[Louis Althusser] Montesquieu, La Politique Et l'Histoire (BookFi.org)

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    Louis A lthusserMontesquieu

    La politique et l h istoire

    QUADRIGE PUF

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    Transporter dans des si-cles reculs toutes les ides dusicle o l on vit, c est dessources de l erreur celle quiest la plus fconde. A ces gensqui veulent rendre modernestous les sicles anciens je diraice que les prtres d Egyptedirent Solon : O Athniensvous n'tes que des enfants

    Esprit des Lois, XXX, 14. Montesquieu a fait voir...

    Mine DE STAL. La France avait perdu sestitres de noblesse ; Montes-quieu les lui a rendus.

    VOLTAIRE.

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    T BLE DES M TIRES

    AVANT PROPOSCHAPITRE PREMIER. Une rvolution dans lamthode I

    II Une nouvelle thorie de la loi 8III La dialectique de l histoire 43

    IV Il y a trois gouvernements... 65V Le mythe de la sparation despouvoirs 98VI Le parti pris de Montesquieu109

    ON LUS ON 123BIBLIOGRAPHIE I 4

    Imprim en FranceImprimerie des Presses U niversitaires de France73 avenue Ronsard 41100 Vendme

    Avril 1992 N 38 118

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    ABRVIATIONS

    L Esprit des Lois est dsign par le signe : EL.Le chiffre en caractres romains dsigne le numrodu Livre.Le chiffre en caractres arabes dsigne le numrodu chapitre dudit Livre.Exemple : EL, XI, 6 : Esprit des Lois, chapitre 6 du

    Livre XI. La Dfense de l Esprit des Lois est dsigne par :Dfense de l EL.

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    Avant-proposJe n'ai pas la prtention de rien dire de neuf surMontesquieu. Ce qui paratra tel n'est que rflexion surdes textes connus ou des rflexions faites.Je voudrais seulement avoir donn de ce personnagequ'on voit dans les marbres une image un peu vivante.Je ne songe pas tant la vie intrieure du seigneur de

    La Brde, qui fut si secret qu'on dbat encore s'il crutjamais, s'il aima de retour sa femme, s'il eut, passtrente-cinq ans, des passions de vingt. Ni tant la viequotidienne du prsident de Parlement fatigu du Parle-ment, du seigneur absorb dans ses terres, du vigneronattentif ses vins et ses ventes. D'autres l'ont fait,qu'il faut lire. Je pense une autre vie, que les temps ontrecouverte de leur ombre, et les commentaires de leurlustre.Cette vie est d'abord celle d'un penseur que la passiondes matires du droit et de la politique tint en haleinejusqu' la fin, et qui laissa la vue sur les livres, se htantde gagner la seule course qu'il prit coeur de remportersur la mort : son oeuvre acheve. Qu'on ne se mprennepourtant pas : ce n'est pas la curiosit de son objet, maisson intelligence, qui est tout Montesquieu. Il ne voulaitque comprendre. Nous avons de lui quelques images quitrahissent cet effort et sa fiert. Il ne pntrait dans lamasse infinie des docum ents et des textes, dans l imm ense

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    MONTESQUIEU

    hritage des histoires, chroniques, recueils et compila-tions, que pour en saisir la logique, en dgager la raison.Il voulait tenir le fil de cet cheveau que des siclesavaient emml, tenir le fil et le tirer lui, pour quetout vnt. Tout venait. D'autres fois il se croyait danscet univers gigantesque de donnes minuscules, perducomme dans une mer sans rivages. Il voulait que la meret ses rives, les lui donner, et y aborder. Il y abordait.Il n'est personne qui l'ait prcd dans cette aventure.Il faut croire que cet homme, qui porte assez d'amouraux navires pour raisonner sur le dessin de leur coque,la hauteur de leurs mts et la vitesse de leur course ;qui voue assez d'intrt aux premiers priples poursuivre les Carthaginois le long des ctes d'Afrique, etles Espagnols jusqu'aux Indes, se sentait comme uneaffinit avec tous les tmraires de la mer. Ce n'est pasen vain qu'il l'voque quand il se surprend dans l'immen-sit des espaces de son sujet : la dernire phrase de sonlivre est pour clbrer le rivage enfin proche. Il est vraiqu'il partait pour l'inconnu. Mais pour ce navigateuraussi, l'inconnu n'tait que terres nouvelles.C'est pourquoi on voit dans Montesquieu comme lesjoies profondes d'un homme qui dcouvre. l le sait.Il sait qu'il apporte des ides nouvelles, qu'il offre uneoeuvre sans prcdent, et si ses derniers mots sont poursaluer la terre enfin conquise, son prem ier est pour avertirqu'il partit seul, n'eut point de matres, ni sa pensede mre. Il note qu'il faut bien qu'il parle un langagenouveau puisqu'il dit des vrits nouvelles. Jusque dansle tour de sa langue, on sent la fiert d'un auteur quiclaire les mots communs dont il hrite par les sensnouveaux qu'il dcouvre. Il sent bien, dans l'instant oil est comme surpris de la voir natre et saisi par elle,

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    AVANT-PROPOS 9et dans les trente ans de travaux qui lui donnrent sacarrire, que sa pense ouvre un nouveau monde. Nousavons pris l'habitude de cette dcouverte. Et quand nousclbrons sa grandeur, nous ne pouvons faire queMontesquieu ne soit dj fix dans la ncessit de notreculture, comme une toile dans le ciel, concevant malce qu'il lui fallut d'audace et de passion pour nous ouvrirce ciel o nous l avons inscrit.

    Mais je pense encore une autre vie. A celle quemasquent trop souvent les dcouvertes mmes que nouslui devons. Aux prfrences, aux aversions, bref auparti pris de Montesquieu dans les luttes de son temps.Une tradition trop apaisante voudrait que Montesquieuait jet sur le monde le regard d'un homme sans intrtni parti. N'a-t-il pas dit lui-mme qu'il tait justementhistorien parce que dtach de toute faction, l'abridu pouvoir et de ses tentations, libre de tout par unerencontre miraculeuse ? Capable justement de toutcomprendre parce que libre de tout ? Rendons-lui cedevoir, qui est de tout historien, de le croire non sursa parole, mais sur son oeuvre. Il m'a paru que cetteimage tait un mythe, et j'espre le montrer. Mais, lemontrant, je ne voudrais pas qu'on crt que le partipassionn que prit Montesquieu dans les luttes politiquesde son temps ait jamais rduit son oeuvre au pur commen-taire de ses voeux.

    D'autres avant lui sont partis pour l'Orient quinous ont dcouvert des Indes l'Occident.

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    CHAPITRE PREMIER

    Une rvolution dans la mthodeC'est une vrit reue de dclarer Montesquieu lefondateur de la science politique. Auguste Comte l'a dit,

    Durkheim l'a redit, et personne n'a srieusement contestcet arrt. Mais il faut prendre peut-tre quelque reculpour le distinguer de ses anctres, et pntrer ce qui l'endistingue.Car Platon affirmait dj que la politique est l'objetd'une science, et pour preuve nous avons de lui laRpublique, le Politique, et les Lois. Toute la penseantique a vcu sur la conviction, non qu'une sciencedu politique tait possible, ce qui est une convictioncritique, mais qu'il suffisait de la faire. Et les moderneseux-mmes ont repris cette thse, comme on le voitdans Bodin, Hobbes, Spinoza et Grotius. Je veux bienqu'on rcuse les Anciens, non pour leur prtentionde rflchir sur le politique, mais pour leur illusiond'en avoir fait la science. Car l'ide qu'ils se fai-saient de la science tait emprunte de leurs connais-sances. Et comme celles-ci, hors certaines rgions math-matiques non unifies avant Euclide, n'taient que desvues immdiates ou leur philosophie projete dans les

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    I2 MONTESQUIEUchoses, ils taient tout trangers notre ide de la science,n'en ayant pas d'exemple. Mais les modernes Commentsoutenir que l'esprit d'un Bodin, d'un Machiavel, d'unHobbes ou d'un Spinoza, contemporains des disciplinesdj rigoureuses qui triomphaient en mathmatiques eten physique, ait pu rester aveugle au modle de laconnaissance scientifique dont nous avons hrit ?Et, de fait, on voit depuis le xvi sicle, natre etcrotre d'un mouvement conjoint une premire physique,mathmatique, et l'exigence d'une seconde, qu'on appel-lera bientt physique morale ou politique, et qui voudrala rigueur de la premire. C'est que l'opposition dessciences de la nature et des sciences de l'homme n'estpas encore de saison. Les plus mtaphysiciens exilentbien en Dieu cette science de la politique ou de l'histoire,qui paraissent la conjonction des accidents de la fortuneet des dcrets de la libert humaine : tel Leibniz. Maison ne met jamais entre les mains de Dieu que les dfautsdes mains de l'homme et Leibniz confiait bien Dieul'ide humaine d'une science de l'homme. Quant auxpositifs, les moralistes, les philosophes du droit, lespolitiques, et Spinoza lui-mme, ils ne doutent pas uninstant qu'on puisse traiter des rapports humains commedes rapports physiques. Hobbes ne voit entre les math-matiques et les sciences sociales qu'une diffrence : lespremires unissent les hommes, les secondes les divisent.Mais c'est pour cette seule raison que dans les premiresla vrit et l'intrt des hommes ne se trouvent pas en opposi-tion, alors que dans les secondes chaque fois que la raisonest contraire l'homme, l'homme est contraire la raison.Spinoza veut, lui aussi, qu on traite des relations hum ainescomme on fait des choses de la nature, et par les mmesvoies. Qu'on lise ces pages qui introduisent au Trait

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE3politique : Spinoza dnonant les purs philosophes qui,tels les aristotliciens sur la nature, jettent sur la politiquel'imaginaire de leurs concepts ou de leur idal, proposeen place de leurs rves la science relle de l'histoire.Comment prtendre alors que Montesquieu ait ouvertdes voies que nous trouvons, bien avant lui, toutestraces ?En vrit, s'il parat suivre des voies connues, il neva pas au mme objet. Helvtius dit de Montesquieuqu'il a le tour d'esprit de Montaigne. Il a la mmecuriosit, et se donne la mme matire rflchirCommeMontaigne et tous ses disciples, ramasseurs d'exempleset de faits quts dans tous les lieux et tous les temps, ilse donnait pour objet l'histoire entire de tous les hommesqui ont vcu. Et cette ide ne lui tait pas venue tout fait par hasard. Il faut bien se reprsenter en effet cettedouble rvolution qui branle le Inonde dans le tournantdes xv et xvr sicles. Une rvolution dans son espace.Une rvolution dans sa structure. C'est le temps de laTerre dcouverte, des grandes explorations ouvrant l'Europe la connaissance et l'exploitation des Indesd'Est et d'Ouest, et de l'Afrique. Des voyageurs rap-portent alors dans leurs coffres les pices et l'or, et dansleur mmoire le rcit de moeurs et d'institutions quirenversent toutes les vrits reues. Mais ce scandalen'aurait fait qu'un petit bruit de curiosit, si dans lesein mme des pays qui jetaient ainsi leurs navires laconqute des terres nouvelles, d'autres vnementsn avaient eux aussi branl les fondements de ces convic-tions. Guerres civiles, rvolution religieuse de la Rforme,guerres de religion, transformation de la structure tradi-tionnelle de l'tat, monte des roturiers, abaissementdes grands ces bouleversements dont l'cho retentit

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    1 4ONTESQUIEUdans toutes les oeuvres de ce temps, donnent la matiredes scandaleux rcits rapports d'outre-mer la dignitcontagieuse de faits rels et pleins de sens. Ce qui jadisn'tait que thmes compiler, bizarreries combler lespassions d'rudits devient comme le miroir des inqui-tudes prsentes, et l'cho fantastique de ce monde encrise. Voil le fondement de cet exotisme politique (l his-toire connue elle-mme, la Grce et Rome, devenantelle aussi cet autre monde o le monde prsent cherchesa propre image) qui domine la pense depuis le xvi esicle.Tel est bien l'objet de Montesquieu. Cet ouvrage,dit-il de l'Esprit des Lois, a pour objet les lois, les coutumeset les divers usages de tous les peuples de la terre. On peutdire que le sujet en est immense, puisqu'il embrasse toutesles institutions qui sont reues parmi les hommes'. C'estjustement cet objet qui le distingue de tous les auteursqui entendirent avant lui faire de la politique une science.Car jamais avant lui on n'eut cette audace de rflchirsur tous les usages et les lois de tous les peuples du monde.L'histoire de Bossuet se veut bien universelle : maistoute son universalit consiste dire que la Bible a toutdit, toute l'histoire y tenant, comme un chne en songland. Quant aux thoriciens tels Hobbes, Spinoza etGrotius, ils proposent plutt l'ide d'une science qu'ilsne la font. Ils rflchissent non pas sur la totalit desfaits concrets, mais soit sur quelques-uns (commeSpinoza sur l'tat juif et son idologie dans le Traitthologico-politique), soit sur la socit en gnral, commeHobbes dans le De cive et le Lviathan, comm e Spinozalui-mme dans le Trait politique. Ils ne font pas unethorie de l histoire relle, ils font une thorie de l essence

    r. Dfense de l'EL, ePartie : Ide gnrale.

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE

    de la socit. Ils n'expliquent pas telle socit parti-culire, ni telle priode historique concrte, ni plusforte raison le tout des socits et de l'histoire. Ilsanalysent l essence de la socit et en donnent un modleidal et abstrait. On peut dire : leur science est sparede la science de Montesquieu par la mme distance quispare la physique spculative d'un Descartes de laphysique exprimentale d'un Newton. L'une atteintdirectement dans des essences ou natures simples lavrit a priori de tous les faits physiques possibles, l autrepart des faits, observant leurs variations pour en dgagerdes lois. Cette diffrence dans l'objet commande alorsune rvolution dans la mthode. Si Montesquieu n'estpas le premier qui conut l'ide d'une physique sociale,il est le premier qui voulut lui donner l'esprit de laphysique nouvelle, partir non des essences mais desfaits, et de ces faits dgager leurs lois.On voit donc la fois ce qui unit Montesquieu auxthoriciens qui le prcdent, et ce qui l'en distingue.Il a en commun avec eux un mme projet : difier lascience politique. Mais il n'a pas le mme objet, se propo-sant de faire la science, non de la socit en gnral,mais de toutes les socits concrtes de l'histoire. Etde ce fait il n'a pas la mme mthode, voulant non saisirdes essences, mais dcouvrir des lois. Cette unit dansle projet et cette diffrence dans l'objet et la mthodefont de Montesquieu la fois l'homme qui a donn auxexigences scientifiques de ses prdcesseurs la forme laplus rigoureuse et l'adversaire le plus dcid de leurabstraction.Le projet de constituer une science de la politique etde l'histoire suppose d'abord que la politique et l'histoirepuissent tre l'objet d'une science, c'est--dire contien-

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    16 MONTESQUIEUnent une ncessit que la science voudra dcouvrir. Ilfaut alors renverser l'ide sceptique que l'histoire del'humanit n'est que l'histoire de ses erreurs et de sonerrance ; qu'un seul principe peut unir la prodigieuseet dcourageante diversit des moeurs : la faiblesse del'homme ; qu'une seule raison peut clairer ce dsordreinfini : la draison mme de l'homme. Il faut dire :J'ai d'abord examin les hommes et j'ai cru que dans cetteinfinie diversit des lois et des moeurs, ils n'taient pasuniquement conduits par leurs fantaisies (EL, Prface),mais par une raison profonde, qui, sinon toujours raison-nable, est du moins toujours rationnelle ; par une nces-sit dont l'empire est si serr que non seulement yrentrent des institutions bizarres, qui durent, mais jus-qu' ce hasard mme, qui fait gagner ou perdre une ba-taille et tient dans une rencontre de l'instant'. Par cettencessit rationnelle se trouve rejete, avec le scepticismequi en est le prtexte, toute tentation apologtique pasca-lienne qui guette dans la draison humaine l'aveu d'uneraison divine ; et tout recours des principes qui dansl'homme passent l'homme, comme la religion, ou luiassignent des fins, comme la morale. La ncessit quigouverne l'histoire, pour commencer d'tre scientifique,doit cesser d'emprunter sa raison aucun ordre trans-cendant l'histoire. Il faut donc dbarrasser la voie dela science des prtentions d'une thologie et d'une moralequi voudraient lui dicter leurs lois.

    Ce n'est pas la thologie d'noncer la vrit des faitsde la politique. Vieille querelle. Mais on imagine malaujourd'hui combien pesait sur l'histoire le dcret del'Eglise. Il suffit de lire Bossuet partant en guerre contrer. EL X, 13 (Pultava). Considrations, XVIII.

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE 7Spinoza, coupable d avoir esquiss une histoire du peuplejuif et de la Bible, ou contre Richard Simon, qui conutle mme projet au sein mme de l'glise, pour se repr-senter le conflit de la thologie et de l'histoire, et saviolence. Ce conflit occupe toute la Dfense de l'Espritdes Lois. On accuse Montesquieu d'athisme, de disme ;d'avoir tu le pch originel ; justifi la polygamie, etc. ;bref, rduit les lois des causes toutes humaines.Montesquieu rpond : introduire la thologie en histoire,c'est confondre les ordres, et mler les sciences, ce quiest le plus sr moyen de les tenir en enfance. Non, sonpropos n'est pas de jouer au thologien ; il n'est pasthologien, mais jurisconsulte et politique. Que tous lesobjets de la science politique puissent avoir aussi un sensreligieux, qu'on puisse trancher du clibat, de la poly-gamie et de l'usure en thologien, il en est d'accord. Maistous ces faits relvent aussi et d abord d un ordre tranger la thologie, d'un ordre autonome qui a ses principespropres. Qu'on le laisse donc en paix. Il n'interdit pasqu'on juge en thologien. Qu'on lui cde donc en changele droit de juger en politique. Et qu'on n'aille pas chercherde la thologie dans sa politique. Il n'est pas plus dethologie dans sa politique que de clocher de village dansla lunette o l'on montre la lune un cur'.La religion ne peut donc pas tenir lieu de science l'histoire. La morale non plus. Montesquieu prvient,avec les dernires prcautions, ds le dbut, qu'il nefaut pas entendre morale quand il dit politique. Ainsipour la vertu. Ce n'est point une vertu morale, ni une vertuchrtienne, c'est la vertu politique (EL, Avertissement).Et s'il revient dix fois sur cet avertissement, c'est bieni Dfense de l'EL, I re Partie, II : Rponse la 9e objection.

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    18ONTESQUIEUqu'il heurte le prjug le plus commun : dans tous lespays du monde, on veut de la morale (EL, Avertissement).Hobbes et Spinoza tenaient le mme discours : tous lesdevoirs du monde ne font pas le commencement d'uneseule connaissance ; dans sa morale, qui veut faire del'homme qu'il est l'homme qu'il n'est pas, l'hommeavoue trop videmment que les lois qui le gouvernentne sont pas morales. Qu'on dcide donc de rejeter lamorale si l'on veut pntrer ces lois. On objecte Montesquieu les vertus hum aines et les vertus chrtiennesquand il s'exerce comprendre les usages scandaleuxdes Chinois et des Turcs Mais ce n'est point avec cesquestions qu'on fait des livres de physique, de politique etde jurisprudence'. L encore il faut distinguer les ordresdistincts : tous les vices politiques ne sont pas des vicesmoraux, et... tous les vices moraux ne sont pas des vicespolitiques (EL, XIX, 1). Chaque ordre ayant ses lois,il ne prtend qu'aux lois du sien. Il rpond aux tholo-giens et aux moralistes qu'il ne veut que parler humaine-ment de l'ordre humain des choses, et politiquement del'ordre politique. Il dfend l sa conviction la plus pro-fonde : qu'une science du politique ne peut jamais sefonder que sur son objet propre, sur l'autonomie radicaledu politique comme tel.Mais la cause n'est pas encore entendue. Car il nesuffit pas de distinguer les sciences et leurs ordres :dans la vie les ordres se chevauchent l'un l'autre. Lavraie religion, la vraie morale, suppos qu'elles soient,comme principes d'explication, exclues de l'ordre poli-tique, appartiennent pourtant cet ordre par les conduitesou les scrupules qu'elles inspirent C'est l que le conflit

    I. Dfense de l EL, Partie

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE 19devient aigu. Car on peut bien rendre la morale lamorale, et ne juger qu'en pur politique. Cela va bientant qu'on crit sur la morale pouvantable des Japonais,ou la religion effrayante des Turcs. Tous les thologiensdu monde vous les abandonnent. Mais quand d'aventureon rencontre la vraie morale Et la vraie religion Va-t-on, elles aussi, les traiter humainement , commechoses purement humaines ? Montrer, comme on faitdes paennes, que la religion et la morale chrtienness'expliquent par le rgime politique, deux degrs delatitude, un ciel trop rude, les moeurs de commerantsou de pcheurs ? Va-t-on laisser imprimer que c'estla diffrence des climats qui a conserv le catholicismedans le Sud de l'Europe, et rpandu le protestantismedans le Nord ? Va-t-on autoriser ainsi une sociologiepolitique de la religion et de la morale ? La contagion dumal force alors revenir sur son origine, et l'on verrades thologiens comme dchirs par le sort fait Mahometou aux Chinois. Car on voudrait bien que les religionsfausses ne soient qu'humaines, et tombent sous l'empireprofane d'une science, mais comment prvenir que cetempire ne gagne les vraies ? D'o ce thologien qui flaired'avance l'hrsie dans une thorie trop humaine desreligions fausses. Et Montesquieu qui se bat et se dfenddans la marge terriblement troite qui spare ses convic-tions de croyant (ou ses prcautions de mauvais esprit),de ses exigences de savant. Car il n'est pas douteux queMontesquieu expose maintes reprises, dans ses exemples,tout l'argument d'une vritable thorie sociologique descroyances religieuses et morales. Religion et morale, dont ilrefuse justement qu'elles jugent l'histoire, ne sont qu'l-ments intrieurs des socits donnes, qui commandentleur forme et leur nature. Le mme principe, qui rend

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    20 MONTESQUIEUcompte d'une socit donne, rend compte aussi de sescroyances. Que reste-t-il alors de la distinction desordres ? La distinction, si l'on veut s'y tenir, et il le fautbien, passe alors au travers de l'ordre mme du religieuxet du moral. On dira que la religion peut tre prise dansson sens et son rle humains (qui peuvent tomber sousune sociologie), ou dans son sens religieux (qui luichappe). C'est ainsi que Montesquieu recule, ne voulantpas sauter.D'o l'accusation d'athisme, et la faiblesse de sadfense. Car s'il mit de la vigueur dans ses rponses, ilne pouvait pas mettre de force dans ses raisons. On veutle convaincre d'athisme ? Il a pour tout argument : cen'est pas d'un athe d'crire que ce monde, qui va seulson cours et suit ses lois, a t cr par une intelligence.On assure qu il donne dans le spinozisme, dans la religionnaturelle ? Il a pour seule rplique : la religion naturellen est pas l athisme, et d ailleurs je n avoue pas la religionnaturelle. Toutes ces parades en retraite n'ont pu abuserses adversaires et ses amis. D ailleurs la meilleure dfensequ'il ait prsente de la religion, cet loge qu'il en faitouvertement dans la Seconde Partie de l'Esprit des Loisest autant d'un cynique que d'un fidle. Voyez la pol-mique avec Bayle (EL, XXIV, 2 6). Bayle voulait quela religion ft contraire la socit (c'est le sens du para-doxe sur les athes). Montesquieu lui oppose qu'elle luiest indispensable et profitable. Mais, ce faisant, ildemeure dans le principe de Bayle : fonction sociale,utilit sociale et politique de la religion. Toute son admi-ration se rsume montrer que cette religion chrtienne,qui ne prtend qu'au ciel, est trs convenable la terre.Mais tous les politiques ont tenu ce langage, etMachiavel le premier. Dans ce langage tout humain ,

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODEla foi ne trouve pas son bien. Il faut alors de bien autresraisons pour regagner un thologien

    Ces deux principes pralables toute science politique :qu'il ne faut pas juger de l'histoire par des critres reli-gieux ou moraux, qu'il faut au contraire ranger religionet morale dans les faits de l'histoire, et les soumettre lamme science, ne distinguent cependant pas radicalementMontesquieu de ses prdcesseurs. Hobbes et Spinozatenaient en somme le mme langage, et comme lui furenttraits d'athes. La singularit de Montesquieu est juste-ment de prendre le contre-pied de ces thoriciens dontil est pourtant l'hritier, et de s'opposer sur un pointdcisif aux thories du droit naturel dont ils furent, pourla plupart, les doctrinaires.

    Prcisons ce point. Dans son ouvrage sur la thoriepolitique, Vaughan" montre que tous les thoricienspolitiques des xVII et xvin sicles sont, l'exception deVico et de Montesquieu, des thoriciens du contrat social.Que signifie cette exception ? Pour en dcider, il convientde prendre une vue rapide de la thorie du droit naturelet du contrat social.Ce qui unit les philosophes du droit naturel, c'est deposer le mm e problme : quelle est l'origine de la socit ?et de le rsoudre par les mmes moyens : l'tat de natureet le contrat social. Il peut paratre aujourd'hui trs sin-gulier de se poser pareil problme d'origine, et de se deman-der comment les hommes, dont l'existence, mme phy-sique, suppose toujours un minimum d'existence sociale,ont pu passer d'un tat nul de socit des rapportssociaux organiss, et comment ils franchirent ce seuiloriginaire et radical. C est pourtant le problme dominant

    I. VAUGHAN, History of Political Philosophy II, pp. 253 m.

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    22 MONTESQUIEUde la rflexion politique de ce temps, et si sa forme esttrange, sa logique est profonde. Pour montrer l'origineradicale de la socit (on pense Leibniz, voulant percer origine radicale des choses ), il faut prendre leshommes avant la socit : l'tat naissant. Sortant deterre tels des potirons, dit Hobbes. Comme nus, diraRousseau. Dnus non seulement de tous les moyensde l'art, mais surtout de tous les liens humains. Et lessaisir dans un tat qui soit un nant de socit. Cet tatde naissance est l'tat de nature. Les auteurs prtentbien cet tat originaire des traits diffrents. Hobbes etSpinoza y voient rgner l'tat de guerre, le fort triompherdu faible. Locke y veut les hommes vivant en paix.Rousseau dans une solitude absolue. Les diffrents traitsde l'tat de nature, tantt dessinent les raisons que leshommes auront d'en sortir, et tantt esquissent les res-sorts de l'tat social venir, et l'idal des relationshumaines. Paradoxalement, cet tat ignorant de toutesocit, contient et figure par avance l'idal d'une socit crer. C'est la fin de l'histoire qui est inscrite dansl'origine. Ainsi la libert de l'individu dans Hobbes,Spinoza et Locke. Ainsi l'galit et l'indpendance del'homme dans Rousseau. Mais tous ces auteurs ont encommun le mme concept et le mme problme : l'tatde nature n'est que l'origine d'une socit dont ils veulentdcrire la gense.C'est le contrat social qui assure le passage du nantde socit la socit existante. Ici encore il peut paratretrange de se reprsenter que l'tablissement d'unesocit soit l'effet d'une convention gnrale, comme sitoute convention ne supposait dj une socit tablie.Mais il faut accepter cette problmatique, puisqu'elle at tenue pour ncessaire, et se demander seulement ce

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE3que signifie ce contrat, qui n'est pas un simple artificejuridique, mais l'expression de raisons trs profondes.Dire que la socit des hommes sort d'un contrat, c'esten effet dclarer proprement humaine et artificielle l'ori-gine de toute institution sociale. C'est dire que la socitn'est l'effet ni d'une institution divine, ni d'un ordrenaturel. C'est donc avant tout refuser une ancienne idedu fondement de l'ordre social et en proposer unenouvelle. On voit quels adversaires se profilent derrirela thorie du contrat. Non seulement les thoriciens del'origine divine de toute socit, qui peuvent servir biendes causes, bien qu'ils servissent alors le plus souventcelle de l'ordre tabli, mais surtout les partisans ducaractre naturel (et non artificiel) de la socit :ceux qui pensent les rapports humains dessins paravance dans une nature qui n'est que la projection del'ordre social existant, dans une nature o les hommessont inscrits par avance dans des ordres et des tats. Pourdire d'un mot ce qui est en cause, la thorie du contratsocial renverse en gnral les convictions propres l'ordrefodal, la croyance dans l'ingalit naturelle deshommes, dans la ncessit des ordres et des tats. Elleremplace par le contrat entre gaux, par une oeuvre del'art humain, ce que les thoriciens fodaux attribuaient la nature et la sociabilit naturelle de l'homme.C'est gnralement alors un assez sr indice de discrimi-nation entre les tendances que de considrer que ladoctrine de la sociabilit naturelle ou de l'instinct de socia-bilit dsigne une thorie d'inspiration fodale, et la doctrinedu contrat social une thorie d'inspiration bourgeoise ,mme quand elle est au service de la monarchie absolue(par exemple dans Hobbes). En effet l'ide que leshommes sont les auteurs de leur socit dans un pacte

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    MONTESQUIEU

    originaire, qui parfois se ddouble en un pacte d'as-sociation (civil) et un pacte de domination (politique)est alors une ide rvolutionnaire, faisant, dans la thoriepure, cho aux conflits sociaux et politiques d'un mondeen gense. Cette ide est la fois une protestation contrel'ancien ordre, et un programme pour un ordre nouveau.Elle prive l'ordre social tabli et tous les problmespolitiques alors dbattus du recours la nature (dumoins cette nature ingalitaire), y dnonce uneimposture et fonde les institutions que ses auteursdfendent, y compris la monarchie absolue en luttecontre les fodaux, sur la convention humaine. Elle donneainsi pouvoir aux hommes de rejeter les institutionsanciennes, d'asseoir les nouvelles et au besoin de lesrvoquer ou rformer par une convention neuve. Danscette thorie de l'tat de nature et du contrat social, quisemble de pure spculation, on voit un ordre socialet politique qui tombe, et des hommes fonder sur d'ing-nieux principes l'ordre nouveau qu'ils veulent dfendreou difier.Mais ce caractre polmique et revendicatif de la thoriedu droit naturel explique justement son abstraction etson idalisme. Je disais plus haut que ces thoriciens entaient rests au modle d'une physique cartsienne, quine connat que des esse nce s idales. En vrit, la physiquen'est pas seule en cause. Et ceux qui voudraient jugerde Montesquieu en le rapportant Descartes, commeon l'a fait', ou Newton, le rduiraient une apparenceimmdiate, mais abstraite. Ce modle physique n'estici qu'un modle pistmologique : ses vraies raisonslui sont en partie extrieures. Si les thoriciens dont je

    I. LANSON, Revue de mtaphysique et de morale, 1896.

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE5parle ne se sont pas donn l'objet de Montesquieu :comprendre l'infinie diversit des institutions humainesdans tous les temps et dans tous les lieux, ce n'est passeulement par la simple aberration d'une mthodeinspire par le modle cartsien de la science, c'estaussi pour des motifs d une tout autre porte. Ils n avaientpas en tte d'expliquer les institutions de tous les peuplesdu monde, mais de combattre un ordre encore tabli oude justifier un ordre naissant ou natre. Ils ne voulaientpas comprendre tous les faits, mais fonder, c'est--direproposer et justifier un ordre nouveau. C'est pourquoi ilserait aberrant de chercher dans Hobbes et dans Spinozaune vritable histoire de la chute de Rome ou de l appari-tion des lois fodales. Ils n'en avaient pas aux faits.Rousseau dira rondement qu'il faut commencer parcarter tous les faitsl ls n'en avaient qu'au droit,c'est--dire ce qui doit tre. Les faits n'taient poureux que matire l'exercice de ce droit, et comme lasimple occasion et le reflet de son existence. Mais parl ils demeuraient dans ce qu'il faut bien appeler uneattitude polmique et idologique. Ils faisaient du partiqu'ils prenaient la raison mme de l'histoire. Et leursprincipes, qu'ils donnaient pour science, n'taient quevaleurs engages dans les combats de leurs temps etqu'ils avaient choisies.Je ne dis pas que tout soit vain dans cette gigantesqueentreprise : on pourrait montrer ses effets, qui sont grands.Mais on aperoit combien le propos de Montesquieul'loigne de ces perspectives, et dans cette distance ondistingue mieux ses raisons. Elles sont doubles, politiqueset mthodologiques, toutes deux troitement mles.

    I. ROUSSEAU, Discours sur l'origine de l'ingalit, Introduction.

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    26 MONTESQUIEUQu'on rflchisse alors sur cette absence de tout contratsocial dans Montesquieu. Il est bien un tat de nature,dont le premier livre de l'Esprit des Lois nous donne untrs rapide aperu, mais de contrat social, point. je n'aijamais ou parler du droit public, dit au contraireMontesquieu dans la 44.Lettre Persane, qu'on n'aitcommenc par rechercher soigneusement quelle est l'originedes socits : ce qui me parat ridicule. Si les hommes n'enformaient point, s'ils se quittaient et se fuyaient les uns lesautres, il faudrait en demander la raison et chercher pour-quoi ils se tiennent spars. Mais ils naissent tous lis lesuns aux autres ; un fils est n auprs de son pre et il s'ytient : voil la socit et la cause de la socit. Tout y est.Condamnation du problme de l'origine, absurde. Lasocit se prcde toujours elle-mme. Le seul problme,s'il en fallait un, mais qu'on ne rencontre jamais, seraitpourquoi des hommes n'ont pas de socit. Nul contrat.Pour rendre compte de la socit, il suffit d'un hommeet de son fils. Il n est gure surprenant alors de dcouvrir,dans la rapide revue de l'tat de nature du livre I, qu'unecertaine quatrime loi tient lieu de ce contrat absent :l'instinct de sociabilit. Voil une premire indication quimet sur la voie de juger Montesquieu adversaire de lathorie du droit naturel pour des raisons qui tiennent un parti pris de type fodal. Toute la thorie politique del'Esprit des Lois renforcera cette conviction.Mais ce refus conscient du problme et des conceptsde la thorie du droit naturel conduit une secondeindication, non plus de politique, mais de mthode. Icise dcouvre sans aucun doute la nouveaut radicale deMontesquieu. Rejetant la thorie du droit naturel et ducontrat, Montesquieu rejette du mme coup les implica-tions philosophiques de sa problmatique : avant tout

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    UNE RVOLUTION DANS LA MTHODE 27l'idalisme de sa dmarche. Il est l'oppos, du moinsdans sa conscience dlibre, de juger le fait par le droit,et de proposer sous le couvert d'une gense idale, unefin aux socits humaines. Il ne connat que des faits.S'il se dfend de juger ce qui est par ce qui doit tre, c'estqu'il ne tire point ses principes de ses prjugs, maisde la nature des choses (EL, Prface). Prjugs : l'ideque la religion et la morale peuvent juger de l'histoire.Ce prjug faisait un accord de principe avec certainsdes doctrinaires du droit naturel. Mais prjug galement :l'ide que l'abstraction d'un idal politique, mme revtudes principes de la science, puisse tenir lieu d'histoire.Par l Montesquieu rompait sans gard avec les thori-ciens du droit naturel. Rousseau ne s'y est pas mpris :Le droit politique est encore natre... Le seul moderne entat de crer cette grande et inutile science et t l'illustreMontesquieu. Mais il n'et garde de traiter des principesdu droit politique ; il se contente de traiter du droit positifdes gouvernements tablis ; et rien au monde n'est plusdiffrent que ces deux tudes. Celui pourtant qui veut jugersainement des gouvernements tels qu'ils existent, est obligde les runir toutes deux : il faut savoir ce qui doit tre pourbien juger de ce qui est (mile, V).Ce Montesquieu qui refuse justement de juger cequi est par ce qui doit tre, qui veut seulement donner la ncessit relle de l histoire la forme de sa loi, en tirantcette loi de la diversit des faits et de leurs variations, cethomme-l est bien seul en face de sa tche.

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    CHAPITRE II

    Une nouvelle thorie de la loiRefus de soumettre la matire des faits politiques des principes religieux et moraux, refus de la soumettreaux concepts abstraits de la thorie du droit naturel, quine sont que jugements de valeur dguiss, voil quicarte les prjugs et ouvre la voie royale de la science.Voil qui introduit aux grandes rvolutions thoriquesde Montesquieu.La plus clbre tient en deux lignes, qui dfinissentles lois. Les lois... sont les rapports ncessaires qui driventde la nature des choses (EL, I, I). Le thologien de laDfense, qui n'est pas si naf que Montesquieu veut dire,n'en croit pas ses yeux. Les lois, des rapports Cela seconoit-il ?... Cependant l'auteur n'a pas chang la dfini-tion ordinaire des lois sans dessein'. Il voyait juste. Le

    dessein de Montesquieu, quoi qu'il en ait dit, tait biende changer quelque chose dans la dfinition reue.On connat la longue histoire du concept de loi. Sonacception moderne (le sens de loi scientifique) ne paratI. Dfense de l'EL, I re Partie I : I re objection.

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI

    que dans les travaux des physiciens et des philosophesdu xvi et du xvir sicle. Et mme alors elle porte encoreen elle les traits de son pass. Avant de prendre le nou-veau sens d'une relation constante entre des variablesphnomnales, c'est--dire avant de se rapporter lapratique des sciences exprimentales modernes, la loiappartenait au monde de la religion, de la morale et dela politique. Elle tait, dans son sens, imprgne d'exi-gences issues des relations humaines. La loi supposait doncdes tres humains, ou des tres l'image de l'homme,mme s'ils le passaient. La loi tait commandement. Ellevoulait donc une volont pour ordonner et des volontspour obir. Un lgislateur et des sujets. La loi possdaitde ce fait la structure de l'action humaine consciente :elle avait une fin, elle dsignait un but, en mme tempsqu'elle en exigeait l'atteinte. Pour les sujets qui vivaientsous la loi, elle offrait l'quivoque de la contrainte et del'idal. C'est ce sens et ses harmoniques qu'on voitdominer exclusivement la pense mdivale, de saintAugustin saint Thomas. La loi ayant une seule struc-ture, on pouvait parler de loi divine, de lois naturelles,de lois positives (humaines) dans un mme sens. Dans tousles cas on rencontrait une mme forme de commande-ment et de fin. La loi divine dominait toutes les lois.Dieu avait donn ses ordres la nature tout entire etaux hommes, et, ce faisant, leur avait fix leurs fins. Lesautres lois n'taient que l'cho de ce commandementoriginaire, rpt et attnu dans l'univers entier, lacommunion des anges, les socits humaines, la nature.On sait que c'est un travers de ceux qui donnent desordres, au moins dans certains corps, d'aimer qu'on lesrpte.L'ide que la nature pt avoir des lois qui n'taient

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    30ONTESQUIEUpas des ordres fut longue dgager de pareil hritage.On le voit dans Descartes, qui veut encore rapporter un dcret de Dieu les lois qu'il ne dcouvre que dans lescorps : conservation du mouvement, chute, choc. AvecSpinoza nat la conscience d'une premire diffrence :C'est toutefois par mtaphore que le mot de loi se voitappliqu aux choses naturelles, car communment on n'en-tend pas par loi autre chose qu'un commandement'. Celong effort parvient au xvII eicle dgager pour lenouveau sens de loi un domaine propre : celui de lanature, celui de la physique. A l'abri du dcret de Dieu,qui de haut protgeait encore l'ancienne forme de la loi,sauvant les apparences, une nouvelle forme de loi sedveloppait, qui peu peu, passant de Descartes Newton, prit la forme que dit Montesquieu : un rapportconstamment tabli entre des termes variables, et tel quechaque diversit est uniformit, chaque changement estconstance (EL, I, 1). Mais ce qui valait de corps tombantou se heurtant, et des plantes courant sur leur orbe,on concevait mal qu'on pt en faire un modle universel.L'ancien sens de la loi, qui est ordre et fin noncs parun matre, conservait ses positions d'origine : le domainede la loi divine, le domaine de la loi morale (ou naturelle),le domaine des lois humaines. Et l'on peut mme remar-quer, ce qui est paradoxal au premier regard, mais a sesraisons, que les thoriciens du droit naturel dont il a tquestion, donnaient l'ancienne acception de la loil'appoint de leurs concepts. Sans doute ils avaient euxaussi lacis la loi naturelle , le Dieu qui la disait ou,son dcret pris, montait la garde auprs d'elle, tant aussiinutile que le Dieu de Descartes : tout juste gardien de

    I. SPINOZA, Trait thologico-politique, IV .

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI1nuit contre les voleurs. Mais ils avaient conserv del'ancienne acception sa structure tlologique, son carac-tre d'idal masqu sous les apparences immdiates dela nature. Pour eux la loi naturelle tait autant un devoirqu'une ncessit. Toutes leurs revendications trouvaientrefuge et appui dans une dfinition de la loi encoretrangre la dfinition nouvelle.Or, en deux lignes, Montesquieu propose tout simple-ment de rejeter des domaines qu'elle gardait encorel'ancienne acception du mot loi. Et de consacrer pourtoute l'tendue des tres, de Dieu la pierre, le rgne dela dfinition moderne : la loi-rapport. Dans ce sens, tousles tres ont leurs lois : la divinit a ses lois, le monde matriela ses lois, les intelligences suprieures l'homme ont leurslois, les btes ont leurs lois, l'homme a ses lois (EL, I, I).Tout y est. Cette fois c'est la fin des rserves interdites.On imagine le scandale. Sans doute Dieu est toujoursl pour donner le branle, sinon le change. Il a cr lemonde. Mais il n'est qu'un des termes des rapports.Il est la raison primitive, mais les lois le mettent sur lemme pied que les tres : Les lois sont les rapports qui setrouvent entre elle (la raison primitive, c'est--dire Dieu)et les diffrents tres, et le rapport de ces divers tres entreeux (EL, I, 1). Et si l'on ajoute que Dieu lui-mme, quiinstitue ces lois, en crant les tres, voit son propre dcretoriginaire soumis une ncessit de mme nature, Dieumme est, de l intrieur, gagn par l universelle contagionde la loi S'il a fait ces lois qui gouvernent le monde,c'est en dfinitive qu'elles ont du rapport avec sa sagesseet sa puissance. Une fois rgl le compte de Dieu, tout lereste tombe. Le meilleur moyen de rduire son adversairetant de le mettre dans son parti. Il veillait sur les anciensdomaines. Les voil ouverts devant Montesquieu, et

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    32ONTESQUIEUd'abord le monde entier de l'existence des hommes dansleurs cits et dans leur histoire. Il va pouvoir enfin leurimposer sa loi.Il faut bien voir en face ce qu implique cette rvolutionthorique. Elle suppose qu'il est possible d'appliquer auxmatires de la politique et de l'histoire une catgorienewtonienne de la loi. Elle suppose qu'il est possible detirer des institutions humaines elles-mmes, de quoipenser leur diversit dans une unit, et leur changementdans une constance : la loi de leur diversification, la loi deleur devenir. Cette loi ne sera plus un ordre idal, maisun rapport immanent aux phnomnes'. Elle ne serapas donne dans l'intuition des essences, mais tire desfaits eux-mmes, sans ide prconue, par la recherche etla comparaison, dans le ttonnement. Dans le momentde sa dcouverte, elle ne sera qu'hypothse, et ne deviendraprincipe qu'une fois vrifie par tous les phnomnes lesplus divers : Je suivais mon objet sans former de dessein :je ne connaissais ni les rgles ni les exceptions; je ne trouvaisla vrit que pour la perdre : mais quand j'ai dcouvert mesprincipes, tout ce que je cherchais est venu moi (EL,Prface). J'ai pos les principes et j'ai vu les cas particulierss'y plier d'eux-mmes, les histoires de toutes les nations n'entre que les suites... (EL, Prface). A l'exprimentationdirecte prs, c'est bien le cycle mme d'une scienceempirique la recherche de la loi de son objet.

    Evidente rsonance newtonienne des formules de Montesquieu :l auteur, dit-il de lui mme, ne parle point des causes, et il ne comparepas les causes ; niais il parle des effets et il compare les effets (Dfense de l'EL, I re Partie, I : Rponse la 3 obligation). Cf. gale-ment cette remarque sur la polygamie : Elle n est point une affairede calcul quand on raisonne sur sa nature ; elle peut tre une affairede calcul quand on combine ses effets (Dfense de l'EL, H Partie :De la polygamie).

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI 3 3Mais cette rvolution thorique suppose galementqu'on ne confonde pas l'objet de l'investigation scienti-

    fique (ici les lois civiles et politiques des socits humaines)avec les rsultats de l'investigation elle-mme : qu'on nejoue pas sur le mot loi. C'est l une dangereuse confusionqui tient ce que Montesquieu, qui en tous objets de laconnaissance dgage des faits leurs lois, cherche ici connatre cet objet particulier que sont les lois positivesdes socits humaines. Or les lois qu'on trouve en Grceau v sicle, ou dans le royaume de la Premire Race desFrancs, ne sont videmment pas des lois au premiersens : des lois scientifiques. Ce sont des institutions juri-diques, dont Montesquieu veut noncer la loi (scienti-fique) de groupement ou d'volution. Il le dit trs nette-ment en distinguant les lois et leur esprit : je ne traitepoint des lois, mais de l'esprit des lois... cet esprit consistedans les divers rapports que les lois peuvent avoir avecdiverses choses... (EL, I, 3). Montesquieu ne confond doncpas les lois de son objet (l'esprit des lois) avec son objetmme (les lois). Je crois que cette distinction toutesimple est indispensable pour se garder d'une mprise.Dans le mme premier livre, aprs avoir montr quetous les tres de l'univers et Dieu mme, sont soumis des lois-rapports, Montesquieu envisage leur diffrencede modalit. Il distingue ainsi les lois qui gouvernentla matire inanime, et qui ne connaissent jamais lemoindre cart, des lois qui rglent les animaux et leshommes. Au fur et mesure que l'on s'lve dans lesdegrs de l'tre, les lois perdent en fixit, et en tout casleur observation en exactitude. Il s'en faut bien que lemonde intelligent soit aussi bien gouvern que le mondephysique (EL, I, i). Ainsi l'homme, qui a sur les autrestres le privilge de la connaissance, est livr l'erreur etL. ALTHUSSER

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    3 4 MONTESQUIEUaux passions. D'o ses carts : Comme tre intelligent ilviole sans cesse les lois que Dieu a tablies, et change sanscesse celles qu'il a tablies (EL, I, t). Pis. Il n observe mmepas toujours celles qu'il se donne Or c'est justement cettre errant, dans son histoire, qui est l'objet des investi-gations de Montesquieu : un tre dont la conduite n'obitpas toujours aux lois qu'on lui donne, et qui de surcrotpeut avoir des lois particulires qu'il a faites : les loispositives, sans pour cela les respecter non plus.Ces rflexions peuvent paratre chez Montesquieud'un moraliste dplorant la faiblesse de l'homme. Je lescrois plutt d'un thoricien qui se heurte ici une qui-voque profonde. On peut en effet donner de cettedistinction de la modalit des lois deux interprta-tions diffrentes, qui reprsentent deux tendances dansMontesquieu lui-mme.Dans la premire, on pourra dire : tenant ferme ceprincipe de mthode que les lois de relation et de varia-tion qu on peut dgager des lois humaines, sont distinctesde ces lois, l'errance et les carts des hommes quant leurs lois ne remettent rien en cause. C'est que le socio-logue n'a pas affaire, comme le physicien, un objet(le corps) qui obit un dterminisme simple, et suitune ligne dont il ne s'carte pas mais un type d'objettrs particulier : ces hommes, qui s'cartent mme deslois qu'ils se donnent. Que dire alors des hommes dansleur rapport leurs lois ? Qu'ils les changent, lestournent ou les violent. Mais rien de tout ceci n'affectel'ide qu'on peut dgager de leur conduite indiffrem-ment soumise ou rebelle une loi qu'ils suivent sans lesavoir, et de leurs erreurs mm es sa vrit. Pour se dcou-rager de dcouvrir les lois de la conduite des hommes, ilfaut avoir la simplicit de prendre les lois qu'ils se

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI5donnent pour la ncessit qui les gouverne En vrit,leur erreur, l'aberration de leur humeur, le viol et lechangement de leurs lois, font tout simplement partiede leur conduite. Il n est que de dgager les lois du viol deslois, ou de leur changement. Et c'est bien ce que faitMontesquieu dans presque tous les chapitres de l'Espritdes Lois. Qu'on ouvre un livre d'histoire (les successionschez les Romains, la justice aux premiers ges de lafodalit, etc.) : on reconnatra que l'errance et la varia-tion humaines font justement tout leur objet. Cetteattitude suppose un principe de mthode trs fcond,qui consiste ne pas prendre les motifs de l'actionhumaine pour ses mobiles, les fins et les raisons queles hommes se proposent consciemment pour les cau-ses relles, le plus souvent inconscientes, qui les fontagir. Montesquieu en appelle ainsi constamment descauses que les hommes ignorent : le climat, le terrain,les moeurs, la logique interne d'un ensemble d'institu-tions, etc., justement pour rendre compte des lois hu-maines et de l'cart qui spare la conduite des hommes,tant des lois primitives (qui sont les lois naturelles dela morale) que des lois positives. Tout prouve que Mon-tesquieu n'a pas entendu noncer l'esprit des lois,c'est--dire la loi des lois, sans noncer aussi le mauvaisesprit humain des lois : la loi de leur viol, dans un mmeprincipe.

    Cette interprtation permet de donner peut-tre unsens plus convenable un thme qui revient constam-ment dans Montesquieu, et qui parat concerner les de-voirs de la loi. On voit en effet trs souvent Montesquieuparlant des lois humaines, en appeler des lois existantes des lois meilleures. trange paradoxe d'un homme quirefuse de juger ce qui est par ce qui doit tre et qui

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    36 MONTESQUIEUcependant tomberait dans le travers qu'il dnonceMontesquieu dit par exemple (ce qui jure avec toutesles lois dpourvues de cette raison qu'il dcrit dans sonlivre) que la loi en gnral est la raison humaine, en tantqu'elle gouverne tous les peuples de la terre (EL, I, 1). Ildit encore que les lois doivent se rapporter au peuple,qu'elles doivent se rapporter la nature et au principedu gouvernement, qu'elles doivent tre relatives auphysique du pays, etc. On ne finirait pas d'numrertous ces devoirs. Et quand on croit, dans sa dfinitionde la nature et du principe, bien tenir l'essence d'ungouvernement, on s'tonne de lire : Ce qui ne signifie pasque dans une rpublique on soit vertueux, mais qu'on devraitl'tre... sans quoi le gouvernement serait imparfait (EL, III,I I). Le despotisme lui-mme, pour tre parfait , etDieu sait de quel genre de perfection, a lui-mme desdevoirs respecter On conclut gnralement de cestextes : c'est le thoricien de l'idal, ou le lgislateur quiprend la place du savant. Celui-ci ne voulait que desfaits ; celui-l se propose des fins. Mais ici encore lemalentendu repose en partie sur le jeu de mots des deuxlois : les lois qui ordonnent rellement les actions deshommes (les lois que recherche le savant) et les loisordonnes par les hommes. Quand Montesquieu proposedes devoirs aux lois, c'est seulement aux lois que leshommes se donnent. Et ce devoir est tout simplementl'appel combler la distance qui spare les lois quigouvernent les hommes leur insu, des lois qu'ils fontet qu'ils connaissent. Il s'agit bien d'un appel au lgisla-teur, mais afin que le lgislateur, instruit des illusionsde la conscience commune, critique de cette conscienceaveugle, se rgle sur la conscience claire du savant,c'est--dire sur la science, et conforme le plus possible

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI7les lois conscientes qu'il donne aux hommes aux loisinconscientes qui les gouvernent. Il ne s'agit donc pasd'un idal abstrait, d'une tche infinie qui affecterait leshommes parce qu'impuissants et errants. Il s'agit d'unecorrection de la conscience errante par la science acquise,de la conscience inconsciente par la conscience scienti-fique. Il s'agit donc de faire passer les acquisitions de lascience dans la pratique politique mme, en corrigeantcette pratique de ses erreurs et de son inconscience.Telle est la premire interprtation possible, quiclaire l imm ense majorit des exemples de Montesquieu.Ainsi compris, Montesquieu est bien le prcurseurconscient de toute la science politique moderne, qui neveut de science que critique, qui ne dgage les loisrelles de la conduite des hommes des lois apparentesqu'ils se donnent, que pour critiquer ces lois apparenteset les modifier, faisant ainsi retour l histoire des rsultatsacquis dans la connaissance de l'histoire. Ce recul scien-tifique par rapport l'histoire, et ce retour conscient l'histoire, peuvent naturellement, si l'on prend l'objetde la science pour la science, servir de prtexte l accusa-tion d'idalisme politique (voir Poincar : la science est l'indicatif; l'action l'impratif) Mais il suffit de voirque la distance qu'on dit idale entre l'tat existant et leprojet de le rformer n'est dans ce cas que le recul de lascience par rapport son objet et sa conscience commune,pour rduire toute accusation de ce genre. Dans l'appa-rent idal que la science propose son objet, elle ne faitque lui rendre ce qu'elle lui a pris : son propre recul, quiest la connaissance mme.Mais je dois dire qu il est, de ces textes que je commente,une autre interprtation possible, et qu'on peut la sou-tenir dans Montesquieu lui-mme. Voici en effet

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    3 8 MONTESQUIEUcomment il introduit les lois humaines dans le concertdes lois gnrales : Les tres particuliers intelligents peuventavoir des lois qu'ils ont faites : mais ils en ont qu'ils n'ontpas faites. Avant qu'il y et des tres intelligents, ils taientpossibles : ils avaient donc des rapports possibles, et parconsquent des lois possibles. Avant qu'il y et des loisfaites, il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu'iln'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent oudfendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on ettrac de cercle, tous les rayons n'taient pas gaux. Il fautdonc avouer des rapports d'quit antrieurs la loi positivequi les tablit... (EL, I, 1). Et ces lois primitives sontrapportes Dieu. Ces lois d'une justice qui se prcdetoujours, indpendante de toutes les conditions concrtesde l'histoire, renvoient cette fois l'ancien type de loi,la loi-commandement, la loi-devoir. Peu importe qu'ellesoit dite divine, et s exerce par le ministre de la religion ;naturelle ou morale et s'exerce par l'enseignement despres et des matres ou par cette voix de la nature,qu'avant Rousseau, Montesquieu dit la plus douce desvoix; ou politique. Il ne s'agit plus des lois humaines,positives engages dans des conditions d'existenceconcrtes, dont le savant doit justement dgager la loi.Il s'agit d'un devoir fix aux hommes par la nature ouDieu, ce qui est tout un. Et cette caractristique comporte,bien entendu, la confusion des ordres : la loi scientifiquedisparat derrire la loi-ordre. On surprendra trs dis-tinctement cette tentation dans la fin du premier chapitredu livre I. Les textes qui ont servi la premire interpr-tation inclinent alors dans un sens tout nouveau. Tout sepasse comme si, dsormais, l'errance humaine, cettepart indivise de la conduite des hommes, n'tait plus unobjet de la science, mais la raison profonde qui justifie

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI9l existence des lois, c est--dire des devoirs. Il est piquantde penser que si les corps n'ont pas de lois (positives)c'est qu'ils n'ont pas l'esprit de dsobir leurs loisCar si les hommes ont de ces lois, c'est moins causede leur imperfection (qui, pour un homme, ne donneraittous les cailloux du monde ?), que pour leur capacitd'insoumission. L'homme : Il faut qu'il se conduise ;et cependant il est un tre born ; il est sujet l'ignoranceet l'erreur comme toutes les intelligences finies ; les faiblesconnaissances qu'il a, il les perd encore. Comme craturesensible, il devient sujet mille passions. Un tel tre pouvait, tout instant, oublier son crateur : Dieu l'a rappel luipar les lois de la religion ; un tel tre pouvait tous lesinstants s'oublier lui-mme : les philosophes l'ont avertipar les lois de la morale ; fait pour vivre dans la socit, ily pouvait oublier les autres : les lgislateurs l'ont rendu sesdevoirs par les lois politiques et civiles (EL, I, t). Cettefois, nous voil rejets en arrire, et tout de bon. Ceslois sont des ordres. Ce sont des lois contre l'oubli, deslois de rappel qui remettent l'homme dans sa mmoire,c'est--dire dans son devoir, le rangent dans la fin qu'ildoit poursuivre, bon gr mal gr, s'il veut accomplirson destin d'homme. Ces lois ne regardent plus le rap-port existant entre l'homme et ses conditions d'exis-tence, mais la nature humaine. La marge de devoir-trede ces lois ne concerne plus, comme avant, la distancequi spare l'inconscience humaine de la consciencede ses lois, elle concerne la condition humaine. Naturehumaine, condition humaine, nous voil bel et bienrejets dans un monde avec lequel nous pensionsavoir rompu. Dans un monde de valeurs fixes au cielpour dtourner vers elles le regard des hommes.Ici Montesquieu rentre sagement dans la tradition la

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    40 MONTESQUIEUplus fade. Il existe des valeurs ternelles. Qu'on en lisel'nonc dans le chapitre I du livre I : il faut obiraux lois ; il faut vouer de la reconnaissance son bien-faiteur ; il faut obir son crateur ; on sera puni pourle mal commis. Singulire numration On la compl-tera par une seconde : livre I, chapitre 2, pour apprendre :que la nature nous donne l'ide d'un crateur, etnous porte vers lui ; qu'elle veut que nous vivions enpaix ; que nous mangions ; que nous soyons inclinsvers l autre sexe ; et dsireux de vivre en socit. Le restese recueille peu peu, pars dans des textes loigns :qu'un pre doit son enfant nourriture mais pas forc-ment hritage ; un fils soutien son pre, s'il est larue ; que la femme doit cder le pas l'homme dans lemnage ; et surtout que les conduites qui regardent lapudeur importent par-dessus tout la destinationhumaine (qu'il s'agisse de la femme dans la plupart deses actes, dans les combinaisons des mariages, ou desdeux sexes conjugus en d'abominables rencontres) ;que le despotisme, la torture heurtent toujours la naturehumaine, et l esclavage souvent. En bref, quelques reven-dications librales, d'autres politiques, et de fortes plati-tudes servant des coutumes bien ancres. Rien qui res-semble de loin aux attributs gnreux que d'autresthoriciens, non plus honteux, mais rsolus ou nafs,prtent ou prteront la nature humaine : libert,galit, voire fraternit. Nous sommes bien dans unautre monde.Je crois que ce ct de Montesquieu n'est pas indiff-rent. Qu'il ne figure pas seulement une concession isoledans un ensemble d'exigences rigoureuses, le tributpay pour acquit aux prjugs du monde, pour en avoirla paix. Montesquieu avait besoin de ce recours et de ce

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    UNE NOUVELLE THORIE DE LA LOI 41refuge. Comme il avait besoin de l'quivoque de sonconcept de loi pour combattre ses adversaires les plusfarouches. Qu'on relise alors sa rponse au thologienen alerte. Ces lois qui se prcdent elles-mmes, cesrayons gaux de toute ternit avant que quiconque,Dieu ou homme, ait jamais trac cercle au monde, cesrapports d'quit antrieurs toutes les lois positivespossibles, lui servent d'argument contre le pril deHobbes. L'auteur a en vue d'attaquer le systme de Hobbes :systme terrible, qui, faisant dpendre tous les vices ettoutes les vertus de l'tablissement des lois que les hommes sesont faites..., renverse, comme Spinoza, toute morale ettoute religion'. Va pour la morale et la religion. Lethologien y trouvera son content. Mais il est en jeu unetout autre cause. Non plus les lois qui commandent lamorale et la religion, mais les lois qui gouvernent lapolitique, lois dcisives, au regard de Montesquieu mme.C'est le fondement de ces lois qui est en cause dansHobbes travers le contrat. Ces lois ternelles deMontesquieu, prexistant toutes les lois humaines,sont bien alors le refuge o il se protgera de son adver-saire. Qu'il y ait des lois avant les lois, on comprend qu'iln'y ait plus de contrat, ni rien de ces prils politiques ola seule ide du contrat engage les hommes et les gouver-nements. A l'abri des lois ternelles d'une nature sansstructure galitaire, on peut combattre l'adversaire deloin. On l'attend sur le terrain de la nature, mais qu'on achoisi avant lui, et avec les armes qui conviennent.Tout est dispos pour dfendre une autre cause que lasienne : celle d'un monde branl qu'on veut rasseoirsur ses bases.

    1. Dfense de l'EL, Ire Partie, I : Rponse la I re objection.

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    42 MONTESQUIEUCe n est certes pas le moindre paradoxe deMontesquieu de servir ainsi des causes anciennes avec

    des ides dont les plus fortes sont toutes nouvelles.Mais il est temps de le suivre dans ses penses les plusconnues, qui sont aussi les plus secrtes.

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    CHAPITRE III

    La dialectique de l'histoireTout ce qui a t dit jusqu'ici ne concerne que lamthode de Montesquieu, ses prsupposs et son sens.

    Cette mthode applique son objet est sans contestenouvelle. Mais une mthode, mme nouvelle, peut trevaine, si elle ne produit rien de neuf. Quelles sont doncles dcouvertes positives de Montesquieu ?j'ai d'abord examin les hommes, et j'ai cru que danscette infinie diversit de lois et de moeurs, ils n'taient pasuniquement conduits par leurs fantaisies. J'ai pos lesprincipes, et j'ai vu les cas particuliers s'y pl.er commed'eux-mmes, les histoires de toutes les nations n'en treque les suites, et chaque loi particulire lie une autre loi,ou dpendre d'une plus gnrale. Telle est la dcouvertede Montesquieu : non des ingniosits de dtail, maisdes principes universels permettant l'intelligence detoute l'histoire humaine et de tous ses dtails. Quand j'aidcouvert mes principes, tout ce que je cherchais est venu moi (EL, Prface).Quels sont donc ces principes qui rendent ainsi l'his-toire intelligible ? Cette question pose soulve de nom-breuses difficults, qui touchent directement la compo-

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    44ONTESQUIEUsition de l Esprit des Lois. Le grand ouvrage deMontesquieu, qui s'ouvre sur les pages que je viens decommenter, n'a pas en effet l'ordonnance attendue. On ytrouve d'abord, du livre II au livre XIII, une thorie desgouvernements et des diffrentes lois qui dpendentsoit de leur nature, soit de leur principe : en somme unetypologie, qui parat trs abstraite bien que nourried'exemples historiques, et qui semble un tout isol dureste, chef-d'oeuvre achev dans une oeuvre inache-ve (J.-J. Chevallier). Pass le livre XIII, on croiraitun autre monde. On pensait que tout tait dit des gou-vernements, connaissant leur type, mais voici le climat(liv. XIV, XV, XVI, XVII), puis la qualit du terrain(liv. XVIII), puis les moeurs (XIX), et le commerce (XX,XXI), et la monnaie (XXII), et la population (XXIII)et la religion enfin (XXIV, XXV) qui viennent leurtour dterminer ces lois dont on pensait dj tenir lesecret. Et pour achever la confusion, 4 livres d'histoire :un pour traiter de l'volution des lois romaines rglantles successions (XXVII), trois pour exposer les originesdes lois fodales (XXVIII, XXX, XXXI), et, dans leurmilieu, un livre sur la manire de composer les lois (XXIX). Des principes qui prtentent donner de l'ordre l'histoire, eussent au moins d en mettre dans le traitqui les expose.O les trouver en effet ? L'Esprit des Lois semblecompos de trois parties rajoutes la suite, comme desides survenues et qu'on n'a point voulu perdre. Oest la belle unit attendue ? Faut-il chercher les prin-cipes de Montesquieu dans les 13 premiers livres, etlui devoir alors l'ide d'une typologie pure des formes degouvernement, la description de leur dynamique propre,la dduction des lois en fonction de leur nature et de

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    LA DIALECTIQUE DE L HISTOIRE 45leur principe ? Soit. Mais alors tout ce qui concernele climat et les divers facteurs, puis l'histoire, parat,quoique intressant, rajout. Les vrais principes sont-ils au contraire dans la seconde partie, dans l'ide que leslois sont dtermines par diffrents facteurs, les unsmatriels (climat, terrain, population, conomie), lesautres moraux (moeurs, religion) ? Mais quelle est alorsla raison cache qui relie ces principes de dterminationaux premiers principes idaux et aux dernires tudeshistoriques ? Si l'on veut tout tenir dans une impossibleunit, l'idalit des types, le dterminisme du milieumatriel ou moral, et l'histoire, on est jet dans descontradictions sans issue. On dira Montesquieu dchirentre un matrialisme mcaniste et un idalisme moral,entre des structures intemporelles et une gense his-torique, etc. Faon de dire que s'il a fait des dcouvertes,elles n'ont pour tout lien que le dsordre de son livre,qui prouve contre lui qu'il n'a pas fait cette dcouvertequ'il croyait.Je voudrais tenter de combattre cette impression, etmontrer entre les diffrentes vrits de l'Esprit desLois cette chane qui les lie d'autres dont parle laPrface.La premire expression des nouveaux principes deMontesquieu tient dans les quelques lignes qui distin-guent la nature et le principe d'un gouvernement. Chaquegouvernement (rpublique, monarchie, despotisme) asa nature et son principe. Sa nature est ce qui le fait tretel, son principe la passion qui le fait agir (EL, III, 1).Qu'entendre par nature du gouvernement ? La naturedu gouvernement rpond la question : qui dtient lepouvoir ? Comment le dtenteur du pouvoir exerce-t-il lepouvoir ? Ainsi la nature du gouvernement rpublicain

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    46MONT SQU Uveut que le peuple en corps (ou une partie du peuple)ait la puissance souveraine. La nature du monarchique,qu'un seul gouverne, mais par des lois fixes et tablies.La nature du despotisme qu'un seul gouverne, mais sanslois ni rgles. Dtention et mode d'exercice du pouvoir,tout ceci reste purement juridique, et pour tout direformel.Par le principe, nous pntrons dans la vie. Car ungouvernement n'est pas une forme pure. C'est la formede l'existence concrte d'une socit d'hommes. Pourque les hommes soumis un type particulier de gouver-nement lui soient justement et durablement soumis, ilne suffit pas de la simple imposition d'une forme poli-tique (nature), il faut encore une disposition des hommes cette forme, une certaine faon d'agir et de ragir quisoutienne cette forme. Il faut, dit Montesquieu, unepassion spcifique. Par ncessit, chaque forme de gou-vernement veut sa passion propre. La rpublique veutla vertu, la monarchie l'honneur, le despotisme lacrainte. Le principe du gouvernement se tire de saforme, car il en drive naturellement . Mais cetteconsquence en est moins l'effet que la condition. Soitl'exemple de la rpublique. Le principe propre la rpu-blique, la vertu, rpond la question : quelle conditionun gouvernement qui donne le pouvoir au peuple et le luifait exercer par les lois peut-il exister ? A la conditionque les citoyens soient vertueux, c est--dire se sacrifientau bien public, et, en toutes circonstances, prfrent lapatrie leurs passions propres. De mme pour la monar-chie et le despotisme. Si le principe du gouvernementest son ressort, ce qui le fait agir, c'est qu'il est toutsimplement, comme vie du gouvernement, sa conditiond'existence. La rpublique ne peut, si l'on veut bien

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    LA DIALECTIQUE DE L HISTOIRE 47pardonner ce mot, marcher qu' la vertu, comme certainsmoteurs l'essence. Faute de vertu la rpublique tombe,comme faute d'honneur la monarchie, et faute de craintele despotisme.On a accus Montesquieu de formalisme pour samanire de dfinir un gouvernement par sa nature, quitient effectivement en quelques mots de pur droit consti-tutionnel. Mais on oublie que la nature d'un gouvernementest formelle pour Montesquieu lui-mme, ds qu'elle estspare de son principe. Il faut dire : dans un gouverne-ment une nature sans principe est inconcevable et n existepas. Seule est concevable, car relle, la totalit nature-principe. Et cette totalit n'est plus formelle, car ellene dsigne pas une forme juridique pure, mais uneforme politique engage dans sa propre vie, dans sespropres conditions d'existence et de dure. Bien quedfinies d un mot : vertu, honneur, crainte, ces conditionssont trs concr tes. Comme passion en gnral, la passionpeut sembler abstraite, mais comme principe elle exprimepolitiquement toute la vie relle des citoyens. La vertu ducitoyen, c'est sa vie tout entire soumise au bien public :cette passion, dominante dans l'tat, est, dans un homme,toutes ses passions domines. Par le principe c'est lavie concrte des hommes, publique et mme prive, quientre dans le gouvernement. Le principe est donc larencontre de la nature du gouvernement (forme politique)et de la vie relle des hommes. Il est ainsi le point et lafigure o doit se rsumer politiquement la vie relle deshommes pour s'insrer dans la forme d'un gouvernement.Le principe est le concret de cet abstrait qu'est la nature.C'est leur unit, c'est leur totalit qui est relle. O estle formalisme ?On accordera ce point. Mais il est dcisif pour saisir

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    48MONT SQU Utoute l'tendue de la dcouverte de Montesquieu. Danscette ide de la totalit de la nature et du principe du gou-vernement, Montesquieu propose en effet une nouvellecatgorie thorique qui lui donne la cl d'une infinitd'nigmes. Avant lui les thoriciens politiques s'taientbien essays rendre compte de la multiplicit et de ladiversit des lois d'un gouvernement donn. Mais ilsn'avaient gure esquiss qu'une logique de la nature desgouvernements, quand ils ne se contentaient pas, leplus souvent, d'une simple description d'lments sansunit interne. L'immense majorit des lois, comme cellesqui fixent l'ducation, le partage des terres, le degr deproprit, la technique de la justice, les peines et lesrcompenses, le luxe, la condition des fem mes, la conduitede la guerre, etc. (EL, IV-VII), demeuraient bannies decette logique, puisqu'on ne comprenait pas leur ncessit.Montesquieu tranche ici souverainement ce vieux dbat,en dcouvrant et en vrifiant dans les faits cette hypothse,que l'tat est une totalit relle, et que tous les dtails de salgislation, de ses institutions et de ses coutumes ne sont quel'effet et l'expression ncessaires de son unit interne. Ceslois, qui semblaient fortuites et sans raison, il les soumet une profonde logique, et les rapporte un centre unique.Je ne prtends pas que Montesquieu ait, le premier,pens que l'tat devait par lui-mme constituer unetotalit. Cette ide hante dj la rflexion de Platon, eton la retrouve l'oeuvre dans la pense des thoriciensdu droit naturel, en tout cas chez Hobbes. Mais avantMontesquieu cette ide n'entrait que dans la construc-tion d'un tat idal, sans s'abaisser permettre l'intelli-gence de l histoire concrte. Avec M ontesquieu, la totalit,qui tait une ide, devient une hypothse scientifiquedestine rendre compte des faits. Elle devient la catgorie

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    LA DIALECTIQUE DE L HISTOIRE 49fondamentale qui permet de penser, non plus la ralitd'un tat idal, mais la diversit concrte et jusque-linintelligible des institutions de l'histoire humaine.L'histoire n'est plus cet espace infini o sont jetessans ordre les oeuvres innombrables de la fantaisie etdu hasard, dcourager l'intelligence, qui n'en peutconclure que la petitesse de l'homme et la grandeur deDieu. Cet espace a une structure. Il possde des centresconcrets auxquels se rapportent tout un horizon local defaits et d'institutions : les tats. Et au coeur de ces totalits,qui sont comme des individus vivants, il est une raisoninterne, une unit intrieure, un centre originaire fonda-mental : l'unit de la nature et du principe. Hegel, qui adonn la catgorie de totalit une prodigieuse portedans sa philosophie de l'histoire, savait bien quel taitson matre quand il rendait grce de cette dcouverteau gnie de Montesquieu.Ici pourtant, le formalisme nous guette encore. Caron voudra bien que cette catgorie de totalit fassel'unit des premiers livres de l'Esprit des Lois. Mais ondira qu'elle s'y limite et qu'elle est marque du dfautde ces premiers livres : qu'elle concerne des modlespurs, une rpublique vraiment rpublicaine, une monar-chie vraiment monarchique, un despotisme vraimentdespotique. Rflexions sur tout ceci, dit Montesquieu (EL,III, II) : Tels sont les principes des trois gouvernements :ce qui ne signifie pas que dans une certaine rpublique onsoit vertueux, mais qu'on devrait l'tre. Cela ne prouve pasnon plus que dans une certaine monarchie on ait de l'honneur,et que dans un tat despotique particulier on ait de lacrainte, mais qu'il faudrait en avoir : sans quoi le gouverne-ment serait imparfait. N'est pas prouver qu'on a prispour une catgorie applicable tous les gouvernements

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    50 MONTESQUIEUexistants une ide qui ne v aut que pour des m odles purs et desformes politiques parfaites ? N'est-ce pas retomber dansune thorie des essences et dans le travers idal qu'ils'agit justement d'viter ? Alors qu'on doit ncessaire-ment, en historien, rendre compte d'une certaine rpu-blique, de certaine monarchie, forcment imparfaites, etnon d'une rpublique et d'une monarchie pures ? Si latotalit ne vaut que pour la puret, quel usage faire de latotalit dans l'histoire qui est l'impuret mme ? Ou,ce qui est la mme aporie, comment jamais penser l'his-toire dans une catgorie attache par essence de pursmodles intemporels ? On voit ici revenir la difficultde la disparit de l'Esprit des Lois : comment unir ledbut et la fin, la typologie pure et l'histoire ?Je crois qu'il faut prendre garde de ne pas jugerMontesquieu sur une phrase, mais, comme il nous enprvient, de prendre son oeuvre dans son ensemble, sanssparer ce qu'il dit ici, de ce qu'il fait l. Il est trsremarquable en effet que ce thoricien des modles pursn'ait jamais (ou presque) donn dans son oeuvre que desexemples impurs. Mme dans l'histoire de Rome, quiest vraiment pour lui le sujet d'exprience le plus parfait,et comme un corps pur de l'exprimentation histo-rique, la puret idale n'a qu'un moment, l'origine ;tout le reste des temps, Rom e vit dans l impuret politique.Il serait bien incroyable qu'une pareille contradictionait laiss Montesquieu insensible. C'est sans doute qu'ilne croyait pas contredire ses principes, mais qu'il leurdonnait un sens plus profond que celui qu'on leurprte. Je crois en effet que la catgorie de totalit (etl'unit nature principe qui en est le coeur) est bien unecatgorie universelle, qui ne concerne pas les seulesadquations parfaites : rpublique-vertu, monarchie-

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    LA DIALECTIQUE DE L HISTOIRE 51honneur, et despotisme-crainte. Manifestement Mon-tesquieu considre qu'en tout tat, qu'il soit pur ouimpur, rgne la loi de cette totalit et de son unit. Quel'tat soit pur, l'unit sera adquate. Mais s'il est impur,elle sera contradictoire. Tous les exemples historiquesimpurs de Montesquieu, qui sont le plus grand nombre,sont autant d'exemples de cette unit contradictoire.Ainsi Rome, passs les premiers temps, et venues lespremires grandes conqutes, vit dans l'tat d'unerpublique qui va perdre, perd, puis a perdu son principe :la vertu. Dire qu'alors l'unit nature-principe subsistetoujours, mais est devenue contradictoire, c'est toutsimplement affirmer que c'est le rapport existant entrela forme politique d'un gouvernement, et la passion qui luisert alors de contenu, qui commande le sort de cet tat,sa vie, sa subsistance, son avenir, et donc son essencehistorique. Ce rapport est-il non contradictoire, c'est--dire la forme rpublicaine trouve-t-elle la vertu dansles hommes qu'elle gouverne, la rpublique subsistera.Mais si cette forme rpublicaine ne s'impose plus qu'des hommes qui ont abdiqu toute vertu et sont tombsdans l'intrt et les passions privs, etc., alors le rapportsera contradictoire. Mais c'est justement cette contradic-tion dans le rapport, donc le rapport contradictoire existant,qui tranchera le sort d'une rpublique : elle va prir.Tout ceci, qu'on peut tirer des tudes historiques deMontesquieu, et en particulier des Considrations surles causes de la grandeur des Romains et de leur dcadence,se trouve en clair dans le chapitre 8 de l'Esprit des Lois,qui traite de la corruption des gouvernements. Dire,comme le fait Montesquieu, qu'un gouvernement quiperd son principe est un gouvernement perdu, signifietrs nettement que l'unit nature-principe rgne aussi

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    52 MONTESQUIEUsur les cas impurs. Si elle n'y rgnait pas, on ne com-prendrait pas que cette unit brise pt briser songouvernement.C'est donc une trange erreur de douter queMontesquieu ait eu le sens de l'histoire, ou que sa typo-logie l'ait dtourn d'une thorie de l'histoire, ou qu'ilait crit des livres d'histoire par une distraction quil'loignait de ses principes. Cette erreur tient sans douteavant tout ce que Montesquieu n'entrait pas dansl'idologie dj rpandue, et bientt dominante, dans lacroyance que l'histoire avait une fin, poursuivait le rgnede la raison, de la libert et des lumires . Montesquieuest sans doute le premier avant Marx qui ait entrepris depenser l'histoire sans lui prter de fin, c'est--dire sansprojeter dans le temps de l'histoire la conscience deshommes et leurs espoirs. Ce reproche tourne donc tout son avantage. Il fut le premier proposer un principepositif d'explication universelle de l'histoire; un principenon seulement statique : la totalit rendant compte dela diversit des lois et institutions d'un gouvernementdonn ; mais dynamique : la loi de l'unit de la natureet du principe, loi permettant de penser aussi le devenirdes institutions et leur transformation dans l'histoirerelle. Dans la profondeur de ces lois qui passent etmuent, innombrables, voici donc dcouverte une relationconstante, qui unit la nature au principe d'un gouverne-ment ; et au coeur de cette relation constante, voici non-ce la variation interne du rapport, qui, faisant passerl'unit de l'adquation l'inadquation, de l'identit la contradiction, permet l'intelligence des changementset des rvolutions dans les totalits concr tes de l histoire.Mais Montesquieu fut aussi le premier qui donna unerponse au problme, devenu classique, du moteur de

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    LA DIALECTIQUE DE L HISTOIRE 53l'histoire. Reprenons la loi du devenir historique. Toutest command par le rapport existant entre la nature etle principe dans leur unit mme. Si ces deux termes sontaccords (Rome rpublicaine et des Romains vertueux),la totalit de l'tat est paisible, les hommes vivant dansune histoire sans crise. Si ces deux termes sont contradic-toires (Rome rpublicaine et des Romains qui n'ont plusde vertu), la crise clate. Le principe n'est plus alorscelui que veut la nature du gouvernement. D'o une sriede ractions en chane : la forme du gouvernement vatenter en aveugle de rduire cette contradiction, elle vachanger, et son changement va entraner son principedans sa course, jusqu' ce que, les circonstances aidant,un nouvel accord se dessine (Rome impriale-despotiqueet des Romains vivant dans la crainte), ou une catas-trophe qui est le terme de cette poursuite haletante (laconqute barbare). On voit bien la dialectique de ceprocs, dont les moments extrmes sont, soit la paix desdeux termes du couple, soit leur conflit ; on voit biendans leur conflit l'interaction des termes, et commentchaque modification de l'un provoque invitablement lamodification de l'autre. On voit donc l'interdpendanceabsolue de la nature et du principe dans la totalit mouvantemais prgnante de l'tat. Mais on ne voit pas d'o vient lepremier changement, ni le dernier, non pas dans l'ordredes temps, mais dans l'ordre des causes. On ne voit pas,de ces deux termes lis dans le destin de leur totalit,quel est le terme prpondrant.Dans son ouvrage sur la Philosophie de l'Aufklarung,Cassirer fait gloire Montesquieu d'avoir ainsi fondune thorie comprhensive toute moderne de l'his-toire, c est--dire d avoir pens l histoire sous la catgoriede la totalit, et les lments de cette totalit dans une

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    54ONTESQUIEUunit spcifique, en renonant justement l'ide qu'unlment pt l'emporter sur les autres, c'est--dire qu'ilpt exister un moteur de l'histoire. L'histoire ne seraitque totalit mouvante, dont on pourrait comprendrel'unit, saisir le sens des mouvements internes, mais sansjamais l'expliquer, c'est--dire sans jamais rapporter desmouvements d'interaction un lment dterminant.Et de fait cette vue parat conforme la lettre de nom-breux passages de Montesquieu, qui renvoie continmentde la forme du gouvernement son principe, et de sonprincipe sa forme. Ce sont les lois rpublicaines quiproduisent la vertu mme qui leur permet d'tre rpu-blicaines ; les institutions monarchiques qui engendrentl'honneur qui les soutient. Comme l'honneur l'est dela noblesse, le principe est la fois le pre et l'enfant dela forme du gouvernement. C'est pourquoi toute formeparticulire produit dans son principe ses propres condi-tions d'existence, et se devance toujours elle-mme, bienque dans le mme temps ce soit le principe qui s'exprimedans cette forme. Nous serions bien dans une totalitcirculaire expressive, o chaque partie est comme le tout :pars totalis. Et le mouvement de cette sphre, que nouspensons mue par une cause, ne serait que son dplace-ment sur elle-mme. Une boule qui roule, chaque pointde sa sphre passe bien du bas au haut, pour revenir aubas, et l infini. Mais tous ses points y passent galem ent.Il n'est ni haut ni bas dans une sphre, tout entireramasse en chacun de ses points.Je crois po