L'oreille cassée

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n°10 décembre 2005 édito Le bruit est inhérent à l’activité humaine et les sons nécessaires ou agréables pour les uns deviennent rapidement source de nuisance pour les autres. C’est sans doute pourquoi 67 % des salariés français se disent dérangés par le bruit sur leur lieu de travail et 7 % sont exposés à des bruits pouvant entraîner une perte auditive. Une exposition continue au bruit, même inférieure à 80 décibels, est source de fatigue ou de stress et accroît le risque d’accidents du travail. En un mot, c’est pénible ! L’utilisation de bouchons d’oreilles ou de casque antibruit peut certes protéger les salariés, mais reste une gêne et un facteur d’accident. Si l'in- tensité du bruit au travail n'est pas toujours élevée, son caractère invasif le rend souvent intolérable. Seule la suppression du bruit à la source ou sa forte réduction est bénéfique à la fois pour la santé des salariés et pour l’environnement. Pour les salariés, abaisser de 5 décibels les niveaux d’exposition est un progrès. Mais les performances supposées des protections auditives resteront-elles la référence, ou verra-t-on enfin se développer dans les entreprises, dans le respect des principes de la pré- vention collective, de réelles politiques de réduction du bruit à la source ? Dans ces conditions, aller à un concert ou utiliser un baladeur reste moins dange- reux que travailler 35 heures par semaine dans une ambiance sonore d’en moyenne 87 décibels ! L'Organisation Mondiale de la Santé a reconnu la perte d'audition induite par le bruit comme « la maladie du travail irréversible la plus répandue ». Comme nous y a invité la 6 ème semaine européenne pour la santé et la sécurité au travail,halte au bruit ! Pierre-Yves Montéléon Président de l’INRS 1 alip r é vent i on R isques professionnels T ravail S ociété DR DR Interview de Marcelle Ramonet, députée du Finistère, Présidente du Conseil national du Bruit Page 2 L’oreille cassée L e bruit fait l’objet d’une perception sociale paradoxale. Les nuisances sonores environnementales sont de moins en moins tolérées et sont accusées de provoquer fatigue ou stress. Mais le bruit au travail est encore souvent considéré comme un « risque du métier » acceptable, alors même que ses effets sur la santé sont irréversibles. En 2003, 632 surdités professionnelles ont été reconnues. Plus encore, la conjonction d’une exposition professionnelle au bruit et à d’autres substances, chimiques par exemple, fragilise encore plus l’oreille et peut provoquer des surdités précoces. Malgré « l’année européenne du bruit » qui s’achève à la fin du mois, ce risque professionnel est généralement sous-estimé, par les chefs d’entreprise comme par les salariés. La mise en œuvre d’une réglemen- tation plus contraignante dans les prochains mois pourra-t-elle faire progresser la prévention du risque bruit en entreprise ? Assemblée Nationale

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édito

Le bruit est inhérent à l’activité humaineet les sons nécessaires ou agréables pourles uns deviennent rapidement source denuisance pour les autres. C’est sans doute

pourquoi 67 % des salariés français se disent dérangéspar le bruit sur leur lieu de travail et 7 % sont exposésà des bruits pouvant entraîner une perte auditive.

Une exposition continue au bruit, même inférieure à80 décibels, est source de fatigue ou de stress etaccroît le risque d’accidents du travail. En un mot,c’est pénible ! L’utilisation de bouchons d’oreilles ou decasque antibruit peut certes protéger les salariés,mais reste une gêne et un facteur d’accident. Si l'in-tensité du bruit au travail n'est pas toujours élevée,son caractère invasif le rend souvent intolérable.Seule la suppression du bruit à la source ou sa forteréduction est bénéfique à la fois pour la santé dessalariés et pour l’environnement.

Pour les salariés, abaisser de 5 décibels les niveauxd’exposition est un progrès. Mais les performancessupposées des protections auditives resteront-ellesla référence, ou verra-t-on enfin se développer dansles entreprises, dans le respect des principes de la pré-vention collective, de réelles politiques de réductiondu bruit à la source ? Dans ces conditions, aller à unconcert ou utiliser un baladeur reste moins dange-reux que travailler 35 heures par semaine dans uneambiance sonore d’en moyenne 87 décibels !

L'Organisation Mondiale de la Santé a reconnu la perted'audition induite par le bruit comme « la maladie dutravail irréversible la plus répandue ». Comme nous y ainvité la 6ème semaine européenne pour la santé et lasécurité au travail, halte au bruit !

Pierre-Yves MontéléonPrésident de l’INRS

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Réalité préventionR i s q u e s p ro f e s s i o n n e l s T r a va i l S o c i é t é

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Interviewde Marcelle Ramonet,députée du Finistère, Présidente du Conseil national du BruitPage 2

L’oreille cassée

L e bruit fait l’objet d’une perception sociale paradoxale. Les nuisancessonores environnementales sont de moins en moins tolérées et sontaccusées de provoquer fatigue ou stress. Mais le bruit au travail estencore souvent considéré comme un « risque du métier » acceptable,alors même que ses effets sur la santé sont irréversibles.

En 2003, 632 surdités professionnelles ont été reconnues. Plus encore, laconjonction d’une exposition professionnelle au bruit et à d’autressubstances, chimiques par exemple, fragilise encore plus l’oreille et peutprovoquer des surdités précoces.

Malgré « l’année européenne du bruit » qui s’achève à la fin du mois,ce risque professionnel est généralement sous-estimé, par les chefsd’entreprise comme par les salariés. La mise en œuvre d’une réglemen-tation plus contraignante dans les prochains mois pourra-t-elle faireprogresser la prévention du risque bruit en entreprise ?

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Rencontre avec…Compte-tenu des enjeux de santé et économiques, la lutte contre le bruitmériterait même d’être élevée au rang de grande cause nationale.

Marcelle Ramonet,députée du Finistère,

Présidente du Conseil nationaldu Bruit

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Créé en 1982, cet organisme comprend 72 membres, nommés pour trois ans par leministre chargé de l’Environnement, repré-sentant les élus nationaux et locaux (par-lementaires, maires, conseillers générauxet régionaux), les différents départementsministériels concernés par la lutte contre lebruit, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs, les organisationsprofessionnelles ou entreprises concourantà la lutte contre les nuisances sonores oudéveloppant des activités bruyantes, lesassociations concernées par la lutte contrele bruit, des personnalités qualifiées...Le Conseil est consulté sur des questionstraitant de nuisances sonores et sur desprojets de réglementation dans ce domaine.Composé de spécialistes dans le domainedes nuisances sonores, le Conseil possèdeune capacité d’expertise reconnue danstous les domaines de la lutte contre lebruit. Ainsi, il été saisi pour avis sur ledispositif de maîtrise des nuisances sonoresde l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle àl’occasion de la construction des deux nouvelles pistes, sur le projet de Code del’Environnement, sur le projet de directiveeuropéenne sur le bruit ambiant ainsi que sur l’élaboration et la révision de nombreux décrets : musique amplifiée,établissements de santé, d’enseignement,hôtels, bruits de voisinage...Il propose des mesures propres à réduireles nuisances sonores. Doté d’une capacitéd’autosaisine, il a mené une réflexion surdes thèmes non encore réglementés (aviation légère, hôtels...) et sur les moyens d’améliorer la réglementation en vigueur(bruits de voisinage...), il a élaboré des chartes de bonne conduite, des recom-mandations.Il mène actuellement des réflexions sur lebruit des poids lourds et sur le bruit desmoyennes surfaces en centre-ville. Il élaboreune réglementation sur les établissementssociaux et médico-sociaux, et les établisse-ments de sports.Le CNB informe et sensibilise le public en participant à des colloques ou en organisant des rencontres. Par le biais de plaquettes d’information et d’affichettes,

il vise à inciter le public à adopter un com-portement plus citoyen.Enfin, il organise un concours “LE DECIBELD’OR” récompensant des initiatives remar-quables dans le domaine de la lutte contreles nuisances sonores.Dès sa création, le CNB a mis en place unecommission relative au bruit au travail. En1994, il a contribué à la rédaction d’unebrochure de l’INRS sur l’exposition des tra-vailleurs au bruit (méthode de mesurage).Plus récemment, en décembre 2004, il adonné un avis sur la transposition de ladirective bruit au travail. Il mène actuelle-ment une réflexion relative à la sous-déclaration éventuelle des surdités profes-sionnelles.

R.P. : L’évolution des pratiques en entreprisepasse-t-elle par un durcissement de laréglementation (comme dans les mois quiviennent avec la directive européenne) oupar un effort de sensibilisation ?M. R. : Tous les moyens sont bons pourfaire reculer les nuisances sonores.• Une réglementation plus rigoureuseLe projet de décret, présenté par le ministère de l'Emploi de la CohésionSociale et du Logement, transpose la direc-tive 2003/10/CE du parlement européen etdu conseil du 6 février 2003 concernant lesprescriptions minimales de sécurité et desanté relatives à l'exposition des travailleursaux risques dus aux agents physiques(bruit). Le CNB a constaté avec satisfactionque ce nouveau texte constitue une avancéepar rapport aux textes précédents, notam-ment en ce qui concerne l'abaissement desseuils d'action de 5 dB(A) et les précisionsapportées sur le contenu de l'évaluationdes risques. Le texte donne également desindications sur le contenu du plan deréduction du bruit en citant des exemplesd'actions. Ces nouvelles mesures ne peuventque renforcer la protection des travailleurssoumis au bruit.• Une application effective de la réglemen-tation en vigueurLes contrôles réalisés en entreprise ontpermis de constater que, globalement la

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Réalité Prévention : Jusqu’à présent, on al’impression que le bruit au travail estmieux toléré que les nuisances sonoresenvironnementales. Quel regard portez-vous sur ce décalage ?Marcelle Ramonet : Il existe en effet unepart d’acceptation du bruit de son activitépar le salarié. En effet, le bruit est considé-ré comme inhérent à certaines activités et le rapport SUMER 2003 (surveillancemédicale des risques professionnels) leconfirme, puisque certains secteurscomme l’industrie du bois et du papier, lamétallurgie et la transformation desmétaux, la construction… exposent aubruit plus de la moitié de leurs salariés… etqu’au total, plus de 3 millions de salariésdéclarent aujourd’hui être exposés à unbruit supérieur à 85 dB(A).Les nuisances sonores environnementalessont entièrement subies alors que le bruitau travail correspond à un risque acceptépar le salarié qui dépend de sonemployeur. Il faut donc être très vigilantdans l’application de la réglementation dubruit au travail, notamment en matière deprévention.

R.P. : Quel est le rôle du Conseil national duBruit ? Est-il compétent en matière debruit au travail ?M. R. : Le CNB est une instance de concertation et de conseil, placée auprèsdu ministre chargé de l’Environnement,qui rassemble tous les acteurs concernéspar la lutte contre le bruit.

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Avis d’expert

Pierre Canetto,Ingénieur acousticien, INRS

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réglementation est bien respectée par les grandes entreprises qui disposentdes moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre des mesures plus restrictives. En revanche, les PME ontplus de difficultés pour dégager les disponibilités nécessaires.

• Un effort de sensibilisation

Cet effort est nécessaire, au niveau desentreprises,des travailleurs et de la médecinedu travail. À titre d’exemple, les activitéstertiaires ne sont pas encadrées par unequelconque réglementation spécifique delutte contre les nuisances sonores. Or, leconfort acoustique, qui peut se définircomme la possibilité pour un individud’entendre les sons qui lui sont utiles et dene pas être gêné par les bruits inutiles oudérangeants, n’engendre qu’un faible surcoût au regard des résultats obtenus.

Une démarche préalable globale et pluri-disciplinaire concernant les ambiances(acoustique, qualité de l’air, éclairage etthermique) ainsi que l’organisation du travail et de l’espace menée avec des professionnels (acousticiens, architectes,contrôleurs techniques et industriels dubâtiment) permettrait de prendre encompte cet aspect, souvent mal abordé àl’occasion d’un projet de construction oud’aménagement.

R.P. : Les différents publics vous semblent-ils suffisamment bien informés sur lebruit, sur le caractère irréversible des surdités par exemple ?

M. R. : Non, bien évidemment… Au-delàdes surdités, il ne faut pas oublier que lesnuisances sonores peuvent avoir, à longterme, un impact sur la santé de nos concitoyens. L’OMS a constaté, au traversde différentes études, que les effets lesplus fréquemment cités sont les perturba-tions du sommeil (difficultés d’endormis-sement, réveils fréquents) dont les effetssur la santé sont patents ainsi que le stresset les maladies cardio-vasculaires.

Le CNB doit continuer à informer tous lescitoyens, il doit mais également sensibiliserles médecins généralistes aux risquesencourus par certains travailleurs, lesentreprises et plus généralement tous lesacteurs du bruit. Compte-tenu des enjeuxde santé et économiques, la lutte contre lebruit mériterait même d’être élevée aurang de grande cause nationale.

Comme préalable à toute réflexion sur lebruit, un paradoxe doit être pris en compte.Dans le grand public, le bruit est unenotion essentiellement perçue comme dudomaine de l’environnement : on n’associea priori le bruit qu’aux perturbationsengendrées par exemple par la proximitéd’un aéroport, par la perturbation d’un voisinage ou d’un véhicule bruyant. Orcette gêne, même si elle peut être un facteur important de stress, n’entraîne engénéral pas de problème physiologique surl’audition elle-même. En revanche, lebruit au travail, par ses niveaux élevés etses durées d’exposition longues, peutentraîner des troubles d’audition durables.Cependant, les habitudes professionnellesfont qu’il est considéré comme une composante “normale” du travail et il estalors mieux accepté par les salariés. Lerisque acoustique est donc souventsous-estimé dans les entreprises, et par lessalariés eux-mêmes, alors que les surditésfont partie des maladies professionnellesles plus reconnues.

Les législations existantes et les documentsréglementaires concernent d’ailleurs enmajorité les domaines environnementaux.De même, les sujets d’information et desensibilisation sur le bruit (campagnes,reportages…) sont orientés vers cette préoccupation. Et pourtant, s’il est undomaine dans lequel une action de prévention, correctrice ou plus en amont,est possible, c’est bien celui-ci

Le bruit sur le lieu de travail se distinguetechniquement par des paramètres spécifiques : espace de propagation dubruit de grandes dimensions, impliquantde nombreuses réflexions sonores (atelier),et des sources sonores nombreuses etcomplexes (les équipements). Une recherchedans ce domaine, telle qu’entreprise àl’INRS, tient donc toute sa place dans unepolitique de prévention.

La difficulté technique du problème, et laméconnaissance du risque que nous avons évoquée, font que dans beaucoup d’entreprises, des progrès restent possible.

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Le recours à un équipementde protection individuelle (EPI),

même s’il est parfois un complément nécessaire,

reste trop souvent une solutionprivilégiée,

ce qui va à l’encontre des principes de prévention qui privilégient une approchecollective. En ce qui concerne ces solutions,les entreprises ont par réflexe recours àdes solutions classiques choisies a priori,sans étude d’ensemble de la situation(encoffrements de machines, traitementde locaux…) et souvent sans effectuer d’étude permettant de les optimiser. Lesactions d’organisation (répartition detâches, déplacement d’équipementsbruyants…) et à la source (amélioration deséquipements) sont encore peu courantes.L’achat d’équipements silencieux, mis enavant par la réglementation, est encore peuentré dans les mœurs.

Avec la transposition de la directive européenne, les seuils d’action vont êtreabaissés de 5 dB(A), passant ainsi de 85 à 80dB(A). Ces seuils représentent des niveauxd’exposition sonore à partir desquels l’em-ployeur doit prendre des mesures de pré-vention définies : suivi médical, port d’EPI,plan d’actions… Il ne s’agit donc pas devaleurs “à ne pas dépasser” au sens strict duterme. Mais il est à craindre que cet abais-sement change en réalité peu de choses :nombre d’entreprises ont encore desniveaux d’expositions supérieurs à 85 dB(A) ,et c’est sur celles-ci qu’il faut agir en priorité.Le réflexe du législateur qui abaisse un seuilpour traiter un problème est une solutionde facilité trop souvent mise en œuvre : le

vrai problème est surtout de s’assurer queles seuils d’origine sont bien respectés…

La directive intègre une notion nouvelledans le domaine du bruit au travail qui estla notion de “valeur limite d’exposition”,fixée à 87 dB(A). Par opposition aux seuilsd’action évoqués plus haut, il s’agit ici devaleurs à ne dépasser sous aucun prétexte.Cette obligation est ainsi homogène avec laréglementation des expositions chimiques.De par sa nature, elle peut paraître pluscontraignante. Cependant, elle nécessitede prendre en compte la protection de l’EPI– dont l’effet est justement de diminuerl’exposition. Le résultat est ainsi paradoxal :respecter cette contrainte pourrait amenerà favoriser l’emploi d’un EPI, puisqu’il doitêtre pris en compte… Ce risque se doubled’un problème technique majeur dont lesconséquences légales peuvent être graves.

En effet, il est unanimement acquis pourtous les spécialistes que la protection réel-le des EPI sur le lieu de travail est inférieureà celle mesurée en laboratoire, et indiquéesur le produit. Les raisons sont multiples :différence des conditions sonores en laboratoire et sur site (niveau et répartitionfréquentielle), variabilité de fabrication sur un même produit, mode de port del’EPI, usure… Les écarts peuvent être considérables selon le cas.

Dès lors, comment évaluer l’expositionsonore réelle et protéger efficacement? À ce jour, il n’existe pas de position européenne commune. Afin de répondre àce souci, chaque pays va donc édicter unerègle spécifique. On risque d’aboutir à uneincohérence étonnante, où pour un bruitdonné un salarié serait considéré commebien protégé en France, mais pas auRoyaume-Uni…

Une mission essentielle d’un Institutcomme l’INRS est de sensibiliser les

Avis d’expertPierre Canetto,Ingénieur acousticien, INRS

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salariés des entreprises au risque qu’ilsencourent. Et ce n’est pas tâche facile,comme je l’ai indiqué plus haut. L’INRSs’est donc lancé dans une politique d’édition sur ce sujet : plusieurs projets dedocuments sont en cours. Dans le mêmeesprit, l’INRS a remporté un appel d’offre dela Commission européenne pour la rédaction d’un “Guide de bonne pratique”sur l’application de la nouvelle Directive“Bruit”, destiné en particulier aux PME.

Une autre mission de l’INRS est de mettreau point des outils, pour les préventeursd’entreprises, leur permettant à la fois d’analyser les situations de travail et detrouver des solutions d’amélioration. Lesrecherches des laboratoires d’Acoustiquede l’INRS ont ainsi conçu un logiciel de pré-vision d’ambiance sonore dans les locaux,un système de mesure pour identifier lessources de bruit prédominantes dans unatelier, des bases de données comparativesd’émission sonore d’équipements, maisaussi des méthodes d’évaluation de l’exposition, de la performance des EPI…

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Echelle de bruit

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Le Centre Interrégional de Mesures physiques est une structure d’appui interne au Service Prévention de la Caisserégionale d’assurance maladie. Il inter-vient en entreprise, dans les régionsLanguedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d'Azur, pour l’analyse de risques physiques (bruit, ventilation, vibration,etc.) et la préconisation de solutions deprévention. Il est certifié ISO 9001 pourl'ensemble de ses prestations.

Les interventions sur le bruit au travailsont les plus nombreuses, presque la

moitié du total d’interventions chaqueannée. Pourtant, le plus souvent, ce ne sontpas les entreprises qui sont demandeuses.Les techniciens du Service Prévention lorsd’une visite d’entreprise, repèrent uneexposition trop élevée des salariés etsollicitent le CIMP. Parfois également, c’estlorsque les riverains se plaignent d’uneactivité trop bruyante que le risque est prisen compte : socialement, le bruit au travailest mieux toléré que le bruit environne-mental !

La première tâche de Xavier Bouisson est d’analyser la situation de travail : carac-térisation des locaux, dialogue avec les

opérateurs, analyse de l’activité, étude des flux, circulation des hommes et desmatières premières, repérage des sourcesde bruit. Les mesures interviennent aussibien pour évaluer l'exposition des salariésau poste de travail que dans le but decaractériser les locaux. Il est important debien comprendre l’activité réelle des opérateurs : la solution préconisée doit

permettre une réduction significative du bruit, mais aussi être acceptée par lessalariés, c’est-à-dire ne pas les gêner dansleur activité. Xavier Bouisson se rappelleun encoffrement de machine bruyante,efficace en théorie, mais interdisantl’accès à la machine pour les activités demaintenance : inutilisable, l’encoffrementavait été supprimé. Or, ce dialogue nécessaire est parfois difficile : sous-estimation du risque, méconnaissance desvaleurs-limites, réticences devant desinvestissements jugés peu utiles pour la productivité… et priorité accordée au port des équipements de protection

individuelle plutôt qu’aux mesures de prévention collective.

Le CIMP fait pourtant des préconisationsd’amélioration et veille à ce qu’elles soientsuivies. Il accompagne l’entreprise dans sonprojet en l’aidant à trouver les fournisseurs,à choisir entre les différentes solutionstechniques proposées. Celles-ci peuventêtre relativement complexes et faire appelà un ou plusieurs types de techniques, parexemple : encoffrement des machines, iso-lation des postes bruyants, réorganisationd'atelier, pose de revêtements absorbants.

Paradoxalement, les locaux neufs sontconcernés au même titre que les bâti-ments plus anciens : les matériaux lissestrès réverbérants choisis pour leur esthé-tique ou pour leur coût (baies vitrées,bardages métalliques …) peuvent se révélerparticulièrement gênants pour les salariés.Le secteur tertiaire fait aussi partie du“portefeuille” d’interventions du CIMP,moins pour des problèmes graves de surditépotentielle que pour des ambiances sonoresengendrant fatigue et stress.

Mais les activités industrielles tradition-nelles restent la majorité des cas traitéspar le CIMP, et les surdités professionnellessont un des risques majeurs encourus parles salariés. Le secteur agro-alimentaire(embouteillage de vin, conserveries…), l’in-dustrie du bois ou l’industrie mécanique,sont très représentées dans la région.L’application très prochaine de la nouvelledirective “bruit”, avec l’abaissement desseuils de 85 à 80 dB(A) représente un pasimportant vers une meilleure protection del'ouïe des salariés, les agents des CIMP sontprêts à aider les entreprises en ce sens.

“Nous observons d'ailleurs dans certains casdes réductions importantes de niveauxsonores après travaux qui font que leniveau de bruit résiduel se situe déjà endeçà des 80 dB(A).”

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Côté partenairesXavier Bouisson, Caisse régionaled’Assurance Maladie du Languedoc-Roussillon,Centre Interrégional de Mesures Physiques (CIMP)

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Une main d’œuvre vieillissante dans l’entreprise rendait le risque de surditéprofessionnelle d’autant plus sensible. Laseule politique de prévention jusqu’alorsmise en place était celle du port d’équipe-ments de protection individuelle, casqueou bouchons d’oreille. C’est la Caisse régionale d’assurance maladie qui, lorsd’une visite, a rappelé que les principesgénéraux de prévention étaient avant toutfondés sur une prévention collective. Letraitement du bruit à la source semblait eneffet une solution envisageable.

simple, le bruit ne serait pas le facteurdéterminant. » Malgré des réticences liéesà un investissement dont il ne voit pas larentabilité immédiate, Philippe Leveaus’est donc lancé dans une démarche dont ilest finalement satisfait.

Les bouchons d’oreille ne faisaient detoute façon pas l’unanimité chez les salariés. L’impression que l’on s’habitue aubruit l’emporte sur la crainte de devenirsourd. Plus encore, le bruit est un indica-teur précieux pour les opérateurs. « Nous

avons l’habitude d’écouter le bruit dela machine pour vérifier son bon fonc-tionnement. Quand le papier casse,par exemple, on l’entend tout de suite,et on peut intervenir immédiatement.Avec les bouchons d’oreille, on entendmoins bien », dit Thierry Fillodeau,membre du CHSCT.

C’est une culture et des habitudes qu’il a fallu

modifier.L’arrivée d’opérateurs plus jeunes afacilité cette mutation.

L’entreprise IMV a bénéficié d’uncontrat de prévention pour la réalisa-tion de l’encoffrement des machinesbruyantes et du revêtement des mursavec un matériau moins réverbérant.De l’étude acoustique aux réalisa-tions techniques, 248 000 euros ontété investis, dont 40 % pris en chargepar la CRAM au titre de ce contrat deprévention.

Le CHSCT et le médecin du travail ontété étroitement associés à l’ensemble de la démarche : « Mon objectif était de conju-guer production et protection. Il aurait étéimpensable de nuire à la qualité ou à lafonctionnalité des postes par des aménage-

ments mal pensés », dit Philippe Leveau.Gérard Huchelou le confirme, « les agentsont été écoutés, machine par machine, etc’est vraiment du sur-mesure qui a été fait. » Les mesures faites après encoffre-ment des machines l’attestent avec uneréduction des émissions sonores de 10 à 20dB(A). Bonne conseillère, la CRAM s’estd’ailleurs fondée non sur la valeur-limitetoujours réglementaire de 85 dB(A) maissur celle qu’imposera très prochainementla directive européenne “Bruit”, de 80dB(A). De même, l’isolation des postes detravail évite aux opérateurs d’être gênéspar le bruit des machines voisines.

« On a gagné en concentration,en attention, on peut parler

sans crier, on est plus disponiblepour le travail »

Les deux membres du CHSCT sont unani-mes. Amusé, Philippe Leveau ajoute :« Avant, le bruit montait jusqu’à monbureau, aujourd’hui, j’ai l’impression que lesmachines ne tournent pas, je suis obligé dedescendre dans l’atelier pour vérifier quetout va bien. J’ai quand même perdu un indicateur de production ! ». Six lignes deproduction ont été équipées, la septièmeet dernière est programmée en 2006.

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Malgré la directive européenne“Machines” qui prévoit la réduction desémissions sonores, les fabricants sontencore peu sensibles à cet aspecttechnique. « Et de toute façon, si je devaischanger de fournisseur, ce qui n’est pas

La parole à…Imprimerie Moselle Vieillemard,P. Leveau, Président du groupe, A.-M. Lejeune, directrice administrative, T. Fillodeau et G. Huchelou, membres du CHSCT, V. Corlier, contrôleur de sécurité, CRAMIF.

Cela fait quatre ans que l’imprimerie IMV, 76 salariés, s’intéresse à la question du bruit. Traditionneldans ce secteur d’activité, le bruit est essentiellement dû au fonctionnement des machines rotatives.Les salariés sont fréquemment exposés à des niveaux sonores autour de 100 dB(A), au point que lesmembres du CHSCT et le médecin du travail ont alerté Philippe Leveau, président du groupe MoselleVieillemard.

Encoffrement de la ligne de production

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L’une des composantes de ce projet est lamodernisation du Centre de santé et desécurité au travail (ISGUM - OccupationalHealth and Safety Centre). Les bâtiments(laboratoires et bureaux) ont été entièrement rénovés. Il était par ailleursindispensable de réunir les compétencesnécessaires à l’ISGUM pour remplir sa mission, en recrutant des ingénieurs spécialistes des différents domaines intéressant la santé et la sécurité au travail :chimie, mines, mécanique, génie civil, etc.Les membres de cette nouvelle équipe ont bénéficié d’une formation générale ensanté et sécurité au travail et de forma-tions spécifiques dans leurs domaines decompétence. En outre, l’ISGUM s’est dotéde nouveaux équipements de laboratoireet d’appareillage de mesure mobile (systè-mes d’échantillonnage, appareils de mesu-re des niveaux de bruit/vibrations).

Dans le domaine de l’exposition profes-sionnelle au bruit, le texte transposant ladirective 2003/10/CE du Parlement euro-péen et du Conseil a été publié au journalofficiel turc le 23/12/2003.

Après l’entrée en vigueur du texte, descontrôles en entreprise ont été réaliséspour vérifier le respect des critères de l’UE,avec mesure des niveaux de bruit en

différents points de l’entreprise et testsaudiométriques in situ.

En 2004, 2759 mesures de niveaux de bruitet 888 tests audiométriques ont ainsi été réalisés en Turquie ; pour le premiersemestre 2005, ces chiffres étaient respec-tivement de 1157 mesures de niveaux debruit et 377 tests audiométriques.

Parmi les initiatives lancées pour sensibi-liser les employeurs et les salariés aux problèmes du bruit, une enquête, réaliséeen octobre 2004 dans une entreprise textile du Sud-Est de la Turquie, a été utili-sée dans le cadre d’un séminaire organisédans la région sur les problèmes de condi-tions et d’environnement de travail. Aumoment de l’étude, l’entreprise comptait256 salariés. Les niveaux de bruit ont étémesurés en 120 points, et 34 personnes ontsubi des tests audiométriques. D’autresparamètres ont également été mesurés(niveau d’éclairage, quantité de poussièresinhalables, confort thermique). Un rapportcomplet, reprenant les résultats de l’étudeet soulignant notamment la nécessitéd’une formation du personnel à la préven-tion des risques d’exposition au bruit, a étéprésenté aux employeurs.

Les semaines suivantes, des séminaires deformation ont été organisés dans lesentreprises de la région présentant desniveaux de bruit élevés. L’objectif étaitd’informer les salariés sur le bruit au travail, ses caractéristiques, ses sources, seseffets néfastes sur la santé ainsi que sur lesmesures applicables pour prévenir le bruità la source et les règles d’utilisation deséquipements de protection individuelleaux termes de la nouvelle législation envigueur.

La Turquie a un taux d’accidents du travailtrès élevé par rapport aux 15 premiers Étatsmembres de L’UE même si le nombre de

maladies professionnelles paraît un peumoins élevé en raison de l’insuffisance desméthodes de dépistage et de diagnostic.Lors du processus d’harmonisation, laTurquie a beaucoup appris sur la prévention,l’évaluation des risques, les méthodes demesure, la formation, etc., que ce soit dansle domaine du bruit ou sur d’autres aspectsde la santé et de la sécurité au travail.

Les séminaires et stages de formationorganisés régulièrement en Turquie ontpermis de sensibiliser un grand nombre desalariés et d’employeurs aux risques liés aubruit en milieu de travail, aux causes dubruit, à la nécessité de prévenir le bruit à lasource et d’utiliser des équipements deprotection individuelle adaptés.

En outre, 805 ingénieurs et techniciens suivant des formations certifiantes en SSTet 80 infirmières suivant des formationscertifiantes d’infirmière en santé au travailont bénéficié en 2004 des cours de l’ISGUMsur le bruit, sa nature, ses effets et lesméthodes de mesure et de réduction dubruit.

En 2005, ces actions commencent à porterleurs fruits. Bien qu’à certains postes detravail, les niveaux de bruit demeurentsupérieurs aux limites admissibles, l’utili-sation d’équipements de protection indivi-duelle tels que les bouchons d’oreille ou lesserre-tête antibruit a considérablementprogressé, ce qui témoigne d’une sensibili-sation des employeurs et des salariés auxrisques liés au bruit en milieu de travail.

On peut dire en conclusion que si laTurquie figure parmi les pays ayantconsenti des efforts importants pour seconformer à l’acquis communautaire etaméliorer les conditions de travail, des progrès restent à accomplir.

En tant que pays candidat à l’entrée dans l’UE, la Turquie a déployé ces dernières années des effortsimportants d’harmonisation avec l’acquis communautaire. Dans le domaine de la santé et de la sécuritéau travail, la transposition des textes est du ressort du ministère du travail et de la sécurité sociale. Unprojet a démarré début 2004, avec le soutien de la Commission européenne, pour accompagner laTurquie dans ses efforts de développement de la santé et de la sécurité au travail.

Regard international

M. Adnan Inem, directeur de l’ISGUM

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Réalité prévention

Page 8: L'oreille cassée

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L e b r u i t e t l ’o d e u r

Physiologie de la surditéLa surdité professionnelle reste une maladie insidieuse à plusieurs titres.Indolore, elle apparaît bien souvent desannées après l’exposition à l’agenttraumatisant, bruit ou agent ototoxique,rendant par là même difficile la corrélationentre exposition et surdité.

C’est la mort des cellules ciliées consti-tuant l’organe de Corti qui est à l’originede la surdité professionnelle.

Un bruit d’une intensité trop élevéeengendre des mouvements de l’organe de Corti d’une telle amplitude que les sté-réocils plantés sur ces mêmes cellulesciliées peuvent s’arracher ou se briser. Enrevanche, certaines substances dites ototoxiques sont inoffensives pour les stéréocils mais empoisonnent les cellulesciliées à leur base. Le résultat est identique :les cellules meurent.

Comme la mort des neurones, la dispari-tion des cellules ciliées est irréversible et en conséquence la surdité sans appel.La presbyacousie est à l’ouïe ce que la presbytie est à la vue : une baisse de

l’acuité auditivedue au vieillisse-ment. Si notreoreille souffre detrop nombreusesagressions domma-geables, le risqued’une presbyacou-sie précoce est alorsà redouter.

À bon entendeur,salut !

Actualités INRS

Expositions multifactoriellesSi le bruit reste le facteur professionnel le plus agressifpour l’oreille, d’autres facteurs combinés peuventpotentialiser le risque.

Certaines substances chimiques comme les solvants aromatiques chlorés ou certains gaz comme le monoxydede carbone et l’acide cyanhydrique, appartiennent égale-ment à l’environnement professionnel et augmentent lerisque engendré par l’exposition au bruit.

D’autres substances que l’on trouve en dehors d’un environnement professionnel se révèlent néanmoins ototoxiques lorsqu’elles sont conjuguées à une expositionau bruit. C’est le cas de l’acide acétylsalicylique (aspirine),les antibiotiques de type aminoside, les traitements anti-cancéreux ou les diurétiques.

Les personnes sous traitement doivent être informées desrisques et disposer de protection renforcée.

Une valeur limited’exposition tropélevéeDéjà classé nocif par inhalation et

irritant, le styrène, comme l’éthyl-

benzène, se révèlent aussi oto-

toxiques. Des études récentes

menées par l’INRS ont montré, des

lésions irréversibles de l’oreille

interne. Cet effet ototoxique

n’avait pas été rapporté auparavant

à des concentrations aussi faibles.

Compte tenu de ces nouvellesdonnées, la valeur limitemoyenne d’exposition profes-sionnelle (VME) au styrène de100 ppm actuellement envigueur au niveau français semble trop élevée pour garan-tir la protection des travailleurs,et un ré-examen de cette valeursemble justifié.

Risques professionnels Travail Société

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Directeur de la publication : Jean-Luc Marié

Directrice de la rédaction : Marylène Mongalvy

Comité de rédaction : Jean-Claude André,

Pierre Angot, Philippe Jandrot, Marc Malenfer

Ont participé à ce numéro : Pierre Campo,

Pierre Canetto

Conception, réalisation : Groupe Réalités

Impression : Imprimerie de Montligeon

N° ISSN : 1762-3561

Contact : [email protected]

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Stéréocils en palissadetémoins

Stéréocils en palissadeendommagés

Stéréocils endommagés aprèsexposition au styrène

Stéréocils témoins

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