L'OISEAU magazine n°102 : dossier outre mer

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58 . L'OISEAU magazine n° 102 DOSSIER CONSERVATION DE L'AVIFAUNE 58 . L'OISEAU magazine n° 102

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DOSSIERCONSERVATION DE L'AVIFAUNE

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L'OISEAU magazine n° 102. 59L'OISEAU magazine n° 102. 59

Les paysages, les espèces et les écosystèmesd'outre-mer sont parmi les plus riches et les plusdiversifiés au monde. Les plus menacés aussi.Pourtant notre patrimoine naturel ultra-marin resteméconnu des Français, alors qu'une mobilisa-tion en sa faveur est plus que jamais nécessaire.Ce dossier dédié à la biodiversité d'outre-mervous livrera quelques secrets de la nature tropicalefrançaise...

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DOSSIER CONSERVATION DE L'AVIFAUNE

associations naturalistesd'outre-mer font face à des

défis considérables. La diversité des es-pèces, leur endémisme, les évènementsclimatiques, les milieux naturels tropi-caux difficilement accessibles (monta-gnes, ravines, forêts denses), rendent lesinventaires ardus. Les fortes pressionsd'exploitation minière et forestière, la dé-mographie croissante sur des territoiresinsulaires non extensibles, placent laprotection de la biodiversité au coeur desenjeux de développement des territoires.Ces associations ne disposent pas des le-viers juridiques et financiers disponiblesen France métropolitaine depuis undemi-siècle. Cependant, la passion qui lesanime, leur connaissance de la nature etde leurs régions, leur implantation de lon-gue date, permettent des avancées consi-dérables en matière de conservation.

Une biodiversitéinestimable

Perruche d'Ouvéa, carouge, harpieféroce, tuit-tuit, pic de Guadeloupe, ibisrouge... Ces oiseaux ne s'observent pas

LES dans les cieux ni les jardins de métro-pole, et sont rarement sous les projec-teurs des enquêtes de la LPO. Et pour-tant ces espèces font partie de labiodiversité française, 98 % de la faunevertébrée est essentiellement concen-trée sur 22 % du territoire national : enoutre-mer !L'outre-mer français se situe dans 9 ré-gions biogéographiques, il compte10 % des récifs coralliens de la planèteet 5 des 25 points chauds de labiodiversité mondiale. Avec son outre-mer, la France abrite 1 518 espècesd'oiseaux pour 848 sur toute l'Europecontinentale, la Guyane hébergeant àelle seule plus de 700 espèces. L'un desderniers massifs de forêt primaire tro-picale quasiment intacte de la planètefait aussi de ce département d'outre-mer(DOM) un territoire unique en Europe.La Réunion, les Petites Antilles, Mayotteet la Polynésie sont aussi identifiéescomme Zones d'endémisme mondialepour les oiseaux, par leur avifaune quin'existe nul part ailleurs que sur ces îles.Sur 63 espèces d'oiseaux endémiques enFrance, 62 sont ainsi en outre-mer !

En dangerMalgré de nombreux efforts de con-

servation déployés à l'échelle nationaleet régionale depuis 10 ans, la biodiversitéultra-marine demeure fortement endanger. De 1994 à 2010, l'avifaune endanger d'extinction dans l'outre-merfrançais a augmenté de 75 %, passantde 45 à 79 espèces. Parmi elles, 72 setrouvent dans les collectivités territo-riales d'outre-mer (COM), ce qui placela France au 7e rang mondial des paysabritant des oiseaux mondialement me-nacés, après la Colombie et la Chine,avant la Nouvelle-Zélande et l'Inde. En2001, elle occupait la 9e position de ceclassement, la situation s'est donc ag-gravée.Les causes de déclin de l'avifaune dansle monde sont pourtant relativementbien connues. 87 % des espèces sont af-fectées par la perte et la dégradation deshabitats ; 30 % par l'exploitation directe(chasse, braconnage, trafic) ; 50 % desextinctions dans le monde depuis 400ans sont également attribuées aux es-pèces introduites envahissantes (rats,chats, mangoustes...) ; la pêche à la

Cette carte présente toutes les collectivités territoriales françaises d'outre-mer. 5 Départements d'outre-mer DOM : La Guyane, laGuadeloupe, la Martinique La Réunion et Mayotte (depuis 2011). 7 Collectivités d'outre-mer COM : la Nouvelle Calédonie, la Polynésiefrançaise, St-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna, St Barthélemy, St Martin, les Terres Australes et Antarctiques françaises (Taaf).

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CONSERVATION DE L'AVIFAUNE DOSSIER

cipaux outils de protection juridiqueeuropéens de protection de la nature (di-rectives Oiseaux, Habitats-Faune-Flore etréseau Natura 2000) restent inapplica-bles dans ces territoires. Les annexes de

ces textes, qui listent les espèces prioritai-res pour la désignation d'aires protégéescomme Natura 2000 , ou encore les espè-ces migratrices, chassables, n'incluentpas les espèces d'outre-mer. Tout commeen France métropolitaine, la biodiversitén'est pas suffisamment intégrée dans lespolitiques publiques (schémas d'aména-gement du territoire).

Inverser la tendanceC'est ainsi un véritable défi de sauve-

garder notre nature ultra-marine, qui estle joyau de la biodiversité française. Cepatrimoine naturel est aussi un atoutpour les régions d'outre-mer, qui font faceà des enjeux économiques et sociaux con-sidérables. Stopper le déclin des espèces etdes habitats en outre-mer, c'est à la fois lesymbole et l'indicateur de notre capacitéà inverser la tendance générale. Protégerles milieux naturels, c'est aussi pérenni-ser les ressources vivantes, maintenir ladiversité des paysages et des cultures liéesà l'usage de la nature.Forgé par un partenariat entre associa-tions, le programme LIFE+ CAP DOM aémergé pour répondre à ces enjeux.

2011, ANNÉE DES OUTRE-MER FRANÇAISLa LPO et ses partenaires à travers le pro-gramme LIFE+ CAP DOM s'inscrivent plei-nement dans cette année. Ainsi, tout aulong de "l'Année des outre-mer", des ac-tions de sensibilisation seront organisées .• en mai : une visite de sites en Martini-que, en Guyane et à La Réunion, dans lecadre de la Fête de la nature, avec lesassociations ornithologiques locales ; 14-15 mai retrouvez le LIFE+ CAP DOM auJardin d'acclimatation pour le festival Z'ànous la nature :www.natureetdecouvertes.com/tous-les-evenements• en juin : évènement sur le coq de rocheorange en Guyane, dans le cadre d'unmatch de football exceptionnel.En 2011, d'autres occasions permettrontde valoriser la richesse patrimoniale dela nature d'outre-mer.

Colibri à menton bleu, Chlorestes notata (Wayabo, Guyane).

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palangre, dans les Terres australes et an-tarctiques françaises, a contribué depuis2000 au déclin des albatros et des pétrels.Dans les îles (Polynésie, Mayotte, Réu-nion, Nouvelle-Calédonie, Petites An-tilles), le faible nombre d'espèces pré-datrices, le caractère endémique etl'isolement de l'avifaune la rend d'autantplus vulnérable à l'extinction (page 67).En Guyane et en Nouvelle-Calédonie, lesforêts, qui abritent une diversité excep-tionnelle encore méconnue, sont parti-culièrement fragilisées par un aména-gement du territoire insuffisammentplanifié.

Des outils de protectioninsuffisants

La Politique Agricole Commune (PAC)de l'Union européenne s'applique dansles Départements d'outre-mer, de mêmeque les fonds structurels pour le dévelop-pement régional (Fonds Social Européen,Fonds européen de développement ré-gional). Cependant, les impactsenvironnementaux de l'exploitationagricole intensive et du développementdes infrastructures ne sont pas compen-sés, comme sur le continent, par des me-sures agro-environnementales, ou parune éco-conditionnalité des subventionset de la défiscalisation. De plus, les prin-

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Agir pour l'avifaune menacée des Départementsd'outre-mer

Dans le cadre de ses objectifs, la Mission internationale de la LPO contribue à laprotection de la biodiversité ultra-marine par le renforcement et la valorisationdes associations ornithologiques locales et notamment par un travail de lobbyingen direction des décideurs en Métropole et à Bruxelles. C'est dans ce contextequ'elle s'engage, depuis une dizaine d'années, aux côtés de ces acteurs ultra-ma-rins pour tenter de stopper la perte des espèces et des habitats. Cette mobilisationa abouti au tout premier projet LIFE+ pour la protection de la faune ultra-marine : leLIFE+ CAP DOM. Cet outil permet aux associations ultra-marines de monter desactions à long terme, avec des moyens suffisants et ambitieux. La Mission internatio-nale de la LPO en assure la coordination nationale, garante de la synergie des actions.La longue expérience de la LPO dans la conduite de programmes LIFE, de même quesa position en Métropole sont essentielles pour mener à bien ce projet.

LA MISSION INTERNATIONALE, COORDINATRICE

Sterne fuligineuse, Martinique. Page d'accueil du site Internet dédiéet plaquette de présentation du LIFE+ CAP DOM.

Le programme "LIFE+ CAP DOM :2010-2015, conservation de l'avifauneprioritaire des Départements d'outre-mer" a pour but la protection de labiodiversité ultra-marine. Pendantcinq ans, la LPO, trois associations etun Parc national vont se mobiliserpour proposer des actions de terrainnécessaires et innovantes. L'AOMA enMartinique, le GEPOG en Guyane, etla SEOR avec le Parc national de La Réu-nion sont les acteurs-clés de ce projet.

marins pérennes. Leur ancrage institu-tionnel, culturel et leur expertise écologi-que vont permettre de tester de nouvellestechniques d'études, de concertation et degestion pour, enfin, construire des outils

adaptés aux contextes environ-nementaux et socio-économiques desDOM. Ces coordinateurs impliquentaussi par le dialogue tous les acteurs lo-caux concernés.Concilier "conservation des sites et acti-vités économiques" est un des objectifsdu "LIFE+ CAP DOM". Cette approchepasse par une meilleure évaluation desenjeux environnementaux mais égale-ment par le partage des connaissances.Des outils de prise en compte de l'avifaune(base de données) et de ses habitats (iden-tification des sites d'intérêt écologique ma-jeur) seront également développés pour fa-ciliter leur intégration dans les politiquespubliques d'aménagement du territoire.Les oiseaux sont au coeur de ce pro-gramme car ils restent les indicateursles mieux connus, les plus faciles à me-surer et parmi les plus fiables de l'état deconservation de l'environnement. Ainsi,des actions innovantes de protectiond'espèces menacées, comme le coq de ro-che orange en Guyane (page 64), le bu-sard de Maillard dit papangue (page 65)ou encore le moqueur gorge-blanche enMartinique (page 66), vont être mises enplace.Financé, en partie, par la Commissioneuropéenne, le "LIFE+ CAP DOM" offreenfin des moyens conséquents aux ac-teurs locaux de la conservation ultra-ma-rine. Ce programme porte sur trois DOM(Guyane, Martinique, Réunion). Cepen-dant les outils testés sur des sites pilotesont vocation à être restitués et répliquésdans les autres territoires d'outre-mer etdans les pays voisins. Il était temps d'agirconcrètement et rapidement pour allierprotection de la biodiversité et dévelop-pement de nos territoires ultra-marins.

Pour consulter les dernières actualités duLIFE+ CAP DOM :

http://www.lifecapdom.org

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LIFE+CAP DOM

Le "LIFE+ CAP DOM" est le premier pro-gramme européen de protection de la na-ture inter- DOM et inter-associatif. Il est néd'un double constat : l'urgence d'agir pourenrayer le déclin de l'avifaune dans lesDOM et le manque d'outils et de techni-ques adaptés à leurs contextes spécifiques.Après plus de dix ans de mobilisationdes organisations de protection de lanature, les DOM peuvent enfin répondreà l'appel à projets européen LIFE+ (instru-ment financier européen pour l'environ-nement). Ce projet n'aurait pu exister sansune très forte implication d'acteurs ultra-

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DOSSIER CONSERVATION DE L'AVIFAUNE

Le coq de roche orange : concilier conservationdes sites et activités économiques

En Guyane, une des actions du LIFE+CAP DOM vise à protéger les sites denidification du coq de roche orange.Pour préserver ces habitats menacéspar l'exploitation minière, forestièreet touristique, Le GEPOG mènera desactions de concertation et de dialo-gue avec les exploitants.

Le coq de roche orange est une es-pèce endémique des peuplements fores-tiers primaires du plateau des Guyanes.Au cours de la saison de reproduction(décembre-juin) les mâles se rassem-blent et forment des groupes allant de 5à 15 individus sur des sites de paradeappelés des leks. Les femelles nichentdans des abris sous roches et grottes lo-calisés autour des leks.En Guyane, l'espèce présente une airede répartition discontinue. En effet, onla rencontre uniquement dans les mas-sifs montagneux offrant des sites deparade et de nidification adéquats poursa reproduction. Par ailleurs, les mas-sifs accueillant cette espèce sont sou-mis à diverses pressions anthropiques(exploitation minière et forestière, tou-

risme, braconnage) pouvant mettre enpéril les colonies. Face à ces pressions, leGEPOG (Groupe d'Etude et de Protectiondes Oiseaux en Guyane) a soulevé l'im-portance d'améliorer la conservation pré-sente et à venir de cette espèce embléma-tique. C'est dans ce contexte que s'inscritl'étude "Coq de roche orange" du pro-gramme européen LIFE+ CAP DOM coor-donné par le GEPOG au niveau régional.Une première partie de l'étude permettrad'améliorer les connaissances sur la bio-logie de cet oiseau : régime alimentaire,nombre d'individus, succès reproducteur,localisation des sites de parades des mâ-

les, etc. L'écologie de l'espèce sera égale-ment étudiée pour une meilleure com-préhension de l'utilisation de l'espace enpériode de reproduction et hors périodede reproduction. Une fois cette étude bio-logique réalisée, des mesures conserva-toires pourront être proposées et conci-liées avec le développement économiquede la Guyane. Pour ce faire, les résultatsscientifiques obtenus permettront d'ap-porter des éléments concrets de réflexiondans les processus de concertation quiseront mis en oeuvre entre les différentsacteurs concernés.ALIZÉE RICARDOU, GEPOG (www.gepog.org)

Coq de roche orange, Guyane.

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A gauche : Crique sur Petites Montagnes Tortues, en Guyane. A droite : destructiond'arbres sur un site d'orpaillage en Guyane.

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Endémique de La Réunion, le busardde Maillard est mondialement me-nacé. Les principales causes de sa mor-talité sont liées aux activités agricoleset à l'aménagement du territoire.Pour sauver l'unique rapace encorenicheur de l'île, la SEOR va tester desactions préventives.

Protégé par un arrêté ministériel, lebusard de Maillard, dit papangue, estclassé "En danger" par BirdLife Inter-national. Sa population est estimée àmoins de 100 couples certains en 2010.Son territoire de chasse et de reproduc-tion est constitué de zones ouvertes (pâ-turage, friche, savane) et de zones fo-restières arborées et/ou arbustives.Encore braconné, il est principalementmenacé par les activités anthropiques(braconnage, collision avec les câblesaériens, empoisonnement indirect paringestion de rats). En effet, l'aménage-ment du territoire s'est traduit par undéveloppement du réseau électrique etle busard de Maillard en chasse ou enparade est vulnérable aux collisionsavec les câbles aériens.De même, son régime alimentaire com-posé en majorité de rats (50 à 70 %)l'expose au risque d'empoisonnementsecondaire, puisque pour protéger lescultures (canne à sucre, espèces frui-tières, etc.) d'importantes campagnes dedératisation ont lieu sur toute l'île.Cette lutte par raticides, poison violent,a pour conséquence d'augmenter le ris-que pour le rapace de consommer desrats empoisonnés. Ainsi, aménager du-rablement prend-il tout son sens pourle busard.Le projet LIFE+ CAP DOM va permettrela réalisation d'actions de conservationautour de ces deux problématiques :l'aménagement du territoire et les ac-tivités agricoles.Pour palier les morts causées par lescâbles électriques, il s'agira de déve-lopper un réseau de surveillance sur leszones sensibles, à savoir les secteursavec présence de couples de "Papangue"à proximité des lignes. En parallèle, lamise en place d'un processus de concer-tation permettra d'optimiser l'utilisationdes raticides et d'aboutir à l'élaborationd'une charte des bonnes pratiques, vali-dée par le monde agricole et les acteursde la dératisation.

VALÉRIE GRONDIN, SEOR (www.seor.fr)

Le busard de Maillard au cœur de l'aménagementdu territoire

YABALEX, UN PHOTOGRAPHE RÉUNIONNAISC'est l'amour de la nature qui pousse Alexandre Boyer à s'orienter vers la photoanimalière, après ses études aux Beaux-Arts. Aujourd'hui, il prête son regard expertet ses épreuves sensibles au LIFE + CAP DOM."Je ne connaissais pas grand-chose de ce que je photographiais, j'avais besoin d'ap-prendre davantage sur la faune de La Réunion. J'ai alors adhéré à l'association ga-rante de la préservation des oiseaux de l'île (la Société d'Etude Ornithologique de LaRéunion, SEOR), et avec elle, j'ai pu partager passion et connaissance. Sortir en forêtdans le Parc national des Hauts, se fondre dans la nature, l'observer discrètement, etsi possible ramener de beaux souvenirs, sont pour moi une vraie bouffée d'oxygène.Chaque sortie se prépare minutieusement : prise de renseignements auprès desbonnes personnes, documentation sur l'espèce à photographier, itinéraire, météo..sont autant d'éléments à ne jamais négliger. Photographier le papangue demandedu temps. C'est un oiseau qui a ses habitudes et se pose sur les mêmes poteaux oubranches. Un oiseau de proie à quelques dizaines de centimètres devant soi restetoujours un moment fort en émotions. C'est dans cette ultime observation que jetrouve ma récompense à ces longues heures de repérage et d'attente. Et quand jene suis pas sur le terrain, je suis "scotché" à mon ordinateur pour retravailler mesphotos afin de les intégrer à mon site : www.faune-reunion.com"

En haut : busard de Maillard mâle en vol. En bas : paysages du Parc national de LaRéunion.

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La presqu'île de la Caravelle, refuge du moqueurgorge-blanche

Le moqueur gorge-blanche est endé-mique des Petites Antilles et mondia-lement menacé. Sur la presqu'île deLa Caravelle, en Martinique, l'AOMAidentifie ses habitats et propose desmesures de gestion pour limiter la pré-dation et le dérangement.

La presqu'île de La Caravelle est unepéninsule de faible étendue localisée aunord-est de la Martinique. A la fin du XVIIe

siècle, les formations forestières primai-res de la Caravelle ont été fortement dé-boisées. Laissée en friche à la fin du XVIIIe

siècle, la superficie consacrée à l'exploi-tation de la canne à sucre diminuera no-tablement au profit de savanes, de four-rés et de forêts secondaires, et ce plusparticulièrement à l'extrémité est de lapresqu'île. A partir des années 1970,s'engagera un processus de mise en ré-serve de cette partie qui deviendra la Ré-serve naturelle de La Caravelle le 2 mars1976. Bien que son avifaune soit com-posée essentiellement de passereauxcommuns, les enjeux concernent plusparticulièrement le moqueur gorge-blan-che, une espèce dont l'endémisme étroit à

la Martinique et à Sainte-Lucie n'est plusà démontrer, classé "En danger" (BirdLifeInternational).Le moqueur gorge-blanche était une es-pèce commune et si bien répandue à laMartinique au XIXe siècle qu'il était pos-sible d'en rencontrer dans les environs deFort-de-France, la capitale de l'île. Sa der-

nière capture officielle remontant à la findu XIXe siècle, l'espèce fut considéréecomme disparue jusqu'à la découverted'un individu aux environs du phare dela presqu'île le 15 juin 1950. Actuellement,bien que la sous-espèce présente à la Mar-tinique reste inféodée à la presqu'île deLa Caravelle, les rencontres y sont plusfréquentes. Les suivis réalisés de 2006 à2007 ont permis de confirmer que mal-gré leurs petits nombres d'individus, lespopulations affichent des estimations ras-surantes. Sur une surface d'échantillon-nage de dix hectares, la population a étéestimée à trente-deux individus.Malgré ces constats, le moqueurs gorge-blanche reste un enjeu prioritaire en ma-tière de conservation de la biodiversité.Deux principales causes à son déclin : lesdestructions d'habitats et l'introductionde prédateurs.Pour assurer sa protection, l'AOMA as-sure une surveillance continue des va-riations d'effectifs du moqueur gorge-blanche à la Martinique. Les donnéesainsi récoltées devraient permettre auxgestionnaires du Parc naturel régionalde réagir plus rapidement à d'éventuellesdiminutions des populations. Dans lecadre plus spécifique du LIFE+ CAP DOM,les équipes de l'AOMA testent une solu-tion innovante : la mise en place d'unsystème automatisé et quasi-permanentde collecte d'indices de présence. Des sitesprioritaires seront également identifiés etferont l'objet d'un suivi régulier pour ga-rantir un meilleur statut de conservationà l'espèce.

JEAN-RAPHAËL GROS-DÉSORMEAUX ET

Georges TAYALAY, AOMA

En haut, de gauche à droite. Pointe de La Caravelle, Martinique. Paysages de la Martinique.En bas : le moqueur gorge-blanche (Martinique).

La Martinique et la Guadeloupe comptent respectivement 10 et 9 Important BirdAreas (IBA/Zone importante pour la conservation des oiseaux/ZICO). C'est en 2008qu'Amazona, l'association des Mateurs Amicaux des Z'oiseaux et de la Nature auxAntilles publie le premier inventaire ZICO pour la Guadeloupe. La majorité des IBA deGuadeloupe manque d'un statut de protection officiel. Seules les zones centrales deshabitats forestiers de l'IBA de Basse-Terre sont protégées par le Parc national deGuadeloupe, de même que certaines parties de l'IBA Grand Cul-de-Sac et des îlets dePetite-Terre le sont par des Réserves naturelles.A l'inverse, la plupart des IBA de Martinique, identifiés par BirdLife, possèdent unstatut de protection. L'IBA de la Presqu'île de La Caravelle est primordial car il hébergeà lui seul l'unique population de moqueur gorge-blanche ("En Danger") ainsi queplusieurs autres espèces à répartition restreinte, y compris l'oriole de la Martinique("Vulnérable").La protection de la plupart de ces IBA est sous la responsabilité du Gouvernementfrançais et ce d'autant plus que les directives européennes Oiseaux et Habitats-Faune-Flore ne sont pas applicables dans les DOM, les espèces tropicales n'étant pasmentionnées dans leurs annexes.

LES IBA DE MARTINIQUE ET DE GUADELOUPE

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Les îles : endémisme et invasions biologiques

Les îles sont des lieux de fort endé-misme et leur spécificité géographi-que les rend particulièrement sensiblesaux espèces envahissantes. Retour surce syndrome d'insularité.

Les îles peuvent être réparties endeux grands groupes, celles d'originecontinentale, qui se sont détachées d'uncontinent, et celles d'origine océanique,qui ont surgies de l'océan. Dans le pre-mier cas, leur peuplement faunistiqueet floristique était similaire au conti-nent duquel elles se sont détachées, puisa subit une évolution propre, à partirde la séparation. L'archipel des Como-res qui comprend Mayotte ou celui desPetites Antilles (Guadeloupe, Martini-que, St Barthélémy, etc.) font partie decette première catégorie. Au contraire,dans le second cas, chaque espèce a dûcoloniser ce nouveau morceau de terre,soit par les océans soit par les airs, ouencore les oiseaux. C'est le cas des îlesdes Mascareignes, dont l'île de La Réu-nion. Mais dans un cas comme dansl'autre, leurs écosystèmes se sont diffé-renciés.Parce qu'elles sont éloignées des conti-nents, les îles hébergent des milieux par-ticuliers qui ont évolué de manière dé-connectée des grands espaces continen-taux. En formant une barrière écologi-que, les mers et les océans ont réduit ouannulé les possibilités d'échanges gé-nétiques, et les espèces végétales ou ani-males des îles ont poursuivi leur évolu-tion, séparées de la population source.Elles sont devenues parfois si différen-tes, qu'elles forment des espèces à partentière, présentes uniquement sur cespetits espaces : des espèces dites endé-miques d'une île, ou d'un archipel. Leuraire de répartition est ainsi très restreinteet leurs effectifs souvent faibles. Ces deuxcritères confèrent à beaucoup d'espècesinsulaires un statut de conservation dé-favorable.La spéciation qui s'est opérée sur descentaines de milliers d'années, sur lesîles, dans des conditions de plus faiblespressions de sélection (moins d'espèces,niches écologiques plus grandes) a euttendance à favoriser des espèces vivantplus longtemps mais produisant moinsde descendants. De plus, les espèces de-viennent moins compétitives et perdentles défenses contre les prédateurs. Ainsi,les végétaux sont prolifiques, ont per-dus leur toxicité ou leurs épines, les

oiseaux ont perdu les comportementsde fuite, voire même l'aptitude au vol.Lorsque l'Homme introduit des préda-teurs, des herbivores ou des végétauxexotiques très prolifiques et compéti-tifs, certaines de ces espèces surabon-dent aux dépens des espèces indigènes.

Elles envahissent alors les écosystèmesjusqu'à les modifier notablement, voiremême conduire certaines espèces à l'ex-tinction.

MARC SALAMOLARD,Parc national de La Réunion

La Société d'Ornithologie de Polynésie "Manu" (SOP Manu) a le projet ambitieuxde mener en 2011 une importante opération de restauration de l'atoll de Vahanga(à l'extrême est de l'archipel des Tuamotu) et de trois îlots de l'archipel desGambier (Manui, Kamaka et Makaroa). Des sites de première importance pourla biodiversité, en Polynésie française.En effet, Vahanga abrite des gallicolombes érythroptères, espèce "En danger criti-que d'extinction" (BirdLife International), et des chevaliers des Tuamotu, espèce "Endanger". Les rats polynésiens qui vivent sur Vahanga, exercent une prédation im-portante sur ces espèces et ne leur permettent pas de s'établir sur l'île.Quant aux îlots des Gambier ils abritent, eux, de nombreuses espèces telles quele pétrel de Murphy, le pétrel hérault ou le puffin d'Audubon. Sur Manui, deslapins occupent les terriers de ces oiseaux marins, et sur Makaroa les chèvrespiétinent les terriers et ont eu un impact désastreux sur le couvert végétal qui aaujourd'hui disparu. Ces oiseaux de mer n'ont pas la possibilité de se réfugier surKamaka où les rats polynésiens, qui sont aussi présents sur Makaroa, exercentune prédation sur les nichées.La solution pour préserver ces espèces d'oiseaux menacées passe par une éradica-tion par épandage aérien de poison. Cette méthode nécessite des moyens techni-ques, comme l'utilisation d'un hélicoptère, encore jamais mis en oeuvre pour un telprogramme en Polynésie française.

ANNE GOUNI, GUILLAUME ALBAR, SOP-MANU (www.manu.pf)

LA LUTTE CONTRE LES ESPÈCES ENVAHISSANTESEN POLYNÉSIE FRANÇAISE

En haut : Parc national de La Réunion. En bas : gallicolombe érythroptère.

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DOSSIER CONSERVATION DE L'AVIFAUNE

Pollution lumineuse : La SEOR change la donne

Ont participé à la rédaction de ce dossier :ANNE GOUNI (SOP-MANU), GUILLAUME ALBAR

(SOP-MANU), YANNICK GILOUX (SEOR),ALIZÉE RICARDOU (GEPOG), VALÉRIE

GRONDIN (SEOR), MARION GRASSI (LPO),JULIE RIEGEL (LPO), MARC SALAMOLARD

(PARC NATIONAL DE LA RÉUNION),JEAN-RAPHAËL GROS-DÉSORMEAUX (AOMA),

GEORGES TAYALAY (AOMA)

Autres associations ornithologiques d'outre-mer :Le Carouge en Martinique

[email protected],Amazona en Guadeloupe

[email protected],la SCO en Nouvelle-Calédonie

http://www.sco.asso.nc/,le Gepomay à Mayotte [email protected]

A gauche, sites de colonies de pétrel de Barau, Parc national de La Réunion. A droite, de haut en bas : pétrel de Barau, La Réunion ;pétrel noir de Bourbon, Parc national de La Réunion.

Depuis 20 ans, la pollution lumineusefait l'objet d'études pour limiter soneffet négatif sur la consommationd'énergie, la biodiversité et la santéhumaine. Les résolutions du Grenellede l'Environnement et les opérationsde sensibilisation mises en oeuvre* tra-duisent ces préoccupations environ-nementales.

Mammifères, oiseaux, reptiles, amphi-biens ou encore insectes sont affectés parles éclairages urbains. Ces derniers in-fluent sur la disponibilité alimentaire, l'oc-cupation des dortoirs et des colonies etdésorientent certaines espèces. Cette inci-dence est particulièrement visible sur lesoiseaux migrateurs, qui figurent parmiles espèces les plus suivies et les mieuxétudiées. S'orientant grâce à leur vue, auchamp magnétique terrestre et au posi-tionnement des étoiles, l'augmentationdu nombre de points lumineux interfèredirectement avec leur système d'orienta-tion. Pour l'avifaune, cette pollution lu-mineuse représente un danger mortel.A La Réunion, la problématique affectefortement les Procellariidés comme le pé-

trel de Barau, le pétrel noir de Bourbon, lepuffin tropical et le puffin du Pacifique ;les deux premiers étant menacés d'extinc-tion. Dans le cas présent, ces oiseaux sontdésorientés par les lumières qui seraientassimilées à une source de nourriture,puisque certains calmars biolumi-nescents entrent dans leur alimentation.En 1997, face à l'augmentation constantedu nombre d'oiseaux échoués suite à cettepollution lumineuse, une structure asso-ciative locale est créée pour récupérer, soi-gner et relâcher ces oiseaux. C'est égale-ment une des actions d'urgence que laSEOR mène depuis sa création avec lesoutien de la population réunionnaise,de ses bénévoles, des vétérinaires, des ser-vices de sécurité, d'incendie et de secours.En parallèle à ces actions de soin, la SEORconduit une réflexion avec les fabricantsde luminaires pour proposer des produitsrespectueux de la biodiversité.Forte de cette expérience, la SEOR s'esttournée, depuis 2008, vers les décideurs.Elle propose désormais à chaque com-mune volontaire de signer une charted'engagement pour limiter la pollutionlumineuse. Plusieurs aspects sont alorspris en compte, des questions techniques

à la formation du personnel municipal,en passant par la sensibilisation des sco-laires et le soutien financier au sauve-tage des oiseaux échoués sur la commune.De nouvelles communes, ainsi que denouveaux acteurs industriels et sportifssont en cours de formalisation pour con-tribuer à sauver les oiseaux de l'île.*Earth Hour, WWF ; Une heure pour LaRéunion, CCEE

YANNICK GILOUX, SEOR (www.seor.fr)

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L'outre-merinnove

68 . L'OISEAU magazine n° 102