ÉLODIE BOUYGUES MARTINE DEWALD - Lettres

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C'est dès 2004, année de l'installation de l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne, que se sont nouées les premières relations entre l'IMEC et l'IUFM de Basse-Normandie. Les formateurs de l'IUFM ont trouvé là des ressources qui encouragent les futurs enseignants à nourrir leurs pratiques pédagogiques de l'exploitation des fonds d'archives riches et variés conservés par l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne. Les dimensions didactiques et culturelles s'y trouvent étonnamment réunies. Les premières collaborations ont rapidement fait apparaître le besoin d'offrir à tous les enseignants des outils leur permettant de profiter de ces matériaux mis en valeur par ces expériences de formation. Cette collection de brochures voit donc le jour pour susciter de nouveaux projets ouvrant les archives au plus grand nombre et à toutes les disciplines de l'enseignement. Élodie Bouygues est spécialiste et ayant droit de Jean Follain, formatrice IUFM. Martine Dewald est professeure de collège, formatrice IUFM. Patricia Fize est professeure de lycée, formatrice IUFM. écritures, réécritures de pour une pédagogie des brouillons d’écrivain POUR UNE PÉDAGOGIE DES BROUILLONS D ÉCRIVAIN ÉLODIE BOUYGUES MARTINE DEWALD PATRICIA FIZE Afin de permettre le travail en classe, il est possible télécharger les fac-similés de cette brochure à l'adresse suivante : http://www.imec-archives.com/num/d_242ecaf5a9c4.php Mentions obligatoires pour l’utilisation de ces fac-similés propriété de l’IMEC, tous droits réservés imec abbaye d’ardenne Coordination éditoriale : Yoann Thommerel (IMEC) et Serge Martin (IUFM de Basse-Normandie) IMEC - Abbaye d’Ardenne 14280 St-Germain-la-Blanche-Herbe [email protected] www.imec-archives.com doss_pedago_FOLLAIN2 28/02/08 18:09 Page 1

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C'est dès 2004, année de l'installation de l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne, que se sontnouées les premières relations entre l'IMEC et l'IUFM de Basse-Normandie. Lesformateurs de l'IUFM ont trouvé là des ressources qui encouragent les futursenseignants à nourrir leurs pratiques pédagogiques de l'exploitation des fondsd'archives riches et variés conservés par l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne. Lesdimensions didactiques et culturelles s'y trouvent étonnamment réunies.Les premières collaborations ont rapidement fait apparaître le besoin d'offrir à tousles enseignants des outils leur permettant de profiter de ces matériaux mis en valeurpar ces expériences de formation. Cette collection de brochures voit donc le jourpour susciter de nouveaux projets ouvrant les archives au plus grand nombre et àtoutes les disciplines de l'enseignement.

Élodie Bouygues est spécialiste et ayant droit de Jean Follain, formatrice IUFM.Martine Dewald est professeure de collège, formatrice IUFM.Patricia Fize est professeure de lycée, formatrice IUFM.

écritures,réécritures de

pour une pédagogie des brou i l lons d ’écr iva in

POUR UNE PÉDAGOGIE DES BROUILLONS D’ÉCRIVA IN ÉLODIE BOUYGUESMARTINE DEWALDPATRICIA F IZE

Afin de permettre le travail en classe, il est possible télécharger les fac-similés de cette brochure à l'adresse suivante :

http://www.imec-archives.com/num/d_242ecaf5a9c4.php

Mentions obligatoires pour l’utilisation de ces fac-similéspropriété de l’IMEC, tous droits réservés

imecabbaye d’ardenne

Coordination éditoriale : Yoann Thommerel (IMEC)et Serge Martin (IUFM de Basse-Normandie)

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« – comprendre que les textes et lesœuvres sont le fruit d’un travail de l’écri-ture, qui est une élaboration du sens ;

– par là, améliorer leur capacité d’expres-sion ;

– accéder à la perception des singularitésdes textes, donc des qualités de style et d’ori-ginalité des œuvres littéraires. »

Les champs de savoir concernés par l’étude des brouillons : la réflexionsur les activités rédactionnelles et la critique génétique

La réflexion sur les activités rédactionnelles 5

Des recherches en linguistique, psycholo-gie cognitive et psycholinguistique ont misen évidence la complexité de l’acte d’écri-ture en étudiant les procédures utilisées pardes sujets placés dans une situation d’écri-ture. Ont été élaborés des schémas visant àrendre compte des activités « scripturales »de trois types : la planification, la mise entexte et la révision, toutes activités qui nesont pas linéaires mais interviennent à toutmoment de la production. On a ainsiexploré l’importance en nombre et les effetsdes décisions prises par le scripteur qui doitrésoudre des problèmes pragmatiques (quitouchent à la situation de communicationmise en place et qui affectent le choix d’ungenre), sémantiques, morphosyntaxiques,pour réajuster son écrit. C’est à toutmoment de son activité qu’il doit combiner,hiérarchiser ces contraintes.

Cette réflexion a induit des pratiquespédagogiques qui explicitent ces procédureset permettent aux élèves de prendreconscience de la complexité des opérationset ce, pour mieux les maîtriser. Les ensei-gnants peuvent ménager des moments spé-cifiques pour favoriser les apprentissages

autour des grandes opérations : planifierc’est se construire une représentation men-tale du texte que l’on va écrire, commegenre mais aussi comme discours adressé àun lecteur en choisissant un registre, uneénonciation… Mettre en texte c’est faire lechoix de formes linguistiques particulièreset constituer ainsi l’énoncé. À tout momentde sa rédaction, le scripteur peut être amenéà revenir sur ses choix, à les réviser, ce quiaffecte à la fois la planification du texte danssa globalité et sa mise en texte, et doncimpose d’intervenir sur le texte dans sonensemble. C’est dans l’interaction entre cesdivers processus que s’élabore l’écrit.

Pour voir à l’œuvre et enseigner cette éla-boration de l’énoncé, le brouillon de l’écri-vain constitue donc un objet d’analyse per-tinent.

La critique génétiqueSon objectif est de « renouveler la

connaissance des textes à la lumière de leursmanuscrits, en déplaçant l’interrogationcritique de l’auteur vers l’écrivain, de l’écritvers l’écriture, de la structure vers le proces-sus, de l’œuvre vers sa genèse 6. »

Le point de vue porté sur l’œuvre étudiéepostule que « le texte définitif d’une œuvrelittéraire est le résultat d’un travail, c’est-à-dire d’une élaboration progressive, au coursde laquelle l’auteur s’est consacré par exem-ple à la recherche de documents ou d’infor-mations, à la conception, à la préparationpuis à la rédaction de son texte, à traversdiverses campagnes de corrections et derévision. Toutefois la critique génétiquerécuse une perspective téléologique finaliséequi tendrait à faire de ces brouillons organi-sés l’ébauche de l’œuvre à venir. Les tracesque le généticien relève sont davantageconsidérées comme des possibles expéri-mentaux témoignant de conflits, de cir-

Le « brouillon », autrefois porteur deconnotations péjoratives, est devenuaujourd’hui un objet d’étude, d’enseigne-ment et la phase indispensable pour les élè-ves à la mise en œuvre de compétencesd’écriture. C’est pour ces deux raisonsmajeures qu’il intéresse les enseignants defrançais, de lettres.

Brouillon d’élève, brouillon d’écrivain :pédagogie de l’écriture, pédagogie de l’interprétation

L’attention portée aux brouillons d’écri-vains se nourrit d’une recherche universi-taire récente, la génétique des textes, quidynamise la réflexion didactique et pédago-gique. Pédagogique en ce qu’elle propose àl’élève d’investir les processus rédactionnelsdécouverts chez les écrivains non pour maî-triser les « règles de l’art » mais les règles dujeu, des genres, des registres et des viséesdes textes à écrire. Didactique égalementen ce qu’elle élargit le champ des méthodesde lecture des œuvres, de lectures littérairesplurielles, c’est-à-dire des lectures réflexiveset interprétatives favorisant l’autonomie dulecteur. Enfin, bien évidemment, cetteperspective favorise aussi la découverte detraits spécifiques à un écrivain, à une esthé-tique particulière.

C’est ce qui explique la place accordée àla réflexion génétique dans les programmesdu collège et du lycée.

Du côté des programmes

Au collègeDans le cadre des apprentissages d’écri-

ture on recommande aux enseignants d’ap-prendre aux élèves à réviser leurs textesnotamment à travers « l’écriture et la récri-ture du brouillon 1 ». Les modalités de ce tra-vail sont très précises : « on poursuit en troi-sième le travail sur le brouillon […] enl’orientant plus particulièrement vers lastructuration du texte (canevas d’idées, bri-bes d’écriture, élaboration d’un plan). Onpeut, pour ce travail proposer l’examen debrouillons d’auteurs et parcourir même demanière élémentaire, les différentes étapesde la genèse et de la réalisation d’un texte 2. »

Au lycéeDeux objets d’étude concernent l’analyse

des brouillons.« Le travail de l'écriture 3. L'analyse des

rapports entre sources, projets, brouillons,texte et variantes, permet de montrer que laproduction d'un texte est un processus sin-gulier à l'intérieur même des règles d'ungenre ou par rapport à celles-ci ; on abordela question de l'originalité d'un style. »

« Écrire, publier, lire. L’examen de lasituation des auteurs, des lecteurs ou desspectateurs, des modes de diffusion, estconduit de façon à montrer leurs effets surles textes (qu’ils s’y plient ou y résistent). »

Ces études favorisent une démarcheinterprétative visant à étudier l’« intertex-tualité, [la] production et [la] singularitédes textes 4 », avec, pour les élèves, troisobjectifs :

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Les enjeux d’une pédagogie du brouillon

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Quelques définitions indispensables pour conclure

Brouillon : tout document qui témoigned’un travail rédactionnel.

Dossier de genèse : c’est l’ensemble maté-riel des documents et manuscrits se rappor-tant à la genèse que l’on veut étudier. Lesdocuments qui composent ce dossier sontindexés, classés. L’ensemble ne peut jamaisêtre considéré comme complet. Les archi-ves qui le composent sont généralementconservées dans des institutions patrimo-niales publiques ou privées comme la BNFou l’IMEC. Toutes sortes de documentspeuvent figurer dans ce dossier, des cahiers,des notes, des manuscrits, des plans, desbribes, des lettres et des documents quin’appartiennent pas à la genèse de l’œuvre.

Avant texte ou dossier génétique : dumanuscrit aux épreuves corrigées, ce dos-sier contient tous les documents invento-riés, classés, datés qui permettent de suivrela genèse de l’œuvre de manière empiriqueà travers une organisation reconstruite desdocuments retrouvés et archivés.

NOTES :

1 B.O. n° 10 du 15 octobre 1998, Hors-série.

2 Accompagnement des programmes de 3e, Livret 1,Français, p. 22, CNDP, 1999.

3 B.O. n° 41 du 7 novembre 2002.

4 B.O. n° 10 du 15 octobre 1998, Hors-série.

5 Pour une approche de la question de l’écriture, lelivre de Sylvie Plane, Écrire au collège, Nathan-Pédagogie, 1994, constitue une très intéressanteréférence qui dépasse le niveau d’enseignement danslequel semble le limiter son titre. On y trouveraaussi une bibliographie générale très utile.

6 Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, coll.« 128 », Nathan Université, 2000. Cet ouvrageconstitue l’indispensable introduction à la génétique.

7 Op. cit., p. 86.

constances, de pistes explorées puis aban-données qui n’annoncent pas nécessairementle texte publié.

Les méthodes de la génétique

Il s’agit tout d’abord de collecter du maté-riau, phase qui est suivie d’un travail de clas-sement qui impose de déchiffrer les sup-ports recueillis, de les transcrire pour lesanalyser et parfois les publier. Ces tracessont rassemblées en des ensembles cohé-rents. Dans ce cadre pédagogique, on peutévoquer le travail collectif réunissant deschercheurs, des enseignants et des élèves quia permis de transcrire les brouillons deMadame Bovary pour les mettre à disposi-tion de tous sur Internet.

Les apports de la génétique à l’analyse des processus rédactionnels

Les généticiens distinguent deux grandescatégories d’écriture littéraire : l’écriture àprogramme (ou à programmation scénari-que) et la structuration rédactionnelle. Dansla première l’écrivain commence par unephase de planification, d’anticipation de sonœuvre comme le font par exemple Flaubertou Zola. Dans la seconde, il privilégie uneélaboration au fil de l’écriture, à la manièrede Stendhal et de Kafka.

Ces deux formes d’écriture donnent nais-sance à des brouillons très différents : l’écri-ture à programmation scénarique s’accom-pagne de plans, de notes, d’ébauches quidans la rédaction s’intègrent chapitre aprèschapitre dans un va-et-vient incessant entrestructure d’ensemble et expansions locales ;quant à la structuration rédactionnelle, ellecommence par la rédaction d’un « premierjet » révisé ensuite à plusieurs reprises.

Certains écrivains combinent les deuxdémarches, et tous les cas de figures peuvent seprésenter durant la phase pré-rédactionnelle.

Enfin, dans un dossier génétique, on peutrepérer les traces plus ou moins nettes dequatre phases :

1. La phase pré-rédactionnelle d’initiali-sation : scénarisation et programmation ;

2. la phase rédactionnelle ;3. la phrase pré-éditoriale ;4. la phase éditoriale.

Les apports de la génétique à la lecture littéraire

C’est dans les domaines de la critique bio-graphique, autobiographique et linguistiqueque les apports sont particulièrementféconds pour la pédagogie de la lecture litté-raire. La présence de l’écrivain, commescripteur de son texte, permet de réhabiliterla notion d’auteur.

En apportant un matériau très riche àl’analyse des textes, la critique génétiqueamène à un autre regard sur l’œuvre litté-raire qui n’est plus naturellement close, uneet définitive. « La plupart des manuscritsapportent un démenti formel à la possibilitéde conclure sur le sens des textes 7. »

Les transformations observées dans l’analysed’un brouillon : les différentes sortes de ratures

– La rature de suppression : biffure d’unmot ou de segments beaucoup plus larges.

– La rature de substitution : une biffuresuivie de l’inscription d’un nouveau segment ;

– La rature de déplacement : modificationde la place d’un mot ou d’un segment ;

– La rature de suspension : l’écrivainhésite sur une correction, ce qu’il signale parun code ou un commentaire dans la marge ;

– La rature d’utilisation : la biffure peutaussi signaler qu’un élément du texte a étédéveloppé, utilisé. C’est une rature de gestion.

Ce sont ces mêmes opérations que toutscripteur, écrivain ou élève opère sur unécrit lorsqu’il le révise.

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Jean Follain naît à Canisy (Manche) en 1903. Son père est professeur de sciencesnaturelles au collège de Saint-Lô, dans lequel l’enfant fait sa scolarité. L’un de ses grand-pères est instituteur, l’autre qu’il n’aura pas connu, Jean Heussebrot, notaire. La guerrede 1914 introduit dans son esprit un sentiment effarant de fragilité, en concurrence avecun sens de la durée et de l’histoire qui ne le quitte jamais. Lors de brillantes études dedroit à l’université de Caen, le jeune homme confirme son goût pour le rite et la cérémo-nie. Il s’installe en 1924 à Paris, capitale dont il rêve depuis l’enfance, pour achever saformation et faire un stage chez un avoué. Il s’inscrit au barreau en 1927.

Grâce à FERNAND MARC et au groupe « Sagesse », il fait en 1928 la connaissance despoètes qu’il admire, et s’introduit dans le milieu littéraire et artistique parisien. LesFeuillets de Sagesse publient des poèmes qui révèlent enfin une voix originale et uneforme qui sera désormais la sienne, et dans les années suivantes le poète propose des textes,avec succès, aux revues Commerce, Esprit, Le Journal des Poètes, La NRF. Il devientpour le reste de sa carrière un collaborateur assidu de ces deux dernières.

Très proche de poètes comme EUGÈNE GUILLEVIC ou PIERRE ALBERT-BIROT, Follainmène à partir de là une vie sociale très intense, entre salons littéraires et lieux populairesdu vieux Paris. Son mariage avec MADELEINE DENIS, DINÈS de son nom de peintre, filledu peintre nabi MAURICE DENIS, lui ouvre également les milieux de la peinture et de lasculpture. En 1940, il reçoit le prix Mallarmé.

Dès la fin des années quarante, Follain participe à son premier voyage avec le PENClub (Poets Essayists Novelists Club), à Prague. Grâce à cette organisation quientend resserrer les liens et la coopération entre écrivains de différents pays, il parcourtl’Europe et prend goût aux voyages. Mais cette expérience de l’ailleurs transparaît àpeine dans l’œuvre, dont les principaux thèmes d’inspiration demeurent resserrésautour de l’enfance normande, de la campagne, du Paris du premier XXe siècle, desmétiers d’artisans, du passage du temps, de l’éternité…

Au début de la seconde guerre, il est mobilisé quelques mois en 1940, avant de revenirà Paris. Il continue à y exercer son métier d’avocat, avec difficultés. S’il participe peu auxrevues, il écrit beaucoup – poèmes et proses, chez Gallimard. De Paris, il soutient lesjeunes poètes de l’École de Rochefort (CADOU, ROUSSELOT, BÉALU), en leur envoyant destextes. En 1947, Follain, qui observe pour la seconde fois les maléfices d’une guerre mon-diale, est très affecté par la vue de Caen et de Saint-Lô en ruines, perception du désastredont naîtra Chef-lieu, prose à caractère biographique évoquant la ville détruite.

GEORGES DUVEAU, son ami historien et sociologue, lui remet la Légion d’honneur en1951. À sa demande en 1952, Follain quitte le barreau pour devenir magistrat. Il estnommé à Charleville et profite de ses nombreux voyages en train pour écrire. Il démis-sionne et cesse toute activité juridique en 1965.

Au cours des années soixante, son existence continue à être particulièrement mon-daine : vernissages, causeries, colloques, prix littéraires… La diversité des parutions del’auteur témoigne de sa curiosité d’esprit et de son érudition : la gastronomie, l’« argotecclésiastique », la vie des saints, les récits de voyage…

En 1970, une année comblée d’honneur s’annonce pour le poète, qui est élu vice-président du PEN Club français et président de la Société des amis de Rimbaud, et quireçoit enfin le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française, couronnement de sa car-rière poétique.

Quelques jours avant la sortie en librairie de son dernier recueil, Follain est renversépar une voiture, vers minuit, place de la Concorde, en sortant d’une soirée réunissantcurieux et érudits, les amis des « Vieux Papiers », où il a fait une causerie.

Biographie

Les archives de l’IMEC

Les archives de Jean Follain représentent unfonds d’une grande richesse et d’une éton-nante diversité, le poète ayant été durant prèsd’un demi-siècle le collectionneur maniaquede ses propres manuscrits, mais aussi de docu-ments, ouvrages, dessins, prospectus, dossiersde presse, etc. Tous les dossiers rassemblésdans l’inventaire effectué par Élodie Bouygueset Claire Paulhan (proses, poésie, textes criti-ques, articles, agendas…) comprennent desavant-textes susceptibles de faire l’objet d’uneétude génétique.

Nous avons choisi de reproduire ici unbrouillon de prose ainsi que l’extrait du dos-sier génétique de deux poèmes.

Du papier et de l’encre

Le support papier dont le poète se sert pourrédiger est très hétérogène et évolue à travers letemps, à l’exception des brouillons de prose,qui semblent la plupart du temps nécessiter aumoins un format A4 – la prose se déployantdans l’espace –, et dont le premier jet, aucontraire du poème, peut être sans ratures. Lemodus operandi et le support sont donc diffé-rents selon le type d’écriture. Par ailleurs, pluson avance dans le temps, plus la qualité etl’origine des feuillets se diversifient : faire-parts, invitations à des vernissages, factures,relevé du gaz, morceaux de nappe en papier,papiers à en-tête de sa fonction d’avocat, decafés parisiens, d’hôtels étrangers, cartes devisite, etc. Tous les supports sont valables pourrecevoir l’ébauche d’un poème. L’auteur écritsur le papier disponible ; et plus celui-ci estétrange, plus l’on peut penser qu’on se rappro-che du moment du surgissement de la pensée.L’homogénéité des supports anciens et l’hété-

rogénéité des supports récents nous amènent àpenser que Follain se défait peu à peu de lanécessité d’un « rituel propitiatoire » (expres-sion de Claire Bustarret) qui appelle l’écriture,la favorise et l’entraîne.

Écrivant naturellement à l’encre noire,brune ou mauve dans les années trente,Follain est ensuite ravi par l’invention du bic,léger et pratique, qui lui permet d’écrire entoutes circonstances, et de visualiser l’évolu-tion du poème sur la page grâce aux différen-tes couleurs utilisées.

En règle générale, la graphie de Follain estlisible, souvent chantournée et dansante, lataille de son tracé ayant tendance à se ramas-ser avec l’âge (après-guerre).

L’écriture de la prose

Les ouvrages en prose les plus connus, Paris(1935), L’Épicerie d’enfance (1938), puisCanisy (1942), Chef-lieu (1950) et enfinCollège (posthume, 1973) revêtent un carac-tère nettement autobiographique, et consti-tuent par là même un terrain d’étude très pré-cieux pour mettre au jour une représentation del’enfance. Aucun de ces livres ne peut êtreconsidéré comme une autobiographie à partentière, car chacun s’intéresse à chaque fois àune période limitée et non exhaustive du passé(l’enfance, l’adolescence, les études), et le moded’énonciation y varie : ainsi L’Épicerie d’enfanceest-il un cas ambigu de récit où alternent pre-mière et troisième personnes, tandis queCanisy, qui reprend certains épisodes déjà évo-qués dans l’ouvrage de 1938, est entièrementrédigé à la première personne.

Les noms de personnages et de lieux sont enadéquation avec la réalité : l’incipit de Canisydécrit la porte d’entrée de la maison natale,« seuil » du texte qui sert de « contrat de lec-

L’écriture de Jean Follain

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ture » implicite au récit rétrospectif. Le déicti-que, la construction parallèle des qualificatifs,les noms propres, ainsi que l’emploi successifde l’imparfait et du présent illustrent l’inten-tion d’authenticité. La dédicace du livre àl’aïeule corrobore l’identification du textecomme autobiographique. Canisy est d’ail-leurs l’ouvrage le plus en adéquation avec cegenre ; les noms de lieux y abondent (« laMesleray, la Vannerie, Quibou, Joigne, laCallenge »), ainsi que les expressions de patoisnormand, soulignant l’inscription géographi-que dans un terroir circonscrit.

Néanmoins, les entorses à la chronologie,ainsi que la modification de détails importantsdu manuscrit au texte imprimé nous mon-trent à quel point le matériau-mémoire estretravaillé, dans le sens d’un élagage, afin d’ob-tenir une épure du souvenir. La prose autobio-graphique, chez Follain, est avant tout un textelittéraire, qui possède de nombreux pointscommuns avec les poèmes en prose publiéspar exemple dans Tout instant (1957).

Parallèlement à cet effort constant d’ame-nuisement du texte et de concision, qui produitinvariablement un sentiment d’énigme, nouspouvons remarquer une grande précision dansle détail, un amour particulier de la circons-tance, du minuscule, une attention au fugitif :il s’agit de faire « exister », selon le titre d’undes recueils les plus connus, ce qui échappe auregard inattentif, et de rendre hommage à uneréalité humble, ménagère, industrieuse, cellede la petite bourgeoisie et de la paysannerie dudébut du XXe siècle. La volonté de témoignage,presque patrimoniale, s’éloigne parfois dugenre autobiographique pour s’apparenterdavantage à la chronique familiale et sociale.

La genèse des poèmes

C’est dans l’écriture poétique que l’onretrouve le mieux certaines caractéristiques pres-que immuables de la « facture » follainienne.

Ni lyrique ni anti-lyrique à proprementparler, Follain évacue les moyens poétiques tradi-

tionnels (régularité du rythme et de la rime,figures) tout en ciselant l’objet-poème à l’ex-trême : mis à part dans ses premières plaquet-tes, rassemblées dans le recueil Usage du temps,un poème-type comporte 10 à 20 vers, en verslibre, c’est-à-dire non exempt parfois de cha-pelets sonores ou de mesure métrique (retourdu décasyllabe). Le poète maîtrise parfaite-ment la technique de la rime, qu’il détourne etassouplit en la disséminant dans le corps toutentier du texte. Le poème ressemble tantôt àun objet, compact, ramassé sur lui-même, tan-tôt à un cadre. Certes, sa situation dans l’es-pace de la page, détaché des marges blanchesqui l’encadrent et lui confèrent sa caisse derésonance, importe au plus haut point àFollain, mais la dynamique spatiale des mots àl’intérieur du poème (comme chez Reverdy)compte moins pour lui que leur interactionsémantique.

En effet, une autre caractéristique essen-tielle du poème est sa réticence face à la compa-raison et à la métaphore : « La métaphoredemeure moyen valable chez beaucoup, maisson absence chez quelques autres aboutit àfaire toucher les choses directement. On peutsentir toutes choses comparables, mais aussitoutes incomparables. » (Lettre à AndréDalmas, 1965.) Chez Follain, les « apparenta-ges » se font « par le seul poids et dispositiondes mots », et n’ont rien à voir avec les défini-tions de l’image que donnent ses illustres pré-décesseurs, qu’il s’agisse de Reverdy en 1916ou de Breton en 1924. La syntaxe se substituepeu à peu à la métaphore, le « comme » estremplacé par le « et » (qui lui-même se dissoutprogressivement dans la juxtaposition qui estlien invisible). Ces liens (ou l’absence de liens)entre les mots font en fin de compte que lepoème dit une chose et en signifie une autre,dans une sorte de métaphore généralisée.

Par ailleurs, l’abandon du Je lyrique, dès lespremiers poèmes, est particulièrement frap-pant : il n’apparaît le plus souvent que sous laforme du discours direct d’un tiers (dont l’ab-sence de guillemets fond la parole dans le

corps du poème), ou de façon implicite, dissi-mulé dans le filigrane de l’adresse à ladeuxième personne. On remarque la multipli-cation des tournures impersonnelles : le pro-nom « on », souvent adjoint à un verbe de per-ception (« on voit », « on entend »), derrièrelequel l’auteur se dissimule à loisir pour pro-poser une vision du monde censément« objective ». D’autres sujets « anonymes » semultiplient (« l’homme », « une femme »),troisième personne ensuite poussée à l’extrêmedépersonnalisation dans des pronoms qui parleur imprécision et jusqu’à leur brièveté ver-bale même, amenuisent la présence de l’indi-vidu (« l’un »). Le mode verbal véhicule luiaussi des tournures impersonnelles qui évitentle recours à la première personne, mais égale-ment aux autres personnes, et qui privent le« sujet » de son statut grammatical : les prono-minaux à sens passif provoquent l’impressionque les événements se produisent par eux-mêmes, indépendamment de l’action ou de laresponsabilité humaines. La dépersonnalisa-tion du sujet lyrique s’étend enfin à tout ceque contient le poème. Plus rien ne permet dedistinguer l’article défini ou démonstratif del’article indéfini, car ils perdent leur fonctionparticularisante pour acquérir la même valeurde généralité et d’indistinction que l’indéfini.Jean Follain est bien un précurseur d’unlyrisme objectivant dont l’après-guerre verral’épanouissement.

Enfin, concernant la rédaction des brouil-lons à proprement parler, on remarquera quel’écriture de Follain est mixte, à mi-cheminentre « écriture à programme » et « écriture àprocessus ». L’une fonctionne en s’appuyant surdes schémas, des plans, des notes préparatoiresqui constituent « l’amont de l’amont » ; l’autreprivilégie une sorte d’auto-engendrement.Dans les poèmes, Follain privilégie plutôtcette dernière : le texte semble trouver soncontenu et sa forme au fur et à mesure qu’ils’écrit. À la suite du premier jet, les campagnesde réécritures réorientent l’horizon du sens, quise déplace au fur et à mesure des suppressions,

rajouts et déplacements. Le manuscrit présentedonc en même temps ce qui est, ce qui était(biffures) et ce qui pourrait être ; son tempsest celui de la virtualité.

Mais d’un autre côté, il semble que chezFollain la forme du poème appartienne aussi àun type d’écriture programmatique : elle estune sorte de « moule », et préexiste au contenu(tous les poèmes, nous l’avons vu, offrent à peuprès la même taille, la même disposition).Dans le même ordre d’idée, nous pouvonsconsidérer que les topoï stylistiques ou syntaxi-ques forment eux aussi un programme pourl’écriture. Leur prégnance dans l’esprit du créa-teur les amène plus fréquemment sous saplume (l’inversion du sujet, l’ellipse de l’article,le verbe pronominal, l’adverbe de prédilection« mais »), sans oublier la tendance au rétrécis-sement du nombre de vers du manuscrit àl’état définitif, au travail sur la caractérisation,à l’asyndète et à la juxtaposition, gestes quiaimantent véritablement l’écriture. Enfin,nous pouvons également retrouver ce« moule » dans des matrices de l’imagination :l’opposition entre micro et macrocosme, ladialectique de l’homme et de la nature / del’Histoire / du Temps / de l’Espace, etc.

La résistance à l’analyse des textes de JeanFollain, sous leur apparence simple, voirebénigne, est la preuve éclatante de leur réussiteen tant que poèmes. Le travail du poïein dupoète-forgeron va dans le sens de l’épure et del’énigme, dans la fusion du particulier et del’universel. Son écriture ne cesse d’évoluerdurant quarante ans, mais les signes de recon-naissance imposent leur évidence : absence demétaphores (ou si peu, et si belles), oubli de larime et de la prosodie, rareté des majuscules etde la ponctuation, économie des figures, com-pacité du poème, abandon du Je. Sa poésie sedépouille de la rhétorique, inventant unlyrisme original, profond et léger.

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Dans ce projet, il s’agit d’interroger lesseuils de l’œuvre pour en déterminer legenre, celui d’un texte d’inspiration auto-biographique qui se donne à lire aussicomme un texte poétique. Le brouillonfavorise ici une double réflexion : il doitconduire à s’interroger sur les processus del’écriture littéraire mais aussi faciliter, voirepermettre l’interprétation d’un texte, sou-vent obscur à la première lecture.

Pour cela, nous proposons trois séancesde travail qui bien sûr ne prendront sensqu’intégrées à une séquence, dans le cadred’un enseignement décloisonné.

Ces séances peuvent s’adresser à uneclasse de troisième dans le cadre de l’étudede l’écriture autobiographique, à des élèvesde seconde pour réfléchir au circuit del’écriture littéraire et à l’intérêt d’interrogerles sources et les brouillons des œuvres, ouencore permettre à des élèves de premièred’interroger la dimension poétique de l’ex-pression du « je ».

Il va de soi qu’on n’aura pas les mêmesambitions dans une classe de troisième où oninsistera davantage sur le travail de l’écriture,en invitant les élèves à réinvestir les métho-des de l’écrivain dans leurs propres pratiques.

Séance 1 : travail sur le brouillon

La démarche proposée ici est transférableà toute première rencontre avec un brouil-lon d’écrivain dont on souhaite expliciterles caractéristiques générales.

On demandera tout d’abord aux élèves delire la page manuscrite en l’oralisant pour réta-blir la signification littérale de ce texte premier

et unique puisqu’on ne possède pas d’autreétat de Canisy. Quelques mots résistent maisle travail en commun permettra certainementde tout élucider, du moins l’essentiel.

Questions pour guider un travail d’analyse

1. Quelles observations générales faites-voussur la présentation et l’écriture de ce texte ?Intéressez-vous plus particulièrement aux raturesdes premières lignes.

2. À quel genre littéraire, à quelle forme de dis-cours, peut-on rattacher ce brouillon ?

3. Quel est l’objet central dans ce texte ?Comment est-il décrit ? Sur quoi l’attention dulecteur est-elle attirée ?

4. Qu’est-ce qui fait de ce texte un « incipit » inat-tendu ?

Les réponses peuvent donner lieu à uneréflexion empruntant ces trois pistes :

1. Quelques observations sur la spécificité du brouillon

Il s’agit d’un texte manuscrit et autogra-phe de Jean Follain, comme l’indique leparatexte, où l’on repère un grand nombrede ratures, dont certaines sont ultérieures aupremier jet comme en témoignent les diffé-rentes couleurs de l’encre. C’est le cas ligne1 : « avoir » est écrit dans une encre plus pâleà la place de « j’ai », qui n’est d’ailleurs pasbiffé. Les ratures serrées interdisent parfoisde lire la première formulation. La marge estutilisée également, quand le corps du texteest saturé, pour des interventions plus com-plexes ou encore pour des ajouts qui préci-sent la structure de l’ensemble, comme letitre ajouté de l’œuvre « Canisy », et la men-tion de ce qui pourrait constituer un titre

Prose de Jean FollainLes seuils de l’écriture : lecture de l’Incipit de Canisy

« Figures, lieux de l’enfance,

racines du moi »

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pour le passage, « l’Ancienne porte ». La pré-sence d’une numérotation de l’ensembletémoigne enfin de l’inscription de cette pagedans un projet plus élaboré, plus global.

On pourra repérer différents types de ratu-res : la rature de suppression, qui biffe un seg-ment sans le remplacer comme à la ligne 6 oùle verbe « rappelle » disparaît. La suppressionpeut s’accompagner d’un remplacementcomme à la ligne 5 où « losanges » se substitueà « carreaux ». Enfin ou peut lire des ratures dedéplacement, à l’exemple du mot « vitrage »disparaissant de la fin de la ligne 4 pour seretrouver au début de cette même ligne.

2. Un écrit autobiographique

Les premiers mots, « le plus ancien souve-nir », sont emblématiques du début d’unécrit autobiographique, comme le sont aussil’évocation de la maison natale et celle desfigures familières des parents, ou grands-parents, qui peuplent le début de « Canisy ».

Les plans d’énonciation sont aussi confor-mes aux attentes du lecteur : un « je » narra-teur adulte repérable aux indices de la pre-mière personne du singulier s’exprime auprésent de l’écriture : « celle-ci d’aujourd’huimalgré qu’elle ait été repeinte d’une teinteuniforme, elle comporte… » mais évoqueaussi un passé lointain : « un gros bouton decuivre qui fut parfois fourbi par des fem-mes », faisant alterner le présent/passé-com-posé avec le passé simple/imparfait, tempsnarré, temps narrant.

3. La description d’une porte

On retrouve dans ce passage les codes dudiscours descriptif, l’utilisation d’un lexiquepictural organisant et déclinant formes,matières, couleurs, ces couleurs qui, du bleuau rose en passant par le vert, sont associéesà des valeurs et des sensations, ainsi le bleuest-il la teinte « du labeur et de la douceur ».

Au fil de son évocation, cet objet, uneporte, laisse entrevoir de petits tableaux telsque celui de ces femmes refoulant des lar-mes tandis qu’elles sont « occupées à reluireles boutons de cuivre ». L’objet devient à lafois synecdoque de l’espace sur lequel ilouvre, la maison des grands-parents, enmême temps qu’il permet aussi de recréerun univers passé, peuplé et animé, chargéde valeurs et de symboles. C’est ce qui faitl’originalité de cette première page, cebrouillon de l’Incipit de Canisy.

Séance 2 : confrontation de la versionpubliée à la version manuscrite

1. Qu’est-ce qui fait l’unité et la cohérence de cepassage dans sa version éditée ?

2. Repérez en les surlignant les mots et expres-sions du brouillon retenus dans la version défini-tive. Analysez ce qui a changé ou disparu

3. Relisez le texte à voix haute et dites ce quevous remarquez

1. L’autonomie de l’extrait publié s’affiched’emblée : il est clairement délimité de lasuite par un blanc typographique et consti-tué de trois paragraphes dont la cohérencethématique est assurée notamment par unprogression à thème constant : « Il y avaitune porte », « cette porte », « cette vieilleporte ». Cette élaboration du textecontraste évidemment avec l’état du brouil-lon par sa concision et son équilibre.

2. Grâce au surlignage opéré dans lebrouillon, la comparaison des deux versionsmet en évidence le travail d’élagage de l’écri-vain. Tout ce qui ne caractérise pas essentiel-lement la porte, sa forme, sa couleur et sasymbolique, a disparu. Tout développementexplicatif disparaît également. Tous les indi-ces qui montraient l’importance du religieuxdans cette société rurale avec sa « tradition

d’honnêteté », le port de vêtements noirspour les veuves, les couleurs tendres, rose oubleu, aux jeunes filles, la symbolique marialedu bleu clair, sont de la même façon suppri-més. Reste une porte et une couleur symbo-lique, le bleu, une porte changée et repeinte,une porte qui permet d’entrer dans la mai-son natale de Jean Follain.

Les élèves accèderont à la valeur symboli-que de cette couleur qui ne peut se compren-dre que pour des raisons culturelles et reli-gieuses qu’ils auront repérées dans le brouil-lon. Ces thématiques en effet plus dévelop-pées dans le brouillon leur permettrontd’imaginer ce que signifie « vouer leurs fillet-tes au bleu ». La signification religieuse de cerite étonne dans une phrase qui commencepar l’évocation de « haines fignolées ». Cetteexpression interroge le lecteur à double titre :une forme adjectivale, au sens matériel pres-que familier et aux connotations très positi-ves est associée à un sentiment, sentimentcondamnable de surcroit. Deux images s’op-

posent ici : l’offrande à Dieu et la violencedes sentiments qui semblent caractériser lesrapports humains. Le zeugme sémantiqueinsiste sur l’hypocrisie d’une petite sociétéencline à la médisance où la religion se réduità des signes, à une couleur.

Les êtres vivants du brouillon ne sont plusdans le premier paragraphe qu’un pronomdémonstratif renforcé à valeur anaphoriqueet à connotations péjoratives dont on cher-cherait vainement l’antécédent. L’examendu brouillon aura donc permis à de jeuneslecteurs de lever l’implicite du discours.

Sur le plan énonciatif, on ne repère plusd’indice de la première personne dans le pre-mier paragraphe. Le « je » n’est ensuite repé-rable qu’à trois indices discrets, d’abordcomme narrateur témoin en référence auprésent de l’écriture, « j’ai vu » dans le secondparagraphe. Le narrateur s’efface donc,éclipsé, concurrencé par des sujets inanimés,la « porte », par des formes indéfinies, « on »,ou le présentatif « il y avait ». Il est mis enretrait au profit de l’objet qui s’impose danssa matérialité, son histoire. Il faut attendre ladernière ligne du troisième paragraphe pourqu’apparaisse, en clausule, dans une séche-resse quasi administrative, le « je » auteur,narrateur et sujet, le « je » autobiographique :« je suis né à Canisy (Manche) ». On inviteraà ce moment les élèves à vérifier dans la« Biographie de Jean Follain » (p. 7) qu’il y abien identité entre ce narrateur et le poète.

3. La lecture à voix haute fait apparaitrela dimension poétique de cette prose satu-rée d’effets sonores et rythmiques que lasymbolique, les figures de style, la mise enespace du texte avaient annoncée. La vir-gule reconfigure le texte de manière rythmi-que et sémantique : des allitérations, le son[p] à la ligne 7, ou encore à la ligne 12conjugué avec le son [f ], « qui fut parfoisfourbi par des femmes refoulant… », les

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échos sonores dans « leur rurale douleur ».À cette fluidité, à cette harmonie succèdentdes ruptures marquées par des sonorités enhiatus, « cette neuve ouvre » et « refoulantmal les larmes » symboliques, d’une tensionentre image idyllique et nostalgique dupassé et âpreté d’un réel difficile surtoutpour les figures féminines. On pourra par-ler de poème en prose pour caractérisercette forme d’écriture autobiographique.

Bilan de lecture

De cette expérience de lecture du brouil-lon d’un texte et de sa version éditée les élè-ves auront compris à la fois les gestes del’écriture mais aussi perçu l’univers d’unécrivain, son projet de recréer un universdisparu, une société rurale, dévote maisdure aussi, dure à la tâche, dure dans lesrapports humains, de paysans qui vonts’élever dans la société et constituer l’ori-gine, les racines de celui qui prend ses dis-tances d’avec un « je » bavard et encom-brant au profit d’un « acte de naissance ».

Jean Follain marque son désir de fondrele discours singulier autobiographique dansune expérience commune du temps quipasse et de la disparition irréversible dumonde familier, en évoquant des objets quitémoignent d’une société révolue.

Pourtant l’objet dans sa matérialité, dansses métamorphoses provoque une expériencede la réminiscence partagée avec un lecteurqui franchit à son tour le seuil d’un univers,d’une œuvre dont il reconnait la dimensionautobiographique mais peut-être aussi, grâceà la poésie, son universalité et sa permanence.

Séance 3 : Écriture d’invention

Consigne donnée aux élèves : sur le modèle de l’incipit publié de Canisy, écri-vez un texte où le narrateur évoquera sonenfance à travers la description d’un objet.

Cette formulation de la consigne n’en-gage pas les élèves dans la rédaction d’untexte autobiographique. Cette mise enscène énonciative favorise l’écriture. Onpeut d’ailleurs suggérer aux élèves de choisirun narrateur d’un sexe ou d’un âge diffé-rents du leur pour introduire la distance etinterdire au lecteur l’identification du nar-rateur au scripteur. Il s’agit pour les élèvesde réinvestir la structure du texte et lesoutils de sa construction et de sa cohérencemais aussi d’explorer, à leur tour, le pouvoirdes objets de l’enfance et d’éprouver lespouvoirs de l’écriture pour dire sentimentset sensations passés.

Un bilan s’impose enfin qu’on pourrafaire en retournant au savoir, au discours duchercheur : Élodie Bouygues dans son ana-lyse de l’écriture de Jean Follain (p. 9 de cerecueil) offre aux élèves une vision d’ensem-ble où ils pourront valider, mettre en pers-pective les remarques et repérages qu’ilsauront faits au fil de leur travail. On leurdemandera d’insérer dans cet article desnotes de bas de page manuscrites dans les-quelles ils illustreront les analyses, d’exem-ples relevés au fil de ce travail.

Les brouillons permettent de valider deshypothèses de lecture élaborées autour detextes dont la première lecture ne peut êtrequ’énigmatique pour des lycéens d’au-jourd’hui. Cette étude permet donc d’accé-der à une démarche interprétative et ce fai-sant de découvrir la force expressive d’uneécriture poétique allusive, implicite, cellede Jean Follain. À nouveau, les brouillonsconduisent à s’interroger sur les processusde l’écriture littéraire et permettent demieux comprendre le travail du poète quiprend de plus en plus de distance avec ladénotation pour recréer son univers.

Nous proposons cinq séances de travail,intégrées à une séquence qui serait consa-crée à l’objet d’étude « la poésie » en classede première ou qui s’inscrirait dans le cadred’une réflexion sur les brouillons, enseconde. Dans les deux cas, ce travail nepeut que favoriser l’initiation ou l’entraîne-ment à la démarche du commentaire.Différents textes pourraient compléter cespoèmes pour constituer des groupementsde textes offrant des problématiques de lec-ture cohérentes autour de la thématique del’évocation des paysages de l’enfance, d’au-trefois.

Un travail, par exemple, a été mené avecdes élèves de première pour compléterl’étude d’un corpus ayant fait l’objet d’unsujet de baccalauréat 1 et regroupant destextes poétiques de Verlaine, Colette,Proust, Gustave Roud et Charles Dantzig.

Séance 1 : Première lecture du poème« Les Amis » dans sa version publiée

Les élèves sont invités dans un premiertemps à formuler des hypothèses de lec-ture. Après confrontation, justification etmise en ordre, la synthèse pourrait ressem-bler à ce qui suit.

Un texte énigmatique

Un texte court – repérable à sa mise enpage – de 13 vers libres peut-être mais qui,contrairement à l’usage, ne commencentpas systématiquement par une majuscule.La majuscule ne sert ici qu’à délimiter lesdeux longues phrases qui constituent letexte. On ne rencontre aucun signe deponctuation à l’intérieur des phrases.

Le texte se développe entre l’indétermina-tion et une information différée et implicite.De manière étrange, le déterminant définidu titre ne se trouve pas rapidement expli-cité. Le lecteur ne sait pas qui sont ces« amis » qui constituent le sujet du poème. Ilne peut les associer qu’à une période histori-que et à un lieu, tous deux repérés par rap-port au moment et au lieu de l’écriture : le « début du siècle » – le lecteur comprend « notre siècle » – et « là », un déictique quirenvoie à l’auteur ou l’énonciateur dupoème dont il offre d’ailleurs l’unique trace.

Sont rattachés à ce déterminant le pro-nom personnel « Ils » et l’adjectif possessif« leur » (vers 10). L’imparfait ne permet pasdavantage de situer précisément les faits ouévénements racontés. Les verbes, « ils

Poésie de Jean FollainAccéder à l’interprétation des poèmes « Les Amis » et « le Champ » par la confrontation de trois états de ces œuvres

« dans les champsde son enfance éternelle,

le poète se promènequi ne veut rien oublier. »

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VERSION 1 VERSION 2 VERSION DÉFINITIVE OBSERVATIONS

Titre « Apostrophe » « Les Trois amis » « Les trois Les amis » « Les Amis » D’abord discours adressé le poèmedevient évocation distanciée d’une

V. 1 Au début de ce siècle, enfants Au début du siècle Au début du siècle amitié datée mais peu circonstanciée.

V. 2 combien n’étiez-vous pas ils étaient trois ils étaient trois déjà lançant ils étaient là lançant le rire cruel La question devient réponse précisedéjà lançant le rire cruel le rire cruel l’éclat de rire puis abandonne la précision du nombre

comme dans les variations du titre.

V. 3 entre des murs de chaux entre des murs de chaux entre des murs de chaux Maintien du vers.

V. 4 sauvagement mordant sauvagement mordant/ou ils sauvagement mordant Retour à la 1ère formulation aprèsmordaient / mordant à belles dents ils des essais : conjugaison du verbe,morsaient durement ajout d’un cliché « à belles dents ».

V. 5 à ces pommes de glace à ces pommes de glace à ces pommes de glace Maintien du vers.

V. 6 du d’un verger maternel de collège d’un verger de collège d’un verger de collège Choix d’un espace homogène : l’écoleDisparition du mot « maternel » et doncdu lien avec la petite enfance, la famille,un espace plus protégé, plus intime.

V. 7 et cultivant le vol ou pratiquaient le vol et se livrant au vol Variations pour un choix « sonore » ?

V. 8 dans ces pupitres sombres dans les pupitres sombres/ dans les pupitres clos L’image de l’enfermement estAux pupitres de chêne préférée à la précision descriptive.

V. 9 qui s’ouvraient sur plumes et livres éclaboussés par l’encre à reflet d’or. éclaboussés par l’encre Texte élagué : plus de couleurs ni de détails précis. Indétermination du lieu,

nte éclaboussés par l’encre à reflet d’or C’était dans une cité grise C’était dans une cité suppression d’un verbe d’action à l’imparfait qui construisait une image rassurante, permanente de l’école.

V. 11 au cœur d’une ville murée qui s’engloutirait dans les flammes qui s’engloutirait dans les flammes Lieu uniquement caractérisé par lac’était dans une cité relative : feu et projection dans l’avenir

Apparition de l’image du cataclysme avec le verbe engloutir.

V. 12 et qui périrait dans les flammes ? mais bien longtemps après leur mais bien après leur mort Clef de lecture : l’« été vaste », c’est mort tragique cruelle certainement l’été 14. Possibilité de

reconstruire une chronologie.V. 13 mais bien après leur mort tragique survenue au cœur d’un été vaste.

étaient », « C’était » renvoient à un passélointain, indéterminé. Quant aux autres ver-bes de la première phrase, ils sont construitssur un mode adjectival qui les prive d’uneréférence temporelle précise : « lançant »,« mordant ».

L’univers évoqué comme le révèle le lexi-que permet d’associer ces « amis » à l’universde l’enfance, du collège : « rire », « collège »,« pupitres », « encre ». Les « amis » du titre, cesont donc les amis de l’enfance, ceux que l’onse fait au collège et qui semblent être aussi dejeunes chenapans comme le signalent leur« rire cruel », « les vols » et les taches d’encredes pupitres. C’est un univers fait de sensa-tions sonores, le rire, tactiles et gustatives « cespommes de glace » dont on comprend qu’ellessont si acides qu’elles agacent les dentscomme la glace ; ce sont donc les pommespas encore mûres que les enfants chapardent.De manière ténue, il y a aussi les couleurs, leblanc de la chaux qui contraste avec l’encreforcément foncée. C’est un univers contrastéen noir et blanc qui semble aussi placé sousles signes opposés de la liberté, des jeux et dela fermeture, de l’enfermement, avec les« Pupitres clos » et le « verger de collège ».

Séance 2 : Confrontation de trois étatsde rédaction du poème « Les Amis »

En début de séance on distribue aux élè-ves le document qui suit reproduisant troisétats du poème et une grille d’observation,tableau vide ou partiellement renseigné. Letableau qui figure ici pourrait être le résul-tat du travail de la séance.

Grille d’observation pour lire « Les Amis », Jean Follain,

Territoires, 1953Les mots biffés sont soulignés,

les ajouts sont en gras.

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Séance 3 : Que nous apprennent les brouillons ?

On commentera la grille remplie pourdégager les grands traits suivants :

– On retrouve ici les trois opérationsfondamentales de la récriture que sontl’ajout, le remplacement et la suppression,mais cette dernière opération est la pluscaractéristique du travail de Jean Follaincomme on l’a déjà noté.

– Les premières versions sont beaucoupplus explicites que le texte définitif : décou-vrir ces versions donne donc au lecteur desclefs pour mieux apprécier la densité del’expression et du propos.

– On peut noter aussi un travail d’orien-tation sémantique à l’exemple du gom-mage du sème maternel pour donner à l’es-pace de l’école des connotations plus vio-lentes, plus rudes, loin des images atten-dues comme celle de « l’encre à reflet d’or »dont les reflets disparaissent. Cette lumièrene subsistera que dans « les flammes » des-tructrices des vers suivants.

– Les choix définitifs témoignent de larecherche d’une musicalité liée au projetpoétique.

– Les brouillons témoignent enfin ducaractère expérimental de la récriture : unpremier essai peut réapparaître à l’identi-que après des variations ou bien s’imposerdès la première version.

Ce temps de travail, éclairé par le recoursà la biographie du poète, permettra de reve-nir à l’étude du texte édité afin de poursui-vre l’analyse amorcée en séance 1 etd’étayer les pistes d’interprétation.

Un poème qui parle d’amitié, de guerre mais surtout de tout ce qui n’est plus

Un texte énigmatique mais surtout unpoème construit, comme on le voit à sa

mise en page, à l’économie de moyens, à ladensité de l’expression et à la dimensionrythmique et sonore.

En effet un examen plus attentif montredes régularités et de l’ordre dans cette écri-ture. Après deux vers libres (vers 1 et 2), unesuccession de sept vers réguliers de six sylla-bes (des demi-alexandrins) offre un effet derégularité, comme une strophe, qui consti-tue une unité de sens : l’évocation de la viedes jeunes collégiens. Les allitérations en [l]et [r] renforcent cette unité, cette harmonieconférée à des images attendues de l’en-fance. La régularité se lit aussi dans l’organi-sation syntaxique de la phrase avec le paral-lélisme des adjectifs verbaux et des proposi-tions coordonnées par « et » au vers 7.

La deuxième phrase va apporter unesolution à l’énigme. « C’était » au vers 10est une construction détachée qui met enrelief le sujet encore indéterminé de ladeuxième phrase du poème, « une cité ».Après avoir évoqué ses amis le poète va pré-ciser le lieu de son enfance d’une manièreénigmatique et qui ne peut être élucidéeque par la biographie de l’auteur : cette citémartyre c’est peut-être Saint-Lô, villenatale de Jean Follain totalement détruiteen 1944 2, dans les « flammes » d’un incen-die causé par les bombes ! Le « mais » duvers 12 toutefois marque que cette infor-mation n’est pas essentielle ; elle ne fait quereconstruire un contexte chronologique,une histoire, l’Histoire. Reste au lecteur undernier secret à élucider, celui d’un été quia vu la mort de ces jeunes gens qui vivaientau début du siècle, ces jeunes gens qu’unété a envoyés à la guerre d’où ils ne sont pasrevenus.

Dans « Les Amis » Jean Follain rappelleses souvenirs anciens du début du siècle,ceux de ses amis, ses contemporains, ceuxde la ville de son enfance, de ses amis de

collège doublement disparus et il offre uneréponse à la question de Rutebeuf dans sa« Complainte ».

« Que sont mes amis devenusQue j’avais de si près tenus Et tant aimés ? »

Ce faisant il les fait revivre en mêmetemps qu’un monde ancien dans une écri-ture qui à la manière de l’autobiographiepermet de recomposer le passé.

L’étude des « Amis » aura permis l’ap-prentissage d’une démarche de lecture etd’interprétation, première approche del’écriture poétique de Jean Follain.

Il s’agit maintenant d’attendre plus d’au-tonomie de la part des élèves qui auront àtransférer les démarches pour analyser unautre poème, d’un accès plus difficile peut-être et pour lequel les brouillons se révèlentéclairants.

La suite de ce travail doit favoriser l’ini-tiation ou l’entrainement à la démarche ducommentaire.

Séance 4 : Construire l’interprétation encommun du poème « Le Champ »

Le premier temps du travail sera consa-cré à une analyse en groupe de variantessynthétisées dans un tableau dans lequel ilne restera qu’à consigner les résultats desobservations.

Un temps de mise en commun en fin deséance portera sur la signification de cepoème et les traits significatifs de l’écriturede Jean Follain.

Confrontation de trois versions du poème « Le Champ » :voir tableau page suivante

Séance 5 : Rédaction d’un bilan de lecture en devoir

Consigne donnée aux élèves : Rédigez un bilan de lecture du poème, « LesAmis » : après avoir proposé des hypothèsesd’interprétation de ce poème, vous conclurezen analysant l’écriture poétique de Jean Follain.

On attendra des élèves que leur bilans’articule autour de certaines de ces pistes.

– Un poème court, dépouillé sur lethème de la nature mais traité avec demoins en moins d’éléments pittoresques,c’est-à-dire dignes d’être peints, donc jolis,colorés, détaillés… (Disparition de« beau », « vert »).

– Une évocation de la nature qui refuse lacaractérisation : « le champ » « un champ »indéterminé ou générique qui renvoie àtous les champs (variantes du vers 1).

– Un présent qui n’ancre pas le poèmedans une temporalité mais plutôt un pré-sent de vérité générale.

– Un champ renvoyé à sa dimensionrurale (avec les « bêtes »), géographique,pléonastique dès les premières versions,« lieu » et à sa fonction productive : « fer-tile » ainsi qu’à des connotations très géné-rales : la douceur par exemple. « Doux » estun qualificatif énigmatique : à quoi ren-voie-t-il ? sensations tactiles données parl’herbe ou douceur de la couleur ?

– Une caractérisation positive sous lesigne de la vie notamment grâce à la méta-phore (« respire ») intégrée au champ lexi-cal de la vie : « fertile », « doux », « soleild’après midi ». Avec la disparition du versde la première version, « on y entre che-mine et dort », disparaît aussi une évoca-tion bucolique de la nature partagée avec lenarrateur présent sous la forme d’un « on« qu’on pourrait d’ailleurs référer à son éty-mologie : « on » c’est l’homme !

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– Des indices moins positifs envahissentle poème et remplacent des impressionspositives, premières en termes de lecturemais aussi d’écriture : c’est un champ aban-donné, rendu à la nature : y poussent bien(« hautes ») les herbes (les mauvaises her-bes) et mal les plantes c'est-à-dire le résultatdu travail humain. L’adjectif « naine » évo-que un développement perturbé, maladif,anormal. Le ciel d’un « intact azur » dans lemanuscrit se transforme en un ciel de« feu » mot qui ferme le poème sur uneimage de guerre, de cataclysme, sinistreécho sonore au premier mot (« fertile ») surlequel le poète ne reviendra jamais. »

– Un présentatif « il y reste » très vagueest renforcé par l’utilisation d’articles indé-finis (« un lambeau », « un journal »), et nepermet aucune spatialisation. Cela connoteaussi l’abandon : « d’un acre journal/ unlambeau sec » ? L’expression est assez obs-cure. N’y a-t-il pas là une métonymie : nesont-ce pas plutôt les nouvelles qui sontâcres ? Et dans cet ancien journal en lam-beaux quelles peuvent être ces nouvelles ?

– Des connotations qui deviennent doncnettement négatives : « âcre » (irritant augoût et /ou à l’odorat jusqu’à brûler) et« sec » (opposé à « fertile »). Le poème sem-ble alors basculer vers d’autres imagesconnotant la mort : « naines », « lam-beaux », « corps », « ombre »…

– Un poème caractérisé aussi par l’irrup-tion d’éléments inattendus, présents dès lespremières versions et qui se maintiennent,« l’âcre journal » (encore) et trois personna-ges troublants, présenté l’un après l’autre,séparés par les seules virgules du poème, vir-gules ajoutées dans la version publiée.Chacun semble symboliser sa fonction :celui qui défend son pays, celui qui fait res-pecter la justice et l’ordre social et enfincelui qui est responsable de la vie spirituelle.

VERSION MANUSCRITE ÉPREUVE CORRIGÉE VERSION PUBLIÉE OBSERVATIONSCette colonne sera renseignée par les élèves

V 1 Fertile et beau, et vert, et doux Fertile et doux un champ rutile Fertile et doux un champ respire « Vert » devient « doux » : moins précisle, un champ rutile La sensation visuelle devient tactile ou sentiment.

V 2 du soleil de notre jeunesse au soleil de d’un après-midi au soleil d’après-midi Indice temporel et énonciatif qui disparaîtXXXXXXX de l’après-midi Généralisation et abstraction du discours.

V 3 lieu des d’herbes hautes lieu d’herbes hautes lieu d’herbes hautes Généralisation qui se poursuit.

V 4 et de de plantes naines de plantes naines de plantes naines Suppression de « et » : le monde se donne à voir sans lien.

V a dans le présent de la nature dans le présent de la nature Vers supprimé Indice d’énonciation (présent de l’écriture) qui disparaîtainsi que la thématique de manière explicite.

V b on y entre chemine et dort Vers supprimé Vers supprimé Suppression de toute activité humaine attendue dans cet espace.

V 5 il y reste un d’un âcre journal Il y reste d’un âcre journal gris il y reste d’un âcre journal Sonorités en hiatus, discordantes et rejet, effet de rupture.

V 6 un lambeau sec un lambeau sec un lambeau sec Maintien du vers.

V 7 un corps d’aventure, d’aventure un d’aventure un corps y projette un corps de femme y projette L’accessoire, l’éventuel devient événement ; connotationscorps y projette attachées à la féminité.

V 8 une ombre douce aux centaurées une ombre douce aux sur les centaurées une ombre sur les centaurées Suppression de la caractérisation.

V 9 xxx de bêtes qx y endorment beaucoup de bêtes y sommeillent beaucoup de bêtes y sommeillent Vocabulaire enfantin ou spécifique du monde paysan ?Beaucoup de bêtes y sommeillent Enoncé très vague, quelles bêtes ?

V 10 y ont Cherchant y ont des réveils y elles ont des réveils innocents ayant des réveils innocents Après hésitations, le verbe disparaît pour une forme adjectivale.innocents ayant

V 11 un soldat un prêtre un juge un soldat un prêtre un juge un soldat, un prêtre, un juge Introduction de ponctuation.

V 12 S’arrêtent pour à voir son étendue s’arrêtent à voir son étendue s’arrêtent à voir son étendue Retour au mot vague après ambiguïté.ce pâturage

V 13 ayant sur son prix et sa luxuriance sur son prix et sa luxuriance sur son prix et sa luxuriance Suppression du participe présent.

V 14 ayant des pensers différents ayant des pensers différents portant des pensers différents Zeugme qui allie concret et abstrait.

V 15 sur le ciel d’un intact azur sous le ciel bleu d’un calme d’un sous un ciel en feu Apparition surprenante du mot « feu » qui annulecalme simple azur qui les accorde qui le cliché bucolique.tendre rassemble au monde civilisé

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De Jean Follain

ŒUVRE POÉTIQUE

Usage du temps, suivi de Transparence dumonde, Paris, Gallimard, 1943.

Exister, Paris, Gallimard, 1947 ; rééd. Paris,Gallimard, suivi de Territoires (1953),1969.

Tout instant, Paris, Gallimard, 1957.Des heures, Paris, Gallimard, 1960.Appareil de la terre, Paris, Gallimard, 1964.D’après tout, Paris, Gallimard, 1967.Espaces d’instants, Paris, Gallimard, 1971.Comme jamais, Paris, Les Éditeurs Français

Réunis, , 1976 ; rééd. Nouaillé, Le VertSacré, 2003.

Présent jour, Paris, Galanis, 1978.Ordre terrestre, Fontfroide-le-Haut, Fata

Morgana, 1986.

PROSE AUTOBIOGRAPHIQUE

Paris, Paris, Corrêa, 1935 ; rééd. Paris,Phébus, 1978.

L’Épicerie d’enfance, Paris, Corrêa, 1938 ;rééd. Fontfroide-le-Haut, Fata Morgana,1986.

Canisy, Paris, Gallimard, 1942.Chef-lieu, Paris, Gallimard, 1950 ; rééd. pré-

cédée de Canisy, Paris, Gallimard, 1986.Collège, Paris, Gallimard, 1973.

JOURNAL

Agendas 1926-1971, édition établie et anno-tée par Claire Paulhan, Paris, Seghers, col-lection « Pour mémoire », 1993 ; rééd.Paris, Claire Paulhan, 1999.

Sur Jean Follain

André DHÔTEL, Jean Follain, Paris, Seghers,coll. Poètes d’aujourd’hui, 1956 ; rééd.1993.

Lire Follain (COLLECTIF), Lyon, PressesUniversitaires de Lyon, 1981.

Françoise ROUFFIAT, Jean Follain le même,autrement, Seyssel, Champ Vallon, 1996.

Faut lire Follain (COLLECTIF), Revue desSciences Humaines, n° 265, janvier 2002.

Jean Follain, Un goût très fin d’éternel (COL-LECTIF), Méthode !, n° 4, Billère,Vallongues, 2003.

Pour une pédagogie des brouillonsd’écrivains

OUVRAGES GÉNÉRAUX

Francis PONGE, La Fabrique du pré, Genève,Skira, coll. « Les Sentiers de la création »,1971.

Almuth GRÉSILLON, Éléments de critiquegénétique, Lire les manuscrits modernes,Paris, PUF, 1994.

Philippe LEJEUNE, Les Brouillons de soi,Paris, Seuil, 1998.

Pierre-Marc de BIASI, La Génétique destextes, Paris, Nathan université, coll.« 128 », 2000.

Philippe LEJEUNE et Catherine VIOLLET,Genèses du « Je », Manuscrits et autobio-graphie, Paris, CNRS, 2000.

OUVRAGES DIDACTIQUES

Claudette ORIOL-BOYER (sous la directionde), Critique génétique et didactique de larécriture, coll. « Didactique », Scéren,Bertrand-Lacoste, 2003.

Jean-Michel POTTIER (textes rassemblés etprésentés par), Seules les traces font rêver,SCEREN, CRDP Champagne-Ardenne,2005.

ÉDITIONS GÉNÉTIQUES

Annie ANGREMY, Les plus beaux Manuscritsdes romanciers français, Paris, Laffont etBNF, 1994.

Roselyne AYALA, Jean-Pierre GUENO, Lesplus beaux Manuscrits de la littérature fran-çaise, La Martinière, 2000.

BNF, Colette, Sido, Paris, Zulma et CNRS,1994.

Yvan LECLERC, Flaubert, Plans et scénarios deMadame Bovary, coll. « Manuscrits »,Paris, Zulma et CNRS, 1995.

Jean-Pierre GUENO et alii, Les plus beauxManuscrits de George Sand, Perrin, 2004.

WEBOGRAPHIE

Les brouillons de Madame Bovary :www.univ-rouen.fr/flaubert/02manus/

sepbov2.htmLes épreuves corrigées de « La Bourse » de

Balzac : gallica.bnf.fr/anthologie/notices/01088.htm Le site de la BNF consacré aux brouillons :expositions.bnf.fr/brouillons/index.htmBalzac, Hugo ou Queneau :expositions.bnf.fr/brouillons/explorees/

index.htmexpositions.bnf.fr/brouillons/explorees/

honore/index.htm Proust : expositions.bnf.fr/proust/index.htmexpositions.bnf.fr/brouillons/expo/2/

proust.htm

Quel(s) rôle(s) jouent-ils ici, plongés dans« leurs pensers différents » ? Quant à« l’étendue » qu’ils contemplent, est-ce lasurface du champ dont ils évaluent la valeurou la femme, identification tardive de cecorps présent dans les premières versions ?

Toutes ces pistes invitent à lire dans cepoème le rôle de l’homme, dans une naturequ’il dégrade, dénature et détruit. Seuls lesanimaux ont encore des « réveils inno-cents ». Si on analyse l’implicite de ce vers,il pourrait signifier que l’homme, lui, aperdu cette innocence, qu’il est coupabled’avoir détruit cette nature, de l’avoir ren-due à elle-même stérile. À nouveau l’imagequi s’impose dans le dernier vers est celle dela guerre. Le cliché bucolique et pittores-que n’est plus possible. Le vrai sujet c’estl’homme incapable de maintenir l’harmo-nie, la paix d’un monde qui serait vraiment« civilisé » (deuxième variante). Avec luiarrive le feu de la guerre qui pervertit toutjusqu’au corps de la femme réduit à proje-ter de l’ombre sur les « centaurées », cesbleuets du souvenir.

Séance 6 : Écriture d’invention

On peut proposer aussi aux élèves des’essayer à leur tour à l’écriture poétique enleur imposant ensuite dans une secondeétape de revenir sur leur texte pour le com-menter puis inventer des variantes et jugerdes effets produits.

Consignes : Rédigez sur un sujet qui vous plaira un textepoétique qui pourra être écrit en prose si vous lesouhaitez..Composez à la suite un commentaire d’unepage dans lequel vous justifierez par une analyseconstruite des citations le caractère « poétique »de votre texte.

Proposez ensuite une dizaine de variantes àvotre texte poétique et commentez pour cha-cune, par une rapide analyse, l’effet produit et lapertinence de cette autre proposition.On pourra évaluer ce travail en répartissant demanière équilibrée les points entre l’écriture d’in-vention et l’analyse du texte et des variantes.

Comme on l’a proposé en bilan du tra-vail consacré au seuil de Canisy, on pourraretourner au savoir et demander aux élèvesde rédiger des notes de bas de page à lasuite de l’article d’Élodie Bouygues,« L’Écriture de Jean Follain » pour illustrerson analyse d’autres exemples relevés aucours de leur travail.

Lecture ou écriture, écriture de com-mentaire et écriture d’invention, informa-tions contextuelles et méthodes d’analyses,on voit bien dans cet exemple que toutesles pratiques et compétences interagissentpour donner accès aux élèves à l’interpréta-tion des textes littéraires et à l’univers origi-nal, singulier des écrivains.

Bibliographie

NOTES :

1 Épreuve anticipée de français pour le baccalau-réat, séries technologiques, 2006.

2 La Biographie de Follain page 6 permettra deconforter l’hypothèse.

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