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Lucia Carballo LA VISITE DU POÈTE

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Lucia Carballo

La visite du poète

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Merci à ma famille, parce qu’elle est l’essence de mon écriture à mes parents, pour leur appui inconditionnelà Charles Guilbert, pour m’avoir aidé à trouver la cohérence entre mes mots et leur sens à Élise Turcotte, parce qu’elle laisse ses traces sur le chemin de ma vie à Anne-Marie Cousineau, pour son soutien et parce qu’elle m’a permisde publier ce projetà Sylvie Clément, parce qu’elle m’a fait découvrir la littératureà Silvina Zamit, pour son illustrationà Silvia Noemi Cara, pour la révision linguistique de la version espagnole du projet à Benjamin, pour son amour et ses rêves à Maria Celina Parrondo, pour sa poésie

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À mon grand-père qui entre chaque nuit dans mes rêves avec son plus grand sourire.

No reserves del mundo sólo un rincón tranquiloMario Benedetti

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Rideau dans le noir

Je dégage le rideau dans le noir. Tout est inanimé à l’intérieur comme à l’exté-rieur.Il y a peu de temps, j’étais ailleurs, là où le calme n’existe pas. Je cherchais partout des visages porteurs de joie, des clins d’œil à la désillusion. Pour déjouer le mutisme que la distance avait forcé en moi, en quinze jours j’ai visité quatre oncles, sept tantes, dix-sept cousins et cousines, dix maisons et un hôpital.

Ma mémoire avait exalté les souvenirs.

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Au pays de l’oubli

À l’arrière d’une camionnette déglinguée, les jambes retroussées, je souffre. Une fine couche de terre se soulève à mon passage, comme si le temps de mon absence se dépoussiérait. Le deuil, vécu dans la distance, a transformé la perte de deux êtres chers en mirage brouillé. J’ai frôlé cinq fois l’abîme avant de revenir ici.

Le chemin est étroit ; ma maison, fade. Les voix entrent dans ma chambre et semblent l’habiter plus que ma propre présence. Leur bruit résonne contre les barreaux de fer posés devant ma fenêtre, s’infiltrant dans les fissures du cadre. Je frissonne. Plutôt que l’air étouffant de février, c’est la froideur qui s’installe au pays de l’oubli. Les étés du Sud sont devenus imprévisibles.

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Les photos

Un troupeau de petites princesses me reçoit chez mon oncle numéro quatre. Je ne reconnais pas leurs visages. Je regarde des photos posées sur le bahut et frôle des doigts le plastique qui les recouvre, tentant de saisir le vide. Mon oncle a épousé son amour d’enfance. Trois mois avant le mariage, elle est tombée enceinte. Elle a beaucoup pleuré en pensant à la robe blanche qu’elle ne pourrait pas porter.

Aujourd’hui, leurs trois filles s’amusent avec mes cheveux en broussaille. La plus vieille ferme mes paupières pendant qu’une autre chatouille mon bras. La plus jeune monte sur mes jambes et sautille en riant.

La distance octroie parfois un singulier prestige : je suis une reine à leurs yeux.

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Goût du risque ou ironie des circonstances

On dit que la vieillesse rétrécit le corps. Celui de ma grand-mère a rétréci à cause du deuil.Elle se retrouve seule pour la première fois depuis cinquante-cinq ans. J’embrasse ses pommettes réduites à l’os, sa peau comme de la soie fripée. Elle ne pleure pas. Son sourire impose la mort de mon grand-père. Je reste en silence.

Elle a, dans ses yeux, l’éclat d’une vie de nomade. Elle me raconte ses histoires dans un mélange de rêves et de souvenirs. J’adore le récit de ses grossesses. À son premier accouchement, qui présentait de grands risques, le médecin lui a strictement interdit d’avoir d’autres enfants. Mon père est le dixième. Son teint basané tranche sur celui de ses aînés. Ma grand-mère dit que c’est à cause du deuil de son propre frère qu’elle a dû porter tout au long des neuf mois. Ce constat superstitieux me plaît. Seul le passé est dans nos bouches.

Elle sait ma présence passagère : je suis moi-même une nomade. Nous appré-hendons le présent dans l’ombre de mon départ imminent.

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Tante

Ma tante infirmière vient chaque jour chez ma grand-mère pour lui donner son médicament contre la douleur à la mandibule. Sinon, ma grand-mère l’oublie et la souffrance devient si intense qu’elle ne peut ni manger ni parler.

Dans le salon transformé en clinique improvisée, elle veut tout savoir sur mon séjour et ma vie là-bas. Nous parlons de mes études littéraires, de ma passion pour l’écriture. Elle m’apprend qu’un des patients qu’elle soigne à l’hôpital est un grand poète, à ce qu’on dit. Je m’exclame en entendant son nom : Mario Benedetti. Le plus grand de tous ! Mon voyage prend soudain un autre sens. Je prie ma tante de m’aider à le rencontrer. Avant de partir, elle me glisse un numéro de téléphone. Je n’ai qu’à appeler à l’hôpital.

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Matins

Le déjeuner refroidit sur la table. Je me revois, enfant, assise comme une princesse sur une chaise de tôle. Les mains de mon grand-père, calleuses et ridées, se courbent au-dessus du chaudron. Il prend deux tasses pour faire tiédir mon lait et forme un arc-en-ciel blanc que j’admire de loin. Il a cet air sévère que feignent parfois les grands-parents. Mais je souris en le devinant. À côté de mon lait, il dépose deux galettes recouvertes de beurre. Pour les saisir, j’écarte mes doigts jusqu’à ce que la peau qui les relie devienne transparente. Les miettes tombent sur ma robe aux petites fleurs brodées, et il rit en essuyant ma bouche.

C’est parce qu’il est mort que je suis de retour au pays.

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État du poète

Le poète réside dans la clinique Impasse. Il a été admis contre sa volonté. Ses livres, qui ont été traduits en cinq langues, trônent sur sa table de chevet, et les lettres de ses amis écrivains s’entassent à côté d’un verre d’eau à demi-plein. Il est toujours impatient, même à quatre-vingt-sept ans. Il veut rentrer à la maison, rédiger ses critiques pour le journal El Mundo et achever un roman qui parle de la torture. Le docteur prévoit encore une semaine de convalescence. Le diagnostic est rassurant, mais l’âge avancé du malade exige la prudence. Le pays entier suit l’évolution de son état de santé. Depuis la nouvelle de son hospitalisation, la vente de ses livres a doublé. Le ministère de la Culture prépare des hommages. Et les professeurs de littérature modifient leurs plans de cours pour remettre ses œuvres à l’étude. Le poète se délecte de l’empressement soudain de son peuple et prie les médecins d’exagérer les rapports livrés à la presse afin de jouir en cachette de l’affolement que provoque sa maladie.

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Visite forcée

La maison de mon arrière-grand-mère me fait penser à un tombeau. L’humidité grimpe sur les murs et dessine des figures étranges. Deux chiens dorment dans une niche improvisée au milieu du jardin, devenu une terre aride. Là où autrefois poussaient les jasmins, tout a été arraché jusqu’à la racine. Mon arrière-grand-mère est la dernière personne à m’avoir saluée lors de mon départ. Maintenant elle n’est plus. Je repars aussi dévastée que ce lieu.

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Omnibus

J’entre dans l’autobus et ne regarde pas le chauffeur. Ici, on ne salue pas ces gens-là. Son assistant, un garde, me donne le ticket et ma monnaie. On s’échange tant de billets dans ce pays que tout semble coûter une fortune. Les passagers me dévisagent. Je suis étrange. Ma robe rouge détonne. Pantalons serrés, cami-soles ordinaires : leur mode n’est pas la mienne. Je suis d’ailleurs, et ils ne me le pardonnent pas.

Tout au long du trajet me revient en mémoire un recueil du poète ; je répète des poèmes, un, deux, trois vers, sans cesse. Je pratique aussi des formules de po-litesse, des manières de dire merci, des gestes qui parleraient en contrepoint.

L’autobus s’immobilise, c’est mon arrêt.

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La visite du poète

Dans la rue qui mène vers la clinique, un homme me lance une galanterie : « Avec cette robe, tu devrais craindre les taureaux, beauté ! » L’idée que le rouge déplaise au poète m’angoisse. C’est un jour de canicule, je sue. On dirait du parfum français.

L’entrée principale d’Impasse est interdite à cause de travaux de rénovation. J’entre par le stationnement et m’arrête au bout d’une file qui s’étend devant un comptoir de réception improvisé. Un fonctionnaire me demande le nom du patient que je viens visiter : « Je viens voir le poète », lui dis-je. Il me dévisage avec antipathie, puis consulte un de ses collègues. Finalement, il me prie d’attendre l’arrivée du secrétaire personnel du poète afin d’obtenir une autorisation de visite. Une femme sort en pleurs de la salle d’urgence, flanquée de son fils qui lui reproche sa tentative de suicide. Un homme aux habits soignés les croise, les contourne et se dirige vers l’accueil. Le préposé me désigne en penchant la tête. Le secrétaire vient à ma rencontre, me tend sa main gauche d’un geste affectueux et me décrit l’état fragile du poète. Les visites sont restreintes. Seule sa famille peut accéder à sa chambre. Je lui raconte mon retour au pays après cinq ans d’absence, ma découverte de la poésie dans l’exil, ce baume qui donne sens à l’errance et à la solitude.

Le secrétaire me remet une petite carte blanche avec l’adresse du poète. Il me propose de lui écrire.

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Départ

L’aéroport de mon pays est un cube de verre où les familles, bouleversées, s’em-brassent en pleurant chaque départ. Il n’y a pas de touristes, ici, que des gens qui émigrent. Dans ce cube naissent les premiers signes de la nostalgie.

Ma grand-mère n’est pas venue m’accompagner, nous nous sommes dit adieu chez elle. Au moment de nous séparer, elle a glissé un poème dans ma valise. Mon oncle numéro quatre me tient compagnie dans la salle d’embarquement avec son troupeau de petites princesses. Ce départ ne ressemble pas au premier. J’achète au kiosque de souvenirs le seul livre du poète que je ne possède pas : Yesterday y Mañana. Le titre est une caresse évoquant ce mouvement perpétuel de mon existence entre passé et futur.

Déjà dans l’avion, avant le décollage, j’annote un premier passage. Après vingt-quatre heures de voyage : trente vers soulignés et une kyrielle d’étoiles.

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En fuite

La douanière, qui me croit en fuite, prononce des mots presque inaudibles. Mes vêtements virevoltent dans les valises. Ses yeux, dans une danse paranoïaque, s’acharnent à chercher un trésor inexistant. Mon reflet dans la vitre me rassure, je replace tout de même ma frange. Je vénère le silence. La petite salle aux murs vert délavé est d’une platitude décourageante. De l’autre côté de l’abîme, les passagers défilent avec le faux sérieux de la peur. La douanière se rapproche de moi, le bras rigide. Elle me donne mon passeport. Des lignes dorées sur la couverture dessinent la carte de mon pays. Un nouveau tampon sur les pages du milieu marque la fin de mon voyage.

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Poésie par la poste

Le poète a reçu, par un jour d’orage, la grande enveloppe jaune. Déposée à côté de son lit, elle sentait encore les pluies d’avril. Son secrétaire lui a servi le déjeuner : du jus d’orange et deux petits pains complets qui s’émiettent dans l’assiette.

Depuis plus de soixante-dix ans, il indique méticuleusement l’heure à laquelle il entame chacune de ses lectures. Sa bibliothèque est, pour lui, un lieu de ren-contres fixées dans le temps. Il a tourné la première page de mon livre à onze heures quarante précises.

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Desde algún lugar…

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En el país del olvido

En el estrecho camino, una fina capa de tierra se alza a mi paso, esfumando de repente el tiempo de mi ausencia. Las voces entran en mi habitación y parecen habitarla más que mi propia presencia. El ruido resuena contra los barrotes de hierro fijados en la ventana, infiltrándose entre las grietas de su marco. El luto, vivido en la distancia, transformó la pérdida de dos seres queridos en un espejismo turbio. Cinco veces rocé el abismo antes de regresar a mi país.

Más que el aire calido de febrero es el frío que se instala cada noche en el país del olvido. Los veranos del sur se han vuelto imprevisibles.

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Amor al riesgo o ironía de las circunstancias

Dicen que la vejez estrecha el cuerpo. El cuerpo de mi abuela fue estrechado por el luto. Beso sus mejillas reducidas hasta los huesos, su piel es como una fina seda. Sola por primera vez desde hace cincuenta y cinco años, en su sonrisa se impone la muerte de mi abuelo.

Una vida de nómada resplandece en su mirada. Y me cuenta historias en una mezcla de sueño y de recuerdo. El relato de sus embarazos es mi preferido. Luego de su primer parto de alto riesgo, el médico le prohibió estrictamente tener más hijos. Mi padre es el décimo, su piel tostada se distingue de la de los descendientes. Mi abuela dice que es debido al luto que debió llevar a lo largo de los nueve meses de embarazo en honor a uno de sus hermanos.

Esta creencia supersticiosa me agrada. Sólo el pasado tiene lugar en nuestras palabras. Ella sabe que mi presencia es efímera y que tal como ella yo soy también nó-mada.

Juntas aceptamos nuestro presente bajo la sombra de mi partida inminente.

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Estado del poeta

El poeta reside en una clínica llamada Callejón sin salida en donde fue ingresado contra su voluntad. Sus libros, traducidos en más de cinco idiomas, cubren su mesa de cabecera, y las cartas de sus amigos artistas se apilan junto a un vaso de agua a medio pleno. Incluso a sus ochenta y siete años el poeta es impaciente. Quiere volver a su casa a redactar sus crónicas para diario El Mundo y acabar una novela que habla de la tortura. Su doctor pronostica una semana más de convalecencia. El diagnóstico es alentador, pero la edad avanzada del paciente exige prudencia.

El país entero sigue la evolución de su estado de salud. Desde la noticia de su hospitalización, la venta de sus libros ha duplicado. El Ministerio de Cultura prepara homenajes. Y los profesores de literatura modifican los planes de curso para volver a poner sus obras al estudio. El poeta goza del apresuramiento súbito de su pueblo y ruega a los médicos que exageren los informes suministrados a la prensa para poder apreciar desde su escondite el sobresalto que produce su enfermedad.

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Autobús

Entro en el autobús sin mirar al conductor. El guarda, me da el pasaje y el vuelto, nos intercambiamos tal cantidad de monedas que en esta ciudad todo me parece costar una fortuna. Los pasajeros me observan, mi vestido rojo los desconcierta. No pertenezco a la moda de los pantalones apretados y pequeños jerséis. Vengo de otra parte y sus miradas no me lo perdonan.

En mi cabeza repito poemas: uno, dos, tres resuenan sin calma. Durante el trayecto recito mi libro preferido del poeta y practico también fórmulas de cortesía, maneras de decir gracias, miradas que podrían hablar a contratiempo. El autobús se detiene en mi destino…

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Salida

El aeropuerto de mi país es un cubo de cristal en donde las familias se abrazan y lloran cada despedida. Aquí, los turistas no existen, solo existe gente que emigra. Y en el cubo nacen las primeras señales de la ausencia.

Mi abuela no vino a acompañarme, nos dijimos adiós en su casa. Al irme me dio un poema que guardé sin leer en mi maleta.

Esta despedida no es como la primera. Ahora soy yo la espectadora del dolor ajeno.

Mi tío número cuatro me tiene compañía en la sala de embarque con su manada de pequeñas princesas.

Antes de partir, compro un libro del poeta en el quiosco de los recuerdos: "Yester-day y Mañana" el título es una caricia al movimiento perpetuo de mi existencia.

Al final del viaje, treinta versos y una letanía de estrellas resaltan los poemas más bellos.