Lucile Finemouche - tome 2
Transcript of Lucile Finemouche - tome 2
Juliette Vallery
Elle ne refuse jamais un bon mystère... au café ! Surtout
s’il est partagé avec Annabelle et Yomgui, ses acolytes
préférés, pour ficeler une nouvelle enquête de l’agence 3ID.
Annabelle Fati
Elle est aussi claustrophobe que Lucile Finemouche, mais
beaucoup moins bonne détective. Le seul endroit où elle aime
s’enfermer, c’est dans son bureau, pour inventer des histoires…
Yomgui Dumont
Il a fait un stage dans les Mornes-Terres pour apprendre
à dessiner des manoirs maudits. Depuis, c’est son stylo
qui est hanté… par des esprits traceurs qui ne lui laissent
aucun répit !
Identité : Lucile Finemouche et le Balafré.
Profession : enquêteurs associés de l’agence 3ID.
Caractéristiques : adeptes de gadgets, amateurs
de mélicolat, détectives perspicaces et déterminés.
Énigme à résoudre : les deux héros se retrouvent face
à une étrange machine à écrire qui revient à la ligne
tous les six mots… Serait-ce le fameux Archéoscript,
un dispositif capable de réécrire l’histoire ? Pour percer
le mystère, Lucile et son associé devront mettre le nez
dans de sombres secrets de famille et s’enfoncer dans
les brumes inquiétantes du pays des Mornes-Terres.
Éditeur : François Martin assisté de Fanny Gauvin
Directeur de création : Kamy Pakdel
Maquette : Christelle Grossin
© Actes Sud, 2016 – ISBN 978-2-330-06533-1
Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
www.actes-sud-junior.fr
Dans la même série :
LA DIMENSION CHRONOGYRE
www.lucileetlebalafre.fr
À Lucille et ses deux ailes, fine mouche en plein envol !Juliette
À Loïs, et à son petit frère Joachim.Annabelle
978-2-330-06534-8
Juliette Vallery Annabelle Fati Yomgui Dumont
LUCILE FINEMOUCHE & LE BALAFRÉTOME 2 LE MYSTÈRE ARCHÉOSCRIPT
ACTES SUD junior
OÙ LES BONNETS À POMPON SONT DE SAISON
– Pas question que je monte là-dedans.
Lucile Finemouche, intrépide détective mais aussi
claustrophobe notoire, croise les bras en barrage à
toute contradiction. Passez votre chemin, fin de la
conversation.
De la conversation, elle en aurait bien voulu un
brin durant le périple en train-couchettes, puis
navette, train tout court et enfin funiculaire, qui
les a amenés à ce flanc de montagne enneigé.
Mais le Balafré, son fidèle associé (Machan Mac
Floherty, pour les initiés), n’a pas desserré les
mâchoires de tout le trajet. Bonnet à rennes et
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pompon descendu sur le front, il n’a eu d’yeux que
pour sa précieuse machine à écrire, trésor familial
qu’il s’est promis de mener à destination.
Et maintenant, voilà qu’il prétend faire mon-
ter Lucile dans un œuf suspendu à un câble usé,
surplombant mollement les pentes immacu-
lées. De quoi finir au sol façon blancs en neige
écrasés.
– Lucile, on y est presque. Et il n’y a pas d’autre
moyen pour atteindre les Pouces-Hauts.
– Pas d’autre moyen ? Pas moyen ! Et comment
il fait, ton oncle Charlie, quand il descend cher-
cher le pain ?
– Mon oncle Charlie ne descend pas chercher le
pain. Mon oncle Charlie fait son propre pain. Il a
un four à pain.
– Mais il descend, tout de même ?
– Parfois. Il prend un œuf.
– Il a des poules aussi ?
– Un œuf, comme celui-ci, Lucile. Une cabine
de téléphérique.
Lucile lève un nez congelé en direction des cimes
indifférentes, en avise une à la forme amusante…
– On pourrait passer par là ?
– La Dent du Chat ? Trop long, et risqué.
– On a maté des matous plus dangereux, tu ne
crois pas ?
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Lucile ponctue d’un demi-sourire cette allusion
à un ennemi récemment mis hors d’état de nuire :
l’effroyable Lord Duncan Frazer, expédié comme
par magie dans le monde des esprits*. Pour toute
réponse, la détective obtient du Balafré des yeux
de sardine en gelée. De toute évidence, il n’a
guère envie de se remémorer leurs exploits passés.
Tant pis. Elle range son demi-sourire et attaque la
poudreuse du plat de ses bottes fourrées :
– En tout cas, moi, je tente la randonnée. Rendez-
vous au sommet.
– Attends… je t’accompagne ! Tu verras qu’on
fera demi-tour au premier tournant.
– Tu paries ?
Ne jamais parier avec Lucile Finemouche. Et sur-
tout, ne jamais sous-estimer le pouvoir invraisem-
blable de sa volonté. Le Balafré le sait, et ça ne sert
à rien de s’énerver.
Alors, il s’improvise guide de montagne, re-
nouant avec le terrain de jeux de son enfance comme
avec une vieille connaissance : méfiance à droite, la
pente est traître. Silence sur la crête, risque d’ava-
lanche. En file indienne pour couper par le défilé…
* Voir Lucile Finemouche et le Balafré, tome I, La Dimension Chronogyre.
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La tâche est loin d’être facilitée par la petite
machine à écrire tant bien que mal calée sur son dos.
– Dis, Machin, on est presque arrivés ?
Depuis qu’elle a appris que le Balafré se prénom-
mait en réalité Machan, Lucile s’en donne à cœur
joie. Celui-ci ne relève pas.
– Pas le droit de se plaindre ! se moque-t-il gen-
timent. Je te rappelle que c’est à tes lubies qu’on
doit cette balade de santé et…
Un cri familier interrompt le Balafré. “Chimp,
chimp, tssi !” Le chant d’une chevêchette ?
– Ce ne sont pas des lubies, objecte Lucile. Je
te signale que ces cabines étaient d’une vétusté
épouvantable. Je nous ai sans doute sauvé la vie,
d’aill… Aïe !
Un projectile sorti de nulle part vient d’atteindre
Lucile en pleine tête. Sur le qui-vive, elle scrute les
alentours. Le tapis de neige est intact. Les arbres
les plus proches sont trop en contrebas, pas de
rocher non plus à distance de tir…
– Prudence, Machan, dit-elle. Je suis touchée.
– Laisse-moi deviner, répond le Balafré : boule
de neige compacte, serrée, de la taille d’une balle
de ping-pong à peu près ? Ce sont ses préférées…
– Ses préférées ? À qui ?
– Malvina ! Montre-toi ! Ce ne sont pas des
façons d’accueillir les invités.
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Un rire cristallin résonne. Puis une fillette de six
ou sept ans apparaît, vêtue d’un manteau vert sapin
et coiffée du modèle de bonnet à rennes qui fait
fureur dans la région.
– Malvina, je te présente Lucile, mon associée.
Lucile, voici Malvina, ma petite sœur. Experte en
camouflage en milieu sauvage : elle était cachée
derrière une butte invisible à l’œil nu.
La bouche ouverte, Lucile gobe les flocons :
– Ta sœur ? J’ignorais que tu avais une sœur…
– Merlin ! Tu peux venir aussi : bravo pour ton
cri d’oiseau, tu as fait des progrès, mais j’ai reconnu
ton style.
Un troisième bonnet à rennes surgit de derrière
un pin. Il chapeaute les bouclettes d’un petit gar-
çon hilare :
– Machan !
T’as flairé la sourissonière.
J’aurais pu le piloufacer !
Elle est trop chups, ta partenaire !
Me voilà tout transbahuté !
Le Balafré grimace :
– Ce sont les octosyllabes, en ce moment ?
Malvina acquiesce gravement :
– Et les rimes croisées.
– Ouille. Merlin, passe en prose, tu veux ? Tu es
déjà assez dur à suivre comme ça…
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Complètement déboussolée, Lucile regarde le
Balafré. Sa silhouette se découpe sur le paysage,
montagne de muscles sur montagne tout court, à
laquelle, à présent, s’agrippent deux enfants. Encore
un versant insoupçonné de ce roc d’associé…
– Ainsi, tu as une sœur et un frère, résume-t-elle.
– Ah mais ce ne sont que les petits. Attends de
voir…
BAM ! À cet instant, une déflagration formidable
retentit. Tous les regards se portent vers un hori-
zon bouché de blanc. Le Balafré se précipite :
– Bon sang ! Paige !
Perchée sur un toit dissimulé dans les branches
d’un immense séquoia, une ombre agite un bon-
net à pompon en signe de négation :
– Pas fait exprès…
– Paige, descends de là !
Au son de la voix du Balafré, les branches se
mettent à vibrer, dévoilant ici une passerelle,
là une échelle, sur lesquelles se déplace la petite
tache du bonnet.
Une jeune fille d’une quinzaine d’années, mine
renfrognée, atterrit devant le Balafré :
– Machan, ça a loupé, y a un truc qui a cloché…
D’un bras, celui-ci la soulève pour l’embrasser :
– Paige, ma Paige ! Qu’as-tu encore inventé ?
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– Trois fois rien, grogne Paige en balayant du pied
des traces de poudre verte et quelques morceaux
d’éprouvette. Ce matin, il y avait de la brume et…
– Et ?
– Et BAM ! Cata-bra-ca-dada !…
– Merlin, c’est moi qui raconte, pas toi ! Bon, il
y avait de la brume et… j’ai voulu la changer en
vapeur colorée.
Le Balafré sourit :
– Eh bien, c’est réussi ! Étrange qu’on n’ait pas
vu encore accourir oncle Charlie…
– Pas là, déclare Malvina. En ville avec Arild.
– Hé, Machan, réclame Merlin, tu nous concoctes
un mélicolat ?
– Bonne idée, rentrons nous réchauffer…
Rentrer ? Mais où ? Derrière les échelles et les pas-
serelles, Lucile distingue peu à peu des parois de
verre encerclant le séquoia séculaire. Un empile-
ment de volumes tarabiscotés campés sur quatre
pilotis articulés.
– Bienvenue aux Pouces-Hauts ! clame gaiement
le Balafré. Voici notre Chalet !
– Et… heu… ça tient comment, tout ça ? bre-
douille Lucile, perplexe.
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– Bah ! Ça tient, comme tu le vois. Et puis sur-
tout, ça bouge !
– Ça bouge ?
Il faut bien l’admettre, le Balafré est content de
son petit effet. Cette figure stupéfaite, il ne l’avait
plus vue chez Lucile depuis leur dernière enquête.
– Hé, Lucile ! intervient Merlin.
Une chouette bicoque qu’a la bougeotte
C’est bien plus ébouristouflant
Qu’une baraque sans mouvement !
– Par là ! le coupe Paige. La porte est à l’ouest
depuis une heure !
Les yeux rivés sur les pilotis articulés, Lucile
tente encore un instant de comprendre où elle
va mettre les pieds… puis elle s’avance sous les
branches.
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