LUC FERRY Croissance et mondialisation Saint-Sulpice maîtrise · ANNÉE NOVEMBRE 2014 FR. 7.50 –...
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MUSÉE D’ÉTHNOGRAPHIE, GENÈVE
Arcanes dévoilés
LUC FERRY
Croissance et mondialisation
DENSIFICATION
Saint-Sulpice maîtrise
11
JOURNAL DE LA CONSTRUCTION DE LA SUISSE ROMANDE
AMIANTE
L’indésirable locataire
L’amiante a tutoyé les som-
mets en 1975, année record
où près de 5 millions de
tonnes ont été extraites
dans le monde. Au siècle dernier, on
en aurait importé jusqu’à 500 000 t en
Suisse. Il avait tout pour lui: résistant à
la chaleur, isolant, absorbant. Présent
dans 3000 applications et produits, il
répondait parfaitement aux besoins
de la construction, à des prix défiants
toute concurrence. Alors, pourquoi
s’en priver?
Parce qu’il tue
Au moins une personne meurt toutes
les cinq minutes sur la planète en
raison d’une maladie liée à l’amiante.
«En Suisse, l’amiante est clairement
la première cause de maladie profes-
sionnelle mortelle. L’exposition à de
l’amiante quinze à quarante-cinq ans
plus tôt provoque aujourd’hui plus de
décès que les accidents du travail»,
précise Marc Truffer, chef de la divi-
sion suisse romande de la sécurité au
travail à la Suva. «1703 cas mortels
ont été enregistrés en Suisse depuis
la reconnaissance de sa toxicité et
jusqu’en 2012, sur 2600 cas de mala-
dies professionnelles.»
Si outre-Sarine le sujet de l’amiante
semble moins occuper les esprits, la
majorité des cantons romands a pris
des dispositions. C’est le cas notam-
ment des communes vaudoises, qui
ont l’obligation depuis 2011 de vérifier
qu’un diagnostic amiante est effectué
à chaque demande d’autorisation de
travaux pour les immeubles construits
L’amiante était la «"bre
miraculeuse», l’allié de toutes
les constructions en Suisse
dès 1900 et jusqu’à son inter-
diction en 1990. Désormais
reconnu produit toxique
en cas d’inhalation, il doit être
éliminé.
bâtir novembre 2014 67
68 bâtir novembre 2014
avant 1991. Et, pour Marc Truffer, «on
peut considérer que la quasi-totalité
des bâtiments antérieurs à cette date
en contiennent encore». Mauvaise
nouvelle pour les propriétaires, qui
assumeront les frais de remise en état,
mais une aubaine pour les entreprises
comme D3 SA, à Bottens, spécialisée
dans le désamiantage.
Désamianter: la règle
des trois chez D3
Agréée par la Suva après trois chan-
tiers tests, l’entreprise D3 SA est l’une
des 20 sociétés spécialisées dans le
désamiantage dans le canton de Vaud.
Elle compte six employés et collabore
depuis trois ans avec l’entreprise Pittet
Construction, «pour que nos manda-
taires n’aient qu’une seule personne
de contact pendant toute la durée des
travaux, de la démolition à la recons-
truction», précise Andrea Da Campo,
administrateur de D3 et membre du
comité de l’ASSED (Association suisse
des entrepreneurs du désamiantage et
de la dépollution).
Trois jours d’installation, trois spécia-
listes et trois semaines pour désamian-
ter les trois niveaux de cette ancienne
prison dans la vieille-ville de Lausanne.
Vidée de ses occupants, elle regorge
aujourd’hui de sacs estampillés du
logo «danger amiante». «Pour ce chan-
tier devisé à 70000 francs, on sortira
environ 400 sacs d’amiante», indique
Andrea Da Campo. A l’étage inférieur,
on délogera l’amiante sous les dalles
au sol. Au 1er étage, on s’attaquera aux
faux plafonds et au crépi.
Le désamiantage
des bâtiments avant travaux
est obligatoire depuis 2011.
AMIANTE
Zone interdite
C’est au 2e étage que se trouve la zone
confinée, isolée et mise en dépression.
Des bâches étanches en plastique
délimitent le périmètre. On y enlève
l’amiante à coups de marteaux-piqueurs,
puis par ponçage. Les fibres d’amiante
libérées sont aspirées et passent par
trois filtres qui supprimeront progres-
sivement toutes les poussières, jusqu’à
atteindre la concentration maximale
autorisée dans la zone, soit 1000 fibres
d’amiante par mètre cube d’air. Pour
entrer dans la zone contaminée, les
spécialistes portent un équipement à
usage unique et un masque intégral
de protection avec adduction d’air.
Et, pour en sortir, «ils traversent trois
sas de décontamination», explique
Andrea Da Campo. «L’ouvrier qui
quitte la zone confinée enlève sa com-
binaison, la met dans un sac pour élimi-
nation, mais se douche encore équipé
de son masque. C’est seulement
ensuite qu’il l’enlève, avant de quitter
la zone. Le masque étant propre, il est
réutilisable.»
Il ajoute que «la Suva peut effectuer
des contrôles inopinés tout au long du
chantier». C’est en effet elle qui s’as-
sure que les entreprises respectent les
règles de sécurité, selon la directive
CFST no 6503, véritable bible du désa-
miantage. C’est également la Suva qui
référence les experts chargés de réa-
liser un contrôle libératoire qui garan-
tira que plus aucun résidu d’amiante
ne subsiste. La zone sera alors recon-
nue comme «propre» et la levée des
mesures de protection autorisée.
Restent les sacs de déchets amiantés
à éliminer.
bâtir pratique
bâtir novembre 2014 69
«Bon» débarras
Depuis 1990, les déchets d’amiante
ne sont plus jetés en vrac, mais sont
entreposés selon leur degré de potentiel
de libération de fibres (soit leur dan-
gerosité). L’amiante fortement agglo-
méré et en bon état (peu dangereux)
est dirigé vers les décharges contrôlées
pour matériaux inertes (DCMI). La
directive cantonale sur les matériaux
minéraux de chantier demande l’embal-
lage et l’étiquetage de tous les déchets
amiantés. Depuis le 1er novembre, elle
donne également une liste plus précise
des types de déchets selon leur nature,
ainsi que la filière d’élimination corres-
pondante.
L’amiante faiblement aggloméré (très
nocif) est quant à lui envoyé dans une
décharge contrôlée bioactive (DCB);
le territoire romand ne dispose que
d’un site de ce type (à Posieux, dans le
canton de Fribourg). Les doubles sacs
contenant l’amiante sont enfouis dans
des casiers étanches, puis recouverts
de terre et, à terme, d’une membrane
imperméable et d’une couche d’argile.
Le choix du site et les contrôles effec-
tués par les services cantonaux de
protection de l’environnement y sont
aussi stricts que possible, dans la
mesure où ces décharges sont exploi-
tées par des entreprises privées. Une
fois les DCB pleines, le terrain est
remis en état et retourne en général
à l’agriculture. Pour Frédéric Pittet,
administrateur de D3 et patron de
Pittet Construction, «on est en droit
de se demander ce que les déchets
deviendront. On ne fait que déplacer
Conduit d’air de zone
con"née (à gauche)
et des sacs d’amiante.
le problème en enlevant l’amiante
des constructions pour l’enfouir sous
terre.» Pour le canton de Vaud, ce
sont 825 t de déchets amiantés qui ont
été envoyées en DCB pour la seule
année 2013.
Si Florian Zellweger, de la Direction
générale de l’environnement (DGE)
du canton de Vaud, admet que la
solution actuelle «n’est peut-être
pas idéale, mais sans aucun doute la
moins insatisfaisante», il met l’accent
sur le fait que «les volumes sont telle-
ment confinés que le risque de conta-
mination des sols est extrêmement
faible». Il ajoute que la seule solution
pour détruire définitivement toutes les
fibres d’amiante est la vitrification.
Unité de contrôle des zones
con"nées servant à relever
le degré de dépression.
Risque zéro, la vitri�cation?
Mélangé avec des matériaux inertes
et du ciment puis chauffé par torches
à plasma jusqu’à une température
de 1600°C, l’amiante est réduit en une
roche non toxique: le cofalit.
Inertam (du groupe Europlasma) est
la seule usine en France (et vraisem-
blablement la seule au monde) à utili-
ser ce procédé. Si elle récupère 3% de
l’amiante extrait en France, qu’en est-il
de nos déchets? «Actuellement, nous
ne recevons rien en provenance de la
Suisse, mais nous avons eu quelques
réceptions en 2008-2009, dont notam-
ment les déchets provenant du désa-
miantage de la tour de la Télévision
suisse romande», précise Anne Bor-
deres, du groupe Europlasma. Le can-
ton de Vaud avait également envoyé
chez Inertam l’amiante retiré du
Centre professionnel du Nord vaudois
d’Yverdon-les-Bains en 2006. Mais la
démarche reste extrêmement rare. Si
la vitrification semble proposer une
L’usine Inertam en France est la seule
au monde à éliminer les déchets amiantés
par le procédé de vitri�cation.
Ci-dessus, une coulée de vitri�cation.
L’amiante en Suisse1900 environ: début de l’utilisation
de l’amiante
1939: L’asbestose (maladie pulmonaire
progressive) est reconnue comme
maladie professionnelle par la Suva
1950: Premier soupçon d’un lien entre
l’amiante et l’apparition d’un mésothé-
liome (tumeur maligne de la plèvre)
1970: Suspension des travaux d’isolation
comprenant de l’amiante #oqué
1984: Toutes les maladies reconnues liées
à l’amiante sont indemnisées par la Suva
1990: Le Conseil fédéral interdit l’utilisa-
tion de toute forme d’amiante dans la
construction
2011: Le canton de Vaud rend obligatoire
le désamiantage des immeubles
lors de travaux nécessitant un permis
de construire.
Adresses utilesCanton de Vaud: www.vd.ch/amiante
Suva: www.suva.ch/amiante
OFSP (Office fédéral de la santé publique)
www.asbestinfo.ch
FACH (Forum Amiante Suisse)
www.forum-amiante.ch
AMIANTE
alternative intéressante au problème
des déchets d’amiante, elle est terrible-
ment gourmande en énergie. La ques-
tion de l’impact écologique du procédé
peut donc se poser. Quant au coût, il
reste dissuasif: 2000 framcs la tonne
pour l’acheminement et la vitrification,
contre 650 francs pour l’enfouissement
en DCB, soit plus de trois fois moins.
L’amiante fait parler de lui
Sur Vaud, une cellule amiante canto-
nale, présidée par le chef du Départe-
ment de la santé et de l’action sociale
Pierre-Yves Maillard, a été réactivée.
Elle réunit deux fois par an des
membres permanents de la Suva et de
l’Etat de Vaud (Service immeubles,
patrimoine et logistique, Service de la
santé publique et Direction générale de
l’environnement). Le sujet de l’amiante
est un vrai casse-tête et, si les solutions
d’élimination idéales n’existent pas, les
volontés sont en marche.
TEXTE: JOËLLE LORÉTAN
PHOTOGRAPHIES: VANINA MOREILLON
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Résidu de la vitri�cation:
le cofalit est absolument
ino"ensif.
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