Lou Duval &Emma Loiseau

Emma Wilde –Spicy

Intégrale

Nisha Editions

Copyright couverture : PaveÅSierakowski

ISBN 978-2-37413-030-9

« Mieux vaut être ligotée au fond d’uncachot que s’ennuyer sur son canapé »...

Emma Wilde

1. VeniseL’action de ce livre se déroule trois

ans avant le tome 1 de la série EmmaWilde.

Venise, la ville des Doges. La villedes gondoles. La ville des amoureux…ok. L’amour. Ce n’est pas tellement pourmoi. Pas ma tasse de thé, navrée. Pasenvie, pas trouvé le bon, d’autres plans,pleins d’excuses.

« Merci cousin pour le cadeau, voirdes couples se bécoter, c’estexactement ce qu’il me fallait !

Bises abruti, Emma Wilde »Il a voulu me gâter pour mes vingt-

deux ans. C’était vraiment, vraimentgentil de sa part. Et le choix de ladestination bien entendue était dû auhasard… Absolument aucun lien avec lefait que Noah s’inquiète toujours de mesvoyages dans des pays où la sécurité estun peu… douteuse. Plutôt que de mevoir réaliser mon rêve de descendre leMékong, il a préféré m’offrir un trèsconfortable séjour dans un hôtel de luxeà Venise.

J’ai souri un peu ironiquement endécouvrant la destination sur les billetsd’avion glissés dans l’enveloppe.

- Tu seras bien là-bas Emma, j’aidonné quelques instructions : l’hôtelappartient à un ami.

Traduction : « tout le monde sera aupetit soin et me rapportera tous tes faitset gestes ».

- Génial, ai-je répondu en forçant unsourire hypocrite au possible. Moi quiadooooore perdre mon temps au spa…

Il s’était rembruni et je lui avaistapoté gentiment l’épaule. Il est vrai quej’avais hésité un temps à coller lesbillets directement à la poubelle, fourrerde bonnes chaussures de marche etquelques minishorts dans un sac pourm’envoler direction l’Asie et puis j’aisongé qu’à la seconde où il apprendraitque je ne m’étais pas rendue dans l’hôtelde son ami comme prévu, il enverraitprobablement une armée privée recrutéepour l’occasion me récupérer au

Cambodge.Ma mère avait bien proposé que je

repousse à plus tard mon départ pourrencontrer Charles-Henri, ou Jacques-Edouard, ou je ne sais plus quel fils dedirigeant d’empire aux mains moitesqu’elle essaye désespérément de meconvaincre d’épouser.

Alors me voilà à Venise, la ville desDoges. La ville des gondoles. La villedes amoureux… Bref, on a compris.

Je soupire lorsque le bateau taxis’approche du ponton de l’hôtel Danieli.J’en étais certaine. Luxe, luxe, luxe,luxe. Je sais, ça fait un peu petite filleriche blasée, mais ce n’est pas le cas.J’aime en profiter… une fois tous les

cent ans ? Le reste du temps, voilà cequi me botte : crapahuter dans desmontagnes escarpées, rencontrer despeuples dont les modes de vie sontéloignés du mien, voyager à dos decheval et dormir à la belle étoile.

Un hôtel sympa dans le centre-villeaurait été amplement suffisant.

L’homme conduisant le vaporettom’aide à descendre.

- Mademoiselle ? souffle un groomqui me dévisage de la tête au pied.

Je hausse les épaules, préférantignorer son regard un peu étonné.

- Vous êtes ici à l’hôtel Danieli. Avez-vous une réservation ?

C’est demandé très poliment, mais jesais que la question cachée est : « Nevous êtes-vous pas trompée d’endroit ?Nos clients ne ressemblent pas à… ça ».Ça, étant une tenue répondant à mesexigences pour voyager : confortable. Etencore, il ne se rend pas compte, j’ai faitun effort en enfilant avec mon jean unpetit top agrémenté de dentelles.

Je lève les yeux vers le haut de lafaçade, admire la magnifiquearchitecture :

- Emma Wilde. J’ai effectivement uneréservation, me contenté-je de répondre.

- Miss Wilde, bien sûr, tout de suite.Voilà, on l’a informé, je m’en

doutais.

Il s’incline et prend ma valise, me faitsigne de passer devant lui. Je m’avancesur le tapis rouge menant à l’intérieur del’hôtel. Le hall dans les tons or,entièrement en marbre avec ses colonnesaux chapiteaux décorés de feuillesd’acanthe est à couper le souffle. Unvrai bijou.

Le groom doit s’agiter dans mon dospour transmettre des messagessilencieux à ses collègues, car à notreapproche, tous courent en tous sens. Leréceptionniste disparaît soudain. Ungrand brun de l’âge de mon cousin seprécipite derrière le comptoir d’accueil.

- Emma, je suis Filippo.- L’ami de Noah ?

- Exactement. Je suis tellement honoréde vous rencontrer…

- Et que je sois effectivement venue…- Pardon ?- Rien. Moi également. Merci pour

tout.Il me sourit, se tourne, attrape une clé

tout en haut du tableau et me la tend :- Suite Signature.- Bien sûr.- S’il vous faut quoi que ce soit,

surtout n’hésitez pas.- Promis !Je lui adresse un gentil signe et

m’éloigne au plus vite. Pas envie qu’ilme tienne la jambe. Venise est une ville

splendide et je compte bien, puisque jesuis ici, en profiter à fond… mais seule.Le groom me suit toujours et c’est un peuembarrassant. Je suis capable de traînerma valise à roulettes toute seule. Maislorsque je tente de la récupérer, le jeunehomme me fusille d’un regard outré.

Je ne voudrai pas le vexer.Il pousse pour moi la porte de la suite

et un instant je ne me sens pas à maplace. Pour être ainsi traitée comme uneprincesse, il faut porter une robesomptueuse, pas un vieux jean troué.

J’en suis encore plus persuadéelorsque je découvre les hauts plafonds,les parquets d’origine magnifiquementrestaurés, les miroirs en verre de

Murano et la vue sur l’île San Giorgio.Je glisse un billet dans la main du

groom et il s’éclipse. Je sors monportable et envoie un SMS à Noah.

[Comme ton ami a déjà dû te le dire,je suis bien arrivée à destination etpromis je serai une gentille fille sage.]

Je me jette sur le lit King Size. Unesieste ? Un bain moussant ? Non. Unebonne douche bien chaude, mon appareilphoto et je file en ville. Je compte bienpasser la soirée dehors, grignoter unpetit quelque chose en regardant lesoleil se coucher sur la ville.

Je m’enroule dans une serviette encoton et avec une plus petite, enlèverapidement le surplus d’humidité de mes

si longs cheveux noirs et bouclés. Je meglisse dans un pantalon près du corps entoile vert kaki et enfile une paire debottes à talons, un débardeur. C’estparti.

Je claque la porte de la suite derrièremoi et dévale les escaliers en courant.Mes talons claquent sur le marbre duhall. Je fonce droit devant moi quand unhomme que je croise s’arrête à mahauteur, se retourne sur mon passage. Jeregarde ostensiblement ailleurs pouréviter de croiser son regard.

Pas le temps pour la drague, désolée!

Mais d’une main, il arrête ma course.Une main forte ; des doigts posés sur ma

peau. Une présence dont la chaleur mefait tressaillir. Une vraie déchargeélectrique. Étonnée, je baisse les yeuxsur la peau mate.

- Mademoiselle, souffle-t-il d’unevoix rauque qui allume un frisson le longde ma nuque.

Les yeux écarquillés par la surprised’être « épidermiquement » aussitroublée, je me retourne. Le type estobjectivement canon. Immense, uneépaisse chevelure noire ondulée, desyeux verts foncé, très légèrement bridés.Une mâchoire carrée et glabre, lementon marqué par une légère fossette.

- Vous dînez avec moi ce soir, lâche-t-il avec un sourire très blanc.

L’affirmation énoncée sur un ton d’unautoritarisme tranquille me trouble… etme hérisse. S’il y a bien quelque choseque je ne supporte pas, c’est qu’on medonne des ordres ou qu’on tente dem’imposer sa volonté. J’ouvre la bouchepour lui répondre qu’il en estabsolument hors de question, que je nesuis pas à sa disposition quand je meravise.

Il est beau, je suis libre. Pourquoi nepas profiter d’un dîner en unecompagnie si sexy ?

Il me fixe avec ses yeux de fauve. Jesoutiens son regard un moment, jusqu’àce que mes joues s’empourprent. Lui n’apas cillé. Il remporte cette manche ; jem’incline.

- Avec plaisir.- Le restaurant de l’hôtel est

délicieux, paraît-il. Nous y retrouvons-nous à vingt heures ?

- Parfait.Sa main est toujours sur mon bras. Il

semble hésiter à me laisser partir. Sesdoigts bougent doucement sur monavant-bras, accentuant leur pression.Une chaleur grisante fuse dans monventre et des images coquines jaillissentdans mon cerveau. Je m’y vois sautant àson cou, entourant sa taille de mesjambes et fondant sur ses lèvres.

Tu débloques ma fille !Je dégage doucement mon bras et il

laisse retomber le sien. Ses prunelles

vibrent de regrets. Remuée, je luiadresse un sourire maladroit.

- Il faut que j’y aille.- Bien sûr.M’a-t-il parlé ou a-t-il feulé ?Je lui tourne le dos pour reprendre ma

route, sentant, sans en douter une seuleseconde, ses yeux plantés en bas de mesreins alors que je m’éloigne. Amusantcomme rencontre.

Amusant ? Sois honnête Emma.Renversant !

Je me demande de quelle origine ilest. Il roulait les R comme un hommed’Europe de l’est. Mais quel paysexactement ? Je lui demanderai ce soir.

C’est à cet instant que je m’aperçoisque j’ignore son nom et que je ne lui aipas laissé le temps de me demander lemien. Je souris en coin : preuve que cen’est pas ce qui m’intéresse chez lui.

Vilaine…Venise est splendide, mais je ne traîne

pas. La modification de mon emploi dutemps ne me permet pas d’explorer lesmoindres recoins de la ville aujourd’hui.Je préfère une activité à laquelle ilm’arrive pourtant peu souvent desuccomber : le shopping.

Mais curieusement, cet homme aprovoqué un tel bouleversementphysique que j’ai terriblement envie dele séduire. S’il loge dans le même hôtel

que moi, il saura probablementapprécier une robe de couturier. Je merends chez Pierre Cardin et demande àce que la note soit versée sur celle duDanieli.

Merci Noah !Lorsque je descends pour ce fameux

rendez-vous impromptu, j’ai pris letemps de me préparer soigneusementdans la suite. Œil charbonneux, lèvresglossy et gros chignon dans lequel j’aipiqué une rose fraîche. La robe met envaleur ma grande taille, mes hanches etma poitrine.

On n’attrape pas les mouches avec duvinaigre et je ne bouderai pas cethomme-ci.

Il est déjà installé quand j’entre dansla salle. En me voyant, il a comme unsursaut de stupéfaction qui me faitsourire intérieurement. Il se lèveimmédiatement, inclinant un peu le bustepour ne pas top me dominer. Un serveurtire la chaise pour que je puissem’installer en face de lui. Nos yeux sesont trouvés dès mon arrivée et restentaimantés. Le voir me fait exactement lemême effet que plus tôt dans la journée :mon être tout entier est chamboulé.

Est-ce ce qu’on appelle un coup defoudre ?

Il est… Je n’ai jamais… Mince. Je netrouve plus mes mots. Même en pensée.

Sa chemise bleu pâle dessine ses

épaules. Et si je lui demandais dedéfaire ce bouton en haut ? Juste un deplus. Juste celui qui m’empêche dedécouvrir les muscles de ses pectorauxque je devine.

- Ravi que vous soyez effectivementvenue, mademoiselle…

Il parle… et j’ai besoin d’uneseconde pour coller un sens à sa phrase,car au départ, je me contente de regarderses lèvres bouger, si tentantes.

- Emma Wilde.- Vous êtes absolument splendide

Emma Wilde.Je souris en constatant qu’il ne me

donne pas son nom. Je m’en doutais. Ilémane un vrai mystère de cet homme si

séduisant au regard semblable à celuid’un tigre.

- Et vous êtes ?- Attila Jones.- Attila ?- En Hongrie c’est un prénom que l’on

peut trouver. Les personnageshistoriques peuvent être des bourreaux àcertains endroits et des héros nationauxà d’autres.

- Et Jones ? Ça ne fait pas trèshongrois.

Il sourit en coin et un éclair glacépasse dans ses prunelles vertes.

- Jones, c’est pratique. Tout le mondes’appelle Jones.

Je ris doucement.Dangereux. J’adore.- Je me suis permis de commander

pour vous.Je serre les mâchoires. Je déteste que

l’on fasse ça. Ma réaction ne luiéchappe pas et l’amuse :

- Je vois que je n’aurai pas dû. Je netiens pas à me faire griffer. Vous aimezvous débrouiller seule, n’est-ce pas ?

Je n’ai pas le temps de répondre qu’ila appelé le serveur et annulé sacommande. On me tend une carte et jechoisis.

- Vous êtes très belle ce soir. Amusantde rencontrer la même femme à quelques

heures d’intervalles et de la découvrir sidifférente.

- Les robes de soirée ne sont pas trèspratiques pour crapahuter en ville.

- Et les pantalons bottes sont contre-indiqués au restaurant ?

- Disons que c’est dommage quand onveut séduire quelqu’un.

J’ai dit cette dernière phrase en leregardant droit dans les yeux. Un souriremagnifique s’affiche sur son visage et ilsaisit un verre d’eau pour boirequelques gorgées. Il contemple unmoment un point dans le vide et glisse undoigt sous le col de sa chemise.

À mon tour de le troubler…

Mais lorsqu’il repose les yeux surmoi, ils sont emplis d’un désir qu’il estimpossible d’ignorer. Une faim quiprovoque en moi des déchargesélectriques à des endroits inavouables.Ses yeux félins s’étrécissent encore. Samain se pose près de la mienne àl’effleurer, son buste se penche en avantcomme s’il était prêt à bondir et j’ai lesentiment de m’être muée en souristressaillant sous le regard de convoitised’un chat.

- Je m’étais contenté d’inviter unebelle femme à dîner, me voici avec unsacré caractère pour vis-à-vis.

Je lui réponds en souriant simplement.- Et que faites-vous dans la vie,

monsieur Jones ?- Du commerce.- Dans quelle branche ?- Des choses et d’autres, ce qui se

vend et s’achète.- C’est le principe du commerce,

n’est-ce pas ?Il s’amuse à m’écouter tenter de le

percer à jour et échouer. Le serveur faitdiversion en nous apportant les plats.

Aurait-il répondu ? J’en doute.Quel homme énigmatique…Son nom de famille est probablement

faux et il reste plus qu’évasif quant à sonmétier.

Le dîner est un vrai moment de plaisir.

Nous parlons de Venise qu’il sembletrès bien connaître, de Budapest où je neme suis jamais rendue. Il est cultivé, pasnécessairement drôle, mais il a unerépartie fine qui m’intrigue… même sielle lui sert surtout à détourner lesquestions qui m’auraient permis demieux le cerner.

Je joue un peu avec cette situation, letitille sans jamais parvenir à lui fairebaisser la garde et apprendre quoi quece soit sur lui. À la fin du dîner, je suisdans un drôle d’état. Il me plaît et dansle même temps, il reste un parfaitinconnu.

Nous nous levons et il me tend sonbras.

- Je vous raccompagne.Nous montons à l’étage de ma suite en

poursuivant notre conversation. Soncorps frôle fréquemment le mien etchaque fois j’ai tendance à m’appuyerde l’épaule contre lui pour profiter unmaximum de ce contact. Une fois devantla porte, je le considère, ses yeux vertsfoncé mystérieux, ses épaules larges, sescheveux si noirs.

J’ai envie de lui.J’ouvre ma porte et m’interdit

d’hésiter, lui tend la main.Hors de question de rester plongée

dans un tel état de nervosité.- Vous venez ?

2. Cambrioleusede haute voltige

L’inconvénient quand on invite unhomme à passer la nuit dans sa chambre,c’est qu’il faut trouver un moyen pours’en débarrasser le lendemain. D’autantplus qu’il s’imagine souvent que parcequ’on l’a accepté dans son lit, on a enviede roucouler avec lui au petit déjeuner.

Moi, ce matin, j’ai autre chose àfaire.

J’admire une dernière fois les épauleslarges, la peau mate et lisse, les bosses

des muscles au repos. Un amantexceptionnel dont j’aurai volontiersprofité à nouveau. J’enfile des vêtementsconfortables et gribouille un petit motque je laisse sur mon oreiller abandonnéà côté de la grande tête aux cheveuxnoirs.

« C’était sympa. »Et je me suis creusée la tête pourtant.

Ça ira bien comme ça. Je serai surprisequ’il soit du genre sentimental.

Le soleil se lève sur Venise et la villeest encore un peu endormie. C’est unmoment que j’adore lorsque je visite unendroit : le découvrir sans ses habitants,avec l’aurore. Sans surprise, dans cetteville-ci, c’est incroyablement

magnifique. Je me remplis les yeux desmagnificences de la place Saint-Marc,quasiment vide, et de l’aube rose selevant sur l’Adriatique.

Petit à petit, débute le ballet deshabitants et des touristes. Je m’arrêtedans une petite échoppe et demande uncafé et un croissant à emporter. Je flâne,libre, ente le palais des Doges et le Pontdes soupirs, sur les pontons plus étroitsdu quartier du Castello. J’admire lacollection d’art du Palazzo Grassi. C’estun bonheur.

J’arrive à une série de splendidespetits ponts non loin du CollegioUniversitario Gesuiti dans le quartier duCannagerio, un peu délaissé par lesétrangers concentrés sur les grands

monuments de Venise. Un rayon delumière vient frapper les pierres et lesdétails de sculptures que j’ai du mal àdistinguer. Je sors mon appareil photo etl’allume. Le petit signal rectangulaire dela batterie clignote. J’ai oublié de lecharger. Tant pis, je vais repasser àl’hôtel où j’en ai une de rechange. Maisil m’en reste assez pour réaliserquelques clichés de cette si jolie façadede l’autre côté des canaux plus larges àcet endroit.

Je mets l’œil dans le viseur et zoomsur les corniches impeccablementrestaurées. Je descends lentement pourne manquer aucun détail… jusqu’à larue…

Au moment où j’appuie sur le

déclancheur, un gros 4x4 noir me barrela visibilité.

Zut. La photo est manquée. Je vérifiesur l’écran : je n’ai qu’un bout deparechoc sombre.

Je lève à nouveau l’objectif et…Attila ?Je zoome et c’est bien lui. Il est

accompagné d’un groupe d’hommes trèsbaraqués qui agissent un peu comme desgardes du corps. Tous ont l’air tendus,certains nerveux, mais pas Attila dontles yeux verts balayent la rue avec unefroide détermination. Il se tient droit.Une force incroyable se dégage de lui. Ildistribue quelques ordres brefs. La portede l’immeuble dont j’observais

l’architecture s’ouvre subitement et deuxautres hommes en sortent, traînant untroisième dont la tête est recouverte d’unsac en toile sombre.

Oh mon dieu.Je m’accroupis précipitamment pour

me dissimuler derrière les grillagesouvragés courant le long des canaux.Avec plus de discrétion, je pointe monappareil photo vers la scène. L’hommeest très corpulent et semble avoir desdifficultés à tenir sur ses jambes. Lesgros bras le font monter dans la voiture,claquent les portes pendant qu’Attilacontourne le 4x4 et grimpe côtépassager.

J’assiste à un enlèvement.

Mon cœur bat à tout rompre. Jemitraille la scène avec mon appareil…Mais lorsqu’elle prend fin, l’évidenceme frappe : je n’ai pas entendu lemoindre bruit annonçant le travail dudéclencheur. Je regarde, interloquée,mon appareil, tente à nouveau, paniquée,avant de comprendre qu’il s’est éteint.

La voiture démarre et s’éloigne.J’essaye de retenir l’immatriculation. Jeferme les yeux, la répète en boucle letemps de trouver en fouillantnerveusement mon sac de quoi la noter.Puis je cours au commissariat le plusproche.

Il y règne une atmosphère d’hôpitalpsychiatrique. Des dizaines de touristespatientent dans chaque recoin, soit

calmement, soit en s’énervant etinterpellant les pauvres carabiniersdépassés qui errent, écrasés sous destonnes de dossiers et paperasserie.

Je finis par en attraper un par lamanche. Il me jette un vague coup d’œilhagard.

- Il faut que vous m’aidiez, j’ai assistéà un enlèvement, lui dis-je en anglais.

Zéro réaction. Il me fixe, épuisé. Jelui tends le papier sur lequel j’ai noté lenuméro de la plaque.

- Il faut retrouver cette voiture : un4x4 noir.

Soudain, une femme portant unchapeau ridicule le tire à son tour par lamanche et beugle :

- À chacun son tour hein ! Ça fait desheures qu’on attend pour porter plainte.On m’a volé mon sac à main. Et vousrépondez à la jeune-fille qui vient justed’arriver ! C’est un scandale !

Je l’ignore et insiste :- Je vous dis que ce type s’est fait

enlever sous mes yeux. Un grosbonhomme. Vous devez m’aider.

- Avez-vous une preuve finit-il parlâcher.

- Ah non ! On était là avant ! hurle ànouveau la femme.

Je la fusille du regard :- Vous vous feriez mieux de la

boucler, grondé-je.

- Quoi ? Quoi ? Quoi ? s’insurge-t-elle, soufflée.

Je me retourne vers le gendarme :- Non, mon appareil est tombé en

rade.- Si vous n’avez pas de preuve, pour

moi, vous n’avez rien vu du tout.- Mais enfin…- Ce devait être des potes bourrés.

Profitez de la ville et laissez-noustravailler.

Et il s’éloigne sans plus attendre. Jeme retourne pour tomber nez-à-nez avecla femme au chapeau moche.

- Vous ! crie-t-elle en me pointant d’undoigt accusateur. Vous êtes malpolie !

Je saisis son doigt, le tire sur le côtépour la dégager de mon passage et quittece commissariat où je ne trouverai doncaucune aide.

Bien, c’est noté. Je vais medébrouiller toute seule.

Mais comment ?Je sais au moins où trouver Attila

Jones… Dont les activités commercialessont décidément bien particulières.

Je dois faire vite, Dieu seul sait ceque les gros gorilles vont faire subir àce pauvre homme qu’ils ont traîné dansle 4x4.

Retour à l’hôtel. Je me compose unvisage des plus tranquilles dansl’hypothèse où il aurait fini de… je ne

préfère même pas imaginer… Si je lecroise, pas question d’être bouleversée.Je récupère mes clés et snobel’ascenseur. Grimper les marches quatreà quatre me permet d’évacuer un peu destress. J’ouvre la porte et ferme les yeuxen m’adossant au panneau de bois. Jeprends quelques profondes inspirationspour me calmer : ici je suis en sécurité.

Du moins c’est ce que je pensejusqu’à ce que je rouvre les paupières.Un hurlement strident m’échappe.

Ma suite est littéralement remplie debouquets de roses rouges.

J’ose à peine faire un pas. Aucundoute, si j’étais allergique au pollen, jeserai morte dans la seconde. Je finis par

me désolidariser de la porte d’entréepour prendre une carte posée enévidence sur un plateau en argent.

« Emma. Je n’ai jamais rencontré unefemme comme vous. Où que vos pasvous mènent à présent, je souhaite vousy retrouver. Dîneriez-vous avec moi cesoir ?

Atilla Jones »Ok. Un gros vilain méchant

kidnappeur à ses heures perdues acraqué pour moi… et il me met dans desétats physiques intolérables…

Génial.Heureusement que Noah m’a envoyée

ici pour que j’y sois, pour une fois, loindes dangers que j’aime tant côtoyer.

Ce doit être mon karma deconstamment me fourrer dans dessituations pourries.

Je devrai peut-être envoyer une cartepostale à mon cousin. Avec un petit texteau dos du style :

« Cher Noah,À Venise, tout va pour le mieux. J’ai

vu la place Saint Marc. Puis monnouveau petit ami gangster et moi avonspris une gondole pour passer sous lePont des soupirs et y échanger desserments éternels. Il me promet que, quelque soit l’endroit du monde où je colleles pieds à présent, il sera dans monsillage.

Salut ! »

Flippant.Mais l’invitation est une occasion en

or de retrouver ce type que j’ai vu sefaire kidnapper. Je peux accepter cetteinvitation à dîner. Je décroche letéléphone et un réceptionniste me répond:

- À votre service mademoiselleWilde.

- Attila Jones est-il dans sa suite ?- Pas pour le moment, navré.- Ce n’est pas grave. (Il est sorti

découper quelqu’un en rondellesprobablement, il ne va pas tarder àrevenir.) Puis-je lui laisser un message ?

- Je vous écoute.

Attila, j’accepte votre proposition. Jedînerai avec vous ce soir. Pourriez-vous me promettre qu’il n’y aura pasd’échange de coup de feu ?

- Dîtes lui… euh… Oui… Dîtes luioui pour ce soir.

- C’est noté mademoiselle Wilde. Lemessage lui sera transmis dès son retour.

- Très bien merci…- Autre chose ?Prévenez Interpol ?- Vous… pourriez-vous me

communiquer son numéro de suite ?J’aimerai glisser une carte sous sa porte.Je pense que cela lui fera plaisir.

- Hé bien… normalement je n’ai pas

le droit, mais étant donné que votrefamille est proche de celle du directeuret qu’il nous a ordonné de répondre aumoindre de vos désirs… Je suppose queoui. Monsieur Jones est dans la suiteRoyale.

Évidemment. Le crime, il paraît queça rapporte.

- Merci infiniment.Et nous raccrochons. Je pose mes

mains sur mes hanches et tente d’entamerun début de réflexion cohérente. Jonesn’est pas là. Suite Royale. Allez fouiller? Ça se tente. Il me faut le prétexte de lacarte. J’en prends une de l’hôtel etgriffonne :

« Merci pour les roses, à ce soir.

Emma. »Puis je me glisse dans les couloirs de

l’hôtel et monte encore deux étages.Avant de poser un pied sur le palier, jejette un œil. Pas de gardes du corps enstation devant le lieu de villégiatured’Attila.

Il est confiant…Je m’approche de la porte et colle

mon oreille.Personne, semble-t-il.J’essaye à tout hasard la poignée,

mais bien évidemment, une clé a ététournée dans la serrure. Je ne peuxcompter sur la soirée pour y pénétrer,car si je monte dans la chambre de cethomme… surtout vu la nuit dernière. Je

ne pourrai lui en vouloir de tenter unrapprochement…

J’aimerai tenter de lui résister.Une résolution qui sera difficile à

tenir… là, dans l’immédiat, je ne suispas certaine d’y parvenir. Je me secoueà cette pensée. Mieux vaut y allermaintenant. J’attrape deux épingles àcheveux dans mon chignon et pense que :

1- J’adore les vieux hôtels qui ontgardé un système de clé et se sontabstenus de passer aux cartesmagnétiques.

2- Mon cousin serait horrifié de ceque je m’apprête à faire.

Le principe est simple : une serrureest composée de cinq à six goupilles. Il

me faut les aligner. L’astuce estd’utiliser des épingles à cheveuxsuffisamment épaisses pour qu’elles neplient pas. Je forme un crochet avecl’une des deux épingles, l’introduis dansla partie inférieure de la serrure et l’ystabilise en appuyant dessus légèrement.Puis j’ouvre l’autre épingle pour formerun angle droit avec les deux branches, enenlève l’extrémité arrondie avec lesdents. Je glisse ce nouvel outil dans lapartie supérieure de la serrure et la faisbouger, me concentrant pour sentir lesgoupilles et les faire sauter les unesaprès les autres tout en tournant lecrochet dans le sens d’ouverture duverrou.

Plusieurs petits déclics et la serrure

cède. Je pousse la porte et me glisse àl’intérieur. La suite est magnifique. Trèsclaire. Elle occupe à elle seule toutl’étage et offre une vue à 180° sur leGrand Canal, ses balcons donnant surles lagons de Venise. Les plafonds àcaissons noirs et dorés sontimpressionnants.

Absolument rien ne traîne. Ni dans lesalon, ni dans les salles de bains enmarbre blancs et aux murs de miroirs, nidans aucune chambre. À croire que cetendroit est inoccupé. J’ouvre lesplacards les uns après les autres et finistout de même par tomber sur descostumes. Attila occupe donc cettepièce-ci. Je la fouille intégralement,regarde sous les meubles, ouvre chaque

tiroir, passe la main sous le lourdmatelas, plonge les doigts dans chaquepoche de chaque veste et chaquepantalon. Je tente d’ignorer le parfumd’homme qui s’en dégage. Cette odeurvirile dont je me suis enivrée la nuitdernière et qui rallume en moi des désirsimpérieux. Je mords ma lèvre inférieurepour me rappeler à la réalité et poursuismes recherches.

Rien. Rien et rien.Ce type est un pro. Aucun doute. Il

n’abandonne pas une trace derrière lui.Et cette pensée me fait frémir.

Je continue mon exploration. Maistoutes les pièces sont à l’avenant. Seulun petit salon n’est pas impeccable. Des

vestes d’homme y traînent, des matelaspar terre avec des couvertures en boule.Je devine que les gros bras dorment àcet endroit. Dans un coin, un tas devalises. Mais dedans, uniquement desvêtements. Sur la table, un paquet decigarettes vides et un briquet oublié. Uncendrier plein.

Il y a de gros fumeurs ici.Pas un indice. Je m’apprête à

retourner dans le salon principal poursortir de la suite quand une porte claqueet des voix d’hommes retentissent.

Mince.Et en même temps, je ne suis pas

étonnée. Ce ne serait pas la vie d’EmmaWilde si personne n’avait décidé de

revenir dans la suite pendant que je m’ytrouvais. Heureusement, l’espace estimmense et il me faudrait un vrai coupde pas de bol pour qu’on m’y trouve. Il ya un millier d’endroits où se dissimuler.

À condition de faire vite.Je me faufile dans une des chambres

inoccupées et m’enferme dans ledressing. Des ordres claquent dans unelangue aux accents rocailleux que je necomprends pas. Du hongrois trèscertainement. Et des voix serapprochent. J’entends qu’on ouvre lesportes des pièces les unes après lesautres.

Pas besoin de comprendre les languesde l’Est pour deviner que l’ordre donné

est le suivant : vérifiez que personne nes’est introduit dans la suite en notreabsence…

3. PiégéeLa porte de la chambre où je me suis

cachée s’ouvre et j’entends le pas lourdde deux gros bras. Je me plaque sur lecôté du dressing, espérant pouvoir medissimuler. Ils se dirigent vers macachette. Les portes coulissent.

Je tremble tellement que je suisobligée de retenir totalement marespiration afin d’éviter qu’elle ne lesalerte. Je n’ai plus qu’à fermer les yeuxet à croiser les doigts à m’en faire malaux articulations.

Et les portes se referment. Ils n’ontjeté qu’un bref coup d’œil et n’ont pas

passé la tête à l’intérieur. Ils n’auraientpu m’ignorer sinon. J’attends encorepatiemment qu’ils s’éloignent et sortentde la chambre avant de laisser partir toutl’air que j’ai retenu et glisser sur le sol.

Il me faut un bon quart d’heure pourretrouver un rythme cardiaque normal.Je me taperai sur les doigts : tous cesrisques pour absolument aucun résultat.Quelle gourde ! Me voilà bien punie.

Je sors de mon placard aussi spacieuxqu’une chambre d’étudiant parisienne etvais jusqu’à la porte que j’entrebâille.Personne dans le couloir, mais j’entendsdes allées et venues dans la suite,probablement entre les pièces occupéespar Attila et son équipe de géants.

Que faire : rester ici jusqu’à ce quetout le monde s’en aille ? Je ne pensepas risquer grand-chose. Ou bienprendre la pire décision qui soit : tenterun espionnage furtif de mes nouveauxcolocataires. Sans surprise… je ne peuxrésister à la tentation de rôder dans lasuite. Je me rapproche du vaste salon enprenant grand soin de rester silencieuse.

Attila s’y trouve. Il est seul, un journaldéplié sur ses genoux et une tasse decafé à la main. À traversl’entrebâillement de la porte, je peuxégalement situer deux montagnesmusclées en train de fumer sur le balcon.

Puis, le téléphone d’Attila, posé sur latable basse devant lui, se met à vibrerfrénétiquement. Il abandonne tasse à café

et journal, réajuste sa veste. C’est à cegeste que je devine que le coup de fil estimportant. Un réflexe l’a poussé às’assurer qu’il était impeccable alorsmême que son interlocuteur ne pourrapas le voir.

- Allô ?Espérons que le coup de fil ne sera

pas en Hongrois.- Ce soir comme convenu oui.Ouf, de l’anglais.- J’ai la clé.Silence pendant lequel la personne à

l’autre bout du fil doit lui répondre.- Oui. L’homme a pu être intercepté.

Je vous le livrerai en même temps. À

vous de décider ce que vous en ferez.Nouvelle réponse que je n’entends

pas.- Non, je ne tue pas pour les autres, je

suis désolé.Charmant. Quel gentleman !Attila écoute encore.- Bien. Alors rendez-vous à l’hôtel

des Trattoria.Il raccroche et je me retiens de sauter

de joie. Voilà qui est fort intéressant. Jeréintègre ma chambre : trop risqué detenter de m’en aller maintenant, inutilede prendre plus de risques. Je m’installeconfortablement sur le lit, y passe uneheure à m’ennuyer en admirant le

plafond peint d’un décor antique… Laprochaine fois que j’irai fouiller chezquelqu’un, il faudra que je prenne unbouquin. Vers 14 heures, j’entends leroom service apporter les commandesdes habitants des lieux et je salive enreniflant le fumet qui s’en échappe.

A 15 heures, mon ventre grogne. A 16heures, il crie carrément famine. A 17heures, je suis à deux doigts de jaillirhors de ma cachette pour me jeter surn’importe quoi de comestible en criant :« ok, je me rends, mais laissez-moiavaler un truc avant ». A 18 heures, jecommence à m’inquiéter qu’Attila et seshommes ne quittent plus jamais cettesuite et qu’on finisse par me retrouverdans plusieurs décennies morte de faim

sur le lit aux draps de satin.A 19 h enfin, il y a du mouvement. Je

me glisse à nouveau jusqu’à la portedonnant sur le salon.

- J’ai un rendez-vous pour le dîner.Quelques grognements appréciateurs

retentissent. Je déduis du fait que monrencart s’est exprimé en anglais, quetous ses hommes ne sont pas hongrois.Quelques locaux dans la bande ?

Sympa de faire fonctionnerl’économie locale.

Pourtant tout à l’heure…Je pivote pour constater qu’un autre

type est présent. Il ne s’agit pas d’un deses hommes de mains, vue sa corpulence

fluette. Il répond à Attila avec un accentitalien très prononcé.

- Pensez-vous que ce soit le moment ?Attila sourit et l’éclat blanc de ses

dents me provoque un coup au cœur. Sesyeux légèrement en amande étincellent.Il tient entre ses grandes mains la carteque j’ai abandonnée sur son pallier. Il larespire et je trésaille.

- Elle est spéciale, ronronne-t-il decette voix grave qui semble serépercuter dans mon bas-ventre.

Oh, comme je suis flattée !- Aucune femme ne mérite que vous

preniez un risque alors que vous êtes surune vente si essentielle pourl’Organisation.

- L’Organisation, c’est moi, Giorgio,ne l’oublie jamais ; grogne Attila. Jesuis seul à prendre les décisions.

Mince, si je me débrouille bien, jepourrai être sacrée reine des grosvilains. Quelle chance !

- Elle est spéciale. Très spéciale. Unefemme à part. Délicate mais si forte.Comme une rose, les pétales doux, maisprotégées par des épines. Elle sera àmoi.

Penser à se renseigner sur la marcheà suivre pour changer d’identité… oumême d’univers, tiens !

- Je sors. Je veux lui offrir quelquechose à la hauteur de sa beauté.

Il ne faut surtout pas !

- Je me rendrai sur le lieu prévu àminuit. Notre contact a confirmé. Nousnous retrouvons là-bas. Je donne la cléUSB et le type qu’on a récupéré, tuvérifies que le virement est sur notrecompte et on quitte le pays.

Il empoigne son portable et sa hautesilhouette musclée sort de mon champ devision. J’entends la porte d’entrerclaquer. Attila est parti… et la suitegrouille toujours de gros bras.

Fantastique. Je suis coincée.Sans compter que l’heure de notre

dîner approche. Vais-je être contraintede poser un lapin au big boss d’uneorganisation flippante qui craque pourmoi ? Je me passerai bien de ce dîner

maintenant que j’ai l’information qu’ilme faut, mais je trouve intéressant d’yaller tout de même. Attila ne se douterapas que je sais, à condition que je jouebien le jeu. Et peut-être se détendra-t-ilsuffisamment pour lâcher quelquesautres infos.

Non. Soyons honnête. Je crèved’envie de me retrouver avec lui. Cethomme m’attire malgré ce que j’aiappris sur lui. Le simple fait de songer àlui allume en moi le désir indomptabled’être à ses côtés, de le toucher, lesentir… Stop ! Ce n’est pas le propos.Bonnes ou mauvaises raisons, je dois merendre à ce rendez-vous.

Encore faut-il que je parvienne àregagner ma suite. Impensable de passer

par la porte. J’ouvre délicatement lesvitres de la fenêtre. Chance, un petitbalcon à l’étage du dessous.Heureusement, je suis grande. J’enjambedonc la rambarde, et m’accroche au basde la fenêtre, laissant pendre mon corpsdans le vide. La réception sera un peubrutale, mais je ne me tordraisprobablement pas la cheville.

Ouch !Je me relève difficilement, sentant

encore la douleur remonter dans mesjambes. J’ai un peu sous-estimée ladistance entre les deux étages. Je jette unœil dans la chambre sur laquelle donnele balcon. Elle semble vide. Parfait.J’ôte mon débardeur, l’enroule autour demon poing et donne plusieurs petits coup

dans la vitre qui se fendille. Le plan estd’éviter que le verre ne fasse trop debruit en explosant. Je parviens àdétacher la vitre petits morceaux parpetits morceaux, et si certainsm’échappent et tombent au sol, ils neprovoquent pas un fracas d’enfer. En toutcas, pas de quoi attirer l’attention.

Puis je saisis le pêne de la fenêtredepuis l’extérieur et ouvre. Je me glisserapidement à l’intérieur. Je coursjusqu’à la porte, m’échappe dans lecouloir.

Libre ! Je suis libre !Et affamée. Je me maudis de ne pas

avoir songé à cette solution plutôt. Pasle temps de me flageller maintenant. Je

dévale les escaliers jusqu’à laréception. À l’accueil, le réceptionniste,toujours très calme, m’adresse un grandsourire, ne prêtant attention ni à monchignon à moitié défait, ni à mondébardeur froissé et troué que j’ai remisà la hâte.

- Que pouvons-nous faire pour vous,mademoiselle Wilde ?

- Il me faut une robe de couturier pourdans une demi-heure dans ma suite.

L’homme toussote, mais m’épargneson commentaire.

- Quelle taille ?Je me retourne et lui montre l’étiquette

de mon débardeur.

- Une couleur, une forme que vousaffectionnez particulièrement ?

Je soupire. Bon sang, qu’est-ce queje m’en tape !

- Partons du principe que je ne l’auraipas essayé. Mieux vaut du fluide que duprès du corps et du court que du long.Nous limiterons les chances d’ourletraté, que je flotte ou sois boudinée dansla robe.

- Ce sera fait. Et pour la couleur.Il m’agace.- Je m’en fiche. Vert ? Ou noir.

Comme vous préférez.Et je tourne le dos et remonte me

préparer.

***Vingt heure quinze. Un quart d’heure

de retard seulement sur l’horaire, cen’est pas si mal pour une cambrioleuse,je me dirige vers la table à laquellem’attend Attila. La même que la veille.

Il se lève, s’incline en gardant sesyeux verts brûlants fixés sur moi :

- J’ai passé une si excellente soiréehier que je n’ai pas pu résister à latentation de réitérer dans les moindresdétails.

Je lui adresse un petit sourire crispé.Il faut impérativement que je me

détende, sans quoi, il finira par sedemander pourquoi j’ai accepté soninvitation si c’est pour être sur la

défensive. Je m’assieds.- Vous êtes tout aussi splendide

qu’hier.Je le remercie en lissant la robe noire

dévoilant mes jambes que l’hôtel m’afait porter. Et je sursaute lorsqu’il poseen face de moi un long écrin.

Ça va Emma, c’est trop petit pourêtre une arme.

- Oh ! m’exclamé-je sur un ton tout àfait suspect.

Je me reprends, vérifie si son attitudea changée, mais il n’a rien noté, mecouve toujours de ses prunelles vertsombre. J’ouvre et y découvre unmagnifique pendentif en rubis prolongépar des décorations pointues en or.

Malgré la situation, la beauté du bijoum’atteint.

- C’est splendide soufflé-je.- Il m’a fait penser à vous. Fulgurant

et piquant.Je rougis malgré moi.- Il ne fallait pas.- Ça me fait plaisir. Puis-je vous le

mettre ?Je hoche la tête. Il se lève, contourne

la table, ramasse le collier dans sonécrin et me le passe au coup. J’attrapema chevelure si épaisse qui formecomme une crinière de boucles noiresque j’ai laissée libre ce soir et lasoulève.

Je frissonne, à la fois de peur etd’excitation quand ses doigts chaudseffleurent mon cou. Il pose un instant sapaume sur mon épaule, la recouvranttotalement et ma respiration s’accélère,erratique.

Je suis tordue. Cet homme necontinue à m’attire que parce qu’iltranspire le danger.

Je passe l’intégralité du dîner à lecuisiner l’air de rien, mais tout commela veille, je n’obtiens absolument aucuneréponse. Chou blanc. Il me raccompagnejusqu’au bas de l’escalier :

- J’aurai adoré que vous me proposiezde vous suivre comme la nuit dernièreEmma, mais j’ai malheureusement un

impératif.Livrer un pauvre type à des criminels

souhaitant l’assassiner, je sais.- Et je dois quitter l’Italie dans la

foulée, poursuit-il. Mais nous nousreverrons très vite, n’est-ce pas ?

- Oui, oui, bien sûr, soufflé-je.- Bien.- Vous n’avez pas mon adresse.Et c’est tant mieux.- Ne vous inquiétez pas. Je vous

retrouverai où que vous soyez.Peur…Et il prend délicatement ma main entre

les siennes, y dépose un baiser. Unechaleur incontrôlable s’empare de moi

lorsque je sens la forme de ses lèvres. Ilse redresse et surprend mes paupièresmi-closes. Alors il passe un bras dansmon dos et m’attire à lui. Je me répèteen boucle qu’il ne faut pas que je lelaisse faire, que cet homme est undangereux criminel, mais l’attirance quej’éprouve pour lui se contre-fichevisiblement des lois et de la morale.

Mes deux mains se posent toutesseules sur son torse et je ferme les yeuxquand sa bouche trouve la mienne. Seslèvres sont aussi douces que dans monsouvenir. Attila me serre contre lui etnos corps se collent l’un à l’autrecomme s’ils cherchaient à fusionner. Sesdoigts vagabondent le long de mescourbes et leur douce pression

m’arrache un gémissement.C’est finalement lui qui rompt notre

étreinte à laquelle je me suis lâchementabandonnée.

Au moins, il ne se doutera de rien !C’est ça Emma, trouve-toi des

excuses.Attila laisse glisser son index le long

de ma joue et coule ses yeux perçantstout au fond des miens :

- Vous êtes si belle…Puis il me tourne le dos et s’éloigne.

Ma respiration redevient normale. Il mefait trop d’effets pour que ce soithonnête. Pourtant, il faut bien que je mesecoue : hors de question de traîner. Je

file dans ma suite et extirpe une tenue decombat de ma valise : pantalon moulantnoir et tee-shirt sombre, baskets. En unrien de temps, je suis prête.

Avant de quitter l’hôtel, j’envoiesimplement à Noah un SMS qui, je lesais, va le mettre sur les nerfs :

[Si je ne t’ai pas donné de news d’iciune heure, envoie la cavalerie à l’hôtelparticulier des Tratorria.]

Une milliseconde après, montéléphone vibre.

[Emma bordel, qu’est-ce que tu fouesencore !]

Je me contente de répondre sansdévelopper.

[Pas la peine d’être vulgaire.]J’ignore délibérément les appels

frénétiques qui suivent et coupe maligne.

4. L’ego deshommes

Absolument personne devant l’entrée.L’hôtel particulier aujourd’huidésaffectés. Il est impressionnant, un peuglauque, dans ce quartier de Dorsoduroau sud de Venise, non loin de labasilique Santa Maria della Salute auplan kabbalistique, conçue pourremercier la Vierge Marie d’avoir sauvéla ville de la peste au XVIIème siècle.Et en même temps, à quoi m’attendais-je? Une réunion en plein air ? Une bandede types à la mine patibulaire en train

d’échanger les derniers potins sur lesarmes à la mode avec un panneau au-dessus de leur tête : « ici, méfait encours » ?

La porte est même entrouverte. Il estvrai que personne ne risque de venirfouiner ici… à part moi… Les marchesmenant aux étages sont écroulées. Je mecoule dans le noir jusqu’à la portemenant aux souterrains d’où filtre un peude lumière. Je descends les escalierss’enfonçant sous le niveau de la mer. Lescouloirs se succèdent, obscurs, éclairéssimplement de loin en loin par de petitsnéons faiblissants.

Je m’arrête juste à temps pour ne pasêtre vue. Dans l’espace souterrain surlequel j’étais sur le point de débouler,

Attila. Je reconnais sans aucune peine sahaute silhouette. Un autre homme estdebout en face de lui. Il vientvisiblement d’arriver par un autre accèsau lieu, car il ôte son manteau et le posesur le dossier d’une chaise.

Drôle de bureau installé, pourl’occasion, au milieu de nulle part.

- Je vous en prie, prenez place,l’invite Attila d’une voix grave.

Ils s’asseyent tous les deux de part etd’autre de la table.

- Vous êtes venu seul ? demandel’inconnu.

- Mes hommes m’attendent àl’extérieur. Mon comptable nous rejointpour que nous puissions procéder à

votre paiement.- Et l’espion ?Attila rit. Un rire grave et méprisant

qui me hérisse l’échine.- Ce n’est pas un espion. Seulement un

hacker terrifié qui a tenté de nouséchapper. Pas besoin de gardes.L’homme est agoraphobe. Une fois quenous avions retrouvé sa trace, il suffisaitde le cueillir chez lui entre sesordinateurs.

- C’est presque décevant d’avoirmanqué une telle vente à cause d’unminable informaticien.

- Un informaticien très doué.- Comment avait-il pisté notre trace ?

- Totalement par hasard. Il s’amusait àplanter le site de la défense française aumoment où nous nous sommes introduitsdans leur système pour y copier lesplans qui vous intéressent. Il a tenté deprévenir les services secrets, nous l’enavons empêché à temps. Vous savez quenous sommes des pros.

L’inconnu a un rire sec :- Votre Organisation est

incontournable lorsqu’il s’agitd’espionnage technologique. Où est-il ?

Atilla fait un vague signe de la main…dans ma direction. Je me planque dansl’ombre. Le type kidnappé est doncinstallé non loin de moi.

Parfait ! Il ne me reste plus qu’à

trouver où exactement dans ce labyrinthedont je n’ai pas les plans. Je fais demi-tour et ouvre doucement toutes les portesque je trouve. Mais l’endroit estabandonné, vide, désert rien. Pourtant,assez loin du lieu où se tient le charmantrendez-vous, une porte me résiste. Avanttout parce qu’elle est coincée. Je lapousse d’un grand coup d’épaule et ellecède dans un craquement qui serépercute dans les couloirs vides.

Un homme est menotté sur une chaise.Il lève vers moi des yeux hagards. Jereste un moment figée, écoutant lesilence. Mais aucune cavalcade dansnotre direction. Le bruit n’a pas dûparvenir aux comploteurs. Jem’approche en courant de l’homme :

- Qui êtes-vous ? souffle-t-il.- Vous pouvez parler normalement,

vous leur faites tellement peurqu’absolument personne n’est là pours’assurer que vous ne vous échappiezpas. Je serais à votre place, je seraisvexée.

J’arrache mes deux épingles magiquesde mon chignon et m’occupe de laserrure des menottes. Décidément, c’estla journée crochetage. Une seulegoupille à faire sauter ici, c’est un jeud’enfant pour qui a un peud’entraînement.

Je libère le type et lui tends la main :- Emma Wilde, enchantée et vous ?- Euh… Jeff…

- On y va Jeff ?Il se lève lourdement. Il porte un

vieux tee-shirt dont la couleur estindéfinie à force de lavage, de grosseslunettes dont les verres sont brisés et sescheveux sont loin d’être propres.

- Vous pouvez marcher ?Il me fait signe que oui, mais à la

façon qu’il a de se masser les cuisses, jedevine que nous n’irons pas très vite. Jeme mords les lèvres.

Mince, je n’avais pas pensé à ça.Je lui fais signe de me suivre et nous

nous faufilons dans le couloir. Aprèsquelques pas, je comprends que ce seracompliqué. Il est épuisé et soufflecomme une otarie à chaque pas. Je lève

les yeux au ciel. Il va nous falloir un peude chance pour nous en tirer et surtout necroiser personne. Je suis sur le point delui suggérer d’aller plus vite quand ilm’arrête en me tirant par le coude.

- On ne peut pas partir sans la clé.- Je vous demande pardon ?- La clé que le grand type, le chef,

s’apprête à vendre. Il faut à tout prixl’en empêcher.

Je le regarde, un peu interloquée.- Sincèrement, vous pensez que c’est

James Bond qui est venu vous sauver ?Je suis journaliste moi. Pas ceinturenoire de Krav maga. Une erreurd’ailleurs. Vu la vie que je mène, jem’inscris dès que je suis de retour à

Paris.- Vous ne comprenez pas, la clé

contient les plans d’ITER.- Un ami à vous ?C’est à son tour de lever les yeux au

ciel.- ITER. C’est le Réacteur

Thermonucléaire ExpérimentalInternational.

- À vos souhaits.- Un réacteur qui fonctionne sur le

principe de la fusion et pas de la fission.C’est censé être plus sûr et plus efficacequ’un réacteur nucléaire traditionnel. Lepremier est en construction à Cadarachedans le sud de la France.

- Et vous pensez que le type quiachète les plans voudrait le faireexploser ? On nage en plein film !

- Non, ce serait stupide. Personne nese risquerait à créer un trou noir.

J’ouvre la bouche.- Ouf, nous pouvons respirer donc,

lâché-je.Le type s’énerve.- Écoutez. On ne peut pas laisser ces

plans tomber entre les mains den’importe qui.

- Très bien, j’ai compris. Nouspréviendrons les autorités dès que nousserons en sécurité.

- Non ! s’insurge-t-il.

Je lui fais signe de baisser le ton.- Maintenant, souffle-t-il.C’est à moi de m’énerver.- On vous a trop tapé sur la tête vous !

Comment voulez-vous qu’on s’y prenne !On débarque, on les terrifie grâce à nosimpressionnants biscoteaux ?

Il ne me répond pas. Il ne me répondpas parce qu’il n’y a bien évidemmentaucun moyen d’empêcher cet échange…À moins que…

- Le paiement doit avoir lieu pourqu’Attila remette la clé à l’acheteur.Pourriez-vous brouiller lestransmissions informatiques pourempêcher la transaction d’avoir lieu ?

- Attila ?- Le chef des méchants qui vous ont

kidnappé.Il me regarde bizarrement et je choisis

de ne pas en tenir compte.- Alors ?- Il me faut un appareil qui émette des

ondes…- Un portable ?- Parfait.Je rallume mon portable et lui tends. Il

de met à clignoter et devient épileptique.Noah.Lorsqu’il s’est calmé, Jeff pianote sur

les touches tactiles à toute vitesse.

- Rapprochons-nous, m’ordonne-t-ilen marchant tête baissée, concentré surdes séries de codes.

Nous nous retrouvons là où je metenais quelques minutes plus tôt. L’écranéclaire dans la pénombre le visageconcentré de Jeff. Je jette un œil là où sedéroule la sympathique petite réunion.Georgio a rejoint Attila et l’inconnu.

- Je capte, souffle Jeff.Quelques secondes plus tard, le

comptable tapote sur son ordinateur,énervé.

- Quoi ? s’agace Attila.- Le signal est coupé.- Rétablis-le !

- Je suis navré, mais je n’y arrivepas…

Attila se fige. Les mâchoirescontractées, il grogne :

- Allons-nous-en. Nous avons peut-être été repérés. On se recontacte.

Et sans un mot de plus, l’inconnu seretire rapidement vers le fond de lapièce pour disparaître dans un corridor.Quant à Attila et le comptable, ils selèvent à leur tour… et viennent droit surnous.

- Courrez, soufflé-je à Jeff.Nous nous précipitions vers la sortie.

Dans notre dos, les pas précipitésd’Attila :

- Prévenez les hommes, nous partons.Je vais chercher le hacker.

Et nous sommes déjà loin lorsqu’unrugissement terrifiant nous parvient.

- Je crois qu’il s’est rendu compte devotre défection…

L’air frais à l’extérieur est unebénédiction après la moiteur dessouterrains. Les rues sont vides, mais auloin des phares s’engagent sur la route ets’approchent. J’ai bien peur que lecarrosse d’Attila ne s’avance.

- Venez, ne restons pas là, soufflé-je àJeff en le tirant par la manche.

Nous nous fondons dans l’obscuritéd’une ruelle attenante et effectivement,le gros 4x4 se range le long du trottoir

juste à temps pour qu’Attila s’yengouffre. Le véhicule redémarre entrombe et s’éloigne.

- Qu’allons-nous faire maintenant ? selamente le hacker.

Je souris en coin.- J’ai ma petite idée.Je tends la main pour qu’il me rendre

mon portable et cherche sur internet lenuméro de l’hôtel.

- Allô ?- Emma Wilde, je suis dans la suite…- Miss Wilde, bien sûr, que pouvons-

nous faire pour vous ? Une robe ? Unevitre à casser ? Une serrure à crocheter?

Oups… Je suis démasquée par lepersonnel de l’hôtel.

- Caméras bien camouflées ?- Oui. Je ne vous cache pas que si le

directeur de l’hôtel en personne ne nousavait donné l’ordre de nous taire, nousaurions prévenu monsieur Jones.

C’est ça. Quelle excellente idée.Je choisis de ne pas relever.- Puis-je lui parler ?- À qui ?- Hé bien à Filippo, certainement pas

à monsieur Jones !Raclement de gorge.- Je vais le réveiller… je suppose.

Je patiente un long moment tandis queJeff mange ce qu’il lui reste d’ongles.

- Emma ? Filippo à l’appareil. Voussavez, ce n’était pas à peine de vousexcuser auprès de moi pour la vitre.Surtout à près d’une heure du matin.

- Oui, navrée de vous réveiller. Cen’était pas du tout pour m’excuser. Enfin,si, mais pas dans l’immédiat. Pourriez-vous me donner le numéro de portablede monsieur Jones ?

Un long, très long silence me répond.- Vous comprendrez que c’est un peu

compliqué…- Je le conçois. Mais sachez que

monsieur Jones et moi avons… despratiques sexuelles… euh… spéciales et

ce que à quoi vous avez assisté via voscaméras de surveillance, eh bien... lecrochetage de la serrure, fait partied’une mise en scène qu’Attila et moi…

- C’est bon ! m’interrompt-il. Je neveux pas en savoir plus. Je vous donnele numéro.

J’adresse un clin d’œil à Jeff quihausse les épaules, ne comprenanttoujours pas où je veux en venir. Unefois que j’ai noté dans la paume de mamain le portable de Jones, je raccrocheet compose immédiatement le nouveaunuméro. Pendant que la sonnerie retentit,Jeff souffle :

- Mais vous connaissez bien ce… cetAttila ?

Je hoche la tête.- Un petit ami potentiel.Le hacker me regarde comme si

j’étais une dangereuse folle dingue.- Allô ?La voix grave d’Attila me fait

frissonner.- Vous me quittez déjà ? roucoulé-jeJ’entends une sorte de grognement

sexy.- Emma.- Je regrette tellement que vous

quittiez Venise. J’aurai aimé passerencore du temps avec vous. À tel pointque j’ai moi-même décidé d’écourtermon séjour.

- Je n’aurai pas cru vous manquer.- Vous êtes inoubliable !Bla-bla-bla.Et en même temps, ce n’est pas faux.- Vous vous rendez à Paris.- Oui.- Pourquoi ne pas profiter de mon jet

privé ? Laissez-moi vous raccompagner,nous aurons ainsi encore quelquesheures à partager !

Ah ! L’ego des hommes…

5. Résister àAttila Jones

J’ai déposé Jeff à l’hôtel avec ordrede prévenir les autorités par tous lesmoyens qu’il imaginera. De mon côté,j’ai fourré mes affaires dans ma valise etsauté dans un taxi direction l’aéroport.Le jet est sur le tarmac et Attila patientedevant.

Lorsque le chauffeur me laisse et queje me retrouve seule face à cet homme sibeau et si dangereux, lorsqu’il saisitentre deux de ses doigts mon mentonpour lever mon visage vers le sien et y

déposer un baiser, je me sens soudainextrêmement fragile et minuscule… moiqui aie si souvent souffert adolescented’être si grande pour une fille.

Mais il est vrai qu’Attila est immense,sa carrure plus qu’impressionnante etses yeux luisent de cette lueur spécifiquelorsqu’il les pose sur moi : désir etdanger. Un cocktail auquel je saispertinemment que je ne peux pasrésister. Et je préfère ne pas trop songerque mon cœur ne bat pas qu’à cause dela trouille qui ne quitte plus mes pasalors que je monte dans l’avion. Levisage d’Attila se fend d’un sourire queje qualifierai presque de carnassier. Ilpose une main dans mon dos pour meconduire jusqu’à l’appareil tandis qu’un

Stewart s’empare de ma valise.Le jet est un appareil de taille tout à

fait appréciable. Il a été bien pensé. Unesorte de grand salon accueille plusieursfauteuils en cuir. Au fond je croisdeviner une sorte de petit bar. Je suisrassurée de constater qu’il n’y a aucunlieu plus intime. Car si j’ai beaucoup demal à ignorer l’attirance que j’éprouvepour le grand brun aux yeux de fauve,j’aimerais éviter à l’avenir de prendremon pied avec le côté obscur de laforce.

- Emma, c’est un plaisir de vousraccompagner chez vous.

- C’est vraiment très gentil à vous.Il me fait signe de m’installer dans un

des fauteuils et prend place en face demoi.

- Je reviens.Il disparaît quelques instants avant de

m’apporter une coupe de champagne.- Pour fêter ces quelques heures

passées ensemble.Je plonge le nez dans la flûte, avale

plusieurs gorgées d’une traite pour tenterd’évacuer ma nervosité.

- Vous portez mon collier, note-t-il.Je passe la main sur le bijou.- Je me suis dit que cela vous ferait

plaisir.Avant de quitter l’hôtel, j’ai enfilé

rapidement avec mes bottes une petite

robe noire moulante. Elle lui plaîtvisiblement vu comment il me dévoredes yeux.

Les portes de l’avion se referment etlorsque j’entends le bruit caractéristiquede la pressurisation, je me sens pendantquelques secondes comme une petitesouris prise au piège. Si je suisdécouverte maintenant, je ne vois pasbien par quel miracle je pourrai me tirerd’affaire.

Le jet s’engage sur la piste,accélération, puis nous décollons.

Je me laisse aller dans mon fauteuil etregarde par le hublot les lumières deVenise s’éloigner jusqu’à n’être plus quedes petits points scintillants un peu flous

sur la mer.Une main se pose sur la mienne. Je

regarde les grands doigts d’Attila, sapeau sombre et mes yeux glissentjusqu’à ses prunelles vert sombre et leuréclat si particulier.

- Emma, puis-je vous faire un aveu ?J’émets un son un peu étranglé.Je suis un gros vilain ? Je kidnappe

les gens et revends des secrets d’État ?Je suis déjà au courant.- Je ne suis pas, habituellement, ce

qu’on peut appeler un homme sensible,reprend-il d’une voix grave. Je ne rêvepas du grand amour. Je mène une vieplutôt solitaire. Mais lorsque je vous ai

croisé dans ce hall d’hôtel…Oh mon dieu…- Je me sens presque ridicule de

l’avouer tant cela ne me ressemble pas.Mais j’ai ressenti quelque chose. De sifort que cela m’a terrassé. Vous m’avezterrassé Emma.

- Vous me trouvez jolie, voilà tout,tenté-je d’une toute petite voix qui a dumal à sortir.

Il serre mes mains dans les deuxsiennes et se penche vers moi. Sesprunelles glissent tout au fond desmiennes, brûlantes, tendres.

Tendres ?- Non Emma.

Il passe sa main dans mes cheveux,écarte quelques boucles qui, rebelles,reviennent exactement là où elles setrouvaient avant qu’on ne les dérange.

- J’ai croisé beaucoup de joliesfemmes. Mais aucune comme vous. Vousêtes drôle, brillante, forte. Emma, jevous veux à mes côtés.

- Vous ne savez rien de moi.- Je sais ce qu’il faut savoir : le plus

important. Vous m’avez touché en pleincœur.

Mon cœur bat. Trop fort. On ne m’ajamais fait une telle déclaration et jedois avouer que la sincérité que je lisdans ses yeux me touche infiniment.Mais je ne peux pas, je ne dois pas

oublier qui il est. Pourtant ce qu’il mefait ressentir depuis que je l’ai rencontréest bien plus fort que les petitesaventures que j’ai pu connaître cesdernières années.

Cette pensée me fait rire.- J’adore quand vos yeux s’illuminent

ainsi Emma. Dîtes-moi ce qui vousamuse. J’espère que ce n’est pas moi,vous me briseriez le cœur.

- Oh non, ce n’est pas vous !Je laisse mes yeux errer par-dessus

son épaule, revivant quelques souvenirsloufoques glanés au cours des rencartscatastrophiques avec de jeunes héritiersd’empires familiaux organisés par mamère.

- Je… Je n’ai pas l’habitude qu’on meparle ainsi.

- C’est très surprenant. J’imagine tousles hommes à vos pieds.

Je souris ironiquement.- Je pense que les hommes sentent que

je ne suis pas prête à tomber amoureuse.Les sourcils parfaitement dessinés

d’Attila se froncent.- Laissez-moi une chance de vous

convaincre de l’être.Je le dévisage et j’ai soudain oublié

ce que je faisais ici, qui il étaitréellement et pourquoi une relation entrenous est impensable. J’ouvre la bouchepour répondre. Mais quoi ? Aucun son

n’en sort. Mon cerveau s’est juste vidéde toute réflexion. J’ai envie de melaisser aller, je me blottir dans sesgrands bras, caler ma tête contre sonépaule et ne plus penser à rien. Il selève, viens s’asseoir à côté de moi.

- C’est impossible, finis-je pararticuler difficilement.

Ses yeux fouillent les miens.- Pour quelle raison ? Je vois bien que

ce que je vous avoue a de l’importancepour vous.

Oui, mais vous êtes du mauvais côtéde la barrière.

- Je ne sais pas qui vous êtes Attila.Vous ne m’avez rien dit sur vous. Je nesais ni où vous habitez, ni ce que vous

faîtes exactement dans la vie, ni si vousavez des frères et sœurs, où sont vosparents, aimez-vous les animaux… ?

Il rit doucement et approche mesmains de ses lèvres. Promènelonguement et lentement sa boucheronde, soupire contre mes doigts et sonsouffle allume des frissons le long demon échine.

- Ai-je le droit de répondre auxquestions une par une ?

Je lui souris.C’est parti, confidence d’un gangster

amoureux.- J’ai un peu tendance à habiter ici,

dans ce jet, et dans les hôtels. J’aiparfaitement conscience que ce n’est pas

le rythme de vie adapté pour séduire unefemme, mais pour vous, je suis prêt àtout bouleverser dans ma vie. Je n’ai nifrères, ni sœurs, ni parents. C’est ainsi.J’aime beaucoup les animaux, maiscomme je n’ai pas à proprement parlerde chez moi, je n’en ai pas. Dîtes-moi ceque vous attendez de moi. Où voudriez-vous que j’habite : à Paris près de vous? Dans une ville que vous aimezparticulièrement et vous viendriez merendre visite ? Souhaitez-vous quej’adopte un chat ? Un chien ? Un canari ?

Je ris et il me sourit sans me lâcherdes yeux.

- Je suis content, murmure-t-il. Vousaviez l’air triste et je vous ai rendu lesourire, puis je vous ai fait rire. C’est le

plus beau moment de ma journée.Un silence s’installe pendant lequel

nous nous regardons et nos yeux vrillésl’un à l’autre parlent tout seuls.

Qu’est-ce que je suis en train defaire ?

Ses yeux verts légèrement bridés sesont faits si doux. Du velours. Ma mainne m’obéit plus et mes doigts se posentsur sa joue, caressent sa peau mate, seperdent sur son menton carréimpeccablement rasé.

- Vous êtes doux, murmuré-je.Il ne sourit plus. Son visage est

devenu très sérieux.Je suis en train de me laisser

emporter. C’est une erreur. Une trèsgrosse erreur.

Attila saisit ma main et la presse. Sesyeux se font doux et son regard mesonde. Puis, comme je ne cille pas, unsourire un peu ironique naît sur sonvisage, dévoilant une canine blanche.

- J’ai envie de vous.Il se penche en avant et son corps se

retrouve presque collé au mien. Jebaisse la tête, mon front est à la hauteurde son cou. Je sens son odeur. Un parfumfort. Un parfum qu’il faut oser porter.Quelque chose de résineux, decomplexe. J’ai hâte. Hâte de retrouver legoût de sa peau.

Les yeux mi-clos j’avance mes lèvres.

Elles frôlent les muscles de son cou. Àtravers ses vêtements je sens sa chaleurqui irradie, le désir qu’il éprouve,émane de lui et m’enveloppe. Mabouche prolonge sa caresse, appuie surla carotide pour sentir son poulss’accélérer. Il ne me touche pas encoreet ce sont mes mains qui parcourent aveclégèreté son torse, son dos, sa nuqueavant que mes doigts ne se perdent dansses cheveux épais.

Je les empoigne, tire un peu enrelevant la tête pour l’observer. Il aperdu son sourire ironique et sonexpression est des plus sérieuses. Il meregarde avec attention, me laissant fairealors que je l’explore, le détaille. Jepousse sa tête à se pencher en avant pour

pouvoir embrasser en appuyant à peinemes lèvres, son nez aquilin, son frontlarge, ses pommettes hautes.

La culpabilité m’assaille. Qu’est-ceque je suis en train de faire ? Pourquoisuis-je incapable de lui résister, de mecomporter comme je le devraismoralement ? Mais il me rend dingue. Saseule présence est insoutenable.

L’envie que j’ai de lui est violente,mais je me retiens, pour ne pas me jetersur lui comme une sauvage…

Ma bouche descend vers ses lèvres etles effleure. Elles sont si douces. Il lesentrouvre et j’y glisse ma langue,cherchant la sienne, mes mains agrippantsa mâchoire. Mon geste a été plus

appuyé, alors que ses bras m’enserrent,je tente de me calmer.

Il faut que j’arrive à le repousser. Jene dois en aucun cas à aller plus loin. Ilfaut que je me reprenne immédiatement.Il y a urgence. Urgence… Ou alors enprofiter encore une dernière fois. Non,non, je ne cèderai pas à mes pulsions.Pas encore.

Ses doigts cherchent la fermeture dema robe, mais je m’écarte. J’inspireprofondément, ça y est, je le sens, jevais parvenir à retrouver la pleinepossession de moi-même et prendre mesdistances. Mais mes yeux trouvent lessiens. Il comprend que je tente de medérober et a à nouveau ce sourireironique.

- Oh non, miss Wilde, vous ne vouséchapperez pas. Dans cet avion, vousêtes à moi.

Il se lève et me tire par la main pourque je me retrouve debout face à lui. Jecède… malgré moi. Je lui souris à montour, attrape lentement la glissière sousmon bras droit et la descends le long demes côtes, de ma taille et de meshanches. Je fais glisser les bretelleslarges le long de mes bras, puis lâche letissu qui s’écroule sur le sol, dévoilantmon corps.

Immédiatement, les prunelles d’Attilaparcourent chacune de mes formes avecavidité.

- Vous êtes parfaite, chuchote-t-il.

- Chut, me contenté-je de lui répondre.Il ne faut pas qu’il parle. Il faut qu’il

me laisse rêver que lui et moi, ce n’estpas impossible. Je prends ses mains queje pose sur moi. Ses paumes doucescomme de la soie recouvrent mesépaules, glissent devant sur ma poitrine,serrent mes seins, ma taille, explorentmon ventre, viennent trouver mes fessespour profiter de leur rondeur.

J’abandonne mes talons et meretrouve dix centimètres plus bas àhauteur des premiers boutons fermés dela chemise d’Attila. Je les fixe en memordant les lèvres. Depuis que je mesuis assise dans ce jet, j’ai eu envie deles défaire. Mon pouls accélère.Imaginer que je vais pouvoir enfin me

débarrasser d’eux est un réel bonheur.Comme une petite fille ouvrant un

cadeau, je les défais fébrilement. Unemince ligne de peau sombre apparaîtentre les pans clairs de tissus. Unenouvelle fois je tente de freiner sonenvie d’arracher son vêtement et de mejeter sans retenue sur son corps. Je gardeun mince espoir de lui résister.

J’aime me leurrer.- Emma ? Tout va bien ?Il a senti que quelque chose ne

tournait pas rond. Quelques larmesviennent me piquer les yeux. J’ai mal dedevoir le quitter, d’être attirée si fort etde ne rien pouvoir y faire.

Je me contente de hocher la tête,

muette, et me débarrasse de sa chemise.Devant son torse, je manque un instant

d’oxygène, comme la première fois. Despetites veines saillent sur ses épaulesmusculeuses, ses pectoraux carrés sontmarqués par des tétons sombres. Endessous, les muscles intercostauxdessinent des bosses rondes jusqu’à sesabdominaux bombés. Il n’a d’ailleurspas de « tablettes de chocolat », carc’est le transverse qui a pris le dessus,plus impressionnant, faisant ressortirplus encore les obliques dont lesextrémités s’enfoncent sous la ceinturede son pantalon.

- Emma ? m’interroge-t-il encored’une voix soucieuse et attentionnée,comme je le déguste des yeux, immobile.

Je relève la tête brusquement, lesprunelles perdues. Un désir violentmonte dans ma gorge, la serrantbrusquement. Il me le faut. Il me le fautnu contre moi avant que je n’explose.

Je me jette sur lui. Mes bras sontautour de son cou, mes lèvres pressentles siennes avec avidité. Je ne peux plusme retenir. Je le sens et l’entends rirecontre mes dents. Ses mains se glissentsous mes fesses et il me soulève. Mesjambes viennent enserrer sa tailleexactement comme je l’imaginais tout àl’heure.

Attila avance de quelques pas, meportant sans difficulté malgré ma grandetaille. Il s’appuie contre une paroi du jet.Je plante mes dents dans son épaule pour

évacuer le shoot d’excitation qui m’asecouée.

Attila me repose sur le sol et metourne face aux hublots. Il me plaquecontre lui et je sens contre mon dos lerelief de ses muscles. Il saisit monmenton, tourne ma tête et se penche au-dessus de moi. Ses yeux de fauvescherchent les miens et sans les quitter, ilse penche à mon oreille.

- Regardez-moi.Ces mots me rendent folle. J’inspire à

fond et m’aperçois que ma respirationest tremblante tant l’excitation estimportante. Il ne quitte plus mes yeux,tandis que ses doigts attrapent lafermeture de mon soutien-gorge et

l’ouvre. Mon sous-vêtement tombe sur lesol et ses mains viennent caresser messeins nus. Le contact chaud et doux mefait frissonner et lorsqu’il pincelégèrement les aréoles sensibles, ungémissement m’échappe et mes yeux seferment à demi.

Par-dessus mon épaule, Attila observema réaction et ce qu’il provoque en moile fait sourire. Il s’attaque plusbrutalement à mon tanga sur lequel iltire, me l’arrachant avec un plaisirsauvage. Sa main appuie sur le bas demon dos pour me courber en avant. Mesmains se posent sur l’habitacle en facede moi.

Dans mon dos, il se débarrasse de sonpantalon et de son boxer et son sexe

vient heurter le haut de mes cuisses, longet dur. Une décharge électrique meparcourt le dos. Il se penche lui aussipour que son torse se colle à mon dos etsa main droite se faufile le long de monventre, entre mes cuisses, jusqu’àtrouver mon clitoris. Son index pressel’endroit le plus sensible et tout moncorps se tend, ma tête se renverse contreson torse et un cri jailli hors de magorge.

- Je vais vous faire jouir Emma.Je souris, gourmande. Le mouvement

de ses doigts s’accélère alors que saqueue vibre contre mes fesses, puis mafente humide dans laquelle il s’engouffred’un coup de reins puissant,m’emplissant toute entière. Je ne peux

que fermer les yeux dans la sensation estincroyable. Mais sa main libre saisitmon visage et ses dents mordillent monoreille :

- Regardez-moi, Emma.Je dois faire un effort pour rouvrir les

paupières. Et lorsque nos prunelles serencontrent, il commence sonmouvement de va-et-vient. Un roulementsexy des hanches, souple, félin, fort, quipousse un peu à chaque fois mon bassinvers l’avant.

Plus son mouvement se poursuit, plusil va loin en moi et plus le plaisir monte.Son index n’a toujours pas quitté monclitoris et la pression monte en intensité,mon corps se tendant de plus en plus,

prêt pour la jouissance.Mais cela ne lui suffit pas, il sort de

moi, me soulève à nouveau pourm’allonger sur le sol de l’avion, écartantmes cuisses en grognant, ses yeuxbrûlants toujours plongés dans lesmiens. Je me suis abandonnée, le laisseme prendre comme il veut, simplementau comble du plaisir de succomber, dene plus penser.

Comme s’il était dans ma tête, ilmurmure :

- J’aime tant vous sentir à moi Emma.J’aime quand vous m’apparteneztotalement.

À cet instant, j’ai honte de mel’avouer, mais il a totalement raison. Je

suis à lui. Je ne le devrai pas, mais c’estplus fort que moi. Mon désir m’emportesans plus m’autorisé de choix.

Comme je ne proteste pas, validantson affirmation. Satisfait, il plonge enmoi à nouveau, puissamment, sansretenue, me prenant comme un fou.

Sa main libre vient trouver mes seins.Lui aussi a dû mal à conserver les yeuxouverts. Je le sens de plus en plus dur etlarge en moi, les muscles de son torse etde ses cuisses sont de plus en plusfébriles. Un grognement lui échappe. Sesmouvements se font plus larges. Lerythme de plus en plus rapide de seshanches me comble. Mon sexe seresserre violemment autour du sien et ilgémit à nouveau, se courbant soudain en

avant, m’écrasant de son poids. Sonsouffle dans mon oreille se précipite.

J’ai envie de le sentir exploser enmoi. Je creuse mes reins pour qu’ilpuisse venir profondément et il s’yglisse, comprenant immédiatement ceque je lui offre. Je mords ma lèvre etempoigne sa grande tête à deux mains,vrilles mes yeux au plus profond dessiens. Nous prunelles se troublent. Il meserre contre lui alors que soudain je lesens partir, palpitant dans ma chair. Unorgasme aigu se répercute en moi parvagues si puissantes qu’elles me coupentla respiration.

***Nous nous rhabillons rapidement,

Attila en me couvant des yeux, moi enévitant son regard…

J’aurais voulu que ce vol dureéternellement, qu’on n’atterrisse pas.Que Jeff n’ait pas contacté les servicesfrançais. Être certaine que personne nesera là pour l’arrêter à son arrivée. Ouplutôt, j’aurais voulu ne pas lesurprendre en plein kidnapping, ignorerqui il est vraiment. Me voiler la face.

Mais derrière lui, une horlogeaccrochée m’indique l’heure et merappelle que le temps file, que nousallons arriver et que cette bulle qu’il acréée autour de nous volera en éclat,qu’il ne sera plus le mystérieux, sexy ettendre Attila Jones mais un hommeemprisonné et que je ne serai plus la

femme dont il est amoureux, mais cellequi l’a dénoncé.

En attendant, j’ai envie de profiter aumaximum de cet instant avant de luibriser le coeur. Je prends ses grandesmains, les passe dans mon dos :

- Serrez-moi contre vous, soufflé-je.Et je me retrouver plaqué contre ce

grand torse musclé. Mon nez au niveaude son cou. Je pivote la tête juste assezpour que mes lèvres entrent en contactavec la peau de son cou, juste à l’endroitoù bat la carotide.

Tout aurait pu être différent, non ?Je le sens frissonner sous mon baiser.

J’insiste, remonte vers sa mâchoire. Unléger grognement lui échappe. Il s’écarte

doucement et prend on visage entre sesmains.

- Oh, Emma. Si vous saviez. Je mepensais incapable d’aimer. Et vous êtesentrée dans ma vie.

- Il ne faut pas dire ça. Ne dites pasde choses aussi fortes.

- Si. Ne m’en empêchez pas. C’esttrop bon, trop miraculeux de pouvoirprononcer de tels mots.

Et ses lèvres fondent sur les miennespour un baiser que je sais, je n’oublieraijamais de ma vie. Lorsqu’il me rendmon souffle, j’ai les larmes aux yeux.

- Emma, ne pleurez pas.Je me force à sourire, mais cela me

demande un effort considérable. Moncœur se déchire littéralement. J’ai prisla bonne décision, mais elle est si dure.J’aurai pu aimer cet homme oui. Car au-delà de l’attirance physique que j’airessentie pour lui, je dois m’avouer quemaintenant, cela va bien plus loin. Il mebouleverse sincèrement. Je voudrai toutsavoir de lui. Apprendre à le connaîtrevraiment, qu’il me raconte l’enfant qu’ila été, ce qui l’a conduit sur ce chemindangereux.

Et s’il était encore temps ? Si je luiavoue tout ? Que je le supplie d’arrêter,de revenir à une vie normale ? De sesauver pour mener une existence autre ?Le ferait-il pour moi ?

Je le détaille, ses épaules larges, sa

carrure immense, ses yeux félins. On nemet pas en cage les grands fauves : ils ydépérissent si vite.

À cet instant, le jet amorce sadescente. Je ferme les yeux. Il est troptard. Et c’est mieux ainsi.

Je me roule en boule dans ses brastout le long de l’atterrissage pourprofiter de sa chaleur et de son contact.Quand les roues touchent le tarmac etnous font tressauter, je me mords leslèvres presque jusqu’au sang pourretenir un sanglot. Un poids si lourdpèse dans ma poitrine.

L’avion roule quelques minutes alorsque la tristesse se fait plus intense. Puisle pilote freine. Attila bouge, nous

devons nous lever. Le steward tourne lapoignée et la porte s’ouvre. L’air d’unenuit parisienne fraîche pénètre dansl’habitacle. Attila fait quelques pas, setourne vers moi et me tend la main. Je lasaisis et le suis, coupable. J’ai accomplimon rôle : transmettre notre positiongrâce à mon téléphone resté allumé ettrafiqué par Jeff pour fonctionner commeune balise facilement traçable.

Nous descendons l’escalier roulant etnous voici sur la piste. On nous amènenos valises. Attila se tourne vers moi :

- Qu’avez-vous Emma, vous êtes biensilencieuse.

Mes lèvres se mettent à tremblertoutes seules et les larmes jaillissent.

- Pardon ; murmuré-je.Un éclair d’incompréhension traverse

ses prunelles. Mais au loin jaillissentune dizaine de voitures de police toutesirène hurlante. Attila sursaute, lesregarde foncer vers nous à vive allure. Ilse tourne à nouveau vers moi. Sonvisage se décompose.

- Emma, souffle-t-il.Et son air déçu me transperce.

L’immense tristesse que j’y lis medétruit plus encore.

Les forces de l’ordre sont là : lesvoitures s’arrêtent à côté de nous dansun crissement de pneus ; des officiers ensortent et pointent leurs armes dans notredirection.

- Monsieur Jones, veuillez lever lesmains et les placer derrière votre tête.Mademoiselle Wilde, merci de vouséloigner.

Attila obéit immédiatement :- Ne tirez pas. Ne la mettez pas en

danger, je me rends.Et il me tourne le dos, lève lentement

les bras et croise ses doigts derrière satête.

- Mademoiselle Wilde, éloignez-vouss’il vous plaît.

Mais je suis statufiée.- Mademoiselle Wilde, m’ordonne-t-

on à nouveau. Éloignez-vous que nouspuissions procéder à l’interpellation.

- Emma, me souffle Attila. Eloigne-tois’il te plait.

Il est si calme. Je fais quelques pas enarrière et les policiers se précipitent,l’un d’eux le fouille, dénichantrapidement la clé USB qu’il conservaitprécieusement sur lui. L’autre attrape sesavant-bras et lui tord les bras en arrière,lui passe les menottes.

Rapidement, il est entraîné vers unfourgon.

On pousse Attila pour le faire monter.Et avant qu’il ne disparaisse, il se tourneune dernière fois vers moi. Ses yeux sefichent dans les miens et le regard qu’ilm’envoie me fait frissonner. J’ai détruitle peu d’âme qu’il restait à cet homme.

Je l’ai blessé si profondément. Jamais ilne me le pardonnera.

Les portes claquent et le fourgons’éloigne.

- Je vous raccompagne mademoiselle? Nous avons besoin de vous pour unedéposition, mais je peux vous conduirechez vous au passage si vous souhaitezrécupérer quelques affaires.

ÉpilogueUn an après les événements.- Jeff ?- Je suis là Emma !Un grand fracas me pousse à courir

dans la pièce qui tient lieu à la fois dechambre et de lieux de travail à monami. Affalé par terre, il se relèvepéniblement.

- Qu’est-ce que tu fiches enfin ?- Du bricolage. Je savais que si je

branchais le câble du…- Non pitié ! l’interrompe-je. Pas

d’informatique. Quand tu es lancé, tu ne

t’arrêtes plus et je suis obligée det’écouter pendant des heures sans riencomprendre.

Il se relève lourdement et me rejoins.Nous nous asseyons sur son canapé enrepoussant les diverses piècesd’ordinateurs qui y traînent. Je pose unsac de course entre nous.

- Regarde ce que je t’ai apporté.Je lui dévoile le contenu de son frigo

pour les prochains jours. Depuisl’aventure vénitienne, je prends soin delui. Jeff est dangereusement agoraphobe.Déjà le trajet entre le lieu où il étaitretenu et l’hôtel a été un tel calvaire quej’ai bien cru cent fois l’enfermer ànouveau moi-même dans les souterrains

d’où je l’avais extirpé. Depuis notreretour, son trouble s’est aggravé et il nepose plus un orteil à l’extérieur. Si je nepassais pas le voir une fois par semaine,je suppose qu’il préférerait se laissermourir de faim plutôt que de tenter unesortie pour ravitaillement.

- Merci Emma.Je lui souris gentiment, mais la date

anniversaire de note retour approche àgrands pas et mon cœur se serre à cettepensée. Je n’ai eu aucune nouvelled’Attila évidemment. Je sais qu’il estenfermé à Fleury-Mérogis dans lequartier haute sécurité. Et je suis forcéede reconnaître que je me remetsdifficilement de mon premier chagrind’amour. Je n’en suis pas certaine, mais

je crois bien avoir aimé cet homme…d’une certaine manière.

Après mon retour, j’ai passé plusieursmois sans être capable de fermer l’œilde la nuit, souffrant d’un manque cruel.Je mourrai d’envie de le revoir, sentirses yeux se poser sur moi, ses mainsm’effleurer. Et songer que nous seronsséparées à jamais frôlait la torture. Jen’ai vu quasiment personne pendant desjours, m’enfermant chez moi, ce qui meressemble si peu que mon cousin NoahWilde a plusieurs fois interrompu sonplanning de PDG débordé pour me tirerhors de ma tanière à grand coup de :

- Emma, ça suffit. Emma tu esridicule, tu ne peux pas être tombéeamoureuse d’un type pareil, tu te mens à

toi-même.Pourtant, la souffrance que j’ai pu

ressentir était bien réelle et ellecommence à peine à me quitter. J’irai demieux en mieux maintenant. Messentiments sont en train de s’estomperdoucement. D’ailleurs cela me faitpenser à la petite douleur entre mesomoplates. Un mini exorcisme que je mesuis imposé pour passer à autre chose.Je me retourne et tire le col de mondébardeur vers le bas :

- Regarde Jeff ce que j’ai fait hier !- Tu t’es fait tatouer ?- Oui. Ça te plaît ?- Je ne vois pas bien à cause de tes

cheveux.

- C’est une croix ailée. Pour merappeler de toujours rester libre.

Je tire mes cheveux vers le haut.- Ça te va bien. C’est très sexy.Je souris à mon ami par-dessus mon

épaule.- Merci.Il ouvre un des paquets de chips que

je lui ai apporté et grignote quelquesminutes songeant à quelque chose enregardant au plafond :

- Je n’étais pas certain de devoir te ledire Emma, mais je pense qu’il faut quetu sois au courant.

- Je t’écoute.- Viens.

Il se relève et s’installe devant un deses ordinateurs, secoue la souris pourréveiller l’écran. Il s’apprête à cliquersur un lien, son doigt reste en l’air :

- Je te préviens, cela risque de te faireun choc.

- Vas-y.Je ne sais pas du tout à quoi

m’attendre, je me raidie. Jeff Clique.Et la photo d’Attila apparaît en gros

plan. Mon cœur se décroche. Ses yeuxverts me clouent sur place.

- Pourquoi me montres-tu ça, lancé-jesur un ton glacial.

Tout mon corps s’est contracté pourrésister à l’émotion puissante qui s’est

emparée de moi.- Laisse un peu la photo, regarde à

côté.- Un avis de recherche ?- Oui. Il s’est évadé il y a une

semaine.Un shoot d’adrénaline parcourt mes

veines et je me mets à trembler.- Comment a-t-il fait ?- Visiblement, personne n’en sait rien.

Il n’aurait bénéficié d’aucune aide,personne n’a rien vu, il n’a laissé aucunetrace derrière lui. Ce type est un chat.

- Tué ?- Blessés. Les mecs étaient sacrément

sonnés d’après ce que j’ai pu lire.

Lorsque je quitte mon ami, le monden’est plus le même. Le soleil brilletoujours autant pourtant, mais monunivers s’est assombri. Attila est libre.Libre. À quoi m’attendre maintenant ?

Je retourner directement chez moi.J’avais prévu de prendre un café avecune amie, mais je n’en ai plus lamoindre envie. J’ai préféré annulerplutôt que lui faire passer un mauvaismoment. Mon après-midi défile sans queje ne bouge de mon canapé. Des heuresassises en tailleur, les yeux dans lesvagues, serrant compulsivement la tassede thé refroidie depuis longtemps entremes mains.

Atilla est libre.

Libre.C’est à peine croyable. Je ne sais pas

si cette nouvelle doit me réjouir ou meplonger dans la terreur la plus totale.

Il est vingt heures quand la nuitcommence doucement à tomber. Lasonnette me fait violemment sursauter. Ilfaut que la personne réitère pour que jeparvienne à me secouer et à me lever.Lorsque j’ouvre, la gardienne est sur lepas de la porte.

- On a déposé ça pour vous.Et elle me tend une longue boîte. Je la

remercie et rentre, curieuse. Je pose lelong paquet sur la table de mon salon.Une simple boîte blanche. Un nœud ensatin noir la maintient fermée. Mon cœur

bat fort. Je n’ai pas besoin de mot poursavoir de qui cela provient. Et j’ai à lafois hâte et peur de ce que je vaistrouver à l’intérieur.

Je soulève lentement le couvercle.Sur du papier de soie froissé, repose

une magnifique rose jaune accompagnéede quelques capucines. C’est unmessage. Je sais que ces fleurs n’ont pasété choisies au hasard. Je saisis montéléphone et cherche sur internet :

Rose jaune : symbole de la trahison etcapucines pour témoigner d’un amourardent.

Mes doigts tremblent en prenant lacarte glissée en dessous. Un simple moty a été inscrit à la main.

« Où que tu sois, je te retrouverai. »

6. Bogota- Jeff !Je fais quelques pas en avant dans la

pénombre. Jamais compris pourquoimon ami tenait à tout prix à vivre dansun logement s’apparentant plus à unecave qu’à un studio. « Tu n’es pas obligéde te transformer en cliché, Jeff » lui ai-je répété cent fois.

Pourtant, mon meilleur ami a tout ducliché qu’on colle sur les épaules deshackers. Plutôt asocial, les cheveuxrarement lavés et longs, des tee-shirtsinformes sur le dos. C’est Jeff. Mais jel’adore. C’est un génie, il m’a tiré de

situations compliquées plus d’une foisen me dégotant des infos incroyables.

Mais il est ma part d’ombre aussi.Sans lui, je ne serais pas souvent partiepour des reportages risqués ; il a le donde piquer ma curiosité en m’appelant aumilieu de la nuit pour me balancer untruc énorme qui me force à plier bagagesdans la seconde pour courir à l’autrebout de la planète sur les traces de typeslouches plus dangereux les uns que lesautres.

Cette fois encore, il ne m’a pas laisséle choix. Même si s’ajoute l’inquiétude.J’ai juste reçu un SMS. Un SMSd’alerte, un texte programmé pour m’êtreenvoyé automatiquement en cas de

pépin.[Help !]On ne peut pas faire plus efficace. J’ai

essayé de l’appeler, rien. Et maintenantque j’ai accouru chez lui, je crie unenouvelle fois :

- Jeff !Mais je ne me fais pas d’illusions : je

suis seule avec le silence. Jeff ne seraitpas sorti de chez lui : il est agoraphobe.C’est moi qui lui fais ses courses etquand je suis à l’étranger, j’en confie lagarde à mes amies les plus proches. Unpeu comme je le ferais pour un chat.

Si Jeff n’est pas chez lui, c’est qu’onl’a forcé à sortir.

L’état de son studio confirme mescraintes : tout est sens dessus dessous.Quelqu’un a retourné l’endroit et aenlevé mon ami. Je ne vois pas d’autreexplication. L’angoisse m’étreint plusencore quand je découvre les écrans deses ordinateurs super puissants exploséssur le sol.

Cette fois, c’est certain, c’est grave.Jeff n’aurait pas laissé un tel carnagearriver s’il avait été en état de sedéfendre.

Les mains tremblantes et la peur auventre, je retourne tout à mon tour. Il fautque je dégotte au moins le début d’unepiste pour savoir dans quelle directionpartir le chercher.

Je fouille depuis une bonne demi-heure sans rien trouver quand je songeque mon ami est le type le plusparanoïaque du monde et parconséquent, le plus prévoyant. Il a dûenvisager ce scénario des centaines defois.

Et comme il le dit souvent : lasolution la plus simple est toujours lameilleure.

Je sors mon téléphone, dans lequelj’insère une carte. Je n’ai pas de forfait,aucun numéro excepté pour ma famille etje ne conserve jamais plus d’un moismes portables. J’atteins ma boîte mail.J’ai un message de Jeff, lui aussi a dû segénérer automatiquement. À l’intérieur,

un message crypté.Je télécharge le fichier sur mon

androïde et l’ouvre grâce au petitlogiciel que Jeff installe sur mestéléphones chaque fois que j’en change :

[Emma, je n’ai pas souhaité t’enparler car j’avais besoin d’enquêterseul. J’ai retrouvé la trace destrafiquants de drogue qui sontresponsables de la mort de ma sœur il ya cinq ans. J’ai contacté maîtreCabualca, à Bogota. Il est du côté desvictimes. Il m’aidera je l’espère. Maissi ce mail t’es parvenu, c’est que tout nes’est pas déroulé comme prévu. Faisattention à toi. Jeff]

Suis l’adresse mail du fameux avocat.

Je lui envoie un mail immédiatement :[Je cherche mon ami Jeff Peterson. Il

a été enlevé, savez-vous où il se trouve? J’aimerai vous rencontrer.]

Dans la seconde suivante, un mail meparvient en retour :

[Continuez votre vie et ne vous mêlezpas de ça]

***

Il fait chaud. Beaucoup trop chaud. Ilne s'agit pas tellement de la températureen elle-même, j'ai déjà connu de forteschaleurs, mais surtout, cette humidité...J'ai juste envie d'arracher tous mesvêtements et de vivre nue jusqu'au soir

en espérant que la fraicheur de la nuitm'apaise.

J'essuie ma peau trempée et ramasseau sol mon sac de voyage. Mon vieuxsac fétiche en toile qui m'a suivi danstoutes mes aventures. Je laisse l'aéroportinternational d’El Dorado dans mon doset fait quelques pas en direction destaxis. Le soleil cogne un truc de dingue,je rabat sur mon front le chapeau decowboy et tente de coincer le maximumde cheveux à l’intérieur. Mais matignasse se rebelle et les longuesboucles retombent dans mon cou,viennent se coller à ma peau.

J’essaye tout ce que je peux : le stylodans les cheveux, le chignon rapide

coincé sous le chapeau, rien defonctionne. Je me maudis de ne pasavoir pris plus d’élastiques. Je n’enavais que trois avec moi et ils se sonttous rompus. J’ai trop de cheveux, voilà.Il parait que c’est beau, cette sorte decrinière brune épaisse qui ondulejusqu’au bas de mes reins, moi je trouvesurtout que ce n’est pas pratique… et çatient chaud ! Oh qu’est-ce qu’il faitchaud.

Je passe le dos de ma main sur monfront moite, assure la bride du sac mousur mon épaule et me dirige résolumentvers un taxi. Plusieurs chauffeurs seprécipitent vers moi et me proposent destarifs de course en hurlant tous plus fort

les uns que les autres. Mais c’est tropcher. Je sais pertinemment qu’ils meproposent au moins le double, voire letriple que ce qu’ils demanderaient à unlocal.

Finalement, je vais prendre le bus…- Emma Wilde ?Je me retourne. Une longue femme

sèche tirée à quatre épingles, avec lapeau cuivré des indiens d’Amazonie, meregarde de haut. De haut car elle estexcessivement grande pour une femmede cette région du monde. Grande etmaigre.

- Vous êtes ?- Jace Jones. Je suis l’assistante de

maître Cabualca. Il m’envoie vouschercher.

Je fais une moue d’approbation. C’estsympa de sa part, cependant…

- Je n’ai pas souvenir d’avoir prévenumaître Cabualca de mon arrivée.

Je l’ai d’autant moins prévenu que jecomptais un peu jouer sur l’effet desurprise : lui tomber dessus à la sortiedu tribunal ou en bas de chez lui, pourlui extorquer plus facilement desinformations. Mais à ce que jecomprends, il m’a placée soussurveillance dès que je suis entrée encontact avec lui par mail depuis Paris.Jace me confirme :

- On l’a prévenu.Ce « on » est loin de me rassurer. Pas

que je sois surprise réellement, mais jen’aurais pas songé qu’un petit avocat auservice des familles des victimes descartels de drogue ait le bras assez longpour me pister à peine mon pied posésur le sol colombien. Je ne l’imaginaispas avec une secrétaire non plus… Jem’attendais à un pauvre petit bonhommeterrorisé roulant dans une vieillebagnole cabossée et stockant desdossiers pour lesquels il n’obtiendraitjamais gain de cause dans un vieuxbureau pourri aux ventilateurs en panne.

Un cliché, ok…Et peut-être va-t-il falloir

sérieusement que je me mette à jour enmatière de clichés car je constate avecsurprise que Jace m’entraîne vers unemagnifique Chrysler flambant neuve.

Avocat des victimes des cartels etriche ? Ça ne colle pas. Normalement,ce sont ceux qui sont du côté desméchants ici qui font leur beurre, pasceux qui se dressent contre eux.

Je prends place sur le siège passageret Jace démarre l’engin, quittel’aéroport, emprunte une voix rapidepeuplée de dingues du volant. Lasecrétaire de Cabualca se montre à lahauteur en nous secouant comme depruniers à chaque tournant, freinant sibrusquement que je dois me retenir pour

ne pas m’écraser contre le tableau debord. Je serre mon sac mou contre moiet regarde un instant les paysages défilerà travers la vitre, la ville qui pousse,désordonnée, juste après les pistes ets’étale à perte de vue. Puis l’air de rien,je la questionne :

- Alors, quel âge a votre patron ? Jesuppose qu’il a une sacrée bouteillepour oser s’attaquer à ce business.

Silence.Regardant toujours par la fenêtre, je

tente une nouvelle question :- Et a-t-il d’autres activités à côté ?Silence encore.Je me retourne vers mademoiselle

Jones et sa cinquantaine déjà un peulointaine. Elle fixe obstinément la route,les lèvres serrées, droite comme un i surson fauteuil de conductrice. Comme ellesent que je l’observe, attendant desréponses à mes questions, elle me glisseà peine un regard de côté et lâche :

- Je n’ai pas vocation à me plier auxinterrogatoires. Maître Cabualcarépondra lui-même et choisira ainsi lesinformations qu’il souhaite divulguer ounon.

Ok, sympa.Heureusement, la voiture ne tarde pas

à se ranger au pied d’un immeuble ducentre-ville. Il est encadré par deuxmaisons de l’époque coloniale

magnifiquement préservées avec lestoits à pignons et les jolis balconscomme on en voit beaucoup dans laCandelaria, le centre historique de laville.

Jace me fait signe la suivre ets’engage au pas de course dans le halld’entrée. Qui me laisse sans voix. Alorsque la façade laissait présager d’unintérieur aux peintures écaillées et àl’ascenseur en panne, voire même unplafond en train de s’écrouler, tout est enmarbre, impeccable et les portes del’ascenseur tout à fait fonctionnel sontd’un or mat très classe.

Je siffle d’admiration et mademoiselleJones se retourne vers moi avec un air

réprobateur. Je sais bien que je ne luiplais pas. Elle, dans un tailleur grismalgré la chaleur, ne dois pas trouvertrès correct mon minishort kaki, mesbaskets et mon débardeur en coton. Tantpis pour elle : je me suis fixée une lignedirectrice il y a bien longtemps : lorsqueje suis sur le terrain, je veux être à l’aiseavant tout. Comment soutirer desinformations, faire pression surquelqu’un si on est soi-même engoncéedans tout un attirail de talons et tissusprécieux ?

J’aime les belles tenues et les talonsaiguilles, mais uniquement pendant unesoirée où ma seule activité sera dedéguster des petits fours,. Et non pas

lorsque je risque d’avoir besoin departir en courant la seconde suivante.

D’ailleurs, je me demande de plus enplus ce que je vais bien pouvoir trouverà l’étage vers lequel nous sommes entrain de monter. Au troisième, la porteest immense et je note mentalement quetoute échappée intempestive par lafenêtre me sera interdite à cettehauteur… Dommage, je préfère toujoursavoir une sortie de secours à portée demain.

Mademoiselle Jones pousse la porteet me conduit à travers une gigantesquesalle d’attente meublée en blanc etcrème : magnifique, à la fois moderne etconfortable, l’endroit assied surtout la

puissance de l’homme qui travaille ici.Je me demande de plus en plus commentun avocat qui lutte contre les cartels dupays peut s’offrir tout ça… et surtout, àquoi cela lui sert alors qu’il n’est sensérecevoir que des familles éplorées.

J’ai hâte de le rencontrer, même si jene sais très sincèrement pas quoi lui direexactement. Il sait que je suis à larecherche de mon ami, il sait qu’il avaitrefusé de me rencontrer lorsque j’aisollicité un rendez-vous et il sait que jesuis venue malgré tout.

Je fais bien ce que je veux non ?Je pensais que miss Jones

m’abandonnerait dans un des fauteuils etme ferait attendre plusieurs heures sans

un verre d’eau ou un café afin de meplacer dans une position inconfortable,mais au contraire, elle traverse la grandesalle et me conduit directement vers laporte du fond tout en bois verni sculptéavec art. Elle frappe doucement, passela tête dans l’entrebâillement et murmuresur un ton respectueux en baissant leregard :

- Emma Wilde, monsieur.J’étais attendue, vraiment attendue.

Pas un mot de lui répond mais elleentrebâille encore la porte et m’indiquequ’il me faut maintenant entrer dansl’antre du mystérieux maître Cabualca.Alors que quelques pas seulement meséparent de son bureau, je suis

impatiente de le découvrir. De nombreuxarticles, mais aucune photo de lui surinternet… Avant d’arriver ici jel’imaginais sous les traits d’un petithomme replet, la cinquantaine avecuniquement quelques cheveux sur la têtequi se battent en duel, un flot abondantde sueur ruisselant sur son front dégarni,une vieille chemise tâchée sur le dos etla cravate de travers… Au vu du cadre,j’ai en tête le même bonhomme maismon esprit a remplacé les fringuesdouteuses par un costume de luxe.

Je reste donc un instant interditelorsque j’entre dans le grand bureau làencore meublé avec soin, et découvre latrès haute silhouette d’un homme aux

cheveux d’un noir d’encre. Il est assezfin, et sa chemise d’un vert d’eaudessine ses épaules larges. Bellecarrure. Même de dos, je peux déjàaffirmer que cet homme a du charisme.

Il ne tourne pas totalement la têtelorsque je rentre, tend juste une oreillevers moi et j’aperçois un morceau d’unemâchoire volontaire à la peau mate.Comme son nom l’indique, maîtreCabualca est donc colombien. Le regardtoujours fixé à travers la fenêtre, ilrompt enfin le silence pesant :

- Vous êtes imprudente.Ok. Je ne suis pas venue pour me

faire disputer.

- C’est une marque de fabrique.Il doit rire car ses épaules tressautent

quelques secondes.- Vous cherchez votre ami.- Oui.Phrases sujet-vers-complément. Il

n’est pas très bavard et cela risqued’être un peu compliqué d’avoir unediscussion à ce rythme-là. Je décide delui forcer la main :

- Vous êtes la dernière personne àavoir été en contact avec lui. Avant queje ne débarque, je pensais comme luique vous luttiez contre les narcos-trafiquants et que vous pourriez m’aider.Mais vu les apparences, c’est tout

l’inverse, vous vous faites passer dansles journaux pour un parangon de vertu,pour le sauveur des familles en détresse,mais en réalité, vous êtes de l’autre côtéde la barrière. À présent je pense doncque c’est vous qui êtes responsable desa disparition. Vous…

- Les apparences ?Et sur ces mots, il se retourne. Je reste

les lèvres entrouvertes sur la suite de maphrase, incapable de prononcer unesyllabe supplémentaire. MaîtreCabualca est tout l’inverse de ce à quoije m’attendais : à peine trente ans, c’estun homme splendide, comme il en existepeu. Il se tient très droit, ce qui met envaleur sa carrure d’athlète. Son menton

carré est impeccablement dessiné et ilfixe sur moi d’incroyables yeux d’unvert perçant. Dans ses prunelles brillentla flamme d’une très grande intelligence.Je me secoue, car même si sa beauté m’aun instant privée de mes moyens, jedevine que, rusé, il en a joué en mefaisant face au moment opportun où sonphysique me déstabiliserait le plus.

Malin. Mais je ne suis pas une saintenitouche impressionnable.

- Où est mon ami ? grondé-je.- Je ne vous le dirai pas.- Donc, vous savez ce qui lui est

arrivé.- Evidemment. Il a été enlevé par les

narcos. Quelle surprise n’est-ce pas ?Vous le saviez également, pas besoin dejouir d’une grande capacité de déductionpour en arriver à cette conclusion etvous auriez pu vous épargner ce longtrajet jusqu’ici juste pour me l’entendredire.

Mais c’est qu’il me prend de haut !- Pourquoi a-t-il été enlevé ?Maître Cabualca me tourne à nouveau

le dos, reprend son observation attentivedes mouvements dans la rue et secontente de me lancer d’une voix graveet toujours aussi incroyablement froideet calme.

- Il a été imprudent.

Puis il se tait. Je ne sais plus quoidire, mais la colère monte et m’étouffe.Pour qui se prend-il ? La vie de Jeff esten jeu, pense-t-il sincèrement que j’aitraversé un océan pour abandonner monmeilleur ami sans batailler ?

- Vous… commencé-je à crier. Vous…vous allez répondre à mes questions. Jene suis pas de celles qui se terrent dansleur coin, pétrifiées par la terreur. Sivous pensez m’avoir impressionnéeavec vote décorum et votre attitude,vous vous fourrez le doigt dans l’œiljusqu’au coude. Je ne vous lâcherai pasjusqu’à ce que j’aie retrouvé Jeff, jevous préviens. Je peux être très collanteet excessivement agaçante quand je m’y

mets.Sa réaction à mes mots me coupe une

nouvelle fois dans mon élan et j’ouvrede grands yeux ronds lorsqu’il quitte sonposte d’observation, contourne àgrandes enjambées son bureau, se dirigevers moi et me saisit brutalement par lebras avant de plonger ses prunellesglacées au fond des miennes avecdétermination.

- Je ne doute pas une seule secondeque vous puissiez être horripilante, maisdans l’immédiat, vous allez surtout laboucler et me suivre.

Il tire violemment sur mon bras, maisje ne bouge pas, me contorsionne pourtenter de me dégager de sa prise.

- Aïe, lâchez-moi où je crie !Il ne desserre pas sa prise mais les

muscles de ses mâchoires roulentdangereusement.

Je crois que je l’ai énervé pour debon…

À ma grande surprise, il me tire ànouveau, si fort cette fois que je meretrouve collée à son torse.

- Hey ! Qu’est-ce qui vous prend !Il approche son visage si près du mien

que je peux sentir son souffle sur monvisage. Et je ne sais pas si j’ai peur ouenvie de le gifler pour l’écarter de moiet l’empêcher de me faire du mal. Maisil siffle avec dureté :

- Criez et vous êtes morte.

7. Dans la cacheLa surprise me pousse à céder et il

m’entraine de quelques pas avant que jene me ressaisisse et tente à nouveau delui résister. Cette fois, il me lâche :

- Mais ce n’est pas vrai, mais vousêtes une vraie tête de mule !

- Insulter les femmes fait partie devotre danse du paon ?

- Ma quoi ? Ma … vous ne pensezsincèrement pas que j’ai envie de fairequoi que ce soit avec vous, non ? Maisvous êtes complétement folle, ma petite !J’essaye de vous sauver la vie. Vous

débarquez comme une fleur à l’aéroportd’El Dorado après m’avoir envoyé unmail sans aucune finesse mentionnantvotre ami et vous pensez sincèrementque je suis le seul à être au courant ? Leshommes du cartel sont là, c’est la raisonpour laquelle je ne quittais pas lafenêtre. Ils vous ont attendu aussi àl’aéroport mais ils vous ont manqué.Heureusement pour vous car sinon en cemoment vous seriez déjà avec deuxballes dans la tête étalée sur un trottoir,espèce de gourde. Donc ils viennent voirchez moi si vous y êtes ou non. La seulechance que vous avez encore de resterenvie, c’est qu’ils ne savent pas à quoivous ressemblez. Alors vous me suivez

pour que je puisse vous planquer afinqu’ils ne vous trouvent pas et je vaisleur raconter que je vous ai remise dansun avion pour Paris et que vous êtes déjàdans les airs, claro ?

Je suis muette de stupeur quandj’entends la porte d’entrée de la salled’attente blanche et crème que j’aitraversée plus tôt claquer, et plusieursvoix d’hommes se mettre à crier. Moncœur accélère subitement et maîtreCabualca n’a plus besoin de me prierpour que je le suive. Il court vers le fondde son bureau, moi sur ses talons, versune grosse bibliothèque. Bandant sesmuscles, il la fait pivoter, dévoilant unecache assez spacieuse pour contenir

quatre ou cinq personnes.De l’autre côté de la porte de son

bureau, une discussion hystérique entremiss Jones et les hommes venusm’assassiner. Je me précipite dans lacachette et l’avocat m’y enfermeaussitôt. À peine a-t-il fait coulisser ànouveau la bibliothèque que j’entendsles hommes entrer et lui parler avec surun ton violent en espagnol:

- Où est-elle ?- Tu n’entres pas chez moi comme ça,

Juan. rétorque Cabualca avec un calmeolympien.

Comment a-t-il fait pour retrouver unetelle maîtrise de lui-même en si peu de

temps ? Cet homme commence àm’impressionner, je suis forcée de lereconnaître… et à m’inquiéter… Je neparviens toujours pas à savoir de quelcôté de la barrière il évolue.

- Réponds, insiste l’autre.- Elle est repartie pour Paris, j’ai fait

le travail à ta place. Tu n’as aucunefinesse Juan. L’abattre en pleine rue,c’est ça que tu avais planifié ? C’est uneoccidentale abruti. Avec la doublenationalité française et américaine.Comment penses-tu que les événementsauraient tourné pour toi ? Je lui ai ditque son ami était mort, je lui ai fait unpeu peur et elle s’est presque enfuie encourant pour prendre un billet de retour.

En revanche, si tu continues à tecomporter ainsi avec moi, qui tu sais quien sera informé et il y aura desconséquences.

Un bruit de crachat et soninterlocuteur, qui doit être le chef de labande des assassins, lui répondméprisamment :

- Moi je vois clair dans ton jeu, Jack.Si ça ne dépendait que de moi…

- Mais ça ne dépend pas de toi, Juan.Maintenant, quitte mon bureau. Commentveux-tu que je bosse si des hommesarmés se mettent à effectuer desdescentes armes à la main dans moncabinet ?

Grognements et bruits de bottes. Lesilence s’installe à nouveau et je restecloitrée encore un long moment dans macachette à ruminer.

« Qui tu sais en seras informé… »J’entends Cabualca, Jack, s’assoir,

trier quelques papiers. Bref, prendre sontemps avant de venir me libérer de cettecache où je commence à sérieusementétouffer à cause de la chaleur qui yrègne. Enfin, après un bon quart d’heure,la bibliothèque bascule à nouveau et jeplisse les paupières quand la pénombreest trouée par la lumière agressive dujour.

- Fallait pas vous presser, grogné-je

- Vous auriez préféré qu’il vous trouveassise à mon bureau avec un thé et desbiscuits s’ils avaient décidé derebrousser chemin ? raille-t-il.

Je ramasse mon sac qu’il avait lancédans la cachette avant de la refermer surmoi tout à l’heure et continue àgrommeler.

- Et vous n’avez rien trouvé de mieuxque de leur raconter que je m’étaisenfuie comme une trouillarde.

Il me regarde et sourit ironiquement.- Votre égo est malmené ? Vous

préférez passer pour une froussarde oupasser pour morte ?

Je crois que je préfère passer pour

morte, mais je choisis de garder cetteréflexion pour moi. Cabualca retourne àson bureau, classe quelques documentset décroche son téléphone :

- Jace, j’y vais. À demain.Puis il raccroche et me montre de

l’index la cache restée ouverte :- Allez-y.Je le dévisage, outrée.- Attendez, vous ne pensez pas que je

vais accepter de rester là-dedanspendant que vous rentrez chez vous toutde même !

Il me rejoint et me saisit à nouveau lebras, me poussant sans ménagement endirection de la cachette.

- Dieu que vous êtes pénible. Vous nepouvez pas juste m’obéir et bon sang,vous taire !

Alors que nous sommes à nouveau àla hauteur de la cache et que jem’apprête à résister, il passe la main surle mur intérieur et y trouve un boutonsoigneusement dissimulé, l’actionne. Unpan de mur s’escamote et découvre unescalier étroit en bois dévalant vers lebas de l’immeuble. Je le fusille duregard :

- Si vous commenciez parm’expliquer vos intentions au lieu detenter de me trainer comme un vulgairepaquet aussi…

Le sourire ironique qui se dessine à

nouveau sur son visage me met en rogne.Je préfère me cramponner à labandoulière de mon sac et lui passerdevant pour descendre dans le noir leplus complet.

Une fois en bas, il passe le bras au-dessus de moi et pousse une porte en ferdont les finitions sont bien loin de ceque l’on peut trouver dans les bureauxde l’avocat. Nous débouchons sur uneminuscule rue remplie de sacs poubelleéventrés. Je le suis jusqu’à une voiturequi se confond aisément avec le décor.

Malgré l’état du véhicule, il lecontourne pour m’ouvrir la porte. Jem’assois de mauvaise grâce. Il s’installelui au volant et claque le porte qui

grince comme si elle allait se décochersur le champ.

- Charmant, grogné-je.- Désolé de ne pas avoir fait amener

la Limo, mais je ne pensais pas recevoirune princesse, me répond-il, sarcastique.

- Ok, c’est officiel, je vous déteste.Il se contente de rire et démarre. Nous

traversons la ville vers le nord, jusqu’àce que les maisons anciennes, et parfoissur le point de s’effondrer, laissent placeà d’incroyables baraques neuves. Lequartier Zona Rosa est totalementdifférent de ce que j’ai pu voir de lacapitale colombienne jusqu’àmaintenant. Ici, il n’y a que des grands

restaurants, des boutiques de luxe, desantiquaires, des maisons familiales àdeux étages avec jardins, construites enbriques et en bois travaillé.

Cabualca fouille dans une de sespoches de costume et en sort un petitboitier. Lorsqu’il passe le doigt sur lapartie tactile, le porche du garage d’unedemeure absolument splendide se lève.Moderne, elle a pourtant le charme del’architecture classique de la capitale.

- C’est chez vous ? demandé-je,étonnée.

- Oui. Je ne vous emmène pas pourvous présenter ma mère.

- Ne soyez pas cassant.

Je laisse passer un silence.- Je ne m’attendais pas à ce que vous

me rameniez à votre domicile.- Je ne vous y « ramène » pas. Je vous

y conduis. J’aurai préféré vous larguerdans le premier hôtel miteux venu, maisvous auriez été capable de vous enenfuir pour vous jeter dans les bras descartels.

- Si je comprends bien, je suisassignée à résidence chez vous…

- … jusqu’à ce que je vous colle dansun avion pour la France, oui. Je vous aisauvé la vie une fois, ça m’a suffi.

C’est à moi de rire.- Comptez là-dessus, soufflé-je.

Il hausse les sourcils mais ne dit rienet se gare. Le garage communique avecla maison, incroyable… De largespièces fraiches aux fenêtres immensesfermées par des persiennes sculptées demotifs quechua. Je le suis en regardantpartout autour de moi, bluffée par le luxeet le charme de cet endroit. Et pourtant,ce n’est pas comme si je n’y étais pasmoi-même habituée, appartenant à larichissime famille Wilde.

Cabualca pousse devant moi la ported’une pièce et sans plus m’accorder unregard, il me lance :

- Votre chambre pour la nuit. Il y a unedouche au fond si vous souhaitez vousrafraîchir et vous changer. Nous dînons

dans une demi-heure. Et tâchez de ne pasdébarquer en tenue de combat, ajoute-t-il en désignant méprisamment mesvêtements.

Je me campe sur mes jambes et poseles poings sur mes hanches :

- Et puis-je savoir en quoi la façondont je suis vêtue est un souci ?

- Vous n’avez rien d’autre n’est-ce pas?

- Je ne suis pas venue pour faire undéfilé de mode mais pour retrouver unami, figurez-vous.

Il soupire, me fixe quelques secondesde ses yeux verts perçants et se rendprès d’un immense placard. Il en extirpe

une robe rouge qu’il jette sur le lit :- Ça devrait être à votre taille.- Un oubli d’une de vos conquêtes,

j’imagine ?Il s’approche, se poste en face de moi

et me fixant soudain de son regardglacial :

- C’est à ma sœur. Vous êtes dans lachambre de ma sœur.

Je suis un peu déstabilisée et désoléesurtout de l’avoir traité de coureur sansfaire exprès, car j’ai le sentiment quevraiment, ça l’a blessé.

- Elle ne voudra peut-être pas meprêter ses vêtements en plus de son lit,me contenté-je de répondre.

- Bien sûr que si. Elle vous offrirait latotalité de la garde-robe si elle étaitencore de ce monde.

Encore de ce monde ?La bourde, je comprends mieux l’air

blessé qu’il a pris tout à coup. Je restemuette, pose mon sac au sol. Avant dequitter la pièce, il murmure encore :

- Une femme comme vous ne devraitporter rien d’autres que de belles robes.

Je m’apprête à me retourner, surprise,mais il est déjà parti et a tiré la porte surlui.

« Une belle femme comme moi ? »Je suis flattée, même si la réplique

n’en tient pas moins du machisme

absolu…Je jette un œil à la toilette. Elle est

somptueuse. Mais passer la soirée dansla robe d’une jeune-femme trop tôtdisparue est au-dessus de mes forces. Jerange le vêtement dans l’armoire auxcôtés des autres. Jack a tout conservé.On dirait que sa sœur peut rentrer d’unjour à l’autre. Il a beau être odieux, j’aide la peine pour lui.

Je fais un tour rapide de la pièce pourconstater qu’effectivement, rien n’a dûbouger depuis son départ. Sur unecommode, je trouve ses boites de far àpaupière et son parfum, une essence derose délicate. Et sur la table de nuit, unephoto d’elle… une photo qui me sidère :

la sœur de Jack n’a rien à voir avec sonfrère. C’est une jolie blonde au teintclair et aux yeux bleus pétillants… Maisque ?

Je repose le cliché, songeant que monvoyage n’a décidément rien à voir avecce que j’imaginais en quittant Paris. Jepensais trouver un petit avocattremblant, lui soutirer des informationset partir à la recherche de Jeff. À laplace, je tombe sur Jack, je suispoursuivie par des assassins et majournée s’achève dans la chambre de lasœur de Cabualca. Cet homme est unmystère. Qui est-il bon sang ?

Je me déshabille prestement ettraverse la pièce en direction de la salle

de bain attenante. Elle a le charme desdemeures coloniales bâties par lescolons espagnols avec des persiennes enbois coloré et au sol des carreaux enterre cuite rouges et bruns.

Sous l’eau chaude, je tente de démêlerle sac de nœuds dans lequel je suisprise. Je sais que Jeff était en contactavec cet avocat afin de retrouver lesassassins de sa sœur, tuée par destrafiquants lors de son voyage enColombie. Je sais que Jack a lui aussiperdu sa sœur. Une sœur qui ne peut êtredu même sang que lui. Génétiquement,c’est improbable. A-t-elle été victimeelle aussi de la drogue, raison pourlaquelle il se bat contre eux ? Mais

pourtant, il semblait connaître les narcosqui ont débarqué à son bureau. Il semblemême être protégé. Cela ne tient pas laroute…

Pour l’instant je n’y comprends rien,mais je compte bien lever tous cesmystères. Il en va de la vie de monmeilleur ami.

8. Jack CabualcaLorsque j’entre dans la salle à

manger, deux assiettes sont déjàdressées et Cabualca est en train des’installer face à l’une d’elles. Il nes’agit pas de plats de traiteur, je nel’imagine vraiment pas en train de memitonner un dîner et il a pris une douchelui aussi. Je devine donc que nous nesommes pas seuls dans la maison etqu’au moins un ou une employé y gravitediscrètement.

Jack s’assied en soupirant, passe sesmains sur son visage, dans ses cheveuxnoirs d’une épaisseur incroyable et pose

ses prunelles vertes sur moi. Toutestraces de la peine qui les habitait tout àl’heure se sont envolées et son regardest à nouveau glacial.

- Bon appétit, me lance-t-il sur un tonironique, sachant pertinemment que ladernière chose dont je pouvais avoirenvie sur cette terre est de dîner aveclui.

Je plonge ma fourchette dans lescrevettes au lait de coco. Un régal. J’enprofite un moment, ruminant toutes lesquestions qui me trottent dans la tête. Jeferais bien comme si je ne remarquaispas qu’il a enfilé un tee-shirt gris clairmettant en valeur une musculatureathlétique, mais ce n’est pas mon genre.

- Vous faîtes du sport ?Ce sera un bon moyen pour entamer la

conversation. Il est clair que je nepourrais forcer cet homme à me révélerce qu’il sait et qu’il ne m’apprécie pas.À moi donc de parvenir à le dériderpour qu’il abandonne pendant laconversation quelques bribesd’informations sans le vouloir. Déjà, lavoix choisie semble être la bonne car,constatant que je ne le harcèle pas avecles narcos, il se détend un peu.

- Oui, j’ai été basketteur dans uneautre vie.

- Vous voulez dire, basketteurprofessionnel ?

- C’est ça. J’ai joué un peu en nationalavec l’équipe colombienne et dans unbon club aux Etats-Unis.

Je comprends mieux sa carrure et quelautre sport pouvait-il pratiquer en étantaussi grand ?

- Vous êtes immense, cela a dû vousservir.

- 1 mètre 92.- Ah oui, quand même.Incroyable cette conversation sachant

ce qu’il s’est passé plus tôt dansl’après-midi.

- Et pourquoi avoir arrêté ?- Le droit… c’est une passion bien

plus dévorante.- Tout dépend comment on s’en sert…

ne puis-je m’empêcher de grogner.Il se crispe immédiatement.- Et vous ? me demande-t-il à son

tour. Vous êtes médaille d’or dans lacatégorie des nanas désagréables, n’est-ce pas ?

Je m’étouffe avec une bouchée de rizthaï. Ok. Ce n’est pas comme ça quej’arriverais à mes fins. Je m’y prendsmal. Tentons autre chose. Je respireprofondément, porte la main à mapoitrine et lève vers lui de grands yeuxtristes, battant légèrement des cils. Jeprononce lentement d’une voix faible et

un peu enrouée :- Je… pardon… c’est vrai que je suis

atroce avec vous depuis que nous noussommes rencontrés il y a quelquesheures alors que je vous dois tant déjà.

Il me fixe de ses prunelles vertes et unsoupçon d’étonnement les traverse. Iltente de décrypter ma nouvelle attitude.Je continue à jouer la comédie. Je mesais très convaincante, pas besoin d’enfaire des caisses.

- Mais comprenez-moi. Jeff est monmeilleur ami et je suis sa seule famille,je ne peux pas l’abandonner, j’aitellement peur pour lui…

Il laisse passer un temps pendant

lequel je scrute au fond de ses prunellesles sentiments qui le traverse, espérant yobserver le basculement qui le ferapencher en faveur de la compassion.Mais après un petit rire sardonique, ilsecoue la tête, avale une gorgée de vin etlorsqu’il repose son verre, m’assène enriant :

- Désolé, votre petit numéro ne prendpas. Mais vous êtes douée ! Vraimenttrès douée. Vous avez réussi à me fairedouter un instant.

Je lâche ma fourchette et me laissetomber en arrière contre le dossier dema chaise, croise les bras sur mapoitrine et boude un moment. Contrariée,je fini par lui demander :

- Pourquoi ça n’a pas fonctionné ?- Déjà parce que vous me prenez pour

un idiot capable de tomber dans lespièges les plus grossiers et des’emmêler les pieds dans les ficelles lesplus évidentes. Ensuite parce que si nouséchangeons en français, je suis persuadéqu’une fille comme vous parleparfaitement espagnol. Vous avez doncentendu ma conversation avec les typesqui vous cherchaient dans mon bureautout à l’heure. J’y ai mentionné la mortde votre ami, mais ensuite, lorsque jevous ai libéré de votre cachette, vous nem’en avez même pas parlé. Étrange pourquelqu’un qui se ronge les sangs.

- Pourquoi serai-je là si je ne

m’inquiète pas.- Oh, je ne dis pas que vous ne vous

inquiétez pas. Mais vous n’êtes pas legenre de filles que vous m’avez mimé ily a quelques instants.

- Quel genre de filles ?- Les pleurnichardes.J’acquiesce en regardant ailleurs. Je

suis ennuyée, il a l’air d’avoirparfaitement saisi mon tempérament.

- Je ne vous ai pas demandé descomptes sur le décès de Jeff parce queje sais qu’il n’est pas mort, ajouté-je,toujours en fixant un point dans le videquelque part au sol.

- Et comment pouvez-vous en être

certaine ?- S’il n’était effectivement plus de ce

monde, au lieu de me répondre par mailde ne pas me rendre en Colombie, vousm’auriez fait livrer à Paris quelquesmorceaux de lui. Ç’aurait été bien plusefficace.

Cabualca rit franchement avant degrincer :

- Ça peut toujours s’arranger.Je soutiens son regard dur et grogne à

mon tour :- Essayez toujours…- Mm… et qu’est-ce que je risquerai ?

Que vous me bottiez les fesses ? J’entremble.

Nous nous jaugeons un long moment,yeux dans les yeux, penchés en avant.Puis, soudain, se dessine sur son visagecet horripilant petit sourire sardonique.Il quitte la table, prend son assiette, sedirige vers moi avant de m’enlever monplat, puis disparait dans une pièceattenante que je devine être la cuisine.

Pendant son absence je rumine. Maisil est rapidement de retour avec deuxcafés. Il pose les tasses, tire une chaise àcôté de la mienne et me considère dehaut en bas.

- Pourquoi n’avoir pas mis la robe ?- Ça me gênait.Ses yeux se posent sur mes cuisses

laissées nues et je tire sur mon shortmachinalement. Ma réaction le fait rire :

- Mal à l’aise ?Je le fusille du regard et bois une

gorgée de café en redressant la tête.- Vous êtes un drôle de personnage

Emma Wilde, lâche-t-il, le nez dans satasse.

- Et vous n’avez pas encore vu ce dontje suis capable, lancé-je en le fixant toutau fond des yeux avec assurance.

Une idée vient de germer dans monesprit. S’il se laisse prendre cette fois, ilse pourrait que je parvienne à prendre ledessus. C’est un peu bas, mais tant pis.À la guerre comme à la guerre. Il me

regarde par en-dessous, voilant ses yeuxverts de ses cils couleur d’encre.

- Et que dois-je faire pour ledécouvrir ?

Je souris en le regardantméprisamment et désigne le verre de vinvide devant moi :

- Arrêter de me servir des boissonspour fillettes.

Son sourire à lui s’agrandit et sans unmot il se lève. Quelques pas et il tired’un meuble bas une bouteille d’alcool :

- Vodka ?- Tout ce qui fait plus de 40°, ça me

va.

- On va vérifier ça tout de suite.D’une main, il tient la bouteille, passe

ses deux doigts dans deux petits verreset les dispose devant nous avant deverser le liquide transparent. Sans lequitter des yeux, j’avale cul sec,renversant la tête en arrière. La vodkacoule dans ma gorge et la chaleurs’empare de ma poitrine.

Il ne se doute pas que je suisimbattable : je n’ai jamais rencontréquelqu’un qui tenait mieux l’alcool quemoi. Cela a toujours fait enrager moncousin Noah lorsque nous entamions desjeux à boire en soirée. Je parie que Jackqui fait pour l’instant le malin, seracomplètement pompette dans trois

verres. Alors, je pourrai le cuisinertranquillement. Ensuite, je ramasse monsac, et je me tire d’ici.

Cabualca avale d’un trait son verre etnous resserre. Nous avalons encore deuxverres chacun.

- Ça va ? me demande-t-il alors dansun grand sourire frais et blanc.

Je l’observe, suspicieuse.- Pas trop de vertiges ? m’enquière-je.Pour toute réponse, il nous sert notre

quatrième tournée. Il n’a pas l’air atteintdu tout. Le quatrième verre est avalé,puis le cinquième et lui comme moi nemontrons aucun signe d’alcoolisation.Ma tête commence à tourner

sérieusement pourtant. Si je continue, jene serai plus claire.

Que se passe-t-il ? Pourquoi n’est-ilpas déjà en train de s’effondrer sur latable ? Il pose son coude et se penchevers moi avant de souffler :

- Ça non plus, ça ne prend pas.Un frisson me traverse. J’ai très

chaud, mon plan a lamentablementéchoué. Je tire sur mon débardeur quicolle à nouveau à ma peau. La nuit n’estpas moins humide que le jour. Jesurprends les yeux verts glaçants de Jackdans mon décolleté. Je lui envoie unetape… un peu maladroite. Il saisit monpoignet, lui aussi semble commencer àêtre pris par l’alcool. Peut-être qu’au

verre suivant, il cèdera, mais je ne seraipas en état de lui poser la moindrequestion. Je dois reconnaître que j’aiperdu.

Je tente de dégager mon bras qu’ilserre toujours, mais il anticipe monmouvement et je n’y parviens pas. Alors,sans un mot et sans que moi, je n’ai vuvenir quoi que ce soit, il plaque sabouche sur la mienne.

Ses lèvres sont délicieusementbonnes. Le sucre de l’alcool les tapisseet je ne peux me retenir d’y passer lalangue. Il grogne sourdement.

- Jamais croisé une fille comme toi dema vie.

- Et je te jure de te le faire regretteramèrement, réponds-je sur le même ton.

Je l’embrasse à mon tour. Nous lèvresse mêlent et nos dents se cognent avecrage. Je n’avais pas noté, tout à monénervement et tendue par l’objectif fixé,que j’avais autant envie de lui. Pasétonnant pourtant, il est incroyablementbeau. Qui lui résisterait ? S’il meplaisait réellement, je l’enverrai baladerrien que pour lui casser les pieds.

Mais dans l’immédiat, mon corps asimplement et mortellement envie dusien. Mes doigts s’accrochent à son tee-shirt et tirent sur l’encolure. Un parfumd’homme, puissant, me monte auxnarines. J’ai envie de ce torse sans rien

dessus. Je tire sur le bas du vêtement et,comprenant l’intention, il lève les braspour que je puisse le lui enlever.

Dès que je m’en suis débarrassée, jeconstate en me mordant la lèvre et en ledévorant des yeux qu’il est aussi sexyque je l’avais imaginé. Sa peau cuivréetrahit ses origines colombiennes et il esteffectivement musclé comme un athlètede haut niveau.

Je relève les yeux pour rencontrer sesprunelles vertes enflammées. C’estincroyable d’avoir des yeux aussi clairpour un latino. Il a d’autres origines,c’est incontestable. Je passe mes griffesdans son dos et appuie pour le fairegémir, labourant sa peau de haut en bas.

Puis mon indexe vient jouer à la lisièrede son jean.

Déjà en-dessous, une bosse mepromet un excellent moment.

Jack se lève et défait à hauteur de mesyeux sa ceinture. Son pantalon tombe ausol et il s’en débarrasse. Le boxer qu’ilporte le contient avec peine.

J’adore constater l’effet que jeproduis sur lui.

Puis il se penche, passe ses deuxmains sous mes fesses et me soulève enun mouvement de rein pour me déposersur la table. Il s’installe entre mesjambes et m’embrasse à nouveau àpleine bouche. Nos langues se mêlent.

C’est délicieux. Je tire sur mondébardeur et à peine l’ai-je envoyévalser au loin que je sens les doigts deJack s’attaquer à mon soutien-gorge.

En un tour de main, je n’ai plus rien etl’air moite sur mes seins est une caresseexcitante. Jack saisi mes poignets etcolle mes mains contre la table, mepoussant à pencher le buste en arrière.

- Laisse-moi te regarder.Je le laisse faire, la tête sur le côté.

Ses yeux sont brûlants de désir et jesonge que lui et moi sommes décidémenttrès semblables : cassants, froids, maisaussi explosifs.

Une fois son observation achevée, ses

lèvres se jettent sur ma poitrine et salange, titillant mes aréoles m’arrachentfrissons et soupirs. Son visage quittepourtant mes seins et sa bouche descendle long de mes côtes, puis suit le dessinde mes hanches. Lorsqu’il arrive à monshort, il le défait fébrilement et tiredessus.

Je me retrouve comme lui, vêtue demon simple slip. Je quitte la table, merelève et me colle à lui pour sentir soncorps chaud. Ses mains me pressentcontre lui et s’accroche à mon sous-vêtement qu’il tire sans s’en apercevoir.

J’adore ses lèvres. J’adore sesbaisers et j’en veux encore. Je profite desa bouche jusqu’à ce qu’il se penche, me

soulève dans ses bras et me portejusqu’à sa chambre. Il pousse la porte ducoude toujours sans me lâcher, meslèvres scotchées aux siennes.

Hors de question que je lesabandonne, je les aime trop.

J’aperçois brièvement une piècepropre mais presque totalement vide.Quelques pas et nous sommes au pied dulit. Il me jette littéralement dessus.

- Hey ! Ne te gêne pas ! protesté-je.- Chut, répond-il en s’installant au-

dessus de moi. Pour une fois tais-toi.Pour toute réponse, je mords les

doigts qu’il avait posés sur mes lèvres.Il rit et la peau de son bras est parcourue

par un frisson.- Je savais que ça mordait comme

animal, ça.Je lui tire la langue.- Oh oui, laisse la sortie, je sais quoi

en faire.Et se redressant, il tire sur son boxer.

Son pénis dressé me fait très envie.Mais il aurait l’impression que je luicède un peu trop facilement. Je le veux àma merci. Me relevant sur un coude, luidebout devant moi, je passe doucementle bout d’un ongle le long de la hampe. Ilrenverse sa tête en arrière et lâche ungémissement.

Je le prends un peu plus fermement

dans ma main et ses abdos se crispent.Quelques mouvements et il grogne deplaisir.

Je fais mine d’approcher mes lèvres.Il baisse ses yeux verts électriques versmoi et je lui souris avec cruauté, ouvrela bouche, mais au dernier moment, jerecule, l’attrape pas le hanches et tire enavant de toutes mes forces. Surpris, iltombe sur moi. Le poids de son corpsnous fait rebondir sur le matelas. D’uncoup de rein, je le fais basculer sur ledos et m’installe sur lui à califourchon.Puis je le regarde bien en face et agiteun indexe négatif.

- Pas si facile avec moi.Il se redresse un peu, me considère

puis se laisse tomber en arrièrelourdement, se cachant le visage entreles mains. Il cri de frustration.

- Tu es impossible Emma Wilde.Il tente de reprendre le dessus, mais je

le bloque. Je suis assise trop haut sur seshanches pour qu’il puisse avoir un élansuffisant pour me renverser.

Je ris de ses tentatives manquéesavant d’empoigner sa main et de laconduire entre mes cuisses écartées. Jeglisse ses doigts sous le tissu de monsous-vêtement et les pose juste au bonendroit, là où c’est si bon.

- Toi d’abord, lui soufflé-je au visage.Il sourit ironiquement et ne se fait pas

prier. Je comprends rapidementpourquoi : il est doué. À peine s’active-t-il que les sensations intenses déferlent.Je me dresse sur lui pour laisse lechamp libre à sa main. Il me poussepresque jusqu’à l’orgasme en quelquesinstants, puis alors que je suis sur lepoint d’exploser, il introduit un doigt enmoi.

Comme je suis moins concentrée surle fait de le bloquer sur le lit, il enprofite et s’assied, portant son torse àma hauteur. De sa main libre, il saisit manuque en la glissant sous l’épaisseur demes cheveux et m’embrasse à nouveau.Plus bas, son doigt bouge en moi.

Je n’ai plus assez d’air. Je me dégage

de ses lèvres et il fond sur mon cou, lemordillant, le léchant, le caressant deses lèvres.

Si je m’écoutais, je le forcerai à meprendre tout de suite. Mais je commenceà comprendre son fonctionnement sisimilaire au mien : si je tente quoi quece soit, il refusera de s’y plier jusqu’àce que je le supplie. Pas envie de luifaire ce plaisir.

Alors je le repousse du plat de lamain pour l’allonger à nouveau et medégage de son doigt. Je me relève, leconsidère allongé devant moi avec saqueue dressée, si dure déjà. Sans lequitter du regard, les lèvresentrouvertes, je fais glisser jusqu’au sol

mon slip. Un large sourire se dessine surses lèvres.

Je vais le pousser à craquer. Jem’installe à nouveau juste au-dessus delui et vient frotter mon intimité sur lebout de son gland. Son sourire s’élargiet il saisit mes hanches à pleines mainspèse dessus pour tenter de m’enfoncersur lui. Je résiste et murmure, vilaine :

- Déjà ? Je t’imaginais plus résistant.Il grogne mais me lâche. Alors je

poursuis ma torture en me frottant à lui àla limite de la pénétration. J’ai envie detirer le meilleur de lui. Je suis certainequ’il peut être un amant exceptionnel,hors de question de lui céder facilement.Je veux qu’il soit à bout, qu’il ne tienne

plus.J’éloigne mon bassin et cette fois, je

le prends dans ma bouche en une seulefois, le caressant de ma langue tout enaspirant. Son corps est agité d’unsoubresaut.

- Emma, c’est intenable ce que tu mefais.

Je continue pourtant jusqu’à ce qu’ilplonge ses doigts dans mes boucles ettire dessus, le corps tendu comme unarc. Je pose mes mains sur son bas-ventre pour profiter des muscles qui yroulent.

Je n’accepte de le lâcher que lorsqu’ilse met à gonfler sur ma langue.

À peine ai-je lâché son sexe que, seredressant, il m’attrape par la taille etme projette sur le lit à ses côtés, seprécipite pour s’allonger sur moi. Ilécarte mes cuisses d’une main exigeanteet plante ses yeux au plus profond desmiens. Ses paumes se posent de chaquecôté de mon front et il est soudaintellement calme que j’ouvre des yeuxétonnés.

Est-ce que c’est… de la tendresseque je lis dans son regard ?

J’espère bien que non !Mais il poursuit ses caresses douces

sur mon visage :- Tu vas bien, lui demandé-je,

désarçonnée par son attitude.- J’ai dit chut, souffle-t-il avant de

m’embrasser pour me faireeffectivement taire.

Alors que je suis encore interdite, jesens son pénis heurter ma fente et ils’introduit lentement en moi. Mes yeuxse ferment. Il est tellement dur et brûlantque mon ventre se tord instantanément.

Cessant de m’embrasser, vérifiantqu’il a réussi à me couper la respirationtant il est bon de le sentir en moi, illâche tout et me prend comme un fou,gémissant dans mon oreille, aspirant surmes lèvres mes soupirs.

Mes mains s’emparent de ses fesses

rondes pour l’encourager à aller plusvite encore. Son bas-ventre frottantcontre mon clitoris me fait rapidementgrimper au ciel. Un plaisir aigu meparcourt les jambes et le ventre, gagnetout mon corps qui se cabre entre sesbras. Il laisse mon orgasme me parcourirtout entière avant de jouir à son tour.

***Jack est allongé sur le dos, son grand

torse se soulève lentement au rythme desa respiration. Ses bras sont enroulésautour de moi. Faire l’amour avec luiétait vraiment… torride. J’ai adoré.Mais ensuite, je me suis bien gardée desombrer dans un sommeil qui me faitpourtant défaut.

Les hommes…Celui-là, aussi beau soit-il, s’est

endormi profondément. Je me dégage englissant entre ses bras puis en quittantles draps subrepticement. Je traverse lapièce baignée, à travers les persiennes,par l’éclairage jaune de la rue. Jerécupère mes vêtements, me rhabilleprestement et fourre mes affaires dansmon sac en silence.

Puis, l’accrochant à mon épaule, jequitte la chambre. Dans le salon, je memets à la recherche du jean qu’avaitenfilé Cabualca pour le dîner. Il gît àcôté de la table. Je le saisi et trouveimmédiatement son portable dans lapoche arrière. Je me retiens de ne pas

sauter de joie pour ne pas risquer de leréveiller. Je fouille dans les messages.

Je ne sais pas trop ce que je cherche.Un indice, un mot que lui aurait envoyéJeff, même si j’ai peu d’espoir : il estbien trop malin pour ne pas l’avoireffacé aussitôt lu… Mais je souris dansle noir quand je tombe sur un SMSenvoyé par un certain Juan.

Juan, c’est un prénom des pluscourants, mais avec un peu de chance, ils’agit de celui qui a déboulé dans sonbureau tout à l’heure. J’ouvre. Et étouffeun cri.

Je savais que Cabualca était du côtédes narcos :

[Livraison, 16 juin à 18h, àAguabonita ]

Je ne sais pas ce qui sera livré là-basdans deux jours, mais moi, je m’ytrouverai. Il ne me reste plus qu’àimaginer par quel moyen de m’y rendre.

J’abandonne le portable sur la table,cherche un bout de papier et un crayonau fond de mon sac et griffonnerapidement un message à l’attention deJack :

« C’était sympa. Surtout le dîner. »Ça lui fera les pieds que je ne me

pâme pas devant lui à son réveil.J’ai couché avec un avocat qui trempe

dans le milieu de la drogue. Ça avait

beau être génial, je ne suis pas fière demoi. Enfin, jamais de regrets, c’est madevise. Avec « allez au-devant desennuis sans se poser de questions » et «mieux vaut être ficelée au fond d’uncachot que sur son canapé à s’ennuyer ».

Je traverse la maison à pas de loup,m’autorise un détour par la cuisine où jepique quelques bananes pour mon petitdéjeuner et quitte les lieux en courant.

9. AdamLe jour est levé lorsque j’arrive au

centre-ville. J’ai marché longtemps carle quartier huppé de la capitale est assezéloigné du reste de la ville. Labandoulière de mon sac commence à mescier l’épaule. J’ai besoin de me poser,d’une bonne douche car la température adéjà sacrément grimpé. Et surtout, jeserai capable de tuer quelqu’un pour uncafé.

Malgré ma résistance à l’alcool, hierJack ne m’a pas laissé le distancer etj’ai un léger mal de crâne assezdésagréable. Il me faudrait de l’eau

également car je suis pour le moinsdéshydratée. Ainsi qu’une connexioninternet afin de décider quelle sera laprochaine étape de mon périple.

Pas loin d’une des très nombreuseséglises du quartier historique, j’aviseenfin un petit cyber-café assez propre,jouxté par un hôtel bon marché mais dontla façade promet des chambres propres.

J’entre déjà pour naviguer sur internetet demande une connexion au gérant. Jem’installe devant un ordinateur horsd’âge et patiente le temps que Google selance. Je résiste à la tentation deconsulter mes mails : Jack est peut-êtreparvenu à convaincre les narcos passéshier à son cabinet que je m’étais envolée

pour Paris, inutile de laisser des tracesinformatiques de ma présence dans lacapitale. Si je retiens bien uneinformation capitale des événements dela veille, c’est que je dois me montrerbeaucoup plus méfiante que ce à quoi jem’attendais.

Enfin, je tape rapidement le nom de laville ou aura lieu la livraison de je nesais trop quoi.

Aguabonita.Je m’aperçois qu’il s’agit non d’une

ville comme je le pensais, mais d’uncampement humanitaire au sud deBogota accueillant des populationsindiennes d’Amazonie en danger etplacé sous la protection du Haut-

Commissariat aux réfugiés de l’ONU.Etrange comme lieu de livraison pourles cartels, mais après tout, je ne suispas au fait des problématiques locales.Mon cousin Noah me sermonnerait enm’accusant de m’être une nouvelle foislancée tête baissée sans me renseigner nipréparer quoi que ce soit. Il n’aurait pastort, mais on ne change pas les méthodesqui gagnent…

Ou du moins les méthodes qui nem’ont pas conduite au drame…

Bon, pour une fois, je vais écouter lavoix de la sagesse, pour autant que l’onpuisse faire semblant de croire queNoah est quelqu’un de sage… Je ne vaisdonc pas y aller seule. Il me faut un

guide. Je fouille et finis par tomber surle numéro d’une petite associationenvoyant là-bas des médecins s’assurerdu suivi médical des indiens Nukak. Jedécroche mon téléphone.

- Allô ? me répond une voix de femmefatiguée.

- Bonjour, poursuis-je en espagnol. Jem’appelle… Nina. (Bon…C’est un peuniais comme prénom, mais c’est lepremier qui me vient.) Je suis journalistepour un quotidien français. Je me trouveactuellement à Bogota et j’aurai souhaitéréaliser un reportage écrit sur lesindiens Nukak du campementd’Aguabonita.

- Sérieusement ? me répond mon

interlocutrice qui semble s’êtresoudainement illuminée à l’autre bout dufil.

- Eh bien… euh… oui, sérieusement.C’est un problème pour vous ?

- Vous plaisantez ! Personne nes’intéresse jamais à ce que nous faisons!

Je n’ose pas lui avouer qu’en réalité,son association me sert de prétexte…Mais tant pis, je n’ai pas trop le choix,c’est la meilleure solution que j’aitrouvée.

- Alors comment nous organisons-nous ?

- Nous avons un médecin là-bas.

Adam. Il est un peu…- Un peu ?- Bourru, dirons-nous. Ne vous

formalisez pas. C’est le meilleur quenous ayons. Il est Français tout commevous, cela facilitera les échanges. Et ilconnait parfaitement le terrain. Cela faitdeux ans qu’il vit là-bas. Je le préviensde votre arrivée.

- Merci, c’est adorable de votre part.Après avoir raccroché, je quitte la

borne internet et me rend dans le petithôtel où je réserve une chambre.Première étape accomplie, passons à ladouche. L’eau froide est un délice parune chaleur aussi intense. J’y passe un

long moment puis m’enveloppe dans unelongue serviette éponge, fouille dansmon sac pour y trouver mon portable quej’allume brièvement, uniquement poursurveiller qu’aucun SMS urgent ne m’aété envoyé.

À peine l’ai-je allumé qu’une dizainede messages le font vibrer dans tous lessens. J’ouvre le premier pour constaterqu’ils viennent tous du même numéro :celui de Cabualca.

[Emma, ne sois pas idiote, tu vas tefaire tuer.]

[On ne se balade pas seule enColombie, à quoi penses-tu !]

[Tu es tarée. Tu sais que tu es tarée ?]

[Emma, ça suffit maintenant. Reviensimmédiatement. Ce n’est pas un jeu.]

[J’espère pour toi que tu es dansl’avion.]

Tous sont sur le même mode. Jerepense au regard tendre que j’ai cruvoir faire chavirer ses prunelles cettenuit. Mais je préfère hausser les épaules.J’éteins à nouveau mon téléphone et lejette dans mon sac. Au moins,maintenant, j’ai son numéro au cas où.

Je me rhabille, décidant d’adopterdéfinitivement pour le reste du voyagel’uniforme mini short débardeur. Il faitvraiment trop chaud. En réalité, jeréalise qu’il ne fait pas si chaud que ça.Trente ou trente-deux degrés. C’est pas

mal, mais pas plus que les températuresqu’on peut trouver à Paris l’été. C’estsurtout cette touffeur, cette humiditéambiante qui rend les températuresdifficilement supportables.

Normalement, à cette saison, il pleutbeaucoup, mais là, pas un nuage àl’horizon et la condensation stationnedans l’air.

Je quitte la chambre et file dans la rueà la recherche d’un loueur de voiture. Jeme fais indiquer l’adresse que j’aigriffonnée sur un morceau de papier,achète un café dans la rue et m’endélecte tout en marchant.

L’enseigne Avis me fait sourire. Ah lamondialisation ! Je me dirige vers

l’accueil où un homme m’adresse unsourire affable.

- Vous désirez ?- Une voiture solide… Un 4x4 ?- Bien sûr, pour vous rendre où ?- À Aguabonita ?L’homme perd instantanément son

sourire et pâlit malgré sa peau cuivrée.- Hors de question de vous confier un

de nos véhicules.- Alors je vais chez un concurrent.- Très bien, s’ils sont assez fous pour

risquer de vous louer quoi que ce soit,c’est leur problème.

- Je vous l’achète.

- Non plus. Le bus, c’est par là…Et il me désigne une station à

l’extérieur.J’abandonne, sors et me résigne.

L’échange n’a pas été des plus agréableset je ne suis pas ravie d’envisager unvoyage dans un de ces vieux bus en taulependant des heures par une telletempérature, mais il semble que je n’aipas le choix.

- Jeff, quand je te retrouverai, tu me lepayeras, grommelé-je.

Mon cœur se serre. Quand jeretrouverai Jeff, je le serrerai de toutesmes forces dans mes bras, je n’aurai trèscertainement pas envie de lui faire payer

quoi que ce soit. J’achète mon billet ensoupirant et monte dans une vieillemachine bondée peinte en blanc. Il n’y aplus de places assises, je m’écrouledirectement sur le sol et étend mesjambes en priant pour que le trajet nesoit pas trop long…

***Le trajet a été long. Trop long.

Tellement trop long qu’un bon millier defois j’ai songé à sauter hors du bus souspeine de décéder instantanément.Lorsque nous atteignons enfin lecampement, je suis moulue, j’ai lesfesses en compote, mes cheveux sontemmêlés et ressemblent plus à unecrinière sauvage qu’à la tignasse d’une

femme appartenant à une civilisation…quelle qu’elle soit.

Je jette mon sac dans la poussière dela route alors que le car s’éloigne. Lesoleil se couche et il doit être tard. Jesuis morte de faim et je constate queprendre une douche devient uneobsession depuis que je suis arrivée enColombie.

Je ne sais pas où trouver mon contact,le fameux Adam, mais je suppose qu’iln’y a pas cent vingt médecins dans lecoin. Je m’approche de la premièrepetite baraque construire en bordure deroute. Une femme est installée sur le pasde la porte. Petite, son visage est peintde traits rouges et elle porte les cheveux

ras. Elle lave une grosse bassine enmétal, rejetant l’eau sur le sol et tâchantson tee-shirt jaune.

- Bonsoir, excusez-moi de vousdéranger. Je cherche Adam. Je croisqu’il s’agit du médecin du camp.

Elle me regarde, me sourit et medésigne plusieurs tentes et baraques enbois groupées sur le bord du RioGuaviare. Je la remercie et m’éloigne. Ilne me faut pas longtemps pour trouver lefameux médecin. Une des baraques enbois porte peint sur sa façade une grossecroix rouge sur fond blanc.

Je pousse la porte et trouve un hommeau dos massif penché sur une mèreaccompagnée de son enfant. Il ausculte

la petite fille en jouant.- Regard mon stéthoscope, lui

explique-t-il en lui montrant l’objet.C’est mon oreille. Elle est drôle monoreille, n’est-ce pas ? Regarde, elle estfroide ?

Il pose l’appareil sur la poitrine de lagamine qui acquiesce en riant. L’hommeque je vois toujours de dos prend unegrosse voix comique.

- Et avec ma grande oreille, j’écouteton cœur maintenant. Est-ce que je vaisentendre une montre à la place ? Est-ceque tu as avalé une montre récemment ?Ou un chat ? Ou un oiseau ?

La petite fille rit en secouant la tête

négativement. Il se concentre sur sonexamen avant de ranger son stéthoscopeet de s’adresser à la mère.

- Elle n’a rien. Tout va bien ; vouspouvez vous rassurer. L’épidémie degrippe semble être finie pour cetteannée.

La jeune mère se lève, le remercie etquitte l’infirmerie, la gamine sur sestalons. Lorsque je relève les yeux sur lemédecin, il s’est retourné, achève de selaver les mains et se dirige vers sonbureau.

Je le découvre alors. Et pour lapremière fois de ma vie, je jure que jen’ai encore jamais connu un telsentiment, mon cœur se décroche de ma

poitrine.Adam est…Le médecin est grand, les cheveux

châtains soyeux et alors qu’il nem’accorde qu’un très bref regard agacé,je suis scotchée par l’éclat de deuxprunelles gris clair. Je n’ai jamais vudes yeux pareils. Très large d’épaules, ilsemble particulièrement musclé. Un peude sueur fait luire la peau de son cou oùsaillent les muscles. Il se dégage de sapersonne une sorte de force tranquille.J’ai le sentiment que cet homme est entoute circonstance d’un calmeimperturbable et d’une solidité à touteépreuve. Ridiculement, alors que je nesais rien de lui, j’ai envie de me

précipiter dans ses bras et de m’yblottir, puis de relever la tête pour poserma bouche sur ces lèvres roses etmoelleuses, perdues dans une barbe detrois jours qui donne un côté très doux àson visage pourtant carré.

La réalité, je le crois, est que j’entombe instantanément amoureuse. Cesentiment m’est presque douloureux, ilest en tout cas violent, d’autant plus queje ne m’y attendais pas et ne l’avais pasprévu au programme de l’aventure.

- Alors, c’est vous la journaliste ?Je hoche la tête alors tandis que ses

yeux me balayent à nouveau. Sur un tonextrêmement désagréable, il ajoute :

- Je vous préviens, je n’avais pasenvie que vous veniez. Tâchez juste dene pas trop trainer dans mes pates. Vousme suivez, vous ne posez aucunequestion, je ne veux pas vous entendre.Et quand vous avez ce qu’il vous faut,vous rentrez chez vous.

- Comment aurai-je ce qu’il me faut sije n’ai pas l’autorisation d’interrogerqui que ce soit ?

- Je m’en fiche, débrouillez-vous.C’est dangereux ici. Vous gardez en vieest mon unique objectif, j’aimerai quecette tâche profondément ennuyeuse neperturbe pas trop mon quotidien.

Il range son bureau et traverse lapièce, passant à côté de moi sans me

jeter le moindre regard.- Bonne nuit. On se retrouve demain

ici à l’aube.Et sur ces mots, il sort de la pièce. Il

faut vraiment que cet homme m’aitdésarçonnée pour que je lui laisse meparler ainsi sans protester, ce n’est pasdans mes habitudes. Autant me ressaisirimmédiatement et retrouver madétermination habituelle. Je le suis encourant :

- Attendez !Il ne se retourne pas, fait semblant de

ne pas m’avoir entendue.- Et où est-ce que je dors moi cette

nuit ? insisté-je.

Ces mots le stoppent dans sa marche.Il se retourne et rebrousse chemin versl’infirmerie, toujours en silence,toujours sans me regarder, toujours sansun mot. J’entends simplement un longsoupire énervé lorsqu’il passe à côté demoi. Je le suis en forçant le pas. Àl’intérieur, il tire de derrière le placardoù il range les médicaments et qui estsoigneusement verrouillé, un vieuxmatelas tout tâché et le jette à même lesol au milieu de la pièce.

- Voilà, maugréé-t-il simplement enme désignant la paillasse.

- Voilà ? soufflé-je, ne sachantdéfinitivement plus quoi dire.

Et il se dirige à nouveau vers

l’extérieur. C’est à moi de soupirer. Nonpas d’agacement, mais de désespoir. Etc’est bien à cause de ce nouveausentiment inconnu qui m’a étreint que jene me mets pas à crier au scandale, queje ne l’insulte pas en lui disantfranchement que je serai quand mêmeétonnée qu’il ne puisse pas un peu mieuxm’accueillir.

Je me résigne, abandonne mon sacdans un coin, vais au lavabo et me lavebrièvement. Écrasant quelquesmoustiques qui tentaient de m’attaquersournoisement, je m’écroule sur lematelas miteux et troué par endroit àl’odeur plus que douteuse. Je songe à cecoup de foudre qui me tombe dessus à un

moment fort inapproprié. Comment celase fait-il que… et pourquoi cet homme-ci ? Je me suis toujours appliquée àrester célibataire, à ne rien ressentird’autre que du désir ou de l’amitié pourles hommes avec qui j’avais une liaison.Mon boulot avant tout. Enfin, je ne suispas là pour chercher l’amour ! Je suis làpour retrouver Jeff !

Je suis sur la piste des cartels de ladrogue, pas sur la piste de mon cœurbattant à tout rompre lorsque je pense àAdam.

Adam…Et lui ne voit en moi qu’une

emmerdeuse venue le perturber dans sontravail.

10. La doucheJe me tourne et me retourne sur le

vilain matelas. Mais impossible dedormir. Aux alentours d’une heure dumatin, je finis par me relever, allume lalampe tempête, seul éclairage de lapièce et l’installe à mes côtés alors queje m’assieds sur les marches. La têtereposant sur mes genoux repliés,j’observe les berges du Rio Guaviareéclairées par une belle lune pleine.

Ici on n’est pas au cœur del’Amazonie, mais les arbres moutonnentet l’eau calme du grand bras large seride légèrement sous un vent chaud qui

refuse de rafraîchir. La nuit, on oublie lacouleur boueuse café-au-lait du fleuve.La sérénité règne. La journée, j’aiconstaté avec surprise que la routepassant près du camp est assezfréquentée.

Les cacaotiers balancent leurs longuesfeuilles ovales, les poissons grouillantle long de berges laissent des ronds dansl’eau lorsqu’ils affleurent à la surfacepour gober une mouche ou un moustiqueet au loin, sur ce fleuve si large, lesembarcations continuent de filer versl’Orénoque, un des plus longs fleuves dumonde traversant la Colombie.

Là-haut, les étoiles brillent. Je lève lenez et me perd dans leur contemplation,

cherchant quelques constellations etdésespérant comme à chaque fois de nepas mieux m’y connaître. Le ciel esttellement clair et tellement exempt delumières artificielles qu’on voitnettement la trainée pâle de la voielactée. C’est tout simplementmagnifique.

- C’est bon, venez.La voix grave d’Adam perce le

silence. Je baisse des yeux interloqués etle trouve planté quelques pas devantmoi. Il me regarde avec toujours autantd’agacement au fond des yeux. Dansl’obscurité, sa silhouette parait encoreplus massive. Je suis blessée par le tonqu’il a employé et ses prunelles sans

aménité.- Vous avez pitié finalement ?- N’en rajoutez pas et suivez-moi, me

répond-il.Mais si les mots ne sont toujours pas

des plus tendres, l’intonation s’est faiteplus douce. Et c’est ce qui me pousse àme lever plutôt qu’à lui envoyer uneremarque bien sentie dont je suisspécialiste.

Il me précède à travers les tentesjusqu’à une case tout en bois sombreconstruire un peu à l’écart. Elle sembleplus spacieuse que les autres et unepetite terrasse sur pilotis la prolonge.

- C’est chez vous ? l’interrogé-je

doucement.- Oui.Oui point. Je n’ai pas de plus amples

explications. Sympa.Nous montons les quelques marches et

traversons la terrasse avant de pénétrerdans la petite maison. À l’intérieur, unelampe tempête est allumée et posée surune table rustique encadrée par deuxchaises tarabiscotées.

- Il y a un lit d’appoint contre le mur,vous serez mieux. Un verre d’eau ? mepropose-t-il.

Mince, il se soucie que je ne décèdepas sous l’effet de la déshydratation ?Incroyable !

- Je veux bien, je vous remercie.Je m’assois, il remplit deux verres et

les pose devant nous avant de s’installerà son tour. Il fait passer le récipientd’une de ses paumes à l’autre et je nepeux m’empêcher de fantasmer sur sesmains larges.

- Alors, vous êtes journaliste ?Je le regarde, surpris. Je m’attendais

plus à ce qu’il me plante au milieu de cequi semble être son salon sans rienajouter, pas à ce qu’il tente d’engagerune discussion.

- Certes. réponds-je, ne sachant tropquoi dire de plus.

Il acquiesce et un ange passe.

- Vous ne dîtes rien ? insiste-t-il aubout d’un long moment.

- C’est-à-dire que comme vousm’avez interdit de poser la moindrequestion, cela rend toute discussion unpeu ardue… réponds-je avec une trèslégère touche d’ironie.

Mais cela suffit visiblement à lepiquer au vif et il avale d’un trait sonverre, le repose bruyamment sur la table,lâche, désagréable à nouveau :

- Laissez tomber. D’autant plus que jen’en ai rien à faire.

Et sur ses mots, alors qu’il ne m’atoujours pas adressé le moindre regard,il… me plante dans son salon et

disparait dans la pièce d’à côté…Rustre. Lunatique. Homme des

cavernes.Je comprends pourquoi il est venu

s’exiler ici depuis deux ans. Ce type esttotalement asocial !

***Le petit jour me cueille en plein rêve.

Un rêve pour le moins étrange :Cabualca me poursuivait, nu, ce qui étaitplutôt agréable à observer, et pour luiéchapper, je grimpais dans d’immensescacaotiers. Je montais toujours plus haut,toujours plus haut, sans jamais voir lescimes, jusqu’à ce que sur une branche, jetrouve Adam perché. Je lui tendais le

bras pour qu’il m’aide, mais il regardaitobstinément ailleurs, me laissant medépêtrer toute seule avec un Jack agacéme tirant par les pieds pour me forcer àretourner à Paris.

N’importe quoi, songé-je ne medressant sur le lit. La maison du médecinest vide. Sur la table, un café. Je saisi latimbale un peu rouillée. Il est froid.Pouah. Il a dû me le servir il y a unmoment déjà. Je jette un œil à mamontre. Il n’est pas tard pourtant, sixheures trente, mais ce type est du genre àse lever à cinq heures afin de s’assurerd’être désagréable avec le plus demonde possible avant le timing normaldu petit déjeuner.

Non, je suis de mauvaise foi. Il a ététout à fait correct avec la jeune mamanhier et drôle et adorable avec la petitefille. Il réserve sa mauvaise humeur àses compatriotes en goguette.

Je fais le tour de la maison afin detrouver… une douche. La visite de lachambre d’Adam m’émeut, surtout lesdraps laissés en désordre. Non, ne pasimaginer le grand corps au repos à cetendroit… Si l’imaginer, rêver un peu,puis s’enfuir en imaginant ensuite sonhumeur s’il revient dans le coin et metrouve en train de fantasmer devant sonlit.

Pas de douches dans la maison. SoitAdam ne tient pas que son caractère de

l’homme de Cro-Magnon, soit il y a unpoint d’eau à l’extérieur.

Je contourne la maison, ma serviette àla main. Un bruit d’eau attire monattention. Quelques pas encore et jetrouve effectivement la cabine… ainsiqu’Adam, totalement nu, me tournant ledos pour être face à la pomme de doucheet l’eau ruisselant sur son dos.

Un dos effectivement très musclécomme je l’avais deviné malgré son tee-shirt. Rien voir avec la musculatureallongée de Jack. Alors qu’il passe sesmains dans ses cheveux trempés pour leslaver, ses biceps gonflent de manièreimpressionnante et je rougis sans raison.Enfin, sans raison…

Il fait encore plus chaud ce matin oubien cela vient-t-il de moi ?

Mes yeux descendent le long de lacolonne vertébrale pour tomber sur sesfesses et mon cerveau disjonctentcomplètement. Je reste plantée là, labouche totalement desséchée, la matièregrise rendue inerte. Si bien que je suistoujours en train de reluquer sonderrière quand il coupe l’eau et seretourne.

Du coup je vois… car il s’estretourné… et donc mes yeux forcémenttombent sur… Ils s’écarquillent et unpetit sourire béta se dessine sur monvisage.

- Je ne vous dérange pas trop ?

gronde-t-il.Je sursaute, devient écarlate et me

retourne en me cachant les yeux.- C’est un peu tard pour vous

préoccuper de mon intimité, non ?M****- Je suis… je suis vraiment désolée,

bafouillé-je.- Vous pouvez. Je vous laisse la

douche.Il n’a pas l’air du tout mal à l’aise. À

sa place, j’aurai hurlé, crisé, traité letype de tous les noms avant de lui grifferles yeux pour être bien certaine qu’il nerecommence pas de sitôt. Alors que jeme recroqueville sur moi-même, Adam

me dépasse avec une serviette enrouléeautour de sa taille juste sous sesabdominaux impressionnants.

Je fais un effort colossal pour ne pasmater à nouveau. Ce qui seraitterriblement gonflé au vue descirconstances…

Non ?- Je vous laisse la douche. Et sur ces

mots, il disparait.Tétanisée par ce qui vient de se

passer, je me déshabille en jetant un œilpour m’assure qu’il n’y a personne,pends mes vêtements et ma serviette aucrochet à l’extérieur de la doucheouverte.

Cabualca serait probablement restécrânement planté en me lançant un «puisque tu en as profité, à mon tourmaintenant » et cela me rendrait dingue.Mais Adam n’est pas ainsi. Parce que jene l’intéresse pas. Absolument pas. Etque quelles que soient les circonstances,il reste distant et froid.

Je règle la douche sur glacial, commel’attitude d’Adam envers moi afin de meremettre les idées en place. L’eaum’arrache un petit cri. Je ressors de làrevigorée.

Mais une fois rhabillée, je réalisequ’il va me falloir maintenant rejoindrele médecin dans son antre, àl’infirmerie. Jamais je n’oserais le

regarder à nouveau en face après qu’ilm’ait surprise en train de le reluquerainsi.

Enfin, je n’ai pas le choix. Je monteles marches sur la pointe des pieds.Adam est déjà en plein travail. Lorsquej’entre, il me cloue sur place d’un seulregard. Ses yeux gris se sont fait acier.Du menton, il me désigne un siège dansun coin. Je ne tente ni protestation, nisourire et obéis sagement, espérant mefaire oublier et peut-être un peupardonner au bout du compte.

La matinée s’achève bientôt. Il nem’adresse pas une seule fois la parole.À l’heure du déjeuner, j’ouvre la bouchepour dire… je ne sais trop quoi…

quelque chose de sympa, le premier trucqui me viendrait et permettrait dedétendre un peu l’atmosphère. Mais ilme coupe l’herbe sous le pied enm’assassinant d’une seule et uniquephrase.

- J’ai fait des sandwichs pour ce midipendant que vous dormiez. Je vais leschercher. Vous déjeunez et ensuite vousvous en allez. Vous rentrez à Bogota.

Je mets un moment avant de retrouverassez d’air pour protester :

- Mais comment ? Mais non, je viensà peine d’arriver ! Ecoutez, je suisprofondément navrée pour ce matin, jesuis désolée, je ne sais pas ce qui m’apris…

- Cela n’a rien à voir avec votrecomportement déplacé, me coupe-t-ilavec froideur.

Et pourtant, il rougit légèrement. Trèslégèrement. Je plisse les yeux pourtenter de décrypter l’émotion qui letraverse, mais il se détourne.

- Je dois me rendre à Pitalito. Et il esttotalement exclu que vousm’accompagniez là-bas.

Ce qui tombe bien, le rendez-vousfixé à Cabualca par Juan pour la «livraison » est demain. Je n’aiabsolument pas envie de reprendre laroute et de le manquer.

- Très bien. Alors je vous attends ici.

- C’est hors de question, dit-il enhaussant le ton, ce qui me surprend et mefait frémir.

Il ne doit pas être bon mettre cethomme réellement en colère…

- Et pourquoi ? Je fais bien ce que j’aienvie, non ?

- Pas ici.- Et pourquoi donc ?Et pour la première fois, je le vois,

justement comme je le redoutais,réellement énervé. En deux pas il est surmoi et souffle à quelques centimètres demon visage sur un ton caverneux :

- Mais à la fin, savez-vous où vousvous trouvez ?

- Au campement d’Aguabonita.- Et ?- Et je viens… réaliser un reportage

sur les Indiens…- Non. Vous ne venez pas réaliser un

reportage sur les Indiens…- Je vous demande pardon, réponds-je

en tentant de m’offusquer.Il se recule et me regarde de haut en

bas.- Qui êtes-vous ?- Nina…- Non, en vrai. Vous ne vous êtes

absolument pas intéressée aux Nukakdepuis que vous avez fichu les pieds ici

alors qu’il y en a partout autour de nous.Vous n’avez fait que me tourner autour.Qui vous envoie ? Dîtes le ou bien…

Qui m’envoie ? Je ne comprends plusrien… Mes yeux cherchentdésespérément une échappatoire, uneréponse, mais comme j’ignoretotalement de quoi il parle… Adam s’enaperçoit et se reprend.

- Pourquoi êtes-vous là ? insiste-t-ilmais sur un ton plus calme.

- Je ne suis pas venue pour vous entout cas, vous me prenez pour unegroupie ou quoi ? J’ai bien d’autressoucis que votre petite personne en cemoment, vous saurez, hurlé-je.

J’ai explosé. Il m’a poussé à bout.Cette attitude glaciale, presqueméchante… Je n’en peux plus. J’ai maldormi, je suis épuisée et lorsqu’il mecrie dessus ainsi, mon cœur devientsoudain lourd, une faiblesse que je neme pardonne pas.

- Des ennuis ? me questionne-t-il, unpeu moins rudement.

Mes yeux me piquent. Mais je nepleurerai pas devant lui.

- Ça ne vous regarde pas.- Ok.Il souffle. Je sens qu’il n’est plus en

colère.- J’en suis navré pour vous, mais vous

partez quand même.Je lève les yeux au ciel.- Je ne peux pas, j’ai un reportage à

faire. Et si vous cessiez de vouscomporter aussi rudement avec moi, jeserai peut-être moins terrorisée à l’idéed’effectivement approcher un de vospatients chéris. Vous les protégez commes’ils étaient en porcelaine !

Vas-y, trouves-toi des excuses pour nepas avoir encore entamé un reportagebidon.

- Mais c’est parce qu’ils SONT enporcelaine, recommence-t-il à s’agacer.

Ses sourcils se sont noués et unevague de tristesse a rendu douces ses

prunelles grises.- Les indiens Nukak sont sur le point

de disparaître, poursuit-il. Les vingt-deux familles qui ont fui leur villagenatal en pleine Amazonie il y a près dedix ans maintenant sont peut-être lesdernières représentantes de leur ethnie.Il n’en reste que quelques groupesdisséminés dans la vallée de l’Orénoqueet c’est tout ! Ils sont décimés par la plusinoffensive maladie occidentale. Unegrippe et nous perdons vingt pour centde la population ! Quant aux autres, ilssont traités comme de vrais esclavesdans les plantations de coca par lescartels. Il est inenvisageable de laissermourir ce peuple. Il faut sauver ces gens.

Ils sont la mémoire de la richesseamazonienne. Ils sont… Tls sontsimplement des êtres humains.

Je suis touchée en plein cœur. Jecomprends pourquoi il s’est engagé dansun tel sacerdoce. Et cet engagement estmagnifique à mes yeux.

- Pardonnez-moi, murmuré-je, sincère.Ecoutez, laissez-moi les découvrir pourque je puisse les aimer autant que vous.D’accord ?

Il passe une main dans ses épaischeveux soyeux et j’ai soudain envie d’yplonger moi aussi les doigts. Ils doiventêtre si doux…

- Bon. Restez avec moi alors. On part

dans une heure pour Pitalito.- Non ! Non !- Comment ça non ? me demande-t-il,

le peu de douceur que j’étais parvenu àprovoquer en lui sur le point des’envoler à nouveau.

- Je veux dire. Il faut que je vousattende ici, je…

Je ne peux pas manquer mon rendez-vous avec les narcos ! Je comprendsd’ailleurs mieux pourquoi il a été fixéici : il y a bien une route de la droguedans le coin puisque les Indiens larécolte.

Loin de mes préoccupations, Adamraille :

- Pourquoi ne pas m’accompagner ?Vous avez une réunion importante peut-être ? Une conf-call avec vos bureauxparisiens bien confortables.

Je suis piquée au vif. S’il y a bienquelque chose que je ne supporte pas,c’est qu’on me traite de chochotte.

- Non, ce n’est pas la question…- Alors aucune objection ne tiendra.

J’ai promis au siège de l’association devous rendre en vie à l’issue de votereportage, vous ne me quittez pas d’unesemelle. C’est encore le meilleur moyende m’assurer de vote survie. Inutile deprendre vos affaires, nous serons deretour dans la nuit.

Dans la nuit… ouf… je ne manqueraipas la « livraison » de demain.

11. Forêtamazonienne

Une heure plus tard, j’ai englouti lesandwich préparé par Adam et je suis àses côtés dans le 4x4 décapoté qui fileencore plus au sud de la Colombie, versles montagnes que nous apercevons auloin.

Stupidement, je suis émue qu’il aitpréparé mon déjeuner. C’est totalementridicule. Il ne l’a fait que par politesseet ces deux tranches de pain tartinées derillettes de thon n’avaient vraiment rien

de gastronomique, et j’en suis plustouchée que par toutes les invitationsdans des restaurants étoilés que j’ai purecevoir. Et pourtant, ce n’est pas fautede ne pas avoir croisé depuis monadolescence un tas de jeunes hommesissus des familles les plus aisées et lesplus influentes de la planète ayantessayés de séduire l’héritière que jesuis.

Car oui, c’est ce que je suis, ladescendante d’une famille de richesentrepreneurs. Mon père, le frère dufondateur de la Wilde Corporation, estassocié aux affaires du groupe depuis sanaissance et nous en avons tousbénéficié lorsque nous étions enfants,

mes cousins et moi.Pourtant, je me suis toujours sentie

différente. Je ne supportais pas de restersage comme une image lors desréceptions avec ma jolie robe plissée.Ma mère finissait toujours par venir mechercher par l’oreille alors que jem’étais perchée dans un arbre, pour meramener de force jouer mon rôle depetite fille modèle.

Aussi, à ma majorité, suis-je partie àtravers le monde, finissant par me faireune place discrète dans le milieujournalistique à force de revenir desquatre coins de la planète avec desreportages risqués à publier. Mesparents m’en ont voulu. Pas trop mon

père, mais surtout ma mère qui rêvait deme voir épouser tôt un bon parti, faireune tripotée de petits Wilde et « tenirsalon » pour la bonne société parisienneou new yorkaise selon la nationalité del’élu de mon cœur. Je ne leur en veuxpas. Nous nous chamaillons lorsquenous nous voyons, mais je les aime tousles deux. Nous sommes simplementdifférents. Il n’y a que de Noah dont jeme sente proche. À cause de ce côtésombre que nous partageons.Simplement, je le sais taiseux là où jeme montre incapable de retenir mesexplosions ; lui est indulgent avec lepetit volcan constamment en éruptionque je suis. Il s’inquiète pour moi, mais

il me laisse vivre ma vie tranquillement.C’est vrai, quand j’y songe, qu’il y a

un monde entre la jeune fille auxcheveux bien lissés, aux robes de grandscouturiers que je suis à New York ou àParis, et la reporter casse-cou quej’incarne le reste du temps.

Mon travail est comme une bulled’oxygène pour moi. Je peux y être moi-même. Évoluer comme bon me semblesans me soucier du qu’en dira-t-on.

Et Adam ignore totalement qui je suis.Il n’a pas un seul instant mentionné mafamille, les moyens dont je dispose…C’est tellement reposant…

Quel dommage qu’il soit aussi

antipathique !Je jette un œil vers lui discrètement. Il

est tellement beau avec son nez droit, samâchoire carrée et sa carrure massive.J’adore. Je suis plutôt grande, j’aipourtant l’impression de pouvoir meblottir contre lui et m’y sentir fragile,moi qui joue les fières à bras comme unmec à la moindre occasion.

La voiture nous bringuebale à traversdes paysages époustouflants, et enfin,nous atteignons des chemins plusescarpés grimpant dans la montagne ets’enfonçant au milieu de la végétationincroyablement luxuriante.

- C’est splendide, murmuré-je pourmoi-même.

Adam m’entend et il acquiesce :- Oh oui. Je ne me lasserai jamais de

cette nature époustouflante.Je me tourne vers lui et sourit. Mais

nous n’en sommes visiblement pasencore à ce stade car il ne me rend pasmon sourire. Je me renfrogne sur monsiège. Je boude et nous roulons deuxbonnes heures supplémentaires quandsoudain, la voiture fait une embardéealors que le bruit d’une explosionretenti.

Adam s’accroche au volant, le tourneviolemment à droite, puis à gauche afinde reprendre le contrôle du véhicule.Heureusement, nous ne quittons pas lapiste, évitons les arbres et la voiture

s’arrête en cahotant au pied d’unimmense noyer du Brésil.

Inquiet, Adam saute hors du véhiculeet se précipite vers l’arrière de lavoiture. Je l’entends jurer entre ses dentsalors que je descends à mon tour.Lorsque je le rejoins, il s’est laisséglisser au sol et a renversé sa tête contrela tôle.

- C’est grave ? Qu’est-ce qui s’estpassé ?

- On a crevé.- Mais on a une roue de rechange non

?- Bien évidemment. C’est juste que je

suis épuisé. J’ai mal dormi, j’avais

envie de tout sauf de ça.Je fais quelques pas vers le bord de la

route.- C’est la première fois que j’ai un

accident dans un aussi bel endroit…- Ça… 40 000 espèces de plantes, 2

200 de poissons, 1294 espècesd’oiseaux recensées, 427 demammifères, 428 d’amphibiens, 378 dereptiles et plus de deux millions et demid’espèces d’insectes. Un véritabletrésor.

- Merci monsieur le professeur, tenté-je de plaisanter.

Mais il soupire.- Laissez tomber, vous ne pouvez pas

comprendre.- Et pourquoi ? demandé-je piquée au

vif et blessée de l’avoir une nouvellefois déçue sans le vouloir.

- Parce qu’il faut aimer ce pays pourpouvoir appréhender ce que celasignifie.

- Je pourrai l’aimer, soufflé-je sur unton presque timide que je ne me connaispas.

- Et comment le pourriez-vous ? Vousvenez à peine d’arriver.

- Peut-être, mais j’aime déjà la façondont vous en parlez, murmuré-je en leregardant en biais.

Il se fige un instant, me considère. Je

m’attends à ce que mon demi-aveu ledéride, mais au contraire, il se renfrogneplus encore, se lève et ouvre le coffre.

- On va dormir ici.- Quoi ? m’exclamé-je.- Je suis trop fatiguée et ce n’est pas

avec vos petits bras que vous vous ensortiriez seule. J’ai besoin de dormir.On va camper à côté de la voiture,demain matin à la première heure, jechange la roue, et on poursuit notreroute.

Je n’ai pas le choix. J’espèresimplement ne pas manquer la livraisonau camp d’Aguabonita. Je me dirige versAdam pour l’aider. Il extirpe deux gros

sacs du véhicule et m’en tend un.Lorsque nous les déballons, jem’aperçois qu’il y a à l’intérieur de quoisurvivre à un véritable siège. Pas detente, nous dormirons à la belle étoile.

Adam installe un foyer et allume unfeu alors que la nuit effectivementcommence à tomber. Il attrape une poêleet tire de sous le siège avant une boîted’œufs frais qu’il a emporté ducampement.

Quelques minutes plus tard, alors quej’ai rêvassé en le regardant s’activerpour nous préparer un dîner, il me tenddans une gamelle en fer une brouilladede jaunes épicés. Et sans surprise, jetrouve que c’est le meilleur met que j’ai

jamais dégusté.Après que nous nous soyons restaurés,

Adam fait réchauffer deux tasses decafé. Puis il s’installe confortablementauprès du feu, à quelques mètres de moi.De mon côté, je tire un peigne de monbagage que j’ai tout de même emporté aucas où, et je m’en félicite maintenant. Jelui montre l’ustensile.

- Ça vous dérange si je démêle le sacde nœuds qui me sert de chevelure ?C’est juste que ça tient horriblementchaud et mes cheveux n’en font qu’à leurtête.

- Bien sûr allez-y. C’est le moment deparler coiffure justement, grogne-t-il.

Je hausse les épaules. Je n’enattendais pas moins de sa part. Mais ilse reprend.

- Je… vous avez de très beauxcheveux.

Surprise, je réponds en riant :- J’en ai trop surtout.- Non, me coupe-t-il sur un ton sans

appel. Ils sont très beaux, vous n’en avezpas trop.

Était-ce un compliment ou bien mesuis-je encore fait disputer ?

Adam se détend et fixe le feu. Ilsemble souffler enfin et se laisser un peualler.

- C’est vrai que je suis fou de ce pays.Encouragée par son ton tranquille et

l’absence de crispation sur son visage,je tente :

- Ça se sent. Qu’est-ce qui vous y aattiré ?

- Le fait qu’habituellement, on mefiche la paix, répond-il, à nouveauagressif.

- Ok. conclue-je.Il secoue la tête, soupire et ajoute :- Désolé. C’est juste que je déteste

parler de moi. Vous savez quoi, parlonsplutôt de vous.

Le ton presqu’enjoué qu’il a utilisé

me met du baume au cœur.Voilà, je me suis définitivement

transformée en midinette.Je me mords les lèvres :- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?- La signification du tatouage sur votre

nuque.- Oh, vous l’avez vu.- Je… Oui…Machinalement, je passe mes doigts

en haut de mon dos sur les reliefs de lacroix ailée.

- C’est… pour me souvenir detoujours garder espoir et surtout resterlibre.

Adam ne répond rien. Si bien que laconversation s’éteint ainsi. J’aimerai luiposer à mon tour des questions, mais j’aitellement peur de me faire rembarrer queje reste muette.

Je finis par m’allonger sur le côté etcontinue à regarder les flammes danserjusqu’à m’endormir.

***Je me réveille en sursaut. L’obscurité

règne sous les arbres qui forment unecathédrale au-dessus de nos têtes. Maisla nuit bruit des cris des animaux et descraquements des végétaux. Ce n’est pasrassurant lorsqu’on n’est pas habitué.

Le feu s’est éteint et à côté de moi,

j’entends la respiration régulièred’Adam. Penser qu’il s’est endormi pasloin de moi accélère les battements demon cœur.

Je reste un moment dans la positiondans laquelle je me suis réveillée, maiselle n’est pas des plus confortables. J’aibesoin de marcher un peu. Sansm’éloigner du campement. Un rayon delune filtre à travers les branchages toutlà-haut et vient se perdre au pied d’untronc noueux. Je vais me dégourdir lesjambes dans cette clairière lunaire, çame fera du bien.

Je me lève et me poste dans cettelumière argentée. Je suis épuisée. Jereste ainsi debout à me masser les

membres un moment avant de fermer lesyeux et de respirer profondément toutesles effluves émanant des plantesalentours.

C’est au moment où je suisprobablement la plus détendue qu’unsifflement strident vrille mes tympans etque j’entends Adam hurler :

- Nina, couchez-vous !

12. La cascadeJe suis trop fatiguée pour réagir, me

rappeler que Nina est le nom que j’aidonné à l’association d’Adam. Je suis enplein milieu de la forêt amazonienne, ilest beaucoup trop tard ou beaucoup troptôt. Mes capacités de réaction sont plusque diminuées.

Le sifflement s’intensifie rapidementalors que deux bras me saisissent et metirent violemment sur le côté.

Je trébuche sur une pierre, mais Adamme tient fermement et je parviens àreprendre mon équilibre en… posantmes paumes sur son torse nu.

Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur,en revanche, je prends celui de regarder,un peu étonnée, mes deux mains posées àplat sur les muscles gonflés.

- Oh, murmuré-je.Adam, entendant ma réaction me lâche

aussitôt.- Je savais que je n’aurais pas dû

vous emmener. Qu’est-ce que vous necomprenez pas quand je vous dis derester près de moi.

- Mais je ne me suis éloignée qued’une dizaine de mètres !

- C’est déjà trop.Je souris bêtement. Etre plus près de

lui ne me dérange pas du tout. Il avise

mon sourire, se rembrunit plus encore etme lance :

- Ne souriez pas comme ça.Mon sourire s’évanouit. Il faudra que

je me contrôle mieux à l’avenir. Cethomme n’ignore absolument rien del’effet qu’il a sur moi. Soit je décided’en jouer à fond, soit c’est un peugênant. Je change de sujet :

- Mais au fait, ce sifflement ?- Un serpent.- Un serpent ?Il soupire et secoue la tête comme si

j’étais la pire imbécile de la planète. Jeretourne là où je me trouvai quelquessecondes plus tôt alors qu’Adam se

dirige lui vers notre campement defortune et ranime le feu. Au pied del’arbre un long corps brun reptiliens’enroule sui lui-même doucement. À mavue, il redresse la tête et ondule.

Je pousse un petit cri et retourneprestement vers le feu. Je m’assoisprécautionneusement, comme si uneéventuelle brusquerie pouvait attirer labête par ici.

- Vous ne risquez plus rien, marmonneAdam. Il n’est pas agressif. Il est justetombé de son arbre et vous étiez sur sonchemin.

- Tombé de son arbre ?- Oui c’est un fer de lance. Un serpent

arboricole. Il se déplace en sepropulsant de branches en branches.Parfois, il manque son atterrissage. Il aeu de la chance de ne pas se tuer entombant.

- De la chance ? m’étranglé-je. C’estmoi qui ai eu de la chance de ne pas êtremordue !

Adam hausse les épaules.- Nous ne sommes que des invités ici,

Nina. La forêt leur appartient.Mystique.Je me recroqueville. Le jour se lève

doucement. Je pensais avoir dormimoins longtemps. Observant le soleilcaresser à nouveau les plantes et me

rendre un peu de visibilité, je souffle :- Heureusement que vous ne dormiez

pas.- Je dormais, mais vous m’avez

réveillé lorsque vous vous êtes levéepour aller stupidement marcher dans lesbois.

- Je ne suis pas… peu importe. Je suisnavrée de vous avoir réveillé.

- Ne le soyez pas. J’ai le sommeilléger.

Effectivement. Je n’ai pas le souvenird’avoir provoqué le moindrebruissement.

Adam met à réchauffer du café. Maisj’ai un peu la nausée ce matin. Je bâille.

- Je voudrais me laver.- On ira ensuite. Il y a une rivière en

contre-bas. D’abord je bois mon café etje change la roue.

Puis il redevient mutique, fixe lesflammes et ne m’accorde plus lamoindre attention. Je ne peux que leregarder, avec sa légère barbe claire quia encore poussée, ses lèvres pleines quej’aimerais tellement embrasser, son frontlarge sur le relief duquel j’aimeraispasser mes doigts.

Je me suis sentie si… minuscule,presque fragile contre lui tout à l’heure.Je sens encore sa chaleur sous la pulpede mes doigts. J’aurais voulu que cetinstant ne cesse jamais. Mon cœur se

serre à nouveau et une petite larmemonte au coin de mon œil droit,m’échappe et roule sur ma joue.

Pourquoi a-t-il fallu que je tombeamoureuse de cet homme au premierregard ?

C’est idiot, il n’y a rien de rationnellà-dedans. Ça me dépasse. J’écrase lalarme sur ma joue. Mais trop tard, il l’avue.

- Vous ne vous sentez pas bien ?Je respire à fond pour me calmer.- Si, si. Ça va, ça va.J’aimerais autant qu’il n’insiste pas.- Ok.

Il se lève et se dirige vers la voiture,commence à changer la roue.

J’aurais aimé qu’il insiste.Son indifférence m’arrache deux

nouvelles larmes et je me mords leslèvres assez fort pour éviter que cesdeux perles salées ne se transforment enun flot continu. Accroupi à côté de laroue, cette fois il n’a rien remarqué. Jesuis à deux doigts de lui foncer dessus etde lui expliquer que c’est à cause de luique je pleure. Si j’étais dans mon étatnormal, c’est ce que je ferais. Jeprovoquerais une dispute, je memontrerais cassante et au final, j’auraisle dessus, je le ferais plier.

C’est toujours comme ça que cela fini.

Car je sais l’effet que je peux avoir surun homme. Mais étrangement, il auraitfallu que je craque pour celui qui n’en arien à fiche de moi.

Je me lève et le rejoins près de laroue. L’essieu est déjà nu et il roule lepneu de rechange pour l’y fixer.

- Je peux vous aider ?Il s’arrête ; relève la tête, le corps

penché sur le caoutchouc noir.- Ça va mieux ?Un minuscule espoir renait en moi. Il

ne s’en fichait pas. Il a simplementpensé que je préférais rester tranquille.

- Oui, merci.

- Passez-moi le tournevis dans laboîte à outil. Le plus petit. Je n’ai sortique le gros pour démonter la roue.

Et il poursuit sa manœuvre. Je fouilleet trouve tout de suite l’outil. Adam estquelqu’un de très organisé. Chaquechose à sa place pour ne pas perdre detemps et ne jamais se retrouver pris decourt. C’est ce qui nous a permis de nepas nous retrouver sans rien et affaméshier et ce qui nous permet ce matin dereprendre notre route tranquillement.

Je m’accroupis à ses côtés et lui tendle tournevis. Alors qu’il le saisit, unaveu s’échappe de mes lèvres :

- C’est vous qui me faites pleurer, luidis-je doucement.

Il s’assied subitement, le tournevis àla main, s’essuie le front du dos de samain poissée par le cambouis et meregarde sans comprendre. Pour lapremière fois depuis ce matin, sesprunelles grises perdent leur éclatmétallique. Il me considère, désarçonné.

- J’en suis désolé. Ce n’est pasvolontaire. Quand vous ai-je blessée ?

Puisqu’il m’écoute… Je me cale surmes talons en face de lui, le maudit unmoment de ne pas avoir remis son tee-shirt car je dois faire un effortsupplémentaire pour ne pas regarder sesmuscles tendus, couverts de sueur. Destraces grises laissées par le travail qu’ilest en train d’effectuer zèbrent ses

épaules. Comment lui résister ? Ettoujours cette tranquillité, cette soliditédont il ne se départit jamais.

- En fait, réponds-je en riantamèrement, vous ne faites que meblesser depuis que je vous ai rencontré.

Il laisse tomber sur le sol le tourneviset plante ses dents blanches dans la mainqui le tenait. Ça aussi, c’est trop sexypour être tolérable.

Il regarde un instant ailleurs, semblantsonger en observant le vide. Il medemande encore :

- Pourquoi vous ai-je blessée ?- Vous vous montrez si méchant avec

moi.

On dirait la plainte d’une petite fille.Je me déteste de ne pas être comme àmon habitude, plus rentre-dedans.

- Ce n’est pas contre vous. C’est justeque vous tombiez mal. Je n’avais pasbesoin en ce moment d’avoir dans lespattes une petite parisienne précieuse,incapable de comprendre ce qui se joueici.

- Aïe, me contenté-je de souffler.Il me regarde et ses yeux ne sont pas

durs comme à l’accoutumée. Mais je n’ytrouve pas non plus la moindre trace degentillesse.

- Vous ne savez rien de moi, Adam.Vous m’avez jugée à la seconde ou vous

m’avez vue. Mais si vous m’aviezlaissée une chance au lieu de me collerdans un coin comme une potiche avecordre de ne pas ouvrir la bouche, vousauriez peut-être appris à me connaître etsu que je suis très loin d’être unechochotte. Vous pensez que c’est lapremière fois que je vadrouille ? Quec’est mon premier voyage ? Que je n’aijamais risqué ma peau pour obtenir uneinformation, écrire un bon papier ? Mesuis-je plainte une seule fois depuis queje suis arrivée ?

Je lui ai débité ma tirade sansm’énerver, mais sur un ton sans appel. Ilme fixe maintenant avec attention :

- Où avez-vous été ?

Je respire. Enfin il s’intéresse un peuà moi…

- Burundi, Inde, Egypte, Liban,Sibérie, Chine, Kazakhstan.

Il me fixe encore. C’est étrange cemoment où pour une fois je suis calme etpendant lequel je sens bien qu’il mejauge.

- Ok, répond-il avant de se retournervers sa roue.

Hein ? Ok ?- C’est tout ? m’exclamé-je.- Que voulez-vous ? me demande-t-il

tout en encastrant le pneu dans sonlogement. Que nous entamions une dansede la pluie ?

Je me lève d’un bond.- Mais ce n’est pas vrai ! En fait, vous

êtes juste complètement autiste etincapable de vous intéresser aux genss’ils ne sont pas Nukak. Le reste dumonde continue à tourner sans vous,vous savez ?

Et sur ces mots, je le plante là, medirige vers mon sac et en sors maserviette et un savon.

- Où allez-vous ? m’interroge-t-ilrageusement.

- Me laver. Je ne suis pas uneprincesse comme vous le croyez, maisj’essaye quand même de conserver unminimum d’hygiène. Contrairement au

gorille suant que vous êtes !- Mais je me lave ! C’est juste que je

préfère suer sur cette roue pour que lecarrosse de madame puisse repartiravant de passer sous l’eau, c’est logique! Restez ici !

- Non !Il se lève et vient droit sur moi.- Si vous vous éloignez du

campement… menace-t-il.- Vous ferez quoi ? grogné-je en le

fixant droit dans les yeux.Il ouvre la bouche mais rien ne sort.

Je lui tourne le dos et m’éloigne enajoutant :

- Et n’appelez pas votre tas de bois uncampement. J’ai dormi dans bien desbivouacs et avec quelques feuilles et desbâtons, j’ai construit bien mieux qu’unvulgaire emplacement où accueillir unfeu.

Je commence à m’enfoncer dans lavégétation en regardant bien où je posemes pieds pour éviter toute rencontremalvenue. Dans un premier temps, Adamne me suit pas.

- Revenez ici immédiatement. Nina !se contente-t-il de me balancer d’abord.

Mais comme je ne l’écoute pas etpoursuis mon chemin dans la pentedescendant jusqu’au lit de la rivière (jesuppose), il me court après. En quelques

enjambées, il m’a rattrapée.- Vous ne pouvez pas attendre cinq

minutes que je finisse ?- Non, vous êtes un mufle.- Et vous une emm****Je stoppe ma marche et me retourne,

poings sur les hanches :- Oh oui, s’il vous plait, continuez à

m’insulter, j’aime tellement ça.En réalité, je suis presque soulagée de

le voir, si ce n’est sortir de ses gonds,car il est toujours très calme, au moinsréagir un minimum. L’ayant scotché, jedévale à nouveau la pente. Le bruit del’eau que je perçois à présent me guide.Et bientôt, Adam toujours sur les talons,

je débouche dans un lieu proprementparadisiaque.

La végétation cède ici à l’eau et untrou de verdure baigné de soleil encadreune cascade grondante se précipitantdans un petit lac.

- Oh !Mon exclamation retentit contre les

rochers et les murs de troncs, faisants’envoler un couple de perroquetsmulticolores.

- Nina, tente encore Adam sur un tonagacé.

- Chut, lui intimé-je. C’est trop beau,ne gâchez pas cet instant.

Il se tait une demi-seconde avant de

reprendre :- Accompagnez moi au moins au

camp… à la voiture que je récupère mesaffaires.

Sans le regarder, profitant duspectacle qui s’offre à moi je lui souffle:

- Vous pouvez y aller seul, vous êtesun grand garçon, vous n’avez pas besoinde moi.

- Je vous l’ai déjà dit, je veux quevous restiez près de moi pour que jem’assure de votre sécurité.

Pour toute réponse, je saisis le bas demon tee-shirt et tire dessus pour lepasser au-dessus de ma tête. Adam se

détourne rapidement, les yeuxécarquillés de surprise.

- Vous n’êtes pas très pudique.J’ai mal au cœur, je me sens sale. J’en

ai juste assez.- Je vous donne simplement

l’occasion de vous venger.Ma référence à hier matin lorsque je

l’ai vu nu sous la douche fait battre moncœur. Je réitèrerais avec grand plaisir.Je me débarrasse du reste de mesvêtements et plonge dans l’eau. Lorsqueje ressors la tête à l’air libre, je pousseun petit cri :

- Ouh ! Elle est froide.Adam est resté planté et figé, me

tournant le dos obstinément.- Vous devriez venir.Je barbote, les yeux au ras de la

surface. Le fluide court le long de moncorps et me ragaillardit. Je me rappellesoudain que je peux compter sur lui et lecharme de ses courbes. Quelque chosebascule dans mon cerveau. Je n’ai plusenvie d’avoir mal lorsqu’il me repousse.Je veux jouer. Jouer à le faire craquer.J’insiste :

- Allez, ne soyez pas rabat-joie pourune fois.

- Et vous cessez d’être ridicule.- Je ne suis pas ridicule. Mais vous

vouliez que je reste près de vous. Là

dans l’eau, si je m’éloigne, vous nepouvez rien faire à moins de vousmouiller aussi.

Il hausse les épaules et je faisplusieurs brasses en arrière.

- Je m’en vais ! plaisanté-je.Il se retourne, constate

qu’effectivement, je suis au milieu dulac.

- Nina…- Nina quoi…Je fais encore quelques brasses. Il a

un geste d’impuissance et de frustration.Puis finit par céder et laisser tomber ausol son short. Je me mords les lèvres enle regardant en boxer. Il s’apprête à

plonger à son tour mais je le stoppe :- Ah non vous trichez. Moi je suis

toute nue.Il s’arrête, rougit.Ah ! Je l’ai fait rougir, et pour de bon

cette fois.- Je ne vais certainement pas me

mettre tout nu.- Vous devriez. Déjà parce que je sais

déjà à quoi vous ressemblez. Ensuiteparce que sinon votre sous-vêtementsera trempé et qu’avec l’humidité del’air cela mettra des heures à sécher.

Il hésite puis finalement :- Retournez-vous.

Je pouffe mais obéis. Au bout dequelques secondes, je l’entends plonger.Lorsque je me retourne, il se dirige versmoi, propulsé par ses bras puissants.Ses cheveux sont trempés et quelquesgouttelettes d’eau s’accrochent dans sabarbe légère. Je crois qu’il est encoreplus beau ainsi. Et le savoir nu si prèsde moi… nue… Je joue avec le feu, là.

Il s’arrête à deux mètres de moi, justeun peu trop loin pour que je puisseprofiter de son corps. Juste au bord de ladistance de sécurité au-delà de laquelledeux personnes partagent un cercle plusintime d’échange ; je veux maintenantqu’il transgresse cette frontière.

Je m’éloigne un peu à nouveau, nage

sur le côté, laisse mes seins affleurer àla surface alors que je fais la planche.

- Nina, arrêtez ça. Il s’agissait devous laver, pas de faire votre heure denatation hebdomadaire!

Je souris… et soudain… je coule…Dans l’eau je me laisse aller vers le

fond autant que je le peux. Au-dessus demoi, la surface mouvante brouille lereflet du ciel bleu et des arbres.J’attends un peu, mes joues gonfléesd’air.

Enfin, deux bras musclés m’enserrentet ses mains m’agrippent, une par lacuisse, une par la nuque et me tirent detoute leur force vers l’air. Je suis

littéralement arrachée hors de l’eau et jeme retrouve confortablement installéedans les bras d’Adam. Nos peauxglissent l’une contre l’autredélicieusement. Son visage est penchéau-dessus du mien et son expressiontorturée témoigne de son inquiétude.

- Nina, est-ce que vous m’entendez ?Respirez Nina !

Mais au lieu de respirer, j’éclatesoudain de rire. Adam se décompose :

- Vous l’avez fait exprès.Je ne dis rien, le fixe intensément. Il

ne m’a pas lâchée et je suis trempéecontre lui, maintenue par ses grandsbras. J’en étais certaine. Je savais que

cette sensation serait incroyable. Sonvisage est si proche du mien. S’il voulaitbien se pencher un peu vers moi…Décryptant soudain mon regard, Adamme relâche dans l’eau et cette fois jebois vraiment la tasse.

- Vous êtes cinglée. J’ai eu peur. Jepensais que quelque chose vous avaitattirée vers le fond.

Adam s’éloigne en nageant. Il tâtonnesur la berge, attrape mon savon et selave avant de sortir. Je ne perds pas unemiette de ses fesses sortant de l’eau. Unefois séché, il s’assied en me tournant ledos. Je fais de même et le rejoins.

Assise dans l’herbe alors que noussommes rhabillés tous les deux, je lui

demande gentiment :- Vous êtes fâché ?- Non, mais depuis quarante-huit

heures je ne fais rien d’autre que dem’inquiéter pour vous et ça me fatigue.

- Vous vous inquiétez pour moi ?Il se retourne et me fixe de ses

prunelles grises exaspérées.- Vous ne pouvez pas cesser ce petit

jeu ?- Quel petit jeu ? lui réponds-je sur le

ton le plus innocent possible.Il soupire, se relève et me tend la

main pour m’aider à me remettre surpieds. Je ramasse mes affaires et le suis

alors que nous nous enfonçons dans lavégétation. Nous sommes presque à lavoiture lorsque je remarque que sesépaules tressautent.

Adam est en train de rire.

13. PognNous roulons depuis deux heures

maintenant. Et à force d’être ballottée,j’ai terriblement envie de vomir. J’aihâte que la balade s’achève.

Enfin, nous atteignons Pitalito. Lesrues grouillent de monde. La ville abeaucoup moins de charme de Bogota, àn’en pas douter, mais il y règne uneeffervescence incroyable. Je suissoulagée que nous atteignions enfin notreobjectif.

Pourtant, Adam roule toujours et noussortons de la ville.

- Nous n’allions pas à Pitalito ? luidemandé-je, surprise.

- Un peu plus loin. En direction deSan Jose.

Je soupire intérieurement. Encore dela route… et nous nous enfonçons dansla forêt. L’heure tourne et je commence àm’inquiéter. Je risque de manquer lerendez-vous des narcos au campd’Aguabonita et probablement monunique chance de retrouver Jeff. Monplan est assez incertain pour qu’on n’yrajoute pas une problématique de temps.

Alors que la forêt s’épaissit, nousdébouchons sur une piste puis dans unvillage caché au cœur d’une clairière.Des maisons légères en branchages avec

des toits en feuilles de palme. Desenfants courent dans tous les sens, jouanten riant. Ils me font sourire, si mignons,avec leurs grands yeux des peinturesrouges strient leurs visages.

- Ce sont des Nukak également ?interrogé-je Adam.

Puisqu’il s’agit de ses petits protégés,il me répond sans se faire prier.

- Oui. Un des rares groupes à habiterencore dans la forêt amazonienne. Icivous pourrez mieux observer leurmanière de vivre, dans leurs maloca,leurs habitations. Même si les narcossont aussi présents.

Je frissonne. Jetant un œil autour de

moi, j’aperçois effectivement, planté auxabords du village un homme armé d’unekalachnikov.

Fichtre !- Le type en arme là-bas ?Adam regarde dans la direction que je

lui indique du menton et acquiesce :- Oui, c’en est un. Il doit surveiller les

allées et venues.- Ne risque-t-il pas de ne pas

apprécier notre présence ?- Non, ils savent qui je suis et

pourquoi je viens régulièrement. N’ayezpas peur…

Je n’ai pas peur enfin !

- Vous comprendrez en revanche,Nina, que je ne tolèrerai pas que voussortiez d’un périmètre dans lequel jepeux vous surveiller.

- Vous voulez dire, comme une enfant? grincé-je, vexée par soncomportement.

- Ce n’est pas le moment de prendrela mouche, ne croyez-vous pas ?

Je hausse les épaules alors qu’ilpoursuit :

- Si on vous demande ce que vousfaites là, dites que vous êtes monassistante.

Je ne peux m’empêcher d’insister :- Forcément, je suis votre assistante,

espèce de macho. Je ne pourrais pas êtreune collègue. Non, c’est vous l’homme !

Il soupire bruyamment et lève les yeuxau ciel.

- Et si subitement on vient vouschercher parce qu’il y a eu un accidentet qu’il y a besoin d’opérer ? Que ferez-vous docteur ? me demande-t-ilironiquement.

Ok, ma réaction était stupide etuniquement provoquée par lessentiments violents qu’il me faitressentir. Il faut impérativement que jeprenne du recul.

Nous descendons de la voiture etAdam adresse au loin un signe de la

main au type armé qui lui rend son salutd’un mouvement de tête. Il attrape àl’arrière du véhicule une grande sacochecontenant son matériel de travail ets’enfonce entre les maisons.

A sa vue, les enfants se précipitentvers lui et lui font une fête dingue. Sesprunelles grises qui me fixaient avecagacement quelques secondes plus tôt,s’attendrissent immédiatement et il plieen deux sa carrure si large pour semettre au niveau des petits et procéder àune distribution de gâteaux :

- Pas tous à la fois ! Pas tous à la fois! s’exclame-t-il, le visage fendu par unimmense sourire.

Je remarque les étincelles qui habitent

son regard métallique à cet instant et lesdeux fossettes qui se creusent dans sesjoues, terriblement craquantes, et que jen’avais jamais vues auparavant. Cethomme est beau, oui, mais il estmagnifique lorsqu’il s’ouvre.

Sauf qu’il ne s’ouvre qu’aux indiensNukak. Avec le reste des mortels, il estfroid, sec et glacial. Comme s’il nevoulait plus avoir de contact avec quique ce soit.

Adam s’assure que chaque enfant aiteu un petit quelque chose et les laisses’enfuir avec leur butin. Puis il se relèveet nous atteignons bientôt la plus largemaloca du camp. L’intérieur vaste estvide, à l’exception d’un foyer central. Le

long des murs sont accrochés deshamacs en fibres végétales tressées. Ilspendent, vides, sauf l’un d’entre eux.Une vieille main ridée s’accroche à l’undes bords. En dessous, un petit enfantaux larges yeux marron joue avec unpetit singe apprivoisé.

Adam se penche vers le gamin et luimurmure :

- Paolo. Où est ton père ?Le petit regarde le grand médecin sans

sembler comprendre. Adam reprend enarticulant et en ajoutant au milieu de sonespagnol quelques mots que je necomprends pas. L’enfant lui répondbrièvement dans cette même langue etquitte la maison en courant.

Adam se retourne vers moi et prend letemps de m’expliquer, ce qui me laissesans voix :

- Son père est à la chasse, il est partichercher sa mère.

Puis il s’approche du hamac. Je lesuis. A l’intérieur repose une femme quisemble très âgée, la peau plissée par letemps, les yeux dans le vide et la boucheouverte.

- Elle a l’air vraiment mal, soufflé-je.- Oui, me confirme Adam. Elle va

mourir. C’est la plus âgée du village. Unsacré record de longévité, je croisqu’elle a un peu plus de quatre-vingtsans. L’espérance de vie des Nukak

aujourd’hui est de 40 ou 45 ans.- Pourquoi n’a-t-elle pas de peintures

rouges sur le visage ?- Parce qu’elle est malade. Ces

décorations sont très structurées. Ellesreprésentent le statut social d’unepersonne ou indique un événement : unmariage, une naissance. Les Nukak n’enportent pas quand ils sont malades ou endeuil.

Un bruissement derrière nous. Unejeune femme entre, le petit de tout àl’heure sur ses talons. Elle porte lescheveux très courts et une partie estmême épilée. Elle s’approche d’Adamet lui tend de grosses bogues hérisséesd’épines.

- Boyop, lui lance-t-elle.Adam saisi les bogues, sort de son sac

une petite machette, pose la grosse noixau sol et la coupe en deux d’un gestesec. À l’intérieur, des grainesressemblant à des fruits rouges. Il me lesmontre :

- C’est du boyop ? demandé-je enessayant de reproduire le mot prononcépar la maman du garçon.

Adam rit doucement.- Non, c’est du roucou. C’est avec ça

qu’ils font les peintures sur leur visage.Mais c’est aussi un antiseptique puissantet cela soulage le transit. Je vais lui endonner un peu en le mélangeant à

quelques médicaments, en espérant aumoins atténuer ses souffrances.

Je hoche la tête. J’adore quand ilm’explique tout ça. C’est absolumentfascinant. Il connait parfaitement cepeuple.

- Et boyop ? Qu’est-ce que c’est ?ajouté-je, curieuse.

Il commence à broyer les baies dansun petit mortier et sourit en poursuivantsa tâche :

- Boyop, c’est moi.Il lève les yeux et ses prunelles grises

sont douces et lumineuses. Il me sourit etje crois que c’est la première fois.

- Boyop ça veut dire professeur.

Ce surnom donné par les Nukak letouche visiblement. Un peu comme sicela signifiait qu’il était un des leursd’une certaine manière. La maman tiresa manche de tee-shirt et lui parle en medésignant du doigt.

- Qu’est-ce qu’elle dit ?- Elle veut que vous la suiviez.Je la regarde gentiment et lui fait un

signe de tête.- Mais comment faire, demandé-je à

Adam. Vous m’avez interdit dem’éloigner.

- Ce serait malpoli de refuser soninvitation. J’en ai pour une demi-heure.Pendant ce temps, vous êtes son invitée.

Puis-je compter sur vous pour rester loindes hommes armés, Nina ?

J’acquiesce, bien trop curieuse àl’idée de suivre la jeune femme. Je faisun pas vers elle et d’autorité, elle meprend la main, m’entraînant à l’extérieur.Je la suis en riant de sa précipitationalors qu’elle se met à me parler sansdiscontinuer, visiblement heureuse des’être approprié ma présence.

Elle me conduit dans une nouvellehabitation, bien plus petite, ne contenantque trois hamacs ainsi qu’un minuscule.Elle m’attire jusqu’à ce dernier et m’ymontre un bébé en me faisant des signes:

- J’ai compris ! C’est ta fille ! lui

réponds-je en faisant les mêmes gestesqu’elle.

Elle sourit, très fière. Elle a raison, lafillette d’un an à peine est magnifiqueavec ses immenses yeux brillants.

Puis ma nouvelle amie me fait assoirautour de son foyer, s’installe en tailleuren face de moi et saisit un bol remplid’une mixture rouge. Du roucouj’imagine. Elle plonge les doigts dedanset les avancent vers mon visage. J’ai unmouvement de recul, notamment à causede l’odeur, mais la jeune femme insisteavec tellement d’enthousiasme que je nepeux pas refuser. Je forme un groschignon avec mes cheveux que jemaintiens à l’aide de la nervure solide

d’une feuille de palme afin qu’ilsn’abîment pas le dessin en balayant monfront, indisciplinés comme ils sont.

Elle achève juste le grillagecompliqué sur mon front quand Adamnous rejoint. Je lui adresse une mouedésolée. Mais il éclate de rire :

- Ça vous va très bien, et au moins, jesuis certain que vous êtes restée sagependant que j’étais occupé.

Je lui tire la langue et me relève. Monamie me tend un éclat de miroir pour queje regarde. Des lignes horizontalestraversent mon front de part en part.Quelques points sont disséminés entreelles et un cercle épais est tracé sur matempe gauche.

- Pouvez-vous lui demander ce quecela signifie ?

- Bien sûr !Ils échangent un peu, je le vois rire et

alors que nous ressortons de la maloca,il m’explique :

- Je vous transmets ce qu’elle m’a dit,mais vous promettez de ne pas vousfâcher.

- Bien sûr, pourquoi ?Il rit encore.- Vous vous moquez ! me plains-je en

plaisantant. Dites-moi.- Ok. Vous l’aurez voulu. Votre dessin

signifie force…

- Ah ça me plaît !- Et aussi tête de mule, ajoute-t-il en

s’étouffant presque de rire.Je me fige sur place alors qu’Adam ne

peut contenir un début de fou rire.- Elle vous a bien cernée on dirait, me

lance-t-il, ses prunelles grises pleinesd’étincelles.

Je secoue la tête, mais je n’ai pasenvie de me fâcher. Au contraire, noséchanges depuis que nous sommesarrivés au village sont tellement plusagréables… Et puis, c’est vrai que jesuis un peu… déterminée.

Adam se calme progressivement etnous reprenons notre marche l’un à côté

de l’autre. Sans me regarder mais en sepenchant légèrement vers moi, il finitpar me souffler sur un ton que je ne suispas certaine de parvenir à qualifier :

- Votre dessin parle aussi de mariage.- Mais je ne suis pas mariée !

m’exclamé-je.- En réalité, elle pense que si. Elle

pense que vous êtes ma femme.Je m’arrête, le cœur accéléré. C’est

étrange ce que cette nouvelle provoqueen moi, moi l’éternelle célibataire qui ajuré de le rester le plus longtempspossible. Sentant une rougeur me monterau visage, je choisis d’en plaisanter :

- Quelle horreur n’est-ce pas ?

Mauvaise nouvelle pour vous !Je lui envoie une bourrade amicale et

nous repartons. Je tente de deviner ducoin de l’œil l’expression qu’il a prise.Ses yeux regardent au loin, vers la forêt.Et je les trouve bien songeurs. Nousrestons ainsi silencieux jusqu’à ce quenous soyons à nouveau près du véhicule.Adam m’ouvre la portière avec unegalanterie soudaine qui me laissepantoise. Puis il fait le tour de lavoiture, grimpe à son tour et s’apprête àdémarrer quand le petit garçon de tout àl’heure court vers nous en hurlant :

- Pogn ! Pogn !Adam suspend son geste et sa main

reste sur la clé. Toute légèreté s’envole

immédiatement de son visage et ses yeuxgris reprennent leur éclat froid etmétallique.

- Qu’est-ce qui se passe ? luidemandé-je.

Il sort du véhicule et me balance sansménagement :

- Changement de programme, nousrestons.

Puis il s’éloigne du véhicule. Je medresse sur mon siège, sort la tête del’habitacle et lui crie, paniquée à l’idéede manquer les narcos que je rechercheet qui doivent se rendre à Aguabonitacette après-midi.

- Mais non ! Nous devions rentrer au

camp !- Il n’en est plus question, me répond-

il presque méchamment. Descendez decette voiture, prenez vos affaires etvenez. Et je vous préviens, si vous mequittez d’une semelle à partir demaintenant, je vous découpe moi-mêmeen rondelles.

Totalement désorientée par cechangement d’atmosphère soudain,j’obéis mais le rattrape en courant pouren savoir plus.

- Expliquez-moi. Si vous changez vosplans, donnez-moi au moins le débutd’une explication.

Il s’arrête, les sourcils froncés et se

retourne. Le bruit d’un convoi deplusieurs véhicules se fait entendre.

- Pogn, ça signifie « grand » enNukak.

- Et ? demandé-je, ne voyant pas dutout pourquoi ce simple mot l’a renduainsi.

Il prend une inspiration alors queplusieurs 4x4 déroulent à toute vitessedans le village depuis la route que nousavons nous-même empruntée. Ils sontremplis d’hommes armés. Adam grogned’une voix pleine de colère :

- Alors Pogn arrive.Je me tourne avec une curiosité mêlée

de crainte vers les véhicules qui

s’arrêtent dans un nuage de poussière.Les hommes armés sautentimmédiatement au sol et se répartissentpartout dans le village alors que lesNukak poursuivent leurs activités, plustendus.

Puis une portière restée fermée finitpar s’ouvrir, et l’immense JackCabualca en sort, fixant immédiatementsur moi ses yeux d’un vert glacial.

14. L’animalancêtre

Il se déroule alors une scène àlaquelle je ne m’attendais pas. Cabualcame fixe, agacé de me trouver là et ouvrela bouche. Lui connait ma véritableidentité. Le village est bourré d’hommesarmés à la solde des narcos. S’il parle,je suis probablement morte. Je lesupplie du regard de se taire. Contretoute attente, il referme la bouche et ne

dit rien, laisse glisser ses yeux sur moicomme s’il me voyait pour la premièrefois.

Ses yeux se portent alors sur Adam etse chargent d’une colère froide qui mefait frissonner. Adam a l’air tout aussidur et il saisit ma main qu’il sert. Lesdeux hommes se connaissent et sedétestent, cela ne fait aucune doute. Maisle geste protecteur du médecin metrouble profondément. Je m’attendaisplus à ce qu’il me pousse vers le villagesans ménagement afin de me planquer aufond d’une habitation avec ordre de neplus bouger, même pas respirer.

Jack lui aussi voit le geste d’Adam, ilme regarde à nouveau, de l’étonnement

dans les yeux, puis encore Adam et sacolère semble avoir doublée. Il prendune inspiration si profonde que je voissa poitrine se soulever et se gonfler à lalimite de l’explosion.

Jack est un volcan, comme moi. Et uninstant, je crois bien qu’il va foncer surAdam pour lui faire du mal. La tensionentre les deux hommes est extrême etpour une raison inconnue, il semble queje l’attise sans le vouloir. Probablementpas pour les mêmes raisons : Cabualcane rêve que d’une chose, que je meremettre dans un avion pour Paris, Adamespère éviter que je me fasse trouer lapeau avant de pouvoir se débarrasser luiaussi de moi, mais à la différence de

Jack, il ignore ma véritable identité etles raisons de ma présence en Colombie.

C’est Adam qui met fin au face-à-faceen me tirant par la main et en soufflantsourdement :

- Tu restes à côté de moi.Il m’a tutoyée et cela me remue. Je

suis vraiment ridicule avec cet homme.Pour masquer mon trouble je lâche :

- Je ne risque pas aller bien loin vuque tu me broies les phalanges.

Aussitôt après avoir prononcé cettephrase, je m’en veux. Il ne s’est pasaperçu qu’il m’a saisi la main et je nevoudrais qu’il l’abandonne pour rien aumonde, mais maintenant que je lui ai fait

remarquer, il va la repousser comme simes doigts entre les siens le dégouttaientj’en suis sûre.

Il baisse les yeux vers nos mainseffectivement, mais au lieu de lesséparer, il desserre son étreinte et mêleses doigts aux miens.

- Pardon, je ne voulais pas te fairemal.

Et il m’entraine à sa suite. Nousretournons dans la maison de lamourante. Dans mon dos, je sens leregard de Jack brûler mes épaules. Dansla demi-pénombre de la baraque,j’entends la faible respiration del’aïeule.

- Comment va-t-elle ? soufflé-je àAdam dans l’espoir de lui faire penser àautre chose.

Je ne comprends rien à ce qui est entrain de se passer. Ni ce que Jack fait làalors qu’il devait réceptionner unelivraison à Aguabonita, ni pourquoi luiet Adam se connaissent, ni pourquoil’arrivée de Pogn/Cabualca a poussé lemédecin à changer ses plans. Maisencore une fois, si je veux obtenir desinformations, je vais devoir jouer serreravec cet homme taiseux qui ne m’aencore absolument rien révélé de luidepuis que je le connais.

- Elle va un peu mieux, me répondAdam. Elle ne passera pas la nuit à mon

avis, mais au moins elle ne souffre pas.Il y aura une veillée ce soir pouraccompagner son esprit, c’estprobablement mieux que nous restionstout compte fait. Cela touchera lesNukak que nous soyons présents.

- Nous ?Il me regarde et le demi-sourire qu’il

m’adresse allège le poids pesant sur mapoitrine.

- Oui, nous. Tu as été accepté dans lacommunauté, dit Adam en désignant monfront.

Je touche précautionneusement lapeinture qui a séchée pour ne pasl’abîmer.

- Ça me fait vraiment plaisir.- C’est vrai ? me questionne Adam, le

regard illuminé.Je hoche la tête et nous nous sourions

pour de bon. Ses deux fossettes secreusent dans sa barbe claire et courte,ses yeux se plissent, rieurs.

Voilà, mon premier vrai sourireobtenu de l’homme qui fait battre moncœur plus fort que jamais depuisquarante-huit heures.

- Même si je dois avouer que ça nesent pas très bon… ajouté-je enplaisantant.

- L’odeur s’évapore, ne t’inquiète pas.Et puis ça protège des moustiques.

- Pratique cette plante !- Tu ne crois pas si bien dire. C’est un

colorant naturel que tu connais déjà enréalité… En Europe on s’en sert souventpour teinter certains fromages.

- Ah bon ? C’est amusant, je ne savaispas…

- Si tu as déjà mangé de la mimoletteou du cheddar hollandais…

Je ris aux éclats et Adam souritencore. Ses yeux sont doux. Je voudraisne les voir qu’ainsi lorsqu’il les posesur moi.

- Tu restes là sans faire d’histoires ?s’inquiète-t-il.

- Ok.

Et je m’assieds sur le sol à côté dufoyer éteint. Adam est tellement surprispar ma réaction qu’il vient me rejoindreen me regardant avec méfiance. Je ris :

- Je te promets que ce n’est pas uneruse.

Je m’allonge sur le sol en terre battue.- Parle-moi encore d’eux.Un petit silence me répond et je

devine qu’il est à la fois étonné et ravique je lui pose cette question.

- Eh bien, les Nukak sont un peuple dechasseurs-cueilleurs, des nomades.C’est la raison pour laquelle leurshabitations sont si légères. Ils nepossèdent en réalité que leurs hamacs.

Je les retrouve de temps à autres le longde leur circuit qui va jusqu’à la rivière.Dans cinq jours, ils lèvent le camp etpartent pour les rives du fleuveMagdalena entre la chaine centrale et lachaine orientale de la cordillère desAndes.

- Pourquoi les aimes-tu tant ?- Ils sont vrais. Ils sont fragiles… Ils

ont besoin de moi ?J’entends beaucoup dans ces trois

phrases. De la générosité, sa fragilité àlui, son besoin de se sentir utile, sonenvie de sauver ce peuple, un besoinprofond dont j’aimerai connaître lesracines. Pourquoi ne pas tenter :

- Tu es allé jusqu’à te couper des tienspour vivre avec eux dans des conditionsdifficiles, pourquoi ?

Adam ouvre la bouche, ses sourcils sefroncent et je sens l’autre partie de lui,celle qui est dure comme de la pierreaffleurer à la surface. Tout sauf perdrecette nouvelle ambiance entre nous, plusintime. Il ne chercher plus à merepousser, je fais immédiatement marchearrière :

- Non, c’est bon. Ne réponds pas à maquestion, murmuré-je. Si tu trouves celatrop indiscret, je ne veux rien savoir.

Ses pupilles perdent l’éclatmétallique qui les avaient gagnées et unsentiment que je ne parviens pas à

nommer la traverse. Adam me fixe uninstant avant de souffler :

- Merci.Le silence s’installe entre nous. Adam

regarde ailleurs. Je comprends bien quema question a ravivé des souvenirsdouloureux. La curieuse que je suis boutintérieurement, mais pour une fois, jedois être raisonnable. Il ne s’agit pasd’une investigation, mais des sentimentsd’un homme qui me touchent au plusprofond de moi-même.

Nous restons dans la maison jusqu’àce que la nuit tombe. De temps à autre,Adam se lève, se dirige vers la maladeet introduit entre ses lèvres crevasséesquelques gouttes de médicaments.

Alors que les derniers rayons dusoleil s’effacent lentement, Adam me faitsigne de me lever :

- On y va. Nous devons retrouver lereste de la tribu.

J’époussette mon short et déplie meslongues jambes avec bonheur.

- Personne ne sera venu nous embêterici, noté-je.

- Les Nukak n’auraient laissé entrerpersonne à part nous. Cette femme estbien trop respectée. Ils auraient préféréêtre tous massacrés plutôt que de laisserquiconque troubler son repos.

Avant de quitter la maison, je medirige vers la vieille Nukak et me

penche au-dessus de son hamac avecrespect :

- Bon courage, lui murmuré-jedoucement.

Mais alors, l’aïeule me saisit l’avant-bras et serre mes doigts de toutes sesforces, enfonçant ses ongles dans mapeau avec une vigueur étonnante pourune mourante :

- Dipi hâré. Dipi hâré.Prononce la vieille femme, les yeux

vitreux une seconde auparavant soudainvrillés tout au fond des miens. Un longfrisson me parcourt et mon poulss’accélère.

Aussi soudainement qu’elle m’a

attrapée, elle me relâche, ses yeux seferment, sa tête retombe et sa bouches’entrouvre sur un léger ronflement.

Adam se précipite, sortant à la va-viteson stéthoscope.

- C’est incroyable, s’exclame-t-il,l’air très inquiet. Comment a-t-elle eu laforce ?

Il pose délicatement son appareil surla poitrine de l’aïeule qui s’estprofondément endormie. Et plus ill’ausculte, plus il est abasourdi. Il finitpar se redresser et ranger son matériel.

- Plus aucune trace de l’infectionrespiratoire, je n’y comprends rien.

Il me regarde comme s’il me voyait

pour la première fois :- Que t’a-t-elle dit ?- Je…- Dis-moi.Il a l’air terriblement inquiet.- Je n’en sais rien ! protesté-je. Elle a

parlé dans sa langue.- Essaye de te souvenir.- Un truc comme « bipi haret ».Adam est profondément étonné.- Dipi hâré ?- Oui, c’est ça, je crois. Qu’est-ce que

cela signifie ?- « Fais très attention. »

- C’est rassurant, réponds-je enrigolant un peu.

Mais je n’en mène pas large. Aucontraire, j’ai la chair de poule.

- Ne bouge pas d’ici, je reviens.Et il sort en courant, se dirigeant vers

un coin du village que je ne distinguepas. J’aurais autant préféré ne pas resterseule avec la vieille femme. Tout çaprend une allure un peu trop mystiquepour moi… Certes, elle tient du fétu depaille et s’est endormie profondément,mais la force dont elle a fait preuve m’aparu surnaturelle.

Adam revient heureusementrapidement et me tend la main. J’y glisse

la mienne alors que mon cœur accélèrelégèrement.

- Viens, les hommes sont rentrés de lachasse, je leur ai raconté.

- Attends, demandé-je avant de quittela maison de l’aigle. Comment va-t-elle?

Il me sourit :- Incompréhensiblement, elle va bien.- Elle ne va pas mourir ?- Il faut voir comment cela va évoluer

mais elle va mieux.Je le suis enfin et il m’emmène au

cœur du village. Un groupe d’hommesagité est en pleine discussion, de

longues sarbacanes de près de troismètres placées en équilibre contre eux.Lorsque nous les rejoignons, ils setournent tous vers moi. L’un d’euxs’approche et me parle en espagnol :

- Tu as sauvé notre ancêtre. Nousallons consulter les esprits pour toi.

Je regarde Adam avec un regardanxieux, mais il semble ailleurs et saprésence ne m’aide pas en l’occurrence.Celle de Jack, les yeux me lançant deséclairs non plus. Ne sachant commentréagir, je bafouille.

- Euh… merci…Quelques minutes plus tard, un feu a

été allumé dans lequel mijote une sorte

de décoction de filaments d’une planteblanche à l’odeur très amère et levillage entier fait cercle. Je m’assoisaux côté d’Adam, Cabualca est en face,de l’autre côté de la place et il ne mequitte pas une seule seconde du regard.Les autres hommes en armes sont partiss’installer plus loin et nous sommesseuls avec les indiens.

Mon amie, la jeune maman,s’approche et me tends un collier avecdes perles de bois, plonge les doigtsdans le même petit bol que cette après-midi et trace de nouvelles lignes sur monvisage, couvrant cette fois-ci mes joueset mon menton. L’odeur me prend à lagorge.

- Si ça te pique, dis-le, me souffleAdam discrètement. Le roucou peut êtreallergène.

- C’est gentil, ça va. Explique-moi cequi se passe d’accord ?

Il hoche la tête. De l’autre côté, par-dessus les flammes, les yeux verts deJack luisent d’un feu inquiétant. Je faistout pour l’ignorer, mais ce n’est pas desplus évidents. J’attends notreconfrontation, je sais qu’elle estinévitable. Il porte le même tee-shirt quel’autre nuit chez lui, celui-là même queje lui ai retiré lorsque nous avons…

La cérémonie commence. Un hommese place au centre du cercle et boit unpeu de la mixture bouillonnante.

- C’est une infusion d’ayahuasca, mechuchote Adam en se penchant tellementvers moi que son souffle court sur moncou et y provoque des frissonsagréables. Je ferme à demi les yeux. Del’autre côté du cercle, les mâchoires deCabualca se crispent.

- Ah quoi cela sert-il ?- Il s’agit de la liane des morts. C’est

un puissant psychotrope. Ils croient quece breuvage leur permet d’entrer encontacts avec les esprits. Ils vont leurdemander de te protéger et de leurrévéler ton destin.

- Charmant, raillé-je, pas rassurée dutout.

- C’est un grand honneur qui t’est fait,me sermonne-t-il.

Je me tourne vers lui. Ses prunellesgris clairs sont dures.

Il ne me pardonne donc rien ?Je pose une main sur la sienne, sentant

ses doigts larges sous les miens qui meparaissent tellement minces à côté.

- Je sais Adam, c’est juste que j’ai unpeu peur.

- Je croyais que tu n’étais pas unetrouillarde, plaisante-t-il, rasséréné.

Je ris un peu.- Oui, mais là c’est assez

impressionnant. Je ne sais pas ce que les

morts vont révéler, je ne suis pascertaine d’avoir très envie de connaîtremon destin.

Son autre main vient enserrer lamienne et il la presse légèrement.

- Tout ira bien, ne t’inquiète pas.Son regard est chaud, attentionné. Je

ne l’ai jamais vu ainsi. Je voudrais qu’ilne détourne plus jamais les yeux, mais lechaman commence ses incantations.

- Ils l’ont fait pour toi ? lui demandé-je encore.

- Non. Je n’ai pas eu ce privilège. Jecrois que tu es la première non-Nukak ày avoir droit.

Et dans sa voix, je comprends que

cela compte pour lui.Rapidement l’homme se met à

halluciner et s’agite dans tous les sens,prononçant une litanie qui semble jaillird’outre-tombe et le vider totalement,jusqu’à ce qu’il s’écroule sur le sol. Levent se lève alors violemment, agitantautour de nous les toits en palmes, letonnerre gronde et une pluie fine etchaude commence à tomber. Tout legroupe bruit de murmures et me regardeavec une sorte de crainte.Instinctivement, je serre les doigtsd’Adam entre les miens. Il les gardefermement pour me rassurer.

- Qu’est-ce qu’il a dit ?- Attends, je n’ai pas tout compris,

c’était assez décousu…Adam se penche vers son voisin qui

lui répète visiblement ce que le chamana vu dans son hallucination. Lesprunelles grises viennent à nouveau sefixer sur moi, étonnées.

- Et bien ! Ce n’est pas rien !- Dis-moi je t’en supplie, vraiment, je

ne me sens pas très à l’aise.- Ne t’inquiète pas. Tout va bien. Ils

pensent que tu es une descendante deleur animal ancêtre.

- Leur quoi ?- Leur animal ancêtre. Selon la

légende, les Nukak vivaient dans un trousous terre, l’animal ancêtre serait venu

les chercher, ils sont sortis par une fenteet c’est ainsi que leur peuple est né. Tuauras un grand destin.

- Lequel ? demandé-je, curieuse ettoujours très impressionnée par ce quivient de se dérouler.

- Les esprits n’ont rien voulu dire.- Oh…Je reste interdite. Le calme revient

progressivement dans le village et levent se fait moins fort alors que la pluies’intensifie.

- Et maintenant, que va-t-il se passer ?- Rien. Ils vont tous aller dormir, mais

tu as leur aide éternelle. Tu comptespour eux maintenant.

- Et le chaman ?- Il va vomir toute la nuit.Je pouffe :- Classe.Adam rit aussi.- Ecoute, reprends-je. J’ai besoin

d’être seule un peu. Je sais que tu neveux pas que je m’éloigne…

- Je ne suis pas rassuré.- S’il te plaît, laisse-moi respirer. Je

ne suis pas une enfant…Je lui souris, et ajoute avec un clin

d’œil :- Et puis que veux-tu qu’il m’arrive !

Je suis une descendante de l’ancêtre

animal, rappelle-toi ! J’ai au moins despouvoirs magiques avec ça !

Il rit doucement et je m’éloigne sanslui laisser le choix. J’ai vraiment besoind’être un peu seule. Je longe les maisonsen tournant le dos aux narcos. Inutile deprovoquer le danger alors que je suisfatiguée et remuée.

Je m’adosse à une habitation. Mais jene bénéficie pas de plus de dix minutesde solitude. Une voix grave retenti dansmon dos :

- Bon sang Emma, qu’est-ce que tufous ici…

15. DémasquéeJack. Ses yeux verts glaçants dans

l’obscurité. Un rayon de lune s’estaccroché dans ses prunelles et les faitluire. Il est à la fois magnifique etinquiétant. Mais pour une raisoninconnue, je n’ai pas peur de lui. Alorsque nous nous sommes rencontrés il y aquelques jours à peine, c’est un peucomme si lui et moi nous nousconnaissions depuis des millénaires.

Peut-être que lui aussi descend del’animal ancêtre ?

Blague à part, nous sommes fait dansle même moule. Il déjoue mes

stratagèmes et je me sens capable de luitenir tête. Je n’attends pas et lui lance :

- Pourquoi n’as-tu pas révélé mavéritable identité ?

- Parce qu’Adam ignore qui tu es enréalité ?

Il a l’air simplement étonné.- Je ne parle pas d’Adam, je parle des

narcos. Pourquoi ne m’as-tu pas livréepuisqu’ils sont à ma recherche ?

- J’essaye d’éviter que tu ne te fassestuer, tu te rappelles ? Qu’est-ce que tu asraconté à Adam ?

- Que j’étais une journaliste venuefaire un reportage sur les indiens Nukak.Pourquoi ne me livres tu pas aux

trafiquants puisque tu es visiblement deleur côté ?

- Putain Emma, arrête tu ne sais rien.Tu ignores tout alors garde tesaccusations pourries pour toi ! s’énerve-t-il.

Il hausse la voix et je la hausse à montour.

- Ah ouais, parce que tu es sur le pointde les déférer à la justice colombiennepeut-être ? Ça ressemble plus à unebalade entre copains dans la forêt.

- Tu es… grogne-t-il en serapprochant de moi.

Je me redresse mais malgré ma grandetaille, je lui arrive à peine sous le nez.

Vingt centimètres de différence, ça sepaye.

- Je suis quoi, vas-y, soufflé-jemenaçante.

Il me considère de haut et explose derire.

- Tu te fiches de moi en plus ? Ajouté-je mauvaise.

Nous sommes presque collés l’un àl’autre, moi le regardant d’en bas, sur ladéfensive, lui la tête baissée et ses yeuxélectriques plongés au fond des miensavec ce regard, ce regard qu’il a déjà eulorsque nous faisions l’amour et quej’avais préféré mettre de côté, décidantque ce n’était pas important. Une

tendresse fort malvenue y traîne. Et aussibien ses éclats de voix ne me font nichaud ni froid, aussi bien cette lueur-làne me dit rien qui vaille. J’étrécie lesyeux, méfiante.

- Quoi, aboyé-je.- Emma, murmure-t-il.Et sans attendre il saisit mon visage

entre ses mains et fond sur mes lèvres.Je ferme les yeux lorsque sa bouchebrûlante touche la mienne. J’ai envie deme laisser aller. Le sexe appeal deCabualca est une arme redoutable. Il estquasiment impossible de lui résister. Safaçon de bouger, son désir qui semble siimpératif. Mais j’ai rencontré Adamentre temps… Cela change tout.

Je pose mes deux mains à plat sur letorse terriblement sexy de Jack et lerepousse fermement, en faisant un effortcolossal sur moi-même. Puis, lorsquej’ai réussi à le détacher de moi, je luienvoie une gifle monumentale.

Il reste une fraction de secondeinterdit, puis se frotte la joue en éclatantde rire.

- Tu m’as fait mal !- C’était le but. Jack, tu ne peux pas

faire ça à chaque fois.- Faire quoi ?- M’empêcher de découvrir qui tu es

en m’embrassant et en me poussant àfaire l’amour avec toi.

Il rit encore.- En te poussant à faire l’amour avec

moi ? Je n’ai pas eu l’impression de tepousser à quoi que ce soit quand tu étaisdans ma chambre. Tu t’es jetée sur moi !

- Non, je ne me suis pas jetée sur toi !- Oh si !- Jack ! le menacé-je de mon petit

poing.Il me retourne un rictus ironique alors

qu’une lueur de désir passe dans sonregard vert.

- Continue à agiter ton minusculepoing sous mon nez et je te jure que je tejette en travers de mon épaule et jet’emmène dans les bois pour t’y faire

l’amour jusqu’à ce que tu reconnaisses àquel point tu en as envie aussi.

- Je n’en ai pas envie, lui rétorqué-jeen croisant les bras.

Mais bien sûr Emma, tente de t’enconvaincre.

Cet homme m’agace.- Tu m’agaces, lui lancé-je.Pourquoi le garder pour moi après

tout !- Je sais, me répond-t-il sur un ton

calme. Toi aussi tu m’agaces…Je souris dans l’obscurité. Je sais

qu’il n’est pas net, j’ignore même à quelpoint les activités dans lesquelles il est

impliqué pourraient me révulser sij’étais au courant. Pourtant je dois faireun effort pour le garder à l’esprit. Je suisbien en sa compagnie, même si c’est toutle temps électrique. Je dois être folle.

Nous nous adossons au mur del’habitation qui nous coupe du reste duvillage. Un long moment de silencepasse, jusqu’à ce que Cabualca medemande sur un ton inquiet :

- Il y a quelque chose entre toi etAdam ?

Je tourne la tête et le regarde. Luiconserve les yeux fixés en direction desbois, comme si sa question était anodine,mais je vois bien à ses mâchoirescrispées que ça ne l’est pas du tout et

qu’au contraire, ce que je vais répondrecompte pour lui.

Qu’est-ce qu’il peut y avoir entre cesdeux hommes ?

- Non, me contenté-je d’affirmerrésolument, même si de mon côté dumoins, c’est totalement faux.

J’entends presque le soupir desoulagement qu’il a pourtant tenté deretenir.

S’il savait à quel point les sentimentsque j’éprouve pour Adam medésarçonnent…

- Alors, qu’est-ce que tu fais ici ? meredemande-t-il, bien plus détendu qu’audébut de notre conversation.

- Crois-moi ou non, mais je ne l’aipas fait exprès. J’ai fouillé dans tonportable comme tu t’en doutes et j’aitrouvé un SMS de Juan, le type qui étaitvenu pour me tuer quand nous étionsdans ton bureau. J’ai noté le rendez-vouspour « la livraison » au campd’Aguabonita et je m’y suis rendue enespérant découvrir une piste pourretrouver Jeff. J’ai fait croire àl’association qui emploie Adam que jem’intéressais au Nukak. Mais ses plansont changé, il a dû venir ici pour soignercette vielle femme étrange qui me faitfranchement flipper avec ses révélationset nous voilà. Mais puisque tu es ici, jesuppose que je n’ai rien manqué.

Cabualca rit.- C’est ironique, j’ai demandé à ce

que le rendez-vous soit déplacéjustement pour que tu ne t’y trouves pas.

Je ris aussi.- Manqué.- Ouais.- C’est quoi, cette livraison ? Et

pourquoi Adam et toi vous détestez-vous?

Jack balaye l’air d’un geste agacé.- Laisse tomber.J’insiste, à nouveau tendue.- Tu sais parfaitement que je

n’abandonnerai jamais. Je ne laisserai

pas tomber Jeff. Pas la peine d’essayerde me terroriser ou de me menacer,grondé-je.

- Emma ! s’exclame-t-il en sepenchant vers moi et en saisissant mesmains. A nouveau, son regard me faitfrémir. Emma je t’en supplie, va-t’en. Tune sais pas ce qui va se jouer ici. Tu vaste faire tuer. Pitié, rentre chez toi.

Pour toute réponse, je lui envoie unsourire méprisant.

- Mais je vais vraiment croire que tut’inquiètes pour moi ! Attention, je vaisfinir par penser que tu es amoureux.

J’ai balancé ça pour le faire sortir deses gonds et l’agacer, mais il se contente

de soupirer en secouant la tête et dereprendre sa position contre le mur del’habitation. Au bout d’un nouveausilence, il me demande :

- Quel nom as-tu donné à Adam ?- Nina, réponds-je en riant.Jack rit aussi. Mais à quelques pas de

nous, une voix de stentor gronde :- Tu t’es bien foutue de moi.Mon sang quitte instantanément mes

veines et mon cœur cesse de battrequand je tourne la tête et rencontre levisage furieux d’Adam.

16. Mise au pointJe plaque ma main sur ma bouche

pour y étouffer un cri de désespoir.- Adam, attends, je vais tout

t’expliquer…Mais il m’a déjà tourné le dos et part

à grandes enjambées vers le campement.J’abandonne Cabualca pour lui couriraprès. Jack me retient par le bras :

- Laisse-le. Il ne dira rien.Ce n’est pas ce qui m’inquiète. A vrai

dire, je n’y avais pas songé. Je nesupporte tout simplement pas l’idéequ’il me déteste. Et comment pourrait-il

en être autrement maintenant qu’il adécouvert que je lui mentais depuis ledébut, que je ne me suis jamaisintéressée à ses précieux Nukak auquelil a consacré toute sa vie depuis cesdeux dernières années.

Je me dégage brutalement de la prisede Jack en le regardant méchamment. Ilcomprend les sentiments qui m’agitent etla tristesse s’empare de ses prunelles. Ilme laisse m’échapper.

Je cours comme une folle dansl’espoir de l’apercevoir entre lesmaisons. Il n’est nulle part. Le vent selève à nouveau, violent, et les nuagescrèvent encore, me noyantinstantanément sous une pluie chaude.

Mes cheveux s’alourdissent, gorgés, etcollent à mon visage, à mon cou et à mesépaules, tout comme mes vêtements.Mais je n’en ai rien à faire. Je ne pensequ’à Adam. Il me faut absolument avoirune explication avec lui, même si je leconnais trop peu pour savoir s’ilacceptera de me pardonner.

Enfin j’aperçois sa silhouette carréeinscrite dans l’embrasure de l’une desmaisons. Un feu est allumé dans le foyeret les flammes rougeoient devant lui. Ilest appuyé à un des poteaux supportantle toit, comme s’il en avait besoin pourse retenir de tomber. Je me déteste deprovoquer tout ça.

Je m’avance prudemment, ne sachant

pas comment je vais être reçue et, sur lepas de la porte, je souffle :

- S’il te plaît, laisse-moi t’expliquer.Il ne se retourne pas. J’entre et le

rejoins. Il est trempé lui aussi et lesprunelles grises qu’il pose sur moi sontnoyées de sentiments mélangés : dudoute, de la colère, une profondetristesse. Je m’approche et lorsque jesuis à sa hauteur, il détourne la tête.Cette attitude me brise le cœur, mais jepréfère rester positive : il ne s’en vapas.

Je pose une main trempée sur son braset de l’autre passe les doigts dans mescheveux lourds de pluie pour lesdécoller de mes yeux. Mais mon contact

le brûle et il fait un pas de côté :- Je ne suis même pas certain d’avoir

envie de le savoir, répond-il d’une voixglaciale qui me fait frissonner.

Il ne dit plus rien et je cherchedésespérément quelle serait la solutionpour le convaincre.

- Bon sang, Nina tu m’as menti…Nina… ah non, c’est vrai, ce n’est paston prénom.

Il secoue la tête et enfin m’adresse unregard. Ses prunelles grises sont pleinesde déception, pleines d’un mépris quime cloue sur place.

- Emma, murmuré-je en le regardantpar en dessous.

- Emma, répète-t-il.Et sa voix grave fait vibrer mon

prénom. L’entendre dans sa bouche est siintense que la peine que je ressenslorsque je pense que j’ai définitivementperdu, si ce n’est son amour, au moins unsentiment d’affection naissant, sedécuple.

Je respire profondément pour tenterd’atténuer la douleur qui vrille mapoitrine.

- Je ne voulais pas te mentir.Il émet un petit rire triste :- C’est pathétique.- Attends, qu’est-ce que tu as entendu

de ma conversation avec Jack.

- Jack, ça ne m’étonne pas qu’il soitde la partie celui-là !

Et cette fois, ses prunelles se sontchargées de colère.

Ces deux-là se détestentJe payerais cher pour connaître les

raisons de leur inimité, mais ce n’est pasle moment de questionner. C’est à moide m’expliquer.

- Adam, s’il te plaît, dis-moi ce que tuas entendu.

- Lorsqu’il t’a demandé quel nom tum’as donné, ta réponse et son rire. Ça, ildoit bien se marrer maintenant. C’étaitquoi le plan ? Me pousser à tomber dansle piège de José ?

- Hein ?Je le regarde, les yeux écarquillés et

bafouille :- Mais enfin, mais de quoi parles-tu ?- Oh ça va, Emma. Plus la peine de

jouer la comédie maintenant.- Je te jure que je ne joue pas la

comédie, je ne comprends rien ! De quoiparles-tu enfin ?

Adam a un mouvement d’humeur etquitte en trombe la maison vide dont lefeu avait visiblement été allumé pournous puisque nos bagages sont déposés àcôté de deux hamacs suspendus dans lefond.

- Adam, ne t’en va pas !

Mais il est déjà à l’extérieur sous lapluie battante.

- Adam ! Ce n’est pas vrai ! hurlé-je.Je me précipite à sa suite. Déjà je ne

vois dans le noir plus que sa silhouettemassive. Je cours derrière lui. Il seprécipite vers sa voiture, y grimpe etveut mettre le contact, mais il ne serappelle qu’à cet instant qu’il a laisséses affaires dans la maison.

La pluie me fouette avec violence etje dois plisser les yeux pour avancer. Lesol s’est transformé en boue et devientglissant. Je me dépêche de le rejoindre :

- Adam, il pleut des cordes je t’enprie !

Je suis à côté de lui, je pose ma mainsur la portière :

- Emma, laisse-moi ! crie-t-il. Laisse-moi !

- Non ! Pas tant que tu ne m’as pasécoutée.

Il rouvre la portière, descend duvéhicule, regarde en tous sens autour delui. Il semble totalement perdu, cherchevisiblement à m’échapper. Je lui aimenti oui, mais je ne parviens pas àm’expliquer pour quelles raisons cela lemet dans un tel état.

- Adam ? tenté-je.- Tu te rends compte de ce que tu m’as

fait ? lâche-t-il sa voix se brisant

soudain. Est-ce que tu te rends compte ?Ce n’était qu’un jeu pour toi…

Quoi ?- Adam, je te jure que je ne

comprends pas. Adam…Mais sans prévenir, il part en courant

en direction de la forêt. Remise de lasurprise, je pars à nouveau à sapoursuite. Il s’enfonce dans les bois surla piste boueuse. Le sol dérape et je n’yvois presque rien. Je le sens plus quel’aperçois quitter la piste et s’enfoncerentre les arbres. Je tourne aussi.J’espère qu’il n’ira pas trop loin, car sije le perds, je ne suis pas certaine deparvenir à retrouver ma route seule.

Je finis par déboucher à la suited’Adam sur une clairière. Je suisessoufflée. S’il ne s’arrête pas, je nepourrai plus continuer. Alors, endésespoir de cause, je hurle de toutesmes forces pour l’obliger à m’écouter :

- Je m’appelle Emma Wilde. Je suisjournaliste à Paris. Journalisted’investigation. Mon meilleur ami Jeffs’est fait enlever par un cartel denarcotrafiquants. J’ignore qui le détient.Je sais juste qu’il est en Colombie. J’aidébarqué ici avec pour seul contactcelui de Cabualca mais il a refusé dem’aider et a tenté de me remettre dans unavion. J’ai piqué son portable et apprisqu’il devait y avoir une livraison de je

ne sais trop quoi au camp d’Aguabonitaaujourd’hui. J’ai prétexté un reportagesur les Nukak pour pouvoir m’y rendreavec une bonne couverture. Et puis jet’ai rencontré, et puis tu as été odieux, etpuis je suis tombée amoureuse de toi. Jene veux rien de Jack, je ne sais pas cequ’il y a entre vous deux. Je veux justeretrouver mon ami. Juste rentrer chezmoi et ne plus jamais te revoir car aucunhomme ne m’a fait mal comme tu me faismal à me repousser constamment.

Adam s’est figé. Il m’a écouté, enfin.Et il ne fuit plus. Au contraire, il seretourne et en quelques pas réduit ladistance entre nous. Il saisit mon visageentre ses mains et plonge ses yeux au

fond des miens :- As-tu couché avec Jack, ne me mens

pas.Je le fixe sans ciller. Je sais qu’il ne

va pas aimer ma réponse, mais je ne suispas une menteuse, j’ai toujours refusé deregretter mes actes, je préfère lesassumer. Et s’il veut la vérité, je la luidonnerai.

- Oui. J’ai couché avec Cabualca.Adam me scrute encore, puis il lève

brusquement mon visage vers le sien etses lèvres fondent sur les miennes. Sabouche douce et ferme, ce baiser siinattendu provoque une telle émotion enmoi que je suis sur le point de défaillir

et ce sont ses bras, m’entourant et meplaquant contre lui avec une forcepassionnée qui m’empêchent dem’écrouler.

Il s’écarte un peu, à peine, juste pourpouvoir écarter de mon front et mesjoues mes cheveux emmêlés et murmure:

- Ne me mens plus jamais, Emma.Et comme il a répété mon prénom, je

perds totalement la tête.Ses lèvres parcourent mon cou et il

répète entre chaque baiser :- Ne me mens plus jamais.- Je te le promets.

Il prend mon visage entre ses mains,le relève vers lui et plonge au fond demes yeux. J’y lis une sincérité qui mebouleverse. Sa bouche se pose ànouveau sur la mienne pourm’embrasser, plus tendrement cette fois.C’est si doux. Je me sens si fragile entreses bras puissants. Mais à ma grandedéception, il me relâche et me tend lamain avant de souffler :

- Viens, rentrons…Je mêle mes doigts aux siens, mais je

résiste lorsqu’il veut faire un pas. Il seretourne, interloqué :

- Quelque chose ne va pas ?Je secoue la tête négativement. Tout

va bien. Je suis juste plantée en pleinmilieu de la forêt amazonienne, la pluiegouttant de mes cheveux, totalementtrempée, parce que j’ai couru après cethomme. Cet homme-là qui faitincompréhensiblement battre mon cœuralors qu’objectivement, je ne sais riende lui. Mais il possède cette aura qui medonne envie de me blottir contre lui. Jene veux pas interrompre ce tête à tête. Jeveux plus. Profiter de ce soulagementqui m’a saisie lorsqu’il m’a embrassée :non, il ne me déteste pas. S’il merepousse, c’est au contraire qu’il tient àmoi. Et peut-être, qui sait, partage-t-il unpeu les sentiments qui m’habitent.

Alors en souriant, je me laisse glisser

au sol. La boue chaude m’accueille et jecommence à rire nerveusement. Adam serapproche et se penche au-dessus demoi.

- Mais qu’est-ce qui te prend ?Son air sérieux me fait rire plus

encore :- Tu ne te lâches jamais toi, n’est-ce

pas ? L’as du contrôle. Tu ne dis pas ceque tu ressens, tu restes toujours froid etdistant… Alors se jeter dans la boue…

- Emma, je ne sais pas ce que tu sous-entends, commence-t-il à se fâcher.

Mais je ne le laisse pas finir saphrase. Je saisis rapidement une de seschevilles et tire dessus de toutes mes

forces. Adam, surpris, n’a pas le tempsde trouver son équilibre et il s’effondreà son tour.

- Aïe. Mais tu es complétementcinglée !

Le laissant bougonner, je me redresseet me précipite vers lui, l’enjambe etm’installe à califourchon sur son bassin.Me voir ainsi perchée au-dessus de luifait taire toute protestation. Son regardse trouble et j’y lis une exigence qui meplaît infiniment. Ses mains viennentsaisir mes hanches et les presse.

Je me penche pour venir trouver seslèvres, caressant du bout des doigts sonmenton carré couvert d’un courte barbeblonde, puis les muscles saillant de son

cou. J’en veux au tee-shirt et sans cesserd’embrasser Adam, tire dessus jusqu’àce que j’aie réussi à libérer son torseimpressionnant. Je le laisse finir del’enlever, me concentrant sur les reliefsparfaits, les pectoraux, les musclesintercostaux.

Mes mains effleurent ses abdominauxet il se contracte sous ma caresse. Je leregarde droit dans les yeux. Il esttotalement désarçonné, totalement sousmon contrôle. J’adore. Sans plusattendre, je m’empare de mon débardeuret le fait passer par-dessus ma tête.Lorsque je ressors à l’air libre, mescheveux trempés retombent en cascadessur mon soutien-gorge qui ne fait paslong feu lui non plus.

J’ai envie qu’il me regarde. J’ai enviede sentir ses yeux se poser sur mapoitrine. Et effectivement leur caresse unpeu étonnée et admirative est unejouissance en elle-même. Alors, mesoulevant un peu, je tire sur son short,attrape l’élastique de son boxer et luifait suivre le même chemin. Adam est nudans la boue, et il est magnifique.Lorsque je l’avais accidentellementsurpris sous sa douche, j’avais bien notéce corps à donner des chaleurs à la plusprude des vierges, mais je ne l’avais pasvu… en forme.

Et ce que je constate me plaîtvraiment, même si un moment, je me disqu’il est plutôt bon que je sois unegrande fille pas timide. D’un doigt, je

caresse avec curiosité sa queue qui sedresse plus encore et un soupir luiéchappe. Je souris de sa réaction :

- Plus besoin de le dire Adam, j’aiconfirmation : je te plais.

Il tente bien un grognement, maisvivement je me suis penchée et l’ai prisdans ma bouche. Cette fois, ce n’est pasun soupir mais un gémissement qui merépond. Je m’amuse quelques instants àfaire monter la tension, puis m’écarte ànouveau.

- Tu ne peux pas t’arrêter là, proteste-t-il.

- Je vais me gêner, plaisanté-je.Je voudrais me redresser, mais il

s’assied, me saisit et me fait rouler sur

le dos pour se retrouver au-dessus demoi avant de m’annoncer :

- Tu penses que tu peux m’excitercomme ça sans conséquences.

Je le considère avec une mouegourmande :

- Mais j’espère bien qu’il y aura desconséquences.

Et sans attendre, je saisis une poignéede boue dans ma main et lui colle sur lajoue. Surpris encore, il fronce lessourcils :

- Tu es…- … complètement folle, oui, je sais,

tu l’as déjà dit et tu m’as plutôt biencernée.

Glissant sur le sol, je me faufilecomme une anguille et échappe à saprise. Je n’ai pas fait un mètre qu’il merattrape par le bras et me fait glisserdans l’autre sens, me ramenant sous lui.Il se déride enfin, entrant dans mon jeuet me menace en chuchotant :

- Tu l’auras voulu Emma.Il a bien trop de force pour moi et il

n’a pas besoin d’un effort démesurépour, de sa cuisse, écarter mes jambes.Son bassin se pose sur le mien et je sensavec délice le poids de son corps sur lemien.

L’extrémité de son sexe vient se poserentre mes jambes contre mon slip. Jedégage le tissu et lui finit de l’enlever.

Pleins de boue, à force de nous caresser,nous sommes couverts de peintures deguerre. Je joue avec les traces de terresur son torse qui le rendent plus sexyencore. J’aime le contact direct aveccette terre glissante, la pluie sur noscorps nus, la lune qui souligne sesmuscles.

Adam attrape mon bassin et l’attireplus encore vers lui. Son pénis entrelentement en moi. Je me tords tant c’estincroyablement bon. Mes lèvress’entrouvrent, j’ai besoin d’air, mais ense penchant sur moi et en m’embrassant,il me le vole.

Ses hanches viennent cogner lesmiennes avec force, un mouvementpuissant qui me livre à lui. Je le laisse

aller et venir, profitant de son corps dontles muscles se contractent pour me fairel’amour.

Puis, alors que je le sens sur le pointde partir, je le pousse aux épaules etnous roulons. Je me retrouve perchée au-dessus de lui, les jambes écartées, sonsexe en moi. J’ondule, le faisant entrer etsortir, mes mains agrippées en haut deson ventre.

Ses yeux parcourent ma poitrine, sesmains profitent de mon corps, glissentsur mes cuisses, tirent sur mes jambespour m’empaler plus profondémentencore sur lui.

Son regard est devenu exigeantD’ordinaire, lorsque je suis dans cette

position, j’aime m’amuser avec leplaisir de l’homme sous moi, mais cettenuit, tout cela prend un côté mystique quim’impressionne.

Adam me force à accélérer le rythme,il faut que je le freine pour que nous nejouissions pas trop tôt. On dirait qu’il asoif de moi, depuis longtemps et qu’iltente d’étancher sa convoitise le plusrapidement possible.

Je soulève mes hanches, le faisantsortir un peu. Me penchant en avant pourcaler mieux le poids de mon corps, jefais monter et descendre mon bassin lelong de sa queue en de brefsmouvements d’abord avant de me laissertomber sur lui afin qu’il me pénètretotalement.

Il grogne et cesse de me pousser àsuivre son rythme, me donnant enfinlibre champ pour lui imprimer le mien.Je veux d’abord que la tension monteavant de lâcher la bride. Aussi poursuis-je mes ondulations jusqu’à ce qu’ils’abandonne, que je sente son corps selaisser aller et me suivre totalement. Sesyeux se ferment. Une nouvelle barrière asauté. Adam ne réfléchit plus, il neprend plus. Nous faisons l’amour. Il mefait l’amour. Vraiment. Sans arrière-pensées, sans réflexions, en étant portésimplement par les sensations qui nousunissent.

Alors seulement je lui laissel’initiative sans lutter, et m’abandonne àmon tour pour profiter pleinement de la

puissance de son corps musclé. Il mesoulève dans ses bras, en quelques pas,nous sommes sous un arbre. Adamplaque mon dos contre l’écorce lisse etchaude.

Il me soutient sans effort aucun, lesdeux mains sous mes fesses. Il mesoulève au-dessus de sa queue et souffleà mon oreille :

- Depuis la première seconde où jet’ai vue, j’ai rêvé de te prendre ainsi.

Et il me laisse retomber sur lui. Mecoinçant entre son corps et l’arbre, il mepénètre profondément, accélérant sonmouvement jusqu’à ce qu’une vague deplaisir m’emporte.

17. Rejetée- Emma Wilde, murmure-t-il dans le

noir.Je suis allongée contre lui dans la

maison où nous dormons et où noussommes revenus. La lune filtre à traversl’entrée et dessine une trainée argentéesur le sol. Ma tête se lève et s’abaisseau rythme de sa respiration. Mon doigtdessine les contours des muscles de sontorse.

Il est tellement beau.- Je dois reconnaître que si tu m’avais

dit de but en blanc ce que tu étais venue

faire à Aguabonita, je ne t’aurais pasaidée. Je t’aurais envoyée balader.

- Je sais.- Attention, je ne dis pas que c’était

une raison pour me mentir.- Je sais.Il soupire.- Je regrette simplement que tu ne sois

pas réellement venue pour les Nukak. Sipeu de monde s’intéresse à eux.

- Ils m’intéressent.Adam se redresse sur un coude, ce qui

m’oblige malheureusement à quitter maposition confortable :

- C’est vrai ? me demande-t-il en me

regardant dans les yeux.- Oui. Parce que tu les aimes, je me

suis mise à les aimer. Et puis, je suis unedes descendantes de l’ancêtre animal,souviens-toi ! Ce n’est pas un héritagequ’on refuse facilement.

Il rit dans le noir. Mais ce n’est pas laréaction que j’attends. Je lui ai fait unaveu tout à l’heure dans la jungle. Unaveu risqué. Je lui ai dévoilé messentiments, il n’a rien répondu. Il n’estpas revenu dessus. Je suis saisie depuisd’une grande fébrilité. Je crève d’enviede savoir ce que lui ressent pour moi. Jeme doute que ce n’est pas aussi fort,j’espère simplement un petitfrémissement.

Mais comment lancer le sujet ? Je memordille les lèvres. Je ne peux pas luijeter : « au fait, j’ai dit que j’étaisamoureuse de toi, et toi ? Tu esamoureux de moi ? » Ma franchise mepousse :

- Tu… Adam je…Mais impossible de finir ma phrase.

J’ai à la fois mal et peur, moi que rienn’affole jamais, je tremble.

- Oui ? Quelque chose à me direEmma Wilde ?

Je décide de laisser ce sujet épineuxpour plus tard, m’assieds et lui envoieune petite tape :

- Dis donc toi, depuis que tu as

découvert mon vrai nom, tu ne t’enlasses plus !

Il se redresse à son tour et passe sesbras au-dessus de moi, approche seslèvres des miennes et m’embrasselégèrement en murmurant tout près de mabouche :

- C’est parce que je trouve EmmaWilde très, très sexy.

Je ris nerveusement.- J’avais un copain quand j’avais

quinze ans qui s’appelait Wilde,poursuit-il.

- Ah bon ? C’est un nom de familleplutôt répandu.

- Aux Etats-Unis oui, mais pas en

France.- Ma famille est franco-américaine. Il

était sympa ton copain ?- Non, pas vraiment.Je m’exclame :- Ça me touche beaucoup de savoir

que tu as déjà croisé un Wilde par lepassé et que tu ne l’as pas apprécié.

- Bah, nous étions ados. C’était unpetit con bourré de fric, le fils d’unmagnat de l’industrie, exactement legenre de personne que je déteste.

Je me raidis en l’entendant dénigrerceux qui ont ce type d’héritage etregarde ailleurs en soufflant :

- Son prénom n’était pas Noah parhasard ?

- Attends, oui !- C’est mon cousin. Nous sommes très

proches.Il s’écarte et me considère :- Tu es de la famille Wilde. Je veux

dire, LES Wilde ?Je hoche à nouveau la tête. Même si je

leur ressemble peu, pas question de lesrenier. Mais Adam éclate de rire.

- Une Wilde en plein milieu de laforêt amazonienne, c’est trop fort.

- Ne te moque pas, ce n’est pas unhéritage facile à assumer.

- Oh, pauvre petite fille riche, semoque-t-il.

Je le repousse. Il plaisante, et il n’apas tort, mais tout de même ce n’est pastrès agréable. Il comprend et passe undoigt le long de ma joue.

- Tu pourras dire à Noah que je luipardonne d’avoir été un sinistre crétin àl’adolescence.

- Je transmettrai.- Ça et que les Nukak ont besoin de

son chéquier…- Oh, tu m’utilises déjà ! m’écrié-je en

mimant un air blessé.- Je t’utiliserais bien d’une autre

manière, me répond-il en me saisissant

par la taille et en me collant à lui.Je pose mes deux mains sur son grand

torse.- Et Jack Cabualca ?Il me relâche aussitôt. Et reste

silencieux.- Ok, marmonné-je.On peut parler de moi, mais toujours

pas de lui visiblement.- Donc je résume ce que je sais sur toi

: tu es médecin, tu vis depuis deux ansavec les Nukak que tu veux absolumentsauver de l’extinction, tu détestes un mecqui s’appelle Jack Cabualca. Tu asconnu mon cousin ado et que tu nel’aimes pas. Point.

Je lui jette un regard en biais, maisson visage est froid et il regardeailleurs. Je pose une main sur sa cuisse :

- Tu ne crois pas que j’ai envie d’ensavoir plus sur toi ?

Il grogne :- Il ne faut pas en savoir plus sur moi.Je retire ma main, surprise :- Ah si, j’oubliais. Je sais aussi que tu

es un ours.Il hausse les épaules. Mais je suis

vraiment blessée par cette attitude. Je luiai ouvert mon âme sous la pluie et lui nepartage même pas avec moi la moindrepetite information sur l’homme qu’il est.Je me lève et vais à la porte. Au bout

d’un moment, deux mains se posent surmes épaules. Adam est derrière moi et ilm’attire contre lui. Incapable de luirésister, je me laisse aller en arrière etrepose ma tête sur son torse.

- Pardon, murmure-t-il. Cela fait deuxans que je vis seul avec cette populationdans un camp de réfugié. La vie y estrude, souvent triste et je croise rarementun visage amical. Je crois que je ne saisplus faire.

- C’est bien ce que je dis, tu es unours, affirmé-je à nouveau.

Un silence. Puis j’essaye :- Adam, qu’est-ce que tu ressens pour

moi.

Oh, ce n’est pas vrai ! On dira uneado amoureuse de son premier mec.

Ses mains qui allaient et venaientdoucement le long de mes bras arrêtentleur mouvement. Je sens qu’il s’estraidi. Je ferme les paupières, ne sachantà quoi m’attendre, le cœur battant :

- Je… c’est… tu ne peux pas medemander ça, finit-il par lâcher.

Mon cœur se fissure profondément. Jesiffle, atrocement blessée :

- Tu veux dire que je ne peux pas tedemander si je compte un tant soit peupour toi ou bien si tu m’as juste baiséeparce que tu ne sais pas tenir ta bite sage? Tu veux dire que je n’ai pas le droit de

te demander ça ?Je m’écarte de lui et rentre dans la

maison. Il reste un moment debout sansrien dire. Je préfère me coucher en luitournant le dos. Pas que je me pensecapable de m’endormir une seuleseconde, mais je ne veux toutsimplement plus lui parler.

- Emma, c’est… difficile.- Pour moi aussi. Mais je t’ai dit ce

que je ressentais. C’est quelque chosequi est difficile pour toi, pour moi, pourtout le monde. C’est un risque qu’onprend de se dévoiler. Je l’ai fait et je meprends un mur de mutisme en retour. Jepréfère encore si ce n’est pasréciproque, que tu me le dises

franchement, que je sache à quoim’attendre.

J’avais songé ne plus lui adresser laparole de toute ma vie, mais je ne saispas ruminer dans mon coin. Je suis unmini volcan en ébullition qui finittoujours par exploser.

Adam quitte l’entrée de la maison etvient s’assoir à côté de moi, pose unemain sur mon épaule. Je me dégage.

- Emma…- Si c’est pour finir ta phrase en me

disant que c’est difficile, je te jure queje t’étrangle.

- J’allais te dire que…Je me retourne, me redresse sur mes

coudes et le regarde, fâchée, au plusprofond des yeux. De la pitié se peintsur son visage. Je n’aime pas ça. Lesquelques morceaux de cœur encoreintacts qui me restent se retiennent debattre.

- J’allais te dire que je te trouvevraiment sympa.

Aïe.- Mais je ne ressens rien pour toi. Je

suis désolé.Ça y est. Je n’ai plus de cœur du tout.

Il a tout brisé, tout piétiné, toutmassacré. J’ouvre la bouche, mais qu’ya-t-il à dire ? Je me contente de luirépondre froidement :

- Ok. Merci pour ta franchise.Et je m’allonge à nouveau en lui

tournant le dos. Je l’entends s’installerpour la nuit dans un hamac. Mes jambessont sciées par la douleur atroce qui mevrille les entrailles. Je n’aurai pas lecourage de me traîner jusqu’au mien.Alors je reste par terre, priant pour quela douleur cesse rapidement. Mais elleme tient éveillée longtemps dans la nuit,des larmes coulant silencieusement surmon visage.

***La maison est vide. Le jour se lève.

La lumière est grise et sans quitter maposition fœtale à même le sol, je devineque s’il ne pleut pas, le ciel doit être

chargé de nuages. Quelques images mereviennent en mémoire comme desflashs. Moi et Adam, sous la pluie, dansla boue. Je n’ai jamais rien connud’aussi intense émotionnellement.

Où est-il ?Il n’est pas là. Pas besoin de regarder

autour de moi, je sens son absence dansma propre chaire. Mais ce qui me jettehors de ma torpeur, c’est que si lui n’estplus là, son sac a également disparu.

Ça, c’est mauvaise signe.Je me redresse en toute hâte et cours

hors de la maison. Le vent balaye lestoits de palme. Quelques indiens Nukakme saluent et malgré mon inquiétude, je

leur rends leur bonjour. Je cours vers laplace où a eu lieu hier la cérémonie. Il yrègne une grande agitation. Les hommesen armes à la solde des narcos courentvers les 4x4 qui les ont amenés ici laveille.

Jack et Adam sont debout l’un à côtéde l’autre près de la voiture d’Adam. Jefonce sur eux. J’ai très bien compris : jene sais pas où tout le monde s’en va,mais ces deux-là, malgré leur différent,ont décidé de lever le camp sans moi.

C’est Cabualca qui me voit lepremier. Ses yeux verts me fixent alorsqu’il jure entre ses dents. Sa réactionfait se retourner Adam. Il fait quelquespas vers moi en levant le bras pour

tenter de me calmer. Car je fulmine et jen’ai pas besoin de dire ce que je pensede leur petit stratagème, cela se litclairement sur mon visage.

- Emma, reste où tu es, tente Adam.- Compte là-dessus.- S’il te plait, insiste-t-il.Je n’aime pas ce ton, on dirait qu’il

s’adresse à une petite fille. Je le fusilledu regard :

- Et tu comptais t’enfuir sans mêmeme dire au revoir, après la nuit eu nousavons passée ensemble, très classe,bravo.

Jack a entendu et il porte une main àsa poitrine. Ses prunelles électriques

m’assassinent par-dessus l’épauled’Adam.

- Parce que ce n’est pas ce que tum’as fait peut-être ? gronde-t-il.

- Oh ça va toi, lui répond Adam sansse retourner et tentant de m’arrêter alorsque je fais tout pour le déborder etatteindre la voiture.

Jack hausse les épaules et lance :- Il faut partir maintenant, on est

attendu.- Attendu où ? lui demandé-je en

snobant Adam.Lui, il ne perd rien pour attendre.- À un endroit où toi, tu ne te rends

pas fillette, me balance-t-il.Fillette ? Je vais le tuer.Mais Adam me retient par les épaules

:- Emma, tu restes ici. Là où nous

allons, c’est trop dangereux.- Et vous avez décidé de ça comme

des grands garçons, entre mecs ?Jack rit jaune, installé sur le siège

passager de la voiture d’Adam. Cedernier a un soupire agacé. Mais ilprend sur lui et me secoue pour meforcer à le regarder. Alors je plante mesyeux dans ses prunelles grises. Ellessont suppliantes. Il baisse la voix :

- Emma. Ici tu es en sécurité. Reste

avec les Nukak. En cas de pépin, ils tepermettront de fuir. Je vais retrouver tonami, et je te le ramènerai, fais-moiconfiance.

Je le regarde de travers. Il est sincère.Pensant que je suis en train de faiblir, ilinsiste :

- Fais-moi confiance. Attends-moi ici.Si dans deux jours je ne suis pas deretour, demande-leur de t’aider àrejoindre Pitalito. On se retrouvera là-bas. Emma…

Je ne réponds d’abord rien, mais il neme lâchera pas tant que je ne luimontrerais pas que je me plie à savolonté.

- Emma… dit-il encore.Avec difficulté, je me force à hocher

la tête.- C’est oui ? me demande-t-il, le

visage éclairé.- C’est oui.Alors il me sert contre lui. Je me

laisse aller contre ce torse si solide.J’aime sa chaleur, son odeur, sa force. Ilme relâche trop tôt à mon goût ets’éloigne en souriant, rassuré sur monsort.

- Dans deux jours, articule-t-il avantde prendre place derrière le volant auxcôtés de Cabualca.

Celui-ci regarde obstinément ailleurs.

Mais je m’en fiche bien. Je suisbeaucoup plus intéressée par lasilhouette de mon amie Nukak, la jeunemaman qui m’a peint le visage hier. Ellesuit la scène de loin depuis tout àl’heure. Je lui fais signe et désigne lesdeux hommes dans la voiture. Elle merenvoie un hochement de menton.

Je sais qu’elle a compris quelquechose, mais quoi ? Aucune idée.

À mon grand soulagement, elle courtdroit vers Adam et Jack, les empêchantde démarrer. Elle se penche par-dessusla portière et saisit les mains d’Adam,les serre et commence à lui parler àtoute vitesse. Jack hausse les épaules etbougonne, contrarié que le départ soit

une nouvelle fois retardé.Ça alors, elle m’a vraiment comprise

!Je profite de l’attention détournée des

mecs pour me précipiter à l’arrière duvéhicule. M’accroupissant pour rester endessous de leur champ de vision s’ilsdécidaient de se retourner, je décrochele coffre sans bruit, soulève la bâcheprotégeant les diverses fournitures etprovisions et m’y creuse une place enles poussant rapidement à droite et àgauche, enfin, je me glisse dans le trouaménagé et referme le coffre derrièremoi.

J’entends la conversation s’achever.Adam démarre et le véhicule se met en

branle, cahotant à travers le village. Jesoulève la bâche au moment où nousquittons le camp. Mon amie est derrièrele véhicule et elle m’adresse un aurevoir de la main auquel je réponds parun immense sourire.

Adam et Jack ont essayé de sedébarrasser de moi… Ils meconnaissent bien mal…

18. Curieusegénéalogie

La voiture roule depuis une bonneheure en direction du sommet de lamontagne, s’enfonçant de plus en plusprofondément dans la forêt amazonienne.Les nuages se sont dissipés et le soleilcogne fort sur la bâche sous laquelle jeme suis dissimulée. Nous sommesdorénavant, à mon sens, bien trop loind’un quelconque village pour qu’Adamet Jack décident de m’abandonner là.

Si je sors maintenant, ils ne pourrontque m’emmener avec eux, ils n’auront

pas le choix… et cela m’évitera de cuireà point.

Je pouffe en pensant à la tête qu’ilsferont ces deux abrutis qui restentobstinément muets depuis leur départ. Jevais me faire disputer, c’est certain.Autant soigner mon arrivée. Je meretourne vers l’avant du véhicule etrampe sous la bâche pour remonter dansle coffre et atteindre la paroi qui mesépare de l’habitacle ouvert. Puis jesoulève en silence la bâche, m’assiedsen tailleur tranquillement et ne dis rien.

J’ai été tellement discrète qu’ils n’ontpas noté ma présence. J’ai beaucoup demal à me retenir de rire. Ils sonttellement concentrés, font tellement

d’efforts pour s’ignorer, Adam, courbésur son volant, rageur, Jack le regardobstinément fixé vers l’extérieur…

Le reste du convoi file devant notrevoitures ; plusieurs 4x4 sur lesquels sontjuchés les hommes de main des cartels.

Je finis par soupirer :- Bon sang ce qu’il fait chaud ce matin

!Les deux sursautent, se retournent. Je

leur adresse mon plus beau sourire.Adam fait une embardée qui manque denous précipiter dans un ravin ou contreun tronc d’arbre. Je tombe à la renverseet me relève une fois le véhiculestabilisé en éclatant de rire :

- Ça va les gras, ne faites pas cettetête ! Ne me dites pas que vous êtessuffisamment idiots pour avoirsincèrement cru que vous vousdébarrasseriez de moi en me demandantsimplement et gentiment de vous attendreau village !

- Emma, gronde Adam, c’est vraimentstupide ce que tu as fait.

Je le toise. La douleur que j’airessentie lorsqu’il a rejeté messentiments cette nuit est intacte.

- S’il y a bien une personne sur terrequi n’a pas le droit de me demanderquoi que ce soit, c’est bien toi.

Ses yeux gris vacillent un instant. Jack

regarde Adam avec un sourire ironique.Il ignore ce qu’il s’est passé cette nuit,mais la tension entre Adam et moi à l’airde lui faire vraiment plaisir.

- Adam, je t’avais dit qu’il fallaitl’attacher à un poteau.

Je lui envoie une tape derrière la têteet il rit.

- Je suis content que tu sois là Emma,me répond-il.

Je le désigne des mains à l’attentiond’Adam :

- Ah, voilà un gentleman. Toi tu ne dismême pas bonjour.

Adam hausse les épaules et reprendson attitude fermée. Il grogne à Cabualca

:- Ce n’est pas très malin de

l’encourager, Jack. Ne va pas la fourrerdans des situations dangereuses.

- Elle est très douée pour se mettre endanger toute seule comme une grande,lui rétorque-t-il, cassant.

J’applaudis :- Parfaitement ! appuyé-je.Et j’enjambe la séparation entre le

coffre et l’habitacle pour m’installerconfortablement entre eux surl’accoudoir que j’ai baissé entre lessièges, suffisamment large pouraccueillir mon petit derrière. Les cahotsde la piste me projettent alternativement

contre les épaules de l’un et de l’autre.Je les regarde, Adam magnifique avecses cheveux doux, ses lèvres fermes etsa carrure si massive, et Jack avec sescheveux noirs, sa peau couleur debronze et ses yeux verts perçants.

Je me suis peut-être brisé le cœur enme heurtant à la montagne Adam, mais jene pourrai pas dire au moins que jen’aurai pas passé de très agréablesmoments sensuels avec deux hommesmagnifiques dans cette aventure.

- Alors ? Où va-t-on ? demandé-jeCette fois, c’est au tour d’Adam de

laisser se dessiner sur son visage unpetit sourire ironique et Jack de serenfrogner.

Mais personne ne prend la peine deme répondre.

***La route est longue et nous nous

enfonçons toujours plus profondémentdans l’Amazonie. Les pentes se font plusescarpées. Je devine que nous nousdirigeons vers un lieu qui a étésoigneusement choisi pour être difficiled’accès. Je suis bringuebalée d’un côtéet de l’autre et mon épaule heurtealternativement, le torse long et élancéde Cabualca, et celui, musclé et massifd’Adam.

J’essaye de ne pas trop songer à quelpoint mes sentiments pour le beaumédecin sont puissants. Mais je suis

forcée de reconnaître que l’ambiance estétrange. Jack semble tendu vers moi,mon attention est fixée sur Adam etAdam, lui… boude.

Il boude, vraiment, cet abruti. Courbésur le volant, les yeux étrécis, il sembleparticulièrement en colère. À cause dela présence de Cabualca, de la mienne.Plusieurs fois je tourne la tête vers lui,ouvre la bouche, ne sais que dire, lareferme.

Au bout d’une bonne heure de route,je sens les yeux de Jack posé sur moi etrelève la tête. Comme personne neprononce un mot depuis que j’ai jaillicomme un diable hors de sa boîte dedessous la bâche, il me fait une grimace

comique l’air de dire « sympal’ambiance » en désignant Adam dumenton. Je hausse les épaules pour luifaire comprendre que je partage sonavis, mais ne vois pas trop qu’y faire.

Alors que je m’apprête à me laisseraller à nouveau, il saisit ma main à maplus grande surprise. Adam fait uneembardée, je suis secouée comme unprunier, les doigts de Jack lâchent lesmiens et il me retient alors que jemanque de m’écraser contre leparebrise, me ramène contre son torse etme serre fort. Je tourne un visagecourroucé vers Cabualca :

- Hey ! Ça ne va pas !Adam m’ignore royalement et grogne

sans quitter les yeux de la route àl’attention de Jack :

- Ne la touche pas.- Ce n’est pas à toi d’en décider.Je réalise alors que Cabualca me tient

toujours fermement contre lui. Ce quin’est pas désagréable, mais là n’est pasla question. Je me dégage :

- Non, effectivement, c’est à moi d’endécider, lâché-je en le regardant,mauvaise.

Puis je les examine alternativementtous les deux et m’exclame :

- Oh ! C’est fini le duel de mâles enrut ? Pouvez-vous cesser de vous battredeux secondes pour mes beaux yeux.

- Je ne me bats pas pour… tenteAdam, mais je le coupe en le regardantironiquement.

- Ah oui ?Il hausse les épaules et se concentre à

nouveau sur la route. La piste défile etnous plongeons encore une fois dans lesilence le plus total. Je soupire.

- Sympa l’ambiance, marmonné-je.Enfin, à mon grand soulagement, nous

débouchons sur un terrain qui sembleêtre le jardin d’une propriété.

- Wahou !Et c’est vrai que le paysage est

magnifique. Les flancs de la montagneont été débarrassés de leur végétation

épaisse, des plantes tropicales répartiesharmonieusement ont été disciplinées etexplosent de couleurs toutes plussplendides les unes que les autres.J’admire. J’ignore quel type dejardiniers gravitent à une telle altitude,mais ils sont doués.

Au détour d’un virage, nousparvenons à la demeure en elle-même. Àcouper le souffle. Immense, touteblanche avec des colonnades et deuxétages. Un vrai palace au milieu de laforêt amazonienne. Je n’aurais jamaisimaginé ça.

- C’est superbe. Chez qui est-on ?- Pablo, souffle Cabualca. Et cela n’a

pas l’air de le réjouir.

Je fronce les sourcils et mordillel’intérieur de ma bouche pensivement.

- Laissez-moi deviner : c’est le chefdes narcos, n’est-ce pas ?

- Bien joué Emma, tu comprendspourquoi je ne voulais pas que tuviennes ? Grommelle Adam.

Mais je le snobe et ne prends mêmepas la peine de lui répondre. S’il adécidé d’être de mauvais poil, hors dequestion de perdre du temps avec lui. Ilaurait voulu que je l’attende sagement aucamp Nukak comme une bonne petitefille ? Je suis on ne peut plus ravied’avoir été désobéissante. Je ne pouvaispas rêver mieux que de me retrouver ici.S’il existe la moindre petite chance de

retrouver Jeff, c’est dans cette maisonque je réaliserais l’exploit.

Nous nous garons devant l’entrée dela maison. Plusieurs hommes et femmesgravitent entre le perron et les jardins etje suppose qu’il s’agit des employés demaison du fameux Pablo. Et au moins, jen’ai pas besoin de me demander d’où iltient son immense richesse.

Un homme, en nous voyant, court versl’intérieur de la demeure, probablementpour prévenir l’hôte de notre arrivée.Adam et Jack descendent et je saute duvéhicule à mon tour, mon sac enbandoulière :

- Vous savez les gras, vous n’avezmême pas pris la peine de m’expliquer

ce que vous, vous fichez ici et pourquoiun chef des narcos a soudain très enviede vous voir.

Adam a un curieux sourire et jette unregard mauvais à Cabualca. Ce derniern’en mène pas large. Ravi de la réactionde Jack, il siffle :

- Alors mon vieux, tu expliques àEmma pourquoi ton père est toujours siheureux de te voir ?

Cabualca se redresse de toute sa hautetaille et fusille Adam de ses prunellesvertes électriques.

Attends, quoi ?- Ton père ? bafouillé-je en

écarquillant les yeux.

À cet instant, la porte d’entrée de lasplendide demeure s’ouvre à la volée etun homme trapu au visage méchammentbalafré se précipite vers nous en ouvrantgrand les bras et s’écrit en espagnol :

- Jack mon fils, je suis si heureux dete voir.

Et il saisit l’immense Cabualca entreses bras pour le presser sur son cœur.

19. Un dinerpresque parfait

Je ne sais plus quoi dire. Je suistotalement larguée. Voilà une donnée del’équation que j’étais très loin d’avoirdevinée. Cabualca est le fils du chef desnarcos. Ok. On nage en plein dans ungrand n’importe quoi. Je me tourne verslui, les yeux ronds comme dessoucoupes alors que son père lui lancede grandes tapes dans le dos.

- Ça va, ne me regarde pas comme ça,siffle-t-il entre ses dents.

- Tu ne penses pas que tu aurais pum’en toucher un mot, soufflé-jefroidement.

Il hausse les épaules alors que Pablole libère enfin, adresse un grand sourireà Adam en guise de salut :

- C’est vous le médecin ?Adam opine du chef en regardant

Pablo avec une intensité qui me donne lachair de poule. Mais celui-ci neremarque rien, et jovial, me fixe à montour. Il demande à son fils en le poussantdu coude :

- Et cette tigresse, Jack ? Tu ne me laprésentes pas ?

Qu’il cesse immédiatement de me

reluquer avec ses yeux de merlan frit oùje lui colle mon pied…

- Ma fiancée.- Ah ! Mais tu me la cachais !Pablo me saisit la main d’office alors

que je regarde à nouveau Jack avec desyeux entre l’étonnement et une colèreque je pourrais qualifier d’intense. Sonpère me fait un baise-main des plusprotocolaires, puis dans une petiterévérence :

- Si la perle sauvage veut bien mesuivre, je suis ravi de vous accueillir…

- Nina, trouvé-je tout de même laprésence d’esprit de répondre.

- Nina, ma future belle-fille, vous êtes

ici chez vous.Chouette… Me voilà fiancée, sans en

avoir donné mon consentement, au filsd’un narcotrafiquant. Décidément, monsort s’améliore, hier encore, j’étaisl’épouse du médecin le plus sexy maisaussi le plus désagréable sous ceslatitudes.

Pablo me conduit, tandis que je tiresur Cabualca de toute la puissance demes prunelles et qu’Adam, décomposé,ne peut que suivre.

Nous montons au second étage. Pabloouvre une première porte :

- Docteur, votre logement. Puis-jevous voir dans la chambre de notre petit

malade dès que vous vous serez installé?

Adam disparaît sans m’adresser unregard, ignorant mes yeux suppliants.

Est-il tellement vexé ou bien n’en va-t-il plus rien à faire ?

Quant à mon fiancé et moi, nous nousretrouvons dans une suite immense.Pablo, en joie, tapote encore l’épaule deson fils avant de nous laisser, seuls…dans notre chambre :

- Retrouvons-nous pour le dîner,voulez-vous ?

Dès la porte refermée, je jette monsac à terre et fonce sur Cabualca, posele bout de mon index entre ses deux

pectoraux :- Tu vas m’expliquer immédiatement à

quoi tu joues.Jack ne dit rien. Dans ses yeux passe

un mélange de sentiments intenses siemberlificotés les uns dans les autresque je ne sais par quel fil les saisir pourles démêler et les traduire. Il finit parme répondre rageusement :

- Ça va, ok ? Ecoute, j’ai dit que tuétais ma fiancée pour te protéger. Tuaurais préféré que je lui réponde : « hébien voici Emma Wilde. Tu sais, tu asenvoyé tes tueurs pour l’éliminer, maisils l’ont manquée. Tu veux finir letravail toi-même » ?

Pas faux… Mais ce n’est pas laquestion.

- Et tu as juste oublié de me parler depapounet quand nous nous sommesrencontrés.

- Ce n’est pas… Je ne peux rien tedire. Mais je t’en prie, fais-moiconfiance.

- Confiance ? Tu es sérieux ?Il ouvre la bouche, aucun son n’en

sort, mais ses prunelles habituellementd’un vert glacial, sont si chaudes qu’unfrisson me parcourt. Quand il meregarde ainsi, je suis toujours troublée etdésarçonnée par les sentiments que jecrois deviner.

- Emma, murmure-t-il.Je fais un pas en arrière, son ton

suppliant et tendre me poussant à êtresur la défensive.

- Jack, non…- Non quoi ?- Je ne sais pas, mais non, ne rajoute

pas un mot.Cabualca fait un pas en avant.

L’atmosphère c’est soudain réchauffée,et dieu sait qu’il fait une chaleur torridedans ce pays. Alors qu’il avance,machinalement je recule. Je redoute cesmoments où il entre dans mon espaceintime. L’attirance qu’il exerce sur messens est puissante et défie tout, même

l’agacement systématique qu’ilprovoque chez moi.

Mais il ne m’écoute pas, avanceencore. Je recule. Il tend les mains versmoi. Je fais un bond en arrière et mondos heurte un mur. Les yeux de Cabualcasont vrillés tout au fond des miens et ilse rapproche encore. Il n’y a plus qu’unmince espace entre son corps et le mienet je suis obligée de lever la tête pour nepas baisser le regard. Je le défi duregard, lui coule la lueur électrique deses prunelles dans les miennes :

- Emma, murmure-t-il encore.- Quoi Emma ? rétorqué-je sur un ton

désagréable.

Il soupire et pause sa main à plat surle mur à côté de mon épaule, se penchevers moi.

- Arrête de me repousser.- Je ne te repousse pas.- Si. Tu… Je voudrais tellement…Un silence s’installe. Je tente

d’échapper à ses yeux mais ils metiennent.

- Emma, enfin, tu ne comprends pas ?- Comprendre quoi ? réponds-je en

faisant tout pour qu’il cesse cettediscussion et n’aille pas plus loin dansses propos.

Mais c’est peine perdue.

- Emma, je suis complètement dinguede toi depuis la première fois où je t’aivue. Enfin, ça…

Il fait aller ses doigts de sa poitrine àla mienne et laisse sa main posée surmoi. Sa chaleur me gagne et mon cœuraccélère.

- Ce courant entre nous, Emma, tu nepeux le nier, je n’admettrai pas que tuprétendes ne pas le ressentir toi aussi,c’est bien trop fort. Emma, je n’aijamais rencontré quelqu’un comme toi.Et chaque fois que tu me repousses, tume déchires le cœur.

Je me mords les lèvres et parviensenfin à détourner le regard.

Chaque fois qu’Adam me repousse,cela me déchire le cœur…

J’évite son regard, ne réponds rien.Alors il frappe du plat de la main le murderrière moi, ce qui me fait sursauter.Cabualca s’énerve et son ton monte :

- Tu l’aimes, c’est ça ? Tu aimes ceconnard d’Adam !

- Ne parle pas de lui comme ça !Jack s’éloigne et pointe son doigt vers

moi. Ses traits sont crispés. Je ne l’aijamais vu dans un tel état.

- Si cela t’a choquée que Pablo soitmon père, attend de découvrir qui estAdam en réalité. Et on verra bien si tucraques toujours pour lui à ce moment-

là. Mais sache que je me battrai pour toiEmma, dussé-je le tuer pour t’avoir.

Et sur ces mots, il sort de la chambreen claquant la porte. Je reste un instantébahie devant la violence de ses propos.Puis, trop remuée, un vertige me prend etje fais quelques pas avant dem’effondrer sur le lit. Tout celam’épuise.

Qui est Adam en réalité ?Je secoue la tête. Je sais que cet

homme a des secrets. Il ne parle jamaisde lui. Mais j’aurais cru que ces secretsétaient avouables et qu’il les gardaitpour lui par pudeur, parce qu’il a du malà faire confiance. La déclaration de Jackme fait peur. Qu’est-ce qu’il cache en

réalité ? Fidèle à moi-même j’ai enviede foncer le voir et d’exiger uneexplication. Mais je ne sais pas où letrouver et ce comportement serait pourle moins étrange vu que je suis censéeêtre la fiancée de Jack.

Il m’a bien piégée celui-là. Enfin…Ai-je le choix ? Absolument pas. Donc,je ferai avec. L’heure du dîner approche.C’est la première fois que je dîne à latable d’un narcotrafiquant, tiens ! Etpourtant, j’en ai vécu des trucs tordusdans ma vie.

Une bonne douche. Mon cœur se serrequand je pense à cette fois, avec Adam,dans la cascade…

J’enlève juste mon tee-shirt et mon

short quand la porte se rouvrebrutalement. Jack entre.

- Hey !Je ne suis qu’en sous-vêtements et me

couvre comme je le peux de mes bras.- Ça va. Ne joue pas la sainte

nitouche. Il me semble t’avoir vue plusdénudée que ça encore, miss pudique.

Je lui tire la langue et laisse tombermes bras. Il s’approche du lit et jettedessus une robe de soirée en soiesauvage légère.

- Un cadeau de mon père pour le dînerde ce soir.

- Une habitude dans votre famille devouloir rhabiller les femmes quand vous

dînez avec elles ? lancé-je me référant àmon diner chez lui quand il avait décidéde bannir ma « tenue de combat »comme il l’appelle.

Il hausse les épaules et s’apprête àpartir, les yeux rivés au sol. Je sais quece n’est pas pour préserver ma pudeur.

- Jack, soufflé-je. Ne sois pas fâché,s’il te plaît.

Il s’arrête, relève vers moi ses yeuxverts perçants. Il soupire et se détend.

- Je ne suis pas fâché.Je lui souris. Je ne sais pas pourquoi,

mais je commence à tenir à lui et celame fait mal qu’il m’en veuille pour lessentiments que je nourris à l’égard

Adam. Il finit par concéder :- Je ne suis pas en colère, je suis

triste. Et j’ai peur pour toi.- À cause de ce que j’ignore sur Adam

?- Oui.- Et toi, en revanche, tu n’as rien à te

reprocher ? Ne m’en veux pas maispremièrement, j’ai beaucoup de mal àcroire que ce que tu ressens pour moi estde l’amour. Une attirance très forte, oui.Quand on est ensemble, c’est électrique.Et on a envie de se sauter à la gorged’abord, pour sauter dans un lit ensuite,ok, mais ce n’est que du désir Jack.Deuxièmement, tu es tout de même le fils

de Pablo. Je pense que des deux, c’esttoi le plus dangereux.

Cabualca reste planté un instantdevant moi. Mille pensées s’agitent danssa tête. Plusieurs fois, il ouvre la bouchemais rien ne sort, comme s’il ne savaitpar où commencer. Enfin, il finit par sedécider et me tend la main, m’attire surle lit et me fait asseoir à côté de lui. Jetrouverais peut-être étrange avecn’importe qui d’autre d’avoir unediscussion sérieuse en petite culotte etsoutien-gorge, mais une intimité faciles’est nouée entre nous.

- Emma, ce que je vais te révéler estun secret d’État. Alors tu la boucles ok ?

- Très agréable comme entrée en

matière dis donc. Et puis c’est demandési gentiment.

Il me fixe, exaspéré. Je lèvre les brasen signe de reddition.

- D’accord, d’accord. Tu as maparole.

Il prend un instant et baisse le tonavant de poursuivre :

- Je suis à moitié Colombien, mais jen’ai pas été élevé dans ce pays. Mamère est américaine. Lorsqu’elle étaitétudiante, elle est partie avec une amiepour un trip en Colombie et quand elleest revenue après le sprint break, elleétait enceinte de moi. Elle m’a gardéavec l’aide de ses parents. Elle a fini

ses études et elle s’est mariée avec unaméricain, puis elle a eu ma sœur,Samantha.

- C’est pour ça que ta sœur étaitblonde, n’est-ce pas ?

- Oui. C’est ma demi-sœur et commenos pères n’ont pas la même couleur depeau…

- Je comprends.- J’ai grandi en ignorant qui était mon

père. Je le fantasmais et j’en voulais àma mère. Mais elle est tout pour moi.J’ai été un enfant très sage, unadolescent modèle, un excellent étudiant.J’ai intégré une excellente fac grâce àmon don pour le basket, essentiellement

dû à ma grande taille je ne te le cachepas. Quoi qu’il en soit, j’étais endernière année, à la veille de passermon examen pour devenir avocat. LaCIA est venue me trouver.

- La quoi ? m’écrié-je.Il fronce à nouveau les sourcils.- Ça va, tu me laisses poursuivre ?Je hoche la tête. Je suis captivée par

son histoire.- Ils ont frappé à ma porte un soir. Je

crois que je m’en souviendrais toute mavie. Ils m’ont balancé la vérité sur mesorigines. Que mon père était Pablo etqu’il était un des narcos les plusdangereux de Colombie. Qu’ils avaient

besoin de moi pour le faire tomber. Jeles ai envoyés bouler. Je refusais de lescroire. C’était trop dur. Je n’ai pas parléde cette visite à ma mère. J’ai tout gardépour moi. La vie a continué. J’aidécroché mon diplôme et je me suisorienté dans la lutte contre la drogue,travaillant entre les Etats-Unis et Bogotaoù j’avais installé mes bureaux et mamaison, même si je m’y rendais peu. Mamère a trouvé ce choix étrange mais jene lui en ai pas expliqué les vraiesraisons. Moi-même, je pense que jecherchais à découvrir la vérité sans lesavoir. Ma sœur grandissait elle aussi.Elle se destinait à une carrière dansl’humanitaire. Lorsqu’elle avait vingt

ans, elle a voulu s’engager. Elle estpartie un an en Colombie pour uneassociation. Et elle est tombéeamoureuse d’un homme qui travaillaitavec elle. Un médecin. Elle a commencéà donner de moins en moins denouvelles, puis plus du tout. Un soir jel’ai appelée : elle était profondémentmalheureuse mais elle a refusé de medire pourquoi. D’après ce que j’aicompris, l’homme lui avait brisé lecœur. Elle ne s’était jamais sentie aussimal. Après avoir raccroché, j’ai pris lepremier avion. J’étais très protecteuravec elle. C’était ma petite poupée,j’étais son grand frère adoré. Maislorsque je suis arrivé le lendemain, elle

était morte. Les narcos l’avaientassassinée.

- L’homme qu’elle aimait, c’est Adamn’est-ce pas ?

Les mâchoires de Jack se crispent et ilinspire profondément. Ses yeux sonthumides de larmes. Je pose ma main surla sienne. Il baisse le regard sur mesdoigts et les prend entre les siens.

- Il l’a tuée.Je sursaute. Mon cœur s’arrête de

battre un instant.- Tu veux dire qu’Adam a tué ta sœur

?- Pas directement. Oh lui ! Pour

trouver à lui reprocher quelque chose !

C’est le type le plus droit de la planète.Il en est chiant à mourir. Il est tellementintransigeant ! Sa morale… Il n’y a queça qui compte. Du coup, il en oublied’avoir un cœur. Il a blessé ma sœur quiétait amoureuse pour la première fois etau lieu de prendre des gants, il lui ajuste balancé qu’il ne voulait pas d’elle.Elle s’est enfuie, seule dans le campd’Aguabonita. Et elle s’est retrouvée aumauvais endroit au mauvais moment.C’est Pablo lui-même qui a tiré. Monpropre père.

Jack soupire. L’évocation de cemoment fait revivre des douleurs dont ilne parvient pas à se débarrasser. Je mesouviens de la chambre de sa sœur,

laissée intacte chez lui. Et je n’ai aucunmal à imaginer qu’Adam ait pu semontrer insensible et blesser une jeunefille de vingt ans. Il est si… distant etpeut se montrer si froid.

- Après le décès de Samantha, j’étaisau fond du trou. C’était mon petit trésor.Jamais je ne pardonnerai à Adam de nepas l’avoir protégée. À son enterrement,il n’est pas venu. Cet enfoiré n’a mêmepas fait le déplacement. Ma mère nes’est jamais remise de ce drame et peude temps après elle m’a tout avoué. Ellem’a avoué qui était mon pèrebiologique. Alors j’ai décidé de vengerSamantha et je suis retourné voir la CIA.J’ai accepté leur proposition. J’ai

changé mon nom de famille, ils m’ontconstruit de toute pièce une nouvelleidentité, et je suis allé trouver Pablo. Jelui ai révélé que j’étais son fil. Ce typecouche tellement à droite et à gauchequ’il doit avoir une cinquantained’enfants. Je lui ai plu tout de suite. Ilm’a proposé de jouer double jeu, mebattre pour les familles des victimes enapparence, couvrir ses arrières enréalité. J’ai tout de suite accepté. Celame permettait de gagner sa confiance etréunir des preuves pour la justice. LaCIA est à deux doigts de l’arrêter et dedémanteler la totalité de son réseau.

- Ok.Je me renverse en arrière et m’allonge

sur le lit, regarde en l’air un instant enréfléchissant.

- Et qu’est-ce que c’est que cettehistoire de livraison ?

- Le colis, c’est Adam.Je me redresse brutalement et fixe

Cabualca dans les yeux.- Tu veux dire que tu livres Adam à

Pablo ?- Grands dieux pas comme tu

l’entends ! Non, Pablo élève un garçonici. Un autre de ses fils. Mais l’enfantest très malade. Une malformation denaissance. Adam le soigne depuistoujours. Régulièrement Pablo medemande d’envoyer des hommes

chercher Adam.Je hoche la tête.- C’est une histoire terrible.Jack ne dit rien pendant un temps, puis

il finit par souffler en me regardant enbiais :

- Est-ce que tu… Enfin, ton avis surmoi va-t-il évoluer ?

Je le fixe, étonnée.- Comment ça.- Maintenant que tu sais que je ne suis

pas un horrible avocat sans scrupule,ajoute-t-il en souriant un peu.

Je ris.- Jack, je ne saurai te dire pourquoi,

mais au fond de moi, je n’ai jamais put’assimiler à quelqu’un de malhonnête.Je comprends mieux pourquoimaintenant.

- Ça me rassure.Il ne dit rien à nouveau, mais je

l’observe du coin de l’œil. Je sens bienqu’il y autre chose.

- Quoi, finis-je par lui demander.- Est-ce que cela… me laisse une

chance ?J’éclate de rire.- Une chance de quoi ? Que nous

filions le grand amour toi et moi ?Arrête, je le pensais tout à l’heure. Tu nem’aimes pas, crois-moi. Tu as envie de

me sauter c’est tout.- Jamais croisé une fille qui parle

comme ça ! fait-il semblant des’offusquer.

Je le pousse de l’épaule. Il me pousseà nouveau. Je lui envoie une bourrade, ilm’en envoie une, mais la sienne est tropforte et je bascule sur le lit :

- Hey monsieur biscottos ! Attentionaux jeunes filles fragiles !

- C’est ça… S’il y a une jeune fillefragile dans le coin, je ne sais pas oùelle se planque, mais ce n’estcertainement pas toi.

Je me relève et lui tends la main :- Alors, amis ?

Il regarde ma main et son regard secharge à nouveau de tristesse.

C’est que cet âne pense sincèrementêtre amoureux de moi en plus !

D’ailleurs, Jack secoue la tête :- Je ne pourrai jamais être votre ami

Emma Wilde.Je laisse retomber ma main et lui

adresse une moue réprobatrice.- Pas tant que vous resterez en sous-

vêtements sous mon nez… conclut-il enmatant mes seins.

- Obsédé, réponds-je en riant, mêmesi je sais que sa répartie n’est qu’unediversion.

Je quitte le lit et me dirige la salle debain :

- Maintenant, veuillez me laissermonsieur mon fiancé, je dois aller mepréparer pour notre dîner avec votregentil papounet.

Cabualca rit et me regarde avectendresse. Ce qui comme à chaque foisme met mal à l’aise.

- Allez, tire toi ! le menacé-je.Il se lève enfin et quitte la pièce en me

souriant.Ouf, ça, c’était un échange pour le

moins intense…Je pousse la porte de la salle de bain

et me glisse sous un jet d’eau chaude.

Surtout, me détendre. La soirée prometd’être compliquée. Je n’oublie pas monmeilleur ami, et je compte bien explorerles moindres recoins de cette propriétépour le retrouver si jamais il esteffectivement ici. Je n’ai pas voulu enreparler à Jack, je sais trop qu’elleaurait été la réponse : « tiens-toi sage,c’est trop dangereux ». Peut-être,maintenant qu’il m’a révélé travaillerpour la CIA aurait-il ajouté : « necompromets pas ma mission ! » Etj’aurais eu tout le poids de la raisond’État à porter sur mes épaules.

Lorsque je descends pour le dîner, jesuis bonne dernière. Autour de la grandetable dans l’immense salle à manger sont

déjà assis Adam, Pablo et Jack. Lesdeux derniers se lèvent lorsqu’ilsm’aperçoivent dans l’escalier, Adamreste assis.

Pablo se dirige vers moi :- Ah… Elle est parfaite, mon fils.Il me tend le bras et j’y dépose ma

main. Puis il me conduit jusqu’à maplace. Il m’a installée en face d’Adam etde Jack qui sont côté à côte et près delui. Le chef narcos tire la chaise pourmoi. La galanterie ne se perd pas chezles gros vilains…en revanche chez lesmédecins… car si Cabualca me mangelittéralement des yeux, à tel point que jedois le menacer d’une main discrèted’un grosse fessée s’il continue, Adam

regarde obstinément ailleurs…Partout… mais ailleurs… et il trouve unintérêt soudain pour les rideaux, lessalières sur la table, le manche de soncouteau… Pas moyen de croiser uneseule fois son regard.

Il boude. Vraiment.Ce n’est qu’au dessert que je sens son

regard planté sur moi. Planté, c’est lemot. Car quand nos prunelles secroisent, j’arrondis des yeux surpris.

Mais c’est qu’il est furieux !Oui je me suis incrustée dans leur

petite promenade chez les méchants,c’est bon, on ne va pas y passer centsept ans ! Je suis une grande fille il me

semble. Je prends bien les risques que jeveux ! Je soutiens son regard, le défiantet il finit par abandonner en secouant latête.

Je l’agace aussi.Notre joute de regards a fait de la

peine à Jack, j’en suis désolée. J’aienvie de le prendre dans mes bras pourle consoler. L’idée m’amuse, consolerl’immense Cabualca musclé et commemoi, toujours si sûr de lui. Voilà uneidée pour le moins incongrue.

Pablo passe le repas à mecomplimenter et à expliquer lesmoindres détails de la construction de samaison. Je m’en cocagne mais à un point! Je le laisse déblatérer en souriant

poliment, n’oubliant tout de même pasde noter au passage qu’il évitesoigneusement de parler desdépendances un peu brutes que j’aiaperçues à l’autre bout du jardin lorsquenous sommes arrivés. J’en déduis que sije dois commencer mes recherchesquelque part pour être efficace, ce serapar là.

Enfin le dîner s’achève. La nuit esttombée, un petit vent chaud s’est levé etpousse les odeurs sucrées des plantesextérieures dans la salle à manger. Il y atoujours quelque chose d’extrêmementsensuel dans l’atmosphère de ce pays.

Le café avalé, Pablo nous abandonnesur cet énigmatique :

- Des affaires à régler.Il s’incline devant moi et disparaît.

Adam n’en demande pas plus et quitte latable pour monter directement à l’étage.Il n’a pas décroché un mot de tout ledîner. Je n’ai droit qu’à un froid :

- Nous partons demain.- Sympa, grommelé-je.Mais il ne me répond pas. Je me

retrouve seule avec Jack. Je me tournevers lui et lui sourit, prenant le ton de laplaisanterie :

- Mon futur mari, venez-vous vouscouchez avec moi je suis épuisée.

- Avec plaisir.

Il se dirige vers l’escalier et me prendpar la taille. Mais je me dégage et agiteun index négatif.

- N’en profite pas.Il hausse les épaules et nous montons.

Une fois la porte refermée, je dégrafe larobe et la laisse tomber sur le sol, laramasse et la pends dans la penderiepour qu’elle ne se froisse pas. Un si jolitissu, ce serait trop dommage. Je meretourne pour trouver Cabualca planté,la bouche ouverte :

- Quoi ? l’agressé-je.Il fixe mon corps.- Jack ça va. Toi-même tout à l’heure

tu m’as rappelé à quel point tu

n’ignorais rien de mon intimité.- Je… Ça ne veut pas dire que tu ne

me fais pas d’effets…Je lui fais une moue choquée et me

dirige vers le lit, saisis un oreiller et luibalance. Il le rattrape par réflexe :

- Ton lit, lui lancé-je.Il a ce sourire en coin ironique qui

m’horripile toujours.- Mais bien sûr.Et il se dirige à son tour vers le lit,

s’y allonge. Je reste plantée en sous-vêtements à côté.

- Attends, tu déconnes là Jack? Il esthors de question qu’on dorme ensemble.

Il ferme les yeux et me répondtranquillement :

- Je n’ai pas dit que je voulais dormiravec toi. C’est simplement qu’il est horsde question que je dorme par terre. Toi,tu fais ce que tu veux.

Je regarde la pièce autour de moi. Pasde canapé ni de petit fauteuil. C’est leparquet ou le parquet. Je grommelle,contourne le lit et m’y allonge à montour. Mais je sens la chaleur de Jack àcôté de moi et son grand corps allongétellement attirant. C’est impossible.C’est plus fort que moi. J’ai envie delui. Je ne tiendrai pas. Mais messentiments pour Adam m’interdisent decéder. Il ne faut pas qu’il reste là. Alors

je me tourne vers lui pose à plat mesdeux mains sur le côté de son corps etpousse de toutes mes forces. Il rit maisne bouge pas d’un pouce.

- Hey tu fais quoi là ?- Je te vire, dis-je en recommençant

mon effort.Il s’esclaffe, se retourne à son tour et

me pousse lui aussi. Mais nos forces nesont pas comparables, aussi je glissevers le bord du lit, roule et en un crim’écrase par terre. Je reste assise sur lesol. La tête de Jack apparaît au-dessusde moi, rigolarde :

- Ton nouveau lit est confortable ?Je lui tire la langue et reprends ma

place à ses côtés. Une demi-heure s’estpassée en silence. Je pense à sarespiration qu’il s’est endormi. Moi,impossible. J’ai envie de faire l’amour.La frustration me tient éveillée.

- Jack ? finis-je par souffler.Mais il ne me répond pas. En

revanche mon intervention le pousse à seretourner et il passe son bras autour demoi. Je me crispe. Son torse chaud secolle contre mon côté droit. C’est à lalimite du soutenable. Il a la peauincroyablement douce, je le sais. Et sonsouffle sur mes tempes provoque desfrissons le long de ma colonnevertébrale.

Tant pis, je vais aller m’allonger un

peu par terre en attendant deux heures dumatin, heure que je me suis fixée pourpartir en exploration. Je tente de medégager, mais son bras est lourd. Je lesaisis délicatement et le soulève, lerepose sur le côté. Ouf, je ne l’ai pasréveillé. Je me redresse et pose un piedhors du lit. Mais au moment où jem’apprête à déserter le matelas, deuxgrandes mains m’attrapent, me tirent enarrière et me collent sur le dos.

Un tour de reins et Cabualca estallongé au-dessus de moi.

- Jack, le menacé-je ne tentant de medégager.

Mais il se contente de sourireironiquement.

- Emma ? me répond-il.- Arrête ça tout de suite.- Arrête quoi ? me répond-il

innocemment.Et sa main vient dégager les cheveux

sur mon front. Ses prunelles vertesélectriques plongent dans mes yeux. Sonregard est intense, rempli d’un désir queni lui ni moi ne pouvons contrôler. Jetente encore :

- Jack, s’il te plaît.Il secoue négativement la tête.- Je te l’ai déjà dit Emma, je

n’abandonnerai pas. Et tu peux meraconter toutes les conneries que tuveux, que tu ne crois pas que j’ai des

sentiments pour toi, que tu crois en avoirpour ce crétin d’Adam. Mais moi jesais. Je sais que toi et moi, nous sommesfaits l’un pour l’autre. Tu peux teraconter toutes les histoires que tu veux,te mentir, mais il y a un lien entre nous.Nous sommes les deux parties d’unemême âme.

Son discours me trouble et pourcacher ma gêne, je préfère plaisanter :

- Jack Cabualca un poète ? Jel’ignorais. Les deux parties d’une mêmeâme ? Comme c’est beau. Désolée, maisje ne suis pas d’humeur psychédélique.Maintenant, tire-toi de là.

- Chut… se contente-t-il de merépondre.

Ses lèvres brûlantes se posent sur lesmiennes et mon cerveau se déconnecte.

- Je ne vais certainement ne pas metirer de là. En revanche, toi, tu vasarrêter de t’agiter comme un asticot, tuvas rester bien sage et je vais te prendrecomme tu n’as jamais été prise.

Sa bouche fond sur mon cou, descendvers mes clavicules. Jack saisit le basde mon débardeur et tire dessus. Je n’aipas du tout, du tout envie de l’enempêcher. Au contraire, sa fièvre m’acontaminée. Je soulève le buste afinqu’il puisse m’enlever mon vêtementplus commodément. Je n’ai envie depenser à rien d’autre qu’à ce moment,qu’à ce désir qui me transporte et me fait

me sentir tellement vivante.Ses doigts s’attaquent à mon short

mais, fébriles, ils ne parviennent pas àdéfaire les boutons. J’entends Jackpester. Mes mains rejoignent les siennespour l’aider, mais il les virerageusement, saisit les bords du pantalonet tire brutalement. Les fils cèdent et lesboutons sont expulsés dans les airs. Jeris, mais Cabualca, lui, ne plaisante pas.Nous ne sommes pas du tout sur la mêmelongueur d’onde.

Je me redresse sur les coudes et leregarde alors qu’il fait glisser le short lelong de mes cuisses. Ses sourcils sontfroncés et les muscles de sa mâchoireroulent.

Mon dieu qu’il est sérieux !Du bout des ongles, il parcourt mes

courbes. Et alors que des frissonss’emparent petit à petit de moi, moiaussi je cesse d’avoir envie de rire. Leregard de Jack n’est pas celui d’unhomme qui a envie de prendre son piedavec une nana qu’il apprécie et trouve àson goût. Le regard de Jack est celuid’un homme qui admire chaquemillimètre carré de peau de la femmequ’il aime.

Je suis soudain intimidée par cettefaçon qu’il a de m’observer et sa boucheà l’intérieur de ma cuisse droiteengendre des spasmes de plaisir d’uneintensité folle qui me pousserait à perdre

totalement le contrôle de moi-même. Jetente d’empêcher Cabualca de continuerses caresses qui sont en train d’ouvrirdes horizons que je ne connais pas :ceux d’un désir qui rend dingue et nouscontrôle.

Or, je contrôle. Lorsque je faisl’amour avec un homme, je contrôle. Jecontrôle mon corps et le sien pour quenous arrivions à l’orgasme. Jamais,finalement, n’ai-je laissé quelqu’un mekidnapper et me transformer en unefemme uniquement gouvernée par sessens. Cette expérience que je sens siproche me terrifie.

J’attrape les cheveux de Jack et tiredessus pour tenter de l’écarter de moi.

Mais il me repousse une première fois.Je reviens à la charge et cette fois, ilrelève la tête, ses yeux vert brillant d’unéclat diabolique dans la faible lueurargentée de la lune.

- Tu vas te laisser faire bon dieu !jure-t-il entre ses dents.

Et se redressant avec vivacité, ilsaisit mes poignets dans une seule de seslarges paumes, attrape un morceau dedraps froissé et s’en sert pour nouer mesmains serrées au-dessus de ma tête.Lorsqu’il s’est assuré que je suis bienimmobilisée, il enlève calmement sesvêtements. Son beau pénis large et durse tend. Son torse est splendide etj’oublie un instant que ce salaud m’a

attachée pour le contempler.Lui approche son visage du mien et

grogne :- Voilà, maintenant tu vas enfin te tenir

tranquille.Je tente de me libérer, mais il resserre

le nœud et se positionne à califourchonau-dessus de moi. Je me cabre, maisplus par jeu, car je trouve très excitantd’être livrée à lui, moi qui me comportehabituellement comme une walkyrie.

Dressé au-dessus de moi, il approcheson bassin de mes lèvres.

- Ferme les yeux, souffle-t-il.J’obéis. Je sens son bassin s’avancer

de mon visage et la chaleur de son corps

approcher. Bientôt, l’extrémité de sonpénis heurte mes lèvres. J’ouvre labouche et humidifie mes lèvres avec malangue. Il s’enfonce, glisse sur ma languela hampe douce de sa queue. Je serremes lèvres autour et il gémit, accentuantson mouvement.

J’adore le sentir à la fois prendreplaisir grâce à moi, mais sans que jepuisse le saisir, soumise simplement auxmouvements de ses hanches. Alors queje profite de le sentir gonfler sur malangue, il se penche en arrière et sa maindescend le long de mon ventre, glisseentre mes cuisses qu’il écarte et cherchemon clitoris, trouve le point sensible etcommence à y tracer de petits cercles.

Je gémis, mon corps se tord de plaisiret ma tête en avançant le fait pénétrerplus encore dans ma bouche. Il ne cessede me caresser tout en profitant lui dema langue sur son sexe. Enfin, alors queje sens qu’il est plus large qu’il y aquelques instants, il abandonne meslèvres et son corps vient peser sur lemien de tout son poids.

Sa tête se cale dans mon cou et jel’entends haleter.

- Emma, tu es trop canon. Je neparviendrai jamais à te résister. Je saisque mes sentiments à ton égard sont bienplus forts que ceux que tu éprouves pourmoi. Mais je m’en tape. Cette nuit, jeveux simplement que tu sois à moi

totalement. Je veux que tu t’abandonnes,qu’il n’y ait plus ni Adam ni personned’autre. Juste moi.

Il mord mon cou, plus bas les aréolesde mes seins. Les sensations sont siintenses que je tente une nouvelle fois deme défiler, mais le drap maintenant mespoignets attachés m’en empêche et leplaisir me gagne, violent, sans que jepuisse luter. Un cri gonfle dans magorge. Ma respiration s’accélère alorsqu’il insiste. Mon bassin est agité demouvement frénétique. Je veux le sentiren moi, qu’il me prenne car la frustrationcommence à s’emparer de moi.

Mais il s’ingénie à poursuivre sescaresses, cherchant les petits recoins les

plus tendres et les plus sensibles.Bientôt chacune de mes expirations estun cri. Je jure, je l’insulte pour qu’il melaisse en paix, je le menace de mettre enpièce le drap qui me retient :

- Et je te forcerai à me prendre. Jack.Ses prunelles vertes coulent tout au

fond des miennes avec autorité :- Tu peux tirer autant que tu veux. Je

t’ai attachée bien serré, tu ne risques pasde te libérer. Et c’est moi qui vaisdécider de quand et comment tu jouiras.

Je me cabre à nouveau, regrettant dene pas l’avoir empêché de me ligoterlorsque j’en avais l’occasion.

- Tu le regretteras, Cabualca.

Cette fois, il rit :- J’espère bien.Jack saisit mes jambes à pleines

mains et les écarte, les maintenant engrand écart afin que mon sexe lui soittotalement offert. Il soulève son bassin etle bout de son pénis vient se poser àl’entrée de mon sexe. Je gémis desoulagement, pensant qu’il va enfin mepénétrer. Mais il n’en est rien et il resteainsi, titillant mon sexe avec le sien. Jeme tords, soulève mes hanches pour leforcer à me prendre, mais il se recule àchaque fois.

- Jack bordel ! le menacé-je ànouveau.

Il sourit diaboliquement.Voilà cet homme est le diable. Je le

savais. Il est beaucoup trop sexy etexcitant pour n’être qu’un simple êtrehumain. C’est pour ça que je suisincapable de lui résister.

- Supplie-moi, grince-t-il, son sourireéclatant luisant dans la semi-obscurité.

- Dans tes rêves, lui réponds-jeméchamment.

- Alors je ne te prendrai pas. Jet’exciterai jusqu’à ce que tu sois épuiséeet je t’abandonnerai sur ce lit sanst’avoir concédé le moindre petitorgasme.

Ses lèvres fondent sur mes seins et sa

queue entre en moi de quelquesmillimètres seulement avant de se retireraussitôt.

Je hurle de frustration et lui criedessus :

- Prends-moi, tout de suite !- Tu n’es pas en position de donner

des ordres ma belle, supplie-moi.Je secoue la tête. Il approche ses

lèvres de mon oreille et sa langueparcourt mon cou :

- Supplie-moi, Emma. Supplie-moi.Avoue-toi vaincue. Avoue que tu es àmoi.

Ses doigts à nouveau trouvent monclitoris et ma tête se renverse seule en

arrière. Alors ma reddition m’échappe :- Prends-moi Jack, je t’en supplie.

Bordel prends-moi.- Dis que tu es à moi.- Je suis à toi. Je dirai tout ce que tu

veux.- Répète-le.- Je suis à toi.- N’arrête pas de le répéter.- Je suis à toi, Jack, je suis à toi.Je l’entends rire sèchement, mais je

n’y prête que peu d’attention car sonpénis pèse sur mon sexe écarté pour luiet y entre, y plonge profondément, enressort, plonge à nouveau, de plus en

plus vite, de plus en plus fort, nos corpsrebondissant sur le matelas à cause de lapuissance des assauts de son bassinheurtant le mien.

Un orgasme violent me secouerapidement et longuement, me faisanthurler d’un plaisir plus intense que tousceux que j’ai pu connaître auparavantdans ma vie.

20. Jeff et la CIAJe m’assois sur le lit. La nuit est bien

avancée maintenant. Jack dort à côté demoi. Je regarde son grand torse sesoulever au rythme de sa respiration.Comme la première fois lorsqu’il avaitessayé de me mettre dans un avion pourParis, je me suis enfuie alors qu’ildormait après que nous ayons faitl’amour.

- Jack Jack Jack, lui murmuré-jetendrement. Tu n’apprendras doncjamais !

Je le laisse à son sommeil et me lève

sans bruit. Je ramasse mon short et montee-shirt, enfile rapidement mesvêtements et quitte la chambre sur lapointe des pieds. Personne. Je pense àAdam avec un petit pincement au cœur.Cependant, je constate qu’il est moinsfort qu’avant. Peut-être est-ce dû àl’attitude d’Adam, à nouveau si froide.Ou bien est-ce Jack qui commence à mefaire changer d’avis. Ces mots finissentpar me toucher, je ne peux pas le nier.

Je descends le grand escalier enmarbre menant à la salle à manger. Leshautes fenêtres ont été laissées ouvertessur le jardin et l’air s’y engouffre. C’estterriblement agréable. Toutes leslumières sont éteintes et la lune seule me

guide.Je sors. Au loin j’aperçois vaguement

la silhouette de quelques gardes. Je mecoule contre les murs, dans l’ombre. Jecontourne la demeure principale et coursà travers l’esplanade menant auxbaraquements que j’ai repérés, restantquelques minutes à découvert.

Loin de la magnificence de la maison,ils ne sont que de simples blocs en bétonplantés au milieu de nulle part. Unelumière jaune électrique jaillit à traversune fenêtre. Je me plaque contre laparoi. Il y a du monde à l’intérieur.J’entends plusieurs voix d’hommes, sansparvenir à distinguer ce qu’ils se disent.

Comment entrer ? Par la porte c’est

évidemment impossible, par une fenêtre? Mais laquelle ?

Je contourne le bâtiment principal. Àl’arrière un trou clôturé par des barreauxdonne sur une pièce éteinte. Je peuxtoujours y jeter un œil à défaut de mieux.Je saute, saisis les barreaux de cetteouverture en hauteur et me hisse, calantmes orteils dans les anfractuosités de laparoi. Accrochée de toutes mes forces,je regarde à l’intérieur. Personne. C’estune sorte de débarras. Parfait. C’estl’endroit idéal pour pénétrer dans cebaraquement… si on oublie lesbarreaux. Au moment où je m’apprête àchercher une autre solution, une desbarres auxquelles je suis cramponnée se

désolidarise du mur et se détache. Je meretrouve pendue par un bras, finis parlâcher prise et m’effondre sur l’herbe.

-Aïeuh

!crié-je mentalement.

Je ramène le barreau face à moi,observe le béton encore accroché aumétal. Le travail a été mal fait, et lapierre est friable. Parfait. Avecbeaucoup de chance, d’autres barrespeuvent céder. Mais je suis trop petite.Je regarde autour de moi. Dans un coinun tas de détritus. Je fouille en silence,déplaçant précautionneusement ce que jetrouve… jusqu’à tomber sur un

parpaing. Je l’empoigne bande mesmuscles et tire de toute mes forces,parvenant à le faire glisser sur lesquelques mètres me séparant de lafenêtre.

Voilà un marchepied idéal !Je grimpe et me retrouve à la bonne

hauteur pour saisir confortablement lesbarreaux et tirer de toutes mes forces. Ilsse détachent un à un. Assez facilementfinalement. Je prends appui des deuxmains et me hisse, bascule mon buste àl’intérieur de la maison et me laisseglisser.

J’y suis. Je m’approche de la porte etl’entrouvre le plus discrètement possible: elle donne sur un couloir. En face, une

seconde porte, au bout à droite la pièceallumée dans laquelle plusieurs hommesparlent. Maintenant que je suis àl’intérieur, je comprends qu’ils sontplongés dans une partie de cartes.

Je traverse le couloir sans bruit etteste la poignée en face. Alors que jem’attends à ce que tout soit verrouillé,elle cède et la porte s’ouvre en grinçantun peu. Je me mords les lèvres, tendsl’oreille pour déterminer si les hommesde l’autre côté m’ont entendue ou non,mais ils continuent à parlertranquillement.

Je passe la tête parl’entrebâillement… et dans le noir…j’aperçois la silhouette épaisse d’un

homme gras. Il est effondré sur le sol.Malgré l’obscurité, je le reconnaisimmédiatement.

- Jeff ! soufflé-je.Mais il ne bouge pas. Bon sang,

c’était presque trop facile ! Et sijustement, c’était parce qu’il est troptard ? Inquiète, je me précipite auprès demon ami et le pousse. Il gémitdoucement. Même sans lumière, je peuxvoir qu’il est salement amoché.

- Merde Jeff, ils ne t’ont pas raté !Il relève la tête comme il peut,

entrouvre une seule paupière, l’autreétant fermée par un énorme cocard.

- Emma ?

- Chut. Ne dis rien. Attends.Je le tâte et lorsque je frôle ses côtes,

il grimace de douleur. Bon, il ne va pasêtre facile à transporter. Il est attaché lesmains dans le dos. Mais les liens sontdesserrés. Il faut vraiment qu’il soit malpour ne pas s’être enfui. Je le libère enpeu de temps et passe mon bras sous sesépaules.

- Jeff, mon vieux, il va falloir m’aider.Tu es trop lourd pour moi.

- Emma, tu es cinglée d’être venue, tune peux pas m’aider, on est en pleinmilieu de la jungle, tu vas te faireprendre aussi et ils vont te tuer en mêmetemps que moi.

- Ça reste à voir.Je souris. Il est capable de prononcer

des phrases complètes, c’est unexcellent signe. Il est beaucoup moinsdans le gaz que ce que je ne pensais.

Je me prépare à le soulever.- Allez Jeff, à trois on y va. Un,

deux…- Trois, me répond une voix qui n’est

pas celle de mon ami alors que lalumière m’éblouit.

Jeff et moi nous immobilisons. Pablose tient devant moi avec ses hommes.

Oups…- Ma future belle-fille ! Quelle joie de

vous croiser en pleine nuit.Un rictus mauvais défigure son visage.

Une lueur inquiétante habite sesprunelles. Inutile de jouer.

- Quand avez-vous deviné ?- Que vous étiez Emma Wilde ?- Oui.- Ce n’est pas la bonne question. Je

vous pensais plus maline que ça ! Allez,faites donc un petit effort.

Je me creuse la tête mais ne voit pas,tente surtout de déterminer à quelmoment j’ai été assez sotte pour me fairerepérer… Pablo finit par rire en mevoyant perdue, ce qui m’agaceprodigieusement. Je ne le montre pas,

car au fond je m’en fous. C’est uneparticularité chez moi qui m’a toujoursétonnée. Quand je suis en danger, j’airarement peur. En général, j’ai plutôt lasensation étrange que mon cerveau semet à réfléchir à toute allure avec sang-froid, évacuant la panique pour chercherune issue de secours. Aussi je laisse lenarco déblatérer pendant que j’élaboreun plan. Jusqu’à ce que Pablo assène :

- La bonne question aurait été : «quand avez-vous deviné que Jack n’étaitqu’un traître américain à la solde de laCIA ? »

Mon cœur se décroche et cette fois lapanique m’emporte. Cabualca en danger,voilà qui me secoue.

Mon dieu où est-il ? L’ont-ils déjà…?

Les larmes me montent aux yeux àcette pensée. Pablo continue, en colère.

- Quand je pense que mon proprefils… Je lui aurais tout donné, touttransmis. En tant qu’avocat il aurait pugérer l’affaire sans que personne ne sedoute de rien, j’aurais pris ma retraite…Savez-vous à quel point c’est terriblepour un père de découvrir la trahison deson propre enfant ?

Je ne relève pas le ridicule de sondiscours tant je suis affolée du sort qu’ila pu réserver à Jack. Mais un remue-ménage dans le couloir attire monattention. Pablo s’efface et trois de ses

hommes trainent Cabualca à l’intérieurde la pièce. Il est bien vivant.

Un soupir de soulagement m’échappemalgré la situation. Jack se débat commeun diable, rageant, tentant d’échapper àses gardiens pour leur coller, je ledevine, une bonne raclée. Son arcadesourcilière droite est fendue et saigne,mais rien de grave. Ils ne l’ont paslaissé se rhabiller à l’exception de sonboxer et lorsqu’ils le jettent au sol, il serâpe durement les genoux et les coudes.Je lâche Jeff pour me précipiter sur lui.

- Jack, ça va ?- Comme c’est adorable. Mon fils, je

pensais qu’elle t’avait utilisé dansl’unique but de retrouver son ami, mais à

ce que je vois, elle en pince vraimentpour toi !

Cabualca se traine sur un coude ettente de se redresser mais il grimace. Jecomprends alors qu’il a dû se fouler lacheville pendant son transport de lachambre à notre prison. Je saisis sa têtebrune entre mes mains et la pose sur mesgenoux, lui souffle à l’oreille :

- Ne fais pas d’efforts. On va trouverune solution.

Pablo siffle entre ses dents et crachepar terre.

- Les sentiments… Ridicule.Puis il fait signe à ses hommes et ils

quittent la pièce, claquant la porte

derrière eux et cette fois, la fermant àdouble tour. Nous nous retrouvons tousles trois plongés dans un noir quasicomplet. Seul un minuscule vasistaspermet à un peu de lumière de filtrer.

Jeff gémit doucement, affalé sur lui-même. Il aurait besoin de voir unmédecin, je m’inquiète pour ses côtes.Dans l’immédiat, il n’est pas en danger.Je me fais plus de soucis pour Jack. Ilest conscient, mais lorsque je le regardedans les yeux, je ne suis plus certainequ’il soit cohérent. Ses prunelles vertessont rieuses et ce n’est pas vraimentl’ambiance :

- Jack, quel jour est-on ? lui demandé-je avec inquiétude.

- Aucune idée, et je m’en fous, tun’imagines pas à quel point ! répond-ilen ce marrant.

Mince. Ils l’ont salement amoché,voilà qu’il est hilare.

Je crains un coup un peu violent sur latête, une commotion cérébrale peut-être.Je l’allonge sur le sol tandis qu’ilcontinue à se marrer comme une baleineet m’occupe de sa cheville. Lorsque jel’effleure, il crie au milieu de son fou-rire.

Ok, elle est foulée. Entre lui et Jeff, ilne faudra pas compter sur une fuite encourant.

- Aïe, proteste-t-il. Je t’ai connue plus

douce avec moi !Et il est à nouveau secoué par un fou-

rire. Je me place à côté de sa tête :- Jack je suis sérieuse, est-ce que tu

sais quel jour on est, je crois que tudélires.

Il arrête de se marrer quelquessecondes, me considère et ses joues segonflent d’air avant qu’il n’explose derire. Puis soudain sérieux, il se redresseavec une vivacité inattendue, m’attrapepar la nuque et m’attire jusqu’à lui etm’embrasse. Ses lèvres chaudes etdouces me font fondre. L’effet physiquequ’il provoque chez moi tient dumiracle. Quand enfin il me relâche, il esttrès sérieux :

- Je ne délire pas Emma. Je t’aime.Je le regarde sans rien dire… ne

sachant tout simplement pas quoirépondre. Je finis par lui lâchervertement :

- Tu crois que c’est le moment ?- Oh, oui, c’est le moment, le moment

idéal. Et ce n’est pas n’importe quoi. Jet’aime Emma Wilde. Que ça te plaise ounon.

Il s’assied :- Et le fait de savoir que tu m’aimes

aussi est un vrai bonheur, le resteimporte peu.

- Je ne t’aime pas ! Qu’est-ce que turacontes ?

- Mais oui, c’est ça.Jeff toussote et râle :- Oh les tourtereaux. Vous ne croyez

pas qu’on pourrait s’occuper du débatsur vos sentiments plus tard ? Je ne suispas certain qu’on passe la nuit.

- Il a raison, reprend Jack. Emma.Tout est ma faute. Ma couverture étaitgrillée depuis un moment et jel’ignorais. Adam avait raison, je t’aimise en danger.

Je recule pour m’accroupir etm’adosser au mur. Je soupire et réfléchis:

- Peu importe. La seule chose quicompte est la situation dans laquelle

nous nous trouvons et comment nouséchapper.

Jack se traine pour se rapprocher et secolle à moi.

- Je ne te cache pas que c’est plutôtmal barré. J’avais un dispositif d’alerte.La CIA est au courant. Une exfiltration adû être programmée. Je pense qu’ilsarriveront par hélico aux premièreslueurs du jour.

- Parfait ! Des renforts !- Pas exactement… ils ont ordre de

tout faire sauter. Si nous ne nous tironspas d’ici avant qu’ils soient là, ils nouspulvériseront avec le ramassis de narcosqui traîne dans le coin.

- Charmante ton exfiltration.- Je ne suis pas la priorité. Ils ne nous

récupéreront que si nous nousdébrouillons pour nous retrouver à unendroit où ils pourront se poser sansprendre de risques pour nous secourir.

Je jette un œil à Jeff.- Entre lui et ta cheville, on est mal.Un silence s’installe. Je réfléchis à

toute vitesse.- Je ne vois pas comment leur

permettre de se poser sans se fairecanarder. Il va falloir que nouscomptions uniquement sur nous-même etsur la panique générale créée parl’attaque. J’ai une idée. Quand je vous

lancerai le signal, trainez-vous du mieuxque vous le pouvez vers la forêt.

- Tu peux au moins nous expliquer tonplan ?

Je le regarde en souriant et pose monindex sur le bout de son nez :

- Hors de question. Si je te livre lesdétails, tu te comporteras comme unmacho et tu voudras m’en empêcher.

- Emma, gronde-t-il.Mais je l’interromps et désigne la

fenêtre à travers laquelle quelquesrayons de soleil commencent à poindre :

- Tu as dit les premières lueurs dujour ?

C’est maintenant.Je n’attends pas sa réponse, me lève

et me dirige vers la porte :- Jack, lancé-je. Aide Jeff à se lever

et à s’enfuir. Je suis certaine que ce n’estpas une petite douleur à la cheville quiva t’empêcher de sauver ta peau.

- Emma ! tente-t-il.Mais je le snobe et me mets à

tambouriner comme une malade sur laporte en hurlant à pleins poumons. Aubout de quelques secondes à peine, leverrou grince.

C’estnotreunique

chance.À moi dene pasmeplanter.

21. Le fils cachéLa porte s’entrouvre et deux hommes

armés entrent, nous barrant la sortie.- Qu’est-ce que tu veux, beugle l’un

d’eux en espagnol. Tu ne crois pas qu’ona autre chose à foutre ?

- Je veux aller aux toilettes, luiréponds-je me campant sur mes deuxjambes.

- Tu te retiens.Il s’apprête à fermer la porte, mais je

me mets à hurler en boucle sansm’arrêter :

- JE VEUX ALLER AUX

TOILETTES ! JE VEUX ALLER AUXTOILETTES ! JE VEUX ALLER AUXTOILETTES ! JE VEUX ALLER AUXTOILETTES ! JE VEUX ALLER AUXTOILETTES ! JE VEUX ALLER AUXTOILETTES !

- Ok ! C’est bon ! Stop ! crie un desgeôliers de plus en plus fort. Emmènecette p**** aux toilettes, lance-t-il à soncompagnon.

- Mais Pablo a dit qu’ils ne devaientsortir de cette pièce sous aucun prétexte.

- Putain, on s’en fout de ce qu’a ditPablo, c’est pas à lui qu’elle pète la tête!

- Bordel, grommelle l’autre.

Il m’empoigne par le bras et me tire àl’extérieur. Je me laisse faire alors qu’ilme pousse dans le couloir sansménagement. Il m’amène dans la piècequ’ils occupent. Une simple table aumilieu sur laquelle sont déposé unnombre incroyable de cadavres debouteilles de bière et un paquet de cartesen désordre. Au fond, une porte s’ouvresur des toilettes sales.

Il me pousse vers le réduit :- Tu te grouilles.Je le regarde, mauvaise :- Un peu d’intimité !Il me regarde de haut en bas, passe sa

langue sur ses lèvres en me reluquant.

- Tu parles d’intimité. On va s’amuserun peu tous les deux.

Et il baisse son arme en s’approchantde moi.

Vas-y coco. Encore un peu.Je prends un air terrifié. Mais

lorsqu’il est presque sur moi, je luienvoie un violent coup de pied dansl’entre-jambes. Il hurle et un réflexe lepousse à saisir à deux mains son paquet,lâchant son arme sur le sol et libérant uncouloir pour mon poing qui atterrit surson nez. L’os craque, le sang gicle et letype saisit son pif entre ses paumes.Sans perdre de temps, je ramasse l’armeet lui colle un gros coup de grosse sur latempe. Il s’effondre.

Son camarade paniqué se précipitevers la pièce. Je me dissimule juste àcôté de l’embrasure. Le crétin, bienévidemment, entre dans la pièce sansréfléchir ni regarder avant ce qui s’ydéroule, si bien qu’il se retrouvequelques pas devant moi sans merepérer. Je n’ai plus qu’à poser le canonde mon arme sur sa nuque.

- Lâche ton flingue.Il s’exécute, mais ne lui laissant pas

reprendre ses esprits, je le frappe àl’arrière de la nuque. Il s’effondre à sontour. Je ramasse l’arme et retourne encourant vers la cache où sont retenusmes camarades. La porte a été laisséeouverte. Ces deux gardiens étaient

vraiment nazes. Il n’y a même pas degloire à avoir réussi à me débarrasserd’eux.

Je passe la tête par la porte. Jack estdéjà debout, soutenant comme il le peutJeff. Il me regarde les yeux arrondis parla surprise.

- Tu… Comment… ?- Pus tard, on n’a pas le temps.Nous nous dirigeons vers l’entrée du

baraquement. J’ouvre la porte. Desgardes patrouillent. Nous avons peu detemps, les deux autres ne vont pas tarderà se réveiller. Je n’ai pas une forceimmense et je n’ai dû les assommer quelégèrement.

Heureusement, nous entendonssoudain un bourdonnement. Rapidementil se précise : des pales d’hélicoptères.Les gardes alertés eux aussi courent versl’avant de la propriété.

- Maintenant ! crié-je, à l’instant où unécoquette fuse d’un des hélicos et frappela maison de plein fouet.

Adam ! Ne puis-je m’empêcher depenser.

Alors que mes deux acolytes setraînent à l’extérieur du baraquement etse dirigent vers la forêt, profitant de lapanique générale, je reste glacée surplace. La roquette a frappé l’étage où estsa chambre. Il est encore très tôt. Ildevait dormir.

Je ne peux imaginer que…Je cours vers la maison. Jack s’arrête

et me hurle :- Emma !Je ne lui réponds pas et me précipite.

Déjà je suis près du perron arrière.- Emma bordel ! Reviens !- Je vais chercher Adam ! lui crié-je.- Reviens ! Il se débrouillera !Mais je ne l’écoute pas et pousse la

porte arrière qui s’ouvre à la volée. Àl’intérieur, une partie du plafond esteffondré et le feu prend par endroit. Jetraverse en courant les communs, medirigeant dans l’immense bâtiment en me

fiant à mon sens de l’orientation. Enfin,je suis dans la salle à manger où nousavons dîné la veille. À droite, l’escalier.Une partie s’est écroulée. J’évite dejustesse un morceau de métal quis’effondre juste à côté de moi.

Je monte quatre à quatre les marcheset m’apprête à gagner le couloir danslequel se situe la chambre d’Adamlorsque je le vois planter en face de moi.Il porte un petit corps dans ses bras :

- Adam ! hurlé-je.Il me regarde et son visage s’illumine

:- Emma ! Tu n’as rien ?- Non, je… Viens, la CIA tire au jugé

sur tout ce qui bouge, ils ne feront pas dedifférence, il faut qu’on se tire d’ici.

- La CIA ?- Jack.Adam court vers moi et nous

redescendons les escaliers.- Quoi Jack.- Il est de la CIA.- Hein ?- Oh, ce n’est pas le moment !Je l’attrape par le coude et le traîne à

ma suite à travers les décombres. Uneautre roquette frappe la demeure maisplus loin vers l’est et nous subissonssimplement les vibrations violentes de

l’explosion.Enfin nous débouchons à l’arrière de

la maison. Je lui désigne les bois dudoigt :

- Viens, on va se planquer là-bas.Aucune trace de Jack et de Jeff. Je

n’ai qu’à espérer qu’ils aillent bien.Mais nous ne faisons que quelques paset une jeep arrive en trombe, s’arrête ànos côtés, nous écrasant presque.

Jack est au volant. Ses yeux vertsperçants ont un air décidé des plus sexy:

- Montez, lance-t-il en ouvrant laporte côté passager.

Jeff est à l’arrière et s’accroche du

mieux qu’il le peut. Il a l’air dans lecoaltar et à la lumière du jour, les bleuscausés par les coups sont encore plusimpressionnants. Nous grimpons, moi etAdam avec l’enfant dans ses bras.Cabualca démarre en trombe. Noustraversons une véritable zone de guerre,mais il manie le volant comme un as etnous contournons explosions et narcosallègrement. Enfin, nous nous enfonçonsdans la jungle.

Personne ne nous suit. Nous nesommes pas prioritaires. Il y a bien plusurgent : sauver leur chef Pablo parexemple…

Pourtant il nous faut un long momentpour nous rendre à l’évidence : nous

avons réussi à nous enfuir. Jack finit parrelever le pied. À l’arrière Jeff soupireet se cale plus confortablement.

Comme je ne suis plus bringuebaléedans tous les sens, je respire aussi. Monregard tombe sur l’enfant dans les brasd’Adam. Il est évanoui. Le médecin letient fermement contre lui :

- Est-ce que… est-ce qu’il va bien ?murmuré-je.

- Oui, ce n’est rien, me répond Adamd’une voix blanche. L’explosion l’avaitprojeté par terre. Mais il n’y a pasd’hémorragie. Il est juste sonné.

Pour preuve, l’enfant geint et sespaupières papillonnent. Adam le serre

plus encore, lui caresse les cheveux etmurmure à son oreille en espagnol :

- Tout va bien, tout va bien. Piero,c’est fini.

La scène est très touchante :- C’est le fils de Pablo ? Celui que tu

es venu soigner ? lui demandé-je, émuepar l’émotion d’Adam qui tient l’enfantcontre lui comme s’il était son trésor.

- Je rêve, grogne Cabualca. Tu askidnappé le fils de Pablo. Tu es taré ? Ilnous traquera à travers toute la planètepour le retrouver s’il réchappe à cecarnage.

Adam ignore la remarque de Jack. Ilregarde la route qui défile devant nous et

finit par lâcher dans un soupir épuisé :- Ce n’est pas le fils de Pablo. C’est

le mien. C’est le fils que j’ai eu avecSamantha.

À ces mots, Jack enfonce le frein, lajeep pile et nous manquons tous de nousécraser contre le pare-brise.

- Qu’est-ce que tu viens de dire,ordure ?

- Tu m’as très bien entendu, Jack.Cabualca lâche le volant et se tourne

vers Adam, regarde l’enfant, puis lemédecin. Je sens que la situation est àdeux doigts de dégénérer totalement.

- Merveilleuse nouvelle ! Jack, voiciAdam, ton beau-frère. Bien. Si nous

pouvions remettre les explicationsfamiliales à plus tard, ce seraitabsolument merveilleux.

Mais personne ne m’écoute. Les deuxse jaugent. Jusqu’à ce que j’entende dansmon dos le bruit d’une jeep lancée àfond.

On nous poursuit.Alors je me mets à hurler :- Oh ! Jack, on démarre là ! Vous

réglerez vos comptes quand nous seronscertains d’être sains et saufs, ok ?

Cabualca se secoue et nousredémarrons à toute vitesse. Il nous fautplus de deux heures pour parvenir aucamp Nukak. En nous apercevant, les

Indiens courent dans tous les sens. Monamie, la jeune-maman qui s’était chargéede mes peintures rituelles lors de monpremier passage, vient vers moi pendantque j’aide Jeff à descendre de la Jeep.Elle parle à toute vitesse et Adam metraduit :

- Elle dit qu’il faut rester dans lavoiture et qu’elle nous emmène dans unendroit sûr. Nous remontons dans levéhicule, elle y grimpe à l’avant auxcôtés de Jack et nous indique une pistequasiment invisible qui s’enfonce dansles bois.

Là, une maison au toit de palme nousattend. La jeune-femme part dans unenouvelle tirade dont je ne comprends

toujours pas un traître mot. Je jette unœil interrogateur à Adam qui me traduità nouveau :

- Elle dit que la descendante del’animal ancêtre sera toujours bienvenuechez eux et que tu bénéficieras de leurprotection toute ta vie. Il suffit dedemander.

Je m’incline pour la remercier et luisignifier que j’ai compris.

- La protection des Nukak est labienvenue si nous ne les mettons pas endanger, soufflé-je à Adam.

Le médecin est d’accord avec moi :- Personne ne nous cherchera ici.

Moi-même j’ignorai que cet endroit

existait.La jeune-femme dépose Piero dans un

hamac à l’intérieur, les garçons derrièrenous soutenant Jeff. Je jette un œil pourm’assurer que son état n’empire pas etsouffle pour moi-même :

- Tu m’en dois une, Jeff ! C’est laseconde fois que je te sauve la vie !

La jeune-femme revient vers nous,puis elle s’en va après avoir serré mamain entre les deux siennes. Dans sonregard, une amitié qui me rend fière.

Lorsque je rentre me mettre à l’abri,Jack et Adam s’ignorent ostensiblement.Je lève les yeux au ciel.

- Vous devriez vous parler, vous ne

croyez pas ? Adam, tu pourrais peut-êtreexpliquer…

Il passe la main dans les cheveux deson fils endormi à côté duquel il se tient.

- Samantha était une jeune-femmeextraordinaire, dévouée. Merveilleuseavec les Indiens. J’ai très vite comprisles sentiments qu’elle nourrissait pourmoi. Mais ils n’étaient pas réciproques.Il ne me restait plus qu’un mois demission pour l’association avant deretourner en France quand une graveépidémie de grippe s’est déclenchée. Cesont des germes quasiment inoffensifspour nous, mais pour les Nukak, c’est unpeu l’équivalent de la peste noire. Nousperdions des patients chaque jour, nous

étions débordés. Et puis on m’a amenéce bébé de quelques mois. Je l’avais vunaître. Il était au plus mal. La fièvre etles difficultés respiratoires l’ontemporté en quelques heures. J’étais auplus mal. Samantha était là ; elle m’aréconforté. Je n’avais qu’elle. J’étaisloin de mes proches, loin de mon pays.J’ai craqué. Nous avons eu une relation.Une nuit, une seule. Mais nous avonsdécidé de ne pas donner suite. Enfin…j’ai décidé de ne pas donner suite. Et jesuis rentré en France quelques semainesaprès. Pendant un mois, j’errais chezmoi, tournant en rond, refusant de voirqui que ce soit. J’étais trop marqué. Etpuis ma vie a repris. Jusqu’à cet appel,

presqu’un an plus tard. C’étaitSamantha. Elle était paniquée. Entredeux phrases hachées par une mauvaisecommunication, j’ai compris qu’ellen’avait pas quitté la Colombie depuismon départ, qu’elle avait porté monenfant, l’avait mise au monde. Mais elleétait isolée au camp de réfugiés et lesnarcos lui faisaient peur ; elle tentait deles empêcher d’enrôler de nouveauxjeunes. La communication a coupé. J’aipris le premier avion, j’ai foncé. Mais ilétait trop tard. Pablo l’avait faitassassiner et enlever mon enfant. Alorsje n’ai eu de cesse de gagner laconfiance du chef des narcos. Il ignoraitque j’étais le père de Piero. J’ai été

patient, attendant des années pourm’approcher suffisamment de lui pour letuer et récupérer mon fils.

Adam a tout débité d’une seule traite.Je ne pensais même pas qu’il étaitcapable de parler aussi longtemps.

L’histoire est plus que tragique. Je metourne vers Jack qui regarde toujoursAdam de travers.

- Enfin, pourquoi lui en veux-tu ?- Il n’a pas protégé ma sœur.

J’ignorais pour le petit. Mais je savaisqu’il s’était enfui en France enl’abandonnant derrière elle.

- Je ne l’ai pas abandonné, s’insurgeAdam. Elle a voulu rester. Elle ne m’a

pas dit qu’elle était enceinte. Jel’ignorais.

Jack soupire. Il se laisse aller contrel’un des piliers de la maison Nukak. Ilferme les paupières et renverse la tête :

- Je suis tellement fatigué, souffle-t-il.Mon cœur se serre. J’ai envie de le

prendre dans mes bras. Mais la présenced’Adam m’en empêche. Cabualca nousfait signe en évitant mon regard :

- J’ai piqué un téléphone satellite enmême temps que la voiture. Je vaisprévenir mes supérieurs que noussommes en vie et que nous avons besoind’une extraction d’urgence en comptantun enfant malade et un blessé.

Et il sort sans plus attendre.Je me rapproche du médecin et pose

une main sur son épaule si large. Ilsursaute :

- Adam, ce qui est arrivé n’est pas tafaute.

Il ne bouge pas, comme s’il nem’avait pas entendu, et pourtant je saisque mes paroles font leur chemin. Alorsje répète :

- Adam, ce n’est pas ta faute. Ce n’estpas ta faute. Tu aurais pu l’empêcher situ avais eu toutes les cartes en main.Mais tu ne les avais pas. Alors ce n’estpas ta faute.

Lentement, il tourne vers moi ses yeux

translucides et son regard, vide jusqu’àmaintenant commence à s’animer. Sansattendre, je le serre contre moi :

- Il faut te pardonner maintenant,chuchoté-je à son oreille.

Je sens son souffle dans mon cou. Puisses lèvres qui remontent vers monoreille. La pression de ses bras autourde moi se fait plus forte. Son étreintemaintenant est passionnée. Je sens lesreliefs de son corps contre moi et ledésir monte aussi.

- J’ai résisté aux sentiments que j’aipour toi Emma parce que j’avais peur dete perdre aussi, l’entends-je m’avouer.

Il s’écarte un peu, prend mon visage

entre ses mains.- Mai tu es la femme la plus forte que

j’ai rencontrée de ma vie. Emma, pardonde t’avoir repoussé. Nous donnerais-tuune autre chance ?

Mon cœur se met à battre à toutrompre. Il y a quelques jours, dans lecamp Nukak à quelques kilomètres de là,je rêvais d’entendre ces mots et à laplace, mon cœur saignait d’êtrerepoussée.

Le sentiment d’être contemplée mepousse à relever la tête et je vois Jackdans l’encadrement de la porte, untéléphone satellite en main. Il meregarde, l’air désespéré. Nos yeux serencontrent et je sens avec violence sa

détresse à observer cette scène. Et jeréalise que son amour pour moi qu’ilclame à chaque fois que je lui en laissel’occasion est une réalité. Il ne me mentpas. Il m’a rencontré, est tombéamoureux et me l’a déclaré sansattendre.

Et moi je l’ai tenu à l’écart à cause dece que je ressentais pour Adam. Cethomme mystérieux qui m’a déstabilisé ànote première rencontre. Si beau, sisecret, si droit. L’opposé de Jack levolcanique, le fonceur, prêt à tout pouratteindre ses objectifs.

Tout devrait se mélanger dans moncœur. Je devrais être perdue entre sesdeux hommes. Et pourtant, pour la

première fois de ma vie, je sais quej’éprouve pour l’un d’eux des sentimentsprofonds. De ceux, uniques, qu’on n’a lachance de ressentir qu’une seule foisdans sa vie.

J’aime Adam parce qu’il estinaccessible. Parce qu’inconsciemment,je savais qu’il ne serait jamais à moi.Que… je ne risquais rien en somme.Oui, j’ai souffert de son rejet, maisl’aurai-je autant aimé s’il avaitsuccombé à notre premier regard ? Je nele crois pas.

À cet instant, dans les bras d’Adam,je n’ai qu’une seule envie, me précipitervers Jack pour le rassurer, lui dire qu’ilne m’a pas perdu, que c’est lui que je

choisis. Lui et son autoritarisme. Quenotre relation va être explosive, maisqu’elle sera merveilleuse. Et il faut queje le lui dise vite car je refuse qu’il aitmal encore à cause de moi. Je sais qu’àcet instant, il croit dur comme fer que jevais me blottir dans les bras d’Adam etl’abandonner.

Je prends alors doucement les mainsdu médecin entre les miennes et luisourit tendrement :

- Adam, je…C’est à cet instant que tout tourne de

travers. À l’extérieur les coups de feucrépitent, quelques balles viennents’enfoncer dans le sol au seuil de laporte, faisant voler des mottes de terre.

Jack fonce à l’intérieur de la maison etnous attrape tous les deux pour nouspousser vers le fond de la cabane où Jeffest effondré. Adam arrache son fils duhamac et le serre contre lui.

Cabualca est ramassé sur lui-même,prêt à foncer. Il me souffle :

- Un seul tireur.- Tu peux l’avoir ?- Il y a un flingue dans la voiture. Si

on l’atteint, on pourra au moins essayerde se défendre. Restez ici, j’y vais.

Je pose la main sur son avant-bras.- C’est ça, bien sûr… je viens avec

toi.

Son regard, sérieux se pose sur moi etil a un sourire faible et malheureux.

- Je suppose qu’essayer de t’enempêcher serait une pure perte de temps.

- Tu commences à bien me connaître.- Alors ce sera peut-être notre

dernière aventure ensemble.- Jack, écoute…Mais il court déjà vers la sortie.Tête de mule…Je le suis, Adam sur mes talons.

Dehors, le silence règne. Un silencetendu. Le tireur est indiscernable.

- À mon signal, tout le monde seprécipite derrière la jeep, lance Jack. Il

faudra faire vite. Nous serons àdécouvert. Nous ne pouvons que pariersur un relâchement de celui qui nousattaque.

La jeep n’est qu’à quelquesenjambées, mais savoir que le viseurd’une arme est peut-être pointé sur lechemin qui nous y mène me la faitparaître à des kilomètres.

- On y va, murmure Jack.Et je cours à sa suite. Un coup de feu

claque, mais la balle ne fait que siffler àmes oreilles et se fiche dans un troncd’arbre derrière moi. Je cours plus viteencore et m’arrête en heurtant del’épaule la carrosserie de la voiture.

- Aïe ! gémis-je.Jack se tourne vers moi et me masse

rapidement l’épaule.- Ça va ?Je hoche la tête. Il ouvre la portière,

glisse son bras à l’intérieur, se tend leplus possible au ras du plancher et enfinparvient à ramener le flingue planquésous le siège passager. Il l’arme. Sesyeux verts sont déterminés. Il n’a paspeur. Il calcule. Il cherche le meilleurplan pour nous tirer de là.

- J’ai eu le temps de joindre lessecours, mais ils ne seront pas là avantune bonne heure. Nous ne pouvonscompter que sur nous pour nous en

sortir. Il faut trouver ce type et l’arrêter.- Bien capitaine Cabualca, plaisanté-

je maladroite, la trouille me tordant lesentrailles.

Il a un demi-sourire et un petit rirecraquant. Mais il le laisse en suspens etse fige.

- Où est Adam ?J’ouvre des yeux interloqués et me

retournent : effectivement, Adam n’estpas derrière moi. La peur me gagne. Jeme redresse rapidement pour jeter unœil par-dessus le capot de la voiture etreste saisie, mon visage devenant blanccomme un linge. Jack se relève à sontour pour découvrir la même scène que

moi.Adam est mis en joue par un homme

immense aux cheveux d’un noir d’encre.Jack pointe son arme en direction del’inconnu et cri en contournant la voiture:

- Lâchez immédiatement votre arme.Je suis un agent de la CIA, les renfortsne vont tarder à arriver, vous feriezmieux d’abandonner où vous ne sortirezpas d’ici vivant.

Mais l’homme, sans lâcher Adam desyeux ricane :

- Je me fiche d’être mort dans deuxminutes. Maintenant que j’ai retrouvé cetype, je vais lui faire payer.

Sa voix est caverneuse et sa façon derouler le R trahit une origine d’Europede l’est.

Qu’est-ce qui se passe enfin ?Jack s’approche toujours. Adam,

tendu, lui fait signe de ne plus bouger.Ses yeux bleus se lèvent vers moi, emplide désespoir :

- Pardon Emma, soupire-t-il.Puis il regarde Cabualca :- Jack, prends soin de Piero s’il te

plait. Pour Samantha. Ne l’abandonnepas.

Jack baisse un instant son arme. Puisses épaules se relâchent. Il se tournevers moi. Ses yeux verts étincelants sont

déterminés. Il n’a pas peur. Il me fixel’espace d’une seconde avec uneintensité douloureuse et souffle :

- Je veux que tu sois heureuse Emma,même si ça ne doit pas être avec moi.

Et avant que j’aie pu réagir, il jetteson arme dans ma direction et se lancesur la trajectoire entre le canon dupistolet de notre agresseur et Adam.

Le coup de feu claque.Et Jack s’effondre.Mon cœur se fige.L’inconnu se tourne vers moi et lance :- Emma Wilde, quelle excellente

surprise. Attila Jones te passe le

bonjour…Et tout mon être se glace.

FIN

Auteurs : Lou Duval & Emma Loiseau

Nisha Editions

Cognac la forêt

N° Siret 510 783 467 000 36