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L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 1 Projet d’Histoire de l’UNESCO Séminaire : “L’UNESCO et la Guerre Froide” Université de Heidelberg, Allemagne, 4-5 mars 2010 RAPPORT SUR LE COLLOQUE INTRODUCTION Le colloque « L’UNESCO et la Guerre Froide » constitue le dernier élément du premier cycle de séminaires du projet « Histoire de l’UNESCO ». Il convient donc de tirer un bilan des trois colloques et également d’analyser quels sont les liens entre eux, afin de se rendre compte de leurs résultats et de trouver des pistes à suivre à l’avenir. Au cœur du séminaire, il y a plusieurs questions, par exemple : quel était le rôle de l’UNESCO pendant la guerre froide et qu’est-ce qu’on entend exactement par ce terme ? Pourquoi les historiens auraient-ils intérêt à tenir compte de l’UNESCO dans leurs travaux sur la guerre froide qui, jusqu’à ce jour, contiennent peu de références aux Nations Unies et encore moins à l’UNESCO ? Comment l’UNESCO peut-elle stimuler et faciliter ces recherches ? A ces questions, le colloque a apporté de nombreuses réponses variées. CONFERENCE INAUGURALE Françoise Rivière (Sous-Directrice générale pour la Culture de l’UNESCO) Jean-François Sirinelli (Directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po, Paris, France ; Président du Comité Scientifique International pour le projet « Histoire de l’UNESCO ») Detlef Junker (Directeur et fondateur du Heidelberg Center for American Studies, Heidelberg, Allemagne) Robert Frank (Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, France) Irina Bokova (Directrice générale de l’UNESCO), « Message aux participants du colloque » lu par Françoise Rivière (Sous-Directrice générale pour la Culture de l’UNESCO)

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L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 1 Projet d’Histoire de l’UNESCO

Séminaire : “L’UNESCO et la Guerre Froide”

Université de Heidelberg, Allemagne, 4-5 mars 2010

RAPPORT SUR LE COLLOQUE

INTRODUCTION

Le colloque « L’UNESCO et la Guerre Froide » constitue le dernier élément du premier cycle de

séminaires du projet « Histoire de l’UNESCO ». Il convient donc de tirer un bilan des trois

colloques et également d’analyser quels sont les liens entre eux, afin de se rendre compte de leurs

résultats et de trouver des pistes à suivre à l’avenir.

Au cœur du séminaire, il y a plusieurs questions, par exemple : quel était le rôle de l’UNESCO

pendant la guerre froide et qu’est-ce qu’on entend exactement par ce terme ? Pourquoi les

historiens auraient-ils intérêt à tenir compte de l’UNESCO dans leurs travaux sur la guerre froide

qui, jusqu’à ce jour, contiennent peu de références aux Nations Unies et encore moins à

l’UNESCO ? Comment l’UNESCO peut-elle stimuler et faciliter ces recherches ? A ces

questions, le colloque a apporté de nombreuses réponses variées.

CONFERENCE INAUGURALE

Françoise Rivière (Sous-Directrice générale pour la Culture de l’UNESCO)

Jean-François Sirinelli (Directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po, Paris, France ; Président

du Comité Scientifique International pour le projet « Histoire de l’UNESCO »)

Detlef Junker (Directeur et fondateur du Heidelberg Center for American Studies, Heidelberg,

Allemagne)

Robert Frank (Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, France)

• Irina Bokova (Directrice générale de l’UNESCO),

« Message aux participants du colloque » lu par Françoise Rivière (Sous-Directrice

générale pour la Culture de l’UNESCO)

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 2 Il paraît aujourd’hui logique que l’UNESCO en tant qu’organisation intergouvernementale

s’occupant d’éducation, de science et de culture n’ait pas pu échapper aux conflits politiques

pendant la guerre froide. Même si une partie de ses fondateurs – notamment la France et les pays

de culture latine – souhaitent créer une organisation universelle et apolitique (c’est-à-dire planant

au-dessus des divergences idéologiques), ceci n’est guère possible pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’UNESCO s’occupe de tâches moins « techniques » que d’autres organisations

spécialisées des Nations Unies, comme par exemple la FAO ou l’OMS. Ses domaines d’action, et

notamment l’éducation, sont politiquement très sensibles – c’est d’ailleurs pourquoi la France

propose, lors de la création de l’UNESCO, d’établir une organisation séparée pour l’éducation,

afin d’écarter ce sujet difficile de l’UNESCO. Malgré les efforts de maintenir l’UNESCO au-

dessus des conflits internationaux, l’euphorie initiale, la grande volonté de coopération de

l’immédiat après-guerre et le désir d’universalisation qui se traduisent dans les termes de l’Acte

Constitutif de l’UNESCO se dissipent vite. Deuxièmement, l’absence de l’URSS, de la plupart

des Etats dans le « bloc soviétique » et de la Chine populaire de l’Organisation pendant la

première période de la guerre froide rend toute idée d’universalité utopique et empêche de vrais

contacts entre les camps qui sont en train de se consolider.

La mainmise des Etats sur la jeune organisation s’intensifie au cours du conflit, notamment après

la réforme du Conseil Exécutif : à partir de 1954 (c’est-à-dire dès l’entrée du « bloc Est » à

l’UNESCO), les membres du Conseil choisis – du moins en principe – essentiellement pour

leurs qualités personnelles deviennent des représentants officiels de leur gouvernement. Les

crises internationales se reflètent souvent au sein de l’UNESCO : parmi les sources et signes de

conflit pendant la première décennie de son existence, on pourrait citer la représentation de la

Chine, l’action de l’UNESCO en Corée en 1950, l’admission de l’Espagne franquiste en 1952, le

licenciement des fonctionnaires américains accusés de sympathies communistes en 1954 ou la

conférence de New Delhi juste après la crise de Suez et l’intervention soviétique en Hongrie en

1956. Quant aux programmes de l’Organisation, ils souffrent aussi de la guerre, notamment

quelques grands projets politiquement sensibles comme l’Histoire de l’Humanité, la Déclaration

universelle des Droits de l’Homme ou le débat autour de la libre circulation de l’information.

L’UNESCO n’est-elle donc qu’un jouet impuissant de ses Etats membres, comme certains

l’affirment ? Il pourrait effectivement sembler que les deux superpuissances déterminent seules le

sort de l’humanité, et que tous les autres Etats et organismes doivent se soumettre à la logique du

conflit. Mais si les Nations Unies ne jouent qu’un rôle marginal dans la guerre froide, pourquoi

faudrait-il inclure l’UNESCO dans son historiographie ?

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 3 Un regard affûté sur l’histoire du conflit révèle que l’UNESCO a pu y œuvrer plus activement

qu’on pourrait le croire. Ceci est dû à plusieurs facteurs. Premièrement, la guerre froide, loin

d’être une confrontation monolithique entre deux superpuissances qui ne laisse pas la moindre

marge de manœuvre aux autres acteurs, constitue un phénomène multipolaire et complexe,

autant du point de vue chronologique que du point de vue géographique. La période de guerre

froide connaît des moments de consolidation et de dissolution des blocs, d’intensification du

conflit et de détente. En outre, les blocs ne sont pas homogènes. Ainsi, par exemple, les pays

communistes en Asie ne poursuivent pas les mêmes buts politiques que l’URSS et sont souvent

en désaccord entre eux, et les pays occidentaux divergent sur de nombreux points comme, par

exemple, l’avenir des empires coloniaux. La bipolarité se relativise davantage avec l’essor du

mouvement non-aligné et avec la montée en puissance de certains acteurs, par exemple la Chine

ou les pays nouvellement indépendants.

Deuxièmement, l’UNESCO a une position et une mission particulières qui lui permettent de

poursuivre ses activités même dans un contexte de crise internationale. Par ses objectifs et ses

fonctions, elle s’intéresse aux relations qui transcendent le cadre formel et officiel des rapports

interétatiques. Ses domaines d’action, et notamment la culture, créent des milieux spécifiques où

les intellectuels occupent une place prédominante et qui conservent une certaine indépendance

vis-à-vis de la politique. Par conséquent, l’UNESCO réussit souvent à détourner la logique de la

guerre froide par ses activités. Dans les sessions suivantes, il sera question de plusieurs de ces

initiatives dont la réalisation rencontre souvent des difficultés importantes liées à la situation

politique internationale.

SESSION 1: L’UNESCO ET LES ÉTATS MEMBRES : DANS LA TOURMENTE DES POLITIQUES

DE LA GUERRE FROIDE

Présidée par: Mohieddine Hadhri (Professeur, Université du Qatar, Qatar)

Commentateur : Laura Wong (Heidelberg Center for American Studies, Université d’Heidelberg,

Allemagne ; The Reischauer Institute for Japanese Studies, Université de Harvard, États-Unis)

Papiers présentés:

• Liang Pan (Professeur adjoint, Université de Tsukuba, Japon)

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 4

« Les relations entre le Japon et l’UNESCO pendant la Guerre froide »

• Karel Vasak (ancien Directeur de la Division des Droits de l’Homme et Conseiller

Juridique de l’UNESCO, ancien Secrétaire Général de l’Institut International des Droits

de l’Homme)

« L’UNESCO et la Guerre froide sous l’angle des droits de l’homme »

• Anikó Macher (Doctorante, Institut d'études politiques de Paris, France)

« La Hongrie, membre de l’UNESCO : son admission et ses activités (1945-1963) »

• Joshia Osamba (Université d’Egerton, Kenya)

« Le rôle de l’UNESCO dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture au

Kenya depuis l’indépendance »

• En absence : Moncef Sebahni (Doctorant, Université de Tunis, Tunisie)

« L’Unesco, la Guerre froide et L’Afrique du Nord à travers l’adhésion de la Tunisie et du

Maroc »

La première session du colloque a porté sur différentes interactions, directes ou indirectes, entre

l’UNESCO et plusieurs de ses Etats membres pendant la période de guerre froide, ainsi que sur

les répercussions du conflit sur un des documents normatifs majeurs de l’UNESCO, à savoir la

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.

Même si cette Déclaration est née d’une forte volonté commune des deux blocs, le processus de

son élaboration est de plus en plus influencé par la guerre froide. Les deux camps divergent

notamment en ce qui concerne la définition de la notion de « démocratie » et les sanctions à

prévoir en cas de violation des droits de l’homme, idée à laquelle le bloc Est demeure hostile.

Malgré les tentatives de satisfaire les deux camps en adoptant des solutions de compromis, la

Déclaration n’est pas signée par les pays communistes. Ce n’est qu’en 1978 qu’une nouvelle

procédure (104/EX 3.3) visant à une meilleure protection des droits de l’homme peut être

adoptée à l’UNESCO, signe d’un nouvel esprit qui souffle dans les relations internationales.

En analysant les relations entre l’UNESCO et ses Etats membres pendant la période de guerre

froide, on constate que l’Organisation et ses Etats membres ne se soumettent pas toujours à la

logique de confrontation. On pourrait citer les cas de la Hongrie et du Japon, deux pays vaincus

après la seconde guerre mondiale pour qui l’UNESCO constitue un moyen de se redonner du

prestige sur le plan international. Ancien pays de l’Axe, le Japon aspire à l’amélioration de son

image ; par conséquent, il fait preuve d’un esprit pacifique et démocratique au sein de

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 5 l’UNESCO. Quelques années plus tard, l’essor économique japonais conduit le pays à renforcer

ses activités dans le champ de la diplomatie culturelle, par exemple en finançant des projets

importants à l’UNESCO. De cette manière, il essaie de faire face aux accusations d’impérialisme

économique par d’autres pays asiatiques. Appréciant l’UNESCO pour des raisons culturelles,

historiques et politiques, le Japon refuse de jouer le jeu de la guerre froide quand il décide de ne

pas suivre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui se retirent de l’Organisation respectivement

en 1984 et 1985.

Autre pays allié de l’Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale, la Hongrie, qui est

initialement moins soumise à l’influence soviétique que d’autres pays du bloc Est, profite dès

1948 de son appartenance à l’UNESCO pour établir des relations avec les délégations

occidentales. En effet, elle se sent proche des pays ouest-européens sur le plan culturel, et elle

essaie de compenser l’absence de relations bilatérales par le renforcement de sa politique

multilatérale. Suite à la soviétisation plus poussée de la Hongrie dès la fin des années 1940, elle se

retire de l’UNESCO en 1952 pour revenir lors de l’adhésion de l’URSS en 1954. Malgré son

intégration très ferme dans le « bloc soviétique » à cette époque, le pays continue à s’intéresser

fortement aux activités de l’UNESCO.

Les exemples du Kenya et de beaucoup d’autres pays africains qui accèdent à l’indépendance

dans les années 1960 montrent comment l’entrée de nouveaux acteurs sur la scène internationale

change le visage de la guerre froide qui devient de plus en plus multipolaire. Les nouveaux enjeux

après la fin des régimes coloniaux influent fortement sur le développement de l’UNESCO qui

compte dix-neuf nouveaux membres africains en 1960. Par conséquent, elle gagne en universalité

et introduit de nouveaux thèmes à son agenda : ainsi, par exemple, l’idée du développement y

devient plus importante.

Lors du débat, il a été évoqué que la structure de l’UNESCO favorise des projets communs de

pays appartenant à différents « blocs ». En effet, l’Organisation est repartie en groupements

régionaux pour les activités depuis 1964, et la région « Europe et Amérique du Nord » comprend

des pays des deux camps. Par conséquent, l’UNESCO a pu organiser, en pleine période de

guerre froide, des réunions de Ministres paneuropéennes (dans de nombreux domaines, à

l’exception de celui de la communication).

Néanmoins, l’entrée du « bloc soviétique » à l’UNESCO en 1954, tout en donnant un caractère

plus universel à l’Organisation et en permettant des rencontres entre ressortissants des deux

camps en son sein, provoque en même temps un renforcement du contrôle des gouvernements

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 6 sur leurs citoyens à l’UNESCO. En effet, deux réformes significatives ont lieu la même année, à

savoir la réforme du Conseil Exécutif et celle du Statut du Personnel. Cette dernière réforme

permet au Directeur général de licencier sept fonctionnaires américains accusés de sympathies

communistes en 1954. Cette décision provoquée par la pression d’un gouvernement américain

soumis à l’influence du Maccarthysme est vivement contestée par les défenseurs du statut du

fonctionnaire international indépendant. La politisation de l’UNESCO connaît une nouvelle

apogée lors de la conférence de New Delhi de 1956 qui a lieu juste après l’intervention française

et anglaise à Suez et l’intervention soviétique en Hongrie.

Lors de cette conférence, deux nouveaux membres de l’UNESCO expriment leur sympathie

pour l’Egypte et pour l’Algérie, au grand déplaisir de la France. Les cas du Maroc et de la Tunisie

montrent que tout n’est pas guerre froide pendant la période de guerre froide : en prenant

position dans le conflit et en s’engageant dans les relations internationales, ces pays ne perdent

jamais de vue leur objectif d’obtenir et de consolider leur souveraineté nationale. Ainsi, ils sont

déjà très actifs sur la scène internationale avant leur indépendance en 1956, par exemple par la

fondation d’associations culturelles et de syndicats exerçant une pression au niveau international,

ou par leur participation à la conférence de Bandoeng où ils réussissent à mettre le problème

nord-africain sur l’agenda de la conférence. Les deux pays adhèrent à l’UNESCO dès leur

indépendance en 1956.

Dans le cas du Japon, ce sont également des considérations extérieures à l’idéologie qui poussent

le gouvernement à soutenir l’UNESCO après le retrait américain et britannique. Premièrement,

le pays conserve un souvenir douloureux de son départ de la SDN pendant l’entre-deux-guerres

qui l’empêche de quitter une organisation spécialisée de l’ONU. Cette considération montre

l’influence parfois considérable des « spectres du passé » sur le devenir d’un Etat ou d’une

organisation ; c’est pourquoi en analysant un organisme comme l’UNESCO, il faudrait tenir

compte de ses prédécesseurs, notamment l’Institut International de Coopération Intellectuelle

(IICI). Il a été évoqué que pour le Japon, des raisons stratégiques s’ajoutent aux raisons

mentionnées ci-dessus, notamment le désir du gouvernement d’obtenir un siège permanent au

Conseil de Sécurité de l’ONU. Par ailleurs, l’UNESCO est fortement soutenue au Japon par les

fonctionnaires d’Etat retraités qui ont une influence considérable sur le gouvernement. En

misant sur la diplomatie multilatérale et la coopération culturelle, le Japon subventionne pour la

première fois des projets sans rapport avec l’Asie, par exemple la campagne de sauvegarde des

monuments de Nubie en 1960. Jusqu’à nos jours, le fonds-en-dépôt japonais finance des projets

importants. Cependant, il y a des divergences au sein du gouvernement japonais quant à l’attitude

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 7 à prendre vis-à-vis de l’Organisation, phénomène qu’on observe dans de nombreux Etats

membres et qui augmente encore la complexité de leurs relations avec l’UNESCO.

SESSION 2 : NOUER LE DIALOGUE AVEC L’AUTRE COTE DU « RIDEAU DE FER »

Présidée par : Ilya V. Gaiduk (Professeur, Institut d’Histoire Mondiale, Académie des Sciences de

Russie, Moscou)

Commentateur : Christian Ostermann (Directeur, Cold War International History Project, Etats-

Unis)

Papiers présentés :

• Arthur Gillette (ancien Directeur de la Division de la jeunesse et des activités sportives

de l’UNESCO)

« Comment l’UNESCO a contribué à faire « rouiller » le rideau de fer grâce aux

volontaires Est-Ouest »

• Leland C. Barrows (Professeur, Voorhees College, Denmark, Caroline du Sud, Etats-

Unis)

« Le Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur (CEPES) et la

réaction de l’UNESCO à la Guerre froide »

• Klaus Oldenhage (ancien Vice-président, archives fédérales, Allemagne)

« L’UNESCO, le Conseil international des archives (ICA) et la guerre froide »

• Roman Romanovsky (Docteur en histoire des relations internationales, Minsk,

Biélorussie)

« L’UNESCO, les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl et la fin de la Guerre

froide »

Lors de la deuxième session, les participants ont analysé différentes tentatives de l’UNESCO de

bâtir des ponts entre les deux camps pendant la guerre froide, notamment entre les populations

civiles. L’accent a également été mis sur une des particularités de l’Organisation : sa capacité de

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 8 susciter la solidarité internationale pour une cause commune au-delà des frontières idéologiques,

capacité qui lui a valu quelques-uns des plus grands succès de son histoire.

Le cas des chantiers de travail Est-Ouest montre comment le conflit bipolaire peut s’effacer

quand une dimension mondiale y est introduite. C’est le Service civil international (SCI), ONG

soutenue par l’UNESCO, qui lance ce projet dans les années 1950 afin de provoquer des

rencontres entre individus des deux côtés du « rideau de fer ». Sur ces chantiers de travail, les

divergences idéologiques entre jeunes des deux blocs pâlissent souvent face aux grandes

difficultés de certaines parties du monde et devant les problèmes pratiques à résoudre. Les

organisations non gouvernementales sont particulièrement propices pour favoriser ces

rencontres qui seraient difficiles à imaginer dans un cadre plus formel.

D’autres projets de l’UNESCO revêtent un caractère plus officiel, comme la fondation de

centres et organisations destinés à œuvrer des deux côtés de la frontière idéologique. Ainsi, par

exemple, le Centre européen pour l’enseignement supérieur (CEPES) créé à Bucarest en 1972,

assure la présence de l’UNESCO en Europe de l’Est, fait unique à l’époque pour une

organisation internationale basée à l’Ouest. Il s’efforce de stimuler des contacts entre les

établissements d’enseignement supérieur partout en Europe, malgré les résistances de certaines

institutions notamment à l’Est. En outre, les publications du CEPES diffusent les ouvrages de

scientifiques des deux camps dans les deux blocs des deux côtés du « rideau de fer », mais il faut

noter que le flux Ouest-Est est toujours beaucoup plus puissant que le flux dans le sens opposé.

Au Conseil International des Archives (ICA), ONG établie en étroite coopération avec

l’UNESCO en 1948, la coopération et l’échange de documents ne s’arrêtent pas non plus aux

frontières idéologiques, mais ils doivent parfois emprunter des chemins secrets. L’ICA connaît

lui aussi certaines crises politiques, mais il réussit à rester très présent dans les deux blocs tout au

long de la guerre froide. Il y parvient entre autres par de grands congrès tenus dans les capitales

des deux superpuissances qui constituent un lieu de rencontre pour les archivistes du monde

entier, ainsi que par sa publication Archivum.

Finalement, il y a aussi des campagnes de soutien déclenchées par des événements exceptionnels.

La catastrophe de Tchernobyl en 1986 montre comment les Nations Unies sont intervenues

après un incident qui semblait au début principalement concerner le bloc Est. Après des efforts

initiaux de Moscou de gérer seule le problème, entre autres en minimisant et en dissimulant son

étendue, l’URSS, la Biélorussie et l’Ukraine lancent un appel d’aide internationale en 1990.

L’UNESCO est une des premières organisations à y répondre en apportant du soutien sous de

nombreuses formes, et notamment en initiant le « projet Tchernobyl ». Ce programme constitue

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 9 un exemple de coopération internationale qui serait difficile à imaginer quelques années plus tôt.

Il montre également la capacité de l’UNESCO de rassembler des fonds par des initiatives

originales comme la création d’une médaille par Pierre Cardin et l’organisation d’activités

culturelles. Grâce à ces sources de financement, le projet Tchernobyl devient un succès malgré

son budget initial assez restreint.

Au cours de la discussion, le titre de la session s’est avéré assez occidocentrique puisque l’

« autre » côté du rideau de fer semble désigner systématiquement le « bloc » Est. Ceci reflète plus

ou moins la situation à l’UNESCO pendant la période analysée, même si elle est conçue comme

une organisation universelle et neutre sur le plan politique. Le fait que l’UNESCO a été fondée à

Paris par une majorité de pays occidentaux et que l’URSS n’y adhère que presque une décennie

plus tard se reflète dans son Acte Constitutif et dans l’orientation de quelques-uns de ses

programmes. Par conséquent, certains accusent la jeune organisation d’être un « club

d’occidentaux » à l’idéologie anticommuniste, ce qui contribue à la décision (non reconnue par

l’UNESCO) de la Pologne, la Hongrie et de la Tchécoslovaquie de se retirer de l’Organisation

respectivement en 1952 et 1953.

Dans leurs travaux sur la guerre froide, les historiens sont souvent influencés par leur

connaissance de la suite (l’écroulement du bloc Est), c’est-à-dire qu’ils risquent d’écrire une

histoire téléologique. A ce danger s’ajoute celui de se laisser aveugler par la fatalité de

l’affrontement, qui n’est pourtant pas omniprésent dans les relations internationales de cette

période. Certaines parties du monde comme, par exemple, l’Amérique Latine ou l’Afrique, ont

des revendications propres et ne se soucient pas toujours de la confrontation entre les blocs.

On se rend compte qu’il est difficile d’évaluer les résultats précis, à court et long terme, des

activités de l’UNESCO. Des initiatives comme les grandes campagnes internationales ont

normalement un impact immédiat important. La solidarité y prime souvent sur les divergences

politiques – ainsi, par exemple, le projet Tchernobyl réussit à rassembler le concours des

organisations humanitaires anglaises et américaines, quelques années seulement après le retrait de

ces deux pays de l’UNESCO. Les répercussions du projet sont perceptibles jusqu’à nos jours, et

certains de ses programmes continuent malgré son aboutissement officiel en 1997. Mais les

initiatives de l’UNESCO ne portent pas toujours des fruits tangibles et leur efficacité peut être

mise en question. En ce qui concerne, par exemple, les chantiers Est-Ouest, certains participants

ont fait remarquer que l’intérêt pour ce genre d’activités n’existe pas dans tous les pays, que ce ne

sont que des jeunes particulièrement attirés par l’international qui se portent volontaires et que

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 10 les contacts ne mènent pas forcément à l’harmonie et à la paix. Néanmoins, ces initiatives

peuvent aider à surmonter des préjugés créés par la « propagande » des deux côtés du rideau de

fer. Quant aux organismes comme l’ICA, ils facilitent également les rencontres informelles, y

compris entre ressortissants de pays qui n’ont pas de relations diplomatiques officielles comme la

RDA et la RFA. Cependant, l’accès aux archives est un problème sérieux que des structures

comme l’ICA n’ont pas réussi à résoudre, entre autres faute de compétence pour élaborer des

normes internationales juridiquement contraignantes. Afin d’élucider la question comment les

histoires nationales, régionales et locales ont été influencées par la guerre froide, il faudrait

consulter les archives des Etats dont certaines restent peu accessibles jusqu’à nos jours.

Il y a toutefois des initiatives comme le Cold War International History Project qui vise à faciliter

la réécriture de l’histoire de la guerre froide d’un point de vue international, à partir des sources

rendues accessibles aux chercheurs depuis la fin de la guerre froide. En outre, l’accès aux

archives des organisations internationales est souvent moins restreint que celui aux archives des

Etats et leur inclusion dans l’historiographie de la guerre froide fournit de nouvelles perspectives,

comme les contributions au colloque le montrent.

SESSION 3 : LA LUTTE POUR LA PAIX ET LA COMPREHENSION MUTUELLE

Présidée par : Glenda Sluga (Professeur, Université de Sydney, Australie)

Commentateur : Madeleine Herren (Professeur, Université de Heidelberg, Allemagne)

Papiers présentés :

• Omprakash Dash (Doctorant, Université Jawaharlal Nehru, New Delhi, Inde)

« La guerre de l’UNESCO pendant la Guerre Froide: la paix internationale et la confiance

mutuelle prévalent »

• Beatriz Berreiro Carril (Doctorant, Université Carlos III, Madrid, Espagne)

« L'UNESCO et la Guerre froide: Diversité culturelle et industrie culturelle »

• Christian Bolduc (Archiviste, Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

« La conférence intergouvernementale sur la protection des biens culturels en cas de

conflit armé (La Haye 1954) : illustration de l'impact de la Guerre froide sur le projet

phare de l'UNESCO »

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 11

• Suzanne Langlois (Professeur associé, Université de York, Toronto, Canada)

« L'UNESCO et le Conseil du cinéma des Nations unies : la coordination de

l'information cinématographique (1945-1951) »

• Michael Palmer (Professeur, Université Paris III)

« NOMIC et la Guerre Froide. Enjeux et Perspectives »

La troisième session du séminaire a traité des tentatives de l’UNESCO de protéger certaines

valeurs en dehors de toute logique de confrontation des blocs. Elle a montré que même si la

guerre froide freine plusieurs activités importantes de l’UNESCO visant à favoriser la

compréhension mutuelle des peuples, il y a quand même des réussites notamment dans le

domaine des activités normatives.

Pendant la guerre froide, les intellectuels sont fréquemment instrumentalisés pour la bataille

idéologique et les valeurs défendues par l’UNESCO, comme par exemple la diversité culturelle,

ont du mal à s’affirmer face au conflit. Cependant, l’UNESCO fait des efforts considérables pour

la protection de normes qui dépassent l’affrontement des deux blocs. Elle s’engage notamment

dans la protection de l’héritage culturel, entre autres par ses diverses Conventions, comme celle

sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé (Convention de La Haye, 1954). Elle

lance aussi des campagnes de sauvegarde, par exemple la campagne de Nubie en 1964 ou la

campagne pour la sauvegarde de Borobudur en 1972. En outre, le programme du patrimoine

mondial connaît de nombreux succès. On pourrait citer l’exemple de la coopération fructueuse

entre l’Organisation et l’Inde, Etat qui dispose d’une richesse et d’un héritage culturels

extraordinaires : dès son adhésion en 1946 (qui a lieu même avant son indépendance en 1947),

l’Inde est très active au sein de l’UNESCO et bénéficie de nombreux programmes d’assistance,

notamment dans le domaine de la protection du patrimoine.

La guerre froide limite néanmoins l’impact des initiatives normatives de l’UNESCO. Ainsi, la

Convention de 1954, conçue afin d’éviter les destructions et déplacements d’œuvres d’art

semblables à ceux qui eurent lieu pendant la seconde guerre mondiale, subit tôt les répercussions

du conflit. Les désaccords sont notamment déclenchés par la question si une « nécessité militaire

impérieuse » justifierait le non-respect de la Convention, idée défendue par les Etats-Unis et

rejetée par l’URSS. Soucieux de ne pas limiter leur pouvoir d’action, le Canada et les Etats-Unis

ne ratifient la Convention que plusieurs décennies plus tard (respectivement en 1998 et 2009) ;

quant à la Grande-Bretagne, elle ne l’a toujours pas ratifiée.

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 12 Outre le patrimoine, l’information constitue un autre volet important de l’action normative de

l’UNESCO. Dès ses débuts, l’Organisation s’occupe des possibilités de diffuser les idéaux des

Nations Unies par les mass média. Grâce au soutien du son premier Directeur général Julian

Huxley, l’UNESCO se dote d’un service cinématographique, et ce malgré l’existence d’un organe

semblable à l’ONU, le Conseil du Cinéma (aboli en 1950). Dès les années 1950, ce service

produit quelques exemples de films documentaires progressistes qui dépassent l’esprit de camp,

mais il devient bientôt une victime de la bipolarisation croissante.

L’UNESCO ne se soucie pas uniquement du rayonnement de ses propres idéaux, mais elle

s’occupe aussi de la diffusion de l’information dans le monde. Le débat sur la libre circulation de

l’information, qui est entamé très tôt au sein de l’UNESCO, donne lieu à de nombreuses

polémiques et montre l’élargissement successif du conflit. Si les Etats-Unis instrumentalisent

l’UNESCO pour propager leur idéal de libre circulation de l’information – qui, selon eux,

mènerait à la compréhension mutuelle des peuples – sans trop se soucier de la réciprocité des

échanges et de la diversité culturelle, l’URSS fait de même dès son entrée en défendant sa propre

politique de non-intervention et de censure.

Après la décolonisation, l’émergence de la problématique Nord-Sud éclipse quelque peu la

thématique Est-Ouest, mais cette dernière continue à jouer un rôle primordial : en effet, les deux

blocs luttent pour l’extension de leur influence dans les pays nouvellement indépendants. Les

désaccords éclatent autour de l’idée de mettre en place un Nouvel ordre mondial de

l’information et de la communication (NOMIC). Dans ce débat passionné, les Etats-Unis,

prédominants sur le marché de production et de diffusion de l’information, sont accusés d’

« impérialisme culturel » et de « propagande ». On leur reproche de diffuser leur « way of life »

par les mass média qui transmettent souvent une information déséquilibrée et unilatérale. En

revanche, les Etats-Unis perçoivent le NOMIC comme une initiative communiste : selon eux, les

Soviétiques défendent les pays nouvellement indépendants afin de les attirer vers le communisme

et de gêner le flux de l’information. La conjonction des tensions Est-Ouest et Nord-Sud

contribue à la grande crise de l’UNESCO au début des années 1980 qui aboutit aux retraits

américain et britannique. Finalement, le centre du débat sur l’information est déplacé vers les

questions techniques et le problème est transféré vers l’Union Internationale des

Télécommunications (UIT).

Lors du débat, il a été question des entraves à l’action des organisations internationales dans les

situations de crise politique. Premièrement, elles sont censées rester neutres, ce qui les empêche

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 13 souvent d’adopter un point de vue clair dans un conflit. Deuxièmement, elles disposent d’un

budget et de moyens d’action limités. Finalement, leurs décisions engagent rarement les

gouvernements. Ainsi, les Déclarations et Conventions de l’UNESCO n’ont pas de caractère

juridiquement contraignant ; par conséquent, elles reposent sur la coopération des

gouvernements. Le cas des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan montre que l’UNESCO a peu

de possibilités d’intervenir dans une situation où le gouvernement est lui-même le moteur de

destruction du patrimoine ; l’UNESCO doit se contenter d’attirer l’attention de la communauté

internationale sur le problème. En outre, certains gouvernements refusent de ratifier certaines

Conventions, souvent pour des raisons stratégiques : ainsi, par exemple, les Etats-Unis ne signent

pas la Convention de la Haye de 1954 par peur de perdre leur supériorité militaire sur l’URSS qui

dépend du nucléaire à cette époque. La non-ratification de la Convention par trois pays membres

importants (les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada) constitue une marque de méfiance

qui a eu un impact négatif sur l’application de la Convention.

Il a été souligné que les champs d’action de l’UNESCO la rendaient particulièrement vulnérable

aux divergences idéologiques puisque chaque régime attribue une grande importance à

l’éducation, la science et la culture. Par conséquent, elle devient souvent le théâtre

d’affrontements politiques, mais en même temps, elle constitue une tribune unique pour des

acteurs qui ont parfois du mal à faire entendre leur voix sur la scène internationale, y compris

certains pays non membres de l’ONU.

Cependant, l’UNESCO ne subit pas passivement son sort en servant uniquement de lieu de

rencontre et de plateforme d’expression, mais elle se sert elle-même des technologies de

l’information comme, par exemple, du cinéma, pour diffuser certaines idées et pour influencer

l’opinion publique mondiale. Cependant, cette forme de « propagande » médiatique a du mal à

entrer en compétition avec celle des superpuissances qui disposent de moyens très supérieurs, et

l’UNESCO a jusqu’à nos jours des difficultés d’assurer sa visibilité dans le paysage médiatique

international. Par le passé, l’UNESCO a attiré l’attention des médias notamment par les débats

politiques en son sein, mais aussi par quelques activités-phares comme les campagnes de

sauvegarde et certaines Déclarations et Conventions.

Les participants ont soulevé la question du concept de culture à l’UNESCO. Ils ont fait

remarquer que la notion d’échange culturel qui se trouve au centre du débat sur le NOMIC

présuppose un concept statique des cultures, comme s’il s’agissait d’entités bien délimitées et

immuables. Mais en réalité, les cultures sont constamment en échange et en transformation, et

leur perception est relative : s’agit-il de cultures nationales, régionales, locales ? Le cas du Chili,

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 14 par exemple, montre comment une idée de culture (régionale) des années 1960 est remplacée par

une autre (nationale) suite à un changement politique, à savoir l’avènement de la dictature en

1973. En Afrique, certains pays rejettent l’idée d’une « Histoire Générale de l’Afrique », en

affirmant que leur pays a des problèmes spécifiques qui ne sont pas suffisamment pris en compte

par ce genre d’ouvrage. Cependant, les concepts monolithiques de cultures « authentiques » qui

peuvent être comparées ont un caractère artificiel que l’approche « transculturelle » essaie de

dépasser.

SESSION 4: UNESCO : UNE PLATE-FORME POUR PROMOUVOIR LA CULTURE, LA SCIENCE ET

L’EDUCATION

Présidée par : Thomas G. Weiss (Professeur, City University of New York, Etats-Unis)

Commentateur : Iris Schroeder (Université de Magdeburg et Université Humboldt Berlin,

Allemagne)

Papiers présentés :

• Jacob Darwin Hamblin (Oregon State University, Etats-Unis)

« Science et transformation de l’environnement dans les institutions spécialisées de

l’ONU au temps de la guerre froide : le cas de l’UNESCO »

• Fernanda Beigel, (CONICET, Université Nationale de Cuyo, Mendoza, Argentine)

« Les sciences sociales en Amérique latine et la lutte pour la prééminence à l’UNESCO

pendant la Guerre froide : la concurrence entre le Chili et le Brésil »

• Hervé Moulin (Doctorant, Université Paris IV Sorbonne)

« L’Unesco et la naissance des activités spatiales »

• Randle Hart (Southern Utah University, Etats-Unis)

« Une bataille d’idées : l’UNESCO et l’ultra-droite américaine »

• Eva Schandevyl (chercheuse, Belgique)

« Une contribution à l'entente internationale : historiens belges et la révision des manuels

scolaires »

• Wagner Rodrigues Valente (Professeur, Université de São Paulo, Brésil)

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 15

« L'Unesco et les deux premières conférences interaméricaines sur l'éducation

mathématique »

Dans cette session, l’accent a été mis sur l’histoire des idées au sein et autour de l’UNESCO dans

les domaines d’action de l’Organisation. Si les termes « éducation », « science » et « culture » n’ont

pas toujours le même sens à l’Est qu’à l’Ouest, il y a tout de même des dénominateurs communs

dans les deux camps comme, par exemple, la foi en la technologie. L’UNESCO, qui compte le

développement des pays défavorisés parmi ses objectifs principaux, adopte l’idée que le progrès

technique conduira les pays pauvres à l’égalité et à la prospérité et que pour atteindre ce but, il

faut transformer la nature par la technologie (d’où des projets comme celui d’hydrater les zones

arides). Cette perception idéaliste de la technologie est fortement secouée dès les années 1950, ce

qui conduit l’UNESCO à changer d’approche et à élaborer des projets plus écologiques, par

exemple le programme « Homme et Biosphère » (MAB) lancé en 1970. Mais malgré l’intérêt

croissant de l’UNESCO pour l’écologie et le développement durable, le but de transformer la

nature par la technologie persiste. L’accent se déplace vers une gestion optimale des ressources

naturelles, toujours en vue de favoriser le développement par le progrès technique.

En raison de l’importance que les deux superpuissances attribuent au progrès technique, elles

sont en compétition permanente dans ce domaine, par exemple en ce qui concerne leurs activités

spatiales. L’UNESCO s’intéresse vivement à l’évolution de ce secteur, et elle contribue de

manière significative à l’organisation et à la promotion de l’Année Géophysique Internationale en

1957 pendant laquelle l’URSS lance le premier satellite, Spoutnik. D’autres satellites soviétiques

et américains suivent peu après, ouvrant entre autre un vaste champ de nouvelles possibilités de

communication qui intéressent particulièrement l’UNESCO. Cependant, la diffusion par satellite

rencontre de fortes résistances de plusieurs Etats qui refusent de recevoir des informations de

l’étranger sans pouvoir contrôler leur contenu.

Si ce genre de reproches se dirige principalement contre les Etats-Unis en raison de leur

prédominance dans le domaine de l’information, certaines parties de l’opinion américaine

s’insurgent à leur tour contre les tentatives de l’UNESCO de diffuser quelques-uns de ses idéaux

dans leur pays. C’est notamment le cas de la droite radicale américaine et de certains

mouvements civiques qui lancent plusieurs campagnes contre l’UNESCO. A une méfiance

générale vis-à-vis des intellectuels s’ajoute une hostilité particulière liée aux buts et à l’orientation

de l’Organisation. Pendant la période du Maccarthysme, l’UNESCO est accusée de faire partie

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 16 d’une conspiration communiste, et certains de ces reproches resurgissent lors du débat autour du

NOMIC.

Parmi les cibles préférées des radicaux se trouvent les manuels scolaires élaborés par l’UNESCO

afin de favoriser la paix et la compréhension mutuelle. Selon leurs détracteurs d’extrême-droite,

ces ouvrages risquent de pervertir l’esprit des enfants américains et de remplacer leur patriotisme

par l’adhésion à un gouvernement mondial. En effet, l’UNESCO, voyant dans l’éducation une

des clés de la compréhension mutuelle des peuples, s’occupe activement des manuels scolaires.

Elle est particulièrement impliquée dans la réconciliation de pays ex-ennemis en contribuant, par

exemple, à des projets bilatéraux de révision des manuels d’histoire entre l’Allemagne et la

Pologne, l’Allemagne et la France et l’Allemagne et la Belgique. L’exemple de la Belgique montre

que ces projets naissent entre autres des nécessités de la guerre froide puisqu’il s’agit de

consolider le bloc Ouest en y intégrant fermement l’Allemagne. Par conséquent, on évite

soigneusement les sujets qui pourraient créer des conflits.

Outre l’histoire, l’UNESCO se penche aussi sur d’autres matières d’enseignement, par exemple

les mathématiques. L’UNESCO joue un rôle de médiateur aux séminaires interaméricains sur le

sujet. Elle met l’accent sur l’Amérique Latine, région qui dispose d’une communauté

mathématique très forte. Cette région est aussi particulièrement importante pour l’UNESCO dès

ses débuts, comme le montrent entre autres les cas de l’implication du Brésil et du Chili au sein

de l’Organisation. Elle constitue également un exemple pour la collaboration fructueuse entre

une région et l’UNESCO qui est entravée de manière significative par des événements politiques,

comme les coups militaires et la prise de pouvoir de dictateurs.

Dans la discussion, il a été question des changements dans la rhétorique de l’UNESCO et de son

image, changements étroitement liés à l’évolution de la situation internationale. Les tendances

universalistes après la fin de la deuxième guerre mondiale cèdent bientôt la place à un refus

énergique de toute idée d’établir un « gouvernement mondial ». La côte de l’internationalisme

remonte légèrement après la mort de Staline. Néanmoins, beaucoup de pays du Sud défendent

plutôt leur souveraineté nouvellement acquise que l’universalité.

Il serait donc erroné de considérer le « Sud » comme un « bloc » homogène puisqu’il n’est pas

plus uni que les blocs « Est » et « Ouest ». Il y a, par exemple, des « centres périphériques » dans

certaines régions, comme le Chili en Amérique latine qui coopère très activement avec

l’UNESCO pendant un certain temps. Une grande partie des pays du Sud sont d’ailleurs perçus

comme faisant partie d’un des deux camps, notamment au début de la guerre froide – soit

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 17 puisqu’il s’agit de colonies, soit en raison de leurs sympathies prétendues pour l’une des deux

idéologies prédominantes (ainsi, par exemple, l’Inde est souvent classée dans le camp soviétique).

Il serait intéressant de se pencher sur les échos du mouvement non-aligné au sein de l’UNESCO,

mouvement qui est considéré par certains comme un « cheval de Troie » du communisme.

Le Sud peut aussi fonctionner comme une terre neutre et un lieu de rencontre entre les

antagonistes de la guerre froide, comme le montre l’exemple des jeunes volontaires participant

aux chantiers de travail du SCI. Après les indépendances, le Sud devient de plus en plus un sujet

à part entière à l’UNESCO – comme le prouvent une grande partie de ses activités à partir des

années 1960 ainsi que l’établissement d’un Département « Priorité Afrique » par Federico Mayor

en 1996.

Il a été mentionné que les analyses de la guerre froide privilégient souvent les tensions. Or, la

concentration sur les tensions ne rend pas toujours justice à la complexité historique car elle

amène les chercheurs à négliger les circulations et les changements perpétuels. Il faudrait aussi

faire plus attention au pouvoir et aux relations de pouvoir, données parfois difficiles à mesurer et

à expliciter. Ces éléments pourraient aussi fournir des réponses à la question comment certains

acteurs réussissent mieux que d’autres à faire entendre leur voix sur la scène internationale.

Cependant, il ne faut pas privilégier une piste en laissant trop de côté l’autre : tensions et

circulations coexistent et ce n’est que la prise en compte des deux éléments qui peut élucider les

multiples facettes de la guerre froide.

En outre, la question a été posée si la concentration sur la culture n’était pas elle-même une

obsession née de la guerre froide. Les échanges et les contacts mènent-ils automatiquement à la

compréhension mutuelle ? De toute manière, il ne faut pas négliger les Etats-nations qui

continuent à jouer un rôle important pendant la guerre froide et se servent souvent du conflit

pour réaliser leurs buts politiques.

Les participants ont constaté que beaucoup de recherches restaient encore à faire sur les activités

de l’UNESCO à la fin de la guerre froide. Cette période connaît des modifications significatives

notamment de la thématique Nord-Sud, sujet qui n’apparaît que tardivement dans le paysage

médiatique et qui commence à y occuper une place de premier ordre lors du mandat de Amadou

Mahtar M’Bow à la tête de l’UNESCO.

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 18 TABLE RONDE : ÉTUDIER L’UNESCO PENDANT LA GUERRE FROIDE : PROBLEMES, QUESTIONS

ET PERSPECTIVES

Modérateurs : Robert Frank

Glenda Sluga

Ibrahima Thioub (Professeur, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal)

Ilya V. Gaiduk

Pour étudier le rôle de l’UNESCO pendant la guerre froide, il faudrait essayer de définir le mieux

possible ce que l’on entend par ce terme. En effet, il ne s’agit pas d’un conflit aux camps bien

définis. La fracture ne passe pas uniquement à l’intérieur de chaque bloc, mais aussi au sein de

chaque pays, de chaque région et au for intérieur des individus.

La chronologie est également incertaine, et elle change en fonction des perspectives adoptées et

des acteurs et espaces géographiques analysés. Face à la survie de certaines structures et logiques

de la guerre froide, quelques chercheurs se demandent si le conflit est tout à fait terminé de nos

jours.

Une autre question qui se pose concerne l’étendue réelle du phénomène. L’idée d’un

élargissement graduel de la guerre froide, dans laquelle la thématique Nord-Sud se greffe

tardivement sur l’affrontement Est-Ouest et dans laquelle même les pays non-alignés seraient

parfois obligés de choisir un camp, suppose que le conflit devient au fur et à mesure tout à fait

global. En même temps, de nouvelles facettes s’ajoutent à l’affrontement central qui en devient

de plus en plus multidimensionnel et multipolaire.

Cependant, il faut tenir compte du fait que certains pays sont poussés à choisir un camp sans être

vraiment impliqués. En outre, la guerre froide n’est pas omniprésente pendant la période de

guerre froide, même dans les relations Est-Ouest, et il y a des pays qui se préoccupent très peu

du conflit. Quant à l’UNESCO, elle réussit à poursuivre un grand nombre d’activités visant à

rompre l’« esprit de camp », notamment dans le domaine de l’action normative. Elle suscite des

rencontres entre chercheurs, scientifiques, hommes d’Etat et populations civiles des deux blocs,

et elle constitue une plateforme pour la promotion de l’éducation, de la science et de la culture

sur laquelle peuvent s’exprimer jusqu’aux pays non-membres de l’ONU. En outre, elle lance de

nombreuses initiatives qui ont des répercussions dans d’autres organisations et dans l’opinion

publique mondiale. Ce serait en effet intéressant d’analyser lesquelles de ses activités ont pu

échapper à la logique du conflit et pourquoi.

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 19 Malgré ces succès, on peut se demander si l’UNESCO a vraiment rempli sa mission pendant la

guerre froide. Créée afin de construire les défenses de la paix dans l’esprit des hommes et de

combattre toutes les guerres, l’UNESCO ne s’est-elle pas accommodée de cette guerre

particulière ? Son statut d’organisation intergouvernementale ne la rend-il pas impuissante face à

ce conflit particulier qui concerne une grande partie de ses Etats membres ? Et n’adopte-t-elle

pas une attitude trop passive vis-à-vis des « guerres chaudes » qui on eu lieu en marge du conflit

principal, notamment dans les pays du Sud ? Et finalement : comment réagit-elle face aux

nombreux conflits et « murs » qui continuent à séparer les populations dans différentes parties

du monde ?

Il a été souligné que le lien très important entre la guerre froide et la décolonisation n’a pas été

clairement évoqué au cours de ce colloque. En effet, plusieurs mouvements de libération en

Afrique font partie du mouvement non-aligné, et les guerres civiles dans les pays africains sont

souvent liées à la guerre froide. Les activités de l’UNESCO dans ces zones de guerre (par

exemple la création d’écoles dans les zones libérées) ne sont donc pas « neutres ». Il serait

intéressant d’analyser comment certains acteurs du Sud utilisent la guerre froide pour s’attirer

certains avantages. En revanche, le soutien qu’ils reçoivent d’un bloc ou de l’autre crée souvent la

suspicion de l’autre bloc qui peut provoquer le basculement d’un pays dans l’un des deux camps.

L’UNESCO semble vouloir échapper à la logique de guerre froide en apportant des technologies

au Sud, mais ces activités n’ont pas porté les fruits escomptés puisque la technique ne conduit

pas automatiquement au développement. Par ailleurs, tous les pays n’ont pas la même

conception de « développement ».

La question du développement est étroitement liée à celle, aussi présente à l’UNESCO tout au

long de son histoire, de la tension entre les concepts d’universalité et d’identité. En effet, l’idée

de faire accéder le Sud aux technologies du Nord, sans tenir compte de l’identité et des cultures

des pays récepteurs, s’est révélée impraticable. L’UNESCO, qui est née d’une grande idée d’unité

de toute l’humanité après la Seconde Guerre Mondiale et qui a toujours défendu des valeurs

universelles, s’efforce en même temps de protéger la diversité. Dans des documents comme la

« Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » de

2005, elle essaie de réconcilier la tension entre universalité et spécificité des cultures, en affirmant

que dans chaque culture, il y a quelque chose d’universel qui fait partie du patrimoine de

l’humanité entière. Cette notion permet de dépasser la notion d’Etats tout en protégeant la

diversité.

RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 20 CONCLUSION

Les trois colloques ont montré que la séparation entre les sujets des trois conférences « Vers une

histoire transnationale des organisations internationales », « L’UNESCO et les histoires de

colonisation et de décolonisation » et « L’UNESCO et la guerre froide » ne peut être

qu’artificielle puisque les sujets sont étroitement liés. Ainsi, par exemple, la guerre froide a des

effets sur la fin des régimes coloniaux et joue un rôle déterminant dans la décolonisation – rôle

qu’il faudrait analyser de manière plus précise ; en revanche, l’entrée de nouveaux acteurs sur la

scène internationale change le visage de la guerre froide et celui de l’UNESCO. De plus, chaque

réflexion historique sur le rôle de l’UNESCO dans ces événements soulève des questions de

méthodologie.

Les séminaires ont fourni de nombreux exemples de travaux de recherche qui ne visent pas à

écrire l’histoire institutionnelle de l’UNESCO, mais à inclure l’Organisation dans

l’historiographie internationale, nationale et même locale. Ces papiers constituent aussi des

exemples pour les fruits que ce procédé peut porter, et ils montrent que la prise en compte des

organisations internationales peut révéler aux historiens de nouvelles perspectives et facettes d’un

sujet. L’intérêt croissant des historiens pour l’activité des organisations internationales constitue

en effet un signe encourageant.

Les débats ont également mis en évidence le fait que beaucoup de choses restaient encore à faire.

Il faudrait notamment s’éloigner du point de vue occidental et métropolitain afin de prendre en

compte la perspective de l’Est et du Sud, mais aussi celle des zones rurales qui sont souvent

oubliées, par exemple dans le débat sur la libre circulation de l’information. On pourrait

également se concentrer sur les réseaux, les relations entre les organisations internationales, les

relations interpersonnelles, les acteurs individuels et leur circulation dans le système international.

Finalement, il faudrait s’attaquer davantage aux années récentes, ce qui pose plusieurs problèmes.

En effet, l’écriture de l’histoire du temps présent est délicate puisque beaucoup d’acteurs sont

toujours vivants, ce qui peut aboutir à l’heurt des points de vue intérieur et extérieur. Pour

l’historien, il est parfois difficile d’arriver à une vue d’ensemble et à une perspective détachée des

événements qu’il a vécus lui-même. En revanche, cette proximité peut constituer une richesse

puisqu’elle permet de comparer les points de vue de différents acteurs et d’éviter le danger

d’écrire une histoire trop linéaire et téléologique. C’est pourquoi l’UNESCO continue à

constituer des archives orales, avec le but d’arracher à l’oubli les témoignages des acteurs qui ont

œuvré au sein de l’Organisation. Ces archives permettront, d’une part, de comprendre le

L’UNESCO ET LA GUERRE FROIDE page 21 changement de perspective des générations successives de fonctionnaires et, d’autre part, de

garder vivant le souvenir des origines de cette Organisation.

En outre, il y a le problème de l’accès aux archives qui sont normalement ouvertes après trente

ans, délai qui se prolonge de manière significative dans certains Etats membres et pour certains

dossiers. En revanche, l’UNESCO s’engage à mettre le maximum d’informations à la disposition

des chercheurs dans les meilleurs délais ; ainsi, une grande partie de ses documents peut être

consultée presque immédiatement et les dossiers de correspondance sont normalement ouverts

après vingt ans. De très nombreux documents sont également accessibles sur le site de

l’Organisation. En effet, l’UNESCO fait des efforts suivis de numérisation et de description

d’archives afin d’inclure davantage l’Organisation dans les études des historiens.

Ce n’est que la multiplication des travaux de recherche et des perspectives qui finiront par

donner une idée de ce qu’est l’UNESCO, des nombreuses activités qu’elle a pu mener à bout et

des effets et reflets variés et parfois inattendus de son action ou de sa mission, qui ne se révèlent

souvent qu’à long terme. C’est pourquoi il est primordial de continuer à stimuler, par exemple

par des colloques constituant des lieux de rencontre et d’échange de chercheurs de différentes

disciplines et de toutes les parties du monde, l’intérêt des historiens pour cet organisme insolite

et difficile à saisir dans toute sa complexité. Cette connaissance du passé aidera sans aucun doute

l’Organisation dans sa constante quête et remise en question de ses objectifs et des moyens pour

y parvenir, et elle lui permettra d’avancer d’un pas plus sûr et d’un esprit plus lucide.