestants 57

D. La revivification d'une mémoire juive autour de la seconde guerre mondiale. 60

III. Mémoires régionales, mémoires régionalistes 68 A. Jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale : Un régionalisme

réticent à intégrer la part des cultures locales minoritaires 69

B. Après la Seconde Guerre Mondiale 80

IV. L'ouverture vers le national et l'universel 93 A. Israélitisme et huguenotisme: une relecture de l'histoire 93

B. Du communautaire au national et à l'universel: les enjeux d'une traduction muséale 100

Annexes 117

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Rapport Mémoires juive et protestante

Introduction générale

LES MUSÉES PROTESTANTS ET JUIFS DANS LE MIDI DE LA FRANCE*

Chantal BORDES-BENAYOUN

Patrick CABANEL

Philippe JOUTARD

Colette ZYTNICKI

De commémorations en œuvres d'histoire, la question de la mémoire travaille notre

siècle avec une rare intensité. Les religions échappent d'autant moins à cette mode que leur

existence même entretient un rapport indéfectible avec le passé à travers la généalogie dont

chacune peut se prévaloir1. A cet égard, la question de la mémoire, et celle qui lui est

connexe.de l'oubli, se posent de manière particulière pour le protestantisme et le judaïsme

en France aujourd'hui. A la référence à la filiation abrahamique commune aux religions du

Livre, s'ajoutent en effet les dimensions plus spécifiques qui tiennent à la condition et à

l'histoire minoritaires.

Récits d'exils, de dispersions, de persécutions et d'outrages, de résistances et

d'héroïsme, de destructions et de reconstructions, la mémoire historique ici vient en quelque

sorte surenchérir et complexifier, au fil du temps, le mythe traditionnel des origines. C'est

aussi une mémoire sociale particulière, celle d'une relation aux autres et non la seule

référence au récit biblique qui fonde l'identité de ce qu'il est désormais habituel d'appeler la

«communauté ».

En dépit de tout ce qui les différencie au plan historique, juifs et protestants ont par

ailleurs en commun de s'être progressivement inscrits de manière originale dans l'histoire de

la France républicaine. Chacun des deux groupes a trouvé dans l'œuvre de la République les

chances de sa survie, en même temps qu'il contribuait à l'édification de la société laïque. Le

passé a ainsi forgé un univers symbolique fait de multiples références, religieuses ou laïques,

à partir desquelles se sont recomposées leurs mémoires respectives. La reconnaissance

* Ce texte doit paraître dans la publication de la Mission du Patrimoine. 1 HERVIEU - LEGER D., La religion pour mémoire, Ed. du Cerf. 1993.

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Rapport Mémoires juive et protestante

sociale et institutionnelle de ces mémoires et leur "patrimonialisation" n'en furent que plus

complexes. Quelle place accorder à l'expression d'une mémoire religieuse et communautaire

particulière sans enfreindre les principes de la citoyenneté républicaine et quelles actions -

et quels acteurs -; publiques ou privées, endogènes ou non, seraient les plus légitimes à en

rendre compte ? L'histoire des actions museales dédiées aux deux groupes, quand elles ont

lieu, rend bien compte de ces questionnements, de même qu'est révélatrice leur relative

difficulté à émerger2.

Les initiatives museales concernant les protestants

La mémoire joue un rôle primordial dans le protestantisme français, ce qui devait le

conduire assez précocement à des initiatives commémoratives et museales. Sans remonter à

l'événement traumatique fondateur que furent les massacres de la Saint-Barthélémy, on

rappellera que la minorité réformée fut l'objet, sous Louis XIV, d'un « mémoricide » sans

précédent: livres et cimetières interdits, temples abattus, et le nom même du protestantisme

nié, puisque ceux de la « religion prétendue réformée » sont désormais désignés comme

«nouveaux convertis». À cette négation devait répondre un sursaut d'affirmation, aussi

bien sur le plan spirituel que sur celui de la mémoire et de l'histoire. H est ainsi remarquable,

et logique, de voir le même homme, Antoine Court (1695-1761), à la fois restaurer le

protestantisme, au lendemain de 1715 (époque dite du Désert), et se faire l'historien de la

guerre des camisards, qui ensanglanta les Cévennes de 1702 à 1705.

Le pasteur-historien devait avoir bien des continuateurs, notamment Napoléon Peyrat

(Histoire des pasteurs du Désert, 1842), qui réhabilite les camisards et le phénomène du

prophétisme, et Guillaume de Félice, auteur d'une première grande Histoire des protestants

de France (1850). La même décennie voit le début de la publication, par les frères Haag, de

La France protestante ou la vie des protestants français qui se sont fait un nom dans

l'histoire..., un dictionnaire biographique riche de dix volumes à son achèvement, en 1859.

Dès 1841, Peyrat envisageait de publier des documents relatifs à l'histoire du protestantisme

français. Son voeu est exaucé en 1852 par Charles Read, alors chef du service des cultes non

catholiques au ministère des Cultes, qui fonde, en compagnie notamment des frères Haag, la

2 Par "actions museales", nous entendons retracer la genèse à la fois des institutions museales, publiques ou privées, et directement consacrées au patrimoine juif ou protestant ; des actions spécifiques à l'intérieur de musées à vocation "généraliste". Dans le domaine muséal, des actions et projets en cours sont également pris en compte. Pour ce faire, notre équipe a réalisé un recensement par questionnaire de ces actions pour l'ensemble des régions méridionales.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Société de l'Histoire du Protestantisme Français (SHPF), immédiatement dotée d'un

Bulletin toujours vivant. « Si nous ne nous trompons pas, le protestantisme français, dans la

première période de ce siècle, abusé par les intérêts d'une autre nature, n'a pas paru juger

assez combien lui importait de bien connaître ses propres antécédents; il a, d'une certaine

.manière, sous ce rapport, encouru le reproche d'avoir négligé, sinon entièrement délaissé,

cette bonne part qui lui est échue dans le patrimoine commun de l'histoire de notre patrie ».

Après la restauration ecclésiastique, le nécessaire rappel, à destination de l'extérieur, de

l'apport du protestantisme à la France, dans une entreprise de «laïcisation

historiographique » qui vise clairement à la laïcisation et au pluralisme de la société.

La jeune Société affirme un sens immédiat de la commémoration: tricentenaire, en

1859, du premier synode national des Eglises réformées, institution, en 1866, d'une Fête

annuelle de la Réformation, à l'instar de celle que célèbrent les Eglises luthériennes. Les

Eglises méridionales, surtout gardoises, jouent un rôle majeur dans ces commémorations

naissantes. À défaut de monuments (qui font défaut, et pour cause, depuis 1685), ce sont les

lieux du Désert qui sont élus. Dès le 26 mai 1859, les Nîmois organisent une Assemblée au

désert3: Elle réunit, en plein air, pas moins de 110 pasteurs venus de tout le Midi et de 20 à

25 000 participants, « grande multitude frémissante sous l'empire d'une émotion

indicible4». C'est également un Nîmois, Jules Bonnet (1820-1892), normalien et agrégé

d'histoire, qui devient, à partir de 1865, secrétaire du Comité de la SHPF et rédacteur de son

Bulletin. Il réédite la relation qu'Antoine Court avait faite, à chaud, d'une assemblée

surprise aux portes de Nîmes, à la Baume (grotte) des Fées, en 1720, et, plus important à nos

yeux, il tente d'acheter la grotte... que le propriétaire, catholique, refuse de vendre (il en

mure même l'entrée !). Ce n'est qu'en 1908 que la grotte est achetée par un Comité présidé

par le maire et comprenant des représentants du Syndicat d'initiative, du Touring Club, du

Club Alpin Français, et du Club Cévenol. Une souscription est ouverte pour faciliter l'entrée

de ce que l'on n'appelle pas encore lieu de mémoire.

Le Musée du Désert et son assemblée annuelle: foi et mémoire

Seconde initiative, décisive, de Jules Bonnet: en 1879, il accomplit un « pèlerinage de

souvenirs » au Mas Soubeyran, près de Mialet (Gard), la maison natale du chef camisard

En italiques dans le texte. 4 Souvenir de la Grande Assemblée du Désert tenue à Nîmes le 26 mai 1859 à l'occasion du 3me Jubilé séculaire de l'Église réformée de France. Les Pierres vivantes, discours prononcé par M. E. Buisson..., Nîmes, Peyrot-Tinel, 1859.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Pierre Laporte, dit Roland5. Il a lu Peyrat, et visite, après tant d'autres, Français et étrangers

(un registre recueille leurs noms), « la maison de Roland » — c'est sous ce nom qu'est alors

connu le futur Musée. Elle est encore habitée par l'arrière-petit-neveu de Roland, que des

difficultés économiques ont contraint à hypothéquer la vieille propriété. Bonnet ne peut se

résoudre à la voir vendue. Peu après, le président de la SHPF lance un appel à une

souscription qui permettrait de la racheter en viager. Le premier à s'inscrire, à quelques mois

de sa mort, n'est autre que le vieux Peyrat; on trouve aussi quatre membres d'une famille

Laporte de Hollande, descendant d'un frère de Roland émigré. En 1883, la SHPF organise sa

première assemblée générale annuelle en province, et choisit Nîmes et les Cévennes: les

participants se rendent au Mas-Soubeyran après avoir visité Aiguës-Mortes et sa Tour de

Constance, où avaient été enfermées, après 1685 et jusqu'en 1768, les protestantes surprises

aux assemblées du Désert.

Un puissant mouvement commémoratif se fait jour alors dans les Cévennes: leurs

habitants ont gardé la mémoire des lieux du Désert, et à l'occasion de divers centenaires, des

foules importantes se rassemblent, en 1885, 1887, 1898. En 1909 et 1910, l'Église réformée

de Saint-Jean-du-Gard organise deux assemblées commémoratives au Désert qui rencontrent

un vif succès. C'est à l'occasion de la seconde que Franck Puaux, pasteur et historien,

nouveau président de la SHPF, et son ami Edmond Hugues, le biographe de Court, visitent

la maison de Roland, avec une impression douloureuse: «Tout était vide, délabré,

abandonné. Était-il possible de laisser en cet état les pauvres pièces où subsistaient —

rarement visités — le vieux lit, la maie [pétrin], la fourche et la Bible du chef indomptable ?

Non, il importait de faire de ce lieu sacré un centre vivant et d'y créer une sorte de Musée où

seraient rassemblés tous les souvenirs des temps où notre Eglise était "sous la Croix", jours

de deuils et de souffrances d'une incomparable grandeur6 ». Puaux écrit peu après au pasteur

de Saint-Jean-du-Gard: «Je suis revenu avec la très ferme intention de fonder un petit

musée cévenol dans la maison de Rolland et j'ai écrit dans ce sens à M. Rodriguez [le

pasteur de Mialet] qui doit en être le conservateur désigné. Mais j'ai besoin de votre

concours car vous avez le sens artistique de la décoration de ces chambres paysannes. C'est à

vous que j'enverrai pour les faire encadrer, documents, gravures, autographes. D faudra

porter tout l'effort sur la période du Désert. J'espère que vous pourrez obtenir des

autographes, baptêmes, mariages au Désert, des placards, etc. Vous nous aiderez dans cette

5 Jules Bonnet, « Un souvenir des Cévennes ». B.S.H.P.F., 1880, p. 225-232.

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Rapport Mémoires juive et protestante

oeuvre de piété filiale ». La région regorge de traditions orales, manuscrits, ouvrages jadis

interdits, objets liés au culte clandestin. Les collections s'enrichissent également de pièces

recueillies dans le Dauphiné et le Poitou. D ne s'agit pas, en effet, d'un musée régional,

cévenol, mais thématique: la « maison de Roland » devient le Musée du Désert, rappelant la

période qui vit le protestantisme interdit et persécuté en France, de 1685 (révocation de l'édit

de Nantes) à 1787 (édit de Fontainebleau, dit de tolérance).

Le 24 septembre 1911, le Musée est inauguré en présence de 2 500 personnes:

assemblée et Musée, « au Désert », sont intimement liés. Le musée se compose alors de

quatre salles, chacune portant le nom de héros qui symbolisent les quatre époques du Désert,

Brousson (l'après-Révocation et le temps des predicants), Roland et Cavalier (la guerre des

Camisards), Antoine Court (la restauration du protestantisme après 1715), Paul Rabaut (le

second Désert et l'apaisement). À la maison natale de Roland, à la fois conservée et

aménagée, Puaux et Hugues décident bientôt d'adjoindre un « Mémorial des temps où nos

Eglises étaient sous la Croix ». La salle des Predicants est ouverte dès 1913. Achevé en

1921, le nouveau bâtiment est une sorte de sanctuaire néoclassique, avec vitraux, lui aussi

organisé en quatre salles dédiées à diverses catégories de victimes: pasteurs et predicants

exécutés, réfugiés, galériens pour la foi,, prisonniers et prisonnières. Les noms de cinq mille

galériens pour la foi, morts entre 1684 et 1775, sont gravés sur des tables de marbre, que les

familles ont pris la coutume de venir scruter, à la recherche du nom d'un ancêtre. Le Musée

se fait également maison d'édition, dans rentre-deux-guerres, sous la couverture « En

Cévennes ».

L'assemblée annuelle est devenue une institution: hormis cinq années de guerre (1914,

1916 et 1917, 1939 et 1944), elle n'a jamais cessé de se dérouler, le premier dimanche de

septembre (depuis 1928), rassemblant des foules toujours plus nombreuses: 5 à 6 000

personnes dans l'entre-deux-guerres, de 15 à 20 000 depuis les années 1960, beaucoup plus

sans doute pour les grands anniversaires de 1968, 1985 et 19988. On y vient depuis les

vallées cévenoles, en voisins (les paroisses affrètent toujours les cars nécessaires au

transport des « pèlerins », et n'ont pas de culte ce jour-là), mais aussi de villes comme Nîmes

et Montpellier, et de toute la France, et enfin des pays du Refuge, Suisse, Allemagne,

Hollande, Grande-Bretagne. Le matin a lieu le culte, sous les châtaigniers et les chênes, que

6 Musée du Désert, 1685-1787, Fondation Franck Puaux et Edmond Hugues — Guide du Visiteur, Notice historique et régionale, Mialet, En Cévennes, 1964, p. 5. 7 Archives D. Travier. 8 Libération des dernières prisonnières de la Tour de Constance (1768), Révocation, Édit de Nantes.

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Rapport Mémoires juive et protestante

couronne une sainte-cène distribuée par de nombreux pasteurs (vingt-quatre en 1999).

L'après-midi, après le pique-nique, l'assemblée se reforme pour entendre un ou deux

historiens, toujours protestants (une règle non écrite !), et le plus souvent universitaires,

autour d'un thème lié à l'actualité commemorative, aux grandes figures, ou aux grands traits

de la résistance et de la culture huguenotes.

Au XXe siècle: la floraison des « musées du protestantisme »

La SHPF a peu à peu pris la tête, au XXe siècle, d'un véritable réseau de musées du

protestantisme9.. Ce sont en quelque sorte des satellites régionaux du Musée du Désert, qui

jouit, de par sa localisation cévenole, son ancienneté, la composition « nationale » de ses

collections, d'un statut de musée-capitale. On en compte, au total, pas moins de quinze,

inégalement répartis dans toute la France, dont huit concernent le Midi au sens large. On

peut retenir, grosso modo, trois vagues de créations. L'entre-deux-guerres s'inscrit dans la

continuité de l'impact créée par le Musée du Désert, ses assemblées et publications10. Les

années 1960 sont typiques d'un premier retour aux racines et aux identités, sur fond d'exode

rural, de »sécularisation et d'oecuménisme, trois phénomènes qui ne manquent pas

d'inquiéter, à des titres divers, la minorité protestante. La troisième vague, somme toute, est

la moins originale: intervenant dans les années 1980-1990, elle se fond dans l'extraordinaire

demande de musées, de lieux de mémoire et de patrimonialisation qui caractérise la France

de la fin du siècle.

Citons, par ordre d'apparition et pour le seul Midi de la France11:

- le Mémorial Huguenot de l'île Sainte-Marguerite (dans la baie de Cannes), édifié en

1950 à l'initiative du pasteur Monod12

- le Musée du Protestantisme dauphinois, au Poët-Laval (entre Montélimàr et

Dieulefit, dans la Drôme), fondé en 1961 par les pasteurs Emile Brès et Boris Decorvet,

dans l'ancien temple du XVIIe siècle, épargné à la Révocation parce qu'il servait également

de « maison commune »

9 Non compris le Musée huguenot du Carla-Bayle (Ariège) et l'Institut Olivier de Serres (Ardèche), organisés autour de deux figures d'intellectuels, ni des institutions comme le Musée des Vallées cévenoles (Saint-Jean-du-Gard), le Musée Cévenol (Le Vigan), le Musée du Vieux Nîmes, qui donnent une certaine place au fait protestant. 10 Musées Oberlin (1926), Calvin (1927-1930), La Rochelle (1930) et don à la SHPF d'une partie de la maison des Durand au Bouschet de Pranles (1931). 11 En dehors de cette région, signalons le Musée protestant de La Rochelle (fondé dans une salle du temple en 1931, par le pasteur Samuel Eynard), le Musée de la France protestante de l'Ouest (en Vendée, siegle d'importants rassemblements protestants régionaux), et le Musée de la Grange de Wassy (dans le temple, sur le lieu même d'un massacre de protestants perpétré en 1562).

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Rapport Mémoires juive et protestante

- le Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc, à Ferneres (non loin de Castres et

de Vabre, dans le Tarn), créé en 1968 à la suite d'un synode national de l'Eglise réformée de

France tenu à Vabre, par des pasteurs, historiens et paroissiens de la région . Sa première

localisation a été"une partie du château de Ferneres, dans lequel des protestants avaient été

enfermés après 168514.

- le Musée du Vivarais Protestant, inauguré en 1968, au Bouschet de Pranles (près de

Privas, en Ardèche). D s'agit de la maison natale du pasteur Pierre Durand (1700-1732),

pendu à Montpellier, et de sa soeur Marie Durand (1715-1776), prisonnière pendant trente-

huit ans à la Tour de Constance, et devenue l'un des symboles du protestantisme français. La

même Tour de Constance, située dans les remparts de la ville d'Aigues-Mortes (Gard) se

visite toute l'année.

- le Musée du Protestantisme Béarnais, à Orthez (Pyrénées Atlantiques), inauguré en

1995 dans la maison dite de Jeanne d'Albret (XVIe siècle15), appartenant à la municipalité

qui en met une partie à la disposition du Musée.

Ce réseau de musées protestants possède les mêmes caractéristiques. On ne les trouve

pas dans de grandes villes, mais le plus souvent au coeur de zones rurales, forteresses

traditionnelles du protestantisme, Dauphiné, Ardèche, Cévennes, montagne du Tarn,

Poitou... Dans tous les cas, la localisation fait référence à l'époque héroïque et tragique du

protestantisme français, du XVIe au XVTHe siècle: maisons natales de chefs ou de martyrs

protestants (trois cas), temple sauvegardé en 1685, prisons (trois cas). Les objets et

documents exposés, à l'exception bien évidemment du Musée du Désert, couvrent en

revanche toutes les périodes, et particulièrement le XJXe siècle, si riche en restaurations et

en refondations, spirituelles (le Réveil), pédagogiques, sociales, etc. Le Musée du

protestantisme béarnais présente même, pour l'heure, et dans l'attente d'agrandissements,

une salle unique toute entière consacrée à l'époque contemporaine. Dans tous les cas,

également, les initiatives museales viennent de la communauté protestante, pasteurs et/ou

laïcs, avec ce double trait propre au protestantisme français, que les laïcs y jouent un aussi

grand rôle que les pasteurs, et que les historiens, amateurs ou de métier, y sont nombreux,

12 Des pasteurs rentrés en France après la Révocation et des protestants surpris dans des assemblées du Désert ont été emprisonnés dans le fort de l'île. 13 « Ils se sont rendu compte de l'importance de ce qu'ils avaient ici et ils ont été interpellés et ils se sont dits, en préparant ce synode, qu'il fallait qu'ils commencent à mettre de côté ce qui allait disparaître», entretien avec Mme Rivière, animatrice du Musée 14 « Le chateau de Ferneres est un symbole. [...] Dans la région, cette prison, c'était vraiment le symbole de la résistance puisque c'est là que chacun a un parent qui a été plus ou moins emprisonné. C'est un haut-lieu », ibidem. Depuis 1993, le Musée est hébergé dans la « maison du luthier », mise à disposition par le Parc naturel régional du Haut Languedoc.

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Rapport Mémoires juive et protestante

qui peuvent mettre d'authentiques compétences scientifiques au service d'objectifs

« communautaires ».

Fondés par des protestants, ces musées continuent à être gérés par eux. Le Musée du

Désert refuse obstinément toute subvention publique. Les statuts du Musée de Ferneres

indiquent que les membres du Conseil d'Administration doivent avoir été instruits dans

l'une des Eglises issues de la Réforme: en outre, deux sièges sont réservés à des

représentants des conseils presbytéraux de la région16. Musée du Désert (premier dimanche

de septembre) et Musée du Vivarais protestant (lundi de Pentecôte) accueillent des

assemblées annuelles marquées par un culte. Le Musée d'Orthez pousse très loin la

« confusion » entre temple et musée: sa salle d'exposition est organisée comme l'intérieur

d'un temple, avec bancs, chaires, tableau des cantiques du jour, etc. Face à lui, en entrant, le

visiteur peut lire une inscription typique des temples du XLXe, qui semble l'interpeller

directement: « Comme celui qui vous a appelés est saint, soyez vous-mêmes saints dans

toute votre conduite ». Quant aux responsables des musées, pour la plupart des bénévoles,

ils ne cachent pas qu'ils n'entendent pas seulement montrer un passé, mais témoigner, dans

la discrétion et le respect de l'autre, d'une foi qui reste présente, et qui s'adresse en priorité

aux protestants invités à se ressourcer dans leur mémoire et leur identité. Leur

argumentation est aujourd'hui classique pour qui s'intéresse à la place du religieux dans la

culture et dans l'enseignement: peut-on expliquer le protestantisme si on ne le fait pas de

l'intérieur d'une foi vécue17 ? Ainsi, en dépit de l'usage du gérondif (musées du

protestantisme), ce sont bien des musées protestants. La préface donnée par E. Hugues, en

1929, à la Notice-guide du Musée du Désert est éclairante à cet égard: « Notre désir ? Ne pas

faire de ce musée un simple "cabinet de curiosité", mais lui donner les moyens d'exercer

une influence durable sur la vie religieuse de notre Eglise en associant les temps écoulés au

développement spirituel présent. [...] Puissent dans ce sanctuaire régulièrement se réunir et

fraterniser dans un même sentiment de reconnaissance et de piété filiale les enfants trop

souvent divisés de la grande famille protestante ». La « fonction religieuse » du Musée,

13 Convertie au protestantisme, Jeanne d'Albret en a fait la religion du Béarn. 16 Les conseils presbytéraux, élus, gouvernent les paroisses protestantes.

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Rapport Mémoires juive et protestante

selon son conservateur-adjoint, la pasteur et historienne Marianne Carbonnier-Burkard,

descendante de E. Hugues, reste intacte: le lieu n'est pas seulement de mémoire, mais aussi

« d'affirmation de la foi ».

À ce niveau, on pourrait redouter que les musées protestants, annexes museales des

temples, soient des institutions purement communautaires, destinées à rassembler les

protestants épars à la suite de la diaspora huguenote, de l'exode rural, des mariages mixtes,

des deuxième ou troisième générations, etc. Fait minoritaire extrême (2 % de la population

française), dissémination généralisée et abandon des montagnes trouveraient un exorcisme

dans ces points d'ancrage et ces cultes annuels où, si l'on ose dire, le vrai sacrifice célébré

par les pasteurs et orateurs serait celui des huguenots de jadis plus que du Christ. La

remémoration serait la première étape d'une réidentification, d'une réincorporation à

l'Eglise réformée. La foi très pure des victimes du passé serait par ailleurs une invitation,

pour chacun, à se pencher sur sa propre foi. L'hymne des protestants, La Cévenole,

composée en 1885, et dont le chant vient clore l'assemblée annuelle du Musée du Désert,

n'a-t-il pas pour refrain: « Esprit qui les fit vivre, Anime leurs enfants, Pour qu'ils sachent

les suivre ?.».

Cette dimension existe,. partout .très fortement affirmée. Pourtant, nul ne saurait

préjuger des attentes et des réactions des visiteurs: ainsi, seuls 27 % des visiteurs du Musée

d'Orthez, en 1995-1997, étaient protestants19, ce qui infirme largement les intentions

affichées, sauf à croire qu'un prosélytisme discret puisse être poursuivi, ce qui est assez peu

probable ! Surtout, le risque du communautarisme est évité dans les collections elles-mêmes

et dans leur message implicite ou explicite. Non seulement l'histoire des protestants est

associée à l'histoire nationale, ce qui est banal, mais elle la nourrit, lui léguant des exemples

et des valeurs que chacun peut méditer, quelle que soit son appartenance: l'universel peut

jaillir ainsi du plus particulier. Le musée de Ferneres montre, par des gravures du XVÏÏIe

siècle, l'intervention de Voltaire dans l'affaire Calas, et, donc, dans le progrès de l'idée de

17 Le XHIe colloque des Musées protestants, tenu à Orthez au printemps 1998, comprenait la visite du temple: un cantique y a été spontanément entonné par les participants (suscitant des critiques, pour la confusion entre religieux et muséal, chez une minorité d'entre eux). Dans les débats du même colloque, on a pu entendre la Drômoise Christiane Marandet, conservateur en chef honoraire (de musées non protestants), s'exprimer ainsi: « Prenez l'exemple d'un tableau religieux au Louvre; en expliquant ce tableau au public à travers seulement les couleurs, la forme, les lignes, les noms des personnages, vous aurez montré l'extérieur des choses, mais pas l'âme du tableau, vous n'aurez rien laissé passer de cette conviction, de la foi qui l'a fait naître. Le discours pourra être enthousiaste, il n'en restera rien au sortir du musée. Ce qui reste en fin de compte dans la mémoire du visiteur, c'est cette chaleur que vous aurez su lui communiquer. Il gardera le souvenir d'un guide "qui avait la foi" en ce qu'il présentait », XHIe Colloque "Muséesprotestants », Paris, 1999, p. 45. 18 IXe Colloque « Musées protestants » , Paris, 1995, p. 31. 19 Marion Pellet, Bilan du fonctionnement du Musée du Protestantisme Béarnais, rapport de stage (juillet 1997), DEA de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, 1997.

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Rapport Mémoires Juive et protestante

tolérance au XVIIIe siècle. Celui d'Orthez donne la part belle aux géographes Reclus et à

Félix Pécaut, pasteur et théologien, mais aussi pédagogue de la république (une vitrine

présente des lettres et cartes que Jules Ferry lui adressa): une vitrine précédemment abordée

dans le parcours exposant un jeu de plaquettes bibliques (pour apprendre l'ordre des livres

de la Bible), le visiteur peut faire le lien entre le souci d'instruction caractéristique des

protestants, et l'apport de plusieurs des leurs à la scolarisation de la France. À Ferneres,

encore, on rappelle que la région a hébergé un grand nombre de juifs pendant la Seconde

Guerre mondiale. C'est donc, vu de l'extérieur de la religion, une forte leçon de vitalité dans

la tragédie, de résistance à l'intolérance et à la violence de l'Etat ou de certaines majorités ,

qu'offrent les musées du protestantisme. Leçon d'une portée universelle et d'une actualité

brûlante en cette fin de XXe siècle. D n'en faudrait pas beaucoup pour que cet aspect prenne

le dessus sur l'aspect « communautaire ». La commémoration sans précédent du quatrième

centenaire de l'Édit de Nantes a montré combien les autorités publiques, nationales,

régionales, locales, s'estimaient concernées par ce premier pas lointain, et souvent idéalisé,

sur le chemin du pluralisme. Les musées protestants n'ont servi, au mieux, que de réserves

documentaires pour des expositions dont la commande et la direction leur échappaient20,

mais ils ont pu trouver là une nouvelle légitimité, qui va au-delà de la seule réintégration des

protestants dans l'histoire nationale, voire d'une revanche sur les drames de leur passé, et

fait de leur trajet, en quelque sorte, le laboratoire involontaire de l'apprentissage par la

nation du compromis et de la pluralité

Un pas a du reste été récemment franchi dans les Cévennes, avec la restauration en

cours, à Saint-Jean-du-Gard, de la maison natale d'un autre chef camisard, tué au combat en

1710. L'Association Abraham Mazel entend sortir des Cévennes et du religieux (mais une

« sortie » soucieuse d'en garder l'héritage) pour aller aux peuples et nations martyrs de la

Méditerranée, voire du monde entier. Alors que Pierre Vidal-Naquet, sauvé par des

protestants dans les années 1940, avait regretté que l'assemblée du Musée du Désert, à la fin

des années 1950, fût parfaitement muette sur la guerre d'Algérie21, les journées et

conférences organisées par l'assocation mêlent l'histoire du protestantisme et des Camisards

à l'actualité internationale, avec une forte prime à cette dernière: la réconciliation en Afrique

du Sud, l'action pour la paix en Bosnie après les accords de Dayton, la paix entre Israéliens

20 Ainsi à Albi, où le Conseil général a piloté l'opération de bout en bout, en s'associant le Musée de Ferneres et des universitaires. Catalogue: De la haine au respect. 400 ans de protestantisme dans le Tarn, Albi, 1998. 21 Mais André Chamson avait su y rappeler, pour l'assemblée annuelle de 1935, l'actualité du mot huguenot "résister", et les pasteurs y avaient accueilli des juifs arrivés clandestinement de Nîmes, en septembre 1942.

13

Rapport Mémoires juive et protestante

et Palestiniens, la résistance en Grèce, au Liban, en Algérie, au Tibet, l'immigration en

France, etc. Le risque, ici, est celui d'une dilution, ou d'une instrumentalisation de l'identité

protestante, au service d'un projet militant bien éloigné des préoccupations habituelles d'un

musée. Et si protestantisme il reste, ce n'est plus celui des pasteurs et des paroisses, mais

celui de la mémoire et de la revendication identitaire. On a là, somme toute, les deux pôles

de l'objet « musée protestant »: du plus religieux au plus militant, du plus communautaire au

plus ouvert. Mais ces pôles sont peut-être moins à opposer qu'à relier dialectiquement:

chacun est présent dans l'autre, sous forme de tension. Le Musée du Désert et ses

« satellites » régionaux mènent à l'universel; et le projet militant universaliste de

l'association Abraham Mazel a ressenti le besoin de s'abriter dans les murs d'une maison

huguenote, comme si l'humanisme et la liberté en suintaient naturellement.

Les initiatives museales concernant les juifs

L'activité muséale concernant les juifs est loin d'être aussi foisonnante que celle qui

vient d'être-décrite pour les protestants. Les témoignages de la présence très ancienne des

juifs dans le sud de la France ne manquent pas, mais ils sont davantage dispersés dans les

collections de différentes institutions museales, qu'ils n'ont donné lieu à une mise en valeur

spécifique. Les raisons de ce phénomène ne sont pas à rechercher uniquement dans la

situation locale. C'est un contexte dépassant souvent le cadre régional qu'il faut évoquer

pour les comprendre. En effet, on ne compte au total en France à ce jour que deux musées

ayant directement et principalement trait à la culture ou la civilisation juives, le Musée d'art

et d'histoire du judaïsme, ouvert à Paris en 1998 et une institution plus ancienne, le Musée

judéo-comtadin de Cavaillon, qui vit le jour en 1964.

La lente reconnaissance du patrimoine juif

La première explication que l'on avance généralement tient à la tradition juive, et à

son interdit de l'image . La religion du Livre en effet privilégie, dans son principe même,

l'étude du texte et ne consacre, au sens fort du terme, aucun lieu, pas plus qu'elle ne

sacralise les objets matériels. Ainsi, le judaïsme à l'instar du protestantisme, donne-t-il peu à

22 'Tu ne feras point d'idole, ni de représentation quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, de ce qui est en bas sur la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles, et tu ne leur rendras pas de culte ", Exode, 20, 3-5.

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Rapport Mémoires juive et protestante

voir . D n'empêche toutefois que s'est lentement constitué un art cultuel juif, au gré de

l'histoire des diasporas et au carrefour des civilisations traversées. De magnifiques objets

rituels ont été élaborés au fil des ans, témoignant de l'habileté des artisans juifs inspirés par

les courants artistiques de leur temps. A ces raisons culturelles, il faut ajouter celles qui

tiennent à l'histoire. Très minoritaires, souvent fort pauvres, chassés du royaume très

chrétien à la fin du XIVo siècle, les juifs de France n'ont guère eu l'opportunité de léguer à

l'histoire de riches témoignages de leur présence. Ainsi, l'art monumental ne s'est que très

inégalement développé parmi les diasporas, et seulement quand le contexte autorisait à la

fois une stabilité politique et une visibilité sociale de la communauté. Dans le Midi de la

France, deux régions furent à cet égard plus favorables : le Comtat Venaissin, où les juifs

protégés par l'Etat pontifical ont pu se maintenir et édifier les temples de Carpentras et de

Cavaillon au XVIIIo siècle, et le Sud-Ouest aquitain où, entre Bayonne et Bordeaux sont

venus se réfugier les Marranes chassés d'Espagne et du Portugal. En dehors de ces deux

pôles, où synagogues, bains rituels, rues et objets rappellent leur présence passée, le

souvenir des juifs médiévaux, s'efface peu à peu dans le paysage urbain et dans les esprits.

A Toulouse, par exemple, rien ne subsiste aujourd'hui de la communauté juive, pourtant

conséquente, du Moyen Age, en dehors de travaux savants qui cherchent à en restituer la

particularité24.

Après la Révolution française et leur accès à la citoyenneté, les israélites ont

développé un intérêt tardif pour leur patrimoine historique et religieux, même si l'on

considère volontiers les juifs du XIXo siècle comme de grands bâtisseurs de synagogues25.

Les raisons en sont à la fois culturelles, comme nous l'évoquions plus haut, et politiques.

Citoyens ardents et partisans, comme leurs contemporains protestants, de la laïcité, garante

du pluralisme religieux de la société civile, ils n'entendent pas alors manifester leur

particularité religieuse dans l'espace public, et réservent cette dernière à l'intimité familiale.

C'est donc très logiquement que le "franco-judaïsme" va cultiver, mais aussi conserver, sa

fidélité à la religion ancestrale dans un cadre privé, qui abrite l'essentiel d'un "patrimoine

culturel juif méconnu et non encore "muséalisable", pour emprunter un vocabulaire plus

actuel. Toutefois,. dès la deuxième moitié du XIXo siècle, les érudits, juifs ou non,

23 Le tabou de l'image n'est guère absolu, comme on le prétend souvent. De nombreux exemples historiques relativisent cette idée. Voir l'article de Richard I. Cohen, "Expression picturale et modernité juive", Les cahiers du judaïsme, n°2, été 1998. 24 En la matière, on doit ici rendre hommage aux travaux de Marie-Claire Viguier, en particulier à l'exposition qu'elle consacra aux "Juifs en Occitanie" inaugurée à Toulouse en 1984, CIREJ/Université Toulouse le Mirail. 25 Dominique Jarassé, L'âge d'or des synagogues, Paris, Herscher, 1991.

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Rapport Mémoires juive et protestante

commencent à s'intéresser aux judaica , vestiges pluri-séculaires d'une présence hébraïque

ou juive. Ainsi les musées lapidaires et archéologiques de Béziers, Narbonne, Nîmes,

Toulouse...héritiers de cette tradition, possèdent dans leurs collections des inscriptions ou

des fragments de monuments, qui rappellent l'implantation très ancienne des communautés

juives méridionales26. L'intérêt pour la chose juive dépasse le monde des érudits et gagne

une bourgeoisie "urbaine et moderne" qui recherche volontiers pour la décoration intérieure

des objets d'art juif. A cette même époque, Isaac Strauss, célèbre chef d'orchestre,

rassembla la première collection d'objets d'art juif réunie en France. Celle-ci fut présentée

au public lors de l'Exposition universelle de 1878 et versée en 1890 au Musée Cluny.

Par ailleurs, en cette fin du XIXo siècle, commence le débat, toujours en cours, sur les

notions d'art et de musée juifs. Doit-on considérer comme tel un art essentiellement

religieux ou, comme le développeront un peu plus tard des artistes venus de Russie, comme

la manifestation d'un « ethos », d'une identité qui ne se manifeste pas seulement au travers

d'un art rituel, mais plus largement à travers les productions des artistes eux-mêmes27 ? Et,

au moment où l'on commence à parler de la nécessité d'un musée juif, une autre

interrogation surgit. Doit-on se centrer sur le fait religieux ou prendre en compte, comme le

stipule la seconde définition d'un art juif, toute production réalisée par un artiste juif ? Mais

alors qu'est-ce qu'un "artiste juif ? l'auteur d'une œuvre ayant pour thème le judaïsme ? ou

bien tout créateur qui, en vertu d'une origine supposée mais non spécialement revendiquée

dans ses œuvres, se verrait désigner ainsi ? Enfin, comment concevoir

l'institutionnalisation, dans le cadre national, républicain, laïque et largement "jacobin" de

l'époque, d'une mémoire religieuse particulière et minoritaire ?

L'ensemble de ces questions encore largement débattues de nos jours et appelant des

réponses nuancées, explique sans doute que, malgré le mouvement de curiosité suscité par

l'exposition de la collection Strauss, la reconnaissance d'un art juif et son inscription dans le

patrimoine national se fassent avec lenteur. Ainsi, le classement en 1924 des deux

synagogues judéo-provençales de Cavaillon et de Carpentras apparaît-il presque comme une

exception. Et il est tout à fait significatif que cette initiative tient plutôt au mouvement

d'intérêt pour l'histoire locale qui saisit le pays entre la fin du siècle dernier et le début de

celui-ci. Ainsi, c'est pour la préserver d'une ruine probable, et au titre d'un précieux

26 Voir B. BLUMENKRANZ dir. Art et Archéologie des Juifs de la France médiévale, Toulouse, Privat, 1980 et G. NAHON, Inscriptions hébraïques et juives de France, Paris, Les Belles Lettres, 1986. 27 JARASSE Dominique, « De l'art judaïque à l'art juif en France. Fragments d'une historiographie de l'art juif en France. » Archives juives, n°31/32, 2° semestre 1998.

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Rapport Mémoires juive et protestante

témoignage sur la vie provençale en général, que la famille Jouvé à Cavaillon demande le

classement de la synagogue du lieu. De son côté, Mistral introduit des objets religieux juifs

au Museon Arlaten d'Arles, comme autant de témoignages de la présence des judéo-

comtadins qui marquèrent la culture provençale. C'est la même préoccupation qui conduit le

premier conservateur du Musée basque à réserver une salle à la reconstitution d'une petite

synagogue marrane à Bayonne. Jusqu'à cette date, c'est au nom d'une représentation qui se

veut exhaustive de la vie locale que l'on introduit le fait juif dans les musées régionaux et

très symboliquement l'initiative provient le plus souvent de l'extérieur de la communauté,

même si celle-ci est sollicitée, pour verser des dons par exemple. C'est également une

définition très largement cultuelle de l'identité juive qui prévaut, dans une conception que

partagent les Français israélites de l'époque, pour lesquels le judaïsme se veut une

confession parmi d'autres, et leurs concitoyens non juifs. A travers son expression religieuse

(lieux et objets de culte) la mémoire juive s'intègre, au sens plein que peut avoir ce terme

pour l'époque, dans une histoire locale aux multiples facettes et riche de détails, que chaque

région s'emploie pour l'heure à verser au crédit de la Nation tout entière. Et pour les juifs,

cette reconnaissance locale n'est qu'une confirmation de leur pleine appartenance à cette

dernière.

Après 1945, après la catastrophe, le débat autour d'un musée juif, destiné non

seulement à sauver la mémoire de ceux qui périrent, mais aussi à ressourcer les survivants,

resurgit sur le plan national et prend un autre tour. Tout au long de la deuxième moitié du

XXo siècle, c'est une mémoire historique qui va s'imposer avec la création, en 1948, à Paris

d'un Musée d'art juif, dont l'ambition est de recueillir des témoignages divers des

communautés d'Europe de l'Est détruites par le nazisme et des œuvres d'artistes juifs28.

Après la guerre, la construction de la mémoire juive enregistre un important changement

d'échelle en allant du local et du national vers l'ensemble du peuple juif dispersé. La

conception qui prévaudra dans l'activité muséale, sera à la fois plus culturelle et plus

historique. Dans ce nouveau contexte, l'initiative muséale va désormais progressivement

intégrer les données de l'histoire du génocide - même si ce travail de la mémoire ne se fait

que très lentement. Les années soixante marqueront un tournant. Les recherches et la

collecte d'antiquités amorcées au XIXo reprennent sous la houlette de Berhnard

Blumenkranz, avec la Gallia judaica. L'auteur de L'histoire des Juifs de France 29lance à

28 n Archives juives, op. cit. 29 Toulouse, C.F.A.J. -Privat, 1972.

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Rapport Mémoires Juive et protestante

partir de 1965 une vaste enquête auprès des musées nationaux' et privés pour établir un

inventaire du patrimoine juif30. Depuis la guerre, les temps ont changé, les autorités se

montrent désormais plus sensibles en la matière. L'initiative de Berhnard Blumenkranz va

permettre le classement de nombreux édifices et d'inscriptions funéraires en particulier dans

les cimetières portugais du Sud-Ouest de la France . C'est dans ce contexte que s'ouvre le

musée judéo-comtadin de Cavaillon, largement soutenu par Armand Lunel, et qui demeure à

ce jour le seul musée juif du Sud de la France.

Ce mouvement, à peine amorcé, rencontre d'autant plus de succès qu'il est à la fois

soutenu par les institutions publiques et par les juifs eux-mêmes. L'engouement pour le

patrimoine qui s'empare de la France à partir des années soixante-dix explique en partie

l'accueil souvent favorable que rencontrent des initiatives comme celle de l'équipe de

Bernhard Blumenkranz auprès des institutions. Au plan national, avec le Ministère de la

Culture, mais aussi au sein des municipalités concernées, comme à Montpellier ou

Cavaillon, les demandes en faveur de la conservation et de la mise en valeur touristique du

patrimoine juif trouvent un écho favorable. Jusqu'aux années soixante-dix, le mouvement

reste cependant circonscrit dans le cerclé assez étroit des érudits locaux et des universitaires.

Pendant la décennie suivante, il ne cesse de s'élargir sous l'effet du phénomène de retour

aux sources qui traverse la société française. Parmi la population juive, il prend la forme

d'une revendication identitaire nettement affirmée dans l'espace public, identité qui se veut

à la fois spécifique, en vertu du "droit à la différence" qu'exaltent volontiers ces années-là, et

ancrée dans la réalité historique française. Cette affirmation identitaire prend sans doute

d'autant plus de relief dans lé Midi de la France qu'elle y croise à la fois l'expression d'un

particularisme occitan et de l'identité des juifs d'Afrique du Nord. Arrivés nombreux dans

les années soixante, ceux-ci vont revitaliser les communautés de Montpellier, Nîmes, ou

Toulouse... Les nouveaux venus, que l'on prend peu à peu l'habitude d'appeler les

Sépharades, deviennent volontiers les transmetteurs de la mémoire juive en terre

méridionale. Ainsi, dans les cités languedociennes, l'héritage assoupi des anciennes

communautés juives médiévales se trouve-t-il largement ranimé par ces derniers

immigrants, qui se réclament de ce passé mythique et semblent vouloir rétablir ainsi la

continuité historique d'un destin commun aux juifs.

0 B. Blumenkranz « Le patrimoine religieux des Juifs de France ».Archives juives, n°l-3,22e année, 1986. 1 Gérard Nahon, « Les cimetières portugais » in Le Patrimoine juif français, Monuments historiques, N° 191, février 1994.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Sous des formes variées, chez les juifs et chez les autres, la volonté est là de faire

reconnaître la part que les juifs ont pris à l'histoire locale et le souvenir de leur présence

passée, relayée par les nouveaux arrivés. Quelques exemples le montrent. A Montpellier, le

mouvement est particulièrement net. Le mikvé32 médiéval, étudié par Daniele Iancu, fait

. partie de la liste des monuments inscrits dans la visite touristique de la cité33. Une brochure

distribuée par l'office de tourisme rappelle au promeneur l'histoire des juifs de la ville. A

Cavaillon et Carpentras, l'histoire des juifs, représentée par les synagogues, est un point

nodal de l'auto-représentation locale, un des sites recommandés aux touristes, et présenté

dans le cadre de la brochure sur les itinéraires juifs de la région34. A Nîmes, où sur le plan

touristique la présence juive est beaucoup moins marquée, la création récente d'un cercle

Adolphe Crémieux, du nom d'une figure juive locale, destiné à promouvoir la culture juive

et à mieux faire connaître l'histoire des israélites de la ville manifeste un début d'affirmation

de la mémoire juive locale. Sur le versant aquitain du Midi, la présence juive s'inscrit aussi

dans l'histoire locale en particulier à Bayonne avec le Musée basque et les cimetières

portugais de Peyrehorade ou de Labastide - Clairence36. Entre les deux pôles que constituent

d'un côté le midi méditerranéen, de l'autre le sud-ouest aquitain, la mémoire d'une présence

ancienne affleure à peine. En pays toulousain, il faut la rechercher dans les musées

lapidaires, décrypter les mystérieuses inscriptions, si précieuses pour le spécialiste, mais qui

restent obscures pour le profane. Seul le souvenir de la guerre est bien là, matérialisé par les

plaques apposées, depuis peu, à l'emplacement des anciens camps d'internement de la région

toulousaine (Noé, Le Récébédou...) ou celles commémorant le maquis juif dans les massifs

duTam.

D'une manière générale, l'effort de conservation et de présentation au public de la

mémoire juive, dans ces trois dernières décennies du siècle, tend à se centrer sur le souvenir

des persécutions subies durant la seconde guerre mondiale et la shoah. On en comprend

l'urgence : alors que négationnistes et falsificateurs tentent de gommer les traces de l'horreur,

il faut retenir le témoignage des survivants et enseigner le passé aux générations suivantes.

Les actes commémoratifs vont alors se multiplier, à l'initiative des institutions juives qui

reçoivent le soutien des pouvoirs publics. Poses de plaques, rassemblements, conférences,

32 Bain rituel 33 D. Iancu, « L'ensemble cultuel de Montpellier », Monuments historiques, op. cit. 34 Route du patrimoine juif du midi de la France, Comité Départemental du Tourisme du Vaucluse, septembre 1992. 33 aujourd'hui en réorganisation. 36 seul le cimetière de Labastide-Clairence est classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

19

Rapport Mémoires juive et protestante

colloques et expositions37 ponctuent la vie locale, dans un travail de mémoire qu'activent

parfois des événements tels que le procès Papon à Bordeaux. Mais ce militantisme de la

mémoire ne prend pas — ou pas encore ?— forme muséale, même s'il peut jeter les bases

d'une collecte de témoignages, documents et objets potentiellement muséalisables.

Souvent discrète, parfois absente des paysages urbains, la mémoire de la présence

juive dans le Midi de la France a dons donné lieu à la constitution de quelques lieux et

objets de mémoire, qui restent très variés dans leur forme comme dans leur vocation.

Définissant une vocation que Ton peut qualifier d'universaliste, s'adressant à un large public

non juif et juif, nombre des institutions présentées dont le projet est soit historique, comme

les inscriptions conservées dans les musées lapidaires, soit anthropologique, comme les

musées de Bayonne, Arles ou Avignon, s'emploient à conserver la mémoire des juifs comme

participant à la mémoire locale. Les juifs figurent ici comme des acteurs à part entière de la

vie locale, ils font partie de celle-ci. Dans ces régions où la présence juive a subsisté en

quasi-continuité , les musées mettent en relief la synthèse opérée entre culture juive et

traditions locales : c'est le judéo-provençal, la culture marrane qui sont présentés, par le

biais toutefois de ce qui continue à singulariser les juifs, à savoir la religion. Cette double

approche, qui ancre la communauté juive dans le terrain local tout en donnant à voir sa

particularité religieuse - outre l'effet de retour au religieux sensible de nos jours - rencontre

la faveur d'un public non juif et juif. Concernant ce dernier, elle rejoint son double souci

d'ouverture au monde et de maintien de son identité. Elle met en valeur une manière d'être

juif, à la fois attachée à la vie locale et nationale, et profondément fidèle à ses valeurs

propres.

Mais, au-delà des intentions des acteurs de la mémoire, la prise en compte de cette

présence juive dans les musées retraçant l'histoire et la vie locale, doit aussi conjuguer les

trois niveaux d'inscription de l'histoire des juifs, local, national et diasporique. D'une

manière plus générale, cette triple exigence affecte le travail de la mémoire et les formes

vers lesquelles l'action muséale a pu s'orienter mais aussi les obstacles qu'elle rencontre.

Sans doute cette problématique spatiale propre à l'histoire juive a-t-elle limité

l'identification et la construction de véritables lieux de mémoire dans le sud de la France,

37 par exemple les expositions sur les "Camps d'internement du Sud-Ouest de la France" à la Bibliothèque Municipale de Toulouse, sur le camp de Septfonds à la Bibliothèque de Montauban... 38 à la différence des régions d'Occitanie où, à la suite des expulsions, notamment celle de 1306, la vie des communautés juives fut interrompue pendant plusieurs siècles.

20

Rapport Mémoires juive et protestante

même s'il ne manque pas ici de "carrière" et de quartiers médiévaux, de "camps" et d'édifices

contemporains qui rappellent la vie juive, ses souffrances et ses combats.

Contrairement aux protestants qui ont identifié et érigé en lieux de mémoire et de

rassemblement communautaires, mais aussi en lieux de foi et de ressourcement, des sites

• symbolisant les persécutions endurées et la résistance, les juifs continuent de distinguer

entre la synagogue et le centre communautaire, lieux par excellence de réunion des fidèles

en diaspora d'une part, et ceux d'une mémoire qui reste fragmentée et partielle, d'autre part.

Pour les premiers, le musée rappelle et matérialise les origines historiques du groupe situées

sur le territoire fondateur, la France, et sur le territoire du refuge et de la résistance, le midi.

Pour les seconds, ni la France ni le Midi ne sauraient à eux seuls jouer ce rôle fondateur

dans une histoire de plusieurs siècles, qui commence ailleurs et se recompose

continuellement dans des territoires divers. Le musée ne peut que refléter cette multiplicité

des ancrages, voire la revendiquer comme le fait le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme

qui affirme la double vocation « d'intégrer le patrimoine artistique et culturel juif dans le

paysage muséographique français » et « retracer l'histoire du judaïsme, au fil des exils

(comme) u'ne translation de ses centres vitaux »39.

Mais en dépit de ces différences, le musée continue aujourd'hui de cristalliser pour

les deux groupes les mêmes enjeux et les mêmes débats. Chaque initiative muséale ne peut

que présenter une version parmi d'autres possibles d'une histoire du groupe, qui se décline

toujours sur le mode de la diversité et de la dispersion. Les juifs comme les protestants

revendiquent tour à tour une mémoire jalousement gardée dans l'enceinte communautaire ou

une mémoire ouverte sur la cité, que conserveraient les musées à visée universaliste. Les

régions, quant à elles sollicitent volontiers la mémoire des deux groupes pour édifier une

mémoire locale se définissant comme pluraliste, tolérante et généreuse. C'est bien au-delà du

particularisme de chacun qu'il faudra donc chercher le sens de ces différentes conceptions et

confrontations autour du musée, mais bien dans l'histoire de France qui n'en a pas fini de

repenser la place de ses minorités.

Musée d'art et d'histoire du judaïsme, brochure de présentation, Paris, 1997.

21

Rapport Mémoires juive et protestante

I. Présentation de l'enquête

A. Questions de méthode

La problématique de cette enquête recouvre une appréhension multidimensionnelle de

l'activité muséale, inscrite à la fois dans son rapport avec des espaces communautaires

particuliers et avec la société locale, sinon régionale. On peut rappeler à ce sujet que le

terme même "d'initiative muséale" autorise une conception assez extensive des actions ou

des formes à prendre en considération. La présente étude entend à la fois retracer la genèse

des institutions, publiques ou privées, directement consacrées au patrimoine juif ou

protestant ; mais aussi rendre compte des actions spécifiques qui ont pu être conduites à ce

sujet à l'intérieur de musées à vocation dite "généraliste". Des opérations ou des projets en

cours d'élaboration au moment de l'enquête ont également été considérés. Outre la dualité

induite par la comparaison entre juifs et protestants, une approche souple et ouverte a été

retenue pour mieux répondre aux questionnements envisagés. Qui sont les acteurs de cette

mémoire ? Comment celle-ci est-elle présentée au public ? Comment s'articule-t-elle (ou se

confond-elle) avec la mémoire locale et régionale ? Quelles sont les valeurs maîtresses à

l'origine de ces initiatives ?

Lieu de conservation,ie musée prend, par définition une place de choix dans l'étude des

productions de la mémoire locale. D en assure la présence, l'entretien et la pérennité. D est en

cela un lieu actif, qui, en fixant les thématiques et les événements, cristallise les processus

de sélection de la mémoire puis de sa transmission. Au travers des faits qu'il retient comme

révélateurs, des aspects qu'il met en valeur, il importe donc de saisir les signes de

négociations éventuelles menées en arrière-plan entre les acteurs de l'institution et les divers

protagonistes de cette mémoire qui œuvrent au dehors. Ainsi, ce qui a été privilégié comme

indice ou symbole de la présence des juifs ou des protestants, et jugé socialement pertinent,

peut en dire long sur les mécanismes d'intégration des communautés dans l'histoire locale.

L'acte de mémoire enregistre les effets du temps, il se fait progressivement après la seconde

guerre mondiale, acte de sauvegarde et de survie, résistance, puis " devoir de mémoire "

selon la formule aujourd'hui consacrée. La mémoire des minorités ne peut en règle générale

22

Rapport Mémoires Juive et protestante

s'envisager hors de la question du risque de disparition culturelle qui pèse sur elles, et de la

manière dont ce risque est ressenti. La reconnaissance de ce risque et la nécessité de

conservation, au sens fort, qui en découle sont en effet inégalement éprouvées selon les

moments. C'est tout l'intérêt d'études comparatives et bien localisées que d'offrir la

possibilité d'en observer les variations.

Dans cette mémoire devenue institution, l'évaluation de la cible requiert par ailleurs une

attention particulière. A qui s'adresse-t-on ? Aux seuls protestants et/ou juifs ? A un public

plus large ? On comprend d'emblée que l'étude comporte ce volet. Car la présence d'une

visibilité juive ou protestante au sein des musées locaux est bien négociée, puis assurée,

dans le contexte général des partages établis entre éléments variés et parfois concurrents.

Mais l'échelle d'analyse de ces négociations et partages dépasse les seuls clivages entre

" majorité " et " minorité ", entre minorités différentes, ou bien encore entre public et privé.

Les lignes de fragmentation passent aussi parfois, et l'enquête le confirme, au sein des

groupes eux-mêmes, groupes qui ne sont pas nécessairement homogènes dans leurs

conceptions de l'action museale et leur rapport au passé. La notion de "patrimoine

commun "'n'en est que plus complexe, invitant les chercheurs à observer l'ensemble des

interactions qui, dans un vaste espace de négociation, concourent à sa définition. D'un point

de vue méthodologique, le musée présente en effet l'intérêt de rassembler des approches

complémentaires : celles des conservateurs d'un côté, des utilisateurs de l'autre. D est par

conséquent comme une vitrine qui permet de restituer ce qui, dans la mémoire locale, en a

organisé l'émergence.

Les contenus négociés de la mémoire

C'est dans cette perspective qu'il apparaît indispensable d'introduire le rôle essentiel que

tiennent les acteurs locaux dans la mise en œuvre de la production muséale. Cette

problématique incite tout naturellement à considérer celle-ci comme le résultat d'actions

conjuguées et négociées émanant de personnalités diverses : tant dans leurs fonctions et

statuts (professionnels et bénévoles, prêtres et représentants communautaires, élus, notables

locaux, etc.), qu'en ce qui concerne leur appartenance - revendiquée ou non - et leurs visions

du monde. L'activité muséale est loin d'être le seul fait d'une volonté politique s'exerçant

verticalement, que ce soit depuis les sommets de l'Etat ou que ce soit depuis les institutions

et professionnels de la culture, qui en décideraient, seuls. Elle est ne saurait davantage se

concevoir exclusivement comme un phénomène endogène aux deux groupes considérés.

23

Rapport Mémoires Juive et protestante

Elle tient au contraire, pour une part qu'il a fallu apprécier, à des facteurs exogènes qui la

suscitent ou la dissuadent. Les effets de la décentralisation, par exemple, ne sont pas à

négliger dans une approche des initiatives croisées des pouvoirs publics et des organismes

communautaires ou associatifs. Une autre conséquence concerne l'importance de l'initiative

personnelle (ou de petits groupes) dans la construction et l'acheminement des projets de

conservation de la mémoire. Le militantisme et d'autres ressorts plus personnels ou

familiaux contribuent aussi fortement à dessiner les contours de l'action muséale. A côté des

grands enjeux idéologiques et politiques de la mémoire, la recherche se devait d'explorer la

volonté des acteurs qui la façonnent. Autant dire que l'on touche là à ses aléas comme à ses

imprévus-

Cette étude s'attache donc à analyser les contenus négociés, mouvants, de l'acte de

mémoire, ceux-là mêmes qui président aux initiatives museales et commémoratives, ceux

qui interviennent ensuite dans la mise en pratique de choix muséographiques. Ces contenus

s'organisent selon une large thématique dont nous rappelons ici les principaux items :

? la part'respective des valeurs antithétiques de tradition (liées aux cultes, aux lieux de

prières par exemple) et de modernité -; de religion et de laïcité ; de communauté et de

République ; d'ouverture à l'autre et de clôture du groupe.

? l'affirmation d'un enracinement local, la revendication d'une généalogie familiale ou

communautaire, la référence aux œuvres économiques, intellectuelles ou politiques du

groupe dans l'espace local.

? la référence à l'expérience diasporique, à travers la transgression du territoire local, la

dimension transnationale du groupe et les trajets migratoires qui s'y entrecroisent.

? la réappropriation - éventuellement réinterprétation - de l'histoire locale par les migrants

récents.

0 la revendication d'un héritage religieux et/ou historique, cultuel et/ou culturel.

? l'évocation des persécutions, de l'exclusion au fondement de la mémoire collective ;

l'affirmation éventuelle de solidarités intercommunautaires entre confessions minoritaires.

Enfin, la comparaison des diverses situations et des deux groupes concernés suit en fil

directeur tout ce travail. D s'agit moins là de se contenter de comptabiliser des analogies, que

de tenter de comprendre les modalités de la mémoire à travers l'examen de fines

différenciations. Ces dernières oscillent entre un désir d'universalisation de l'expérience

particulière, à contenu religieux ou laïque, et la perspective offerte, dans le cadre d'une

24

Rapport Mémoires juive et protestante

revalorisation de la dimension locale, à la réinvention des formes et des idéaux

communautaires. Nul doute que ces jeux de la mémoire, à l'échelle micro-sociologique,

participent dès lors à la redéfinition du paysage identitaire de notre temps.

Quant au terrain d'étude retenu, il englobe au plan géographique un vaste Midi de la

France : depuis le sud-ouest aquitain (avec Bayonne et Bordeaux) jusqu'au Vaucluse de

l'ancien Comtat Venaissin (Cavaillon et Carpentras), de Toulouse au massif cévenol, du

pays tarnais au Languedoc... Les différents sites ont été choisis parce qu'ils représentent ou

ont représenté historiquement des aires de refuge et d'implantation pour nos populations. De

plus, ils forment un ensemble régional aux limites floues, mais qui fait sens pour la

revendication régionale "occitane" contemporaine. Par cette double caractéristique, le

terrain se prêtait tout particulièrement au croisement des dimensions identitaires, locale,

régionale, diasporique. Dans chacun de ces espaces, les sites d'enquête ne font cependant pas

l'objet d'une focalisation excessive, tant il importait d'enregistrer les effets multiples d'un

travail de mémoire qui s'effectue pour beaucoup à l'extérieur des musées. Un tel principe

doit permettre de cerner tous les enjeux qui peuvent intervenir localement dans la production

de la mémoire juive et/ou protestante dans le Midi de la France.

B. Les axes méthodologiques de l'enquête

Conduite par une équipe interdisciplinaire réunissant sociologues et historiens, cette

recherche s'appuie sur deux axes méthodologiques complémentaires :

1. un questionnaire envoyé systématiquement à toutes ces institutions et des entretiens

réalisés avec les principaux acteurs de ces initiatives.

2. l'observation directes des musées et des commémorations, la collecte de la

documentation existante les concernant.

3. L'enquête orale par entretiens

Le questionnaire auprès des institutions

Pour mener à bien l'enquête dans tous ses aspects, il convenait d'analyser un ensemble

élargi d'initiatives museales : depuis des institutions spécifiques déjà anciennes et assez

faciles à repérer - telles le Musée du Désert pour les protestants ou les collections des

synagogues de Carpentras et Cavaillon pour les juifs - jusqu'à des oeuvres de mémoire

encore embryonnaires et souvent moins connues. C'est dans ce but que l'équipe a réalisé par

25

Rapport Mémoires juive et protestante

questionnaire un recensement de ces actions en consultant l'ensemble des établissements

d'un vaste espace méridional (régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon) :

tous les musées, quels que soient leur objet, leur dimension ou leur statut, les institutions

culturelles (bibliothèques, centres culturels associatifs, etc.), les centres d'archives et de

conservation patrimoniale. Ce questionnaire avait pour objectif premier d'inventorier les

lieux où subsiste, s'entretient ou se constitue la mémoire des juifs et des protestants. Grâce à

quelques questions qualitatives, il a aussi permis d'en saisir pour partie les formes et les

contours. En effet, l'accueil réservé à l'enquête, l'interprétation même de ses objectifs et de

ses attentes et le sens attribué par les répondants aux notions de " patrimoine juif " et

"patrimoine protestant" constituent intrinsèquement de premiers indices des

représentations que se font les acteurs de l'action culturelle du contenu et de la place des

deux cultures concernées. De ce fait ces questionnaires, envoyés dans la première phase de

la recherche, ont pu nourrir et compléter l'enquête directe40.

L'observation directe

L'obsejvation directe devait permettre de recueillir tous les renseignements nécessaires

à une bonne connaissance des lieux : reconstituer la genèse des différentes institutions ou

des initiatives museales existantes, mais aussi répertorier les contenus affichés afin de

comprendre les choix muséographiques exercés en amont ; tenter, pour chaque cas, de

cerner au plus près l'inscription locale de ces activités et la fréquentation dont elles

bénéficient.

Un tel objectif a pu être réalisé grâce aux divers séjours effectués sur le terrain par les

membres de l'équipe de recherche. Outre les visites aux différents musées, cela impliquait

de suivre les manifestations culturelles connexes, expositions temporaires et autres. Une

partie des chercheurs concernés a, par exemple, activement participé aux manifestations

commémoratives du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes qui se sont tenues dans le

grand Sud-Ouest, ainsi qu'au XIIIe colloque des Musées protestants à Orthez (30 avril - 3

mai 1998) dont le thème était justement : "Communiquer notre mémoire". En réponse à la

problématique d'ensemble, cette première approche ne conduit évidemment pas à produire

une description exhaustive des sites approchés mais bien à esquisser la configuration des

rapports qui se tissent entre le musée, la société locale, et le groupe protestant ou juif.

Voir questionnaire en annexe

26

Rapport Mémoires juive et protestante

De façon pratique, il a fallu consigner un ensemble d'informations issues de sources

diverses qui, une fois rassemblées en faisceaux, pouvaient seules organiser le sens de

l'activité museale et permettre de la restituer bien au-delà de la seule description des choses

exposées. On peut rappeler à titre indicatif les éléments auxquels les observateurs se sont

montrés sensibles au cours de leurs relevés et ce qu'il leur a fallu étudier.

? observer tout d'abord l'approche muséographique proprement dite : l'organisation des

salles d'exposition, les objets visibles et leur sélection, ainsi que les légendes et les panneaux

explicatifs qui leur sont associés.

? collecter, ensuite, et dépouiller les fascicules, dépliants et autres guides mis à la

disposition du public.

? analyser les documents d'archives concernant la création et l'histoire des musées, déceler

ainsi l'origine des collections et les orientations de départ.

? recenser toutes les autres activités museales liées à l'organisme ou prises en charge par

lui (commémorations, expositions exceptionnelles, collaborations avec d'autres institutions

culturelles, manifestations scientifiques, etc.).

? décrypter le fonctionnement de l'établissement, les rattachements institutionnels qui

l'encadrent, les contraintes budgétaires qui pèsent sur lui, les réseaux dans lesquels il

s'inscrit..

? évaluer sa fréquentation (quantitativement et qualitativement), repérer autant que possible

les attentes et les réactions du public.

? repérer les acteurs et les réseaux qui contribuent à l'institutionnalisation de la mémoire

dans et hors de l'institution. En effet ne disposant pas d'une population d'enquête pré­

établie, il s'agissait de la construire progressivement, à partir de l'observation sur le terrain,

et de dépasser ainsi les limites d'un échantillon qui se serait " naturellement " imposé par

son statut (professionnels, ecclésiastiques etc.). D fallait accéder à un ensemble plus

informel d'acteurs ayant un rôle (quelquefois capital) dans le développement de certaines

initiatives museales.

Les entretiens approfondis

Enfin, l'observation directe et l'enquête systématique ont étaient prolongées par une

série de visites auprès des acteurs eux-mêmes afin de réaliser des entretiens approfondis.

Selon une hypothèse formulée d'emblée, l'initiative muséale tient au moins autant à la

volonté d'institutions - intéressées par exemple à la production d'une mémoire de groupe,

27

Rapport Mémoires juive et protestante

quelle que soit son échelle ou sa définition - qu'à celle d'individus motivés par cette tâche,

voire pour certains cette " mission ". Ceux-ci peuvent se révéler très actifs, souvent même

opiniâtres, dans la recherche et la conservation des sources, objets ou documents de l'histoire

du groupe, comme dans la valorisation qu'ils tentent ensuite d'en faire.

L'approfondissement de la recherche de terrain a vite laissé percevoir toute l'importance de

cette détermination individuelle. Elle mérite d'ailleurs d'autant plus notre attention qu'elle

travaille aux marges d'une histoire officielle peu encline, pour des raisons historiques bien

connues, à particulariser les minorités religieuses. Il était de ce fait intéressant d'examiner

comment et pourquoi l'effort individuel entreprend de sortir de la confidentialité pour

déboucher sur une reconnaissance sociale, au-delà de la seule communauté d'origine. La

biographie de ces acteurs, en particulier leur appartenance ou non au groupe religieux

considéré, renseigne sur les ressorts de la production et, le cas échéant, de la publication de

cette mémoire.

Ces entretiens approfondis ont été conduits auprès d'informateurs retenus en fonction de

leur statut et/ou de leur activité locale. Le choix s'est orienté de manière assez large vers des

personnes 'ressources quant aux mémoires juive ou protestante de la France méridionale

(créateurs et conservateurs de musées, responsables associatifs, personnalités religieuses ou

communautaires, etc.). En effet, seule leur parole directe pouvait permettre d'apprécier au

mieux ce qui relève dans la production museale de l'intervention respective ou de

l'interaction des espaces communautaire / societal ; religieux / laïque ; privé / public. En

complétant l'approche des initiatives museales sur le terrain par le témoignage des

principaux protagonistes, cette dernière étape permet d'accorder une large place au parcours

personnel des acteurs concernés, ainsi qu'à leurs visions du monde et aux valeurs qui les

animent. Autant d'éléments, dits ou non dits, qui doivent être renvoyés aux caractéristiques

biographiques du locuteur.

La population d'enquête a donc été retenue en fonction de la nécessité de ne pas se

limiter aux seuls acteurs "officiels" ni au simple cadre des groupes confessionnels

concernés. La construction de l'échantillon a ainsi été élaborée et raisonnée pas à pas, en

fonction des caractéristiques de chaque terrain. Mais une des contraintes méthodologiques a

toujours été de veiller à diversifier l'échantillon à partir d'une représentation équilibrée les

lieux "communautaires", confessionnels et laïques, des lieux professionnels (conservateurs,

employés des musées), des milieux associatifs, et d'éventuels collectionneurs privés. Sans

prétendre à l'exhaustivité, cette diversité permet de mieux croiser les informations et les

28

Rapport Mémoires juive et protestante

interprétations de l'activité muséale. Le protocole d'entretien satisfait ainsi aux exigences

d'une problématique attentive à la confrontation des références dans la production de la

mémoire.

Les axes travaillés sont précisés par les deux guides d'entretien joints en annexe (l'un

pour les personnes appartenant à une institution et l'autre pour celles n'entrant pas dans

cette catégorie). En raison de la multiplicité des sources d'information, ces entretiens ont pu

être également un peu réadaptés en fonction de certaines circonstances locales.

Dix points essentiels ont été retenus comme trame :

1) présentation des lieux et des activités, origines de l'initiative.

2) l'engagement institutionnel, les financements, les acteurs.

3) la biographie du témoin : son parcours, son engagement personnel, ses motivations.

4) l'articulation entre particularisme et universalisme, laïcité et identité religieuse.

5) l'articulation avec la dimension locale : l'attachement au pays, la valeur touristique.

6) la vie communautaire.

7) la mixité culturelle et l'ouverture, notamment interconfessionnelle.

8) leS réseaux de relations.

9) l'audience rencontrée. •

10) les contacts potentiels pour enquête.

C. La mise en œuvre de l'enquête

Les résultats du questionnaire

Une centaine de questionnaires ont été envoyés aux institutions et aux différents acteurs

de la mémoire locale précédemment recensés, dans tous les départements retenus. 52

réponses ont été reçues par retour de courrier, réparties comme suit :

• 29 réponses pour la région Midi-Pyrénées

• 13 réponses pour la région Languedoc-Roussillon

• 10 réponses pour la région Aquitaine

Le récapitulatif des réponses obtenues par département est fourni sous forme de tableau

(cf. infra). Les rubriques précisent le nom et l'adresse de l'établissement, le type de réponse

donnée (lettre simple ou questionnaire retourné), s'il dispose ou non d'un patrimoine juif

29

Rapport Mémoires juive et protestante

(PJ) et/ou d'un patrimoine protestant (PP), et donne quelques indications sur le contenu de

celui-ci ou, quand il n'y en a pas, sur les motifs de cette absence.

Ce tableau permet de synthétiser les principaux résultats de l'enquête par questionnaire.

Si ceux-ci seront ensuite utilisés plus en détail pour alimenter les développements et les

conclusions de l'étude, on peut dégager dès à présent quelques enseignements généraux.

A) INSTITUTIONS AUTRES QUE LES MUSÉES

? Parmi les institutions ayant répondu, il y a d'abord celles qui disposent d'un fonds

documentaire dont une partie au moins, même modeste, concerne l'histoire des juifs et des

protestants dans le Midi (des ouvrages généraux et/ou spécialisés). C'est notamment le cas

des plus grandes bibliothèques municipales (à noter que celle de Toulouse conserve en outre

des archives concernant les juifs).

? Les établissements publics de conservation se signalent d'autre part pour les documents

originaux qu'ils conservent en ces domaines : les archives départementales, certaines

archives municipales, ainsi que quelques bibliothèques, en particulier pour les ouvrages ou

les manuscrits qu'elles possèdent dans leur fonds ancien, c'est-à-dire antérieur à 1815. On

peut en donner quelques exemples :

• Archives départementales de la Haute-Garonne : archives de la Chambre de

"l 'Edit (fin XVIf-XVIEf siècles).

• Archives départementales de l'Hérault : archives déposées par l'Eglise réformée

de Montpellier et les consistoires de Saint-Affrique, Marsillagues, Montagnac.

• Archives départementales du Tarn-et-Garonne : archives du consistoire de

Montauban.

• - Archives départementales de la Gironde : édition de recueils d'études et de

documents sur l'histoire du judaïsme bordelais 41 et sur les registres paroissiaux

protestants 42.

• Bibliothèque municipale de Toulouse : section bibliothécaire Hebraica-Judaica

et archives de l'Organisation juive de combat.

Il faut signaler que ces archives départementales ont longtemps été dirigées par Jean Cavignac, aujourd'hui décédé, et qui était un spécialiste de l'histoire des juifs du sud-ouest. CAVIGNAC, Dictionnaire du judaïsme bordelais aux XVIII' et XIX' siècles, Bioeraphies. généalogies, professions-institutions. Archives départementales de la Gironde, 1987. 42 Jean VALETTE, Les registres paroissiaux protestants de Liboume. Archives départementales de la Gironde, 1981. & Les registres paroissiaux protestants de Gensac. Archives départementales de la Gironde, 1987.

30

Rapport Mémoires juive et protestante

• Bibliothèque universitaire de Toulouse : fonds hébraïque de la Faculté de

Théologie de Montauban.

• Bibliothèque municipale de Foix : écrits protestants, notamment des fondateurs,

prédicateurs et controversistes (XVTvXEX6 siècles).

• Bibliothèque municipale de Montauban : création en cours d'un fonds sur le

protestantisme montalbanais.

? Enfin, certaines institutions signalent quelques plus ponctuelles, par exemple des

expositions temporaires consacrées à des sujets plus ou moins liés à la mémoire juive ou

protestante. Quelques unes de ces expositions temporaires continuent ensuite d'être

présentées au public en étant prêtées à d'autres institutions. Il faut remarquer que la

commémoration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes a donné lieu à beaucoup de

réalisations en la matière.

• Bibliothèque municipale de Toulouse : expositions sur la littérature judéo-

occitane (1983), l'histoire des communautés juives de Toulouse (1983-1984),

"Ephraim Michael et son temps" (1986), "Les camps d'internement dans le Sud-

' Ouest" (1990), "Isàach Orosio De Castro et son temps, 1617-1687" (1992),

"L'affaire Dreyfus â Toulouse" et "Pour en finir avec l'antisémitisme" (1995),

"Les juifs dans la Résistance" (1997), "Les relations entre catholiques et

protestants français, XVÍ-XVIE* siècles" (1998).

• Bibliothèques municipale de Foix : exposition des oeuvres de Pierre Bayle et de

ses contemporains (1996).

• Bibliothèque municipale de Montauban : expositions sur les psautiers protestants

(1994), le protestantisme montalbanais (1998).

• Mairie de Montpellier : exposition "A propos de l'Edit de Nantes : de

l'intolérance à la paix civile et religieuse" et colloque sur le quatrième centenaire

de l'Edit de Nantes (1998).

• Archives départementales de l'Hérault : expositions "Sources de l'histoire du

protestantisme aux Archives départementales de l'Hérault" (1981), "Les juifs à

Montpellier hier et aujourd'hui" (1985).

• Archives départementales du Vaucluse : exposition "Le destin d'une minorité :

les protestants en Vaucluse, XVf-XIX6 siècles" (1998).

31

Rapport Mémoires Juive et protestante

• Archives départementales de l'Ariège : colloque "Tolérance et solidarité dans les

pays pyrénéens" (1998).

• Archives municipales de Tarbes : expositions sur les guerres de religion (1985),

"Quelques traces du protestantisme à Tarbes, XVlF-XVIir5 siècles" (1998).

B) MUSÉES PROPREMENT DITS

Il existe bien sûr des musées qui concernent spécifiquement le sujet pour l'un ou l'autre des

deux groupes considérés. Tous ont répondu43. Ds feront l'objet d'une analyse détaillée.

• Musée juif Comtadin dans la Carrière de Cavaillon (Vaucluse), les Synagogues

du Comtat Venaissin (Cavaillon, Carpentras, Avignon).

• Musée du protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres (Tarn), Musée du

protestantisme Béarnais à Orthez (Pyrénées-Atlantiques), Musée du Désert à

Miallet (Gard).

? Mais il faut aussi relever que quelques musées généralistes locaux prennent en compte les

mémoires juive et/ou protestantes au sein de leur exposition permanente. Cette attention ou

ce souci, propres à chaque cas, se traduisent par des choix muséographiques très révélateurs

qu'il importera de mettre au jour.

• Musée Basque et de l'histoire de Bayonne qui comprend la salle des Israélites de

Bayonne.

• Museon Arlaten d'Arles, consacré à la culture provençale et qui intègre à cette

présentation des éléments protestants et juifs.

• les musées de la Résistance et de la Déportation (Toulouse, Montauban, Cahors)

avec leurs salles consacrées à l'antisémitisme, aux persécutions et à la shoah.

• Musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard avec sa vitrine sur la vie

religieuse d'une famille protestante à travers ses archives privées.

• Musée du vieux Toulouse avec une vitrine sur l'affaire Calas.

• Musée du vieux Nimes avec le projet d'une salle sur les religions à Nîmes à

partir d'éléments ethnographiques.

? Là encore, le questionnaire permet de révéler que plusieurs musées ont traité de ces

questions à un moment ou à un autre grâce aux expositions temporaires qu'ils ont

organisées.

La plupart du temps ce sont les conservateurs en chef qui ont répondu.

32

Rapport Mémoires juive et protestante

• Musée des Augustins de Toulouse : exposition "La Réforme à Toulouse de 1562

à 1762" (1962).

• Musée du Vieux Nîmes : exposition "Histoire du protestantisme dans Nîmes"

(1993).

• Musée cévenol du Vigan : exposition sur la révocation de l'Edit de Nantes

(1985).

• Musée du Biterrois : expositions sur la révocation de l'Edit de Nantes (1985), le

centenaire du Temple de Béziers (1999) en partenariat avec l'Eglise réformée de

France.

• Musée Basque et de l'histoire de Bayonne : exposition "Les juifs à Bayonne,

1492-1992".

• Musée Goya de Castres : exposition "Castres et l'Edit de Nantes" (1998).

? Enfin, beaucoup d'établissements méridionaux se signalent par l'absence de tout

patrimoine juif ou protestant. C'est le cas de musées des beaux-arts, dont les collections sont

bien particulières (Musée du.Petit Palais en Avignon, Musée Goya à Castres, Musée

Toulouse-Lautrec à Albi, Musée Salies à Bagnères-de-Bigorre, etc.), ou de musées sur les

civilisations extra-européennes (Musée d'ethnographie de Bordeaux). Plus étonnant, le cas

si de bon nombre de musées d'art et traditions populaires ou d'histoire locale (Musée

d'Auch, Musée municipal de Moissac, Musée du vieux Figeac, Musée pyrénéen de Niaux,

Musée pyrénéen de Lourdes, Musée du pays de Luchon, Musée d'histoire et d'art du Pays

Blayais, Musée de Lesear, Musée Béarnais de Pau, etc.) qui déclarent ne présenter aucun

fonds sur les mondes juif et protestants. Occultation, oubli, prépondérance d'une

représentation résolument unitaire du lieu ou importance moindre dans le passé local de

l'implantation des deux minorités religieuses ? Sans doute est-il trop tôt à ce stade de

l'enquête pour répondre. D faut néanmoins remarquer que ces musées souvent de petite taille

et conçus selon le modèle de " l'éco-musée " sont parfois tentés par une forme de " micro­

nationalisme " "^.Consacrés à la vie et à l'histoire d'un pays, dans son environnement

naturel, avec son histoire depuis l'aube des peuples, son folklore et ses réalisations

économiques ou artistiques, ceux-ci peuvent avoir du mal à intégrer un particularisme

culturel qui perturberait une évocation construite autour de l'idée de terroir. Mais au-delà de

cette la façon univoque d'envisager l'identité locale, cette absence renvoie aussi à la

44 RAPHAEL F. et HERBERICH-MARX G. "Le musée, provocation de la mémoire", Ethnologie française, tome 17, n°l,janv-fév. 1987.

33

Rapport Mémoires juive et protestante

difficulté, bien réelle, de recueillir les traces de groupes qui ont parfois été peu implantés

dans tel ou tel espace. La réponse est alors laconique : " D n'y avait que très peu de juifs à

Blaye " 45, " Cultes peu développés dans notre ville " 46... Un de ces musées mentionne, plus

largement, le fait que la religion n'a laissé qu'une empreinte ténue dans certaines zones

•pyrénéennes, a fortiori concernant des minorités confessionnelles :

Dans la ruralité montagnarde, il est fait abstraction de l'idéologie religieuse, à tel point que

même les croix ne sont pas représentées sur l'outillage. 47

Pour ce qui est de " l'idéologie religieuse " dans la " ruralité montagnarde ", les Cévennes,

on le sait, fournissent en la matière un magnifique contre-exemple dont il sera abondamment

question...

Les entretiens réalisés

Conformément aux orientations précédemment définies, 20 entretiens approfondis ont

été réalisés, us peuvent être répartis comme suit, selon le double critère de la provenance

géographique de l'interlocuteur et de son rapport à la mémoire juive et/ou protestante :

5 entretiens autour de la mémoire juive

13 entretiens autour de la mémoire

protestante

2 entretiens autour des mémoires juive

et protestante

• 6 entretiens dans la région de

Montauban

• 2 entretiens dans le Tarn

• 6 entretiens dans les Cévennes

• 5 entretiens à Nimes

• 1 entretien à Toulouse

La liste complète des personnes interrogées est jointe en annexe, avec pour chacune le

détail de son statut ou des fonctions qu'elle assure en matière d'initiative muséale, ainsi

éventuellement que son rôle comme individu ressource concernant la mémoire juive ou

protestante. Le contenu de ces entretiens, entièrement retranscrits par l'équipe, est traité de

façon transversale dans le corps du présent rapport.

45 Réponse au questionnaire du Musée d'Histoire et d'Art du Pays Blayais (Gironde). 46 Réponse au questionnaire du Musée municipal de Saint-Gaudens. 47 Réponse au questionnaire du Musée pyrénéen de Niaux (Ariège).

34

Rapport Mémoires juive et protestante

En ce qui concerne la population prise comme échantillon pour mener à bien cette

enquête orale, quelques terrains ont été privilégiés au sein de l'espace méridional :

Montauban, la place forte protestante, foyer aussi d'une certaine reviviscence de la mémoire

juive en liaison avec le retour sur le passé de la seconde guerre mondiale ; les Monts de

. Lacaune, terre traditionnelle de refuge des réformés, puis zone de cache et de clandestinité

pour les juifs sous l'Occupation ; le massif cévenol, pays des Camisards devenu haut-lieu

sans égal du protestantisme ; la cité nîmoise, enfin, représentative de ces villes du

Languedoc marquées par la double empreinte juive et protestante. Tous ces sites ont bien sûr

été retenus pour le rôle qu'ils ont joué dans l'histoire de chacun des deux groupes, et bien

souvent, car c'est là une caractéristique du Midi, pour les deux groupes à la fois. Mais en

évitant le risque d'une trop grande dispersion, ce choix volontairement ciblé a permis de

mettre en évidence le poids des contextes locaux, tant par les processus nés de situations

particulières que du fait des interactions qui ne manquent pas de se produire entre acteurs

proches.

Un des premiers enseignements de ce travail est donc d'ordre méthodologique : pour

comprendre ces enjeux de mémoire et'expliciter au mieux les initiatives museales qui y sont

associées, il importe en préalable de mener une réflexion sur l'échelle d'analyse pertinente

et sur le réseau d'interférences à prendre en considération. Ici, c'est en multipliant les

interlocuteurs autour d'un même site qu'ont pu être saisis certains de ces linéaments

complexes. H apparaît ainsi que la façon d'appréhender les mémoires juive ou protestante et

de les prendre en charge dans des manifestations destinées au public dépend en partie des

positionnements respectifs et réciproques des différents protagonistes qui agissent sur le

terrain.

L'enquête comme les entretiens révèlent en tous cas combien les initiatives museales

sont aussi contraintes - parasitées ? - par divers facteurs circonstanciels. La nécessité

d'occuper le terrain et de se construire une spécialité, et de garantir ce faisant sa notoriété,

préoccupe peu ou prou toute institution, qu'elle soit publique ou privée. Etre reconnu pour

telle ou telle spécialisation devient dès lors un moteur de l'action culturelle, aux prises avec

la nécessité croissante d'occuper le " bon créneau ". La construction du patrimoine et sa

valorisation n'échappent pas à cette règle implicite. Ainsi les musées vont-ils se répartir

selon leur vocation, et effectuer de façon plus ou moins concertée ou conflictuelle une forme

de partage de fait du thème de la mémoire. Tous redoutent la concurrence, certains jouent la

complémentarité, la mise en réseau contre l'usurpation d'un créneau. E y a là toute une

35

Rapport Mémoires juive et protestante

" économie de la mémoire " autour d'enjeux très matériels entre institutions qui, toutes,

doivent trouver leur public et leur place, construire leur légitimité scientifique ou esthétique,

négocier leur reconnaissance et trouver des ressources pour se financer, par subventions,

cotisations associatives, souscriptions, droits d'entrée et vente éventuelle de produits

dérivés.

On peut mentionner, à titre de contrepoint, l'exemple d'un domaine en marge du sujet

de cette étude, rencontré au cours de l'enquête dans les Cévennes : celui de l'histoire locale

de la production et de l'industrie de la soie, des itinéraires touristiques qui leur sont dédiés.

Les différents musées de la région semblent bien s'être réparti la tâche pour concevoir des

itinéraires guidés. On traite ainsi de la soierie dans l'économie cévenole et des anciens

savoir-faire au musée de Saint-Jean-du-Gard, des techniques plus récentes et de la relance

actuelle de l'activité au musée de Saint-Hypolyte, tandis qu'un lot de costumes du XVJJJ6

siècle est présenté dans celui du Vigan. Mais on retrouve un schéma tout à fait comparable

pour la question du patrimoine protestant cévenol, presque exemplaire à cet égard. A Uzès,

bien que la ville soit restée " soixante-quinze ans entièrement protestante " lors des guerres

de religion, le Musée municipal Georges Brias répond que ".tout ce qui concerne le

patrimoine protestant de la région est au-musée du Désert à Mialet " 48 ; le Musée d'Art sacré

du Gard, à Pont-Saint-Esprit, paradoxalement ne traite pas de la religion réformée, et

considère également que cela relève du Musée du Désert. Rien n'évoque non plus

explicitement la mémoire protestante au Musée de la soie de Saint-Hypolyte, même si tout

le suggère. Quant au conservateur du Musée Cévenol du Vigan, il précise que c'est

d'emblée sa fondatrice, Madame Tessier-Ducrot, qui a tenu à ce que celui-ci " soit très

discret sur ces questions, parce qu'elle considérait qu'il y avait ce Musée du Désert et qu'il

était formidable " ; beaucoup de choses des environs lui ont d'ailleurs été données. C'est

enfin ce qui explique pourquoi le Musée de Saint-Jean-du-Gard a préféré se positionner de

préférence sur le thème, plus ethnographique, de la société traditionnelle des Cévennes et de

sa culture matérielle.

Vue la présence du Musée du Désert et son antériorité, on n'a pas souhaité faire quelque chose - à douze kilomètres - qui puisse apporter une quelconque concurrence au Musée du Désert. Et donc, on a essayé défaire quelque chose de complémentaire. [...] On dit à nos visiteurs : "Pour le protestantisme, vous allez au Musée du Désert !" 50

Réponse au questionnaire du Musée municipal Georges Brias à Uzès. Entretien avec Laurent PUECH, conservateur du Musée cévenol du Vigan. Entretien avec Daniel TRAVŒR, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard.

36

Rapport Mémoires juive et protestante

Les initiatives museales concernant les mémoires juive et protestante oscillent par

définition dans notre étude entre plusieurs pôles. Elles résultent, nous l'avons vu, de

l'intervention d'acteurs multiples, socialement et idéologiquement différenciés, et

nourrissant des projets qui se veulent distincts les uns des autres. Mais elles se diversifient

aussi par la conception même du patrimoine communautaire qu'elles proposent et

véhiculent. Tantôt centrées sur la spiritualité et l'expérience religieuse, elles relatent aussi

tout autant ce que fut le destin historique de la minorité, ses conditions d'existence parmi les

autres, et les valeurs qu'elle a progressivement forgées. Elles balancent sur l'échelle des

territoires à prendre en compte. Elles aiment à chanter la présence ancestrale du groupe dans

ces communes et villages du midi, valorisent sa participation à la société locale et lui

restituent, à travers ancêtres, héros et figures du passé, ses lettres de noblesse. Mais elles

doivent aussi échapper au lieu pour saisir la mémoire hors des cadres locaux où elle se

construit, dans les espaces où elle se transcende et se transforme. C'est alors la cité tout

entière, quand le groupe, fervent républicain à ses heures comme le furent protestants et

israélites au siècle dernier, y forge les conditions de sa survie ; c'est enfin les territoires de la

saga familiale et communautaire exilée, revenue, sur les terres de la diaspora tout entière,

qui travaille la mémoire communautaire dans son rapport aux lieux.

Ce travail de la mémoire ne s'exerce pas exclusivement à l'intérieur des groupes

concernés. Il est le fruit de leur interaction constante avec tous les acteurs de la mémoire, qui

concourent à la définition du patrimoine juif ou protestant au sein du patrimoine régional,

national et international. Les initiatives museales sont alors définies en fonction de la

conception implicite de l'identité religieuse, culturelle et communautaire qui les inspire et

qu'elles entendent promouvoir. Selon notre enquête, elles se répartissent selon le degré

d'importance qu'elles accordent, de ce point de vue, au particularisme du groupe, ou à

l'opposé à la revendication de son universalisme. Elles se présentent sous la forme de trois

revendications qui sont décrites dans les trois chapitres qui suivent : la première est plutôt

centrée sur l'identité communautaire du groupe ; la deuxième inscrit tendanciellement la

mémoire du groupe dans la valorisation du patrimoine régional ; la troisième tend à inscrire

le patrimoine du groupe au registre des valeurs universelles de la République et des droits de

l'homme.

37

Rapport Mémoires juive et protestante

II. Les initiatives museales identitaires

Comme dans toute typologie, le classement des initiatives présenté ici tend à grossir les

caractéristiques les plus importantes, quitte à laisser quelque peu dans l'ombre des traits

relevant des autres types. Les initiatives " identitaires " mettent l'accent sur le particularisme

religieux et historique du groupe. La spécificité du destin communautaire justifie une

politique patrimoniale intrinsèque, consacrée à la restitution d'un passé que la société

majoritaire a souvent omis ou occulté. Si les membres des deux communautés sont souvent

à l'origine de ces initiatives, elles rencontrent aujourd'hui un certain écho au-delà. Même si

elles touchent un large public, elles s'adressent d'abord aux " fidèles " - terme qui ne se

limite pas ici au sens religieux mais renvoie bien au sens communautaire- qu'elles entendent

ramener vers la communauté, et préserver des risques de l'assimilation et de l'oubli. Le

musée, la collection d'objets en son sein, la commémoration sont là pour rassembler les

membres de la communauté dispersée, redonner sens à l'identité commune et la transmettre

aux générations suivantes, avant d'être communiqués au public extérieur. Le conservateur,

le collectionneur, le porteur de projet sont pour la plupart des " militants de la mémoire ",

membres " pratiquants " de la communauté qui, dans les exemples les plus achevés décrits

plus loin, œuvrent pour porter un " témoignage " (Mialet), délivrer un message et " porter la

parole (du groupe) dans le monde (Toulouse).

A. Quelques exemples

" Un musée protestant de l'histoire protestante " : le Musée du Désert à

Mialet

Le Musée du Désert à Mialet, fondé sous les auspices de la Société de l'Histoire du

Protestantisme français en 1910, est délibérément placé sous le signe d'une foi et l'histoire

de celle-ci. Alors que la région connaissait déjà "un puissant mouvement

commémoratif " et avant de devenir un musée, la maison natale du chef camisard Rolland

fut d'abord un point de rassemblement des protestants, un lieu de commémoration au sens

31 Patrick Cabanel, Itinéraires protestants en Languedoc. Presses du Languedoc, Montpellier, 1998, p. 370.

38

Rapport Mémoires juive et protestante

plein du terme du Désert. Dans l'acte fondateur muséographique, la spiritualité se trouve au

centre du projet : " D importait de faire de ce lieu sacré un centre vivant et d'y créer une

sorte de musée où seraient rassemblés tous les souvenirs des temps où notre Eglise était

"sous la Croix", jours de deuil et de souffrances d'une incomparable grandeur " .

La nature du site, haut lieu du passé huguenot, inciterait à penser qu'il s'agit d'un

simple musée d'histoire régionale. Son agencement invite toutefois à dépasser ce cadre. Le

musée étant divisé en deux parties, les premières salles rappellent au visiteur la vie

quotidienne et les luttes des protestants de la région. On peut découvrir ensuite sur de vastes

tables de marbre la liste des galériens. Là s'opère la rencontre de trois histoires et de trois

mémoires : nationale, communautaire, familiale. Emerge d'abord, à travers le rappel des

persécutions, l'histoire nationale, intiment liée à celle de la communauté persécutée au sein

de laquelle les visiteurs, venus de tous les pays "d'exil" protestant, sont invités à rechercher

leurs ancêtres. Ainsi s'efface la spécificité du lieu et le musée atteint alors une dimension

transnationale, qui renvoie en fait à la situation diasporique des protestants à travers le

monde.

Le Musée peut alors être défini, ainsi que le fait son gestionnaire, comme " un musée

protestant de l'histoire protestante " insistant par là sur la définition religieuse et identitaire.

La fonction du musée ne peut être simplement de nature historique. Aux yeux du délégué à

la conservation, il est surtout un lieu de rencontre spirituelle et communautaire pour tous les

protestants. Celle-ci prend la forme de l'assemblée annuelle - dite "du désert" - qui se tient

chaque premier dimanche de septembre, attirant des milliers de personnes dont certaines

venues de très loin. Cérémonie à la fois religieuse et commemorative, son esprit imprègne

tout le projet muséographique et confère au lieu une identité dépassant les simples enjeux de

la transmission d'une histoire particulière. Cette démonstration de foi est pour lui comme le

prolongement naturel de l'activité muséale : " Comprenez que le musée, au delà de

l'histoire, il est spirituel " conclut-il. Conçu comme un lieu de spiritualité - et les références

biblique utilisées par le conservateur sont là pour le rappeler - le musée doit non seulement

évoquer la mémoire d'une foi mais en assurer aussi le rayonnement. D devient un " phare "

qui doit " rayonner ".

A l'époque du désert, toutes les grottes étalent pleines, les forêts, les ravins, les caves... Elle est où cette foi ? Alors c'est où ces torrents qui coulent, ces torrents d'eaux-vives ? Moi, je crois que

cité in Patrick Cabanel, op.cit., p. 370.

39

Rapport Mémoires juive et protestante

le musée il doit être là, peut être pas comme une source, c'est pas nous la source, elle vient de là-haut, mais phare en tout cas, pour montrer. Donc il faut qu'on rayonne. S3

Le travail même du gestionnaire du musée est défini comme un acte de foi : " A moi

d'oeuvrer pour que Dieu puisse souffler dessus et que ça parle de lui ". La fonction profonde

du lieu n'est donc pas éducative, ni même simplement mémorielle. C'est un lieu d'émotion,

le mot revient comme un leit motiv. On y pleure, on y prie. Ainsi, vécu non comme un lieu

sacré mais profondément spiritualise, la dimension régionale n'apparaît que sous la forme

d'une pédagogie, une sorte de tremplin permettant, à partir de la présentation des

particularités de l'histoire locale, d'amener le visiteur au cœur d'une foi. Les scènes de la vie

quotidienne présentées dans les premières salles ne renvoient pas à une simple lecture

anecdotique. Elles sont le moyen de mettre en scène ce qui est essentiel, le texte, la Bible,

défini comme " l'objet muséographique idéal " par le conservateur du musée. C'est elle

qu'il a choisie de faire figurer sur le dépliant touristique : " On a mis cela, la salle de lecture

de la Bible. Il y a le cadre des Cévennes, avec le costume, le mobilier, et au milieu, la

Bible ". La scène évoquée dans la dernière salle doit être lue comme une représentation

symbolique du protestantisme.* L'homme lisant le Livre au sein de son foyer, entouré de sa

famille, nous amène à comprendre: " la transmission de la foi par l'Ecriture....cet accès à

Dieu personnel et sans transmission ".

C'est peut-être la seule chose que je trouve dans mon musée, c'est que la religion c'est un ensemble de dogmes et d'efforts que l'homme va faire pour entendre Dieu [...] C'est ça qui explique la charnière, la différence d'identité protestante ancrée dans quelque chose et qui nous permet de faire des comparaisons faciles avec le culte catholique. A la limite, c'est pas la religion qui y fait, c'est la façon dont on va vivre sa foi, c'est tout. Et la salle de la Bible est très précieuse pour expliquer ça, et très facile : il y a des Bibles qui sont ouvertes, il suffit de lire quelques versets, ça va tout seul. 54

Le Musée du Désert, malgré son affirmation d'une identité essentiellement spirituelle,

assume avec une certaine dose de réalisme les fonctions commerciales et les retombées

touristiques de l'entreprise. Certes, il a pour ambition de s'adresser aux protestants de tous

les pays, venus se recueillir sur le passé de leur religion ou de leurs ancêtres. Mais, sa

définition de la spiritualité est suffisamment large pour englober d'autres versions de celle-

ci. Ainsi, la salle où sont exposées les Bibles a-t-elle pour objectif de révéler la particularité

de l'identité protestante ; mais en invitant le lecteur à lire les pages du livre sacré, elle

s'ouvre sur la foi en général. Catholiques et juifs sont alors conviés à rejoindre la

Entretien avec Monsieur CABY, Délégué à la conservation du Musée du Désert. Entretien avec Monsieur CABY, Délégué à la conservation du Musée du Désert.

40

Rapport Mémoires Juive et protestante

communauté spirituelle. Le gestionnaire du musée sait par ailleurs que son institution

s'adresse à un public encore plus large et moins déterminé (il revendique 40 000 entrées par

an). Bien que fonctionnant, on le verra, comme une institution privée jalouse de conserver

son entière indépendance, il a accepté de s'associer à l'écomusée des Cévennes. Faisant

partie d'un circuit touristique axé sur la découverte de la région, il est alors chargé de lui

apporter la note protestante. Pour autant, en recourant de façon exclusive aux visites

guidées, le musée affirme à nouveau sa fonction de transmission d'une mémoire et d'une

histoire. Certes, celles-ci peuvent être adaptées au groupe et partir de ses attentes, mais

l'essentiel demeure : " non pas apprendre l'histoire au public, mais la lui révéler au travers

des mille objets qui sont dans le musée ".

Le Musée du Désert est profondément original. D a conservé son statut privé jusqu'à

aujourd'hui et refuse toute mesure susceptible d'aliéner son indépendance. A ce titre, il ne

sollicite aucune subvention étatique. Ce qui ne l'empêche pas, pour se faire connaître de

s'associer au Parc national des Cévennes par l'intermédiaire de l'écomusée. Son

rayonnement tient à une double origine. Musée protestant par ses structures, ses thèmes et la

réunion annuelle qui a lieu en'ses murs, il attire un public spécifique qui n'hésite pas à se

faire connaître comme tel. Son influence se déploie dans un espace qui est celui de la

mémoire d'un diaspora. Mais ses efforts de promotion commerciale (le dépliant du musée

figure en bonne place dans les autres musées, offices de tourisme locaux, jusqu'à celui de

Montpellier !) lui apportent un autre public, curieux de découvrir la culture cévenole,

délimitant un autre espace, celui du tourisme national et international. Par rapport aux autres

musées, on a déjà noté son rôle central. En tant que plus ancienne institution, mais aussi en

tant que musée protestant, il est une référence à partir de laquelle les autres musées

construisent et maintiennent leur projet. Tout se passe comme si, à travers lui, la mémoire

huguenote était la pierre de touche du tissu muséographique local.

Le Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc

Autre établissement spécifique, le Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc offre

l'exemple d'une initiative venue à l'origine d'un souci de mémoire du groupe lui-même,

mais qui s'est attaché depuis à s'affranchir d'une commémoration - voire d'un culte, comme

à Mialet - à usage trop strictement communautaire. Après plus de trente ans d'existence,

l'établissement est bien ancré, repéré, connu - y compris de quelques tour operator - même

si sa notoriété est loin d'égaler celle du Musée du Désert. C'est en 1967 qu'il a été créé,

41

Rapport Mémoires juive et protestante

suite au synode national tenu à Vabres cette année-là, à l'initiative de pasteurs, de fidèles des

environs et de quelques érudits qui pensaient qu'il était urgent de faire mémoire de l'histoire

du protestantisme dans le région. Celle-ci est très riche puisque la Réforme s'est implantée à

Castres dés 1527, soit dix ans à peine après ses débuts outre Rhin. La famille propriétaire du

château de Ferneres prête bien vite des locaux (dans les communs) pour abriter l'initiative.

Ce bâtiment est un symbole de la résistance en pays castrais puisqu'il était prison royale au

XVIIIe siècle où étaient enfermés, outre les condamnés de droit commun, ceux persécutés

pour leur foi.

Ce musée est géré par une association (loi 1901) qui constitue une section locale de la

Société d'Histoire du Protestantisme Français à Paris. Il s'intègre dans la fédération des

musées protestants qui existe à l'échelle européenne et participe à son congrès annuel. Mais

les liens avec l'Eglise Réformée sont demeurés très étroits depuis l'origine. Les conseils

presbytéraux des Eglises de Castres et de la montagne du Tarn ont un siège au Conseil

d'Administration. Surtout, son recrutement est fermé puisque les statuts imposent que tous

ses membres soient instruits dans une Eglise issue de la Réforme. " E paraît que c'est pas

bien, maïs'ènfin c'est comme ça et on y tient beaucoup " commente d'ailleurs la responsable

interrogée 55. Au quotidien, ce sont effectivement les bénévoles de l'association qui font

véritablement tourner le musée en effectuant toutes les tâches courantes (administration,

suivi, accueil, visites sur rendez-vous hors des mois d'été, etc.). Entre ces personnes, toutes

protestantes, souvent aussi engagées dans leur paroisse, " la relève se fait par tradition

familiale ", empruntant les mêmes voies de transmission que la mémoire collective.

Ce positionnement très communautaire n'empêche pas l'établissement de chercher

ailleurs d'autres références et d'étayer par des regards extérieurs ce qu'il donne à voir de

l'histoire protestante. Ce souci de gagner en crédibilité et en objectivité explique que la

direction scientifique soit assurée par un conservateur, Hélène Balfais, qui est Directeur de

Recherche honoraire au CNRS, attachée au Musée de l'Homme à Paris. Pour l'intendance, le

musée reçoit l'appui local du Conseil Général du Tarn qui le subventionne et surtout de la

Mairie de Ferneres - pourtant toute petite commune de 172 habitants - " très soucieuse qu'il

reste là". S'il fonctionne sans aucun personnel salarié permanent, deux guides sont quand

même employés durant la saison estivale (des étudiants en histoire de l'Université de

Toulouse-le-Mirail), embauchés par la mairie à laquelle le musée reverse la moitié des

salaires.

42

Rapport Mémoires juive et protestante

Les animateurs ont un grand souci de faire œuvre pédagogique, de favoriser une

connaissance éclairée : " C'est pour ça qu'on ne fait que des visites guidées " explique la

responsable. Mais celles-ci sont adaptées en fonction des types de public (par exemple des

parcours plus ludiques sont prévus pour les groupes d'enfants). Parmi les visiteurs, il semble

qu'il y ait de tout : des érudits, souvent des membres de la diaspora, comme " des gens qui

ne savent même pas ce que veut dire protestant, qui sont passés sur la route et qui sont

montés "... Les collections permanentes présentent surtout un canevas historique - une salle

par siècle - car le musée présente la particularité de ne détenir que peu d'objets : quelques

coupes de communion du Désert, des tableaux, des médailles et divers bijoux anciens, dont

la fameuse badine de la montagne du Tarn, la croix que portaient les femmes protestantes

qui refusaient de porter la croix latine. Mais, ici, l'essentiel n'est pas là. Contrairement à

ceux qui accumulent un bric-à-brac pour attester du passé par la magie de l'objet, le Musée

du Protestantisme en Haut-Languedoc préfère le culte des (du) livres qui lui confère une

autre légitimité :

Un musée d'histoire, c'est surtout beaucoup d'écrits et c'est très difficile d'être crédible 56

Désireux de participer aux avancées de la recherche, ou tout au moins de les favoriser,

le centre a donc rassemblé une "bibliothèque d'études, réservée à la consultation. Il dispose à

ce jour d'un fonds de près de 10 000 ouvrages ou documents, dont 300 bibles, des psautiers,

beaucoup de livres de sermons sur plusieurs siècles, ainsi que la littérature religieuse du

XIXe siècle, plus particulièrement des éditions de livres religieux de Toulouse nées quand

les protestants ont retrouvé le droit d'imprimer après le concordat de 1802. Toujours dans le

même but, l'association tente en outre d'organiser un point fort chaque année : des

expositions sur les psaumes, le Refuge - avec un colloque international - les éditions de

Toulouse au XIXe siècle et, bien sûr, le quatrième centenaire de l'Edit de Nantes. Musée de

protestants, consacré au protestantisme, l'établissement de Ferneres présente pourtant dans

ses visées et dans ses réalisations beaucoup d'éléments qui attestent d'un certain

dépassement de la mémoire communautaire.

D'autres initiatives de protestants

A Nîmes, on le sait, l'histoire de la ville a partie liée avec le protestantisme. La

bourgeoisie réformée, industrieuse et entreprenante, a largement contribué à son

développement en contrôlant une bonne partie des activités de commerce liées à la

55 Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres.

43

Rapport Mémoires juive et protestante

transformation des matières premières de la montagne cévenole (laine et soie notamment),

ainsi que des productions manufacturières (bonneterie, textile, chaussure). Les plus grandes

familles entretenaient alors un réseau marchand international. Les hôtels particuliers du

XIXe siècle sont là pour témoigner de sa puissance et donner à Nîmes sa réputation de

"Genève française". Dans une citée où il y a encore 13 à 14 % de protestants (pour une

moyenne nationale de 1 % à peine), quantités d'associations de cette obédience à vocation

sociale, sportive ou culturelle, et même l'école primaire Marie Durand, une des rares en

France, s'impliquent fortement dans la société civile et continuent de marquer de leur

empreinte la vie locale. Même si la tradition informelle d'équilibre confessionnel aux postes

de responsabilités n'est plus en usage comme il y a encore une cinquantaine d'années, les

rapports avec les autorités civiles sont bonnes et les différents témoins interrogés assurent

que les aides - y compris financières - s'obtiennent sans trop de mal. Le pasteur qui dirige

l'institution communautaire le dit lui-même : " le protestantisme a quand même pignon sur

rue ", " on est considéré " 57.

C'est dans ce cadre qu'une initiative nouvelle participe depuis quelques années à faire

œuvre dé mémoire autour de là Maison du Protestantisme de Nîmes. C'est d'abord le siège

de l'Eglise Réformée de la ville, là où le conseil presbytéral se réunissait de longue date. Au

début dés .années quatre-vingt-dix, d'importants travaux de rénovation sont réalisés sur le

bâtiment grâce à des subventions (notamment des Conseils Général et Régional). Une

association culturelle (loi 1901) est alors créée aux côtés de l'association cultuelle, occupant

les étages. Pour pouvoir bénéficier de financements, des chambres d'étudiants dépendantes

d'un foyer y sont aussi aménagées. Le lieu prend désormais la dénomination de Maison du

Protestantisme. Ce n'est par contre que pour un motif de conservation que la bibliothèque

protestante du premier étage est transférée à cette occasion en dépôt dans le centre culturel

moderne du Carré d'Art qui en assure désormais le gardiennage, le prêt et le catalogage

informatique. Sans donc avoir vraiment quitté la sphère communautaire, la nouvelle

association a le souci de valoriser le patrimoine historique. Le Bureau du tourisme protestant

qui y siège développe son activité en liaison avec l'office de tourisme municipal : il organise

à cet effet des visites du Nîmes protestant, fournit de la documentation58, participe aux

journées du patrimoine en septembre, surtout pour faire visiter les temples du centre ville.

Entretien avec Madame RTVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Fernere. 37 Entretien avec Monsieur VlM, Pasteur de l'Eglise Réformée, Directeur de la Maison du Protestantisme de Nîmes. 38 Cf. le dépliant "Un regard sur le passé protestant de Nimes".

44

Rapport Mémoires juive et protestante

Du côté du Béarn, le projet est venu de protestants de diverses origines engagés dans

leur paroisse et tous soucieux d'histoire, dans une région où la religion réformée fut un

temps dominante, voire majoritaire, us se sont regroupés en 1991 dans l'association (loi

1901) Musée du Protestantisme Béarnais, qui s'est élargie hors du cercle confessionnel en

incluant des catholiques dans son conseil d'administration. Ce musée a ouvert quelques

années plus tard à Orthez, haut lieu s'il en est, dans la maison justement dite "Jeanne

d'Albret" mise en partie à la disposition par la municipalité qui en reste propriétaire. Dans

l'attente d'une extension, la galerie présente en permanence un aperçu de l'histoire du

protestantisme en Béarn aux XVIIIe et XIXe siècles, à partir d'objets donnés et de collections

appartenant au Centre d'Etude du Protestantisme Béarnais.

On peut citer encore d'autres initiatives locales plus ou moins intégrées à la vie

religieuse de ceux qui les animent. La petite société d'histoire constituée à Sainte-Foy-la-

Grande (Gironde) demeure, par exemple, complètement imbriquée dans la paroisse. A

Bergerac, celle-ci se conçoit plus comme un espace d'expression culturelle et initie des

événements estivaux sur le protestantisme (expositions notamment), faisant collaborer des

personnalités extérieures (historiens, professeurs de lycée). Ce genre de coopération est aussi

en vigueur à Tonneins (Lot-et-Garonne) - une ancienne place de sûreté - où paroisse et

municipalité réalisent ensemble quelques projets. Prenant l'exemple d'une commémoration

incontournable, un pasteur résume bien le chassé-croisé actuel entre les initiatives museales

d'origine laïques ou cultuelles, ouvertes ou communautaires :

Il y a vraiment tous les cas de figure. Ça dépend quand même beaucoup du lieu, je crois, de l'histoire du lieu, de l'histoire politique du lieu. C'est intéressant, d'ailleurs, de voir là où l'initiative est venue des paroisses - concernant l'Edit de Nantes - et là où l'initiative est venue des municipalités, et même dans certains lieux, l'initiative est venue de municipalités et les paroisses n'ont pas bougé. Dans d'autres lieux, l'initiative est venue des paroisses et les municipalités n'ont pas beaucoup bougé parce que ce n'était pas leur histoire. 59

Dans ces initiatives mémorielles ou museales portées par des protestants, un dernier

élément mérite d'être souligné. Si on parle d'une mémoire communautaire, ou même

seulement d'un souci collectif de mémoire, encore faut-il bien voir qu'il n'est pas général et

certainement pas sans nuances. Pour les membres de l'Eglise Réformée, tout au moins pour

ses plus ardents représentants, les nouvelles communautés protestantes seraient caractérisées

par un oubli d'elles-mêmes, de ce qui a constitué leur histoire, ou tout au moins par un

59 Entretien avec Gill DAUDE, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de l'Association pour la Célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes (Montauban).

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Rapport Mémoires juive et protestante

déficit de mémoire. Tel pasteur déplore chez ces groupes là la méconnaissance d'un passé

qui les fonde, pourtant, comme les autres.

Ce qui est difficile pour les nouvelles communautés, les charismatiques et les pentecôtistes qui, eux, ne fonctionnent qu'à la conviction spontanée. Ils ont beaucoup de mal à comprendre qu'être protestant c'est aussi être dans une culture particulière et dans une histoire particulière. Ils y viennent, mais il faut du temps.60

Un centre culturel juif à Nîmes

Le tout jeune Cercle Adolphe Isaac Crémieux illustre un intérêt croissant pour le

patrimoine juif et l'action culturelle en faveur de la mémoire. H s'est constitué à Nîmes, où

l'implantation de la communauté est ancienne - elle remonte à près de 1000 ans - et où,

comme dans tout le Midi de la France, sa population a été renouvelée avec l'arrivée des juifs

d'Afrique du Nord après la décolonisation. Elle est estimée aujourd'hui qu'à 350 familles,

inscrites sur les registres matrimoniaux de la Communauté, ce qui représente peut-être 900

ou 1000 personnes pour une ville de 135 000 habitants. Le Cercle Adolphe Isaac Crémieux

apparaît comme l'héritier direct de la commission culturelle qui avait œuvré jusque-là en

interne au sein du centre communautaire. L'engagement de Jacques Lévy, à sa tête pendant

onze ans, s'enracinait dans le constat que rien n'avait été fait jusque là pour mettre en valeur

la présence juive en Languedoc ni pour rendre visible les traces qu'elle avait laissées. Le

Musée du vieux Nîmes, en particulier, ne présente rien sur le sujet et ne le mentionne même

pas.

Et d'ailleurs, ça a été le point de départ de mes actions ici. Il m'est tombé entre les mains il y a pas mal d'années, une brochure élaborée dans le Languedoc, et c'était les lieux de la mémoire juive ou les itinéraires juifs. Alors, il y en avait un sur l'Hérault, la Lozère, un sur l'Aude, sur les Bouches-du-Rhône peut être et puis il y avait une espèce de zone blanche comme ça, c'était le Gard. Un' y avait rien. Et quand je me suis renseigné auprès du Conseil Général, on n'a pas su me donner de réponse cohérente, logique. Alors quand j'ai vu ce vide, je me suis dis : "la nature a horreur du vide, le judaïsme aussi, donc il faut le remplir. " C'est la raison pour laquelle je suis ici. 6I

La commission culturelle communautaire avait organisé entre autres deux colloques

- sur l'affaire Dreyfus, à la date anniversaire, et "Stratégies de la Mémoire" autour de Vichy

et de la résistance juive - et bataillé avec la municipalité pour obtenir une première

reconnaissance symbolique (comme une "rue de Jérusalem" qui n'a jamais vu le jour),

réussissant juste à la convaincre d'apposer une plaque commemorative sur la façade de la

maison natale de Bernard Lazare. Mais le déclic est venu à l'occasion de l'exposition "Mille

60 Entretien avec Gill DAUDE, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de l'Association pour la Célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes (Montauban). 61 Entretien avec Jacques LEVY, Cercle Adolphe-Isaac Crémieux de Nimes.

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Rapport Mémoires juive et protestante

ans de vie juive en nouvel Orient", montée cette fois à partir d'objets prêtés par des juifs de.

la région et du fonds de manuscrits hébraïques du Carré d'Art, le plus fourni de province.

C'est bien le succès considérable de cette manifestation, la grande affluence qu'elle connu,

qui " a incité à creuser en quelque sorte le sillon du patrimoine et essayer de faire ce qui

n'avait jamais été fait jusqu'à présent ".

Un cercle culturel Adolphe Isaac Crémieux est donc créé en novembre 1998, baptisé du

nom de l'enfant du pays, républicain fameux de la seconde moitié du XIXe siècle et père du

décret qui accorda la citoyenneté française aux juifs d'Algérie. Cette structure est destinée à

couvrir trois domaines d'activité : l'illustration de la culture juive au moyens d'événements

divers (conférences, colloques, expositions, etc.) ; l'étude, la conservation et la valorisation

du patrimoine juif de Nîmes et du Gard ; enfin, la représentation à l'extérieur de la

communauté juive sur le plan culturel, en particulier auprès des autres confessions et des

pouvoirs publics. Au côté des aspects proprement cultuel et communautaire, il s'agit ainsi

d'une extension naturelle du domaine d'activité et d'une ouverture souhaitée en direction de

tous les publics. Directement issu du milieu juif organisé, cet organisme fonctionne i .

cependant sans exclusive puisque des non juifs peuvent en être membres.

C'était la mise en valeur, en quelque sorte, de la communauté sur le plan culturel auprès des autres confessions et des pouvoirs publics. Vous savez que la communauté a un aspect cultuel, c'est les ACI, Associations Cultuelles Israélites ; un aspect communautaire, ce sont les centres communautaires ; et puis il manque le troisième pied du guéridon, c'est à dire la culture. C'est ce dont je charge le Cercle Culturel. 62

La première manifestation publique de ce cercle est un concert de liturgies hébraïques

donné au Carré d'Art, il organise ensuite des conférences périodiques, un peu sur le mode

d'une société érudite. H s'occupe aussi de négocier le dépôt sous gestion municipale de la

collection d'ouvrages de la synagogue de Nîmes. Enfin, ce cercle souhaite désormais

s'attacher à mieux faire connaître les lieux de mémoire existant dans la ville : les rues de

l'ancien ghetto du centre, la synagogue actuelle, la maison natale de Bernard Lazare, la

maison juive spoliée pour devenir le siège de la Gestapo, les deux camps de regroupement

des juifs sous l'Occupation, le cimetière juif où se voient encore quelques stèles assez

anciennes, l'ancienne synagogue (à l'emplacement de l'actuel conservatoire de musique) si

des fouilles archéologiques peuvent être entreprises pour l'étudier... " Mille ans de vie juive,

ça laisse quand même quelques traces " conclut le responsable. Le projet est donc, à terme,

" de faire l'itinéraire de la mémoire juive à Nîmes, à l'image de l'itinéraire romain ", en

62 Entretien avec Jacques LEVY, Cercle Adolphe-Isaac Crémieux de Nimes.

47

Rapport Mémoires juive et protestante

liaison avec l'office de tourisme et avec la nouvelle équipe municipale qui semble plus

réceptive.

Une bibliothécaire soucieuse de mémoire et de transmission juives

(Toulouse)

On a à Toulouse l'exemple original d'une floraison cohérente d'initiatives de mémoire

(essentiellement sous forme d'expositions et d'éditions) organisées par un établissement

public, mais impulsées de l'intérieur par une personne qui mûrissait en même temps son

propre ancrage identitaire et son rapport - ou son questionnement - sur une communauté

d'appartenance. A la bibliothèque municipale, en effet, l'intérêt pour la mémoire juive est

venu à l'origine de la démarche individuelle d'une des bibliothécaires en poste. Suite au

décès de son père en 1980, Monique-Lise Cohen découvre dans la cave de la maison

familiale les archives d'un groupe de résistance : l'Organisation juive de combat. Frappée

par cette masse de papiers - " avec des noms, des récits de combat, des récits de sauvetage,

des photos " - qui ramène brutalement un passé douloureux, elle les trie, puis demande à la

bibliothèque de pouvoir les y entreposer afin d'en faire l'inventaire précis. Sa motivation

pour se consacrer à l'histoire de la communauté juive part de là, comme un héritage moral,

une " responsabilité filiale " et un authentique devoir de transmission.

C'est peut-être la source de ma recherche. Parce queje me suis sentie une responsabilité morale et filiale à l'égard de mon père et en même temps, le fait d'être ici en institution, a donné une première reconnaissance à ce travail de mémoire. J'aime pas dire travail de mémoire, parce que ce dont il s'agit c'est plus une transmission. Si un travail de mémoire consiste à se souvenir, ça peut exister, mais le souvenir doit être transmis et doit maintenir. Il faut rendre transmissible ce que les anciens nous ont légué et on est là pour éveiller les esprits, les cœurs, la recherche, pour transmettre une nouvelle parole dans le monde.

Q. : C'est une sorte de patrimonialisation de la mémoire juive ?

Je pense que c'est ça l'existence juive. L'existence juive n'est pas du tout la célébration de l'histoire ancienne. Ça, c'est que croit le non juif à l'égard des juifs. L'existence juive est en permanence créative. Parce qu'autrement nous serions dans le schéma grec qui est celui d'une mythologie, soit d'une mythologie qui se répète indéfiniment. Mais si les juifs existent, c'est parce qu'ils sont créatifs, donc la créativité doit venir d'un nouvel homme. Sans faire table rase du passé, mais de la force du passé, produire du nouveau. 63

C'est dans les années qui suivent qu'elle entreprend une thèse de doctorat sur les juifs et

la philosophie des Lumières 64 et qu'elle commence à recenser les ouvrages hébraïques de

l'établissement avec l'aide d'Elie Szapiro, un "historien autodidacte". Plusieurs

expositions organisées par la Bibliothèque Municipale à son initiative, avec l'aide

d'universitaires auxquels elle fait quelquefois appel pour l'occasion, vont donner une

63 Entretien avec Monique-Lise COHEN, Bibliothèque municipale de Toulouse. 64 Intitulé "Le thème de l'émancipation des juifs : archéologie de l'antisémitisme", il est publié sous le titre "Les juifs ont • ils du cœur ?".

48

Rapport Mémoires juive et protestante

visibilité à la présence juive dans la région : sur la littérature judéo-occitane (1983),

l'histoire des communautés juives de Toulouse (1983-1984), Ephraim Michael et son temps

-un poète juif toulousain de la fin du XIXe siècle- (1986), les camps d'internement sous

Vichy (1990), Isaach Orosio De Castro et son temps, 1617-1687 - un juif marrane du XVIIe

siècle - (1992), l'affaire Dreyfus à Toulouse et "Pour en finir avec l'antisémitisme" (1995),

les juifs dans la Résistance (1997). Enfin en 1991, elle obtient l'ouverture d'une section

officiellement dénommée Hébraïca-Judaïca au sein de la bibliothèque, manière d'entériner

ce qui était mené jusque là de façon personnelle. Depuis, elle est en relation avec d'autres

bibliothécaires du monde entier qui ont les mêmes préoccupations -une "communauté

discrète" dit-elle- de Cambridge, des Pays-Bas, d'Israël, des Etats-Unis, etc. Parcours

exemplaire que celui-ci, qui part d'une redécouverte personnelle entreprend sans relâche la

défense et la promotion de la mémoire juive, n'a de cesse que de la faire reconnaître dans

l'espace public, la fait institutionnaliser, et la professionnalise.

Ainsi, l'instigatrice de ce travail de mémoire va-t-elle élargir le champ de son

intervention, multiplier contacts et initiatives, ne ménageant aucun effort pour gagner la

reconnaissance dans la cité " et alentours.. Elle va par exemple développer un rôle

archivistique, devenant la représentante pour la région du Centre de Documentation Juive

Contemporaine (CDJC) et étant responsable d'un fonds déposé par le correspondant local de

l'Institut d'Histoire du Temps Présent (IHTP). Elle reçoit de ce fait les demandes, toujours

plus nombreuses, de ceux qui recherchent des informations sur les personnes déportées. Et si

l'essentiel de cette activité mêlant de fortes convictions philosophiques au

professionnalisme se déploie principalement dans des espaces extra-communautaires, elle

n'en est jamais véritablement coupée. Elle est un engagement personnel qui se redéploie

sans relâche, et a fait l'objet d'une reconnaissance dans l'enceinte communautaire. Ainsi, le

Centre communautaire porte-t-il au moment de l'enquête le projet d' "université hébraïque "

auquel notre interlocutrice semble fortement associée. Longtemps absente sur le terrain

muséographique, peu encline à archiver sa mémoire, et sans doute très marquée en cela par

l'histoire de Toulouse d'où les juifs furent absents durant plusieurs siècles, la Communauté

juive ne peut qu'accueillir avec intérêt cette démarche de revitalisation, à l'heure du " devoir

de mémoire ". Après de nombreuses années de silence dans ce domaine de la

patrimonialisation, toutes les bonnes volontés sont aujourd'hui appréciées pour reconstituer

un passé sur lequel plane plus qu'ailleurs le spectre de l'oubli et de la falsification. L'activité

foisonnante de la bibliothécaire vient à point nommé combler le vide, dans la mesure où elle

49

Rapport Mémoires juive et protestante

répond à la demande croissante de mémoire tout en satisfaisant aux principaux critères de

l'affiliation et de l'engagement communautaires. Ici, la conception de la mémoire et de la

transmission est élaborée, philosophique, avec l'idée que le judaïsme doit y puiser une

revivification constante de son identité.

Je crois qu'il n'y a pas d'identité juive. Je m'appuie sur ce point sur la pensée d'Emmanuel Lévinas qui différencie toujours le voyage d'Ulysse et le voyage d'Abraham. Il dit que le voyage d'Ulysse est le voyage de type identitaire parce que Ulysse a fait un grand voyage et, comme dit le poète, il a fait un grand voyage mais il est retourné chez lui. Il est revenu à Itaque. Abraham, lui, reçoit le nom d'hébreu quand il répond à l'appel de celui dont il ne connaît pas le nom, donc c'est un voyage de dés-identification. Il va vers un lieu qu'il ne connaît pas, il abandonne son identité et il répond à l'appel de celui dont il ne connaît pas le nom puisque le nom sera révélé à Moïse [...] S'il s'agissait de rechercher son identité et d'être enfermé sur soi-même, il n'y aurait aucune créativité juive. La créativité est une dés-identification permanente. 65

Outre les collections de la Bibliothèque municipale, un fonds hébraïque ancien - donc

antérieur à 1815 - existe à la bibliothèque universitaire de Toulouse (comprenant notamment

l'édition du Talmud faite au XVIIe siècle) ; il provient de la Faculté de Théologie

Montauban.

B. Singulier pluriel : les mémoires communautaires

Les sollicitations du public et l'évolution des pratiques museales

Cela a été souligné maintes fois, le culte des racines est en vogue et avec l'engouement

pour la généalogie. Mais les recherches pour reconstituer l'ascendance familiale entraînent

par contrecoup une curiosité plus large : pour le mode de vie et les conditions d'activité des

ancêtres, pour leur milieu et leur identité particulière... éventuellement pour leur religion

minoritaire. Cette tendance, générale, et les conséquences qu'elle entraîne n'épargnent pas le

terrain mémoriel qui fait l'objet de cette étude. Ainsi, une des animatrices du Musée du

Protestantisme en Haut-Languedoc témoigne que nombreux sont les visiteurs qui viennent

poussés par le souci de pouvoir dire à leurs petits-enfants " qui ils sont et d'où ils viennent ".

Cette sollicitation, ces attentes, contribuent désormais à faire bouger l'institution muséale :

" On a une grosse demande, ça nous a obligé aussi à travailler là dessus, ce qui est

intéressant d'ailleurs " 66. Mêmes échos du côté du Musée du vieux Lacaune. Pour tenter de

répondre aux investigations généalogiques des personnes qui se présentent, la responsable

Entretien avec Monique-Lise COHEN, Bibliothèque municipale de Toulouse. Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres.

50

Rapport Mémoires juive et protestante

dit devoir s'informer auprès d'autres institutions (l'Académie de Nîmes, la Société d'histoire

du protestantisme français à Paris ou le Musée de Ferneres) et utiliser surtout les travaux

universitaires de sa propre fille qui a fait un mémoire sur l'histoire du protestantisme

local 67. H est connu d'ailleurs que les protestants des Monts de Lacaune conservent toujours

leur singularité, ceux qui s'expatrient à Toulouse ou Paris revenant se marier, baptiser et se

faire enterrer au pays.

Certains cultivent leur mémoire, parce qu'ils viennent du Tarn [,..]La piété, la spiritualité de ces gens là, elle est particulière. Elle est reliée à une culture, à une histoire.6S

D apparaît d'autre part -mais les deux attitudes procèdent finalement d'une même

logique de fond - que beaucoup de familles s'impliquent désormais dans la constitution des

collections muséographiques. Dès l'origine des premiers musées, des personnes privées ont

fait don de leurs collections, parfois constituées d'objets ou de documents familiaux. Mais la

tendance est sans doute à une démocratisation du phénomène, au fur et à mesure que se

diffusent dans le grand public un nouveau sentiment du passé et un plus grand souci de

préservation patrimoniale. Le musée de Ferneres, par exemple, recueille les choses que les

personnes privées veulent bieri.lui confier et, " à deux ou trois bricoles près, tout vient de

familles de la région "6 9 . Des mécanismes similaires se retrouvent autour du projet de centre

de documentation du protestantisme en cours de constitution auprès de la bibliothèque

municipale de Montauban. Il faut bien dire que le conservateur, lui, n'a pas ce souci : il y

voit d'abord un objectif pour la recherche - puisque presque rien n'a été fait sur l'histoire

locale de la religion réformée depuis "un livre très ancien d'Henri de France sur les

Montalbanais du Refuge " - et prétend qu'il n'y a encore que très peu de demandes en

matière de généalogie protestante... Mais il est vrai que celles-ci ne s'adressent pas d'abord à

une bibliothèque municipale par définition généraliste... Même s'il considère que

" beaucoup de familles qui ont encore des bibliothèques familiales sont réticentes à léguer ",

il témoigne néanmoins que certaines savent s'impliquer dans la constitution des collections

destinées au public.

Il y aun petit fonds de manuscrits qui démarre à peine. On a en particulier toute une collection de photocopies de documents d'archives constituée par un protestant concernant sa famille. On a quasiment toute la généalogie de la famille. Sinon, à côté de ça, on a quelques documents,

67 Entretien avec Andrée-Laurence ROUBEAU, Présidente de l'Association pour la recherche historique, la conservation du patrimoine et la promotion du Musée du vieux Lacaune. 68 Entretien avec Gill DAUDE, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de l'Association pour la Célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes (Montauban). 69 Entretien avec Madame RJVŒRE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres.

51

Rapport Mémoires juive et protestante

quelques recueils de sermons, des manuscrits de ce genre qui viennent de familles protestantes de Montauban et de la région. 70

Ainsi, ce sont aujourd'hui les familles elles-mêmes qui poussent certaines institutions à

mieux prendre en compte leur mémoire communautaire. C'est le cas par exemple, de façon

discrète, au Musée du Vieux Nîmes. Abrité dans l'ancien palais episcopal -un bâtiment

classé du XVIIe siècle - celui-ci a pour objectif de conserver la mémoire historique de la

ville et de son arrière-pays. Fondé en 1920 par Henri Bauquier et un groupe de donateurs,

tous émules de Frédéric Mistral, il est représentatif de l'intérêt régionaliste de l'époque pour

les arts et traditions populaires. Le fonds s'est donc constitué d'abord autour d'objets

témoignant des activités de production (textile bien sûr, mais aussi terres vernissées, etc.).

Soutenu par les cotisations de l'Association des Amis du Musée, la plupart de ses collections

proviennent de dons que quelques subventions du Ministère de la Culture permettent à

l'occasion d'enrichir par achat. Faute de bonnes conditions de conservation et d'exposition,

le contenu des vitrines est présenté par rotation. Le protestantisme n'est donc pas toujours

évoqué. L'établissement dispose pourtant dans ses réserves de beaucoup de gravures

concernant-la religion réformée, de missels, ainsi que de vêtements d'époque, dont par

exemple le costume du pasteur. Une exposition "Histoire du protestantisme dans Nîmes" a

quand même pu être organisée (1993) et une salle dédiée aux religions dans la ville est à

l'étude, à partir d'éléments ethnographiques. Mais le plus révélateur reste que la responsable

des collections constate que ce fonds continue de s'enrichir en permanence du fait des

donations spontanées, imposant désormais à l'institution de trier ce qui mérite d'être

conservé...

En général, ce sont des personnes qui viennent, même sans rendez-vous, et qui disent : "Bon, on va vous donner un missel...", des objets qu'ils ont chez eux, dans leur patrimoine, pour que les gens puissent le voir, parce que pour eux, ça a beaucoup de valeur. Une valeur affective, qui n'est pas forcément historique... Et on ne peut pas tout exposer, il faut qu'il y ait une valeur historique, soit par l'objet proprement dit, soit parce qu'il a appartenu à quelqu'un d'important, sinon, on ne l'accepte pas. 71

Les racines exhumées de la diaspora protestante

Dans cette quête de mémoire, les descendants des huguenots du Refuge semblent

aujourd'hui parmi les plus actifs. Ces visiteurs en pèlerinage mémoriel passent bien entendu

par les Cévennes, devenues avec la guerre des Camisards le symbole de la résistance du

protestantisme en France. Ce lieu témoin d'une relégation intérieure est aussi vu comme à la

Entretien avec M. LEROY, Conservateur de la Bibliothèque municipale de Montauban. Entretien avec Chantal CAMBON, Chargée des collections du Musée du Vieux Nîmes.

52

Rapport Mémoires juive et protestante

racine de l'exil extérieur, quand bien même les cévenols eux-mêmes sont relativement peu

nombreux a avoir fui au Refuge. C'est donc bien le site de référence pour les descendants de

proscrits, porteur à leurs yeux de l'histoire de leurs ancêtres, quelle que soit par ailleurs leur

région d'origine.

Et donc, on a des gens qui viennent d'abord dans les Cévennes et puis qui après font des recherches dans tel village de Charente ou du Dauphiné, peu importe, même du Béam ; mais le premier passage, c'est les Cévennes et la tour de Constance. 2

Ces touristes, souvent étrangers, sont en tous cas des visiteurs à part, comme le

soulignent tous les responsables de musées : animés d'une curiosité particulière, concernés,

souvent férus d'histoire, volontaires et exigeants dans leur démarche pour mieux connaître

le passé.

Les étrangers, presque en totalité, sont des gens qui savent où ils viennent : soit qu'ils viennent faire des recherches personnelles, soit qu'ils viennent parce qu'ils savent ce que sont les protestants. Ce sont souvent des Européens du nord, disons : Allemands, Hollandais, Anglais... des pays dits du Refuge. 3

Certains entretiennent d'ailleurs des relations privilégiées avec les institutions porteuses

de mémoire.. C'est le cas des descendants des familles de gentilshommes verriers de

l'Ariège, regroupés dans une association transnationale qui organise ces dispersés dans une

réunion annuelle. Une partie d'entre eux venaient du Tarn, puisque l'usage des verriers était

d'aller de forêts en forêts chercher du bois pour allumer leurs fours. C'est ce qui explique

que certains soient, à l'heure actuelle, partie prenante au sein du Musée de Ferneres : " On

les retrouve très présents dans la région, on en a même au conseil d'administration qui

descendent de ces verriers " 7?..

Ce nouveau cours de la mémoire communautaire n'est pas sans effet sur les musées ou

toutes autres initiatives patrimoniales. Le Musée du vieux Lacaune illustre très bien la façon

dont la quête de mémoire d'une partie du public peut parfois susciter une inflexion de l'offre

muséale. Celui-ci abrite une collection d'art et traditions populaires : du mobilier, des outils,

des costumes et des pièces de textile (en particulier un lot de coiffes) se rapportant à la vie

quotidienne des environs aux XIXe et première moitié du XXe siècles. C'est d'ailleurs à

partir d'une exposition temporaire de brocante que ses fondateurs ont eu l'idée de créer " un

petit musée d'histoire locale, d'identité, à travers les costumes ", avec le souci de faire ainsi

œuvre pédagogique : " à travers les objets, transmettre la mémoire, autrement ça n'aurait pas

72 Entretien avec Daniel TRAVŒR, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard. 73 Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Fernere. 74 Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Fernere.

53

Rapport Mémoires juive et protestante

de sens ". Ouvert depuis 1990, il fonctionne grâce aux modestes subventions de la

municipalité et du Conseil général du Tarn et surtout grâce à ses 10 000 visiteurs annuels.

Rien en tous cas ne l'orientait d'emblée vers l'histoire d'un groupe minoritaire.

L'institution est située dans une demeure historique, et l'on sait, bien sûr, qu'y vécurent au

XVIIIe siècle Dame Henriette de Calméis de Bassevergnes puis son fils Antoine Cambon,

maire du bourg, tous deux de religion réformée . Mais les traces de la présence protestante

demeurent modestes dans les salles... faute de temps et de place, aux dires de la responsable

associative. Quelques objets la laissent cependant deviner de loin en loin : la photographie

d'une première communiante avec son psautier ; une bible de mariage au nom d'un pasteur ;

une courtine dont il est dit qu'elle a été donnée par une descendante de nouveaux convertis ;

les tenues et les coiffes plus raffinées des protestantes, issues de familles de commerçants ou

de dirigeants des manufactures drapières.

L'histoire est bien là, pourtant, dans un bourg où, dès 1559, l'église Sainte-Marie-du-

Pioch a été destinée à servir de temple aux réformés 7 et où la communauté a pu survivre au

temps des persécutions. Mais il semble en fait que l'intérêt accru de ce musée pour la

question protestante tienne pour une large part aux sollicitations mêmes du public. Pas tant

les habitants du pays, dont la fréquentation est jugée plutôt décevante, hormis les scolaires

pour lesquels des visites sont prévues chaque année et les " cars de troisième âge ", surtout

contents eux de revoir des choses qu'ils ont connues. Mais les héritiers des huguenots sont

de plus en plus nombreux à venir pour reconstituer leur généalogie ou, quand ils la

connaissent déjà, simplement visiter les lieux de ce qu'ils considèrent comme leur histoire.

Cas extrême, certains, fournissent au musée de nouveaux éléments d'histoire et

accomplissent de cette manière un dépôt immatériel pro memoria. Cela contribue par

contrecoup à raviver la mémoire locale et à en accentuer la patrimonialisation. Ainsi en est-

il de la nouvelle rue David Martin à Lacaune ou de la généalogie complète des Von Roques

qui sera peut-être un jour exposée au musée :

J'ai eu notamment les Cannac, famille qui a été une véritable diaspora, il y en a qui sont au Québec (à Chicoutimi), en Louisiane (à Bâton-Rouge), en Oklahoma et dans ¡'Oregon. Egalement des descendants du pasteur David Martin qui eux, sont à New-York. J'ai été effarée de voir qu'il n'y avait pas de rue du pasteur David Martin à Lacaune, alors qu'il y en a une à New-York. Alors là, j'ai insisté auprès de la municipalité et madame le Maire de l'époque l'a très bien compris, on a signalé une petite rue David Martin qui mène au cimetière protestant. J'ai eu encore des descendants d'un autre pasteur, Pierre Roques, les Von Roques de Hanovre, en

Dossier de présentation du Musée du vieux Lacaune. 76 Détruit au XVIIe siècle, celui-ci a été reconstruit en 1804. A noter que, dans les environs, le temple de Brassac date de 1830, celui de Viane de 1792 et que celui de Vabre a été construit en 1801.

54

Rapport Mémoires juive et protestante

Allemagne, et ils sont arrivés avec toute la généalogie. Tout ça, nous voulons l'exposer mais nous n'avons pas eu le temps. ^

D est clair en tous cas que la descendance de la diaspora huguenote pèse aujourd'hui à

plein sur l'évolution de la mémoire protestante dans la France méridionale. C'est un facteur

qui joue ici dans les deux sens, par des réappropriations symboliques croisées : on

revendique, localement, l'ascendance des plus lointains réseaux qui ont pris forme dans

l'exil ; tandis que la diaspora investit le patrimoine communautaire et y pose indirectement

sa marque en fonction des sollicitations qu'elle exerce - celles de type économique ne sont

pas les moindres - et des représentations qui lui sont propres. Caractéristique d'une

dispersion familiale à l'échelle internationale, le cas des Latrobe est connu en Tarn-et-

Garonne, il y a peut-être même valeur exemplaire. La manière dont le décrit le Président de

la Société Montalbanaise d'Etude et de Recherche sur le Protestantisme, lui-même très

impressionné, est tout à fait caractéristique. Car ce qu'il évoque ainsi, en mettant en avant

une descendance mondialisée, universelle, mais aussi la réussite sociale de ses membres,

nantis et fort honorablement connus, c'est bien un élément majeur du patrimoine identitaire

et donc de la fierté protestante78.

Nous avons reçu la famille Latrobe. Les Latrobe sont des gens qui sont partis de Montauban, issus de la région, de Varennes - c'est à la limite de la Haute-Garonne - et l'ancêtre, à ¡a Révocation de l'Edit de Nantes, est parti en Irlande. De là, il est allé aux Etats-Unis où les Latrobe ont multiplié si je puis dire, et parmi les Latrobe il y a le premier grand architecte des Etats-Unis, qui a construit en partie le Capitole et la Maison Blanche. Un autre est à l'origine du réseau des chemins defer des Etats-Unis, un autre était l'ami de Jefferson... Voyez... Et il y en a qui sont allés en Australie. Et Melbourne doit son développement aux Latrobe : il y a l'Université Latrobe, le boulevard Latrobe, la bibliothèque Latrobe, une rivière Latrobe, une ville Latrobe ! Et ça a été le premier Gouverneur de l'Etat de Melbourne. Et un des grands armateurs de Hambourg est un descendant des Latrobe. Je crois que c'est cet armateur qui, à l'origine, a décidé de rechercher les Latrobe du monde entier et ils ont fait une généalogie absolument fabuleuse et ils ont constitué le Latrobe International Symposium (le US) et ils se sont retrouvés pour la première fois à Montauban il y a deux ans. Alors là, venant du monde entier, il y en a au Japon, il y en a... Ils ont été reçus à l'ambassade d'Australie à Paris qui était le lieu de retrouvailles, il faut croire quand même que ça compte en Australie, les Latrobe, parce que l'Ambassadeur même les a reçus. 79

A l'occasion de ce symposium des Latrobe en France, la Société Montalbanaise d'Etude

et de Recherche sur le Protestantisme participe aux agapes parisiennes, puis assure

" l'intendance " pour permettre à ce groupe de venir plusieurs jours se " promener " au pays

77 Entretien avec Andrée-Laurence ROUBEAU, Présidente de l'Association pour la recherche historique, la conservation du patrimoine et la promotion du Musée du vieux Lacaune. 78 La valorisation de l'identité communautaire à travers la saga et les grandes figures historiques de la diaspora , entrepreneurs, négociants, hommes politiques ou intellectuels, est un trait commun aux protestants et aux juifs interrogés. On retrouve par exemple cette fierté à citer la mémoire des grands hommes de la diaspora dans le judaïsme bordelais se réfèrent à l'épopée séfarade. 79 Entretien avec Robert GUICHARNAUD, Président de la Société Montalbanaise d'Etude et de Recherche sur le Protestantisme.

55

Rapport Mémoires juive et protestante

ancestral et lui faciliter les relations avec les institutions de Montauban. Ces gens sont reçus

par la municipalité et les notables ; le président de l'association se félicite à ce titre que des

contacts aient pu être établis avec la Chambre de Commerce et d'Industrie et celle

d'Agriculture, certains Latrobe étant vignerons en Californie... Ainsi la commémoration est

l'occasion d'un développement d'un tourisme identitaire propre à vivifier de plus larges

échanges économiques. La mémoire se transmute là, recouvrant des dimensions nouvelles,

et laisse émerger des initiatives originales pour lui conférer une visibilité. On est loin, peut-

être, de pratiques museales au sens propre ; on s'approche, sans doute, d'un nouveau type de

célébration de l'héritage commun.

Ceux qui refusent l'approche particulariste ou cultuelle

Ce que l'enquête met aussi en lumière, ce sont les réticences, parfois encore fortes, à

prendre en compte les cultures confessionnelles minoritaires en France. On sent percer cette

attitude chez certains conservateurs d'établissements publics, attitude qui sera plus

amplement analysée au chapitre suivant. Leur conception - ambitieuse et volontariste - de la

mission de-J'Etat en matière de politique culturelle et patrimoniale les conduit à condamner

et à s'interdire par avance tout ce qui pourrait ressembler à un quelconque

communautarisme. Il semble, à l'extrême, que les termes mêmes de mémoire juive ou

protestante.puissent leur paraître suspects et en tous cas contraires à la vocation universelle

et républicaine qu'ils attribuent à l'action muséale.

On en trouve un premier indice dans la muséographie du Musée cévenol du Vigan qui

se veut étranger à toute démarche identitaire (cf. chap. 4). Même ses expositions temporaires

ne font encore qu'une place assez timide aux thèmes religieux : un espace était par exemple

consacré aux spiritualités (catholiques, calvinistes, loge franc-maçonne) dans celle sur "Sept

lettres du comte Valentin Esterhazy à sa femme, Le Vigan en 1786". C'est encore plus net

ailleurs, où la raison peut être donnée sans appel pour expliquer pourquoi rien n'existe de

particulier concernant les juifs ou les protestants : " Service public, vocation à recevoir le

patrimoine de la nation " , répond-on dans tel centre d'archives départementales. Cette

position semble se radicaliser, c'est une hypothèse, en pays fortement catholique tels que

l'Aveyron. Ces agents de l'Etat ou des collectivités territoriales semblent redouter, au pire,

le risque d'une sorte d'appropriation groupusculaire du patrimoine collectif.

Réponse au questionnaire des Archives départementales de l'Aveyron.

56

Rapport Mémoires juive et protestante

La tâche d'un service public tel que le nôtre est de conserver le patrimoine national dans lequel on peut trouver des sources concernant l'histoire de telle ou telle communauté, et non d'identifier certains fonds ou pièces "appartenant" à cette communauté. S1

C. Mémoires croisées entre juifs et protestants

La comparaison explicite ou implicite entre juifs et protestants ressort à plusieurs

reprises de l'enquête de terrain conduite auprès des personnes ressource. Certains évoquent

une similitude de destins, à commencer par des conditions socio-économiques partagées.

Dans les Monts de Lacaune on retient que, comme les juifs, les protestants "étaient

obligatoirement marchands ou manufacturiers puisque tous les autres métiers leur étaient

interdits " et qu'ils ne pouvaient pas acheter de terres ; on les trouvaient donc eux aussi dans

l'exercice de la finance, " parmi les prêteurs "8 2 . L'autre similitude participe de la culture

religieuse, en opposition bien sûr au monde catholique dominant. La proximité

communément entretenue avec le Livre est un trait souvent avancé par les témoins des deux

confessions : " Les protestants se sont développés sur la possibilité de lire librement la

Bible. Et les juifs ont toujours lu librement laBible " 83. Mais cette caractéristique est encore

renforcée par l'imprégnation vétéro-testamentaire beaucoup plus forte chez les protestants

que chez lès catholiques.

Ce qui est commun, c'est le texte de l'Ancien Testament. Les Protestants sont très imprégnés de l'Ancien Testament, même du Nouveau, mais aussi de l'Ancien, et ça établit un lien. La guerre des Cévennes a été marquée par l'exploitation de l'Ancien Testament qui a même justifié les actions armées [...] Alors, dans les prophéties, puisqu'ils parlaient en prophéties, revenaient certainement des textes de l'Ancien Testament. Quand les combats ont été marqués par le chant du psaume 68, qui dit : "Que Dieu se montre seulement et l'on verra dans un moment le camp des ennemis [...] abandonner la classe". Ça, c'est mis en poésie mais c'était le psaume des batailles. M

Cette proximité est donc aussi mentionnée parce qu'elle peut laisser sa marque dans les

éléments de culture matérielle exposés dans quelques-uns de ces musées. C'est le cas

notamment en matière d'iconographie pieuse. Certaines illustrations exactement identiques

pouvaient en effet se retrouver par tradition dans les deux communautés.

Vous avez aussi un Moïse devant les Tables de la Loi qui était dans toutes les maisons protestantes. Dans toutes les maisons protestantes vous aviez ce type de Moïse, c'était l'image d'Epinal plus ou moins grande, plus ou moins importante. J'avais été très surpris que l'exposition qu'il y avait eu sur les religions aux Arts et Traditions Populaires à Paris il y a

81 Réponse au questionnaire des Archives départementales du Vaucluse. 82 Entretien avec Madame RIVIÈRE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres. 83 Entretien avec Monique-Lisc COHEN, Bibliothèque municipale de Toulouse. 84 Entretien avec Monsieur FURTER, Pasteur de l'Eglise Réformée, Saint-Jean-du-Gard

57

Rapport Mémoires Juive et protestante

quelques années, de voir dans la partie juive exactement les mêmes gravures mais avec une légende différente ; c'est à dire que l'imprimeur avait la même gravure mais avec une légende destinée à la communauté juive et une légende destinée à la communauté protestante. S5

Mais le principal élément de rapprochement a un caractère plus fondateur. D ressort du

partage d'une conscience de groupe minoritaire et d'une mémoire également marquée par

les épisodes de harcèlement et les persécutions traversées dans l'histoire. Les circonstances

de la commémoration récente du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes font bien ressortir

cette donnée pour les protestants. Orchestrée au plus haut niveau par les pouvoirs publics,

celle-ci été fêté à grande échelle et dans le consensus. Cet épisode de l'histoire de France

semblait pouvoir fournir matière à de belles vignettes civiques, offrant un repère mémorable

pour exalter la tolérance - imposée et garantie par l'Etat, ce qui permettait avant tout de

louer sa puissance tutélaire et son action ordonnatrice - et un savoir vivre ensemble d'allure

fort républicaine. Si l'on comprend les visées d'une telle célébration morale, cette

orientation est-elle vraiment pertinente aux yeux de la communauté protestante elle-même ?

En d'autres termes, retrouve-t-on en son sein la même date phare dans ce qui fait mémoire et

perçue selon le même imaginaire ? Car si la nation, comme les représentants de l'Eglise

Réformée, tirent la célébration vers sa dimension universelle et les valeurs de progrès (cf.

chap. 4), certains reconnaissent le décalage qui existe avec la sensibilité qui s'exprime à la

base. De ce côté là, c'est bien la mémoire des persécutions qui demeure plus vive et porteuse

de plus de sens pour l'identité collective. Si le pasteur qui a participé à organiser la

commémoration inter-régionale de la Fédération protestante de France considère que, sur le

plan institutionnel et national, les Eglises se sont trouvées " plus à l'aise " de célébrer un

élément " positif " comme l'Edit de Nantes - notamment par rapport à l'oecuménisme et au

dialogue inter-religieux - il reconnaît quand même que " dans la mentalité populaire, la

Saint-Barthélémy, la Révocation de l'Edit de Nantes, sont quand même plus ancrées " 8 6

L'opinion d'une des responsables du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc est

tout aussi révélatrice. Elle avoue spontannément qu'à son sens les quatre cent ans de l'Edit

de Nantes ont été commémorés " avec un faste tout à fait ahurissant ! " : rien que dans le

Tarn, le Conseil Général a fait une exposition à Albi (mars-avril), ensuite Castres a pris le

relais pour de " grandes fêtes " (4-7 juin) avec colloque, spectacles, animations de rues et

85 Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard. 86 Entretien avec Gill DAUDE, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de l'Association pour la Célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes (Montauban).

58

Rapport Mémoires juive et prolestante

R7

défilé en costume ; puis une exposition estivale au Musée Goya, une autre au musée de

Ferneres, une encore itinérante par bibliobus et un travail des collégiens de tout le

département... D est clair que certains protestants ont pu ressentir là une forme de

dépossession d'une mémoire commune au sens gauchi par la commémoration nationale. Car

s'ils semblent sans conteste " tenir beaucoup à l'idée de tolérance ", il s'agissait là d'une

"récupération de la tolérance pour montrer qu'on peut revivre l'Edit de Nantes de nos

jours ". Ce décalage s'explique aussi par le fait que la mémoire protestante castraise est bien

spécifique en pays castrais : elle fait peu de place à l'Edit de Nantes, tandis que l'entrée

d'Henri IV dans la citée en 1585 représente un épisode plus fort, auréolé de tout un

légendaire qui se transmet encore. C'est pas difficile, le troisième centenaire de l'Edit de Nantes, il y a donc cent ans, est passé beaucoup plus inaperçu. La Révocation de l'Edit de Nantes est quelque chose de beaucoup plus important pour les protestants parce que c'est la fin d'une certaine liberté et c'est surtout l'oppression, le début d'un siècle de misère et de malheur. Qui est resté très profondément marqué dans les familles. On rappelle toujours l'ancêtre galérien, la petite ancêtre enfermée au couvent à Castres, c'est très très important ça. Il y a une mémoire orale qui est encore racontée dans les familles. Et l'histoire de l'entrée d'Henri IV à Castres, mais c'était juste avant l'Edit de Nantes, quand il était encore Roi de Navarre. Henri IV ici, c'est le Roi de Navarre, il a couché dans tous les lits les châteaux-alentours si l'on en croit la légende. [...] Les Castrais ont été peu concernés par l'Edit de Nantes parce que c'était une ville protestante, les consuls étaient tous protestants et les catholiques étaient à l'extérieur de la ville. Eux n'avaient qu'à y perdre de l'Edit de Nantes, donc c'est très particulier. M

Côté juif, c'est bien sûr l'expérience fondatrice de la shoah qui prédomine chez certains

des acteurs les plus engagés dans le combat pour la mémoire. A Montauban, Eli Arditi est

l'un des principaux activiste en la matière. Nommé représentant régional pour le Sud-Ouest

de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz (section Marseille-Provence), il est fréquemment

amené à témoigner auprès des jeunes générations, dans les lycées, mais aussi au cours de

colloques, de reportages télévisés, etc. D participe également aux cérémonies du souvenir

dans la région montalbanaise. Evadé d'un convoi de déportation en mars 1943, il évoque

l'aide qu'il a alors reçue d'un pasteur, non loin de Valence, à Charmes-sur-Rhône

(Ardèche), qui l'a nourri, caché une nuit et lui a indiqué un chemin pour se rendre à la gare.

Deux dates clés marquent son parcours de militant pour la sauvegarde de la mémoire de la

shoah et la lutte contre l'oubli ou les dérives négationnistes. C'est d'abord le voyage

touristique et culturel en Israël qu'il accomplit en 1959, projet qui lui tient à coeur depuis la

fin de la guerre. D y revient en 1960, y rencontre sa future épouse, se marie, et y retourne

87 Cf. le dépliant "Castres fête l'Edit de Nantes". 88 Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Fernere.

59

Rapport Mémoires juive et protestante

régulièrement. A la question " vous vous sentez d'où ? ", il répond, ému : " d'Israël " 8 9 et

admet que son premier voyage là-bas correspondait déjà à une tentative d'exorciser le passé.

D avoue même que depuis qu'il en parle, il va beaucoup mieux. Le second événement, c'est

en 1990 quand use reconnaît le jour de son arrestation sur la photo d'un livre sur l'histoire

de Marseille. C'est le début de son engagement contre l'oubli et pour la mémoire, après

plusieurs années de silence où il ne pouvait pas parler de ce passé, sauf en famille. Il avait en

effet le sentiment que les gens ne le croyaient pas, tant ce qu'il relatait semblait

invraisemblable. H est maintenant en relation étroite et permanente avec Yad Vashem et le

mémorial est pour lui le lieu de mémoire de la shoah et de la mémoire juive en général qui,

pour lui, se confondent. On sent par contre qu'il ne supporte pas certains propos religieux

autour de la faute et du péché concernant la shoah : " Les enfants de deux ans ou de

quelques mois, ceux dans le ventre de leur mère, ils avaient péché pour être envoyés à

Auschwitz ? " 9 0 répète-t-il d'un ton toujours ému et révolté.

D. La revivification d'une mémoire juive autour de la Seconde

Guerre Mondiale

De façon plus générale, les événements commémoratifs ou les repérages patrimoniaux

concernant la seconde guerre mondiale sont susceptibles à l'heure actuelle d'opérer certains

retours de mémoire concernant les juifs. On sait les réévaluations historiographiques de ces

vingt dernières années quant à la période de Vichy, la responsabilité française en matière de

collaboration et de persécutions antisémites, la redécouverte des camps d'internement sur le

territoire national, la rafle du Vél d'hiv, etc. On sait aussi combien " ce passé qui ne passe

pas " - l'expression est de l'historien Henry Rousso - réveille périodiquement la polémique

et laisse voir une conscience collective encore à vif91. Au delà du regard critique désormais

porté sur ce pan de l'histoire nationale, les mécanismes de ce type agissent aussi au niveau

local et les remises en cause n'y sont pas moins profondes.

89 Entretien avec Elie ARDm, Représentant régional pour le Sud-Ouest de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie (section de Marseille). 90 Entretien avec Elie ARDITI, Représentant régional pour le Sud-Ouest de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie (section de Marseille).

60

Rapport Mémoires juive et protestante

L'analyse de ce qui se joue à Montauban fournit un bon exemple de cette situation.

Depuis quelques temps, la municipalité a soutenu en la matière une politique volontariste de

recueil et de transmission de la mémoire, appuyée sur quelques individualités actives et

engagées. D y á eu un colloque sur l'histoire de la Résistance et de la déportation,

. notamment sur le camps de Septfonds, orchestré par Pascal Cayla - désormais directeur des

affaires culturelles à la mairie, ses propres travaux de recherche portaient sur l'évêque de

Montauban Mgr Théas, un des seuls à s'être élevé contre les persécutions - et une exposition

organisée conjointement à la bibliothèque municipale. Le Directeur du Musée de la

Résistance et de la Déportation de la ville relève cet effort politique.

Q. : c'est quelque chose qui est mis en valeur par la ville de Montauban cet esprit de résistance ? Ah oui, tout à fait. Il y a des manifestations qui sont soutenues, qui sont suivies par la ville de Montauban. Par exemple le 19 août, l'anniversaire de la libération de Montauban, il y a un circuit qui se fait à toutes les stèles. La municipalité de Montauban soutient l'achat de tout ce que vous voyez. Il y a des dons certes, mais il y en a un certain nombre qui ont été achetés par la ville de Montauban. Toutes les recherches que je fais... quand on demande l'aide de la municipalité, on l'a.. 91

La Maison des Associations de Combattants et de Résistants est d'ailleurs une

institution'municipale mise en place il y a une dizaine d'années. Elle est aussi le siège du

Musée de la Résistance et de la Déportation, fondé autour du don Masse. Un retraité en a

pris la responsabilité bénévole à la demande du maire de l'époque et il dit en profiter pour

recueillir le témoignage des acteurs de la période, mission qui le passionne puisqu'il a lui-

même pour ambition de rédiger un ouvrage à ce sujet. Les collections du musée devraient

être réaménagées et le projet est, à terme, de développer un centre de recherche sur l'histoire

du XXe siècle autour de l'association Archeia. M. Latu pense qu'il est indispensable de

transmettre la mémoire de la seconde guerre mondiale et d'en faire un sujet d'instruction

pour le présent. Une salle est consacrée aux camps d'internement du Sud-Ouest, dont celui

tout proche de Septfonds. Car s'il considère que les 15 000 républicains espagnols qui y ont

été internés lors de la Retirada de 1939, nombreux à avoir fait souche dans la région, ont pu

être eux-mêmes " les artisans de leur mémoire " et faire de cet exode un épisode connu des

populations environnantes, " toute la partie ensuite du milieu 1940 au milieu 1944, avec

l'internement des juifs [...] ça, personne n'en parle! ". Le constat de cette méconnaissance, de

91 A noter qu'à l'occasion du XIIIe colloque des Musées protestants organisé sur le thème " Communiquer notre mémoire " au Musée du Protestantisme Béarnais d'Orthez, l'Eglise Réformée a joint à la documentation préparatoire remise aux participants une note concernant le camp de Gurs, " camp de concentration à la française " où le régime de Vichy interna les " étrangers de race juive ". Note de Pierre Bolle, Eglise Réformée de France, Coordination Témoigner-Servir, Paris, déc. 1997. 92 Entretien avec Jacques LATU, Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban.

61

Rapport Mémoires juive et protestante

ce silence qui rejoint un dénie d'existence, le pousse à essayer de promouvoir à son niveau

des pratiques museales qui permettraient de mieux mettre en lumière le sort des juifs du

département.

Alors, nous avons ouvert - depuis que le musée est mis en place il y a quatre ans ou cinq ans -une salle qui parle des camps d'internement en particulier dans le sud de la France. Et plus particulièrement de celui qui est le plus près de Montauban : le camp de Septfonds. Mais on parle aussi du camp du Vernet. Ce sont des panneaux faits par Toulouse et on a pris les panneaux qui nous intéressaient, et moi j'ai reçu pas mal de monde, d'adultes, dans cette salle, des gens qui ont cinquante ans, et qui ne connaissaient pas le camps de Septfonds. Alors moi, en plus, j'ai recueilli des témoignages de personnes, qui sont des résistantes certes, mais pas avec une arme à la main, des résistants que vous ne voyez jamais. C'est des gens qui ont aidé les juifs à échapper aux nazis : ils les ont cachés, ils les ont fait manger, ils les ont fait partir. J'ai leurs témoignages. 93

L'association a œuvré aussi pour que trois panneaux explicatifs soient placés à

l'emplacement approximatif du camp - dont il ne reste rien - pour retracer son histoire

complète (du 5 mars 1939 à 1945 quand il servi à parquer les collaborateurs en attente de

jugement) et surtout la vie qu'y menaient les internés. L'optique, ici, est de faire oeuvre

pédagogique : pas seulement d'attester symboliquement de la volonté de se souvenir, ni de

matérialiser le souci du recueillement dû aux tragédies du passé - ce serait le sens du

mobilier mémoriel, tel les plaques ou les stèles - mais de fournir toutes les informations

nécessaires pour que les gens en tirent une connaissance, peut-être un enseignement.

Moi, je crois que ce travail de mémoire historique à Septfonds est important et je suis persuadé que ça devrait être fait ailleurs, dans certains lieux du Tarn et Garonne, où on expliquerait aux gens ce qu'il y a eu là par autre chose qu'une stèle. Une stèle, très bien... mais c'est pas suffisant. 94

Dans le département, ces éléments commémoratifs ont été mis en place ces dernières

années, donnant lieu chaque fois à une cérémonie du souvenir. " Le 23 août et le 2

septembre 1942, 295 juifs dont 26 enfants habitant le Tarn-et-Garonne et le Lot, rassemblés

à Septfonds, furent livrés aux hitlériens par le gouvernement de Vichy et déportés vers

Auschwitz " : ces mots sont inscrits sur la stèle dévoilée en 1990 à leur mémoire. Elle a été

complétée par un square Henry-Grau, du nom d'un de ces enfants âgé alors de deux ans et

demi, inauguré en 1998 grâce à la détermination de la municipalité septfontoise et de la

communauté juive. En présence des représentants officiels, la cérémonie comportait des

prières juives et la soeur du petit déporté est venue, conformément à la coutume, déposer des

cailloux à sa mémoire95. La même année, une stèle a été érigée à l'initiative du Maire de

93 Entretien avec Jacques LATU, Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban. 94 Entretien avec Jacques LATU, Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban. 95 Souvenir de la déportation : un square Henry-Grau, La Dépêche du Midi. 11 sept. 1998.

62

Rapport Mémoires juive et protestante

Lisac pour rappeler la déportation de plusieurs juifs raflés et le fait qu'ils avaient d'abord été

recueillis par la population locale.

Ces initiatives sont d'ailleurs à rapprocher de celles impulsées dans le même esprit

- quoique plus timidement - par l'association (loi 1901) qui gère à Cahors le Musée de la

Résistance, de la Déportation et de la Libération. La salle sur la déportation y évoque les 22

Lotois du convoi dit des "déportés tatoués" qui ont séjourné une quinzaine de jours à

Auschwitz et ont été témoins de l'extermination des juifs. La salle sur la répression rappelle

les rafles de juifs orchestrées par le préfet dans le département du Lot, à partir de documents,

de lettres, d'une évocation de la famille Polack et du camp de Septfonds où ils furent

parqués. C'est en outre devant la plaque en hommage aux victimes apposée sur la façade du

bâtiment que se déroule chaque année la cérémonie officielle du souvenir dans la ville.

Dans le cadre du Musée, la question juive n'a pas été omise, référence est faite, en divers endroits, à cette lâche extermination, mais on ne peut parler d'exposition spécifique [plutôt} de références à la déportation et à la persécution.96

En Tarn-et-Garonne, il y a aussi l'Association départementale des Lauréats du Concours

de la Résistance et de la Déportation pour jouer un rôle moteur dans ce sens, sous la

présidence de Robert Badinier. Enseignant, très impliqué, il fait beaucoup pour sensibiliser

les jeunes générations. D assure aussi le lien avec la communauté juive et son travail est

mentionné positivement en son sein, tant par Elie Arditi que par Jacques Levi. L'exposition

"Résister aujourd'hui : un combat toujours actuel", organisée en avril 1999 à la Maison de la

culture de Montauban, fournit un bon exemple de l'activité de cette association. L'initiative

entendait en effet permettre "l'appropriation du message historique à la lumière de

l'humanisme contemporain "97 et donnait lieu pour cela à un " prix de l'éducation à la

citoyenneté" destiné aux élèves du secondaire. Enfin, l'association porte aujourd'hui le

projet de réaliser un CD-ROM sur la Résistance en Tarn-et-Garonne avec "l'objectif

primordial de transmettre la mémoire résistante ".

Ce contexte favorable à l'expression d'une mémoire juive sur la seconde guerre

mondiale ne la rend pas pour autant univoque. Les entretiens réalisés auprès des

personnalités de la communauté juive de Montauban laissent ressortir une certaine tension,

voire un malaise. On peut repérer une ligne de partage entre les victimes les plus directes de

la shoah et les autres, notamment les juifs d'Afrique du Nord. Le président de la

96 Réponse au questionnaire Musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération de Cahors. 97 Courrier de l'Association départementale des Lauréats du Concours de la Résistance et de la Déportation de Tarn et Garonne, 28 janv. 1999.

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Rapport Mémoires juive et protestante

communauté juive de la ville -lui même parle d'ailleurs de communauté " israélite "98 - est

élu depuis 1992. Rentré d'Algérie en 1964, bâtonnier de l'ordre des avocats du Tarn et

Garonne, il est de longue date conseiller municipal, délégué aux anciens combattants. D a

présidé la section départementale de l'Union Nationale des Combattants (UNC-AFN) de

1980 à 1989 et demeure président d'honneur de cette association. Cette dimension est

essentielle pour lui puisqu'il déclare à plusieurs reprise " n'avoir aucune attache politique "

et se reconnaître seulement comme " représentant de la société civile ". Il se déclare en outre

profondément laïc, fidèle à la République, et même sans " aucune affinité religieuse " :

" D'un point de vue religieux, c'est niet ".

En ce qui concerne, si vous voulez, mon implication dans le travail de la mémoire, je suis pied-noir. Je suis rentré en France en 1965, après l'Indépendance et je me suis occupé à ce moment là uniquement de ma profession. Je ne faisais ni politique, je n'assistais à aucune réunion, et je m'occupais de mon travail et de mes enfants et de ma personne. Et lorsque je suis devenu Président de la Communauté, à ce moment là, je me suis investi dans la vie associative. "

S'il considère que la communauté juive montalbanaise est peu importante (tout au plus

80 familles), il la définit surtout comme étant composée séfarades, des " vieux retraités "

arrivés après l'indépendance de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie. D ne voit aucune

continuité avec celle antérieurement installée parce qu'il ne reste presque plus rien de " la

communauté qu'on appelait les ashkénazes " qui a été " décimée par les nazis ".

Peut être parce que je suis séfarade, je n'ai pas... les séfarades ont eu également des gens qui sont morts dans les camps d'extermination des juifs, mais beaucoup moins que les ashkénazes. Les ashkénazes ont pratiquement disparus, à part 2 ou 3. Je vois les plaques commémoratives des noms de ceux qui sont morts, on voit des noms qui sont ashkénazes, des noms polonais, russes. Les ashkénazes, pour ceux qui restent, ont davantage de mémoire pour ce qui s'est passé il y 50 ans.

Cette vision, ainsi que son parcours personnel déterminent étroitement l'identité qui

ressort de sa mémoire - séfarade avant d'être juive et surtout pied-noire, aux côtés de tous

les autres groupes colons d'Algérie - ainsi que sa façon de concevoir les commémorations

de la seconde guerre mondiale - plus locales ou nationales que communautaires, plutôt

combattantes qu'axées sur la shoah. Comment définit-il cette mémoire singulière ?

Pour les séfarades, tout dépend s'ils sont marocains, tunisiens ou algériens qui, par le décret Crémieux de 1870 sont devenus français. Donc ils ont une sorte de double orgueil que le côté marocain ou tunisien. Marek Alter pourrait vous le dire parce qu'il a écrit pas mal de livres sur la mémoire, la mémoire de ses aïeux. Nous n'avons pas ce passé particulier. Si, moi je pourrais parler de ce que j'ai pu apprendre concernant mes aïeux. Mes aïeux ont eu droit à ce qu'on appelait des lots de colonisation. C'est pour ça qu'ils se sont installés en Algérie. Il y avait également les déportés de 1848, ceux qui avaient fait la Révolution et qui ont été déportés

98 Entretien avec Jacques LEVI, Président de la communauté juive de Montauban 99 Entretien avec Jacques LEVI, Président de la communauté juive de Montauban

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Rapport Mémoires juive et protestante

ensuite. Il y avait les Alsaciens en 1870, tous ceux-là se sont retrouvés, mais malheureusement pas assez nombreux, parce que s'ils avaient été assez nombreux, la France n'aurait pas perdu l'Algérie. Alors ma mémoire, si vous voulez, elle est un petit peu algérienne, puisque je suis né là-bas, mais je n'y retournerais pas pour tout l'or du monde.

En tant que conseiller municipal délégué aux anciens combattants, c'est lui qui est

chargé de s'occuper des cérémonies patriotiques officielles. Etant aussi président de la

communauté juive de Montauban, il assume " cette double casquette " les 8 mai, 14 juillet,

19 août - la Libération de la ville - 11 novembre, ainsi que la journée de la déportation qui a

lieu le dernier dimanche d'avril, le matin à la stèle en bas du cours Foucault, puis l'après-

midi à Septfonds en présence du maire. Il reconnaît quand même qu'il faut qu'il " insiste un

peu " pour que la communauté juive assiste aux commémorations : " ils ne sont pas

beaucoup engagés " regrette-t-il. D déplore d'ailleurs que l'Académie ne mobilise pas les

instituteurs, les enseignants, pour emmener les enfants aux cérémonies et mieux défendre la

mémoire. Mais pour ce responsable communautaire engagé dans l'action publique, la date

essentielle est patriotique, nationale : " Au moins, qu'ils viennent au Monument aux Morts

le 8 mai ! ".

Q. : C'est important pour vous les commémorations ?

Oui, parce que bientôt il n'y aura plus personne, et il faut rappeler aux gens ce qui s'est passé. Les vieux, moi je le vois à travers les anciens combattants, ont beaucoup souffert et ils meurent. Ceux de la guerre 14-18, il en reste 10-12 au maximum, et ceux de 39-45: 70-75 ... Donc la mémoire, c'est quelque chose de très important et si on ne le faisait pas, tout ça serait... déjà que beaucoup de gens oublient, surtout parmi les jeunes, mais les jeunes ne participent pas malheureusement. C'est vraiment dommage. l0°

Le décalage est évident avec le discours du représentant régional de l'Amicale des

Déportés. Celui-ci porte bien sûr le poids de cette histoire en tant que rescapé : né en

Turquie en 1924 d'une famille séfarade, immigré à 10 ans à Marseille, il a pu s'échapper

d'un convoi de déportation au printemps 1943 et sa famille a dû se cacher. D affirme s'être

retiré de la communauté juive montalbanaise en 1998 parce qu'il ressentait du mépris de la

part de certains juifs d'Afrique du Nord et trop d'indifférence à l'égard de l'histoire de la

shoah. " Es ne respectent rien ", dit-il en expliquant qu'il avait préparé des écrits pour Yad

Vashem et un pour la Communauté après la découverte dans l'ancienne mairie d'Auvillar

(Tam-et-Garonne) de malles ayant appartenu à deux familles juives déportées (familles Roth

et Kurzweil) et comprenant l'ensemble de leurs biens. D pensait que c'était normal que la

Communauté de Montauban dispose de tels documents afin d'oeuvrer pour la mémoire...

mais il s'avère que le responsable de celle-ci ne sait plus ce qu'il en a fait ! C'est montrer,

100 Entretien avec Jacques LEVI, Président de la communauté juive de Montauban.

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Rapport Mémoires juive et protestante

selon lui, preuve de l'indifférence et du mépris à l'égard de cette douloureuse histoire et cela

constitue une insulte à la mémoire des victimes 101.

Ces débats sur la période de la seconde guerre mondiale laissent place à un autre

questionnement. L'un des enjeux est de voir comment se recompose une mémoire mettant

en parallèle passé protestant et engagement résistant, éventuellement en faveur des juifs

persécutés. Le directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban

évoque une tradition protestataire plus encore que protestante : dès le moyen-âge, la cité

aurait été l'une des rares à instituer des consuls en réaction au pouvoir catholique de l'abbaye

de Montauriol, il en donne à preuve que tous les établissements religieux, tous les couvents,

se sont construis extra muros ; puis il y a eu évidemment Montauban la protestante, en passe

de devenir indépendante dans le royaume et de frapper sa propre monnaie... Pour lui, ce

serait donc plutôt affaire d'imprégnation, un certain esprit rebelle.

// est certain que cet esprit là est resté. Maintenant, quelle est la part des protestants dans la résistance ?. Ça, je peux pas vous dire. Il y a eu une participation chrétienne, catholique, puisque l'abbé Théas a été un des opposants à l'arrestation et à l'extermination des juifs, certes. Il y a pas eu beaucoup d'évêques dans ce cas là. Les hauts dignitaires catholiques avaient fait allégeance au Maréchal Pétain, il y a ce fait là. Il y a très certainement aussi des organisations de résistance protestante comme vous avez eu des organisations de résistance de la franc-maçonnerie, comme vous en avez eu du parti communiste, du parti socialiste, et puis ces gens qui sont venus là parce que ça faisait partie de leur tendance personnelle. Il y a beaucoup de protestants qui ont caché des juifs, il n'y a pas que des protestants.l02

On peut mentionner en contrepoint la mémoire qui subsiste du côté des Monts de

Lacaune. Ici, la solidarité envers les victimes de persécutions raciales durant la seconde

guerre mondiale est décrite comme un prolongement direct de l'histoire protestante

antérieure. Ce sont les mêmes chemins de la clandestinité qui ont été réouverts quand il y en

a eu besoin, pour les enfants du pays comme pour les juifs réfugiés là.

D'une façon tout à fait naturelle, les protestants de cette région ont accueilli les juifs, parce que eux savaient ce que c'étaient que les persécutions. Et des gens persécutés pour leur religion, pour leur race, c'était normal de les recueillir, ils se sont pas posés du tout de questions. Il y avait une demande, ils répondaient. Le maquis s'est créé ici à partir de jeunes éclaireurs unionistes requis pour le STO à castres et qui ont refusé de partir et qui sont donc montés tout naturellement se cacher dans la montagne du Tarn, pays de leurs grands-parents. Et ils ont retrouvé les caches et les sentiers que leurs ancêtres camisards utilisaient pour aller aux Assemblées et se protéger des Dragons du Roi. Donc là, il y a un suivi de l'histoire tout à fait simple. Ils ont été rejoint par des amis à eux qui étaient des éclaireurs israélites poursuivis, eux, à deux titres : le STO et le fait d'être juif. W3

101 Entretien avec Elie ARDITI, Représentant régional pour le Sud-Ouest de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie (section de Marseille). 102 Entretien avec Jacques LATU, Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban. 103 Entretien avec Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Fernere.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Le témoin confirme que l'histoire de ce maquis a longtemps été oubliée, parce que les

gens n'en parlaient pas, qu'ils avait fait acte de résistance en trouvant ça normal et qu'il n'y

avait pas lieu de s'en vanter. Mais quand les acteurs du temps, devenus vieux, " ont eu

besoin de faire mémoire ", il y a eu alors de grandes fêtes pour la commémoration du

quarantième et du cinquantième anniversaires du maquis. Les survivants sont revenus (170 à

180 chaque fois), sont retournés chez ceux qui les avaient accueillis, ont refait le chemin

qu'ils avaient parcouru et ils ont raconté. C'est à ce moment là qu'on a (re)découvert dans la

région que l'accueil des juifs et des maquis avait été beaucoup plus important qu'on ne le

croyait, notamment au foyer Cimade à Vabre qui cachait des jeunes filles juives et des

enfants, ainsi que dans beaucoup de fermes. Alors, conclut-t-elle, " il semble que ce sont

surtout les protestants qui ont accueilli, il n'y a pas que les protestants, mais

majoritairement ".

Parfois, pourtant, c'est le refus de laisser remonter des souvenirs trop douloureux, trop

conflictuels, qui prime sur toute autre considération. Quand on l'interroge sur la mémoire

juive, la responsable du Musée du vieux Lacaune reconnaît ouvertement s'être interdit de

réveiller dès souvenirs trop amers et trop mal éclaircis. Elle déclare d'ailleurs " se méfier

terriblement" de l'histoire contemporaine, le musée portant justement sur la période

antérieure à 1940. C'est aussi la raison pour laquelle elle n'a pas souhaité faire quelque

chose dans ce cadre pour évoquer le destin propre aux juifs durant l'Occupation.

Pendant la guerre, j'étais bien jeune, mais nous habitions à Narbonne le long de la voie ferrée, j'ai vu des Anglais mitrailler les trains et mon père, pendant les vacances, nous faisait monter à Lacaune. Et j'ai entendu toutes sortes de choses qui sont très contradictoires. C'est ce qui m'a incité à m'arrêtera 1940. Nous exposons une machine à coudre d'un tailleur juif ...Et d'autre part, Nathalie Roubeau, quand elle a fait ses recherches, a été étonnée de voir qu'à Lacaune, toutes les archives de 1942 manquaient. Mais c'est par hasard qu'elle s'en est aperçue parce que ça ne concernait pas sa période de travail. De là, elle est partie à Albipour s'en rendre compte, et elles sont également portées manquantes aux archives départementales. Alors, pour quelles raisons ? Alors, j'ai préféré être prudente d'autant que dans un petit village... Je ne sais pas si ça aurait intéressé les gens que l'on mette en avant la résistance.104

104 Entretien avec Andrée-Laurence ROUBEAU, Présidente de l'Association pour la recherche historique, la conservation du patrimoine et la promotion du Musée du vieux Lacaune.

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Rapport Mémoires juive et protestante

III. Mémoires régionales, mémoires

régionalistes

Religions à vocation universelle, judaïsme et protestantisme ne sont toutefois pas sans

nouer des liens très denses avec certains lieux dont ils ont façonné en partie l'histoire. Pour

l'érudit du début du siècle curieux du passé de ces régions, pour le touriste qui les parcourt

aujourd'hui, évoquer les Cévennes revient à faire surgir la mémoire des Camisards qui ont

lutté dans ces montagnes, de la même manière qu'en déambulant dans Carpentras, on ne

peut s'empêcher de songer (et les musées de la ville nous le rappellent) aux "vieux judéo-

comtadins", si chers à leur compatriote Armand Lunel. Cette inscription de la mémoire juive

ou protestante en certains lieux n'est guère allée de soi. Car la part que chacune d'entre elle

occupe dans la mémoire régionale ne dépend guère de son rôle historique objectif, mais

plutôt de la définition que l'on a donnée de l'histoire et de la mémoire régionalistes. Or,

celle-ci, depuis la fin du XIXe siècle - moment où l'on voit apparaître les premiers musées

axés sur les faits locaux - a connu une évolution certaine qui a modifié la place des

mémoires minoritaires dans la muséographie régionale. Dans une première période, qui va

en gros de la fin du XIXo siècle au milieu du suivant, le régionalisme, soucieux de mettre en

évidence les grands ensembles civilisationnels qui, à la façon d'un puzzle bien ajusté

constituent l'identité française, vécue comme unitaire malgré la diversité des apports105, tient

peu compte des culture minoritaires, surtout religieuses. Celles-ci n'apparaissent que

furtivement dans les musées créés à cette époque, et presque de manière aléatoire. Leur

présence est plus affirmée dans la seconde période qui voit un retour de l'idée régionale plus

attentive aux particularités, au moment même où dans chacune des minorités, la volonté est

aussi plus affirmée de témoigner localement de sa propre histoire. En certains endroits, la

mémoire de la présence juive et protestante joue alors un rôle important dans la construction

régionaliste locale, faisant surgir une conception inédite de l'articulation entre le national et

le régional, inédite par rapport à celle qui prévalait au début du siècle. Enfin, au-delà de la

prise en compte ou non des mémoire juive et protestante, les modalités de présentation de

celles-ci ont varié. Réduites à leurs aspects strictement religieux d'abord, dans des salles

68

Rapport Mémoires juive et protestante

consacrées aux rites et aux cultes, elles acquièrent à leur tour un statut civilisationnel,

comme l'avaient été les grands ensembles régionaux au cours du siècle dernier. C'est cette

double évolution que nous prendrons comme fil conducteur, retraçant les réticences à

prendre en compte les mémoire juive et protestante dans la muséographie locale sous la

Troisième République, pour mieux ensuite saisir les enjeux qu'elles représentent aujourd'hui

dans des identités régionales rénovées par les changements politiques (la décentralisation),

économiques (l'importance du tourisme dans les régions concernées par l'enquête) et

identitaires qui traversent la France de la fin du XXe siècle.

A. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : Un régionalisme

réticent à intégrer la part des cultures locales minoritaires

Jusque dans les années soixante de notre siècle, on doit avec patience chercher les traces

de la présence juive et protestante dans les musées régionaux. Quelques exceptions, comme

le Musée Basque à Bayonne, ou le Musée Arlaten à Arles ne font que confirmer ce premier

constat. Quant au Musée du Désert, local par sa situation, il est loin d'être un musée

régionaliste dans sa conception. Les raisons de cette discrète présence tiennent à la fois au

groupe concerné, à la façon dont il conçoit à un moment donné son insertion dans le national

et le régional, mais aussi aux représentations qui structurent l'idée régionaliste, à l'origine de

nombreuses créations muséographiques.

Pendant la Troisième République, juifs et protestants participent activement à la

construction du modèle définissant alors la nation. Loin de chercher à se démarquer en

aucune manière de la communauté nationale , ils contribuent à façonner d'elle une image

unitaire où chaque partie s'agrège harmonieusement - en principe - au tout collectif. D'où la

répugnance à mettre l'accent sur les aspects particularistes de chacun des deux groupes,

surtout dans le domaine public. Cette conception politique de la Nation n'est pas sans

influence dans le domaine artistique, illustré par quelques exemples célèbres. Ainsi, les

collectionneurs juifs sont-ils plutôt des collectionneurs d'art français, à l'image des Camondo

qui, récemment arrivés en France, deviennent des références en matière de production

artistique du XVHJ* siècle. La collection est une manière de s'intégrer à la nation dans

103 Anne-Marie Thiesse, Ils apprenaient la France: l'exaltation des régions dans les discours patriotiques, Editions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1997.

69

Rapport Mémoires juive et protestante

laquelle on a fait le choix de vivre106. Certes, on voit aussi apparaître à cette époque la

première collection d'art juif, rassemblée par le chef d'orchestre Strauss mais celle-ci s'inscrit

dans une dimension qui dépasse largement le cadre local . La chose est pourtant à nuancer

en ce qui regarde'les protestants dans la mesure où il existe, pour les Cévennes par exemple,

une tradition d'histoire locale, à la fois savante et populaire qui assimile les lieux à une

religion et une histoire propres: tels les Cévennes et la Tour de Constance aux Camisards

cévenols. Cet exemple appelle toutefois des nuances. D'une part, il est isolé en France et

Philippe Joutard a bien montré qu'on ne trouvait pareil processus en d'autres terres

protestantes, comme le Dauphiné (et l'on pourrait ajouter le Sud-ouest)108. De plus, la

création du Musée du Désert obéit plus à des motifs spirituels que régionalistes. A part dans

l'exemple cévenol, qui occupe dans cette histoire une place spécifique, tout se passe comme

si l'identité régionale des groupes concernés se constituait avec réticence, source de lenteur.

A cette première explication d'ordre politique, s'ajoutent des considérations plus terre à

terre. Plus encore pour les juifs que les protestants, les lieux marqués par leur histoire

n'abritent alors qu'une population résiduelle. Les vieilles communautés comtadines, qui se

sont maintenues contre vents et marées depuis la période romaine, ont fondu depuis

l'Emancipation. Par souci d'échapper à l'hostilité d'une population locale n'acceptant pas

toujours leur nouveau statut d'hommes libres, par ambition personnelle, les fils et filles des

juifs du Pape ont peu à peu quitté les anciennes "carrières109". E ne reste plus au début du

siècle et a fortiori par la suite, qu'un groupe de plus en plus réduit de ce qui fut la plus vieille

communauté juive de France. Dans des groupes souvent privés de leurs élites intellectuelles,

tournés vers l'extérieur de la région, l'identité régionale, même si elle est individuellement

fortement ressentie (si l'on en croit les témoignages laissés par Armand Lunel, concernant

son grand-père110) a bien du mal à émerger et à conquérir une place au sein de l'espace

public et institutionnel. Cette difficulté à se constituer renvoie au fait que, pour les deux

groupes (surtout pour les juifs), leur histoire (au sein d'historiographie) propre, un des

vecteurs à la fois de l'identité et d'une volonté muséographique régionales, en est à ses

'Consulter sur ce sujet le dossier consacré à l'art juif en France par les Archives juives, n° 31/2, 2° semestre 1998, en particulier l'article de Dominique Jarassé: "De l'art judaïque à l'art juif. Linéaments d'une historiographie de l'art juif en France." Voir aussi concernant les Camondo de Pierre Assouline: Le dernier des Camondo, Editions Gallimard, Paris, 1998. 107 Dominique Jarassé, "De l'art judaïque à l'art juif, op. cit. 108 Philippe Joutard, La Légende des Camisards, une sensibilité au passé, Gallimard, Paris, 1977. 109 Nom donné aux quartiers juifs dans les villes de Provence. 110 Voir en particulier, Les chemins de mon judaïsme. Textes présentés par G. Jessula, L'Harmattan, Paris, 1993, et la description romancée qu'il donne de son grand-père dans Nicolo-Peccavi ou l'Affaire Dreyfus à Carpentras, Gallimard, Paris, réédition de celle de 1926.

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Rapport Mémoires juive et protestante

débuts. Alors que le mouvement de la mémoire à l'histoire s'est fait précocement pour les

protestants (avec le travail d'Antoine Court par exemple111), il a fallu attendre la fin du XIXe

siècle pour les juifs, avec l'apparition des premières histoires sur les communautés juives

locales. On comprend alors que si chez les protestants où il existait une tradition historique,

. servie par des érudits et des savants, la volonté d'inscrire le passé protestant dans la culture

régionale locale a pu provenir du groupe lui-même, (comme nous le verrons dans les

Cévennes), pareille initiative a manqué, pour les raisons soulevées plus haut, chez les juifs.

Les difficultés à appréhender le fait religieux minoritaire dans une entreprise muséale ne

sont pas toutes à mettre au compte des groupes concernés. Elles proviennent aussi des

conceptions charriées par les divers courants qui constituent le régionalisme, créateur des

ces nombreux musées locaux qui fleurissent à partir de 1890 jusqu'à la Seconde Guerre

mondiale. Guidées par l'idée de l'imminence de la disparition de la civilisation rurale, minée

par celle des villes et de l'industrie, elles se préoccupent surtout des faits ruraux. Souci

ethnologique et volonté de préservation se mêlent pour aboutir à l'ouverture de salles où sont

collectés et préservés les témoignages d'une société en train de disparaître. Car dès l'origine,

les années-. 80 et 90 du XIXe-siècle,'ethnologie et muséographie sont intiment liées. Les

sociétés à vocation ethnologique qui voient le jour à cette période partagent l'ambition de

révéler à travers la diversité des cultures régionales, l'unité de la civilisation française, en

marche depuis des siècles en multipliant expositions et musées à travers le territoire. A

travers ces derniers, l'histoire locale se laisse appréhender, pour reprendre l'expression

d'Anne-Marie Thiesse, comme "une version miniaturisée de l'histoire de France"113. Une

telle volonté, mettant en valeur les variantes locales de ce qui a fait et fait la France, en

particulier le monde rural et la religion catholique, n'est guère sensible au fait minoritaire

religieux. C'est ce qui explique que celui-ci n'apparaisse que rarement dans les premiers

musées régionalistes, et souvent à la faveur de circonstances locales.

Régionalisme et judaïsme

Les premières initiatives visant à inclure la part de la culture juive locale dans des

musées régionaux proviennent de régions où les juifs ont pu développer depuis les Temps

111 Pasteur protestant qui le premier, à l'aide de témoignages oraux patiemment recueillis, fit l'histoire de la guerre des Camisards, dans son ouvrage. Histoire des troubles des Cévennes, paru en 1760. 112 En 1886, Paul Sébillot fonde la Société des Traditions populaires, tandis qu'apparaît en 1897 la Société d'ethnologie nationale et d'art populaire de Gustave Boucher. Voir à ce sujet l'article d'Isabelle Collet "Les premiers musées d'ethnographie locale" in Muséologie et ethnologie, Editions des Musées nationaux, Paris, 1987.

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Rapport Mémoires juive et protestante

modernes et sans solution de continuité une histoire et culture spécifiques: celle des "Juifs

du Pape" dans la région provençale et celle des Marranes sur la côte aquitaine.

Le Museon Arlaten à Arles

A Arles, au Museon Arlaten, comme à Bayonne, au Musée Basque, l'influence du

courant ethnologique est patente. C'est après avoir accepté l'invitation de la Société

d'ethnologie nationale et d'Art populaire créé en 1895 par Gustave Boucher que Frédéric

Mistral se lance dans son grand projet d'édifier à la Provence un véritable "Panthéon", sous

la forme "d'un musée de la vie vivante et de la race d'Arles", oeuvre à la fois savante et

"poème en action". Le projet, soutenu par la Société d'ethnologie et les autorités politiques

locales (le premier musée fut installé dans des salles prêtées par le département des

Bouches-du-Rhône), est de donner à voir, selon divers truchements (objets exposés, photos,

dioramas), les multiples aspects de la vie provençale: la vie quotidienne, à travers le

costume et l'art populaire; les mentalités abordées par le biais des " croyances, rites et

légendes"; le travail des hommes sur la nature, que l'on peut découvrir dans les salles

consacrées, au Rhône. Cette approche,. qui se veut exhaustive, "civilisationnelle" de la

culture provençale autorise Mistral à inclure dans son programme originel des éléments

juifs. Certains ont pu s'étonner de voir le même homme donner en même temps sa signature

à la Ligue des Patriotes et faire une place - certes modeste - à des témoignages de l'ancienne

culture juive comtadine dans son musée. Nous ne trancherons pas dans ce délicat débat,

mais on peut être convaincu par l'explication qu'avance Armand Lunel: "Mais tout cela, c'est

simplement parce que le vieux maître de Maillane n'a rien voulu oublier des choses du

terroir, car il a senti le premier que le folklore provençal devait une partie de sa richesse à un

secret apport judaïque: c'est pour cette raison qu'il a constitué une vitrine juive au Museon

Arlaten et noté dans son Trésor du Félibrige toutes les expressions, toutes les curiosités

linguistiques, mettant dans le provençal l'assonance ou la couleur juive114." La démarche du

Patriarche de Maillane envers la part juive de la civilisation provençale, reconnaissant son

rôle et la nécessité d'en préserver le souvenir, est symbolisée par l'anecdote qui clôt l'article

de Lunel. Ayant reçu pour la Pâque un pain azyme appelé en Provence "coudolle", Mistral

en goûta une partie et envoya le reste au Musée. Mistral, toujours selon Armand Lunel,

aimait aussi à retrouver chez les juifs provençaux des traits qu'il appréciait avant tout: leur

attachement à la famille patriarcale, si caractéristique des familles provençales en général, et

113 Anne-Marie Thiesse, Ils apprenaient la France: l'exaltation des régions dans les discours patriotiques, op.cit.

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Rapport Mémoires juive et protestante

leur respect de la Loi. Ainsi, ce qui lie Mistral et le grand-père d'Armand Lunel, si attaché à

la culture judéo-comtadine, collectionneur amateur, représentant du mouvement félibre à

Carpentras,- et, ajoutons-le, fervent républicain - c'est leur même qualité de "mainteneur115"

des traditions anciennes; et l'on pourrait ajouter de "passeur" de celles-ci. On peut alors

interpréter de manière très symbolique les rapports entre Mistral et la famille Lunel. Si

l'initiative de muséaliser la part juive de la culture provençale dépend de Mistral, légitimé

dans cette démarche par son auréole de fondateur du félibrige et d'écrivain du local à

réputation nationale, celle-ci n'est toutefois rendue possible que par les dons du grand-père

Lunel.

D'abord restreint dans le cadre d'une vitrine, le fonds hébraïque, certainement le premier

du genre en France, est situé dans la salle consacrée à la religion et au folklore religieux.

Les objets collectés par Mistral et les dons de la famille Lunel, (le grand-père Albert

d'abord, puis le petit-fils, Armand qui, par ses romans, a contribué à faire connaître à un

large public la culture judéo-comtadine), en constituent l'armature première. Dans les années

cinquante, le Musée offre à voir au visiteur surtout des objets du culte (Taleth, téphilin,

mezuzoth,'méguillah d'Esther,Shofar, etc).116 On y trouve aussi des documents illustrant la

vie sociale (des contrats de mariage ou Kétoubot), qui appartenaient pour certains à la

famille Lunel. Enfin, l'apport à la culture locale est soulignée par la présentation du texte

d'une tragédie "Esther de Carpentras ou le Carnaval hébraïque", rédigée en judéo-provençal

au XIXe siècle par deux rabbins de la région et des pièces musicales religieuses plus

récentes, écrites par le musicien local contemporain, Darius Milhaud.

Jusqu'à la fin de notre siècle, la part juive de la civilisation provençale n'est guère

connue si ce n'est d'une mince frange d'érudits locaux et peu mise en valeur. Comme le

souligne l'Abbé Raymond Boyer qui a consacré un article à ce sujet117, jusqu'à une date

récente, les Judaica d'Arles sont peu évoquées en général. Les ouvrages consacrés au

Muséon Arlaten les passent sous silence, donnant ainsi de la Provence une image moins

nuancée que celle voulue par ses fondateurs eux-mêmes118. Après Mistral, on a préféré

mettre l'accent sur une civilisation provençale "homogène", liée par des traditions fortes (la

"'Armand Lunel, "M. Maurras, les Juifs et Mistral", Les Cahiers juifs, janvier 1934, P. 12-18. 113 Armand Lunel, Les chemins de mon judaïsme, op. cit. 116 Voir à ce sujet, Françoise Lautman, "Objets de religion, objets de musée", in Muséologie et ethnologie, Editions des Musées nationaux, Paris, 1987. 117 Abbé Raymond Boyer, "Le fonds hébraïque du Muséon Arlaten", La Provence historique, avril-juin 1953, p. 131-139.

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Rapport Mémoires juive et protestante

famille patriarcale) et la religion (l'attachement à la foi catholique), longtemps stéréotypée

par l'Arlésienne en costume flanquée de gardians à cheval et par les santons de bois. H faut

attendre la fin de notre siècle pour que le projet de Mistral d'inscrire la part juive à part

entière dans la culture régionale soit plus largement reconnue et devienne un enjeu

touristique de taille, comme on le verra par la suite.

Le Musée Basque de Bayonne

Ici, pas de personnalité de la taille de Mistral. Mais son ombre plane sur le Musée

basque, comme sur d'autres institutions créées au début du XXe siècle. Et là encore, comme

à Arles, se fait sentir l'influence de la Société d'ethnologie nationale et d'Art Populaire. C'est

en effet à l'un de ses Congrès qui se tient en 1897 à Saint-Jean de Luz, accompagné d'une

exposition temporaire ethnographique basque que remonterait l'ambition de donner un

musée à la région. Mais le projet met du temps à aboutir puisqu'il ne voit le jour

officiellement qu'en 1924. Deux ans plus tôt pourtant, la municipalité de la ville avait confié

à la société culturelle locale, la Société des Sciences, lettres, arts et études régionales de

Bayonne, le soin de "créer et d'organiser le musée", en lui apportant appui et subventions. La

direction de l'entreprise (et ensuite du musée) est confiée au Commandant Boissel119. La

Société des Sciences de Bayonne, dont l'origine remonte au XIXe siècle, mêle érudits

locaux, simples amateurs et amoureux de la région. Parmi eux, on trouve nombre d'officiers,

affiliés aux cercle militaire local. Le commandant Boissel semble être un des leurs. Bien que

n'étant pas de la région, il s'est largement investi depuis des années dans le projet, toujours

repoussé, de fonder un musée régional. L'ambition des fondateurs est plus large que celle de

Mistral, puisque à côté des aspects civilisationnels, elle inclut une présentation physique,

géographique et géologique de la région. Devraient en effet y figurer : "arts locaux,

architecture, sculpture, musique, etc., éléments littéraires, vieux textes, histoire et

géographie locales; branches scientifiques, géologiques, zoologiques, agriculture, etc120." Le

changement de nom du musée, d'abord défini comme le Musée de la tradition, renvoie en

fait à une définition très large de l'adjectif basque qui dépasse les aspects humains et

s'appuie plutôt sur la définition vidalienne de la région, comprise comme un tout entre un

118 Ainsi cherche t-on en vain une référence à ce fonds dans l'ouvrage pourtant savant et richement illustré de Ch. Galtier et J-M. Rouquette, La Provence de Frédéric Mistral au Muséon Arlaten, Joël Cuénot, 1977. Il faut noter toutefois la description du fonds donnée dans les Archives Juives dans leur numéro 2, 1965, à un moment où cette revue, encore dactylographiée, reste très confidentielle. 119 Voir à ce sujet les Bulletins trimestriels de la Société des Sciences, des Arts et des Etudes régionales de Bayonne, 1922-1923.

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Rapport Mémoires juive et protestante

milieu naturel et les hommes qui l'habitent. Ainsi la convention passée entre la Société des

Sciences locales et la mairie stipule t-elle que le futur musée "donnera à voir à tout instant

une image aussi exacte et aussi complète que possible du Pays basque, de Bayonne et de ses

environs, dans le passé et le présent121." L'exhaustivité du projet - où se dilue l'intention

première d'origine ethnologique - permet de prendre en compte, en tant qu'élément du

paysage basque urbain, la part juive de l'histoire locale.

Celle-ci, telle qu'on peut la voir des années plus tard, dans les années soixante, est

présentée sous la forme d'une reconstitution d'une petite chambre de prière au premier étage

du musée. D'après l'inventaire du fonds dressé en 1963 , jusqu'à cette période et mis à part

quelques achats, les objets essentiellement religieux proviennent essentiellement des dons

de collectionneurs locaux, qui tels Aaron Salzedo, sont les descendants probables des

Marranes de la Région. Ainsi se dessine à nouveau le schéma esquissé à Arles. Si l'initiative

museale est extérieure à la communauté juive, celle-ci s'y associe étroitement dès l'origine et

nourrit le projet en lui fournissant une part essentielle des objets exposés. Et de même qu'au

Muséon Arlaten, le judaïsme local n'est présenté que son aspect religieux. L'apport

historique et civilisationnel des juifs de là région n'est pas mis en valeur. Pour l'instant.

Les Synagogues du Comtat Vénaissin et le musée judéo-provençal

H faut bousculer un peu la chronologie pour faire entrer toute l'histoire de la

muséalisation des synagogues du Comtat Vénaissin dans le cadre de la Troisième

République. Mais si le Musée judéo-comtadin n'ouvre réellement ses portes qu'en 1963, ses

promoteurs et l'esprit qui les anime doivent plus au régionalisme tel qu'on l'entendait au

début de ce siècle plutôt qu'à sa seconde mouture. En effet, comme à Arles ou à Bayonne,

l'initiative muséale ne vient pas du groupe concerné. C'est à une famille de la bourgeoisie de

Cavaillon, non juive, amoureuse de sa région et de ses monuments que l'on doit le

classement, premier du genre en France des synagogues de Cavaillon et de Carpentras en

1924. Joyaux de l'art baroque reconstruits au XVIIIe siècle, témoignages à la fois de cet art

en général et de la qualité des artisans locaux, ces deux temples en étaient arrivés, à l'orée du

XXe siècle, à menacer de tomber en ruines. Les communautés juives locales, qui n'avaient

jamais été très denses, se vidaient alors, lentement, de leurs habitants. Et les synagogues,

désertées, n'étaient plus entretenues. Elles étaient par ailleurs fort mal connues hors de la

120 Extraits d'un article de M. Godbarge, paru dans La Gazette de Biarritz et cité dans le compte rendu de la Séance de la Société des Sciences, des Arts....de Bayonne, in Bulletin trimestriel, n°l-2,1922, P. 185. 121 Cité dans Bulletin trimestriel, n°l-2,1922, P.398. séance du 12 juin 1922..

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Rapport Mémoires juive et protestante

région . André Dumoulin, dans son ouvrage consacré à "l'escola" (la synogogue) de

Cavaillon, remarque avec pertinence qu'elle n'est jamais signalée, ni dans les récits des

voyageurs célèbres, qui tel Prosper Mérimée ont traversé la région, ni même dans les

guides123. Il revient donc à la famille Jouve, et en particulier à Marie-Thérèse, dont la

maison appelée la maison du rabbin (celle du rabbin Bedarride qui la vendit en 1827 à

l'ancêtre de Marie-Thérèse) est contigiie à la synagogue de Cavaillon, l'initiative de proposer

le classement de celle-ci (et celle de Carpentras) dans le patrimoine national. La

municipalité soutient le projet qui par ailleurs est défendu par un Comité de Défense des

Synagogues comtadines créé en 1928 et placé sous la présidence d'honneur de Grand Rabbin

de France, illustré aussi par des personnalités artistiques d'origine locale comme Armand

Lunel et Darius Milhaud. L'idée de faire de l'ancienne boulangerie juive un musée

remonterait aux premières années de la Seconde Guerre mondiale (étonnant contexte!), mais

se concrétise réellement en 1963, sous la houlette de l'érudit local André Dumoulin124. Si le

projet du Musée diffère des exemples précédents, en ce sens qu'il est exclusivement réservé

à la culture judéo-comtadine, il s'en rapproche néanmoins par sa gestation (initiative non

communautaire) et le choix d'objets présentés, exclusivement religieux, dicté, il est vrai par

le site et la volonté d'exposer des objets qui lui étaient attachés: trois pierres tombales, un

tabernacle avec une Torah et des vitrines réservées à des livres et des objets de culte125.

Dernier exemple du régionalisme Troisième République tel qu'on a tenté de le définir,

le processus qui a permis d'aboutir à la restauration de la synagogue de Carpentras dans les

années cinquante. C'est en effet à cette période que le conservateur de la Bibliothèque

Inguimbertine, Robert Caillet, s'émouvant des dégradations subis par le monument, se met

en quête des fonds nécessaires à sa réfection, en s'appuyant sur l'ancien Secrétaire général du

Comité de sauvegarde des synagogues comtadines, R. Rebstock. L'argent proviendra d'une

double source : privée (le propriétaire d'une entreprise locale, les Usines Malaucène, L.

Schweitzer) et publique, (les Beaux-Arts). En plus de la synagogue, le visiteur peut

découvrir aussi le mikvé ou cabussadou126, déjà signalé par Mistral.

122 "Inventaire de la Salle israélite du Musée Basque de Bayonne", Archives juives, n°3,1965-1966. 123 André Dumoulin, Un joyau de l'art judaïque: la synagogue de Cavaillon, Editions Klincksieck, Paris, 1970. Georges Brun, dans son ouvrage. Les Juifs du Pape à Carpentras, Le nombre d'or, Carpentras, 1975, note de son côté que "rien ou peu de choses, signale le dernier vestige du quartier juif qui parcourent le centre de la ville". P. 133. 124 Selon Jean Jau, dans son ouvrage: Cavaillon, pages d'histoire, Edisud, 1990, l'idée d'en faire un musée pendant la guerre provient d'André Dumoulin, qui habitant l'ancienne maison des Jouve, se mit à réunir différents souvenirs concernant la communauté juive de la ville. 125 Jean Jau, Cavaillon, pages d'histoire, op.cit. 126 bain rituel ou mikvé.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Ainsi, englobées au sein de culture régionales qui les dépassent, mais dont elles sont

incontestablement une fraction, les deux grandes facettes de la culture juive méridionales

affleurent à grand peine dans quelques musées ou monuments. La finalité de telles

initiatives, bien moins que communautaires, reste fidèle au projet régionaliste tel qu'il

s'élabore et se développe jusque dans les années soixante du XXe siècle: non seulement être

une leçon d'histoire et de patriotisme, mais aussi "une source de renseignements pour

l'homme de science, l'industriel, l'agriculteur, un lieu de méditation pour l'érudit, le

littérateur, le touriste cultivé127". A ce stade du régionalisme, le judaïsme local, mal connu,

ultra minoritaire et souvent méprisé, ne peut figurer qu'au titre de curiosité locale,

modestement signalée. Mais le projet ne peut exister sans le soutien de représentants des

communautés locales, qui, originaires ou non du lieu, contribuent à façonner une mémoire

régionale du judaïsme.

Les protestants ou la région spiritualisée

La prise en compte régionale du passé protestant a peu à voir avec le processus

précédemment décrit . L'explication de cette différence tient à l'histoire locale des deux

groupes. Alors que les juifs du Midi, surtout à l'Est, ont largement, dès la Révolution,

déserté leurs villes d'origine , les protestants cévenols sont restés plus longtemps attachés à

la terre aricestrale. Ainsi, la transmission de la mémoire du groupe en un lieu spécifique,

précieusement conservée chez les seconds, s'est plus difficilement maintenue chez les

premiers. Ne serait-ce que parce que la chance d'y trouver ce que Mistral appelait des

"mainteneurs", sans être nulle, on l'a vu avec Albert Lunel, s'en est trouvée réduite. Le

travail d'appropriation du lieu par le groupe s'est donc fait avec à peu près un siècle de

décalage entre les deux communautés.

Car, sans oublier l'œuvre d'Antoine Court au XVIIIe siècle129, c'est au début du XIXe

siècle, avec l'œuvre de Napoléon Peyrat, que la guerre des Camisards se constitue en épopée

cévenole. Epopée à laquelle Michelet donne une dimension nationale. A partir de cette

période, se développe le culte du souvenir du passé camisard, retracé par Philippe Joutard. A

ce culte , l'histoire participe et "camisardise" pour reprendre les termes de Ph. Joutard, les

Cévennes. Les montagnes, avec leurs hauts-lieux de mémoire, leurs habitants et leur

127 Extraits d'un article de M. Godbarge, paru dans La Gazette de Biarritz et cité dans le compte rendu de la Séance de la Société des Sciences, des Arts....de Bayonne, in Bulletin trimestriel, n°l-2,1922, P. 186 128 voir plus haut.

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Rapport Mémoires juive et protestante

religion constituent cette unité camisarde qui marque la région. Les institutions protestantes

contribuent largement à ce mouvement en multipliant les commémorations des dates

importantes de leur histoire dans les lieux où se déroulèrent la guerre des Camisards.

Comme si après avoir intellectuellement réapproprié cet épisode dans leur histoire, il restait

à procéder à une réappropriation physique, celle des lieux, devenant hauts-lieux et lieux de

mémoire. Ainsi, très symboliquement, la première assemblée générale de la Société

d'Histoire du Protestantisme français qui se tient en province choisit Nîmes comme lieu de

congrès. En visitant la Tour de Constance et le Mas Soubeyran, l'assemblée les constitue en

lieux de mémoire officiels du protestantisme français. Pareil état d'esprit anime en 1885 la

commémoration de la Révocation de l'Edit de Nantes à Saint-Martin de Tousque, où l'on

chanta pour la première fois la Cévenole, qui devint par la suite, une sorte d'hymne officiel

du protestantisme français; et celle de 1887 qui célébrait le centenaire de l'Edit de Tolérance

au Plan de Fontmort, haut lieu des combats camisards. Ainsi, les Cévennes deviennent le

lieu privilégié d'une inscription territoriale du protestantisme français. Mais ce processus est

assez loin de l'intention régionaliste, au sens où on l'on entendait à l'époque. D en est même

le contraire, puisqu'il inscrit en un lieu donné une histoire aux dimensions plus larges,

nationales, voire plus. En ce sens, le Musée du Désert ne doit rien à l'esprit régionaliste.

Toutefois, la "camisardisation" du pays cévenol dépasse rapidement le cadre religieux et

mémoriel, pour s'ouvrir sur des horizons plus larges...et plus profanes. C'est en effet au sein

du milieu protestant local que naît la volonté d'utiliser cette histoire particulière pour la mise

en valeur touristique de la région. Une telle initiative est par exemple l'œuvre du pasteur,

Paul Amal, fondateur du Club Cévenol qui voyait dans le tourisme "le salut du pays130".

Dès 1894, J. Porcher publie "Le pays des Camisards " dans une collection de guide

touristique. Et c'est aussi cette image que popularise Henri Bolland, directeur du service

voyage du Touring Club de France et président du Club Cévenol avant la guerre de 14-18,

assurant un des premiers la promotion touristique de la région131. Si l'assimilation entre

Cévennes et passé camisard entre dans les mœurs touristiques dès l'orée du XXe siècle, elle

n'est toutefois guère reprise en compte dans les musées des villes des plaines alentours. Le

Musée du Vieux Nîmes n'est guère sensible à cet héritage. Et si la salle d'entrée du musée

129 La généalogie exacte du mouvement devrait remonter au 18° siècle, lorsque le pasteur Antoine Court entreprend d'écrire la guerre des Camisards. Ainsi, s'est perpétuée dans les Cévennes une mémoire à la fois populaire et savante des faits marquants de l'histoire protestante locale. 130 Pierre Poujol, La cévenne protestante et sa plaine méridionale; Tome IV, Silhouettes de pasteurs et de laïques. Tome publié par l'auteur, Paris, 1966.

78

Rapport Mémoires juive et protestante

des Beaux-Arts de Montpellier, le musée Fabre, s'ouvre sur un tableau au thème

éminemment protestant (Les prisonnières huguenotes de la tour de constance du peintre

Max Leenhardt), ceci ne doit rien à une reconnaissance du protestantisme régional, mais

semble -t-il à la taille du tableau, difficile à "caser" ailleurs que dans le hall. Ainsi, tandis

que les montagnes cévenoles se donnent à voir comme lieu de mémoire et de ressourcement

protestant, les inscrivant dans une histoire au cadre plus vaste, dans un mouvement qui n'a

rien de régionaliste, les plaines tournent le dos à cet héritage. Occupés à célébrer la cévenne

camisarde, les protestants du lieu n'ont guère cherché à révéler la part huguenote des villes,

pourtant partie importante de leur histoire. Lieu de rencontre privilégié et parfois conflictuel,

comme souvent dans le passé, entre catholiques et protestants, les cités languedociennes

puisent ailleurs leurs références: la Rome antique, ou la Provence mistralienne pour Nîmes,

l'Université pour Montpellier. Seule échappe à cette distinction plaine-montagne, la Tour de

Constance à Aiguës Mortes. Utilisée comme cachot depuis le Moyen Age, la tour, investie

par la mémoire protestante doit son nom aux prisonnières huguenotes emprisonnées dans ses

flancs. Ainsi, la mémoire de la résistance protestante se mêle t-elle dans la ville aux

réminiscences de la dernière croisade et au folklore camarguais.

Enfin, hors des Cévennes, la mémoire protestante n'est guère prise en compte dans les

initiatives museales. Dans des région comme le Tarn ou le Béarn, où la religion réformée

s'est développée au XVIe siècle, bien peu de choses témoignent de ce passé, du moins

jusqu'à une date récente.

Si le mouvement régionaliste a, même par exception, pris en compte la mémoire de la

présence juive, il ne semble guère s'être intéressé de la même manière aux protestants. On

peut avancer différentes explications, qui loin de s'exclure, doivent se combiner pour

comprendre un tel état de fait. La mémoire protestante s'est peut être cristallisée dans les

Cévennes, faisant de celle-ci le symbole de la présence huguenote du Sud de la France. Peut

être aussi a t-il manqué, en dehors de cette zone, des initiatives comparables à celles qui ont

donné le jour au Musée Basque ou celui de Cavaillon. Peut être encore faut-il rappeler le

rôle des élites protestantes de la Troisième République, si fort attachées à l'idée jacobine

républicaine...

131 Daniel Travier, "La vallée des Camisards, D'Anduze à Saint Jean du Gard" in Itinéraires protestants du XVIo au XXo

siècle, sous la direction de Philippe Joutard, Presses du Languedoc, Montpellier, 1998.

79

Rapport Mémoires juive et protestante

*

B. Après la seconde Guerre mondiale

A partir des années soixante, on assiste, on le sait, à un renouveau de l'idée régionale.

Anne-Marie Thiesse souligne avec justesse la différence entre ce mouvement et celui qui est

apparu un siècle plus tôt. Si le premier insistait au fond sur l'unité nationale, le second est

plus particulariste et s'appuie sur une affirmation des identités multiples, mouvement qui

loin d'être singulier, est propre à toutes les démocraties occidentales. Le premier tendait, à

travers l'évocation de la diversité, à exalter l'unité du pays, tandis que le second cherche au

contraire à mettre en valeur ce que l'histoire nationale telle qu'elle s'est construite depuis le

XIXe siècle, a gommé, tenu dans l'oubli. Affirmation identitaire, réévaluation du passé,

réécriture de l'histoire, tout tend à donner un rôle plus marqué aux minorités. Ce mouvement

de fragmentation de la mémoire qu'illustre le régionalisme deuxième manière s'accompagne

de la perception aiguë d'un monde en train de se perdre. La fièvre mémorialé s'empare du

pays132 englobant dans son mouvement les revendications identitaires.

Dans ce contexte général, des éléments nouveaux apparaissent après guerre qui ont

largement contribué à façonner la mémoire.régionale de la présence juive et protestante

d'aujourd'hui. Ce sont tout d'abord, les conséquences locales de grands mouvements

historiques. Pour les juifs, par exemple, deux faits de ce type sont à isoler. Le premier est

l'épisode de la Seconde Guerre mondiale, à l'origine d'images contrastées. Le sud de la

France peut être ainsi associé à l'idée de refuge. Car, à part la région océane, il a été pendant

ces années une terre d'asile - plus ou moins assuré - pour nombre de familles juives, activant

l'image déjà en cours d'un midi plus accueillant . Mais le sud est aussi pour la mémoire

juive l'évocation de ces camps dans lesquels le gouvernement de la Troisième République

avaient reçu- fort mal - les républicains espagnols avant que Vichy n'y interne les juifs de la

région, faisant d'eux de véritables antichambres de la mort. Et en même temps, c'est dans

cette zone que se sont constitués les seuls maquis juifs de la guerre, dans le Tarn et qu'ont

opéré les organisations de sauvetage des enfants et des familles qui, parties de Toulouse ou

d'autres points de la région, traversaient les Pyrénées. Toute une histoire des juifs s'inscrit là,

à la fois douloureuse et chaleureuse, qui réémerge aujourd'hui dans la conscience des acteurs

et trouve souvent un appui parmi les responsables locaux. L'autre phénomène qui modifie

132 Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, ?????

80

Rapport Mémoires juive et protestante

l'inscription de la mémoire juive dans la région, est l'installation en nombre dans la région de

juifs d'Afrique du Nord, qui en faisant revivre les vieilles communautés souvent anéanties

depuis la fin du Moyen Age, deviennent les acteurs primordiaux de cette entreprise.

Pour comprendre les transformations de l'idée régionale, on aussi doit prendre en

compte les mouvements idéologiques qui ont traversé la région. Dans le Midi de la France,

par exemple, la revendication occitane qui atteint son apogée populaire dans les années

soixante-dix, joue un rôle non négligeable dans la réévaluation du rôle des minorités, surtout

si elles ont été en butte au pouvoir central. Déjà au début du XXe siècle, Paul Dévoluy

insérait les Camisards, qui toutefois priaient en français, dans le combat occitan. Une sorte

de généalogie spirituelle s'est esquissée qui, des Cathares aux Camisards, raconte le combat

du Midi contre le Nord de la France, réécrit une autre histoire de France, dépassant le cadre

politique façonné par l'état français pour définir celui d'un Sud occitan, débordant sur les

pays voisins, (Espagne, Italie). Le mouvement occitan, né avant la Seconde Guerre

mondiale, nourrit après celle-ci des recherches erudites comme celle de Lafont, devient un

fort courant intellectuel et politique dans les années soixante et soixante-dix. Partant à la

découverte'de ses racines, mais aussi cherchant à donner une image du Midi occitan plus

ouvert, plus tolérant vis à vis d'un Nord pourfendeur des particularités locales, il fait une

large part aux minorités victimes de l'absolutisme du royaume français: Cathares,

Camisards, mais aussi juifs, qui soit ont pu se maintenir, dans les Etats du pape, soit on

trouvé accueil dans le Sud-Ouest, en formant les Communautés marranes. Ainsi se forge

l'image de la tolérance occitane face à l'intolérance septentrionale. Sur les traces de Mistral,

mais animé d'autres objectifs, les occitanistes font une place à la culture judéo-provençale.

Ainsi, l'Histoire de la littérature occitane de C.H. Camproux1 4, présente-elle la tragédie

d'Esther écrite au XVIIIe siècle par les deux rabbins comtadins, dont un exemplaire se

trouve, on l'a vu, au Muséon Arlaten parmi les œuvres occitanes. Le mouvement occitan,

aujourd'hui déclinant, a toutefois laissé des traces. L'une des plus évidentes à qui traverse la

région (mais qui nous éloigne de notre sujet) est la prise en compte touristique du passé

cathare et une autre, moins spectaculaire, mais plus fondamentale en ce qui nous concerne,

est l'élan donné aux études savantes sur le Moyen Age juif dans la région 135 Si les occitans

133 Voir par exemple, Cévennes, terre de refuge, 1940-1944, Textes et documents rassemblés par Philippe Joutard, Jacques Poujol et Patrick Cabanel, Presses du Languedoc, Montpellier, 1998, et n° spécial de juillet-octobre 1992,des Annales du Midi, paru sous la direction de Jean Estèbe: Les juifs dans le Midi toulousain pendant la Seconde Guerre mondiale, état de la question, 134 Charles Camproux, Histoire de la littérature occitane, Payot, Paris, 1953. 135 Voir les travaux de Moulinas sur les juifs d'Avignon; ceux de Nahon; et ceux de G. Passerai.

81

Rapport Mémoires juive et protestante

revendiquent volontiers les camisards dans leur Panthéon, les descendants de ceux-ci sont

restés plus réservés à l'égard du mouvement. Non seulement parce qu'ils parlent français et

prient dans cette langue depuis longtemps, mais comme l'explique le fondateur du Musée

des Vallées Cévenoles :

L'occitan n'est pas entré dans la revendication cévenole comme on l'a vu dans d'autres régions...Le protestant cévenol est et a été républicain, a adhéré à la République. Donc, pour lui, exacerber des particularismes régionaux ou indépendantistes cévenols...Et alors , ce qui était d'autant plus remarquable, c'est la façon dont les cévenols ont été choqués dans les grandes années du mouvement occitan qui a mis des inscriptions un peu partout. m

Au sein de ce mouvement identitaire, il faut faire une place particulière à la

multiplication des études savantes qui patiemment recensent et analysent laissées par les

différentes minorités dans la région concernée. Pour les juifs, il faut encore une fois

souligner le rôle moteur de l'équipe de Bernard Blumenkranz. Très symptomatiquement, les

premiers numéros des Archives juives font une large place à l'inventaire de ces traces, avec

la recension minutieuse d'objets détenus par les musées, de monuments peu connus et

lancent un appel à la recherche écrite sur les minorités juives dispersées dans l'espace

français. De là, date cet élan donné aux monographies locales qui allaient trouver un premier

aboutissement dans l'ouvrage de B. Blumenkranz sur les juifs de France137.

Tous ces courants, affirmation identitaire, fièvre mémoriale, occitanisme, aboutissent

non seulement à multiplier les créations muséographiques, destinées à porter témoignage de

ces mémoires et histoires particulières, mais aussi à entraîner dans leur sillage les autorités

politiques. Car à ce jeu idéologique complexe vont s'ajouter à partir des années quatre-vingt,

les conséquences en termes touristiques et museales de la régionalisation politique.

La Valorisation des minorités comme la marque du régionalisme

d'aujourd'hui

Dans un contexte économique local où le tourisme joue un rôle déterminant, celui-ci

s'affirme de plus en plus soucieux de faire une large part à la mémoire des divers groupes

qui ont constitué l'histoire locale. Il faut y voir non seulement l'écho des mouvements

idéologiques évoqués précédemment, mais aussi la volonté commune à tout professionnel

de cette branche d'activité de trouver quelque chose de différent, de "typique", propre à

différencier tel lieu d'un autre. Le fait minoritaire comme "accroche" touristique, il suffit,

dans les Cévennes, d'activer un tourniquet de cartes postales pour comprendre l'enjeu que

136 Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard. ' 137 B. Blumenkranz (sous la direction de). Histoire des Juifs de France, Privat, Toulouse, 1972.

82

Rapport Mémoires juive et protestante

représente aujourd'hui le passé camisard de la région. Le sévère musée du Désert, dont les

fondements sont pourtant éloignés d'esprit régionaliste, est bien obligé de composer avec

cette lame de fond. Il est intégré par exemple dans l'Ecomusée de la Cévenne. Trois

exemples peuvent illustrer la prise en compte récente et quasiment obligatoire du passé

minoritaire dans la mémoire locale: la création et l'évolution du Musée des vallées

cévenoles à Saint-jean du Gard, l'évolution du musée de Carpentras et celle d'un petit musée

local, celui de Lacaune.

Le Musée des vallées cévenoles

Tous les éléments constitutifs du régionalisme contemporain se trouvent plus ou moins

à l'œuvre dans la naissance et l'évolution du Musée de Saint-Jean-du-Gard. "Camisardisées"

depuis trois quarts de siècle, les Cévennes sont traversées dans les années cinquante et

soixante par les grands bouleversements, démographiques et économiques qui affectent la

région. Car, alors que l'exode rural continue sur sa lancée, les villages renaissent avec

l'arrivée de résidents secondaires, voire de néo-ruraux. La création des musées régionaux

répond d'une certaine manière à cette situation, le tourisme permettant de donner à voir une

culture en voie d'épuisement. La fondation dû Parc national en 1970, avec la mise en place

progressive de l'Ecomusée de la Cévenne138, a pour but la mise en valeur touristique de la

région, mise en valeur reposant sur ses attraits naturel et sa forte personnalité historique et

"anthropologique".

Depuis son adolescence, Daniel Travier, fondateur du Musée des Vallées cévenoles et

issu d'une vieille famille protestante de la ville, a commencé un travail de collecte de

matériaux écrits et oraux se rapportant aux traditions de sa région. S'il cherchait d'abord à

assurer la transmission d'une culture en train de s'effacer, c'est aussi aux habitants des

résidences secondaires qu'est voué son travail : "On s'est dit qu'une exposition permettrait

aux enfants de ne pas avoir de rupture avec leurs racines et à ces gens qui viennent nous 1 TO

voir, d'avoir une petite formation qui leur permettrait aussi de rencontrer des gens ".

D'abord valorisée sous forme d'expositions, la collection devient musée au début des années

soixante-dix. Le chemin est long vers sa reconnaissance institutionnelle. Car le créateur du

musée refuse les codes muséographiques mis en place depuis la fin du siècle dernier qui,

138 Cet écomusée, dont font partie entre autres le Musée du Désert, celui du Vigan de même que le Musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard est une structure assez lâche, simplement destinée à assurer la promotion réciproque des musées. Elle dépend du Parc National des Cévennes qui accorde ainsi son label à un certain nombre de manifestations jugées sérieuses et dignes représentantes de la transmission de la culture cévenole 139 Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard.

83

Rapport Mémoires juive et protestante

après les avoir étiquetés, placent les objets dans des vitrines, hors de portée du public. Pour

Daniel Travier, ces objets, qu'il a collectés lui-même ou qu'on lui a donnés, sont d'une

certaine manière vivants :

Ces objets qu'on avait ramassés étaient avant tout les témoins de ceux qui les avaient fabriqués ou utilisés [...] et en plus leur appréhension ne peut se pas se faire rien que par la vue, ce n'est pas un tableau, ce n'est pas une sculpture. Un outil, si on ne touche pas le manche ou qu'on ne le manipule pas, on perd sa dimension première140. "

Encore aujourd'hui, où l'auteur a reconnu la nécessité de protéger certaines choses, le

musée privilégie cette approche et se caractérise par l'entassement des objets que le guide

manipule devant les visiteurs. Deux visions muséographiques s'affrontent qui renvoient

elles-mêmes à deux conceptions régionalistes. La première, venue du monde des érudits

locaux, se veut ethnologique et éducatrice; la seconde, venue d'un membre du groupe lui-

même, cherche d'abord à assurer une transmission et se veut moins savante, plus

spontaneiste. On peut rapprocher la démarche première manière de Daniel Travier de celle

d'un habitant d'une vallée voisine, Baptiste Numa. Ancien représentant de commerce, celui-

ci a constitué depuis vingt-cinq ans dans son garage un petit musée sur les traditions de la

région, sans souci de classement scientifique, mais au gré de ses découvertes, ouvert aux

touristes de passage et aux habitants de la région curieux de leur histoire. D considère que

l'identité protestante, " si elle perd de sa force religieuse, reste l'identité cévenole " :

Dans' protestant, il y a protester et les Cévenols continuent de protester. {...] Je défends l'identité cévenole plus que l'identité protestante, mais les deux sont liées. On proteste parce qu 'on est cévenol, c'est dans le sang.,41

La multiplication de ce type de démarche a quelque peu modifié l'attitude d'abord assez

condescendante des institutions, changement qu'illustre en particulier la mise en place de la

mission du patrimoine ethnologique. De même, les musées désirant perdurer et être pris en

compte par les organismes ad hoc ont dû accepter les normes muséographiques en vigueur:

J'ai pris conscience qu'il y a certaines choses qu'il faut protéger parce qu'elles sont uniques, parce que si on les perd, effectivement, la transmission ne se fera pas...Et puis je crois qu'eux aussi ont évolué, acceptant que les choses soient un peu plus ouvertes. I42.

Soutenu par la mairie de la ville, par certains universitaires (Philippe Joutard), lié dès sa

naissance au Parc national, le musée obtient peu à peu une reconnaissance d'abord locale,

jusqu'à faire les démarches pour obtenir le contrôle de la DMF. Créé par un protestant dans

le cœur du monde huguenot, le musée n'en est pas moins un musée de la culture cévenole. D

Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard. Entretien avec Baptiste NUMA, Fondateur d'un musée à Sainte-Croix Vallée Française Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard.

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Rapport Mémoires juive et protestante

est vrai que pour son fondateur, le protestantisme fait intrinsèquement partie de l'identité

régionale :

D'abord, la région, c'est les Cévennes au sens étroit du terme, et donc la partie protestante fait partie de cette identité régionale [...] Pour nous, les quatre vecteurs fondamentaux sont effectivement le protestantisme, la soie, le châtaignier et l'espace construit, c'est à dire un pays qui a été construit de mains d'hommes et entretenu en permanence. 143

Composante de l'identité régionale, la dimension protestante court en filigrane dans le

musée. Elle est présente explicitement dans les vitrines de l'entrée qui reconstituent les

moments-clés de l'histoire de la région, avec l'évocation de la Réforme et de la guerre des

Camisards. La reconstitution d'un intérieur paysan permet aussi de donner une idée " de la

piété quotidienne". Celle-ci apparaît par l'intermédiaire des actes de mariages et des

testaments, d'humbles objets de piété, et la Bible ouverte sur la table, qui rappelle le rituel de

la lecture familiale faite par le père. De même, la lutte des Camisards est évoquée par une

convocation à une assemblée clandestine, des lettres de Galériens. Mais le protestantisme se

perçoit aussi dans un " second niveau de lecture ", dans le commentaire que fait le guide de

certains objets : le châtaignier parce que " la châtaigneraie est le lieu privilégié des

assemblées; donc de la communauté proscrite et persécutée dans sa chair, que ce soit des

camisards ou même après des maquisards ". De la même manière, et illustrant l'idée que le

protestantisme est intimement mêlé à la vie quotidienne des gens des vallées cévenoles, le

commentaire révèle à celui qui n'avait su le découvrir par lui-même dans les objets exposés,

les liens étroits entre l'éthique réformée et l'économie locale :

Pareil au niveau de la soie. On a toujours un petit commentaire quant au mode économique, la pratique prônée par Olivier de Serre et par Calvin, expliquant que le Traité d'agriculture, on le retrouve dans presque toutes les familles cévenoles. Il y a aussi au niveau de l'organisation de la vie, du culte de famille, du respect des choses de Dieu et des bénédictions, celui qui aime Dieu est béni dans son travaill44

Ainsi, le mouvement né au XDCsiècle dans les milieux protestants, la "camisardisation

des Cévennes", trouve aujourd'hui un double aboutissement. Il imprègne complètement le

Musée des Vallées cévenoles, où l'identité régionale fait corps avec l'identité religieuse,

implicitement ou pas. Sur le plan muséographique, cette fusion interdit ce que l'on a trouvé

dans les musées ethnographiques de la Troisième République, à savoir des salles

exclusivement réservées aux rites et croyances. Au contraire, partout présents, ils peuvent se

lire dans chacun des objets présentés si on les rapporte à l'ensemble culturel dans lesquels ils

Entretien avec Daniel TRAVŒR, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard. Entretien avec Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard.

85

Rapport Mémoires juive et protestante

étaient utilisés. L'autre aboutissement est la reconnaissance politique récente d'une mémoire

cévenole et protestante. La chose n'est pas allée de soi, du fait de la laïcité proclamée des

institutions publiques - et de certains protestants eux-mêmes. Ainsi de la bataille rapportée

par Daniel Travier au sein du Conseil d'Administration de l'Ecomusée du Mont Lozère.

Invoquant le fait que s'agissant d'un établissement public, et que l'on ne doit évoquer " ni

idéologies ni religions ", les dirigeants de l'Ecomusée ont opposé quelque résistance à ceux

qui, tel Philippe Joutard, défendent au contraire l'idée que " dans ce pays, la culture, sa base,

son fondement, c'est la Réforme. Et donc le protestantisme est fondamental au niveau des

mentalités, de la société, etc. Donc, il faut en parler, on ne peut pas passer outre "145.

Message reçu quelques années plus tard, grâce au combat, mené par les partisans de

l'affirmation identitaire, mais aussi grâce à l'évolution générale de la société, plus attentive

aux minorités. Ainsi, alors qu'il venait de décider du projet du musée d'Art sacré à Pont

Saint Esprit, le Conseil Général du Gard envisage de financer " en contrepartie " des

institutions tournées vers le protestantisme. Dans ce cas, et nous y reviendrons le rôle des

acteurs communautaires n'est pas sans influence.

Ce Musée des vallées cévenoles est, nous semble t-il, assez emblématique des rapports

qu'entretiennent le régionalisme tel qu'il se présente aujourd'hui et les minorités religieuses

dans l'initiative muséale. Il ne sépare guère la religion de la vie quotidienne, la première

imprégnant la seconde, reflétant la démarche de son fondateur pour qui conviction

religieuse, amour de la région et travail muséographique forment un tout indissociable. Loin

des classifications savantes qui découpent une civilisation en différentes catégories, le

musée dans sa profusion et le mélange des objets cherche à restituer la cohérence d'un

monde dont tous les aspects (l'économie, la religion, la vie politique) sont intimement liés et

réagissent l'un sur l'autre. Par ailleurs, la lente reconnaissance du musée par les institutions

politiques et administratives de la région traduit cette sensibilisation croissante des

"politiques" aux minorités, sensibilisation qui va jusqu'à devenir une véritable politique

touristique, phénomène tout aussi sensible dans d'autres régions comme le Tarn.

Le Musée du vieux Lacaune

Le Musée du vieux Lacaune se situe dans un haut-lieu du protestantisme gascon, même

si, historiquement, la région ne peut guère soutenir la comparaison avec les Cévennes. Ce

n'est toutefois pas la référence à l'identité huguenote qui est à l'origine du projet. Comme

145 Entretien avec Daniel TRAVŒR, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard.

86

Rapport Mémoires juive et protestante

beaucoup de musées ethnographiques de la Troisième République, l'idée de sa fondation

repose sur une exposition de costumes de la région : "En fait, explique sa fondatrice, je suis

Narbonnaise d'origine et j'ai été frappée depuis que j'habite Lacaune par le fait que les cartes

postales étaient toujours axées sur le misérabilisme de ce pays. Or, il n'avait pas été toujours

été misérable, les costumes attestent de cela146." Peu à peu, avec l'aide de subventions de la

mairie et de dons privés très modestes, le musée s'est étoffé et a tenté de recréer quelques

aspects des temps passés: une cuisine, une salle de classe, une salle de la laine, principale

activité de la ville pendant longtemps. Bien que le protestantisme n'existe que de façon

résiduelle depuis la Révocation de 1685, et que, selon la fondatrice, catholique elle-même,

les descendants locaux des Huguenots n'aient guère gardé mémoire de leurs ancêtres, "pour

les protestants, nous avons commencé à faire quelque chose". Ce quelque chose réside en

une chronologie religieuse de la ville et quelques références à son passé huguenot : une

Bible de mariage, une première communiante et quelques coiffes portées par des notables

protestantes. Peu de choses, qu'il faut rapporter à la modestie de l'entreprise, à son projet de

présentation très générale de la région, mais aussi au souci de la directrice de ne pas

réanimer de vieilles déchirures' entre les familles. Toutefois, porté par le souci de présenter

le plus exactement possible l'histoire de la région qui rend l'évocation du protestantisme

local incontournable, celui-ci apparaît de façon implicite (dans la Bible) ou implicite (dans

les coiffes). A ce souci historique, s'ajoute la demande des usagers elle-même. Quoique

modeste, le musée attire quelque milliers de visiteurs par an. Alors qu'il était initialement

conçu pour les gens du pays, en particulier les jeunes, ce sont surtout des étrangers à la

région qui en franchissent le seuil. Et parmi eux, des représentants de la diaspora huguenote

locale, d'Allemagne ou de Hollande, venus dans la région pour établir leur généalogie et

intéressés par l'évocation du passé de leurs ancêtres. Cette demande spécifique a donc

infléchi le contenu du musée qui en 1998 a proposé une exposition sur l'Edit de Nantes.

L'exemple de Lacaune montre l'importance de la demande touristique, elle-même issue du

mouvement identitaire contemporain et l'écho que reçoit cette demande par les acteurs de

l'institution muséographique147.

146 Entretien avec Andrée-Laurence ROUBEAU, Fondatrice du Musée du vieux Lacaune. 147 La curiosité envers le catharisme, en partie nourrie par la politique touristique locale qui en a fait un de ses piliers locaux, provoque la même attitude: "Les gens, l'été, nous posent beaucoup de questions sur le catharisme, alors on a fait un petit texte..."

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Rapport Mémoires juive et protestante

L'infléchissement des musées juifs comtadins

Enfin, le dernier exemple de la reconnaissance publique du rôle des minorités

religieuses peut être celui de la région comtadine. Comme dans les Cévennes, mais toutefois

sur un mode mineur, on pourrait dire que cette région est aujourd'hui marquée par le passé

judéo-provençal.. A partir des synagogues et du Musée Comtadin de Cavaillon, de leur

valorisation et du dynamisme des acteurs, se construit la part juive de la région, définie par

le texte de la présentation des musées de Cavaillon comme "une séquence essentielle,

originale, en perpétuel devenir de l'identité provençale". Loin d'être fossilisé dans un passé

révolu, le judaïsme local est évoqué dans sa continuité, depuis l'Ancien Régime jusqu'à nos

jours, part entière de l'histoire et de la mémoire locale. Tel est du moins ce qui est donné à

voir dans trois films commandités par le Conservatoire départemental des musées et du

patrimoine de Cavaillon: La synagogue de Carpentras, l'histoire des Juifs d'Avignon et du

Comtat Venaissin, La synagogue de Cavaillon, vision d'une architecture et d'un décor du

18° siècle, La synagogue d'Avignon, la liturgie d'aujourd'hui dans une architecture du 19°

siècle.us A travers ces trois évocations, des liens sont tissés entre les Judéo-comtadins, chers

à Lunel et les Sépharades arrivés dans les années soixante, pour affirmer la continuité de la

présence juive dans la région. Dans la même veine, les musées comtadins ont contribué à

publier en. 1992, à l'occasion du centenaire de la naissance de Darius Milhaud, un livre pour

enfant: Samuel et Rébecca, écrit par Marie Savornin, retraçant la vie des Juifs de la région

au moyen de dialogues entre une petite fille descendante de ceux-ci et ses grands-parents. La

valorisation touristique du passé judéo-comtadin est réalisée par la réalisation d'un itinéraire

du Patrimoine qui chemine par les différentes synagogues de la région. Ainsi est-on passé de

la non-reconnaissance des monuments et de la population des Judéo-comtadins à leur

inscription dans le patrimoine régional et peut-on dire à leur utilisation dans le tourisme

local.

Avec la reconnaissance du fait religieux minoritaire dans le régionalisme, on mesure

l'éloignement du modèle unitaire qui prévalait dans la période précédente. C'est un autre

paradigme qui s'affirme aujourd'hui, mettant l'accent sur les multiplicités de l'identité locale

et nationale. De même, non plus fondé sur l'objectivité du fondateur et du visiteur que

postule tout projet à base ethnographique, il table sur l'émotion, la mémoire collective,

familiale et individuelle. Pour cela, ces musées cherchent moins à donner à voir avec ce que

cette ambition suppose de distance, ou à réfléchir, mais à transmettre et à permettre le

88

Rapport Mémoires juive et protestante

ressourcement de l'identité. L'entassement des objets, le recours à la fiction laissent une

grande part d'initiative au visiteur, la possibilité pour lui de faire entrer cette histoire dans la

sienne. Aux visées pédagogiques d'antan, succèdent des musées-miroirs où le touriste

curieux peut découvrir une partie de lui-même.

La part des acteurs communautaires

Dans le climat d'affirmation identitaire qui marque la fin du XXo siècle, il n'est pas

surprenant de voir les acteurs communautaires jouer un rôle accru dans l'affirmation

régionale. L'exemple encore une fois du Musée des Vallées cévenoles vient à l'esprit. C'est

en temps que protestant, descendant d'une longue lignée importante dans l'histoire locale que

Daniel Travier a entrepris son œuvre et il revendique hautement son appartenance, ce qu'il

appelle un "discours très protestant". Cette affirmation se mesure aussi dans l'épisode déjà

cité qui a entouré la naissance du Musée d'art sacré à Pont Saint-Esprit, épisode au cours

duquel certains conseillers protestants ont fait entendre leur voix es qualité. Cette

revendication tranche avec le-comportement des vieilles familles protestantes comme la

famille Carbonnier, qui refuse les subventions publiques pour le Musée du Désert. Ou

encore, selon Travier, par le Président du Conseil général lui-même, empreint du même

esprit républicain. Ainsi, la répugnance à mêler affaires religieuses et affaires publiques qui

caractérisaient les protestants, tend parfois à s'estomper. Parce que l'air du temps le permet,

les nouvelles générations sont plus interventionnistes sur le plan public, en mettant en avant

leur identité, bien sûr. Ainsi,.alors qu'au cours du XIXe et pendant une bonne partie du XXe

siècles, les Cévennes deviennent le lieu emblématique du protestantisme français - c'est ce

qu'illustre le Musée du Désert -, dans le dernier tiers de notre siècle, le mouvement dépasse

le cadre communautaire pour être accepté par les autres instances (politiques et

économiques). Dernier avatar de la camisardisation, la version administrative et touristique

de ce phénomène est l'insertion des musées protestants dans la mise en valeur touristique de

la région. Les musées se lient les uns aux autres, selon des modalités plus ou moins

formelles, pour dessiner des itinéraires dans les régions concernées. Dans les Cévennes,

l'Ecomusée relie le musée des Vallées cévenoles, celui de la soie à Saint-Hippolyte du Fort,

le musée du Vigan, et le musée du Désert, retraçant l'histoire de la région, depuis la

spiritualité jusqu'aux activités agricoles et industrielles, histoire intimement mêlée à celle

148 Films de Jacques Malaterre, scénario de Sylvie Grange et Jacques Malaterre.

89

Rapport Mémoires Juive et protestante

des protestants. De même, la mise en valeur du protestantisme gascon et aquitain depuis les

années soixante par les responsables du protestantisme français, tout en se voulant œuvre de

mémoire et de ressourcement, s'intègre dans une dynamique régionale touristique. Le musée

de Ferneres dans le Tarn joue cette carte. Intégré dans la complexe touristique du Sidobre

- le musée est membre du syndicat d'initiative - il travaille avec tous les musées alentours,

dont il assure la promotion en distribuant les documents de présentation. Le musée s'est

même doté d'une buvette, fort utile pour les randonneurs, d'après la responsable.

Dans les lieux marqués par l'histoire juive, se dessine aussi la volonté d'un ancrage dans •

la mémoire régionale, même si l'on peut distinguer des nuances selon les régions et les

personnalités. Ainsi, le mouvement de valorisation du passé juif de la région comtadine ne

semble pas être porté au crédit des communautés locales, formées de juifs d'Afrique du

Nord, plus soucieuses d'utiliser les locaux que d'en assurer la promotion. Cependant, la

naissance récente d'une Association culturelle des juifs du Pape, dont le siège officiel est au

Musée de Cavaillon illustre peut être une conscience nouvelle du passé par les acteurs,

mieux illustrée par l'exemple de Montpellier. Dans cette ville, la communauté juive est loin

d'être négligeable. L'un des responsables communautaires, par ailleurs Président du Syndicat

d'Initiative locale s'appuyant d'une part sur les travaux et la garantie scientifique des Iancu et

d'autre part sur la bonne volonté du Maire, Georges Freche, a mis en valeur le passé juif de

la ville, pourtant laissé à l'état de traces. Un itinéraire juif a été mis en place à travers la ville

qui permet au touriste de parcourir le passé juif médiéval de la ville et fait du bain rituel, le

mikvé, un haut-lieu du tourisme local. L'initiative, au contraire de l'exemple vauclusien

provient de la communauté, émanant d'un représentant de la migration juive en provenance

d'Afrique du Nord.

La part des acteurs communautaires commence donc à jouer un rôle de plus en plus

grand dans la définition et la mise en valeur de l'identité régionale. Originaires ou non des

lieux, ceux-ci entendent entrer dans l'histoire locale, avec leurs particularités. On mesure le

changement par rapport au siècle passé. A la volonté de gommer les différences, s'affirme au

contraire celle de les mettre en avant dans une vision renouvelée de l'identité régionale et

nationale, évoquant plutôt la mosaïque que le creuset.

Le régionalisme dans l'histoire nationale et son dépassement

Ce qui se joue à travers la mise en valeur de la présence juive et protestante dans les

musées locaux, c'est bien en effet une nouvelle définition de l'histoire et de la nation. Les

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Rapport Mémoires juive et protestante

deux groupes, non plus réduits aux aspects rituels que commandent leur culte respectif, mais

présentés comme des cultures (au sens anthropologique) et des histoires font ainsi par le

biais régional, leur entrée dans l'histoire nationale. Celle-ci n'étant plus vécue comme un

long cheminement vers une unité voulue et sacralisée, mais au contraire l'imbrication de

mondes à la fois singuliers et mêlés les uns aux autres.

L'exemple de l'évolution du musée de Bayonne illustre cette tendance149. Commémorant

le cinquième centenaire du décret d'expulsion des juifs d'Espagne, qui se sont en partie

réfugiés en Aquitaine, l'exposition a permis de présenter les collections du musée dans une

problématique renouvelée. Celle-ci doit beaucoup aux travaux savants, en particulier ceux

de Gérard Nahon, spécialiste de la question et rédacteur de l'avant-propos de l'ouvrage tiré

de l'exposition. Dans ce dernier, comme le commande le sens de l'exposition lui-même,

l'aspect historique prime, fondé sur le rappel de l'exil et de l'installation de la communauté

dans la région. A côté des aspects religieux et communautaires, l'exposition met en valeur

l'inscription sociale et politique des juifs dans la vie locale. Ainsi est commenté un curieux

tableau, illustrant les fêtes de la pan-perruque, les festivités organisées par la nation juive de

Saint-esprit -Lès Bayonne, pour la naissance du Dauphin en 1781. et au cours de laquelle la

"suffisance 'nationale' des juifs de Saint-Esprit y trouve sa défense et son illustration en

couleurs au milieu d'un Bain de foule150". De ces notables d'Ancien Régime au général du

XXe siècle, en passant par ceux du XIXe, s'affirme la continuité non seulement d'une

religion, mais d'une communauté ancrée dans la région. Leur rôle dans l'économie locale

comme marchands ou dans la politique (comme le maire Furtado, descendant d'Abraham

Furtado, président de l'Assemblée des Notables convoquée en 1806 par Napoléon) est

soigneusement mis en valeur.

L'autre particularité de ce régionalisme est de restituer les communautés concernées

dans leur contexte diasporique. Car ce régionalisme nouvelle manière, au lieu de renvoyer

comme un miroir au national, comme le faisait le projet de la Troisième République, tend

aujourd'hui à le dépasser. L'exposition de Bayonne en 1992 en est un bon exemple, mais on

trouve la même ambition du côté protestant. Dans le Musée des Vallées cévenoles, l'aspect

diasporique est présent à la fois à dans les objets présentés les musées et la fréquentation

qu'ils suscitent. Le cadre régional craque pour s'ouvrir sur des horizons plus vastes, signifiés

149 Le musée étant en pleine rénovation, on s'est appuyé sur l'exposition consacrée aux Juifs de Bayonne, en 1992. Voir à ce sujet: Catalogue de l'exposition, Ville de Bayonne, 1992. 150 Gérard Nahon, "Saint-Esprit-Lès Bayonne, de la 'Nation judaïque ou portugaise' au Consistoire israélite?", in Catalogue de l'exposition, op. cit.

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Rapport Mémoires juive et protestante

par les liens économiques que tissaient les protestants, (vers la Hollande, par exemple) ou

par ceux que l'exil a créés . Et, par ailleurs, on l'a vu pour dans le cas du musée de Lacaune,

mais on pourrait multiplier les exemples, ces institutions sont fréquentées par des

descendants des huguenots locaux, Hollandais ou Allemands, très demandeurs de ce type de

musée. Par ce biais, le musée local devient un lieu de ressourcement diasporique. Cette

tension répond aussi au changement de public parcourant les musées. Ceux de la Troisième

République s'adressaient essentiellement à un public français. Ceux d'aujourd'hui, compte

tenu de la place qu'occupe le tourisme en France, dépassent les cadres de l'hexagone. Le

Midi de la France est devenu depuis les années soixante un point particulièrement attractif

pour les Hollandais, Allemands, Anglais. L'histoire des Huguenots du Tarn ou des Cévennes

peut aussi faire partie de la leur, soit qu'ils descendent d'une des familles chassées du

royaume très-chrétien, soit qu'ils s'en sentent proches par les liens religieux. De la même

manière, les musées juifs recoivent-ils des visites de coreligionnaires de tous pays: peut-on

inclure dans ce cas précis celle de l'Ambassadeur d'Israël à Carpentras en 1955151 ?. Et le

livre édité par les Musées de Cavaillon fut publié dès l'origine en français, allemand et

italien.

Conclusion

Le régionalisme nouvelle manière, celui que nous vivons, se montre plus favorable aux

minorités confessionnelles, puisqu'il leur donne une place de choix, en certaines régions

qu'elles ont marquées de leur influence; jusqu'à en faire même un instrument de leur

politique touristique. Cette mise en valeur est soutenue, voire portée par les membres du

groupe eux-mêmes. Cette ouverture au minoritaire détruit l'articulation, l'emboîtement entre

le national et le local qui prévalait jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Cette désarticulation

ouvre sur des horizons plus larges, celui des minorités elles-mêmes, diasporiques en leur

essence. L'ouverture du local sur le monde est non seulement commandé par l'histoire des

groupes, mais aussi par la nature de plus en plus cosmopolite des usagers des musées, signe

patent d'un tourisme de plus en plus mondialisé. Face à un tel public, la fonction de

pédagogie du national des institutions ne se justifie plus guère. Les musées locaux

d'aujourd'hui, en intégrant la chose minoritaire tablent plutôt sur l'émotion, née du

ressourcement.

1 G. Brun, Les Juifs du Pape à Carpentras, Le Nombre d'or, 1975.

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Rapport Mémoires juive et protestante

IV. L'ouverture vers le national

et l'universel

Protestantisme et judaïsme ont pu être englobés dans des réalités régionales, quand

même ils ne les résument pas, comme dans la symbiose entre protestantisme et identité

cévenole. Cela représente une forme d'intégration, ou de réintégration, riche en dividendes

symboliques pour des minorités jadis interdites ou tenues en marge. Le musée, dès lors, dont

l'on pouvait croire que son rôle se limiterait à celui d'un miroir ou d'un marqueur d'identité,

sert à montrer les passerelles et les confluences qui réinstallent l'ancien ghetto ou Désert

quasiment au coeur de la cité. Il en va pareillement, et même de manière plus nette encore,

dans les rapports que certains musées peuvent entretenir avec l'échelon national, voire

l'universel. Plus de miroir communautaire ici, mais une étape sur la grande route d'une

histoire deportee nationale ou "plus large encore: une métonymie de cette histoire, dont les

réprouvés d'avant-hier deviennent des pionniers. Une partie décisive du sort de tous se serait

donc jouée dans le destin difficile, mais significatif, mais éclairant, d'une poignée de

marginaux pu réprouvés. La minorité devient alors avant-garde, avec le double profit

symbolique de l'intégration, et de l'antériorité, ou de l'annonce. Les visiteurs extérieurs à la

communauté vont-ils percevoir cette leçon ? On ne sait trop, pour n'avoir pas de véritable

enquête portant sur les visiteurs catholiques de ces musées. Une chose n'est pas moins sûre:

les « communautaires », eux, vont apprendre à sortir de leur histoire, de la manière la plus

gratifiante — par le haut —, avec ce mélange de compassion pour le destin des leurs dans le

passé, et de fierté pour la fidélité affichée dans ce même destin, et pour la portée universelle

de ce que ces pères ont annoncé et apporté à la nation ou à l'humanité, quand bien même ils

n'ont pas été reconnus d'abord.

A. Israélitisme et huguenotisme : une relecture de l'histoire

Ce retournement du stigmate en signe d'élection est l'une des ruses de l'histoire les

plus familières: il fonctionne à plein dans le cas des protestants et des juifs français.

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Rapport Mémoires juive et protestante

L'origine en est sans doute à chercher dans la Révolution française, qui donne aux deux

minorités la pleine citoyenneté: ce privilège inouï, dont il faut tenter de percevoir la

nouveauté radicale, scandaleuse aux yeux de beaucoup de contemporains, a incité des

intellectuels protestants et juifs à trouver dans la théologie, l'ecclésiologie, l'histoire de leurs

minorités, des raisons susceptibles de le légitimer. Commentant l'édit de tolérance (1787),

qui accordait aux protestants reconnaissance et état-civil, à défaut du culte public, le pasteur

Rabaut-Saint-Étienne, futur président de la Constituante, écrit ainsi: « Bien des gens, de

l'opinion desquels je fais grand cas, pensent que le protestantisme influera sur les opinions

morales; que ces principes de liberté dont on nous accuse, n'étant que l'élévation d'esprits

dégagés de préjugés, ces principes exposés au profit de la chose publique seront adoptés, et

que les protestants s'attireront un genre de considération préférable à celle que donnent les

charges et les dignités. Déjà l'on nous accorde une supériorité morale et des opinions plus

saines; on sait que c'est chez nous qu'est le germe de toutes les vérités politiques et

économiques qui ont été publiées dans ces derniers temps; il fallait une occasion pour les

montrer, et en rentrant dans la nation au moment où elle se constitue pour devenir politique

et morale, nous nous y présentons d'une manière avantageuse ».

Ce que le pasteur prétend tirer des-principes mêmes de la Réforme, d'autres, historiens

de gauche, majoritairement non protestants — mais imbus de ce généreux anticléricalisme,

fondamental pour qui veut comprendre l'histoire intellectuelle du XLXe siècle français —,

n'ont pas tardé à l'emprunter à son histoire française — celle des protestantismes allemand

ou Scandinave n'aurait sans doute pas permis d'aboutir aux mêmes résultats. Avec Michelet,

avec Quinet, avec Napoléon Peyrat, leur talentueux épigone méridional, la Réforme et ses

tribulations sont comprises comme l'annonce faite à la France d'une liberté enfin

pleinement incarnée en 1789. L'oeuvre la plus significative, sans doute, est celle de Peyrat,

dont Paul Viallaneix a montré qu'il n'est pas qu'un disciple, mais aussi un inspirateur de

Michelet153. « L'histoire que l'on veut est l'histoire du peuple; le peuple monte, monte et

noie tout le reste. Montrez-nous la source de cet océan; votre sujet des camisards est

magnifique: une bande de montagnards qui luttent contre le grand roi pour la liberté de

pensée [...], c'est neuf, c'est vierge, c'est populaire. Les camisards quatre-vingt-dix ans plus

tard sont les révolutionnaires; là tout est peuple, soldats, chefs, intérêts154 », écrit le poète

152 « Lettre-rapport de Rabaut-Saint Etienne », Paul Rabaut, Ses lettres à divers, p. 406. 133 « Michelet, la Réforme et les réformés », Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français [B.S.H.P.F.], 1980/4, p. 496-499. 154 Journal de Peyrat, publié dans Les lettres françaises du 24 janvier 1952, p. 1 et 7.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Béranger, alors auréolé de gloire, au jeune provincial plein d'ombrages et d'orages, venu se

présenter à lui avec dans ses cartons l'histoire des cathares, ses « ancêtres par le sang », et

des camisards, ses « aïeux par la foi ». Peyrat s'exécute, publiant Les pasteurs du Désert, en

1842, puis Y Histoire des Albigeois (1870-1882). Ce ne sont pas des histoires séparées, telles

que pourrait les écrire un nationaliste, à la manière d'un Palacky, contemporaine de Peyrat,

dans la Bohème soumise aux Habsbourg depuis la défaite de la Montagne blanche (1620).

Ce sont des histoires régénératrices, proprement généalogiques: la France moderne, forte de

sa (re)naissance révolutionnaire, reconnaît ses pères dans les protestants, et jusque dans les

cathares. « La poussière des héros calvinistes et cathares forma les foudres de la France

républicaine. Leur mémoire servira de même à forger le tonnerre que l'esprit humain lancera

d'âge en âge contre Rome155 », écrit Peyrat à propos du salpêtre que les armées

révolutionnaires vinrent se procurer dans la grotte ariégeoise du Mas d'Azil, dans laquelle

seraient morts jadis de nombreux hérétiques. On vérifie à ce propos le rôle fondamental des

historiens du XIXe siècle dans la fabrication de la France: si une nation est d'abord un récit,

ils sont bien les pères de l'État-nation, non pas au sens jacobin d'une indivisibilité imposée

par le haut, mais au sens vraiment fédératif -— une fédération dans le temps — d'une

couture. Nul ne l'a mieux dit que le chartiste et romancier André Chamson, un des

intellectuels du Front Populaire, dans le premier discours qu'il a prononcé à l'assemblée

annuelle du Musée du Désert, en septembre 1935: « Certains qui peuvent garder la haine des

morts et des vaincus ont reproché à nos pères de s'être mis en dehors de la grandeur de la

France et de l'effort qu'elle poursuivait alors dans l'ordre de la civilisation humaine. Dans

certaines bouches, le mot de camisard reste une insulte. Qui pourrait se refuser cependant à

voir aujourd'hui que ces pâtres et ces bûcherons ont été les instituteurs de ceux qui les

persécutaient ! Depuis plus d'un siècle, notre histoire semble n'avoir été que l'élargissement

de l'héroïque protestation des montagnards des Cévennes. us ont ajouté un accent à ce

respect de l'homme pour l'homme sans lequel notre civilisation et toutes ses conquêtes et

toutes ses créations ne seraient jamais qu'une façade illusoire156 ».

Un travail tout à fait comparable de reconnaissance, au sens d'identification mais aussi

de gratitude, a bénéficié, au XIXe siècle, aux juifs de France: il est au coeur de l'expérience

135 «Le Capitaine Dusson, ou le siège du Mas d'Azil», B.S.H.P.F., 1857, repris dans L'Arise, romancero religieux, héroïque et pastoral des Pyrénées, Paris, Meyrueis, 1863, p. 343.

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Rapport Mémoires juive et protestante

si française de V israélitisme151. N'entendons pas par là le geste d'allègre allégeance,

maintenant bien connu, par lequel les juifs ont salué l'oeuvre de la Révolution puis de la

République158; mais ce travail d'histoire par lequel des historiens juifs, bientôt rejoints par

de non juifs, ont cru trouver dans l'histoire des Hébreux la lointaine mais lumineuse

annonciation de la démocratie moderne. Deux noms, aujourd'hui trop oubliés, doivent être

évoqués: celui du Montpelliérain Joseph Salvador (1796-1873), héritier de marranes

espagnols, auteur notamment de Paris, Rome, Jérusalem, ou la Question religieuse au XIXe

siècle (1860), et celui du Lorrain James Darmesteter (1849-1894), auteur des Prophètes

d'Israël (1892)159. Le premier a reconstitué ainsi la «généalogie des temps modernes»:

«Gutemberg ou l'imprimerie appelle Luther, la réforme; Luther appelle à son aide les

anciennes Écritures, le livre juif par excellence, la Bible. La Bible relève le nom de

l'Éternel, du principe des principes et le nom de la Loi; le nom de la Loi relève le nom

d'Israël, et celui-ci le nom de Peuple160 ». Chose remarquable, Napoléon Peyrat a salué lui

aussi le retour à la source judaïque dans la Réforme et la Révolution161. Ajoutons, sans

pouvoir y insister ici, qu'un historien des juifs, Isaïe Bédarride, n'a pas hésité à faire le

parallèle entre deux catastrophes, l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492, la révocation de

l'édit de Nantes en 1685 : on voit combien deux historiographies minoritaires se sont

mutuellement emprunté des références et ont construit deux philosophies de l'histoire très

voisines, convergeant, en dépit de bien des disparités (de Moïse à Calas !), vers le même

port de salut, la Révolution et les droits de l'homme. Historiographies que des auteurs issus

de la majorité catholique ont reprises et officialisées, quand ils n'ont pas puissamment

contribué à les élaborer: on l'a vu avec Michelet pour les protestants, on pourrait le vérifier

156 Chamson ajoute, en regard, que les « fils des vaincus » considèrent comme leur bien et leur héritage « ce que les persécuteurs de [leurs] pères ont pu créer de grand dans les arts, dans les lettres, dans les sciences ou dans l'ordre de la pensée », et qu'ils ont pu pénétrer la pensée d'un Descartes, d'un Racine ou d'un Bossuet « sans que diminue au fond de leur coeur le souvenir héroïque des combattants de nos montagnes », Trois discours "au Désert", Paris, Les Bergers et les Mages, 1959, p. 20-22. 157 L'israélitisme a existé également en Hongrie, cf. François Fetjö, Hongrois et juifs. Histoire millénaire d'un couple singulier (1000-1997), contribution à l'étude de l'intégration et du rejet, Balland, 1997. 138 Voir tout particulièrement Pierre Birnbaum, Les fous de la République. Histoire politique des Juifs d'État de Cambetta à Vichy, Fayard, 1992. 159 Aurélie Darbour, James Darmesteter (1849-1894). Un prophète de la République, mémoire de maîtrise, Univ. Toulouse-Le Mirail, 1999. 160 Paris, Rome, Jérusalem..., op. cit., vol. 2, p. 78. 161 « La Réforme produisit dans le monde moderne une violente irruption du génie hébraïque et d'une antique civilisation orientale dont, en scellant la Bible, l'Église romaine avait fermé les sources. Sous la verge de Luther qui frappa le rocher, le fleuve divin bouillonna impétueusement. [...] Dans cette régénération universelle, [les nations modernes] renaquirent à demi Israélites », Les Pasteurs du Désert, Paris, Valence, Marc-Aurel, I, p. 180-181. 162 Les Juifs en France, en Italie et en Espagne. Recherches sur leur état depuis la dispersion jusqu 'à nos jours sous le rapport de la législation, de la littérature et du commerce, 2e éd., 1861, Michel Lévy.

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Rapport Mémoires juive et protestante

avec Renan pour les juifs — le Renan « tardif », du début des années 1880 . La révolution

historiographique étudiée par Charles-Olivier Carbonell164 a bien fait son oeuvre: l'Église

catholique, assaillie sur la croisade des Albigeois, l'Inquisition, l'affaire Galilée, etc., est

partout sur la défensive165, et un pan entier de son histoire récente, autour des guerres de

Vendée et de la chouannerie, a basculé dans l'ombre d'une sorte de contre-histoire — dont il

ne serait pas moins passionnant d'étudier les traductions muséographiques et

commémoratives en contrepoint du présent travail. Les minorités sorties du ghetto et du

Désert, à l'inverse, prennent toute leur place dans la synthèse républicaine de l'histoire de

France telle qu'elle se fixe dans les années 1880, voire dans le dispositif universitaire et

editorial de cette synthèse, illustré par quelques grands noms de protestants, Gabriel Monod,

Charles Seignobos, ou de juifs, Marc Bloch, Jules Isaac ou Georges Weill, un fils de rabbin,

auteur, signifïcativement, d'une Histoire de l'idée laïque en France au XIXe siècle

(1925)166, etc.

Typique de l'âge d'or de l'israélitisme et du huguenotisme, cette synthèse a-t-elle subi

des inflexions importantes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale — avec le naufrage

du rêve israélite dans la « rejudaïsation » contrainte, opérée par le régime de Vichy ? D n'en

a rien été avant la période la plus récente, marquée, comme l'on sait, par l'invasion de la

mémoire, et, donc, des mémoires séparées. La tradition des historiens israélites, continuée

de part et d'autre de la guerre par un Jules Isaac, s'épanouit, entre autres, chez le médiéviste

Bernhard Blumenkranz, qui fut à la fois président de la Commission française des Archives

juives (CFAJ, fondée en 1961-1963167) et directeur à partir de 1972 d'une équipe de

recherche du CNRS, « Nouvelle Gallia judaica ». La CFAJ se donnait pour ambition de

veiller à la réunion, la conservation et l'exploitation de toutes archives juives tout au long

Cf. son importante conférence du 26 mai 1883, «Identité originelle et séparation graduelle du judaïsme et du christianisme », Revue Politique et Littéraire, 1883, 1, p. 687-693. « Le judaïsme, qui a tant servi dans le passé, servira encore dans l'avenir. Il servira la vraie cause, la cause du libéralisme, de l'esprit modeme. Tout juif est un libéral. [...] Il l'est par essence. Les ennemis du judaïsme, au contraire, regardez-y de près, vous verrez que ce sont en général des ennemis de l'esprit modeme. [...] En servant l'esprit modeme, le juif ne fait, en réalité, que servir l'oeuvre à laquelle il a contribué plus que personne dans le passé, et, ajoutons-le, pour laquelle il a tant souffert ». 164 Ch.-O. Carbonell, Histoire et Historiens, une mutation idéologique des historiens français, 1865-1885, Toulouse, Privat, 1976. 165 La Revue des Questions historiques est fondée en 1866 pour allumer des contre-feux, mais vainement: c'est la Revue historique, fondée en 1876 par le protestant républicain Gabriel Monod, qui domine le champ historique. 166 Cf. la préface donnée par Maurice Agulhon à la réédition de G. Weill, Histoire du parti républicain en France 1814-1870, Paris, Genève, Slatkine, 1980 [1928]. 167 1961 pour la fondation de fait, 1963 pour les dépôts de statuts conformément à la loi de juillet 1901. L'impulsion est venue de la section des archives organisée dans le cadre du 3e Congrès mondial des Études juives, à Jérusalem (été 1961). Au même moment, un collaborateur de Blumenkranz, l'archiviste Gilbert Cahen, se voyait invité par le directeur général des Archives de France, André Chamson, à réunir une documentation sur les archives des Communautés et Institutions juives. B. Blumenkranz, « La Commission française des Archives juives 1961-1986 », Archives juives, 1986, n° 1-3, p. 44-48.

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Rapport Mémoires Juive et protestante

d'une présence juive en France. L'esprit, proprement israélite, dans lequel elle a travaillé est

remarquablement indiqué dans l'introduction que Blumenkranz a donnée à YHistoire des

Juifs en France, publiée sous sa direction en 1972, premier volume d'une «Collection

franco-judaica » qui devait en compter treize autres. « Ce n'est donc pas leur valeur

numérique qui justifie d'écrire aujourd'hui une Histoire des Juifs en France. Ce qui justifie

davantage cette entreprise, c'est l'insertion intime de cette histoire particulière dans

l'histoire globale de ce pays. Si le groupe juif n'a que modestement contribué à modeler le

visage que présente la France aujourd'hui, il en a toujours été le fidèle miroir. Au point qu'il

est possible de suivre avec sûreté l'histoire du pays en scrutant celle des Juifs dans ce pays:

ils en sont l'image réduite, mais non pas déformée; ils en sont aussi quelquefois l'écho

amplifié, mais sans que la voix se trouve faussée. [...] Bien mieux: leur histoire est un

révélateur de sensibilité exceptionnelle [...]. L'Histoire des Juifs en France mérite surtout

d'être entreprise pour rendre compte des échanges incessants, entre la société globale non-

juive et le groupe juif. [...] L'important là est le fait même de la réciprocité168 ».

On comprend que B. Blumenkranz ait refusé toute démarche identitaire, comme le

montrent des épisodes précis169. Aurait-il accepté, dès lors, les nouvelles attitudes apparues

au cours des années 1990, et particulièrement le dépôt, en 1997, du « fichier juif » au Centre

de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) ? Bien que le fichier reste propriété de

l'État, il y a là un signe très révélateur: c'est, contre toute éthique de la conservation

publique, remettre à un groupe, « privatiser », selon le mot de l'ancien ministre des Anciens

Combattants, Louis Mexandeau , une partie des archives de la nation; et, bien

involontairement, réitérer archivistiquement le projet politique et racial, sous Vichy, de

séparation des juifs. Voulu par des Français, appliqué par des Français, combattu par

d'autres Français (les Justes, auxquels le mémorial israélien de Yad Vashem fait toute leur

place), le fichier juif appartient à tous les Français, juifs et non juifs. La trahison par les

élites pétainistes du rêve israélite aura-t-elle été assez profonde pour contribuer à de telles

« ségrégations » archivistiques, voire, nous allons y revenir, muséographiques ?

168 Histoire des juifs en France, Toulouse, Privat, 1972, p. 5. Blumenkranz ajoute n'avoir eu que deux devanciers, porteurs du même israélitisme: Isai'e Bédarride, déjà cité, et Léon Berman, auteur en 1937 d'une Histoire des Juifs en France, des origines à nos jours. 169 Le directeur de la Claims Conference (un organisme distributeur de fonds versés à titre de réparation par l'Allemagne fédérale) lui propose de publier le bulletin Archives juives comme supplément d'une revue juive « assez prestigieuse », et sans frais. Une institution promet des bourses pour les étudiants entamant des travaux historiques sur les juifs, à condition qu'ils soient eux-mêmes juifs. Double refus de Blumenkranz, Archives juives, 1986, n° 2-3, op. cit. 170 « Véritable privatisation d'une partie du patrimoine de la nation en faveur d'une communauté, si douloureusement concernée soit-elle », déclaration rapportée dans Le Monde, 7-8 décembre 1997.

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Rapport Mémoires juive et protestante

H serait vain, parce que leurs histoires ont radicalement divergé en 1940, d'opposer

mécaniquement les pratiques des juifs à celles des protestants. Ces derniers ont pu 171

poursuivre, sans trouble particulier, sinon tout intérieur , le puissant travail d'intégration et

de justification entamé tout au long du XDCe siècle. Le discours d'André Chamson,

inlassablement repris par son auteur, devenu dans les années 1960 le directeur général des

Archives nationales, fait figure aujourd'hui de vulgate. On a pu le vérifier à l'occasion de

deux grands rendez-vous commémoratifs, le tricentenaire de la révocation de l'édit de

Nantes (1985), puis le quatrième centenaire du même édit (1998). L'un et l'autre ont été

marqués par un discours du président de la République, dans le cadre universaliste de

l'Unesco, à Paris. Le premier, pourtant, ne se prêtait pas facilement à une « célébration

nationale », qui eut quand même lieu: à preuve d'une ambiguïté fondamentale, le timbre

alors édité par la Poste, et saluant, paradoxalement (mais à quelle autre solution pouvait-on

avoir recours ?) l'accueil des huguenots à l'étranger ! François Mitterrand a déclaré, en

octobre 1985: « La persécution d'une minorité devenue, d'un trait de plume, hors-la-loi dans

son propre pays. Voilà qui nous renvoie à des réalités proches de nous. Cette gangrène dure

encore. Nous en avons connu l'horreur; l'humanité n'en est jamais guérie. [...] Vieille

histoire, les dragonnades, les galères, les camisards ? Non, histoire d'aujourd'hui à travers le

monde entier ». Il n'est pas moins remarquable que le président de la République ait d'abord

longuement commenté, dans son discours, 1'« envers » (sic) de la Révocation, c'est-à-dire

l'édit lui-même, commémoré ainsi une première fois, avec treize ans d'avance, parce qu'il

correspond tellement mieux à l'idéologie actuelle du consensus, dans une France rassemblée

— y compris par la cohabitation politique —, et à la satisfaction d'une histoire qui fut

«exceptionnelle172». En 1998, donc, l'histoire du protestantisme pouvait, toujours par la

grâce de l'édit de Nantes, se fondre dans une histoire pleinement nationale. Les uns l'ont

proposée, en deux mots, comme modèle et promesse à l'égard de la vraie minorité religieuse

que compte aujourd'hui la France, celle des musulmans; le chef de file de cette lecture est

l'ancien ministre de l'Intérieur (et des cultes, pour l'Alsace-Lorraine), et protestant déclaré,

Pierre Joxe173. Les autres, à l'instar de l'historien Jean Delumeau, ont vu dans l'édit « un

171 La conquête des élites protestantes, dans les années 1950-1960, par le barthisme, la théologie du Suisse Karl Barth, rétive à l'excès d'immanence dans la pensée de Dieu, a pu condamner un temps le rapport étroit à l'histoire du protestantisme français. 172 Selon le mot même de F. Mitterrand. Le texte du discours en donné en annexe de l'ouvrage de Pierre Joxe, cité ci-dessous. 173 Cf. le dernier chapitre de son essai, L'édit de Nantes. Une histoire pour aujourd'hui. Hachette, 1998, p. 317-341.

99

Rapport Mémoires juive et protestante

chemin qui conduit à notre notion moderne de laïcité », « un message prophétique en

direction de l'oecuménisme174 ».

Dans les deux cas, les protestants, du XVIe comme de la fin du XX siècle, étaient en

quelque sorte dépossédés de leur propre histoire. Mais c'était pour la meilleure des causes:

bien loin de stigmatiser en eux un groupe moins pleinement français, ou figé sur des

souvenirs impartageables et désuets, on reconnaissait dans leur trajectoire, volens nolens, un

sens éminemment français, sinon universalisable. Du fait de leur seule présence, têtue, la

France aurait été contrainte de se mettre à l'école du pluralisme religieux (propédeutique au

pluralisme politique sur lequel nos sociétés sont fondées), et, selon une habitude typique du

regard qu'elle aime à jeter sur son rôle dans l'histoire, se serait hissée d'un coup à la

première place. « Cette commémoration est aussi une occasion de réfléchir à l'histoire de la

tolérance et de la laïcité du XVIe au XXe siècle et à ses conséquences pour aujourd'hui:

aucune société ne peut se fonder sur l'exclusion », écrit le député socialiste, et président du

Conseil Général du Tarn, Thierry Carcenac, dans la préface au catalogue d'une exposition

sur 400 ans de protestantisme dans le Tarn , commandée par lui et réalisée en étroite

collaboration avec le Musée du" protestantisme de Ferneres.

B. Du communautaire au national et à l'universel : les enjeux

d'une traduction muséale

Une telle réélaboration de l'histoire nationale a-t-elle laissé sa marque sur les divers

musées du protestantisme et du judaïsme ? Sont-ils devenus, ou en passe de devenir, des

musées de la contribution minoritaire à une histoire dont la laïcité passe par la pleine

reconnaissance de la pluralité religieuses de ses sources ? Ou bien restent-ils des institutions

strictement mémorielles et spéculaires ? Le paysage muséal, en fait, est en pleine évolution à

cet égard: des débats sont en cours, des choix sur le point d'être effectués, qui semblent

donner l'avantage à une conception nationalisante et universalisante: on donne à voir les

174 Déclaration au Monde, 15-16 février 1998, p. 10. 175 De la haine au respect, 400 ans de protestantisme dans le Tant, Albi, 1998, p. 3. L'historien Philippe Joutard, président du Comité scientifique mis en place à l'occasion, conclut ainsi l'introduction du catalogue: « L'apprentissage de la différence, pourtant une richesse irremplaçable, est une entreprise difficile, avec des avancées et des reculs, qui suppose une longue préparation de l'opinion et l'émergence d'un État attentif à garantir la liberté de conscience, sans avantager un groupe quelconque: autrement dit, l'avènement de la Laïcité, devenue notre bien commun, et que les protestants ont largement contribué à définir », « Une belle leçon d'histoire », ibid., p. 5.

100

Rapport Mémoires juive et protestante

protestants ou les juifs moins parce que protestants ou juifs, mais parce qu'annonciateurs et

pontifes de la modernité, dans leurs pratiques et leurs projets comme dans les intolérances et

les violences dont ils ont été les victimes.

Un certain clivage semble ainsi de dessiner au sein des musées protestants. Seul, peut-

être, le Musée du Désert reste fidèle à son message initial, tel qu'on a pu le découvrir plus

haut dans ce rapport, laissant le choix à ses visiteurs, ou aux orateurs de l'après-midi,

comme le fit André Chamson, d'en tirer des enseignements moins implicites. Il faudrait peu

de choses, pourtant, pour expliciter un message: les gravures relatives à l'affaire Calas ou à

Rabaut-Saint-Étienne se prêtent facilement à une lecture non confessionnelle, telle que le

comprenaient Voltaire et le même Rabaut. Pourquoi ne pas rappeler aussi que le Musée est

lui-même entré, comme lieu vivant, le dimanche 6 septembre 1942, dans l'histoire

tragiquement en train de se faire des protestants et des juifs, le pasteur Boegner et les autres

pasteurs présents ce jour-là ayant entrepris ou élargi l'accueil de juifs enfuis de la ville de

Nîmes, par la filière protestante, au lendemain des terribles rafles en zone non occupée ? Ces

choix n'ont pas été faits: le Musée du Désert n'est pas devenu le musée des leçons

universellement valables que l'homme contemporain peut tirer de l'expérience historique du

Désert. L'implicite, pourtant, crève quelquefois la toile: une sculpture de bronze, « La

Roue », a été installée à l'entrée de la seconde partie du Musée, en septembre 2 000. Don

d'une descendante de martyr huguenot, elle représente, un peu à la façon d'un Giacometti ou

d'une Germaine Richier, un supplicié au corps très maigre, tout en ligaments et muscles

tordus par la souffrance, dans laquelle le visiteur reconnaîtrait volontiers les martyrs de ce

siècle autant que ceux du siècle de Louis XIV. L'intrusion de l'art contemporain produit,

involontairement sans doute, cet effet d'actualisation et d'intemporalisation de la souffrance

humaine.

En revanche, les responsables du musée du Désert refusent avec constance toute aide

publique, afin, estiment-ils, de sauvegarder leur liberté, alors même que des offres leur ont

été faites à plusieurs reprises. La plus intéressante, pour notre propos, est venue du Conseil

général du Gard, après que ce dernier a prévu d'investir 8,5 MF pour l'aménagement d'un

Musée d'art sacré à Pont-Saint-Esprit, sur la façade rhodanienne — et catholique — du 17 fi

département. Ce nouveau musée relève d'une approche strictement laïque , mais expose

176 « La visite des collections montre que l'art sacré au musée est une affaire culturelle et non une affaire de catéchisme », « Musée d'art sacré, fleuron du patrimoine gardois », Gard Magazine, janvier 2 000, p. 9.

101

Rapport Mémoires Juive et protestante

presque exclusivement des objets du culte catholique . Des membres du Conseil général,

soucieux de laïcité, souhaitaient en quelque sorte équilibrer les investissements en appuyant

financièrement le Musée du Désert, situé dans la moitié protestante du département. H s'est

heurté à une fin de non recevoir: le cas est assez rare, d'une institution qui refuse l'argent

public qui lui est spontanément proposé, pour être souligné. Daniel Travier, fondateur du

Musée des vallées cévenoles et membre du Conseil d'administration du Musée du Désert, a

vainement tenté de faire entendre au conservateur la possibilité d'obtenir des subventions

publiques sans s'inféoder à l'idéologie du bailleur de fonds. «Les conseillers généraux

protestants, dont celui de Saint-Jean du Gard à l'époque, qui était le maire de Saint-Jean, et

qui est mon ami, avec qui on avait fait le musée des Vallées cévenoles, a dit: "Bon d'accord,

je suis tout à fait d'accord, mais si le Conseil général, dans un département où il y a

énormément de protestants, investit énormément sur la mémoire et sur l'art catholiques, il

faudrait qu'en contrepartie il fasse pareil dans le cas des protestants. JJ y a le musée du

Désert qui est privé, qui tourne, mais qui ne peut pas faire des investissements

extraordinaires, il faut donc qu'on intervienne, qu'on trouve une solution ». Et en tant

qu'administrateur, j 'ai proposé la chose à M..Carbonnier, qui m'a dit: "C'est très bien, c'est

très gentil, mais nous ne pouvons pas accepter. Nous avons toujours eu une indépendance

absolument totale à l'égard des pouvoirs publics et de qui que ce soit. Et accepter une

subvention d'une collectivité quelle qu'elle soit... Non, nous sommes totalement

indépendants". Je pense qu'il ne voulait rien devoir à l'État, et je le comprends. Mais,

aujourd'hui, tout le monde, sans se soucier des opinions des uns ou des autres, demande des

subventions. Et ce n'est pas parce que tel élu accorde une subvention qu'on va accepter son

idéologie !178 ».

Le refus des responsables s'explique évidemment par la conception qu'ils se font de

l'identité du Musée du Désert. La règle non écrite, mais jamais transgressée, qui exige que

les historiens intervenant lors de l'assemblée annuelle, le premier dimanche de septembre,

soient protestants, relève de la même conception: il y a, pour le moins, confusion entre

histoire scientifique et appartenance universitaire. Non que les historiens convoqués soient

177 Vêtements sacerdotaux, orfèvrerie et vaisselle sacrée, objets de la pharmacie de l'hôpital du Saint-Esprit, crèches, reconstitution d'une sacrisite, figurines créées par des carmélites, peinture religieuse. 178 Entretien avec Daniel Travier, février 1998. Michel Caby confirme: «Un droit de l'État, c'est dangereux. [...] Imaginons: "Tiens ! il faut changer de conservateur", mais le conservateur: "ah, tiens, il n'y a pas de protestants, on va mettre untel qui est musulman, mais ce n'est pas grave, puisqu'on a parlé de l'"histoire" protestante », entretien, février 1998.

102

Rapport Mémoires juive et protestante

des amateurs ou des érudits: depuis les années 1960, au moins , la presque totalité, maîtres

de conférences, professeurs d'université, directeurs de recherche au CNRS, possèdent les

titres et les statuts requis: c'est bien l'une des caractéristiques du petit protestantisme

français que de produire à chaque génération des cohortes d'historiens et autres hauts

fonctionnaires. Mais il resterait à scruter cet exercice oratoire particulier que constitue le

« discours au Désert » pour vérifier s'il existe ou non un décalage, et dans quelle proportion,

entre cet exercice et la production habituelle de leurs auteurs .

Les déclarations des conservateurs, à diverses époques, sont quant à elles sans

équivoque. « Notre désir ? Ne pas faire de ce musée un simple "cabinet de curiosité", mais

lui donner les moyens d'exercer une influence durable sur la vie religieuse de notre Église

en associant les temps écoulés au développement spirituel présent. [...] Puissent dans ce

sanctuaire régulièrement se réunir et fraterniser dans un même sentiment de reconnaissance

et de piété filiale les enfants trop souvent divisés de la grande famille protestante », écrit l'un

des deux fondateurs, Edmond Hugues, dans sa préface à la Notice-guide du Musée, en 1929.

Sa descendante, historienne et enseignante à la Faculté de théologie protestante de Paris,

confirme eh 1995: le Musée n'est pas seulement lieu de mémoire, mais « d'affirmation de la î SI

foi ». Quant au conservateur-adjoint,-Michel Caby, présent en permanence au Musée, le

long entretien qu'il a confié à deux membres de notre équipe, en février 1998, est tout à fait

étonnant: une foi profonde, quasi revivaliste182, perce tout du long à travers ses propos. « Ce

musée, il faut qu'il rayonne, il faut qu'il soit un phare. [...] Il y a des temples qui sont vides.

Un des plus grands temples de France, c'est à Anduze, 3 000 places ! 45, ils sont, allez-y le

dimanche ! Alors, ils sont où les autres ? À l'époque du désert, toutes les grottes étaient

pleines, les forêts, les ravins, les caves... Elle est où, cette foi ? Elle est morte ? Alors, ils

sont où ces torrents qui coulent, ces torrents d'eaux-vives ? Moi, je crois que le musée, il

doit être là, peut-être pas comme une source, c'est pas nous la source, elle vient de là-haut,

mais comme un phare, en tout cas, pour montrer183 ». Le musée serait donc une pièce

maîtresse d'un dispositif non pas historique, ni même mémoriel, mais, explicitement,

179 Dans l'entre-deux-guerres, les orateurs retenus semblent avoir été moins systématiquement des professionnels de l'histoire. Le président de la Cour de Cassation, Sarrut, a été l'un d'eux, tout comme aurait dû l'être, si la mort ne l'avait emporté, l'ancien président de la République, Gaston Doumergue. 180 II y a là toute une enquête à faire, qui pourra partir de la publication Musée du Désert, 1685-1787, Fondation Frank Puaux et Edmond Hugues — Guide du Visiteur, Notice historique et régionale, Mialet, 1964, et du mémoire de Florence Morillère, Essai sur les assemblées commémorâmes du musée du Désert, École pratique des hautes études, 1981. Le texte des discours prononcés à l'assemblée est généralement publié, l'année suivante, dans le B.S.H.P.F. 181 IXe Colloque * Musées protestants », Paris, Fédération Protestante de France, 1994, p. 31. 182 Le Réveil est un ressourcement, de type charismatique, propre au protestantisme. 183 Entretien avec Michel Caby, Musée du Désert, février 1998.

103

Rapport Mémoires juive et protestante

spirituel. Le fait que d'autres musées protestants (Ferneres, le Bouchet de Pranles, le Bois-

Tiffray) soient également jumelés, si l'on peut dire, avec des assemblées annuelles qui sont

autant de cultes confirme l'insertion de ces musées dans un paysage, ou un calendrier,

spirituels, qu'il n'est pas impossible, du reste, de rapprocher de pratiques d'émigrés et

d'amicalistes catholiques184. On peut aller jusqu'à penser que les musées protestants peuvent

fonctionner comme des compléments aux temples, destinés à rassembler les protestants

épars à la suite de la diaspora huguenote, de l'exode rural, des mariages mixtes, des

deuxième ou troisième générations, etc. Fait minoritaire extrême (2 % de la population

française), dissémination généralisée et abandon des montagnes trouveraient un exorcisme

dans ces points d'ancrage et ces cultes annuels. La remémoration serait la première étape

d'une réidentification, d'une réincorporation à l'Église réformée.

Au sein des colloques annuels des musées protestants européens, un débat récurrent

agite les responsables, tous bénévoles, sur la finalité de ces musées. Dans leur immense

majorité, ils insistent sur la notion de témoignage, au sens fort, chrétien, de ce mot,

considérant qu'ils ne montrent pas des réalités neutres, ou mortes, mais toujours vivantes, et

porteuses d'un sens spirituel. "Lors du XHIe colloque, organisé en 1998 à Orthez, sur le

thème «Communiquer notre mémoire-», l'un des auteurs de la présente enquête, venu

assister aux travaux en qualité d'observateur participant, et invité à faire part de son point de

vue sur le thème « Communication avec les visiteurs », a cru devoir insister sur la neutralité

des musées. Il s'est attiré cette réponse de la Drômoise Christine Marandet, conservateur en

chef honoraire de musées publics: « Ayant personnellement travaillé dans un univers laïque,

je suis convaincue, dans un premier temps, que le témoignage d'évangélisation doit rester le

plus discret possible. Dans un second temps, je serais plus nuancée. Prenez l'exemple d'un

tableau religieux au Louvre. En expliquant ce tableau au public à travers seulement les

couleurs, la forme, les lignes, les noms des personnages, vous aurez montré l'extérieur des

choses, mais pas l'âme du tableau, vous n'aurez rien laissé passer de cette conviction, de la

foi qui l'a fait naître. Le discours pourra être enthousiaste, il n'en restera rien au sortir du

musée. Ce qui reste en fin de compte dans la mémoire du visiteur, c'est cette chaleur que

vous aurez su lui communiquer. D gardera le souvenir d'un guide "qui avait foi" en ce qu'il

présentait. Au-delà de l'intellectualité et d'une connaissance historique, les gens cherchent

un contact avec l'artiste, une relation d'âme avec lui. Dépuillé de cette dimension, la

184 Telles la messe estivale dans la paroisse d'origine, pour l'amicale, ou le pardon pour les Bretons.

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Rapport Mémoires juive et protestante

neutralité ou l'intellectualisme pur sonneront faux ». Un autre intervenant, membre du

conseil d'administration du Comité des amitiés protestantes françaises à l'étranger, a donné

l'exemple de l'école de peinture dite constructiviste: « Si vous éprouvez le plus profond

mépris pour la philosophie qui sous-tend les oeuvres présentées par cette école, ainsi que

pour l'enthousiasme fantastique qui leur a donné naissance, vous passerez à côté sans les

comprendre. [...] Cet exemple est valable [...] plus encore pour le témoignage d'un passé

protestant185 ». On aura reconnu dans ces extraits l'interrogation classique à propos de la

dimension religieuse d'une oeuvre d'art, de littérature ou de philosophie, ou d'un

monument: peut-on la commenter sans comprendre de l'intérieur ce qui animait son

créateur, ou le public auquel elle était destinée ? Mais comprendre et donner à comprendre,

est-ce adhérer à ?

Le musée du protestantisme d'Orthez, précisément, laisse jouer, plus ou moins

explicitement, la dialectique entre minorité confessionnelle et histoire nationale. À première

vue, toutefois, il semble pousser très loin la « confusion » entre temple et musée: sa salle

d'exposition est organisée comme l'intérieur d'un temple, avec bancs, chaires, tableau des

cantiques du jour, etc. Face à lui, en entrant, le visiteur peut lire une inscription typique des

temples du XIXe, qui semble l'interpeller directement: « Comme celui qui vous a appelés

est saint, soyez vous-mêmes saints dans toute votre conduite ». Mais ce parti-pris,

esthétiquement très réussi, ne doit pas tromper. N'ayant pu, pour l'heure, déployer leurs

collections que dans une salle, les responsables d'Orthez ont donc choisi de mettre l'accent

sur le XIXe siècle. Et c'est une première grande originalité à l'égard des autres musées, dont

l'essentiel des objets et vitrines concerne la période antérieure à la Révolution. L'autre

originalité tient au traitement de l'information: le visiteur découvre les principaux aspects de

la vie religieuse au XDCe siècle, mais aussi deux familles ou figures locales qui eurent, en

dehors du protestantisme, un rayonnement national: les géographes et anarchistes Elisée et

Onésime Reclus, fils d'un pasteur revivaliste, et le pasteur et théologien ultra-libéral Félix

Pécaut, devenu pédagogue et fondateur de l'École normale supérieure de jeunes filles de

Fontenay-aux-Roses. Une vitrine, « Les Reclus et l'instruction », expose plusieurs ouvrages

185 Retranscription de l'assemblée plénière, XHIe Colloque "Musées protestants". 8e rencontre européenne, Paris, Fédération protestante de France, 1998, p. 38-39 et 45-47. Lors de la visite du temple d'Orthez par les participants au colloque, un cantique a été spontanément entonné, ce qui a suscité les regrets d'une minorité, pour la confusion entre le muséal et le religieux. 186 À l'entrée du musée de Ferneres, le visiteur est également accueilli par une superbe chaire du XIXe siècle, issue d'un temple voisin, autour de laquelle s'enroule l'escalier menant aux salles d'exposition de l'étage. Au Poët-Laval, dans la Drôme, le vrai temple du XVIe siècle, préservé parce qu'il servit de maison commune, fait partie de l'espace muséal.

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Rapport Mémoires juive et protestante

des géographes (La géographie vivante, cours élémentaire, et La terre à vol d'oiseau, dus à

Onésime, et trois volumes de la Géographie universelle, d'Elisée). Une autre vitrine

présente des lettres et cartes adressées à Pécaut par Jules Ferry, dont il servit au premier plan

le projet de laïcisation de l'école et de l'âme de la nation. Par un jeu d'échos sans doute

involontaire, et que le visiteur peut ou non entendre, une des premières vitrines présente une

série de livres et brochures pour les Écoles du dimanche (le catéchisme protestant), dont un

«Jeu de plaquettes bibliques», un abécédaire destiné à inculquer aux enfants l'ordre des

livres dans la Bible. De l'école biblique à l'école publique, du Livre saint au culte des livres:

la traversée du Musée d'Orthez propose le saisissant raccourci d'un certain parcours, relatif

à la fécondité alphabétisante de la Réforme. Ainsi le visiteur d'Orthez a-t-il la surprise de

découvrir dans la maison dite de Jeanne d'Albret, et dans une salle imitant un temple du

XIXe siècle, des figures de l'université et de l'école laïques, dans les années 1880, ce

tournant majeur d'une histoire qui concerne le destin tout entier de la nation, et sa religion

majoritaire. Un jour peut-être découvrira-t-il que l'enterrement du même Félix Pécaut, à

quelques kilomètres du musée, en août 1898, fut une date dans l'affaire Dreyfus, son ami

Ferdinand Buisson, eminence grise de la République, ayant choisi la cérémonie pour se

déclarer publiquement en faveur du capitaine et entrer dans une campagne active.

C'est précisément l'affaire Dreyfus que l'on retrouve au musée de Ferneres, au terme

de salles assez classiquement consacrées aux Bibles, aux guerres de religion, aux

tribulations du Désert, mais aussi aux affaires Calas et Sirven, dont les protagonistes

tenaient, par des liens divers, au protestantisme de la région. On doit y insister non pour le

retentissement national et européen que Voltaire sut leur donner, mais parce que, là aussi, un

jeu d'échos se donne à entendre, plus explicitement qu'à Orthez. Le musée propose en effet

la copie d'une lettre de soutien envoyée à Zola, le 24 février 1898 — l'écrivain vient d'être

condamné par la justice —, par un industriel protestant de Mazamet, Gaston Cormouls-

Houlès. « comme Voltaire, pour Calas, mon infortuné compatriote, vous triompherez un

jour, j'en ai l'intime conviction. On vous conspue aujourd'hui, [...] demain [...] on dira que

vous avez bien mérité de l'humanité ». Élie Galland, professeur à l'École pratique de

Mazamet, préfère, lui, dans une conférence prononcée en 1903, assimiler Dreyfus à Sirven.

Bien des protestants français, plus globalement, ont assimilé les affaires Calas et Dreyfus, et

ont soutenu la cause du capitaine juif en pensant au marchand huguenot de Toulouse. Ces

résonances vont au-delà, et le Musée continue de les donner à entendre: beaucoup de juifs

ont été abrités par des familles protestantes de la région, sous le régime de Vichy. Le

106

Rapport Mémoires juive et protestante

protestantisme local, comme plusieurs pièces l'attestent (deux traductions antérieures à la

guerre, celle de Mein Kämpfet celle du Village sur la montagne, présentant la résistance de

protestants allemands au nazisme, etc.), s'est montré très attentif au nazisme et au destin des

juifs. La pièce la plus significative, à cet égard, est cette Bible protestante (version Segond)

prêtée en 1943 à des jeunes résistants juifs, désireux de redécouvrir la culture juive, et que

l'un d'eux, au soir de sa vie, a léguée au Musée: des versets ont été soulignés, le mot

« refuge » écrit dans une marge. Il ne s'agit plus là d'histoire protestante, ni sans doute juive,

même si les deux communautés sont directement concernées: mais d'une contribution à la

solidarité des hommes au temps de la plus grande détresse. En exposant ces documents, le

Musée du protestantisme n'est jamais «hors sujet», contrairement à ce que l'on pourrait

conclure hâtivement des apparences.

À partir de là, des choix seront à effectuer, dans des structures en pleine formation

(Orthez) ou recomposition (Ferneres): l'accent peut être mis soit sur l'intérieur, le regard du

dedans, proposé d'abord à des membres plus ou moins fermement rattachés à la

communauté, soit sur l'extérieur, dans l'interaction entre une minorité, la construction

nationale, l'universalité des valeurs, ou encore entre le religieux, le social, l'économique, le

politique, le scolaire, etc. Ferneres est ainsi situé à la proximité immédiate du centre

industriel de Mazamet, naguère mondialement connu pour ses activités de délainage: la

quasi totalité des industriels y appartenaient à des familles d'ancien protestantisme, et l'on

songe évidemment à leur propos aux théories du sociologue Max Weber sur les affinités

entre l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Un musée du protestantisme doit-il

montrer des éléments relatifs à cette page d'histoire industrielle, au risque de paraître diluer

son objet propre ? Surtout si l'on considère que le protestantisme n'est intéressé

qu'indirectement dans l'affaire ? En même temps, il paraît impossible d'écarter l'explication

religieuse si l'on veut dépasser l'observation empirique — tous les patrons sont protestants,

leurs ouvriers catholiques —, et comprendre une situation passablement exceptionnelle dans

un Midi sans tradition industrielle. Se limiter aux aspects théologiques et cultuels, au-delà

des persécutions et du Désert, c'est aussi prendre le risque de n'offrir qu'une variation

régionale de réalités qui se retrouvent évidemment partout dans des termes similaires.

Il est vrai que cette logique, si elle était menée à l'extrême, pourrait conduire à un

autre type de musée, que l'on pourrait qualifier de « musée à protestantisme ». Un bon

exemple en est donné par le Musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard.

Généraliste, il ne manque pas de faire toute sa place au protestantisme, dès lors qu'il

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Rapport Mémoires juive et protestante

reconnaît celui-ci comme central dans la civilisation cévenole. Et le visiteur peut découvrir

dans ses salles tout ce que le Musée du Désert, situé à quelques kilomètres, ne saurait

montrer: 1'« autre » protestantisme, vu non plus à travers ses tribulations sous la monarchie

catholique, mais dans sa contribution au changement ou à l'établissement d'une économie et

d'une culture. Place du livre et de l'écrit dans les Cévennes; adhésion à la Révolution, mais

non à la Terreur; passion jamais démentie pour la République et sa Marianne, voire pour la

Commune ou le Front Populaire: le protestantisme joue son rôle dans chacun de ces

domaines, et c'est au Musée des vallées cévenoles que l'on peut le percevoir. L'institution,

pour autant, et bien que son fondateur soit lui-même un protestant pratiquant et militant,

n'est nullement un « Musée du protestantisme ». Mais elle se situe à l'horizon de ce que

peuvent devenir certains de ces Musées, s'ils renoncent à un statut de «musées

protestants ».

La création d'un musée au Chambon-sur-Lignon, dans l'enclave protestante de la

Haute-Loire, permet de prendre la mesure de ces débats, de manière quasi expérimentale.

Un premier projet, au début des années 1990, envisageait de créer sur l'ensemble du plateau

un musée éclaté, dont l'un des'pôles aurait été un Musée du protestantisme vellave et haut-

vivarais (XVIe-XXe siècle). Le plateau Vivarais-Lignon, aux confins de la Haute-Loire

(canton deTence) et de l'Ardèche (canton de Saint-Agrève), aurait ainsi enrichi la liste des

musées régionaux du protestantisme, à la pointe septentrionale d'un triangle comprenant les

musées ardéchois, drômois et gardois. Le projet a été repris, sur des bases nouvelles, et dans

un bâtiment sans connotation religieuse, puisqu'il s'agit de l'ancienne gare du Chambón, qui

se prête remarquablement à l'évocation des temps de fuite et de refuge. Le maître d'oeuvre

est une collectivité territoriale, le SIVOM Plateau Vivarais-Lignon. Le protestantisme a

disparu de la raison sociale, et le musée initialement envisagé est devenu, avec de gros

investissements publics, un « Centre international pour l'accueil, la paix et la tolérance »

(titre retenu en 1999), puis « Centre pour l'accueil et les résistances » (titre retenu en 2 000).

Le coeur du projet tient, naturellement, à l'histoire exceptionnelle du bourg du Chambon-

sur-Lignon et de sa région (le Plateau) pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des

centaines de juifs, dont de très nombreux enfants, furent accueillis au sein d'une population

majoritairement protestante, entraînée par de jeunes pasteurs non violents à la forte

personnalité. On retrouve, une fois encore, le croisement de deux minorités, la protestante et

la juive, ce qui n'est fortuit ni dans l'histoire, ni dans la représentation qu'en proposera le

Centre. L'accueil d'autant de juifs, dans une période aussi tragique, ne peut s'expliquer, sur

108

Rapport Mémoires juive et protestante

le fond, que par un contexte local très particulier, au coeur duquel on retrouve évidemment

le protestantisme, sous plusieurs traits: sa propre histoire de persécution, de clandestinité et

d'exil, après 1685; sa forte imprégnation biblique, particulièrement appuyée dans une

communauté vellave beaucoup moins touchée par la sécularisation que les Cévennes, par

exemple; enfin, une forte tradition d'action et d'accueil sociaux, initiée par un pasteur — et

grand dreyfusard — de Saint-Étienne, créateur au début du XXe siècle de l'Oeuvre des

enfants à la montagne, qui a généré sur le plateau des structures et une sorte de « culture » de

l'accueil. Le Centre pour l'accueil et les résistances, comme son titre le donne à entendre,

entend dépasser aussi bien le protestantisme en lui-même, que la seule Seconde Guerre

mondiale, pourtant sa vraie raison d'être. Il les insère l'un et l'autre dans un long parcours

chronologique, appelé explicitement à déboucher sur une réflexion citoyenne pour

aujourd'hui. Quatre volets sont prévus. Le premier, « Histoire et identité du Plateau

Vivarais-Lignon », envisage pour l'essentiel l'histoire du protestantisme régional du XVIe

au XXe siècle: autant dire l'infrastructure religieuse, culturelle et mentale de l'accueil. Le

second volet est axé sur la Seconde Guerre mondiale, saisie principalement à travers les

diverses catégories de réfugiés accueillis au Chambón (on veut montrer qu'il n'y a pas eu

que des juifs, mais des Alsaciens, des Espagnols, des Savoyards), et toutes formes de

désobéissance civile. Les troisième et quatrième volets entendent illustrer les « valeurs de

résistances », à travers des personnes « ayant fondé leur action d'accueil et/ou de résistance

sur des valeurs présentant un caractère universel d'humanité », et « l'actualité de ces valeurs

universelles ». Il n'y aura donc pas de musée du protestantisme au Chambon-sur-Lignon;

mais un Centre, appelé à accueillir tout au long de l'année scolaire des « classes

citoyennes », et dont la présentation du protestantisme constituera la première étape pour

l'intelligence d'un geste à vocation universelle, celui de l'accueil offert à la victime et au

fugitif. D n'est guère de musée du protestantisme qui ne puisse afficher, s'il le désirait, des

objectifs similaires, qu'il s'agisse des villes et États européens qui accueillirent des réfugiés

huguenots après 1685 (leur liste se trouve dans une salle du Musée du Désert), ou des zones

rurales françaises qui offrirent un abri aux juifs dans les années 1940.

Il y a donc des problèmes de délimitations museales qui sont en pleine évolution. La

clientèle visée, bien évidemment, est appelée à varier en fonction des contenus. On manque

de statistiques précises, mais il est clair que, pour l'heure, elle comprend, selon les musées,

une forte proportion de protestants ou de juifs. La seule donnée fiable, et récente, que l'on

possède, concerne le musée d'Orthez: 27 % de ses visiteurs, en 1995-1997, étaient

109

Rapport Mémoires juive et protestante

protestants. Le chiffre n'est pas facile à commenter: c'est la preuve que le musée, situé, il est

vrai, au coeur d'une petite ville, et non dans une zone à l'écart, attire majoritairement des

non protestants; mais si l'on se souvient que 2 % seulement de la population de la France se

rattache au protestantisme, la surreprésentation parmi les visiteurs est hors de doute187.

Beaucoup de groupe d'enfants qui visitent le musée de Ferrières appartiennent à des écoles

bibliques de Castres ou Mazamet, alors que les classes citoyennes attendues au Chambon-

sur-Lignon appartiennent bien évidemment à la même clientèle que celle qui s'affronte pour

les concours annuels de la Résistance.

Le projet d'extension du musée juif de Cavaillon n'est pas très éloigné, mutatis

mutandis, de ce qui se prépare au Chambon-sur-Lignon. D se résume, pour l'instant, à la

synagogue haute, encore utilisée pour des cérémonies cultuelles, et à la boulangerie, ou

synagogue des femmes, transformée en salle d'exposition. L'actuelle conservatrice, Sylvie 1 RR

Grange, qui n'est pas juive , et les propriétaires du Musée, la Fondation Calvet d'Avignon

et la ville de Cavaillon, également dépourvus de tout lien avec le judaïsme, projettent une

extension et une mutation considérables du musée: tout un îlot de l'ancien ghetto est

concerné, y compris l'ancien couvent des Dominicains, qui fait partie au même titre que la

synagogue du legs effectué en' 1938 par une famille de collectionneurs cavaillonnais, non

juifs, les Jouve. Dans la future configuration, trois musées s'emboîteraient l'un dans l'autre:

le musée proprement judéo-comtadin, la Maison Jouve (l'habitat et la vie quotidienne d'une

famille bourgeoise provençale à la Belle Époque), un Musée du pays de Cavaillon. Selon

Sylvie Grange, le premier privilégiera « une approche comparative soit avec d'autres

communautés persécutées — les Vaudois en Lubéron — soit avec les autres religions

monothéistes, y compris dans leur acception la plus actuelle. L'idée est bien de faire valoir

la spécificité d'un discours patrimonial qui se situe ailleurs, en dehors de tout prosélytisme

religieux, tendant à la plus grande objectivité. Certes ce sont les objets désacralisés d'un

culte auquel ils ne sont plus liés mais des témoins permanents, dédiés, consacrés à

l'évocation d'une culture disparue189 ». La conservatrice souhaite que le futur musée puisse

servir de centre d'interprétation pour le monde des Vaudois, en introduction ou à la suite

187 Marion Pellet, Bilan du fonctionnement du Musée du Protestantisme Béarnais, rapport de stage (juillet 1997), DEA de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, 1997. 188 Parfois remerciée par des visiteurs juifs pour son travail, S. Grange se dit embarrassée ou agacée par cette gratitude: elle estime ne pas accorder plus d'attention au musée juif qu'au Musée lapidaire, qui entre également dans ses rétributions, et refuse évidemment l'idée de fonctionner selon le schéma d'une mémoire communautaire, même si, désireuse de renforcer la légitimité du musée juif auprès des milieux juifs de la région, elle a proposé et obtenu que son établissement soit le siège officiel de la récente Association culturelle des juifs du Pape. Entretien avec S. Grange, Cavaillon, 31 août 1999.

110

Rapport Mémoires juive et protestante

d'une visite sur le terrain, la montagne du Lubéron, le village de Mérindol (célèbre pour le

massacre de 15 ) et les temples protestants bâtis au XLXe siècle se situant à proximité

immédiate de Cavaillon190. Le judaïsme comtadin, dès lors, sera montré dans son

environnement le plus large, dans une intrication de rapports sociaux et imaginaires que

rendra parfaitement l'imbrication des pièces et des passages dans l'ensemble muséal projeté.

D sera également au centre d'une réflexion qui le dépassera largement, sur la différence et le

pluralisme religieux, le cheminement de l'intolérance et de la tolérance. L'allusion aux

Vaudois est à cet égard décisive, comme peut l'être celle qui est faite aux juifs dans le

musée de Ferrières: elle décommunautarise le propos, en montrant que l'histoire des juifs

(ou des protestants) et celle de la nation, voire de la culture européenne, sont fortement liées.

Le conservateur de Cavaillon ajoute qu'elle entend bien distiguer son travail et son

projet de ceux qui ont prévalu dans le nouveau Musée d'art et d'histoire du judaïsme

(MAHJ), lequel aurait, selon une formule qu'elle reconnaît volontairement tranchée,

«réinventé le ghetto191 ». On peut donc s'interroger brièvement, dans le cadre du présent

travail, sur ce Musée de prestige, installé depuis 1998 dans l'Hôtel de Saint-Aignan, à Paris.

Contrôlé par la direction des Musées de France, avec un budget pris en charge, à parts

égales, par la Mairie de Paris et le ministère de la Culture, il est géré par une association,

fondée en .1988, que composent des représentants du ministère de la Culture, de la Ville de

Paris et des institutions majeures de la communauté juive française. C'est moins pourtant un

musée des Juifs en France, au sens où Blumenkranz l'entendait dans son Histoire, qu'un

Musée du judaïsme en lui-même, la seule ouverture annoncée portant sur « la possibilité

d'un art juif autre que liturgique ou traditionnel192 », là où l'historien concluait son propos

sur la floraison au XXe siècle de « personnalités juives de classe exceptionnelle », et qui,

telle était à ses yeux la nouveauté, n'ont plus refusé d'être reconnues comme juives, citant

notamment Durkheim, Lévi-trauss ou Bergson193. Du livre au Musée, il ne s'agit pas de la

même conception des juifs, ni de leur histoire dans la nation. C'est que la nation comme les

juifs ont changé au cours des dernières décennies du XXe siècle: la première ne se définit

plus seulement par une stricte laïcité une et indivisible, et tend à reconnaître une place au

religieux, aux religions, voire, sur un autre plan, aux régions; les seconds ont connu, à la

189 Sylvie Grange, « Cavaillon. L'ancien ghetto, un lieu de mémoire », Musées et collections publiques de France, n° 219, 1998, 2. p. 103. 190 Entretien avec Sylvie Grange, cité. 191 Ibid. 192 Ou encore: « la difficile question de la création détachée d'un contexte religieux », Musée d'art et d'histoire du judaïsme, Paris, Mairie de Paris, Ministère de la Culture, 1997.

111

Rapport Mémoires juive et protestante

suite du scandale de la France vichyste, puis de l'arrivée massive des rapatriés d'Afrique du

Nord, enfin des différents retours ou « revanches194 » de Dieu ou de la mémoire partout

observables, une rejudaïsation qui n'hésite pas à bousculer l'ancien modèle israélite de la

discrétion. La conjonction de ces deux phénomènes, évidemment liés, a abouti à la création

du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, héritier à la fois du musée d'Art juif, créé en 1948

par une association désireuse de sauver ce qui pouvait l'être après la grande tourmente, et de

collections léguées aux musées nationaux (Cluny) par des mécènes juifs du XIXe siècle.

Laurence Sigal-Klagsbald remarque à juste titre combien «la tradition républicaine,

conjuguée aux scrupules de la communauté juive en voie d'émancipation à revendiquer une

singularité culturelle, freina un tel projet jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, alors que

partout en Europe, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Angleterre, aux Pays-Bas,

naissaient des musées juifs195 ». La dimension, religieuse et la dimension artistique,

pleinement représentées au MAHJ, épuisent-elles pour autant le patrimoine juif ? Non, bien

évidemment. Il resterait à repérer, protéger et montrer ce « judaïsme "laïc" dont la marque, à

travers une activité intense dans les domaines politique, économique, culturel et social, a été

profonde dans la société française19 ». C'est ce que fait, par exemple, le Joods Historisch

Museum d'Amsterdam, qui expose l'apport des juifs à l'activité industrielle et commerciale

— et pas seulement diamantaire — dans les Pays Bas d'avant 1940.

À la pointe extrême de la relation dialectique entre le religieux (ou communautaire) et

le national, ou l'universel, et au profit de ce second pôle, on citera la jeune Association

Abraham Mazel , située, comme le Musée du Désert et le Musée des Vallées cévenoles,

dans la région de Saint-Jean-du-Gard, au coeur des Cévennes camisardes. Le lieu et le nom

de l'association rappellent fortement les débuts du Musée du Désert: il s'agit, dans le

hameau de Falguières, de la maison natale d'Abraham Mazel (1677-1710), qui fut un des

premiers Camisards, en 1702, et un des derniers, mort au combat. D est vrai que

1'« invention » de ce lieu est purement livresque, et n'offre pas, comme le Mas Soubeyran

des Laporte, à la fin du siècle dernier, un lien généalogique et mémoriel direct entre les deux

époques. Un avant-projet, en juillet 1992, annonce la création d'un « Centre international de

rencontre et de documentation des pays du Refuge protestant », dont la spécificité doit tenir

193 Histoire des juifs en France, op. cit., p. 447. 194 Gilles Kepel, La revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde. Seuil, 1991. 1,3 L. Sigal-Klagsbald, «Les collections publiques. Des richesses méconnues»,, Monuments historiques, n" 191, février 1994, Le patrimoine juif français, p. 91. 196 Max Polonovski, « L'actualité du patrimoine juif », ibid., p. 105. 197 Association loi 1901, 25 octobre 1992.

112

Rapport Mémoires juive et protestante

à la constitution d'une médiathèque, pus centre de documentation multimédia — les musées

existant dans le périmètre ayant largement tari le stock de documents et objets historiques.

La maison du chef camisard est définie comme un « lieu-symbole de résistance contre

l'oppression, de lutte contre l'intolérance et de défense des cultures minoritaires ». Le

comité de parrainage comprend, aux côtés du président du Conseil général de l'époque,

alors ministre, Gilbert Baumet (catholique), et du maire de Saint-Jean du Gard, également

catholique, deux anciens premiers ministres au protestantisme bien connu, Maurice Couve

de Murville et Michel Rocard. L'accent est mis sur trois périodes, la résistance camisarde, la

résistance au nazisme (marquée dans la région par l'accueil de réfugiés allemands et

autrichiens antinazis et surtout de très nombreux juifs), enfin les « résistances actuelles en

faveur des victimes de l'intolérance ». C'est ce dernier aspect qui a été le plus développé:

tour à tour la Bosnie-Herzégovine, les sans-papiers, les immigrés algériens, la réconciliation

en Afrique du Sud, les relations israélo-palestiniennes, la Nouvelle-Calédonie, la marche

internationale pour la paix en Inde, les résistances grecque, libanaise, kabyle, albanaise, etc.,

ont fait l'objet de conférences, tables-rondes, fêtes militantes, etc., de 1996 à 2 000. « Lutter

aujourd'hui, c'est lutter pour pouvoir survivre en Cévennes, c'est lutter contre les idées

extrémistes du Front National, .c'est les .luttes d'aujourd'hui. [...] C'est une notion qu'on a,

nous, fermement dans l'association, on doit être vigilant, en résistance permanente, contre

tout. Je crois qu'on a tous eu, ça a été comme un syndrome quand on a vu Le Pen faire

15 %. On s'est di, là, il y a une aberration, c'est pas possible. Voilà ce qu'est cette maison.

C'est une maison des résistants198 ». AuTdelà même des rapports entre les hommes,

l'association entend donner une place primordiale aux rapports entre l'homme et la nature,

en arguant du fait que les Cévennes sont classées en zone biosphère par l'Unesco. La

propriété agricole dépendant de la maison d'Abraham Mazel doit accueillir une

châtaigneraie conservatoire (un « devoir de mémoire » envers le châtaignier est même

évoqué199), et un Arboretum d'espèces européennes, « Les essences des pays du Refuge200 »,

qui est peut-être une adaptation de ce que fait l'institut Yad Vashem, à Jérusalemen, en

198 Entretien avec Jacques Verseils, président-fondateur de l'Association, Mialet (Gard), février 1998. 199 « Il est question ici d'un devoir de mémoire et d'hommage à un arbre qui, plus qu'une ressource alimentaire, représente le fondement même de l'histoire cévenole », Le Poivrier de Falguières, n° 12, automne 2 000, p. 7. Le musée des vallées cévenoles va plus loin, depuis longtemps: « On a un châtaignier creux qui est une armoire mais pour lequel il y a une tradition très forte dans cette Église, de predicants qui, au cours d'assemblées surprises, ont échappé en se cachant dans des châtaigniers creux », entretien avec Daniel Travier, février 1998. 200 Une forêt aménagée au sous-bois clair comprendra « deux types d'essences: les essences locales représentatives d'un certain intérêt esthétique (chênes, églantiers, cistes, arbousiers...) et des essences importées des pays du Refuge qui ont accueilli les Huguenots victimes des persécutions. Cet arboretum sera le symbole d'une réunion et d'une coexistence, matérialisant ainsi l'esprit de l'Association Mazel », Le Poivrier de Falguières, ibid.

113

Rapport Mémoires juive et protestante

plantant sur ses collines un arbre à la mémoire de chaque personne proclamée Juste entre les

nations. Signalons à cet endroit qu'un autre projet a vu récemment le jour, porté par un autre

descendant de vieille famille protestante cévenole: un parc à thème, articulé « de la diaspora

huguenote à l'Europe plurielle201 ». Son initiateur a vainement tenté d'associer à son projet,

directement commercial, les instances protestantes locales et nationales.

On a compris que l'Association Abraham Mazel entend faire de la figure et du combat

du chef camisard le symbole de l'esprit même de révolte, universel et indéfiniment

actualisable — et déclinable selon un atlas qui relève plus des priorités d'Amnesty

international que du Refuge huguenot. N'est-elle pas née du combat mené par des Cévenols,

des néo-ruraux, et des protestants de la diaspora, contre un projet de barrage destiné à

fournir de l'eau aux agriculteurs de la plaine gardoise, et qui aurait noyé la basse Vallée

Française, rebaptisée pour les besoins de la cause Vallée des Camisards ? Ce combat, frère

cadet de celui qui avait été mené sur le Larzac, a été gagné par les opposants qui ont cherché

alors à pérenniser le sens de leur action, comme l'ont fait les paysans et militants du même

Larzac. L'élément faussement surprenant, car si facile à comprendre dans des Cévennes

saturées dé" mémoire protestante, se trouve dans la récupération d'Abraham Mazel, dont le

nom sonne si clairement cévenol, et le prénom, protestant (l'emprunt à l'Ancien Testament).

C'est un cas très pur d'instrumentalisation, qui ne pouvait qu'agacer les vrais conservateurs

d'une mémoire strictement religieuse, au Musée du Désert. L'Association Mazel n'affiche

pourtant nullement l'intention de le concurrencer, ni sur le fond, ni quant à la clientèle: mais

le nom qu'elle s'est choisi est une véritable icône qui risque d'induire en erreur tout un

public cultivé, parfois fortuné, notamment étranger. D'une certaine façon, l'association

s'empare de ce que le Musée n'a pas voulu faire: sortir du protestantisme-religion et aller

vers le protestantisme-culture, sinon prétexte. Alors que les deux fonctions museales sont

réunies au Chambon-sur-Lignon, et sans doute, quoique beaucoup plus timidement, à Orthez

et Ferneres, voire dans le Musée des vallées cévenoles, elles semblent condamnées à une

séparation radicale en Cévennes. Avec un double effet pervers: chacune des deux

institutions risque de s'enfermer dans ce qui fait sa particularité, piété de la mémoire

protestante pour le musée du Désert, ouverture militante au grand vent du monde pour

l'association Abraham Mazel. Alors que l'histoire protestante est pleine de leçons pour le

Cf. Le Monde du 17 novembre 2 000.

114

Rapport Mémoires juive et protestante

citoyen de la République laïque , et que la construction d'un avenir meilleur a beaucoup à

méditer des drames du passé. Et alors que la personnalité de chacun des deux « patrons » est

plus complexe, socialement, qu'il n'y pourrait paraître: Jacques Verseils est un protestant

pratiquant, petit-fils, fils et frère de pasteurs, Jean Carbonnier, ancien doyen de la Faculté de

droit de Paris, est la figure par excellence du «protestant d'État» tel que la France en

compte, jusqu'aux sommets de ses principales administrations, depuis la Révolution.

Les choix muséographiques en cours ne tiennent pas seulement à l'explosion de la

demande de mémoire dans la France de la fin du XXe siècle. Us sont directement liés à la

conception que les groupes religieux, ou les collectivités territoriales, ou d'autres acteurs

encore, se font du religieux, de l'identité, du communautaire. Si le groupe donne de lui-

même une définition strictement religieuse, le musée qu'il a suscité sera à son image, en

exposant les objets et les livres du culte (pas de musée du protestantisme sans une collection

de Bibles, du XVIe au XXe siècle), les documents relatifs à l'encadrement des enfants et des

fidèles, ceux, enfin, liés à l'interdiction ou à la persécution. En revanche, si certains

membres du groupe, ou des collectivités territoriales, entendent sortir du religieux pour aller

aux effets que ce religieux induit, dans les domaines de la culture, de l'économie, de la

politique,, de la vie quotidienne, et pour relier la minorité à d'autres minorités, ou à des

valeurs nationales ou universelles, le musée proposé réduira d'autant la place du cultuel, ou

encore de l'intime, pour mettre en valeur les éléments d'influence, de relation, de

croisement. La distinction classique entre juifs et israélites, telle qu'elle s'est imposée dans

la France de la Troisième République, paraît toujours opératoire à cet égard: il y aurait des

musées «juifs » (le récent Musée d'art juif de Paris) et des musées « israélites » (le projet de

Cavaillon), tout comme on pourrait distinguer des musées « protestants » (tel le Musée du

Désert) et des musées « issus du protestantisme » (tel le Chambon-sur-Lignon ?). Que les

deux types de musées coexistent, que le second, même, « à l'israélite », semble plutôt appelé

à se développer, apporte au moins un enseignement de taille: la mémoire n'a pas tout

emporté dans son irrésistible poussée du dernier quart de siècle, ses trop célèbres « lieux »,

toujours susceptibles de tonitruante privatisation, n'ont pas pris le dessus sur les musées, ces

Marianne Carbonnier déclare en 1994: « Il s'agit à tout le moins de capter la sympathie en faveur des protestants, ce que permet la thématique polysémique du "désert": la résistance à l'oppression, au pouvoir public totalitaire, soit par la guérilla populaire soit par la non-violence, le combat pour la liberté, les libertés, la liberté religieuse », avant d'ajouter que le public prioritairement visé reste la communauté des protestants. IXe Colloque "Muséesprolestants", op. cit., p. 31.

115

Rapport Mémoires Juive et protestante

espaces ouverts à tous afin que chacun y puisse faire l'apprentissage de l'universel à travers

le particulier.

116

Rapport Mémoires juive et protestante

ANNEXES

117

Rapport Mémoires juive et protestante

Liste des entretiens réalisés

Autour de la mémoire juive

Eue ARDITI, Représentant régional pour le Sud-Ouest de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie (section de Marseille) Monique-Lise COHEN, Bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Toulouse Jacques LATU, Directeur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban Jacques LEVI, Président de la Communauté juive de Montauban Jacques LEVY, Cercle Adolphe-lsaac Crémieux de Nimes

Autour de la mémoire protestante

Monsieur CABY, Délégué à la conservation du Musée du Désert à Miallet Gill DAUDE, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de l'Association pour la Célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes à Montauban Monsieur FURTER, Pasteur de l'Eglise Réformée, Saint-Jean-du-Gard Robert GUICHARNAUD, Président de la Société Montalbanaise d'Etude et de Recherche sur le Protestantisme Baptiste ÑUMA, Fondateur d'un musée à Sainte-Croix Vallée Française Laurent PUECH, Conservateur du Musée Cévenol du Vigan Madame RIVIERE, membre de l'association du Musée du Protestantisme en Haut-Languedoc à Ferneres Roger Rossi, Pasteur de l'Eglise Réformée, Président de la Société d'Histoire du Protestantisme de Nîmes et du Gard Andrée-Laurence ROUBEAU, Présidente de l'Association pour la recherche historique, la conservation du patrimoine et la promotion du Musée du vieux Lacaune Daniel TRAVIER, Fondateur du Musée de Saint-Jean-du-Gard Daniel-Jean VALADE, Correspondant de l'Académie de Nîmes J. VERSEILS, Association Abraham Mazel de Saint-Jean-du-Gard Monsieur VIM, Pasteur de l'Eglise Réformée, Directeur de la Maison du Protestantisme de Nimes

Autour des mémoires juive et protestante

Chantal CAMBON, Chargée des collections du Musée du Vieux Nîmes Monsieur LEROY, Conservateur de la Bibliothèque municipale de Montauban

118

Rapport Mémoires juive et protestante

MEMOIRES JUIVE ET PROTESTANTE DANS LE MIDI DE LA FRANCE

Guide d'entretien pour l'enquête auprès des conservateurs, acteurs locaux,

archivistes, responsables associatifs

1. Présenter les lieux et les activités de l'institution :

0 origines de l'initiative : datation, contexte, motivations.

0 les collections : thèmes et origines.

2. Expliquer le fonctionnement institutionnel :

0 les institutions locales, nationales, internationales, publiques et/ou privées engagées dans l'initiative.

0 les acteurs individuels : qui ? comment ?

0 les financements et le budget.

3. La biographie personnelle de l'enquêté. Comment a-t-il été conduit à s'intéresser au sujet et à s'engager ? Quel sentiment en retire-t-il ?

4. Particularisme et universalisme : identité religieuse, identité régionale, occitane ; laïcité et idée républicaine.

5. Connaissance et attachement au pays, mise en valeur touristique.

6. La vie communautaire (juive ou protestante), le pluralisme religieux et idéologique, les clivages et les conflits internes.

7. La mixité culturelle et l'ouverture à l'autre ; rapports entre juifs et protestants, entre les différentes appartenances religieuses en général, entre laïcs et religieux.

8. Les réseaux : familiaux, institutionnels, diasporiques...

9. L'audience : Quel public est visé ? Quelle est la fréquentation moyenne ?

10.Y a-t-il des personnes que vous nous conseillez de rencontrer dans le cadre de cette enquête ?

119

Rapport Mémoires juive et protestante

MEMOIRES JUIVE ET PROTESTANTE DANS LE MIDI DE LA FRANCE

Guide d'entretien pour les personnes n'appartenant pas à une institution

1. Présenter les activités de la personne concernant la production de la mémoire.

2. Les origines de l'initiative : datation, motivations. => Biographie personnelle du témoin.

3. Les partenaires institutionnels sollicités : Selon quels canaux ou relations ? Comment ont-ils réagi ?.

4. Particularisme et Universalisme : questionner autour de l'identité religieuse, régionale, occitane (connaissance et attachement au pays).

5. Laïcité, idée républicaine.

6. Vie communautaire : Existe-t-il des clivages et des conflits ? Quelles relations avec les institutions religieuses et la communauté ?

7. Les relations avec les autres communautés.

8. Les réseaux : familiaux, institutionnels, diasporiques...

9. Les personnes engagées dans des activités semblables.

"lO.Les contacts potentiels: Y a-t-il des personnes que vous nous conseillez de rencontrer dans le cadre de cette enquête ?

120

Rapport Mémoires juive et protestante

Questionnaire sur les lieux de mémoire des Juifs et des Protestants dans le Midi de la France

Nom et Type d'établissement : (préciser Musée, bibliothèque, archives,

association, centre culturel, etc.)

Nature de l'établissement: (public / privé; association loi 1901, municipal,

départemental, régional, national, etc.)

1. Votre établissement a-t-il, d'une manière ou d'une autre, vocation à accueillir,

conserver, présenter des éléments du patrimoine juif et/ou protestant (objets,

oeuvres d'art, documents, iconographie, témoignages, etc.) ?

patrimoine juif | | • |_ | patrimoine protestant [_J \__\

oui • non oui non

• Pour quelles raisons ?

• Pouvez-vous commenter votre réponse ?

2. Conservation du patrimoine juif et / ou protestant :

• Votre établissement dispose-t-il d'un fonds concernant :

- le patrimoine juif : oui

- le patrimoine protestant : oui | | non [ |

121

Rapport Mémoires juive et protestante

• Pouvez-vous préciser la nature et l'origine de ce fonds :

- patrimoine juif :

- patrimoine protestant :

• Quelle en est l'ampleur ? (estimation du nombre d'objets conservés) :

- patrimoine juif :

- patrimoine protestant :

3. Présentation des collections au public

• Ce fonds est-il mis à la disposition du public ? sous quelle forme ? (vitrines,

départements ou sections, salles, collections permanentes, catalogues, etc.)

- patrimoine juif :

- patrimoine protestant :

• Votre établissement a-t-il déjà consacré une exposition spécifique à l'histoire, à la

culture, à la mémoire des deux groupes concernés ?. Si oui, précisez les thèmes et

les dates.

122

Rapport Mémoires juive et protestante

• Une ou plusieurs publications ont-elles été réalisées sur ce thème ?

• Autres (colloques, conférences, projections, etc.)

4. Projets

• Votre établissement envisage-t-il, dans ce domaine, de nouvelles actions ou

activités ? Lesquelles ?

• Souhaitez-vous ajouter des remarques ou un commentaire à ce questionnaire ?

• Si vous ne vous sentez pas concerné par ce questionnaire, pouvez vous le

transmettre à quelqu'un plus susceptible à vos yeux d'y répondre ?

• Et par ailleurs, connaissez-vous dans votre région, des personnes ou des

institutions pouvant intéresser notre enquête ?

Merci de bien vouloir retourner ce questionnaire rempli à :

CIREJED. Maison de la Recherche - 5 allées A. Machado - 31058 Toulouse Cedex

123

Rapport Mémoires juive et protestante

Liste des établissements ayant répondu au questionnaire sur les mémoires juive et protestante

dans le midi de la France

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

31 Musée des Augustins N N 21 rue de Metz 31000 TOULOUSE

Musée Saint Raymond O N Place Saint Sernin 31000 TOULOUSE

Une expo en 1962 sur "La Réforme à Toulouse de 1562 à 1762." + Catalogue de l'expo.

Décret de la communauté juive de Béréniké(Libye) daté du début de notre ère. Projet d'expo mettant en scène des civilisations sémitiques.

Direction des Archives de la Haute-Garonne l l .Bd Griffoul-Dorval 31400 TOULOUSE

N N Conservent les documents sur la religion protestante et les protestants (archives de la chambre de l'Edit, fin XVno-XVm°), et sur les Juifs, particulièrement sur la période de la 2nde GM.

Musée du pays de Luchon N N 18, allée d'Etigny 31110 BAGNERES DE LUCHON

Musée du vieux Toulouse O 7, rue du May 31000 TOULOUSE

O Affaire Callas - XVIIIo

(tableaux, gravures). + Divers aspects de la vie religieuse à travers le temps

124

Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

82 Bibliothèque Municipale O Antonin Dubosc Roseraie François Mitterrand 82000 MONTAUBAN

O

Direction des Archives 14, avenue du 10° Dragon 82000 MONTAUBAN

N O

Nombreux documents sur le passé protestant moins pour les juifs. Colloque sur l'Edit de Nantes (1998) + Création d'un fonds documentaire protestant.

Fonds d'archives du Consistoire de Montauban en cours de classement (cote: 10 J).

Musée municipal MOISSAC

N N

81 Musée du Protestantisme O en Haut-Languedoc

81260 FERRŒRES

O

Musée du vieux Lacaune N Place du Griffoul 81230 LACAUNE

O

Pour le PJ, lié à l'histoire des deux communautés pendant la2ndeGM + ' 7 ^ X / i sont le peuple de la Bible, nous avons donc un patrimoine commun".

La secrétaire du musée a produit un mémoire de maîtrise et un mémoire de DEA sur les protestants de Lacaune.

Musée Toulouse-Lautrec Palais de la Berbie 81003 ALBI Cedex

N N

Musée Goya Hôtel de Ville 81108 CASTRES Cedex

N O Expo durant l'été : "Castres et l'Edit de Nantes" + un colloque prévu par la BM.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

09 Musée pyrénéen de Niaux Arts et tradition populaire d'Ariège 09400 NIAUX

N N Consacré au monde agricole : Dans la ruralité montagnarde, il est fait abstraction de l'idéologie religieuse, à tel point que même les croix ne sont pas représentées sur l'outillage.

Conservation départementale N Hôtel du Département 09001 Forx cedex

O Collections relatives aux nbx séjours d'Henri IV dans le département. Pour les juifs : projet d'un mémorial au camp du Vernet + site de mémoire à Rimont, village martyr.

Direction des Archives Départementales 59, chemin de montagne 09000 Forx

O O Documents d'archives relatifs à l'histoire de ces Communautés Juifs : rares pièces concernant le statut juifs du Comté de Foix au M-A + nbx dossiers sur la période de Vichy. Protestants : nbses archives depuis le XVIo

siècle.

Mairie de Tarascón s/Ariège N Avenue Victor Pilhes 09400 TARASCÓN SUR ARDEGE

N

Bibliothèque Municipale N O

20bis, av. du G' 09007 Forx

al de Gaulle

Environ 250 ouvrages

protestants du XVIo

siècle à nos jours. Exposition des œuvres de P. Bay le et de ses contemporains.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

12 Musée Denis Puech O Place Clemenceau 12000 RODEZ

Direction des Archives O O Départementales 25, avenue V. Hugo 12000 RODEZ

Bibliothèque départementale O O de Prêt Rue Paraire 12000 RODEZ

Oeuvres d'artistes juifs et protestants, mais ces derniers ne sont pas identifiés et répertoriés.

Joint un document sur l'état civil protestant, XVF-1792. + projet d'expo sur les guerres de religion.

Documents, iconographie, témoignages, etc.

32 Musée d'Auch 4, place Louis Blanc 32000 AUCH

N N Expose toutefois un moulage d'une inscription en hébreu daté du VU° siècle (photo jointe).

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

46 Musée Champollion FlGEAC

N N

Bibliothèque Municipale Place F. Mitterrand 46000 CAHORS

N N

Archives Départementales du Lot 218, rue des Cadourques 46000 CAHORS

O O Juifs : mentions isolées au hasard des actes. Protestants : circulaires, police du culte, comptabilité, XIXe siècle Doc. joint : Conserver la mémoire du Lot.

Association du Musée de la N Déportation et de la Libération du Département du Lot BP294 46005 CAHORS

N Salles relatives à la déportation de 22 lotois vers Auschwitz : documents, lettres, etc. + une plaque en hommage aux victimes des déportations devant laquelle se déroule la cérémonie officielle annuelle du souvenir.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

65 Musée des beaux-arts Mairie de Bagnères-de-Bigorre Bid de l'Hypéron 65201 BAGNERES CEDEX

N N Lithographies de A. Mouilleron représentant l)l'incendie d'un quartier juif. 2) l'école juive.

Musée pyrénéen Château Fort 65100 LOURDES

N N

Archives Municipales de Tarbes TARBES

N N Registres d'état civil et pièces justificatives de comptes pour les protestants. Expo et conf. en 1988 sur les guerres de religion pour l'anniversaire de la révocation de l'Edit de Nantes. En préparation : "Quelques traces du protestantisme à Tarbes XVn°-XVm° siècles".

Médiathèque Louis Aragon N 31, rue André Fourcade 65000 TARBES

Compte tenu de l'histoire locale et régionale, les ouvrages sont inclus dans le fonds local régional. Conf. dans les locaux du CDDP sur le protestantisme à Bagneres, par M. Taillefer

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

30 Musée Georges BRIAS N Mairie d'Uzes BP103 30701 UZES cedex

Musée du désert N

30140 ANDUZE

O

O

Musée d'Art sacré du Gard O Maison des chevaliers 2, rue Saint-Jacques BP 30F 31130 PONT-SAINT-ESPRIT

O

"Tout ce qui concerne le patrimoine protestant de la région est au musée du Désert à Mialet."

6000 documents et Mialet archives, vitrines, salles, collections permanentes sur l'histoire protestante de la période du Désert (1685-1789).

L'art y est présenté comme "composante de notre cultu re et non comme catéchèse Fonds : bible de Lefèvre d'Etaples, 1534. Projet : 400 ans de l'Edit de Nantes.

Musée cévenol Rue des calquières 30120 LE VIGAN

N O

Musée du vieux Nîmes aux herbes 30000 NIMES

O O chaque

Patrimoine à caractère historique. Donations, prêts et iconographie sur 3 sections: 1560-1598 ; 1598-1685 ; 1685-1787. Nombreuses expositions, une publi. : "Sept lettres du Comte Esterhazi, Le Vigan en 1786".

Fonds: environ 5 de Place

Pas présenté au public. 1993 : une expo sur "Histoire du protestantisme dans Nîmes" et projet de salle permanente sur « Les religions à Nîmes, élé--ments d'ethnographie".

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

34 Musée du Biterrois Caserne Saint-Jacques 34500 BEZIERS

O O

Bibliothèque municipale 37, BD Bonne-Nouvelle 34000 MONTPELLIER

O O

Vie culturelle et sociale d'un "pays", avec ses particularismes de la plus haute antiquité à ce

jour dans son cadre naturel. PJ: 2 inscriptions du MA. PP: bibles, médailles, iconographie, doc. sur les sœurs, XLX°,... 1985 : expo sur la révocation 1999 : en partenariat avec l'ERF, expo sur le centenaire du Temple de Béziers.

Livres et périodiques.

Direction des Archives ' BP 1266 34011 MONTPELLIER Cedex

O O Fonds ER de Montpellier Consistoire de Montagnac de Saint-Afrique et de Marsillargues (950 doc.) 1981 : Sources de l'histoire du protestantisme. 1985 : Les juifs à Mont­pellier hier et aujourd'hui. 1998: A propos de l'Edit de Nantes. De l'intolérance à la paix civile et religieuse. Publi. : Les juifs à Mont­pellier et dans le Languedoc à travers l'histoire du MA à nos jours. Actes du colloque international du CREJH, sous la dir. de C. Iancu, 1988.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

84 Musée et Patrimoine de Cavaillon 52', place Castil-Blaze 84300 CAVAILLON

O O Documentation spécialisée, iconographie. Ci-joint tableau + CF projet scientifique et culturel de l'établissement (voir che-mise "Vaucluse").

Bibliothèque Municipale d'Avignon 2 bis, rue Laboureur BP349 84025 AVIGNON Cedex

O O Pas de fonds mais des doc, imprimés ou manuscrits les concernant conservés dans le fonds de la BM. Catalogue des imprimés (XV°-XX°) et des manuscrits.

Musée du Petit Palais Palais des Archevêques Place du Palais des Papes 84000 AVIGNON

N N Peinture italienne du MA et de la Renaissance.

Archives Départementales du Vaucluse Palais des Papes 84000 AVIGNON

N N Saisies révolutionnaires des biens des établissements et institutions supprimés. 1998 : expo sur "Le destin d'une minorité : Les protestants en Vaucluse. XVT-XLX°S." La tâche d'un service public tel que le nôtre est de conserver le patrimoine national dans lequel on peut trouver des sources concernant l'histoire de telle ou telle communauté, et non d'identifier certains fonds ou pièces "apparie -nant"à cette communauté.

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES Musée Calvet 65, rue Joseph Vernet 84000 AVIGNON

Questionnaire non retourné

Les pièces faisant partie du PJ et PP appartenant au Musée calvet se trouvent désormais en dépôt au musée judéo-comtadin de Cavaillon, à l'exception d'une inscription hébraïque portant len°47 (CF doc jointe).

33 Société des amis du Vieux Blaye Musée d'Histoire et d'Art du Pays Blayais Pavillon de la Place Citadelle de Blaye 33390 BLAYE

N N

Musée des Arts décoratifs Hôtel de Lalande 39, rue Bouffard 33000 BORDEAUX

Questionnaire non retourné

Un seul objet rattaché au culte juif qui est une lampe de hanoukah en

cuivre

Archives Départementales de la Gironde 13-25 rue d'Aviau 33081 BORDEAUX

O O Publi. : Dictionnaire du judaïsme bordelais aux XVm° et XLX° S, Jean Cavignac, 1987. Jean Valette, Les registres paroissiaux protestants de

Libourne, Bordeaux, 1981 ; Les registres paroissiaux protestants de Gensac, Bordeaux 1987. (CF doc joint + liste des archives dans chemise Gironde").

Musée d'ethnographie de Bordeaux Université Victor Segalen BORDEAUX 2

N N Doc. joint sur une expo, sur le thème : "Guerre et violence : les fascinations estétiques", "dans laquelle était abordée la guerre 39-45 et les problèmes des rapports et de l'opposition culturelle jufs-non juifs."

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Rapport Mémoires juive et protestante

Dpt NOM/ADRESSE PJ PP REMARQUES

64 Musée du protestantisme Béarnais Maison de Jeanne d'Albret Rue Bourg Vieux 64300 ORTHEZ

N O Plus de 300 documents, dons de particuliers, fonds en dépôt appartenant au CEPB* ou à l'ERR Expo permanente sur l'Hisoire du protestantisme en Béarn 18°-19° S. * Centre d'Etude du Protestantisme béarnais.

Mairie de Lesear 64230 LESCAR

Questionnaire non retourné

Le musée a pour vocation l'évocation de l'histoire locale autour

de l'époque gallo-romaine.

Temple de l^RF à Biarritz et à Bavonne

N O Objets et livres de l'exercice du culte, dons de fidèles. Colloque sur les 150 ans du Temple, expo sur l'Edit de Nantes.

Musée Basque et de l'histoire de Bavonne Rue Marengo 64100 BAYONNE

O O Salle des Israélites de Bayonne dés l'ouverture du musée en 1924. Expo : "Les juifs de Bayonne. 1492-1992." + catalogue. Souvenirs de la famille Nogaret, pasteurs à Bayonne au XIX°siècle. Projet d'ouverture d'une salle en 2001 qui permettra d'évoquer de façon permanente les mémoires juive et protestante à Bayonne et dans la région du Bas Adour.

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