LUMIERES D’ETOILES, LES COULEURS DE … · Pendant des millénaires, nous avons contemplé le...

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Dernières nouvelles d’un jeune Univers 1 29 septembre 2011 LUMIERES D’ETOILES, LES COULEURS DE L’INVISIBLE D’après la conférence d’André Brahic, astrophysicien, professeur à l’université Paris VII Denis Diderot et chercheur au Commissariat à l’Energie Atomique à Saclay. Pendant des millénaires, nous avons contemplé le ciel à l’œil nu. De cette vision, les philosophes ont construit différentes conceptions du monde et essayé de répondre à des questions fondamentales : Qui sommes-nous ? Quelle est notre place dans l’Univers ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? En effet, l’Univers que nous découvrons depuis quarante ans est très varié et inattendu, bien différent de notre perception visuelle. Le monde est en pleine évolution et nous vivons une révolution des connaissances en astronomie qui bouleverse nos conceptions, loin des mythes et des croyances irrationnelles. Chacun trouvera matière à repenser les relations de l’Homme avec la Nature. I/ Les Lumières du ciel Comment ne pas se poser une multitude de questions lorsqu’on observe la voûte voilée, sur le temps, l’espace, l’homme, ses origines et sa destinée ? Les Anciens avaient noté tous les mouvements réguliers qui rythment le ciel et avaient inventé une mythologie importante, porteuse de bons et de mauvais présages. Depuis quelques années, les études révèlent un ciel très différent, porteur d’informations sur notre environnement, grâce aux progrès de la science. a/ L’astronomie C’est la plus ancienne des sciences qui avait, à l’origine, un but pratique et métaphysique : établir le calendrier des mouvements du soleil, de la lune et des étoiles, et fournir des signaux aux populations anciennes souvent très crédules mais aussi très observatrices, comme les Chinois, les Mayas de l’Amérique précolombienne ou les Mésopotamiens. De cette époque datent les premières données astronomiques révélant déjà par une simple observation à l’œil nu, de solides acquis en calcul et en géométrie. En quatre siècles, leurs lointains successeurs conçoivent lunettes et premiers télescopes pour observer l’Univers sur des milliards d’années-lumière, d’où la découverte de la première loi de physique, la gravitation universelle. Au XIX e et au XX e siècle, l’observation au téléscope permet de révéler la nature des astres qui émettent des lumières contenant des informations sur leur structure et leur fonctionnement. Aujourd’hui, les astronomes ont mis au point, depuis trente ans, des instruments spatiaux pour sortir de l’Univers.

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29 septembre 2011

LUMIERES D’ETOILES, LES COULEURS DE L’INVISIBLE

D’après la conférence d’André Brahic, astrophysicien, professeur à l’université Paris VII Denis Diderot et chercheur au Commissariat à l’Energie Atomique à Saclay.

Pendant des millénaires, nous avons contemplé le ciel à l’œil nu. De cette vision, les philosophes ont construit différentes conceptions du monde et essayé de répondre à des questions fondamentales : Qui sommes-nous ? Quelle est notre place dans l’Univers ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? En effet, l’Univers que nous découvrons depuis quarante ans est très varié et inattendu, bien différent de notre perception visuelle. Le monde est en pleine évolution et nous vivons une révolution des connaissances en astronomie qui bouleverse nos conceptions, loin des mythes et des croyances irrationnelles. Chacun trouvera matière à repenser les relations de l’Homme avec la Nature.

I/ Les Lumières du ciel

Comment ne pas se poser une multitude de questions lorsqu’on observe la voûte voilée, sur le temps, l’espace, l’homme, ses origines et sa destinée ? Les Anciens avaient noté tous les mouvements réguliers qui rythment le ciel et avaient inventé une mythologie importante, porteuse de bons et de mauvais présages. Depuis quelques années, les études révèlent un ciel très différent, porteur d’informations sur notre environnement, grâce aux progrès de la science.

a/ L’astronomie

C’est la plus ancienne des sciences qui avait, à l’origine, un but pratique et métaphysique : établir le calendrier des mouvements du soleil, de la lune et des étoiles, et fournir des signaux aux populations anciennes souvent très crédules mais aussi très observatrices, comme les Chinois, les Mayas de l’Amérique précolombienne ou les Mésopotamiens. De cette époque datent les premières données astronomiques révélant déjà par une simple observation à l’œil nu, de solides acquis en calcul et en géométrie.

En quatre siècles, leurs lointains successeurs conçoivent lunettes et premiers télescopes pour observer l’Univers sur des milliards d’années-lumière, d’où la découverte de la première loi de physique, la gravitation universelle. Au XIXe et au XXe siècle, l’observation au téléscope permet de révéler la nature des astres qui émettent des lumières contenant des informations sur leur structure et leur fonctionnement. Aujourd’hui, les astronomes ont mis au point, depuis trente ans, des instruments spatiaux pour sortir de l’Univers.

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b/ Comprendre l’Univers

La science est un moyen puissant de voir le monde et de répondre aux questions sur l’origine de l’Univers et la place de l’homme. L’Univers est un laboratoire gratuit et l’avenir est à l’astrophysique ! Si la culture scientifique est absente de la société civile, elle motive cependant tous les publics.

La démarche scientifique est le fruit d’une longue histoire. Les Grecs ont apporté aux observations des civilisations précédentes, le raisonnement déductif et rationnel : Thalès. La Renaissance du XVIe et le XVIIe siècle ont établi une synthèse rigoureuse des deux approches (observer et interpréter) avec Copernic, Newton, Galilée. Au XVIIIe, Fontenelle, dans cette continuité, définit la Philosophie (Science) par cette expression : « L’esprit curieux, les yeux mauvais ». Le XIXe et le XXe siècle ont découvert les lois du rayonnement : Maxwell, Poincaré. Quelques inventions comme la photographie, la spectroscopie, la photométrie et les ordinateurs ont fourni des outils précieux pour observer les propriétés des astres, les distances et la nature des galaxies, remettant en cause le modèle antique de Ptolémée qui plaçait la Terre au centre de l’Univers. Nous sommes allés au-delà de l’atmosphère. Les progrès scientifiques, la bonne santé économique et quelques bonnes décisions politiques ont permis ces avancées.

c/ La place de l’homme

Pendant des millénaires, la Terre a été placée au centre de l’Univers et l’homme au sommet des êtres vivants, vision remise en cause par Galilée et Giordano Bruno qui fut condamné par l’inquisition pour cela en 1600. La découverte de l’immensité de l’Univers conduit à une vision plus modeste de la place de l’homme : une étoile est 1 milliard de fois plus grosse que l’homme et une galaxie, mille milliards de fois plus grosse qu’une étoile. Mais l’homme a un cerveau capable de comprendre qu’il vit en étroite relation avec son environnement en ayant besoin de nourriture, d’air et d’eau. Les étoiles et les galaxies ont fabriqué les atomes et les molécules nécessaires à sa vie. S’élever au-dessus de la Terre permet d’en mesurer toute la fragilité.

d/ Les figures du ciel

Il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour démontrer que la Terre tourne autour du soleil. Chaque homme a eu sa représentation de l’Univers selon les époques : Ptolémée affirmait que la Terre était au centre de l’Univers, Kepler a tenté de géométriser le monde, tandis que Descartes a bâti la théorie d’un monde de tourbillons et Fontenelle, celle des différents systèmes solaires.

Beaucoup de questions se posent. Sommes-nous seuls ou non ? Les autres étoiles sont-elles entourées de planètes comme le soleil ? En 2003, a été découverte une nouvelle planète baptisée Eris derrière Pluton, ce qui porte le nombre à 8 grosses planètes et 5 « naines » dont Pluton. Nous savons que la matière n’est pas répartie uniformément dans l’Univers. Elle s’assemble en galaxies ou communautés de milliards d’étoiles, l’étoile étant la clé de voûte de l’Univers. L’espace interstellaire est loin d’être vide mais rempli de gaz et de poussières propices à la création de nouvelles étoiles. On y observe également des protons, électrons et noyaux d’hélium à des vitesses de 300.000 km/s qui expliquent certains phénomènes très violents. Les galaxies ont des formes très diverses : elliptiques et spirales, comme celle à

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laquelle appartient la Terre, et elles peuvent se heurter. Orion, constellation connue dès l’Antiquité, est une véritable crèche stellaire et une mine pour des recherches futures.

Pour se représenter l’Univers, nous avons donc besoin de trois niveaux de référence : le monde des galaxies qui montre l’expansion de l’Univers, le monde des étoiles qui nous apporte chaleur et énergie, le monde des planètes comme la Terre qui nous apporte la vie.

II/ Les couleurs de l’Univers

Pour explorer le monde céleste, il faut déchiffrer les messages de la lumière des étoiles. La vue ne perçoit qu’une infime partie des couleurs de la lumière. La nature profonde de cette lumière reste un mystère.

a/ Qu’est-ce que la lumière ?

Les philosophes grecs comme Ptolémée ou Euclide pensaient que les yeux émettaient des rayons lumineux pour éclairer les objets, d’où l’expression : « Avoir le mauvais œil ». Dès le Moyen Àge, on admet que la lumière a une existence propre. En 1610, Galilée fabrique la première lunette pour observer le ciel qui permet de découvrir 4 satellites de Jupiter. Mais la nature de la lumière reste un mystère : Descartes et Newton invoquent des corpuscules ou pluie de grains lumineux, Huygens une onde. La théorie ondulatoire est reprise par Fresnel et Maxwell au XIXe siècle mais c’est le XXe siècle qui va réaliser la synthèse de ces recherches en montrant la dualité de la nature de la lumière : découverte des photons, corpuscules d’énergie, par Einstein en 1905, et proposition de Louis de Broglie de jumeler toute particule de matière à une onde : onde-électron. Le vieux débat reste entier !

Dès le XVIIe siècle, le scientifique Roemer a calculé avec précision la vitesse de la lumière, établie à 299.792,458 km/s aujourd’hui. En revanche, la découverte récente de neutrinos par le CERN de Genève, courant à une vitesse de 2,4 millisecondes (pour 730 km) à la surface de la croûte terrestre, semble être une information trop rapide, à vérifier !

Les processus d’émission de la lumière sont liés à la quantité de particules, au temps, à la densité, à la pression et à la composition chimique. La lumière a une couleur dominante qui peut changer quand elle interagit avec la matière. Grâce à elle, on accède à la nature des astres.

b/ La couleur de la lumière

La lumière est malicieuse et pleine d’illusions d’optique ! Elle se décompose en rayons de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel à travers un prisme de verre (comme pendant les orages). Nos yeux ne peuvent en voir qu’une infime partie, du rouge au bleu, ce qui nous permet, cependant, d’observer un monde multicolore. Au-delà, existent beaucoup d’autres couleurs dites « invisibles » : en-deçà du rouge, se trouvent l’infrarouge, micro-onde, radio, au-delà du bleu, l’ultraviolet, les rayons X, les rayons   gamma, accessibles aux astronomes avec des instruments adaptés qui révèlent un aspect des astres ou une information particulière. Ainsi la couleur du ciel varie en fonction des rayons utilisés. La lumière invisible a également de nombreuses retombées dans la vie quotidienne : téléphones portables et télévision captent la

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« lumière » radio. Les médecins utilisent les rayons X pour sonder le squelette et les rayons gamma pour brûler les tumeurs.

c/ Les couleurs de la chaleur

Tout matériau ayant une quelconque température émet de la lumière dont la couleur est le reflet. Le rouge indique une température de 3000 °C, le jaune est à 6000 °C, l’ultraviolet à 8000 °C, le bleu à 25000 °C. Les vieilles étoiles sont jaunes ou rouges alors qu’au centre de la galaxie, les plus jeunes sont bleues avec parfois des températures supérieures à 10 millions de degrés. L’infrarouge donne des informations uniques sur les températures de la Terre, des astres froids ou des zones interstellaires, les rayons X rendent compte des gaz surchauffés, des éruptions solaires ou des explosions d’étoiles.

d/ Lumière et matière

Toute matière est composée d’atomes semblables à un système solaire avec un noyau de protons et de neutrons et des électrons en orbite. Chaque atome a sa propre signature lumineuse qui lui permet d’être reconnue, à distance. On peut ainsi observer et analyser la composition de la matière à des milliards d’années-lumière : présence d’hélium, rayons cosmiques, explosions d’étoiles. Les rayons X et gamma traversent les nébuleuses les plus denses et renseignent sur de nombreux phénomènes énergétiques bien que l’Univers, loin d’être transparent, renferme des monceaux de gaz et de poussières. Les retombées sont nombreuses dans le domaine militaire : satellites-espions pour détecter les expériences nucléaires pendant la Guerre Froide, détecteurs infrarouges pour repérer la présence d’hommes sur un terrain.

Conclusion

L’Univers, vieux de 13,5 milliards d’années depuis le Grand Boum, est en pleine expansion et en train de se refroidir. Comparé à une gigantesque éponge, il est composé de galaxies reliées par des filaments qui résultent de collisions, de fusions et de gaz interstellaires. La lumière est loin d’avoir livré tous ses secrets. En effet la matière visible ne représente que 4% de l’Univers, qui renferme 23% de matière noire et 73% d’énergie noire de nature inconnue. Le prix Nobel de physique 2011 vient d’être décerné à des chercheurs qui explorent ce domaine du noir.

Nous sommes là grâce à Jupiter qui a aidé les corps à se rassembler. Les bombardements de matière ont permis le début de la vie sur la Terre en brisant la croûte terrestre et en démarrant la dérive des continents qui a apporté l’eau, l’énergie et les organismes. Le futur sera d’aller à la découverte d’autres planètes et d’y rechercher la vie.

Bibliographie

- Lumières d’étoiles, les couleurs de l’invisible : 2008 éditions Odile Jacob

- De fer et de flamme, planètes ardentes : 2010 éditions Odile Jacob