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LONDRES

HISTOIRE D'UNE PLACE FINANCIÈRE

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P O L I T I Q U E D ' A U J O U R D ' H U I

LONDRES

HISTOIRE D'UNE PLACE FINANCIÈRE

A N D R É G U I L L A U M E

MARIE-CLAUDE E S P O S I T O

Préface par Denise Flouzat

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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ISBN 2 13 044629 9

D é p ô t l é g a l — 1 é d i t i o n : 1993 , j a n v i e r

© Presses U n i v e r s i t a i r e s de F r a n c e , 1993 108 , b o u l e v a r d S a i n t - G e r m a i n , 75006 P a r i s

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« On a dit très justement que le marchand n'est pas forcé- ment citoyen d'aucun pays. Peu lui importe où il fait du négoce. La moindre contrariété l'amène à emporter son capital, avec l'activité qui l'accompagne, d'un pays à l'autre. On ne peut dire qu'aucune portion de ce capital appar- tienne à tel ou tel pays, avant d'être pour ainsi dire réparti sur son territoire, soit en édifices, soit en améliorations dura- bles des terres. »

Adam Smith, La Richesse des Nations, 1776, livre III, ch. 4, p. 517.

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P r é f a c e

L' ouvrage d'André Guillaume et de Marie-Claude Esposito sur Cité de Londres est un ouvrage scientifique par la qualité des infor-

mations et de leur traitement tout en restant d'une lecture toujours aisée et vivante. Il sera lu avec un grand intérêt à la fois par les historiens et les économistes. En effet, cet ouvrage d'histoire ne cesse de se situer au confluent des disciplines historique et économique.

Peu d auteurs intègrent ainsi avec bonheur l'approche théorique et compréhension des théories, des faits et des politiques. Peu d'analy-

ses font revivre, dans leur contexte historique, les grands noms qui ont jalonné les manuels d'économie et les traités d'histoire politique.

Voici, entre autres, Thomas Gresham (« la mauvaise monnaie chasse la bonne »), négociant important, bailleur de fonds d'Eliza-

beth I . Il fut le premier constructeur de la Bourse de Londres en 1566-1568 au cœur de la Cité. Il fut aussi le conseiller de la reine lorsque fut décidée la stabilisation de la livre en 1560-1561. Un

siècle plus tard, Olivier Cromwell en promulgant les lois de naviga- tion, établissait le monopole britannique sur le premier empire colo- nial de la Grande-Bretagne. La loi de navigation de 1651 fut considérée par A. Smith, hostile cependant par principe au mercan- ti lisme, comme « peut-être la plus sage des réglementations commer- ciales d' Angleterre ». En revanche, jamais plus bel éloge du libéralisme économique et politique n'a été donné que celui proposé par Voltaire

dans ses lettres philosophiques : « Le commerce qui a enrichi les citoyens d'Angleterre a aidé à les rendre libres, et cette liberté, à son tour,

a développé le commerce. C'est le fondement de la grandeur de l'Etat. » Voici aussi Ricardo, courtier à la Bourse de Londres ; il fit partie

ces vagues successives d'immigrés qui, depuis la fin du XVIII siè- ont apporté à la Cité une vision de plus en plus internationale.

Plus près de nous est brossée l'opposition après la première guerre mondiale, entre la révolution apportée par Keynes, champion de la

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relance budgétaire et l'orthodoxie des finances publiques défendue notamment par Winston Churchill et Neville Chamberlain, alors chan- celiers de l'Echiquier. Keynes devint le fondateur d'une nouvelle ortho- doxie à son tour remise en cause, dans les années 1970-1980, par le courant libéral dont E. Heath et Margaret Thatcher prirent la tête, contribuant ainsi largement à déterminer bien au-delà de la Grande- Bretagne une doctrine de dérégulation économique.

Au-delà des grandes individualités qui ont été marquées par les idées qui régnaient dans la Cité ou qui ont exercé une influence sur elle, se pose la question de savoir quels sont les grands facteurs d'expli- cation du succès de la Cité, succès qui dure malgré le déclin indus- triel de la Grande-Bretagne et qui, bien plus, semble en assurer le relais. La lecture de l'ouvrage de A. Guillaume et de M.-C. Esposito suggère trois causes principales : le consensus politique et social qui a environné la Cité, la capacité d'innovation et l'adaptabilité qui ont toujours caractérisé son action.

Le consensus

Le consensus s 'est établi de longue date entre le pouvoir politi- que et le pouvoir économique. Entente tout d'abord du pouvoir royal de Westminster et de la Cité des négociants et des banquiers qui appa- raît comme « une relation entre partenaires en règle générale respec- tueux de leurs intérêts, sur un pied d 'égalité » (p. 8). Les Tudors et les Stuarts n'ont cessé d'apporter aide et soutien notamment à ceux qui cherchaient l'aventure commerciale lointaine. D'où une « entente intéressée entre Couronne et Cité ».

Ce consensus se traduit, au XVIII siècle par un équilibre entre de multiples centres de pouvoirs : diversité du pouvoir politique (monar- que, Chambre des communes), diversité du pouvoir socio-économique : aristocratie, industrie, et par dessus tout, négoce et finance de la Cité. Ce consensus s'est d'autant mieux établi que l'esprit mercantile avait pénétré les mentalités. L'aristocratie terrienne elle-même s'était engagée dans les affaires notamment dans celles d'outre-mer, Indes ou Amé- riques.

L'interdépendance entre la Cité et Westminster a été non seule- ment le fondement de la primauté commerciale de la Grande-Bretagne mais aussi à l'origine de son succès final dans les guerres de la Révo-

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lution et de l'Empire. Défait en Amérique, le pouvoir politique s'est rallié aux intérêts économiques de la Cité en renonçant à remporter une éventuelle victoire militaire pour conserver et élargir ses marchés. Ce réalisme, en lui assurant la supériorité économique, lui a permis d' affronter victorieusement la France et de parvenir à l'hégémonie sur les marchés mondiaux.

Le maintien des liens entre pouvoir politique et pouvoirs écono- miques et financiers continue à se lire dans des périodes plus proches à travers certains signes comme les honneurs et les titres accordés aux banquiers de la Cité quelle que soit leur origine (anoblissement des Rothschild, Sassoon, etc.). Même aujourd'hui le personnel de la Cité reste un produit de l'histoire sociale britannique dans la mesure où il se constitue à partir d'élites cooptées par le système éducatif en liaison avec le pouvoir politique.

La capacité d'innovation

La capacité d'innovation de la Cité se marque de quelques éta- pes initiales majeures. La première est constituée par la création de

la monnaie scripturale par les orfèvres-banquiers pendant la période troublée de la grande guerre civile. La construction du Royal Exchange

devenu Stock Exchange en 1773 constituait une initiative décisive. Puis vint la création de la Banque d'Angleterre, sous forme de société

par actions, dotée par charte d'un privilège unique qui a permis d'orga- niser la gestion de la dette publique. Le développement du marché

des fonds d'Etat anglais a attiré les capitaux internationaux en pro- venance d' Amsterdam, des Etats d'Allemagne et des cantons suisses, constituant un facteur décisif de la montée de la supériorité de la finance anglaise sur la finance française.

Sur ces bases pouvaient se développer, au XIX siècle, des modè- les pl us tard imités par les pays développés tant dans le domaine ban-

caire que dans le domaine boursier. La Banque d'Angleterre devenait Banque centrale, banque des banques britanniques, garantissant la solvabilité du système bancaire puis acquerait même un statut de

fait de banque mondiale, gardienne de la livre sterling, monnaie nationale et monnaie internationale jusqu 'en 1914. Les bourses de marchandises connaissaient un grand essor, disposaient même d'une

hégomonie mondiale en ce qui concernait les marchés du thé, de la laine, de la fourrure et des métaux. La Bourse de Londres fut recon-

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nue comme « la fille aînée du système capitaliste et de la libre entre- prise » en raison de son rôle décisif dans l 'accompagnement qu 'elle sut faire de l'industrialisation.

Cette capacité d'innovation ne s'est pas tarie à l'époque contem- poraine comme le prouve la domination de la Cité sur le marché des euromonnaies. De même, la Bourse de Londres a largement con- tribué au vaste mouvement de dérégulation bancaire mondial grâce au Big Bang amorcé dès 1976 pour s'achever en octobre 1986.

L'adaptabilité

La capacité d'innovation a été un facteur dominant lors de la constitution progressive de la puissance financière et économique anglaise ; celle-ci s 'est largement appuyée sur elle. L 'adaptabilité va permettre à la Cité de poursuivre son essor malgré les difficultés de l'économie britannique.

En effet, la Cité a su passer du mercantilisme qui a été le support de la puissance financière et commerciale de la Grande-Bretagne au libéralisme du XIX. Avec la même souplesse, bien que devenue une adepte ardente du libre-échange, la Cité réussit sa reconversion à une forme nouvelle de mercantilisme, appelée impérialisme en 1931, puis à une forme souple d'économie dirigée à laquelle succède le retour du marché depuis 1979 avec notamment l'abolition du contrôle des changes et la levée de tous les contrôles monétaires quantitatifs.

La Cité prééminente dans la phase préindustrielle, avait réussi à accompagner la montée en puissance de l'industrie britannique, mais le déclin de celle-ci l'a finalement peu atteinte. Elle a pu, en s 'internationalisant de plus en plus, développer une base arrière qui la rend indépendante des difficultés de l'industrie nationale. Bien plus, l'internationalisation de l'industrie britannique, souvent dans la dépendance des Etats-Unis et du Japon, la conforte dans un rôle international grandissant.

Passionnante histoire, passionnant ouvrage qui nous livre des explications globales sur, non seulement l'histoire de la Cité, mais aussi de celle de la Grande-Bretagne dont elle constitue l'atout majeur au seuil du XXI siècle.

Denise FLOUZAT

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Histoire de la place commerciale

et f inancière de Londres.

La Cité sans frontières

L 'histoire de Londres est un aboutissement dans la série des dominations urbaines. Comme Venise aux XIVe et XV siècles, Anvers au XVI Amsterdam au XVII elle a occupé le centre d une économie-monde c'est-à-dire d'un grand ensemble économique complexe, hiérarchisé, articulé sur plusieurs conti- nents ou sous-continents. Londres a exercé une primauté, puis une hégémonie capitaliste comme ses prédécesseurs, au cœur de son ensemble, en satellisant les autres villes.

Elle est parvenue à un ascendant plus total que ses devan- cières, favorisée par des atouts géographiques et historiques nou- veaux, inconnus de celles-ci : comme Amsterdam, Londres s'est constitué un système complet de puissance économique, maî- trise de la navigation, expansion commerciale et industrielle, orga- nisation sophistiquée et efficace du crédit, de l'information et de l' assurance. Sa puissance économique a dépassé cependant celle de la métropole hollandaise en tirant le plus grand parti

passage à l'ère industrielle, par une révolution qu'elle n'a Pas suscitée mais dont elle a pleinement bénéficié. Elle a porté sa domination bien plus loin, plus haut et plus profond qu'Ams-

1. « Weltwirschaft » de Fritz Rörig, Mittelalterliche Weltwirtschaft, Blüte und Ende einer Weltwirtschaftperiode, 1933 ; Hektor Ammann, Wirtschaft und Lebensraum der

Mittelalterlichen Keinstadt (s.d.). Terme repris par F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XV-XVIII siècles, t. III, Le temps du monde, p. 12 (1979).

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terdam en alliant son dynamisme économique à la volonté de puissance politique d'un des trois premiers grands Etats d'Europe à effectuer l'unité du royaume aux XVe et XVI siècles Cette entente politique, plus forte que la base exiguë et récalcitrante des Provinces-Unies pour Amsterdam, lui permettra d'étendre successivement la première zone de son ensemble au Royaume- Uni, puis aux deux empires coloniaux successifs de la Couronne britannique En conjuguant aussi puissance économique et pouvoir politique (naval, militaire et diplomatique), à l'apogée de son rayonnement de 1815 à 1914, Londres créera, au-delà de l'Empire, deux autres zones décroissantes de vigoureuse influence, l'Empire informel, et, à la périphérie, tout le reste du monde, ou presque. L'ensemble britannique d'économie pla- nétaire, dominé par l'hégémonie commerciale et financière de Londres jusqu'au début du XX siècle, est donc parvenu à un système complet, achevé, d'économie capitaliste, fonctionnant avec les mécanismes du libre-échange et des règlements uni- versels multilatéraux, centralisés sur la place de Londres.

La livre sterling y servait de monnaie internationale unique, dans la discipline rigoureuse de l'étalon-or. Jamais, dans l'his- toire du monde, une place commerciale et financière centrale n'avait dirigé un ensemble aussi efficace pour réaliser la fin pri- mordiale du capitalisme, la multiplication des richesses par l'accu- mulation de capital, que permettent d'optimiser les mécanismes du libre-échange sur les marchés mondiaux, où la division du travail distribue à chacun le rôle qu'il remplit relativement le mieux. La preuve du modèle londonien s'est effectuée dans sa lente ascension et dans sa permanence historique, qu'elle assure aujourd'hui elle-même en Europe et, à travers ses émules rivaux, en Amérique et en Extrême-Orient.

2. Les deux autres étant l'Espagne et la France. 3. Le premier prend fin en 1776 avec l'indépendance des colonies américaines.

Le deuxième se construit de 1757 (victoire de Clive en Inde) à 1914.

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PREMIÈRE PARTIE

Accession à la primauté commerciale et financière : XVI, XVII et XVIII siècles

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Les chances de Londres.

Les facteurs de son essor

Situation géographique privilégiée, unique même : Londres a été l'héritière lointaine de Venise parce qu'elle avait une posi- tion maritime et une vocation commerciale semblables. Toutes deux isolées du continent, elles étaient protégées des guerres et des conquêtes par la mer. A condition de maîtriser leurs voies maritimes, leur commerce n'était pas exposé aux conflits des Etats t e r r i e n s A partir du moment où le centre du commerce mondial s'est déplacé vers l'Europe du Nord-Ouest, Londres dis- posait d'un atout décisif, la base manufacturière d'une zone éten-

due, protégée, qui produisait un article indispensable, toujours demandé dans le commerce international, le drap de laine. Les négociants de Venise et de la Hanse en faisaient le commerce, mais ne le produisaient pas. Les Flandres et les Pays-Bas étaient aussi producteurs, et c'est avec Anvers d'abord, puis Amster- dam que Londres entra en compétition finale. A partir du XVI siècle, Londres devint le centre de tout le commerce anglais du drap ; elle en monopolisait l'exportation, ce qui lui permet- tait de drainer la plus grande partie des importations du royaume. Sa position, choisie déjà par les Romains, sur un fleuve naviga- ble, à portée de la marée et proche de la mer, au milieu des

4. S.E. Rasmussen, London the Unique City (1960), p. 47.

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comtés les plus riches et les plus accessibles du pays, elle pou- vait déjà exporter la laine brute des pâturages anglais vers Gand et Bruges depuis des siècles. Les mêmes négociants en laine réim- portaient alors le drap des Flandres. A partir du XIV siècle, Londres accueillit les tisserands flamands invités par le roi et commença à fabriquer et exporter aux Pays-Bas une étoffe gros- sière en plus de la laine brute. Ce n'était qu'un produit semi- fini, qu'il fallait fouler et teindre à l'étranger, aux Pays-Bas sur- tout. A partir de la deuxième moitié du XV siècle et tout au long du XVIe, les exportations de drap anglais fini, à côté de la laine brute et du tissu inachevé, prirent un essor irrésistible, malgré l'hostilité des Pays-Bas, qui essayèrent d'en interdire l'importa- tion. Mais le Brabant et les Flandres durent céder, car leurs tis- serands avaient besoin de la laine anglaise, leur matière première. De 1490 à 1570-1580 s'établit un axe commercial Londres- Anvers, où Londres servait de relais anglais à cette métropole financière et commerciale du continent. Passage obligé des impor- tations et exportations, Londres s'assura le rôle insulaire domi- nant, aux dépens de Bristol, et aussi de Hull, Boston et S a n d w i c h La Cité drainait pour l'exportation le drap tissé dans Londres et ses environs, dans le Devon et l'East Anglia. Au milieu du XV siècle, la capitale absorbait déjà près de 50 % du commerce de drap exporté. Celui-ci représentait les deux tiers des exportations totales du royaume — le reste compre- nant, outre les sacs de laine vierge, les peaux, l'étain et le plomb. Cent ans plus tard, au milieu du XVI siècle, Londres avait attiré environ les neuf dixièmes de ces exportations, alors que le drap comptait pour les trois quarts ou les quatre cinquièmes de la valeur totale exportée. La part de Londres dans le produit prin- cipal des exportations du royaume avait doublé. De 1495 à 1525, Southampton partagea avec Londres l'expansion du commerce anglo-continental, en accueillant les galères vénitiennes chargées de vin, d'huile, de soie, et autres produits méditerranéens que les marchands italiens échangeaient contre le drap, la laine et l'étain anglais. Mais, sous les premiers Tudors, les Italiens cédè- rent la place aux négociants londoniens, qui firent de Southamp- ton un satellite de Londres. Dans le commerce du drap, seuls les ports d'Exeter, Ipswich et Colchester partagèrent avec Londres

5. D.C. Coleman, The Economy of England 1450-1750 (1977), p. 49-51.

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le d é b o u c h é d e l a p r o d u c t i o n a s c e n d a n t e d e l e u r a r r i è r e - p a y s .

Mai s L o n d r e s n e l e u r c é d a i t q u e 5 % d e c e c o m m e r c e , a u mi l i eu d u X V I s i èc l e .

L e s n é g o c i a n t s d e l a C i t é s ' a s s u r a i e n t l ' a p p u i d u m o n a r q u e ,

e n p e r p é t u a n t c e t t e a l l i ance f é c o n d e e n t r e p o u v o i r r o y a l e t g r a n d

c o m m e r c e , d é j à a n c i e n n e e t p r o m i s e à u n g r a n d a v e n i r . L e ro i

d o n n a i t f a v e u r e t p r iv i l èges à l ' o r g a n i s a t i o n d e s M e r c h a n t A d v e n -

t u r e r s a s s o c i a t i o n c o r p o r a t i v e d e g r o u p e s d e n é g o c i a n t s q u i

c o m m e r ç a i e n t a v e c l e s P a y s - B a s . L a C o r p o r a t i o n d e s m e r c i e r s

d e L o n d r e s y j o u a i t u n r ô l e p r é p o n d é r a n t . L a r e c o n n a i s s a n c e off iciel le d e s M e r c h a n t A d v e n t u r e r s r e m o n t e à 1 4 8 6 e t 1 5 0 5 .

D a n s s e s n é g o c i a t i o n s a v e c l e s s e i g n e u r s d e B o u r g o g n e , d u B r a - b a n t e t d e s F l a n d r e s , H e n r i V I I t r o u v a c h e z les M e r c h a n t A d v e n -

t u r e r s d e s p a r t e n a i r e s d i s p o n i b l e s , c o n c u r r e n t s d e s H a n s é a t e s

e t d e s n é g o c i a n t s a n g l a i s d e l ' E t a p e , le m a r c h é a u x l a i n e s d e

Ca la i s . L e s t r a i t é s c o m m e r c i a u x d e 1 4 9 6 e t 1 5 0 6 , s i g n é s p a r

H e n r i V I I , c o n s o l i d è r e n t l a p o s i t i o n c o m m e r c i a l e a n g l a i s e a u x

Pays -Bas , a u prof i t d e s M e r c h a n t A d v e n t u r e r s . C e u x - c i o p é r a i e n t

a p a r t i r d e l e u r s s i è g e s s o c i a u x j u m e l é s d e L o n d r e s e t d ' A n v e r s ;

ils s o u m e t t a i e n t à l e u r v o l o n t é l ' e n t r é e d e c e n é g o c e , ils a f f r é -

t a i e n t d e s n a v i r e s ; o r g a n i s a i e n t l e u r s c o n v o i s , p o u r c h a s s a i e n t

c o m m e r c e i n t e r l o p e e t c o n t r e b a n d e , e t r e n f o r ç a i e n t l ' h é g é m o -

n i e c o m m e r c i a l e e n A n g l e t e r r e d e L o n d r e s a u x d é p e n s d u N o r d N e w c a s t l e e t Y o r k , c o m m e d u S u d (Bristol, E x e t e r , S o u t h a m p -

t o n e t I p s w i c h ) .

A n v e r s , e n t r e p ô t i n t e r n a t i o n a l , é ta i t d ' a u t a n t p l u s o u v e r t e a u x

n é g o c i a n t s é t r a n g e r s , — I t a l i e n s , A l l e m a n d s , E s p a g n o l s , P o r t u -

ga i s , F r a n ç a i s e t A n g l a i s —, q u ' e l l e n ' a v a i t p a s d e f lo t te i m p o r -

t a n t e e t q u e s e s h a b i t a n t s s e c o n t e n t a i e n t d ' u n e ac t iv i té l o c a l e ,

« à l ' é c o l e d e s e s h ô t e s é t r a n g e r s » E l l e a c c u e i l l e c o m m e u n e

a u b e r g e e s p a g n o l e , e l le e s t « c a p i t a l e m o n d i a l e c r é é e d u

d e h o r s » E l l e c o n v i e n t à m e r v e i l l e a u x n é g o c i a n t s l o n d o n i e n s ,

c a r e l le c o m p l è t e le r ô l e d e l e u r C i t é

L o n d r e s d i v e r s i f i e l e s t ex t i l e s e x p o r t é s : u n e p a r t i e e s t f in ie

e n A n g l e t e r r e , l ' a u t r e e s t i m p o r t é e é c r u e à A n v e r s , t e i n t e s u r

6. Négociants à l'Aventure. 7. Mercers' C° of London. 8. F. Braudel, Le temps du monde (t. III), p. 128. 9. F. Braudel, ibidem, p. 118-129. 10. J.A. Van Houtte, cité par F. Braudel, ibidem, p. 123.

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place, puis distribuée dans toute l'Europe. Drap fini ou non, la première qualité, traditionnelle, est renommée, c'est le broad- cloth, drap de grande largeur, toujours très demandé. Un nou- veau produit s'y ajoute, tissu plus léger de qualité moyenne seulement, moins cher, le kersey. Via le marché d'Anvers, il se vend non seulement en Allemagne et en Europe du Nord, mais, plus encore en Italie, dans toute la Méditerranée, et jusqu'en Europe de l'Est, Silésie, Pologne et Hongrie.

Sous le règne de Henri VII, au début du XVIe siècle, les Mer- chant Adventurers partageaient le commerce londonien d'expor- tation avec des étrangers, Hanséates surtout, Hollandais et Italiens. 53 % seulement passait entre leurs mains. Et, en ce temps-là, les négociants de la Cité n'étendaient guère leur acti- vité au-delà d'Anvers et des Pays-Bas, de Hambourg et de l'Alle- magne du Nord. Des intermédiaires continentaux acheminaient les textiles anglais jusqu'à leur destination u l t i m e La situa- tion changea au milieu du XVIe siècle. Les négociants de la Cité — Merchant Adventurers toujours — devinrent plus que jamais indispensables au pouvoir politique. Bailleurs de fonds de la Cou- ronne, ces marchands-banquiers menacent les privilèges anciens des Hanséates établis à Londres. Ceux-ci sont victimes des que- relles entre les Tudors et les Habsbourgs. Dans la décennie 1550-1560, 70 % de l'exportation du drap anglais passe entre les mains des Londoniens.

Cette entente du pouvoir royal, dans la Cité de Westmins- ter, et de la Cité des négociants ou banquiers est une relation entre partenaires en règle générale respectueux de leurs inté- rêts mutuels, sur un pied de quasi-égalité. Le gouvernement royal anglais des Tudors, puis des Stuarts, ne prit guère d'initiative commerciale ou impériale, mais il apporta, officiellement, encou- ragement et aide, à tous ceux qui cherchaient l'aventure com- merciale lointaine. Les ennemis politiques de la Couronne — Espagne, France, Hollande — étaient toujours les rivaux com- merciaux des négociants anglais. Le pouvoir royal n'organisait pas la conquête outre-Atlantique pour régenter ensuite le com- merce avec les colonies comme le Portugal et l'Espagne. Il n'avait pas de plan préconçu d'expansion outre-mer. Il laissait aux par- ticuliers, cadets de la noblesse, aventuriers, dissidents religieux,

11. D.C. Coleman, The Economy of England 1450-1750, p. 54.

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l' in i t ia t ive d e l a d é c o u v e r t e c o l o n i a l e — e t a u x n é g o c i a n t s d e la

Ci té l a r e c h e r c h e d e s m a r c h é s é t r a n g e r s . M a i s les T u d o r s , e t

a u s s i l e s S t u a r t s , d o n n è r e n t l e u r a g r é m e n t of f ic ie l à l ' e x p a n s i o n

c o m m e r c i a l e ag re s s ive d e l e u r s su je ts . Celle-ci , à l e u r s y e u x , c o n -

t r i b u a i t a u d é v e l o p p e m e n t d e l a p u i s s a n c e d u r o y a u m e e t s e r -

vai t l e u r s d e s s e i n s p o l i t i q u e s . C e j u m e l a g e d e l ' E t a t e t d u c a p i t a l

c o m m e r c i a l es t c o m p a r a b l e e n A n g l e t e r r e e t a u x P r o v i n c e s - U n i e s ,

m ê m e s ' i l f o n c t i o n n e d i f f é r e m m e n t d a n s c e s d e u x p a y s .

C e l i e n s o u p l e d u p o u v o i r r o y a l e t d u p o u v o i r é c o n o m i q u e

p r i v é d e l a C i t é s e c o n c r é t i s a d a n s u n r é s e a u t i s sé p r o g r e s s i v e -

m e n t d e c o m p a g n i e s c o m m e r c i a l e s i n c o r p o r é e s p a r d e s c h a r t e s

r o y a l e s . E l l e s r e c e v a i e n t l e m o n o p o l e d u c o m m e r c e e t d e s p r i -

v i l èges d ' o r d r e p u b l i c d a n s l e u r s s e c t e u r s s p é c i f i q u e s . L e s M e r -

c h a n t A d v e n t u r e r s l e s M e r c h a n t s o f t h e S t a p l e é t a i e n t

r é g l e m e n t é s c o m m e d e s c o n f r é r i e s o u c o r p o r a t i o n s . D ' a u t r e s ,

l e s g r a n d e s c o m p a g n i e s , p r e n a i e n t l a f o r m e d e s o c i é t é s p a r

a c t i o n s , q u i s e s o n t d ' a b o r d m u l t i p l i é e s e n H o l l a n d e . F . B r a u -

d e l e n r é s u m e a v e c p r é c i s i o n l e c a r a c t è r e d i s t i n c t i f , n o u v e a u ,

d i f f é r e n t d e l ' e s p r i t c o n f r a t e r n e l d e l a M e r c h a n t A d v e n t u -

r e r s ' C o m p a n y . A L o n d r e s c e p e n d a n t , l a c o m p a g n i e p a r a c t i o n s

s e d é v e l o p p e r a p l u s l e n t e m e n t q u ' à A m s t e r d a m , q u i l u i m o n t r e

l a v o i e à s u i v r e A i n s i n a q u i t e n 1 5 9 9 l a C o m p a g n i e a n g l a i s e

d e s I n d e s o r i e n t a l e s , p r i v i l é g i é e e n 1 6 0 0 , s u r l e m o d è l e d e l ' O o s t

I n d i s c h e C o m p a g n i e . C e t t e C o m p a g n i e d e s I n d e s o r i e n t a l e s ( E a s t

I n d i a C ° ) e s t l a p l u s i m p o r t a n t e e t l a p l u s d u r a b l e

« L ' E t a t n ' e s t j a m a i s a b s e n t : c ' e s t l u i q u i d i s t r i b u e e t g a r a n -

t i t l e s p r i v i l è g e s s u r l e m a r c h é n a t i o n a l , b a s e e s s e n t i e l l e . M a i s

c e n e s o n t p a s d e s d o n s g r a t u i t s . T o u t e c o m p a g n i e r é p o n d à u n e

o p é r a t i o n f i s c a l e , l i é e a u x d i f f i c u l t é s f i n a n c i è r e s q u i s o n t l e l o t

p e r p é t u e l d e s E t a t s m o d e r n e s » L a C o u r o n n e b r i t a n n i q u e ,

1 2 . C h a r t e n o u v e l l e i m p o r t a n t e e n 1 5 6 4 . 1 3 . M a r c h a n d s d e l ' E t a p e .

1 4 . T . II , Les j e u x d e l ' é c h a n g e , p . 3 8 3 - 4 0 2 . 1 5 . F . B r a u d e l , i b i d e m , p . 3 9 8 .

16 . B e a u c o u p e n t r e n t e n s c è n e : la C o m p a g n i e d e Moscovie (Muscovy C ° ) e n 1 5 5 3 ,

la C o m p a g n i e e s p a g n o l e , e n 1 5 7 7 , l a C o m p a g n i e o r i e n t a l e ( E a s t l a n d C ° , 1 5 7 9 ) , l a C o m p a g n i e d u L e v a n t ( 1 5 8 1 ) , l a C o m p a g n i e d e V i rg in i e ( 1 6 0 6 ) , la N o u v e l l e C o l o n i e

d U l s t e r (New P l a n t a t i o n o f U l s t e r , 1 6 0 9 ) , l a C o m p a g n i e f r a n ç a i s e ( F r e n c h C ° , 1 6 1 1 ) ,

l a C o m p a g n i e d e l ' I l e S o m e r s o u B e r m u d e ( 1 6 1 2 ) , l es A v e n t u r i e r s d e P l y m o u t h e n N o u v e l l e - A n g l e t e r r e ( 1 6 2 0 ) , l a C o m p a g n i e d e l a b a i e d e M a s s a c h u s e t t s ( 1 6 2 8 ) e t l a

C o m p a g n i e d e l ' î le d e P r o v i d e n c e ( 1 6 2 9 ) s o n t les p l u s c é l è b r e s . 17 . F . B r a u d e l , t. I I , Les j e u x d e l ' é c h a n g e , p . 3 9 2 - 3 9 3 .

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restreinte par la vigilance fiscale du Parlement, a plus besoin encore que d'autres des contributions et prêts des négociants- financiers de la Cité. Comme les anciennes guildes (livery com- panies) et la corporation des Merchant Adventurers, la Compa- gnie des Indes orientales et toutes les autres sociétés de négociants paieront leurs privilèges et monopoles à la puissance publique qui les concède — cela va de soi. Mais ils seront aussi les bail- leurs de fonds complaisants du roi. Coopération fructueuse pour les deux parties, du moins avant la déchirure de la guerre civile ( 1 6 4 2 - 1 6 4 9 ) La collaboration financière se doublait d'une complicité en politique étrangère. La tâche politique et commer- ciale du monarque était facilitée par cette organisation officielle du commerce extérieur, répartie entre les hommes d'affaires de la Cité.

L'entente intéressée entre Couronne et Cité ne plaisait pas à tous dans le r o y a u m e : D.C. Coleman relève l'opposition de trois groupes principaux. Tout d'abord les négociants de pro- vince manifestaient leur ressentiment, à Hull en 1575 particu- l i è r e m e n t Cette plainte fut reprise vigoureusement dans un d é b a t a u P a r l e m e n t e n 1 6 0 4 s u r l e « l i b r e c o m m e r c e » L e s

m a r c h a n d s d e l a p r o v i n c e d é n o n ç a i e n t l e u r s c o n c u r r e n t s l o n -

18. Christopher Hill, dans Reformation to Industrial Revolution (1969, p. 104), met en lumière la modicité des recettes fiscales anglaises : en 1641, la gabelle fran- çaise rapportait deux fois plus que tous les impôts anglais réunis (douanes, accises, affermées aux financiers de la Cité, impôt foncier et impôts exceptionnels comme le « ship money » votés par le Parlement). L'inflation sous les Tudors réduisait les loyers et redevances du domaine royal. Les dépenses de la Couronne en revanche ont explosé pendant les guerres d'Henri VIII, Elisabeth et Charles I Le prêteur traditionnel, la municipalité de Londres (Corporation), a cessé de prêter au roi après 1630, par méfiance que justifiait l'expérience. Un petit groupe de capitalistes londoniens, les plus influents dans le gouvernement de la Cité, ont pris le relais : les termes de leurs avances étaient stipulés à leur propre avantage. Ils se plaçaient ainsi pour tirer des profits ultérieurs renouvelés des embarras financiers royaux. Leur position de fermiers des douanes, qui assurait leur remboursement, hypothéquait les revenus futurs du roi. Elle les ruina quand le Parlement séquestra la ferme des douanes en 1641. Voir R. Ashton, The Crown and the Money Market (1960).

19. The Economy of England 1450-1750, p. 60. 20. R.H. Tawney and E. Power (ed.), Tudor Economic Documents II, p. 49-50

(1924) : « ... by means of the said Companies (the Government whereof is ruled only in the City of London) all the whole trade of merchandize is in a manner brought to the City of London... and other ports hath in a manner no traffic but falleth to great decay, the smart whereof we feel in our port of Kingston-upon-Hull ».

21. A.E. Blaw, R.A. Brown and R.H. Tawney (ed). English Economic History: Select Documents (1914), p. 444.

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doniens, accusés d'accaparer tout le négoce du r o y a u m e En deuxième lieu, les producteurs, fabricants de drap surtout, s'esti- maient exploités par les grossistes qui profitaient de leur mono- pole pour acheter le tissu à bas prix, pendant les mauvaises années surtout (1550-1560 et 1620-1630). Enfin, les compa- gnies autorisées par une charte devaient se défendre contre les rivaux indépendants, les trafiquants interlopes.

Ce n'est donc pas sans résistances multiples et sans cesse renaissantes que la Cité de Londres, centre du capital ambitieux, favorisée par ses alliances politiques, a réussi au cours de ces siècles de puissance nationale montante, à satelliser dans le pays des zones de subordination décroissantes — phénomène histo- rique bien connu de l'expansion urbaine, exposé par F. Brau- d e l Celui-ci considère que le cas de Londres est e x e m p l a i r e Cette capitale, portée par la puissance économi- que de la Cité et la puissance politique du souverain, est, dit Braudel, « une métropole précocement tentaculaire » Ces historiens s'accordent pour y trouver un exemple typique de l' organisation de l'espace économique en zones soumises à la domination d'une ville hégémonique et centralisatrice, suivant l' étude de l'économiste allemand Johan Heinrich von Thü- n e n Au XVI siècle déjà, presque toute la production et le commerce anglais sont au service de Londres — mis à part quel- ques enclaves qui préservent leur autonomie économique (région de Bristol notamment). La population de la capitale s'accroît beau- coup plus vite que celle de l'Angleterre tout entière (250 000 habitants en 1600, au moins 500 000 en 1700). Cité Par Ingomar Bog27, Jacques I s'en inquiétait : « Avec le temps

22. « The whole trade of all the realm is in the hands of some 200 persons at the most. »

23. T. II, Les jeux de l'echange, p. 26. 24. Ibidem, p. 26-27. Voir aussi N.S.B. Gras, The Evolution of the English Com

Market (1915). 25. Voir Ingomar Bog, « Das Konsumzentrum London und seine Versorgung »

Munich 1965. p. 109-118 : Ingomar Bog, Mélanges Lütge. 1966. p. 141-182. 26. Der Isolierte Staat in Beziehung auf Landwirtschaft und Nationalökonomie,

1876, I, p. 1. Londres aurait précédé Paris d'un siècle environ, suivant N.S.B. Gras (The Evolution of the English Corn Market, 1915) et A.S. Usher (The History of the

Grain Trade in France, 1400-1710, 1913, p. 8 et suivantes). 27. Mélanges Lütge, 1966, p. 150.

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l ' A n g l e t e r r e s e r é d u i r a à L o n d r e s » D o r o t h y D a v i e s a

même décrit le phénomène par une hyperbole : « Londres va dévorer l 'Angleterre » L'assise urbaine de Londres est évi- demment nationale, elle s'étage sur les zones concentriques de son influence, en dégradé. Les Home Counties sont assujettis au marché de la métropole urbaine, avec leur chapelet de villes- r e l a i s é n u m é r é e s p a r B r a u d e l L e s v o i e s d ' e a u o n t a c c é l é r é

c e t t e é v o l u t i o n d e s é c h a n g e s a u p r o f i t d e l a c a p i t a l e . A u c œ u r

d e c e l l e - c i , l a m u n i c i p a l i t é d e l a C i t é s u r v e i l l e j a l o u s e m e n t l e

c o m m e r c e d e l a T a m i s e ; e l l e e n d i s p u t e l a r é g l e m e n t a t i o n a u

g o u v e r n e m e n t r o y a l , c a r e l l e a j u r i d i c t i o n s u r l a T a m i s e d e l a

M e d w a y , c ' e s t - à - d i r e d e l ' e m b o u c h u r e ( G r a v e s e n d ) , j u s q u ' e n

a m o n t d u p o n t d e S t a i n e s ( 6 0 m i l l e s ) . J u s q u ' e n 1 7 3 8 , e l l e s ' o p p o -

s e r a à l a c o n s t r u c t i o n d u p o n t d e W e s t m i n s t e r , s i t u é d a n s l a C i t é

d e W e s t m i n s t e r , o ù s ' e x e r c e l e p o u v o i r d u g o u v e r n e m e n t c e n -

t r a l 3 2 . L a C i t é p e r c e v a i t l e s d r o i t s d u p o r t d e L o n d r e s , d e s

t a x e s s u r l e c h a r b o n d a n s u n r a y o n d e 1 2 m i l l e s e t l e m o n o p o l e

d e s m a r c h é s d a n s u n r a y o n d e 7 m i l l e s L e s H o m e C o u n t i e s

e n v o i e n t f a r i n e , m a l t , v i v r e s e t a u s s i p r o d u i t s m a n u f a c t u r é s à

L o n d r e s . C e l l e - c i a s s u j e t t i t l e c o m m e r c e i n t é r i e u r d e l ' A n g l e t e r r e ,

j u s q u ' a u P a y s d e G a l l e s e t j u s q u ' à l ' E c o s s e . L e s r e s s o u r c e s r o y a -

l e s , q u i a l i m e n t e n t l a c o u r , l ' a r m é e e t l a m a r i n e , s o n t m o b i l i -

s é e s à L o n d r e s e t r e d i s t r i b u é e s à p a r t i r d e L o n d r e s . M a i s l e

p o u v o i r p o l i t i q u e n ' e s t p a s l e s e u l à r é g i r l ' é c o n o m i e d e l a c a p i -

t a l e . D a n s l ' i n t e r d é p e n d a n c e a v e c l u i , l a C i t é , p l a c e c o m m e r -

c i a l e e t f i n a n c i è r e , a b s o r b e t r è s t ô t l a p l u s g r a n d e p a r t i e d u

c o m m e r c e e x t é r i e u r d u p a y s — l e s 2 / 3 , l e s 3 / 4 o u m ê m e l e s

4 / 5 e , s e l o n F . B r a u d e l

La richesse de Londres, que manifestent ses hauts prix, son commerce, l'accumulation de ses capitaux, ne dévore pas le reste du pays, comme le fait la capitale des empires terriens : Delhi,

28. « With time England will only be London. » 29. A History of Shopping, 1967, p. 56. 30. « London is going to eat up England. » 31. T. II, Les jeux de l'échange, p. 26, Uxbridge, Brentford, Kingston, Hamp-

stead, Watford, Saint-Albans, Hartford, Croydon, Dartford. 32. L.C.B. Seaman, Life in Victorian London, 1973, p. 17. 33. G.M. Trevelyan, English Social History (1944), p. 339 et 340. 34. T. II, Les jeux de l'échange, p. 27. Ces proportions sont avancées dans I. Bog,

Mélanges Lütge, 1966, p. 147.

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Pékin ou Moscou, ou même le Madrid de Philippe II, et le Paris de Louis XIV, du moins jusqu'à un certain point. Mais au con- traire elle élève ses zones dépendantes vers la prospérité, comme Amsterdam aux Pays-Bas. Braudel multiplie les preuves de l'enri- chissement national, des petites villes « plus distributrices que consommatrices » des campagnes anglaises, qui sont d'autant plus riches qu'elles sont plus proches de Londres. « Mais dans toute son étendue, l'Angleterre et au loin l'Ecosse, le Pays de Galles sont touchés et transformés par le rayonnement de la capitale. Toute région que Londres touche tend à se spéciali- ser, à se transformer, à se commercialiser, dans des secteurs encore limités, il est vrai, car entre les régions modernisées le vieux régime rural se maintient souvent, avec ses fermes et ses cultures traditionnelles »

Londres a modernisé le royaume au cours de ces trois siècles d histoire moderne. Le marché londonien a provoqué la disparition du marché traditionnel, le marché public (open market) où pro- ducteur, paysan ou artisan, venait vendre au consommateur les produits de sa ferme ou de son atelier. L'intermédiaire, le mar- chand, qui a fait son apparition en Angleterre dès le XIII siècle, dans le commerce du blé, devient le troisième homme indispen- sable entre la campagne et la ville. A vrai dire, les intermédiaires se multiplient et forment une chaîne dominée par le négociant en gros, à mi-chemin entre producteur et détaillant pour les céréa- l e s , l e s p r o d u i t s l a i t i e r s , l a v o l a i l l e , l a v i a n d e , l e s l é g u m e s

C ' e s t a i n s i q u e l e n é g o c i a n t a c q u i e r t u n r ô l e c e n t r a l . I l e s t

l e p i v o t d u m a r c h é d e l a m é t r o p o l e . I l e x e r c e s a f o n c t i o n s u r

l e v e r s a n t i n t é r i e u r d e l ' é c o n o m i e , e n t r e L o n d r e s e t s e s z o n e s

s a t e l l i s é e s d a n s l e r o y a u m e , e t a u s s i s u r l e v e r s a n t p l a n é t a i r e ,

e n t r e L o n d r e s e t l ' o u t r e - m e r . L e p r e m i e r E m p i r e b r i t a n n i q u e

se construit depuis Elisabeth et Jacques I et surtout depuis Cromwell, comme une première zone extérieure de pénétration commerciale où est réalisée l'hégémonie économique de Lon- dres. Au-delà, le monde se divise en deux zones distinctes : une zone quasi impériale — le Portugal et le Brésil —, peu à peu

35. Alan Everitt, « The Food Market of the English Town » in Munich, 1965, p. 60. 36. Braudel, t. II, Les jeux de l'échange, p. 27 ; Michael Hechter, International

Colonialism (1975), p. 82-83. 37. F. Braudel: les jeux de l'échange, t. II, p. 27-33 ; et Alan Everitt in M.R.P. Fin-

berg, The Agrarian History of England and Wales 1500-1640 (1967), p. 468, 470, 473.

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assujettie au commerce anglais ; une zone incertaine, tout le reste du monde, où les marchands londoniens, Merchant Adventu- rers et grandes compagnies privilégiées par la Couronne, dis- putent avec l'aide de celle-ci le commerce transatlantique et oriental à l'Espagne, à la France et à la Hollande. Le Portugal est exemplaire dans la course à l'hégémonie commerciale entre- p r i s e p a r l a C i t é d e L o n d r e s A u s e u i l d u X V I I I s i è c l e , l e

p e t i t P o r t u g a l a d é l a i s s é l ' E x t r ê m e - O r i e n t d e s e s p r e m i è r e s

c o n q u ê t e s p o u r l e B r é s i l . L e s m a r c h a n d s p o r t u g a i s e n e x p l o i -

t e n t l e s r e s s o u r c e s i n n o m b r a b l e s , c u i r s , s u c r e , b o i s t r o p i c a u x ,

h u i l e s , c o t o n , t a b a c , c a f é , o r e t d i a m a n t s . L e s n o b l e s e t n é g o -

c i a n t s p o r t u g a i s , a m o l l i s p a r u n e l o n g u e e t c r o i s s a n t e o p u l e n c e ,

l a i s s e n t l ' A n g l a i s p é n é t r e r e t a c c a p a r e r l e m a r c h é p o r t u g a i s . I l

d é v e l o p p e l e s v i g n o b l e s d e P o r t o . I l r a v i t a i l l e L i s b o n n e e n b l é

e t e n p o i s s o n , i l y v e n d s e s d r a p s . P l u s g r a v e , i l f i n a n c e d e p l u s

e n p l u s l e c o m m e r c e d u B r é s i l e n y e x p o r t a n t s e s d r a p s , e n s e

p a y a n t a v e c l ' o r e t l e s d i a m a n t s q u i n e f o n t e s c a l e à L i s b o n n e

q u e p o u r a b o u t i r à L o n d r e s . L a m a r c h a n d i s e q u i a l i m e n t e l e

c o m m e r c e d u P o r t u g a l a u B r é s i l e s t f o u r n i e à c r é d i t p a r l e s n é g o -

c i a n t s l o n d o n i e n s , q u i s o n t a u s s i d e s b a n q u i e r s . S e u l s c e u x - c i

p e u v e n t i m m o b i l i s e r d e s c a p i t a u x i m p o r t a n t s d a n s l e c i r c u i t l o n g

d e c e c o m m e r c e . L e c e n t r e m a r c h a n d d e L o n d r e s n ' a p l u s a l o r s

d ' a u t r e r i v a l s é r i e u x q u ' A m s t e r d a m , a u s s i l e s A n g l a i s l ' e m p o r t e n t -

i l s f a c i l e m e n t s u r l e s m a r c h a n d s f r a n ç a i s a c t i f s à L i s b o n n e . Q u e

l a H o l l a n d e a i t c é d é l a p l a c e p o r t u g a i s e à l ' A n g l e t e r r e n e s e c o m -

p r e n d g u è r e , c ' e s t u n f a i t i n e x p l i q u é d e l ' h i s t o i r e .

D è s 1 7 3 0 , l ' A n g l e t e r r e y a t r i o m p h é F i n a n c e m e n t d u

c o m m e r c e b r é s i l i e n , i m p o r t a t i o n d ' o r e t d e d i a m a n t e n A n g l e -

t e r r e e n p r o v e n a n c e d u B r é s i l e t d u P o r t u g a l , a c h a t d e l a m o n o -

c u l t u r e p o r t u g a i s e p a r l e s A n g l a i s a u p r i x i m p o s é p a r e u x a u

38. Braudel, ibidem. « Angleterre et Portugal », p. 180-183 ; H.E.S. Fischer, The Portugal Trade (1971), p. 31 et 35 ; Pierre-Victor Malouet, Mémoires (1874), t. 1 : p. 10-11.

39. « Le commerce des Anglais à Lisbonne est le plus considérable de tous ; même selon bien des gens il est aussi fort que celui des autres nations ensemble » (H.E.S. Fischer, The Portugal Trade, p. 38). Dans ses mémoires, Pierre Victor Malouet (Mémoires (1874), t. I, p. 10-11), déplore une situation à ses yeux irréversible : le Portugal est, pense-t-il en 1759, une « colonie » anglaise : « Tout l'or du Brésil passait en Angle- terre, qui tenait le Portugal sous le joug. J'en citerai un seul exemple pour flétrir l'admi- nistration du Marquis de Pombal : les vins de Porto, seul objet d'exportation intéressant pour ce pays-là, étaient achetés en masse par une compagnie anglaise, à laquelle cha- que propriétaire était obligé de vendre à des prix taxés par les commissaires anglais. »

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p r o d u c t e u r , i n v a s i o n d e s m a r c h é s p o r t u g a i s e t b r é s i l i e n p a r l e s

d r a p s a n g l a i s s a n s q u e l ' i n d o l e n c e p o r t u g a i s e o p p o s e d e d é f e n s e

— t o u s les é l é m e n t s d u m e r c a n t i l i s m e c o l o n i a l y s o n t r é u n i s .

L ' A n g l e t e r r e a g a g n é c e t t e s u p r é m a t i e p a r l a t é n a c i t é i n s i d i e u s e

d e s o n c o m m e r c e , s a n s c o n q u ê t e p o l i t i q u e .

D a n s l e s a n n é e s 1 7 8 0 , l ' o r b r é s i l i e n e s t tar i . L ' a r g e n t le r e m -

p l a c e , n o n s a n s a v a n t a g e p o u r L o n d r e s , p u i s q u e s o n c o m m e r c e

a v e c l ' E x t r ê m e - O r i e n t i n d i e n e t c h i n o i s a g r a n d b e s o i n d e m é t a l

b l a n c . Il f a u d r a a t t e n d r e les d i f f i cu l tés p o l i t i q u e s d e l ' A n g l e t e r r e

a v e c la F r a n c e r é v o l u t i o n n a i r e e t n a p o l é o n i e n n e p o u r q u e le P o r -

t u g a l p u i s s e d e s s e r r e r l ' e m p r i s e é c o n o m i q u e e t r e n v e r s e r à s o n p r o f i t b a l a n c e c o m m e r c i a l e e t t e r m e s d u c o m m e r c e L ' o r

accumulé par la Cité financera alors la défense vitale de l'Angle- terre, et le Portugal ne sera alors pas seul à soutenir la politique anglaise, à prix d'or.

Un facteur essentiel de l'essor commercial et financier de la Cité a été l'entente séculaire entre le pouvoir royal et l'oligar- chie marchande de la municipalité. La présence même du gou- vernement royal dans la Cité voisine de Westminster en était une condition indispensable. Elle permettait une concentration urbaine qui contrastait, par exemple, avec la bipolarité écossaise, où la capitale politique, Edimbourg, se trouvait à 40 milles (70 km) de la métropole économique, Glasgow ; ou l'opposition de culture et d'intérêts entre Dublin et Belfast en Irlande. La croissance des industries et du commerce de Londres, dans les murs de la Cité et alentour, a, presque toujours, été favorisée Par la politique royale. A l'intérieur et à l'extérieur des murs, la dissolution des monastères a ouvert des espaces vides aux migrants venus de la province ou d'Ecosse et aux refugiés pro- testants, français et hollandais, persécutés par les souverains c a t h o l i q u e s d u c o n t i n e n t L a s o l l i c i t u d e r o y a l e f a v o r i s a i t p a r -

t i c u l i è r e m e n t l a c o m m u n a u t é d e m a r i n s e t d e c o n s t r u c t e u r s d e

n a v i r e s à l ' e s t d e l a C i t é , s o u s H e n r i V I I I e t E l i s a b e t h . E n 1 6 1 4

Jacques I autorisa la Compagnie des Indes orientales à cons- truire un dock neuf à Blackwall. Sous les Tudors et les Stuarts, Stepney, où se trouvaient les ports de Blackwall et Ratcliffe,

40. Braudel, Les jeux de l'échange, t. II, p. 183. 41. F. Barker and P. Jackson, London, 2 000 years of a City and its People (1974),

p. 68-77 ; D.C. Coleman, The Economy of England 1450-1750, p. 97-99 ; J. Stow, A Survey of London 1603 (1908) et The Annals of England, 1592.

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e t D e p f o r d , a u s u d - e s t d e l a Ci té , s u r l a r ive d r o i t e d e l a T a m i s e ,

f u r e n t les b e r c e a u x d e la M a r i n e r o y a l e , c o n f o n d u e j u s q u ' a u XVI I s i è c l e a v e c l a m a r i n e m a r c h a n d e .

L a c r o i s s a n c e d e L o n d r e s , b e a u c o u p p l u s r a p i d e q u e c e l l e

d e l ' e n s e m b l e d e l a p o p u l a t i o n a n g l a i s e , é t a i t i r r é s i s t i b l e D e

1 6 0 0 à 1 7 0 0 , l a p o p u l a t i o n d e l a v i l l e a d o u b l é , p a s s a n t p r o b a -

b l e m e n t d e 1 / 4 d e m i l l i o n à 1 / 2 m i l l i o n , a l o r s q u e N o r w i c h

( 2 v i l l e d ' A n g l e t e r r e ) n ' e n c o m p t a i t q u e 2 9 0 0 0 , e t B r i s t o l

20 000 en 169543. Au cours de ses vaines tentatives pour imposer des limites à la croissance de Londres, le pouvoir poli- tique trouvait des alliés naturels dans les guildes et corporations de la Cité. Dès le début du XVI siècle, l'artisanat domestique s'était développé dans les faubourgs hors des murs de la Cité de Londres, pour échapper à la réglementation des corporations (livery companies). Les règles d'apprentissage y étaient relâchées et aucune taxe municipale n'était due par les marchands les plus entreprenants qui s'y établissaient. Ils y prospéraient. Ils fournis- saient la matière première — ou le produit semi-fini — aux ateliers domestiques, et en retiraient le produit fini, suivant le système d e f a b r i c a t i o n à d o m i c i l e ( p u t t i n g o u t s y s t e m ) . L e s a r t i s a n s e t

n é g o c i a n t s i n d é p e n d a n t s h e u r t a i e n t l e s i n t é r ê t s é t a b l i s d e s g u i l -

d e s , d e s m a î t r e s - a r t i s a n s , c o m m e r ç a n t s e t r i c h e s n é g o c i a n t s , q u i

a v a i e n t r e ç u d u r o i l e m o n o p o l e d e l e u r m é t i e r , c o m m e r c e e t

n é g o c e , e t l e d r o i t d e r é g l e r s e u l s l e u r s a f f a i r e s p r o f e s s i o n n e l -

42. Valerie Pearl, London and the Outbreak of the Puritan Revolution, City Govern- ment and National Politics 1625-1643 (1961), p. 13 ; S.E. Rasmussen, London the Unique City, p. 58-71.

43. Gregory King, Natural and Political Observations and Conclusions upon the State and Condition of England, 1696 ( 1 publication : 1801) ; G.E. Barnett (éd.), Two Tracts by Gregory King (1936).

44. Vers 1600, les ateliers du cuir et de chapellerie s'étaient établis à Bermond- sey, Southwark et Lambeth, loin de la Cité. De nouvelles industries étaient nées, raffi- nerie de sucre, verrerie à Stepney et Islington, des teintureries au nord et à l'est de la Cité, des chaudronneries de cuivre et des ateliers de bronze à Isleworth ; des chan- tiers navals à Rotherhithe et Depford, des brasseries à Clerkenwell et Holborn. On fabriquait des briques et des tuiles à Islington ; l'horlogerie était implantée à Holborn et Westminster, les fonderies de cloches à Whitechapel ; la papeterie dans le Middle- sex ; tissage, imprimerie et papeterie étaient les trois activités de St-Giles et Cripple- gate. D'après Th. Mun (England's Treasure by Foreign Trade, 1664 (1988), l'industrie de la soie occupait 1 400 personnes qui filaient et tordaient la soie brute d'importa- tion (V. Pearl, London and the Outbreak of the Puritan Revolution, City Government & National Politics 1625-1643, p. 15.

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l e s M a i s c e t t e a l l i a n c e d u p o u v o i r p o l i t i q u e e t d e s p u i s s a n t s

d e la Ci té n e p o u v a i t e n t r a v e r l ' e s s o r d e l a c a p i t a l e .

L a r é v o l u t i o n p u r i t a i n e e t l a g u e r r e c ivi le d e 1 6 4 2 à 1 6 5 2

n' o p p o s a i e n t p a s s e u l e m e n t u n e p a r t i e d u p a y s à d ' a u t r e s , e l le p r o v e n a i t d e f r a c t u r e s e t d e conf l i t s à l ' i n t é r i e u r m ê m e d e l a

société angla ise . L a Cité n ' y é c h a p p a i t p a s . A u m o m e n t d e l ' explo-

s ion, d e u x s o u r c e s d e conf l i t e x i s t a i e n t d e p u i s l o n g t e m p s à L o n -

d r e s : 1 / l ' o p p o s i t i o n d e s a m b i t i o n s p o l i t i c o - r e l i g i e u s e s d u ro i

S t u a r t e t d e s g r o u p e s les p l u s m o d e s t e s e t l e s p l u s p r o t e s t a n t s d e

la Ci té ; 2 / l e s r iva l i t é s d ' i n t é r ê t s p o l i t i q u e s , i n d u s t r i e l s e t c o m - merciaux à l'intérieur de la Cité m ê m e Celles-ci tenaient aux « libertés » (liberties), immunités privées détenues depuis des siè- cles par des propriétaires laïcs ou ecclésiastiques à l'intérieur d e s m u r s d e l a C i t é o u t o u t a u t o u r d e c e l l e - c i A l ' e x t é r i e u r

d e s m u r s b é n é f i c i a i e n t d ' i m m u n i t é s l e d u c h é d e L a n c a s t e r , l e s

R o l l s , E l y H o u s e e t N o r t o n F o l g a t e . T o u t e s c e s i m m u n i t é s s o u s -

t r a y a i e n t l e u r s e n c l a v e s à l a j u r i d i c t i o n d u l o r d - m a i r e e t à l a l é g i s -

l a t i o n m u n i c i p a l e d e l a C i t é . L a d i s s o l u t i o n d e s m o n a s t è r e s

( 1 5 3 6 - 1 5 4 0 ) a t r a n s f é r é a u r o i l e s i m m u n i t é s e t j u r i d i c t i o n s t e m -

p o r e l l e s d e s o r d r e s r e l i g i e u x . D e n o m b r e u s e s i m m u n i t é s , a v e c l e s

i m m e u b l e s e t t e r r e s d e s m o n a s t è r e s , o n t é t é v e n d u e s à d e s l a ï c s ,

e t l e s é g l i s e s d e s m o n a s t è r e s a f f e c t é e s à d e s u s a g e s c o m m e r -

c i a u x . T h o m a s C r o m w e l l , l e p l u s g r a n d h o m m e d ' E t a t d e H e n r i

V I I I , t o u t - p u i s s a n t d e 1 5 3 1 à 1 5 4 0 , a r e n f o r c é l ' e n t e n t e e n t r e

l e m o n a r q u e e t l a b o u r g e o i s i e d e l a C i t é . F i l s d ' u n b r a s s e u r , f o r -

g e r o n e t d r a p i e r d e P u t n e y , i l é t a i t , d a n s s a j e u n e s s e , é t r o i t e -

m e n t l i é a u x M e r c h a n t A d v e n t u r e r s , d o n t i l f u t l ' a g e n t a u x

P a y s - B a s p e n d a n t p l u s i e u r s a n n é e s . D i r i g é e c o n t r e l a p a p a u t é ,

l a p o l i t i q u e d e s o u v e r a i n e t é d u r o i e n s o n p a r l e m e n t e t d e s o u -

v e r a i n e t é d e l ' E t a t c o n v e n a i t a u x i n t é r ê t s d e l a C i t é , t a n t à l ' i n t é -

r i e u r , p a r l e t r a n s f e r t à l a n o b l e s s e e t à l a b o u r g e o i s i e u r b a i n e

d e s b i e n s m o n a s t i q u e s , q u ' à l ' e x t é r i e u r , o ù l e s a l l i a n c e s p r o t e s -

45. Sous le Commonwealth aussi, les droits acquis des maîtres de la Cité amenè- rent le parlement à interdire les nouvelles constructions à Londres jusqu'à une dis- tance de 10 milles de la Cité (S.E. Rasmussen : London the Unique City, p. 71).

46. V. Pearl, London and the Outbreak of the Puritan Revolution, p. 23-44. 47. 23 établissements religieux avant la Réforme, ainsi que les écoles de droit

(Inns of Court).

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L'histoire de Londres est primordiale dans l'avènement de la civilisa- tion urbaine. Héritière des grandes cités marchandes, Venise, Anvers, Amsterdam, elle a conquis la suprématie mondiale au XVIII siècle. A u X I X e l l e a t r a n s f o r m é c e t t e s u p r é m a t i e e n h é g é m o n i e e n é t e n d a n t

s a d o m i n a t i o n c o m m e r c i a l e , m o n é t a i r e e t f i n a n c i è r e à l a p l a n è t e .

A u j o u r d ' h u i l a C i t é d e L o n d r e s a c é d é à N e w Y o r k e t T o k y o l e s d e u x

p r e m i è r e s p l a c e s d a n s l e m o n d e , m a i s e l l e c o n s o l i d e s a p r e m i è r e p l a c e

e n E u r o p e . L a f i n a n c e d e l a C i t é n ' a p a s s u b i l e d é c l i n r e l a t i f d e

l ' i n d u s t r i e b r i t a n n i q u e . L a p o l i t i q u e d e M a r g a r e t T h a t c h e r l u i a i m p o s é

u n e m o d e r n i s a t i o n r a d i c a l e , a v a n t e t a p r è s l a R é v o l u t i o n d ' o c t o -

b r e 1 9 8 6 ( l e c é l è b r e B i g B a n g , « g r a n d e e x p l o s i o n c o s m i q u e » ) .

M a i n t e n a n t l a C i t é d e L o n d r e s e s t l a p l a c e f i n a n c i è r e l a p l u s i n t e r n a -

t i o n a l i s é e d e t o u t e s , i n d é p e n d a n t e d e s o n e n v i r o n n e m e n t i n s u l a i r e ,

e x p e r t e e n o p é r a t i o n s s u r e u r o m o n n a i e s , e l l e p o s s è d e u n s a v o i r - f a i r e

e x e m p l a i r e . L ' A c t e u n i q u e e u r o p é e n e t l ' A c c o r d d e M a a s t r i c h t l u i

o u v r e n t d e n o u v e l l e s p e r s p e c t i v e s e n c o r e p l u s p r o m e t t e u s e s .

C e t t e é t u d e s ' a t t a c h e à e x p l i q u e r u n e d e s t i n é e f i n a n c i è r e e x c e p t i o n -

n e l l e .

André Guillaume est professeur à l'Université de Paris-Sorbonne.

Marie-Claude Esposito est professeur à l'Université de Marne-la-Vallée.