Lone Ride Around - Hors-Série Freeway - Febbraio Marzo 2011

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60 000 BORNES EN ASIE Quelques mois après le retour au pays, les pensées de Donato le ramènent encore souvent vers les 60 000 kilomètres de son Lone Ride Around… TRIP ASIE LONE RIDE AROUND Je l’ai fait ! Maintenant je peux le dire, et aussi me détendre un peu, mais dans mon esprit restent, et resteront longtemps, les images, les émotions, les rencontres de ces 60 000 kilomètres parcourus le long des routes les plus épuisantes du continent asiatique. Lone Ride Around a été une expérience de vie, beaucoup plus qu’un voyage en Harley durant 14 mois. Un projet né avec la volonté de fer de réaliser un vieux rêve devenu trop grand pour rester confiné dans un tiroir. Les rêves se concrétisent ? Parfois, mais cela dépend seulement de nous… Texte Donato Nicoletti - photos Donato Nicoletti et Simone Romeo Grèce Géorgie Turkménistan Ouzbékistan Chine Azerbaïdjan Turquie Tadjikistan Kirghizistan Pakistan Thaïlande Inde Laos Cambodge Malaisie Indonésie Mongolie Japon Russie Lituanie Pologne Autriche Italie République Tchèque Lettonie Italie

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février-mars 2012 / Hors-Série Freeway 4342 Hors-Série Freeway / février-mars 2012

60 000 BORNES EN ASIE Quelques mois après le retour au pays, les pensées

de Donato le ramènent encore souvent vers les

60 000 kilomètres de son Lone Ride Around…

TRIP ASIE

LONE RIDE AROUND

Je l’ai fait ! Maintenant je peux le dire, et aussi me détendre un peu, mais dans mon esprit restent, et resteront longtemps, les images, les émotions, les rencontres de ces 60 000 kilomètres parcourus le long des routes les plus épuisantes du continent asiatique. Lone Ride Around a été une expérience de vie, beaucoup plus qu’un voyage en Harley durant 14 mois. Un projet né avec la volonté de fer de réaliser un vieux rêve devenu trop grand pour rester confiné dans un tiroir. Les rêves se concrétisent ? Parfois, mais cela dépend seulement de nous… Texte Donato Nicoletti - photos Donato Nicoletti et Simone Romeo

GrèceGéorgie

TurkménistanOuzbékistan

ChineAzerbaïdjan

Turquie TadjikistanKirghizistan

Pakistan

ThaïlandeInde

Laos

CambodgeMalaisie Indonésie

MongolieJapon

Russie

LituaniePologne

Autriche

ItalieRépublique TchèqueLettonieItalie

J’avais l’idée en tête depuis très longtemps. Je devais seulement trouver le courage de prononcer cette monosyllabe qui m’ouvrirait les portes du monde : oui ! Je savais qu’il me faudrait surmonter les obstacles bureaucratiques et les imprévus,

dont il faut tenir compte dans la recette de ce bonheur. Fort d’une expérience de 20 ans dans le voyage à deux roues, j’affrontais chaque aspect de l’organisation, conscient des guêpiers dont je devrais me sortir. Nuits passées penché sur le clavier de l’ordinateur à chercher une faille dans la muraille de méfiance du gouvernement chinois, en attente de

réponses fondamentales. Dizaines de courriers envoyés pour solliciter la délivrance des visas pour l’ex Union Soviétique. Passeport rendu seulement cinq jours avant le départ, trop tard pour me procurer à l’avance les laissez-passer pour le Pakistan, la Chine et l’Inde… J’avais étudié un itinéraire qui me permettait d’atteindre, à la période climatique la plus favorable, les lieux d’intérêt majeur pour moi. J’ai tout préparé en l’espace de six mois. Six mois passés à compter et recompter, contrôler, énumérer, repasser en mémoire tout ce que je ne pouvais absolument pas oublier. Les papiers personnels et ceux, très importants, pour la moto, les bagages, la tente, les

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Bali, Indonésie. Après le racket d’agents de

douane avides, la moto est finalement emballée :

destination Tokyo !

Penang, Malaisie. Le Dyna est hissé dangereusement par une grue pour être embarqué sur une coquille de noix à destination de l’Indonésie !

Sarchu, Inde. Les Moran’s Plain s’ouvrent à 4.000 mètres le

long de la Manall-Leh, au pied de la chaîne himalayenne.

Les coupoles turquoise des quatre minarets de Char Minar à Bukhara, Ouzbékistan.

pièces de rechange et les outils nécessaires. Listes qui variaient, qui évoluaient sans cesse en fonction des choses probablement indispensables et celles qui l’étaient indubitablement. Nombreux essais pour organiser le rangement des bagages et pour ne pas en oublier d’essentiels. Je me répétais un à un les noms des objets qui meubleraient ma maison à deux roues. Ensuite il y avait le domaine logistique, comment se mouvoir en moto, ou comment l’expédier. Traverser sur une passerelle en équilibre instable au-dessus d’un pont en réfection ou écroulé, franchir un lac artificiel, contourner un éboulement ou s’extraire de zones inondées, demande

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Même à Goa, certains “vivent” le rêve américain et voyagent en Chevrolet…

TRIP ASIE

AVION, CAMION, BATEAU ET BARQUE, OU MÊME FORCE DES BRAS, LE VOYAGE CONTINUE COÛTE QUE COÛTE AVEC UNE VOLONTÉ TENACE !

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détermination et lucidité, pragmatisme et nerfs solides. Un exemple ? L’expédition de la moto de la Malaisie à l’Indonésie. Je l’ai vue, sur un quai du port de Penang, soulevée par une grue, osciller dans l’air au-dessus de ma tête, pendant qu’on l’engouffrait dans le ventre d’un rafiot en bois grinçant et mal entretenu… Sans parler des craintes de voir cette coquille de noix sombrer une fois en pleine mer, imaginez l’appréhension ! Comme ma joie lorsque j’ai constaté au port de Belawan que ma Dyna était

entière ! Une féroce détermination m’a permis d’affronter la terrible trilogie Pamir, Karakorum et Himalaya : trois parmi les plus belles, mais terriblement éprouvantes, chaînes de montagnes du globe. Une entreprise encore jamais tentée par une Harley-Davidson, excusez du peu ! Trop envie de me mesurer avec des panoramas absolus, routes à faire peur et altitudes vertigineuses. Il y avait aussi le désir de jouir, malgré les efforts et les risques, de quelque chose d’unique, de sauvage et de primitif. Et les routes parcourues l’ont souvent été. Vingt-sept, c’est le nombre de cols que j’ai franchi lors de cet épique vol entre terre et le ciel. Comment pourrais-je définir autrement le fait d’amener 16 fois un Super Glide au-delà des 4 000 mètres ? Planer entre les nuages avec sa moto est un spectacle qui annihile la pensée et libère l’esprit. Mais lors de cette longue escalade Harley à l’épaule, les instants moins idylliques n’ont pas manqué non plus. Cela a constitué un défi dans le défi que d’affronter de véritables chemins muletiers, quand ce n’était pas moitié eau moitié boue, pour rejoindre ma destination, parfois un simple endroit abrité où planter la tente et bivouaquer. Et les heures passées à chercher à faire la mise au point sur

l’horizon, pendant que la Dyna trépidait sur la terrifiante tôle ondulée en graviers du Pamir Highway ? Comment ne pas se rappeler ensuite, lorsque sur le Karakorum pakistanais il a fallu des jours pour parcourir quelques kilomètres, en cherchant à maintenir la moto en équilibre sur le sable, sur les pierres ou dans les gués. Au sud de Gilgit j’ai dû franchir une portion effondrée du Karakorum Highway. La montagne avait emporté et précipité dans les eaux de l’Indus un tronçon entier de la voie. A sa place restait un sentier qui se faufilait entre les roches, au bord du vide, et dangereusement instable. Il n’y avait aucune possibilité de traverser en moto ce goulet et, aux dires des militaires, on devait attendre des jours avant que les ouvriers chinois aplanissent l’éboulement pour permettre le rétablissement du trafic. J’ai décidé de tenter ma chance en engageant une demi-douzaine de porteurs. Contre rémunération, je leur ai demandé de m’aider à porter la moto de l’autre côté. Pendant qu’au-dessus de nos têtes les ouvriers cassaient d’énormes blocs de roche à coups de marteau-piqueur, moi et six hommes de bonne volonté avons réussi, à la force des bras et au milieu d’un frénétique va-et-vient, à transporter

GRIMPER 16 FOIS AVEC UN DYNA AU-DELÀ DES 4 000 MÈTRES !

TRIP ASIE

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PASSO, PAKISTAN, UN GIGANTESQUE ÉBOULEMENT FORME UN LAC LONG DE 25 KM. POUR CONTINUER, LA MOTO DOIT ÊTRE CHARGÉE SUR UNE BARQUE !

Des montures qui auront rarement l’occasion de se croiser à nouveau au beau milieu de ces panoramas !

TRIP ASIE

mon Harley en la faisant littéralement ramper sur les roches. Des efforts, ainsi que d’autres, récompensés par la vue de sommets comme le Pik Lenina et Pik Kommunizma, le Muztag Ata, le Rakaposhi ou le Nanga Parbat, la montagne nue. Sommets physiques et, pour certains, également spirituels. Comment ne pas penser aux dizaines de monastères bouddhistes disséminés dans le Ladakh, qui n’est pas appelé par hasard le petit Tibet ? Ce sont des oasis de paix et de méditation dans ce désert de haute altitude. Dans un environnement dur et extrême comme celui-ci, la survie est le vrai objectif commun. Sans problèmes particuliers, cohabitent à Leh des bouddhistes, hindouistes, musulmans et chrétiens. Le mérite à l’air pur ? La plupart des villes que j’ai rencontrées sur ma route se sont avérées, surtout en Inde et en Indonésie, comme d’incroyables enchevêtrements biomécaniques, capables d’exacerber même le plus doux des esprits. Les frissons me viennent si je pense à quoi j’étais réduit il y a seulement un an. J’avais l’intention folle de traverser toute l’Inde, du nord au sud le long de la côte ouest, pour ensuite faire route vers le Népal en remontant le Golfe du Bengale. Jamais idée ne fut plus funeste. Je pensais naïvement qu’après ma précédente expérience du pays en 2007, avec plus de 5 000 km parcourus, il n’aurait pas été aussi astreignant de traverser ses villes. Ce fut une grave erreur d’évaluation et les choses ne se passèrent pas comme je le prévoyais. Ma réaction au total manque de sens civique et de considération des locaux pour leur vie et celle d’autrui fut assez traumatisante. J’ai beaucoup peiné à me mesurer avec les autres usagers de la route, envisagée par la majorité comme une extension naturelle du concept de propriété. La tension et le stress étaient constants

dans mes tentatives désespérées à prévoir les mouvements de tout ce qui se mouvait sur la route, animaux compris. Une macération psychologique capable d’anéantir n’importe qui, si un camion, le destin ou son représentant, ne s’en charge pas avant. La confusion et la loi du plus gros règlent, façon de parler, le flot continu de véhicules qui inondent ce pays démesuré. L’unique règle, pour ne pas dire arme, est de se doter d’un très puissant klaxon avec lequel on essaye d’affronter ce raz de marée. Mais c’était comme combattre contre des moulins à vent, et plus les jours passaient et plus l’état de malaise s’amplifiait. Le matin c’était un reflux gastrique qui me réveillait, en me rappelant à chaque fois où j’étais et ce que je m’apprêtais à faire. A Bangalore, un médecin m’a prescrit des médicaments pour affronter le problème. Delhi, Bombay et Calcutta, où j’ai passé le jour de l’an, offrent une précise et indéniable clé de lecture de l’Inde urbaine. Elle pourra plaire ou non mais, malgré le rapide développement technologique, la brutalité de la misère, l’air lourd des égouts à ciel ouvert, les tas d’ordures et les

aberrations du fatalisme religieux donnent l’exacte mesure de la condition dans laquelle cette énorme nation se trouve. Et à mon avis par la volonté calculée de ses gouvernants. Le discours est tout autre pour la Thaïlande et sa capitale Bangkok. La ville est énorme et encombrée, mais la multitude de véhicules qui la traverse chaque jour le fait avec diligence et patience d’ange. En file et sans slalom pour gagner un mètre sur celui qui est dans la même situation. Peut-être parce qu’ici la police n’emploie pas de bâtons de bambous mais de simples, et plus efficaces, carnets de contraventions. Une marche encore au dessus : le Japon, trop zélé et très rigide à faire respecter les règles. Ici, sont en vigueur uniquement la propreté, l’ordre, le silence et le soin maniaque que tous doivent mette à s’acquitter de son rôle social. En arrivant fin juin dans la colorée et bruyante Indonésie, il m’a semblé atterrir sur une autre planète. Peut-être un peu trop loin de notre galaxie… Un des aspects les plus passionnants de ce voyage a été le contact avec les différents groupes ethniques rencontrés dans mes traversées de frontières et de régions.

Le carburateur CV a fonctionné à la perfection. Même en Inde,

à 5 602 m d’altitude !

Tashkurgan, Chine. La Karakoram Highway monte vers le Khunjerab Pass.

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Kunjerab Pass, entre Chine et Pakistan, signe à 3 800 m l’entrée

dans le subcontinent indien. L’asphalte disparaît

aussi avec la Chine.

24 PAYS, 1000 VISAGES ET AUTANT DE RENCONTRES. QUI PEUT P    RÉTENDRE QU’ON RISQUE DE S’ENNUYER EN VOYAGEANT SEUL !

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TRIP ASIE

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L’Asie est toujours considérée comme le berceau de la civilisation. Voyager à travers ce continent revient à visiter une espèce de musée anthropologique à ciel ouvert. Caucasiens, Tartares, Indo-Aryens, Turcomans, Dravidiens, Mongols, Chinois Han, Japonais, chacun avec son fardeau d’histoire, plus ou moins connu, chacun avec ses spécificités sociales. Une telle alternance de visages, de mentalités et de dynamiques ne se relève dans aucune autre partie du monde. Parmi les visages des Ouzbeks, je ne pouvais pas ne pas reconnaître quelque chose qui évoquait Tamerlan, célèbre condottière tartare patron des steppes d’Asie centrale au quatorzième siècle. Comme je ne pourrai jamais oublier la rencontre qui m’a permis de pouvoir poursuivre mon voyage en août 2010. Un routier Tadjike répondant au nom d’Islomiddin Aslanov, que je rencontrai fortuitement, à la frontière de l’Afghanistan, me fit charger la moto sur son camion et me transporta jusqu’à ma destination, sans vouloir un sou. Il fit cela seulement parce que, selon lui, c’est ainsi que l’on se comporte entre humain, même si tu te trouves face à quelqu’un que tu n’as jamais vu et, probablement, que tu ne

reverras jamais plus. Que dire de l’impassible présence des Pakistanais ? Vis-à-vis de ce peuple, mes craintes, en bonne partie infondées, étaient causées par la déformation des médias. Entré en contact avec les gens du Pakistan, parfois par nécessité, j’ai au contraire reçu de la grande disponibilité et d’humbles sourires. La Thaïlande m’a complètement conquis, en particulier pour ses habitants. J’ai été fasciné, presque capturé, par leur façon d’aborder son prochain : peut-être le mérite en revient-il à la parole de Siddhartha Gautama ? La sérénité de leur âme, la prédisposition innée au sourire, la jovialité dans les rapports humains, sont des attitudes qui chez nous ont perdu leur sens. Et les Russes ? Peut-être le hasard, mais durant ma longue traversée de ce qui est davantage un continent qu’un pays je n’ai rencontré que des gens affables. Malgré la barrière linguistique, ils se sont tous montrés attentionnés et sans arrière-pensées, même dans la lointaine Sibérie où les filles aux jambes très longues sont d’une beauté inhabituelle… Se déplacer en Asie a été comme voyager dans le temps, en redécouvrant l’évolution des transports. Des ânes surchargés de la frontière

afghane aux charrettes tirées par des chevaux ou des bœufs, jusqu’aux cars brinquebalants avec des dizaines de mètres cubes de bagages sur le toit. Il a été intéressant d’observer les solutions ingénieuses de transport à bas prix. Bicyclettes, cyclomoteurs et petites motos adaptés ou avec remorque pour charrier marchandises et gens. Le tuk-tuk, dans l’Inde rurale, ne démarre pas s’il n’a pas au moins dix passagers à son bord. Les minibus, littéralement pris d’assaut, avec des grappes de personnes suspendues à l’extérieur, comme des décorations vivantes qui s’agitent peureusement à chaque changement de trajectoire. Comment oublier l’Indonésie, la seconde patrie de la Vespa. Dans les îles de l’archipel, le scooter italien assume le rôle de moyen de transport polyvalent par excellence. Individuel, sidecar, triporteur, fourgonnette et même customisé avec quatre roues ! Mais mon Super Glide a été lui aussi un véhicule à tout faire qui m’a permis, malgré l’ironie des sceptiques et des envieux, de mener à bien une aventure peut-être unique, très éprouvante, mais immensément enrichissante… Parce que c’est l’idée qui fait bouger les gens, pas le véhicule !

LES VILLES, L’HISTOIRE, LES PEUPLES : UN HYMNE À LA VIE !

A de telles altitudes au-dessus du niveau de la

mer, impossible de ne pas rencontrer le froid et la neige !