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Recherches sociologiques et anthropologiques 2006/2 A. Belhaj : 121-139 L'usage politique de l'islam : , l'universel au service d'un Etat Le cas du Maroc par Abdessamad Belhaj * Lorsqu'il s'agit d'étudier les rapports des pays arabes à la mondialisation, il est nécessaire d'évoquer l'islam. En tanl que facteur local, la symbolique islamique offre des ressources de légitimation au pouvoir. Le cas marocain illustre bien la manière dont les rapports existanl enlre le Makhren et le répertoire religieux (Amïr al-Mu'minîne, la hala, la chérifibilité ... ) font de l'introduction de la modernité un simple espace virtuel et fonctionnel. L'émergence de la contesta- tion islamiste participe à la consécration du répertoire traditionnel. D'autre part, depuis les trois dernières décennies, l'essor de l'islam mondialisé offre au Ma- roc des opportunités politiques à l'échelle mondiale. Ceci est observable au ni- veau du rôle joué par le pays dans le cadre de la diplomatie islamique (OCr, rSESCO ... ) ou au niveau de son positionnement dans l'islam européen. La ges- tion de l'interaction entre l'islam local et l'islam global, adaptée à la conjonc- ture internationale, assure le maintien au pouvoir du régime. I. Introduction Les rapports existant entre la société marocaine, ses instances dirigean- tes et l'Islam participent d'une longue histoire. Dans cet article, nous étu- dierons d'abord les fondements religieux du pouvoir royal, pour nous in- téresser ensuite aux rapports existant entre l'islam local et l'islam global. Dans le cas marocain, nous désignons par islam local le malékisme, le confrérisme et le sunnisme orthodoxe. Ces éléments ont donné forme à un islam populaire très vivant mais aussi à une politique religieuse officielle structurée et performante dont l'objectif est d'assurer la légitimité de la dynastie alaouite. Certes, il existe une contestation politique et religieuse porteuse d'un discours islamique alternatif. C'est ainsi que Abdessalam •Avicenna Institute of Middle Eastern Studies - Université Pazmany Peter, Piliscsaba-Budapest, Hon- grie. Membre du CISMOC, Centre interdisciplinaire d'études de l'islam dans le monde contemporain (UCl). Email: [email protected].

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Recherches sociologiques et anthropologiques 2006/2A. Belhaj : 121-139

L'usage politique de l'islam :,l'universel au service d'un EtatLe cas du Maroc

par Abdessamad Belhaj *

Lorsqu'il s'agit d'étudier les rapports des pays arabes à la mondialisation, il estnécessaire d'évoquer l'islam. En tanl que facteur local, la symbolique islamiqueoffre des ressources de légitimation au pouvoir. Le cas marocain illustre bien lamanière dont les rapports existanl enlre le Makhren et le répertoire religieux(Amïr al-Mu'minîne, la hala, la chérifibilité ... ) font de l'introduction de lamodernité un simple espace virtuel et fonctionnel. L'émergence de la contesta-tion islamiste participe à la consécration du répertoire traditionnel. D'autre part,depuis les trois dernières décennies, l'essor de l'islam mondialisé offre au Ma-roc des opportunités politiques à l'échelle mondiale. Ceci est observable au ni-veau du rôle joué par le pays dans le cadre de la diplomatie islamique (OCr,rSESCO ... ) ou au niveau de son positionnement dans l'islam européen. La ges-tion de l'interaction entre l'islam local et l'islam global, adaptée à la conjonc-ture internationale, assure le maintien au pouvoir du régime.

I. IntroductionLes rapports existant entre la société marocaine, ses instances dirigean-

tes et l'Islam participent d'une longue histoire. Dans cet article, nous étu-dierons d'abord les fondements religieux du pouvoir royal, pour nous in-téresser ensuite aux rapports existant entre l'islam local et l'islam global.Dans le cas marocain, nous désignons par islam local le malékisme, leconfrérisme et le sunnisme orthodoxe. Ces éléments ont donné forme à unislam populaire très vivant mais aussi à une politique religieuse officiellestructurée et performante dont l'objectif est d'assurer la légitimité de ladynastie alaouite. Certes, il existe une contestation politique et religieuseporteuse d'un discours islamique alternatif. C'est ainsi que Abdessalam

•Avicenna Institute of Middle Eastern Studies - Université Pazmany Peter, Piliscsaba-Budapest, Hon-grie. Membre du CISMOC, Centre interdisciplinaire d'études de l'islam dans le monde contemporain(UCl). Email: [email protected].

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Yassine, chef historique du mouvement Justice et bienfaisance, a toujoursvu dans la politique religieuse marocaine une forme de despotismeomeyyade. En réaction, il revendique la restauration de la khilafa. Commenous le démontrons, cette contestation, basée sur des éléments tels que lachérifibilité, la commanderie des croyants et le confrérisme, consacre pa-radoxalement le référent religieux du régime et diffuse la même culturepolitique.

II. Les fondements de la légitimité islamiqueLe pouvoir marocain fonde sa légitimité à l'égard de la nation en recou-

rant à des attributs basés sur l'islam universel. Cette approche se mani-feste dans la manière dont se structure le pouvoir royal, dans le typed'allégeance faite au souverain et dans la dimension religieuse qui légi-time les fondements du droit.

A. Repères historiquesL'islamisation du Maroc est indissociable d'une certaine mondialisa-

tion. En 682 de notre ère, l'arrivée des Arabes, qui avaient déjà conquisles territoires séparant l'Afrique du Nord de la Chine, apporte aux tribusberbères des idées nouvelles sur le monothéisme, l'organisation de l'Étatet la justice sociale. Très rapidement, ces tribus tentent d'obtenir l'indé-pendance vis-à-vis de l'Orient arabe. Elles l'obtiennent en 740, après unerévolte armée contre Damas, capitale du Califat omeyyade. Profitantd'une situation géographique à la périphérie du monde musulman, les tri-bus réunies au sein de l'alliance Aouraba, fondent en 791 autourd'Idriss le;, descendant d'Ali, le premier État Marocain. L'héritaged'Idriss Iefmarquera l'histoire du Maroc jusqu'à nos jours.

Les dynasties qui règnent sur le Maroc entre les IXe et le XVIIe siècles(Idrissides, Almoravides 1, Almohades 2, Mérinides 3, Saadiens 4), vontasseoir leur pouvoir soit sur la descendance du prophète, comme les Idris-sides et les Saadiens, soit sur un élan religieux et guerrier, comme les Al-moravides et les Almohades. Dans les deux cas, les mécanismes d'un Étatmarocain central et puissant s'organisent autour du roi, commandant descroyants, à la tête du Maklizen 5. Au niveau religieux, le Makhzen se dé-

1 Dynastie berbère originaire du Sabara dont le nom arabe Al Mourabitoun signifie "les moines guer-riers". Les membres de cette dynastie ont construit la ville de Marrakech en 1070 et gouverné l'Afriquedu Nord et l'Espagne.2 Dynastie berbère originaire du Haut Atlas dont le nom arabe Al Mouwahidoune signifie "les unitaires".Les membres de cette dynastie ont fondé Rabat.3 Dynastie berbère (nomades Zénètes originaires du bassin de la haute Moulouya). Cette dynastie a fon-dé Fès El-Jedid.4 Dynastie chérifienne dont le nom dérive de Chorfa, ce qui signifie: "descendants du Prophète Moha-med". Les membres de cette dynastie sont originaires de la vallée du Draa. Ils ont fondé un vaste empireafricain.5 Ce terme signifie "dépôt" et est à l'origine du terme "magasin". La faculté de percevoir les impôts estsynonyme du pouvoir exercé par une tribu sur les autres. Par extension, le terme Makhzen désigne lerégime marocain.

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barrasse des doctrines hétérodoxes comme le Kharijisme 6 et le Chiisme 7,

qui avaient marqué les premières tentatives d'indépendance vis-à-vis del'Orient arabe sunnite, pour privilégier le Malékisme 8, l'Ach'arisme 9 et leSoufisme 10 comme fondements symboliques de la culture marocaine.

Les Alaouites, qui prennent les commandes du royaume à partir de1650, héritent d'un État fort et d'une culture rigoureuse. Ils mobilisent lesmêmes ressources que leurs prédécesseurs : les confréries soufies, la ché-rifibilité 11, les oulémas 12, le principe d'allégeance et le clanisme, avec,somme toute, plus de rigorisme autoritaire que religieux. Ce pouvoir s'ap-puiera sur un courant de modernisation initié à la faveur de réformes en-gagées dans le courant du XIXe siècle et, surtout, durant le protectoratfranco-espagnol (1912-1956). Les mécanismes d'un État moderne impor-té renforcent ainsi le Makhzen; historiquement détenteur d'une légitimitésymbolique et d'une tradition séculaire de contrôle social et politique. Lesinstitutions de ce régime politique moderne inspiré du modèle occidentalsont mises en place pour permettre une gestion plus efficace de la vie po-litique et sociale intérieure ainsi que pour répondre aux défis militaires etéconomiques européens.

En 1912, le couple franco-espagnol réussit à partager le Maroc.L'islam, principale ressource des mouvements d'indépendance dans lemonde arabe, va marquer l'évolution politique et culturelle du pays. LeMakhzen, qui a préservé ses ressources symboliques et politiques durantla période du protectorat, survit à la contestation militaire et socialistegrâce à sa légitimité traditionnelle. L'essor de l'islamisme mondialisé en-térine la position du religieux dans les enjeux politiques et symboliques.L'alliance avec l'Arabie Saoudite combinée à une diplomatie active auMoyen-Orient encouragent le pays à tenter de globaliser le modèle del'islam marocain. À l'inverse, la récupération de l'islam global renforcel'assise du pouvoir local.

B. Le Commandeur des croyantsLe titre prestigieux d'Amïr al-Mu 'minine fut attribué la première fois

au deuxième calife 13 'Umar (v.581-644). Il confère à celui qui le porte un

6 Secte politico-religieuse dont le nom signifie les "rebelles". Ce fut, avec le sunnisme et le chiisme, l'undes trois courants politiques qui marquèrent le début de l'islam. Les membres de cette secte prônaient lecombat armé contre les gouverneurs qui n'appliquaient pas la loi islamique.7 Secte politico-religieuse signifiant "les partisans d'Ali" (gendre du Prophète). Ils accordent le droitdivin de gouverner aux descendants d'Ali.8 École juridique fondée par Malik Ibn Anas (v.715-v.795) traditionniste originaire de la Médine.9 École théologique fondée par abu al-Hasan al-Ashcari (874-935) à Baghdâd. Elle utilisel'argumentation rationnelle pour défendre des positions traditionnistes sur les attributs et la foi.10 Courant mystique de l'islam. Très enraciné au Maroc, il est à l'origine des confréries et des Mara-bouts.11 La descendance du Prophète.12 Savants musulmans versés dans les sciences religieuses.13 Mot arabe qui signifie "le successeur". Le chef de la communauté musulmane est appelé ainsi parcequ'il a remplacé le Prophète dans la direction des affaires religieuses et politiques.

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statut ambigu, relevant du pouvoir spirituel aussi bien que du pouvoir po-litique, sans que la frontière entre les deux ne soit bien définie. La mêmepersonne guide les croyants dans leurs prières, préside aux destinées del'État et conduit les troupes. D'un point de vue théologique, ce titren'implique en aucun cas un élément d'infaillibilité et de pouvoir absolu.Au contraire, les juristes musulmans ont imposé au sultan l'application dela chart a, la justice et la bonne gestion de l'État. Après le quatrième ca-life CAli (v.600-661), la nature du pouvoir change. Les deux fonctions,religieuse et politique, sont assumées par le sultan dans un système politi-que autoritaire où le titre d'Amfr al-Mu'minîne signifie la concentrationdes pouvoirs légitimée par l'islam. Les oulémas, contraints par l'acted'allégeance qui leur impose l'obéissance, concèdent leur pouvoir symbo-lique au sultan.

Dans le contexte marocain, la monarchie s'attache à ce titre pour sa va-leur historique et son enracinement dans l'imaginaire politique musulman.Ces critères assurent en effet une sacralité de la figure du sultan; ils en-tretiennent par ailleurs une ambiguïté au niveau de l'étendue de ses pou-voirs. Le titre d'Amfr al-Mu 'minine a essentiellement deux fonctions dansle système politique marocain: l'une est inclusive, l'autre est exclusive.

La fonction inclusive est mise en œuvre dans le discours paternaliste dusultan qui rappelle sans cesse qu'il est la seule référence de la nation ma-rocaine. À cet égard, le commandant des croyants se situe au delà desconflits, des enjeux politiques et des différences ethniques, sociales ouautres qui traversent la nation. Ceci lui permet, en temps de réconcilia-tion, de s'ériger en haute instance de pardon. En temps de crise ou de mo-bilisation, il se présente en chef musulman guidant tous les sujets contreles ennemis, intérieurs ou extérieurs.

La fonction exclusive se manifeste par le monopole de l'autorité reli-gieuse qui empêche l'accès des islamistes ou de tout autre opposant aupouvoir politique, à moins qu'ils ne reconnaissent l'autorité du sultan.Celui-ci utilise souvent son titre dans les situations de contestation inté-rieure pour appeler à éviter la fitna 14, synonyme d'exclusion de la com-munauté, voire de répression extrême. Nul ne peut accéder au jeu politi-que marocain, fût-il limité, sans reconnaître le statut d'Amfr al-Mu'minine, d'où les débats récurrents autour de cette question entre lesislamistes et le Makhzen.

C. L'usage de la tradition politique musulmane: l'institution de la halaDans la tradition politique de l'islam, la hala est un contrat d'allé-

geance passé entre le calife et la collectivité (Tozy, 1999 :33). Dans sespremières versions, ce contrat imposait des obligations fermes au calife.En revanche, les gouvernés s'engageaient à l'obéissance absolue tant quele calife respectait ses engagements. Les deux caractéristiques principalesde cet acte "contractuel" sont, d'une part, sa sacralité, d'autre part, le fait

14 Sédition, guerres ou tensions internes à la communauté musulmane.

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qu'il ne stipule pas les mécanismes de contrôle des engagements pris parle calife. Il faut rappeler qu'au départ, cet engagement était basé sur laconfiance, valeur majeure pour les tribus arabes préislamiques. Au mo-ment du passage à la monarchie héréditaire, après la période des Califesguidés 15 (632-661), le sultan, veillant surtout à maintenir son pouvoir,s'attache fortement à cet acte qui lui assure le pouvoir absolu sur la com-munauté sans qu'il lui soit nécessaire de respecter ses propres engage-ments. Dans le Maroc moderne, ce contrat est présenté selon l'équation:autorité absolue égale garantie de sécurité. La pratique actuelle de lahala s'ordonne autour d'une double particularité:

Elle est un rite de soumission célébré annuellement et un acte solen-nel, consentant et reconnaissant la légitimité du pouvoir royal oumarquant l'adhésion à l'autorité d'un nouveau monarque. Dans cecas, la hala revêt la forme d'un acte dressé par un juge religieux(Qadi) qui va invoquer pour sa rédaction toute la chaîne référentielledu Sunnisme classique (Benani, 1986 :53).

Le texte de la hala des populations de Oued Eddahab 16, signé le 14août 1979, est un exemple qui résume le rôle important et efficace du fac-teur religieux dans le comportement politique du régime marocain. Unedélégation de 360 personnes représentant les populations de la région estvenue donner lecture de l'acte d'allégeance à Hassan II. Le texte com-mence par deux paroles du Prophète Muhammad :

Ne foulez pas une terre qui vous paraît sans autorité car celui qui in-carne l'autorité est comme l'ombre de Dieu et du Prophète sur terre.Celui qui est délié de toute allégeance est mort comme ceux qui ontvécu pendant la liihiliyya [Sahih Muslim :3437].

Le premier haditli 17 est considéré comme étant faible du point de vuedes sciences du haditb puisque la chaîne de transmission l'attribue à unmembre de la dynastie des Ommeyades [Al-Albânî :1661]. Il faut signalerque l'héritage de la période ommeyade est particulièrement conséquent entermes de traditions inventées et attribuées au Prophète, ceci en raison desluttes relatives à la légitimité religieuse menées contre les opposants chii-tes et kharijites.

Quant à la deuxième parole, malgré une transmission rapportée parMuslim (la deuxième autorité en matière de hadiths chez les Sunnites), lesjuristes l'ont interprétée en soulignant que d'autres qualités étaient néces-saires pour pouvoir prétendre au titre de calife: la justice, la piété reli-gieuse irréprochable et l'application de la loi islamique, ce qui n'est pascité dans l'acte d'allégeance en question:

15 Les quatre successeurs du Prophète Muhammad: Abu Bakr, Umar, Uthman, Ali. Cette période estconsidérée par les Sunnites comme l'idéal islamique en ce qui concerne la justice et le gouvernement.16 Région du Sahara récupérée par le Maroc en 1979.17 Parole, comportement ou approbation du Prophète et deuxième autorité en Islam après le Coran. Lescorpus sunnites et chiites des paroles sont fondamentalement différents.

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Nous Chorfa 18, Oulémas, notabilités, hommes et femmes, jeunes etvieux, avons décidé donc à l'unanimité de renouveler à Amïr al-Mu'minine, défenseur de la loi et de la nation, S.M. le Roi Hassan IIle serment d'allégeance comme l'avaient fait nos pères et ancêtresaux Souverains Alaouites.

Notre serment d'allégeance est conforme à celui prêté par les Com-pagnons au Prophète Sidna Muhammad sous l'arbre d'al-ridwân 19.

Aussi avons-nous pris un engagement de loyalisme à Son autorité etavons juré de Lui être fidèles et de suivre à tout moment et en toutescirconstances Ses conseils.

Nous nous considérons désormais comme Ses partisans, Son soutienet Ses soldats. Nous soutiendrons Ses alliés et combattrons Ses en-nemis.

C'est un acte et un serment librement consentis, Dieu en est témoin(Acte de foi publié par Le Matin du Sahara du 13/08/2004).

Trois éléments interpellent dans ce qui vient d'être évoqué. En premierlieu, l'abondance des références scripturaires. Par la citation des hadithsqui mettent l'accent sur la nécessité de la baya, le discours politique as-pire à persuader les oulémas, les islamistes et le courant traditionnel. Cesforces religieuses et sociales attachent toujours une grande importance auCoran et à la Tradition du Prophète dans un pays qui reste sous l'influen-ce d'une école Malékite très formaliste.

Deuxièmement, l'établissement d'un lien entre le Prophète et le com-mandeur des croyants (Amïr al-Mu'minineï, en l'occurrence Hassan II,assure la Baraka 20, mais aussi le privilège. En effet, prêter allégeance à undescendant du Prophète revient à prêter allégeance au Prophète lui-même.

Enfin, la bal a marocaine va encore plus loin dans cette évocation dusacré. En faisant référence au serment d'allégeance des compagnons duProphète 21, elle récupère le mythe politique d'al-ridwiin, ce qui signifie"satisfaction", "dévouement" (Labari, 2002 :61).

Le discours officiel joue largement sur cette référence. Lors de chaquecommémoration de cet événement, les médias favorables au régime rap-pellent:

L'allégeance des tribus de Oued Eddahab, cette bay'a ainsi procla-mée, renouait avec une tradition historique centenaire qui, inscritedans une longue histoire, rappelait aux uns et aux autres que la mon-naie des populations du Sahara avait été, de tout temps, frappée àl'effigie du Roi du Maroc, que la prière se faisait, cinq fois par jour,en son nom et que les archives contiennent encore des centaines

18 Familles descendant du Prophète.19 Allégeance de la conununauté des compagnons au Prophète appelée "allégeance de la satisfaction" ou"bénédiction" parce qu'elle est citée dans le Coran.20 Don de bénédiction attribué aux descendants du Prophète.21 Il s'agissait d'une demande de regroupement autour du Prophète dans un moment de crise contre latribu de Quraych qui s'opposait à son message.

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d'actes attestant de cette allégeance (Le Matin du Sahara,13/8/2004).

Le maintien de la bal a, élément constitutif du pouvoir politique, apermis de réduire la place du droit positif et d'en faire la simple mise enforme institutionnelle d'une légitimité historique. Ainsi, lors de la bay:a,les représentants de la communauté ne font pas allégeance à un chefd'État mais à un calife, personne à la fois réelle et mythique. La bay'aconstitue, dans la conception marocaine de la politique, une délégationabsolue du pouvoir à une personne qui assure la sécurité. On n'y évoqueaucun mécanisme de contrôle de pouvoir ni les limites de ce pouvoir. Labal a serait dans ce cas une bénédiction pour un pouvoir absolu.

La réponse du Roi à cette allégeance illustre bien l'absence de devoirs(censés être assumés par celui qui reçoit l'allégeance dans la pensée poli-tique sunnite), hormis la garantie de veiller sur la vie des gens. L'ombrede la fitna règne sur les rapports du chef avec la communauté et empêchetout questionnement politique de crainte de provoquer la sédition. Ainsi lesultan s'engage, symboliquement, à garantir la sécurité des populations:

Nous venons de recevoir en ce jour béni, votre serment d'allégeance,que Nous préservons précieusement, comme un dépôt sacré. Désor-mais vous vous devez d'honorer ce serment. De notre côté, NousNous faisons un devoir de garantir votre défense et votre sécurité etd'œuvrer sans relâche pour votre bien-être. Dieu a dit dans son LivreSaint 'Ceux qui te prêtent serment d'allégeance, le prêtent plutôt àDieu, la main de Dieu est au-dessus de la leur. Quiconque viole sonserment, le fait plutôt à son détriment. Quiconque reste fidèle à l'en-gagement qu'il a pris envers Dieu, recevra de celui-ci une immenserétribution' (Réponse de Hassan II à l'acte d'allégeance, publié dansLe Matin du Sahara du 13/08/2004).

En résumé, la bal a est un contrat sacré et irrévocable. Quiconque exi-gerait des droits politiques ou sociaux serait un "ex-communié" puisquele contrat a été prêté «plutôt» à Dieu. Si le Roi décide de mener des ré-formes, ce sera un don et non une obligation quelconque.

D. La chérifibilitéSur le plan théorique, les juristes sunnites exigent que le candidat ché-

rif appartienne à la tribu de Quraych. Les Chiites sont plus restrictifs en-core puisqu'ils requièrent l'appartenance à la descendance de CAli.La dy-nastie alaouite revendique quant à elle la descendance chérifienne par 'Aliet Fatima (fille du Prophète). Dans l'imaginaire politique musulman, lechérif est la figure la plus vénérée au sein de la société. Cette positionparticulière s'appuie sur un statut social puissant, le don, la Baraka et lepouvoir surnaturel hérité. Le chérif n'est pas un homme ordinaire, il jouitdu statut de saint:

La chérifibilité qui implique une filiation directe avec le Prophète,enrobe le pouvoir d'un particularisme qui structure la relationd'obéissance et en transforme partiellement le sens. La référence à la

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généalogie est une pratique constante, régulière et forte qui singula-rise le monarque dans le monde musulman. Quand le roi du Marocs'adresse à ses pairs du monde musulman à l'occasion del'avènement du XV, siècle de l'hégire, comme ce fut le cas pour Has-san I à l'aube du XIV' siècle, il se prévaut d'abord de sa qualité chéri-fienne (Tozy, 1999 :82)

L'argument hagiographique est la clé de voûte de cette sacralité dusouverain. Aucune occasion (fête religieuse, réception politique, discoursradio-télévisés, etc.) n'est négligée pour rappeler l'origine chérifienne dumonarque (Benani, 2001 :103).

En plus de l'aspect sacré de la chérifibilité, il ne faut pas négliger soninfluence sur l'imaginaire social musulman. En effet, dans une société oùles tissus sociaux sont, encore en grande partie, basés sur la tribu et lesclans et où la généalogie ansôb compte énormément dans la position so-ciale, il est presque indispensable d'avoir une généalogie avantageuse.Ceci est d'autant plus important que plusieurs familles ayant ce privilège,à Fez par exemple, pourraient revendiquer le droit au pouvoir.

E. L'usage du répertoire juridique islamisé: la voie constitutionnelleEn septembre 1992, Hassan II, répondant à la fois aux défis de la dé-

mocratisation imposés par la conjoncture et aux revendications relatives àla mise en place d'une monarchie constitutionnelle à l'européenne, affir-mait:

L'islam m'interdirait de mettre en place une monarchie constitution-nelle dans laquelle même le souverain déléguerait tous ses pouvoirssans gouverner (Cubertafond, 1997 :19).

À chaque fois qu'elle demande plus d'ouverture politique, l'opposition,qu'elle soit socialiste ou islamiste, se heurte à une constitution qui mettous les pouvoirs réels dans les mains du Roi. L'immobilisme politique auMaroc est dû en grande partie à cette super-constitution qui garantit lafonction d'Amfr al-Mu'minïne. Le régime a bien pris ses précautions eninterdisant toute modification concernant les dispositions relatives àl'islam. Ces dispositions offrent un autre pouvoir que celui des chefsd'États: le pouvoir suprême sur la communauté. Elles garantissent enquelque sorte l'immunité du Roi, ce domaine du pouvoir où personne nepeut se permettre de s'immiscer:

PréambuleLe Royaume du Maroc, État musulman souverain, dont la langue of-ficielle est l'Arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe.

Article 6L'islam est la Religion de l'État qui garantit à tous le libre exercicedes cultes.

Article 7, deuxième alinéaLa devise du Royaume est Dieu, La Patrie, Le Roi.

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Article 19Le Roi, Amïr al-Mu'minine, Représentant Suprême de la Nation,Symbole de son unité, Garant de la pérennité et de la continuité del'État, veille au respect de l'Islam et de la Constitution. TIest le pro-tecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collecti-vités. TIgarantit l'indépendance de la Nation et l'intégrité territorialedu Royaume dans ses frontières authentiques.

Article 106La forme monarchique de l'État ainsi que les dispositions relatives àla religion musulmane ne peuvent faire l'objet d'une révision consti-tutionnelle (Constitution marocaine, 1992).

La création du Conseil constitutionnel, décidée en 1992 dans le cadrede l'application de la réforme constitutionnelle présentée par le roi Has-san II, a renforcé le poids de l'islam dans le contrôle de la constitutionna-lité des lois. En effet, toutes les lois peuvent demeurer sans effet si ellescontredisent un principe islamique. Le Conseil constitutionnel doit res-pecter cette supra-constitution que sont les principes du Coran et la tradi-tion du Prophète. Il doit tenir compte des avis des oulémas ainsi que de lasensibilité et des habitudes religieuses marocaines. En dernière analyse, lecontrôle de la constitutionnalité revient au roi puisqu'il est l'autorité reli-gieuse suprême du pays. En cas de contestation, il a le pouvoir de bloquerà tout moment une loi qui ne sert pas ses intérêts. Si une question de-meure irrésolue, le point de vue du commandeur des croyants doit primer(Cubertafond, 1997 :69). Le Roi, étant commandeur des croyants, «repré-sentant suprême de la nation», garant et protecteur, a donc une position desupériorité et un pouvoir de contrôle sur tous les individus, groupes etinstitutions.

Un tel système politique à double répertoire juridique ne permet pas laséparation des pouvoirs. En effet, le Roi ne se situe pas dans le répertoirejuridique moderne comme pourrait le laisser croire l'énumération de sescompétences politiques. Son pouvoir appartient au répertoire islamique, làoù il transcende les enjeux du répertoire moderne (constitution, partis,élections, etc.). La modernisation ne menace pas l'autorité du sultan. Eneffet, elle touche simplement l'espace public, qui n'est pas la source dupouvoir dans l'Islam. Par son pouvoir suprême, étant le commandeur descroyants, le sultan peut autoriser une ouverture politique formelle tant quecelle-ci n'implique pas le partage de sa légitimité religieuse.

La question de la légitimité religieuse en tant que source de réformespolitiques fut évoquée rapidement après l'indépendance par le sultanMuhammad V lors de la pr?clamation de la charte des réformes constitu-tionnelles, le 8 mai 1958. A cette occasion, il rappela les principes qu'ilpréconisait et les institutions qu'il tenait à mettre en place dans le pays. Ilsoulignait qu'il était

[oo.] déterminé à instaurer une monarchie constitutionnelle reposantsur trois piliers fondamentaux: la sauvegarde de l'intérêt suprême duMaroc; l'instauration d'une démocratie saine, tirant son contenu de

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l'esprit de l'islam et de l'évolution réelle du Maroc; la participationprogressive du peuple à la gestion des affaires de l'État et au contrôlede cette gestion (El Alaoui, 1999 :312).

L'idée des réformes démocratiques inspirées de l'islam est un des effetsde l'utilisation de la religion dans le système politique marocain. Si l'allé-geance, acte islamique sacré, offre les pleins pouvoirs au sultan et exigel'obéissance totale de la part de la communauté, la démocratie est alors unsimple produit importé pour permettre la création d'un espace virtuel degestion des défis intérieurs et extérieurs.

Justement, la pression de l'opposition de gauche se fit sentir très fortsur le régime au début des années 1960. Quand les socialistes de MehdiBen Barka contestèrent le droit de gouverner du sultan, préférant lui ac-corder un rôle marginal, ils le firent sur base d'idées politiques importéesd'Europe. Or, dans un pays à référence islamique, ce genre d'approcherelevait d'un espace "virtuel". Pour la société marocaine, l'autorité du sul-tan découle de l'espace réel qu'est l'islam. La réponse du Roi fut sanséquivoque:

Nous avons soigneusement préparé le projet de Constitution dont lesprincipes, les buts et les fondements nous ont été inspirés par la reli-gion que nous professons et les traditions bien aimées auxquellesnous sommes attachés, les réalités dans lesquelles nous vivons ainsique par les impératifs de notre siècle (El Alaoui, 1999 :302)

Le Makhren prend ainsi la forme d'une monarchie constitutionnellemais se réfère à un droit "divin". Il ne s'appuie pas sur un contrat civil ousur un compromis historique de partage des pouvoirs, mais sur l'allégean-ce. Ce contrat d'ordre religieux ne donne pas le "droit" au sultan d'êtrereprésentatif. Le système politique marocain se définit en tant que monar-chie constitutionnelle contemporaine basée sur l'islam; «une monarchiequi n'est ni spectatrice, ni d'arbitrage, mais plutôt gouvernante» (ElAlaoui, 1999 :305).

En résumé, l'autorité marocaine a créé un double espace de pouvoir. Lepremier est réel; sa légitimité s'inspire de la sacralité de la hala. Lafonction d'Amïr al-Mu 'minîne assure les pleins pouvoirs politiques ausultan. Celui-ci ne s'inscrit pas dans une histoire politique moderne, maisdans une lignée généalogique qui fait de lui l'héritier du Prophète et de lamémoire de la nation. De plus, il ne règne pas sur un État mais sur unecommunauté. Le deuxième espace est virtuel. Il permet l'introduction desacteurs politiques et technocratiques qui se concurrencent dans le but degérer les affaires administratives. Cet espace virtuel est, par définition,souple et perméable à l'alternance. Il permet en outre de gérer les crisesintérieures en y faisant des réformes qui absorbent les pressions exercéessur le Makhzen. Les acteurs de l'espace virtuel se présentent aux élec-tions, débattent au parlement, dirigent les administrations et jouent le rôlede médiateurs entre le peuple et le Makhzen, Par conséquent, voter revient

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à choisir un médiateur. D'autre part, le sultan est présent partout dans lavie politique et sociale pour "éliminer" l'importance de ces médiateurs.

Ces fondements religieux du pouvoir marocain permettent de mieuxappréhender la gestion politique du régime marocain. II convient de sui-vre, à présent, l'évolution du champ politico-religieux durant les règnesde Hassan II (1961-1999) et de Muhammad VI (1999- ).

III. Les défis contemporainsNous avons montré jusqu'ici comment le pouvoir marocain s'est ap-

puyé sur un substrat culturel religieux qui le projette dans l'universalitéde l'islam pour fonder sa légitimité. Nous essaierons de montrer à présentcomment les défis contemporains amènent le pouvoir à tisser des liensinternationaux en mobilisant des mouvements et des symboles qui luidonnent une légitimité interne.

A. L'islam global importé versus l'islam localPendant son long règne, le roi Hassan II a dû faire face à la contestation

de deux courants politiques: les socialistes et les islamistes. Au cours desannées 1960, l'opposition socialiste ne parvient pas à convaincre parceque son discours ne passe pas dans une société profondément tradition-nelle. Le sultan utilise le répertoire islamique pour discréditer l'idéologiemarxiste. Pour ce faire, il s'appuie sur les oulémas; il encourage égale-ment le développement des mouvements islamistes dont il autorisel'importation depuis les pays du Machrek où ils sont en effervescence.C'est ainsi que Hassan II autorise le salafisme wahhabite à mobiliser descombattants pour l'Afghanistan et à développer de nombreuses écoles co-raniques. De cet islamisme global importé est né le pm, un parti islamistemodéré qui participe activement à la politique intérieure marocaine.

Néanmoins, le véritable défi islamiste pour le régime vient du mouve-ment Al-CAdI wa al-Ihsân (Justice et bienfaisance). Cette association pri-vilégie l'ancrage local tant pour son inspiration que pour son organisa-tion. Elle utilise les fondements religieux du Makhzen (chéribilité, confré-risme, charisme), emprunte des principes aux Frères musulmans et à larévolution iranienne, sans pour autant sacrifier sa spécificité. En juin1974, le Cheikh Abdessalam Yassine, fondateur du mouvement et chefcharismatique, affirme cette spécificité en adressant au roi Hassan II salettre l'Islam ou le déluge (Al Islam aw at-toufane), à travers laquelle ilrappelle le souverain à ses devoirs de commandeur des croyants.

Suite à cette initiative, Abdessalam Yassine est interné dans un établis-sement psychiatrique pour trois ans. En 1982, il crée la revue Al Jamaâ,première forme d'organisation autour de laquelle se regrouperont sesadeptes. La même année apparaît un groupe rival, Al Islah wa at-Tajdid(Réforme et renouveau), plus souple envers le régime, il constitueral'ossature de l'actuel PJO. Après avoir été emprisonné en 1983 pour troisans, le Cheik Yassine fonde le mouvement Ousrat al 'Adl wa al Ihsane(Famille de justice et bienfaisance) en juillet 1987 (Burgat, 1986 :184).

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Ce mouvement connaît un tel succès populaire que le régime décide deplacer son dirigeant en résidence surveillée en 1989. Il ne sera libéréqu'en 2000 par Muhammad VI.

Dès le départ, Al-cAdI wa al-Ihsân s'attaque à la lé&itimité religieusedu régime et récupère le même répertoire symbolique. A travers sa lettreL'islam ou le déluge, Abdessalam Yassine met en cause les registres de lalégitimité religieuse revendiquée par Hassan II: le titre d'Amlr al-Mu'minîne, la descendance chérifienne et la hala. Il affirme que le Roiperd la qualité de calife (qui lui donne le pouvoir sur la communauté)parce qu'il a commis des injustices dignes d'un Pharaon. Quant à la des-cendance chérifienne, Abdessalam Yassine se dit aussi un descendant duProphète, puisqu'il prétend être issu d'une branche idrisside plus presti-gieuse que la branche alaouite. Il signale au Roi que l'allégeance tant van-tée par le régime est forcée et que, dans ce cas, elle n'a aucune validité.

Le mouvement de Yassine utilise deux autres éléments symboliquespour défier le régime : les visions et le système confrérique. Dans une so-ciété où l'islam populaire porté par les confréries est toujours aussi fort, lemouvement fait circuler des récits relatifs à l'apparition du Prophète auCheik ou à de simples adhérents. Ces récits encouragent la ligne du mou-vement et annoncent la victoire toute proche. Abdessalam Yassine se pré-sente alors en saint, figure symbolique éclipsant la figure du sultan. Lerecours à l'organisation confrérique garantit quant à lui l'efficacité de lapénétration sociale tout en s'inscrivant dans une tradition historique ma-rocaine de mobilisation politique portée par les confréries. Ce discourspolitique radical, qui ne reconnaît pas au sultan le titre de commandeurdes croyants et n'accepte pas, de ce fait, sa légitimité religieuse, se pro-pose en modèle alternatif avec les mêmes composantes.

Au delà du Cheik Yassine et de son islamisme populaire, l'islamismeminoritaire se constitue autour de deux types de structures: les mouve-ments tels que le PJD et les groupuscules radicaux. Il est évident, que lesgroupuscules, auxquels ont été attribués les attentats de Casablanca du 16mai 2003, ne menacent en aucun cas le régime marocain puisqu'ils s'ins-pirent d'une idéologie importée. Ils restent donc complètement isolésdans la société. Quant au PJD, un parti reconnaissant la légitimité religieu-se du sultan et donc autorisé à participer à la vie politique, il devrait, unefois au pouvoir, ce qui est prévu pour les prochaines élections de 2007, senormaliser en tant que "parti d'administration". Le Makhzen n'abandonneen effet à l'initiative politique des partis que les matières administratives,le pouvoir réel étant indivisible.

La culture politique produite et véhiculée par l'islamisme importé ouindigène participe au maintien d'une conception religieuse du pouvoir.Les islamistes semblent, dans l'état actuel des choses, renforcer la réfé-rence islamique du système politique marocain. Ils seraient alors, les nou-veaux défenseurs du trône.

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B. Les connexions internationales et la délocalisation de l'islam localDans sa politique étrangère, le régime de Hassan II a fait usage du fac-

teur islamique en suivant trois axes.Premièrement, il a développé une large coopération avec le front sun-

nite et conservateur arabe (1'Arabie Saoudite en tête du peloton). Deuxiè-mement, il a assumé le leadership de la Communauté des pays musul-mans au sein de l'OCI et du comité Al-Qods ; il a également joué le rôled'interlocuteur de premier plan dans le conflit palestinien (El Houdaigi,2003 :132). Enfin, il a parrainé l'islamisme en assurant l'organisation del'Université de la Renaissance Islamique (où furent invités les acteurs del'islamisme international), en proposant les causeries religieuses hassa-niennes (animées par des oulémas de premier rang et où fut présenté enmodèle l'islam marocain traditionnel et tolérant) et en œuvrant à la réali-sation de la prestigieuse mosquée Hassan II.

Pour Muhammad VI, la conjoncture de l'après Il septembre ainsi quela priorité de «l'alliance à la superpuissance américaine» (LeveaufMoh-sen-Finan, 2002 :69) imposent une relecture de la politique islamiqueorientée vers l'extérieur. En effet, le Maroc suit deux pistes à cet égard.La première consiste à développer une diplomatie de la tolérance reli-gieuse afin de donner l'image d'un islam marocain tolérant et ouvert audialogue avec les autres religions. Cette politique amène le sultan à setrouver sur le devant de la scène chaque fois qu'un événement rassem-blant les sensibilités religieuses différentes survient. La seconde pisteconsiste à participer activement à l'organisation de l'islam européen. Eneffet, l'encadrement culturel et religieux des Marocains résidant à l' étran-ger permet de contenir l'islamisme et de garantir la continuité les lienséconomiques et sociaux avec le pays (Bouqantâr, 2002 :151).

1. Hassan II et le leadership musulmanL'action islamique de Hassan II au niveau international fut intense. Elle

fut également variée dans les moyens mis en œuvre: organisation descauseries religieuses durant le mois de Ramadan, construction de la gran-de mosquée Hassan II, co-création d'instances islamiques multilatéralescomme l'OCI et l'ISESCO. Le choix de développer ici les éléments liés aurôle joué par le Maroc au sein de l'OCI s'explique par le fait que cette or-ganisation, créée en 1969 à l'initiative de Hassan II avec l'appui de l'Ara-bie Saoudite, a permis au pays de compenser son absence au niveau del'Organisation de l'unité africaine (OUA) et sa marginalisation au sein dela Ligue arabe. Le deuxième axe de cette action concerne la manière dontHassan II se servit de la dimension paternaliste du pouvoir, en réaction àla montée des islamistes durant les années 1990. La notion de paterna-lisme est en effet indissociable de la conception islamique du pouvoir po-litique selon laquelle le peuple est ra 'yia (sujet) du ra 'î (berger et doncici, le calife). L'organisation sociale traditionnelle basée sur la famille, leclan et la tribu a renforcé la culture politique paternaliste par la hiérarchi-

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sation des relations sociales entre le chef et les sujets. Le sultan Muham-mad Va adopté une attitude paternaliste au lendemain de l'indépendancepour maintenir l'ordre social hérité ainsi que pour réunir les différentesfactions politiques et tribus. Le paternalisme de l'islamisme répond à lamême logique : se démarquer des autres dirigeants qui ont réprimé vio-lemment les islamistes et adopter la figure d'un commandeur des croyantsqui défend l'islam.

a. L' OCI et la diplomatie marocaineSi le camp nassérien détenait les commandes de la scène politique

arabe durant les années cinquante et soixante, la guerre de 1967 allait ré-duire considérablement le poids de ce dernier au profit du camp conserva-teur des monarchies, au nombre desquelles se trouvaient l'Arabie Saou-dite et le Maroc. En 1969, la diplomatie marocaine se saisit de l'incendiede la mosquée AI-Aqsa pour appeler à la création d'une organisation in-ter-islamique: l'OCI (Organisation de la conférence islamique). Celle-cis'empare de la question palestinienne, affirmant l'islamité de Jérusalemtout en soutenant l'idée d'un règlement pacifique du conflit. La décisionde mettre la problématique palestinienne à l'agenda de tous les sommetsde l'organisation va définitivement sceller la dimension «islamique» de laquestion (Bouqantâr, 2002 :151).

Comme le rappelait de manière quelque peu élogieuse le secrétaire gé-néral de l'OCI en 2003, le rôle de Hassan II fut déterminant, lui «dont legénie visionnaire, la sagacité et la hauteur de vue ont été, il faut bien lereconnaître, à l'origine de la création de cette prestigieuse organisationqui est la nôtre et qui apparaît aujourd'hui comme l'unique lieu de ren-contre des musulmans et le ciment de leur unité» (Allocution de Abde-louahed Belkeziz au sommet de l'OCI de Putrajaya, Malaisie).

De fait, le rôle joué par Hassan II dans le conflit du Moyen-Orient estessentiellement basé sur son influence au sein de l'OC! et plus particuliè-rement sur l'action qu'il mène, à partir de 1979, en tant que président duComité Al-Qods. Créé en 1975 à l'initiative de l'OCI, dont il relève, cecomité regroupe 15 pays arabes et musulmans; il a pour mission de veil-ler à la préservation du patrimoine religieux et urbanistique de la villesainte.

C'est ainsi que l'on voit Hassan II préparer en 1979 la paix "histori-que" entre l'Égypte et Israël. Plus tard, il se présente comme un acteur depremier plan à l'occasion des négociations de paix de Madrid, en 1991, etdans le cadre de l'accord d'Oslo, en 1993 (Laskier, 2004 :43). Après avoirparticipé à la guerre contre l'Iraq en 1991, le Maroc organise, le 29 octo-bre 1994, la Conférence économique sur le Moyen-Orient et l'Afrique duNord. Cette intense activité est accompagnée d'un travail de modérationau niveau du monde islamique avec la tenue à Casablanca, le 13 décembre1994, du septième sommet islamique de l'OCI. À peine un mois plus tard,Hassan II organise, Je 15 janvier 1995 à Ifrane, la 15e session du ComitéAl-Qods,

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Ces efforts sont couronnés par la réception, le 27 mai 1995, du Prési-dent Yasser Arafat et du Ministre israélien des affaires étrangères ShimonPérès. Le 13 mars 1996, le Roi participe à Sharm El-Cheikh (Égypte), à latête d'une importante délégation et en présence de plusieurs chefs d'État,au sommet des "bâtisseurs de la paix".

b. Paternalisme de l'islamisme international:l'Université de la renaissance islamique (Assahwa)Au cours des années 1990, il n'est plus possible pour le régime maro-

cain d'ignorer la force grandissante du courant islamiste qui se nourrit desévénements Irakiens (1990/1991) et de la crise algérienne. Au moment oùles voisins, notamment l'Algérie et la Tunisie font le choix de la répres-sion des islamistes, le Maroc adopte une politique paternaliste enversl'islamisme.

En réalité, l'idée d'organiser une université de la renaissance islamiques'avère une aubaine inespérée offerte par le régime aux islamistes maro-cains qui jusque-là, même si des liens avec les exilés d'Europe existaientdès les années 1980, n'entretenaient pas de relations avec les autres mou-vements islamistes du Machrek. L'objectif officiel est de permettre aux«islamistes marocains [... ] en activité et en lien avec des organisationsinternationales, notamment les Frères musulmans en Égypte, mais aussi leFIS en Algérie, d'évoluer dans leur environnement naturel au lieu de lais-ser les choses se faire dans les coulisses» (M'Daghri, 2004). Le véritableobjectif du régime est de récupérer et de réinterpréter le "réveil islamique"en se présentant comme tolérant et garant des thèses islamistes. Il nes'agit plus de mener le combat contre l'islamisme révolutionnaire iranienmais de développer une conscience des enjeux de la globalisation del'islam et notamment de l'islamisme radical.

Dans la logique de cette tactique, le pouvoir fonde une université d'étéconsacrée au réveil islamique. Une première session se tient à Casablancadu 28 août au 3 septembre 1990 sur le thème "Le réveil islamique: réali-tés et perspectives". Une seconde session est organisée du 18 au 20 sep-tembre 1991 autour du «rôle de l'orientation pédagogique islamique dansla construction de la société moderne». Le financement est assuré par leroi (Dialmy, 2000).

Si le Maroc est ainsi parvenu à renforcer l'image d'un pays qui militepour le réveil islamique et se montre une terre de communication et dedialogue, cette université a offert aux islamistes marocains la visibilité etles relais internationaux nécessaires pour inspirer la confiance et acquérirune certaine reconnaissance.

2. Muhammad VI et la réforme de l'islamLa réforme de la Moudawana a suscité un intérêt international dans la

mesure où elle touche au statut de la femme, axe principal des revendica-tions occidentales en termes de démocratisation du monde arabe. Mu-hammad VI a saisi un contexte international fort marqué par la thèse du

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"choc des civilisations" pour développer une diplomatie interculturelleactive.

a. La réforme de la MoudawanaLe roi Hassan II a entretenu l'image d'un souverain moderne, ouvert et

pro-européen durant ses 38 ans de règne. Toutefois, il a souvent été ame-né à se défendre contre l'image d'un tortionnaire, véhiculée notammentpar les associations des droits de l'homme et la presse européenne. En ar-rivant au pouvoir le 23 juillet 1999, le roi Muhammad VI n'a pas de passé"autoritaire". Il affiche très rapidement une véritable volonté de réformerla société marocaine et adopte le titre de "réformateur". C'est cette imagequ'il s'applique à véhiculer sur la scène internationale. Il récolte les fruitsde ces efforts le 22 décembre 1999, lorsqu'il reçoit la médaille d'honneurdu prix "pour Grenade 1999" décernée par le groupe des radios de lachaîne SER de Grenade.

Les deux premières années du règne de Mohammad VI sont marquéespar des réformes touchant au statut de la femme. Le 28 octobre 1999, leMaroc et l'UNESCO signent à Paris un protocole d'accord visant la créa-tion d'une Chaire d'Université consacrée à la femme et à ses droits. Le 12mars 2000, dans le cadre de la marche mondiale des femmes, le Marocorganise à Rabat une marche nationale des femmes placée sous le slogan :"Nous nous partageons la terre, partageons ses biens". Dans le mêmetemps, l'institution nationale pour la protection de la famille marocaineorganise à Casablanca, avec la participation de plusieurs associations fé-minines, une imposante manifestation dont le thème est "Les femmes sontles sœurs de l'homme". Le but est de dénoncer le projet du plan d'actionnational pour l'intégration de la femme dans le développement.

Les 20-22 janvier 2001, la ville de Marrakech abrite le premier "Som-met des Premières Dames d'Afrique" sous le haut patronage du roi Mo-hammed VI et la présidence effective de la princesse Lalla Meryem. Le 21mai 200 1, le roi Mohammed VI préside au palais royal de Marrakech laséance d'ouverture de la Conférence ministérielle arabo-africaine des fi-nances qui prépare le Sommet mondial de l'enfance. Après cet élan, lerythme ralentit quelque peu, sans que les perspectives poursuivies nesoient abandonnées. Ainsi, du 28 au 30 juin 2003, Marrakech abrite leSommet mondial de la femme (connu sous le nom de "Davos féminin")qui réunit 700 participantes.

Les réactions des Chefs d'État et de Gouvernement mais aussi des or-ganisations internationales face à la réforme de la Moudawana, une af-faire juridique interne, témoignent de l'intérêt que le monde, et plus parti-culièrement l'Europe, portent à l'évolution des réformes au Maroc. Jac-ques Chirac, à titre d'exemple, a ainsi déclaré:

Ce nouveau code traduit la volonté du Royaume d'évoluer vers ladémocratie, l'État de droit et l'égalité entre l'homme et la femmedans le respect des traditions culturelles et religieuses du Royaume[... ] Je ne voudrais pas abuser du terme de révolution. Mais c'est une

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évolution considérable et déterminée qui une fois de plus apporte letémoignage de la volonté du Royaume, du Roi et du peuple marocaind'aller vers la démocratie, les droits de l'Homme, l'Etat de droit,l'égalité homme-femme" (Le Matin du Sahara, 11/10/2(03).

b. La diplomatie interculturelleÀ la suite des attentats du Il septembre, le Maroc organise à Rabat,

dans la grande cathédrale, une cérémonie œcuménique à la mémoire desvictimes. Ce moment particulier permet à la monarchie et au gouverne-ment de préciser la position politique intérieure et extérieure du Maroc:opposition au terrorisme, solidarité politique avec les États-Unis et tolé-rance religieuse (Zeghal, 2002 :55).

La réussite de l'initiative encourage le roi à poursuivre cette diplomatiedu dialogue interconfessionnel; la notion de tolérance devient son chevalde bataille. Trois mois après les attentats, une réunion interconfession-nelle est organisée à Bruxelles par l'Union européenne. Le Maroc y estreprésenté par Aïcha Belarbi, ambassadeur du Maroc auprès des commu-nautés européennes et Abdelkebir Alaoui M'Daghri, ministre des Ha-bous 22. Ce dernier lit un message que le roi Muhammad VI adresse auxparticipants et dans lequel il propose d'organiser au Maroc une confé-rence internationale sur le dialogue interconfessionnel et interculturel.

Le Maroc met tout en place pour organiser le "Premier Congrès Mon-dial des Imams et Rabbins pour la Paix" qui doit se dérouler du 31 mai au3 juin 2004 à Ifrane (Le Matin du Sahara, 20/12/2001). Les bombarde-ments israéliens de Gaza poussent cependant au report de ce congrès quiest finalement organisé conjointement par le Maroc et la Belgique, du 3au 6 janvier 2005 à Bruxelles. Un deuxième Congrès mondial est organiséen collaboration avec l'Espagne, à Séville, du 19 au 22 mars 2006. Cetteimage de pays enthousiaste pour la diplomatie interreligieuse est confir-mée par la création, en juin 2005 à Fez, capitale spirituelle du pays, del'Institut permanent pour la diplomatie interreligieuse.

De tels efforts ont des répercussions jusqu'à Washington. Ainsi, le rap-port annuel sur l'antisémitisme dans le monde publié par le départementd'État américain en 2005 note que «la communauté juive au Maroc jouitde sécurité et de tolérance à travers tout le pays, que les commémorationsannuelles juives se déroulent dans tout le pays et que des pèlerins juifs dela région se rendent régulièrement aux lieux saints juifs se trouvant dansle Royaume». Le rapport affirme aussi que le gouvernement marocain«œuvre activement pour promouvoir la tolérance» (Le Matin du Sahara,06/01/2005).

IV. ConclusionsTant dans sa gestion du champ politique interne que face aux défis des

relations internationales, le pouvoir marocain utilise activement les sym-

22 Le Ministère des Habous et des affaires islamiques gère la mainmorte des biens publics religieux.

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boliques religieuses. Ainsi, le Makhzen; associé localement à l'identiténationale marocaine, s'appuie sur les principes de la ba/a, de la chérifibi-lité et de la commanderie des croyants pour justifier son pouvoir politiqueainsi que pour asseoir et conforter sa légitimité. Ce fonds symbolique etl'intérêt qu'il représente pour les détenteurs du pouvoir ne doivent pasêtre sous-estimés. Les réformes hautement emblématiques du "nouveau"roi, telles que celle de la Moudawana, sont en définitive des modifica-tions relevant essentiellement de la sphère juridique. Il en est de mêmepour les droits de l'homme qui, en l'absence d'une société civile, restentune de ces notions importées de la modernité occidentale dont l'existencereste cantonnée dans un espace juridique virtuel. Autrement dit, ces ré-formes ne touchent pas les fondements d'une légitimité qui ne peut coha-biter avec la modernité que dans la mesure où cette dernière revêt unefonction d'accessoire, tantôt pour l'image, tantôt pour l'efficacité qu'ellepermet. Dans ses rapports à l'Europe et aux États-Unis, le pouvoir maro-cain entretient donc la réputation de son modèle de cohabitation entrel'islam et la démocratie. En dernière analyse, les deux mondialisations,celle de l'islam et celle de la modernité, renforcent le sultan.

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"25" anniversaire de la récupération de Oued Eddahab", Le Matin du Sahara,13/08/2004.

"L'acte de foi des populations renouvelant leur allégeance", Le Matin du Sahara,13/0812004.

"La réponse et la sollicitude de Hassan IIau serment d'allégeance de la région de Dak-hla", Le Matin du Sahara, 13/0812004.

Discours de S.E. le Dr. Abdelouahed Belkeziz, Secrétaire Genéral de l'OCI àl'ouverture de la lOe session de la Conférence Islamique au Sommet, Putra-jaya-Malaisie (16-18 Octobre 2003). Site: www.oic-oci.org

Articles de presse"S.M. le Roi propose la tenue au Maroc d'une conférence inter-religieuse", Le Matin

du Sahara, 20/1212001."M. Chirac à propos du projet de Code de la Famille: 'Une évolution considérable' ",

Le Matin du Sahara, 1111012003.M'DAGHRIA.,

2004 "J'ai gagné la confiance des islamistes", Tel Quel, 13/1112004."Dans un rapport du département d'État américain: la communauté juive au Maroc

jouit de sécurité et de tolérance à travers tout le pays", Le Matin du Sahara,06/0112005.

Page 20: L'usage politique del'islam l'universel auservice d'un Etat … · 2016. 2. 11. · asseoir leur pouvoir soit sur la descendance duprophète, comme les Idris-sides et les Saadiens,

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Terrain paraît semestriellement. Son am-bition est de mieux fai re connaître lesétudes ethnologiques du domaine fran-çais et européen, notamment celles réali-sées avec le concours de la sous-directionArchéologie, Ethnologie, Inventaire etSystème d'information.Le dossier thématique est assorti de la TU-

brique «Repères", qui accueille des arti-cles hors thème et d'autres traitant de lavalorisation de la recherche, ainsi que des«Infos » sur l'actualité de l'ethnologie del'Europe .•

Revue semestrielle.Format 21Ox270 mm. 164 pages.Vente au numéro: prix 16 €(+ 4 € de frais de port)à adresser au :CID. 131. bd Saint-Michel, 75005 Pans.Tél. : 33 (0)1 53 105395Fax: JJ (0) I 4051 0280

Les abonnements sont adressés à :Abo Services-Revue Terrain5-7. rue Marcelin-Berthelot92762 Antony Cedex30 € pour 2 numéros sur I all,60 € pour 4 numéros sur 2 ans.Paiement à l'ordre de :MSH et revue Temin

sommaireTERRAIN 47 / septembre 2006

ODEURS

La nature des odeurs (remarques)_ Gérard Lenclud

Parium, symbolismeet enchantement_AlfredGeli

Odeur des morts et espritde famille(Anôsy, Madagascar)_ Dominique Sornda

Des odeurs à ne pas regarder ..._ Joël Candau et Agnes Jeanjean

Le parfum et la chair_ Annick Le Guérer

Des catégories d'odorantsà la sémantique des odeursUne approche cognitive de l'olfaction_ Daniele Dubois

Système olfactif et neurobiologie_ André Holley

REPÈRESChassés-croisés dans l'espacemontagnardChasse et renouvellement des liensà l'environnement en Hautes-Pyrénées_ Ludovic Ginelli et Sophie Le Floch

INFOS

Sous-direction Archéologie.Ethnologie •Inventaire etSystème dinformationl82, rue Saint-Honoré75033 Paris Cedex 01Tél. : 33 (0)1 40 1.58527Fo. : 33 (0)1 40 1.577 00christine.langloistâ'culture.frhttp:///terrain.revues.org

DlREl.'TRKE UE LA PUBLICATIONIsabelle BalsamoCONSEIL UE RÉDAL'TIONChristian Bromberger. Nélia Dias,Monique Ieudy-Ballini,Nicolas Journet, Gérard Lenclud,Véronique Nahoum-Groppe,Claudine Va.nasRÉDACTfllet: EN CRH'Christine Langlois

N" 2 : Anthropologie industrielleN' 4 : Famille et parentéN' 11 : MélangesN' 12 : Du congélateur

au déménagementN° 13: BoireN° 15: Paraître en publicN' 1.6: Savoir-faireN° 18 : Le corps en morceauxN'19:l..efeuN°lO: La mortN° 21 : Liens de pouvoir ou

le clientélisme revisitéN° 22 : Les émotionsN° 23 : Les usages de l'argentN° 24 : La fabricauon des saimsN' 25 : Des sportsN° 26: RêverN° 27: L'amourN° 28 : Miroirs du colonialismeN° 29 : Vivre le TempsN' 30 : Le regardN° 31 : Un corps purN° 32 : Le beauN° 33 : Authentique '!N° 34 : Les animaux pensent-ils ?N' 35 : DanserN' 36 : Rester liésN° 37 : Musique el émotionN° 38; Qu'est-ce qu'un événement '!N° 39: Travailler à l'usineN° 40 : Enfant et apprentissageN' 41 : Poésie et politiqueN' 42 : Homme/femmeN° 43 : Peurs et menacesN° 44 : Imitation et anthropologieN° 45 : L'argent en familleN° 4(1 : Effets spéciaux. el artificesTables Terrain t983-2ool (9,15 €)