LUCILE BITAN - LE CONCERT INTERACTIF - MEMOIRE M2 …

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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication « LE CONCERT INTERACTIF : UNE OPPORTUNITÉ DE RENOUVELLEMENT DU SPECTACLE VIVANT A L’ÈRE NUMERIQUE ? » Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD Nom, Prénom : BITAN, Lucile Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : 14.08.2014 Note du mémoire : 16/20 Mention : Très Bien

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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE

   

CELSA

Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication

MASTER 2ème année

Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication

Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication

« LE CONCERT INTERACTIF : UNE OPPORTUNITÉ DE RENOUVELLEMENT DU SPECTACLE VIVANT A L’ÈRE NUMERIQUE ? »

Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD

Nom, Prénom : BITAN, Lucile Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : 14.08.2014 Note du mémoire : 16/20 Mention : Très Bien

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Remerciements

Je souhaite tout d’abord remercier Monsieur Étienne Candel, responsable du

Master 2 Médias Informatisés et Stratégies de Communication du Celsa. Son

précieux travail d’aiguillage en début de formation pour orienter les questionnements

qui ont conduit à la réalisation de ce mémoire a permis, je l’espère, de faire les bons

choix.

Je souhaite ensuite formuler de vifs remerciements envers mes deux

directeurs de mémoire, Madame Pergia Gkouskou-Giannakou et Monsieur Bertrand

Hellio. Pour leur grande patience vis-à-vis de mes questionnements, pour la grande

écoute qu’ils m’ont volontiers accordée tout au long de ce travail, pour la pertinence

dont ils ont chaque fois fait preuve dans leurs recommandations.

Je voudrais aussi remercier Raphaël Roth, Maître de conférences à

l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, pour les quelques orientations qu’il

m’a apportées et pour l’envoi bien utile de sa thèse.

J’ai une pensée pour ma famille et mes amis qui m’ont supportée. Merci.

Une dernière pensée spéciale pour chaque MISC et pour le précieux soutien

que nous nous sommes apportés dans nos travaux mutuels. Je n’ai aucun doute sur

leurs qualités respectives, qui m’intimide un peu d’ailleurs…

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Table des matières

Introduction ................................................................................................................ 6  I. Des opportunités technologiques et sociales impulsant la création des « concerts interactifs » ............................................................................................ 14

A. Le smartphone : une technologie de soi utilisée en tout contexte ........... 15 1. Spécificités de la mobilité ............................................................................. 15 2. De la trivialité : des êtres culturels qui circulent et se transforment au travers du mobile ............................................................................................................ 17 3. Des sociabilités particulières : le mobile comme technologie de soi ............ 18

B. Les smartphones au concert : capter et partager son expérience de spectateur ............................................................................................................. 21

1. Capter son expérience de concert ............................................................... 22 2. Partager son expérience de concert ............................................................ 25

C. Traitement et analyse des réponses à l’enquête par questionnaire réalisée : « les usages des téléphones mobiles au concert » ......................... 28

1. Le profil des répondants au questionnaire ................................................... 29 2. Les usages du mobile au concert ................................................................. 30 3. Les appréhensions expérientielles des spectateurs : appauvrissement versus enrichissement et perceptions des offres de « concerts interactifs » ...... 32

 II. Les promesses expérientielles du « concert interactif » ................................ 37

A. Le concert : un objet expérientiel ................................................................ 38 1. Particularités de l’expérience de concert ...................................................... 38 2. Des mutations de l’expérience de concert ................................................... 42

B. Ingénierie de l’enchantement au concert .................................................... 45 1. Le dispositif festivalier comme art de la prise des amateurs ........................ 45 2. Écrans et installations d’arts numériques au concert : de l’esthétisation du réel à l’offre servicielle ........................................................................................ 49

C. Le « concert interactif » : la promesse d’une expérience de concert enrichie « à l'ère numérique » ............................................................................. 55

1. Les « concerts interactifs » : des objets indéfinis ......................................... 55 2. Le « concert interactif » : une formulation instable ...................................... 59 3. De la trivialité des « concerts interactifs » .................................................... 65 4. Une promesse d’expérience de concert enrichie : analyse discursive du communiqué de presse d'Orange RockCorps pour l’organisation du « concert interactif » de The Ting Ting en avril 2012 ......................................................... 66

 III. Le « concert interactif » : une conquête de territoires promotionnels pour le spectacle vivant ....................................................................................................... 75

A. Le « concert interactif » : une opération de marketing expérientiel ......... 76 B. De la mise en scène des marques au concert : des stratégies de communication appliquées à l’événement ........................................................ 79

1. Les « concerts interactifs » comme phénomène de dépublicitarisation des marques .............................................................................................................. 80 2. La scène du concert investie par les marques comme embrayeur de dispositifs de communication globaux ................................................................ 81

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C. Un objet vide ? ............................................................................................... 84 1. La musique fait tâche ................................................................................... 85 2. Un territoire stratégique pour les artistes ..................................................... 88

 Conclusion ............................................................................................................... 90  Corpus ...................................................................................................................... 95  Bibliographie ............................................................................................................ 97  Annexes…………………………………………..………………………………….……100

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« Les Utopiens n'oublient jamais cette règle pratique : fuir la volupté qui empêche de

jouir d'une volupté plus grande, ou qui est suivie de quelque douleur. »

L'Utopie de Thomas More, 1518

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Introduction

Présentation du sujet

Ce mémoire interroge l’apparition des « concerts interactifs » dans le paysage

du spectacle vivant. Ces objets se posent comme des propositions de ce que

pourrait être le concert « à l’ère numérique ». La tentation d’opérer cette rencontre -

celle du concert et du « monde numérique » - recouvre de plusieurs orientations que

nous voulons expliquer ici. Il nous semble d’abord incontournable de souligner

qu’elle s’applique au concert au même titre qu’à d’autres objets, à l’heure où l’on

entend circuler dans les discours des formulations telles que « programmes

télévisuels interactifs », « jeux vidéos interactifs » ou « clips interactifs ». Le

concert n’échappe pas à cette tentation et voit « le numérique » s’infiltrer dans sa

sphère.

La notion « d’expérience » nous animera tout au long de ce mémoire. Au

concert, d’une part, ainsi que l’explique Antony Pecqueux et Olivier Roueff,

« l’expérience musicale apparaît comme une mise à l’épreuve des dispositions

engagées par l’action sous forme d’attentes et de ressources1 ». Tel un foyer de

convoitises, voir un enjeu vécu comme une épreuve, elle suscite des attentes

importantes de la part des participants et devient un argument de vente                                                                                                                    1  PECQUEUX, Anthony, ROUEFF Olivier, Écologie sociale de l’oreille. Enquête sur l’expérience musicale. Éditions EHESS, Paris, 2009, p.19

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incontournable des offres de concerts aujourd’hui. Du côté du numérique, d’autre

part, nous ne saurions occulter la place faite aux spécialistes de « l’expérience

utilisateur » dans les entreprises, discipline peu lisible qui se formule pourtant

comme une grande tendance de ce domaine. La prégnance de cette notion dans les

imaginaires liés aux environnements discursifs, idéologiques et pratiques du concert

et du numérique est alors éminente. Nous voulons comprendre, ici, le passage de

« l’expérience » d’un cadre symbolique à un cadre promotionnel dans le concert, qui

pourrait expliquer, selon nous, une volonté d’intrusion du numérique en son sein.

La mobilité des médias informatisés se pose comme deuxième grande entrée

que nous voulons aborder dans ce mémoire. Il nous semble que ces potentialités

conduisent à l’apparition des « concerts interactifs » ; plus précisément, non pas les

potentiels effectifs de ces supports mais l’idée de ces potentiels. En 2003, à l’aube

de l’apparition du smartphone dans nos quotidiens, Francis Jauréguiberry publiait un

ouvrage, « Les branchés du portable », décrivant l’arrivée de ces outils de

communication de poche dans les espaces publics. Il nous rappelle alors que le

chemin vers une admission sociale de ce « don d’ubiquité » en tout temps et tout lieu

n’était à l’époque pas si évidente.

Il y a seulement quelques années ([…] jusqu’au printemps 1996), l’usage du portable en public restait une quasi-curiosité dont l’originalité était tolérée sans trop de questionnement […]. Le seuil de tolérance a cependant très vite été franchi, provoquant de vives réactions. […] Aussi a-t-on vu des curés demander à leurs paroissiens d’éteindre leur portable durant les offices religieux, des présidents de parlement rappeler à l’ordre des députés trop assidûment ouvertement branchés, des professeurs s'étonner de l'apparition des portables en plein amphithéâtre, et l'on ne compte plus les lieux publics (musées, cinémas, salles de spectacle, restaurants, galeries, cafés, etc.) où l'emploi du portable est désormais formellement interdit.2

La place faite aux portables puis aux smartphones dans nos quotidiens se fait

alors au travers d’appréhensions sociales. Cet objet s’immisce dans une variété de

contextes, puis s’installe et occupe une place plutôt qu’une autre, en fonction des

habitus, des évolutions et des usages. Le portable a pénétré l’enceinte du concert

pour s’y faire une place, au point que sa présence soit aujourd’hui soulevée. Tel que

le souligne Alexandre Sap, « les téléphones portables ont remplacé les briquets dans                                                                                                                    2 JAUREGUIBERRY, Francis, Les branchés du portable, Édition Broché, 2003, p.94.

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les salles de concert. Le public est un ensemble de “friends” sur Facebook qui

publient, “like” et partagent ce moment d’émotion3 ». Nous souhaitons dors et déjà

préciser que les dispositifs nommés « concerts interactifs » n’intègrent pas

nécessairement les téléphones mobiles, bien que très souvent. Mais nous

présumons que, dès lors que l’idée – aussi indéfinie soit-elle – d’une utilisation

possible des médias informatisés dans les concerts soit apparue, la formation de

fantasmes se soit produite. Elle a laissé le loisir d’imaginer le concert « interactif ».

L’apparition de ces dispositifs semble d’ailleurs concorder avec la démocratisation

des smartphones entre les mains des utilisateurs puisque les premières propositions

de « concert interactif » remontent, d’après nos recherches, aux années 2010/2011

et voient le jour principalement aux États-Unis. Aborder la mobilité, de manière

générale puis dans l’enceinte du concert, nous paraît alors incontournable pour saisir

notre objet. L’éloquente citation d’Alexandre Sap s’ajoute à une récente étude de

l’ITEMS International consacrée à cette question du « numérique dans l’écosystème

du spectacle vivant » qui annonce que les trois quarts des français utilisent leurs

téléphones mobiles pendant les concerts4. Il semble qu’il s’agisse d’un terrain d’une

grande importance dont on imagine qu’il n’aura pas échappé aux promoteurs de

spectacle vivant.

Nous pouvons enfin dire qu’entre le monde de la musique et celui des médias

informatisés s’opère un jeu sensible. Le numérique a profondément bouleversé le

secteur de l’édition musicale qui s’est effondré au rythme de la montée en puissance

du web. Quand d’un côté, la recherche de nouveaux modèles économiques est

laborieuse, de l’autre, certains tirent véritablement leur épingle du jeu et font du web

un outil de communication majeur. Des stratégies puissantes sont à l’œuvre, de la

fédération de communautés gigantesques sur les réseaux sociaux des musiciens à

la conception de contenus hybrides recouvrant des médias informatisés que sont par

exemple les « clips interactifs », dans la ligné de l’objet que nous voulons étudier. Il

                                                                                                                   3 SAP, Alexandre, Du rock et des marques, Edition Maxima, Paris, 2012, p.24  4  ITEMS International, Innovations numériques au sein de l’écosystème du spectacle vivant, Etude publiée en janvier 2014, [disponible en ligne : http://www.prodiss-etudes.org/etude_janvier.pdf]  

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ne manquait alors qu’au spectacle vivant d’opérer cette « fusion », faisant la

promotion de nouvelles sources de financement pour les artistes, de nouvelles offres

pour les publics, d’opportunités stratégiques pour les producteurs, voir pour les

marques. Les médias informatisés au concert recouvrent de plusieurs champs, d’une

offre d’applications servicielles, telles que des applications dédiées à un événement

en particulier, à l’apparition des objets « concerts interactifs » qui nous intéressent.

Ces derniers ne recouvrent pas une offre de service mais plutôt une offre

« expérientielle », comme nous allons le voir, reposant sur « l’esthétisme », sur

l’impact « émotionnel » et/ou sur le « vécu ».

Nous supposons donc que la naissance des « concerts interactifs » s’opère au

travers des orientations précédemment énoncées. Ils font l’objet de propositions de

la part de différents acteurs dont on compte principalement les marques et les

promoteurs de spectacles vivants. Ils semblent convoquer quelque chose qui se veut

précis tout en recouvrant une définition hasardeuse. Ils se placent, au travers du

terme interactif que nous nous attacherons à déconstruire, dans les isotopies des

discours associés à « l’univers du numérique ». Les projets appelés ainsi sont très

diversifiés, puisqu’ils peuvent recouvrir de la « participation » : on propose un

hashtag pour commenter un événement via les réseaux sociaux, comme le concert

de Skip The Use organisé par HP5. Ils peuvent aussi recouvrir du « choix » des

spectateurs, où les commentaires permettront de mettre en place tel ou tel jeu

scénique en fonction de leurs demandes, comme le concert SXSW de Dorito6. Ils

peuvent enfin s’éloigner de l’utilisation des médias informatisés mobiles et proposer

d’autres dispositifs, principalement basés sur l’idée de construire un ensemble

                                                                                                                   5 HP, FOUCAUD, Xavier, HP organise le concert interactif de Skip The Use, e-marketing [disponible en ligne : http://www.e-marketing.fr/Thematique/Medias-1006/Reseaux-sociaux-10032/Breves/organise-concert-interactif-Skip-The-Use-234083.htm] publié le 27 février 2014, consulté le 15 juin 2014.  6  DORITO, La plus interactive des expérience, Brandastic4 [disponible en ligne : http://brandastic4.com/2013/03/27/la-plus-interactive-des-experiences-lors-dun-concert-sxsw/#more-1139] publié le, consulté le 12 juillet 2014  

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« esthétique » grâce au « collectif », comme l’utilisation des bracelets lumineux

pendant le concert de ColdPlay7.

Nous dégageons ici « un nuage de mots » flou, ne laissant alors qu’une vague

idée vague de ce que recouvrent les « concerts interactifs ». « L’électronique »,

« l’informatique », « le numérique », « l’internet », « le collectif » ou « le participatif »

dans le concert sont autant de notions qui amèneraient à qualifier le concert

« d’interactif ». Pourtant, il semble que l’on puisse considérer que le concert est, par

essence, interactif, que la présence de divers médias au concert est ancestrale et

que l’électronique - de la place faite à « la musique électronique » jusqu’à l’usage

d’éclairages sophistiqués - est prégnant au concert. Mais cet objet fait néanmoins

son apparition, souvent présenté par les médias et les acteurs du spectacle vivant

comme « une grande innovation au concert », parfois perçu comme « une

révolution ». Le blog Brandcastic4, dédié au branding culturel, abordait par exemple

le concert SXSW en titrant son article « La plus interactive des expérience @

SXSW », décrivant un concert où « c’était au tour des fans de contrôler le concert

organisé par Doritos ! À quel point le concert serait audacieux ? Seuls les fans aurait

le contrôle sur cette variable : l’audace ! 8». L’article s’achève notamment sur le

lancement d’un débat éloquent : « Que pensez-vous d’un concert interactif via

Twitter ? Est-ce une bonne idée de laisser le contrôle du concert aux fans ? Est-ce

une façon intéressante de faire interagir les fans ?9 ».

Il semble ainsi que nous soyons confrontés à des objets aux contours

indéterminés, sujets à des attentes extravagantes, dont la visée recouvre de

différents champs et dont l’apport pour les acteurs du concert reste flou. Nous

voulons alors comprendre précisément l’émergence de cette expression, de sa

                                                                                                                   7 COLD PLAY, MORRIS, Johnatan, Coldplay Xylobands light up Devon company’s profits, [disponible en ligne : http://www.bbc.com/news/uk-england-devon-19322214] publié le 25 aout 2012, consulté le 14 juillet 2014.  8 DORITO, La plus interactive des expérience, Brandastic4 [disponible en ligne : http://brandastic4.com/2013/03/27/la-plus-interactive-des-experiences-lors-dun-concert-sxsw/#more-1139] publié le, consulté le 12 juillet 2014 9 Idem.  

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fabrication par ses concepteurs, aux attentes qu’elle soulève jusqu’à sa mise en

pratique.

Problématique Ces questionnements nous amènent à formuler la problématique suivante :

Au travers de l’expression « concert interactif », en quoi le spectacle vivant

saisit-il l’opportunité des engouements liés à l’univers des nouvelles technologies

pour renouveler son offre expérientielle ?

Hypothèses Trois hypothèses viennent soutenir cette interrogation.

Notre première hypothèse est que le développement de la mobilité des

médias informatisés, notamment des smartphones, impulse leur usage spontané

dans la situation du concert et motive l’apparition des « concerts interactifs ».

Notre seconde hypothèse est que l’expression « concert interactif » convoque

des imaginaires à la croisée des attentes que suscitent le concert et les médias

informatisés.

Comme beaucoup de secteur, notre troisième hypothèse est que les acteurs

du spectacle vivant se saisissent de l’apparition des médias informatisés comme

opportunité marketing pour concevoir de nouvelles offres.

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Présentation du corpus

Pour répondre à cette problématique et à nos hypothèses, nous avons

sélectionné un corpus hétérogène composé de documents de communication,

d’articles de presse et de vidéos promotionnelles autour de ces projets. Nous avons

d’une part entrepris une analyse de discours d’un communiqué de presse émis par

Orange RockCorps dans le cadre de la réalisation du « concert interactif » de The

Ting Ting10. Il nous intéressera de saisir, au travers de ce document, les différentes

promesses et attentes formulées autour du « concert interactif ». Cela initiera

également notre constat d’un phénomène de « dépublicitarisation11 » des marques,

d’après l’expression employée par Caroline de Montety, comme volonté de leur

« mise en culture ». L’exploration d’un ensemble de documents variés, comme nous

l’avons dit, nous permettra ensuite de saisir la teneur de ces dispositifs et d’en

déterminer des typologies pour établir des points de convergence et de divergence.

Démarche méthodologique

Nous avons, d’une part, réalisé un questionnaire, partant de l’intuition mais

aussi de l’étude précédemment citée de l’ITEMS Internationale, d’une utilisation

importante des téléphones mobiles au concert12. Nous avons voulu appréhender les

motivations des spectateurs dans leurs usages du mobile au concert et évaluer la

portée de ce terrain pour le spectacle vivant. Nous avons ainsi voulu réinsérer cette

enquête dans notre objet afin d’analyser le croisement entre cette tendance et les

objectifs qui sont donnés aux « concerts interactifs ». Nous avons procédé d’autre

part à l’analyse de discours du communiqué de presse précédemment cité du

                                                                                                                   10 Voir le communiqué de presse en Annexe 2 11  MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée, ESKA | Communication & management, 2013/2 - Vol. 10  12 Voir le questionnaire en Annexe 1.

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Orange RockCorps, pour évaluer les promesses formulées autour des dispositifs de

« concerts interactifs ».

Présentation du plan Nous choisissons d’explorer ce travail en trois mouvements.

Un premier mouvement s’attachera à saisir les opportunités technologiques et

sociales impulsant la création de ces dispositifs. Nous étudierons le phénomène de

mobilité des médias informatisés puis ce qu’il recouvre dans le contexte du concert.

Nous procéderons ensuite à l’analyse des réponses à notre questionnaire.

Un deuxième mouvement parcourra les promesses expérientielles du concert

interactif. Nous verrons que le concert se présente, en lui-même, comme un objet

expérientiel puis que le « concert interactif » vient proposer un enrichissement de

cette expérience.

Un troisième mouvement mettra en lumière les opportunités promotionnelles

que présentent ces dispositifs pour le spectacle vivant. Nous verrons qu’elles

recouvrent de l’emploi de stratégies de marketing et de communication spécifique,

recouvrant le champ de l’événement et du digital.

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I. Des opportunités technologiques et sociales impulsant la création des « concerts interactifs »

 

Cette première partie tentera de saisir les opportunités technologiques et

sociales engendrant, selon nous, l’apparition des « concert interactifs ». Nous

appréhendons deux phénomènes, dont l’un découle de l’autre.

Le premier phénomène est le développement de la mobilité des médias

informatisés, soit la possibilité d’utiliser ces outils en tous contextes, entre autre dans

la situation du concert. Nous voulons avoir une appréhension généraliste de ce que

recouvre cette mobilité des médias informatisés.

Le deuxième phénomène est effectivement le constat d’un usage notoire des

médias informatisés mobiles aux concerts, particulièrement des smartphones,

comme nous allons le voir. Nous nous appuierons sur les chiffres donnés par l’étude

de l’ITEMS International13 et parcourrons les modalités d’usages de ces outils dans

l’enceinte du concert. La réalisation d’un questionnaire portant sur la motivation des

spectateurs à utiliser leur téléphone mobile au concert et l’appréhension qu’ils ont de

                                                                                                                   13  ITEMS International, Innovations numériques au sein de l’écosystème du spectacle vivant, Etude publiée en janvier 2014, [disponible en ligne : http://www.prodiss-etudes.org/etude_janvier.pdf]

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ces usages, viendra soutenir l’analyse de cette tendance. Il nous permettra de

mesurer la pertinence de ce terrain pour les acteurs du spectacle vivant. Il nous

permettra également de mesurer l’appréhension des publics vis-à-vis de ces

dispositifs.

A. Le smartphone : une technologie « de soi » utilisée en tout contexte

Dans un premier temps, nous voulons cerner ce qu’implique le développement

de la mobilité des médias informatisés, particulièrement du smartphone, de manière

généraliste. Nous voulons comprendre, d’une part, quelles spécificités recouvrent

ces supports, nous verrons d’autres parts qu’ils impliquent que les formes qui y

circulent sont triviales, nous verrons enfin, que les téléphones mobiles peuvent être

appréhendés comme des technologies de soi sujets au développement des

individualités de leurs usagers. Il nous semble essentiel de saisir ces aspects pour

appréhender ce qu’implique l’usage des téléphones mobiles dans le contexte du

concert.

1. Spécificités de la mobilité

Selon Ghislaine Azémard, la mobilité correspond à « la possibilité pour les

usagers de transporter des terminaux, pour communiquer et s’informer malgré le

déplacement14 ». Elle distingue quatre caractéristiques principales de la mobilité : la

miniaturisation, l’autonomie, l’accès aux réseaux et les fonctionnalités. Elle en

propose éventuellement une cinquième : la tactilité, supprimant la dépendance au

clavier et proposant des ergonomies adaptées aux usages. Elle distingue également

différents supports de télécommunication mobiles : les téléphones mobiles, les

ordinateurs portables, les Personal Digital Assistants (PDA) et les tablettes tactiles.                                                                                                                    14  AZEMARD Ghislaine, 100 notions pour le crossmédia et le transmédia, Paris, Éditions de L’immatériel, 2013

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Les smartphone nous intéressent particulièrement pour cette recherche, étant

massivement utilisés pendant le concert, ce que nous étudierons. Ces objets

recouvrent plusieurs spécificités, donnant lieu à des appropriations particulières de la

part des usagers. Ils allient un éventail de médias variés – textes, images fixes,

images animées, sons, etc. Ces contenus peuvent se combiner en fonction du

besoin des interfaces et sont utilisables en tout contexte de part la mobilité de ces

appareils. L’accès au réseau est une faculté essentielle de ces objets, la connexion à

internet permettant aux utilisateurs d’accéder à leurs espaces en ligne, de partager

leurs contenus, d’utiliser des applications spécifiques, en tout temps et en tout lieu.

Le smartphone regroupe ainsi la connexion au réseau, diverses capacités

d’usages de différents médias et diverses possibilités de contextes d’usages de part

sa mobilité. Cela donne lieu à des croisements spécifiques : le téléphone, l’appareil

photo, le carnet de note, le réseau social, etc. De ces rencontres émanent des

glissements d’usages comme le « selfie15 », à l’instar de l’autoportrait, laissant

émerger des facultés d’instantanéité, de contextes diversifiés ou de partage sur

l’internet. Des applications reposent sur ces croisements comme « Snapchat », qui

se saisi des variétés contextuelles qu’offre la mobilité tout en utilisant le réseau pour

partager ces instants capturés. Ainsi, ces spécificités des médias informatisés

mobiles impulsent des glissements et des hybridations d’usages tendant à

transformer les formes de ces médias. Il nous semble alors que nous pouvons

considérer ces glissements comme un phénomène de trivialité, tel que le définit Yves

Jeanneret.

                                                                                                                   15 Autoportrait photographique particulièrement effectué avec un smartphone

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2. De la trivialité : des êtres culturels qui circulent et se transforment au travers du mobile

Dans son ouvrage Penser la trivialité, Yves Jeanneret propose la notion de

« trivialité » pour décrire la circulation des êtres culturels :

« Les hommes créent, pérennisent et partagent les êtres culturels, qu’ils élaborent en travaillant les formes que ces derniers peuvent prendre et en définissant la façon dont ces formes font sens : il en est ainsi de nos savoir, de nos valeurs morales, de nos catégories politiques, de nos expériences esthétiques. C’est cette idée que je résume par la notion de trivialité […]16»

Cette notion implique de prendre « la culture par un certain côté : par le fait que

les objets et les représentations ne restent pas fermés sur eux-mêmes mais circulent

et passent entre les mains et les esprits des hommes17 ». Si nous considérons cette

perspective, il nous semble que le mobile entraîne la trivialité des formes qui y

circulent. Nous pouvons cibler notre réflexion sur l’exemple de la « photographie

mobile18 ». L’émission Place de la toile, proposée par France Culture et dédiée à la

thématique de l’internet, proposait comme thème du 28 septembre 2013 celui de la

photographie à l’ère du numérique19. Les invités Laurence Allard, André Gunther et

Jean-Christophe Béchet, tous trois spécialistes des questions autour de ce média sur

internet, mettaient en lumière les formes photographiques qui se sont dévoilées avec

internet puis le téléphone : les photos de chats, de pieds, le « selfie », la

« dédipix20 », etc. Les orateurs de l’émission évoquent un « tourisme du quotidien »

comme prétexte permanent à la prise de photo. Le passage de l’appareil argentique

à l’appareil numérique puis au smartphone impulse de plus grandes facilités pour la                                                                                                                    16 JEANNERET, Yves, Penser la trivialité, volume 1, la vie triviale des êtres culturels, Hermes Science Publications, Coll. « Communication, médiation, construits sociaux », 2008, p.13  17 Ibid. p.14  18 Usage pour désigner la photographie prise avec un téléphone mobile, la prise de photographie étant par définition un usage en mobilité depuis longtemps. 19 DE LA PORTE, Xavier, La photo à l’ère du numérique, Émission place de la toile sur France Culture [disponible en ligne : http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-la-photo-a-l-ere-du-numerique-2013-09-28] publié le 28 septembre 2013, consulté le 13 mai 2014 20 Dédicace attribuée à quelqu’un sur une partie de son corps

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18  

prise de photo, permettant un usage régulier et non plus dans des contextes

exceptionnels (le tourisme, l’art,…). La photographie s’infiltre dans des sphères plus

étendues de la vie des usagers, voir plus intimes. De ce fait, « elle circule et se

transforme ». En cela, elle apparaît comme triviale. Soulignons que d’autres formes

infiltrées dans les médias informatisés mobiles peuvent être considérées comme

triviales : le texte, la vidéo, etc. Cet aspect nous paraît inhérent pour appréhender le

téléphone mobile « intelligent » et les formes qui en émanent dans le paysage des

médias informatisés. Il nous permet de saisir en premier lieu ce que cela peut

impliquer dans le contexte du concert.

Un autre aspect semble particulier au « téléphone intelligent » qu’est l’espace

d’intimité qui s’y développe, de part les spécificités précédemment énoncées de ce

support.

3. Des sociabilités particulières : le mobile comme technologie de soi

Ghislaine Azémard, en définissant le terme de « mobilité » des médias

informatisés, soulève cette tendance à l’individualisation de ces objets opérant une

rupture avec leurs ancêtres plus dépersonnalisés, de l’ordinateur familial à la cabine

téléphonique. Le smartphone a cette caractéristique de n’appartenir - à priori - qu’à

une seule personne, induisant le développement d’un espace individualisé. Elle parle

de l’attribution d’un rôle « d’extension communicationnelle personnelle

embarquée21 ».

Plusieurs orientations nous permettent d’expliquer cette tendance. L’internet,

tout d’abord, comme espace sujet au dévoilement des individualités voir des

intimités. Cet aspect semble présent sur plusieurs types d’espaces en

                                                                                                                   21  AZEMARD Ghislaine, 100 notions pour le crossmédia et le transmédia, Éditions de L’immatériel, 2013

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19  

réseau comme les blogs et les réseaux sociaux. Les expressions intimes voir

exhibitionnistes de certains usagers s’y déversent, ce média inhibant la présence

d’autrui et allant jusqu’à entraîner une forme de banalisation de ces pratiques. Ainsi

que l’écrit Emmanuel Souchier dans son texte L’écrit d’écran, pratiques d’écritures et

informatique :

« Il n'y a paradoxalement pas de pratique plus discrète et silencieuse que celle de l'écrit qui s'oppose aux arts d'exposition et à ceux du spectacle, mais il n'y a sans doute pas plus intimement exhibitionniste que celui qui se donne ainsi à lire.22 »

L’intimité dévoilée sur l’internet rencontre ainsi le smartphone comme espace

d’émergence de l’individualité des usagers. « Le téléphone (…), est devenu un lieu

d’inscription de notre intimité, un support privilégié de notre vie intérieure, (…)

devenu ce que Michel Foucault appelait une “technologie de soi” (au même titre que

le calepin, le journal intime ou le carnet de voyage)23 » écrit Hubert Guillaud dans

sont article Quelle est la dernière photo prise avec votre téléphone sur le site Internet

Actu.

Laurence Allard propose aussi d’appréhender le mobile comme une

« technologie de soi 24 », récupérant l’expression de Foucault. Elle aborde les

différents aspects qui font aujourd’hui du portable un objet connectant l’individu à son

entourage autant qu’à lui-même, mettant en lumière la médiation qui s’y opère de

« soi à soi-même ».

« Aujourd’hui, il nous semble que le mobile peut être considéré comme médium et support d’une individuation réflexive, qui trouve avec par exemple l’écriture ou la

                                                                                                                   22 SOUCHIER, Emmanuel, « L’écrit d’écran, pratiques d’écritures & informatique », Communication et langages. N°107, 1er trimestre, p.105-119, 1996  23 DE LA PORTE, Xavier, « Quelle est la dernière photo prise avec votre téléphone », Internet Actu [disponible en ligne : http://www.internetactu.net/2013/09/09/quelle-est-la-derniere-photo-prise-avec-votre-telephone/] publié le 09 septembre 2013, consulté le 13 février 2014  24 ALLARD, Laurence, Chapitre Express Yourself 3.0 ! : Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique in ALLARD, Laurence ; CRETON, Laurent et ODIN, Roger,Téléphone mobile et création, Paris, Armand Colin/Recherches, 2014

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20  

photographie mobiles de multiples matières pour se formuler, d’extérioriser son intériorité toujours dans ce geste du rapport réflexif de soi à soi […]. Le réseau internet va architecturer un espace de réflexivité, le mobile va accueillir des explorations identitaires, le digital constitue un milieu favorable à une stylistique de l’existence25 ».

Pour illustrer cet éventail relationnel qui s’opère de l’individu aux autres à

l’individu à lui-même, Hubert Guillaud ajoute que « Nokia n’a pas compris que son

slogan « Connecting people » était réducteur, qu’il ne s’agit plus seulement

aujourd’hui de connecter les gens entre eux, mais de les connecter à eux-

mêmes26 ».

Revenant à l’exemple de la photographie, il ajoute :

« Ce qui frappe, c’est que chaque photo a une histoire (ce n’est donc pas parce qu’on prend des photos facilement qu’elles n’ont pas de sens) ; ce qui frappe aussi, c’est l’émotion en général à l’évocation de cette histoire, mais c’est surtout le caractère très souvent réflexif de ces photos. Bien souvent, elles ont été prises pour soi27 ».

Ainsi, nous venons de voir que les spécificités matérielles du smartphone

impliquent, d’une part, un phénomène de trivialité des formes qui y circulent et,

d’autre part, des sociabilités particulières qui s’y développent, au travers de

l’émergence d’un espace individualisé en regard d’autres médias informatisés. Ces

appréhensions nous permettent de considérer un usage particulier de cet objet dans

ses divers contextes d’usages. Il nous intéresse maintenant de cibler notre analyse

sur l’utilisation du smartphone au concert.

                                                                                                                   25 Ibid. p.141 26 DE LA PORTE, Xavier, « Quelle est la dernière photo prise avec votre téléphone », Art. Cit. 27  Idem.  

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21  

B. Les smartphones au concert : capter et partager son expérience de spectateur

Selon une étude réalisée par l’ITEMS International28 , les trois quarts des

français utilisent leur téléphone pendant les concerts pour filmer ou prendre des

photos tandis que 34% publient ces clichés sur les réseaux sociaux. 64%

considèrent comme important le fait d’emporter son smartphone à un concert, un

spectacle ou un événement sportif et 33% l’utilisent pour rechercher des informations

en temps réel sur l’événement. Par ailleurs, 40% des spectateurs envoient des

messages sur Facebook et sur Twitter pendants un concert, 47% y envoient des

SMS ou des emails et 66% prennent des photos avec leur smartphone29.

Ces chiffres éminents nous permettent d’estimer le concert comme un terrain

où l’utilisation des médias informatisés mobiles est considérable. Notre visée est

d’essayer de comprendre la teneur de cette tendance. Il nous semble que deux

étapes sont à l’œuvre dans le processus d’utilisation du mobile au concert : d’une

part, l’utilisateur capte son expérience avec son smartphone, d’autre part, il la

partage. Nous dégageons ces deux étapes en regard des textes de Laurence Allard

et d’Hubert Guillaud cités précédemment, considérant d’un côté le smartphone

comme une technologie de soi où l’utilisateur crée des contenus dans un espace qui

lui est individuel et de l’autre le smartphone comme un objet en réseau qui offre des

possibilité d’échange avec ses communautés au travers des différents contenus

partagés.

Il nous paraît alors important de bien discerner ces deux étapes de captation et

de partage car il semble qu’elles convoquent respectivement des choses différentes

chez les utilisateurs. En effet, un utilisateur pourra tout aussi bien filmer,

photographier, prendre des notes ou faire des enregistrements sonores avec son

                                                                                                                   28’ ITEMS International, Innovations numériques au sein de l’écosystème du spectacle vivant, Étude publiée en janvier 2014, [disponible en ligne : http://www.prodiss-etudes.org/etude_janvier.pdf]  29 Idem.

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22  

smartphone au cours d’un concert, sans systématiquement partager ces contenus.

L’étape de partage a aussi en elle-même toute sa singularité puisqu’elle recouvre les

contenus de l’utilisateur ou d’autres contenus. Elle implique des choix d’orientation

qui visent à « montrer quelque chose de soi ». Au travers de cette étape, s’opère une

éditorialisation des contenus, convoquant des stratégies des utilisateurs en fonction

du réseau social utilisé, du type de contenus partagés et de la posture éditoriale que

chaque individu souhaite donner à « son profil ».

1. Capter son expérience de concert

Ainsi, la captation du concert constitue une étape en elle-même, émanant de

l’utilisation du smartphone comme technologie de soi. Nous nous appuierons de

nouveau sur le texte de Laurence Allard, « Le mobile comme technologie pour soi »,

pour soutenir notre argumentation. Bien qu’il se concentre principalement sur la

« photographie mobile », il nous semble que ce raisonnement puisse s’appliquer à

d’autres médias. De plus, la photographie est un média très utilisé dans le contexte

du concert ; il nous intéresse donc de l’appréhender.

Ainsi, selon Laurence Allard, « photographier avec son mobile est aussi une

activité éprouvée comme permettant de matérialiser une émotion sous une forme

communicable30 ». Au delà de cette matérialisation de l’émotion, nous pouvons aussi

nous diriger vers l’hypothèse de l’appropriation des œuvres, en l’occurrence, ici,

l’appropriation du concert au travers de la prise de photo. La question de la

photographie des œuvres est d’ailleurs classique dans les problématiques de

médiation culturelle et de réglementation au musée. Lors des Rencontres

Crossmédia 2012 ayant eu lieu à la Gaîté Lyrique, le community manager du Centre

Pompidou Gonzague Gaultier présentait la nouvelle application du Centre

« Blinkster » consistant en la capture photographique des œuvres avec son

                                                                                                                   30 ALLARD, Laurence, Chapitre Express Yourself 3.0 ! : Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique, Op. Cit.  

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23  

smartphone afin d’obtenir des contenus de médiation culturelle. Le choix de la prise

de photo, à la fois simple et éloquent, partait du postulat d’une appropriation plus

évidente de l’œuvre par les visiteurs, parfois complexe dans le milieu de l’art

contemporain selon le community manager31.

Ce processus semble similaire au concert, alors que ce contexte implique tout

un ensemble de spécificités, s’éloignant de l’espace muséal. Le concert implique la

présence de l’artiste et la production d’une œuvre sonore, à priori32. La photographie

apparaît comme un média sujet à l’immortalisation du moment où l’on a vu « en

vrai » un artiste tant écouté. La vidéo permet, quant à elle, de franchir une étape car

au delà d’une immortalisation immersive du moment passé, elle permet d’enregistrer

le son, comme centre d’attention convoqué au concert. « Saisir le son » peut arborer

quelques orientations symboliques, de la simple satisfaction d’entendre une musique

que l’on aime « en vrai » jusqu’à l’immortalisation d’un moment de performance

particulier, ne se matérialisant que dans le seul concert et n’ayant jamais été entendu

auparavant. Alors, on voudra figer le moment, s’emparer de la performance et la

conserver dans son téléphone, un peu comme un trésor.

Ainsi que le dit Laurence Allard, « avec leur généralisation, elles [les pratiques

photographiques] semblent devenir un medium utilisé pour créer, améliorer ou

reproduire des émotions, des états d’affectes, des manière d’être dans une situation

donnée. Elles permettent, comme la danse qui place la musique au cœur même de

nos vies physique – en prenant en compte d’autres modes d’appréciation que

l’écoute contemplative - de créer un continum entre action et émotion33 ».

                                                                                                                   31 GAULTIER, Gonzague, Intervention de Gonzague Gaultier, community manager du Centre Pompidou pour présenter l’application Blinkster, Rencontre Crossmédia 2012 à la Gaîté Lyrique, [disponible en ligne : http://www.dailymotion.com/video/xr0gqz_gonzague-gauthier-centre-pompidou-la-reconnaissance-d-images-sur-smartphones-usages-et-perspectives_tech] publié le 23 mai 2012, consulté le 1er aout 2014] publié le 23 mai 2012, consulté le 1 juillet 2014 32 Nous verrons que cela tend à évoluer. 33 ALLARD, Laurence, Chapitre Express Yourself 3.0 ! : Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique, Op. Cit.  

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24  

Figure 1 : poste d’un utilisateur Facebook ayant immortalisé une performance de concert

L’analyse de Raphaël Roth, dans sa thèse sur l’emblème musicale, va dans la

continuité de ces observations. Il consacre un passage à l’utilisation des « minis

écrans » dans le contexte du festival et y voit le surgissement de l’univers intime du

spectateur, un peu comme une pause à l’intérieur du festival :

« Les minis écrans sont ici pour faire ressurgir des univers de l’intime qui permettent de rompre temporairement avec les interactions du festival, une parenthèse comme une autre.34 »

                                                                                                                   34  ROTH Raphael, Bande originale de film, bande originale de vie. Pour une sémiologie tripartite de l’emblème musical : le cas de l’univers Disney. Thèse préparé sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon, 2013, p 341  

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25  

2. Partager son expérience de concert

Le partage du concert dépasse ces phénomènes d’appropriation intime pour

venir se confronter à autrui. Les contenus capturés quittent la sphère individuelle

« du soi » pour s’évaporer dans les sphères collectives des utilisateurs, convoquant

la monstration des consommations culturelles comme vectrices de fabrication

identitaire. Plus que le simple fait de publier leurs morceaux favoris en live, les

utilisateurs, via ces contenus partagés avec leurs mobiles, tendent à immerger leurs

communautés au cœur de leur consommation voir de leur « vécu culturel ». Nous

pouvons imaginer que plusieurs aspects tendent à être saisis : de la mise en avant

de l’artiste, du concert ou du festival dont il est question à la captation de l’ambiance,

d’un moment de performance particulier, d’une symbiose avec les participants de

l’événement jusqu’au temps de concert les plus insolites voir extrêmes... Partager un

certains types de contenus constitue un choix des utilisateurs, recouvrant la mise en

place de leurs stratégies éditoriales personnelles. Ainsi, dans le cas de la

photographie, elle peut-être considérée comme la sélection par l’image d’un certain

type de situation :

« En associant la dimension visuelle aux données échangées, l'image permet de fournir des indications de situation (…) que la photographie permet d’enregistrer ou de transmettre plus rapidement qu’un message écrit.35 »

André Gunther souligne ainsi l’aspect « documentaire » des images, visant à

immerger les communautés en temps réel dans la vie des utilisateurs :

« Comme l’avait noté Pierre Bourdieu, les usages de la photographie amateur restent pour l’essentiel des usages sociaux. Sur Facebook, la discussion porte sur tous les aspects de l’existence. Les images n’y sont pas mobilisées d’abord pour leurs qualités esthétiques, mais parce qu’elles documentent la vie, participent au jeu de l’auto-présentation, et servent à des fins référentielles 36 ».

                                                                                                                   35 GUNTHER André, L’image conversationnelle. Les nouveaux usages de la photographie numérique, blog d’André Gunther. 2014 [disponible en ligne : http://culturevisuelle.org/icones/2966], publié le 8 avril 2014, consulté le 10 mai 2014  36  Ibid.

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26  

Dans l’émission Place de la toile citée plus haut « La photo à l’ère du

numérique 37 », les invités décrivent une ère de la publitude où l’image adopte une

fonction dialogique, utilisée comme un langage pour communiquer quelque chose de

soi dans un contexte particulier. Laurence Allard va même jusqu’à convoquer

l’expression de textualité mobile consistant en l’indifférenciation entre l’icononique et

le scriptural, soit la prise de texte en photo, faisant du portable une « photocopieuse

de poche ». Photographier sa place de concert et la partager sur les réseaux sociaux

relève de ces fonctions dialogiques et iconiques scripturales de l’image.

Figure 2 : partage d’une place de concert par une utilisatrice Facebook

« Les images envoyées permettent de verbaliser un sentiment ressenti “en soi-

même“, que l’on va partager avec quelqu’un ce qui se rapproche d’une carte

                                                                                                                   37 DE LA PORTE, Xavier, La photo à l’ère du numérique, Émission place de la toile sur France Culture [disponible en ligne : http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-la-photo-a-l-ere-du-numerique-2013-09-28] publié le 28 septembre 2013, consulté le 13 mai 2014  

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27  

postale 38 » poursuit Laurence Allard. « “Je vois, j’envoie” devient ainsi le leitmotiv de

la photographie mobile. La photographie mobile suppose alors de penser un agir

pluriel couplant le fait de voir, de s’émouvoir, de s’exprimer par une photographie

mobile et de communiquer en l’envoyant à un proche (ou pas)39 ».

Nous soulignons de nouveau que ces réflexions peuvent s’appliquer à tout

média et ne concernent pas uniquement la photographie, bien que celle-ci soit un

objet de partage important au concert. Aussi, dans ce contexte, la vidéo semble avoir

une place plus grande que dans d’autres situations, (le restaurant par exemple où

l’on photographie ce que l’on mange plus qu’on ne le filme), notamment en raison de

l’importance de la capture du son mais peut-être aussi d’une volonté d’immerger

davantage ses communautés dans l’ambiance du concert comme moment de vécu

important.

Raphaël Roth souligne cette possibilité que les mobiles offrent de produire des

contenus variés en permettant au spectateur de s’émanciper dans son activité de

concert, dans ce jeu entre espace individualisé et possibilité de partage avec autrui :

« Les minis écrans sont les écrans d’une pratique largement individuelle même s’ils peuvent être partagés. Ils sont les premiers écrans dans cette fonction de témoignage. Écrans d’appareil photo, écrans de téléphone intelligent ou de tablette numérique ils sont le plus souvent les écrans des appareils de production de contenus photographiques ou textuels. Prothèses post-modernes du promeneur solitaire, les téléphones intelligents, Ipods, Ipads complètent la panoplie du baroudeur des villes par la convergence de leurs fonctionnalités. Ils permettent d’avoir le festival dans sa poche. Comme l'a fait le livre de poche en son temps en démocratisant l'accès à la lecture, les écrans de poche participent à une démocratisation de l’expertise du spectateur. Patrice Flichy qualifie sur le mode de la “communication intime“ le rapport entretenu avec les appareils nomades. Le festivalier ressemble parfois au flâneur de Baudelaire.40 »

                                                                                                                   38 ALLARD, Laurence, Chapitre Express Yourself 3.0 ! : Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique, Op. Cit. 39 Ibid. p.147  40 ROTH Raphael, Bande originale de film, bande originale de vie. Pour une sémiologie tripartite de l’emblème musical : le cas de l’univers Disney. Op. Cit. p.341  

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28  

Ainsi, pour clôturer notre première partie, la réalisation d’un questionnaire

interrogeant les pratiques d’utilisation des téléphones mobiles au concert nous a

paru pertinente pour pleinement cerner notre objet. Il s’agit là du traitement des

réponses données par les personnes ayant répondu à ce questionnaire.

C. Traitement et analyse des réponses à l’enquête par questionnaire réalisée : « les usages des téléphones mobiles au concert »

Nous venons d’étudier les glissements opérés par l’apparition de la mobilité

dans le paysage des médias informatisés puis ce qu’il peuvent impliquer dans le

contexte du concert. Il nous a enfin paru pertinent, afin d’approfondir et de conclure

cette première partie, de réaliser une enquête par questionnaire pour interroger les

publics sur leurs pratiques d’utilisation des smartphones au concert. La visée de

cette démarche s’inscrit dans la volonté de cerner au mieux la motivation de cette

utilisation. Nous avons ainsi construit notre questionnaire autour de la problématique

suivante :

Quelles sont les motivations des spectateurs à utiliser leur téléphone mobile

pendant les concerts ?

Nous avons construit ce questionnaire autour de quatre axes :

Dans un premier temps, nous avons essayé de déterminer les profils des

spectateurs : âge, sexe, raison sociale, styles de musique favori, fréquence de

concerts par an, utilisation des réseaux sociaux et fréquence d’utilisation. Nous

avons ciblé un public jeune de 15/30 ans, utilisateur massif des médias informatisés

et par ailleurs cible majoritaire de notre objet d’étude que sont les « concerts

interactifs ».

Dans un second temps, nous avons voulu savoir s’ils utilisent leurs mobiles au

concert et pour quelles raisons ils l’utilisent, notamment s’il s’agit des fonctions de

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29  

communication basiques (appels et SMS) ou si l’usage s’étend aux spécificités du

smartphone : photographie, film et enregistrement, accès à internet et aux réseaux

sociaux, utilisation d’applications spécifiques dont nous avons demandé de préciser

la nature.

Dans un troisième temps, nous sommes entrés dans le détail de ces pratiques

au travers d’une approche plus qualitative. Nous avons tenté de séparer les deux

phases d’utilisations du mobile perçues pendant le concert à savoir les motivations

des spectateurs à capter et partager le concert avec leur téléphone. Pour la

captation, nous avons organisé un focus sur la photographie et le film comme médias

à priori favoris du partage avec les mobiles au concert.

Enfin, afin de faire le lien entre l’objet de ce questionnaire et notre objet central

qu’est le « concert interactif », nous avons voulu appréhender le sentiment des

usagers vis à vis de ces propositions expérientielles et de la notion

« d’enrichissement » du concert qu’elles pourraient apporter. Nous tenterons ainsi de

savoir si cet usage leur procure la sensation d’un appauvrissement de l’expérience

ou d’un enrichissement ; si l’ère du smartphone leur paraît propice pour vivre plus

intensément un concert ou si, au contraire, cela leur procure un sentiment de

déconnexion vis à vis de ce moment, au profit de leurs appareils41.

1. Le profil des répondants au questionnaire

Le questionnaire a été diffusé sur Facebook et sur Twitter et a obtenu un total

de 76 réponses. 72% des personnes interrogées ont entre 18 et 25 ans, 21% ont

entre 25 et 30 ans. 52% de ces personnes sont encore étudiantes, 11% sont

professionnelles du numérique, 7% sont professionnelles de la musique et 4%

travaillent dans le secteur de la culture. 62% sont des femmes contre 38%

d’hommes.                                                                                                                    41 Voir annexe 1 pour consulter le questionnaire

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30  

47% des personnes interrogées vont entre 1 et 5 fois par an à un concert

tandis que 26% s’y rendent 5 à 10 fois. 13% y vont entre 10 et 20 fois, 12% plus de

20 fois et seul 1% ne va jamais voir un concert.

Le style de musique favori des répondants au questionnaire se présente

massivement être la musique électronique (61,8%) suivi du rock (50%) et de la pop

(42,1%). Le jazz et la musique classique arrivent plus timidement derrière (26%).

Leurs réseaux sociaux favoris sont Facebook (85% l’utilisent plusieurs fois par

jour), Twitter (40% l’utilisent plusieurs fois par jour) et Youtube (41% l’utilisent

plusieurs fois par jour). Une utilisation plus timide est faite d’Instagram, Souncloud et

Snapchat (entre 12 et 24% les utilisent plusieurs fois par jour). Google + et Vine ne

sont pratiquement pas utilisés.

2. Les usages du mobile au concert

A la question « Utilisez-vous votre téléphone portable lorsque vous êtes à un

concert ? » la réponse est « oui » à 86%.

Les usages de captation sont diversifiés : 67,1% l’utilisent pour des usages

basiques (téléphoner et envoyer des SMS), 75% l’utilisent pour prendre des photos,

50% pour prendre des vidéos et 6,6% pour faire des enregistrement sonores. 9,2%

l’utilisent pour prendre des notes.

Les usages de partage sont aussi assez ciblés : tandis que 42% partagent ces

contenus sur les réseaux sociaux, 13% utilisent l’application proposée par le concert

et 6,6% utilisent d’autres applications (on pourra supposer Shazam, sans trop

s’avancer).

Les éléments partagés pendant le concert, au travers de la photographie ou du

film, sont aussi très ciblés. 75% partagent sur les réseaux sociaux la performance de

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31  

l’artiste sur scène. Le reste des partages chute ensuite lisiblement : 35,5% captent

les personnes qui les accompagnent, 30,2% filment la foule. Les objets autour du

concert, comme les places ou autre goodies, sont finalement assez peu partagés

(15,8%), de même que la réalisation de selfies (13,2%) ou la consommation d’alcool

(1,3%).

La réutilisation des contenus captés est éparse : 62% réalisent ces captations

pour un usage personnel des contenus, 43% utilisent ces contenus pour les

revisionner avec les personnes les ayant accompagnées lors du concert. Tandis que

29% échangent ces contenus uniquement avec les personnes les ayant

accompagnées au concert, 58% les partagent directement sur les réseaux sociaux.

14% les éditorialisent (retouche, publication sur des blogs, montage vidéo…).

La question du partage sur les réseaux sociaux est assez équitablement

répartie entre les personnes ayant répondu au questionnaire. Si 7% partagent

systématiquement leur expérience de concert sur les réseaux sociaux, 24% le font

très souvent, 29% le font de temps en temps, 18% très rarement et 22% ne

partagent jamais leur expérience de concert sur les réseaux sociaux.

Lorsque l’on demande aux spectateurs interrogés ce qu’ils partagent

spontanément, des tendances diversifiées ressortent de ces réponses qualitatives.

Dans la forme, beaucoup partagent une photo associée à un commentaire écrit. Les

spectateurs parlent principalement de mettre en avant l’artiste qu’ils sont allés voir en

mentionnant son nom ou sa performance, parfois un morceau particulier qu’ils

apprécient, voir même son style vestimentaire. Certains soulignent l’importance de

citer le lieu dans lequel ils se trouvent en se géolocalisant certaines fois. Le fait de

partager uniquement avant ou après le concert apparaît aussi comme une donnée

importante pour les répondants : « En général, j'informe ma newsfeed que je vais à

un concert pour voir qui y sera aussi, puis je partage mon expérience après le

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32  

concert42 ». Enfin, la mise en avant des personnes qui les accompagnent paraît

aussi importante.

Lorsque l’on demande aux répondants pourquoi ils partagent ces contenus,

trois grandes tendances se dessinent. Certains confessent la valorisation que cela

leur procure, notamment au travers des « likes » et des « retweets ». D’autres

évoquent beaucoup la valeur du partage de leur moment avec les autres, l’envie de

transmettre sa valeur exclusive et de souligner son côté exceptionnel : « partager

avec les autres et mettre l'emphase sur le fait qu'on vit un moment qui nous semble

unique. Je ne partagerai jamais une expérience moyenne43 ». La troisième grande

tendance est la volonté de faire découvrir l’artiste que l’on est allé écouter, voir de

pouvoir échanger et débattre autour de cet artiste et de sa performance. D’autres

tendances plus discrètes se dessinent : garder un souvenir du moment vécu, prendre

plaisir à photographier l’événement, partager pour « faire vivre et perdurer

l’événement ». Certains parlent aussi de « témoignage », le partage sur les réseaux

sociaux se matérialisant comme « la preuve que l’on y était ».

3. Les appréhensions expérientielles des spectateurs : appauvrissement versus enrichissement et perceptions des offres de « concerts interactifs »

Lorsque l’on oriente les publics sur leur appréhension du mobile comme

enrichissement ou appauvrissement du concert, il s’avère que les réponses sont

quasiment parfaitement réparties entre les deux tendances. Certains considèrent

donc que le mobile est un appauvrissement de l’expérience de concert dénonçant

une perte de concentration sur le moment du spectacle (parfois, ils disent même

qu’ils ont le sentiment de passer plus de temps sur leur téléphone qu’à regarder le

concert). D’autres ont le sentiment de moins profiter de « l’instant présent » et de

rater une partie de l’événement. Certains soulignent que le portable met « une                                                                                                                    42 Etudiante âgée de 18 à 25 ans 43 Etudiante âgée de 18 à 25 ans  

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distance » et qu’il est gênant d’avoir un écran « entre soi et le concert ». Enfin,

certains soulignent la gêne que cela leur procure quand d’autres spectateurs utilisent

leur téléphone. Les spectateurs qui considèrent que le mobile au concert comme un

enrichissement de l’expérience évoquent une « mise en perspective critique de

l’expérience », le fait de pouvoir prolonger l’instant ou de « l’exporter » sur le web

afin de pouvoir revivre ces moments par la suite et les pérenniser, le fait de pouvoir

noter ses idées. Certains soulignent même que « ce n’est pas 30 secondes sur mon

smartphone qui m’empêchent de profiter de l’événement44 ».

La question qui portait sur « le concert interactif » et l’appréhension des publics

à l’évocation de ces dispositifs les divisent aussi très équitablement. Une moitié

d’entre eux est donc très enthousiaste à l’idée de ces dispositifs, laissant

transparaître tous les imaginaires que ceux-ci peuvent évoquer :

« Je trouve ça génial ! Le spectateur devient acteur et ça devient donc super interactif. Au concert de Coldplay, ils avaient distribué au public des bracelets qui s'illuminaient. Le rythme changeait en fonction de la musique. C'était juste énorme et magnifique dans tout le stade de France. On a vraiment fait parti du concert. Très bon souvenir. Bien joué pour le concept. Je pense que nous sommes une génération où nous avons besoin de ce genre d'animation.45 »

L’autre moitié des spectateurs rejette complétement ce genre d’initiative :

« Jamais vécu ce genre d'expérience, mais je pense que les réseaux sociaux ne devraient pas intervenir à ce point dans les concerts. Inciter à twitter pour avoir une visibilité et ainsi prolonger la durée du concert a un côté très commercial ; si le musicien veut prolonger son concert je pense qu'il devrait le faire par conviction ou amour de la musique et non pas pour avoir de la visibilité sur les réseaux sociaux.46 » Ce que cette citation nous permet de relever comme phénomène récurent dans

les propos recueillis, c’est dans l’ensemble la grande lucidité des personnes

interrogées vis-à-vis de ces dispositifs. Certains relèvent que l’« on peut déjà parler

                                                                                                                   44 Réponse d’un homme âgé de 18 à 25 ans 45 Réponse d’une étudiante âgée de 18 à 25 ans. 46 Homme âgé de 18 à 25 ans

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d'interaction quand les chanteurs échangent avec le public47 », d’autres en ont une

appréhension positive, à condition que l’expérience soit « tournée vers l’art et non

vers la communication ». Certains parlent d’un dispositif discriminant pour ceux qui

n’ont pas de smartphone. Enfin, certains rejettent la place supplémentaire qui serait

accordée au public d’après les promoteurs de ces dispositifs, signifiant que « le

format d'un concert ne devrait pas dépendre du spectateur, mais de ce que l'artiste a

décidé de transmettre à cette occasion48 ». Beaucoup de personnes faisaient part de

leur simple curiosité vis-à-vis de ces dispositifs, sans grand emballement, « pourquoi

pas » si le dispositif est bien pensé. Seules deux personnes de notre échantillon ont

déjà participé à ce type d’expérience : l’une pour le concert de ColdPlay et l’utilisation

de bracelets lumineux comme décrit dans la citation ci-dessus et l’autre lors d’un

concert de Radiohead qui nous livrent une remarque concernant les risques

techniques tout à fait intéressante : « Je pense que c'est amusant et à tester. :) EN REVANCHE, petit point expérience. J'ai été à un concert de Radiohead en 2012 où entre chaque morceau la scène était recouverte de QR codes → http://i.imgur.com/9pEvm.jpg Or, impossible de les flasher directement car, étant faits de lumière, les caméras des téléphones ne pouvaient pas focaliser dessus. C'est pas grand chose mais je pense que c'est assez drôle ce type d'expérience ratées.49 »

Plusieurs conclusions se dégagent de cette enquête. En premier lieu, une

écrasante majorité des personnes interrogées utilise son téléphone mobile dans les

concerts (86%) ce qui permet de déduire, d’après ce petit échantillon constitué

majoritairement d’étudiants utilisateurs des réseaux sociaux, que les médias

informatisés mobiles ont aujourd’hui une place qui paraît indiscutable pour ce type de

public dans l’enceinte du concert. Outre des usages de communication basiques, la

photographie est une pratique qui domine largement (75%) et la vidéo est aussi

assez présente, recouvrant la moitié des personnes interrogées (50%). Le partage

sur les réseaux sociaux est assez graduel, pour notre échantillon qui les utilise

majoritairement. Nous en déduisons que dans l’ensemble, les personnes partagent

                                                                                                                   47 Réponse d’une professionnelle du numérique âgée de 18 à 25 ans 48 Réponse d’une professionnelle du numérique âgée de 18 à 25 ans 49 Réponse d’une étudiante âgée de 18 à 25 ans

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35  

leur expérience de temps en temps, quand le moment paraît propice, outre les

quelques personnes pour qui cette action est incontournable ou les quelques

personnes qui ne partagent pas du tout sur les réseaux sociaux. L’artiste reste le

centre d’attention des captations et des partagent tandis que les autres aspects du

concert sont plutôt secondaires (les accompagnateurs, la consommation, etc.).

Beaucoup expriment en tout cas l’utilisation du réseau social comme outil pour

« ouvrir le débat » autour de l’artiste ou le faire découvrir à leurs communautés,

tandis que pour d’autres, cela fait figure d’une valorisation personnelle aux yeux des

communautés. L’utilisation du portable au concert est vécu comme quelque chose de

mitigé, qui peut apporter des choses bénéfiques comme néfastes, qui peut

« enrichir » comme « appauvrir » l’expérience.

Concernant l’appréhension de l’objet « concert interactif », on peut dire dans

l’ensemble que les personnes sont relativement lucides vis-à-vis de ce que ce type

d’offres peut proposer. Elles ont parfaitement conscience des enjeux marketings

qu’elles peuvent recouvrir, auquel cas elles les rejettent, tout en ayant une certaine

mesure de ce que cela peut apporter de plus ou pas pendant le concert. On sent

dans l’ensemble une forme de curiosité, un « pourquoi pas » général pour voir et se

faire son opinion. Beaucoup d’avis sont tout de même sceptiques, exprimant une

forme de frayeur vis-à-vis du rôle du musicien qu’ils ne veulent surtout pas voir

s’effacer avec ce genre de dispositif. Ce qui est à noter dans ce dernier cas, c’est

que notre échantillon écoute à 61,8% de la musique électronique, genre qui est,

d’une part, propice à un effacement du rôle du musicien devenu DJ et, d’autre part,

familier de l’utilisation de grands écrans pour compléter le set (comme nous le

détaillerons dans notre deuxième partie). Cela nous conduit à penser que la

légitimation de ces dispositifs de « concerts interactifs », quelque soit leur forme, ne

semble pas encore acquise ; ce qui est normal puisque seulement deux personnes

ont déjà vécu ce type d’expérience, bien que le mobile ait aujourd’hui une place

immense dans l’enceinte du concert pour les personnes interrogées. Alors, le

passage d’un usage « spontané » du mobile à un usage « encadré » dans l’enceinte

du concert paraît encore peu répendu car une certaine confiance du public est a

gagner, c’est ce qu’il ressort des réponses de ces publics.

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36  

Nous pouvons ainsi conclure notre première partie en validant le fait que le

concert est un terrain où l’utilisation des médias informatisés mobiles est importante.

Plusieurs raisons amènent les usagers à ces utilisations comme l’immortalisation,

l’appropriation ou le partage de leur moment de concert. Cette infiltration du mobile

dans l’enceinte du concert nous permet de déduire de sa légitimation en ce lieu qui

peut néanmoins être nuancée en fonction du type de concert et du type de public :

dans une salle ou en extérieur, dans un concert de musique classique ou dans un

concert de musique électronique, il va de soi que la place du mobile se fera plus ou

moins aisément selon les contextes.

Ainsi, il nous paraît important maintenant de replacer l’analyse de la portée de

ce terrain dans le contexte de notre objet d’étude qu’est le « concert interactif ».

Comme nous allons le voir, le « concert interactif » se situe dans le champ d’une

idée de l’infiltration de numérique au sein du concert. Ainsi, sans que les dispositifs

nommés comme tel usent nécessairement des téléphones mobiles, ils apparaissent

dans la mesure où l’idée du numérique au concert devient tolérable, où l’idée du

numérique comme vecteur d’un enrichissement du concert, comme pour tout

secteur, se forme. Il nous intéresse donc maintenant de mieux cerner comment un

objet tel que le « concert interactif » est apparût et d’évaluer la teneur de cet objet et

les soubassements idéologiques, symboliques et pratiques de cette appellation.

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37  

II. Les promesses expérientielles du « concert interactif »

Dans cette seconde partie, nous voulons saisir les promesses expérientielles sur

lesquelles repose le « concert interactif ».

Nous voulons comprendre la notion « d’expérience », les imaginaires et les

attentes qu’elle suscite de la part des publics au concert. Nous voulons comprendre

la teneur de cette notion et les évolutions qu’elle a pu connaître dans ce contexte.

La notion « d’enchantement », telle que proposée par Yves Winkin dans

Anthropologie de la communication50, suscitera ensuite notre intérêt. Notre visée est

de comprendre comment les dispositifs de concert et de festival sont orchestrés pour

entretenir « les enchantements » de l’expérience des publics. Nous nous

intéresserons particulièrement à l’arrivée des écrans au concert, de l’écran géant

aux minis écrans de poche comme dispositifs d’enchantements. Cela nous permettra

de comprendre le contexte d’insertion de notre objet.

                                                                                                                   50  WINKIN Yves, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, Éditions du Seuil, 2001  

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38  

Enfin, nous tenterons de comprendre ce que recouvrent les « concerts

interactifs », en tant qu’objets et en tant qu’expression. Nous verrons qu’il s’agit là de

dispositifs majoritairement idéologiques et symboliques qui tendent à vouloir

transformer le concert, ceux en quoi nous verrons qu’ils sont triviaux, d’après la

notion proposée par Yves Jeanneret51. Pour soutenir ces appréhensions, nous

procéderons à l’analyse du discours d’un communiqué de presse d’Orange

RockCorps du « concert interactif » de The Ting Ting en juin 2012. De cette analyse,

nous voulons saisir les promesses communicationnelles et expérientielles formulées

par des concepteurs de « concert interactif ».

A. Le concert : un objet expérientiel

Nous voulons, dans un premier temps, comprendre la teneur de la

notion d’expérience dans le contexte du concert. Le « concert interactif » se

formulant comme une proposition d’innovation expérientielle du secteur du spectacle

vivant, nous voulons saisir ce qu’est l’expérience au concert et ce qu’elle recouvre.

Nous allons tout d’abord tenter de cerner des aspects particuliers de l’expérience de

concert. Nous voulons ensuite en cerner des formes de mutation pour appréhender

ce qui a conduit à la proposition expérientielle du « concert interactif ».

1. Particularités de l’expérience de concert « “La musique“ est […] un monde d’expériences, et non nécessairement et ni

seulement un monde d’objets tels que des corpus de partition ou de disque, qui n’en

sont que des supports 52 ». L’enquête dirigée par Anthony Pecqueux et Olivier Roueff

et reportée dans l’ouvrage Écologie sociale de l’oreille s’intéresse à l’expérience

                                                                                                                   51  JEANNERET, Yves, Penser la trivialité, volume 1, la vie triviale des êtres culturels, Op. Cit.p.13  52 PECQUEUX Anthony, ROUEFF Olivier, Ecologie sociale de l’oreille. Enquête sur l’expérience musicale. Editions EHESS, Paris, 2009, p.15

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39  

musicale sous toutes ses formes. Ils définissent l’expérience comme « la rencontre

entre un organisme et un environnement, dans la continuité de la voie initié par John

Dewey - plus précisément selon lui : l’ensemble des interactions entre un organisme

et l’environnement dans lequel il s’engage et le résultat objectif occasionné par celle-

ci. (Dewey, [1934])53 ».

Ils proposent une grille d’analyse de trois entrées appliquée à l’expérience

musicale. D’une part, les jeux d’échelle, soit l’incertitude de l’action et l’instabilité de

ses composantes comme variable d’analyse. D’autre part, l’événement par

opposition à la structure : tandis que la structure reproduit, l’événement innove.

« Les concerts, par exemple, propose des dispositifs d’action particulièrement stabilisés, ne serait-ce que du fait de la pérennité de leurs architectures et de la prévisibilité que nécessite leurs ressources techniques et leur mise en place ; ils sont dans le même temps tournés vers la fabrication de moments singuliers, dont le succès se mesure, tout au moins pour certains participants, au caractère exceptionnel des expériences qu’ils produisent. Ils suscitent ainsi des attentes étranges : l’attente de quelque chose qui déborde en partie les anticipations des uns et des autres, si ce n’est celle qui vise cet inattendu. […] Il est aussi une définition plus étroite de l'événement, comme rupture dans l'ordre des choses : un événements, de ce point de vue, n’est pas seulement inédit, mais reconfigure la carte des possibles en en faisant émerger de nouveaux. Qu’est-ce par exemple qu’un disque ou un concert “historique“, sinon précisément un renouvellement de l’espace des possibles esthétiques ? […] Avec de tels faits, une coupure est produite, qui instaure un avant et un après.54 » La troisième entrée est enfin celle de l’épreuve comme action déterminée par la

réussite ou l’échec d’un projet ou d’une stratégie. Ainsi, les participants investissent

des ressources dans l’action musicale et ont des attentes vis-à-vis de cette dernière,

ce en quoi elle peut être perçue comme une épreuve. Dans sa thèse sur l’emblème

musicale, Raphaël Roth nous apporte d’ailleurs cette précision :

« La part symbolique de l’expérience est soulignée […] par le fait que les expériences sont vécues par les individus comme des faits marquants. C’est

                                                                                                                   53 Ibid. p.15  54 Ibid. p.18

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40  

ainsi qu’ils se cristallisent en expérience. C’est ainsi qu’un événement ordinaire s’ancre dans la mémoire.55 » Ainsi, si l’expérience de concert est l’objet de tant d’attentes, cela s’explique en

partie, comme le souligne Antoine Hennion dans son ouvrage Figure de l’amateur,

par la perception du concert par les amateurs de musique comme « un foyer

idéal 56 » vis-à-vis des autres dispositifs d’écoute (le disque et la radio à l’époque de

l’écriture de ce texte en 2001 mais l’on peut considérer que c’est toujours le cas avec

les formats d’écoute actuels comme le mp3) alors qu’il est finalement le moins

fréquent, le plus « exceptionnel ». Le concert, comme forme « vivante » d’écoute de

la musique, est une « mise en présence hautement médiate57 » et un processus qui

demande de passer par plusieurs étapes, telles que « le choix » comme pari sur les

envies futures de l’amateur puis « la performance » et tous les processus qu’elle

implique : le fait d’y résister puis de s’y plonger en sortant d’une posture critique pour

s’éprendre du numéro de l’artiste. A certains moments, nous aimons entendre une

œuvre particulière tandis qu’à d’autres, c’est la singularité du moment qui se

passe qui nous importe. Enfin, parfois, « nous décrochons » et avons des absences,

nous pensons à autre chose puis nous revenons à l’écoute58.

La dimension sociale du concert recouvre également une importance

essentielle :

« Le concert est un lieu et un moment ou nous nous testons en testant les autres ; tantôt par exemple nous nous opposons à l’enthousiasme de nos voisins, tantôt, au contraire, nous nous laissons délicieusement emporter par un enthousiasme accepté ; moment de remise en cause, où ce qui compte c’est qu’il peut arriver de l’imprévu, que l’on aime ce que l’on croyait ne pas aimer, etc.59 »

                                                                                                                   55 ROTH Raphael, Bande originale de film, bande originale de vie. Op. Cit. p.269 56 HENNION, Antoine, Figure de l’amateur : formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La documentation française, 2001 p.221 57 Ibid. p.222 58  Ibid. p.223-225  59 Ibid, p.224

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41  

Wenceslas Lizé dans son chapitre dans Écologie sociale de l’oreille sur la

réception de la musique comme activité collective explore également cette question

de l’importance du groupe dans la sortie culturelle. Il souligne que si le caractère

relationnel a son importance, le collectif est aussi essentiel dans la formation du goût

et la propension à fréquenter certains types de biens culturels plutôt que d’autres.

Pour décrire la sortie au concert des jazzophiles, il reprend le concept de Cardon et

Granjon (2003) en parlant de dynamique de spécialisation : les relations des

amateurs se nouent davantage autour de leur passion et habitudes de fréquentation

que de leurs relations interpersonnelles. Elles permettent d’appréhender leur

sensibilité esthétique et offrent la possibilité d'observer comment le goût « se dit en

se faisant et se fait en se disant60 ».

« Le groupe est un élément central du contexte social d’écoute des prestations musicales : médiation fondamentale en ce sens qu’elle produit à la fois des contraintes et des ressources pour l’appréciation, le collectif contribue à façonner l’expérience esthétique sur le plan comportemental, cognitive, émotionnel.[…] En cela, les résultats de l'enquête incite à concevoir la sociabilité culturelle comme une instance médiatrice entre les propriétés sociales des amateurs, leur goût et leurs expériences d’écoute 61. »

Antoine Hennion souligne aussi ce qui fait la particularité de l’écoute de

musique au concert : « assurément autre chose qu’en passant un disque – mais pas

forcément quelque chose de plus musical. Plutôt quelque chose de plus actuel, en

bien et en mal : de plus tributaire de “ce qui se passe“, et d’abord des autres –

innocent plaisir de participer à un événement collectif, jeux de valorisation croisée,

jouissance de l’appartenance à un clan 62 ». Il différencie la performance de

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               60  HENNION, Antoine, Ce que ne disent pas les chiffrent… Vers une pragmatique du goût, in Olivier DONNAT, Paul Tolila (eds.), Les public(s) de la culture, II, Paris, Presses de Science Po, p 287-304  61 LIZÉ, Wenceslas, La réception de la musique comme activité collective. Enquête ethnographique auprès des jazzophiles de premier rang in PECQUEUX Anthony, ROUEFF Olivier, Écologie sociale de l’oreille. Enquête sur l’expérience musicale. Chapitre 2 :. Editions EHESS, Paris, 2009, p.79  62 HENNION, Antoine, Figure de l’amateur : formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Op. Cit. p.223-224

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42  

l’enregistrement comme moment où « la séduction s’opère » : quelque chose doit

réussir, ce qui diffère de l’écoute hors événement.

Il conclue ce passage sur le concert en le comparant à un mythe :

« Le concert est à la limite du mythe, il met en scène le sublime. Même si cela n’arrive que de temps en temps et qu’il s’agit là plus de son image et de son attrait que de sa fréquentation réelle, le dispositif du concert est entièrement construit autour du surgissement possible de ces moments d’exception.63 »

2. Des mutations de l’expérience de concert

Les formes de l’expérience de concert évoluent également au rythme des

mutations technologiques et sociales. Dans Digital Magma, Jean Yves Leloup

aborde la manière dont l’apparition des technologies numériques a constitué un

tournant important pour le monde musical, à la fois dans l’évolution de la musique

elle-même, mais aussi dans les cultures qui lui sont associées, les supports

d’écoutes et la redéfinition des espaces de musique live.

Il consacre un chapitre au phénomène des rave-parties, apparues avec la

musique techno dans les années 1980/1990 comme exemple de redéfinition des

espaces d’écoute de musique. Parallèlement à cette musique produite avec de

nouvelles techniques, se constitue des glissements d’ordre spatial, atmosphérique et

temporel de même que le rôle des artistes et du public évolue. Il nous paraît

intéressant de soulever ces glissements car ils nous semblent constituer un pivot de

ce qui fait la constitution des offres de concert aujourd’hui, dont découle notre objet

d’étude, le « concert interactif ».

Ainsi, nous parlons « d’espace d’écoute » et non de salle de concert car ceux-ci

sont, par essence, indéterminés, insolites voir déviants (lieux désaffectés, cinémas                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                63 Ibid, p.226  

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43  

abandonnés…). Cette spécificité s’insère pleinement dans la recherche expérientielle

de la rave-party. L’espace de la fête lui-même est modifié. Jean Yves Leloup parle

d’un choc pour les habitués des concerts traditionnels, qui trouvent d’un côté, la

scène et la performance de l’artiste et de l’autre, le public. La rave-party donne

naissance à un artiste plus en retrait, le DJ, tandis que la salle se transforme en

« espace décloisonné dénué de la traditionnelle séparation entre l’artiste et son

public64 », organisé autour des mouvements du public, où les danseurs deviennent

des participants actifs. Le « jeu des corps », « l’immersion », la « déambulation »,

« l’errance », « les jeux de lumière », la sensation « d’une géographique mouvante »,

d’une « déterritorialisation »… « En d’autres termes, le spectacle est plutôt dans la

salle65 » résume Jean Yves Leloup.

Dans son texte La musique et la machine, Umberto Eco résume bien l’impact

des musiques électroniques sur l’organisation de la salle de concert, de part les

nouvelles contraintes techniques qu’elles imposent :

« La musique électronique change également les conditions de consommation. La situation typique du concert meurt avec elle, et en tout cas, l'exécution “frontale“. Étant donné que beaucoup d'œuvres emploient des effets stéréophoniques (bandes magnétiques que diffusent des hauts parleurs situés à différents endroits de la salle), l'architecture de la salle de concert elle-même se trouve remise en question. On peut se demander, et les musiciens le font, si l'on doit encore penser en termes de salle de concert ou si cette musique ne doit pas trouver de nouvelles formes d'exécution selon d'autres conceptions de l'audition, dans le cadre peut-être d'un nouveau type de société.66 » De la même manière, Jean Yves Leloup cite aussi des exemples de courants

musicaux expressément conçus dans le but d’une recherche expérientielle. La vague

des musiques zen, réalisées dans le but de favoriser la détente et les moments de

                                                                                                                   64  LELOUP Jean-Yves, Digital magma : de l’utopie des raves-parties à la génération ipod, Paris, Scali, 2006, p.23  65  Ibid.  66  ECO, Umberto, La musique et la machine, in communications, 6, 1965

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44  

méditations des auditeurs par exemple, « impose chez celui qui l’écoute l’idée d’un

double espace. Celui, réel et architectural du lieu de la relaxation (…), et celui, virtuel

et mental, dans lequel il se projette67 ». De même, la vague de la musique lounge du

début des années 2000, reprend le concept des ambiances chill-out du début des

années 1990 comme espace de détente et de décompression, associé aux

ambiances extasiantes de plages et de soleil (on peut notamment citer les

compilations Buddah Bar, Hôtel Coste et Café del Mar). Tel que le souligne Jean

Yves Leloup, ces musiques ont véhiculé un « idéal » de confort domestique, axé sur

la détente, le design, « le fun » en somme.

Si l’on peut s’accorder sur le fait que de chaque musique découle une

ambiance, voir une expérience, on peut aussi dire que certaines musiques, comme

les derniers exemples cités, sont directement conçues dans le but de proposer une

expérience ciblée, avant même d’être tournées vers une simple écoute. Elles dictent

au corps et à l’esprit une orientation expérientielle, une manière d’agir - à priori –

lorsque nous les consommons.

Ce que l’on peut ainsi retenir est que, tel que le décrit notamment Antoine

Hennion dans La passion musicale68, la musique s’insère dans un contexte sociétal

et ne peut être prise indépendamment de celui-ci. De fait, la musique en situation de

concert ne peut être prise pour elle-même et s’inscrit dans une expérience qui est

fonction de divers facteurs comme le style de musique, la culture qui lui est associée

ou les moyens techniques mis en œuvre pour la produire et la diffuser. Aussi, tel que

le souligne Umberto Eco, « ce ne sont pas tellement des problèmes d'ordre

philosophique ou esthétique que pose l'avènement d'une musique “faite à la

machine“ mais plutôt des problèmes d'ordre sociologique, psychologique et

critique69 ».                                                                                                                      67  LELOUP Jean-Yves, Digital magma : de l’utopie des raves-parties à la génération ipod, Paris, Scali, 2006, p.73  68  HENNION, Antoine, La passion musicale : une sociologie de la médiation, Paris, Édition Broché, 2007    69  ECO, Umberto, La musique et la machine, in communications, 6, 1965

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45  

Ainsi, au travers de ces exemples nous pouvons déduire que les éléments

périphériques à la seule musique dans le concert, qu’ils soient suggérés par la

musique (comme le fait de méditer avec de la musique zen) ou organisés dans le

dispositif (comme le fait de faire une rave party dans un cinéma désaffecté) ont une

importance majeure dans l’expérience musicale.

De même, les évolutions expérientielles ayant émergées avec ces courants

musicaux nous incitent à supposer que notre objet d’étude, le « concert interactif »,

s’inscrit dans leur continuité : recherche d’une place importante donnée au public,

artiste comme centre d’attention moins majeur, « spectacle dans la salle »…

Maintenant que nous avons appréhendé la teneur de la notion d’expérience

dans le concert et les mutations qu’elle a pu connaître au travers de certains

courants, il nous intéresse désormais d’étudier plus volontiers le dispositif du concert

au travers de l’exemple des festivals et la manière dont ils sont orchestrés par « des

ingénieurs de l’enchantement » afin de construire cette expérience.

B. Ingénierie de l’enchantement au concert

Nous voulons ici rendre compte de la notion « d’enchantement » et de ce

qu’elle recouvre au concert. Une étude exhaustive des dispositifs festivaliers nous

permettra de comprendre comment « la prise » des amateurs s’opère. Puis l’arrivée

des écrans comme dispositifs à visée d’enchantement nous intéressera, d’autant

plus que notre objet « concert interactif » se place dans la continuité de ces

dispositifs.

1. Le dispositif festivalier comme art de la prise des amateurs

La thèse de Raphaël Roth, consacrée à l’emblème musicale, aborde la

question de l’expérience musicale dans le contexte du festival de musique. Il étudie

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ce terrain au travers du prisme de « l’utopie », vue à la manière de Thomas More,

soit non pas la vision contemporaine de l’utopie vue comme un fait irréalisable mais

plutôt comme quelque chose qui ouvre vers l’inconnu et l’imaginaire, pour

transformer l’irréel en réel70. À la manière dont le voyait Thomas More au XVIème

siècle, le festival peut être pris comme « un procédé permettant de prendre ses

distances par rapport au présent pour mieux le relativiser et décrire, d’une manière

aussi concrète que possible, ce qu’il pourrait être 71 ». Il aborde la notion

« d’enchantement » explorée par Yves Winkin dans son livre Anthropologie de la

communication qui consacre un passage sur « l’enchantement » dans le contexte

touristique et la manière dont les participants vont adhérer et se laisser porter par ce

qui est mis en place pour entretenir cet effet d’enchantement. « Dans cette

perspective, on peut comprendre comme peut se produire un véritable

“enchantement du monde“ parce que le monde est donné à voir d’un point de vue

touristique72 ». L’auteur veut montrer la manière dont les touristes occultent la réalité

commerciale de leur expérience. « C’est qu’on veut s’y laisser prendre73 », poursuit-

il. « Les rapports entre les “clients“ et les “prestataires de service“ reposent sur un déni permanent de la base économique qui les font : tout se passe comme si ce voyage n’était pas un “produit“ mais une partie de plaisir entre copains – aussi longtemps que tout se passe bien, que le voile ne se déchire pas74. »

Tel que le souligne Raphaël Roth, il semble qu’il s’agisse-là des mêmes

mécanismes dans le contexte festivalier :

« La dimension enchantée se situe dans le travail des “ingénieurs de l’enchantement“ et la disposition des festivaliers à se laisser suspendre à cette incrédulité qui les pousse à y croire. Ambiance, dimension utopique de l’événement propice à l’enchantement sont les conditions de l’expression des festivaliers sur le Festival des Vieilles Charrues autour de

                                                                                                                   70 MORE, Thomas, L’utopie, Flammarion, Paris 1987 71 ROTH Raphael, Bande originale de film, bande originale de vie. Op. Cit. p.274  72 WINKIN Yves, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, Éditions du Seuil, 2001, p.216 73 Ibid, p.217 74 Ibid, p.217-218

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l’expérience musicale […]75. »

Dans Écologie sociale de l’oreille, le chapitre de Sophie Maisonneuve consacré

à l’expérience festivalière décompose précisément le dispositif festivalier et les

ressors actionnés par les organisateurs pour « casser le moule du concert

traditionnel pour renforcer ce caractère exceptionnel du festival76 ». Elle parle ainsi

notamment de l’agencement des espaces comme élément important pour créer une

ambiance « enveloppante » : « de fait, le terme d’ “ambiance“ est omniprésent dans

la bouche des festivaliers, et la spécificité du plaisir qu’ils éprouvent au cours de ce

festival réside largement dans cette qualité77 ».

Pour analyser le festival, elle décline la notion de dispositif en trois dimensions :

dispositifs matériels, dispositifs pratiques et dispositifs discursifs.

Les dispositifs matériels, d’une part, peuvent comprendre les stands, le

programme ou les guides associés au festival. Ils sont des objets médiateurs pour

construire l’univers d’amateur du festivalier. Le stand, par exemple, est un point

d’ancrage dans le festival. Il est l’endroit où l’on flâne entre deux concerts mais aussi

celui où l’on projette l’après festival en achetant les disques des artistes de la

programmation, en saisissant l’opportunité du festival pour exporter les découvertes

que l’on y a faite. Le programme, quant à lui, permet de situer l’expérience en

accompagnant les festivaliers pendant l’événement tout en devenant un souvenir

une fois l’événement terminé.

Les dispositifs pratiques consistent notamment en « la production d’une

« communauté d’attachement 78 » soit la constitution d’une atmosphère de

                                                                                                                   75 ROTH, Raphaël, Bande originale de film, bande originale de vie. Op. Cit. p.275  76 MAISONNEUVE, Sophie, L’expérience festivalière. Dispositif esthétique et art de faire advenir le goût in PECQUEUX Anthony, ROUEFF Olivier, Écologie sociale de l’oreille. Enquête sur l’expérience musicale. Chapitre 2 :. Editions EHESS, Paris, 2009 77 Ibid. p.93  78 Ibid. p.97

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communion et d’une ambiance particulière entre les participants. De même, la mise

en transparence de ce dispositif vis-à-vis de celui du concert (possibilité de parler

aux artistes ou aux techniciens, etc.) installe un « régime de proximité » (Heinich,

1991) renforçant le sentiment d’appartenance à la communauté des festivaliers,

soudée autour de la musique.

Enfin, les dispositifs discursifs comprennent les conférences de tout

type (biographique-monographique, table ronde, etc.) comme objets idéals pour les

amateurs pour construire et partager leurs goûts.

Ainsi, à partir de ces dispositifs délimitant le cadre du festival, les amateurs sont

« pris » dans l’événement - ce que Sophie Maisonneuve appelle l’« art de la prise79 »

- de différentes manières : ils sont « immergés » dans cette expérience intense et

condensée sur plusieurs jours, ils vivent « une occasion » au travers d’un événement

insolite qui leur permettra d’enrichir leur culture et leurs goûts, de faire de nouvelles

rencontres, etc. Ils sont lancés dans « une dynamique » de renouvellement, de

découverte, de surprise, voir d’aventure.

« Or, la découverte transforme, et le festival est un lieu d'active production de ces occasions de transformation : non seulement par la découverte de nouveaux compositeurs ou de nouvelles musiques (le désir d'apprendre et de “mieux connaître“ est très présent dans les entretiens) mais aussi, avec eux, par la découverte de nouvelles ressources esthétiques et de nouveaux points d’appui pour relancer son intérêt ou son amour musical80. »

Ainsi, maintenant que nous appréhendons plus lisiblement la constitution des

dispositifs de concerts et de festivals, il nous intéresse d’aborder les tendances de

ces dispositifs qui conduisent selon nous, aujourd’hui, à l’arrivée des offres de

« concerts interactifs ». Il nous semble que l’apparition - voir l’imposition - des

écrans dans l’enceinte du concert se présente comme des dispositifs matériels

d’enchantement influençant fortement cette intrusion d’une idée de « la sphère                                                                                                                    79 Elle décrit « l’art de la prise » comme « un art de faire advenir l’émotion » et « un art de se laisser émouvoir ». 80 Ibid. p.110

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numérique » dans l’enceinte du concert pour le « transformer » et « l’enrichir ». Nous

voulons donc appréhender ce qu’implique la présence des écrans dans ces espaces

pour mieux cerner notre objet.

2. Écrans et installations d’arts numériques au concert : de l’esthétisation du réel à l’offre servicielle

Selon Gilles Lipovetsky, les écrans sont aujourd’hui omniprésents en tout

contexte. Il propose le concept « d’écranosphère » ou « d’état écranique » pour

illustrer ce phénomène :

« L’écran, en tout lieu et à tout moment, dans les magasins et les aéroports, les restaurants et les bars, dans le métro, les voitures et les avions, l’écrans de toutes les dimensions ; écran plats, plein écran et mini écran mobile ; l’écran sur soi, l’écran avec soi, l’écran à tout faire et à tout voir. Écran vidéo, écran miniature, écrans graphiques, écran nomade, écran tactile : le siècle qui s’annonce est celui de l’écran omniprésent et multiforme, planétaire et multimédiatique.81 »

L’écran a plus que jamais trouvé sa place dans le concert, la musique étant un

média propice à la convergence de part son caractère immatériel. Jacques

Cheyronnaud parle d’un « idéal immatériel » de la musique qui nous semble être le

fruit d’une combinaison aisée avec d’autres médias, comme l’insertion de ces écrans

dans le concert.

« “La musique avec un grand M“ dit-on communément – compromis ou tension entre un idéal d’ “immatérialité“ ([…] exempt de toute loi de la gravité, dégagé de tout paramètre d’encombrement physique), et la corporéité qui la fait émerger en tangibilité […] dans l’univers de la dimensionnalité et de l’orientation, de l’étendue et du mouvement82 ».

L’écran s’impose dans le concert, il s’allie avec différents univers et devient un

argument de vente majeur des sets des musiciens. Dans le cas des musiques

électroniques, il est particulièrement présent ce qui nous amène à soulever un

                                                                                                                   81 LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, L’écran global, Paris, Éditions du Seuil, 2007 82 CHEYRONNAUD, Jacques, Pour une ethnographie de la « forme » musique in PECQUEUX Anthony, ROUEFF Olivier, Écologie sociale de l’oreille. Enquête sur l’expérience musicale. Chapitre 2 : Editions EHESS, Paris, 2009

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caractère paradoxal de ce phénomène, quand l’esprit initial de ce genre esquivait

jadis toute forme de spectacularisation.

L’écran, inséré dans l’espace du concert, a une portée des plus symboliques.

Alors que se déroule une performance sonore, il vient « ouvrir une fenêtre sur le

monde » de part le « cadre » qui le délimite. Tel que le souligne Emmanuel Souchier,

le « cadre » est essentiel dans la manière d’appréhender l’écran. Il propose une

« pensée de l’encadrement » : « s’il n’est pas d’écriture possible à l’écran sans limite,

la pensée de l’écran suppose une pensée de l’encadrement, le cadre jouant un rôle

aussi essentiel que la surface qu’il délimite83 ». Ce cadre délimite un espace de

représentation tout en suggérant le hors champ. En cela, dans le contexte du

concert, les écrans « fixent une représentation esthétisée du monde dans un

contexte donné par l’imposition de leurs technologies, des ergonomies, des

interfaces qu’ils dévoilent ou de l’arborescence de leurs contenus84 ». Dans cette

dynamique « d’enchantement » du concert, l’écran se pose alors comme objet

« d’esthétisation du réel » opérant « une médiation entre l’individu et le contenu,

entre le réel et une certaine forme de fiction85 ».

Les innovations recouvrant de cette « esthétisation du réel » au concert se

déploient pour compter aussi dans le champ des arts plastiques et des arts

numériques. Des installations complexes voient le jour, s’insérant, au même titre que

la musique, dans le spectacle des artistes. Le live ISAM du DJ Amon Tobin compte

parmi les projets repérables, alors même que ce spectacle ne saurait se soustraire

de la structure plastique élaborée spécialement pour la performance. ISAM, titre de

l’album éponyme, sonne comme une marque pour ce live, à se demander si cette

structure, composée d’un assemblage de cubes, porte la musique ou si c’est la

                                                                                                                   83 SOUCHIER, Emmanuël, « Rapports de pouvoirs et poétique de l’écrit à l’écran. A propos des moteurs de recherche sur Internet », Médiations sociales, systèmes d’information et réseaux de communication, Actes du Onzième Congrès national des Sciences de l’information et de la communication, Université de Metz, 3-5 décembre 1998, p.402 84 ROTH, Raphaël, Bande originale de film, bande originale de vie. Op. Cit. p.340 85 Ibid. p.339  

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musique qui porte la structure sur laquelle sont projetées des images ouvrant un

univers opulent et immersif, donnant lieu à de véritables effets spéciaux86.

Figure 2 : Le live ISAM d’Amon Tobin

Figure 3 : la structure du live d’Amon Tobin…en action.

                                                                                                                   86 Voir le site d’Amon Tobin : http://www.amontobin.com/home

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Ce live forme une œuvre complète et qualitative tandis que cette tendance

s’exporte aussi vers de nombreuses couches du domaine de la musique, se

transformant en business pour habiller les lives des plus grandes stars. La société

Moment Factory87, basée à Montréal, a fait de ces installations en concert un objet

de spécialisation et propose des œuvres monumentales pour des artistes à gros

budgets : Myley Cyrus, Arcade Fire, Madonna, Justin Timberlake, Jay-Z… Le

caractère spectaculaire et commercial de ces projets dépasse largement la seule

musique, le concert se vendant au travers de la grande intensité de ces expériences

visuelles. Ces projets riment bien sûr avec d’importants budgets, leur envergure ne

pouvant corréler qu’avec des artistes à fort potentiel commercial. Cette insertion des

arts numériques au concert nous laisse présager d’une volonté d’inviter « l’univers du

numérique » dans cet espace. Moment Factory, outre ces installations

monumentales d’arts numériques a également exploré la question de l’insertion des

médias informatisés au concert, regroupant ces dispositifs sous l’appellation qui nous

intéresse de « concert interactif ».

Figure 4 : l’installation proposée par Moment Factory pour le concert de Miley Cirus

                                                                                                                   87 Voir le site de Moment Factory : http://www.momentfactory.com/fr

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Enfin, ainsi que nous l’avons exploré dans notre première partie, les écrans de

poche ont aussi largement investi l’espace du concert. La portée de ce terrain n’a

pas échappé aux acteurs du spectacle vivant et un très grand nombre de service et

d’applications liées au festival existent aujourd’hui. Il semble que le mobile s’impose

avant tout comme un outil service dans le contexte du concert, contrairement à son

aïeul, le grand écran, plutôt tourné vers l’esthétisation de l’expérience de concert.

Avant le spectacle, certaines applications proposent des services de billetterie en

ligne et de recommandation, pendant le spectacle, les applications accompagnent

l’événement en permettant de gérer simultanément les différents concerts proposés,

de découvrir de nouveaux artistes, de géolocaliser sa position dans le festival et

même d’interagir avec les autres festivaliers. Cet accompagnement du spectateur

avant, pendant et après le concert se pose comme facilitateur de son expérience.

L’application Live Nation, téléchargée plus de 5 millions de fois, proposent par

exemple une importante palette d’outils pour les amateurs de concerts : recherche et

réservation de spectacles, fiches d’information sur les artistes, suggestions de

spectacles, billetterie en ligne, alertes… Des applications sont également tournées

vers les besoins des organisateurs de concert comme l’application Ticketfly qui leur

permet d’avoir accès à des données sur les acheteurs afin d’envoyer des

notifications Facebook à ces clients potentiels. L’application Coachella propose enfin

un accompagnement complet des spectateurs pendant l’événement, en leur

permettant de composer leur programme, d’accéder à une carte de l’événement, de

poster leur contenu sur les réseaux sociaux et de les customiser. En résumé, elle

synthétise les potentialités du smartphone en une interface adaptée à l’expérience

du concert.

On ne saurait, enfin, occulter le succès de Shazam comme application

largement popularisée, trouvant toute sa place dans les DJ sets pour palier à la

frustration des spectateurs lorsque le titre d’un morceau leur échappe.

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Figure 5 : les servies de l’application Live Nation88

Ainsi, comme nous allons le voir, l’offre de « concert interactif » ne désigne pas

vraiment l’utilisation de ces applications servicielles, mais s’inscrit plutôt dans la

continuité de la recherche d’une « esthétisation du réel » au concert, adoptant une

posture « d’enchantement » de l’expérience. Le « concert interactif » poursuit la

quêtes des écrans et des installations d’œuvres d’art numérique comme recherche

d’une insertion de « la sphère numérique » afin d’amener des nouvelles propositions

d’esthétisation et d’enchantement dans l’espace du concert.

Nous voulons maintenant comprendre ce que recouvre cette appellation de

« concert interactif ». Nos recherches nous permettent d’avoir plusieurs intuitions à

propos de la teneur de ces objets. Nous avons d’abord constaté un usage massif des

médias informatisés mobiles au concert, se posant comme une opportunité pour les

acteurs du spectacle vivant. Nous avons aussi vu que la notion « d’expérience » a,

au concert, une place incontournable et qu’elle influence grandement les dispositifs

mis en place dans ces espaces. Nous avons enfin vu que les tendances

                                                                                                                   88’ ITEMS International, Innovations numériques au sein de l’écosystème du spectacle vivant, Etude publiée en janvier 2014, [disponible en ligne : http://www.prodiss-etudes.org/etude_janvier.pdf]  

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expérientielles du concert évoluent vers la conception de dispositifs insérant

« l’univers du numérique » comme procédé d’innovation et de renforcement de

l’expérience. Ces analyses nous permettent de considérer que les objets appelés

« concerts interactifs » se situent à la croisée de ces phénomènes. Il nous intéresse

alors d’explorer avec précision la teneur de ces « objets ».

C. Le « concert interactif » : la promesse d’une expérience de concert enrichie « à l’ère numérique »

Cette partie a enfin pour visée de comprendre ce que recouvre notre objet,

maintenant que nous avons les différentes clés pour saisir « sa raison d’être ».

Pourtant, ce « qu’est » le « concert interactif » ne nous apparaît pas lisible. Nous

voulons donc le déconstruire en différents temps. Dans un premier temps, nous

tenterons de cerner ce que désigne cet objet et le cadre dans lequel il s’insère - du

moins tel que les médias et ses concepteurs essayent de le définir. A travers de cela,

nous essayerons de mesurer en quoi l’expression qui le désigne nous paraît tangible

et ce qu’elle prétend convoquer. Nous verrons ensuite qu’il s’agit là d’une forme de

trivialité du concert, tel que nous l’avons précédemment définit dans notre première

partie. Nous procèderons enfin à l’analyse discursive du communiqué de presse du

Orange Rock Corps dans le cadre du concert de The Ting Ting en 2012. Cette

analyse discursive nous permettra de saisir les promesses faites autour du « concert

interactif ».

1. Les « concerts interactifs » : des objets indéfinis

Nos recherches ont montré que les projets réunis sous le nom de « concerts

interactifs » sont aujourd’hui nombreux et majoritairement basés aux États-Unis. Ils

recouvrent un éventail étendu de dispositifs. Ils peuvent simplement consister en la

création d’un hashtag autour d’un événement et l’incitation au partage de celui-ci sur

les réseaux sociaux via ce hashtag. Généralement, plus le nombre de partages

augmente, plus les « surprises » s’enchaînent dans le spectacle. D’autres projets

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prennent effet en dehors du concert, avant ou pendant celui-ci, laissant la possibilité

de regarder le concert en live via diverses applications ou de créer des avatars qui

sont ensuite sélectionnés et montrés à la vue de tous pendant le concert. Des

réalisations plus poétiques n’utilisent pas les smartphones mais s’alignent toujours

dans l’idée que ce sont les nouvelles technologies qui font l’expérience, trouvant

également l’appellation de « concert interactif ». Ces dernières recouvrent

généralement le domaine du design, dans la continuité d’une recherche

« d’esthétisation du réel », au travers de l’utilisation d’objets lumineux, par exemple,

actionnés par le collectif pour créer un ensemble esthétique et donner un effet de

cohésion.

Nous allons ainsi rendre compte de la variété des projets qui trouvent

l’appellation de « concert interactif ».

Le concert de Skip The Use, organisé en février dernier par les marques HP

et Universal était une forme de « concert interactif » simple : l’utilisation des hashtags

#STUliveHP et #hpconnectedmusic incitait au partage maximum de l’événement sur

les réseaux sociaux par les spectateurs qui aboutissait à chaque étape, calculée à

l’aide d’une jauge de tweets, à l’interprétation d’une chanson supplémentaire du

nouvel album du groupe. D’après le magazine emarketing.fr, « HP et Universal ont

permis aux fans du groupe de prendre le contrôle du concert via les réseaux

sociaux89 ». Cette citation, comme on en trouve bien d’autres dans les blogs et les

médias, nous permet d’évaluer l’ampleur des attentes que ce simple dispositif met en

lumière. L’événement a généré 2 300 tweets pour 100 000 spectateurs online

récoltés, assurément grâce au nombre de partages90.

                                                                                                                   89 FOUCAUD, Xavier, HP organise le concert interactif de Skip The Use, e-marketing [disponible en ligne : http://www.e-marketing.fr/Thematique/Medias-1006/Reseaux-sociaux-10032/Breves/organise-concert-interactif-Skip-The-Use-234083.htm] publié le 27 février 2014, consulté le 15 juin 2014. 90 Nous aborderons dans notre troisième partie les stratégies digitales mises en place par les concepteurs de « concerts interactifs ».

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Le concert d’Arcade Fire, de son côté, s’est associé aux talents du metteur en

scène Chris Milk, davantage spécialisé dans les installations monumentales en art

numérique que nous avons précédemment abordé, pour créer une expérience

d’ordre plus poétique : des LEDs, placées à l’intérieur de ballons géants et

contrôlables à distance par les techniciens sont jetées dans le public, donnant un

effet de masse lumineuse qui varie en fonction du bon vouloir des personnes qui

contrôlent les lumières. Le public peut également emporter la balle chez soit grâce à

laquelle l’expérience peut se prolonger sur internet91. À noter que les projets de ce

type, pourtant toujours présentés comme des concepts uniques en leur genre, sont

en fait assez nombreux : le concert de Cold Play92 qui utilisait des bracelets lumineux

ou les bouteilles lumineuses Heineken Ignite93, imaginées par l’agence de publicité

DDB s’alignent précisément sur la même recherche expérientielle.

Figure 6 : le « concert interactif » d’Arcade Fire

                                                                                                                   91 ARCADE FIRE, Arcade Fire and Chris Milk, Creators Project [disponible en ligne : http://thecreatorsproject.vice.com/chris-milk/arcade-fire-and-chris-milk] pas de date de publication, consulté le 14 juillet 2014 92 MORRIS, Johnatan, Coldplay Xylobands light up Devon company’s profits, [disponible en ligne : http://www.bbc.com/news/uk-england-devon-19322214] publié le 25 aout 2012, consulté le 14 juillet 2014. 93 CRUZ, Xath, Heineken creates smart beer bottle, Creative Guerrilla Marketing [disponible en ligne : http://www.creativeguerrillamarketing.com/guerrilla-marketing/heineken-creates-smart-beer-bottle/] publié le 22 juillet 2013, consulté le 14 juillet 2014  

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La marque Dorito, au travers du hashtag #blodstage, proposait aux

participants de l’expérience de « prendre le contrôle » de tout un ensemble

d’éléments du concert : le choix de la première partie du concert, le choix de la

chanson de rappel, l’intervention sur des effets spéciaux (lumière, fumée, confettis,

ballons…), etc94.

Figure 7 : L’événement Bold Stage SXSW organisé par Dorito

Enfin, l’expression « concert interactif » peut aussi s’appliquer à des

expériences différées. La marque SFR incitait par exemple à « shazamer » le spot

publicitaire de l’artiste Mai Lan ce qui permettait aux utilisateurs d’avoir une

retransmission du concert en direct sur leur mobile95. Il semble que ce soit l’idée d’un

visionnage du concert en dehors des frontières de celui-ci en étendant ainsi son

audience – à l’image des forts imaginaires associés aux premiers directs télévisuels

– combiné au croisement de plusieurs médias à grande portée symbolique – la

                                                                                                                   94 DORITO, La plus interactive des expérience, Brandastic4 [disponible en ligne : http://brandastic4.com/2013/03/27/la-plus-interactive-des-experiences-lors-dun-concert-sxsw/#more-1139] publié le, consulté le 12 juillet 2014  95 SFR, Mai Lan en concert interactif au studio SFR : une première en France, site de SFR Live [disponiblé en ligne : http://sfrlive.sfr.fr/actualites/mai-lan-en-concert-interactif-au-studio-sfr-un-704231] publié le 1er octobre 2012, consulté le 15 avril 2014  

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télévision et le mobile – qui amène à considérer cette expérience comme

« interactive ».

Aux vues des expériences décrites qui présentent un éventail exhaustif des

projets recouverts par l’appellation « concert interactif », il nous semble qu’il s’agisse

à la fois d’une grande variété de proposition et à la fois de points de réunions

éminents entre chacune d’elle. Ce que nous relevons, d’une part, c’est que ces

projets se placent respectivement dans une idéologie de « l’univers du numérique »

en y faisant référence par des éléments variés : l’utilisation du mobile très souvent,

des réseaux sociaux, de LEDs, de jeux de lumière, de prouesses techniques, de

hashtags, de QRs code, etc, le tout résumé dans l’expression « interactif » accolée

au mot concert. D’autre part, le point de réunion remarquable nous paraît être

l’importance accordée au « collectif » et à son action, à ce qu’il va arriver à réaliser

au travers de ces différents médiums, référents de l’univers du numériques. Le

« concert interactif » se résumerait alors plutôt en une idée qu’en une typologie de

projet au concert. Si nous venons en effet de voir qu’il est impossible de définir

clairement la composition d’un « concert interactif », nous pouvons cependant en

résumer l’idée : « le numérique » - une masse indéfinie de choses renvoyant à

« l’univers informatique » - s’insère dans le concert et y apporte de « l’interaction »,

grâce et pour le collectif. Le « concert interactif » se présente donc comme une

idéologie du concert et de ce qu’il pourrait être « à l’ère du numérique ». Cette

formulation semble faire figure d’innovation et de création d’un concept qui viendrait

renouveler le concert, tandis qu’elle ne désigne en fait qu’une idée du concert. Il

nous semble alors que nous pouvons la considérer comme instable.

2. Le « concert interactif » : une formulation instable

Nous pouvons ainsi souligner plusieurs choses de ces observations.

D’une part, il semble ici que le mot « interactif » s’insère dans l’idéologie

contemporaine selon laquelle ce sont les technologies numériques qui apportent de

l’interaction. Ainsi, ce que la formulation « concert interactif » sous entend est que ce

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60  

sont les technologies numériques qui apportent de l’interaction au concert, elle sous

entend de surcroit qu’avant l’intervention de ces technologies numériques, le concert

n’était pas interactif.

D’autre part, l’apparition d’une telle expression nous paraît davantage illustrer

la manifestation d’un fantasme que l’apparition d’un objet définit. Nous venons en

effet de constater que ce que l’on désigne comme « concert interactif » recouvre un

ensemble d’objets éparses mais traduit cependant des attentes lisibles : l’attente de

nouvelles technologies qui transformeraient le concert en le rendant « interactif »,

l’attente d’« interaction » au concert soit d’une communion maximale du collectif,

c’est du moins ce que l’on peut supposer puisque nous venons de voir que ces

éléments constituent des points d’ancrage du « concert interactif ».

En cela, il nous semble qu’il s’agisse là d’une formulation instable pour

plusieurs raisons.

On peut tout d’abord considérer absurde le fait de mentionner comme

particularité d’un concert qu’il soit « interactif » et de prétendre, de plus, que l’on est

à l’origine de la création d’un concept nouveau (ce que l’analyse du discours qui suit

nous laissera considérer). Il nous paraît incontournable de le rappeler : le concert est

un objet éminemment interactif, qu’il s’agisse des innombrables interactions dont il

est question dans le public, avec les agents d’encadrement de l’événement ou même

des interactions entre les artistes et le public qui constituent un phénomène datant

de l’antiquité dans le domaine du spectacle vivant, Friedrich Nietzsche est là pour

nous le rappeler :

« Il faut se souvenir toujours que le public de la tragédie attique se retrouvait dans le chœur évoluant à l’orchestre et qu’il n’y avait pas de différence foncière entre le public et le chœur96. »

                                                                                                                   96  NIETZSCHE F., La naissance de la tragédie, Gallimard, 1949, p. 59  

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61  

Alors, on suppose que cette quête d’interaction se pose en opposition à

l’habitus du spectacle vivant tel qu’il est normé aujourd’hui, laissant, il est vrai, dans

un grand nombre de dispositif, une séparation nette entre les artistes et le public.

Mais ce mur invisible n’a de cesse d’être brisé : les applaudissements au rythme de

la musique pour accompagner les musiciens, les slams des artistes, les paroles de

chanson à répéter et à chanter en chœur, les personnes du public qui vont sur scène

pour danser ou pour échanger davantage encore avec l’artiste…

« À la naissance de la tragédie, la différence entre acteurs et spectateurs n’a encore aucun sens. […] Le théâtre grec est conçu à l’origine comme un espace d’interaction. Il n’y a pas encore de rampe pour matérialiser la division entre le public et la scène. Le terme même de public, en tant qu’il évoque actuellement pour nous une masse de spectateurs, prête à confusion et frôle l’anachronisme97. »

Il nous semble qu’aujourd’hui, nous ne soyons toujours pas si loin de l’époque

de la tragédie à laquelle Isabelle Rieusset-Lemarié fait référence et que l’interaction

ne manque pas au concert, bien au contraire, elle apparaît comme un pilier

structurant de cet objet – nos précédentes parties en témoignent aisément. Nous

pouvons même nous avancer en disant que le spectateur se rend au concert pour

trouver cette interaction particulière et intense.

Alors, pourquoi l’arrivée des médias informatisés au concert nous donne ainsi

l’illusion qu’ils y apportent de l’interactivité ? Yves Jeanneret, dans Y a-t-il vraiment

des technologie de l’information et de la communication, rappelle qu’il s’agit là d’une

confusion entre le machinique et l’humaine :

« Avec cette thématique [de l’interactivité], qui attribue à la machine la capacité d’agir comme nous, c’est à la confusion du machinique et de l’humain que nous sommes confrontés […]. On peut entendre, en effet, la notion d’interactivité de deux façons principales : ou bien on prétend que la machine agit, et qu’une interaction s’établit entre elle et son utilisateur, ou bien on fait référence à l’interaction qui unit, de façon différée,

                                                                                                                   97 RIEUSSET-LEMARIÉ, Isabelle, Esthétique de l’interactivité, (approche historique), Séminaire Écrit, Image et Nouvelles technologies, 1994-1995, p.2  

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62  

le concepteur d’un document informatisé avec son utilisateur. Aucune de ces deux définitions n’est acceptable : la première pèche par excès, et la seconde par défaut.98 » Si Goffman avait une vision rigide, considérant que l’interaction impliquait

nécessairement la présence physique immédiate des interlocuteurs, Yves Jeanneret

souligne que la notion d’interaction se justifie si l’on désigne le lien qui lie le

concepteur et l’utilisateur d’un document informatisé. Mais ce qui est frappant dans la

construction de ce concept de « concert interactif », c’est qu’il semble que l’on offre

une vision allant à contre-courant de la définition de Goffman : alors que le concert

est déjà un espace très riche en interactions de part la coprésence de multiples

participants, on prétend que c’est en fait grâce aux médias informatisés que l’on y

trouvera de l’interaction.

On se demande alors où vient se nicher cette notion d’interactivité. Catherine

Gréneau dans son texte « L’interactivité : une définition introuvable 99» rappelle qu’il

s’agit-là d’une notion ayant émergé dans les années 1980 pour promouvoir les

nouveaux réseaux de télécommunication aux usagers. Cette notion fait alors figure

de « référent imaginaire global100 » et occupe la scène des discours promotionnels

en finissant par « représenter un argument déterminant en faveur des “nouvelles

technologies“, tout en maintenant une certaine ambiguïté autour de sa définition101 ».

Serge Proulx et Michel Sénécal soulignent aussi l’ambiguïté autour de ce terme :

« Dans le langage courant, l'adjectif interactif peut qualifier indistinctement aussi bien un dispositif relevant d'une problématique de l'interactivité technique qu'un aspect d'une interaction sociale entre individus engagés dans une conversation. Cette polysémie indique déjà un premier niveau de difficulté du travail de clarification conceptuelle.102

                                                                                                                   98 JEANNERET, Yves, Y a-t-il vraiment des technologies de l’information et de la communication, Septentrion, Lille, 2007, p 166, 168 99 GRENEAU, Catherine, L’interactivité, une définition introuvable, Communication et langage N°145, 2005, p123-125 100 Idem. 101 Idem.  102 PROULX, Serge et SÉNÉCAL, Michel, L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et démocratie ?, Technologie de l’information et société (TIS), vol. 7, n°2, 1995

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63  

Yves Jeanneret nous met aussi sur une piste intéressante pour étudier notre

objet, en abordant la notion d’interactivité comme « révélatrice d'une sorte de

politique spontanée de la culture, qui s'inscrit bien dans les nombreuses études

menées sur la création de dispositif interactif et les attentes des publics à leur

égard103 ». Ainsi, cette notion se serait frayé un chemin dans le langage courant pour

donner de l’importance à « l’activité du “récepteur“ et de la place que les objets font à

cette activité104 ». Il ajoute :

« Il ne serait pas absurde de supposer ici quelque chose comme un déplacement ou une projection sur le média du désir des sujets “ordinaires“ d’être acteurs de la culture, tout en restant un public – ou encore du désir des médiateurs culturels que ce désir existe dans le public…105 »

Il semble alors que la raison d’être de notre objet s’inscrivent précisément

dans ces lignées : à la fois, le mot « interactif » est ici posé en argument de vente

faisant la promotion du concert comme objet « renouvelé » avec les « nouvelles

technologies », à la fois il s’inscrit dans ce désir des sujets d’être « acteurs de la

culture ». Comme nous l’avons pressenti, cette dernière dimension est en effet

omniprésente dans tous les objets étudiés : si leurs formes sont assez variables, il y

réside en revanche toujours l’idée d’une place du public grandissante puisque le

concert serait devenu « interactif ». Ce public pourrait alors, d’une quelconque

manière, davantage participer, s’engager, échanger et prendre part au processus

créatif, le tout au travers d’objets recouvrant des « nouvelles technologies ». Ces

objets – qu’il s’agisse du smartphone ou de gadgets lumineux de diverses natures –

sont alors appréhendés comme des outils par lesquels transite un sentiment fort de

co-construction ou de participation à un ensemble qui dépasse l’individu. Si,

paradoxalement, comme nous l’avons vu dans notre première partie, les

smartphones sont des objets individualisés voir isolant, ils n’empêchent pas d’éveiller

                                                                                                                   103  JEANNERET, Yves, Y a-t-il vraiment des technologies de l’information et de la communication, Op. Cit. p.168  104  Idem.    105  Idem.  

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64  

des imaginaires d’expériences ressoudant la communauté dans des contextes on ne

peut plus collectif que le concert. Nous vacillons ici dans ce que soulèvent Yves

Jeanneret dans Y a-t-il vraiment des technologies de l’information et de la

communication106 : l’apparition de nouveaux médias donne lieu à la fois à un fort

scepticisme voir à de la « technophobie » (idée des médias qui isolent, etc.) à la fois

à des discours prophétiques qui vont dans le sens des textes médiatiques autour de

notre objet d’étude, en déléguant aux médias informatisés l’interactivité présente

dans les concerts. Ce sentiment, il nous semble, vient peut-être des sociabilités

particulières qui se développent dans l’espace des médias informatisés, que l’on

aurait pour fantasme de voir fusionner avec les sociabilités du concert ? Il s’opère ici

un jeu entre « la scène informatique » et « la scène du concert » puisque, d’un côté,

l’espace des médias informatisés est propice aux expressions exubérantes des

sujets et que de l’autre, le public cherche à avoir une place plus visible dans un

dispositif de spectacle vivant :

« Dans la scène informatique, tout est exhibé, médiatisé, spectacularisé. Le secret et l'intime ont été repoussés vers la machine ; à l'heure de la ”transparence”, l'individu social — et a fortiori l'individu d'entreprise - n'a ni secret ni intimité, il doit être transparent.107 »

Cette idée se pose en tout cas dans la continuité du désir des sujets de devenir

« acteurs de la culture ».

La formulation de « concert interactif » apparaît donc comme une figure

instable, s’imposant, de fait, comme un pléonasme puisqu’il y a toujours de

l’interaction au concert. Elle fait pourtant directement référence à l’univers des

médias informatisés, étant donnée la prégnance de ces référents dans le mot

« interactif » que nous venons de développer. Au delà de cela, il nous semble alors

que l’apparition de ces dispositifs, quelque soit leur forme, nous permette de

considérer le concert comme un objet tendant à se renouveler. En cela, il nous

                                                                                                                   106 Ibid.  107SOUCHIER, Emmanuel, « L’écrit d’écran, pratiques d’écritures & informatique », Art. Cit.  

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65  

semble qu’il soit à nouveau question d’évoquer la notion de trivialité décrite par Yves

Jeanneret.

3. De la trivialité des « concerts interactifs »

L’ensemble de nos dernières observations nous permet d’observer des

transformations de l’objet concert, de la rave party (et aux formes de concerts bien

antérieures) à l’arrivée des « concert interactif » que nous étudions. Ainsi, la

redéfinition de l’organisation des espaces avec l’arrivée des « musiques faites à la

machine », l’esthétisation de ces espaces avec les écrans et installations d’art

numérique et enfin l’arrivée du mobile dans le concert et l’apparition des formes

variées de « concerts interactifs » nous permettent de considérer qu’il s’agit là d’un

être culturel qui circule dans le social et se transforme. Nous voulons ainsi à nouveau

souligner ce qu’Yves Jeanneret entend par trivialité :

« Les hommes créent, pérennisent et partagent les êtres culturels, qu’ils élaborent en travaillant les formes que ces derniers peuvent prendre et en définissant la façon dont ces formes font sens : il en est ainsi de nos savoir, de nos valeurs morales, de nos catégories politiques, de nos expériences esthétiques. C’est cette idée que je résume par la notion de trivialité […]108 »

Le « concert interactif » peut donc être considéré comme trivial au sens où il est

la manifestation des transformations et des circulations de l’objet concert. Comme le

souligne Yves Jeanneret, « tout se transforme, parce que la culture est faite de la

reprise et de la reconstruction constante des objets et de leurs formes109 ». Le

« concert interactif » est le résultat des manipulations de l’objet concert par les

hommes, il est une « reprise » et une tentative éminente de reconstruction du

concert et de ses formes. Aussi, la notion d’interactivité dont nous venons de détailler

les transformations sémantiques peut être considérée à son tour comme triviale

puisque, comme le dit Catherine Gréneau, « la notion d’interactivité se construit en

                                                                                                                   108  JEANNERET, Yves, Penser la trivialité, volume 1 la vie triviale des êtres culturels, Hermes Science Publications, Coll. « Communication, médiation, construits sociaux », 2008, p.13 109  Ibid. p.17

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66  

grande partie par le discours110 » et que la circulation de cette notion au travers de

ces discours a concouru à la transformer.

4. Une promesse d’expérience de concert enrichie : analyse discursive du communiqué de presse d’Orange RockCorps pour l’organisation du « concert interactif » de The Ting Ting en avril 2012

Orange RockCorps est le partenariat entre l’entreprise de télécommunication

Orange et la société RockCorps qui crée depuis 2005 des expériences de bénévolat

à destination des jeunes en échange d’une place de concert. Le 25 avril 2012, les

partenaires organisaient le concert de The Ting Ting d’une durée de 30 minutes

Place du Palais-Royal à Paris où le public spontanément présent était invité à

partager leurs captations de l’événement sur les réseaux sociaux. Plus le nombre de

captations et de partage augmentait, plus le spectacle était riche en surprises. Cet

événement était une opération à visée communicationnelle, préliminaire aux concerts

de Orange RockCorps organisés à Paris et à Marseille au mois de Mai et d’Août

2012. L’objectif de ces partages était de favoriser le bouche à oreille autour des

événements qui suivaient sur les réseaux sociaux.

Le document que nous avons sélectionné est le communiqué de presse de

l’événement diffusé le 17 avril 2012, une semaine avant l’événement111. Il a été émis

par le service de presse représenté par Charlotte Robic, Héloïse Rothenbülher et

Flavie Bitan, en signature du document. Ce communiqué de presse, comme son

nom l’indique, s’adresse à des journalistes dont on suppose que la diffusion est

étendue même si l’on pense qu’il a été en premier lieu destiné aux médias

spécialisés dans la musique, le digital et les loisirs de la ville de Paris. Ainsi, il nous

semble que le contrat de lecture s’axe sur la capacité du communiqué de presse à

susciter la curiosité des journalistes vis-à-vis de cet événement de « concert

interactif » pour favoriser l’engouement sur les manifestations à venir.

                                                                                                                   110  GRENEAU, Catherine, L’interactivité, une définition introuvable, Op. Cit., p.124  111 Voir annexe 2 : communiqué de presse du Orange Rock Corps

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67  

La structure du document est la suivante :

Le logo de Orange RockCorps placé en haut à gauche, le titre du document

« Orange RockCorps crée le premier concert interactif avec The Ting Tings : live et

digital le 25 avril prochain », le chapeau puis la séparation en 2 parties : « Un concert

interactif avec The Ting Tings », « Une vidéo artistique relayée sur les réseaux

sociaux pour recruter des volontaires » suivit d’un encadré gris traitant de la stratégie

digitale d’Orange. Une dernière partie « A propos » consacre un paragraphe

d’information sur chaque entité, Orange RockCorps, RockCorps et Orange

accompagné de leur logo. Le document se termine par la mention des trois contacts

presse que nous avons précédemment cité.

Notre analyse du discours de ce document se divisera en trois axes. Dans un

premier temps, nous verrons qu’Orange RockCorps tente de se positionner comme

un agent d’innovation, dans un second temps, nous verrons qu’il se positionne

également comme agent d’accompagnement et dans un dernier temps, nous verrons

que ce document formule une promesse expérientielle tout en tentant de dissimuler

la stratégie digitale de l’opération qui est décrite.

a. Orange RockCorps comme agent d’innovation : la création du « premier concert interactif »

Dès le titre du document, Orange RockCorps marque une position de créateur

d’innovation en soulignant l’organisation du « premier concert interactif ». La société

« innove » en réalisant une « nouvelle expérience » où « le public prend le

contrôle ». Pour porter le discours, la parole est donnée à différentes instances

d’énonciation : le groupe de musique The Ting Ting, la directrice de la

communication d’Orange France et le CEO de RockCorps. Ces instances

d’énonciation viennent légitimer le projet en incarnant leur rôle vis-à-vis de celui-ci.

La directrice de communication et le CEO sont là pour souligner leur posture de

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68  

dirigeants aux commandes des opérations et d’une stratégie bien ficelée. The Ting

Ting prend la parole comme complice de l’opération prêt à relever le défi.

Ainsi, la prise de parole du groupe The Ting Ting, incarnés par « Jules &

Katie », est présentée sous l’angle de l’opportunité et du défi. La citation débute par

« Lorsqu’Orange RockCorps nous a parlé de cet événement » mettant en lumière

une réflexion stratégique antérieur poussée de la part d’Orange avant d’engager le

projet avec The Ting Ting. Le groupe adopte une posture « d’élu », laissant

transparaître une certaine excitation et beaucoup d’enthousiaste à l’idée de participer

au projet. Tout est là pour donner au projet sa légitimité : on le présente d’une part

comme un « défi » et « une nouvelle expérience » afin de communiquer avec

honnêteté l’aspect « expérimental » de cette idée. Orange est en effet en train de

tester sa stratégie et assure quelque part ses arrières en diffusant une impression

d’acteurs confiants vis-à-vis du projet, qui sont là pour réaliser « un défi » tous

ensembles, un peu comme un exploit sportif qui peut réussir ou échouer. D’autre

part, on met tout de même en avant les bénéfices de ce projet : un public qui « prend

le contrôle ». Le groupe est là pour légitimer cette idée : le fait de déléguer son set

au public et aux médias informatisés pour chasser tout scepticisme. On diffuse de

plus cette imaginaire séduisant voir fantasmagorique d’une situation de concert

inversée : le public qui prend le contrôle que les musiciens auraient alors délégué en

toute sérénité ; c’est ce qui transparait dans cette citation.

La citation d’Odile Roujol la directrice de communication d’Orange met en

avant la co-construction du projet avec le groupe de musique. Elle s’inscrit

pleinement dans l’isotopie des imaginaires propre à l’univers des nouvelles

technologies : la création d’un événement « participatif » et « interactif », le partage

de l’instant « en réel sur le digital ». La citation de Stephan Greene, CEO de

RockCorps dans la continuité de la citation précédente recouvre une forte isotopie

liée à l’imaginaire des nouvelles technologies : « un dispositif aussi innovant et

interactif ». Cette citation vient aussi légitimer l’expérience en soulignant le succès

des éditions précédentes : « nous souhaitons que beaucoup de jeunes cette année

encore participent à Orange RockCorps ».

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69  

Enfin, l’encadré gris en bas traite de la stratégie digitale d’Orange et de son

envergure sur les réseaux sociaux. Cet encadré est un espace de légitimation

supplémentaire pour soutenir le projet. Il est là pour dire qu’Orange maîtrise très bien

ces outils et que, d’une certaine manière, en proposant un tel dispositif, l’entreprise

sait ce qu’elle fait puisqu’elle a une grande communauté sur le web et de bons

résultats : « + de 20 millions de vues sur ses chaînes Youtube et Dailymotion ».

Orange marque sa position de « grand » du digital pour rappeler sa place d’institution

sur laquelle on peut compter.

Au travers de ces interventions, la visée de ce document est donc de légitimer

le concept proposé par Orange RockCorps en mettant en lumière l’enthousiasme de

tous les partis représentés par les postes à responsabilité des entreprises

respectives. Orange RockCorps jongle sur un discours à cheval entre

l’expérimentation et l’esprit d’innovation de l’entreprise, à appréhender comme

quelque chose de positif et d’entreprenant. L’innovation est incarnée par une isotopie

très marquée des concepts gravitant autour de l’imaginaire du numérique et de ses

bénéfices pour la communauté.

Il semble en tout cas que les « concerts interactifs » désignent davantage une

« idée » qu’un objet réellement définit. En effet, ils s’insèrent dans une offre de

marketing expérientiel112 et trouvent de ce fait leur essence dans ce qu’ils pourront

proposer de plus singulier au public. L’intérêt est donc de proposer un dispositif

chaque fois innovant – en apparence du moins – plutôt que de figer un objet

applicable à chaque concert car l’argument de vente réside justement dans l’aspect

« unique » de l’expérience proposée.

                                                                                                                   112 Ce que nous détaillerons dans notre troisième partie.

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70  

b. Orange RockCorps comme agent d’accompagnement : « sensibiliser les jeunes »

Le discours de l’ensemble du document est aussi tourné vers des valeurs

d’engagement et de responsabilisation, comme nous avons pu le voir. Cela a pour

but de porter le projet global du Orange RockCorps : valoriser les actions de

bénévolats pour gagner une place de concert. L’échange de bon procédé est mis en

avant, au travers de ce slogan fort : « Tu donnes, tu reçois ». Ce dernier est d’ailleurs

un peu ambigu. Alors qu’il est tourné vers un état d’esprit associatif avec l’idée de

« donner » et de « recevoir », la phrase s’éloigne pourtant de cet esprit en soulignant

plus une idée de « donner pour recevoir » que de « donner tout simplement » ce que

l’on imaginerait pas dans le cas d’une véritable association ou d’une ONG comme le

Secours Populaire ou Médecins du Monde. Le slogan joue sur les deux tableaux : il

instaure une logique d’intéressées puisque l’opération est intéressée de même que

le partenariat entre Orange et RockCorps est intéressé – cela certainement dans une

logique de transparence vis-à-vis de l’ethos d’Orange. Pourtant, il s’installe dans un

vocabulaire associatif, dissimulant à moitié cette logique intéressée, Orange n’étant

pas une association mais cherchant, dans ce contexte, à faire passer des valeurs

associatives. Le ton du slogan, en utilisant le « tu » et cette formulation un peu

ferme, est directement catapulté en direction des jeunes comme manière simple et

efficace de leur faire passer le message sans trop poser de questions. Le ton

général du document repose sur ces valeurs d’engagement et cette idée

d’expérimenter « tous ensemble » cette nouvelle expérience.

Orange RockCorps met en lumière ses valeurs de porteur d’engagement dès le

paragraphe introductif : « sensibiliser les jeunes au volontariat et les encourager en

leur donnant les moyens de s’impliquer auprès d’associations ». La mise en avant

des valeurs sociales est dès lors très marquée : on parle de « volontariat »,

d’« association », de « sensibiliser », d’« encourager », de « donner les moyens de

s’impliquer »… Cette phrase pose les bases des bonnes intentions des

organisateurs qui se présentent comme une structure qui veut le bien des autres et

qui les aide - et pas n’importe quels autres, « les jeunes » qui font un peu figure de

boucs émissaires dans le contexte sociétal actuel.

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71  

La citation d’Odile Poujol engage la responsabilisation des participants en citant

le fameux slogan du Orange RockCorps « Tu donnes, tu reçois » et en parlant d’un

« show live [qui] va se dérouler avec l’aide et l’implication du public présent ». La

citation de Stephen Greene vient relayer ces propos en mettant en avant cette

responsabilisation et la participation du public, arborant un vocabulaire quasiment

associatif : « cet événement montre de manière spectaculaire qu’en témoignant tous

ensemble, on peut rendre une expérience plus riche et plus forte », on parle aussi de

« valeurs d’engagement et de partage ».

L’encadré gris relai un peu ces propos en recontextualisant dans sa phrase

introductive, la position d’Orange dans ce projet : une entreprise qui met le client au

cœur de sa stratégie pour lui proposer ce qu’il aime comme la musique ou le sport.

Orange fait toujours figure d’entité qui agit dans l’intérêt des autres, dissimulant ici

ses propres intérêts. Ainsi, le public qui partagera l’expérience n’est à l’évidence pas

du tout présenté comme un canal stratégique qui servira à la communication

d’Orange RockCorps mais plutôt comme une entité à responsabiliser et à sensibiliser

pour qu’elle accomplisse une bonne action, pour qu’elle soutienne Orange

RockCorps dans sa démarche de créer des événements basés sur le bénévolat.

Les passages « A propos » du document viennent légitimer l’ensemble des

énonciateurs du communiqué de presse en mettant en avant l’envergure et le savoir

faire de chaque entité – Orange RockCorps, Orange et RockCorps. Ils sont aussi

pour rappeler qui parle afin de faire preuve de la plus grande clarté. Les contacts

presse sont aussi là pour humaniser cette énonciation et montrer que des

interlocuteurs joignables facilement sont à la disposition des journalistes ce qui est

essentiel dans un travail de relation presse.

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72  

c. « + de share + de show » ou l’orchestration d’une stratégie digitale déguisée en promesse expérientielle

Ainsi, il semble que ce document puisse se lire en plusieurs couches. En

premier lieu, il est question d’un événement innovant : « un concert interactif ». Nous

avons des informations sur le jour, l’heure, le groupe de musique qui est à l’honneur

et le concept expliqué recouvre d’une fusion entre le concert et le digital. Cette

première couche est la formulation d’une promesse : la promesse de vivre « le

premier concert interactif », soit une expérience innovante et expérimentale qui

propose l’idée séduisante d’un concert qui utilise les outils digitaux pour devenir

« interactif ». Orange RockCorps promet donc une expérience de concert enrichie

grâce au médias informatisés tout en communicant des valeurs d’engagements de la

communauté dans l’expérience, afin d’adhérer à l’esprit du mouvement. Cette

première couche met bien en lumière nos appréhensions concernant les

redondances autour de l’idée du « concert interactif » : d’un côté, le mot « interactif »

qui recouvre l’idée que les outils numériques viennent enrichir le concert et de l’autre,

l’importance donnée au collectif qui vivra quelque chose de plus « interactif » grâce

au numérique.

En second lieu, on constate qu’il s’agit là d’une opération de communication

événementielle visant à promouvoir les concerts à venir de Orange RockCorps par la

réalisation d’un clip qui sera relayé sur les réseaux sociaux. Il est ainsi question de la

légitimation de la stratégie digitale d’Orange (encadré gris) tout dissimulant cet

objectif intéressé par de bonnes intentions : « recruter des volontaires » tel que c’est

écrit dans le deuxième sous-titre. On peut alors dire que si l’on reste transparent sur

les objectifs stratégiques de l’opération, on essaye au maximum de camoufler la

logique intéressée sur laquelle elle repose derrière un appel à la bonne action.

En troisième lieu, on déduit alors que le « concert interactif » n’est qu’un

prétexte sur lequel repose cette stratégie digitale : « + de share, + de show » tel que

le clame le slogan de l’opération, s’alignant lisiblement avec la cadence du slogan de

Orange RockCorps « Tu donnes, tu reçois », persistant dans cette logique intéressée

mais alléchante.

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73  

Ainsi, le partage de l’événement sur les réseaux sociaux fait l’objet d’une

stratégie digitale déguisée tantôt en concept expérientiel « novateur », tantôt en

bonne action aux logiques bénévoles et associatives. Or, le but de ces partages n’est

que sous-entendu bien qu’évident : créer un bouche à oreille sur la toile afin de faire

connaître les événements à venir de Orange RockCorps.

On peut dire que la stratégie d’Orange RockCorps valse entre une certaine

finesse et une extrême lourdeur. Elle peut paraître assez fine, en effet, du fait de cet

habile déguisement : alors que cette stratégie est avant tout là pour servir les intérêts

communicationnels des opérations d’Orange RockCorps, elle arrive pourtant à se

nicher dans un concept prétendument novateur et, comme nous l’avons vu, plutôt

séduisant : « le concert interactif ». Au lieu de servir les intérêts des partenaires, on a

alors le sentiment, en surface, que l’on va vivre une expérience nouvelle. Mais cette

stratégie peut vite glisser vers une extrême lourdeur car les individus ne sont pas

dupes, ce que nous montre notamment notre questionnaire, et sentirons assurément

la logique de marque d’Orange qui se cache derrière cette opération. Les signes que

nous avons soulevé dans ce communiqué de presse ne passent pas inaperçus et la

logique intéressée se fait sentir, tout comme les démarches tournées vers le

« social » et l’« expérientiel » pourront laisser dubitatif.

Au final le résultat de l’opération n’est pas mauvais, l’événement ayant été

partagé 2276 fois113. Cependant, le projet n’a apparemment pas plus pris que cela.

En effet, la tentative de créer un buzz avec la fameuse vidéo teaser réalisée semble

avoir échouée puisqu’un article du blog d’Orange RockCorps incite à atteindre les

1.000.000 de vues mais la vidéo intégrée dans l’article a été supprimée, ce qui laisse

supposer que l’objectif n’a pas été atteint114. Heureusement, un utilisateur privé a

                                                                                                                   113 ORANGE ROCKCORPS, Du partage et du show avec vous et the ting tings !,Blog de Orange RockCorps [disponible en ligne : http://www.orangerockcorps.fr/blog/2012-04-26/du-partage-et-du-show-avec-vous-et-ting-tings] publié le 26 avril 2012, consulté le 5 août 2014  114 ORANGE ROCKCORPS, Du share et du show, avec the ting tings, en vidéo ! , Blog du Orange RockCorps [disponible en ligne : http://www.orangerockcorps.fr/blog/2012-05-24/du-share-et-du-show-avec-ting-tings-en-vid%C3%A9o] publié le 24 mai 2012, consulté le 5 août 2014

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74  

sauvegardé le clip sur son compte Youtube pour nous laisser appréhender la

stratégie dans ses moindres détails115.

Ainsi au travers de notre deuxième partie, nous avons vu d’une part, ce qui fait

que le concert est un objet expérientiel et que cette expérience suscite des attentes

de la part des publics. Nous avons ensuite étudié le dispositif du concert pour

appréhender l’instrumentation de cette expérience. Enfin, nous avons étudié la

teneur de l’offre de « concert interactif » comme renouvellement de l’expérience de

concert. Notre troisième et dernière partie s’attachera à traiter des ressorts

marketings et communicationnels sur lesquels repose cette offre expérientielle de

« concert interactif ».

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               115 ORANGE ROCKCORPS, vidéo promotionnelle [disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=6T61gXLNVfg] publié le 8 août 2012

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75  

III. Le « concert interactif » : une conquête de territoires promotionnels pour le spectacle vivant

Dans cette troisième partie, nous voulons saisir les soubassements marketing et

communicationnels des offres de « concert interactif ». Il nous semble que, derrière

ces réalisations, résident des stratégies de la part de divers protagonistes dont nous

comptons principalement les marques, comme grands acteurs munis des ressources

nécessaires pour mener à bien ces stratégies. Nous nous intéresserons donc

d’abord au marketing expérientiel comme discipline sur laquelle repose les offres de

« concerts interactifs ». Nous ciblerons ensuite notre analyse sur la communication,

du phénomène de « dépublicitarisation116 » des marques, telle que le définit Caroline

de Montety, aux stratégies digitales qui s’opèrent. Enfin, nous voulons questionner la

pertinence de ces dispositifs dans la mesure ou nous les appréhendons pleinement à

présent. Nous voulons aussi souligner qu’il s’agit là, dans une certaine mesure, d’un

terrain pour les acteurs plus modestes de la musique comme les artistes en

autogestion.

                                                                                                                   116  MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée, ESKA | Communication & management, 2013/2 - Vol. 10  

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76  

A. Des opérations de marketing expérientiel

Le Secrétariat Général des Affaires Européennes publiait un texte en décembre

2013 suite à la consultation publique de la Commission Européenne au sujet de

« l’économie d’expérience » comme industrie émergente, incitant les entreprises à

« s’appuyer sur des compétences dans les domaines de la culture et de la création,

dans la mesure où les gains de productivité obtenus durant la phase de production

ne parviennent plus à maintenir un avantage concurrentiel117 ». Elle incite de ce fait à

« faire évoluer les secteurs d’activité traditionnellement pourvoyeurs d’expérience

réelle118 » tel que les secteurs de la restauration, du luxe, ou de la culture et à

« accompagner le développement de l’interaction entre expérience virtuelle et

expérience réelle, à travers les TIC119 ». Le numérique se pose ici comme levier de

croissance économique et comme opportunité pour développer ce secteur :

« L'économie de l'expérience trouve une traduction dans l’industrie des services et des contenus numériques, notamment par l'ajout d'une dimension sociale et participative (c’est-à-dire interactive) aux médias traditionnels, l'introduction de la notion de trace et d'historique personnel, la contextualisation de l’expérience (position géographique ou profil de l’utilisateur) et un renouveau des interfaces homme-machines et des mécanismes de distribution.120 »

Ce texte de la commission européenne nous permet de mesurer une fois

encore les attentes projetées sur l’essor du numérique mais aussi de voir comment

la tentation de fusionner ce secteur avec celui de la culture s’inscrit dans cette

recherche de génération d’expérience dont découle, ici, la mise en œuvre d’une

                                                                                                                   117 Consultation publique de la Commission européenne sur l’ « économie de l’expérience » comme industrie émergente, 2013 118 Ibid. p.2 119 Ibid. p.3  120 Idem

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77  

économie d’expérience. Elle est définit comme suit dans ce texte, d’après une

définition originale de Joseph Pine et James Gilmore :

« L’économie de l’expérience121 y est décrite comme la prochaine étape après l’économie agraire, l’économie industrielle et celle des services. Elle se caractérise par le fait que les clients payent une expérience, un évènement mémorable, de manière autonome ou associée, et non plus seulement un produit ou un service. Par ce biais, les entreprises peuvent se différencier des marques ou produits concurrents.122 »

Il nous semble que le « concert interactif » soit une offre inscrite dans cette

démarche de recherche d’une économie d’expérience, fusionnant le spectacle vivant

avec le numérique et l’intervention des marques à des fins de dynamisation de ces

secteurs respectifs. Le marketing expérientiel se pose comme discipline de

fabrication d’offres expérientielles adaptées aux envies des consommateurs, telles

que le « concert interactif ». Plus que de consommer le produit, c’est la

consommation du « sens » du produit qui est sollicitée.

« Les tenants du marketing expérientiel ont conclu à la nécessité, pour de nombreux consommateurs, de vivre des expériences intenses et positives cristallisant la conscience de soi, donnant un sens et une perspective à la vie, conférant une conscience de sa propre mortalité, réduisant l’anxiété et améliorant la capacité à affronter la peur (Schmitt, 1999)123. » Dans le texte de Antonella Carù et Bernard Cova Expérience de

consommation et marketing expérientiel, quatre phases de l’expérience de

consommation sont établies : l’anticipation, l’achat, l’expérience « proprement dite »

(sensation, satisfaction…) et le souvenir. Ce texte aborde plusieurs aspects du

marketing expérientiel que semble recouvrir le « concert interactif ». D’une part il est

question de la notion de « simulation » proposée par Baudrillard :

                                                                                                                   121 Dans le livre de J. PINE et J. GILMORE : PINE Joseph & GILMORE James, The Experience of Economie : Wok is Theater and every business is a stage, Op. Cit. 122  Consultation publique de la Commission européenne sur l’ « économie de l’expérience » comme industrie émergente, Art. Cit.  123  CARÙ, Antonella et COVA, Bernard, Expérience de consommation et marketing expérientiel, Lavoisier | Revue française de gestion n° 162, 2006  

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78  

« Comme le souligne Baudrillard (1992, p. 30) : “La simulation, c’est ce déroulement irrésistible, cet enchaînement des choses comme si elles avaient un sens, alors qu’elles ne sont régies que par le montage artificiel et le non-sens“. La mise aux enchères de l’événement 124».

Le « concert interactif » semble également s’inscrire dans des processus

d’hyperéalité comme phénomène qui favoriserait, du côté des consommateurs, les

expériences extravagantes, spectaculaires et simulées plutôt que les expériences

plus ancrée dans des réalités brutes, comme une ballade dans un parc naturel. Dans

une conférence TED, Joseph Pine souligne cependant que les espaces naturels

préservés tels que ceux de la Hollande, s’inscrivent au même titre que les

expériences extravagantes comme Disneyland, dans la recherche d’une offre

expérientielle, bien qu’elle soit différente125. De même, cela rejoint le passage sur le

tourisme dans Anthropologie de la communication d’Yves Winkin que nous avons

précédemment cité où les individus se fabriquent leur enchantement.

Le texte de Carù et Cova souligne que cette recherche d’extraordinaire s’inscrit

dans « un devoir de bonheur » contemporain, une peur de l’ennuie et une

assignation à l’euphorie. Il reprenne l’idée de Pascal Bruckner dans son livre

L’euphorie perpétuelle selon laquelle le « temps contemplatif » serait amené à

disparaître. Ainsi que le dit Bruckner : « Il faut des journées nulles dans la vie, il faut préserver à toute force les densités inégales de l’existence, ne serait-ce que pour bénéficier de l’agrément du contraste… La vraie vie n’est pas absente, elle est intermittente, un éclair dans la grisaille dont on garde ensuite la nostalgie émue126 ».

Enfin, d’après le texte de Carù et Cova, l’expérience est également sujette à

une appropriation des consommateurs qui passent par des processus de « faire soi »

en lui imputant un usage, un sens ou une exploration qui leurs sont propres. Cette

                                                                                                                   124 Ibid. 125 PINE, Joseph, Conférence TED, [disponible en ligne : http://fortune.fdesouche.com/296165-les-4-e-du-marketing-et-leconomie-de-lexperience] publié le 6 mars 2013, consulté le 15 mai 2014  126 BRUCKNER, Pascal, L’euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur, Grasset, Paris, 2000.

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79  

tendance du « participatif » comme argument de vente d’une expérience semble être

un des piliers des offres de « concerts interactifs » :

« Il y a, en effet, appropriation de l’expérience quand le consommateur se perçoit en tant qu’acteur à part entière de sa consommation, quand il sent du possible dans ses manières de faire et de penser, quand il les découvre sans diktats ni autre mode d’emploi exclusif, quand il réalise que l’expérience qu’il vit est unique car elle est le résultat de la capitalisation de ses émotions liées à son appropriation (Ladwein, 2002).127 »

Cette description des principes du marketing expérientiel nous permet de

considérer que le concert interactif s’inscrit bien dans ce type d’offre marketing.

Comme nous l’avons précédemment abordé, les expériences de « concerts

interactifs » proposées vacillent entre, d’un côté, la volonté des pôles artistiques de

diversifier leur offre de concert en allant plus loin qu’une simple interprétation

musicale et, de l’autre, l’intervention de grandes marques qui bâtissent des stratégies

au travers de ces événements. Si ces deux orientations couvrent le champ du

marketing expérientiel, elle tendrait plutôt, dans un cas, vers des intérêts artistiques

et dans l’autre cas, vers les intérêts de la marque et de sa communication. Il nous

importe donc d’appréhender ce phénomène de l’intervention des marques voir de

l’orchestration des marques pour aboutir à ce type d’offre.

B. De la mise en scène des marques au concert : des stratégies de communication appliquées à l’événement

Les marques se posent ainsi comme grands acteurs munis des ressources

nécessaires pour développer des stratégies « déguisées » en « concerts

interactifs ». Il s’agit alors, d’une part, d’étudier leur mise en culture, puisque leur

volonté de proposer une offre de concert nous semble questionnable. D’autre part,

nous verrons de quoi recouvrent ces stratégies qui utilisent principalement le digital

comme levier vers des dispositifs de communication globaux.

                                                                                                                   127 CARÙ, Antonella et COVA, Bernard, Expérience de consommation et marketing expérientiel, Op. Cit.

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80  

1. Les « concerts interactifs » comme phénomène de dépublicitarisation des marques

Nos observations ont ainsi montré que les marques recouvrent, pour une très

grande partie, les offres de « concerts interactifs ». Nos précédents projets

sélectionnés en font l’illustration : Heineken, Dorito, Orange, SFR ou encore HP qui

ne sont que de minces exemples du grand nombre de ces dispositifs proposés par

des marques. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’une part, nous pouvons

citer l’important regain du « brand content » avec l’arrivée du numérique et la

tendance de la « mise en culture128 » des marques, tel que le décrit Caroline de

Montety. D’autre part, au cœur de cette tendance, se niche une grande synergie

entre le secteur musical et les marques qui cherchent, d’un côté, de nouveau foyers

pour assurer son financement et, de l’autre, une capacité à s’inscrire dans une

dynamique de contenus toujours plus sensibles. Enfin, la démarche de concevoir des

offres de « concerts interactifs » fait écho au lexique des nouvelles technologies et

donc à un esprit d’innovation et d’expérimentation des marques.

Ainsi, tel que nous l’avons d’abord cité, les offres de « concerts interactifs »

proposées par les marques s’inscrivent dans une tendance générale du brand

content que l’on trouve immanquablement dans la communication des marques

aujourd’hui. Si cette pratique n’est pas nouvelle et remonte à l’apparition du Guide

Michelin en 1900129, « l’ambition culturelle » des marques tend à se généraliser, tel

que le souligne Caroline de Montety. Elle parle de dépublicitarisation des marques

pour décrire leur éloignement du format publicitaire et assurer leur communication en

élaborant des « “contenus“ dont la gratuité est aussi généralisée que le statut de

leurs énonciateurs est souvent flou130 ». Elle poursuit :

                                                                                                                   128  MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée, ESKA | Communication & management, 2013/2 - Vol. 10  129 BO Daniel, Comment les marques traquent les médias ? in CB NEWS N°21, Le brand content revient sur terre , mai 2013, p.48 – 49 130 MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée. Art. Cit. p.26  

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81  

« Ce concept permet d’analyser les tactiques des annonceurs et agences de communication qui visent à démarquer les discours publicitaires des formes les plus reconnaissables de la publicité pour lui substituer des formes de communication plus discrètes. Ces formes sont médiatiques […].Cela consiste aussi à produire des formes culturelles (livre de marque, jeu vidéo, musée, exposition, etc.) en étant réalisateur de l’opération sans que l’intention marchande apparaisse au premier plan. Ce sont des opérations destinées à installer et valoriser les marques dans l’espace public sans que leur genre publicitaire prenne le pas sur l’affichage culturel 131».

La conception de ces contenus de marque se pose comme un échange de

bons procédés entre ces dernières et les agents culturels. Le secteur de l’édition

musicale, ayant connu une importante crise avec l’arrivée du numérique, s’est plus

volontiers tourné vers les marques pour trouver de nouvelles sources du

financement. Alexandre Sap dans Du rock et des marques parle de la trinité

« Passion, Émotion, Relation » comme agents révélateurs des actifs émotionnels

des marques132 . Il décrit dans cet ouvrage comment les professionnels de la

musique ont dû peu à peu s’adapter aux contraintes imposées par le numérique en

développant autour des artistes de forts univers et communautés digitales et en

associant leur nom à de grandes marques dans le but de pallier à leur déficit.

L’alliance entre la musique et les marques s’inscrit dans la majorité des secteurs de

la musique à laquelle le spectacle vivant ne coupe pas.

Les « concerts interactifs » se posent dans une démarche bien particulière de

conception de contenus de marque, reposant sur des stratégies spécifiques à

l’investissement de l’espace du concert et l’utilisation des médias informatisés.

2. La scène du concert investie par les marques comme embrayeur de dispositifs de communication globaux

Dans son texte traitant de la « dépublicitarisation » des marques, Caroline de

                                                                                                                   131 Idem.  132 SAP Alexandre, Du rock et des marques. Edition Maxima, Paris, 2012

 

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82  

Montety aborde aussi ce phénomène dans le contexte de conquête des espaces

urbains. De la même manière que le concert, « la création d’événements dans

l’espace public, susceptible et d’une audience de passage et d’une audience

indirecte : celle des publics qui verront dans les médias, notamment dans la presse

ou sur le web, les traces de ces événements, à venir ou passés133 ». Ainsi, comme la

ville, le concert est marqué par « une énonciation originale susceptible d’attirer

l’attention, de créer l’événement et de divertir un public » que l’on peut considérer

comme la présence des médias informatisés ou de tout autre élément faisant

référence aux technologies numériques et « justifiant » l’appellation de « concert

interactif ». Caroline de Montety assimile ainsi l’événement comme un embrayeur

vers une communication plus globale :

« La portée communicationnelle dépend de la médiatisation de ces “événements“ qui servent d’embrayeurs, dans un dispositif médiatique global (diffusions internes, relations presse, mise en ligne de la vidéo, publicités, etc.), leur déploiement étant favorisé par la dimension spectaculaire des productions originales. L’espace urbain investi comme scène devient ainsi l’objet d’une médiatisation sur le web.134 »

De la même manière que l’espace urbain « la métaphore est double » dans

l’espace du concert « mobilisé comme indice de la performativité du récit on passe à

l’espace métaphorique du web comme lieu de sociabilité et de partage, spatialement

“désancré“135 ».

Ainsi, dans les dispositifs énoncés, plusieurs jeux communicationnels sont

repérables, dans l’embrayage qui s’opère entre l’espace de la scène et l’espace du

web. La stratégie digitale du Orange RockCorps paraît ostensible, invitant les

spectateurs à partager au maximum l’événement (« + de share ») en échange de « +

de show » alternant ainsi entre les deux espaces pour créer un effet d’engouement.

Le « show » supplémentaire suscité par les « shares » se pose comme objet sujet à

la médiatisation de l’événement, opérant la communication du Orange RockCorps.

                                                                                                                   133  MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée, Art. Cit. p.29  134 Ibid. p.30 135 Idem

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83  

Le concert de Dorito fonctionne sur le même principe, invitant le spectateur à

partager l’événement au travers du hashtag #boldstage en échange de diverses

manifestations sur scène, comme le changement des décors ou des lumières. Ici

encore, la constitution d’un contexte spectaculaire justifie une médiatisation de

l’événement soit, indirectement, de la marque Dorito.

Les bouteilles lumineuses Heineken Ignite imaginées par DDB font l’objet d’un

procédé différent, n’utilisant pas directement les médias informatisés mobiles pour

porter leur communication. La bouteille, dont la lumière varie avec l’intervention des

spectateurs, se pose comme objet sujet à l’intrigue. La médiatisation s’opère donc de

toute part (presse, téléphones mobiles, etc.) et n’est plus principalement réfléchie

pour les médias informatisés mobiles et des réseaux sociaux. Cet objet, devenu

lumineux évoque, de part ses attributs, l’univers digital tout en offrant une expérience

esthétique qui met la bouteille au centre des attentions. En cela, cette opération est

aussi le résultat d’une communication centrée sur la marque Heineken. Dans ce

contexte, le concert est lui-même un média pour la marque. Les artistes, eux, servent

cette médiatisation d’Heineken tout en en bénéficiant de manière secondaire.

Le cas SFR nous intéresse enfin, proposant un dispositif à demi insolent,

mettant en scène le spot publicitaire de la marque dans l’expérience dite de

« concert interactif ». Les utilisateurs sont invités à regarder le spot en le

« shazamant » pour pouvoir avoir accès à la vidéo du concert en direct. Les résultats

de l’opération ne sont pas connus (si ce n’est les 315 930 vues Youtube du spot ce

qui ne paraît pas excessif étant donnée l’envergure de la marque) mais elle se

présente comme une limite des contenus de marque, se reposant sur le passage du

mobile à la vidéo du concert via un Shazam. Si le fait de pouvoir regarder le concert

en live via son ordinateur paraît être une valeur ajoutée pour les utilisateurs – le

succès de la plateforme Boiler Room136 en témoigne – le passage par le visionnage

du spot publicitaire peut être considéré comme une forme d’insistance abusive de la

                                                                                                                   136 Site internet dédié à la diffusion de concerts : https://boilerroom.tv/  

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84  

part de la marque, là où un contenu de marque plus ludique aurait été certainement

davantage adapté.

Ainsi que le résume Caroline de Montety, « les gestionnaires de la marque et

les publicitaires jouent sur une certaine performativité inversée : si “dire c’est faire“, là

le geste urbain inverse la formule et permet de donner véracité à un certain “faire

c’est dire“. Ce processus crédibilise grandement le discours de marque en

authentifiant le geste comme l’expression naturelle des valeurs affirmées 137 ». Ainsi,

dans le contexte du concert, les marques se reposent grandement sur la spontanéité

des spectateurs ainsi que sur la « sincérité artistique » de l’objet concert pour insérer

leurs dispositifs de communication.

Pour conclure, si les marques usent d’une certaine créativité dans les

dispositifs qu’elles proposent, il s’agit toujours d’opérer ce jeu métaphorique entre la

scène du concert et la scène informatique. De la teneur de cette métaphore semble

découler la teneur de l’événement proposé, duquel découle ensuite la médiatisation

des marques qui constituent leur communication. Cependant, l’instabilité de la notion

de « concert interactif » que nous avons précédemment appréhendé, d’une part et, la

conception de ces dispositifs comme prétexte pour la communication des marques

d’autre part, nous invite à interroger la raison d’être de notre objet.

C. Un objet vide ?

Notre recherche a montré que les composantes de notre objet recouvrent la

dimension expérientielle du concert ainsi que l’imaginaire des médias informatisés

comme opportunité marketing pour justifier leur existence. Les dispositifs proposés

semblent cependant mettre en retrait l’artiste et la musique, les utilisant

manifestement plutôt comme prétexte que comme éléments structurants. Cette

                                                                                                                   137  MARTY DE MONTETY, Caroline, Les marques, acteurs culturels – dépublicitasation et valeur sociale ajoutée, Art. Cit. p.30  

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85  

intuition nous invite à interroger la raison d’être de ces expériences de « concerts

interactifs ».

1. La musique fait tache

Aujourd’hui, les publics viennent-ils au concert pour la musique ou pour

l’expérience qu’ils vont y vivre ? Les enseignements de cette recherche nous

permettent de considérer que la musique ne se soustrait pas de l’expérience. Un

public qui vient voir des musiciens et leur musique vient donc vivre une expérience.

Mais, peut-on aujourd’hui considérer qu’étant donnée l’évolution des offres de

concerts, le public puisse venir pour l’expérience proposée, considérant alors l’objet

musical comme secondaire?

Plusieurs observations nous invitent à soulever ces questionnements. Le

phénomène le plus repérable est la grande mise en retrait des artistes dans la

communication de ces dispositifs. En effet, beaucoup d’exemples démontrent qu’ils

font plutôt office de « média » pour le dispositif, et pas nécessairement l’inverse. Les

concepteurs de « concerts interactifs » semblent les utiliser comme objets de

légitimation et de visibilité, notamment parce que ces dispositifs sont souvent conçus

autour de têtes d’affiches. Les communications se concentrent sur la constitution du

dispositif et l’expérience que celui-ci va apporter, elles n’abordent pas la teneur du

show artistique qui se tiendra, utilisant simplement le nom du groupe pour

« brander » le concept. Cela est très flagrant dans le reportage de Creators Project

réalisé pour les ballons lumineux du concert d’Arcade Fire138 où le concepteur aborde

plutôt le groupe comme « un challenge » pour valoriser son idée. L’expérience est

ensuite montrée sous toutes les coutures mais très peu d’images du show des

artistes sont diffusées, comme si le concert n’était même plus le centre d’intérêt dès

                                                                                                                   138 ARCADE FIRE, Arcade Fire and Chris Milk, Creators Project [disponible en ligne : http://thecreatorsproject.vice.com/chris-milk/arcade-fire-and-chris-milk] pas de date de publication, consulté le 14 juillet 2014  

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86  

que ce type d’expériences s’y insère. Les artistes et la musique y font donc figure de

média pour le concept. Cela est tout aussi flagrant pour le concert de The Ting Ting

dans le contexte du Orange RockCorps que nous avons étudié où les artistes sont

utilisés pour légitimer le dispositif dans la communication. Le « + de show » annoncé

comprend d’ailleurs des éléments additionnels au spectacle comme de la danse ou

des interventions théâtrales, éloignant une fois encore de l’objet musical qui devient

un prétexte. Cette observation vaut pour les autres dispositifs étudiés : le concert

d’Usher organisé par Dorito, le concert de Mai Lan organisé par SFR,…

La musique, alors même qu’il soit bien question de « concerts interactifs »,

serait-elle la grande laissée pour compte de cette nouvelle offre événementielle ? « Il

faut donc croire que cette notion d'œuvre de musique fait tache dans le paysage

médiatisé qu'on s'efforce de décrire, voire de créer139 » souligne Michel Chion. Il

déplore la place trop importante accordée à ces dispositifs au détriment de la

musique :

« On fabrique des circonstances extraordinaires, des festivals, on met en valeur le concert en le transportant dans des lieux insolites. Un tel culte de l'événementiel finit par effacer l'œuvre profit des circonstances particulières de sa communication, notamment dans le cas des créations contemporaines. […] C’est aux initiatives de ce type que s’intéresse en priorité la télévision ou les journaux, plutôt qu'à l'exécution d'un nouveau quatuor à cordes ou d'une nouvelle œuvre sur bande magnétique, considérée, elle, comme de la routine puisqu'elle ne bouleversera pas le “rituel“ du concert. On voit que les contradictions ne manquent pas dans cette situation où l’événementiel tient la vedette…140 »

Au delà de cela, il semblerait de plus que si ces dispositifs « tiennent la

vedette », ils ne semble même pas venir systématiquement comme outil de

promotion des artistes. Ce que nous pouvons dire de cela est que le spectacle vivant

est un marché qui, bien que fructueux, nécessite de proposer des innovations pour

se démarquer d’une offre considérable. C’est là une des raisons principale de

l’existence de ces dispositifs : proposer une nouvelle offre de spectacle vivant                                                                                                                    139 CHION, Michel, Musiques, Médias et technologies, Paris, Flammarion 1994, p.102

 140 Ibid. p.98-100

 

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87  

insérée dans une mouvance marketing – celle des médias informatisés – pour

susciter la curiosité des publics. Cette tendance semble traduire la difficulté des

artistes à « s’auto-suffire » pour assurer leur promotion. Mais cela est tout de même

à nuancer car ces dispositifs ne concernent que des têtes d’affiches. Ils sont donc

plus là pour « spectaculariser » davantage une offre de concert déjà spectaculaire,

face à de petits artistes dont le souci essentiel est de promouvoir leur musique avant

de promouvoir l’expérience qu’ils peuvent offrir à leurs publics pendant leurs

concerts.

Par ailleurs, la question de l’utilité de ces dispositifs se pose. Qu’apportent-ils

réellement à l’expérience musicale ? La réponse est bien sûr à nuancer si, d’un côté,

l’on a affaire à une offre intéressée à des fins promotionnelles qui se justifient par

quelques jeux de lumière et, de l’autre, le travail d’un acteur artistique qui vient

réellement apporter un « enrichissement » du moment du concert : le public reste

seul juge de ce que cela lui apporte. Au reste, notre questionnaire nous a déjà donné

un aperçu de l’engouement suscité : de la sympathie, du « pourquoi pas », de la

suspicion aussi et un sentiment de ridiculisation du dispositif si les problèmes

techniques surviennent… Il semble que, comme pour tout objet, il s’agisse là

d’opérer une réflexion intelligente qui soit une vraie valeur ajoutée pour le public, ce

dernier n’étant pas dupe sur ce qu’on lui propose. Alors, tel que le disent Carù et

Cova :

« L’expérience est un vécu subjectif et intime du consommateur qui ne se laisse pas facilement enfermer dans les prescriptions opératoires des démarches habituelles de marketing management (Arnould et Thompson, 2005). […] L’expérience du consommateur n’est pas programmable ; l’entreprise peut l’aider à accéder à l’expérience, mais il garde le libre arbitre de s’approprier ou non ce qui est présenté par l’entreprise141 ».

Ainsi, l’engouement opéré par les médias informatisés atteint toutes les

strates de la société, le concert ne s’en soustrayant pas. Comme tout objet, il nous

semble qu’il ne soit pas question pas de dire s’il s’agit-là de quelque chose « d’utile »

                                                                                                                   141 CARÙ, Antonella et COVA, Bernard, Expérience de consommation et marketing expérientiel, Art. Cit.  

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88  

ou « d’inutile », mais de cerner les éléments que nous avons étudié dans ce mémoire

qui peuvent s’avérer pertinents dans l’enceinte du concert pour l’ensemble de ses

acteurs – qu’il s’agisse des musiciens, des publics ou même des marques. Il nous

semble en tout cas que, bien que notre terrain démontre que ces offres se

concentrent du côté des marques et de leur promotion, elles auraient une raison

d’être du côté des artistes et du public.

2. Un territoire stratégique pour les artistes

Nous avons vu que les « concerts interactifs » tendent vers des propositions

d’expériences « spectacularisées » a visée majoritairement promotionnelles pour les

marques. Mais les outils convoqués sont pourtant rudimentaires, puisqu’il s’agit

parfois simplement, pour la plupart des dispositifs, de compter sur l’utilisation des

téléphones mobiles et des réseaux sociaux des publics qui constituent un large

terrain, comme nous l’avons étudié. L’intervention de grands moyens techniques

n’est donc pas indispensable. En cela, ces outils n’ont pas vocation à rester

nécessairement entre les mains des marques ou des grandes têtes d’affiche. Par

ailleurs, il nous semble important de souligner la grande synergie qui s’opère entre le

monde de l’internet et celui des musiciens. En effet, les communautés digitales

réunies autour des artistes de la musique comptent parmi les plus importantes au

monde, de Justin Bieber en passant par Rihanna, tandis que des artistes très

modestes parviennent à assurer indépendamment et à moindre frais leur

communication grâce aux possibilités offertes par le numérique.

Il n’est donc pas inimaginable qu’il devienne bientôt naturel pour les artistes et

leurs managers d’exporter les stratégies développées sur internet dans l’espace du

concert, en proposant des expériences ludiques et esthétiques pour favoriser la

médiation avec leurs publics et alimenter leur communication. Des propositions très

simples peuvent être imaginées, telles que d’autres secteurs l’ont déjà largement fait

comme celui des musées qui insère de plus en plus naturellement l’usage des

téléphones dans leurs enceintes comme outils de médiation culturelle. La prise de

photo avec le mobile comme usage spontané massivement répandu au concert

semble être atout et il paraît incontournable aujourd’hui de le récupérer

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89  

intelligemment pour proposer une alternative dans le moment du concert. Ici, il ne

s’agirait donc pas de promouvoir une offre de « concert interactif » telle que nous

nous sommes efforcés de la décrire tout au long de ce mémoire, mais d’imaginer

davantage des propositions de médiation et de médiatisation simples, utilisant les

médias informatisés mobiles pour valoriser les artistes et leur musique tout en

dynamisant leurs liens avec leur public dont la créativité peut être grandement

sollicitée. Carù et Cova résume notre idée en ce que les offres de marketing

expérientiel ne nécessitent pas simplement d’être spectaculaires pour fonctionner :

« Le marketing expérientiel devrait approfondir la voie de l’accompagnement du consommateur dans l’accès à son expérience personnelle par la mobilisation des ressources sociales existant autour du consommateur (les amis, la famille, les voisins, la tribu, etc.) plutôt que de chercher à engloutir ce consommateur dans des décors et des événements extravagants et à l’impliquer dans des schémas participatifs préétablis.142 »

Les acteurs plus modestes de la musique auraient donc grand intérêt à

explorer ce terrain, de même qu’ils ont su faire bon usage de l’internet, toutes les

ressources étant déjà en place dans le concert par la grande utilisation spontanée

des téléphones mobiles qui s’y fait.

                                                                                                                   142 Idem.

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90  

Conclusion

L’ensemble de ce mémoire semble donc s’intéresser davantage à une idéologie

du concert qu’à la description d’une innovation survenue en son sein. Ce que traduit

l’apparition des « concerts interactifs » recouvre bien plus la volonté que les sujets

ont de voir le concert se renouveler que d’une remise en question profonde de ses

structures. Cependant, le concert, comme objet trivial, trouve dans les dispositifs de

« concerts interactifs » des manifestations de ses transformations, dans l’évolution

des recherches expérientielles qui y sont présentées. De même, ces dispositifs

traduisent des attentes projetées sur le numérique comme univers dont on attend

qu’il « révolutionne » l’espace du concert.

Notre première hypothèse était donc que le développement de la mobilité des

médias informatisés, notamment des smartphones, impulse leur usage spontané

dans la situation du concert et motive l’apparition des « concerts interactifs ». Cette

hypothèse nous paraît partiellement vérifiée car, si l’usage du smartphone est

effectivement important aujourd’hui au concert, les offres de « concerts interactifs »,

comme nous l’avons vu, se construisent plutôt autour d’une idée de ce que les

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91  

nouvelles technologies, au sens large, peuvent apporter au concert et à son collectif.

Alors, il nous semble qu’il s’agisse-là, d’un côté, de saisir ce que tend à être la place

du smartphone aujourd’hui au concert. Cet objet recouvre d’un fort espace

individualisé pour les sujets où ils concentrent leurs univers duquel ne se soustrait

pas leurs consommations culturelles. Dans le cas du concert, le smartphone fait

office d’un objet d’immortalisation et de partage du moment vécu mais aussi

d’accompagnateur, si nous abordons la thématique peu explorée dans ce mémoire

des applications services développées spécifiquement pour le concert. Alors, si le

smartphone ne détrônera bien sûr jamais l’artiste puisque, nous l’avons bien ressenti

dans notre questionnaire, lorsque les personnes vont à un concert, elles y vont avant

tout pour l’artiste et sa musique, cet objet peut être appréhendé comme un outil

accompagnant dont la place tendra certainement à se faire de plus en plus

naturellement au concert. À l’image des hashtags qui colonisent chaque émission de

télévision, on peut supposer que le téléphone servira bientôt systématiquement à un

moment ou à un autre du concert : du simple billet électronique aux dispositifs

utilisant le numérique qui tendent à se mettre en place dans les stratégies

d’organisation d’événement. Nous supposons qu’il s’agit donc d’un fait qui sera

amené à se stabiliser. Sans évincer le spectacle, le mobile accompagnera plus ou

moins discrètement ses utilisateurs de même que l’on puisse supposer que

l’apparition de services incontournables, comme Shazam, verront encore le jour pour

s’implanter avec sureté au concert. Le téléphone mobile se manifeste donc comme

un grand potentiel sur le terrain du concert dont ses divers acteurs ont parfaitement

conscience mais dont les mécanismes ne paraissent pas encore pleinement

maîtrisés ni exploités.

De l’autre côté, il semble que l’on puisse dire que les médias informatisés

devenus mobiles ont permis de laisser admettre leur présence au concert, d’où

l’arrivée des propositions expérientielles de « concerts interactifs ». Ces dernières

recouvrent pourtant plus d’un champ idéologique et symbolique, ce que nous

voulons davantage développer en réponse à notre deuxième hypothèse.

Notre seconde hypothèse était donc que l’expression « concert interactif »

convoque des imaginaires à la croisée des attentes que suscitent le concert et les

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92  

nouvelles technologies. Il semble qu’elle soit vérifiée au travers de nos analyses. Le

« concert interactif » paraît être le point de rencontre idéologique entre « l’idée du

concert » et « l’idée des nouvelles technologies ». Ces points de rencontres sont

diversifiés. Alors que nous avons beaucoup détaillé ce que recouvre la notion

« d’expérience » au concert, il nous paraît essentiel de souligner qu’elle est

immanquablement présente aujourd’hui dans le champ du numérique. L’expression

« d’expérience utilisateur », comme nous l’avons évoqué dans notre introduction, est

présente dans tous les discours liés aux nouvelles technologies, au point qu’il

s’agisse-là d’un domaine de spécialisation professionnel, « l’UX », comme discipline

au cœur des tendances de ce domaine. Le « concert interactif » se matérialise donc

comme le fantasme de voir ces « expériences » fusionner.

Le « collectif » est l’autre grand point de réunion idéologique entre le concert et

le numériques où, d’un côté, le concert se matérialise comme un espace de

socialisation et de recherche de cohésion certain – il n’a pas lieu d’être sans le

collectif – tandis que de l’autre, il y a une forte prégnance des discours prophétiques

voyant les outils numériques comme des objets fédérateurs. Les discours de

l’internet gravitant autour de l’idée de « démocratie », du « participatif » et du

« collaboratif ». On entend beaucoup, aussi, la notion de « spectacteurs » qui

« prendraient le pouvoir », l’internet figurant comme un outil amenant à une

« suprématie des masses ». Alors, nous pouvons saisir la tentation d’avoir voulu faire

se rencontrer ces deux univers, discursivement, idéologiquement et symboliquement.

Il nous semble que, comme le dit Yves Jeanneret, la volonté des sujets de devenir

« acteurs de la culture » soit prégnante et que le numérique, recouvrant ce champ

idéologique, se pose comme un élément salvateur. Le « concert interactif » traduit

tout de même d’une recherche « d’interaction » au concert qui mérite d’être

profondément interrogée. Alors que d’un côté, on reproche aux médias informatisés

de renfermer les individus sur eux-mêmes, on leur délègue, de l’autre, le soin

d’apporter de l’interaction au concert. De même, cette recherche d’interaction serait-

elle le résultat d’un trop plein d’individualisme ? Les publics n’arriveraient-il plus,

aujourd’hui, à assouvir leur soif d’interaction au concert ? Il semble qu’il se cache,

derrière l’apparition de ces dispositifs, des tendances sociétales profondes et la

manifestation de désirs communs révélateurs des motivations contemporaines.

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93  

Notre troisième hypothèse était que les acteurs du spectacle vivant se

saisissent de l’apparition des médias informatisés comme opportunité marketing pour

concevoir de nouvelles offres expérientielles. Il nous semble que cette hypothèse se

vérifie également, considérant le secteur du spectacle vivant comme un marché qui

tend à proposer des innovations pour perdurer. Ce que nous avons saisi est que ces

outils recouvrent pour la majorité des motivations promotionnelles, notamment

tournées vers les marques comme grands partenaires du spectacle vivant

aujourd’hui. Les expérimentations esthétiques ou de médiation culturelle sont plus

rares ou en tout cas toujours intéressées. Par la proposition d’expériences

spectaculaires, il s’agit-là de stratégies de démarcation, particulièrement pour les

têtes d’affiche dont le budget permet ce genre d’expérimentations. Ces offres

s’insèrent donc bien dans des logiques de marché du spectacle vivant. Le centre

national de la chanson des variétés et du jazz établissait comme bilan 2012 un total

de 55608 spectacles de variétés en France captant 656 millions d’euros de recettes.

Alors que le nombre de spectacles est à la hausse, ces recettes n’augmentent pas et

les représentations peinent de plus en plus à capter les spectateurs143. Il semble que

l’apparition du numérique dans l’enceinte du spectacle vivant se pose comme une

évidence en matière de proposition marketing pour doper ce marché, lorsque l’on

mesure les attentes projetés sur ce secteur comme stimulateur économique de tout

autre domaine - le texte de la Commission Européenne que nous avons

précédemment cité n’en est qu’une illustration.

L’avenir du « concert interactif » nous paraît alors incertain. S’il s’agit là d’une

idéologie du concert, en tant qu’objet trivial il est fort à penser que cette idéologie

n’aura de cesse de se transformer encore pour peut-être conduire à la suppression

de cette expression, le numérique tendant à se disséminer puis s’installer

définitivement dans la sphère du concert à des fins pratiques, esthétiques,

médiatrices et promotionnelles. Si le « concert interactif » se présente aujourd’hui

                                                                                                                   143 http://www.cnv.fr/sites/cnv.fr/files/documents/PDF/Ressource/stats_diffusion/CHIFFRES_DIFF_2012_WEB_Optimise.pdf  

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94  

comme la manifestation des attentes projetées sur l’univers du numérique au

concert, son installation franche évincera progressivement ces attentes et, par la

même occasion, cette expression. Pourtant, les dispositifs proposés aujourd’hui nous

paraissent encore bancals, de la maîtrise des moyens techniques à la valeur ajoutée

pour les publics et acteurs du spectacle vivant, il semble que les propositions qui

soient faites n’aient pas encore révolutionnées l’enceinte du concert. Les publics sont

en tout cas lucides sur ces dispositifs, tel que le montre notre enquête. Alors qu’ils

viennent avant tout pour voir les artistes et leur musique, « l’enrichissement » de leur

expérience, par tout moyen, est bienvenu, à condition que cela se présente comme

une valeur ajoutée pour le moment qu’ils vivent. Les artistes, quant à eux, quelque

soit leur envergure, se saisiront probablement des potentiels offerts par le numérique

au concert, à mesure que celui-ci se démocratisera dans son enceinte.

Page 95: LUCILE BITAN - LE CONCERT INTERACTIF - MEMOIRE M2 …

     

95  

CORPUS

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http://thecreatorsproject.vice.com/chris-milk/arcade-fire-and-chris-milk] pas de date

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DORITO, La plus interactive des expérience, Brandastic4 [disponible en ligne :

http://brandastic4.com/2013/03/27/la-plus-interactive-des-experiences-lors-dun-

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COLD PLAY, MORRIS, Johnatan, Coldplay Xylobands light up Devon company’s

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https://www.youtube.com/watch?v=6T61gXLNVfg] publié le 8 août 2012

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du Orange RockCorps [disponible en ligne :

http://www.orangerockcorps.fr/blog/2012-05-24/du-share-et-du-show-avec-ting-tings-

en-vid%C3%A9o] publié le 24 mai 2012, consulté le 5 août 2014

 

ORANGE ROCKCORPS, Du partage et du show avec vous et the ting tings !,Blog de

Orange RockCorps [disponible en ligne : http://www.orangerockcorps.fr/blog/2012-

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l’immatériel, 2013

BRUCKNER, Pascal, L’euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur,

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CHION, Michel, Musiques, Médias et technologies, Paris, Flammarion 1994

HENNION, Antoine, Figure de l’amateur : formes, objets, pratiques de l’amour de la

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JAUREGUIBERRY, Francis, Les branchés du portable, Paris, Édition Broché, 2003

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JEANNERET, Yves, Y a-t-il vraiment des technologies de l’information et de la

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LELOUP Jean-Yves, Digital magma : de l’utopie des raves-parties à la génération

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LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, L’écran global, Paris, Éditions du Seuil,

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CARÙ, Antonella et COVA, Bernard, « Expérience de consommation et marketing

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GRENEAU, Catherine, « L’interactivité, une définition introuvale », Communication et

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MARTY DE MONTETY, Caroline, « Les marques, acteurs culturels –

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2013/2 - Vol. 10, p.22 - 32

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RIEUSSET-LEMARIÉ, Isabelle, « Esthétique de l’interactivité », (approche

historique), Séminaire Écrit, Image et Nouvelles technologies, 1994-1995

SOUCHIER, Emmanuel, « L’écrit d’écran, pratiques d’écritures & informatique »,

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Thèse

ROTH Raphael, Bande originale de film, bande originale de vie. Pour une sémiologie

tripartite de l’emblème musical : le cas de l’univers Disney. Thèse préparée

sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon, 2013

Cours

CANDEL, Étienne, « Idéologies et mobilisations sociales de l’interactivité »,

conférence données au Celsa entre septembre et janvier 2014

JEANNERET, Yves, « Éléments d'économie politique de la trivialité », conférence

données au Celsa entre septembre et janvier 2014

Études

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en 2012, Statistiques commentées et éléments d’évolution 2011-2012, Étude du

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http://www.cnv.fr/sites/cnv.fr/files/documents/PDF/Ressource/stats_diffusion/CHIFFR

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Revues

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[disponible en ligne : http://www.internetactu.net/2013/09/09/quelle-est-la-derniere-

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GAULTIER, Gonzague, Intervention de Gonzague Gaultier, community manager du

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à la Gaîté Lyrique, [disponible en ligne :

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reconnaissance-d-images-sur-smartphones-usages-et-perspectives_tech]  publié le

23 mai 2012, consulté le 1er aout 2014  

GUILLAUD Huber, Qu’est ce que nos mobiles nous permettent de partager ?,

Internet Actu,

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101  

[http://www.internetactu.net/2013/02/14/quest-ce-que-nos-mobiles-nous-permettent-

de-partager/] publié le 14 février 2013, consulté le 15 mars 2014

GUNTHER André, L’image conversationnelle. Les nouveaux usages de la

photographie numérique, blog d’André Gunther. 2014

[http://culturevisuelle.org/icones/2966], publié le 8 avril 2014, consulté le 10 mai 2014

PINE, Joseph, Conférence TED, [disponible en ligne :

http://fortune.fdesouche.com/296165-les-4-e-du-marketing-et-leconomie-de-

lexperience] publié le 6 mars 2013, consulté le 15 mai 2014

Page 102: LUCILE BITAN - LE CONCERT INTERACTIF - MEMOIRE M2 …

     

102  

Annexes  Annexes 1 : le questionnaire VOS USAGES DU TELEPHONE MOBILE AU CONCERT 1) Quel sont vos genres de musique favoris (3 réponses possibles)

-­‐ Musique classique -­‐ Chanson française -­‐ Jazz -­‐ Musiques du monde -­‐ Reggae -­‐ Zouk -­‐ Hip hop -­‐ Rock -­‐ Musiques électroniques -­‐ Rap -­‐ RN’B

2) Combien de fois par an allez-vous à un concert ? -­‐ 1 à 5 fois -­‐ 5 à 10 fois -­‐ 10 à 20 fois -­‐ Plus de 20 fois -­‐ Jamais

3) Quels réseaux sociaux utilisez-vous ?

-­‐ Facebook -­‐ Twitter -­‐ Google +

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103  

-­‐ Soundcloud -­‐ Youtube -­‐ Instagram -­‐ Snapchat -­‐ Vine -­‐ Autre (préciser) -­‐ Vous n’utilisez aucun réseau social

4) À quelle fréquence utilisez-vous ces réseaux sociaux ?

-­‐ Plusieurs fois par jour -­‐ Une fois par jour -­‐ Une fois par semaine -­‐ Une fois par mois -­‐ Très rarement -­‐ Jamais

5) Utilisez-vous votre téléphone portable lorsque vous êtes à un concert ?

-­‐ Oui -­‐ Non

6) Si oui, pour quels usages ?

-­‐ Des usages basiques : téléphoner et envoyer des SMS -­‐ Prendre des photos -­‐ Faire des vidéos -­‐ Faire des enregistrements sonores -­‐ Prendre des notes -­‐ Partager votre expérience sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) -­‐ Utiliser l’application proposée par le concert dans lequel vous vous trouvez -­‐ Utiliser d’autres applications (préciser) : -­‐ Autre :

7) Qu’aimez-vous photographier ou filmer avec votre mobile pendant un concert ?

-­‐ La performance de l’artiste sur scène -­‐ Vos amis -­‐ Vous (selfie) -­‐ La foule -­‐ Certaines personnes dans le public -­‐ Les situations atypiques (slam, personnes déguisées…) -­‐ Les moments entre les concerts (restauration, activités parallèles mises en

place…) -­‐ Votre consommation d’alcool -­‐ Les objets autour du concert : places, goodies, plan (dans le cas d’un festival),

objets lumineux… -­‐ Autre, précisez :

8) Quelle est l’utilité de ces contenus, une fois le concert terminé ?

-­‐ Le visionnage personnel de ces moments sur votre téléphone

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104  

-­‐ Le visionnage de ces moments sur votre téléphone avec les personnes qui vous ont accompagné

-­‐ Le partage de ces contenus avec les personnes qui vous ont accompagné -­‐ Le partage de ces contenus sur les réseaux sociaux -­‐ L’éditorialisation de ces contenus (retouche d’image, montage vidéo,

publication dans un blog…) -­‐ Ces contenus ne sont pas réutilisés -­‐ Autre, précisez :

9) Lorsque vous êtes à un concert, vous partagez votre expérience sur les réseaux sociaux :

-­‐ Systématiquement -­‐ Très souvent -­‐ De temps en temps -­‐ Très rarement -­‐ Jamais

10) La plupart du temps, à quoi ressemble vos « posts » sur les réseaux sociaux et que disent-ils (même littéralement) lorsque vous êtes à un concert ? 11) Quels sont les bienfaits ou les méfaits de ces « posts » pour vous, sur vos réseaux sociaux (beaucoup de likes ou de retweets, commentaires, image positive véhiculée…) ? 12) Cette utilisation du portable au concert contribue-t-elle selon vous à un enrichissement ou à un appauvrissement du moment du concert ? (développer) 13) Certains concerts et festivals mettent en place des concerts dits « interactifs », qui consistent en l’utilisation des outils numériques (notamment les téléphones mobiles) pendant le spectacle pour « enrichir l’expérience ». Par exemple, plus vous twittez sur le concert, plus la durée de celui-ci s’allonge. A première vue, que pensez-vous de ce genre de dispositifs et cela vous intéresserait-il d’y participer ? (précisez si vous avez déjà vécu ce type d’expérience) 14) Quel âge avez-vous ? 15) Votre raison sociale ?

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17) Votre sexe ?

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Annexes 2 : le communiqué de presse du Orange RockCorps pour le « concert interactif » de The Ting Tings

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